1 1936, Articles divers (1936-1938). Max Brod, Le Royaume enchanté de l’amour (1936)
1 d’avoir mêlé à un beau drame d’amour le souvenir et davantage, la présence d’un être vrai, qui apporte à toute l’œuvre un
2 pas à voir qu’il figure la conscience exigeante, et comme le juge incorruptible et amical du héros et de son débat, ce pe
3 science exigeante, et comme le juge incorruptible et amical du héros et de son débat, ce personnage a vécu dans ce siècle,
4 et comme le juge incorruptible et amical du héros et de son débat, ce personnage a vécu dans ce siècle, où son nom ne cess
5 onner une idée de l’ordre de grandeur spirituelle et de la singularité de l’œuvre entière. Mais bien peu en ont eu connais
6 re entière. Mais bien peu en ont eu connaissance, et moins encore se sont risqués à en parler. Rien d’étonnant d’ailleurs
7 n de l’être dont il ignorait presque l’existence, et qui demande un peu de temps pour formuler sa réaction, voilà sans dou
8 ne même de Kafka dans ce qu’elle eut de quotidien et de très simplement communicable. Encore faut-il montrer que ce détour
9 r ses œuvres, pour une très grande part inédites, et que Kafka lui-même, par l’excès d’un scrupule à la fois artistique et
10 e, par l’excès d’un scrupule à la fois artistique et religieux, souhaitait que l’on détruisît. Max Brod s’est expliqué sur
11 , ses propos, sa vision du monde, ses expériences et préoccupations sociales, les lectures qu’il fait à son ami, la brève
12 on exacte de la jeunesse de Kafka. Quelques faits et deux ou trois dates suffiront désormais à situer ce fragment de biogr
13 complets de trois romans : Le Procès, Le Château, et Amérique. Le regard qu’il y porte sur le monde est d’une précision pr
14 ir que la plupart de nos démarches sous-entendent et masquent à peine une foncière absurdité. L’état d’extrême lucidité qu
15 aient à la même époque de délirer méthodiquement, et de brouiller tous les plans du réel à seule fin de s’en évader — dura
16 xactitude dans l’exercice de leurs tâches banales et de leurs relations sociales, qu’ils en découvrent et en dénoncent l’i
17 de leurs relations sociales, qu’ils en découvrent et en dénoncent l’impossibilité foncière. À serrer de si près le réel, o
18 e réel, on le convainc rapidement de monstruosité et de scandale métaphysique. Et dès lors tout devient étrangement signif
19 ment de monstruosité et de scandale métaphysique. Et dès lors tout devient étrangement signifiant, le fait divers s’agrand
20 est le contraire : partant d’un fait inexplicable et monstrueux23 survenu dans la vie de son héros, Kafka nous amène à pen
21 ène à penser que le détail de l’existence banale, et le sentiment d’étrangeté qui parfois l’accompagne en sourdine s’expli
22 t qu’on les rapporte à un fait initial mystérieux et d’apparence extravagante. Derrière cette psychologie de l’angoisse qu
23 ez Kafka des intentions morales, une philosophie, et la recherche au moins d’une théologie. Tout cela, qui n’est pas expri
24 ogie. Tout cela, qui n’est pas exprimé mais voilé et seulement trahi par certaines bizarreries du récit, donne à l’œuvre u
25 ait comprendre, salutaire… Les lectures favorites et les préoccupations sociales de « Garta », telles que nous les décrit
26 ein secret de Kafka. Sa passion de l’absolu moral et religieux, sa psychologie de l’angoisse dérivent sans doute de Kierke
27 n des forces spirituelles par l’activité pratique et sociale, volonté qui se manifeste tout au long de son existence, et q
28 é qui se manifeste tout au long de son existence, et qui devait l’amener entre autres, à son projet de participation au je
29 ul homme de deux influences aussi contradictoires et à tant d’égards exclusives… Il y aurait fort à dire là-dessus… Mais e
30 ez pour faire entrevoir au lecteur l’arrière-plan et les prolongements de l’aventure du « vieux Pragois », héros non tout
31 r la Nouvelle Revue française  : La Métamorphose et Le Terrier. 23. Par exemple : la métamorphose subite d’un jeune homm
32 se subite d’un jeune homme en une bête innommable et même indescriptible (dans La Métamorphose). Ou encore : l’inculpation
2 1936, Articles divers (1936-1938). Forme et transformation, ou l’acte selon Kierkegaard (janvier 1936)
33 Forme et transformation, ou l’acte selon Kierkegaard (janvier 1936)c « Tout
34 nt devenir chrétien ». Car on n’est pas chrétien, et même on ne peut pas l’être, mais il faut le devenir. Et le problème,
35 e on ne peut pas l’être, mais il faut le devenir. Et le problème, alors, devient celui de l’acte, c’est-à-dire de la créat
36 d’aujourd’hui ne le croit pas. Il croit aux lois, et il se veut déterminé. Or il l’est dans la mesure exacte où il l’accep
37 ransformation du monde. Autrement, il est animal, et soumis à la forme des choses, — à la commune dégradation. Ceux qui ne
38 iècle pour nous prouver que l’acte est impossible et que le tout de l’homme est soumis au calcul, tout cet effort des scie
39 st soumis au calcul, tout cet effort des sciences et des sociologies établit à grands frais l’évidence du désespoir : l’ho
40 erdu « le chemin ». Je suis le chemin, la vérité et la vie, dit le Christ. 1. La vérité est le chemin Christ est la
41 érité… Être la vérité, c’est connaître la vérité, et le Christ n’aurait jamais connu la vérité s’il n’avait pas été la vér
42 connu la vérité s’il n’avait pas été la vérité ; et nul homme ne connaît davantage de vérité qu’il n’en incarne.3 Voici
43 eue. La foi au Christ est la condition nécessaire et suffisante de tout acte véritable, de toute marche, de toute création
44 e vue ; ou bien encore le lieu d’un pur possible, et sur ces lieux règne le désespoir. Il nous faut donc agir, si nous vou
45 l n’y a donc aucun acte possible, aucun acte vrai et vivant en dehors de la foi au Christ. Mais croire au Christ, c’est cr
46 un sens à nos vies. Alors les règles, les morales et les lois qui nous disaient d’agir dans le même temps qu’elles nous pr
47 es nous privaient de tout pouvoir, s’évanouissent et meurent aux pages des livres. L’action de l’homme devient aussi la vé
48 es. L’action de l’homme devient aussi la vérité ; et la norme de toutes les normes. Au premier pas que nous faisons dans n
49 ns dans notre nuit, voici que le chemin s’éclaire et que les perspectives se dégagent. Et nous allons connaître maintenant
50 in s’éclaire et que les perspectives se dégagent. Et nous allons connaître maintenant que seul l’acte de foi est création,
51 formation, nouveauté pure dans le monde, vocation et personne éternelle, prophétie de l’éternité qui vient à nous. 2. I
52 que dans la foi, la foi n’existe que dans l’acte, et cet acte devient alors notre chemin et notre loi. Ainsi nous ne pouvo
53 ns l’acte, et cet acte devient alors notre chemin et notre loi. Ainsi nous ne pouvons connaître que ce que nous prophétiso
54 chrétien marche dans la nuit en créant sa lumière et son chemin5, lumière qui n’est pas sa lumière, chemin toujours imprév
55 e devinent les pas, chemin qui se dérobe au doute et à l’orgueil, mais que parfois la prophétie fait briller devant lui co
56 leil, la Terre, la Lune, les plantes, les animaux et les pierres parlaient et prophétisaient, pareils aux prophètes. C’est
57 les plantes, les animaux et les pierres parlaient et prophétisaient, pareils aux prophètes. C’est de ce commencement que c
58 de ce commencement que chaque chose tire sa force et son temps ; toute créature languit après ce commencement et bienheure
59 ps ; toute créature languit après ce commencement et bienheureux est celui qui dans sa fin possède son commencement ». Mai
60 vision de sa fin. Le voici prisonnier des formes et des nombres, esclave des lois d’un monde sur lequel il devrait régner
61 s ténèbres. Certains reçoivent l’ordre de parler, et c’est là leur action, leur prophétie et leur salut. Cependant que les
62 e parler, et c’est là leur action, leur prophétie et leur salut. Cependant que les hommes les frappent sur la bouche. Kier
63 tyre. La Parole dite est leur chemin, leur vérité et leur vie dans ce monde ; ils meurent de l’avoir dite, et n’ont pas d’
64 vie dans ce monde ; ils meurent de l’avoir dite, et n’ont pas d’autre tâche7. Le chemin est imprévisible ; le nôtre, diso
65 es. Cependant la question demeure : comment agir, et comment transformer, c’est-à-dire comment obéir à la Parole qui proph
66 ir à l’ordre qu’il reçoit de Dieu, — n’importe où et n’importe qui, à n’importe quel ordre reçu, et sans nulle préparation
67 où et n’importe qui, à n’importe quel ordre reçu, et sans nulle préparation. « Comment un homme devient-il chrétien ? Tou
68 véritablement chrétien (Journal). Vends ton bien et le donne aux pauvres, par exemple, ou si tu ne possèdes pas de bien,
69 es pas de bien, cesse d’en désirer la possession, et vis comme un chrétien : au jour le jour, sans assurances et sans prép
70 me un chrétien : au jour le jour, sans assurances et sans préparation, à la grâce de Dieu, dans la confiance et l’inquiétu
71 réparation, à la grâce de Dieu, dans la confiance et l’inquiétude, — on pourrait dire, dans une sorte d’humour — dans l’av
72 ur — dans l’aventure de celui que rien ne protège et la prudence de celui qui écoute, dans le tourment et dans la joie d’u
73 la prudence de celui qui écoute, dans le tourment et dans la joie d’une découverte quotidienne du chemin, — ton chemin, su
74 l, parce qu’il est la parole de ta vie, sa mesure et sa vocation, son risque à chaque instant visible, et sa sécurité, cac
75 sa vocation, son risque à chaque instant visible, et sa sécurité, cachée au plus secret du risque. 3. Nous n’avons pas
76 uvons imaginer sans pour autant nous transformer, et c’est bien la définition de « l’inactuel ». Se conformer à ce pieux i
77 eut-être simplement « singer » un modèle flatteur et rassurant. Et pourquoi ? Parce que « le chemin » est invisible tant q
78 ement « singer » un modèle flatteur et rassurant. Et pourquoi ? Parce que « le chemin » est invisible tant qu’on n’y est p
79 de prétendre imiter le modèle que ses yeux voient et que sa chair perçoit (à la lecture des évangiles par exemple) au lieu
80 ple) au lieu d’écouter l’ordre, au lieu de croire et de faire un pas dans la nuit, sur ce « chemin » qui est le Christ pré
81 eux exigences : l’abîme entre les mérites humains et la grâce, l’abîme entre l’imitation et l’acte, l’abîme entre la relig
82 es humains et la grâce, l’abîme entre l’imitation et l’acte, l’abîme entre la religion et la foi — entre le temps et l’ins
83 l’imitation et l’acte, l’abîme entre la religion et la foi — entre le temps et l’instant créateur —, entre la forme et la
84 bîme entre la religion et la foi — entre le temps et l’instant créateur —, entre la forme et la transformation. Il ne faut
85 le temps et l’instant créateur —, entre la forme et la transformation. Il ne faut pas commencer par l’imitation, mais par
86 aissance… Tout commence par la joie d’être aimé — et ensuite vient l’effort de plaire, constamment exalté par la certitude
87 té par la certitude que l’on est aimé maintenant, et même si l’effort échoue »8. Parce qu’il est aimé maintenant, aller ma
88 ssible » destin, le seul acte possible à l’homme. Et c’est l’acte que Dieu initie. 4. « Par rapport à l’absolu, il n’ex
89 ontact impensable de l’éternité avec notre durée, et l’on n’en peut n’en dire sinon qu’il s’est produit, et qu’il peut se
90 on n’en peut n’en dire sinon qu’il s’est produit, et qu’il peut se produire sans que rien y prépare. « Car Dieu peut tout
91 de la foi »10. Si nous vivions dans l’obéissance et dans la foi, il n’y aurait ni passé ni futur, mais le Jour éternel de
92 futur, mais le Jour éternel de la présence à Dieu et à soi-même régnerait sur le monde et l’unité du genre humain. Si nous
93 sence à Dieu et à soi-même régnerait sur le monde et l’unité du genre humain. Si nous vivons dans l’obéissance et dans la
94 du genre humain. Si nous vivons dans l’obéissance et dans la foi, l’histoire s’arrêterait comme l’Aspiration d’un homme sa
95 omme l’Aspiration d’un homme saisi par la beauté, et le temps immobile s’abîmerait dans l’amen éternel. Æternitas non est
96 t est le chemin. Mais nous avons refusé l’éternel et nous lui préférons nos vies : c’est pourquoi nous vivons dans l’Histo
97 ies : c’est pourquoi nous vivons dans l’Histoire, et dans l’absence, ou dans la nostalgie des temps qui viennent ; c’est p
98 ue par la foi, « substance des choses espérées », et c’est pourquoi la Parole, parmi nous, n’est que promesse et vigilante
99 ourquoi la Parole, parmi nous, n’est que promesse et vigilante prophétie de l’invisible. De Séir, une voix crie au prophèt
100 uit ? — La sentinelle a répondu : Le matin vient, et la nuit aussi ! Si vous voulez interroger, interrogez ; convertissez-
101 voulez interroger, interrogez ; convertissez-vous et revenez ! » La forme du monde est durée, et c’est la forme du péché,
102 -vous et revenez ! » La forme du monde est durée, et c’est la forme du péché, du refus de l’instant éternel12, — le temps,
103 de l’instant éternel12, — le temps, la succession et le désir. C’est le retard de l’acte et le retrait de Dieu, c’est le d
104 succession et le désir. C’est le retard de l’acte et le retrait de Dieu, c’est le doute qui s’interpose entre le savoir et
105 u, c’est le doute qui s’interpose entre le savoir et le faire, et c’est la lâcheté de l’homme qui se repose sur ses œuvres
106 oute qui s’interpose entre le savoir et le faire, et c’est la lâcheté de l’homme qui se repose sur ses œuvres et qui les j
107 a lâcheté de l’homme qui se repose sur ses œuvres et qui les juge : son alliance avec le serpent. De quelles étranges et s
108 son alliance avec le serpent. De quelles étranges et secrètes façons le temps est lié au péché, le pécheur seul le sait, d
109 dévoile ; mais un temps nouveau prend son cours, et sa mesure est plus mystérieuse encore. Voici : le pécheur pardonné vi
110 à contre-courant de sa durée, vit d’acte en acte. Et son temps n’est plus son péché, mais on pourrait dire : sa patience.
111 e : sa patience. Car il se tient où Dieu l’a mis, et ce n’est plus une dérive. Il vit dans la forme du monde, mais il est
112 temps afin de gagner l’éternité : car je la gagne et ne puis plus de toute éternité la renoncer ; et c’est le paradoxe ; m
113 e et ne puis plus de toute éternité la renoncer ; et c’est le paradoxe ; mais il faut un courage paradoxal et humble pour
114 t le paradoxe ; mais il faut un courage paradoxal et humble pour embrasser le temps en vertu de l’absurde 13. Et ce courag
115 pour embrasser le temps en vertu de l’absurde 13. Et ce courage est celui de la foi. Par la foi Abraham ne perdit point Is
116 vrai que Dieu Seul est réel, ce sont la naissance et la mort, parce qu’ils sont des actes de Dieu. Entre la naissance et l
117 qu’ils sont des actes de Dieu. Entre la naissance et la mort — ou plutôt puisque l’acte est à contre-courant de la durée :
118 est à contre-courant de la durée : entre la mort et la naissance — toute la réalité de l’homme est dans son acte. Tout ac
119 l’homme est dans son acte. Tout acte est Passage et tension, — passage de la mort à la vie, tension entre ce qui résiste
120 de la mort à la vie, tension entre ce qui résiste et ce qui crée, victoire de la Parole sur la chair, autorité de la perso
121 la chair, autorité de la personne sur l’anarchie et sur la loi individuelle. C’est ici qu’on touche au mystère, sans lequ
122 ruit le temps, puisqu’il est dans le même instant et la mort et la vie des êtres qu’il promet à l’existence ; mais détruis
123 ps, puisqu’il est dans le même instant et la mort et la vie des êtres qu’il promet à l’existence ; mais détruisant le temp
124 xistence ; mais détruisant le temps, il le recrée et le rédime puisqu’il lui rend une Mesure et un rythme en le liant au d
125 recrée et le rédime puisqu’il lui rend une Mesure et un rythme en le liant au destin personnel. Ainsi l’acte absolu serait
126 ais qu’une rédemption. Distinction de théologien, et qui veut prévenir l’orgueil. Mais la vision de celui qui agit n’est p
127 ’a connu son succès que lorsque tout était fini ; et ce n’est point par le succès qu’il fut héros, mais par son entreprise
128 te chair qui doit vieillir, la tension de la mort et de la vie a mis des marques victorieuses. Qu’est-ce que la personne ?
