1 1936, Articles divers (1936-1938). Max Brod, Le Royaume enchanté de l’amour (1936)
1 pas seulement de l’ordre romanesque : elle est d’ avoir mêlé à un beau drame d’amour le souvenir et davantage, la présence d’
2 et amical du héros et de son débat, ce personnage a vécu dans ce siècle, où son nom ne cessera de grandir : Franz Kafka.
3 entende aux deux sens du terme —, un seul ouvrage a paru en français22. Ce serait assez pour donner une idée de l’ordre d
4 singularité de l’œuvre entière. Mais bien peu en ont eu connaissance, et moins encore se sont risqués à en parler. Rien d’
5 gularité de l’œuvre entière. Mais bien peu en ont eu connaissance, et moins encore se sont risqués à en parler. Rien d’éto
6 aît plus propre à la réduire que le détour auquel a recouru Max Brod ; la biographie romanesque, l’approche vivante de la
7 ante de la personne même de Kafka dans ce qu’elle eut de quotidien et de très simplement communicable. Encore faut-il montr
8 étonnant, le plus profond qu’on puisse imaginer, aient le courage de le lui reprocher. La piété même que voue Max Brod à la
9 saire, le gage tout humain dont certains lecteurs ont besoin, pour se risquer à découvrir un génie tellement « étranger »…
10 e du larynx dont il mourut à Vienne en 1924. Il n’ avait publié de son vivant qu’un petit nombre de récits. Mais on trouva dan
11 mand par A. Vialatte. Deux autres récits de Kafka ont été publiés par la Nouvelle Revue française  : La Métamorphose et Le
2 1936, Articles divers (1936-1938). Forme et transformation, ou l’acte selon Kierkegaard (janvier 1936)
12 ion d’une possibilité nouvelle, sans précédent. Y a-t -il des actes ? L’homme d’aujourd’hui ne le croit pas. Il croit aux lo
13 se peut qu’il cesse d’être humain. Car l’homme n’ a d’existence proprement humaine que lorsqu’il participe à la transform
14 té, toutes les démonstrations savantes qu’on nous a faites depuis un siècle pour nous prouver que l’acte est impossible e
15 s frais l’évidence du désespoir : l’homme moderne a perdu « le chemin ». Je suis le chemin, la vérité et la vie, dit le
16 vérité, c’est connaître la vérité, et le Christ n’ aurait jamais connu la vérité s’il n’avait pas été la vérité ; et nul homme
17 le Christ n’aurait jamais connu la vérité s’il n’ avait pas été la vérité ; et nul homme ne connaît davantage de vérité qu’il
18 n’en incarne.3 Voici donc le mystère : s’il n’y a pas de chemin, nous ne pouvons marcher, mais si nous ne marchons pas,
19 ons marcher, mais si nous ne marchons pas, il n’y a pas de chemin. La foi au Christ nous permet seule de franchir ce cerc
20 té de l’acte est identique à sa nécessité. Il n’y a donc aucun acte possible, aucun acte vrai et vivant en dehors de la f
21 Paradoxe de l’incarnation, c’est croire que Dieu a revêtu la forme de ce monde, c’est croire donc que cette forme peut ê
22 nt ». Mais l’homme déchu de son origine éternelle a perdu la vision de sa fin. Le voici prisonnier des formes et des nomb
23 rité et leur vie dans ce monde ; ils meurent de l’ avoir dite, et n’ont pas d’autre tâche7. Le chemin est imprévisible ; le nô
24 dans ce monde ; ils meurent de l’avoir dite, et n’ ont pas d’autre tâche7. Le chemin est imprévisible ; le nôtre, disons-nou
25 té, cachée au plus secret du risque. 3. Nous n’ avons pas à suivre le chemin, mais bien à l’inventer à chaque pas Tant q
26 vivions dans l’obéissance et dans la foi, il n’y aurait ni passé ni futur, mais le Jour éternel de la présence à Dieu et à so
27 s successio sine fine, sed nunc stans. L’éternité a marché sur la terre : ainsi le Christ est le chemin. Mais nous avons
28 terre : ainsi le Christ est le chemin. Mais nous avons refusé l’éternel et nous lui préférons nos vies : c’est pourquoi nous
29 ie des temps qui viennent ; c’est pourquoi nous n’ avons plus d’être que par la foi, « substance des choses espérées », et c’e
30 ntinelle, que dis-tu de la nuit ? — La sentinelle a répondu : Le matin vient, et la nuit aussi ! Si vous voulez interroge
31 ait dire : sa patience. Car il se tient où Dieu l’ a mis, et ce n’est plus une dérive. Il vit dans la forme du monde, mais
32 ier, il ne sert de rien au héros ; car le héros n’ a connu son succès que lorsque tout était fini ; et ce n’est point par
33 doit vieillir, la tension de la mort et de la vie a mis des marques victorieuses. Qu’est-ce que la personne ? C’est la vi
34 il faut mourir : sans y croire. À vrai dire, nous avons toutes les raisons d’en douter, s’il est vrai que le doute est révolt
35 enfin de son moi, — mais il sait bien qu’il n’en a pas, ou que son moi est désespoir, c’est-à-dire qu’il n’y croit pas e
36 quement, et dès l’origine. C’est pourquoi l’homme a un visage et une vision, ce que n’ont pas les animaux ; c’est pourquo
37 rquoi l’homme a un visage et une vision, ce que n’ ont pas les animaux ; c’est pourquoi l’homme est héroïque. Il faut noter
38 noter ici un trait bien remarquable : Kierkegaard a très peu parlé de vocation18. C’est qu’il parle sa vocation et ne s’e
39 ngue jamais. Cependant il est hors de doute qu’il eut conscience de cet aspect particulier de son destin qui qualifie préci
40 ne croit pas à l’acte et il meurt au hasard, sans avoir rencontré personne ni soi-même20. Il vit dans la forme du monde : et
41 urt jamais par surprise : et ce n’est point qu’il ait connu le jour et l’heure, mais il connaît l’instant, s’il vit de Paro
42 remier chef, et non pas hindoue, comme certains l’ ont voulu croire. Chez les hindous, elle n’est encore qu’une forme de l’a
43 ève et tombe avec sa mission » (Karl Barth). Il n’ a pas de biographie. Rien ne serait plus ridicule que de tenter de fair
44 1. 12. Lorsque Schopenhauer écrit : « Le temps n’ a pas son origine dans les choses, mais dans le sujet connaissant », no
45 is, répondit avec une pertinence géniale : « Je n’ ai jamais rencontré personne ». 21. Crainte et tremblement. c. Rouge
3 1936, Articles divers (1936-1938). Décadence des lieux communs (décembre 1936)
46 eu et je ne sais même pas s’ils savent qu’il y en a une. Alice au Pays des Merveilles On peut penser que notre langue es
47 ues, que de théories politiques. Ainsi les mots n’ ont plus le même sens pour les intellectuels et pour la masse — cela s’es
48 masse — cela s’est vu en d’autres siècles. Ils n’ ont plus le même sens pour les divers partis intellectuels — c’est plus n
49 ectuels — c’est plus nouveau. Mais surtout, ils n’ ont plus un sens auquel on puisse se référer et qui fixe vraiment l’usage
50 sol pour former des arceaux vivants. Quand Alice avait réussi à mettre en boule son hérisson, et se préparait à le frapper a
51 ait d’un air d’ahurissement profond. Quand elle l’ avait remis en position, c’était le hérisson qui se déroulait et courait da
52 e se soucie de les mettre à exécution25. « Vous n’ avez pas idée, conclut Alice, combien c’est affolant de jouer avec des cho
53 ilement le parti, si seulement chacun de ces mots avait le même sens pour tout le monde. Ou, parmi plusieurs sens variés, un
54 resse parfois l’un contre l’autre deux hommes qui auraient dû « s’entendre » et s’allier : c’est que pour l’un, esprit signifie
55 dois passer se promène à l’autre bout du jeu et j’ aurais dû croquer le hérisson de la Reine s’il ne s’était mis à courir juste
56 ’une part la somme des échanges écrits ou verbaux a crû depuis la Renaissance dans des proportions formidables. D’autre p
57 ce, et qui pourrait servir de norme ou de repère, a tout au plus triplé, et c’est sans doute encore trop dire. Racine ava
58 plé, et c’est sans doute encore trop dire. Racine avait un millier d’auditeurs ; Valéry, Claudel, Gide, Péguy n’ont guère eu
59 lier d’auditeurs ; Valéry, Claudel, Gide, Péguy n’ ont guère eu davantage de lecteurs durant la période de leur vie ou parai
60 iteurs ; Valéry, Claudel, Gide, Péguy n’ont guère eu davantage de lecteurs durant la période de leur vie ou paraissaient l
61 ontrôle pas, ne forme pas, n’atteint même pas. On a dit que cette « seconde zone culturelle » préparait peu à peu un publ
62 délicatesse d’appel. Et les bons écrivains, qui n’ ont pas d’autres armes, se voient privés de tous moyens d’agir. Leurs cou
63 pour eux que tromper un besoin d’expression qui n’ a plus de mission réelle. C’est un jeu formel et précis, dont ils sont
64 tôt jugée vulgaire. ⁂ La civilisation occidentale aurait -elle donc des fins dernières à quoi elle tend ? Quand le peuple d’Isr
65 cité modernes. Tous les hommes de ce temps, s’ils ont quelque conscience, souffrent obscurément de leur séparation. Ils son
66 innommée et panique partout où l’amitié humaine n’ a jamais rien noué, rien engagé, rien sacrifié, là où elle n’a pas même
67 en noué, rien engagé, rien sacrifié, là où elle n’ a pas même laissé les traces d’une coutume ancestrale : dans les villes
68 vain, et sans le savoir, dans la cité qu’on nous a faite. C’est une faim, une soif, une nostalgie que tous nos gestes, à
69 issent. Mais quelqu’un s’en est aperçu. Quelqu’un a formé le projet de tromper cette faim et cette soif. Au païen ignoran
70  : déjà, on leur fait des musées. Ou pire : ils n’ ont jamais été vivants pour cette génération sans but. On nous en donnera
71 humaine ? Et si la propagande et la publicité qui ont pris la place des lieux communs spirituels et effectifs ne nous ordon
4 1937, Articles divers (1936-1938). Changer la vie ou changer l’homme ? (1937)
72 en URSS par exemple. Constatez, comme beaucoup l’ ont fait (qui sont sans aucun doute les plus honnêtes), que la dictature
73 us apprendrez qu’elle fut inventée par Hegel, qui eut le tort de la fonder sur l’Esprit, ce qui était proprement la poser s
74 ent la poser sur la tête : que le génie de Marx l’ a remise sur ses pieds en la fondant sur la matière économique ; qu’ain
75 sur la matière économique ; qu’ainsi lestée, elle a pu se mettre en marche et agir au niveau du réel ; que son but primit
76 ire l’État au profit de l’homme concret, non sans avoir d’abord renforcé cet État jusqu’à l’extrême qu’on nomme dictature ; e
77 des nécessités pratiques et contingentes, et je n’ ai pas à porter, ici, un jugement d’allure politique. Mais ce qui est gr
78 nt-ils que cette méthode figure aux yeux de qui n’ a pas leur « foi », nécessairement, un simple opportunisme ? Que sert a
79 d’abord ? Le marxiste, tout comme le chrétien, a reconnu que l’homme n’existe pas isolément, qu’il est un être « en re
80 tien, le marxiste croit que la société présente n’ a pas le droit de déterminer le tout de l’homme, et ne le peut pas. Car
