1 1924, Articles divers (1924–1930). M. de Montherlant, le sport et les jésuites (9 février 1924)
1 ontherlant est considéré par plusieurs comme l’un des héritiers de Barrès. Le rapprochement est peut-être prématuré, tout a
2 œuvre, comme celle de Barrès, nous offre plus qu’ un agrément purement littéraire : une leçon d’énergie. Il se pique de n’
3 s offre plus qu’un agrément purement littéraire : une leçon d’énergie. Il se pique de n’avoir pas connu, jusqu’à ce jour au
4 s, où les jeunes gens se faisaient, avec sérieux, des âmes exceptionnellement compliquées, qui s’exprimaient en une langue
5 eptionnellement compliquées, qui s’exprimaient en une langue plus compliquée encore et nuancée jusqu’à l’ennui. La guerre a
6 de se ressaisir, le sport prolongeant pour lui, d’ une façon obsédante, le rythme de la guerre. Du moins a-t-il ainsi évité
7 vons tous. Écœuré du désordre général, il cherche des remèdes, et nous tend les premiers qui lui tombent sous la main : le
8 de logique, admirablement masqués d’ailleurs par des façons cavalières un peu intimidantes. Toute une partie du Paradis à
9 ment masqués d’ailleurs par des façons cavalières un peu intimidantes. Toute une partie du Paradis à l’ombre des épées 1,
10 des façons cavalières un peu intimidantes. Toute une partie du Paradis à l’ombre des épées 1, son dernier livre, est consa
11 timidantes. Toute une partie du Paradis à l’ombre des épées 1, son dernier livre, est consacrée à « fondre dans une unité s
12 son dernier livre, est consacrée à « fondre dans une unité supérieure » l’antinomie de l’esprit catholique et de l’esprit
13 Il me semble bien paradoxal de vouloir unir dans une même philosophie la morale jésuite, faite de règles et de contraintes
14 berté et l’initiative individuelles, et la morale des sports anglais, morale qui veut former des hommes maîtres d’eux-mêmes
15 morale des sports anglais, morale qui veut former des hommes maîtres d’eux-mêmes, c’est-à-dire libres. Et cela me semble d’
16 lus paradoxal que M. de Montherlant est justement un des premiers Français qui ait compris que le but du sport n’est pas l
17 paradoxal que M. de Montherlant est justement un des premiers Français qui ait compris que le but du sport n’est pas la pe
18 rales, et j’avoue bien volontiers qu’il n’est pas une opinion sur le monde à laquelle je ne préfère le monde ». Je préfère
19 rlant son admirable lyrisme de poète du stade. En un style d’une fermeté presque brutale parfois, un style de sportif, mai
20 dmirable lyrisme de poète du stade. En un style d’ une fermeté presque brutale parfois, un style de sportif, mais qu’on sent
21 n un style d’une fermeté presque brutale parfois, un style de sportif, mais qu’on sent humaniste et poète, un style à la f
22 e de sportif, mais qu’on sent humaniste et poète, un style à la fois bref et chaud, imagé et réaliste, M. de Montherlant c
23 rlant chante cette « violence ordonnée et calme » des « grands corps athlétiques ». Sur le stade au soleil se déploient les
24 es, … cinq sur dix sont désignés… ». Voici passer un coureur : « À peine a-t-il touché la piste d’herbe, c’est une allégre
25 : « À peine a-t-il touché la piste d’herbe, c’est une allégresse héroïque qu’infuse à son corps la douce matière. L’air et
26 sée, est pleine du désir de l’air. Danse-t-il sur une musique que je n’entends pas ? » — Mais plus que le corps en mouvemen
27 ion qui est le but véritable du sport. On accepte une règle ; on l’assimile, à tel point qu’elle n’est plus une entrave à l
28 e ; on l’assimile, à tel point qu’elle n’est plus une entrave à la violence animale déchaînée dans le corps du joueur à la
29 du joueur à la vue de la prairie rase où rebondit un ballon. Si l’on considère la vie sociale comme un jeu sérieux dont on
30 un ballon. Si l’on considère la vie sociale comme un jeu sérieux dont on respecte les règles, non plus comme une lutte sau
31 rieux dont on respecte les règles, non plus comme une lutte sauvage et déloyale, la morale d’équipe devient toute la morale
32 mble (Montherlant insiste plutôt sur le sentiment des hiérarchies que sur celui de la solidarité, comme bien l’on pense). E
33 tié est plus grande que le tout ». Le sport comme un apprentissage de la vie : tout servira plus tard : Ô garçons, il y a
34 vie : tout servira plus tard : Ô garçons, il y a un brin du myrte civique tressé dans vos couronnes de laurier. Vous n’êt
35 taise votre mot de ralliement, paradis à l’ombre des épées. Rien de moins artificiellement moderne que ce lyrisme sobre e
36 « La faiblesse est mère du combat. » C’est donc à un lacédémonisme renouvelé que nous conduirait cette « éthique du sport 
37 qu’il rejoint Kant, Kant qui écrit : « C’est sur des maximes, non sur la discipline, qu’il faut fonder la conduite des jeu
38 sur la discipline, qu’il faut fonder la conduite des jeunes gens : celle-ci empêche les abus, mais celles-là forment l’esp
39 ant illustre sa propre pensée de cette citation d’ un dominicain : « Formez des jeunes filles assez fortes pour pouvoir tou
40 nsée de cette citation d’un dominicain : « Formez des jeunes filles assez fortes pour pouvoir tout lire, et il n’y aura plu
41 man catholique. » C’est ce qu’on pourrait appeler une « morale constructive » : porter l’effort sur ce qui doit être, et ce
42 ortive ou de la morale jésuite. Mais enfin, voici un homme, et non plus seulement un homme de lettres. Un homme en qui s’é
43 Mais enfin, voici un homme, et non plus seulement un homme de lettres. Un homme en qui s’équilibrent déjà l’enthousiasme d
44 homme, et non plus seulement un homme de lettres. Un homme en qui s’équilibrent déjà l’enthousiasme d’une jeunesse saine e
45 homme en qui s’équilibrent déjà l’enthousiasme d’ une jeunesse saine et la retenue de l’âge mûr, cette « limitation » que l
46 autre écrivain catholique. Et son lyrisme, encore un peu brutal, il saura le dompter, et atteindre au classicisme véritabl
47 ter, et atteindre au classicisme véritable. Voici un constructeur, un entraîneur, et qui joue franc jeu. S’il faut lutter
48 au classicisme véritable. Voici un constructeur, un entraîneur, et qui joue franc jeu. S’il faut lutter contre lui, nous
49 il observera les règles. Saluons-le donc du salut des équipes avant le match : « En l’honneur d’Henry de Montherlant, hip,
50 ris. 2. L’attitude de M. de Montherlant légitime une telle « simplification ». a. Rougemont Denis de, « [Compte rendu] M
2 1924, Articles divers (1924–1930). Conférence de Conrad Meili sur « Les ismes dans la peinture moderne » (30 octobre 1924)
51 r, dans la salle du Lyceum, M. Conrad Meili parla des écoles qui représentent la peinture française, des débuts du xixe si
52 es écoles qui représentent la peinture française, des débuts du xixe siècle à nos jours. Partis du classicisme de David et
53 es français ont accompli, durant le xixe siècle, une exploration merveilleuse dans les domaines du romantisme, du naturali
54 e souvent le public), ils préparent l’avènement d’ un classicisme nouveau. M. Meili a mis en évidence cette courbe de la pe
55 évidence cette courbe de la peinture moderne avec une netteté et un relief remarquable. Les œuvres de cet artiste, qu’on a
56 courbe de la peinture moderne avec une netteté et un relief remarquable. Les œuvres de cet artiste, qu’on a pu voir à la R
3 1926, Articles divers (1924–1930). Conférence de René Guisan « Sur le Saint » (2 février 1926)
57 philosophie, inaugura lundi soir à l’aula, devant un très nombreux public, la série des conférences que nous promet le gro
58 l’aula, devant un très nombreux public, la série des conférences que nous promet le groupe neuchâtelois des « Amis de la p
59 onférences que nous promet le groupe neuchâtelois des « Amis de la pensée protestante ». M. Guisan avait choisi un sujet qu
60 e la pensée protestante ». M. Guisan avait choisi un sujet qui permet de façon particulièrement frappante la comparaison d
61 e façon particulièrement frappante la comparaison des points de vue catholique et protestant : la notion de « Saint » et so
62 la notion de « Saint » et son évolution au cours des siècles. Primitivement, le Saint est un homme que Dieu a mis à part p
63 au cours des siècles. Primitivement, le Saint est un homme que Dieu a mis à part par grâce pour qu’il serve. Mais très vit
64 Le peuple, encore païen, voit dans la vénération des pèlerins pour les tombes de leurs saints une forme d’adoration de die
65 tion des pèlerins pour les tombes de leurs saints une forme d’adoration de dieux protecteurs. Cette croyance se répand, fav
66 preuve l’Église d’alors quand il s’agit d’adapter des traditions antiques au dogme en formation. Au Moyen Âge l’évolution s
67 s le même sens. On spécialise les « compétences » des saints, ou de leurs reliques qui se multiplient prodigieusement. Alor
68 choses antérieur. Donc l’Église continue à faire des saints, tandis que ce terme n’a plus qu’un sens relatif pour nous pro
69 faire des saints, tandis que ce terme n’a plus qu’ un sens relatif pour nous protestants. Est-ce là nous juger ? Les cathol
70 ère qui s’est sacrifiée aux siens, n’était-ce pas une sainte, comme ce missionnaire et cette diaconesse ? S’il n’y a pas de
71 ? S’il n’y a pas de saints protestants, il existe des saints dans le protestantisme. Mais il n’est pas de fin aux œuvres de
72 nque pour louer comme il conviendrait la clarté d’ un exposé solidement documenté, et le scrupule d’historien et de chrétie
73 ses conclusions cette sécurité dont trop souvent un brillant appareil dialectique ne sait produire que l’illusion. C’est
74 e du fameux scrupule protestant, qui ne peut être un danger lorsqu’il n’est, comme ici, que la loyauté d’un esprit animé p
75 nger lorsqu’il n’est, comme ici, que la loyauté d’ un esprit animé par une foi agissante. c. Rougemont Denis de, « Confé
76 , comme ici, que la loyauté d’un esprit animé par une foi agissante. c. Rougemont Denis de, « Conférence Guisan », Suiss
4 1926, Articles divers (1924–1930). Conférences d’Aubonne (7 avril 1926)
77 emps, et non plus à Sainte-Croix, mais à Aubonne. Un plein succès a répondu à cette innovation. Le sujet de la première pa
78 cette innovation. Le sujet de la première partie des conférences, les Objections des intellectuels au Dieu chrétien, fut i
79 a première partie des conférences, les Objections des intellectuels au Dieu chrétien, fut introduit par M. Raymond de Sauss
80 igieux admettent à côté de l’explication mystique une explication scientifique. C’est donc à la seule volonté de choisir. M
81 ant de vigueur dialectique et de largeur d’idées. Une soirée consacrée à la fédération vint interrompre les discussions phi
82 ux travaux. Avec la conférence de M. Jean Cadier, un jeune pasteur français, on descendit — ou l’on monta suivant M. A. Lé
83 oderne avec l’action religieuse en s’appuyant sur des expériences faites pendant le réveil de la Drôme, dont il est l’un de
84 s pendant le réveil de la Drôme, dont il est l’un des artisans les plus actifs. Pour remplacer un travail promis par M. A.
85 l’un des artisans les plus actifs. Pour remplacer un travail promis par M. A. Reymond malheureusement indisposé, M. Pierre
86 nd malheureusement indisposé, M. Pierre Maury fit une causerie émouvante sur l’Évolution religieuse de Jacques Rivière, qui
87 e de Jacques Rivière, qui se trouva préciser bien des points laissés en suspens dans la première partie de la conférence. P
88 lut en montrant la nécessité et les difficultés d’ une action missionnaire dans ces milieux, comme M. Terrisse l’avait fait
89 s milieux d’ouvriers noirs au Cap. Sans toucher à des questions de partis, avec une passion contenue d’hommes qui ont vu, q
90 Cap. Sans toucher à des questions de partis, avec une passion contenue d’hommes qui ont vu, qui ont souffert, et qui ne se
91 que nos syndicats. Cercle vicieux, l’augmentation des salaires. Ce que nous voulons, c’est élever l’homme au-dessus de la p
92 radante condition, et nous n’y arriverons que par un travail d’éducation lent et souvent dangereux. Vous, étudiants, venez
93 l’usage de la parole, puis on va se dégourdir sur un ballon ou bien l’on poursuit hors du village une discussion toujours
94 r un ballon ou bien l’on poursuit hors du village une discussion toujours trop courte. Et les repas réunissent tout le mond
95 monde dans la gaieté la plus charmante. On y vit un ouvrier en maillot rouge assis entre un banquier et un philosophe au
96 On y vit un ouvrier en maillot rouge assis entre un banquier et un philosophe au milieu d’une centaine d’étudiants et de
97 vrier en maillot rouge assis entre un banquier et un philosophe au milieu d’une centaine d’étudiants et de professeurs sui
98 is entre un banquier et un philosophe au milieu d’ une centaine d’étudiants et de professeurs suisses et français. Miracle q
99 suisses et français. Miracle qui nous fit croire un instant à la fameuse devise de la Révolution. d. Rougemont Denis d
5 1926, Articles divers (1924–1930). L’atmosphère d’Aubonne : 22-25 mars 1926 (mai 1926)
100 1926 (mai 1926)f Cette conférence s’ouvrit par une bise qu’on peut bien dire du diable et se termina sous le plus beau s
101 au soleil de printemps. Libre à qui veut d’y voir un symbole. On ne saurait exagérer l’importance des conditions météorolo
102 r un symbole. On ne saurait exagérer l’importance des conditions météorologiques du succès d’une telle rencontre : tout all
103 rtance des conditions météorologiques du succès d’ une telle rencontre : tout alla froidement jusqu’à ce que la bise tombée
104 nse, à Aubonne on se sent prêt à tout lâcher pour une vérité nouvelle, on tient moins à convaincre qu’à se convaincre. Aprè
105 oi, qu’ils incarnaient les voix contradictoires d’ un débat que tous menaient en eux-mêmes loyalement. Et ce désir d’arrive
106 ses lumineuses conquêtes sur le doute, le modèle des réponses désirées. Tout cela, c’est l’atmosphère de la chapelle où on
107 ux et méditations. Dehors, on honore la liberté d’ un culte moins platonique : n’est-ce pas Léo qui prétendit qu’on ne peut
108 offrit pendant quelques nuits la vision étrange d’ une salle où les spectateurs étendus en pyjamas sur des paillasses attend
109 e salle où les spectateurs étendus en pyjamas sur des paillasses attendraient en vain le lever d’un rideau sur une pièce in
110 ur des paillasses attendraient en vain le lever d’ un rideau sur une pièce inexistante. Enfin le dernier soir, l’on vit app
111 ses attendraient en vain le lever d’un rideau sur une pièce inexistante. Enfin le dernier soir, l’on vit apparaître un faki
112 tante. Enfin le dernier soir, l’on vit apparaître un fakir… Il y eut aussi une assemblée délibérative en pleine forêt, où
113 oir, l’on vit apparaître un fakir… Il y eut aussi une assemblée délibérative en pleine forêt, où Henriod debout sur un tron
114 libérative en pleine forêt, où Henriod debout sur un tronc coupé n’eut pas trop de toute sa souplesse pour maintenir l’équ
115 de toute sa souplesse pour maintenir l’équilibre des discussions et de sa propre personne. Et il y eut encore un dîner trè
116 ions et de sa propre personne. Et il y eut encore un dîner très démocratique pendant lequel le philosophe Abauzit chanta «
117 bauzit chanta « les Crapauds » avec âme, appuyé d’ une main sur l’épaule de Janson, et de l’autre dessinant dans l’air des p
118 ule de Janson, et de l’autre dessinant dans l’air des phrases musicales. Après quoi Richardot, entrant par la fenêtre, vint
6 1926, Articles divers (1924–1930). Confession tendancieuse (mai 1926)
119 Écrire, pas plus que vivre, n’est de nos jours un art d’agrément. Nous sommes devenus si savants sur nous-mêmes, et si
120 usés. Nous choisissons les idées comme on choisit un amour dont on est anxieux de prévoir l’influence, avant de s’y jeter,
121 ce de soi, peur de subir l’empreinte imprévisible des choses. Amour de soi… Mais moi, qui suis-je ? Par ces trois mots comm
122 ci, je tape du pied —, ces désirs, ce corps… J’ai un passé à moi, un milieu, des amis, ce tic. Mais encore, tant d’autres
123 ied —, ces désirs, ce corps… J’ai un passé à moi, un milieu, des amis, ce tic. Mais encore, tant d’autres forces et tant d
124 désirs, ce corps… J’ai un passé à moi, un milieu, des amis, ce tic. Mais encore, tant d’autres forces et tant d’autres faib
125 utres désirs contradictoires ; au gré du temps, d’ un sourire, d’un sommeil, tant de bonheurs ou de dégoûts étranges vienne
126 ontradictoires ; au gré du temps, d’un sourire, d’ un sommeil, tant de bonheurs ou de dégoûts étranges viennent m’habiter ;
127 ndre qu’il n’est que le jeu de sauter follement d’ une habitude dans une autre. Il ne me resta qu’une fatigue profonde ; je
128 ue le jeu de sauter follement d’une habitude dans une autre. Il ne me resta qu’une fatigue profonde ; je devins si faible e
129 d’une habitude dans une autre. Il ne me resta qu’ une fatigue profonde ; je devins si faible et démuni, livré aux regards d
130 e devins si faible et démuni, livré aux regards d’ une foule absurde, bienveillante, repue, — tous paraissaient détenir un s
131 bienveillante, repue, — tous paraissaient détenir un secret très simple, et un peu narquois ils me considéraient avec une
132 us paraissaient détenir un secret très simple, et un peu narquois ils me considéraient avec une pitié curieuse : je me sen
133 ple, et un peu narquois ils me considéraient avec une pitié curieuse : je me sentis nu, tout le monde devait voir en moi un
134 je me sentis nu, tout le monde devait voir en moi une tare que j’étais seul à ignorer, était-ce ma fatigue seulement qui me
135 damentale que je préférais me leurrer à combattre des imperfections de détail dont je m’exagérais l’importance. Et c’est ai
136 que je progressais, jusqu’au jour où je m’avouai un trouble que je me refusai pourtant à nommer peur de rire. Cette amert
137 plaisirs, cette envie de rire quand il m’arrivait un ennui, cette incapacité à jouir de mes victoires, à pleurer sur mes d
138 me temps que je le découvrais, dans tout mon être une force aveugle de violence s’était levée. Ce fut elle qui m’entraîna s
139 confiance sourde aux contradictions intimes exige un acte victorieux. Autour de cette brutalité s’organisaient brusquement
140 s tant choyé. « Maintenant, m’écriai-je — c’était un des premiers jours du printemps —, l’heure est venue de la violence.