129 uses. Qu’est-ce que la personne ? C’est la vision et le visage du héros, sa vision contre son visage, sa vision qui crée s
130 ps, mais la vision à la parole dont elle procède, et si la face d’un homme est belle, c’est parce qu’elle est un acte et u
131 homme est belle, c’est parce qu’elle est un acte et un destin, une initiale de l’histoire, une effigie de la Parole créat
132 n douter, s’il est vrai que le doute est révolte, et qu’il faut pour se l’avouer la joie qui naît de l’acte de la foi. Lor
133 ulement renversement, mais création irréversible. Et cela tient à la nature de l’acte, — mieux encore : à son origine. Cel
134 t l’homme dépourvu de foi, l’homme détendu, vague et fiévreux qui peuple nos cités, l’homme sans visage et sans prochain,
135 iévreux qui peuple nos cités, l’homme sans visage et sans prochain, — sans vocation ! — s’imagine que l’acte viendra comme
136 i est désespoir, c’est-à-dire qu’il n’y croit pas et qu’il ne croit à aucun acte. Il vit dans le désir et dans la nostalgi
137 qu’il ne croit à aucun acte. Il vit dans le désir et dans la nostalgie, et son regard n’est pas une vision dans un visage,
138 acte. Il vit dans le désir et dans la nostalgie, et son regard n’est pas une vision dans un visage, mais une manière de l
139 es liens, dans sa croyance à la réalité des liens et de la masse, à la réalité des autres dans l’ensemble. Comment cet hom
140 faire un acte ? Car l’acte est immédiat, création et initiation, c’est-à-dire sobriété pure, — quand l’être même du désesp
141 u désespéré est calcul, préméditation, sensualité et envie… Ainsi l’acte absolu qu’il imagine serait sa mort, — et c’est p
142 nsi l’acte absolu qu’il imagine serait sa mort, —  et c’est pourquoi il n’y croit pas. Nul n’échappe à la forme du monde. M
143 sobriété, c’est l’absolu »17. Entre le désespéré et l’absolu, il y a tout ce romantisme qui veut que l’acte soit puissanc
144 ce romantisme qui veut que l’acte soit puissance et jouissance, il y a ce moi de désir qui veut que l’acte — l’instant !
145 t drame humain que nous pussions prévoir, désirer et décrire ; une rupture et une vision. La présence de l’absolu dans la
146 ussions prévoir, désirer et décrire ; une rupture et une vision. La présence de l’absolu dans la sobriété parfaite et inse
147 La présence de l’absolu dans la sobriété parfaite et insensible de l’instant, c’est l’obéissance à la Parole de Dieu, — la
148 visages fraternels où s’agitait la foule confuse et menaçante. Nous ne voyons aucun visage ailleurs que dans l’acte d’aim
149 précédent Car elle est prophétie justement ! —  et c’est de la seule prophétie que relèvent la réalité et le sérieux, le
150 est de la seule prophétie que relèvent la réalité et le sérieux, le risque et la splendeur d’une vie d’homme. L’homme se d
151 que relèvent la réalité et le sérieux, le risque et la splendeur d’une vie d’homme. L’homme se distingue du singe en ce q
152 ngue du singe en ce qu’il prophétise, uniquement, et dès l’origine. C’est pourquoi l’homme a un visage et une vision, ce q
153 dès l’origine. C’est pourquoi l’homme a un visage et une vision, ce que n’ont pas les animaux ; c’est pourquoi l’homme est
154 arlé de vocation18. C’est qu’il parle sa vocation et ne s’en distingue jamais. Cependant il est hors de doute qu’il eut co
155 ignité de l’homme est de marcher dans l’invisible et de prophétiser « en vertu de l’absurde ». L’homme ne peut être déterm
156 geois est sans vocation, il ne croit pas à l’acte et il meurt au hasard, sans avoir rencontré personne ni soi-même20. Il v
157 ne ni soi-même20. Il vit dans la forme du monde : et ce n’est point qu’elle soit pour lui réelle, elle est seulement la mo
158 de ce qu’il transforme. Sa connaissance est acte et vision prophétique. La mesure du temps de sa vie réside dans la seule
159 ence à ses pas, il ne meurt jamais par surprise : et ce n’est point qu’il ait connu le jour et l’heure, mais il connaît l’
160 prise : et ce n’est point qu’il ait connu le jour et l’heure, mais il connaît l’instant, s’il vit de Parole. À cause de l’
161 ne meure »21. C’est le secret dernier de l’acte, et le sceau de l’amour chrétien. 3. Apprentissage du christianisme.
162 t » est une antilogie chrétienne au premier chef, et non pas hindoue, comme certains l’ont voulu croire. Chez les hindous,
163 grandeur humaine (NRF). 7. « Le prophète se lève et tombe avec sa mission » (Karl Barth). Il n’a pas de biographie. Rien
164 e, ou bien alors elle se réduirait à la grammaire et à la syntaxe particulière de son message. 8. Journal. « L’imitation
165 ette définition du temps comme refus de l’instant et de l’obéissance immédiate à la Parole. La ressemblance est seulement
166 Cur Deux Homo ? » de saint Anselme. 14. Crainte et tremblement. 15. Actes de l’amour. 16. Traduction française sous l
167 e n’ai jamais rencontré personne ». 21. Crainte et tremblement. c. Rougemont Denis de, « Forme et transformation, ou l
168 et tremblement. c. Rougemont Denis de, « Forme et transformation, ou l’acte selon Kierkegaard », Hermès, Bruxelles-Pari
3 1936, Articles divers (1936-1938). Décadence des lieux communs (décembre 1936)
169 assourdissent. Ils ne suivent pas la règle du jeu et je ne sais même pas s’ils savent qu’il y en a une. Alice au Pays des
170 à l’époque de la Renaissance24. Le latin de Bembo et de Sadolet était encore une rhétorique des lieux communs. Forme vide,
171 rhétorique — d’où son déclin — mais forme encore et convention admise par tous les clercs européens. On ne saurait en dir
172 ts n’ont plus le même sens pour les intellectuels et pour la masse — cela s’est vu en d’autres siècles. Ils n’ont plus le
173 ls n’ont plus un sens auquel on puisse se référer et qui fixe vraiment l’usage : un sens commun. La plupart des débats qui
174 leur fantaisie, chacun croyant gagner à sa façon, et que les autres trichent ou font défaut. N’est-ce pas la partie de cro
175 illes ? Les boules étaient des hérissons vivants, et les soldats s’arc-boutaient sur le sol pour former des arceaux vivant
176 lice avait réussi à mettre en boule son hérisson, et se préparait à le frapper avec la tête du héron, celui-ci tordait son
177 c la tête du héron, celui-ci tordait son long cou et la regardait d’un air d’ahurissement profond. Quand elle l’avait remi
178 en position, c’était le hérisson qui se déroulait et courait dans la haie voisine. Si par hasard la boule et le maillet re
179 rait dans la haie voisine. Si par hasard la boule et le maillet restaient en place, c’était alors l’arceau-soldat qui se l
180 lace, c’était alors l’arceau-soldat qui se levait et s’en allait un peu plus loin. Tandis que la Reine, au comble de la fu
181 comme il le peut, sans souci de la règle commune, et la terreur domine cette anarchie, distribuant des condamnations d’aut
182 inq mots parmi les plus fréquents dans le langage et les écrits de notre temps : esprit, révolution, liberté, ordre, patri
183 mes d’État. Les uns tiennent le parti de l’esprit et les autres celui de l’ordre, les uns le parti de la révolution, les a
184 patrie de la révolution… Toutes ces combinaisons et ces permutations seraient néanmoins assez simples à débrouiller dans
185 ins assez simples à débrouiller dans la pratique, et pourraient définir utilement le parti, si seulement chacun de ces mot
186 entalité de classe ou simplement toute la culture et ses produits. Une simple équivoque sémantique dresse parfois l’un con
187 ’autre deux hommes qui auraient dû « s’entendre » et s’allier : c’est que pour l’un, esprit signifie évasion, spiritualism
188 pour l’un, esprit signifie évasion, spiritualisme et duperie bourgeoise ; pour l’autre, présence effective de la pensée et
189 e ; pour l’autre, présence effective de la pensée et de la foi à nos misères, activité concrète et créatrice, et garantie
190 sée et de la foi à nos misères, activité concrète et créatrice, et garantie contre les préjugés intéressés. « Voyez, gémit
191 oi à nos misères, activité concrète et créatrice, et garantie contre les préjugés intéressés. « Voyez, gémit Alice, l’arce
192 l je dois passer se promène à l’autre bout du jeu et j’aurais dû croquer le hérisson de la Reine s’il ne s’était mis à cou
193 fois contradictoires, créés par la crise actuelle et très mal distingués les uns des autres par la plupart de ceux qui les
194 es cas : émeute, prise de pouvoir légal, désordre et anarchie, établissement d’une dictature militaire, plan quinquennal,
195 rans­mutation de toutes les valeurs morales, etc. Et tous ces sens se chevauchent pour former dans l’esprit des polémistes
196 ns26. La liberté sera invoquée par la concurrence et l’oppression capitalistes, par les intellectuels anarchistes ou libér
197 , si absurde soit-il, tantôt la dictature brutale et arbitraire, plus rarement la revendication d’un équilibre vrai, d’une
198 n d’un équilibre vrai, d’une hiérarchie naturelle et féconde. Et quant au mot patrie, on le voit confondu, dans les discou
199 ibre vrai, d’une hiérarchie naturelle et féconde. Et quant au mot patrie, on le voit confondu, dans les discours et les ar
200 ot patrie, on le voit confondu, dans les discours et les articles de journaux, avec état, nation, mystique raciale, peuple
201 naux, avec état, nation, mystique raciale, peuple et coutumes, ou terre natale, clocher, etc. D’où l’embrouillamini de la
202 ocher, etc. D’où l’embrouillamini de la politique et des partis, et la confusion meurtrière de termes dangereusement charg
203 ù l’embrouillamini de la politique et des partis, et la confusion meurtrière de termes dangereusement chargés de passion e
204 rière de termes dangereusement chargés de passion et de préjugés, tels que patriotisme, nationalisme, impérialisme… ⁂ Tout
205 tionalisme, impérialisme… ⁂ Tout concourt à créer et aggraver cette crise du sens des mots et de la sémantique vivante. D’
206 à créer et aggraver cette crise du sens des mots et de la sémantique vivante. D’une part la somme des échanges écrits ou
207 able de goûter une œuvre rigoureuse ou novatrice, et qui pourrait servir de norme ou de repère, a tout au plus triplé, et
208 vir de norme ou de repère, a tout au plus triplé, et c’est sans doute encore trop dire. Racine avait un millier d’auditeur
209 leur vie ou paraissaient leurs œuvres capitales. Et je doute qu’un Meyerson sont sérieusement compris et discuté par beau
210 je doute qu’un Meyerson sont sérieusement compris et discuté par beaucoup plus de personnes que Descartes n’en convainquit
211 es journaux du soir à cinq-cent-mille exemplaires et la radio atteignent des millions d’auditeurs. Dans cette disproportio
212 nnante entre l’aire de la vraie culture créatrice et régulatrice et l’aire des sous-produits standardisés de la culture de
213 aire de la vraie culture créatrice et régulatrice et l’aire des sous-produits standardisés de la culture de consommation,
214 ngage. La presse, la radio, l’éloquence politique et les ouvrages populaires à grand tirage, voilà tout un domaine que l’é
215 ire des journaux est vague, impropre, sans saveur et sans pouvoir d’évocation active du vrai. Il habitue des millions de l
216 plus concrètes. Ainsi les mots perdent leur force et leur délicatesse d’appel. Et les bons écrivains, qui n’ont pas d’autr
217 s perdent leur force et leur délicatesse d’appel. Et les bons écrivains, qui n’ont pas d’autres armes, se voient privés de
218 plus, ne marquent pas dans ce magma inconsistant. Et leurs conseils paraissent obscurs dans la mesure où ils se veulent sc
219 i n’a plus de mission réelle. C’est un jeu formel et précis, dont ils sont seuls à connaître les règles. (Encore ne sont-i
220  !) Leur style devient de plus en plus « exquis » et par suite inapte à traduire une volonté d’action bientôt jugée vulgai
221 end ? Quand le peuple d’Israël oublie sa vocation et se détourne de l’Éternel son Dieu, il perd aussi le sens des noms et
222 ’Éternel son Dieu, il perd aussi le sens des noms et bientôt sa langue délire : « Il prononce des paroles vaines, des serm
223 r de raffinés rhéteurs, ils perdent leur autorité et suscitent contre eux des révoltes qui s’expriment dans des langues no
224  : pour peu que le sens des fins vienne à faiblir et que la mesure commune cesse d’être effectivement perçue et observée,
225 mesure commune cesse d’être effectivement perçue et observée, l’on assiste à la même dégradation des instruments de la cu
226 que les écrivains ne sont plus compris du peuple, et que la langue vulgaire s’encombre d’équivoques, de confusions et de m
227 e vulgaire s’encombre d’équivoques, de confusions et de malentendus parfois tragiques : l’oubli des fins dernières entraîn
228 Cette absence d’un principe communautaire vivant et puissant dans nos vies, c’est le drame de la civilisation, de la cult
229 obscurément de leur séparation. Ils sont ensemble et ils sont seuls. Ils sont pressés les uns contre les autres et étrange
230 seuls. Ils sont pressés les uns contre les autres et étrangers. Ils échangent des paroles en plus grand nombre que jamais,
231 gent des paroles en plus grand nombre que jamais, et ne se disent rien qui compte. « Paroles vaines, serments faux ! » Or,
232 le n’est plus le don qu’un homme fait à un homme, et qui engage quelque chose de son être, c’est l’amitié humaine qui se d
233 rielle, elle est d’abord cette inquiétude du cœur et de l’esprit qui naît de la mort des amitiés. Plus angoissante encore,
234 iés. Plus angoissante encore, elle règne innommée et panique partout où l’amitié humaine n’a jamais rien noué, rien engagé
235 t pas pour l’homme, le diable le fait à sa place, et contre l’homme qu’il séduit et qu’il trompe. Cette fin commune, cet i
236 e fait à sa place, et contre l’homme qu’il séduit et qu’il trompe. Cette fin commune, cet idéal commun que nous devions se
237 rée l’œuvre unanime, nous les cherchions en vain, et sans le savoir, dans la cité qu’on nous a faite. C’est une faim, une
238 Quelqu’un a formé le projet de tromper cette faim et cette soif. Au païen ignorant du vrai Dieu, les prêtres donnent des i
239 de ces images, le peuple croit trouver son unité, et il y retrouve en effet le symbole agrandi d’un désespoir qu’il sent v
240 ligions. Il sait ce qu’il faut penser des prêtres et des sorciers. On lui donnera donc autre chose : les mêmes choses sous
241 es mêmes choses sous d’autres noms, des mystiques et des dictateurs. Les lieux communs sont morts et embaumés : déjà, on l
242 s et des dictateurs. Les lieux communs sont morts et embaumés : déjà, on leur fait des musées. Ou pire : ils n’ont jamais
243 nera donc de nouveaux fabriqués à notre mesure, —  et quelle misérable mesure ! « Slogans » publicitaires, mots d’ordre pol
244 les ersatz pitoyables que nous proposent l’Argent et l’État. Gîovinezza ! Tod den Juden ! Nous ferons mieux que l’Amérique
245 sure n’est plus cette loi qui vit en l’homme réel et personnel, cette alliance du peuple avec sa vocation qui faisait la g
246 authentiques. Elle est devenue la loi inexorable et mécanique qui plie l’individu à des calculs de masses, à des discipli
247 re, ou s’il ne mise que sur l’indignité humaine ? Et si la propagande et la publicité qui ont pris la place des lieux comm
248 que sur l’indignité humaine ? Et si la propagande et la publicité qui ont pris la place des lieux communs spirituels et ef
249 ui ont pris la place des lieux communs spirituels et effectifs ne nous ordonnent qu’à des fins provisoires ou dégradantes 
250 provisoires ou dégradantes : l’État totalitaire, et la richesse matérielle ? Que vaut alors cette communauté de réflexes
251 lle ? Que vaut alors cette communauté de réflexes et d’obsession ? N’est-elle pas une somme de nos défaites intimes, de no
252 , à paraître chez Albin Michel. 25. Les injures et les marques de mépris hautain dont se gratinent les poètes, les essay
253 tain dont se gratinent les poètes, les essayistes et les politiciens modernes, avec une fureur sans exemple dans l’histoir
254 pessimisme de la pensée qui désespère d’atteindre et de mouvoir effectivement les hommes. Cas de Nietzsche, des surréalist
255 se sentent très loin de ceux qu’ils interpellent, et qu’ils traitent comme des sourds. 26. Contrairement à ce qui se pass
256 l’on ne risque pas de confondre le vol à la tire et le vol plané dans la conversation courante ; tandis que les débats po
257 électoraux abondent en confusion de cette espèce et s’en nourrissent. L’opération fameuse qui consiste à additionner les
258 fameuse qui consiste à additionner les casseroles et les haricots est à la base de l’éloquence démagogique. e. Rougemont
4 1937, Articles divers (1936-1938). Changer la vie ou changer l’homme ? (1937)
259 Opposez les dogmes chrétiens aux axiomes de Marx et d’Engels, les communistes vous répondront, non sans apparence d’à-pro
260  ; qu’ainsi lestée, elle a pu se mettre en marche et agir au niveau du réel ; que son but primitif était de détruire l’Éta
261 et État jusqu’à l’extrême qu’on nomme dictature ; et qu’enfin cette dictature disparaîtra nécessairement, d’elle-même, ave
262 une constitution qui renforce encore l’étatisme, et ne parle même plus de sa suppression future. Au contraire, il fait fu
263 gnifiait donc, précisément, renoncer à la vérité, et ne croire plus qu’à la tactique d’un dictateur, lequel changera la vé
264 de Staline ; le pacifisme à tout prix des débuts et l’impérialisme actuel (si mal déguisé par la IIIe Internationale) ; l
265 la IIIe Internationale) ; la lutte contre l’État, et en même temps, le capitalisme d’État de Lénine ; l’expropriation des
266 itage puis son rétablissement ; l’antimilitarisme et la création enthousiaste d’une armée abondamment pourvue de maréchaux
267 alité sociale absolue puis la course aux salaires et aux grades ; la ruine de la famille puis sa réfection systématique ;
268 , je l’entends bien, par des nécessités pratiques et contingentes, et je n’ai pas à porter, ici, un jugement d’allure poli
269 en, par des nécessités pratiques et contingentes, et je n’ai pas à porter, ici, un jugement d’allure politique. Mais ce qu
270 els défendre ces manœuvres au nom de la doctrine, et les justifier à tout coup (avec léger retard sur l’événement !) par d
271 t les neuf dixièmes des adversaires du marxisme — et combien de marxistes eux-mêmes !) Si maintenant j’essaie de saisir l’
272 maintenant j’essaie de saisir l’identité foncière et la continuité de l’attitude communiste, au travers des contradictions
273 u monde. Connaître qu’il existe un mal universel, et qu’il faut donc transformer toutes choses, tel est, je crois, l’acte
274 ussi la passion constante du communiste conscient et conséquent. C’est ce mouvement profond qui légitime, à ses yeux tout
275 ’a pas le droit de déterminer le tout de l’homme, et ne le peut pas. Car elle est divisée contre elle-même, et fait de l’h
276 peut pas. Car elle est divisée contre elle-même, et fait de l’homme qui s’abandonne à elle un être antinomique, « divisé 
277 abandonne à elle un être antinomique, « divisé », et comme « aliéné » de ce qu’il y a de plus humain en lui. À la découver
278 chrétien, l’homme ne pourra trouver sa plénitude et se « regagner totalement »43 qu’à la faveur d’une économie44 radicale
279 oujours dans sa forme — dressera donc le chrétien et le marxiste contre toute espèce de statisme, contre toute spéculation
280 sme, contre toute spéculation idéaliste, détachée et inactuelle, et contre toute activité qui ne concourrait pas, d’une fa
281 te spéculation idéaliste, détachée et inactuelle, et contre toute activité qui ne concourrait pas, d’une façon ou d’une au
282 amentale de transformation, je la trouve formulée et résumée, de part et d’autre, par deux propositions parfaitement clair
283 mation, je la trouve formulée et résumée, de part et d’autre, par deux propositions parfaitement claires qui, tout en affi
284 nt avec vigueur la nécessité d’un « changement », et d’un changement pratique, concret, visible, divergent cependant, d’un
285 ant, d’une manière significative, quant aux voies et moyens qu’elles préconisent. La 2e thèse de Marx sur Feuerbach affirm
286 nde ; or il s’agit maintenant de le transformer. Et l’apôtre Paul écrit dans sa Lettre aux Romains (12, 2) : Ne vous con
287 est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait. Dans les deux cas, il s’agit du même mot : transformer ; et
288 s deux cas, il s’agit du même mot : transformer ; et il s’agit de transformer en tant que l’on est proprement humain (c’es
289 ire en tant que l’on obéit à l’Esprit, pour Paul, et en tant que l’on fait la révolution, pour Marx). Il s’agit donc d’act
290 ne action45 qui ne peut être que révolutionnaire. Et cependant l’opposition de Marx et de l’apôtre éclate en ceci : que Pa
291 évolutionnaire. Et cependant l’opposition de Marx et de l’apôtre éclate en ceci : que Paul veut transformer l’homme d’abor
292 eci : que Paul veut transformer l’homme d’abord — et le monde par lui — tandis que Marx veut transformer le monde d’abord,
293 dis que Marx veut transformer le monde d’abord, —  et l’homme par lui. C’est sur le fait de cette opposition centrale qu’il
294 air, si l’on veut comprendre pourquoi la pratique et les fins du communisme contredisent radicalement la pratique et les f
295 communisme contredisent radicalement la pratique et les fins du christianisme, dont elles dérivent d’ailleurs obscurément
296 urope occidentale vers le milieu du xixe siècle, et par la volonté de la changer. En particulier, elle n’est « matérialis
297 où la mentalité de l’époque peut être qualifiée — et se qualifie elle-même — de spiritualiste, au sens le plus contestable
298 x ? C’était celle de la Restauration. Professeurs et bourgeois libéraux, grands patrons du capitalisme naissant en Anglete
299 nds patrons du capitalisme naissant en Angleterre et en Allemagne, théologiens de l’école hégélienne, ou adversaires du ch
300 e, que la religion concerne « l’homme intérieur » et rien que lui. C’était une « affaire privée » ; et Marx n’a fait que l
301 et rien que lui. C’était une « affaire privée » ; et Marx n’a fait que le constater. Elle n’empêchait nullement de faire d
302 semblait plus gêner personne46. Elle sanctionnait et protégeait l’ordre établi. Elle traduisait cet établissement même, et
303 e établi. Elle traduisait cet établissement même, et non plus ce qui l’eût jugé. Marx ne perd pas son temps à dénoncer l’e
304 l’évolution économique, qu’il formule. Je résume et je simplifie ce processus : ceux qui prétendent réformer « l’intérieu
305 eux, qu’il faut d’abord transformer l’extérieur — et le reste suivra nécessairement. Pour sauver le reste — disons : la cu
306 sauver le reste — disons : la culture, l’esprit, et l’âme si l’on y tient — il faut commencer par le nier. L’« esprit » d
307 ssité vertu. Proposons-nous de changer les choses et leurs rapports, de changer « le monde », c’est-à-dire les rapports éc
308 le monde », c’est-à-dire les rapports économiques et sociaux. Et s’il nous reste encore du temps, nous changerons l’homme.