81 e Marx sur Feuerbach affirme : Les philosophes n’ ont fait jusqu’ici qu’interpréter diversement le monde ; or il s’agit mai
82 e lui. C’était une « affaire privée » ; et Marx n’ a fait que le constater. Elle n’empêchait nullement de faire des affair
83 sait cet établissement même, et non plus ce qui l’ eût jugé. Marx ne perd pas son temps à dénoncer l’erreur qui est à la bas
84 re matériel pour que le contenu se transforme ? N’ a-t -on pas démontré déjà que la culture, par exemple, n’est qu’un « refle
85 être responsables de ce que parfois nos disciples ont insisté plus qu’il ne convenait sur les facteurs économiques. Nous ét
86 ition à nos adversaires qui le niaient, et nous n’ eûmes pas toujours le temps ni l’occasion de rendre justice aux autres fact
87 rialisme vulgaire, celui que la presse bourgeoise a si beau jeu d’attaquer aujourd’hui — encore qu’elle le pratique elle-
88 s de sa cause. Ce matérialisme vulgaire, que Marx avait tout d’abord combattu48, est devenu, après lui, un mensonge absolu ex
89 Marx vient lui expliquer en 15 volumes — dont on a fait des résumés — qu’il a raison de croire cela. Bien plus, Marx vie
90 n 15 volumes — dont on a fait des résumés — qu’il a raison de croire cela. Bien plus, Marx vient lui démontrer que ceux q
91 le bonheur, sont simplement des exploiteurs, qui ont l’argent et qui veulent le garder — justement parce qu’il fait leur b
92 ent parce qu’il fait leur bonheur ! Alors, il n’y a plus qu’une seule voie : instituons le plan quinquennal, créons une i
93 ce pas là ce que voulait Marx ? Résumons : Marx n’ a pas voulu le matérialisme vulgaire. Mais les nécessités de la polémiq
94 l’homme concret, purement social, d’autre part, l’ ont amené à mettre l’accent sur les facteurs matérialistes. C’est cet acc
95 atérialistes. C’est cet accent que « les masses » ont senti, parce que tout les y prédisposait. Le résultat, c’est l’URSS d
96 i il diffère du fascisme, dans ce que le fascisme a de plus oppressif pour l’homme et pour sa liberté. L’attitude chré
97 totale. (Je dirais bien totalitaire, si le mot n’ avait été pareillement perverti par les caricatures séculières de la révolu
98 le Royaume de Dieu, le Réconciliateur ; et qu’il a pour mission actuelle d’obéir à une Parole qui est Jésus-Christ, le M
99 iateur. Mais cette Parole juge « le monde » qui l’ a rejetée. Elle ne sauve que ceux d’entre les hommes qui refusent total
100 nelle que l’on nomme la conversion, le chrétien n’ ait plus qu’à attendre, et à subir en gémissant les lois d’un monde qu’il
101 Car alors, où serait son refus ? Et quelle preuve aurions -nous de sa transformation ? Une mauvaise humeur résignée ? Une simple
102 homme nouveau, selon l’Évangile, est un homme qui a changé de sens. Il est orienté autrement, comme l’indique le mot conv
103 ar la faute de l’homme, qui était son roi, et qui a trahi. Et tout péché individuel répète et aggrave cette faute. Ainsi 
104 li. J’agirai par reconnaissance envers Dieu qui m’ a transformé. Si je n’avais pas cette reconnaissance, ce serait que j’i
105 naissance envers Dieu qui m’a transformé. Si je n’ avais pas cette reconnaissance, ce serait que j’ignore mon salut. Mais si j
106 ira-t-on ; mais pouvait-elle être évitée ? Marx n’ avait -il pas dit qu’il fallait commencer par changer l’ordre matériel, l’or
107 ine et au cynisme des conservateurs. Saint Paul n’ a pas cette tragique naïveté. Il ne se fâche pas contre l’Empire romain
108 ent le bon sens, et le marxisme. Mais si l’Apôtre avait placé la lutte sur ce terrain que l’on dit réaliste, à supposer que l
109 it réaliste, à supposer que le « parti chrétien » eût triomphé, rien ne l’eût empêché de subir le sort fatal des révoltes p
110 que le « parti chrétien » eût triomphé, rien ne l’ eût empêché de subir le sort fatal des révoltes politiques : il eût revêt
111 subir le sort fatal des révoltes politiques : il eût revêtu les formes du pouvoir déposé51 et renvoyant à des temps plus p
112 foi dans l’histoire de notre Occident52. Si je n’ ai pas votre foi, je ne les vois pas. Je vois une Église établie, opprim
113 la grande masse des travailleurs. Si le marxisme a provoqué parmi les « exploités » un tel soulèvement d’espérances, de
114 monde tel qu’il va. On dira : c’est d’abord qu’il a su rejeter sur l’oppression capitaliste, trop réelle, tout le malheur
115 ’« esprit » ou l’« intérieur ». Or si le marxisme a réussi cela, s’il a pu paraître cela, c’est dans la mesure où le chri
116 ntérieur ». Or si le marxisme a réussi cela, s’il a pu paraître cela, c’est dans la mesure où le christianisme, aux yeux
117 esure où le christianisme, aux yeux des masses, n’ a plus osé se montrer chrétien. C’est que le sel a perdu sa saveur, et
118 ’a plus osé se montrer chrétien. C’est que le sel a perdu sa saveur, et son amertume salutaire. C’est que la seule espéra
119 st que la seule espérance véritable et certaine n’ a plus été prêchée au monde avec une force d’attaque assez gênante et b
120 devenu le gardien des conformismes, ou du moins n’ a pas su, par excès de prudence, empêcher que les foules le considèrent
121 oi, dit Luther, est ‟une chose inquiète”, on ne l’ a pas impunément, et si on l’a, cela se voit, des choses changent. Ce q
122 e inquiète”, on ne l’a pas impunément, et si on l’ a , cela se voit, des choses changent. Ce que tu me reproches, c’est, en
123 ysiques et spirituelles de l’homme en ce qu’elles ont d’irréductibles à toute détermination sociale ou historique imaginabl
124 du vrai chrétien et celle du communiste militant, ont tenté la synthèse pratique des deux croyances, qu’ils estimaient comp
125 tc.55 Et je ne vois pas que le chrétien comme tel ait des lumières particulières sur ces sujets, qui exigent un savoir tech
126 sur un fait qui n’est pas accompli, l’histoire n’ ayant jamais connu de réalisation de communisme. Ainsi, des deux, c’est le
127 n moins radicale et urgente. Le chrétien converti a déjà l’essentiel : par là même, il se voit contraint à chaque instant
128 ompare ce mieux-être relatif au don parfait qu’il a reçu en Christ. Il possède en lui-même la mesure d’une perpétuelle tr
129 que sa fin. Tout autre est le cas du marxiste. N’ ayant pas derrière lui de modèle accompli, ni en lui de Présence souveraine
130 « faute » personnelle et actuelle, puisqu’il n’y a pas de salut présent ni éternel, puisque le salut n’est pas pour eux
131 cendants de leurs descendants ? C’est ainsi qu’on a vu Zinoviev, par « fidélité » au Parti, c’est-à-dire à l’avenir du Pa
132 Mais je demande à ces chrétiens « changés » s’ils ont un souci suffisant des suites sociales et politiques qu’implique en f
133 ens ne forment plus des groupuscules obscurs, ils ont constitué des églises visibles (et même parfois trop visibles), organ
134 uffira-t-il dès lors de se laisser persécuter ? N’ avons -nous rien à faire qu’à subir le martyre ? Ou qu’à revêtir vis-à-vis d
135 ’État une attitude d’objecteurs de conscience ? N’ avons -nous rien que nous-mêmes à sauver, alors que nos erreurs passées sont
136 utenir, s’il ne veut pas rester l’objecteur que j’ ai dit ? Un protestant, et je précise : un calviniste, doit être ici en
137 poque où la passion totalitaire des gouvernants n’ avait pas encore pu s’affirmer comme elle le fit sous Louis XIV, nous const
138 éraliste de l’Église, et même de l’État. Calvin n’ a pas fondé, comme le répètent tous les manuels, une société théocratiq
139 s aujourd’hui : nulle part l’esprit totalitaire n’ a trouvé moins de complicité et plus de résistance déclarée que dans le
140 hrétien, à quelque église qu’il appartienne. Nous avons tous reçu de Dieu un appel strictement personnel, un « charisme » don
141 . Ne fût-ce que pour cette seule raison — et j’en ai mentionné plusieurs autres —, un chrétien ne peut pas approuver, comm
142 ntier la panique des capitalismes. Cette croisade a pour vraie devise : dividendes d’abord ! Mais elle entend utiliser le
143 est « tout en tous ». Si les églises chrétiennes ont à souffrir demain par le fait d’un État tyrannique, il faut qu’elles
144 r. La tragédie de Marx et du marxisme, c’est de n’ avoir pas su, ou pas pu opposer au mensonge spiritualiste, la vérité du spi
145 nge spiritualiste, la vérité du spirituel. Nous n’ avons pas à nous dresser contre la « vérité » déviée de Marx, contre une vé
146 ous devons proclamer la vérité parfaite dont nous avons , nous les premiers, dévié. « Malheur à moi si je n’évangélise ! », di
147 des autres » (Rom., 12, 5). D’autre part, Marx n’ a pas cessé de critiquer l’« individu isolé et abstrait » (Thèses sur F
148 n’est pas la foi (Jacq., 2, 26). Et Luther même n’ a jamais dit autre chose, contrairement aux affirmations de polémistes
149 corps social. Je n’oublie pas que la même époque a vu le grand réveil piétiste. 47. « L’armée de la critique ne peut év
150 veut, que l’Église s’adresse à elle-même, et qui a pour fonction de corriger sans cesse, de rectifier le message annoncé
151 ondaire. » Et Henri de Man : « Je crois qu’il n’y a jamais eu de tentative révolutionnaire qui n’ait été d’origine chréti
152 » Et Henri de Man : « Je crois qu’il n’y a jamais eu de tentative révolutionnaire qui n’ait été d’origine chrétienne. S’il
153 ’y a jamais eu de tentative révolutionnaire qui n’ ait été d’origine chrétienne. S’il n’y a pas de socialisme en Asie, cela
154 aire qui n’ait été d’origine chrétienne. S’il n’y a pas de socialisme en Asie, cela tient à l’absence du christianisme. »
155 de de Man, que le mouvement syndicaliste au Japon a été fondé par un chrétien, Kagawa. 53. Je ne dis pas « les condition
156 nditions physiques et spirituelles en ce qu’elles ont de permanent », car alors, le marxiste me ferait observer que des fac
157 f. Student World, automne 1933.) 55. Telle que l’ ont opérée par exemple un Werner Sombart, un de Man, et en France, le gro
158 n d’échange chez Marx.) 56. « Les pharisiens lui ayant demandé quand viendrait le Royaume de Dieu, Jésus leur répondit : Le
159 activités, celles-là précisément dont le marxisme a dû faire sa spécialité, en vertu de notre carence : la politique, nos
160 61. Le rédacteur de cette « discipline » paraît avoir été le pasteur Antoine de Chandieu, mais l’intervention personnelle d
5 1937, Articles divers (1936-1938). Vocation et destin d’Israël (1937)
161 Sens de « l’histoire » d’Israël Un prophète, a écrit Karl Barth, est un homme sans biographie. « Er steht und fallt
162 dire très courante en allemand et qui sans doute a perdu sa vertu pour une oreille habituée : « Il se lève et il tombe a
