1 1924, Articles divers (1924–1930). M. de Montherlant, le sport et les jésuites (9 février 1924)
1 s jésuites (9 février 1924)a M. de Montherlant est considéré par plusieurs comme l’un des héritiers de Barrès. Le rappro
2 me l’un des héritiers de Barrès. Le rapprochement est peut-être prématuré, tout au plus peut-on dire qu’à l’heure présente
3 cherche de la vérité. Dès son premier livre, il s’ est montré tout entier, il a bravement affirmé son unité. Car le temps n’
4 il a bravement affirmé son unité. Car le temps n’ est plus, où les jeunes gens se faisaient, avec sérieux, des âmes excepti
5 ssance à la doctrine de M. de Montherlant, qui en est sortie toute formée et casquée pour la lutte de l’après-guerre. ⁂ Deu
6 umanitarisme, le bolchévisme. L’autre philosophie est celle de l’antique Rome, qui a inspiré le catholicisme, la Renaissanc
7 ordre, pour M. de Montherlant comme pour Maurras, est ce qu’il importe de sauvegarder, avant tout autre principe. Jusqu’ici
8 l dans cette conception simpliste du monde, qui n’ est en rien différente de celle de l’Action française ; remarquons toutef
9 atholicisme et du christianisme, le christianisme étant dans le même camp que la Réforme. M. de Montherlant n’est décidément
10 le même camp que la Réforme. M. de Montherlant n’ est décidément pas philosophe. Peut-être ne lui a-t-il manqué pour le dev
11 . Dans sa hâte salvatrice, M. de Montherlant ne s’ est même pas demandé si ces deux contrepoisons pouvaient être administrés
12 e pas demandé si ces deux contrepoisons pouvaient être administrés ensemble. L’opération faite, il a pourtant fallu la justi
13 il a pourtant fallu la justifier, ce qui n’a pas été sans quelques tours de passe-passe de logique, admirablement masqués
14 Paradis à l’ombre des épées 1, son dernier livre, est consacrée à « fondre dans une unité supérieure » l’antinomie de l’esp
15 ble d’autant plus paradoxal que M. de Montherlant est justement un des premiers Français qui ait compris que le but du spor
16 rs Français qui ait compris que le but du sport n’ est pas la performance, mais le style et la méthode, c’est-à-dire la form
17 la partie doctrinaire de cette œuvre, elle ne lui est pas indispensable : « Ces simplifications valent ce que valent toutes
18 ées générales, et j’avoue bien volontiers qu’il n’ est pas une opinion sur le monde à laquelle je ne préfère le monde ». Je
19 ces corps de l’entre-deux-guerres, … cinq sur dix sont désignés… ». Voici passer un coureur : « À peine a-t-il touché la pis
20 re et ciel. Mais sa foulée, bondissante et posée, est pleine du désir de l’air. Danse-t-il sur une musique que je n’entends
21 c’est la domination de la raison sur ce corps qui est exaltante, et c’est cette domination qui est le but véritable du spor
22 qui est exaltante, et c’est cette domination qui est le but véritable du sport. On accepte une règle ; on l’assimile, à te
23 une règle ; on l’assimile, à tel point qu’elle n’ est plus une entrave à la violence animale déchaînée dans le corps du jou
24 siode et qui gouverna le monde ancien : La moitié est plus grande que le tout ». Le sport comme un apprentissage de la vie 
25 ique tressé dans vos couronnes de laurier. Vous n’ êtes pas couronnés d’olivier. La main connaît la main dans la prise du tém
26 pas en vain. Le chef se dresse entre les dix qui sont à lui. Il dit : « Je ne demande pas qu’on m’aime. Je demande qu’on me
27 ne demande pas qu’on m’aime. Je demande qu’on me soit dévoué. » Ils disent : « Tu es notre capitaine. » Ces choses ne sont
28 demande qu’on me soit dévoué. » Ils disent : « Tu es notre capitaine. » Ces choses ne sont pas dites en vain. Stades que p
29 disent : « Tu es notre capitaine. » Ces choses ne sont pas dites en vain. Stades que parcourent de jeunes et purs courages,
30 insi compris, plus que l’apprentissage de la vie, est l’apprentissage de la guerre, dira-t-on. M. de Montherlant répondra :
31 . de Montherlant répondra : non, car la faiblesse est le péché capital pour le sportif. Or c’est la faiblesse « qui fait le
32 lesse « qui fait lever la haine ». « La faiblesse est mère du combat. » C’est donc à un lacédémonisme renouvelé que nous co
33 constructive » : porter l’effort sur ce qui doit être , et ce qui ne doit pas être tombera de soi-même. Ainsi l’athlète à l’
34 ffort sur ce qui doit être, et ce qui ne doit pas être tombera de soi-même. Ainsi l’athlète à l’entraînement ne s’épuise-t-i
35 ompte à distance de la contradiction sur laquelle est bâtie son œuvre. L’intéressant sera de voir ce qu’il sacrifiera, de l
36 n sur laquelle est bâtie son œuvre. L’intéressant sera de voir ce qu’il sacrifiera, de la morale sportive ou de la morale jé
37 rales » ne vaillent rien2 ; sa morale virile nous est néanmoins plus proche que la sensualité vaguement chrétienne de tel a
2 1924, Articles divers (1924–1930). Conférence de Conrad Meili sur « Les ismes dans la peinture moderne » (30 octobre 1924)
38 point de départ. Mais leurs recherches n’ont pas été vaines. Ils en reviennent chargés de chefs-d’œuvre, et plus conscient
39 u peintre. Souhaitons d’entendre encore M. Meili. Est -il besoin de souligner l’importance de telles prises de contact entre
3 1926, Articles divers (1924–1930). Conférence de René Guisan « Sur le Saint » (2 février 1926)
40 ion au cours des siècles. Primitivement, le Saint est un homme que Dieu a mis à part par grâce pour qu’il serve. Mais très
41 élévation morale ou leurs souffrances semblent s’ être le plus rapprochés du Christ ; et dans l’Église persécutée, le martyr
42 s saints pour l’exemple de leur vie : mais Christ est le seul médiateur à qui doit s’adresser le culte, en son cœur, du cro
43 cœur, du croyant. Le centre de gravité religieux est replacé en Christ. — Comment l’Église catholique réagit-elle ? En cod
44 ’a plus qu’un sens relatif pour nous protestants. Est -ce là nous juger ? Les catholiques nous reprochent d’avoir méconnu l’
45 ste divers ordres de sainteté ». Cette mère qui s’ est sacrifiée aux siens, n’était-ce pas une sainte, comme ce missionnaire
46 té ». Cette mère qui s’est sacrifiée aux siens, n’ était -ce pas une sainte, comme ce missionnaire et cette diaconesse ? S’il n
47 iste des saints dans le protestantisme. Mais il n’ est pas de fin aux œuvres de Dieu. La sainteté parfaite ne commence qu’au
48 t véritable. Il n’y a pas de saints, mais il faut être parfait. Tel est l’enseignement de Jésus, telle est la pensée qu’a vo
49 y a pas de saints, mais il faut être parfait. Tel est l’enseignement de Jésus, telle est la pensée qu’a voulu restaurer le
50 e parfait. Tel est l’enseignement de Jésus, telle est la pensée qu’a voulu restaurer le protestantisme. La place nous manqu
51 vanche du fameux scrupule protestant, qui ne peut être un danger lorsqu’il n’est, comme ici, que la loyauté d’un esprit anim
52 rotestant, qui ne peut être un danger lorsqu’il n’ est , comme ici, que la loyauté d’un esprit animé par une foi agissante.