141 ant choyé. « Maintenant, m’écriai-je — c’était un des premiers jours du printemps —, l’heure est venue de la violence. Jeun
142 pour ma vie — toute ma joie ! » Ce n’était plus une douleur rare que j’aimais dans ces brutalités, c’était ma liberté agi
143 tés, c’était ma liberté agissante. J’allais plier des résistances à mon gré, agir sur les choses… Vers le soir, l’ardeur to
144 ? dans quel sens ? Provisoirement j’étais sauvé d’ un désordre où l’on glisse vers la mort. L’important, c’est de ne pas se
145 à la base. J’aurai garde de m’y perdre au début d’ une recherche qui n’a que ce but de me rendre mieux apte à vivre pleineme
146 eureux : « J’ai donc la foi ? » Mais c’est encore une question… Je crois qu’il ne faut pas attendre immobile dans sa prière
147 ne faut pas attendre immobile dans sa prière, qu’ une révélation vienne chercher l’âme qui se sent misérable. Je ne recevra
148 r l’âme qui se sent misérable. Je ne recevrai pas une foi, mais peut-être arriverai-je à la vouloir, et c’est le tout. S’il
149 verai-je à la vouloir, et c’est le tout. S’il est une révélation, c’est en me rendant plus parfait que je lui préparerai le
150 ur cela seul qu’ils sont naturels : la nature est un champ de luttes, de tendances vers la destruction et vers la construc
151 rs la destruction et vers la construction ; c’est un mélange à doses égales de mort et de vie. Et c’est à l’intelligence d
152 hoisir Mes instincts, ensuite, les éduquer, selon des lois établies par le concours de l’expérience et d’un sentiment de co
153 ois établies par le concours de l’expérience et d’ un sentiment de convenance en quoi se composent le plaisir et la conscie
154 tionnement de l’esprit, puisqu’elle ne permet que des associations suivant les directions de moindre résistance. Mais je ne
155 attre mes propres records. De ce lent effort naît une modestie que je m’enorgueillis un peu de connaître ; et de cette volo
156 illis un peu de connaître ; et de cette volonté d’ un meilleur moi, une certaine méfiance vis-à-vis de ma sincérité. La sin
157 onnaître ; et de cette volonté d’un meilleur moi, une certaine méfiance vis-à-vis de ma sincérité. La sincérité m’apparaît
158 sincérité. La sincérité m’apparaît parfois comme un arrêt artificiel dans ma vie, une vue stupide sur mon état qui peut m
159 ît parfois comme un arrêt artificiel dans ma vie, une vue stupide sur mon état qui peut m’être dangereuse. (On donne corps
160 tat qui peut m’être dangereuse. (On donne corps à une faiblesse en la nommant ; or je ne veux plus de faiblesses4.) Et dema
161 rendu digne. L’époque nous veut, comme elle veut une conscience. Je fais partie d’un ensemble social et dans la mesure où
162 comme elle veut une conscience. Je fais partie d’ un ensemble social et dans la mesure où j’en dépends, je me dois de m’em
163 sauvegarde ou à sa transformation. Mais il y faut une doctrine, me dit-on. L’avouerai-je, quand je médite sur une doctrine
164 ne, me dit-on. L’avouerai-je, quand je médite sur une doctrine possible, sur une systématisation de mes petites certitudes5
165 e, quand je médite sur une doctrine possible, sur une systématisation de mes petites certitudes5, j’éprouve vite le sentime
166 titudes5, j’éprouve vite le sentiment d’être dans un débat étranger à ce véritable débat de ma vie : comment surmonter un
167 ce véritable débat de ma vie : comment surmonter un malaise sans cesse renaissant, comment m’adapter à l’existence que m’
168 fond de néant, je le comprends par éclairs, mais une secrète espérance m’emporte de nouveau, premier gage du divin… Repren
169 dre l’offensive — au soir, je m’amuserai à mettre des étiquettes sur mes actes… Déjà je sens un sourire — en songeant à ces
170 mettre des étiquettes sur mes actes… Déjà je sens un sourire — en songeant à ces raisonnements que je me tiens — plisser u
171 ant à ces raisonnements que je me tiens — plisser un peu mes lèvres, et s’affirmer à mesure que je le décris. Mais comme u
172 s’affirmer à mesure que je le décris. Mais comme un écho profond, une attirance aussi d’anciennes folies… Combat, oscilla
173 ure que je le décris. Mais comme un écho profond, une attirance aussi d’anciennes folies… Combat, oscillations silencieuses
174 mi-conscience. Joie, dégoût, lueurs éteintes dans une nuit froide. Les notes d’un chant qui voudrait s’élever. Puis enfin l
175 lueurs éteintes dans une nuit froide. Les notes d’ un chant qui voudrait s’élever. Puis enfin la marée de mes désirs. Qu’il
176 nent battre ce corps triste, qu’ils l’emportent d’ un flot fou ! Revenez, mes joies du large !… Tiens, j’écoute le vent ; j
177 iens, j’écoute le vent ; je pense au monde. Chant des horizons, images qui s’éclairent… Je vais écrire autre chose que moi,
178 chose que moi, je vais m’oublier, me perdre dans une vie nouvelle : (Créer, c’est se surpasser). J’entends des phrases qu’
179 nouvelle : (Créer, c’est se surpasser). J’entends des phrases qu’il ne faut pas encore comprendre — tout est si fragile —,
180 lue, « scientifique » me paraît aller contre fin. Une attention trop directe et soutenue modifie son objet vivant. Pour moi
181 spontanée. Et spontanément je suis porté à écrire des idées qui m’aideront. Une fois écrites elles prennent un caractère de
182 s qui m’aideront. Une fois écrites elles prennent un caractère de certitude qu’elles n’avaient pas encore en moi. C’est en
183 sincérité est tendancieuse. 5. Quant à adhérer à une doctrine toute faite, ce me semble une dérision complète. Je m’étonne
184 adhérer à une doctrine toute faite, ce me semble une dérision complète. Je m’étonne qu’après tant d’expériences ratées on
185 tées on puisse encore se persuader de la vérité d’ un système, hors la religion. Un système n’est pas vrai, il est utile. C
186 ader de la vérité d’un système, hors la religion. Un système n’est pas vrai, il est utile. C’est pourquoi je ne puis compr
7 1926, Articles divers (1924–1930). Les Bestiaires, par Henry de Montherlant (10 juillet 1926)
187 e violence et de volupté », je me sens envahi par un rythme impérieux au point qu’il faut que certaines voix en moi taisen
188 x en moi taisent leur protestation, étouffées par des forces qui se lèvent. Car telle est la vertu de ce livre, qu’on l’épr
189 d trop vivement pour le juger. L’auteur l’appelle un « poème solaire », l’éditeur un roman, parce que ça se vend mieux. Ce
190 ’auteur l’appelle un « poème solaire », l’éditeur un roman, parce que ça se vend mieux. Ce récit des premiers combats de t
191 ur un roman, parce que ça se vend mieux. Ce récit des premiers combats de taureaux du jeune Montherlant est en réalité un n
192 s de taureaux du jeune Montherlant est en réalité un nouveau tome de ses mémoires lyriques. Une œuvre d’une seule coulée,
193 réalité un nouveau tome de ses mémoires lyriques. Une œuvre d’une seule coulée, presque sans intrigue, sans cette orchestra
194 ouveau tome de ses mémoires lyriques. Une œuvre d’ une seule coulée, presque sans intrigue, sans cette orchestration de thèm
195 e thèmes qui faisait la richesse du Songe, mais d’ une ligne plus ferme, d’une unité plus pure aussi. Le sujet était pérille
196 richesse du Songe, mais d’une ligne plus ferme, d’ une unité plus pure aussi. Le sujet était périlleux : si particulier, il
197 et était périlleux : si particulier, il prêtait à des abus de pittoresque, de couleur locale, de détails techniques ou de f
198 on le traite de naturaliste. Mais comment montrer des taureaux sans que cela sente un peu l’étable ? L’étonnant, c’est de v
199 comment montrer des taureaux sans que cela sente un peu l’étable ? L’étonnant, c’est de voir à quel point Montherlant res
200 peut atteindre à pareille intensité de réalisme. Une perpétuelle palpitation de vie anime ce livre et lui donne un rythme
201 le palpitation de vie anime ce livre et lui donne un rythme tel qu’il s’accorde d’emblée avec ce qu’il y a de plus bondiss
202 irecte sur notre énergie physique. Partout rôdent des présences animales. Tandis que sur la plaine s’élève le long beugleme
203 ndis que sur la plaine s’élève le long beuglement des taureaux et le ohéohéohé des bouviers « comme un chant mystérieux ent
204 e le long beuglement des taureaux et le ohéohéohé des bouviers « comme un chant mystérieux entendu au-dessus de la mer », i
205 des taureaux et le ohéohéohé des bouviers « comme un chant mystérieux entendu au-dessus de la mer », il y a toujours dans
206 tendu au-dessus de la mer », il y a toujours dans un coin du tableau des ruades, des chevaux qui partent tout droit, la tê
207 la mer », il y a toujours dans un coin du tableau des ruades, des chevaux qui partent tout droit, la tête dressée, des vach
208 y a toujours dans un coin du tableau des ruades, des chevaux qui partent tout droit, la tête dressée, des vachettes qui se
209 chevaux qui partent tout droit, la tête dressée, des vachettes qui se mordillent et se frôlent amoureusement, des chiens «
210 es qui se mordillent et se frôlent amoureusement, des chiens « qui vous faufilent des douceurs au bas des jambes », jusqu’à
211 nt amoureusement, des chiens « qui vous faufilent des douceurs au bas des jambes », jusqu’à ces chats qui griffent et lèche
212 s chiens « qui vous faufilent des douceurs au bas des jambes », jusqu’à ces chats qui griffent et lèchent alternativement,
213 nt alternativement, « en vraies bêtes de désir ». Une intelligence si profonde de la vie animale suppose entre l’homme et l
214 e la vie animale suppose entre l’homme et la bête une sympathie que Montherlant note à plusieurs reprises. C’est « par la d
215 les taureaux cet amour tourne en adoration ou en une véritable horreur sacrée. Voici Alban devant une bête qu’il devra com
216 une véritable horreur sacrée. Voici Alban devant une bête qu’il devra combattre le lendemain : « Salaud, cochon, saligaud
217 aligaud ! » Il l’apostrophait ainsi tout bas, sur un ton révérenciel, et comme on déroule une litanie. Sous les grands cil
218 bas, sur un ton révérenciel, et comme on déroule une litanie. Sous les grands cils brillants, lustrés par la lumière desce
219 cendante, les prunelles laiteuses du dieu avaient un reflet bleu clair, soudain inquiètes à l’approche de l’inconnu. Null
220 nconnu. Nulle part mieux que dans la description des taureaux ne se manifeste ce passage du réalisme le plus hardi à un ly
221 manifeste ce passage du réalisme le plus hardi à un lyrisme plein de simple grandeur. Voici la mort du taureau dit « le M
222 sa destinée. Quelques secondes encore elle cligna des yeux et on vit sa respiration. Puis ses pattes se tendirent peu à peu
223 on. Puis ses pattes se tendirent peu à peu, comme un corps qu’on gonflerait à la pompe, tandis que dans cet agrandissement
224 ent les articulations grinçaient, avec le bruit d’ un câble de navire qu’on serre sur un treuil. Elle arriva avec emphase à
225 vec le bruit d’un câble de navire qu’on serre sur un treuil. Elle arriva avec emphase à la cime de son spasme, comme l’hom
226 erlant décolle de la réalité, c’est tout de suite une orgie d’évocations antiques, de rapprochements superstitieux, de gran
227 , de grands symboles païens, et l’on se perd dans un syncrétisme effarant, où Mithra, Jésus, les taureaux et Alban confond
228 es taureaux et Alban confondent leurs génies dans une sorte de cauchemar de soleil et de sang. On peut penser ce qu’on veut
229 eut de ce paganisme exalté, tout ivre de la fumée des sacrifices sanglants. Pour ma part, je le trouve assez peu humain et
230 je le trouve assez peu humain et comme obsédé par une idée de violence tonique certes, mais décidément un peu pauvre pour f
231 idée de violence tonique certes, mais décidément un peu pauvre pour fonder une religion. Mais ce n’est peut-être qu’un rê
232 certes, mais décidément un peu pauvre pour fonder une religion. Mais ce n’est peut-être qu’un rêve de poète. Il y a un autr
233 r fonder une religion. Mais ce n’est peut-être qu’ un rêve de poète. Il y a un autre Montherlant, plutôt stoïcien, celui-là
234 is ce n’est peut-être qu’un rêve de poète. Il y a un autre Montherlant, plutôt stoïcien, celui-là. Et c’est un moraliste d
235 Montherlant, plutôt stoïcien, celui-là. Et c’est un moraliste de grande race, qui peut nous mener à des hauteurs où devie
236 n moraliste de grande race, qui peut nous mener à des hauteurs où devient naturel ce cri de sagesse orgueilleuse : « Qu’avo
237 e sagesse orgueilleuse : « Qu’avons-nous besoin d’ un autre amour que celui que nous donnons ? » ⁂ Il est impossible de ne
238 est impossible de ne voir dans les Bestiaires qu’ une évocation de l’Espagne et du génie taurin. Ce qui perce à chaque page