163 n. » Nous ne savons rien du reste de sa vie, et n’ avons nul besoin d’en rien connaître pour reconnaître la portée de son mess
164 ssage puisque c’est le message de Dieu. Jérémie n’ eût été qu’un berger bègue si l’Éternel n’avait parlé par lui. Voici qui
165 rémie n’eût été qu’un berger bègue si l’Éternel n’ avait parlé par lui. Voici qui est digne de remarque : le seul détail préci
166 réparer. On peut le dire sans paradoxe : Israël n’ eût pas eu d’histoire sans la promesse que Dieu fit à Abraham. Cette trib
167 On peut le dire sans paradoxe : Israël n’eût pas eu d’histoire sans la promesse que Dieu fit à Abraham. Cette tribu « se
168 le jamais vu, ce qu’aucun autre peuple au monde n’ a jamais pu seulement imaginer, ce qui ne répond à nul besoin historiqu
169 e facile nous permet de l’imaginer : l’histoire n’ a pas la plus petite raison de supposer que le peuple d’Israël, s’il n’
170 raison de supposer que le peuple d’Israël, s’il n’ avait pas été « élu », eût évolué d’une autre sorte que tant de tribus d’Ar
171 le peuple d’Israël, s’il n’avait pas été « élu », eût évolué d’une autre sorte que tant de tribus d’Arabie qui nous offrent
172 in monotone, exceptionnellement conservateur, qui a pesé jusqu’à nos jours sur les habitants du désert. Désignée entre mi
173 de même cette vocation et la foi qu’elle implique ont un symbole, unique et univoque : l’Arche de l’Alliance présente au se
174 . Condamnant au nom de la Loi celui-là même qui l’ avait donnée, tuant en Jésus-Christ au nom de la lettre, celui dont cette l
175 ur (Moïse), écrit-il dans sa Réponse à Appion 67, a été le seul dont les actions et les paroles ont été conformes. » Car
176 67, a été le seul dont les actions et les paroles ont été conformes. » Car il n’a pas seulement formulé des lois justes, co
177 ions et les paroles ont été conformes. » Car il n’ a pas seulement formulé des lois justes, complètes et très détaillées,
178 ois justes, complètes et très détaillées, mais il a veillé à ce qu’elles fussent connues de tous. Cette connaissance pro
179 able de la faire naître et de l’entretenir, que d’ avoir les mêmes sentiments de la grandeur de Dieu, et d’être élevés dans un
180 e de notre vie, et que toutes nos actions doivent avoir pour objet de plaire à Dieu. Une culture pauvre, mais fidèle U
181 que « la seule chose nécessaire ? » L’homme qui a une vocation n’est pas bon à autre chose. Israël portait dans son sei
182 « pauvreté » philosophique — mais quand un peuple a des prophètes, a-t-il besoin de philosophes ? — est ainsi l’aspect né
183 osophique — mais quand un peuple a des prophètes, a-t -il besoin de philosophes ? — est ainsi l’aspect négatif d’une splende
184 prophétiques, parmi tous les chants de la terre, ont réellement rythmé l’action et vérifié l’étymologie grecque de poésie,
185 ela condamne toute espèce d’art plastique. « Tu n’ auras pas d’autres dieux devant ma face » — cela condamne la mythologie et
186 t les moyens les plus élémentaires que les hommes ont de commercer : l’écriture, la parole et l’action, — la tradition, la
187 r la possession de ce que notre Occident lui-même a défini comme le bien souverain : l’harmonie dans le dynamisme, le Sen
188 nos ancêtres, parce que c’est une preuve qu’elles ont été parfaitement bien établies, puisqu’il n’y a que celles qui n’ont
189 ont été parfaitement bien établies, puisqu’il n’y a que celles qui n’ont pas cet avantage que l’on soit obligé de changer
190 t bien établies, puisqu’il n’y a que celles qui n’ ont pas cet avantage que l’on soit obligé de changer, lorsque l’expérienc
191 ous ne doutons point que ce ne soit Dieu qui nous a donné ces lois par l’entremise de Moïse, pourrions-nous, sans impiété
192 e promesse, enfin, s’est incarnée. Et les juifs l’ ont méconnue prenant prétexte de la Loi, cette « ombre des biens à venir.
193 t elle l’est d’une double manière : parce qu’elle a abouti — le Messie est venu — et parce qu’elle a perdu son sens en co
194 a abouti — le Messie est venu — et parce qu’elle a perdu son sens en condamnant celui qu’elle annonçait. Christ apporte
195 s idolâtres. Voilà pourquoi le peuple juif, qui n’ a pas cru à sa victoire, et qui repousse la nouvelle mesure, c’est-à-di
196 ourci le double héritage que l’Église et l’Europe ont repris des mains d’Israël : héritage divin de l’« élection collective
197 les métamorphoses des dieux païens. Si bien qu’on a pu dire75 que l’Ancien Testament était la vraie Antiquité des peuples
198  peuple élu » Le simple fait que le calvinisme ait été dès le début une église minoritaire, en butte à la persécution, n
199 u église. En vertu de cette « élection » dont ils ont l’assurance d’être l’objet, par une grâce périlleuse, et dans la foi,
200 n d’une intendance des biens terrestres, dont ils auraient à assumer l’office : usant de ces richesses « comme n’en usant pas »,
201 xviie siècle. Max Weber, dans une thèse célèbre, a soutenu que c’était là l’origine du capitalisme moderne et de ses pri
202 on pas même Marx, quoi qu’on en pense souvent — n’ a su définir clairement. Mais je retiens que l’une et l’autre hypothèse
203 droite chez les auteurs d’origine juive, mais qui ont cessé de croire à la mission de leur peuple, et qui exercent désormai
204 de l’Église. Or, Israël qui était le peuple élu, a trahi sa mission et s’est livré à son destin. Sa dispersion en est le
205 dernier d’Israël. « Je demande maintenant : Dieu a-t -il rejeté son peuple ? Non certes, car je suis moi-même israélite, de
206 térité d’Abraham, de la tribu de Benjamin. Dieu n’ a point rejeté son peuple qu’il a connu d’avance » (c’est-à-dire prédes
207 Benjamin. Dieu n’a point rejeté son peuple qu’il a connu d’avance » (c’est-à-dire prédestiné) (Rom., II, 1-2). Cependant
208 rédestiné) (Rom., II, 1-2). Cependant, « Israël n’ a point obtenu ce qu’il cherche : mais les élus l’ont obtenu et les aut
209 a point obtenu ce qu’il cherche : mais les élus l’ ont obtenu et les autres ont été endurcis » (v. 7). Ainsi, « c’est par su
210 herche : mais les élus l’ont obtenu et les autres ont été endurcis » (v. 7). Ainsi, « c’est par suite de la faute des enfan
211 lation » (v. 11). En tuant leur Messie, les Juifs ont forcé les Apôtres à prêcher le message aux gentils, ils ont perdu le
212 les Apôtres à prêcher le message aux gentils, ils ont perdu le bénéfice national, comme exclusif, de la Révélation. Mais c’
213 t des rôles au dernier jour : « Or, si leur faute a fait la richesse du monde, et leur amoindrissement la richesse des pa
214 humanité entière le bénéfice de la Promesse qu’il a reçue, cependant que son destin final demeure entre les mains du plus
215 entiments « ambivalents », comme dirait Freud, qu’ ont eus de tout temps les chrétiens à l’égard du peuple d’Israël. Tout dé
216 ments « ambivalents », comme dirait Freud, qu’ont eus de tout temps les chrétiens à l’égard du peuple d’Israël. Tout dépend
217 Ce n’est pas au nom d’intérêts passagers que nous avons à prendre position, mais au nom des promesses de la foi, et dans une
218 quels biens se préoccupe le croyant ? Leur faute a fait la richesse du monde. Et cette richesse s’appelle le salut. 6
219 acrificateurs. « Et ils n’en épousaient point qui aient été captives, de peur qu’elles n’aient eu quelque commerce avec des é
220 point qui aient été captives, de peur qu’elles n’ aient eu quelque commerce avec des étrangers. Peut-il y avoir rien de plus
221 qui aient été captives, de peur qu’elles n’aient eu quelque commerce avec des étrangers. Peut-il y avoir rien de plus exa
222 mune mesure pour toute culture ou civilisation, j’ ai donné de plus amples précisions dans un volume intitulé Penser avec
223 de pouvoir donner ci-après un développement qui n’ avait pas sa place dans mon livre. 66. La rédaction des livres mosaïques e
224 ent le plus finaliste de la religion d’Israël qui aurait donné au peuple l’expression légale de sa commune mesure : le Décalog
225 chef hébreu — celui que la Bible appelle Moïse — aurait bel et bien donné les rudiments de la Loi au peuple juif dès la sorti
226 e primitive. 72. Abraham déjà, et les prophètes, ont vu « le jour du Seigneur ». Saint Paul et l’auteur de l’Épître aux Hé
227 , des Prophètes après le Christ. Ainsi la Bible n’ a pas d’autre sens que de désigner l’Incarnation qui est son centre, au
228 étant plus totale, se veut encore totalitaire, on a l’État-nation-Police de type fasciste ou stalinien. Bien entendu, il
229 e toute vocation, mais de celle par laquelle Dieu a adopté en son alliance la postérité d’Abraham : vu que le propos étai
6 1937, Articles divers (1936-1938). Luther, Traité du serf arbitre (1937)
230 t même que de le méconnaître : on prétend, sans l’ avoir jamais lu, savoir qui il fut, qui il est. Certains ont parcouru les P
231 amais lu, savoir qui il fut, qui il est. Certains ont parcouru les Propos de table, présentés au public français comme un o
232 race allemande contre la civilisation romaine. On a poussé la bouffonnerie jusqu’à cet excès grandiose d’assimiler Luther
233 : « En somme, qu’est-ce que Luther ? Un moine qui a voulu se marier. » J’extrais cette déclaration du livre d’un critique
234 stes français qui, au niveau de la haute culture, ont largement sauvé l’honneur de leur pays. Je pense aux ouvrages publiés
235 ohl, J. Vignaud et Lucien Febvre et aux cours, qu’ ont professés MM. Jean Baruzi et E. Gilson, pour ne rien dire — mais cela
236 grande tension spirituelle dans laquelle l’Europe a puisé son dynamisme créateur. Tension dont le débat du libre arbitre,
237 tenant, crois-tu cela ? » — Si tu le crois, si tu as reçu la foi, il n’est plus rien de « difficile » dans les assertions
238 parfois même prêchés. Le laïcisme moraliste n’en a pas du tout le monopole : tout catholique se doit, en bonne logique,
239 rotestants qui jugent encore que Calvin et Luther ont fait leur temps — que dire de Paul, bien plus ancien — tous ceux qui
240 bre arbitre religieux, c’est-à-dire le pouvoir qu’ aurait l’homme de contribuer à son salut par ses efforts et ses œuvres moral
241 Une conscience moderne. — Selon Luther, nous n’ avons aucune liberté, car en réalité, Dieu a tout prévu, et rien n’arrive q
242 nous n’avons aucune liberté, car en réalité, Dieu a tout prévu, et rien n’arrive que selon sa prévision. Luther ne pose p
243 Nous refusons de jouer si, d’avance, le vainqueur a été désigné par un arbitre qui ne tient pas compte de nos exploits !