4 1926, Articles divers (1924–1930). Conférences d’Aubonne (7 avril 1926)
53 es Objections des intellectuels au Dieu chrétien, fut introduit par M. Raymond de Saussure, psychanalyste distingué, qui se
54 es de l’Évangile en face de la pensée moderne, et fut impressionnant de vigueur dialectique et de largeur d’idées. Une soir
55 ces faites pendant le réveil de la Drôme, dont il est l’un des artisans les plus actifs. Pour remplacer un travail promis p
56 e. Chacun dit ce qu’il pense sans se préoccuper d’ être bien pensant et les Romands recouvrent l’usage de la parole, puis on
5 1926, Articles divers (1924–1930). L’atmosphère d’Aubonne : 22-25 mars 1926 (mai 1926)
57 t prêt à tout lâcher pour une vérité nouvelle, on tient moins à convaincre qu’à se convaincre. Après les exposés de Janson, d
58 mal de préjugés en matières sociales. Mais ce qui est peut-être plus important, on eut l’impression, durant les discussions
59 honore la liberté d’un culte moins platonique : n’ est -ce pas Léo qui prétendit qu’on ne peut juger les Associations qu’à le
60 rdot, entrant par la fenêtre, vint annoncer qu’on était libre — comme si on l’avait attendu pour le manifester ! — et qu’il s
6 1926, Articles divers (1924–1930). Confession tendancieuse (mai 1926)
61 euse (mai 1926)g Écrire, pas plus que vivre, n’ est de nos jours un art d’agrément. Nous sommes devenus si savants sur no
62 vivre, n’est de nos jours un art d’agrément. Nous sommes devenus si savants sur nous-mêmes, et si craintifs en même temps, si
63 lement : nous comprenons que nos œuvres, si elles furent faites à l’image de notre esprit, le lui rendent bien dans la suite ;
64 t d’écrire, aux forces les plus secrètes de notre être comme aux calculs les plus rusés. Nous choisissons les idées comme on
65 ssons les idées comme on choisit un amour dont on est anxieux de prévoir l’influence, avant de s’y jeter, et dont on craint
66 mots commence le drame de toute vie. Ha ! Qui je suis  ? Mais je le sens très bien ! je sens très bien cette force — ici, je
67 étranges viennent m’habiter ; je ne sais plus… Je suis beaucoup de personnages, faudrait choisir. Vous me direz qui je suis,
68 rsonnages, faudrait choisir. Vous me direz qui je suis , mes amis ; quel est le vrai ? — Ils me proposent vingt visages que j
69 oisir. Vous me direz qui je suis, mes amis ; quel est le vrai ? — Ils me proposent vingt visages que je puis à peine reconn
70 hoses, les faits, la vie, comme ils disent. Je me suis abandonné au jeu du hasard, jusqu’au jour où l’on me fit comprendre q
71 , jusqu’au jour où l’on me fit comprendre qu’il n’ est que le jeu de sauter follement d’une habitude dans une autre. Il ne m
72 , tout le monde devait voir en moi une tare que j’ étais seul à ignorer, était-ce ma fatigue seulement qui me rendait toutes c
73 voir en moi une tare que j’étais seul à ignorer, était -ce ma fatigue seulement qui me rendait toutes choses si méticuleuseme
74 en même temps que je le découvrais, dans tout mon être une force aveugle de violence s’était levée. Ce fut elle qui m’entraî
75 ans tout mon être une force aveugle de violence s’ était levée. Ce fut elle qui m’entraîna sur les stades où je connus quelle
76 e une force aveugle de violence s’était levée. Ce fut elle qui m’entraîna sur les stades où je connus quelle confiance sour
77 ait un des premiers jours du printemps —, l’heure est venue de la violence. Jeunes tempêtes, lavez, bousculez ! La parole e
78 ce. Jeunes tempêtes, lavez, bousculez ! La parole est aux instincts combatifs et dominateurs par quoi l’homme ne se disting
79 i l’homme ne se distingue plus de l’animal. Louée soit ma force et tout ce qui l’exalte, et tout ce qui la dompte, tout ce q
80 trop grand pour ma vie — toute ma joie ! » Ce n’ était plus une douleur rare que j’aimais dans ces brutalités, c’était ma li
81 tombe : agir ? dans quel sens ? Provisoirement j’ étais sauvé d’un désordre où l’on glisse vers la mort. L’important, c’est d
82 mportant, c’est de ne pas se défaire. Mais rien n’ était résolu. Me voici devant quelques problèmes dont je sais qu’il est abs
83 oici devant quelques problèmes dont je sais qu’il est absolument vain de prétendre les résoudre, mais que je dois feindre d
84 arriverai-je à la vouloir, et c’est le tout. S’il est une révélation, c’est en me rendant plus parfait que je lui préparera
85 l ne faut plus que je respecte tout en moi. Je ne suis digne que par ce que je puis devenir. Se perfectionner : cela consist
86 tends pas tous les cultiver pour cela seul qu’ils sont naturels : la nature est un champ de luttes, de tendances vers la des
87 r pour cela seul qu’ils sont naturels : la nature est un champ de luttes, de tendances vers la destruction et vers la const
88 l’intelligence de faire primer la vie, puisque n’ est pas encore parfait cet instinct qui est la Vertu. Ma vertu est de che
89 puisque n’est pas encore parfait cet instinct qui est la Vertu. Ma vertu est de chercher cette Vertu ; de me replacer dans
90 e parfait cet instinct qui est la Vertu. Ma vertu est de chercher cette Vertu ; de me replacer dans le sens de ma vie ; de
91 m’emprisonnerai pas dans ces limites. Ma liberté est de les porter plus loin sans cesse, de battre mes propres records. De
92 s ma vie, une vue stupide sur mon état qui peut m’ être dangereuse. (On donne corps à une faiblesse en la nommant ; or je ne
93 demain peut-être, agir dans le monde, si je m’en suis d’abord rendu digne. L’époque nous veut, comme elle veut une conscien
94 etites certitudes5, j’éprouve vite le sentiment d’ être dans un débat étranger à ce véritable débat de ma vie : comment surmo
95 urire — en songeant à ces raisonnements que je me tiens — plisser un peu mes lèvres, et s’affirmer à mesure que je le décris.