239 ue page, ce qui peu à peu obsède dans l’inflexion des phrases, ce qui s’élève en fin de compte de tous ces tableaux de viol
240 ux de violence et de passion, c’est la présence d’ un tempérament. À l’inverse de tant d’autres qui s’analysent sans fin, a
241 nt sans fin, avant que d’être, Montherlant impose un tempérament lyrique d’une puissance contagieuse. Il y a là de quoi fa
242 être, Montherlant impose un tempérament lyrique d’ une puissance contagieuse. Il y a là de quoi faire oublier des défauts qu
243 ance contagieuse. Il y a là de quoi faire oublier des défauts qui tueraient tout autre que lui. Certes, il ne soulève direc
244 que lui. Certes, il ne soulève directement aucun des grands problèmes de l’heure. La violence même qui sourd dans son être
245 rd dans son être intime l’en empêche, le préserve des états d’incertitude douloureux, où ces problèmes viennent se poser à
246 le chant fini, il n’y pense plus. On comprend qu’ une telle attitude agace des gens qui se soucient avant tout de trouver d
247 nse plus. On comprend qu’une telle attitude agace des gens qui se soucient avant tout de trouver des réponses de l’intellig
248 ce des gens qui se soucient avant tout de trouver des réponses de l’intelligence ou de la foi aux inquiétudes profondes de
249 ». Mais cette personnalité dont il manifeste avec une magnifique insolence les forces créatrices, ne vaut-elle pas d’être é
250 n témoignage pour notre exaltation ? Comme la vue des athlètes en action, un tel livre communique une puissance physique, u
251 exaltation ? Comme la vue des athlètes en action, un tel livre communique une puissance physique, un mouvement vers la vie
252 e des athlètes en action, un tel livre communique une puissance physique, un mouvement vers la vie ardente qui peut entraîn
253 , un tel livre communique une puissance physique, un mouvement vers la vie ardente qui peut entraîner l’âme dans un élan d
254 vers la vie ardente qui peut entraîner l’âme dans un élan de grandeur. N’est-ce point une solution aussi ? Plutôt que d’ou
255 er l’âme dans un élan de grandeur. N’est-ce point une solution aussi ? Plutôt que d’oublier de vivre à force d’y vouloir tr
256 ue d’oublier de vivre à force d’y vouloir trouver un sens, ne vaudrait-il pas autant s’abandonner parfois à ces forces obs
257 ligence de l’instinct universel et nous élèvent à une vie plus âpre et violemment contractée, par la grâce de l’éternel Dés
258 n. Bergson suppose aussi entre le sphex qui pique une chenille précisément aux trois-centres nerveux, et sa victime « une s
259 sément aux trois-centres nerveux, et sa victime «  une sympathie (au sens étymologique du mot) qui la renseigne du dedans, p
8 1926, Articles divers (1924–1930). Soir de Florence (13 novembre 1926)
260 Soir de Florence (13 novembre 1926)i Des cris mouraient vers les berges du fleuve jaune, entre les deux façade
261 derrière, elle devient plus secrète. Vers l’est, des collines fluides et roses. De l’autre côté, c’est le vide, où s’en vo
262 trop vaste et nu, les voitures revenaient au pas des Cascine. Vers sept heures, il n’y en eut presque plus. Nous étions se
263 euls sur le pavé qui exhalait sa chaleur, au long des quais sans bancs pour notre lassitude. Florence s’éloignait derrière
264 romenade désertée. Sur les eaux, comme immobiles, des nuages rouges et le vert dur des berges : un malaise montait dans l’a
265 comme immobiles, des nuages rouges et le vert dur des berges : un malaise montait dans l’air plus frais, avec l’odeur du li
266 es, des nuages rouges et le vert dur des berges : un malaise montait dans l’air plus frais, avec l’odeur du limon. Nous ma
267 nt du fleuve, parmi les dissonances mélancoliques des lumières et des odeurs, espérant entrer là-bas dans je ne sais quelle
268 rmi les dissonances mélancoliques des lumières et des odeurs, espérant entrer là-bas dans je ne sais quelle harmonie plus r
269 s où nous étions baignés nous promettait pourtant une connaissance plus intime de certaine tristesse. Seule une maison blan
270 aissance plus intime de certaine tristesse. Seule une maison blanche est arrêtée tout près de l’eau. Mais ce n’est pas d’el
271 hanson jamais entendue qui nous accompagne depuis un moment sur le chemin de l’autre rive. Il y a un homme debout à l’avan
272 s un moment sur le chemin de l’autre rive. Il y a un homme debout à l’avant d’un char tiré par des bœufs blancs. Comme une
273 l’autre rive. Il y a un homme debout à l’avant d’ un char tiré par des bœufs blancs. Comme une apparition. (Tu parlais de
274 y a un homme debout à l’avant d’un char tiré par des bœufs blancs. Comme une apparition. (Tu parlais de chromos, de romant
275 ’avant d’un char tiré par des bœufs blancs. Comme une apparition. (Tu parlais de chromos, de romantisme… nous voici dans un
276 arlais de chromos, de romantisme… nous voici dans une réalité bien plus étrange.) Une atmosphère de triste volupté emplit n
277 … nous voici dans une réalité bien plus étrange.) Une atmosphère de triste volupté emplit notre monde à ce chant. L’odeur d
278 bœufs blancs, les roues peintes du char, l’Italie des poètes… Mais ce pays tout entier pâmé dans une beauté que saluent tan
279 ie des poètes… Mais ce pays tout entier pâmé dans une beauté que saluent tant de souvenirs n’a d’autre nom que celui de l’i
280 Vivre ainsi simplement. Sans pensée, perdus dans un soir de n’importe où, un soir de la Nature… L’homme chante une plaint
281 Sans pensée, perdus dans un soir de n’importe où, un soir de la Nature… L’homme chante une plainte inouïe de pureté. Deux
282 ’importe où, un soir de la Nature… L’homme chante une plainte inouïe de pureté. Deux phrases rapides ondulent dans l’air lo
283 sir en nous de comprendre ce lamento. Le ciel est un silence qui s’impose à nos pensées. Ici la vie n’a presque plus de se
284 musiques sourdes. Penser serait sacrilège, comme une barre droite au travers d’un tableau. Nos yeux ont regardé longtemps
285 it sacrilège, comme une barre droite au travers d’ un tableau. Nos yeux ont regardé longtemps — où va l’âme durant ces minu
286 ide, parfums à peine sensibles, bruissement vague des roseaux aux feuilles sèches… Puis la brume est venue comme une envie
287 ux feuilles sèches… Puis la brume est venue comme une envie de sommeil. Une lampe dans la maison blanche nous a révélé proc
288 is la brume est venue comme une envie de sommeil. Une lampe dans la maison blanche nous a révélé proche la nuit. Nous nous
289 ières sur les champs sombres du ciel de l’est, et une façade parfaite répond encore au couchant. San Miniato sur sa colline
290 ine. Derrière nous, les arbres se brouillent dans une buée sans couleurs, nous quittons un mystère à jamais impénétrable po
291 illent dans une buée sans couleurs, nous quittons un mystère à jamais impénétrable pour l’homme, nous fuyons ces bords où
292 pour l’homme, nous fuyons ces bords où conspirent des ombres informes et des harmonies troubles de parfums et de courbes co
293 ns ces bords où conspirent des ombres informes et des harmonies troubles de parfums et de courbes compliquées. Nous secouon
294 parfums et de courbes compliquées. Nous secouons un sortilège pénétrant comme cette brume, une vie étrangère, une paix qu
295 ecouons un sortilège pénétrant comme cette brume, une vie étrangère, une paix qui n’est pas humaine, et qui nous laisse gou
296 e pénétrant comme cette brume, une vie étrangère, une paix qui n’est pas humaine, et qui nous laisse gourds et faibles, car
297 entir l’esprit se défaire et couler sans fin vers un sommeil à l’odeur fade de fleuve, un sommeil de plante vaguement heur
298 ans fin vers un sommeil à l’odeur fade de fleuve, un sommeil de plante vaguement heureuse d’être pliée au vent qui ne parl
299 à nos sens, fatigués de l’esprit qui les exerce, des voluptés plus faciles — pour infuser dans nos corps charmés d’un repo
300 s faciles — pour infuser dans nos corps charmés d’ un repos sans rêves une langueur dont on ne voudrait plus guérir… Mais n
301 user dans nos corps charmés d’un repos sans rêves une langueur dont on ne voudrait plus guérir… Mais nous voyons la ville d
302 debout dans ses lumières. Architectures ! langage des dieux, ô joies pour notre joie mesurées, courbes qu’épousent nos ferv
303 açade élevée lumineuse sur le ciel fut le signe d’ un équilibre retrouvé. Un grand pont de fer, près de nous, érigeait l’im
304 sur le ciel fut le signe d’un équilibre retrouvé. Un grand pont de fer, près de nous, érigeait l’image de la lutte et des
305 er, près de nous, érigeait l’image de la lutte et des forces humaines, et rendait sous des coups un son qui nous évoqua les
306 la lutte et des forces humaines, et rendait sous des coups un son qui nous évoqua les rumeurs de villes d’usines. Il y ava
307 et des forces humaines, et rendait sous des coups un son qui nous évoqua les rumeurs de villes d’usines. Il y avait la vie
308 les rumeurs de villes d’usines. Il y avait la vie des hommes pour demain, et il était beau d’y songer un peu avant de nous
309 s hommes pour demain, et il était beau d’y songer un peu avant de nous abandonner à l’oubli luxueux des rues. Le long de l
310 un peu avant de nous abandonner à l’oubli luxueux des rues. Le long de l’Arno, les façades sont jaunes et roses près de l’e
311 formes devinées dans l’espace nous environnent d’ une obscure confiance. Livrons-nous aux jeux des hommes-qui-font-des-gest
312 nt d’une obscure confiance. Livrons-nous aux jeux des hommes-qui-font-des-gestes. Les autos répètent sans fin les notes mêl
313 s. Les autos répètent sans fin les notes mêlées d’ une symphonie qui va peut-être composer tous les bruits de la ville en un
314 peut-être composer tous les bruits de la ville en un chant immense. Il passe une possibilité de bonheur par personne et le
315 bruits de la ville en un chant immense. Il passe une possibilité de bonheur par personne et les devantures ne cherchent qu
316 t qu’à vous plaire. Chaque ruelle croisée propose un mystère qu’on oublie pour celui des regards étrangers. Et voici la pl
317 roisée propose un mystère qu’on oublie pour celui des regards étrangers. Et voici la place régulière, les galeries, les caf
318 qui pleure délicieusement jusque dans les gestes des passantes. Sous cette agitation aimable et monotone nous allons voir
319 e et monotone nous allons voir courir l’arabesque des sentiments et le mouvement perpétuel de l’amour. Plaisir de se sentir
320 tuel de l’amour. Plaisir de se sentir engagé dans un système d’ondes de forces qui tisse la nuit vibrante, intérêts, polit
321 tiques, regards, musiques — cette vie rapide dans un décor qui est le rêve éternisé des plus voluptueuses intelligences —
322 vie rapide dans un décor qui est le rêve éternisé des plus voluptueuses intelligences — tous les tableaux dans le noir des
323 es intelligences — tous les tableaux dans le noir des musées ! — et si tu veux soudain le son grave de l’infini, pour être
9 1927, Articles divers (1924–1930). Dés ou la clef des champs (1927)
324 Dés ou la clef des champs (1927)l « On sent l’absurdité d’un semblable système. » M
325 ef des champs (1927)l « On sent l’absurdité d’ un semblable système. » Musset. Une rose et un journal oubliés sur le
326 t l’absurdité d’un semblable système. » Musset. Une rose et un journal oubliés sur le marbre vulgaire d’une table de café
327 é d’un semblable système. » Musset. Une rose et un journal oubliés sur le marbre vulgaire d’une table de café. Je venais
328 se et un journal oubliés sur le marbre vulgaire d’ une table de café. Je venais de m’asseoir et de commander une consommatio
329 e de café. Je venais de m’asseoir et de commander une consommation. Comme d’habitude, un peu après six heures. J’étais seul
330 de commander une consommation. Comme d’habitude, un peu après six heures. J’étais seul. Le café est un lieu anonyme bien
331 n peu après six heures. J’étais seul. Le café est un lieu anonyme bien plus propice au rêve que ma chambre où m’attendent
332 u bureau, les gages insupportablement familiers d’ une vie honnête de type courant. Pour dix sous et le prétexte d’un apéro,
333 e de type courant. Pour dix sous et le prétexte d’ un apéro, on entre ici dans le jardin des songeries les plus étranges qu
334 prétexte d’un apéro, on entre ici dans le jardin des songeries les plus étranges qu’appelle la musique. Je me gardai donc
335 nc d’ouvrir le journal. Les Petites nouvelles ont un pouvoir tyrannique sur mon esprit. Non que cela m’intéresse au fond :
336 s divers. Mais je suis pris dans l’absurde réseau des lignes, et cette mécanique me restitue chaque fois un peu plus de las
337 ignes, et cette mécanique me restitue chaque fois un peu plus de lassitude, un peu plus d’ennui. J’essayai donc de rêver.