244 ais-tu seulement les vraies règles du jeu ? Qui t’ a fait croire que ta vie était une partie à jouer entre toi et le monde
245 vidu et le Sort, cette idole païenne ? C. M. — J’ ai besoin de le croire pour agir. L. — Mais qu’est-ce qu’agir ? Est-ce
246 tter contre de telles forces, une fois que je les ai reconnues ; à m’affirmer dans mon autonomie par un acte qui crée ma l
247 dirai : moi. Dussè-je tuer Dieu, comme Nietzsche a proclamé qu’il avait fait. L. — Comment le temps tuerait-il l’Éterne
248 sè-je tuer Dieu, comme Nietzsche a proclamé qu’il avait fait. L. — Comment le temps tuerait-il l’Éternel ? Comment la chair
249 prédestina ! Quand le croyant, qui sait que Dieu a tout prévu éternellement, adresse à Dieu, au nom de sa promesse, une
250 Éternel est vivant », croire que sa volonté — qui a tout prévu — peut aussi tout changer en un instant aux yeux de l’homm
251 ux de l’homme, sans que rien soit changé de ce qu’ a décidé Dieu, de ce qu’il décide ou de ce qu’il décidera ? Car l’Étern
252 er que seul existe notre temps. Dans ce cas, tu n’ as rien prouvé. L. — On ne prouve rien de ce qui est essentiel ; on l’a
253 conduire qu’au seuil de cette décision. Et nous n’ aurons pas dialogué en vain, si nous avons pu dégager l’alternative du libre
254 n. Et nous n’aurons pas dialogué en vain, si nous avons pu dégager l’alternative du libre arbitre, telle qu’elle se pose dans
255 est l’Éternel qui commande — ou c’est moi. Il n’y a pas là de difficultés intellectuelles. Il n’y a que la résistance ach
256 y a pas là de difficultés intellectuelles. Il n’y a que la résistance acharnée du « vieil homme », et les prétextes toujo
257 le chrétien, la vérité d’un paradoxe que Luther n’ a pas inventé, mais qui est au cœur même de l’Évangile. L’apôtre Paul l
258 i est au cœur même de l’Évangile. L’apôtre Paul l’ a formulé avant toute « tradition ecclésiastique » ; et tous les Pères
259 ait tout que nous devons agir, selon qu’il nous l’ a commandé. C’est parce que Dieu a tout prévu que nous avons en lui, et
260 lon qu’il nous l’a commandé. C’est parce que Dieu a tout prévu que nous avons en lui, et en lui seul, la liberté. Mais ce
261 mandé. C’est parce que Dieu a tout prévu que nous avons en lui, et en lui seul, la liberté. Mais cela n’apparaît qu’à celui q
262 », au risque d’« évacuer la Croix ». Tant qu’on n’ a pas envisagé la doctrine de la pure grâce jusque dans son sérieux der
263  »34 dans les choses du salut. Mais que le Christ ait dû mourir — cet acte extrême — pour nous sauver, fait voir que nous n
264 extrême — pour nous sauver, fait voir que nous n’ avons aucune liberté, par nous-mêmes, dans notre péché. Et à l’inverse, il
265 d de la connaissance du péché pour voir qu’il n’y a de liberté possible que dans la grâce que Dieu nous fait. Toute l’arg
266 our le théologien. Et tout est clair lorsque l’on a compris que Luther ne nie pas du tout notre faculté de vouloir, mais
267 — et l’Évangile — posent à notre foi. C’est qu’il a poussé comme Luther, jusqu’aux extrêmes limites de l’homme, jusqu’aux
268 treint, dès lors que « Dieu est mort » ou qu’il l’ a « tué », il imagine le Retour éternel. Et comme ce Retour éternel par
7 1937, Articles divers (1936-1938). L’Acte comme point de départ (1936-1937)
269 L’Acte comme point de départ (1936-1937) a b Nous partons de l’impression qu’il existe, entre certains systèm
270 ssion qu’il existe, entre certains systèmes qu’on a coutume d’opposer très nettement les uns aux autres, un commun dénomi
271 re constructive. Les quelques pages qui suivent n’ ont d’autre but que d’en indiquer le principe de permanente actualité. C’
272 e qui nous semble absurde. Il semble que l’esprit ait proclamé, lui aussi, son autarchie, et qu’il puisse se donner des loi
273 e quoi il s’agit ? Nous allons être obligés ici d’ avoir recours à une méthode rigoureusement indirecte, et en quelque sorte n
274 en quelque sorte négative. Car, en vérité, il n’y a pas pour nous de problème de l’acte mais il y a problème de ce qui s’
275 ui s’oppose à l’acte. (En d’autres termes, il n’y a pas de problème de la personne, mais bien des « choses », de l’impers
276 appuie sur une donnée de ce type, sur un de ces «  a priori de fait », comme dirait Heidegger. Toute tentative de définiti
277 La réflexion sur l’acte ne pouvant intervenir qu’ a posteriori, elle n’est, en réalité, qu’une réflexion sur les effets d
278 définir le saut, il ne sautera pas. Tous ceux qui ont pratiqué un minimum de culture physique connaissent ce genre d’échec.
279 philosophique. Personne, mieux que Kierkegaard, n’ a su montrer cette complicité essentielle, et d’apparence scandaleuse,
280 à l’éclair bouleversant d’un nouvel acte. Il n’y a eu d’acte que dans le présent, dans l’instant créateur, dans ce conta
281 l’éclair bouleversant d’un nouvel acte. Il n’y a eu d’acte que dans le présent, dans l’instant créateur, dans ce contact
282 rien dire des réactions psychologiques à l’acte «  as it’s known as », réactions qui, elles, se manifestent dans une certai
283 réactions psychologiques à l’acte « as it’s known as  », réactions qui, elles, se manifestent dans une certaine durée de vi
284 une autonomie de la raison critique. Division qui a pour effet, généralement, de volatiliser les points d’application de
285 — dans ses effets immédiats. Car nous croyons en avoir assez dit pour pouvoir affirmer qu’il n’y a pas de transition entre l
286 n avoir assez dit pour pouvoir affirmer qu’il n’y a pas de transition entre l’acte et ses effets. C’est l’acte lui-même q
287 tion ». On pourrait dire, paradoxalement : il n’y a de transition que par l’acte, mais l’acte est le contraire d’une tran
288 mot de violence (voir à cet égard Sorel). Il n’y a pas d’évolution créatrice sans révolution. L’acte sera donc agonique.
289 dynamique, la distinction esprit-matière que nous avions écartée tout d’abord. L’acte créateur sépare la lumière des ténèbres.
290 , c’est-à-dire qu’il ne serait pas acte. L’acte n’ a qu’un point d’application, le chaos, la discorde, le non-être, ou ce
291 ce qu’il y a de plus actuel ·dans l’acte. Ce qui a pu tromper sur ce point, c’est précisément que, la pensée étant la pl
292 identité et de la réalité, voir Meyerson). Il n’y a de paradoxe épistémologique que pour qui refuse d’aborder le problème
293 elle-même prolongée par la rationalisation. Nous avons là un exemple saisissant de la progression par dichotomie. Progressio
294 rime tout pour nous, mais constitue, comme nous l’ avons dit, le point de départ nécessaire, la supra-rationalité la plus favo
295 ances. Entre les deux pôles de la tension, il n’y a ni identité, ni égalité, justement parce que l’un d’entre eux attache
296 M. Lévy-Bruhl, notamment dans la conférence qu’il a faite à Oxford, le 19 mai 1931, il le passe chaque fois qu’il pense,
297 autant plus nécessaire que de même que la science a longtemps refusé de faire entrer dans ses constructions le principe d
298 constructions le principe de Carnot, et qu’elle n’ a accepté l’irréversibilité qu’il recèle, que pour en tourner l’irratio
299 statistique, de même la méthode sociologique qui a conduit à la découverte de la véritable nature de la mentalité prélog
300 probabilité essentielle. Paradoxe que M. Meyerson a décrit sous le nom de paradoxe épistémologique. » (Arnaud Dandieu).
301 e paradoxe épistémologique. » (Arnaud Dandieu). a . Rougemont Denis de, « L’Acte comme point de départ », Recherches ph
8 1937, Articles divers (1936-1938). Formons des Clubs de presse (30 janvier 1937)
302 rand tirage, publicité, centralisation, etc.) qui ont fait le succès de la presse moderne, qui font aujourd’hui son servage
303 entral d’informations » qui rédige le bulletin, n’ a pas seulement à sa disposition les renseignements que lui fournissent
304 le campagne et aussi de tel silence. Cette partie a pour but de donner aux adhérents, des moyens de comprendre et de redr
305 rt une première garantie dans les groupements qui ont pris l’initiative de la création et du fonctionnement des clubs de pr
306 nt précis et limité, celui de l’information, nous avons pensé que nous devions collaborer avec des camarades venant d’autres
307 de la pensée par le papier, le film et la radio n’ a jamais été si grande, nous sommes obligés de revenir à une forme anti
9 1937, Articles divers (1936-1938). À qui la liberté ? (5 mars 1937)
308 erez bientôt pour fasciste. On dit que les mots n’ ont plus de sens. Ce serait trop beau, ce serait trop facile, ce serait e
309 atrie, autorité et liberté à gauche. La politique a prostitué le langage. La culture n’a pas été assez forte pour interdi
310 La politique a prostitué le langage. La culture n’ a pas été assez forte pour interdire cette prostitution. Il en résulte
311 ruinée par la politique. Et que la politique, qui a tourné en mystique, parle pour ne rien dire ou pour dire autre chose
312 i par hasard on est de bonne foi et si de plus on a des choses précises à exprimer. Je réponds : écrivons pour poser ce p
10 1937, Articles divers (1936-1938). Romanciers publicitaires ou la contagion romanesque (13 mars 1937)
313 trois personnages, genre français par excellence, a provoqués et justifiés dans toutes les sous-préfectures. Ce pouvoir c
314 cette manière intime et souterraine, tant qu’ils ont quelque chose à dire. Mais nos romanciers d’après-guerre, qu’ont-ils
315 se à dire. Mais nos romanciers d’après-guerre, qu’ ont -ils à dire ? Dans quel sens entendent-ils agir sur les mœurs de leurs
316 thèse. Ils se défendent de toutes leurs forces d’ avoir une métaphysique, une idéologie déterminée, des intentions morales, s
317 au nom d’un idéal révolutionnaire cohérent. Il n’ a qu’une crainte : celle de passer pour autre chose qu’un « pur artiste
318 ous des romans qui riment à quelque chose, il n’y aura plus de crise du livre. i. Rougemont Denis de, « Romanciers public
11 1937, Articles divers (1936-1938). Vers une littérature personnaliste (20 mars 1937)
319 e littérature personnaliste (20 mars 1937)j On a très vivement critiqué le dernier chapitre de l’Histoire de la littér
320 chés aux petites histoires de leur milieu… »). On a dit : le chapitre est bâclé. Je me demande si l’époque méritait mieux
321 ure bâclée, surtout la romanesque. Jamais on ne l’ avait vu et constaté aussi nettement qu’à la lecture de ce bilan désinvolte
322 à passer outre aux conventions. Mais quand il n’y a plus de convention ? Lorsque tout est brouillé, lorsque tout est perm
323 succès moins tapageurs, mais plus profonds. Nous avons à refaire un inventaire de l’homme, préparation modeste et nécessaire
324 iberté, Paris, 20 mars 1937, p. 10. k. Rougemont a rendu compte de cet ouvrage dans Esprit de mars 1937.