96 nt d’un flot fou ! Revenez, mes joies du large !… Tiens , j’écoute le vent ; je pense au monde. Chant des horizons, images qui
97 hrases qu’il ne faut pas encore comprendre — tout est si fragile —, mais je sais quelle légèreté puissante, quelle confianc
98 rps et cet esprit… Créer, ou glisser au plaisir ? Êtes -vous belle, mon amie, — et vous, ma vie ? Certes, mais je vous aime m
99 son objet vivant. Pour moi, la sincérité ne peut être que spontanée. Et spontanément je suis porté à écrire des idées qui m
100 té ne peut être que spontanée. Et spontanément je suis porté à écrire des idées qui m’aideront. Une fois écrites elles prenn
101 ent pas encore en moi. C’est en quoi ma sincérité est tendancieuse. 5. Quant à adhérer à une doctrine toute faite, ce me s
102 rité d’un système, hors la religion. Un système n’ est pas vrai, il est utile. C’est pourquoi je ne puis comprendre les exco
103 , hors la religion. Un système n’est pas vrai, il est utile. C’est pourquoi je ne puis comprendre les excommunications et l
7 1926, Articles divers (1924–1930). Les Bestiaires, par Henry de Montherlant (10 juillet 1926)
104 étouffées par des forces qui se lèvent. Car telle est la vertu de ce livre, qu’on l’éprouve d’abord trop vivement pour le j
105 premiers combats de taureaux du jeune Montherlant est en réalité un nouveau tome de ses mémoires lyriques. Une œuvre d’une
106 plus ferme, d’une unité plus pure aussi. Le sujet était périlleux : si particulier, il prêtait à des abus de pittoresque, de
107 cription la plus réaliste de la vie animale. Et n’ est -ce pas justement parce qu’il est poète qu’il peut atteindre à pareill
108 ie animale. Et n’est-ce pas justement parce qu’il est poète qu’il peut atteindre à pareille intensité de réalisme. Une perp
109 inc vraiment que ce qu’on aime, et les victorieux sont d’immenses amants »6. Mais envers les taureaux cet amour tourne en ad
110 un peu pauvre pour fonder une religion. Mais ce n’ est peut-être qu’un rêve de poète. Il y a un autre Montherlant, plutôt st
111 n autre amour que celui que nous donnons ? » ⁂ Il est impossible de ne voir dans les Bestiaires qu’une évocation de l’Espag
112 nt d’autres qui s’analysent sans fin, avant que d’ être , Montherlant impose un tempérament lyrique d’une puissance contagieus
113 s de l’heure. La violence même qui sourd dans son être intime l’en empêche, le préserve des états d’incertitude douloureux,
114 — (de lui-même) — il n’« accroche » pas à ce qui est triste ou ennuyeux, que ce soit l’idée de la mort ou les soucis polit
115 che » pas à ce qui est triste ou ennuyeux, que ce soit l’idée de la mort ou les soucis politiques, sociaux, etc., et il ne m
116 le chante avec pathétique. Mais c’est parce qu’il est poète : le chant fini, il n’y pense plus. On comprend qu’une telle at
117 ondes de leurs âmes séparées de Dieu. Montherlant est aux antipodes de ceux-là « qui cherchent en gémissant ». Mais cette p
118 solence les forces créatrices, ne vaut-elle pas d’ être élevée en témoignage pour notre exaltation ? Comme la vue des athlète
119 peut entraîner l’âme dans un élan de grandeur. N’ est -ce point une solution aussi ? Plutôt que d’oublier de vivre à force d
120 ractée, par la grâce de l’éternel Désir ? 6. Il est curieux de noter que de tels passages viennent à l’appui de la théori
8 1926, Articles divers (1924–1930). Soir de Florence (13 novembre 1926)
121 — et derrière, elle devient plus secrète. Vers l’ est , des collines fluides et roses. De l’autre côté, c’est le vide, où s’
122 ers sept heures, il n’y en eut presque plus. Nous étions seuls sur le pavé qui exhalait sa chaleur, au long des quais sans ban
123 utumance au monde de sensations inconnues où nous étions baignés nous promettait pourtant une connaissance plus intime de cert
124 e de certaine tristesse. Seule une maison blanche est arrêtée tout près de l’eau. Mais ce n’est pas d’elle que vient cette
125 blanche est arrêtée tout près de l’eau. Mais ce n’ est pas d’elle que vient cette chanson jamais entendue qui nous accompagn
126 emplit notre monde à ce chant. L’odeur du fleuve est son parfum, le soleil rouge sa douleur. Les bœufs blancs, les roues p
127 l désir en nous de comprendre ce lamento. Le ciel est un silence qui s’impose à nos pensées. Ici la vie n’a presque plus de
128 n’a presque plus de sens, comme le fleuve. Elle n’ est qu’odeurs, formes mouvantes, remous dans l’air et musiques sourdes. P
129 es, remous dans l’air et musiques sourdes. Penser serait sacrilège, comme une barre droite au travers d’un tableau. Nos yeux o
130 ue des roseaux aux feuilles sèches… Puis la brume est venue comme une envie de sommeil. Une lampe dans la maison blanche no
131 n blanche nous a révélé proche la nuit. Nous nous sommes retournés vers la ville. Fleurs de lumières sur les champs sombres d
132 s de lumières sur les champs sombres du ciel de l’ est , et une façade parfaite répond encore au couchant. San Miniato sur sa
133 me cette brume, une vie étrangère, une paix qui n’ est pas humaine, et qui nous laisse gourds et faibles, caressant en nous
134 fleuve, un sommeil de plante vaguement heureuse d’ être pliée au vent qui ne parle jamais. Nous fûmes si près de choir dans t
135 se d’être pliée au vent qui ne parle jamais. Nous fûmes si près de choir dans ton silence. Nature ! qui nous enivrait, promet
136 nité de cette façade élevée lumineuse sur le ciel fut le signe d’un équilibre retrouvé. Un grand pont de fer, près de nous,
137 . Il y avait la vie des hommes pour demain, et il était beau d’y songer un peu avant de nous abandonner à l’oubli luxueux des
138 luxueux des rues. Le long de l’Arno, les façades sont jaunes et roses près de l’eau, puis perdent dans la nuit leurs lignes
139 ds, musiques — cette vie rapide dans un décor qui est le rêve éternisé des plus voluptueuses intelligences — tous les table
140 si tu veux soudain le son grave de l’infini, pour être seul parmi la foule, lève les yeux, au plus beau ciel du monde. i.