338 me restitue chaque fois un peu plus de lassitude, un peu plus d’ennui. J’essayai donc de rêver. Mais cette rose oubliée me
339 rêver. Mais cette rose oubliée me gênait : perdre une rose pour le plaisir ! (Et je ne pensais même pas, alors : une si bel
340 le plaisir ! (Et je ne pensais même pas, alors : une si belle rose.) Le tambour livra un homme élégant et tragique, qui se
341 pas, alors : une si belle rose.) Le tambour livra un homme élégant et tragique, qui se tint un moment immobile, cherchant
342 r livra un homme élégant et tragique, qui se tint un moment immobile, cherchant une table, puis s’avança lentement vers la
343 agique, qui se tint un moment immobile, cherchant une table, puis s’avança lentement vers la mienne et s’assit sans paraîtr
344 vers la mienne et s’assit sans paraître me voir. Une grande figure aux joues mates, aux yeux clairs. Il déplia le journal
345 se mit à lire les pages d’annonces. On m’apporta une liqueur. Et quand j’eus fini de boire, mes pensées plus rapides s’en
346 de boire, mes pensées plus rapides s’en allèrent un peu vers l’avenir et j’osai quelques rêves. C’était, je m’en souviens
347 j’osai quelques rêves. C’était, je m’en souviens, une petite automobile qui roulait dans la banlieue printanière ; des soup
348 mobile qui roulait dans la banlieue printanière ; des soupers d’amis dans notre modeste salle à manger ; des jaquettes de c
349 oupers d’amis dans notre modeste salle à manger ; des jaquettes de couleur pour ma femme… Mais l’homme avait posé son journ
350 jeta sur la table. Les yeux brillants, il compta. Une indécision parut sur ses traits. Puis il reprit les dés brusquement,
351 il reprit les dés brusquement, et me fixant avec un léger sourire : — Jouez ! ordonna-t-il. La surprise vainquit ma timid
352 tai sans hésiter. Il compta de nouveau, puis avec une légère exaltation : — Vous avez gagné, c’est admirable, ah ! mon Dieu
353 Il en parcourait rapidement les pages, la proie d’ une agitation visible. Bientôt il m’offrit de jouer un moment. Nous fixâm
354 e agitation visible. Bientôt il m’offrit de jouer un moment. Nous fixâmes comme enjeu nos consommations. Je gagnai. Il dem
355 me enjeu nos consommations. Je gagnai. Il demanda des portos. Je les gagnai et je les bus. D’autres encore. Ma tête commenç
356 vaguement. Les couleurs du bar me remplissaient d’ une joie inconnue. Et je me refusais sans cesse aux questions qu’en moi-m
357 t ma raison effarée. L’étranger s’animait aussi : une fièvre faisait s’épanouir sur son visage je ne sais quel plaisir crue
358 son visage je ne sais quel plaisir cruel. C’était un jeu très simple où l’esprit libre de calculs se tend ardemment vers l
359 de calculs se tend ardemment vers la conclusion d’ un hasard qui opère au commandement de la main. Ce soir-là, une confianc
360 qui opère au commandement de la main. Ce soir-là, une confiance me possédait, telle que je savais très clairement que je ga
361 urir. Et dans mon ivresse, ses paroles peignaient des tableaux mouvants où je me voyais figurer comme une sorte de « person
362 s tableaux mouvants où je me voyais figurer comme une sorte de « personnage aux dés ». Ce furent d’abord des images décousu
363 orte de « personnage aux dés ». Ce furent d’abord des images décousues de sa vie, brillantes ou misérables, passionnées. Ma
364 ut seul, avec tes airs pessimistes. De nouveau, d’ un coup de dés, je bouscule tous tes calculs, ha ! tu te disais : le voi
365 ilà riche, le voilà classé, le voilà prêt à faire des bassesses pour durer, et tu te réjouissais, parce que tu n’as pas bea
366 tu n’as pas beaucoup d’imagination, et que tu es un pauvre vaudevilliste qui use à tort et à travers de situations complè
367 à la gagner9, et leur façon inexplicable de lier des valeurs morales aux cours de bourse. « Heureux quoique pauvre » comme
368 e à la leur. Ils voudraient que leur vie garantît un 5 % régulier de plaisirs, avec assurance contre faillites morales et
369 ls ont inventé les caisses d’épargne, monuments d’ une bassesse morale inconcevable, temples de leurs paresses et de leurs l
370 és, glorification de leur impuissance à concevoir un autre bonheur que celui qu’ils ont reçu de papa-maman et l’Habitude,
371 st toujours à qui perd gagne ! Sauter follement d’ une destinée dans l’autre, de douleurs en ivresses avec la même joie, mon
372 ils me jugent et leurs cris indignés qui couvrent une angoisse. Ça les dérange terriblement, sauf un ou deux qui s’imaginen
373 t une angoisse. Ça les dérange terriblement, sauf un ou deux qui s’imaginent gagner à mes dépens, témoin ce brave homme qu
374 aux yeux las pleins de rêves, la misère qui fait des soirs si doux aux amants quand ils n’ont plus que des baisers au goût
375 soirs si doux aux amants quand ils n’ont plus que des baisers au goût d’adieu, et l’avenir où se mêlent incertaines, une te
376 ût d’adieu, et l’avenir où se mêlent incertaines, une tendresse éperdue et la mort. » Il ferma les yeux sur des visions. Le
377 resse éperdue et la mort. » Il ferma les yeux sur des visions. Les lustres doraient un brouillard de fumée, et la musique n
378 ma les yeux sur des visions. Les lustres doraient un brouillard de fumée, et la musique noyait mes pensées. Je vis qu’une
379 umée, et la musique noyait mes pensées. Je vis qu’ une femme était assise à notre table, en robe rouge, et très fardée. Elle
380 Elle jouait avec la rose. Les dés roulèrent, pour un dernier enjeu. Alors la femme lança sur la table cette rose qui s’eff
381 tte rose qui s’effeuilla sur les dés, et partit d’ un long rire. Elle me regardait et l’étranger aussi se mit à me regarder
382 r, traverser le café dans la musique et la rumeur des clients. Dehors les réclames lumineuses dialoguaient follement au-des
383 lames lumineuses dialoguaient follement au-dessus des rues parcourues de longs cris en voyage. Je me sentis perdre pied dél
384 mais rien… (sinon qu’au lendemain je n’avais plus un sou). Je n’ai jamais revu l’étranger. Quelquefois je songe à ses paro
385 ie… Ah ! plus amère, plus amère encore, saurai-je un jour te désirer, te haïr… 9. Calembour sur une idée juste. (Note de
386 e un jour te désirer, te haïr… 9. Calembour sur une idée juste. (Note de l’éd.) l. Rougemont Denis de, « Dés ou la clef
387 l’éd.) l. Rougemont Denis de, « Dés ou la clef des champs », Neuchâtel 1928 : beaux-arts, arts appliqués, architecture,
10 1927, Articles divers (1924–1930). Conférence d’Edmond Esmonin sur « La révocation de l’édit de Nantes » (16 février 1927)
388 Le sujet que M. Esmonin, professeur à la Faculté des lettres de Grenoble, traita mardi soir à la Grande salle des Conféren
389 de Grenoble, traita mardi soir à la Grande salle des Conférences, devant un très bel auditoire, est un des plus passionnan
390 di soir à la Grande salle des Conférences, devant un très bel auditoire, est un des plus passionnants et des plus controve
391 es Conférences, devant un très bel auditoire, est un des plus passionnants et des plus controversés de l’histoire. L’un de
392 Conférences, devant un très bel auditoire, est un des plus passionnants et des plus controversés de l’histoire. L’un de ceu
393 ès bel auditoire, est un des plus passionnants et des plus controversés de l’histoire. L’un de ceux, aussi, où il est le pl
394 causes et les effets vérifiables, et non d’après un système préconçu. (Cette attitude est plus rare qu’on ne le croit, de
395 n même temps de quitter le pays, Louis XIV commit un des actes les plus vexatoires que l’histoire ait enregistrés. Après a
396 ême temps de quitter le pays, Louis XIV commit un des actes les plus vexatoires que l’histoire ait enregistrés. Après avoir
397 que l’histoire ait enregistrés. Après avoir fait un tableau de la France de l’édit, victorieuse dans la guerre de Trente
398 re ; puis ce sont les conseillers intimes du roi, un jésuite, le père Lachaise, un archevêque libertin, Harlay de Champval
399 ers intimes du roi, un jésuite, le père Lachaise, un archevêque libertin, Harlay de Champvallon, et surtout Madame de Main
400 el, persuadent Louis XIV que la révocation serait une œuvre digne du Roi-Soleil et capable de lui faire pardonner les erreu
401 e pardonner les erreurs de sa jeunesse. Le roi, «  un niais en matière religieuse » au dire de sa belle-sœur, la princesse
402 les statistiques faussées peuvent faire croire à une très forte diminution du nombre des protestants. Aussi ne s’effraye-t
403 aire croire à une très forte diminution du nombre des protestants. Aussi ne s’effraye-t-on pas trop, au début, de l’émigrat
404 ’effraye-t-on pas trop, au début, de l’émigration des fidèles qui suivent leurs pasteurs proscrits. On espère bien converti
405 . Mais bientôt l’on voit la France se dépeupler ; des industries sont presque anéanties ; les conséquences funestes de l’ac
406 sion d’Augsbourg) et surtout morales : car malgré des félicitations arrachées par Louis XIV au pape, les catholiques sont l
407 à louer la révocation. L’un d’eux s’indigne, dans une lettre à Louvois, de ce que « les dragons ont été les meilleurs prédi
408 aux dragonnades. M. Esmonin s’abstient d’en faire un tableau qu’il suppose présent à l’esprit de ses auditeurs. Il termine
409 orel, selon qui la date du 16 octobre 1685 marque une déviation dans l’histoire de la France. Déviation telle, en effet, qu
410 IV l’exposé si dénué de parti pris, si libre et d’ une si élégante science du sympathique professeur de Grenoble. j. Roug
11 1927, Articles divers (1924–1930). Jeunes artistes neuchâtelois (avril 1927)
411 elle fut au siècle passé ? Allons-nous assister à un regroupement de ses forces créatrices ? La question est peut-être pré
412 elle se pose me paraît indiquer que l’un au moins des deux éléments nécessaires à ce regroupement existe : il y a de jeunes
413 ingulier. Nos artistes, en effet, n’ignorent rien des courants les plus modernes, et sont bien situés pour n’en prendre que
414 mesure. Ainsi risquent de s’établir autour d’eux des mœurs un peu bourgeoises dont je ne vais pas faire le procès, mais qu
415 insi risquent de s’établir autour d’eux des mœurs un peu bourgeoises dont je ne vais pas faire le procès, mais qui expliqu
416 procès, mais qui expliquent, me semble-t-il, pour une part, la dispersion des efforts artistiques. Tout ce monde d’amateurs
417 ent, me semble-t-il, pour une part, la dispersion des efforts artistiques. Tout ce monde d’amateurs de découvertes, de snob
418 rdinales, et qui forme ailleurs le premier public des jeunes artistes, n’existant pas ici, le peintre se trouve placé d’emb
419 s s’en vont à Paris, ou bien ils se retirent dans une solitude plus effective, quitte à nous revenir munis du passeport ind
420 à nous revenir munis du passeport indispensable d’ une consécration étrangère. Un jour en effet l’on apprend que tel tableau
421 eport indispensable d’une consécration étrangère. Un jour en effet l’on apprend que tel tableau de jeune est « coté » chez
422 pprend que tel tableau de jeune est « coté » chez un gros marchand. Aussitôt, les feuilles locales retentissent de touchan
423 es retentissent de touchants échos : « C’est avec un légitime orgueil que notre petit pays accueillera cette consécration
424 llera cette consécration bien méritée du talent d’ un de ses enfants… » Car le fils prodigue, s’il rentre au foyer dans une
425 » Car le fils prodigue, s’il rentre au foyer dans une Rolls-Royce et fortune faite, tout le monde s’accorde à dire qu’on n’
426 orde à dire qu’on n’attendait pas moins du fils d’ un tel père. « Voilà le train du monde… » Je ne pense pas qu’il en faill
427 u monde… » Je ne pense pas qu’il en faille gémir. Une certaine résistance est nécessaire pour que la force se développe. N’
428 ns, auxquels pourtant nos circonstances confèrent une actualité toujours vive. D’ailleurs, sachons le reconnaître, il y a m
429 à l’histoire comme la peinture à la photographie. Une œuvre d’art est un merveilleux foyer de contagion contre lequel je ne
430 a peinture à la photographie. Une œuvre d’art est un merveilleux foyer de contagion contre lequel je ne saurais me prémuni
431 de ces appareils à jugements garantis qui posent un critique d’art diplômé. Premier péché contre l’histoire : au seuil d’
432 ômé. Premier péché contre l’histoire : au seuil d’ un article consacré aux jeunes artistes neuchâtelois, je vous présente C
433 stes neuchâtelois, je vous présente Conrad Meili, un Zurichois qui nous arriva de Genève il y a de cela cinq ou six ans. I
434 il y a de cela cinq ou six ans. Il peignait alors des natures mortes, de petits paysages, il dessinait des nus aux crayons
435 natures mortes, de petits paysages, il dessinait des nus aux crayons de fard. C’était un peu plus Blanchet que Barraud, pl
436 il dessinait des nus aux crayons de fard. C’était un peu plus Blanchet que Barraud, plus Picasso que Matisse ; mais il y a
437 sso que Matisse ; mais il y avait encore du flou, des courbes complaisantes. Meili est devenu plus net, plus cruel aussi. À
438 illes, aux cactus qui ornaient les fenêtres, dans une chambre peinte en bleu vif et ornée de surprenants batiks, il s’est l
439 batiks, il s’est livré pendant quelques années à des recherches un peu théoriques et abstraites. De cette époque datent de
440 st livré pendant quelques années à des recherches un peu théoriques et abstraites. De cette époque datent des toiles comme
441 théoriques et abstraites. De cette époque datent des toiles comme le Souvenir de l’Évêché. Décors et personnages semblent
442 nir de l’Évêché. Décors et personnages semblent d’ une matière idéale. Tout est lisse et parfait. Trop parfait seulement. Il
443 ces espaces définis par quelques plans ne tue pas un certain mystère. Cette cour sans issue, cette tulipe bizarre, cette t
444 ombien l’épuration rigoriste de sa technique sert une vision aigüe de la vie. La série de gravures sur bois colorées qu’il
445 ures sur bois colorées qu’il intitule la cité est un petit chef-d’œuvre de réalisme stylisé. C’est d’un art très volontair
446 n petit chef-d’œuvre de réalisme stylisé. C’est d’ un art très volontaire, qui connaît ses ressources et sait en user avec
447 la conférer à tout ce qu’il touche, qu’il décore une bannière, fabrique une poupée, compose une affiche ou une mosaïque, c
448 qu’il touche, qu’il décore une bannière, fabrique une poupée, compose une affiche ou une mosaïque, c’est elle qui permettra
449 décore une bannière, fabrique une poupée, compose une affiche ou une mosaïque, c’est elle qui permettra de reconnaître une
450 ière, fabrique une poupée, compose une affiche ou une mosaïque, c’est elle qui permettra de reconnaître une de ses œuvres.
451 mosaïque, c’est elle qui permettra de reconnaître une de ses œuvres. Et aussi ce brin de comique un peu bizarre qu’il gliss
452 re une de ses œuvres. Et aussi ce brin de comique un peu bizarre qu’il glisse si souvent là où on l’attend le moins. Conra
453 l’attend le moins. Conrad Meili apporte chez nous une inspiration neuve, d’origine germanique, mais qui a choisi de s’astre
454 use rigueur latine, et qui tout en s’épurant dans des formes claires a su les renouveler. Il nous apporte aussi cet élément
455 i manque trop souvent au Neuchâtelois. S’il casse des vitres, ce n’est pas seulement pour le plaisir, mais plutôt par amour
456 autres sont soulagés. Et ne fût-ce qu’en prenant une initiative comme celle de Neuchâtel 1927 7 il aura bien mérité sa pla
457 elois. Actuellement, Meili achève la décoration d’ une salle d’hôtel en collaboration avec Paul Donzé. Qui eût cru que ce pa
458 de ceux pour qui la peinture consiste à habiller une idée. Voyez son portrait de Meili : il ne prend pas le sujet par l’in
459 et par l’intérieur, mais il taille ce visage dans une pâte riche et un peu lourde, son pinceau la palpe, la presse, la rédu
460 , mais il taille ce visage dans une pâte riche et un peu lourde, son pinceau la palpe, la presse, la réduit à la forme qu’
461 la sensualité dans l’écrasement de ses couleurs, une sensualité qui sait se faire délicate quand du haut de San Miniato ou
462 San Miniato ou de Fiesole, il peint Florence avec des roses et des jaunes jamais mièvres, sous l’œil méfiant des fascistes
463 u de Fiesole, il peint Florence avec des roses et des jaunes jamais mièvres, sous l’œil méfiant des fascistes qui le prenne
464 et des jaunes jamais mièvres, sous l’œil méfiant des fascistes qui le prennent pour un agitateur russe, à cause de sa chev
465 l’œil méfiant des fascistes qui le prennent pour un agitateur russe, à cause de sa chevelure, sans doute ! On ne pourrait
466 on tour par la grâce décorative, il n’en reste qu’ un , du moins à Neuchâtel même : Eugène Bouvier. Ce garçon aux allures di
467 garçon aux allures discrètes promène sur le monde des yeux de Japonais d’une ironie mélancolique et qui voient plus loin qu
468 rètes promène sur le monde des yeux de Japonais d’ une ironie mélancolique et qui voient plus loin qu’on ne croit, mais il a
469 chose de nouveau dans la peinture neuchâteloise : un lyrisme un peu amer, d’une tristesse qui ne s’affiche pas, mais s’ins
470 uveau dans la peinture neuchâteloise : un lyrisme un peu amer, d’une tristesse qui ne s’affiche pas, mais s’insinue dans t
471 einture neuchâteloise : un lyrisme un peu amer, d’ une tristesse qui ne s’affiche pas, mais s’insinue dans toute sa palette,
472 ne sais quoi qu’on cherche en vain chez beaucoup des meilleurs de nos artistes. Mais n’allez pas croire à des grâces facil
473 lleurs de nos artistes. Mais n’allez pas croire à des grâces faciles ou sentimentales. Il y a une sorte d’aristocratique di
474 ire à des grâces faciles ou sentimentales. Il y a une sorte d’aristocratique dissimulation dans l’œuvre de Bouvier. Sa tech
475 s. Ce qui d’abord vous prend et vous retient dans un tableau de Bouvier, c’est toujours une sorte de dissonance, un défaut
476 etient dans un tableau de Bouvier, c’est toujours une sorte de dissonance, un défaut par où l’on va peut-être se glisser da
477 Bouvier, c’est toujours une sorte de dissonance, un défaut par où l’on va peut-être se glisser dans l’atmosphère de l’œuv
478 . Ce lyrique, ce mystique exige pour être compris une complicité de sentiments ou d’état d’âme. Je ne verrais guère que Lou
479 és, dont on le puisse rapprocher, parce qu’il est un des rares peintres de ce pays pour qui la couleur existe avant tout.