12 1937, Articles divers (1936-1938). C’est jeune (10 avril 1937)
325 ndide) où la critique des critiques actuels que j’ avais esquissée, ici même, se trouve citée et commentée, et sans doute appr
326 ent à l’un de nos bons écrivains, M. Arnoux, de n’ avoir pas su s’imposer « avec assez de force au public ». Car, précisait-il
327 pensait-il, écrivant cela ? Dans quelle illusion ai -je vécu ? Ce n’est rien d’écrire, de faire une œuvre, de croire qu’on
328 ien d’écrire, de faire une œuvre, de croire qu’on a quelque chose à dire ; le but de l’écrivain, c’est de s’imposer avec
13 1937, Articles divers (1936-1938). Journal d’un intellectuel en chômage (fragments) (15 avril 1937)
329 sirée en secret dès longtemps. Je voudrais bien n’ avoir pas l’air trop romantique : mes dernières années de Paris m’avaient a
330 trop romantique : mes dernières années de Paris m’ avaient appris que cette ville, au moins pour la jeunesse sans argent, est la
331 ant il suffit de bien peu pour partir : la France a des milliers de maisons vides. Dites autour de vous que vous en cherc
332 vivre » ? C’est à cette question judicieuse que j’ ai voulu répondre. Peut-être mon récit n’a-t-il pas d’autre but que de d
333 se que j’ai voulu répondre. Peut-être mon récit n’ a-t -il pas d’autre but que de décrire un précédent, d’affirmer que cela p
334 à je ne sais plus ce que j’attendais, ni ce que j’ ai pu rêver de ce pays. Il est très pauvre, sec et lumineux. Toutes les
335 viers, ferme l’horizon immédiat. Au sud-est, nous avons une échappée sur la fin de la vallée, la rivière et la plaine. La pet
336 d’un joli vert bleu très clair. Le carreau rouge a été débarrassé du tapis. J’ai dressé ma table sur des tréteaux. Il ne
337 ir. Le carreau rouge a été débarrassé du tapis. J’ ai dressé ma table sur des tréteaux. Il ne reste qu’un grand canapé de v
338 e cheminée — vingt-deux pièces dûment recensées — ont été les remplacer. Seul vestige des splendeurs bourgeoises de ce salo
339 e qu’ils appellent ici se nourrir : nos voisins n’ ont sur leur table, quand on va les voir à midi, que des châtaignes, des
340 s et quelques légumes de leurs cultures, qu’ils n’ ont pas pu vendre au marché. Cependant, ils se considèrent comme des priv
341 s parlent de quelques familles des environs qui n’ ont pas la ressource d’un jardin, ou qui ne « savent pas y faire ». (Légè
342 supériorité sociale chez Simard). Nos hôtes nous avaient signalé la famille d’un mineur retraité, dont la femme fait des journ
343 je gagne à peu près 1.000 francs par mois — nous avons engagé la mère Calixte pour donner un coup de main le matin et faire
344 ocher, de rivière et de vieilles tuiles romaines, A … qui de loin paraît en ruine, prouve sa vie par ses odeurs et la sale
345 n me dit qu’ici trois maisons seulement, sur 200, ont l’eau courante. Les femmes vont avec des cruches à la fontaine qui co
346 libataires assez fortunés, ou ascètes. Ceux qui n’ ont plus besoin de calculer, ceux-là calculent. Et les autres acceptent l
347 ur conseille plutôt l’épargne. 15 octobre 1934 On a terminé les vendanges, et la récolte des figues d’été. (Les figues d’
348 ujours vertes ; on ne les mange pas). Simard nous a indiqué une ferme, de l’autre côté de la colline du sud, où nous pour
349 dirigent seules depuis la mort de M. Turc. Elles ont un peu de peine avec les ouvriers. Il paraît qu’on en trouve de moins
350 ins. — « Mais, lui dis-je, et les chômeurs ? On m’ a dit qu’il y en a 400 à A ? » La mère, vivement : « Jamais je n’ai eng
351 i dis-je, et les chômeurs ? On m’a dit qu’il y en a 400 à A ? » La mère, vivement : « Jamais je n’ai engagé de chômeurs,
352 , et les chômeurs ? On m’a dit qu’il y en a 400 à A  ? » La mère, vivement : « Jamais je n’ai engagé de chômeurs, Monsieur
353 n a 400 à A ? » La mère, vivement : « Jamais je n’ ai engagé de chômeurs, Monsieur, c’est un principe. Nous ne voulons que
354 dire : Oh, vous, ce n’est pas la même chose. Elle a sans doute entendu parler de nous. Rien à faire : je suis un « monsie
355 om. — Est-ce que vous écrivez des articles ? J’en ai lu signés de ce nom-là. Et elle me cite une revue protestante et une
356 téraire auxquelles je collabore, en effet. — Vous avez le temps de lire beaucoup ? — Oh, on le prend. Comme nous ne voyons j
357 ne pas se plaindre de son sort… Pourtant, il y en a peu de cette espèce, semble-t-il. On n’en parle jamais. Mais elles ne
358 dérer comme un type social d’exception. Combien y a-t -il de classes entre la bourgeoisie des villes et le prolétariat ? L’o
359 mineur retraité, par exemple. Les instituteurs d’ A … ? Ils sont du peuple. Oui, mais bourgeois par leur profession. Et le
360 ers catholiques de la montagne qu’on voit venir à A … pour le marché. Et très conscients d’une supériorité qu’ils ne peuve
361 veulent être, ni de la conscience globale qu’ils ont de leur état (et c’est pourtant le principal, pratiquement et moralem
362 itable, impersonnelle ? 2 novembre 1934 Minuit. J’ ai terminé la tâche de la journée. Ma femme dort, dans la chambre dont j
363 r dormir », me disait un gardien de l’ordre qui m’ avait surpris sur les quais de la Seine, au plus profond d’une contemplatio
364 sur les gens. — Je vais chez les Calixte. On nous a dit que la mère a la grippe. Je trouve à la cuisine la fille et une v
365 vais chez les Calixte. On nous a dit que la mère a la grippe. Je trouve à la cuisine la fille et une voisine. Elles se p
366 mps avant la construction de cette maison… On n’y avait pas pensé ? Je passe au fond, dans une chambre obscure mais qui me pa
367 s bien sa blouse noire aussi. Elle me dit qu’elle a été assez mal. On devait lui retirer son linge toutes les deux heures
368 elle sortait sa main du lit, cela fumait. « Vous avez eu de la fièvre ! » Elle ne sait pas. Elle ne veut pas de médecin. Sa
369 sortait sa main du lit, cela fumait. « Vous avez eu de la fièvre ! » Elle ne sait pas. Elle ne veut pas de médecin. Sa fi
370 nde soit un si bon remède comme on le dit. Je lui ai fait du poulet, elle n’y avait pas goût. Alors j’ai pensé lui faire d
371 mme on le dit. Je lui ai fait du poulet, elle n’y avait pas goût. Alors j’ai pensé lui faire du bouillon de poulet, ça lui a
372 fait du poulet, elle n’y avait pas goût. Alors j’ ai pensé lui faire du bouillon de poulet, ça lui a fait de l’avantage. V
373 ’ai pensé lui faire du bouillon de poulet, ça lui a fait de l’avantage. Voyez ! Ce n’est pas vrai que la viande est si bo
374 nd on va les récolter. « Voyez-vous ! c’est qu’il a fait un vent cette nuit ! » 11 novembre 1934 D’une manière générale,
375 ne se mettront jamais dans des états parce qu’ils ont cassé deux assiettes. La mère Calixte, qui casse tout ce que l’on veu
376 La mère Calixte, qui casse tout ce que l’on veut, a coutume de dire en constatant le mal : « Voyez-vous ! je croyais la t
377 ’on entend bien que c’est ainsi de tout, et qu’on aurait grand tort de croire que rien au monde dépend de nous. Ceci vaut pour
378 t des livres sur la politique. 12 novembre 1934 J’ ai relevé quelques chiffres dans un ouvrage sur A…, dû à la plume d’un d
379 J’ai relevé quelques chiffres dans un ouvrage sur A …, dû à la plume d’un de ses pasteurs à la retraite. En 1570, le mûrie
380 ison sur dix habitée. Dès 1934, la soie japonaise a fait son apparition sur le marché lyonnais. Faillite de plusieurs des
381 ycle normal du progrès capitaliste est clos. Lyon a drainé toute la richesse indigène de ce département. Et cette richess
382 .) L’autre jour, dans l’autocar, une femme dont j’ ai cru comprendre qu’elle tient un petit hôtel à Saint-Jean-du-Gard, exp
383 espécialiste, rappelle-toi ! Si tu oublies, tu n’ auras qu’à te rappeler épicerie. » Épicerie pour spécialiste, vous n’auriez
384 ler épicerie. » Épicerie pour spécialiste, vous n’ auriez jamais fait ce rapprochement ? Ce petit fait, si l’on y réfléchit, ré
385 ne savons plus prévoir. Littéralement, les mots n’ ont plus le même sens pour le peuple et pour ceux qui voudraient lui parl
386 est un des droits imprescriptibles que se trouve avoir décrété la Convention. Bref, il n’est plus de mesure commune : ni l’É
387 Culture, ni l’École qui prétend les remplacer, n’ ont plus d’autorité sur l’esprit de la lettre. Aussi bien nous parlons au
388 ux intérêts réels… 1er décembre 1934 Le pasteur m’ a convoqué aux entretiens qu’il organise le samedi soir, dans une salle
389 mmes de sa paroisse. « C’est le seul moyen de les avoir , me dit-il. Comme vous l’aurez remarqué, il n’en vient qu’une dizaine
390 seul moyen de les avoir, me dit-il. Comme vous l’ aurez remarqué, il n’en vient qu’une dizaine au culte. C’est trop compromet
391 is pour une causerie sur un sujet neutre, nous en avons toujours dans les 40 à 50. Et une fois qu’ils sont là, on peut parler
392 ans quelques jours, au cercle d’hommes de St-J. j’ ai besoin de prendre contact. 3 décembre 1934 Soirée au « Cercle d’homm
393 alignées, pour entendre le « conférencier »27. J’ ai reconnu deux facteurs, le libraire, le quincaillier, un adjoint de la
394 cultivateurs, les trois instituteurs. Le pasteur a lu quelques passages de l’Écriture. Après quoi le sujet a été introdu
395 lques passages de l’Écriture. Après quoi le sujet a été introduit par l’un des instituteurs. Il s’agissait de « l’histoir
396 ’histoire de notre département ». La discussion n’ a vraiment démarré que lorsqu’on s’est mis à parler d’autre chose que d
397 s pressées. Or cette lenteur et ces répétitions n’ ont d’autre but que de laisser à l’esprit le temps de se « figurer » ce q
398 l’autre dit une bêtise ou bafouille — et comme on a envie de leur expliquer des choses, amicalement ; de partager avec eu
399 frotté les yeux, est sorti tout tranquillement. J’ ai parlé avec plusieurs jeunes gens. Quelles opinions politiques, dans c
400 oi ils le sont, et connaissent le marxisme ? On m’ avait dit : ce n’est pas cela du tout, vous verrez. Être communiste dans ce
401 tera un jour comme l’homme de gauche à poigne ? J’ ai questionné à ce sujet quelqu’un qui connaît bien son monde. La vie mê
402 qu’ils ne se connaissent eux-mêmes, quelqu’un qui a pour mission de leur enseigner le sens dernier des circonstances de l
403 les classer et je n’aime pas beaucoup ça… Il y en a de toutes sortes, bien sûr, et plus on les voit de près… — Je compren
404 culte. Ce n’est pas l’envie qui manque, mais ils ont peur. C’est toujours la question de la place à traverser. — ??? — Oui
405 étonnerait, et surtout ils y sont entre eux. Je n’ ai aucune envie d’aller faire l’intrus ou le bon apôtre. Si c’était poss
406 ure, c’est difficile. — Et les salutistes ? — Ils ont un uniforme. C’est classé. On les connaît… — Alors, quand les voyez-v
407 à l’occasion des conférences que j’organise. Vous avez déjà parlé dans des cercles d’hommes. Vous voyez le genre. — Et les c
408 xemple une discussion sur l’incroyance. L’orateur avait dit que la différence entre les chrétiens et les incroyants, ce n’est
409 quement aucun rôle dans leur action, et qu’elle n’ a rien changé à leur croyance ou plutôt à leur incroyance. Tout de même