9 1927, Articles divers (1924–1930). Dés ou la clef des champs (1927)
141 ion. Comme d’habitude, un peu après six heures. J’ étais seul. Le café est un lieu anonyme bien plus propice au rêve que ma ch
142 e, un peu après six heures. J’étais seul. Le café est un lieu anonyme bien plus propice au rêve que ma chambre où m’attende
143 : les faits-divers, rien de moins divers. Mais je suis pris dans l’absurde réseau des lignes, et cette mécanique me restitue
144 ambour livra un homme élégant et tragique, qui se tint un moment immobile, cherchant une table, puis s’avança lentement vers
145 rer comme une sorte de « personnage aux dés ». Ce furent d’abord des images décousues de sa vie, brillantes ou misérables, pas
146 que tu n’as pas beaucoup d’imagination, et que tu es un pauvre vaudevilliste qui use à tort et à travers de situations com
147 nt gagner à mes dépens, témoin ce brave homme qui est en train de me soutirer les quelque billets de mille dont je venais d
148 a musique noyait mes pensées. Je vis qu’une femme était assise à notre table, en robe rouge, et très fardée. Elle jouait avec
149 anger aussi se mit à me regarder bizarrement et j’ étais possédé de joies et de peurs. Il fallut se lever, traverser le café d
150 elquefois je songe à ses paroles — ou peut-être n’ étaient -ce que celles de mes folies ? Je me répète : paradoxes, mais cela ne
151 it plus à m’en délivrer. Ma vie m’a repris, je ne suis pas heureux. Je sais très bien que je devrais tenter quelque chose. J
152 très bien que je devrais tenter quelque chose. Je suis plein de rêves, certains soirs. Il faut pourtant rentrer chez moi, et
153 se et me regarde avec inquiétude, parce que je ne suis plus tout à fait le même. Puis elle me laisse, parce que le lait va m
10 1927, Articles divers (1924–1930). Conférence d’Edmond Esmonin sur « La révocation de l’édit de Nantes » (16 février 1927)
154 le des Conférences, devant un très bel auditoire, est un des plus passionnants et des plus controversés de l’histoire. L’un
155 oversés de l’histoire. L’un de ceux, aussi, où il est le plus difficile de rester impartial. M. Lombard, recteur de l’Unive
156 non d’après un système préconçu. (Cette attitude est plus rare qu’on ne le croit, de nos jours.) M. Esmonin montra avec be
157 loux de ses droits considérables encore ; puis ce sont les conseillers intimes du roi, un jésuite, le père Lachaise, un arch
158 r le ciel, persuadent Louis XIV que la révocation serait une œuvre digne du Roi-Soleil et capable de lui faire pardonner les e
159 ou de force tous ceux qui resteront « Les enfants seront du moins catholiques, si les pères sont hypocrites », écrit Madame de
160 enfants seront du moins catholiques, si les pères sont hypocrites », écrit Madame de Maintenon. Mais bientôt l’on voit la Fr
161 l’on voit la France se dépeupler ; des industries sont presque anéanties ; les conséquences funestes de l’acte de révocation
162 arrachées par Louis XIV au pape, les catholiques sont loin d’être unanimes à louer la révocation. L’un d’eux s’indigne, dan
163 ar Louis XIV au pape, les catholiques sont loin d’ être unanimes à louer la révocation. L’un d’eux s’indigne, dans une lettre
164 une lettre à Louvois, de ce que « les dragons ont été les meilleurs prédicateurs de notre Évangile ». Et les persécutions c
11 1927, Articles divers (1924–1930). Jeunes artistes neuchâtelois (avril 1927)
165 va-t-elle redevenir le centre artistique qu’elle fut au siècle passé ? Allons-nous assister à un regroupement de ses force
166 groupement de ses forces créatrices ? La question est peut-être prématurée. Mais le seul fait qu’elle se pose me paraît ind
167 jeunes peintres neuchâtelois. Quant à savoir s’il est possible déjà de discerner parmi eux certaines tendances générales, n
168 ’ignorent rien des courants les plus modernes, et sont bien situés pour n’en prendre que le meilleur ; mais l’émulation, l’a
169 s d’avant-garde, ce monde où tous les extrémismes sont prônés comme vertus cardinales, et qui forme ailleurs le premier publ
170 face de ce qu’on nomme le gros public. L’épreuve est pénible, énervante, souvent fatale aux novateurs. Alors ils s’en vont
171 ur en effet l’on apprend que tel tableau de jeune est « coté » chez un gros marchand. Aussitôt, les feuilles locales retent
172 as qu’il en faille gémir. Une certaine résistance est nécessaire pour que la force se développe. N’était certain petit plai
173 est nécessaire pour que la force se développe. N’ était certain petit plaisir d’impertinence, je me fusse dispensé de redire
174 était certain petit plaisir d’impertinence, je me fusse dispensé de redire ces lieux communs, auxquels pourtant nos circonsta
175 i les peintres dont nous allons parler méritent d’ être appelés jeunes, c’est par leurs œuvres avant tout. D’autre part je pr
176 me la peinture à la photographie. Une œuvre d’art est un merveilleux foyer de contagion contre lequel je ne saurais me prém
177 encore du flou, des courbes complaisantes. Meili est devenu plus net, plus cruel aussi. À Marin, près Neuchâtel, dans cett
178 en bleu vif et ornée de surprenants batiks, il s’ est livré pendant quelques années à des recherches un peu théoriques et a
179 t personnages semblent d’une matière idéale. Tout est lisse et parfait. Trop parfait seulement. Il manque à ces recompositi
180 gravures sur bois colorées qu’il intitule la cité est un petit chef-d’œuvre de réalisme stylisé. C’est d’un art très volont
181 vent au Neuchâtelois. S’il casse des vitres, ce n’ est pas seulement pour le plaisir, mais plutôt par amour du courant d’air
182 érange toujours quelques frileux, mais les autres sont soulagés. Et ne fût-ce qu’en prenant une initiative comme celle de Ne
183 ues frileux, mais les autres sont soulagés. Et ne fût -ce qu’en prenant une initiative comme celle de Neuchâtel 1927 7 il au
184 d’autres rapprochements moins paradoxaux. Donzé n’ est pas de ceux pour qui la peinture consiste à habiller une idée. Voyez
185 r à la Hollande, sa seconde patrie si la peinture est sa première et Neuchâtel la troisième… Il y a par Eugène Bouvier quel
186 satisfaisant. Ce lyrique, ce mystique exige pour être compris une complicité de sentiments ou d’état d’âme. Je ne verrais g
187 aînés, dont on le puisse rapprocher, parce qu’il est un des rares peintres de ce pays pour qui la couleur existe avant tou
188 me, légères précipitations » annonce le bulletin. Tiens , me dis-je, Bouvier va peindre. Comme peintre religieux, il se cherch
189 une plus grande certitude intérieure. Les visages sont plus calmes, les couleurs s’avivent, le soleil est sur le point de re
190 nt plus calmes, les couleurs s’avivent, le soleil est sur le point de reparaître… Charles Humbert ou comment on passe en c
191 t on passe en cinq ans de Baudelaire à Rubens. Il fut un temps où l’on put craindre que Charles Humbert ne devînt le chef d
192 . Il peignait des natures mortes qui décidément l’ étaient , à faire froid dans le dos ; ou bien des scènes d’une bizarre fantais