480 dont on le puisse rapprocher, parce qu’il est un des rares peintres de ce pays pour qui la couleur existe avant tout. Mais
481 la nostalgie de Bouvier l’entraîne à mille lieues des jardins de sourires qui s’épanouissent sur les toiles de Meuron. Il s
482 et sait rendre mieux que personne la liquidité d’ un lac, certaines atmosphères délavées et sourdes. « Temps couvert, calm
483 tant l’impression, à voir ses dernières toiles, d’ une plus grande certitude intérieure. Les visages sont plus calmes, les c
484 passe en cinq ans de Baudelaire à Rubens. Il fut un temps où l’on put craindre que Charles Humbert ne devînt le chef d’un
485 craindre que Charles Humbert ne devînt le chef d’ une école du gris-noir neurasthénique. Il peignait des natures mortes qui
486 ne école du gris-noir neurasthénique. Il peignait des natures mortes qui décidément l’étaient, à faire froid dans le dos ;
487 nt l’étaient, à faire froid dans le dos ; ou bien des scènes d’une bizarre fantaisie, un mélange de Rops et d’Ensor ; pensa
488 à faire froid dans le dos ; ou bien des scènes d’ une bizarre fantaisie, un mélange de Rops et d’Ensor ; pensait-on… Déjà i
489 dos ; ou bien des scènes d’une bizarre fantaisie, un mélange de Rops et d’Ensor ; pensait-on… Déjà il avait des disciples
490 ge de Rops et d’Ensor ; pensait-on… Déjà il avait des disciples (Madeleine Woog, G. H. Dessoulavy)… Mais déjà paraissaient
491 e revue qu’il avait fondée avec J. P. Zimmermann) des dessins d’un dynamisme impétueux révélant un tempérament très rassura
492 avait fondée avec J. P. Zimmermann) des dessins d’ un dynamisme impétueux révélant un tempérament très rassurant. C’était,
493 nn) des dessins d’un dynamisme impétueux révélant un tempérament très rassurant. C’était, je crois, le vrai Humbert qui co
494 umbert qui commençait à s’affirmer. Puis il y eut une période intermédiaire, un peu pénible. Dans des bouquets d’une opulen
495 ffirmer. Puis il y eut une période intermédiaire, un peu pénible. Dans des bouquets d’une opulence assez désordonnée, des
496 t une période intermédiaire, un peu pénible. Dans des bouquets d’une opulence assez désordonnée, des rouges trop violents é
497 ntermédiaire, un peu pénible. Dans des bouquets d’ une opulence assez désordonnée, des rouges trop violents éclataient avec
498 ns des bouquets d’une opulence assez désordonnée, des rouges trop violents éclataient avec un certain mauvais goût au milie
499 rdonnée, des rouges trop violents éclataient avec un certain mauvais goût au milieu d’harmonies funèbres, comme un qui n’a
500 auvais goût au milieu d’harmonies funèbres, comme un qui n’attendrait pas que l’enterrement s’éloigne pour entonner une ch
501 ait pas que l’enterrement s’éloigne pour entonner une chanson à boire. Et sa technique auparavant volontairement maigre se
502 ême. Il atteint son équilibre et sa maîtrise avec une toile comme le Potier. Si la couleur n’est pas encore aussi plantureu
503 s encore aussi plantureuse que les formes, il y a une belle richesse de lueurs sur une matière traitée largement et d’une a
504 s formes, il y a une belle richesse de lueurs sur une matière traitée largement et d’une abondance très sûrement ordonnée.
505 de lueurs sur une matière traitée largement et d’ une abondance très sûrement ordonnée. Je crois qu’on doit beaucoup attend
506 ce tempérament qui fait jaillir en lui sans cesse des possibilités imprévues. Il y a un côté « homme de la Renaissance » ch
507 lui sans cesse des possibilités imprévues. Il y a un côté « homme de la Renaissance » chez un Charles Humbert livré à sa f
508 . Il y a un côté « homme de la Renaissance » chez un Charles Humbert livré à sa fougue originale. Il y en a plus encore ch
509 à sa fougue originale. Il y en a plus encore chez un Aurèle Barraud. Il suffit de le voir peint par lui-même pour s’en ass
510 ux clairs et assurés, le cou robuste, les mains d’ un si beau dessin, qui ont du poids et nulle lourdeur, tout cela communi
511 du poids et nulle lourdeur, tout cela communique une impression de puissance domptée et qui semble se faire une volupté de
512 ssion de puissance domptée et qui semble se faire une volupté de la discipline qu’elle s’impose. Et voilà qui fait encore p
513 plus « Renaissance » : le costume est drapé avec un soin minutieux, mais une grande mèche insolente retombe devant le vis
514 le costume est drapé avec un soin minutieux, mais une grande mèche insolente retombe devant le visage. Aurèle tient un livr
515 insolente retombe devant le visage. Aurèle tient un livre ouvert, et ce n’est pas je pense qu’il le lise, mais il aime ca
516 les Barraud, qui lui, passe ses journées à vendre des couleurs, à encadrer des glaces. Et plaise aux dieux que les visages
517 se ses journées à vendre des couleurs, à encadrer des glaces. Et plaise aux dieux que les visages qui s’y reflèteront soien
518 pe, en compagnie de sa femme (elle peint aussi, d’ un œil regardant le sujet, de l’autre ce qu’en fait son mari). Et puis v
519 i). Et puis voici François Barraud, le plus jeune des frères. Il vient apporter des dessins qui ressemblent beaucoup aux pe
520 raud, le plus jeune des frères. Il vient apporter des dessins qui ressemblent beaucoup aux petites huiles de Charles, moins
521 ce l’expression. Décidément ces trois frères sont une école. Délaissant un moment ce trésor du meilleur réalisme, que nous
522 ément ces trois frères sont une école. Délaissant un moment ce trésor du meilleur réalisme, que nous saurons désormais ret
523 ue nous saurons désormais retrouver, allons errer un peu dans le royaume d’Utopie. André Evard va nous y introduire, et no
524 s quelques années d’avance sur ses contemporains. Un jour les jeunes le rattrapent. Salutations, présentations : « André E
525 s dessus, bras dessous. Et l’on apprend peu à peu des choses bien curieuses sur son compte. Il a fait de la pâtisserie, mai
526 il se nourrit de noix et d’oranges. Il administre une feuille religieuse. Il déniche à Paris des tableaux mystérieux qu’il
527 nistre une feuille religieuse. Il déniche à Paris des tableaux mystérieux qu’il relègue dans son atelier, pêle-mêle avec le
528 atelier, pêle-mêle avec les siens. Vous retournez une toile appuyée au mur, c’est un Renoir… Retournez-en une autre, ce doi
529 s. Vous retournez une toile appuyée au mur, c’est un Renoir… Retournez-en une autre, ce doit être un dessin d’horlogerie,
530 ile appuyée au mur, c’est un Renoir… Retournez-en une autre, ce doit être un dessin d’horlogerie, ou quelque plan d’une mac
531 t un Renoir… Retournez-en une autre, ce doit être un dessin d’horlogerie, ou quelque plan d’une machine à mouvement perpét
532 it être un dessin d’horlogerie, ou quelque plan d’ une machine à mouvement perpétuel. Une autre encore : cette fois-ci c’est
533 quelque plan d’une machine à mouvement perpétuel. Une autre encore : cette fois-ci c’est un Evard : des roses noires sur un
534 perpétuel. Une autre encore : cette fois-ci c’est un Evard : des roses noires sur une table, dans un espace bizarrement lu
535 Une autre encore : cette fois-ci c’est un Evard : des roses noires sur une table, dans un espace bizarrement lumineux où se
536 tte fois-ci c’est un Evard : des roses noires sur une table, dans un espace bizarrement lumineux où se coupent des plans tr
537 t un Evard : des roses noires sur une table, dans un espace bizarrement lumineux où se coupent des plans transparents, cel
538 dans un espace bizarrement lumineux où se coupent des plans transparents, cellule de quelque palais de glaces en miniature,
539 s en miniature, sorte de boîte à miracles où sous un éclairage très net, mais inusité, l’objet le plus banal se charge de
540 igué, vous reprenez ce que vous pensiez n’être qu’ une épure : c’est intitulé « nature morte ». Pourquoi pas naissance d’un
541 titulé « nature morte ». Pourquoi pas naissance d’ un songe ? C’est en effet un rêve de précision qui s’incarne dans ces mo
542 ourquoi pas naissance d’un songe ? C’est en effet un rêve de précision qui s’incarne dans ces motifs géométriques, pour le
543 lles songeries ! Ces horlogeries impossibles sont des pièges à chimères. C’est ainsi qu’on fait une découverte. Attention q
544 ont des pièges à chimères. C’est ainsi qu’on fait une découverte. Attention qu’André Evard n’aille trouver une de ces machi
545 ouverte. Attention qu’André Evard n’aille trouver une de ces machines à explorer l’au-delà. En vérité il faut être sorcier
546 ir pu donner toute sa mesure. Il a laissé surtout des dessins, d’une sûreté un peu traditionnelle, d’un style pourtant asse
547 ute sa mesure. Il a laissé surtout des dessins, d’ une sûreté un peu traditionnelle, d’un style pourtant assez large et que
548 re. Il a laissé surtout des dessins, d’une sûreté un peu traditionnelle, d’un style pourtant assez large et que n’entravai
549 es dessins, d’une sûreté un peu traditionnelle, d’ un style pourtant assez large et que n’entravait pas son scrupule réalis
550 ci dans son costume d’aviateur, retour de Vienne, un sculpteur qui saura s’imposer. Léon Perrin a compris tout le parti qu
551 errin a compris tout le parti qu’on pouvait tirer des principes cubistes dans un art dont la genèse même est cubiste en que
552 i qu’on pouvait tirer des principes cubistes dans un art dont la genèse même est cubiste en quelque sorte, supposant une d
553 nèse même est cubiste en quelque sorte, supposant une décomposition primitive en plans. C’est ainsi qu’il atteint d’emblée
554 t ainsi qu’il atteint d’emblée dans ses statues à un beau style dépouillé et hardi. Mais il y avait quelque lourdeur dans
555 é et hardi. Mais il y avait quelque lourdeur dans des morceaux comme le Joueur de rugby. C’était le poids de la pierre, plu
556 pre. Depuis, Léon Perrin semble avoir évolué vers une plus grande harmonie de lignes. Je pense surtout à ses bas-reliefs du
557 surtout à ses bas-reliefs du BIT où se manifeste un heureux équilibre entre le réalisme imposé par les sujets et un style
558 ilibre entre le réalisme imposé par les sujets et un style qui sait rester ample, d’une simplicité non dépourvue de puissa
559 r les sujets et un style qui sait rester ample, d’ une simplicité non dépourvue de puissance. Une fois de plus l’on peut adm
560 encore que Perrin décora naguère fort plaisamment une pendule de Ditisheim ; que Vincent Vincent, peintre, romancier et cri
561 nt, peintre, romancier et critique d’art, compose des coussins, des couvertures de livres, des étoffes, d’une somptueuse fa
562 omancier et critique d’art, compose des coussins, des couvertures de livres, des étoffes, d’une somptueuse fantaisie ; et q
563 compose des coussins, des couvertures de livres, des étoffes, d’une somptueuse fantaisie ; et qu’Alice Perrenoud combine d
564 ussins, des couvertures de livres, des étoffes, d’ une somptueuse fantaisie ; et qu’Alice Perrenoud combine de petits tablea
565 bine de petits tableaux en papiers découpés, avec une ingéniosité délicieusement féminine, une élégance aiguë. Notre revue
566 és, avec une ingéniosité délicieusement féminine, une élégance aiguë. Notre revue n’est certes pas complète. Mais elle a du
567 plète. Mais elle a du moins l’avantage de grouper des artistes qui, par le fait des circonstances peut-être plus que par de
568 avantage de grouper des artistes qui, par le fait des circonstances peut-être plus que par de naturelles affinités, se trou
569 e par de naturelles affinités, se trouvent former un mouvement actif déjà, et dont Neuchâtel 1927 sera la première manifes
570 guer d’autres plus organiques ? D’une part il y a des préoccupations décoratives qui pourraient aboutir peut-être à la form
571 qui pourraient aboutir peut-être à la formation d’ un groupe dont l’activité serait féconde en ce pays. D’autre part, des œ
572 activité serait féconde en ce pays. D’autre part, des œuvres aussi différentes par leur objet et le domaine où elles se réa
573 busier8, Meili, Evard, Perrin, manifestent toutes une recherche de la simplicité savante et de la perfection du métier, un
574 simplicité savante et de la perfection du métier, un goût pour la construction rigoureuse qui sont des éléments peut-être
575 un goût pour la construction rigoureuse qui sont des éléments peut-être insuffisants pour caractériser une école, mais qui
576 éléments peut-être insuffisants pour caractériser une école, mais qui révèlent tout de même une orientation générale vers u
577 tériser une école, mais qui révèlent tout de même une orientation générale vers une sorte de classicisme moderne dont les f
578 vèlent tout de même une orientation générale vers une sorte de classicisme moderne dont les frères Barraud ne seraient pas
579 ne seraient pas très éloignés par d’autres côtés. Un avenir peut-être proche dira dans quelle mesure de tels groupements c
580 quelle mesure de tels groupements correspondent à une réalité artistique. Pour aujourd’hui, notre but serait suffisamment a
581 ons fait qu’affirmer l’existence et la vitalité d’ une jeune peinture originale dans un pays qu’on s’est trop souvent plu à
582 t la vitalité d’une jeune peinture originale dans un pays qu’on s’est trop souvent plu à dire si âpre, prosaïque et d’une
583 t trop souvent plu à dire si âpre, prosaïque et d’ une maigre végétation artistique. Pays où l’on préfère la netteté utile à
584 ays où l’on préfère la netteté utile à l’harmonie des lignes ; où la lumière éclaire plus qu’elle ne caresse ; où pourtant
585  ; où pourtant les hivers les plus durs réservent des douceurs secrètes. 7. Publication dont cette revue entretenait réce
586 e neuchâtelois, de son vrai nom Ch. E. Jeanneret, un article paru dans le numéro de février de cette revue. k. Rougemont
12 1928, Articles divers (1924–1930). Un soir à Vienne avec Gérard (24 mars 1928)
587 Un soir à Vienne avec Gérard (24 mars 1928)m À Pierre Jeanneret et à
588 ’on ne trouve plus nulle part. Dans les dancings, un peuple de fêtards modérés, Juifs et ressortissants de la Petite-Enten
589 ais Le Beau Danube bleu, en commémoration polie d’ un passé imaginaire, ou peut-être pour essayer de se prendre encore au r
590 que cela vaudrait bien d’autres stupéfiants. Mais un tour de tourniquet anéantissait cette Vienne tout occupée à ressemble
591 u vent glacial, crée autour du centre de la ville une insécurité qui fait songer à la Russie et au sifflement des balles pe
592 rité qui fait songer à la Russie et au sifflement des balles perdues d’une révolution. Sept heures du soir : le moment étai
593 à la Russie et au sifflement des balles perdues d’ une révolution. Sept heures du soir : le moment était venu d’arrêter le p
594 s pour qu’on la sentît déserte ne me proposait qu’ une frileuse nostalgie. Mais qui fallait-il accuser de cette duperie, qui
595 n moi-même, me dis-je bientôt. Car je professe qu’ un désir vraiment pur parvient toujours à créer son objet, de même qu’at
596 de même qu’atteignant certain degré d’intensité, un état d’âme crée une situation qui l’exprime — bien qu’on pense généra
597 ant certain degré d’intensité, un état d’âme crée une situation qui l’exprime — bien qu’on pense généralement le contraire.
598 te et idéaliste du monde ne sont séparées que par un léger décalage dans la chronologie de nos sentiments et de nos actes.