410 nir. Ils vont au parti communiste parce qu’il n’y a rien d’autre et personne d’autre… Ce seraient souvent les meilleures
411 ncroyance de leurs contemporains. Au fond, ils en ont peur. Or ils devraient n’avoir peur que de Dieu, et des vocations bou
412 ins. Au fond, ils en ont peur. Or ils devraient n’ avoir peur que de Dieu, et des vocations bouleversantes qu’il arrive que Di
413 ui du chrétien honteux, honteux d’une foi qu’il n’ a pas ! Car s’il l’avait, il n’aurait plus de honte à la confesser deva
414 eux, honteux d’une foi qu’il n’a pas ! Car s’il l’ avait , il n’aurait plus de honte à la confesser devant les hommes ; et s’il
415 d’une foi qu’il n’a pas ! Car s’il l’avait, il n’ aurait plus de honte à la confesser devant les hommes ; et s’il a honte, c’e
416 honte à la confesser devant les hommes ; et s’il a honte, c’est qu’il ne craint pas Dieu, mais qu’il croit au jugement d
417 sque rien. (Lui, par exemple, si je l’en crois, n’ a guère vendu depuis un mois que pour 50 francs de légumes. Or la vente
418 r jour. Au dernier examen médical, ces cochons-là ont déclaré que tout allait bien, c’est-à-dire qu’ils « l’ont diminuée à
419 aré que tout allait bien, c’est-à-dire qu’ils « l’ ont diminuée à 17 sous par jour ». Pour se venger, il leur a retiré son a
420 uée à 17 sous par jour ». Pour se venger, il leur a retiré son assurance à lui, et l’a passée à d’autres. Il reste par bo
421 enger, il leur a retiré son assurance à lui, et l’ a passée à d’autres. Il reste par bonheur : les assurances sociales, vi
422 iou ! ça demande du raisonnement. Par exemple, il a écrit au ministre — au ministre du Travail — pour avoir une pension d
423 écrit au ministre — au ministre du Travail — pour avoir une pension de 5000 francs pour son beau-frère. « Ce cochon-là » n’a
424 00 francs pour son beau-frère. « Ce cochon-là » n’ a pas répondu, et pourtant la lettre était recommandée. Alors il a été
425 et pourtant la lettre était recommandée. Alors il a été voir « une personne encore plus compétente » que lui Simard, et c
426 ompétente » que lui Simard, et cette personne lui a conseillé d’écrire une nouvelle lettre recommandée « à la charge du d
427 la personne compétente lui dit : « Ce cochon-là t’ a refait de 299 francs, consulte voir le barème ! » Il a fallu récrire
428 ait de 299 francs, consulte voir le barème ! » Il a fallu récrire deux fois pour obtenir gain de cause. Et tout ça lui a
429 x fois pour obtenir gain de cause. Et tout ça lui a bien coûté 50 francs. Autrement, vous savez ce qui se passe, les empl
430 eut dire que c’est des gens arriérés, quoi. Ils n’ ont pas l’instruction comme nous autres. » Arriérés, illettrés. Je n’en s
431 t d’une autre loterie ! Toute la grande presse en a parlé. Personne ne rit. Léon Bloy rugit dans sa tombe. 3 février 1935
432 les Juifs le sont chez les gentils. Pourquoi ne l’ ai -je compris vraiment qu’à la faveur de ce chômage ? C’est qu’il m’a fa
433 ment qu’à la faveur de ce chômage ? C’est qu’il m’ a fallu m’éloigner de cette ambiance bourgeoise où l’on a convenu de ca
434 u m’éloigner de cette ambiance bourgeoise où l’on a convenu de cacher cela — de cacher ce fait que l’intellectuel en tant
435 etite phrase ! Je me dis : c’est bien ma faute. J’ ai de nouveau parlé en intellectuel. En homme qui veut savoir pour quell
436 ns de ses partis pris ? Mars 1935 (à Marseille) J’ ai parlé à R. de mon projet de publier sous le titre de Journal d’un in
437 me, vous n’êtes pas un vrai chômeur, puisque vous avez la possibilité de travailler. — Je me suis fait moi-même cette object
438 cette objection. Il est clair qu’un intellectuel aura toujours la possibilité de travailler, pour autant que son vrai trava
439 je l’appelle chômeur, faute d’autre terme, s’il n’ a plus la possibilité de s’assurer un gagne-pain régulier par son trava
440 er un gagne-pain régulier par son travail, s’il n’ a plus d’emploi, et ne sait plus de quoi sera fait le lendemain. — Adme
441 « vrai chômeur », je vous l’assure ! D’ailleurs j’ ai déjà dit que cela me serait pratiquement impossible, sauf gâtisme pré
442 eureux suffit à me nourrir et à me vêtir ? Vous n’ avez qu’à regarder la frange de mon pantalon. Ce n’est pas avec ça que je
443 i, dans le détail… ⁂ Cette conversation avec R. m’ a rendu attentif à un fait qui m’apparaît soudain fondamental ; c’est l
444 de bourgeoisie, et la crise de cette bourgeoisie ont accouché d’un des plus beaux complexes que le diable ait jamais pu co
445 ouché d’un des plus beaux complexes que le diable ait jamais pu concevoir pour dresser les humains les uns contre les autre
446 bénéficient pas de la loi des assurances sociales ont intérêt à assister à la conférence. L’organisation lutte afin de fair
447 à la face du monde que nos militants héroïques n’ ont pas perdu leur peine depuis 89 ! Oui, dis-je, ce symbolique mot d’ord
448 déclaration : « La France est un pays comblé qui a résolu tous les problèmes économiques urgents. La preuve en est fourn
449 proprette, visage nerveux et intelligent. — Vous avez mon Huma ? — Bou die ! je les ai toutes vendues, Monsieur Dumas ! (C’
450 ligent. — Vous avez mon Huma ? — Bou die ! je les ai toutes vendues, Monsieur Dumas ! (C’est jour de foire). — Allons, tan
451 Et si des fois on vous en demande de trop, vous n’ avez qu’à donner la mienne, vous savez. Plus on la lit… Ce généreux apôtre
452 lin). — On sait bien, dit le communiste, que vous avez toujours soutenu les gros qui pressent les petits ! — Les gros ! mon
453 toute notre argent, depuis quatre ans que vous l’ avez , le pouvoir ! » L’autre se dégage et s’en va, un peu triste, ou peut-
454 nt sauver sa région de la totale décrépitude où l’ ont laissée les radicaux et les créatures de Bouisson, dont mon alcooliqu
455 u… Il y a au fond tout autre chose. C’est moi qui avais acheté, innocemment, le dernier numéro de l’Huma. De la haine et enco
456 d’être le parti de la vérité et du bon sens. Ils auraient avec eux tous les hommes — bourgeois ou intellectuels — qui détestent
457 de vouloir la vérité, dont la seule dignité est d’ avoir foi dans le pouvoir d’une pensée droite, — on se demande par quelle r
458 n de langage. Revenez voir ces mêmes hommes que j’ ai dit, revenez deux fois, vingt fois, prenez-les sur le fait au détour
459 nger de condition. Ils vous diront aussi qu’ils n’ ont plus le cœur à leur ouvrage, quand ils savent que les résultats sont
460 s d’Afrique et des produits chimiques (« que vous avez la gorge brûlante après un verre »). Enfin ils se plaindront de ce qu
461 s se plaindront de ce que, dans leur pays, il n’y a plus de vie, d’initiative, de vrai plaisir. On n’est plus fier d’en ê
462 itique, parlez-moi de « leurs combines » — il n’y a rien à y comprendre. Dans une assemblée populaire, on ne dira pas un
463 ela, on s’en tiendra aux clichés du journal. On n’ aura pas le temps ni le courage, ni même l’idée de pousser plus loin, d’ab
464 xxe siècle. La dictature est très facile. Elle n’ a qu’un argument très puissant contre nous : sur qui et sur quoi tablez
465 ison de Simard recèle un effrayant secret qu’on m’ avait laissé ignorer : une belle-mère. Nous apprenons son existence en même
466 qui était, pensions-nous, tout leur logis — nous avions cru comprendre que les autres pièces étaient vides ou ne servaient qu
467 t-elle. C’est Madame Bastide, la belle-mère. — Qu’ a-t -elle ? — Oh, elle m’a bien reconnue, mais elle va passer cette nuit,
468 tide, la belle-mère. — Qu’a-t-elle ? — Oh, elle m’ a bien reconnue, mais elle va passer cette nuit, vous savez, elle est t
469 ou die, l’estomac et tout. — Mais les Simard ne m’ avaient jamais parlé d’elle ! — Peuchère ! ils languissaient de l’emballer, l
470 languissaient de l’emballer, la vieille ! » Ils n’ auront plus à languir bien longtemps. On peut dire que la chose est sûre. Et
471 us de notre chambre, et leurs éclats de voix nous ont plusieurs fois réveillés. 18 mai 1935 … Et un beau jour, plus moyen d
472 r. C’est instructif. Mais le désir de s’instruire a des limites. Déjà les relations se stabilisent, les « courtes habitud
473 ar des colonies de jeunes gens — si jamais ils en ont assez de se plaindre des villes, où ils s’incrustent — la province de
474 du style français à la chose militaire. 29. Ils ont donc au moins 66 ans aujourd’hui, où l’article paraît. m. Rougemont
14 1937, Articles divers (1936-1938). Lénine, Staline et la littérature (17 avril 1937)
475 er contre le fascisme, les communistes paraissent avoir compris qu’il faut défendre la culture. Le malheur est qu’ils n’envis
476 t. Disons tout de suite que le Père des peuples n’ a fourni pour sa part qu’une dizaine de pages (sur 150) relatives surto
477 chanson patriotarde sur l’Alsace-Lorraine : Vous avez pu germaniser nos plaines Mais notre cœur — vous ne l’aurez jamais 
478 maniser nos plaines Mais notre cœur — vous ne l’ aurez jamais ! Dans un article de 1922, il loue cependant un poème de Maïa
479 ence dans ce domaine. Mais depuis longtemps, je n’ avais éprouvé un pareil plaisir, du point de vue politique et administratif
480 athique. Mais, en 1935, le ton des « dirigeants » a bien changé. Voici ce qu’écrit, à cette date, le Père des peuples, su
481 le Père des peuples, sur le même Maïakovski : Il a été et il demeure le poète le meilleur, le plus talentueux de notre é
482 ue Staline s’est chargé d’en extraire ce qu’elles avaient de réactionnaire et d’attardé, ou de brutalement primaire, pour le pl
15 1937, Articles divers (1936-1938). Chamisso et le Mythe de l’Ombre perdue (mai-juin 1937)
483 ard aborde l’imagination de Chamisso ; il déclare avoir perdu son ombre. Le second romantisme bat son plein. On a vu bien des
484 son ombre. Le second romantisme bat son plein. On a vu bien des fous Chez Tieck et chez Fouqué. Celui-ci pourtant manifes
485 aissance et d’éducation. Une excentricité du sort a fait de lui un poète allemand. Les autres ont toujours cru à cette fa
486 sort a fait de lui un poète allemand. Les autres ont toujours cru à cette fable, mais dirait-on, sans le savoir. Chamisso,
487 ans la conscience moderne le mythe de l’homme qui a perdu son ombre, sous les traits pathétiques et naïfs du célèbre Pete
488 Schlemihl. De Chamisso à Hofmannsthal, plusieurs ont repris cette histoire. Le dernier même y mêle une assez opaque scienc
489 ’expérience, l’on s’étonne qu’aucun d’entre eux n’ ait songé à se justifier. L’on s’étonne qu’aucun non plus n’ait essayé de
490 à se justifier. L’on s’étonne qu’aucun non plus n’ ait essayé de formuler le symbole enfermé dans le mythe. Serait-ce pudeur
491 es ? Pudeur tout court ? Ou faut-il croire qu’ils ont écrit leurs contes sans jamais se poser de questions sur le sens d’un
492 et la mésestiment gravement. Mais encore ? Ils en ont tous une, et s’entendent à tirer parti du plaisir que dispense un cor
493 fortuné Schlemihl n’était tout de même pas mort d’ avoir perdu son ombre… Il était même si vivant, et sa présence si gênante,
494 s bourgeois riches. D’où vient le sentiment qu’il a d’être inférieur. Le diable sait cela : c’est par là qu’il le tient.