193 sait trop lâche. Mais aujourd’hui la mue semble s’ être opérée. Humbert est rendu à lui-même. Il atteint son équilibre et sa
194 aujourd’hui la mue semble s’être opérée. Humbert est rendu à lui-même. Il atteint son équilibre et sa maîtrise avec une to
195 e avec une toile comme le Potier. Si la couleur n’ est pas encore aussi plantureuse que les formes, il y a une belle richess
196 qui fait encore plus « Renaissance » : le costume est drapé avec un soin minutieux, mais une grande mèche insolente retombe
197 mèche insolente retombe devant le visage. Aurèle tient un livre ouvert, et ce n’est pas je pense qu’il le lise, mais il aime
198 le visage. Aurèle tient un livre ouvert, et ce n’ est pas je pense qu’il le lise, mais il aime caresser la reliure qu’il do
199 a reliure qu’il doit avoir faite lui-même. Car il est artisan, dans le beau sens ancien du terme, tout comme son frère Char
200 ise aux dieux que les visages qui s’y reflèteront soient aussi beaux que ceux qu’il peint ou modèle, le soir, à la lampe, en c
201 enforce l’expression. Décidément ces trois frères sont une école. Délaissant un moment ce trésor du meilleur réalisme, que n
202 urions trouver guide plus pittoresque. Celui-ci s’ était égaré en avant, très en avant, sans s’en apercevoir, peut-être. Il su
203 c’est un Renoir… Retournez-en une autre, ce doit être un dessin d’horlogerie, ou quelque plan d’une machine à mouvement per
204 e. Que va-t-il se passer là-dedans ? Et ces roses sont le signe de quel occulte prodige ? Intrigué, vous reprenez ce que vou
205 e ? Intrigué, vous reprenez ce que vous pensiez n’ être qu’une épure : c’est intitulé « nature morte ». Pourquoi pas naissanc
206 nouvelles songeries ! Ces horlogeries impossibles sont des pièges à chimères. C’est ainsi qu’on fait une découverte. Attenti
207 machines à explorer l’au-delà. En vérité il faut être sorcier ou artiste pour changer en instruments métaphysiques ces bonn
208 res, rappelons le souvenir de Charles Harder, qui est mort jeune, sans avoir pu donner toute sa mesure. Il a laissé surtout
209 rincipes cubistes dans un art dont la genèse même est cubiste en quelque sorte, supposant une décomposition primitive en pl
210 ement féminine, une élégance aiguë. Notre revue n’ est certes pas complète. Mais elle a du moins l’avantage de grouper des a
211 r un mouvement actif déjà, et dont Neuchâtel 1927 sera la première manifestation collective. Est-il possible, au sein de ce
212 1927 sera la première manifestation collective. Est -il possible, au sein de ce mouvement, d’en distinguer d’autres plus o
213 t-être à la formation d’un groupe dont l’activité serait féconde en ce pays. D’autre part, des œuvres aussi différentes par le
214 tier, un goût pour la construction rigoureuse qui sont des éléments peut-être insuffisants pour caractériser une école, mais
215 de classicisme moderne dont les frères Barraud ne seraient pas très éloignés par d’autres côtés. Un avenir peut-être proche dira
216 e réalité artistique. Pour aujourd’hui, notre but serait suffisamment atteint si nous n’avions fait qu’affirmer l’existence et
217 une jeune peinture originale dans un pays qu’on s’ est trop souvent plu à dire si âpre, prosaïque et d’une maigre végétation
12 1928, Articles divers (1924–1930). Un soir à Vienne avec Gérard (24 mars 1928)
218 sayer de se prendre encore au rêve de valse qu’on était venu chercher parce que cela vaudrait bien d’autres stupéfiants. Mais
219 d’une révolution. Sept heures du soir : le moment était venu d’arrêter le plan de la soirée, et cette promenade où il y avait
220 — bien qu’on pense généralement le contraire. Il est très vrai que les notions réaliste et idéaliste du monde ne sont sépa
221 que les notions réaliste et idéaliste du monde ne sont séparées que par un léger décalage dans la chronologie de nos sentime
222 ine idée que j’avais d’un romantisme viennois, je fus conduit, par une sorte de compromis sentimental, à l’Opéra où l’on do
223 is le thème de la Barcarolle s’empare de tout mon être — ainsi d’autres deviennent patriotes au son d’une fanfare militaire,
224 des parois, noir et blanc, la ravissante héroïne est à son piano, c’est un duo des ténèbres et de la pureté où vibrent par
225 s forces inconnues et menaçantes. Mais la musique est si légère, la voix de la jeune fille si transparente : la mort même e
226 le rôde ici comme une tristesse amoureuse. Elle n’ est plus que l’approche d’une grandeur où se perdraient nos amours terres
227 e que le pouvoir de cette musique. Voici que vous êtes tout près de comprendre… Mon voisin avait parlé tout haut ; personne
228 nne pourtant ne se détournait. Comment pouvais-je être le seul à l’avoir entendu ? — C’est, me répondit-il, que seul vous ve
229 -il, que seul vous venez d’atteindre au monde des êtres véritables. Nous nous rencontrons. Vous me voyez parce que vous compr
230 é ; je n’eus même pas le sentiment de quoi que ce soit d’immatériel. D’ailleurs le trouble où m’avait jeté la première recon
231 es de l’Opéra, Gérard de Nerval et moi, sans nous être rien dit d’autre, comme des amis qui se connaissent depuis si longtem
232 x petites décisions de la vie quotidienne. Gérard tenait en laisse le fameux homard enrubanné. « Cela vexe les Viennois, me di
233 me moquer de leurs petits chiens musclés… Je n’en suis pas fâché. » Il y avait peu de monde dans les rues. Des jeunes gens
234 rd, malgré les apparences, cette vie sentimentale est une des seules réalités qui correspondent encore à l’image classique
235 acité définitive à se passionner pour quoi que ce soit . Cette ville, qui est toute caresses, a peur de l’étreinte… C’est d’a
236 assionner pour quoi que ce soit. Cette ville, qui est toute caresses, a peur de l’étreinte… C’est d’ailleurs une chose que
237 manque de caractère aussi. La fidélité véritable est une œuvre d’art qui demande un long effort, et les Viennois sont, par
238 d’art qui demande un long effort, et les Viennois sont , par nature et par attitude, des gens fatigués. — Pour moi, dit Gérar
239 lus deux, en y réfléchissant bien, mais peut-être était -ce la même sous deux attributs différents. Toutes les femmes qui m’on
240 s rien, dès qu’on aime… Oh ! cette femme ! elle n’ était qu’un regard, un certain regard, mais j’ai su en retrouver la sensati
241 ourrure brune, inévitablement. Et ce qui se passa fut , hélas, non moins inévitable : la jeune femme refusa d’abord les fleu
242 avec un sourire du type le plus courant : « Vous êtes bien gentils, messieurs ! » Il n’y avait plus qu’à lui prendre chacun
243 hacun un bras, une femme pour deux hommes — et ce fut bien dans cette anecdote dont Gérard attendait évidemment quelque cho
244 chose contraire à la coutume viennoise. L’enfant était charmante, comme elles le sont presque toutes dans cette ville, — du
245 ennoise. L’enfant était charmante, comme elles le sont presque toutes dans cette ville, — du type que Gérard et Théo nommaie