599 n’ayant pas renoncé à certaine idée que j’avais d’ un romantisme viennois, je fus conduit, par une sorte de compromis senti
600 ais d’un romantisme viennois, je fus conduit, par une sorte de compromis sentimental, à l’Opéra où l’on donnait les Contes
601 ue je m’assis dans l’ombre du théâtre, en retard, un peu ennuyé de me trouver à côté d’une place vide : la jolie femme qu’
602 , en retard, un peu ennuyé de me trouver à côté d’ une place vide : la jolie femme qu’on attend dans ces circonstances, une
603 re — ainsi d’autres deviennent patriotes au son d’ une fanfare militaire, ainsi je m’abandonne au rêve d’un monde que suscit
604 fanfare militaire, ainsi je m’abandonne au rêve d’ un monde que suscite en moi seul peut-être cette plainte heureuse des vi
605 cite en moi seul peut-être cette plainte heureuse des violons. Le diable sort des parois, noir et blanc, la ravissante héro
606 ette plainte heureuse des violons. Le diable sort des parois, noir et blanc, la ravissante héroïne est à son piano, c’est u
607 anc, la ravissante héroïne est à son piano, c’est un duo des ténèbres et de la pureté où vibrent par instants les accords
608 ravissante héroïne est à son piano, c’est un duo des ténèbres et de la pureté où vibrent par instants les accords d’une ha
609 e la pureté où vibrent par instants les accords d’ une harmonie surnaturelle. Et tout cela chanté dans une langue que je com
610 e harmonie surnaturelle. Et tout cela chanté dans une langue que je comprends mal. Je me penche vers un voisin pour lui dem
611 ne langue que je comprends mal. Je me penche vers un voisin pour lui demander je ne sais plus quoi. Mais sans doute évadé
612 ejoindre. Me voici tout abandonné à l’évocation d’ un amour tragiquement mêlé à des forces inconnues et menaçantes. Mais la
613 onné à l’évocation d’un amour tragiquement mêlé à des forces inconnues et menaçantes. Mais la musique est si légère, la voi
614 ême en devient moins brutale. Elle rôde ici comme une tristesse amoureuse. Elle n’est plus que l’approche d’une grandeur où
615 tesse amoureuse. Elle n’est plus que l’approche d’ une grandeur où se perdraient nos amours terrestres dans d’imprévisibles
616 , mais inconnus. Voilà que la forme blanche, sous un brusque faisceau de lumière m’apparaît avec le visage même de mon amo
617 eau qui m’appelles et qui vas me quitter… — C’est une chose singulière, prononce une voix, à côté de moi, c’est une chose s
618 e quitter… — C’est une chose singulière, prononce une voix, à côté de moi, c’est une chose singulière que le pouvoir de cet
619 ngulière, prononce une voix, à côté de moi, c’est une chose singulière que le pouvoir de cette musique. Voici que vous êtes
620 ndit-il, que seul vous venez d’atteindre au monde des êtres véritables. Nous nous rencontrons. Vous me voyez parce que vous
621 mprendre. Le faisceau de lumière quitta la scène, un reflet balaya le parterre, le visage de mon voisin m’apparut, pâle da
622 Je sentis que je l’avais déjà reconnu. Il portait une cape bleu sombre, à la mode de 1830, qui, à la rigueur, pouvait passe
623 e de 1830, qui, à la rigueur, pouvait passer pour une élégance très moderne. Il n’y avait dans toute sa personne rien de po
624 al et moi, sans nous être rien dit d’autre, comme des amis qui se connaissent depuis si longtemps qu’un échange tacite suff
625 es amis qui se connaissent depuis si longtemps qu’ un échange tacite suffit aux petites décisions de la vie quotidienne. Gé
626 xe les Viennois, me dit-il, parce qu’ils y voient une façon de me moquer de leurs petits chiens musclés… Je n’en suis pas f
627 fâché. » Il y avait peu de monde dans les rues. Des jeunes gens avec une femme à chaque bras, l’air de ne pas trop s’amus
628 peu de monde dans les rues. Des jeunes gens avec une femme à chaque bras, l’air de ne pas trop s’amuser. — Ceci du moins n
629 malgré les apparences, cette vie sentimentale est une des seules réalités qui correspondent encore à l’image classique de V
630 ré les apparences, cette vie sentimentale est une des seules réalités qui correspondent encore à l’image classique de Vienn
631 épourvu d’ironie, mais non pas de légèreté. C’est une sorte d’inconstance folâtre qui cache une incapacité définitive à se
632 . C’est une sorte d’inconstance folâtre qui cache une incapacité définitive à se passionner pour quoi que ce soit. Cette vi
633 caresses, a peur de l’étreinte… C’est d’ailleurs une chose que je comprends assez bien, ajouta-t-il, mais pour d’autres ra
634 probablement… À ce moment, comme nous traversions une rue sillonnée de taxis rapides, le homard refusa obstinément de progr
635 le homard avait rougi : il conserva toute la nuit une magnifique couleur orangée. Gérard semblait habitué à ces sortes de s
636 de l’inconstance viennoise. Gérard l’attribuait à une certaine anémie des sentiments, à un manque de caractère aussi. La fi
637 nnoise. Gérard l’attribuait à une certaine anémie des sentiments, à un manque de caractère aussi. La fidélité véritable est
638 ttribuait à une certaine anémie des sentiments, à un manque de caractère aussi. La fidélité véritable est une œuvre d’art
639 que de caractère aussi. La fidélité véritable est une œuvre d’art qui demande un long effort, et les Viennois sont, par nat
640 idélité véritable est une œuvre d’art qui demande un long effort, et les Viennois sont, par nature et par attitude, des ge
641 et les Viennois sont, par nature et par attitude, des gens fatigués. — Pour moi, dit Gérard, je situe l’amour dans un monde
642 és. — Pour moi, dit Gérard, je situe l’amour dans un monde où la question fidélité ou inconstance ne se pose plus. Vous le
643 e ne se pose plus. Vous le savez, je n’ai aimé qu’ une femme — au plus deux, en y réfléchissant bien, mais peut-être était-c
644 ts différents. Toutes les femmes qui m’ont retenu un instant, c’était parce qu’elles évoquaient cet amour, c’était parce q
645 ès qu’on aime… Oh ! cette femme ! elle n’était qu’ un regard, un certain regard, mais j’ai su en retrouver la sensation jus
646 me… Oh ! cette femme ! elle n’était qu’un regard, un certain regard, mais j’ai su en retrouver la sensation jusque dans le
647 ue dans les choses — et c’est cela seul qui donna un sens au monde. — Mais je bavarde, je philosophe, et vous allez me dir
648 et vous allez me dire que c’est trop facile pour un homme retiré du monde depuis si longtemps. Livrons-nous plutôt à une
649 monde depuis si longtemps. Livrons-nous plutôt à une petite malice dont l’idée me vient à la vue de cette vendeuse de fleu
650 euse de fleurs. C’était la petite bossue qui vend des roses et des œillets dans la rue de Carinthie. Gérard lui paya quelqu
651 s. C’était la petite bossue qui vend des roses et des œillets dans la rue de Carinthie. Gérard lui paya quelques œillets ro
652 passerait seule. Nous nous arrêtâmes non loin, à une devanture de robes de soie, nous amusant à imaginer les corps précieu
653 précieux qui les revêtiraient. Vint à pas pressés une jeune femme, chapeau rouge et manteau de fourrure brune, inévitableme
654 elle finit donc par accepter et vint à nous avec un sourire du type le plus courant : « Vous êtes bien gentils, messieurs
655 urs ! » Il n’y avait plus qu’à lui prendre chacun un bras, une femme pour deux hommes — et ce fut bien dans cette anecdote
656 l n’y avait plus qu’à lui prendre chacun un bras, une femme pour deux hommes — et ce fut bien dans cette anecdote dont Géra
657 -Rouge, souterrain où nous nous engouffrâmes dans un grand bruit de saxophones et de cors anglais jouant la Marche de Tann
658 anglais jouant la Marche de Tannhäuser en tango, un Balkanique très lisse nous délivra de notre conquête pour la durée de
659 isse nous délivra de notre conquête pour la durée des danses. Gérard bâillait : « Voilà ce que c’est que de prendre des fem
660 rd bâillait : « Voilà ce que c’est que de prendre des femmes au hasard, disait-il. Je sens très bien que nous allons nous e
661 ntez peut-être de cette pêche miraculeuse — c’est une façon de parler — à laquelle on se livre dans ces lieux de plaisir —
662 miennes étaient de meilleure qualité : car c’est une pauvre illusion que le plaisir qu’on vient chercher ici avec le premi
663 je la regarde s’amuser. Je vois se perdre ce sens des correspondances secrètes et spontanées du plaisir qui seules faisaien
664 citadins blasés s’amusent plus grossièrement que des barbares, ils s’imaginent pouvoir faire une place dans leur vie aux “
665 t que des barbares, ils s’imaginent pouvoir faire une place dans leur vie aux “divertissements” entre 10 heures du soir et
666 ures du matin, moyennant tant de schillings, dans un décor banal et imposé, avec des femmes qui élargissent des sourires à
667 e schillings, dans un décor banal et imposé, avec des femmes qui élargissent des sourires à la mesure de votre générosité.
668 banal et imposé, avec des femmes qui élargissent des sourires à la mesure de votre générosité. Vos boîtes de nuit sont des
669 sure de votre générosité. Vos boîtes de nuit sont des sortes de distributeurs automatiques de plaisir. Autant dire que ceux
670 que c’est que le plaisir. Ils prennent au hasard des liqueurs qui n’ont pas été préparées pour leur soif. Ils ne savent pl
671 Ce sont vos contemporains livrés à la démocratie des plaisirs achetés au détail dans une foire éclatante de faux luxe. La
672 la démocratie des plaisirs achetés au détail dans une foire éclatante de faux luxe. La misère est de voir ici des femmes au
673 éclatante de faux luxe. La misère est de voir ici des femmes aussi ravissantes que celle-là qui danse en robe mauve, avec t
674 parce que cela lui va. Mais comme c’est odieux qu’ une créature aussi parfaite soit touchée par les mains outrageusement bag
675 tiers alourdis de “Knödl”. En Orient on en ferait une chose extrêmement précieuse, qu’on n’approcherait qu’avec un sentimen
676 trêmement précieuse, qu’on n’approcherait qu’avec un sentiment religieux de la beauté. Mais je crois que l’Orient est deve
677 rient est devenu fou. Il ne comprend plus rien. » Des bugles agonisaient, aux dernières mesures d’un tango. Notre encombran
678 » Des bugles agonisaient, aux dernières mesures d’ un tango. Notre encombrante conquête revint s’asseoir auprès de nous. Gé
679 ins. « Pourquoi vous ne dites rien ? » fit-elle d’ un ton de reproche, évidemment scandalisée par cette atteinte aux lois d
680 us conventionnel qui soit. Gérard la regarda avec une certaine pitié : « Chère enfant, dit-il doucement, pauvre colombe dép
681 ra. » La pauvre fille ne comprenant pas, il y eut un moment pénible, comme toujours lorsqu’un peu de simple humanité vient
682 orsqu’un peu de simple humanité vient interrompre une comédie aux attitudes convenues et donner l’air bête aux acteurs. Pui
683 sités grossières de la part des garçons. « Encore une proie inutile lâchée pour l’ombre, dit Gérard d’un ton rêveur et mali
684 e proie inutile lâchée pour l’ombre, dit Gérard d’ un ton rêveur et malicieux. Mais l’ombre de cette ville illusoire est la
685 s but. Vous savez, je lance mes filets dans l’eau des nuits, et quelquefois j’en ramène des animaux aux yeux bizarres où je
686 dans l’eau des nuits, et quelquefois j’en ramène des animaux aux yeux bizarres où je sais lire les signes. » Comme je ne r
687 notre sang. Nos pensées devenaient légères comme des ballons. La rumeur de Vienne baignait nos corps fatigués jusqu’à l’in
688 sibilité et l’Illusion étendait sur toutes choses une aile d’ombre flatteuse aux caprices redoutables. Cette nuit-là nous r
689 ices redoutables. Cette nuit-là nous rencontrâmes des anges au coin des ruelles, des oiseaux nous parlèrent, bientôt dissou
690 Cette nuit-là nous rencontrâmes des anges au coin des ruelles, des oiseaux nous parlèrent, bientôt dissous dans le vent. To
691 nous rencontrâmes des anges au coin des ruelles, des oiseaux nous parlèrent, bientôt dissous dans le vent. Tout était refl
692 tait reflet, passages, allusions. Plus tard, dans un petit bar laqué de noir jusqu’à mi-hauteur, puis couvert de glaces qu
693 à caissons dorés, l’étendent indéfiniment — c’est un ciel suspendu assez bas sur nos têtes. Lumière orangée, tamisée ; un
694 sez bas sur nos têtes. Lumière orangée, tamisée ; un piano dissimulé joue très doucement. Nous sommes assis autour d’une p
695 é joue très doucement. Nous sommes assis autour d’ une petite table lumineuse, verdâtre, et Gérard, penché sur cet aquarium
696 enne, mais dans le lointain, Aurélia lui répond d’ un regard pareil. Des visages naissent comme des étoiles dans un halo, c
697 lointain, Aurélia lui répond d’un regard pareil. Des visages naissent comme des étoiles dans un halo, comme les couleurs s
698 nd d’un regard pareil. Des visages naissent comme des étoiles dans un halo, comme les couleurs sous les paupières, s’élargi
699 reil. Des visages naissent comme des étoiles dans un halo, comme les couleurs sous les paupières, s’élargissent, se fonden
700 s’élargissent, se fondent, se superposent. Cinéma des sentiments qui montre vivantes dans la même minute toutes les incarna
701 tes dans la même minute toutes les incarnations d’ un amour dont l’être éternel apparaît peu à peu, à travers la simultanéi
702 ltanéité de ses manifestations. Gérard parle avec une liberté magnifique et angoissante. Il mêle tout dans le temps et l’es
703 e songes avec toutes leurs illusions, — illusions des formes passagères que nous croyons seules réelles, illusions des refl
704 agères que nous croyons seules réelles, illusions des reflets qui ne livrent que le côté terrestre des choses dont l’autre
705 des reflets qui ne livrent que le côté terrestre des choses dont l’autre moitié sera toujours cachée, ainsi la Lune et sa
706 et sa moitié d’ombre. Et parce que tout revit en un instant dans cette vision, il connaît enfin la substance véritable et
707 e sont que décors mouvants dans la lueur bariolée des sentiments, ils ne sont que reflets, épisodes, symboles : le vrai dra
708 son destin est ailleurs. Il se met à m’expliquer des signes, des généalogies étourdissantes qui commencent à des dieux et
709 est ailleurs. Il se met à m’expliquer des signes, des généalogies étourdissantes qui commencent à des dieux et finissent au
710 , des généalogies étourdissantes qui commencent à des dieux et finissent aux pierres précieuses en passant par toutes les f
711 plaisante. Il dit que la vie ressemble surtout à un film où les épisodes s’appellent par le simple jeu des images, se voi
712 ilm où les épisodes s’appellent par le simple jeu des images, se voient par transparence au travers de l’autre. Il dit : « 
713 es correspondances, chaque geste, chaque minute d’ une vie résume cette vie entière et fait allusion à tout ce qu’il y a sou
714 eurs. Croyez-moi, ce qu’il faudrait écrire, c’est une Vie simultanée de Gérard, qui tiendrait toute en une heure, en un lie
715 Vie simultanée de Gérard, qui tiendrait toute en une heure, en un lieu, en une vision. » Nous sortîmes. Seules des trompe
716 e de Gérard, qui tiendrait toute en une heure, en un lieu, en une vision. » Nous sortîmes. Seules des trompes d’autos s’a
717 qui tiendrait toute en une heure, en un lieu, en une vision. » Nous sortîmes. Seules des trompes d’autos s’appelaient dan
718 un lieu, en une vision. » Nous sortîmes. Seules des trompes d’autos s’appelaient dans la nuit froide. Gérard ne disait pr
719 rs endormi. En passant par la Freyung, nous vîmes un palais aux fenêtres illuminées. Des autos attendaient devant le porch
720 ng, nous vîmes un palais aux fenêtres illuminées. Des autos attendaient devant le porche grand ouvert. Les chauffeurs faisa
721 a neige fraîche ou s’accoudaient à la banquette d’ une boutique à « Würstel » où nous nous arrêtâmes. Au léger sifflement du
722 avait dû le mettre au caviar. Il en demanda donc une petite portion et la fit prendre au homard avec toutes sortes de soin
723 tes sortes de soins. Les chauffeurs regardaient d’ un œil las, trop las pour s’étonner. Transi, je me balançais d’un pied s
724 rop las pour s’étonner. Transi, je me balançais d’ un pied sur l’autre dans de la neige fondante, tout en croquant une de c
725 autre dans de la neige fondante, tout en croquant une de ces saucisses à la moutarde qu’on appelle ici « Frankfurter » et a
726 cour du palais, descendaient les invités du bal. Des femmes sans chapeau couraient vers les voitures, les hommes s’inclina
727 vers les voitures, les hommes s’inclinaient pour des baise-mains silencieux et mécaniques. Je reconnus des princes aux fac
728 baise-mains silencieux et mécaniques. Je reconnus des princes aux faces maigres qui ressemblaient terriblement à d’anciens
729 ressemblaient terriblement à d’anciens Habsbourg, des comtes athlétiques et la silhouette échassière de la jeune duchesse d
730 t le manteau de velours rose laissait découvertes des jambes extrêmement hautes tandis que sa tête frisée jetait des insole
731 trêmement hautes tandis que sa tête frisée jetait des insolences sur les chapeaux noirs de ses cavaliers. Tout cela s’empil
732 x noirs de ses cavaliers. Tout cela s’empila dans des autos ; en dix minutes, il n’y eut plus personne, la place s’éteignit
733 Ses yeux s’étaient fixés intensément, à la sortie des invités, sur une femme qui s’en allait toute seule vers une auto à l’
734 t fixés intensément, à la sortie des invités, sur une femme qui s’en allait toute seule vers une auto à l’écart des autres.