495 sède. Peter, lui, le connaît, mais, parce qu’il l’ a vendu. (Ne connaît-on que ce qui vient à manquer ? Et perd-on ce que
496 tte fêlure : on aime Schlemihl pour tout ce qu’il a , qui n’est pas lui. Ce sont les femmes, bien entendu, qui le devinent
497 de Peter échouent devant cet obstacle dernier. Il a beau n’aller que de nuit aux rendez-vous avec Mina. Le jour venu de s
498 timent ! Oui, je le savais depuis longtemps, il n’ a pas d’ombre ! » Que reste-t-il à un tel homme ? Le suicide ? Rien n’e
499 gences, et qui veut croire à la vertu, — s’il n’y avait , au centre de lui-même, cette absence. En tout pareil aux autres, sau
500 oses à jour, et lui-même, d’où l’impression qu’il a d’être mal défendu contre les regards qu’il rencontre, transparent di
501 l’origine germanique du mythe38. Dès le début, j’ avais pressenti qu’une fable à ce point célèbre dans un peuple ne pouvait e
502 aison qu’en beaucoup d’êtres la créativité paraît avoir son siège dans le seul sexe, que la pudeur s’est localisée là ? Ne se
503 ossède, c’est naturel ; mais non du tout qu’on en ait honte, semble-t-il. En vérité, la mauvaise pudeur provient de ce que
504 nt d’être reflets l’un de l’autre. Alors le corps a honte de sa pensée, et celle-ci des désirs de son corps — comme d’un
505 lieu de la créativité dans la personne, celui qui a perdu son ombre, se promène parmi les hommes avec l’angoisse de voir
506 u », partagent les richesses du désir. Et l’homme a retrouvé son ombre. Suite et fin de la fable Peter Schlemihl no
507 scription de l’individu romantique, dans ce qu’il a de démissionnaire, d’impuissant à saisir le monde pour le former à so
508 vocation : le mystère de l’incarnation. Chamisso a donné à son Peter tous les traits physiques et moraux de ce que l’on
509 e tourment d’une femme stérile, l’impératrice qui a perdu son ombre et qui emprunte celle d’une fille du peuple. Mais And
510 e — plus beau et plus vivant que l’individu qui l’ a conçu comme porté au-delà de lui-même par l’attrait puissant d’un dés
511 ’est une des gloires du romantisme allemand que d’ avoir su élever les faiblesses de l’homme, et quelques-unes de ses plus fol
512 ar là que Chamisso s’est sauvé de lui-même : s’il a fait Schlemihl comme on sait, en grande partie à son image, il en dif
513 n image, il en diffère toutefois par ceci qu’il l’ a fait, témoignant d’un pouvoir d’invention dont la nouveauté reste ent
514 n’est-ce pas l’ombre de Chamisso ? Une ombre qui a perdu son homme, cette fois, mais non pas ses charmes profonds. C’est
515 charmes profonds. C’est le siècle où je vis qui n’ a plus d’ombre, et c’est pour lui que je garde ma pitié. Il ne sait mêm
516 t retombé dans le roman insignifiant. P.-S. Je n’ ai pas voulu alourdir cette esquisse de tout un appareil de références b
517 s moins d’une cinquantaine d’auteurs célèbres qui ont traité le mythe de l’ombre perdue dans leurs romans, pièces, ou conte
518 Chamisso, selon lequel l’idée de Peter Schlemihl aurait été donnée à son auteur par un de ses parents, au cours d’un séjour à
519 nationaliste. Rank insiste longuement, comme je l’ ai fait, sur l’antiquité nordique du mythe, auquel se rattachent de très
520 oses croissent très vite, et après qu’une semaine eut passé, il vit à sa grande joie qu’une nouvelle ombre partant de ses p
521 vrai dire fréquent, du romantisme allemand qui en a montré bien d’autres, et de tout contraire parfois : que l’on songe à
16 1937, Articles divers (1936-1938). Journal d’un intellectuel en chômage (25 juillet 1937)
522 ébut de novembre 1933 Mon domaine, c’est ce que j’ ai sous la main. Voici d’abord la table que je me suis fabriquée : j’ai
523 ici d’abord la table que je me suis fabriquée : j’ ai trouvé dans le chai deux tréteaux et deux planches bien rabotées ; j’
524 deux tréteaux et deux planches bien rabotées ; j’ ai dressé cela devant la fenêtre ouverte sur les verdures encore vivaces
525 ncs enclosent de tous côtés ce jardin de curé qui a juste la largeur de la maison. On ne voit rien que le ciel au-delà, u
526 é. Depuis six jours que nous sommes arrivés, je n’ ai lu que les Règles de Descartes, comme on ferait un mot croisé, pour t
527 gens d’ici. Elle corrige la mauvaise humeur que m’ a donnée notre épicière. Car il faut bien, hélas, commencer par l’épici
528 va vivre. Celle-ci est énorme et goutteuse. Elle a des douleurs dans les jambes, et m’en parle d’abord, pour me mettre e
529 ujard, mais je ne viens pas pour mes vacances ! J’ ai du travail chez moi, des tas de choses à écrire… Elle n’ose pas m’en
530 ire pour les journaux, sans doute, mais il n’y en a pas tant à raconter sur ce pays… Je l’ai laissée en plein mystère. El
531 il n’y en a pas tant à raconter sur ce pays… Je l’ ai laissée en plein mystère. Elle a dû en parler longuement avec les cli
532 r ce pays… Je l’ai laissée en plein mystère. Elle a dû en parler longuement avec les clients qui attendaient en silence,
533 leurs sabots, que je sois sorti. La mère Aujard n’ a pas toujours ce qu’on voudrait. En hiver elle fait peu de réserves de
534 entrant chez l’autre. Mais c’est prudent, on me l’ a dit. Car elles ne baisseront pas leurs prix pour garder un client, el
535 lles les augmenteront bien plutôt pour le punir d’ avoir été en face. Sans compter qu’on n’aime pas être accueilli par la répr
536 Derrière la grille, le long visage de Pédenaud. J’ ai l’impression que je lui gâte la vie. Trois fois la semaine au moins,
537  Non. C’est tapé à la machine. — Est-ce qu’il n’y a rien d’écrit à la main ? — Si, il y a des corrections écrites à la ma
538 on calcul sur un bout de papier, et conclut que j’ ai à payer 72 francs, pour un envoi, ce jour-là, d’une centaine de feuil
539 n télégramme, c’est une notification officielle d’ avoir à verser sans délai la somme de Fr. 67.25 restant due sur l’envoi de
540 sur l’envoi de ce matin. En effet, Pédenaud, qui a voulu en avoir le cœur net, a pris des instructions par téléphone au
541 i de ce matin. En effet, Pédenaud, qui a voulu en avoir le cœur net, a pris des instructions par téléphone au chef-lieu. Son
542 ffet, Pédenaud, qui a voulu en avoir le cœur net, a pris des instructions par téléphone au chef-lieu. Son supérieur lui a
543 ons par téléphone au chef-lieu. Son supérieur lui a confirmé qu’un manuscrit s’affranchit comme une lettre. Il faut donc
544 . Pédenaud est mutilé de guerre. Il boite. On lui a donné cette recette auxiliaire à titre de dédommagement. Salaire : 28
545 -je tant à son guichet ?), mais s’il savait que j’ ai dépensé près de 600 francs depuis trois semaines, il estimerait que j
546 gorie bourgeoise. Ma bonne conscience de pauvre n’ aura pas duré bien longtemps. 16 décembre 1933 Derrière la même pile d’ass
547 933 Derrière la même pile d’assiettes où je crois avoir déjà dit que j’avais trouvé deux ouvrages traitant de mon île, j’ai d
548 pile d’assiettes où je crois avoir déjà dit que j’ avais trouvé deux ouvrages traitant de mon île, j’ai déniché ce matin une é
549 avais trouvé deux ouvrages traitant de mon île, j’ ai déniché ce matin une édition populaire de La Naissance du jour, de Co
550 pulaire de La Naissance du jour, de Colette. Je n’ avais pas encore lu ce livre. Il est exactement de l’espèce que j’aime, et
551 ici. C’est pour une raison très précise et qui n’ a rien à voir avec la critique littéraire. À la page 43 de l’édition qu
552 tique littéraire. À la page 43 de l’édition que j’ ai sous les yeux, je lis ceci : « … ils déménagent… comme les puces d’un
553 omme les puces d’un hérisson mort. » Cette phrase a fait dans mon esprit ce qu’on appelle un trait de lumière. Lundi dern
554 puces. J’exagère à peine : pour mon compte, j’en ai pris sept sur mon pyjama dans l’espace de deux minutes, ce qui doit c
555 lus loin la cause du phénomène. Il est vrai qu’on a beau porter un nombre excessif de jupons, cela ne devrait pas suffire
556 ade. Le lendemain nous le trouvions mort. Et je l’ avais oublié là, sans sépulture, caché sous des feuillages brunis. Si j’ajo
557 ais renouer le fil de ce journal. Tout d’abord, j’ ai à constater l’échec de notre première tentative d’autonomie. Je ne su
558 subsister après l’épuisement de notre réserve. J’ ai travaillé beaucoup, mais je ne serai pas payé avant un mois. Or, un m
559 mois, ou même une semaine, cela compte quand on n’ a plus rien. Pour celui qui vit au jour le jour, il s’agit essentiellem
560 lu.) Assuré au moins de quelque argent à venir, j’ ai accepté l’invitation d’un ami qui nous offre de passer trois semaines
17 1937, Articles divers (1936-1938). Extraits de… Journal d’un intellectuel en chômage (15 août 1937)
561 en train de causer dans la vie provinciale. Je n’ ai pas compté le nombre de lignes actuellement exploitées. Mais j’ai pu
562 nombre de lignes actuellement exploitées. Mais j’ ai pu constater dans plusieurs départements de l’Ouest qu’il n’est plus
563 ois compagnies de transports locaux. Depuis que j’ ai quitté Paris, j’ai bien utilisé une vingtaine de ces lignes. Je comme
564 ransports locaux. Depuis que j’ai quitté Paris, j’ ai bien utilisé une vingtaine de ces lignes. Je commence à connaître leu
565 yageur et la province. Naguère encore, quand on n’ avait que les chemins de fer, tout convergeait vers Paris, non seulement du
566 e recommandations ; et ils sont rares, ceux qui n’ ont pas deux mots à dire par la portière entr’ouverte un instant à la fil
567 néral de jeunes gaillards solides et gais, et qui ont toutes les raisons d’aimer le travail et de le faire bien : c’est mod