246 . Du moins, moi. Pour vous, c’est différent, vous êtes moderne, vous vous contentez peut-être de cette pêche miraculeuse — c
247 que j’ai vécu d’illusions, avouez que les miennes étaient de meilleure qualité : car c’est une pauvre illusion que le plaisir q
248 plaisir qu’on vient chercher ici avec le premier être venu. — Certes, je comprends que l’Europe est en décadence quand je l
249 er être venu. — Certes, je comprends que l’Europe est en décadence quand je la regarde s’amuser. Je vois se perdre ce sens
250 la mesure de votre générosité. Vos boîtes de nuit sont des sortes de distributeurs automatiques de plaisir. Autant dire que
251 Ils prennent au hasard des liqueurs qui n’ont pas été préparées pour leur soif. Ils ne savent plus les signes ni les ressem
252 , ou luisants de concupiscences élémentaires : Ce sont vos contemporains livrés à la démocratie des plaisirs achetés au déta
253 dans une foire éclatante de faux luxe. La misère est de voir ici des femmes aussi ravissantes que celle-là qui danse en ro
254 comme c’est odieux qu’une créature aussi parfaite soit touchée par les mains outrageusement baguées de ces courtiers alourdi
255 eligieux de la beauté. Mais je crois que l’Orient est devenu fou. Il ne comprend plus rien. » Des bugles agonisaient, aux d
256 einte aux lois du genre le plus conventionnel qui soit . Gérard la regarda avec une certaine pitié : « Chère enfant, dit-il d
257 oir délivré le homard qui, laissé au vestiaire, y était l’objet de vexations diverses et de curiosités grossières de la part
258 malicieux. Mais l’ombre de cette ville illusoire est la plus douce à mes vagabondages sans but. Vous savez, je lance mes f
259 très, très longtemps… Et pas de Lune ce soir, il serait dangereux de s’endormir. » Se penchant vers moi il prononça : « La nu
260 r. » Se penchant vers moi il prononça : « La nuit sera noire et blanche. » Je ressentis quelque émotion à l’ouïe de cette ph
261 ous parlèrent, bientôt dissous dans le vent. Tout était reflet, passages, allusions. Plus tard, dans un petit bar laqué de no
262 ée ; un piano dissimulé joue très doucement. Nous sommes assis autour d’une petite table lumineuse, verdâtre, et Gérard, pench
263 y découvre. Il y a les ailes du Moulin-Rouge, qui sont les bras de Clarissa dans sa danse, et Clarissa c’est aussi l’Anglais
264 utôt, par je ne sais quelle erreur d’images, — ce serait la gravité énigmatique d’Adrienne, mais dans le lointain, Aurélia lui
265 minute toutes les incarnations d’un amour dont l’ être éternel apparaît peu à peu, à travers la simultanéité de ses manifest
266 le côté terrestre des choses dont l’autre moitié sera toujours cachée, ainsi la Lune et sa moitié d’ombre. Et parce que tou
267 lque chose d’éternel. Tous les drames du monde ne sont que décors mouvants dans la lueur bariolée des sentiments, ils ne son
268 nts dans la lueur bariolée des sentiments, ils ne sont que reflets, épisodes, symboles : le vrai drame de son destin est ail
269 épisodes, symboles : le vrai drame de son destin est ailleurs. Il se met à m’expliquer des signes, des généalogies étourdi
270 de moi. Il me raconte de ces superstitions qui ne sont enfantines que pour nos savants retombés en pleine barbarie spirituel
271 t écrire, c’est une Vie simultanée de Gérard, qui tiendrait toute en une heure, en un lieu, en une vision. » Nous sortîmes. Seul
272 le homard se réveilla. Gérard m’expliqua qu’il en était ainsi chaque nuit, que l’animal devenait nerveux et que depuis quelqu
273 ne, la place s’éteignit. Mais Gérard ? Ses yeux s’ étaient fixés intensément, à la sortie des invités, sur une femme qui s’en al
274 l avait murmuré : Marie Pleyel. Quand la place se fut apaisée, je m’aperçus que j’étais seul. Une dernière auto, extraordin
275 Quand la place se fut apaisée, je m’aperçus que j’ étais seul. Une dernière auto, extraordinairement silencieuse, absolument s
276 de la femme aux bandeaux noirs. Mais les rideaux étaient baissés. Déjà on criait les journaux du matin, des triporteurs passèr
13 1928, Articles divers (1924–1930). Miroirs, ou Comment on perd Eurydice et soi-même » (décembre 1928)
277 Tire-toi de tes ombres… » Paul Valéry. Stéphane est maniaque, comme tous les jeunes gens de sa génération. Seulement chez
278 s de sa génération. Seulement chez lui, cela ne s’ est pas porté sur les autos. Il préfère s’intéresser aux divers types hum
279 lui sait peu de grés de sa curiosité. Sans doute est -il trop impatient, demande-t-il aux êtres plus qu’ils ne peuvent donn
280 ans doute est-il trop impatient, demande-t-il aux êtres plus qu’ils ne peuvent donner… D’ailleurs on ne lui doit rien, n’est-
281 peuvent donner… D’ailleurs on ne lui doit rien, n’ est -ce pas ? Il en tombe d’accord ; accepte d’attendre comme un enfant sa
282 s classiques. Repoussé par le monde parce qu’il n’ est pas encore quelqu’un, Stéphane cherche à savoir ce qu’il est. C’est u
283 ore quelqu’un, Stéphane cherche à savoir ce qu’il est . C’est une autre manie de sa génération. Mais là encore il se singula
284 as exister. Non : il a remarqué que l’époque peut être définie par l’abondance des autobiographies, mais aussi bien par cell
285 enre, qui l’intriguent à n’en pas finir. Quand il est très fatigué, il veut voir encore cette fatigue dans son regard : app
286 meil l’en délivre. Au matin il court se voir : il est laid. Lâchement il se prend en pitié. Ces séances lui font du mal, l’
287 sse qu’il la recherche. Il veut se voir tel qu’il est parmi les autres. Mais s’il lui arrive de prendre son image pour cell
288 à soi-même qui pourrait lui rendre la certitude d’ être . Mais il s’épuise dans une perspective de reflets qui vont en diminua
289 onne se dissout dans l’eau des miroirs. Stéphane est en train de se perdre pour avoir voulu se constater. Va-t-il découvri
290 dans l’homme moderne un besoin de vérifier qui n’ est plus légitime dès l’instant qu’il se traduit par la négation de l’inv
291 Stéphane n’a pas eu confiance. Or la personnalité est un acte de foi : Stéphane ne sait plus ce qu’il est. Semblablement, i
292 t un acte de foi : Stéphane ne sait plus ce qu’il est . Semblablement, il ne sait plus aimer. (Ces jeunes gens ne veulent pa
293 ne aventure qui en a bien d’autres, d’aspects. Il est bon que le lecteur dérisoirement troublé par la crainte de n’avoir pa
294 re miroir, nous perdons une Eurydice. Les miroirs sont peut-être la mort. La mort absolue, celle qui n’est pas une vie nouve
295 t peut-être la mort. La mort absolue, celle qui n’ est pas une vie nouvelle. La mort dans la transparence glaciale de l’évid
296 sous un autre visage. Car oublier son visage, ne serait -ce pas devenir un centre de pur esprit ? » C’est un premier filet d’e
297 ir dans un regard de cette femme l’écho de ce qui serait lui. Déjà il se perd dans ces yeux, mais comme on meurt dans une nais
298 pète à plusieurs reprises : « Je ne sais pas : je suis  !… Je ne sais plus… mais je suis ! » Un peu plus tard, ce fut un jou