735 s, sur une femme qui s’en allait toute seule vers une auto à l’écart des autres. Une femme aux cheveux noirs en bandeaux, a
736 i s’en allait toute seule vers une auto à l’écart des autres. Une femme aux cheveux noirs en bandeaux, au teint pâle, l’air
737 t toute seule vers une auto à l’écart des autres. Une femme aux cheveux noirs en bandeaux, au teint pâle, l’air d’autrefois
738 ce se fut apaisée, je m’aperçus que j’étais seul. Une dernière auto, extraordinairement silencieuse, absolument silencieuse
739 nt baissés. Déjà on criait les journaux du matin, des triporteurs passèrent à toute vitesse, m’éclaboussant de neige et de
740 erie-crème fouettée ». m. Rougemont Denis de, «  Un soir à Vienne avec Gérard », La Nouvelle Semaine artistique et littér
13 1928, Articles divers (1924–1930). Miroirs, ou Comment on perd Eurydice et soi-même » (décembre 1928)
741 ? Il en tombe d’accord ; accepte d’attendre comme un enfant sage que le monde lui donne, en son temps, sa petite part. On
742 en soi, n’ayant plus où se prendre » comme parle un de nos classiques. Repoussé par le monde parce qu’il n’est pas encore
743 un, Stéphane cherche à savoir ce qu’il est. C’est une autre manie de sa génération. Mais là encore il se singularise : il n
744 rise : il n’écrit pas de livre pour y pourchasser un moi qui feint toujours de se cacher derrière le feuillet suivant, ent
745 ué que l’époque peut être définie par l’abondance des autobiographies, mais aussi bien par celle des miroirs. C’est pourquo
746 ce des autobiographies, mais aussi bien par celle des miroirs. C’est pourquoi il en installe un sur sa table de travail, de
747 celle des miroirs. C’est pourquoi il en installe un sur sa table de travail, de façon à pouvoir s’y surprendre à tout ins
748 — ne tarde pas à devenir obsédant. Stéphane passe des heures entières à se regarder dans les yeux. Il varie sur son visage
749 les jeux de lumière et de sentiments. Il découvre une sorte de rire au coin de sa bouche dans les moments de pire décourage
750 lus secrètement à son aventure. Nous vivons dans un décor flamboyant de glaces. À chaque pas, on offre à Stéphane sa tête
751 face de lui par l’ascenseur, elle le suit au long des trottoirs, il l’aperçoit entre des souliers, des étiquettes, des poup
752 e suit au long des trottoirs, il l’aperçoit entre des souliers, des étiquettes, des poupées ; elle le précède au restaurant
753 des trottoirs, il l’aperçoit entre des souliers, des étiquettes, des poupées ; elle le précède au restaurant, le nargue br
754 il l’aperçoit entre des souliers, des étiquettes, des poupées ; elle le précède au restaurant, le nargue brièvement au pass
755 de au restaurant, le nargue brièvement au passage des autos, le ridiculise chez le coiffeur. Déjà, c’est avec une sorte d’a
756 le ridiculise chez le coiffeur. Déjà, c’est avec une sorte d’angoisse qu’il la recherche. Il veut se voir tel qu’il est pa
757 ystère de voir ses yeux l’épouvante. Il y cherche une révélation et n’y trouve que le désir d’une révélation. Peut-on s’hyp
758 erche une révélation et n’y trouve que le désir d’ une révélation. Peut-on s’hypnotiser avec son propre regard ? Il n’y a pl
759 rendre la certitude d’être. Mais il s’épuise dans une perspective de reflets qui vont en diminuant vertigineusement et l’ég
760 rstitions. Enfin cette expérience folle le mène à une découverte sur les sept sens de laquelle il convient de méditer : la
761 nt de méditer : la personne se dissout dans l’eau des miroirs. Stéphane est en train de se perdre pour avoir voulu se cons
762 e soi pour se voir ? Il y a dans l’homme moderne un besoin de vérifier qui n’est plus légitime dès l’instant qu’il se tra
763 hane n’a pas eu confiance. Or la personnalité est un acte de foi : Stéphane ne sait plus ce qu’il est. Semblablement, il n
764 raie, se borne à décrire l’aspect psychologique d’ une aventure qui en a bien d’autres, d’aspects. Il est bon que le lecteur
765 crainte de n’avoir pas saisi le sens véritable d’ un texte, trouve parfois de cette incompréhension des marques certaines.
766 un texte, trouve parfois de cette incompréhension des marques certaines. Si le rapport intime qui unit la phrase suivante a
767 sidérations précédentes lui échappe, qu’il y voie une de ces marques. Stéphane a oublié jusqu’au mot de prière. Orphée per
768 . À chaque regard dans notre miroir, nous perdons une Eurydice. Les miroirs sont peut-être la mort. La mort absolue, celle
769 tre la mort. La mort absolue, celle qui n’est pas une vie nouvelle. La mort dans la transparence glaciale de l’évidence. U
770 ort dans la transparence glaciale de l’évidence. Un jour, à propos de rien, Stéphane pense avec fièvre : « Il faudrait br
771 ais en vérité. Peut-être te reconnaîtrais-tu sous un autre visage. Car oublier son visage, ne serait-ce pas devenir un cen
772 Car oublier son visage, ne serait-ce pas devenir un centre de pur esprit ? » C’est un premier filet d’eau vive qui perce
773 c’est pourquoi il fait peur à certaines femmes. Un soir, après quelques alcools et un échange de pensées au même titre a
774 aines femmes. Un soir, après quelques alcools et un échange de pensées au même titre avec une amie d’une beauté de plus e
775 cools et un échange de pensées au même titre avec une amie d’une beauté de plus en plus frappante, il croit saisir dans un
776 échange de pensées au même titre avec une amie d’ une beauté de plus en plus frappante, il croit saisir dans un regard de c
777 é de plus en plus frappante, il croit saisir dans un regard de cette femme l’écho de ce qui serait lui. Déjà il se perd da
778 l se perd dans ces yeux, mais comme on meurt dans une naissance. Stéphane naît à l’amour et à lui-même conjointement. Plusi
779 s : je suis !… Je ne sais plus… mais je suis ! » Un peu plus tard, ce fut un jour de grand soleil sur toutes les verrerie
780 plus… mais je suis ! » Un peu plus tard, ce fut un jour de grand soleil sur toutes les verreries de la capitale. Les fen
781 it : « Ton visage me cache tous les miroirs » — à une femme qu’il aimait. n. Rougemont Denis de, « Miroirs, ou Comment o
14 1929, Articles divers (1924–1930). La tour de Hölderlin (15 juillet 1929)
782 uillet 1929)o « Je lui ai raconté qu’il habite une chaumière au bord d’un ruisseau, qu’il dort les portes ouvertes, et p
783 i ai raconté qu’il habite une chaumière au bord d’ un ruisseau, qu’il dort les portes ouvertes, et pendant des heures récit
784 sseau, qu’il dort les portes ouvertes, et pendant des heures récite des odes grecques au murmure de l’eau ; la Princesse de
785 les portes ouvertes, et pendant des heures récite des odes grecques au murmure de l’eau ; la Princesse de Homburg lui a fai
786 eau ; la Princesse de Homburg lui a fait cadeau d’ un piano dont il a coupé les cordes, mais pas toutes, en sorte que plusi
787 s tant aller là-bas, cette folie m’apparaît comme une chose si douce et si grande… »11 Et Bettina terminant sa lettre sur
788 il est plus difficile de se faire comprendre par un sot que par un fou. » L’hiver dernier, m’occupant assez longuement d’
789 fficile de se faire comprendre par un sot que par un fou. » L’hiver dernier, m’occupant assez longuement d’un des poètes a
790  » L’hiver dernier, m’occupant assez longuement d’ un des poètes auxquels notre temps doit vouer l’attention la plus grave
791 L’hiver dernier, m’occupant assez longuement d’un des poètes auxquels notre temps doit vouer l’attention la plus grave — ca
792 i confinent peut-être à l’Esprit et dont certains des plus purs d’entre nous se préparent à tenter le climat, — j’avais rêv
793 sard qui m’amène à Tubingue ne soit pas seulement un hasard… Hier, c’était la Pentecôte. La fête de la plus haute poésie.
794 posée sur Hölderlin et qui l’a consumé… Digne ? —  Un adolescent au visage de jeune fille qui rimait sagement des odes à la
795 cent au visage de jeune fille qui rimait sagement des odes à la liberté… Et voici dans sa vie cette double venue de l’amour
796 ète n’est peut-être que le lieu de sa poésie, — d’ une poésie, l’on dirait, qui ne connaît pas son auteur. Qui parle par sa
797 ui parle par sa bouche ? Il règne dans ses Hymnes une sérénité presque effrayante. Vient le temps où le sens de son monolog
798 vieux démon ! — je te rappelle — Ou bien envoie — un héros — Ou bien — la sagesse. » Mais le feu s’éteint — l’esprit souff
799 x croit-on), est frappé d’insolation ; sa folie d’ un coup l’envahit. C’est une sorte de vieillard qui reparaît en Allemagn
800 ’insolation ; sa folie d’un coup l’envahit. C’est une sorte de vieillard qui reparaît en Allemagne. Et durant trente années
801 donné vivra dans la petite tour de Tubingue, chez un charpentier — vivra très doucement, inexplicablement, une vie monoton
802 pentier — vivra très doucement, inexplicablement, une vie monotone de vieux maniaque. Le buisson ardent quitté par le feu s
803 Ce qui fut Hölderlin signe maintenant Scardanelli des quatrains qu’il donne aux visiteurs venus pour contempler la victime
804 aux visiteurs venus pour contempler la victime d’ un miracle. — C’était l’époque des amateurs de ruines. Je suis descendu
805 mpler la victime d’un miracle. — C’était l’époque des amateurs de ruines. Je suis descendu au bord de l’eau, un peu au-dess
806 urs de ruines. Je suis descendu au bord de l’eau, un peu au-dessous de la maison, en attendant l’heure d’ouverture. Il y a
807 ison, en attendant l’heure d’ouverture. Il y a là une station de canots de louage où j’ai vite découvert un « Friedrich Höl
808 tation de canots de louage où j’ai vite découvert un « Friedrich Hölderlin » à côté d’un « Hypérion ». En cherchant, je tr
809 ite découvert un « Friedrich Hölderlin » à côté d’ un « Hypérion ». En cherchant, je trouverais bien aussi un « Nietzsche »
810 ypérion ». En cherchant, je trouverais bien aussi un « Nietzsche » à fond plat. Des saules se penchent vers l’eau lente. S
811 ouverais bien aussi un « Nietzsche » à fond plat. Des saules se penchent vers l’eau lente. Sur l’autre rive qui est celle d
812 ers l’eau lente. Sur l’autre rive qui est celle d’ une longue île, des étudiants au crâne rasé se promènent un roman jaune à
813 Sur l’autre rive qui est celle d’une longue île, des étudiants au crâne rasé se promènent un roman jaune à la main. L’un a
814 gue île, des étudiants au crâne rasé se promènent un roman jaune à la main. L’un après l’autre, dans cette paresse de jour
815 clochers de la ville sonnent deux heures. Allons. Un de ces corridors de vieille maison souabe, hauts et sombres, qui para
816 nses s’ils n’étaient à demi encombrés d’armoires. Un couloir, la chambre. L’homme qui me conduit est le propriétaire actue
817 onnaître ces portraits ? — (et comme je considère un ravissant médaillon de marbre) — Ça, c’est Diotima. » On rougirait à
818 ses sur son compte, simplement parce qu’il a aimé une femme, pour écrire Hypérion, et pour les gens d’ici, aimer, c’est seu
819 ier… » — Et puis plus tard on encadre les lettres des amants, on propose le couple à l’admiration des écoliers en promenade
820 s des amants, on propose le couple à l’admiration des écoliers en promenade, et le guide désigne familièrement l’image d’un
821 nade, et le guide désigne familièrement l’image d’ une femme par le nom qu’elle portait au mystère de l’amour… Trois petites
822 Trois petites fenêtres ornées de cactus miséreux, une pipe qui traîne sur l’appui ; le jardinet avec son banc et ses lilas
823 Tout est familier, paisible au soleil. Il passait des heures à cette fenêtre, à marmotter. Vingt-sept ans dans cette chambr
824 l’eau et cette complainte de malade épuisé après un grand accès de fièvre… L’agrément de ce monde, je l’ai vécu. Les j
825 ’existait pas, en face, ni les maisons. Il voyait des prairies et des collines basses, de l’autre côté de l’eau jaune et ve
826 n face, ni les maisons. Il voyait des prairies et des collines basses, de l’autre côté de l’eau jaune et verte… Quel est do
827 ent pas tant de visiteurs, et seulement de 2 à 4… Une rue étouffée entre des maisons pointues et les contreforts de l’Églis
828 rs, et seulement de 2 à 4… Une rue étouffée entre des maisons pointues et les contreforts de l’Église du Chapitre : je vois
829 e doucement dans cette calme Tubingue le secret d’ une épouvantable mélancolie. Les étudiants le rencontrent, qui montent au
830 grandes révérences… La rumeur et le cliquetis d’ une grande terrasse de café au bord du Neckar, sous les marronniers. À qu
831 s. À quatre heures, l’orchestre s’est mis à jouer des ringues charmantes, jazz et clarinette, chansons de mai. Les bateaux
832  »). J’aime les bateaux plats et incertains, avec des Daphnés dedans, qui ne savent pas bien ramer et qui lisent des magazi
833 edans, qui ne savent pas bien ramer et qui lisent des magazines au fil de l’eau, ce qui est le comble des vacances. À une t
834 s magazines au fil de l’eau, ce qui est le comble des vacances. À une table voisine, des adolescents balafrés font des sign
835 il de l’eau, ce qui est le comble des vacances. À une table voisine, des adolescents balafrés font des signes énergiques à
836 est le comble des vacances. À une table voisine, des adolescents balafrés font des signes énergiques à une compagnie de ca
837 une table voisine, des adolescents balafrés font des signes énergiques à une compagnie de cavaliers qui passe devant la st
838 adolescents balafrés font des signes énergiques à une compagnie de cavaliers qui passe devant la statue d’Eberhard le Barbu
839 s qui passe devant la statue d’Eberhard le Barbu. Des bourgeois se rient contre par-dessus leurs chopes. « Gemütlichkeit ».