568 n bénéficie de ces petites faveurs que les femmes ont toujours accordées à ceux qui commandent et disposent, ne fût-ce que
569 belle révolution, qui rajeunisse la France : ils ont la bonne humeur, le dynamisme, le sens pratique et la rapidité d’espr
570 de. Mais loin de moi ces ambitions : ceux qui les ont n’en parlent pas, dit-on. Et je ne suis qu’un écrivain. Ceci me rappe
571 n. Ceci me rappelle un bout de conversation que j’ aurais dû noter plus tôt. Le monsieur rencontré dans l’autocar de Taillefer
572 voulait savoir quel était mon métier. Et quand j’ eus dit que je n’en avais aucun, et que je n’étais qu’un écrivain, et chô
573 était mon métier. Et quand j’eus dit que je n’en avais aucun, et que je n’étais qu’un écrivain, et chômeur par-dessus le mar
574 cria : « Ah ! cher monsieur, je vous envie ! Vous avez un rôle magnifique à jouer dans la société. Vous avez le temps de réf
575 un rôle magnifique à jouer dans la société. Vous avez le temps de réfléchir et de nous faire part de vos lumières, et sans
576 » — Comptez, monsieur, lui dis-je, qu’un écrivain a bien deux fois plus de peine à vivre qu’un homme normal, mettons qu’u
577 tter, et cela tient aux circonstances mêmes qui l’ ont mis dans le cas d’écrire. Car ou bien l’on écrit ce que l’on ne peut
578 c’est justement ce qui nous manque, et quand vous aurez compris cela, vous cesserez, je le crains, d’envier ma condition… s
579 rvations et de jugements. Il y montre ce que peut avoir de quotidien cet effort de restauration morale — et sociale — qui s’i
18 1938, Articles divers (1936-1938). Réponse à Pierre Beausire (15 janvier 1938)
580 erait à nos côtés pour l’essentiel de ce que nous avons dit dans notre numéro spécial81. S’il nous attaque, c’est sur des poi
581 ’il nous attaque, c’est sur des points que nous n’ avons pas abordés, et sur des thèses que je souhaite qu’aucun de nous ne so
582 écifique de la pensée et de la vie des hommes qui ont fait l’Europe et qui veulent la maintenir. Et l’individualisme et les
583 personnaliste ne s’est constitué comme tel, et n’ a pris ce nom, que parce que dans l’Europe actuelle se déchaînent des p
584 aires au génie de l’Occident. Ces puissances nous ont obligés, par leurs menaces instantes et brutales, à prendre une consc
585 raliste. Il exalte les différences en ce qu’elles ont de créateur. Il veut une organisation de la cité qui leur permette de
586 té même, ne partagent pas cette certitude. Ils en ont d’autres, que je crois insuffisantes, et je le leur dis en toute fran
587 tère, nous délivrent du triste spectacle que nous avons sous les yeux. » Car la noblesse qu’il nous suppose, purement « moral
588 liste, ne saurait suffire à la tâche. « Le peuple a besoin — nous dit l’auteur — de chefs d’une souveraine dignité, d’une
19 1938, Articles divers (1936-1938). Søren Kierkegaard (février 1938)
589 Kierkegaard naquit à Copenhague en 1813. Son père avait passé son enfance à garder les moutons dans la plaine du Jutland. Un
590 par la misère, il était monté sur un tertre et il avait maudit le Dieu Tout-Puissant qui le laissait mourir de faim. Ce blasp
591 lasphème assombrit sa vie, et la révélation qu’en eut plus tard Søren fut décisive pour son développement religieux. Mais l
592 il la confia à l’un de ses frères, pour éviter d’ avoir affaire aux banques, et lorsqu’il mourut, l’on s’aperçut qu’il n’en r
593 une provenait d’une malédiction, pensait-il. Il l’ avait donc dilapidée sans compter, mais surtout en dons généreux. À 27 ans,
594 lus grand écrivain de son pays. Sa première œuvre eut un immense succès : c’était l’Alternative, qu’il publia en 1843. La m
595 e vit abandonné dans la plus complète solitude qu’ ait sans doute jamais connue un grand esprit. Un an plus tard, accablé pa
596 en, tous… » Le seul événement extérieur de sa vie avait été la rupture de ses fiançailles. Mais l’acte qui résume toute son œ
597 Hamlet — autre Danois ! — il put mourir certain d’ avoir accompli sa mission, ce fut l’attaque qu’il mena contre l’Église étab
598 héologien. Il se trouvait devant un monde où tout avait été brouille : sérieux et plaisanterie, valeurs éternelles et opportu
599  : Je ne pense pas que ce soit mauvais, ce que j’ ai dit, mais je ne l’ai dit que pour l’écarter, et pour arriver à Allélu
600 ue ce soit mauvais, ce que j’ai dit, mais je ne l’ ai dit que pour l’écarter, et pour arriver à Alléluia ! Alléluia ! Allél
601 endre le chemin du vrai martyre. Un vrai martyr n’ a jamais eu recours à la violence, il combat à l’aide de son impuissanc
602 chemin du vrai martyre. Un vrai martyr n’a jamais eu recours à la violence, il combat à l’aide de son impuissance. Il forc
603 ls le tuent. Mais c’est là ce qu’il voulait. Il n’ a jamais cru que sa mort pourrait entraver son action, il a compris qu’
604 cru que sa mort pourrait entraver son action, il a compris qu’elle faisait partie de son action, oui, que cette action n
605 a mort serait nécessaire à l’action à laquelle il a consacré toutes ses forces spirituelles et toute son œuvre d’écrivain
606 le. Tous les autres, sauf Empédocle et Nietzsche, ont refusé de signer de leur sang le pacte qui lie le penseur à Méphisto 
607 aquelle le temps finira bien par succomber. Mais, ayant tué en lui toute autre vanité que celle de haïr le temps — c’est là s
608 un sérieux total, dont l’écrivain d’aujourd’hui n’ a même plus l’idée. Un de nos meilleurs auteurs déclarait récemment que
609 mythe, un saut dans le vide, etc. Et alors il n’y a plus nulle part de « vrai » sérieux. Mais peut-être aussi cet acte ex
610 t acte existe-t-il, quelque part, et alors il n’y a pas de vrai sérieux dans ma vie tant que je n’ai pas trouvé dans la f
611 y a pas de vrai sérieux dans ma vie tant que je n’ ai pas trouvé dans la foi, ou mieux : tant que la foi — qui est don de D
612 ux : tant que la foi — qui est don de Dieu — ne m’ a trouvé. Kierkegaard a eu trois descendances spirituelles. La première
613 qui est don de Dieu — ne m’a trouvé. Kierkegaard a eu trois descendances spirituelles. La première est littéraire : ce s
614 ui est don de Dieu — ne m’a trouvé. Kierkegaard a eu trois descendances spirituelles. La première est littéraire : ce sont
615 82. « Alléluia » : Louez l’Éternel. Kierkegaard avait aussi noté, peu de jours auparavant : « Il n’y a pas eu, durant mille
616 it aussi noté, peu de jours auparavant : « Il n’y a pas eu, durant mille-huit-cents ans de christianisme, une seule tâche
617 si noté, peu de jours auparavant : « Il n’y a pas eu , durant mille-huit-cents ans de christianisme, une seule tâche compar
618 ère fois. Je le sais, je sais aussi ce qu’il m’en a coûté, ce que j’ai souffert, je puis l’exprimer par cette seule phras
619 is, je sais aussi ce qu’il m’en a coûté, ce que j’ ai souffert, je puis l’exprimer par cette seule phrase : ‟Je ne fus pas
20 1938, Articles divers (1936-1938). Nouvelles pages du Journal d’un intellectuel en chômage (avril 1938)
620 prodigieux producteurs d’idées : deux hommes qui ont écrit chacun une vingtaine de volumes l’espace de dix ans : Kierkegaa
621 emi aveugle… Confort et culture. — À ceux qui n’ ont rien, il faut donner du confort, afin qu’ils puissent concevoir d’aut
622 la recherche d’un gain précaire. Mais à ceux qui ont quelque chose, il faut rappeler que la recherche du confort est ce qu
623 e culture véritable. Île de R. — La nuit ! Je l’ avais oubliée à Paris. La nuit des villes n’est pas cette mort opaque dont
624 avec angoisse, et fuient soudain en gémissant. J’ ai des lettres à porter à l’autobus. Il faut s’éloigner du village. De n
625 amais plus que dans cette nuit. Fin de séjour à A … (Gard). — Tout est en place. Je garderai toutefois le plan d’aménage
626 mais… Les vingt-deux pièces du dessus de cheminée ont été replacées au millimètre, dans une symétrie impeccable. Mais tout
627 être détruit par une odieuse malice du sort. Nous avions descendu du deuxième un lourd sommier pour en faire un divan. L’escal
628 ns trop de mal lors de notre arrivée. Mais nous n’ avions pas prévu la remontée ! Épuisés par une demi-heure d’efforts haletant
629 sés par une demi-heure d’efforts haletants, qui n’ ont abouti qu’à coincer le sommier au tournant, entre la balustrade et le
630 e d’escalier — au surplus fortement rayées — nous avons couru implorer l’aide de Simard. « Ce cochon-là » refuse, prétextant
631 un peu pour toucher davantage à l’assurance !) Il a bien fallu se rendre à l’évidence : ce sommier implacable restera dan
632 scalier comme témoin des bouleversements que nous avons infligés à la maison. Pas question d’aller quérir du renfort à A. Il
633 e de ces découvertes frémissantes telles que j’en ai sans doute vécues, adolescent — et sûrement ce serait bien autre chos
634 ’homme déplie un journal que je n’aime pas, qu’il a peut-être acheté tout par hasard, comme il m’arrive à moi aussi, mais
635 as d’ici. Et déjà je ne comprends plus pourquoi j’ ai eu ce fort désir soudain, dans le métro, de tutoyer mes compagnons de
636 d’ici. Et déjà je ne comprends plus pourquoi j’ai eu ce fort désir soudain, dans le métro, de tutoyer mes compagnons de ro
637 enir à les ignorer avec force, une fois qu’on les a bien connus, dans leur réalité sordide. Un petit fait vrai vaut plus
638 eut devenir le fait dominateur. En vérité, il n’y a pas de faits grands ou petits en soi et par comparaison. Il y a dans
639 s autres et qui est la mesure de tout. Quand tu l’ auras connu et accepté — tu es seul à pouvoir le connaître — lève-toi et re
640 de toi seul — et c’est ta foi. 85. Kierkegaard avait déposé sa fortune, réalisée en argent liquide, chez son beau-frère. I