309 c’est-à-dire les rapports économiques et sociaux. Et s’il nous reste encore du temps, nous changerons l’homme. D’ailleurs,
310 que son ami Engels en découvrit le danger. « Marx et moi — écrit-il en 1890 — nous sommes peut-être responsables de ce que
311 par opposition à nos adversaires qui le niaient, et nous n’eûmes pas toujours le temps ni l’occasion de rendre justice au
312 a cause de tous ses malheurs est dans les choses, et non dans lui. (Il n’en fut pas conscient, et pourtant il en est respo
313 ses, et non dans lui. (Il n’en fut pas conscient, et pourtant il en est responsable, nous reviendrons plus tard sur ce poi
314 reviendrons plus tard sur ce point.) Le peuple — et la bourgeoisie donc ! — répète que l’habit ne fait pas le moine, et q
315 donc ! — répète que l’habit ne fait pas le moine, et que l’argent ne fait pas le bonheur. Pratiquement, il croit dur comme
316 il croit dur comme fer que l’habit fait le moine et que l’argent fait le bonheur. Marx vient lui expliquer en 15 volumes
317 i démontrer que ceux qui prétendent le contraire, et qui prêchent que l’argent ne fait pas le bonheur, sont simplement des
318 sont simplement des exploiteurs, qui ont l’argent et qui veulent le garder — justement parce qu’il fait leur bonheur ! Alo
319 Mais les nécessités de la polémique d’une part, —  et sa définition de l’homme concret, purement social, d’autre part, l’on
320 que le fascisme a de plus oppressif pour l’homme et pour sa liberté. L’attitude chrétienne devant le « monde » On p
321 d’une « doctrine » du christianisme. Le chrétien, et surtout le protestant, répugne absolument à concevoir que les dogmes
322 e, cela va de soi. Parlons plutôt d’une attitude. Et d’une attitude totale. (Je dirais bien totalitaire, si le mot n’avait
323 s séculières de la révolution chrétienne.) La vie et la pensée chrétiennes, en effet, se réfèrent à chaque instant à ce qu
324 termine le tout de l’homme : son origine, sa fin, et sa mission présente. Le chrétien sait qu’il vient de Dieu, le Créateu
325 l va vers le Royaume de Dieu, le Réconciliateur ; et qu’il a pour mission actuelle d’obéir à une Parole qui est Jésus-Chri
326 entre les hommes qui refusent totalement ce monde et s’attendent totalement au Royaume. Ce refus, cette attente active50 c
327 icale qui soit, disons mieux : la seule radicale. Et toutes les autres, dans notre Occident troublé par un message qu’il m
328 conversion, le chrétien n’ait plus qu’à attendre, et à subir en gémissant les lois d’un monde qu’il condamne ! Car alors,
329 qu’il condamne ! Car alors, où serait son refus ? Et quelle preuve aurions-nous de sa transformation ? Une mauvaise humeur
330 ur ignorance ou leur aveuglement quant au devoir, et au pouvoir, de l’homme transformé par la foi. L’homme nouveau, selon
331 lui adresse, il reconnaît du même coup l’origine et le but de sa vie : il connaît dès lors son péché, tout ce qui l’écart
332 monde. Car si le monde s’est livré à l’injustice et au désordre, c’est par la faute de l’homme, qui était son roi, et qui
333 c’est par la faute de l’homme, qui était son roi, et qui a trahi. Et tout péché individuel répète et aggrave cette faute.
334 te de l’homme, qui était son roi, et qui a trahi. Et tout péché individuel répète et aggrave cette faute. Ainsi : conscien
335 , et qui a trahi. Et tout péché individuel répète et aggrave cette faute. Ainsi : conscience du péché, connaissance de la
336 nsi : conscience du péché, connaissance de la fin et de l’origine, obligation d’agir pour racheter le mal commis, sont tro
337 nce de Dieu naît de l’obéissance », écrit Calvin. Et que serait une obéissance qui ne se manifesterait pas ? La transforma
338 hrétien : contre le monde dans sa forme présente, et pour le monde restauré dans la Promesse. Il faut aller plus loin que
339 rande portée. Voilà qui paraîtra plus scandaleux. Et cependant l’Évangile est formel : « Que servirait à un homme de gagne
340 on âme, c’est-à-dire la conscience de son origine et de sa fin, du sens même de son action, de sa pensée, de sa vie corpor
341 le voit le chrétien, de sauver sa vie matérielle et morale, d’échapper à la guerre, à la misère, à l’oppression, s’il ign
342 n est converti, laisser le monde aller son train, et les guerres se déchaîner, et les chômeurs mourir de faim ? Ce serait
343 nde aller son train, et les guerres se déchaîner, et les chômeurs mourir de faim ? Ce serait prouver qu’on n’est pas conve
344 erti. J’agirai donc, toutefois non pour le monde, et non pour sauver quelque bien, mais parce que je me sais responsable p
345 connais mon salut, je ne puis supporter mon péché et ses effets dans le monde réel où vivent les hommes — où meurent les h
346 proches réciproques que s’adressent les chrétiens et les marxistes Telle étant donc la conception chrétienne de l’homme
347 urte contre un meuble, se fâche contre les choses et les rend responsables. Il croit que c’est elles qu’il faut changer. I
348 par changer l’ordre matériel, l’ordre des choses, et que les hommes ensuite deviendraient plus habiles à s’entendre et à v
349 s ensuite deviendraient plus habiles à s’entendre et à vivre heureux ? « Changer la vie », criait l’enfant Rimbaud ! Et le
350 x ? « Changer la vie », criait l’enfant Rimbaud ! Et les intellectuels de gauche reprennent aujourd’hui cette devise, pour
351 poser au « spiritualisme » autant qu’à la routine et au cynisme des conservateurs. Saint Paul n’a pas cette tragique naïve
352 ïveté. Il ne se fâche pas contre l’Empire romain, et ne désigne pas sa destruction comme premier objectif aux chrétiens. P
353 étiens. Pourtant l’Empire leur ôte toute liberté, et bientôt leur ôtera la vie ! Ne faut-il pas « aller au plus pressé »,
354 renverser les tyrans ? Ainsi parlent le bon sens, et le marxisme. Mais si l’Apôtre avait placé la lutte sur ce terrain que
355 es : il eût revêtu les formes du pouvoir déposé51 et renvoyant à des temps plus paisibles l’évangélisation — sa raison d’ê
356 onsacré aux tâches plus urgentes : donner du pain et des spectacles à la foule. Mais Paul était apôtre et non pas dictateu
357 des spectacles à la foule. Mais Paul était apôtre et non pas dictateur. C’est pourquoi son message nous est encore prêché.
358 prêché. Il annonçait aux hommes non pas la haine et le cynisme — qui appartiennent à la forme du monde — mais la nouvelle
359 rie ardue, mais une présence immédiatement active et totalement salutaire, au nom d’une Personne vivante et de son amour é
360 talement salutaire, au nom d’une Personne vivante et de son amour éternel. Il annonçait l’homme changé. Trop beau tout cel
361 t vous parlez ? Sur une foi que ma raison refuse, et qu’elle m’ordonne d’ignorer. Je ne vois pas les effets d’une telle fo
362 ssants, soutenant partout les régimes rétrogrades et prêchant la résignation. C’est vraiment trop facile de se mettre en r
363 ence, en prétextant que l’intérieur importe seul, et que le « pain de vie » suffit à nourrir l’homme ! Peut-être suffit-il
364 du marxisme, c’est sa volonté proclamée, concrète et immédiate, de changer tout ; et non pas seulement l’« esprit » ou l’«
365 oclamée, concrète et immédiate, de changer tout ; et non pas seulement l’« esprit » ou l’« intérieur ». Or si le marxisme
366 rer chrétien. C’est que le sel a perdu sa saveur, et son amertume salutaire. C’est que la seule espérance véritable et cer
367 salutaire. C’est que la seule espérance véritable et certaine n’a plus été prêchée au monde avec une force d’attaque assez
368 e au monde avec une force d’attaque assez gênante et bouleversante. C’est que l’« esprit » qui devait être l’agent du chan
369 evait être l’agent du changement total, perpétuel et seul réel, est devenu le gardien des conformismes, ou du moins n’a pa
370 chrétien au marxiste. En gros : si Marx se trompe et réussit, c’est parce que Christ est mal prêché par ses disciples (que
371 les mêmes termes que la réaction. Mais ceci dit, et maintenu, il reste qu’en doctrine, et indépendamment de toutes nos fa
372 s ceci dit, et maintenu, il reste qu’en doctrine, et indépendamment de toutes nos fautes, l’objection marxiste ne vaut rie
373 e de me contenter d’un changement tout spirituel, et qui n’affecte en rien le cours des choses, je suis fondé à lui répond
374 t ‟une chose inquiète”, on ne l’a pas impunément, et si on l’a, cela se voit, des choses changent. Ce que tu me reproches,
375 st pas sa faute, à ce marxiste, mais notre faute, et tout d’abord la mienne.) Par contre, quand je reproche au marxisme sa
376 épart, dès l’origine doctrinale, intrinsèquement, et dans la mesure exacte où l’on est un marxiste convaincu, non point da
377 ocable, aujourd’hui manifeste. Erreur sur l’homme et sa mission cosmique. Erreur sur la personne — dans mon vocabulaire. M
378 que marxiste porte sur un christianisme dénaturé. Et l’essentiel du marxisme, je le répète, c’est sa volonté de changer le
379 sa volonté de changer le monde, le monde d’abord, et non pas l’homme d’abord, et le monde par lui. Or une telle volonté ne
380 de, le monde d’abord, et non pas l’homme d’abord, et le monde par lui. Or une telle volonté ne peut conduire qu’à l’excès
381 taline, mais par l’effet des conditions physiques et spirituelles de l’homme en ce qu’elles ont d’irréductibles à toute dé
382 tables que présentent la volonté du vrai chrétien et celle du communiste militant, ont tenté la synthèse pratique des deux
383 s nombreux qu’on ne le pense, souhaitent au moins et appellent cette synthèse, paraissant redouter je ne sais quel malheur
384 l’opérer. Dans la jeunesse universitaire chinoise et japonaise, le problème se posait avec urgence, aux environs de 1933,
385 thousiasme, « les deux Karl », c’est-à-dire Barth et Marx !54 C’est ici qu’une critique proprement théologique se révèle s
386 capable de marquer les limites existant en fait, et les distinctions décisives. La pratique du communisme n’est justiciab
387 ritique politique, économique, historique, etc.55 Et je ne vois pas que le chrétien comme tel ait des lumières particulièr
388 ologique, ce sont les buts derniers du communisme et les postulats qu’il suppose. Qu’on me permette ici d’être un peu sché
389 ue l’opposition finale entre la croyance marxiste et la foi personnelle du chrétien suffit à expliquer tout le reste. Le c
390 rapportent leur accomplissement à un état dernier et invariable, à un terme futur et total, accessible au travers d’une lo
391 à un état dernier et invariable, à un terme futur et total, accessible au travers d’une longue tribulation, d’une longue p
392 gue tribulation, d’une longue passion temporelle. Et c’est la « foi », substance des choses espérées, qui permet seule de
393 on chrétien est au-delà de ce temps, est éternel, et par là même peut être immédiatement présent dans notre cœur56 alors q
394 fini, — cent ans, mille ans ou deux-mille ans ? —  et ne peut exister hic et nunc. Comment l’opposition radicale de ces deu
395 position radicale de ces deux fins, la temporelle et l’éternelle, va-t-elle maintenant se manifester dans notre siècle ? L
396 ertit au christianisme, c’est un homme qui reçoit et qui saisit la Révélation en Personne. Et du coup le Royaume est au-de
397 i reçoit et qui saisit la Révélation en Personne. Et du coup le Royaume est au-dedans de lui. Cet homme n’est plus le maît
398 une vocation venue d’ailleurs, mais pour lui seul et ici-bas, et qui anime désormais ses gestes et sa pensée la plus intim
399 venue d’ailleurs, mais pour lui seul et ici-bas, et qui anime désormais ses gestes et sa pensée la plus intime. Dès maint
400 eul et ici-bas, et qui anime désormais ses gestes et sa pensée la plus intime. Dès maintenant sa personne est recréée. Dès
401 s maintenant, elle entre en conflit avec le monde et ses formes mauvaises. Dès maintenant, elle porte témoignage en faveur
402 Marx voyait au terme de l’histoire : la personne. Et alors, il attaque le monde ! Mais un homme qui se convertit au commun
403 des deux, c’est le marxiste qui est l’utopiste ; et c’est le chrétien qui est le réaliste. (J’entends bien : le chrétien
404 le du communisme, c’est la libération de l’homme. Et moi je lui montre un homme libéré, tandis qu’il ne peut me montrer qu
405 i encore une autre différence, non moins radicale et urgente. Le chrétien converti a déjà l’essentiel : par là même, il se
406 marques du péché. Il est alors en face du monde, et au nom même de sa foi, dans la posture d’un révolutionnaire permanent
407 ais le marxiste, quelles que soient la souffrance et la colère qu’il éprouve devant les injustices présentes, du fait qu’i
408 croit que l’intérêt de l’homme est seul en jeu — et de l’homme tel qu’il le conçoit, être social — se verra fatalement ne
409 nce s’établit entre les intérêts sociaux présents et le désir d’aller au-delà, d’aller jusqu’à l’accomplissement final. Ca
410  si passionnée que soit l’espérance du marxiste — et non pas une présence exigeante et totalement animatrice. C’est ici la
411 e du marxiste — et non pas une présence exigeante et totalement animatrice. C’est ici la raison profonde des déviations di
412 pasmodiques qui agitent l’humanité (comme en 1789 et en 1917), il faudrait que l’homme soit délivré de son péché, « changé
413 isme le maintient. Moyens d’action du chrétien et du marxiste Préparer le royaume de l’homme, ou témoigner par des a
414 l’action du chrétien, c’est le royaume de justice et d’amour. Tout acte qui contredirait, dans le présent, la loi d’amour
415 qui contredirait, dans le présent, la loi d’amour et de justice, même s’il était commis au nom des intérêts de l’Église ch
416 e en tant qu’elle vit dans chacun de ses membres, et non pas dans un ciel abstrait. Car le gage de l’action chrétienne n’e
417 l’action chrétienne n’est pas futur, mais éternel et donc présent. Si, pour sauver le futur de l’Église, je désobéis dans
418 , présent, futur, éternité. Je crucifie le Christ et je m’oppose à son retour. Il n’est donc pas d’« opportunisme » chréti
419 donc pas d’« opportunisme » chrétien qui tienne, et tous les moyens du chrétien doivent être aussi purs que sa fin. Tout
420 uge adéquats aux intérêts momentanés de son Parti et de sa classe. Ainsi Staline peut justifier en bonne doctrine « dialec
421 ner mais je doute qu’ils soient bien conséquents, et que leur indignation traduise la vraie volonté du marxisme, plutôt qu
422 n, l’hypocrisie suprême nommée « raison d’État », et jusqu’à la guerre s’il le faut, sont des moyens parfaitement acceptab
423 es en tant qu’ils servent le progrès prolétarien, et préparent un avenir conforme à la doctrine59. Que leur importe une « 
424 ine59. Que leur importe une « faute » personnelle et actuelle, puisqu’il n’y a pas de salut présent ni éternel, puisque le
425 es disciplines d’action que lui impose son parti, et qui comportent la haine et le mensonge : mais alors pour sauver le mo
426 lui impose son parti, et qui comportent la haine et le mensonge : mais alors pour sauver le monde, il perd sa raison d’êt
427 r le monde, il perd sa raison d’être personnelle, et renie justement cette foi qu’il croyait mieux servir dans le communis
428 n opposant, un « trotzkyste » ou un « saboteur », et à tout le moins un militant suspect. Tout cela repose sur un fait uni
429 anscendance de la foi chrétienne se manifeste ici et maintenant et engage le tout de l’homme ; tandis que l’immanence de l
430 la foi chrétienne se manifeste ici et maintenant et engage le tout de l’homme ; tandis que l’immanence de la croyance mar
431 sse le fait humain total dans un avenir indéfini, et n’engage que certaines dispositions de l’être, celles-là précisément
432 te seule, puisqu’elle est, en effet, l’essentiel, et le but de tout autre changement. J’en vois beaucoup qui jugent que l’
433 up qui jugent que l’action personnelle de charité et de sacrifice, pour le mieux-être du prochain, suffit à compléter, si