840 où il a perdu son âme. Et puis il n’est revenu qu’ un vieux corps radotant. — Qu’en pensez-vous, bonnes gens ?… Il a eu tor
841 Pascal : le « Qui veut faire l’ange… » a autorisé des générations de « bourgeois cultivés » à faire la bête dès qu’il s’agi
842 té est plus humaine, est plus divine, quand c’est une telle femme qui la confesse : « Celui qui entre en commerce trop étro
843 e est tellement d’ailleurs… Faut-il donc que l’un des deux soit absurde, de ces mondes à mes yeux soudain simultanés ?… Le
844 e tragique de la facilité, c’est qu’elle n’est qu’ un oubli. Et pourtant, comme elle paraît ici bien établie, triomphante,
845 n, peut-être, seulement, quand l’amour leur donne une petite fièvre, — cette semaine de leur jeunesse où ils ont cru presse
846 aire, par quel hasard, donne l’accord qui m’ouvre un vrai silence : déjà je leur échappe — je t’échappe ô douceur de vivre
847 r. Madame Gontard est la Diotima de l’Hypérion et des poèmes. o. Rougemont Denis de, « La tour de Hölderlin », La Quinzai
15 1930, Articles divers (1924–1930). Le prisonnier de la nuit (avril 1930)
848 les marées à flots perdus sous la coupole errante des prières à dieux perdus. II Je ne sais pas où tu m’entends mais ces
849 parquent les visages les sons brassent les lueurs des messages et des sanglots perdus qui rôdent à la recherche d’un corps
850 ages les sons brassent les lueurs des messages et des sanglots perdus qui rôdent à la recherche d’un corps faible. Je ne
851 t des sanglots perdus qui rôdent à la recherche d’ un corps faible. Je ne sais pas où tu m’attends mais je sais comment t
852 ds mais je sais comment tu pleurais. Au carrefour des cris perdus j’écoute encore une voix nue qui vient de dire ton nom mê
853 ais. Au carrefour des cris perdus j’écoute encore une voix nue qui vient de dire ton nom même avec l’accent de notre amour
854 fleurir tourne le dos ferme les poings ne fais qu’ un ou deux pas que les souvenirs s’épousent entre eux pendant que tes
855 que tes yeux s’ouvrent n’attends rien d’autre qu’ un désert qu’un sol dur aux genoux tends les mains au vent captif déli
856 s’ouvrent n’attends rien d’autre qu’un désert qu’ un sol dur aux genoux tends les mains au vent captif délivre un souffl
857 x genoux tends les mains au vent captif délivre un souffle tes lèvres battent doucement écoute-les. IV Tends moi la
858 ns captive écoute les cloches et le scintillement des étoiles les eaux profondes qui échangent leurs douceurs. Tiens moi
859 ens moi bien nous allons partir l’air s’entrouvre un feu rose éclôt voici ton heure au regard le plus pur je suis à toi da
860 feu et de la joie. V Oh qui a retiré tes mains des miennes quand je te regardais trop profond pour te voir ? Maintenant
861 es… VI Prisonnier de la nuit mais plus libre qu’ un ange prisonnier dans ta tête mais libre comme avant cette naissance a
862 quand la nuit s’effeuille et se fane prisonnier d’ une saison morte au tombeau des fleurs obscures les mains de l’absence se
863 se fane prisonnier d’une saison morte au tombeau des fleurs obscures les mains de l’absence se ferment sur le vide tu pleu
864 vide tu pleurerais mais la grâce est facile comme un matin d’été la grâce tendrement dénouée de ta vie comme de cette nuit
865 t dénouée de ta vie comme de cette nuit le jour d’ un grand été qui consent… p. Rougemont Denis de, « Le prisonnier de
16 1930, Articles divers (1924–1930). Au sujet « d’un certain esprit français » (1er mai 1930)
866 Au sujet « d’ un certain esprit français » (1er mai 1930)q r 1. Un petit volume « l
867 certain esprit français » (1er mai 1930)q r 1. Un petit volume « lourd de pensée », comme disent bizarrement les journa
868  : où que se portent nos regards, ils rencontrent des talents distingués. À cet ordre d’ambition convient seule l’activité
869 d’eux, s’écrient nos auteurs, « qu’on nous montre un seul Français qui n’ait pas le cœur sur les lèvres, qui ait quelque c
870 sur les lèvres, qui ait quelque chose à dire, ou une qualité, une richesse d’âme comparable à celle d’un Goethe ou simplem
871 es, qui ait quelque chose à dire, ou une qualité, une richesse d’âme comparable à celle d’un Goethe ou simplement d’un Rilk
872 qualité, une richesse d’âme comparable à celle d’ un Goethe ou simplement d’un Rilke, par exemple… » — Exigence et reproch
873 me comparable à celle d’un Goethe ou simplement d’ un Rilke, par exemple… » — Exigence et reproche également démesurés, mai
874 l… 3. Si nous jetons sur les lettres parisiennes un regard distrait mais circulaire, comme dirait Aragon — et je suppose
875 jeu avant d’écrire —, que voyons-nous en effet ? Une grande nuée de romanciers à peine plus réels que leurs personnages ;
876 nciers à peine plus réels que leurs personnages ; des êtres gris, marqués d’un point rouge, professeurs, journalistes, spéc
877 que leurs personnages ; des êtres gris, marqués d’ un point rouge, professeurs, journalistes, spécialistes de tout au monde
878 rs, journalistes, spécialistes de tout au monde ; des jeunes gens qui ont fait leurs études à la Nouvelle Revue française
879 et qui ont, sur un tas de sujets pas importants, des idées « pertinentes », comme dit M. Charly Clerc ; des révolutionnair
880 dées « pertinentes », comme dit M. Charly Clerc ; des révolutionnaires sans idéal et sans puissances de mythe ; des philoso
881 onnaires sans idéal et sans puissances de mythe ; des philosophes sans pente ni grandeur ; (Je mets au concours ce problème
882 la divinisation finale de l’homme par le progrès des sciences exactes ? ») d’aimables biographes : M. de Pourtalès, qui pa
883 rtalès, qui parle toujours excellemment du « cœur des autres » comme dit M. Gabriel Marcel, présente Nietzsche en Nouveau M
884 sent beaucoup de gens, qui persiste à passer pour un écrivain ; alors qu’il est plutôt ce qu’autrefois l’on nommait jolime
885 est plutôt ce qu’autrefois l’on nommait joliment un fin lettré. (Vraiment le jeu est trop facile. Allez donc vous mettre
886 colère. Ah ! nous ne risquons pas d’être tués par des statues !) Tout d’un coup, trois hommes qui ont du cran. Deux qui vie
887 isquons pas d’être tués par des statues !) Tout d’ un coup, trois hommes qui ont du cran. Deux qui viennent : Bernanos et M
888 u cran. Deux qui viennent : Bernanos et Malraux ; un qui s’éloigne : Montherlant. Très suspects dans les « milieux » litté
889 tes brusques de son tempérament. Attendons encore un peu avec ceux-là… Enfin, l’ultime raison de ne pas désespérer, cinq o
890 ce grand potache de Maldoror. « Qu’on nous montre un homme… » Un ou deux. Il suffit de très peu de sel pour rendre mangeab
891 ache de Maldoror. « Qu’on nous montre un homme… » Un ou deux. Il suffit de très peu de sel pour rendre mangeables beaucoup
892 es. Mais si le sel perd sa saveur, serait-ce avec des pamphlets qu’on la lui rend ? Je le trouve en tout cas bien tonique,
893 Simond viennent d’écrire au sujet de quelques-uns des meilleurs esprits que la France ait su rendre inoffensifs. Il se pour
894 très bien qu’à cette génération ne soit échue qu’ une œuvre de critique, impitoyable de rigueur et d’enthousiasme. 5. La c
895 a difficulté, récusent l’art. Il y avait une fois un journaliste, un libéral et un jeanfoutre qui regardaient travailler u
896 cusent l’art. Il y avait une fois un journaliste, un libéral et un jeanfoutre qui regardaient travailler un maçon. Le maço
897 Il y avait une fois un journaliste, un libéral et un jeanfoutre qui regardaient travailler un maçon. Le maçon creusait et
898 béral et un jeanfoutre qui regardaient travailler un maçon. Le maçon creusait et défonçait, or on lui avait commandé une m
899 n creusait et défonçait, or on lui avait commandé une maison. Nos trois compères se moquaient fort. Le journaliste expliqua
900 s mal compris. 6. Il s’agit ici de la critique d’ un certain état d’esprit moins facile à formuler qu’à décrire dans ses e
901 décrire dans ses effets, et qui paraît affecter d’ un commun penchant au libertinage mental trois phénomènes littéraires pa
902 a même impuissance. Ils désirent également donner une solution décisive au problème de l’homme ; ils manquent également de
903 ampleur et sa force. » Ainsi Beausire nous montre un Barrès tout crispé sur quelques certitudes et quelques doutes immédia
904 nd dénonce chez Maurras l’impardonnable confusion des valeurs que représente son positivisme esthétique, ce désir de connai
905 essous — de leurs prétextes. 7. Nous souffrons d’ une terrible carence d’héroïsme intellectuel. Ces messieurs — et qui pens
906 — et qui pensent — ont la chance de vivre à l’une des époques les plus violentes de l’histoire humaine ; ils assistent à de
907 violentes de l’histoire humaine ; ils assistent à des bouleversements sociaux, moraux et surtout spirituels d’une portée pl
908 ersements sociaux, moraux et surtout spirituels d’ une portée planétaire, mais ils trouvent d’excellentes raisons pour ne po
909 pose plus, en France, de questions qui dépassent un certain plan. C’est mal vu. » Ou si on les pose, ajouterai-je, c’est
910 outerai-je, c’est pour les résoudre aussitôt et d’ une manière aussi peu compromettante que possible. Direz-vous que les All
911 peuvent résoudre sur-le-champ. Ils mettent en jeu des systèmes de valeurs plus ramifiés, plus organiques. Ils ne sont pas o
912 tram, Gundolf, Rudolf Kassner… En France, hélas ! une logique verbale et le clair génie que l’on sait se chargent de tout r
913 ur paraît ridicule. Soit, mais il faudrait donner une œuvre. Il faudrait créer, si rien n’existe qui vaille qu’on s’y dévou
914 même à paraître ennuyeux13… Ils recherchent tous un équilibre, le trouvent bien vite, comme de juste, s’en lassent, cherc
915 te, comme de juste, s’en lassent, cherchent alors un déséquilibre, s’en effraient, repartent vers la foi et s’arrêtent che
916 fraient, repartent vers la foi et s’arrêtent chez un éditeur. Cela fait un roman de plus. Il obtiendra le prix d’assiduité
917 s la foi et s’arrêtent chez un éditeur. Cela fait un roman de plus. Il obtiendra le prix d’assiduité et l’approbation de t
918 obation de tous les prudents qui ont fait le tour des choses comme on fait le tour des galeries du Lido : bien décidé à ne
919 ont fait le tour des choses comme on fait le tour des galeries du Lido : bien décidé à ne rien acheter qui mette en péril l
920 de la mesure ! (Mais où les audaces souveraines d’ un Racine, d’un Descartes ?) D’ailleurs, c’est bien simple, si vous pers
921 ! (Mais où les audaces souveraines d’un Racine, d’ un Descartes ?) D’ailleurs, c’est bien simple, si vous persistez à dédai
922 s est assez bien vu ; mais tenter de leur opposer un effort digne de ce qu’ils furent… Cela demanderait certains sacrifice
923 éfinit ce qu’on nomme à Paris prétention. Méditez un peu cette note de Beausire : « Barrès se plaint très souvent de ses m
924 nes, de ses gastrites, de sa fatigue. Pour abolir des obstacles de cette envergure, il suffit d’un peu de décision. Jules C
925 créateur néglige sa personnalité » et « Kant est un peu plus redoutable que Robespierre ». Bien. Ah ! très bien ! Mais qu
926 limites de l’humaine liberté ». Simond réclame «  un parti pris…, un ordre de valeurs, si arbitraire qu’il soit, mais volo
927 maine liberté ». Simond réclame « un parti pris…, un ordre de valeurs, si arbitraire qu’il soit, mais volontairement, assu
928 existence du Christ donne à « l’humaine liberté » des limites d’une nature que Léonard ne soupçonna même pas ; — que ces li
929 hrist donne à « l’humaine liberté » des limites d’ une nature que Léonard ne soupçonna même pas ; — que ces limites rendent
930  ; — que ces limites rendent absurde l’adoption d’ un ordre de valeurs « arbitraire », mais obligent l’homme à « assumer »
931  assumer » d’autant plus héroïquement sa vérité — une vérité qu’il doit se créer de toute sa volonté, telle inéluctablement
932 , tout de même… Mais ceci, comme dit Kipling, est une autre histoire. 10. Nous voici parvenus au point où cessent d’eux-mê
933 » comme dit Zarathoustra — développant sans doute une vue évangélique. Que ce petit écrit d’un mouvement naturel nous ramèn
934 s doute une vue évangélique. Que ce petit écrit d’ un mouvement naturel nous ramène au centre des seuls problèmes qui ne so
935 crit d’un mouvement naturel nous ramène au centre des seuls problèmes qui ne soient pas insignifiants, voilà qui suffira pe
936 . C’est ici que paraît tout de même la grandeur d’ un Ramuz, dont Beausire ne veut voir que le maniérisme, non la substance
937 Rougemont Denis de, « [Compte rendu] Au sujet D’ un certain esprit français  », Aujourd’hui, Lausanne, 1 mai 1930, p. 4.
17 1930, Articles divers (1924–1930). « Vos fantômes ne sont pas les miens… » [Réponse à l’enquête « Les vrais fantômes »] (juillet 1930)
938 et qui saura jamais s’ils ne sont pas pour moi «  des choses » — et réciproquement. La distinction entre « choses » et « fa
939 n entre « choses » et « fantômes » est relative à des habitudes individuelles, en dehors de quoi je ne lui vois pas de sign
940 é par le monde. Ils ont tous le même air absurde. Des fantômes d’une autre sorte, ceux-là tout rayonnants d’allusions indéf
941 Ils ont tous le même air absurde. Des fantômes d’ une autre sorte, ceux-là tout rayonnants d’allusions indéfinies, naissent
942 ion « autre » dont vous parlez traduit simplement une variation dans mes relations avec le monde. En quoi cette première qu
943 mes nés du relâchement de leur esprit ou de celui des autres. Nous avons vu des amateurs de pittoresque essayer, au hasard,
944 leur esprit ou de celui des autres. Nous avons vu des amateurs de pittoresque essayer, au hasard, des incantations tout jus
945 u des amateurs de pittoresque essayer, au hasard, des incantations tout juste bonnes à évoquer la basse pègre du monde spir
946 en nous efforçant de délirer que nous atteindrons une réalité supérieure, mais bien en surpassant nos sens par notre intell
947 s par notre intelligence, celle-ci à son tour par une volonté qui l’oriente vers certains états dont il arrive que la gratu
948 il arrive que la gratuité apparente nous fascine. Un fantôme ne manifeste rien d’autre que la qualité du regard qui le per
949 is-moi qui te hante… Ainsi, la vulgarité évidente des fantômes décrits par la psychologie moderne révèle-t-elle une déficie
950 décrits par la psychologie moderne révèle-t-elle une déficience de méthode, laquelle correspond à une certaine sécheresse
951 une déficience de méthode, laquelle correspond à une certaine sécheresse d’âme. Car on ne voit que ce qu’on mérite. — Les
952 rviendra par sa puissance d’adoration, à se créer une part angélique. III L’amour, loin de causer une « désorganisation du
953 une part angélique. III L’amour, loin de causer une « désorganisation du moral », multiplie à nos yeux les correspondance
954 Comprenons à ce signe qu’il nous transporte dans un monde plus hautement organisé, c’est-à-dire plus réel. (L’absurdité d
955 nt organisé, c’est-à-dire plus réel. (L’absurdité des choses mesurait seulement notre impuissance à les aimer.) Dès lors, i
956 ront, mais de leur égaler notre conscience. C’est un effort de création — car toute découverte du monde spirituel revêt po
957 pirituel revêt pour nous, normalement, l’aspect d’ une création. Il s’agit de maintenir cet effort sous le signe de la sobri
958 prière nous font entendre l’accord fondamental d’ une éthique des fantômes, dont la poésie moderne n’est peut-être que la p
959 font entendre l’accord fondamental d’une éthique des fantômes, dont la poésie moderne n’est peut-être que la psychologie.
960 ychologie. s. Rougemont Denis de, « [Réponse à une enquête] Vos fantômes ne sont pas les miens… », Raison d’être, Paris,
961 né Crevel et Denis de Rougemont, sont précédées d’ une introduction dont nous reproduisons l’extrait suivant : « “Y a-t-il u
962 nous reproduisons l’extrait suivant : « “Y a-t-il une faculté de perception indépendante des sens, qui, s’exerçant par le m
963  “Y a-t-il une faculté de perception indépendante des sens, qui, s’exerçant par le moyen d’un organe interne, puisse nous d
964 pendante des sens, qui, s’exerçant par le moyen d’ un organe interne, puisse nous donner des connaissances plus complètes q
965 le moyen d’un organe interne, puisse nous donner des connaissances plus complètes que l’expérience commune ?” Depuis (et m
966 mulé cette question, qu’il n’osait résoudre, bien des mystiques, des poètes, des philosophes, des psychiatres, des moralist
967 tion, qu’il n’osait résoudre, bien des mystiques, des poètes, des philosophes, des psychiatres, des moralistes et des charl
968 n’osait résoudre, bien des mystiques, des poètes, des philosophes, des psychiatres, des moralistes et des charlatans ont ha
969 bien des mystiques, des poètes, des philosophes, des psychiatres, des moralistes et des charlatans ont hasardé des réponse
970 es, des poètes, des philosophes, des psychiatres, des moralistes et des charlatans ont hasardé des réponses à cette interro
971 s philosophes, des psychiatres, des moralistes et des charlatans ont hasardé des réponses à cette interrogation que posent
972 res, des moralistes et des charlatans ont hasardé des réponses à cette interrogation que posent tacitement toute forme de v
973 lucinations (à l’état pathologique), pour prendre des états concrets. »