299 ne sais pas : je suis !… Je ne sais plus… mais je suis  ! » Un peu plus tard, ce fut un jour de grand soleil sur toutes les
300 sais plus… mais je suis ! » Un peu plus tard, ce fut un jour de grand soleil sur toutes les verreries de la capitale. Les
14 1929, Articles divers (1924–1930). La tour de Hölderlin (15 juillet 1929)
301 attirer là-dessus l’attention du médecin, mais il est plus difficile de se faire comprendre par un sot que par un fou. » L’
302 u’aujourd’hui le hasard qui m’amène à Tubingue ne soit pas seulement un hasard… Hier, c’était la Pentecôte. La fête de la pl
303 s ce siècle, où tant de voix l’appellent, combien sont dignes de s’attendre au don du langage sacré ? Cette langue de feu qu
304 don du langage sacré ? Cette langue de feu qui s’ est posée sur Hölderlin et qui l’a consumé… Digne ? — Un adolescent au vi
305 e Grand Jeu. Dix années où le génie tourmente cet être faible, humilié par le monde. L’amour s’éloigne le premier, quand Höl
306 t à peine sensible dans son œuvre. Car ce poète n’ est peut-être que le lieu de sa poésie, — d’une poésie, l’on dirait, qui
307 oin d’elle (dans la région de Bordeaux croit-on), est frappé d’insolation ; sa folie d’un coup l’envahit. C’est une sorte d
308 sson ardent quitté par le feu se dessèche. Ce qui fut Hölderlin signe maintenant Scardanelli des quatrains qu’il donne aux
309 le. — C’était l’époque des amateurs de ruines. Je suis descendu au bord de l’eau, un peu au-dessous de la maison, en attenda
310 e penchent vers l’eau lente. Sur l’autre rive qui est celle d’une longue île, des étudiants au crâne rasé se promènent un r
311 uts et sombres, qui paraîtraient immenses s’ils n’ étaient à demi encombrés d’armoires. Un couloir, la chambre. L’homme qui me c
312 s. Un couloir, la chambre. L’homme qui me conduit est le propriétaire actuel. « Monsieur connaît Hölderlin ? — questionne-t
313 nt — bon, bon, parce qu’il y en a qui viennent, n’ est -ce pas, ils ne savent pas trop qui c’était… Alors vous devez connaîtr
314 son banc et ses lilas fleuris qui trempent… Tout est familier, paisible au soleil. Il passait des heures à cette fenêtre,
315 ongtemps qu’elles ont fui. Avril et mai et juin sont lointains, Je ne suis plus rien, je n’aime plus vivre. Il y avait
316 i. Avril et mai et juin sont lointains, Je ne suis plus rien, je n’aime plus vivre. Il y avait encore plus de paix que
317 es, de l’autre côté de l’eau jaune et verte… Quel est donc ce sommeil « dans la nuit de la vie » — et cet aveu mystérieux :
318 e lieu soudain m’angoisse. Mais le gardien : il y est comme chez lui. — Dormez-vous dans ce lit ? — Oh ! répond-il, je pour
319 s les marronniers. À quatre heures, l’orchestre s’ est mis à jouer des ringues charmantes, jazz et clarinette, chansons de m
320 qui lisent des magazines au fil de l’eau, ce qui est le comble des vacances. À une table voisine, des adolescents balafrés
321 ie normale. Il y a pourtant cette petite chambre… Est -ce que tout cela existe dans le même monde ? (Il est bon de poser par
322 -ce que tout cela existe dans le même monde ? (Il est bon de poser parfois de ces grandes questions naïves.) Lui aussi a vé
323 rts, qui se promènent tout seuls… Et puis, il lui est arrivé quelque chose de terrible, où il a perdu son âme. Et puis il n
324 de terrible, où il a perdu son âme. Et puis il n’ est revenu qu’un vieux corps radotant. — Qu’en pensez-vous, bonnes gens ?
325 éféré faire tout de suite la bête : comme cela on est mieux pour donner le coup de pied de l’âne… Écoutons plutôt Bettina —
326 ied de l’âne… Écoutons plutôt Bettina — la vérité est plus humaine, est plus divine, quand c’est une telle femme qui la con
327 tons plutôt Bettina — la vérité est plus humaine, est plus divine, quand c’est une telle femme qui la confesse : « Celui qu
328 siquettes et ces parfums de fleurs et d’eau… elle est tellement d’ailleurs… Faut-il donc que l’un des deux soit absurde, de
329 lement d’ailleurs… Faut-il donc que l’un des deux soit absurde, de ces mondes à mes yeux soudain simultanés ?… Le tragique
330 s ?… Le tragique de la facilité, c’est qu’elle n’ est qu’un oubli. Et pourtant, comme elle paraît ici bien établie, triomph
331 ces eaux, ces âmes indulgentes à leur banalité ? Est -ce qu’ils ne soupçonnent jamais rien ? Ou bien, peut-être, seulement,
332 e temps même qu’il nous entr’ouvre le ciel, qu’il est bon qu’il y ait le monde… Mais que cette musique vulgaire, par quel h
333 na von Arnim-Brentano : Die Günderode. 12. Où il était précepteur. Madame Gontard est la Diotima de l’Hypérion et des poèmes
334 rode. 12. Où il était précepteur. Madame Gontard est la Diotima de l’Hypérion et des poèmes. o. Rougemont Denis de, « La
15 1930, Articles divers (1924–1930). Le prisonnier de la nuit (avril 1930)
335 m même avec l’accent de notre amour et mon visage est immobile tourné vers l’ombre où tu m’entends. III Fais rentrer da
336 travers cette ombre rapide si je te joins nous la tiendrons captive écoute les cloches et le scintillement des étoiles les eaux p
337 es eaux profondes qui échangent leurs douceurs. Tiens moi bien nous allons partir l’air s’entrouvre un feu rose éclôt voici
338 se éclôt voici ton heure au regard le plus pur je suis à toi dans le triomphe du silence sereine tu es toujours plus sereine
339 suis à toi dans le triomphe du silence sereine tu es toujours plus sereine infiniment nue dans la douceur du feu et de la
340 gardais trop profond pour te voir ? Maintenant je suis seul à redescendre au jour dans l’aube sans refuges… VI Prisonnier
341 e ferment sur le vide tu pleurerais mais la grâce est facile comme un matin d’été la grâce tendrement dénouée de ta vie com
342 urerais mais la grâce est facile comme un matin d’ été la grâce tendrement dénouée de ta vie comme de cette nuit le jour d’u
343 de ta vie comme de cette nuit le jour d’un grand été qui consent… p. Rougemont Denis de, « Le prisonnier de la nuit »,
16 1930, Articles divers (1924–1930). Au sujet « d’un certain esprit français » (1er mai 1930)
344 disent bizarrement les journalistes. (L’esprit n’ est -il pas ce qui allège ? Ce qui fait s’envoler les ballons ?) 2. En vé
345 s’envoler les ballons ?) 2. En vérité, ce temps est peu propice au mépris et à l’adoration : où que se portent nos regard
346 rs à peine plus réels que leurs personnages ; des êtres gris, marqués d’un point rouge, professeurs, journalistes, spécialist
347 esant. Et c’est charmant, disent les dames. Je ne suis pas aussi dur que les dames. … et M. Maurois, comme disent beaucoup d
348 persiste à passer pour un écrivain ; alors qu’il est plutôt ce qu’autrefois l’on nommait joliment un fin lettré. (Vraiment
349 nommait joliment un fin lettré. (Vraiment le jeu est trop facile. Allez donc vous mettre en colère contre l’insignifiance 
350 même plus la colère. Ah ! nous ne risquons pas d’ être tués par des statues !) Tout d’un coup, trois hommes qui ont du cran.