434 si je puis dire, l’action proprement religieuse. Et j’entends bien que les sacrifices qu’ils font ne sont pas seulement «
435  spirituels », entraînent des risques financiers, et même parfois l’abandon de tous biens et d’intérêts humains très chers
436 nanciers, et même parfois l’abandon de tous biens et d’intérêts humains très chers. Mais je demande à ces chrétiens « chan
437 s’ils ont un souci suffisant des suites sociales et politiques qu’implique en fait leur attitude ? Et je pense en particu
438 et politiques qu’implique en fait leur attitude ? Et je pense en particulier aux membres du Mouvement des Groupes, qui rep
439 on spiritualiste qui menace notre vie chrétienne, et qui est la cause certaine des succès du marxisme. Tant que les chréti
440 en conflit avec certaines structures politiques, et contribue, par son action la plus intime, à la création d’autres form
441 d’autres formes. Il importe de savoir lesquelles, et de les préparer consciemment. Sinon nous laisserons le champ libre à
442 rétien peut apparaître plus historiquement défini et localisé : je n’en donnerai qu’un seul exemple, que je crois actuel e
443 soviétique : c’est la « mise au pas » de nos vies et de tous les aspects de nos vies, tant spirituels que matériels, au se
444 obscurs, ils ont constitué des églises visibles ( et même parfois trop visibles), organisées (parfois trop bien organisées
445 es qui s’opposent aux commandements du Décalogue, et au devoir d’amour chrétien. Le conflit est inévitable. Suffira-t-il d
446 rester l’objecteur que j’ai dit ? Un protestant, et je précise : un calviniste, doit être ici en mesure de répondre. De t
447 nce. Je ne rappelle qu’en passant les dragonnades et les guerres de religion qui les précèdent : on sait assez que ce fut
448 irement une organisation fédéraliste de l’Église, et même de l’État. Calvin n’a pas fondé, comme le répètent tous les manu
449 ités, voulues par Dieu, dans l’unité spirituelle. Et les suites de cette création sont encore visibles aujourd’hui : nulle
450 esprit totalitaire n’a trouvé moins de complicité et plus de résistance déclarée que dans les pays calvinistes, où la noti
451 sant, comme il serait facile, à l’esprit unitaire et impérial qui anime l’Église de Rome. Le grand souci d’œcuménisme, que
452 omposent. Ne fût-ce que pour cette seule raison — et j’en ai mentionné plusieurs autres —, un chrétien ne peut pas approuv
453 unisme63. Il lui faut donc en préparer une autre, et prendre enfin parti, positivement, dans l’immense lutte qui va mettre
454 e qui va mettre aux prises l’étatisme totalitaire et le fédéralisme libre. Responsabilité des chrétiens vis-à-vis des m
455 ar la chrétienté. Toutes les aspirations valables et généreuses du marxisme sont autant d’essais de sauvetage de vérités c
456 ations théocratiques ou séculières. Si la culture et si nos libertés civiques sont brimées, par le fait d’une doctrine et
457 civiques sont brimées, par le fait d’une doctrine et d’un État « matérialistes », il faut savoir que nous en sommes les re
458 prit détaché du réel, une liberté abstentionniste et inféconde. Tout le mal vient de notre esprit. C’est à lui de faire pé
459 Mais il faut aussi repartir. La tragédie de Marx et du marxisme, c’est de n’avoir pas su, ou pas pu opposer au mensonge s
460 iens vivants qui l’attachaient en Dieu à ses fins et à ses origines. Mais nous devons proclamer la vérité parfaite dont no
461 arx n’a pas cessé de critiquer l’« individu isolé et abstrait » (Thèses sur Feuerbach). 43. Marx, Critique de la philosop
462 r la vérité de sa pensée, c’est-à-dire sa réalité et sa puissance concrète. Réalité ou non de la pensée humaine isolée du
463 sans les œuvres n’est pas la foi (Jacq., 2, 26). Et Luther même n’a jamais dit autre chose, contrairement aux affirmation
464 uent sur les deux sens du mot œuvres (œuvres pies et action concrète). 46. Je parle, bien entendu, de la religion telle q
465 -dire l’homme concret, produit social selon Marx, et non pas créature spirituelle et charnelle. 48. En particulier, dans
466 ocial selon Marx, et non pas créature spirituelle et charnelle. 48. En particulier, dans les Thèses sur Feuerbach. On peu
467 coïncidence de la modification des circonstances et de la modification de l’activité humaine, ou transformation personnel
468 si l’on veut, que l’Église s’adresse à elle-même, et qui a pour fonction de corriger sans cesse, de rectifier le message a
469 e rectifier le message annoncé par la prédication et par les sacrements. C’est un acte d’obéissance, et c’est aussi un act
470 t par les sacrements. C’est un acte d’obéissance, et c’est aussi un acte d’humilité ; car toute parole humaine sur Dieu es
471 ne sur Dieu est nécessairement inadéquate en soi, et ne peut être qu’un renvoi à la Révélation seule parfaite, à Jésus-Chr
472 ort de sa fidélité à son fondement, à son contenu et à son but. Elle ne présente rien que l’on puisse comparer, fût-ce le
473 — ce serait la Personne vivante de Jésus-Christ, et non pas la théologie, simple autocritique de l’Église et du message q
474 pas la théologie, simple autocritique de l’Église et du message que l’on prêche dans l’Église. 50. « S’attendre à… » veut
475 n chrétienne. Toute autre cause est secondaire. » Et Henri de Man : « Je crois qu’il n’y a jamais eu de tentative révoluti
476 wa. 53. Je ne dis pas « les conditions physiques et spirituelles en ce qu’elles ont de permanent », car alors, le marxist
477 s de l’être même peuvent varier selon les milieux et la nature des institutions. (Ainsi le besoin prétendu « primordial »
478 à toute transformation sociale ? La mort physique et le péché. Mais aussi : la qualité, la fonction créatrice de l’esprit.
479 qui néglige la fonction spirituelle (créatrice), et la pesanteur du péché. Tandis qu’à l’inverse, on ne saurait établir q
480 opérée par exemple un Werner Sombart, un de Man, et en France, le groupe de l’Ordre nouveau. (Cf. en particulier la Révol
481 en particulier la Révolution nécessaire, par Aron et Dandieu, et sa critique de la notion d’échange chez Marx.) 56. « Les
482 er la Révolution nécessaire, par Aron et Dandieu, et sa critique de la notion d’échange chez Marx.) 56. « Les pharisiens
483 ieu ne vient pas de manière à frapper les regards et l’on ne dira pas : il est ici, ou bien : il est là ! Car voici que le
484 tique, nos affaires, nos intérêts dits matériels, et ceux des autres ! Exemple typique : l’auteur d’un des cantiques les p
485 doit indiquer les moyens justes qui la préparent. Et non pas justifier des moyens qui seraient en soi contraires à la just
486 en tant qu’ils approuvent la politique de Staline et ses moyens, connus de tous, ils approuvent le mensonge (affaire Zinov
487 écrivains), la haine de classe (prêchée par Marx) et la guerre (pour peu qu’elle soit censée défendre l’URSS). 60. Je n’e
488 es parties, constitution démocratique, fédérative et parlementaire. » À la base de tout, il y a l’église locale, ou parois
489 nger la vie ou changer l’homme ? », Le Communisme et les chrétiens, Paris, Plon, 1937, p. 203-233.
5 1937, Articles divers (1936-1938). Vocation et destin d’Israël (1937)
490 Vocation et destin d’Israël (1937)v Sens de « l’histoire » d’Israël Un pr
491 expression, à vrai dire très courante en allemand et qui sans doute a perdu sa vertu pour une oreille habituée : « Il se l
492 sa vertu pour une oreille habituée : « Il se lève et il tombe avec sa mission. » Nous ne savons rien du reste de sa vie, e
493 ission. » Nous ne savons rien du reste de sa vie, et n’avons nul besoin d’en rien connaître pour reconnaître la portée de
494 épuiseront — mais encore il y avait cet obstacle, et celui-là précisément qui paraît le plus décisif, à vues humaines, s’a
495 sse que Dieu fit à Abraham. Cette tribu « se lève et tombe » avec la mission qu’elle incarne : « Préparer les voies du Sei
496 rne : « Préparer les voies du Seigneur », espérer et prêcher le Messie, attendre activement l’invisible et plus que cela :
497 rêcher le Messie, attendre activement l’invisible et plus que cela : le jamais vu, ce qu’aucun autre peuple au monde n’a j
498 e, telle qu’on peut vraisemblablement la styliser et la chiffrer, c’est-à-dire, telle qu’elle fut déterminée par des facte
499 tre, que cette impuissance étonnante à construire et à conquérir… Ainsi les annales d’Israël sont celles d’une puissance i
500 les d’Israël sont celles d’une puissance imprévue et humainement imprévisible, qui ne fut jamais immanente aux conditions
501 tantes, leurs faux pas, leurs accès d’incroyance. Et toute leur grandeur est à Dieu, c’est-à-dire à la vocation qui les ar
502 eux, à ce destin de très piètre envergure. Foi et idolâtrie La considération du conflit séculaire que décrit l’Ancie
503 ament nous ramène avec une insistance innombrable et vraiment grandiose à cette opposition fondamentale d’une vocation et
504 se à cette opposition fondamentale d’une vocation et d’un destin, hors de laquelle on ne peut rien comprendre de ce qui to
505 Destin visible, insignifiant ; vocation invisible et triomphante : celle que prêchent les prophètes au peuple et qui seule
506 ante : celle que prêchent les prophètes au peuple et qui seule l’élève, l’assemble et donne un sens à la vie de chacun. Ce
507 phètes au peuple et qui seule l’élève, l’assemble et donne un sens à la vie de chacun. Ce peuple errait sans « fin » dans
508 propre » voie. Il vient de Dieu, il va vers Dieu, et c’est la loi de Dieu qui l’y conduit. C’est pourquoi son télos (sa fi
509 uoi son télos (sa fin dernière), est transcendant et mystérieux comme Dieu, unique en son essence, comme Dieu, et comme Di
510 ux comme Dieu, unique en son essence, comme Dieu, et comme Dieu objet de la foi seule. De la foi, et non de la vue ! Catég
511 , et comme Dieu objet de la foi seule. De la foi, et non de la vue ! Catégories absolument nouvelles, et qui joueront un r
512 non de la vue ! Catégories absolument nouvelles, et qui joueront un rôle déterminant dans l’éthique de l’Occident, même s
513 ccident, même sous les noms paganisés d’idéalisme et de réalisme au sens courant. Mais le conflit de la foi et de la vue n
514 alisme au sens courant. Mais le conflit de la foi et de la vue n’est en somme qu’un autre aspect du conflit de la vocation
515 omme qu’un autre aspect du conflit de la vocation et du destin. Il fait comprendre l’esprit de révolte qui tourmenta sans
516 . Car un but invisible aux mortels est une menace et une angoisse, au moins autant qu’une promesse. Une menace pour les « 
517 trop négligés au profit d’on ne sait quel futur. Et une angoisse contre laquelle il est fatal que l’on cherche à se proté
518 herche à se protéger par quelque chose de visible et de tangible. Ainsi les Hébreux se rebellent, ils fuient dans le culte
519 hètes reviennent pour railler durement ces idoles et les traîtres qui les adorent : Mon peuple consulte son bois Et c’e
520 qui les adorent : Mon peuple consulte son bois Et c’est son bâton qui lui parle ! Car l’esprit de prostitution égare
521 ui parle ! Car l’esprit de prostitution égare Et ils se prostituent loin de leur Dieu ! (Osée, 4, 12) Cet « esprit de
522 esse de croire à ce que ses yeux ne peuvent voir, et qui pourtant fait toute sa grandeur, c’est la révolte du destin profa
523 du destin profane contre la vocation libératrice. Et de même que cette révolte, et ce destin, et ce besoin de voir, sont s
524 cation libératrice. Et de même que cette révolte, et ce destin, et ce besoin de voir, sont symbolisés au concret par les s
525 rice. Et de même que cette révolte, et ce destin, et ce besoin de voir, sont symbolisés au concret par les statues des ido
526 ’on doute de sa vocation — de même cette vocation et la foi qu’elle implique ont un symbole, unique et univoque : l’Arche
527 et la foi qu’elle implique ont un symbole, unique et univoque : l’Arche de l’Alliance présente au sein du peuple, aussi no
528 rée : c’est elle qui rappelle à la fois l’origine et la fin du peuple en tant qu’il est un « nouveau » peuple, élu par Die
529 ant qu’il est un « nouveau » peuple, élu par Dieu et « mis à part »64. C’est à elle que tout acte se réfère, et non seulem
530 à part »64. C’est à elle que tout acte se réfère, et non seulement tout geste, mais toute pensée. Rien n’est plus neutre o
531 s neutre ou laissé au hasard, tout est « mesuré » et jugé dans la perspective de la fin assignée à toute la nation : l’Éte
532 a fin assignée à toute la nation : l’Éternel Dieu et son service. Ainsi l’Arche de l’Alliance nous apparaît comme l’exempl
533 mesure d’une civilisation, le canon d’une culture et d’un ordre social, le principe initial et final régulateur et en même
534 culture et d’un ordre social, le principe initial et final régulateur et en même temps animateur de toutes les œuvres d’un
535 e social, le principe initial et final régulateur et en même temps animateur de toutes les œuvres d’une nation, tant matér
536 res d’une nation, tant matérielles que politiques et spirituelles65. L’histoire des civilisations nous offre certes d’autr
537 e des Césars, papauté médiévale, empires égyptien et aztèque, Chine des grandes dynasties.) Mais la mesure des tribus hébr
538 roduit normal d’une évolution historique fécondée et cristallisée par l’intervention d’un grand chef. Elle est donc plus «
539 de l’Éternel ». Parce qu’elle est la loi de Dieu, et que ce Dieu est l’Éternel, la Loi est la conscience finale du peuple
540 la Loi est la conscience finale du peuple hébreu. Et parce qu’elle est la loi de Dieu — qui définit la vérité —, elle port
541 porte en elle la règle permanente de toute action et de toute pensée. Vraie mesure donc, et parfaitement commune. On porte
542 ute action et de toute pensée. Vraie mesure donc, et parfaitement commune. On porte l’Arche au-devant des armées, dans la
543 sible. Dieu est au ciel, sa loi est sur la terre, et les prêtres sont là pour veiller sur l’Alliance. Et si ces « clercs »
544 les prêtres sont là pour veiller sur l’Alliance. Et si ces « clercs » viennent à trahir, cédant à leur penchant immémoria
545 nnent à trahir, cédant à leur penchant immémorial et bien connu, s’ils oublient que le Dieu qu’ils servent est un Dieu qui
546 me « jaloux », les Prophètes se lèvent contre eux et dénoncent leur idolâtrie66. Remarquons que la notion d’idolâtrie débo
547 oi, mais vue, tout ce qui est refus d’obéissance, et imagination d’un autre bien. Idole tout ce qui détourne de la seule v
548 gislation divine, mais dont l’homme s’est emparé, et dont il fait sa chose, oubliant son Auteur. C’est alors que la lettre
549 me, au lieu de le secourir en incarnant l’esprit. Et c’est à cette ultime tentation que devaient succomber les plus grands
550 fit plus tard des Pères de l’Église, des évêques et des cardinaux : les pharisiens. Condamnant au nom de la Loi celui-là
551 ttre, celui dont cette lettre préparait la venue, et qui seul lui donnait son sens… ⁂ Rien ne me paraît plus propre à conf
552 ponse à Appion 67, a été le seul dont les actions et les paroles ont été conformes. » Car il n’a pas seulement formulé des
553 pas seulement formulé des lois justes, complètes et très détaillées, mais il a veillé à ce qu’elles fussent connues de to
554 arce que rien n’est si capable de la faire naître et de l’entretenir, que d’avoir les mêmes sentiments de la grandeur de D
555 voir les mêmes sentiments de la grandeur de Dieu, et d’être élevés dans une même manière de vivre, et dans les mêmes coutu
556 et d’être élevés dans une même manière de vivre, et dans les mêmes coutumes ; car on n’entend point parmi nous parler div
557 it tout ce qui se passe dans le monde. Nos femmes et nos serviteurs en sont persuadés comme nous : on peut apprendre de le
558 ur bouche les règles de la conduite de notre vie, et que toutes nos actions doivent avoir pour objet de plaire à Dieu.
559 ’effroi au spectacle d’un ordre social, spirituel et matériel, aussi fanatiquement lié et suspendu à l’invisible. Le moder
560 l, spirituel et matériel, aussi fanatiquement lié et suspendu à l’invisible. Le moderne en ressent comme une offense à cet
561 ntions négligées, méprisées ! Nous adorons la Vie et le Progrès, le foisonnement et la diversité, et toute mesure ne serai
562 ous adorons la Vie et le Progrès, le foisonnement et la diversité, et toute mesure ne serait à nos yeux qu’une occasion de
563 e et le Progrès, le foisonnement et la diversité, et toute mesure ne serait à nos yeux qu’une occasion de dépassement… Oui
564 ssement… Oui, la Richesse est notre dernier dieu, et c’est peut-être le secret de l’expansion, mais aussi de l’anarchie fi
565 gue singulière au mépris de tout « sens » commun, et convoquant enfin, à grands frais d’inventions, la vieille malédiction
566 dilemme qui se trouve posé à toute civilisation, et d’une manière très urgente à la nôtre, est assez clairement défini pa
567 que l’on peut faire de notre richesse anarchique, et rendue presque vaine par ses excès, avec la pauvreté pleine de sens e
568 ne par ses excès, avec la pauvreté pleine de sens et de grandeur qu’imposait la Loi d’Israël. Ce que l’on perd et ce que l
569 eur qu’imposait la Loi d’Israël. Ce que l’on perd et ce que l’on gagne à sacrifier à une « mesure », voilà ce dont l’exemp
570 énie sombre lui montrait l’envers de toute chose, et avec des accents d’amère ironie, proclamait que la justice à l’ancien
571 ce qui est grand, c’est ce qui comble la mesure, et non pas ce qui la dépasse. Ce n’est pas la richesse, mais la fidélité
572 ieu vivant est une obéissance directe « en esprit et en vérité ». Or abstraire, c’est d’abord s’abstraire de l’immédiat. E
573 straire, c’est d’abord s’abstraire de l’immédiat. Et c’est aussi, dans une certaine mesure, douter… Ainsi donc, pour l’Héb
574 hants de la terre, ont réellement rythmé l’action et vérifié l’étymologie grecque de poésie, qui est agir. Point d’arts fi
575 imaginatifs. La loi les interdit par le deuxième et le troisième commandement. « Tu ne te feras pas d’image taillée, ni d
576 sont en haut dans les cieux, en bas sur la terre, et dans les eaux plus bas que la terre. » Cela condamne toute espèce d’a
577 ux devant ma face » — cela condamne la mythologie et la fabulation, où les Aryens puisent leur art de tromper et de se sat
578 lation, où les Aryens puisent leur art de tromper et de se satisfaire d’illusions. Point de science purement technique : l
579 , remarque encore Renan : « L’esprit prophétique, et les institutions qui en naissent, au moins virtuellement, interdisaie
580 ment, interdisaient le développement commercial71 et industriel. » Que reste-t-il de ce que nous nommons culture ? Philoso
581 e : l’accomplissement d’une vocation spirituelle. Et les moyens de cet accomplissement sont les moyens les plus élémentair
582 s hommes ont de commercer : l’écriture, la parole et l’action, — la tradition, la prophétie, la guerre… Mais cet extrême d
583 résidu d’exclusions fanatiques, se trouve sauver et garantir la possession de ce que notre Occident lui-même a défini com
584 , c’est de concentrer les puissances de la nature et de la société dans les, mains de l’homme responsable, et dont l’espri
585 a société dans les, mains de l’homme responsable, et dont l’esprit connaît un but auquel il dédie toutes ses œuvres, l’on
586 uvreté même, qu’à cause de l’absolu de sa mesure, et de la promesse qu’elle portait. ⁂ Revenons encore à Josèphe : Quant
587 changements, nous attribuons au contraire à vertu et prudence, de demeurer constamment dans l’observation des lois et des
588 demeurer constamment dans l’observation des lois et des coutumes de nos ancêtres, parce que c’est une preuve qu’elles ont
589 as efforcer de les observer très religieusement ? Et quelle conduite peut être plus juste, plus excellente et plus sainte,
590 le conduite peut être plus juste, plus excellente et plus sainte, que celle dont ce souverain Monarque de l’univers est l’
591 nement peut donc être plus parfaite que la nôtre, et quels plus grands honneurs peut-on rendre à Dieu, puisque nous sommes
592 à ce qu’il ne se fasse rien qui y soit contraire, et que toutes choses ne sont pas mieux réglées le jour d’une fête solenn
593 fs72. Mais cette promesse, enfin, s’est incarnée. Et les juifs l’ont méconnue prenant prétexte de la Loi, cette « ombre de
594 pour repousser le Christ, qui était « l’esprit » et la réalité finale de la Loi. Dès lors, la Loi est « accomplie » comme
595 « accomplie » comme le dit Jésus-Christ lui-même, et elle l’est d’une double manière : parce qu’elle a abouti — le Messie
596 e : parce qu’elle a abouti — le Messie est venu — et parce qu’elle a perdu son sens en condamnant celui qu’elle annonçait.
597 us, il est lui-même cette mesure, cette Alliance, et ce sont ceux qui adorent encore l’ancienne Loi, « déclarée vieillie »
598 oi le peuple juif, qui n’a pas cru à sa victoire, et qui repousse la nouvelle mesure, c’est-à-dire la Nouvelle Alliance, e
599 t aujourd’hui le peuple sans mesure, sans limites et sans foyer. Sans espérance, il crée des utopies. Sans obéissance, il
600 brisait avec le nationalisme exclusif du judaïsme et assumait une mission de portée universelle. Il revendiquait toutefois
601 uait toutefois en même temps l’héritage d’Israël, et l’attraction qu’il exerçait venait non des principes généraux de la p
602 pure tradition hébraïque, représentée par la Loi et les Prophètes. L’Église primitive se regardait comme le second Israël
603 t précisément ce sens de la continuité historique et de la solidarité sociale qui distingua l’église chrétienne des religi
604 ngua l’église chrétienne des religions à mystères et des autres cultes orientaux de cette époque, et qui fit d’elle dès so
605 s et des autres cultes orientaux de cette époque, et qui fit d’elle dès son apparition la seule rivale véritable et la seu
606 elle dès son apparition la seule rivale véritable et la seule remplaçante possible de la religion officielle de l’Empire73
607 inir en raccourci le double héritage que l’Église et l’Europe ont repris des mains d’Israël : héritage divin de l’« électi
608 a grandeur de l’Église — mais dont les déviations et perversions ravagent l’Europe depuis le xviie siècle, et menacent au
609 rsions ravagent l’Europe depuis le xviie siècle, et menacent aujourd’hui de la détruire74. Il ne saurait être question de
610 s son ensemble l’évolution des éléments culturels et civilisateurs qui survécurent à la chute d’Israël, au moins aussi fon
611 damentaux pour l’Occident que la raison des Grecs et l’ordre des Romains. Il m’appartient seulement de préciser en quelque
612 ans la Réforme par le retour à l’Ancien Testament et aux traditions prophétiques. Mais sait-on à quel point tout cela vit
613 Jonas dans sa baleine, l’ânesse de Balaam, David et Jonathan, Absalon pris par les cheveux, le jeune Samuel appelé trois
614 y a bien davantage que cet arrière-plan poétique, et ces exemples d’une morale parfois scandaleusement antibourgeoise ! Le
615 eusement antibourgeoise ! Le thème de la vocation et le thème du peuple élu sont de ceux qui émeuvent le plus profondément
616 ent signalées entre le sort des tribus dispersées et celui du « petit troupeau » longtemps chassé de son pays ; ni les res
617 ni les ressemblances entre les formes d’activité et d’attitude sociale adoptées par les deux « nations »76. Ce qui est dé
618 alogie, ce qui lui donne son seul sens acceptable et la situe dans son ordre réel, c’est que, dans les deux cas, la perséc
619 éel, c’est que, dans les deux cas, la persécution et l’isolement minoritaire sont considérés comme « normaux » : ils expri
620 ment le destin spirituel, dans un monde incrédule et rebelle, de ceux que Dieu s’est « choisis » pour témoins, en tant que
621 surance d’être l’objet, par une grâce périlleuse, et dans la foi, les calvinistes, dès la fin du xvie siècle, se considèr
622 e péché, dans une économie provisoirement vivable et propre à entretenir l’attente active du Messie, de même l’éthique cha
623 de ces richesses « comme n’en usant pas », au nom et par la charge du Seigneur qui est venu, et qui doit revenir. Telle es
624 au nom et par la charge du Seigneur qui est venu, et qui doit revenir. Telle est sans doute la racine authentique du purit
625 u que c’était là l’origine du capitalisme moderne et de ses principales valeurs éthiques. Mais Sombart lui répond que le c
626 rt lui répond que le capitalisme est plus ancien, et qu’il est d’origine judaïque78. Ce n’est pas ici le lieu de prendre p
627 su définir clairement. Mais je retiens que l’une et l’autre hypothèse rattache le capitalisme à des attitudes religieuses
628 de noter que le parallélisme se poursuit même, —  et peut-être surtout — dans les déviations qualifiées que subirent l’éth
629 éviations qualifiées que subirent l’éthique juive et l’éthique puritaine, à mesure qu’elles « réussissaient ». Le spiritua
630 contraire exact : c’est le matérialisme jouisseur et cynique que les nazis reprochent aux Juifs allemands capitalistes, av
631 sme stérilisant, l’esprit d’abstraction inhumaine et chimérique, au surplus troublé de sentimentalisme, que l’on dénonce à
632 ont cessé de croire à la mission de leur peuple, et qui exercent désormais à vide les facultés psychologiques fortement d
633 anglais, cédant aux tentations du succès immédiat et contrôlable, s’est transformé dans le Nouveau Monde d’une part en vol
634 part en utilitarisme platement moralisant ; l’une et l’autre de ces déviations traduisant une totale perte de conscience d
635 ence des fins religieuses de l’éthique puritaine, et transformant en tyrannie absurde ce qui était à l’origine une attitud
636 t à l’origine une attitude d’obéissance à la foi, et de renoncement à soi-même. Corruptio optimi pessima… La vocation c
637 ème central que pose à la pensée d’un protestant, et particulièrement d’un calviniste, l’exemple d’Israël et de sa chute.
638 ticulièrement d’un calviniste, l’exemple d’Israël et de sa chute. Toute la théologie éthique de Calvin est centrée sur la
639 sraël qui était le peuple élu, a trahi sa mission et s’est livré à son destin. Sa dispersion en est le châtiment. Serait-i
640 . Serait-il donc possible de perdre sa vocation ? Et que devient celui qui la trahit, soit qu’il rejette ses ordres, soit
641 Dieu prédestine tout homme dès avant sa naissance et ses œuvres ? Ce problème n’est pas gratuit : il touche au cœur de la
642 aint Paul au chapitre XI de l’Épître aux Romains. Et sans doute ce texte illumine aussi profondément qu’il est possible le
643 enu ce qu’il cherche : mais les élus l’ont obtenu et les autres ont été endurcis » (v. 7). Ainsi, « c’est par suite de la
644 « Or, si leur faute a fait la richesse du monde, et leur amoindrissement la richesse des païens, que ne fera pas leur com
645 totalité des païens soit entrée (dans l’Église) ; et ainsi tout Israël sera sauvé » (v. 25-26) … « Car les dons et l’appel
646 t Israël sera sauvé » (v. 25-26) … « Car les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables » (v. 29). Hoc est verbum praeclar
647 t, dans son Commentaire sur l’Épître aux Romains. Et Calvin dit du même verset que c’est « une fort belle sentence ». Ains
648 Commentaires, sur Rom. II, 26.) Le sort du monde, et l’on pourrait même dire : la date de son salut final, dépend ainsi de
649 t final, dépend ainsi de la conversion des Juifs. Et ceci nous révèle la plus profonde raison des sentiments « ambivalents
650 à l’égard du peuple d’Israël. Tout dépend de lui, et il refuse ! D’où la haine sourde, et en même temps le respect religie
651 pend de lui, et il refuse ! D’où la haine sourde, et en même temps le respect religieux qu’on lui porte. Peut-être n’est-i
652 re position, mais au nom des promesses de la foi, et dans une perspective missionnaire qui réduit à leurs justes proportio
653 vaste que ne peuvent le concevoir nos polémiques. Et son issue ne dépend ni de nous seuls, ni d’eux seuls. On dit : les Ju
654 croyant ? Leur faute a fait la richesse du monde. Et cette richesse s’appelle le salut. 64. Il faut bien voir que le « 
655 ure que l’on codifiait les relations des « élus » et des « gentils ». On sait à quel point cette codification fut poussée.
656 des prêtres) était tenu par les sacrificateurs. «  Et ils n’en épousaient point qui aient été captives, de peur qu’elles n’
657 des livres mosaïques est attribuée par Wellhausen et son école à des disciples des grands prophètes. Ce serait donc le pro
658 u — celui que la Bible appelle Moïse — aurait bel et bien donné les rudiments de la Loi au peuple juif dès la sortie d’Égy
659 ble pour la période primitive. 72. Abraham déjà, et les prophètes, ont vu « le jour du Seigneur ». Saint Paul et l’auteur
660 hètes, ont vu « le jour du Seigneur ». Saint Paul et l’auteur de l’Épître aux Hébreux (chap. II) insistent fortement sur c
661 73. Christopher Dawson, Les Origines de l’Europe et de la civilisation européenne, trad. française, chez Rieder, 1934, p.
662 ’être transcendante, devient humaine, contingente et partielle, et n’étant plus totale, se veut encore totalitaire, on a l
663 dante, devient humaine, contingente et partielle, et n’étant plus totale, se veut encore totalitaire, on a l’État-nation-P
664 f. Ramuz. 76. Par exemple : cohésion spirituelle et matérielle des divers membres de ces nations éparses ou persécutées,
665 ou persécutées, esprit à la fois traditionaliste et hardiment novateur, génie financier, niveau de culture élevé, etc. 7
666 » de richesses des couvents anglais au Moyen Âge, et aux banques de l’Italie du Nord. Les responsabilités se partageraient
667 r les textes, note en effet cette restriction : «  Et aussi ne faut-il pas entendre ceci de toute vocation, mais de celle p
668 rité d’Abraham : vu que le propos était nommément et spécialement d’icelle vocation. » (Commentaires, sur Rom. II, 29). v