351 rer, cinq ou six poètes. 4. « Quelque grande que soit  » mon envie — comme disent Beausire et la Grammaire — mon envie, ma p
352 ucoup de nouilles. Mais si le sel perd sa saveur, serait -ce avec des pamphlets qu’on la lui rend ? Je le trouve en tout cas bi
353 Il se pourrait très bien qu’à cette génération ne soit échue qu’une œuvre de critique, impitoyable de rigueur et d’enthousia
354 ble de rigueur et d’enthousiasme. 5. La critique est aisée, répètent ceux qui en ont peur, ceux-là mêmes, bien sûr, qui, s
355 continuait de construire, et quand les fondations furent achevées, les murs s’élevèrent, et quand tout fut terminé, l’on inter
356 ent achevées, les murs s’élevèrent, et quand tout fut terminé, l’on interdit l’entrée du palais à nos trois amis (qui pourt
357 que de reconnaître, etc.) Actuellement, Nietzsche est encore très mal compris. 6. Il s’agit ici de la critique d’un certai
358 es raisons pour ne point se laisser troubler. Ils tiennent à leurs petites inquiétudes domestiquées. Ils sont toujours pressés,
359 ent à leurs petites inquiétudes domestiquées. Ils sont toujours pressés, charmants et aussi peu tragiques que possible. « Il
360 de valeurs plus ramifiés, plus organiques. Ils ne sont pas obscurs, ils sont arborescents. Voyez Bertram, Gundolf, Rudolf Ka
361 és, plus organiques. Ils ne sont pas obscurs, ils sont arborescents. Voyez Bertram, Gundolf, Rudolf Kassner… En France, héla
362 n, thème catholique. Servir leur paraît ridicule. Soit , mais il faudrait donner une œuvre. Il faudrait créer, si rien n’exis
363 , si vous persistez à dédaigner cette vertu qu’il est vraiment trop facile de nommer l’avarice française, il vous reste à c
364 lui de Schiller. Romancer la vie de ces excessifs est assez bien vu ; mais tenter de leur opposer un effort digne de ce qu’
365 nter de leur opposer un effort digne de ce qu’ils furent … Cela demanderait certains sacrifices, certains mépris qui passent te
366 qu’elle manque de sens moral. » Le Français qui n’ est ni chrétien ni disciple de Nietzsche, demandera pourquoi il faut fair
367 Tout créateur néglige sa personnalité » et « Kant est un peu plus redoutable que Robespierre ». Bien. Ah ! très bien ! Mais
368 i pris…, un ordre de valeurs, si arbitraire qu’il soit , mais volontairement, assumé ». N’est-ce point oublier que l’existenc
369 aire qu’il soit, mais volontairement, assumé ». N’ est -ce point oublier que l’existence du Christ donne à « l’humaine libert
370 e toute sa volonté, telle inéluctablement qu’elle est en Dieu — et soit qu’il sache ou qu’il ignore que la grâce seule perm
371 é, telle inéluctablement qu’elle est en Dieu — et soit qu’il sache ou qu’il ignore que la grâce seule permet de vouloir… C’e
372 ssus, tout de même… Mais ceci, comme dit Kipling, est une autre histoire. 10. Nous voici parvenus au point où cessent d’eu
373 s gagnons l’altitude. Les problèmes qu’il se pose sont le meilleur de l’homme — à condition qu’il les surmonte. « Car l’homm
374 e — à condition qu’il les surmonte. « Car l’homme est quelque chose qui doit être surmonté » comme dit Zarathoustra — dével
375 urmonte. « Car l’homme est quelque chose qui doit être surmonté » comme dit Zarathoustra — développant sans doute une vue év
376 nous ramène au centre des seuls problèmes qui ne soient pas insignifiants, voilà qui suffira peut-être à le justifier aux yeu
17 1930, Articles divers (1924–1930). « Vos fantômes ne sont pas les miens… » [Réponse à l’enquête « Les vrais fantômes »] (juillet 1930)
377 « Vos fantômes ne sont pas les miens… » [Réponse à l’enquête « Les vrais fantômes »] (juille
378 antômes »] (juillet 1930)s t I Vos fantômes ne sont pas les miens, et qui saura jamais s’ils ne sont pas pour moi « des c
379 sont pas les miens, et qui saura jamais s’ils ne sont pas pour moi « des choses » — et réciproquement. La distinction entre
380 . La distinction entre « choses » et « fantômes » est relative à des habitudes individuelles, en dehors de quoi je ne lui v
381 nérale. Certains fantômes m’apparaissent quand je suis faible, malade ou ivre, c’est-à-dire quand je suis dominé par le mond
382 uis faible, malade ou ivre, c’est-à-dire quand je suis dominé par le monde. Ils ont tous le même air absurde. Des fantômes d
383 ns avec le monde. En quoi cette première question est assez indiscrète. II Il y aurait beaucoup à dire sur l’admiration do
384 à évoquer la basse pègre du monde spirituel. Ce n’ est pas en détraquant nos sens ou notre raison, ce n’est pas en nous effo
385 pas en détraquant nos sens ou notre raison, ce n’ est pas en nous efforçant de délirer que nous atteindrons une réalité sup
386 — Les plus beaux fantômes, et les plus réels, ce sont les anges. Mais ceux-là seuls parmi nous les verront, dont l’esprit p
387 ne éthique des fantômes, dont la poésie moderne n’ est peut-être que la psychologie. s. Rougemont Denis de, « [Réponse à
388 nis de, « [Réponse à une enquête] Vos fantômes ne sont pas les miens… », Raison d’être, Paris, juillet 1930, p. 7-8. t. Les
389 ] Vos fantômes ne sont pas les miens… », Raison d’ être , Paris, juillet 1930, p. 7-8. t. Les réponses à cette enquête, par R
390 rens van Kuyk, René Crevel et Denis de Rougemont, sont précédées d’une introduction dont nous reproduisons l’extrait suivant