669 Rom. II, 29). v. Rougemont Denis de, « Vocation et destin d’Israël », Les Juifs, Paris, Plon, 1937, p. 143-165.
6 1937, Articles divers (1936-1938). Luther, Traité du serf arbitre (1937)
670 i qu’on imagine. Car on fait pis que de l’ignorer et même que de le méconnaître : on prétend, sans l’avoir jamais lu, savo
671 nnent d’y trouver si peu de substance théologique et tant de plaisanteries parfois grossières, de platitudes, de contradic
672 ie jusqu’à cet excès grandiose d’assimiler Luther et M. Hitler, par goût de la rime sans doute. Pour l’opinion moyenne sur
673 t pas lorsqu’il parut (en 1936) à louer la mesure et la sérieuse information théologique… Ceci dit, il est juste d’insiste
674 ouvrages publiés par MM. Henri Strohl, J. Vignaud et Lucien Febvre et aux cours, qu’ont professés MM. Jean Baruzi et E. Gi
675 par MM. Henri Strohl, J. Vignaud et Lucien Febvre et aux cours, qu’ont professés MM. Jean Baruzi et E. Gilson, pour ne rie
676 re et aux cours, qu’ont professés MM. Jean Baruzi et E. Gilson, pour ne rien dire — mais cela va de soi — de l’activité de
677 alomnies recueillies par des biographes amateurs, et à l’action de la polémique catholique (Denifle, Maritain, Grisar), me
678 éfinir symboliquement les pôles : pensée « pure » et pensée « engagée », ou encore attitude du « spectateur » et attitude
679 « engagée », ou encore attitude du « spectateur » et attitude du « témoin ». Opposition qui, sur le plan théologique, ou m
680 s de la religion s’ajoutant à ceux de la raison), et d’un christianisme absolu, qu’on déclare volontiers « inhumain » parc
681 excellence, mais au centre, aussi, de la Réforme, et de l’effort dogmatique de Luther30. On croit d’abord à un pamphlet, e
682 perçoit sans tarder que la discussion avec Érasme et sa Diatribe (souvent personnifiée), n’est en fait que le support appa
683 premières pages) par les procédés de l’humaniste et du sceptique que se vantait d’être Érasme, Luther en vient, de proche
684 Luther en vient, de proche en proche, à ressaisir et reposer avec puissance toutes les affirmations fondamentales de la Ré
685 e : justification par la foi, qui est don gratuit et œuvre de Dieu seul ; opposition de cette justice de Dieu à la justice
686 de cette justice de Dieu à la justice des hommes et de leurs œuvres ; opposition de la grâce à la nature, selon les terme
687 odifiée ; sens de la décision totale entre un oui et un non absolus, et refus de tout moyen terme ou médiation plus ou moi
688 a décision totale entre un oui et un non absolus, et refus de tout moyen terme ou médiation plus ou moins rationnelle entr
689 re les règnes en guerre ouverte du Dieu de la foi et du Prince de ce monde ; nécessité du témoignage, et du témoignage fid
690 du Prince de ce monde ; nécessité du témoignage, et du témoignage fidèle, certifié par l’Esprit et la Bible, et constitua
691 e, et du témoignage fidèle, certifié par l’Esprit et la Bible, et constituant la véritable « action » de l’homme entre les
692 ignage fidèle, certifié par l’Esprit et la Bible, et constituant la véritable « action » de l’homme entre les mains de Die
693 s’impliquent très étroitement les uns les autres, et ne peuvent être mieux saisis que dans l’unique et perpétuelle questio
694 et ne peuvent être mieux saisis que dans l’unique et perpétuelle question que nous posent toutes les pages de la Bible. Il
695 Ils renvoient tous à la question du Christ : « … et toi, maintenant, crois-tu cela ? » — Si tu le crois, si tu as reçu la
696 ire siens, puisqu’il croit au mérite des œuvres ; et tous les protestants qui jugent encore que Calvin et Luther ont fait
697 tous les protestants qui jugent encore que Calvin et Luther ont fait leur temps — que dire de Paul, bien plus ancien — tou
698 olonté », tous ceux-là sont, en fait, avec Érasme et son armée de grands docteurs de tous les siècles, pour soutenir le li
699 l’homme de contribuer à son salut par ses efforts et ses œuvres morales. Que trouveront-ils, dès lors, dans ce Traité ? Un
700 ante, vraiment « grave », d’une dialectique sobre et têtue, qui va droit au point décisif, envisage honnêtement les object
701 se toutes ses chances, non sans ironie toutefois, et sait enfin conférer à son choix la force et la simplicité d’une const
702 fois, et sait enfin conférer à son choix la force et la simplicité d’une constatation évidente. D’un point de vue purement
703 rement esthétique, ces qualités sont assez rares, et chez Luther assez flagrantes, pour qu’un lecteur qui refuse l’essenti
704 r qui refuse l’essentiel soit tout de même attiré et subjugué par le style, par le ton de l’ouvrage. (Nous ne savons que t
705 rme, admirer l’une quand nous condamnons l’autre, et vice versa.) Mais une fois reconnue cette maîtrise, qu’on attendait d
706 oyant, ou celui qui ne partage pas la foi de Paul et des Apôtres. D’abord, le langage scolastique, qui n’est pas propremen
707 que Luther est obligé d’utiliser pour débrouiller et supprimer les faux problèmes où la Diatribe voulait l’embarrasser31.
708 ue théologien, que Luther s’applique à répondre ; et c’est même la plus dure ironie — quoique involontaire, je le suppose
709 uther nie le libre arbitre. Ceci pourrait suffire et doit suffire en droit, à réfuter l’objection d’un moderne, l’objectio
710 tement anachronique, mais que je sais inévitable, et qui consiste à affirmer que Luther est « déterministe ». Mais le séri
711 Mais le sérieux théologique est chose trop rare, et pour beaucoup trop difficile à concevoir, pour qu’on puisse écarter c
712 ucune liberté, car en réalité, Dieu a tout prévu, et rien n’arrive que selon sa prévision. Luther ne pose pas seulement l’
713 e pas seulement l’omnipotence, mais l’omniscience et la prescience éternelle de Dieu, qui ne peut faillir à sa promesse, e
714 nelle de Dieu, qui ne peut faillir à sa promesse, et auquel nul obstacle ne s’oppose. Que devient alors notre effort ? Il
715 ire que ta vie était une partie à jouer entre toi et le monde, par exemple ; ou encore entre l’individu et le Sort, cette
716 e monde, par exemple ; ou encore entre l’individu et le Sort, cette idole païenne ? C. M. — J’ai besoin de le croire pour
717 gi par de puissantes forces sociales, historiques et économiques ? Toute ta science ne s’occupe-t-elle pas, justement, à l
718 ’éternité qui est avant le temps, qui est en lui, et qui est encore après lui. Au regard de Dieu, donc, « tout est accompl
719 , ce qui, avouons-le, les ridiculise complètement et les rend vaines en fin de compte : car je sens, malgré tout, que je l
720 je sens, malgré tout, que je les fais librement, et tu viens me dire qu’elles sont prévues ! Et prévues par un Dieu étern
721 ment, et tu viens me dire qu’elles sont prévues ! Et prévues par un Dieu éternel, qui alors se joue de moi indignement ! I
722 i Dieu prévoit tout, tu es alors dispensé d’agir, et que ce n’est plus la peine de faire aucun effort. C’est peut-être mal
723 ssi était prévu ? Pourrais-tu ne pas le fournir ? Et si tu décidais : « je suis, donc Dieu n’est pas ! »32 qui t’assurerai
724 ait-ce pas justement être rivé au temps sans fin, et refuser l’éternité qui vient nous délivrer du temps ? C. M. — Mais m
725 er du temps ? C. M. — Mais mon temps est vivant, et plein de nouveauté, de création ! Ton éternité immobile, c’est l’imag
726 — Que savons-nous de l’éternité ? Les philosophes et la raison ne peuvent l’imaginer que morte. Mais la Bible nous dit qu’
727 morte. Mais la Bible nous dit qu’elle est la Vie, et que notre vie n’est qu’une mort à ses yeux. Qui nous prouve que l’éte
728 lle n’est pas au contraire la source de tout acte et de toute création, une invention totale et perpétuelle, une actualité
729 t acte et de toute création, une invention totale et perpétuelle, une actualité permanente, la seule chose qui change quel
730 le ? C’est un mystère plus profond que notre vie, et la raison n’est qu’un faible élément de notre vie. C’est un mystère q
731 tre vie. C’est un mystère que le croyant pressent et vit au seul moment de la prière. « Demandez et l’on vous donnera », d
732 nt et vit au seul moment de la prière. « Demandez et l’on vous donnera », dit le même Dieu qui nous prédestina ! Quand le
733 à Dieu, au nom de sa promesse, une prière précise et instante, ne vit-il pas ce paradoxe et ce mystère : croire que « l’Ét
734 re précise et instante, ne vit-il pas ce paradoxe et ce mystère : croire que « l’Éternel est vivant », croire que sa volon
735 e succession. Mais au contraire, nos divers temps et successions procèdent de l’Éternel et lui sont liés : nous venons de
736 ivers temps et successions procèdent de l’Éternel et lui sont liés : nous venons de lui, nous retournons à lui, il est en
737 nt ! Est-ce que nos objections « philosophiques » et notre crainte du « fatalisme » ne reposent pas, le plus souvent, sur
738 sières ?… C. M. — On peut aussi nier l’éternité, et affirmer que seul existe notre temps. Dans ce cas, tu n’as rien prouv
739 peut nous conduire qu’au seuil de cette décision. Et nous n’aurons pas dialogué en vain, si nous avons pu dégager l’altern
740 a que la résistance acharnée du « vieil homme », et les prétextes toujours très moraux, et même très pieux, qu’invoque no
741 l homme », et les prétextes toujours très moraux, et même très pieux, qu’invoque notre révolte… Réalité radicale du pro
742 lème Dans l’Église, une fois acceptés le Credo et son fondement, qui est la Parole dite en nous par l’Esprit et attesté
743 ment, qui est la Parole dite en nous par l’Esprit et attestée par l’Écriture, — or, cette Parole est Christ lui-même, — il
744 ther n’est pas sujette à de sérieuses objections. Et la démonstration purement biblique qu’on en trouvera dans ce traité,
745 ormulé avant toute « tradition ecclésiastique » ; et tous les Pères et tous les siècles dont se réclame Érasme n’y changer
746 « tradition ecclésiastique » ; et tous les Pères et tous les siècles dont se réclame Érasme n’y changeront rien : « Trava
747 nt rien : « Travaillez à votre salut avec crainte et tremblement, puisque c’est Dieu qui produit en vous le vouloir et le
748 puisque c’est Dieu qui produit en vous le vouloir et le faire » (Phil. 2, 12-13). C’est parce que Dieu fait tout que nous
749 arce que Dieu a tout prévu que nous avons en lui, et en lui seul, la liberté. Mais cela n’apparaît qu’à celui qui ose alle
750 jusqu’aux extrêmes de la connaissance de soi-même et de la connaissance de la foi. Luther insiste sur cet « extrémisme » é
751 es sophistes n’étaient que trop portés à corriger et à « humaniser », au risque d’« évacuer la Croix ». Tant qu’on n’a pas
752 aucune liberté, par nous-mêmes, dans notre péché. Et à l’inverse, il faut oser descendre jusqu’au fond de la connaissance
753 entation de Luther vise le moment de la décision, et néglige les moyens termes où voulait se complaire Érasme. Le problème
754 mort. Or il est seul en cause pour le théologien. Et tout est clair lorsque l’on a compris que Luther ne nie pas du tout n
755 u mal. Tout le reste est psychologie, littérature et scolastique. Il n’en reste pas moins qu’aux yeux de la raison — cette
756 que nous nommons ici un paradoxe demeure une pure et simple absurdité. Mais alors, on peut se demander si ceux qui refusen
757 t correspondre, terme à terme, à celui que Luther et Paul — et l’Évangile — posent à notre foi. C’est qu’il a poussé comme
758 ndre, terme à terme, à celui que Luther et Paul — et l’Évangile — posent à notre foi. C’est qu’il a poussé comme Luther, j
759 qu’il l’a « tué », il imagine le Retour éternel. Et comme ce Retour éternel paraît exclure toute liberté humaine, il se m
760 met à prêcher l’amor fati, l’adhésion volontaire et joyeuse à la fatalité inéluctable. C’est dans cette volonté de reconn
761 otre totale irresponsabilité, qu’il croit trouver et regagner la dignité suprême de l’homme sans Dieu. Être libre, c’est v
762 e.) La similitude étonnante du paradoxe luthérien et du paradoxe nietzschéen ne saurait être ramenée à quelque influence i
763 amentale que posent les rapports de notre volonté et de l’éternité souveraine, demeure entière. La différence, c’est que N
764 équat, si ce n’est peut-être le de servo arbitrio et le Catéchisme. » 31. Luther avertit à chaque fois : « nécessité cond
765 vertit à chaque fois : « nécessité conditionnelle et nécessité absolue, comme ils disent », et ce ils désigne « les sophis
766 onnelle et nécessité absolue, comme ils disent », et ce ils désigne « les sophistes », c’est-à-dire les scolastiques. 32.
767 n un instant, en un clin d’œil… » 34. Modiculum et minimum, écrit Érasme ! 35. Voir Karl Löwith : Nietzsches Philosophi
768 erkunft des Gleichen, Berlin, 1935, p. 61, 83, 85 et suiv. en particulier. o. Rougemont Denis de, Luther Martin, « [Préf
7 1937, Articles divers (1936-1938). L’Acte comme point de départ (1936-1937)
769 est ainsi qu’on peut distinguer, dans l’idéalisme et dans le réalisme, ou dans le rationalisme et dans le pragmatisme, etc
770 isme et dans le réalisme, ou dans le rationalisme et dans le pragmatisme, etc., un ensemble de suppositions communes qui n
771 ent renfermer la véritable raison de rejeter l’un et l’autre système, sans plus nous attacher à combattre leurs erreurs re
772 stitue l’unité de vision, la plénitude de volonté et en quelque sorte la bonne conscience nécessaire à toute œuvre constru
773 résence de la plupart des philosophies de naguère et d’aujourd’hui, telles qu’elles se présentent à nous. Avant même d’en
774 entent à nous. Avant même d’en pénétrer le détail et d’en critiquer la structure propre, nous nous sentons repoussés par q
775 tout. Nos analyses ne nous donnent en elles-mêmes et d’une façon précise rien de suffisant pour justifier ce mouvement de
776 l’esprit ait proclamé, lui aussi, son autarchie, et qu’il puisse se donner des lois qui ne tiennent plus compte de la cri
777 qui ne tiennent plus compte de la crise du monde, et de celle de l’esprit dans ce monde. L’esprit s’est dégagé des coordon
778 urne à ses dépens. On peut continuer la métaphore et dire que la pensée dont nous souffrons est une pensée débrayée. Un mo
779 moteur débrayé n’en ronfle que mieux, d’ailleurs, et fait plus de bruit qu’en « prise ». Il arrive même qu’il tourne si vi
780 brayage serait immédiatement fatale à la machine, et ferait voler en éclats les engrenages. La merveilleuse subtilité d’un
781 à la fois son manque de coordonnées, d’une part, et , d’autre part, le sentiment de division et de diminution qu’elle favo
782 part, et, d’autre part, le sentiment de division et de diminution qu’elle favorise en nous : ce mot serait celui d’inactu
783 temporel, mais au sens de rupture entre la pensée et l’acte. ⁂ Que la pensée moderne repose sur un postulat d’inactualité,
784 qui le partagent restent gratuites, relativistes et inactuelles dans leur ensemble. Le « libéralisme » idéaliste, ce « la
785 lité que nos philosophies n’en peuvent concevoir. Et s’il y a du désordre, c’est que ces philosophies sont tout de même mo
786 de ce désordre : c’est la rupture entre la pensée et l’acte, rupture qui, d’une part, amorce l’anarchie, d’autre part, la
787 part, amorce l’anarchie, d’autre part, la freine et la prive pour le moment de virulence. Cet état d’équilibre entre le m
788 virulence. Cet état d’équilibre entre le microbe et la maladie ne peut mener qu’à une consomption lente, ou à des acciden
789 ême la thérapeutique que nous voudrions proposer, et qui serait un traitement préventif par l’actualisation, c’est-à-dire
790 if par l’actualisation, c’est-à-dire par l’effort et la volonté de confondre l’opération propre de la pensée avec l’acte q
791 l’acte qui la certifie1. À vrai dire, cet effort et cette volonté sont déjà présents, avant toute analyse, dans le sentim
792 ourrions-nous le définir, nous disons seulement — et littéralement — comment pourrions-nous faire comprendre de quoi il s’
793 r recours à une méthode rigoureusement indirecte, et en quelque sorte négative. Car, en vérité, il n’y a pas pour nous de
794 e l’acteur. On ne peut pas photographier un acte, et donner ensuite la description de la photo comme la description d’un a
795 elle n’est plus qu’un objectif, inactuel en soi, et problématique. Qu’on nous permette de reprendre ici une distinction i
796 rcel à la fin de son article intitulé : Existence et objectivité. M. Marcel distingue « entre les données susceptibles de
797 roblème, données qui sont par là même objectives, et celles sur lesquelles il faut que l’esprit s’appuie pour poser un pro
798 losophique est avec celui qui ne peut pas sauter. Et c’est peut-être cela précisément que la sagesse vulgaire appelle « pr
799 airement des mots tels que « départ », « partir » et « tout de suite ». Tout discours sur l’acte manifestera ce trouble, c
800 ard, n’a su montrer cette complicité essentielle, et d’apparence scandaleuse, entre l’expression et l’existence. Bornons-n
801 e, et d’apparence scandaleuse, entre l’expression et l’existence. Bornons-nous à citer de lui une phrase bien typique par
802 de lui une phrase bien typique par sa forme même, et qui, par ailleurs, peut éclairer notre débat : « L’éthique ne commenc
803 yse de ses effets. L’acte est à la fois créateur, et transcendant à sa création. Il est créateur en ceci qu’il introduit d
804 t nouveau instituant une situation irréversible ; et il est transcendant parce que dans ce rapport nouveau on ne trouvera
805 bandonné » livré à ses déterminations objectives, et s’offrant à son tour à l’éclair bouleversant d’un nouvel acte. Il n’y
806 nstant créateur, dans ce contact entre l’éternité et le temps, qui est le mystère même. Cela n’entraîne pas qu’on ne puiss
807 ivision intérieure, d’indivision entre le vouloir et le pouvoir. On pourrait presque dire que c’est la sensation de l’unit
808 ui éprouve simultanément la résistance d’un objet et la victoire sur cette résistance. Moment mystérieux entre tous, où le
809 , c’est le vouloir unique, unifiant l’être vivant et le confondant un instant avec l’objet de son désir. On comprendra peu
810 essentiellement l’affirmation simultanée de l’un et du divers, affirmation absurde en langage rationnel, tout système phi
811 n parte, comme de la réalité centrale, impensable et qui permet de penser. Nous voudrions dégager ici, à titre d’exemple,
812 firmer qu’il n’y a pas de transition entre l’acte et ses effets. C’est l’acte lui-même qui se trouve être transitif et nov
813 ’est l’acte lui-même qui se trouve être transitif et novateur, sans qu’il y ait pour cela de « médiation ». On pourrait di
814 ’acte, impliquées d’ailleurs dans ce qui précède, et que nous allons utiliser. La première, c’est la violence de l’acte. Q
815 onique, mais encore ordonnateur. C’est un conflit et une rupture, mais aussi une nouvelle mise en ordre. C’est ici que nou
816 tère agonique. Ce n’est pas à dire que la lumière et les ténèbres soient données avant l’acte, car sinon il ne serait pas
817 inissons la personne comme l’individu qui se sait et se veut engagé dans le conflit créateur. Mais en s’affirmant, c’est-à
818 ret. L’invention de l’homme « intérieur » suppose et permet celle du « robot » d’affaires. L’autisme est un fléchissement
819 de pensée susceptible de se traduire en formules et en mécanismes tout faits. D’un côté, un champ plus libre conquis pour
820 s difficile d’échapper au prestige du positivisme et du néo-pragmatisme qu’à celui du moulin à prières. Il est plus diffic
821 ratuit, c’est-à-dire de l’acte sans point d’appui et sans orientation, autrement dit de l’acte impossible, sont des exempl
822 sonnalité consécutif au relâchement de la tension et à la perte du sentiment du risque véritable. À côté de la réalité de
823 du « donné » à l’abstrait. (Conflit de l’identité et de la réalité, voir Meyerson). Il n’y a de paradoxe épistémologique q
824 la science se traduit par une économie d’énergie et de pensée, d’où cette zone où l’homme marche sur de l’art humain en t
825 omme marche sur de l’art humain en toute sécurité et en plein automatisme (exemple : les grandes villes). Le progrès scien
826 atisme, rançon de la conquête2. À tous les étages et dans tous les domaines de l’effort de pensée nous retrouvons ce risqu
827 est que le prolongement d’un schéma mathématique, et qu’elle est elle-même prolongée par la rationalisation. Nous avons là
828 sme positiviste). Un troisième exemple de tension et d’acte nous est fourni par l’homme considéré du point de vue social.
829 l’amour : l’attachement à la diversité concrète, et l’actualisation de l’universel par la charité personnaliste. ⁂ Pour é
830 s ainsi ce qui nous paraît spécifique de l’effort et de la pensée humaine. La pensée créatrice est donc l’acte le plus pur
831 . La pensée créatrice est donc l’acte le plus pur et le plus humain. Mais comment va se présenter à nos yeux ce qui n’est
832 l’édification de toute construction humaine, même et surtout rationnelle. Mais si nous rejetons toute médiation entre l’ac
833 ais si nous rejetons toute médiation entre l’acte et ses manifestations humaines, nous ne saurions écarter la réalité des
834 ut, certes, que l’homme trouve des points d’appui et garde une participation avec ce qui n’est pas personnel. Mais cette n
835 ore que peut-être l’acte de penser, au sens plein et cartésien du mot, soit infiniment plus difficile et plus rare qu’on n
836 cartésien du mot, soit infiniment plus difficile et plus rare qu’on ne se figure communément. Avant de chercher à répondr
837 uence qu’exerce ce seuil sur toute la vie humaine et , probablement, sur la vie en général. Cela est d’autant plus nécessai
838 rer dans ses constructions le principe de Carnot, et qu’elle n’a accepté l’irréversibilité qu’il recèle, que pour en tourn
839 Notre science n’est à l’aise que dans le continu et elle fait surgir le discontinu qu’elle multiplie par son progrès même
840 son progrès même. Elle ne connaît que du probable et , en tant qu’acte, elle est l’improbabilité essentielle. Paradoxe que
841 aris, 1936–1973, p. 55-64. b. Texte daté de 1933 et co-rédigé avec Arnaud Dandieu.
8 1937, Articles divers (1936-1938). Formons des Clubs de presse (30 janvier 1937)
842 janvier 1937)f g Les raisons Chacun sait et éprouve chaque jour, que l’état des dépendances financières ou des pa
843 peu près impossibles une documentation objective et une information sincère. Le procès de la presse n’est plus à faire. S
844 t plus à faire. Sa réforme pose tant de problèmes et entraîne de telles incidences (les dangers d’une information d’État :
845 accomplir isolément. Seul le redressement radical et général d’un régime économique où règne aujourd’hui l’argent, libérer
846  Clubs de presse », en même temps que de préparer et d’accélérer cette réforme nécessaire, est de fournir dès à présent à
847 les premiers éléments d’une information honnête, et cela en échappant résolument aux conditions et aux méthodes aujourd’h
848 e, et cela en échappant résolument aux conditions et aux méthodes aujourd’hui faussées de la grande presse imprimée. Le
849 en attendant que la question puisse être attaquée et résolue de front — de tourner la difficulté en remontant à la source,
850 l’information, l’information directe, personnelle et orale. Déjà aujourd’hui, devant la carence ou la subversion de l’info
851 se réunissent une fois par semaine, pour recevoir et apporter les éléments de cette nouvelle forme d’informations. Le trav
852 en quelque sorte, un double courant entre la base et le sommet, qui, après recoupements et vérifications, permet d’élabore
853 tre la base et le sommet, qui, après recoupements et vérifications, permet d’élaborer une matière définitive. Il convient
854 est pas distribué. Il est adressé personnellement et confidentiellement au président responsable de chaque club qui le com
855 resse commentée. On y relèvera les contradictions et les déformations de la grande presse ou de la presse d’opinion, en do
856 isons politiques ou financières de telle campagne et aussi de tel silence. Cette partie a pour but de donner aux adhérents
857 de donner aux adhérents, des moyens de comprendre et de redresser la documentation que continuera à leur fournir la presse
858 petit, une documentation précise sur la structure et le mécanisme de la presse. Soit en signalant toutes les modifications
859 le entreprise dépend de la valeur professionnelle et morale et de l’honnêteté intellectuelle de ses réalisateurs. Le côté
860 ise dépend de la valeur professionnelle et morale et de l’honnêteté intellectuelle de ses réalisateurs. Le côté confidenti
861 ctuelle de ses réalisateurs. Le côté confidentiel et privé de la méthode rend la question particulièrement importante. L’e
862 ra aux adhérents des clubs de vérifier le sérieux et l’indépendance du bulletin. Toutefois les adhérents trouveront au dép
863 upements qui ont pris l’initiative de la création et du fonctionnement des clubs de presse. Les « Clubs de presse » sont f
864 bs de presse. Les « Clubs de presse » sont fondés et dirigés par Denis de Rougemont et R.-Philippe Millet de L’Ordre nouv
865 e » sont fondés et dirigés par Denis de Rougemont et R.-Philippe Millet de L’Ordre nouveau , L.-Émile Gallëy et Jean Maze
866 ippe Millet de L’Ordre nouveau , L.-Émile Gallëy et Jean Maze de la Flèche, Jacques Madaule et Emmanuel Mounier d’ Esprit
867 Gallëy et Jean Maze de la Flèche, Jacques Madaule et Emmanuel Mounier d’ Esprit . Ceux-ci n’entendent nullement impliquer
868 ’information, à l’exclusivité de tout commentaire et de tout jugement. Mais ils s’engagent, dans les « clubs de presse »,
869 auté de la personne humaine, respect de la vérité et lutte contre la tyrannie de l’argent. Louis E. Galey, Jacques Madaule
870 « Nous présentons ci-dessous à tous nos camarades et lecteurs de La Flèche le manifeste des clubs de presse en formation.
871 usts, il ne suffit plus de dénoncer ses mensonges et ses trahisons. Il faut passer à l’action. Sur un terrain parfaitement
872 er à l’action. Sur un terrain parfaitement précis et limité, celui de l’information, nous avons pensé que nous devions col
873 tigateurs devienne rapidement un organisme craint et respecté. À l’heure où l’Argent-roi investit complètement la presse f
874 la diffusion de la pensée par le papier, le film et la radio n’a jamais été si grande, nous sommes obligés de revenir à u
9 1937, Articles divers (1936-1938). À qui la liberté ? (5 mars 1937)
875 mars 1937)h Tout le monde parle de la culture et de la défense de la culture. C’est qu’on ne sait plus ce que signifie
876 ulture. C’est que la culture est en pleine crise, et que cette crise ne sévit plus seulement dans les élites, mais se mani
877 s élites, mais se manifeste dans la vie publique, et dans les couches profondes de la nation. Je dis que la crise de la cu
878 s la rue. Je dis que la culture fait le trottoir. Et que c’est la politique qui s’est chargée de réglementer à sa manière
879 é. Dans l’état présent du langage, de la culture, et de la politique, on peut être à peu près certain que ces deux messieu
880 urs défendent en réalité le contraire de l’esprit et de la liberté, c’est-à-dire qu’ils défendent l’un et l’autre un régim
881 de la liberté, c’est-à-dire qu’ils défendent l’un et l’autre un régime d’étatisme oppressif et de dictature de l’économiqu
882 nt l’un et l’autre un régime d’étatisme oppressif et de dictature de l’économique. Le résultat de ces pratiques ne se fera
883 ésultat de ces pratiques ne se fera pas attendre, et l’on en voit déjà les premiers signes : parlez de la liberté, posez-v
884 sens intermédiaires dans la bouche de nos députés et journalistes, qui flétrissent (à droite) ou approuvent (à gauche) les
885 iales parce qu’ils les qualifient de socialistes, et qui approuveraient (à droite), ou flétriraient (à gauche) les mêmes l
886 de fascistes. Alors qu’elles sont, en fait, l’un et l’autre. La politique actuelle s’occupe bien moins des faits que des
887 mystiques dont on se sert pour masquer, à gauche et à droite, une impuissance profonde à rien changer aux faits. Or, ces
888 ions réelles : on disait liberté à gauche, patrie et autorité à droite. Mais la surenchère politicienne en est venue à ce
889 une double démagogie, on dit aujourd’hui liberté et autorité à droite ; patrie, autorité et liberté à gauche. La politiqu
890 i liberté et autorité à droite ; patrie, autorité et liberté à gauche. La politique a prostitué le langage. La culture n’a
891 que la culture qui joue tant sur le sens des mots et sur leur acception commune, se trouve ruinée par la politique. Et que
892 ption commune, se trouve ruinée par la politique. Et que la politique, qui a tourné en mystique, parle pour ne rien dire o
893 rire, à parler, si par hasard on est de bonne foi et si de plus on a des choses précises à exprimer. Je réponds : écrivons
894 oblème politique plus urgent que celui des mots ; et qu’il n’est pas de problème culturel qui ne dépende de la politique.
10 1937, Articles divers (1936-1938). Romanciers publicitaires ou la contagion romanesque (13 mars 1937)
895 ends celui qui exerce l’influence la plus directe et la plus intime sur nos mœurs, sur notre vie privée. Songez aux plus g
896 ilies, à ces jeunes gens qui choisissent le néant et la folie avec Ivan Karamazov, comme d’autres s’étaient suicidés après
897 nages, genre français par excellence, a provoqués et justifiés dans toutes les sous-préfectures. Ce pouvoir contagieux est
898 écrivains qui savent le communiquer à leur œuvre, et des lecteurs assez ardents pour le subir autrement qu’en imagination.
899 rdents pour le subir autrement qu’en imagination. Et rien n’est plus légitime, voire désirable, que cette contagion pratiq
900 r, d’influencer le public par des moyens choisis, et de lui transmettre une certaine vision du monde plus profonde, plus r
901 ertaine vision du monde plus profonde, plus riche et plus vraie, que la vision banale de la vie quotidienne. Il est très b
902 vie quotidienne. Il est très bon que le romancier et ses romans agissent, de cette manière intime et souterraine, tant qu’
903 r et ses romans agissent, de cette manière intime et souterraine, tant qu’ils ont quelque chose à dire. Mais nos romancier
904 urs contemporains ? Ils prétendent faire de pures et simples descriptions de la Vie (avec majuscule). Ils ne redoutent rie
905 ues. (J’excepte deux ou trois auteurs marxistes.) Et , cependant, leur influence n’est pas moins grande, sur la vie privée
906 contentent d’un opportunisme à la petite semaine, et ménagent les opinions plutôt que les intérêts de leurs électeurs. Cet
907 espèce de thèse, cela signifie simplement ménager et flatter le lecteur, la conscience bourgeoise du lecteur, ou plus préc
908 France, paraît-il, ce sont les femmes qui lisent et qui se passionnent pour les romans. Ainsi, à force de ménager les pré
909 ns. Ainsi, à force de ménager les préjugés moraux et immoraux, à force de flatter les instincts les plus faciles à flatter
910 trop positif, de trop réellement révolutionnaire et constructif, le « romancier à succès », de nos jours, est devenu un s
911 que traduire les humeurs, les goûts, les craintes et les vapeurs du bourgeois sensible, il ne cherche pas à les combattre,
912 rmer, à les dissiper au nom d’un idéal personnel, et moins encore au nom d’un idéal révolutionnaire cohérent. Il n’a qu’un
913 erce uniquement au profit des classes possédantes et de leurs coutumes. Il n’est que de voir l’importance démesurée que no
914 vêtements, des ameublements, des marques d’autos, et même de cigarettes (Paul Reboux) de leurs personnages ! Le romancier
915 Le romancier bourgeois qui s’imaginait, naïvement et confortablement, qu’on peut écrire n’importe quoi, sans ce que cela p
916 fournisseurs d’une certaine classe. Ce romancier, et la culture qu’il représente, on comprend que la jeunesse actuelle ne
917 le monde parle, c’est d’abord la crise du roman, et du roman fait à l’usage des bourgeois, de leurs loisirs improductifs.
11 1937, Articles divers (1936-1938). Vers une littérature personnaliste (20 mars 1937)
918 e, surtout la romanesque. Jamais on ne l’avait vu et constaté aussi nettement qu’à la lecture de ce bilan désinvolte. Au l
919 rait apparemment que la liberté est une conquête, et non pas une facilité. Tout concourait d’ailleurs à faire passer cette
920 ération tuée à remplacer. Il y avait l’inflation, et la prospérité des nouveaux riches, une avidité de sensations, une lib
921 l nous en reste une génération de gloires rapides et sans ampleur, des « noms » qu’un seul livre imposa, et l’on acceptait
922 ns ampleur, des « noms » qu’un seul livre imposa, et l’on acceptait les suivants parce que c’était commode, et parce que l
923 acceptait les suivants parce que c’était commode, et parce que les critiques sont admirablement disciplinés. (D’ailleurs,
924 ous se connaissent trop bien : auteurs, critiques et éditeurs ; pratiquement, la franchise n’est pas possible.) De ces ann
925 la franchise n’est pas possible.) De ces années, et de celles de la crise qui les suit, on ne retiendra guère que les biz
926 de « mineurs » qui prendra le charme d’un style, et très vite, une patine rassurante. Quant au roman contemporain, il est
927 rellement les écrivains lassés de l’improvisation et du bâclé. Au lieu de chercher la densité, en profondeur, ils trouvent
928 e l’histoire sociale, ils s’étalent dans la durée et vagabondent à travers les générations. Notons qu’ils s’attardent pres
929  : le temps de leur jeunesse, remarque Thibaudet. Et il attribue ce phénomène de « refoulement de la durée vers l’amont »
930 urée vers l’amont » à l’incertitude du lendemain ( et du présent), à la nécessité croissante de vivre sur ses réserves, enf
931 ante de vivre sur ses réserves, enfin à une crise et à une carence de la création. Malgré ces difficultés, conclut-il, on
932 de Thibaudet se termine sur une note pessimiste, et sur l’expression de « dégradation de la littérature, au sens où les p
933 té solidement établie, où les types étaient fixes et stables, et les relations codifiées, tyranniques : il y avait encore
934 t établie, où les types étaient fixes et stables, et les relations codifiées, tyranniques : il y avait encore intérêt à pa
935 st permis ? Que décrire, sinon ce qui s’écroule — et cela ne peut pas donner les éléments d’un art, si l’art est une const
936 t, que les documentaires entremêlés de réflexions et de jugements personnels, comme par exemple les derniers livres d’Henr
937 mme par exemple les derniers livres d’Henri Petit et de Marius Richard soient promis à des succès moins tapageurs, mais pl
938 ire un inventaire de l’homme, préparation modeste et nécessaire à une littérature vraiment personnaliste. j. Rougemont
12 1937, Articles divers (1936-1938). C’est jeune (10 avril 1937)
939 que j’avais esquissée, ici même, se trouve citée et commentée, et sans doute approuvée in petto… Mais M. Vandérem est réa
940 squissée, ici même, se trouve citée et commentée, et sans doute approuvée in petto… Mais M. Vandérem est réaliste : il tro
941 t réaliste : il trouve que j’en prends à mon aise et que je néglige un peu cavalièrement les contingences. Si j’étais plu
942 re que le mal est aussi grave que je l’indiquais. Et si l’on en doutait encore, c’est M. Fernandez qui me fournirait le pl
943 en ces matières, cela veut dire surtout la chance et la tactique, il me semble que le talent de M. Amoux est supérieur à s
944 sa tactique ». Faut-il être jeune, tout de même, et peu avancé dans la vie, pour s’ébahir, comme je le fais, d’une… « con
945 qui s’agite en vous, entre le rire, l’inquiétude, et le dégoût ? Partagez-vous ma naïveté ? Et M. Fernandez, qu’en pensait
946 iétude, et le dégoût ? Partagez-vous ma naïveté ? Et M. Fernandez, qu’en pensait-il, écrivant cela ? Dans quelle illusion
947 crivain, c’est de s’imposer avec force au Public. Et cela demande de la tactique ! Je le vois bien. Je supplie donc qu’on
948 es, mais quelque chose de beaucoup plus dangereux et difficile que l’avancement dans la vie : quelque chose que nous autre
949 ne révolution. Quand les clercs en sont arrivés —  et l’élite — à subordonner leur mission à la « tactique » du succès comm
950 c’est le moment de fourrer les pieds dans le plat et d’éclabousser les convives. Nous ferons notre pain nous-mêmes. l.
13 1937, Articles divers (1936-1938). Journal d’un intellectuel en chômage (fragments) (15 avril 1937)
951 se sans argent, est la ville des gérants ignobles et des concierges, des lieux-sombres-et-populeux où il faut pénétrer l’â
952 mbres-et-populeux où il faut pénétrer l’âme basse et la petite enveloppe à la main. Tant d’autres disent : « Allons-nous-e
953 main. Tant d’autres disent : « Allons-nous-en », et restent faute d’imagination. Et pourtant il suffit de bien peu pour p
954 Allons-nous-en », et restent faute d’imagination. Et pourtant il suffit de bien peu pour partir : la France a des milliers
955 s. Dites autour de vous que vous en cherchez une, et vous en trouverez pour rien, ou pas grand-chose. Encore faut-il savoi
956 j’ai pu rêver de ce pays. Il est très pauvre, sec et lumineux. Toutes les nuances du gris, herbes, pierres, oliviers, et q
957 s les nuances du gris, herbes, pierres, oliviers, et quelques touches de vert humide au fond des vallons, de vert sombre s
958 es, quelques cyprès en silhouette sur les crêtes, et des toits de ce rose émouvant des tuiles romaines sous un ciel doux.
959 très haute, aux murs de gros moellons rougeâtres et gris non revêtus. Il y a trois pièces au premier étage, où l’on entre
960 e fauteuils, de chaises de velours, tables rondes et ovaloïdes, guéridons à photos, meubles à musique — sans piano —, bibl
961 napés, sofas, rideaux à franges, tabourets brodés et objets d’art. Aux murs, plusieurs douzaines d’aquarelles, sous-bois e
962 murs, plusieurs douzaines d’aquarelles, sous-bois et marines. Quelques tapis sur du carreau rouge. La plupart des fenêtres
963 erme la cour sur la droite, derrière des palmiers et des lauriers. Très haute aussi, blanchie, presque sans fenêtres. Un v
964 rte d’entrée, où l’on accède par quelques marches et un balcon de pierre. L’on descend par d’étroits escaliers aux quatre
965 une échappée sur la fin de la vallée, la rivière et la plaine. La petite ville reste invisible, massée au pied des rocher
966 de coq. L’odeur du raisin foulé monte de la cour, et remplit l’ombre bleue sous le tilleul immense et les lauriers. Un gra
967 et remplit l’ombre bleue sous le tilleul immense et les lauriers. Un grand vase jaune brille au bord du bassin. Le reflet
968 du bassin. Le reflet de l’eau tremble au plafond et sur les murs verdâtres de la chambre où j’écris. Et voilà mon petit e
969 sur les murs verdâtres de la chambre où j’écris. Et voilà mon petit exercice de rentrée terminé : « Décrivez la maison de
970 rd, sa femme Marguerite, son chien basset Pernod. Et qu’il va falloir modifier cette maison pleine de guéridons et d’aquar
971 falloir modifier cette maison pleine de guéridons et d’aquarelles, de telle sorte qu’on puisse y travailler. Nous faisons
972 y travailler. Nous faisons l’inventaire minutieux et le plan d’arrangement actuel de chacune des pièces du premier, avant
973 chacune des pièces du premier, avant de les vider et de transporter leur contenu à l’étage supérieur. 23 septembre 1934 Ma
974 Il ne reste qu’un grand canapé de velours ponceau et des chaises de paille trouvées dans un coin de la remise, où les chai
975 la remise, où les chaises brodées, les guéridons et le dessus de cheminée — vingt-deux pièces dûment recensées — ont été
976 tortue polie, agrémenté de porte-bougies inutiles et de pendeloques de verre taillé. Fascinant, ce lustre. Nous sommes ére
977 aillé. Fascinant, ce lustre. Nous sommes éreintés et couverts de poussière. Mais on va pouvoir respirer. 25 septembre 1934
978 illent encore gagnent à peine de quoi se nourrir. Et j’entrevois déjà ce qu’ils appellent ici se nourrir : nos voisins n’o
979 à midi, que des châtaignes, des olives, des radis et quelques légumes de leurs cultures, qu’ils n’ont pas pu vendre au mar
980 mère Calixte pour donner un coup de main le matin et faire les lessives. C’est une toute petite vieille noueuse, à la sage
981 petite vieille noueuse, à la sagesse sentencieuse et imagée. Étonnamment active. Bonne protestante et qui tient à le dire.
982 et imagée. Étonnamment active. Bonne protestante et qui tient à le dire. Sa cordialité demeure digne, trait notable à par
983 etite cité tassée à la base d’une paroi de rocher et le long d’une rivière rapide qui débouche d’une gorge étroite, cité c
984 gorge étroite, cité couleur de rocher, de rivière et de vieilles tuiles romaines, A… qui de loin paraît en ruine, prouve s
985 oin paraît en ruine, prouve sa vie par ses odeurs et la saleté de ses ruelles. Un ruisseau coule au milieu du pavé, charri
986 ge. Pas un de ces petits visages qui ne soit beau et fin mais incroyablement crasseux. Vers la gare, il y a bien un parc m
987 s des grandes villes. Le goût de « la vie saine » et du grand air, vous ne le trouverez que dans la « banlieue rouge » de
988 ieue rouge » de Paris, d’ailleurs importé d’URSS, et récemment. On me dit qu’ici trois maisons seulement, sur 200, ont l’e
989 ur la grande place, juste à côté de la pissotière et de l’arrêt des autocars. Pittoresque, on peut le dire… 8 octobre 1934
990 Je vois la misère qui règne dans tous ces foyers, et qui les détruit. Je vois ces enfants sales abandonnés par leurs paren
991 appauvrissante en fait. Je vois tous les espoirs et toutes les « assurances » de cette population balayée périodiquement
992 elque décret d’État. Je vois le chômage s’étendre et s’installer, comme se sont installés dans ces villages malsains et ma
993 omme se sont installés dans ces villages malsains et mal soignés la tuberculose, l’alcoolisme et la misère héréditaire. Ma
994 sains et mal soignés la tuberculose, l’alcoolisme et la misère héréditaire. Mais je vois d’autre part, en parcourant la fe
995 lculer, faire son budget, bourrer le bas de laine et nourrir la bouteille aux pièces de dix sous. Une chose est claire : f
996 es conditions actuelles, c’est défier le bon sens et la raison pratique. C’est s’en remettre à quelque espoir vague et pro
997 tique. C’est s’en remettre à quelque espoir vague et profond. Or tout ce que l’État nous apprend, par le moyen de l’école
998 oyen de l’école primaire entre autres, ridiculise et ruine ce genre d’espoirs. Qui voudrait condamner l’usage pratique de
999 de la raison ? Simplement je constate qu’en fait, et dans ce pays tel qu’il est, la morale rationnelle et les mesures qu’e
1000 dans ce pays tel qu’il est, la morale rationnelle et les mesures qu’elle propose, ce n’est guère que le rêve des vieux cél
1001 n’ont plus besoin de calculer, ceux-là calculent. Et les autres acceptent leurs risques, c’est-à-dire acceptent de vivre,
1002 rgne. 15 octobre 1934 On a terminé les vendanges, et la récolte des figues d’été. (Les figues d’hiver apparaissent déjà, p
1003 es figues d’hiver apparaissent déjà, plus petites et toujours vertes ; on ne les mange pas). Simard nous a indiqué une fer
1004 r au soir. Des hauteurs, on voyait la plaine rose et violacée entre des monticules pointus tout frisés d’oliviers, un pays
1005 n peu mieux, avec une politesse pleine de réserve et d’attentions. On parle du domaine. Les deux femmes le dirigent seules
1006 n trouve de moins en moins. — « Mais, lui dis-je, et les chômeurs ? On m’a dit qu’il y en a 400 à A ? » La mère, vivement 
1007 ez des articles ? J’en ai lu signés de ce nom-là. Et elle me cite une revue protestante et une revue littéraire auxquelles
1008 ce nom-là. Et elle me cite une revue protestante et une revue littéraire auxquelles je collabore, en effet. — Vous avez l
1009 estantes. Ce ne sont pas des bourgeoises, certes, et pourtant elles en sont encore à estimer que chômeur est synonyme de v
1010 dangereux. Elles font partie des « travailleurs » et pourtant elles sont propriétaires. Je vois en elles un type très clas
1011 a-t-il de classes entre la bourgeoisie des villes et le prolétariat ? L’opposition que veulent voir les marxistes entre bo
1012 t voir les marxistes entre bourgeois, ou maîtres, et prolétaires ou serviteurs, je la trouve fausse dans tous les cas conc
1013 concrets, dès que je sors des très grandes villes et de leur caricature de société. — Simard, le jardinier, est à demi mét
1014 peuple. Oui, mais bourgeois par leur profession. Et les Calixte ? Prolétaires sans doute, mais d’une tout autre espèce, o
1015 la montagne qu’on voit venir à A… pour le marché. Et très conscients d’une supériorité qu’ils ne peuvent attribuer au rang
1016 celle des ancêtres, tout au moins ! — l’éducation et le métier. C’est cela qui crée des groupes, des couches, des différen
1017 ui crée des groupes, des couches, des différences et des affinités, au moins autant que les conditions économiques. On ne
1018 communiste traitera les dames Turc de « koulaks » et tout sera dit. Le marxisme part de statistiques et de relations numér
1019 t tout sera dit. Le marxisme part de statistiques et de relations numériques (salaires, plus-value, profits). Il s’estime
1020 de la conscience globale qu’ils ont de leur état ( et c’est pourtant le principal, pratiquement et moralement, c’est ce qui
1021 tat (et c’est pourtant le principal, pratiquement et moralement, c’est ce qui règle le jeu des relations humaines et les o
1022 c’est ce qui règle le jeu des relations humaines et les opinions politiques). Le marxisme traite tout cela de nuances vai
1023 hommes sont malgré eux, du point de vue abstrait et inhumain de la Statistique. Et il prétend fonder là-dessus non seulem
1024 nt de vue abstrait et inhumain de la Statistique. Et il prétend fonder là-dessus non seulement des mesures techniques, ce
1025 it parfaitement légitime, mais une morale, un art et une métaphysique ! Problème de la politique actuelle : sera-t-elle l’
1026 lle fondée sur la réalité telle qu’elle est vécue et voulue par les hommes réels et concrets, ou bien sur la réalité telle
1027 qu’elle est vécue et voulue par les hommes réels et concrets, ou bien sur la réalité telle qu’elle est chiffrable, inévit
1028 mère a la grippe. Je trouve à la cuisine la fille et une voisine. Elles se plaignent du froid. Le fourneau est rouge, mais
1029 ient le vent le plus glacial, depuis des siècles, et en tout cas depuis longtemps avant la construction de cette maison… O
1030 ans une chambre obscure mais qui me paraît propre et sobre. La mère Calixte est au lit, un gros édredon ramassé sur le ven
1031 ieds découverts, un foulard noir sur les épaules, et je crois bien sa blouse noire aussi. Elle me dit qu’elle a été assez
1032 pécialement adroits de leurs mains, débrouillards et pleins de ressources mystérieuses. Mais ils seraient moins dignes aus
1033 anière qu’on entend bien que c’est ainsi de tout, et qu’on aurait grand tort de croire que rien au monde dépend de nous. C
1034 ommes, c’est tout autre chose. Ils sont éloquents et naïfs, revendicateurs et inefficaces. La plupart ne font rien, ou « t
1035 hose. Ils sont éloquents et naïfs, revendicateurs et inefficaces. La plupart ne font rien, ou « travaillent le mazet », ce
1036 t à la filature — la dernière qui marche encore — et gagnent leurs 7 francs par jour. Pendant ce temps les hommes sont sur
1037 ur. Pendant ce temps les hommes sont sur la place et protestent contre le gouvernement. Ce sont les radicaux et les social
1038 tent contre le gouvernement. Ce sont les radicaux et les socialistes. Les commerçants sont souvent réactionnaires et se mê
1039 stes. Les commerçants sont souvent réactionnaires et se mêlent peu à ceux de la place. Enfin ceux qui sont occupés par l’i
1040 par les garages ou à la Mairie, sont communistes et mènent les affaires du pays. Ils vont à toutes les conférences, prenn
1041 iné toute la richesse indigène de ce département. Et cette richesse à son tour va reprendre le chemin de l’Orient, d’où vi
1042 est celui du langage dans notre société présente. Et c’est encore une fois le drame de la culture. Qu’on ne croie pas que
1043 , les mots n’ont plus le même sens pour le peuple et pour ceux qui voudraient lui parler. Le petit exemple que je viens de
1044 s effarantes. Travail, liberté ou union, richesse et pauvreté, tous ces vocables dont nous pensions qu’ils exprimaient les
1045 vidés de leur signification à la fois symbolique et précise. Ils n’éveillent plus chez l’homme du peuple les mêmes espoir
1046 nous. Leur résonance sentimentale est différente, et c’est pourquoi leur sens est différent, en dépit de ce que l’on pourr
1047 le de Guizot. Le « public », c’était la noblesse, et les bourgeois imitant la noblesse. Le vrai peuple les comprenait dans
1048 données sont bouleversées. L’instruction publique et la Presse répandent sinon le goût, du moins la pratique quotidienne d
1049 des conventions communes. Un chacun peut en être, et juger comme il veut. Le droit de se tromper, et de tromper grâce au l
1050 , et juger comme il veut. Le droit de se tromper, et de tromper grâce au langage, est un des droits imprescriptibles que s
1051 as), quels que soient nos efforts vers la rigueur et vers l’adaptation de notre style à notre action. On serait même tenté
1052 us grande rigueur entraîne la moindre efficacité, et l’inverse. Par où l’on voit que le contraire de la « vie spirituelle 
1053 lle », c’est « le public ». Cette vie spirituelle et ce public nous posent des exigences dont il faut admirer qu’elles soi
1054 neutre, nous en avons toujours dans les 40 à 50. Et une fois qu’ils sont là, on peut parler de tout… J’irai d’autant plus
1055 s un coin arrangé en cabinet de lecture. Journaux et illustrés, quelques livres sur la table. Puis on s’est assis sur des
1056 : de l’enseignement, des journaux, des traditions et anecdotes locales. Discussion n’est d’ailleurs pas le mot : c’étaient
1057 nt chaque fois de gros rires. L’homme du peuple — et je pense qu’il en va de même du bourgeois peu cultivé, et sans doute
1058 nse qu’il en va de même du bourgeois peu cultivé, et sans doute de tout ce qui n’est pas « intellectuel » — ne « discute »
1059 use de ses répétitions pressées. Or cette lenteur et ces répétitions n’ont d’autre but que de laisser à l’esprit le temps
1060 rce que toujours elle vise à la formule décisive, et ne s’accorde le droit de dire chaque chose qu’une seule fois, de la f
1061 qu’une seule fois, de la façon la plus économique et la plus claire28. Or, cette langue d’échanges dialectiques rapides se
1062 e de la réflexion spontanée, qui est « péguyste » et non « classique ». Écrivains inutilisables dans la mesure où ils veul
1063 ls s’appliquent à comprendre, comme ils sont vifs et peu timides, camarades, malicieux et indulgents — leurs bons rires qu
1064 ls sont vifs et peu timides, camarades, malicieux et indulgents — leurs bons rires quand l’un ou l’autre dit une bêtise ou
1065 and l’un ou l’autre dit une bêtise ou bafouille — et comme on a envie de leur expliquer des choses, amicalement ; de parta
1066 endus, à leurs vagues sourires, à leurs timidités et aux distances télescopiques que tout cela met entre celui qui parle e
1067 scopiques que tout cela met entre celui qui parle et son public ! (Le « conférencier » en tournée se présente comme un séd
1068 ésente comme un séducteur, c’est la loi du genre, et cela rend les échanges bien pauvres…) Quand nous nous sommes levés po
1069 a chauffe certains soirs. Mais le pasteur préside et on le respecte : 40 ans ; genre ancien combattant ; « très large », d
1070 genre ancien combattant ; « très large », dit-on. Et « il cause bien ». 16 décembre 1934 À N… la mairie est tout entière c
1071 les châtelains. Ils votent radical ou socialiste, et se font battre à plate couture, régulièrement. Mais faut-il donc pens
1072 es communistes, eux, savent pourquoi ils le sont, et connaissent le marxisme ? On m’avait dit : ce n’est pas cela du tout,
1073 achent pas faire la distinction entre le marxisme et l’anarchie. D’autre part, sauront-ils s’opposer au dictateur qui se p
1074 lles, leurs difficultés morales, leurs traditions et leurs rancunes — c’est souvent la même chose — leurs idées sur la vie
1075 rs idées sur la vie, sur la mort, sur le mariage. Et quand je dis que sa vie consiste à connaître ces choses, il faut pren
1076 en plutôt un conseiller, un donneur d’aide morale et parfois matérielle, quelqu’un qui est responsable de connaître ces ge
1077 pasteur. Sa paroisse comprend les villages de N. et de V. où il habite. V., c’est un vieux nid d’aigle, une pierraille co
1078 nant des hauteurs ventées. Les rues sont étroites et caillouteuses, pleines d’odeurs dès que le vent cesse de les balayer.
1079 collines vers Uzès, où quelques ruines de castels et quelques cheminées d’usines grattent le bas d’un grand ciel jaune. On
1080 pays dans son ensemble, dans son unité naturelle et ancienne. Une même patine de crépuscule réunit les champs, les arbres
1081 connais si bien ? C’est difficile de les classer et je n’aime pas beaucoup ça… Il y en a de toutes sortes, bien sûr, et p
1082 eaucoup ça… Il y en a de toutes sortes, bien sûr, et plus on les voit de près… — Je comprends qu’il soit difficile de parl
1083 votre église, pratiquement ? — C’est-à-dire, oui et non. — Enfin, viennent-ils au temple le dimanche ? — Ça non. D’ailleu
1084 l y a les cafés, les terrasses sous les platanes, et le dimanche matin, les hommes y vont boire leur pastis. Si l’on va au
1085 istie, on viendrait bien ! Mais on est lâches ! — Et chez eux, les voyez-vous ? Pouvez-vous discuter avec eux ? — Guère. L
1086 a ne me gênerait pas. Mais eux on les étonnerait, et surtout ils y sont entre eux. Je n’ai aucune envie d’aller faire l’in
1087 pratiquement, je vous assure, c’est difficile. — Et les salutistes ? — Ils ont un uniforme. C’est classé. On les connaît…
1088 dans des cercles d’hommes. Vous voyez le genre. — Et les communistes y viennent ? — Bien sûr, le maire en tête. Et ils dis
1089 nistes y viennent ? — Bien sûr, le maire en tête. Et ils discutent, et même très bien. Je me rappelle par exemple une disc
1090 ? — Bien sûr, le maire en tête. Et ils discutent, et même très bien. Je me rappelle par exemple une discussion sur l’incro
1091 r avait dit que la différence entre les chrétiens et les incroyants, ce n’est que pas les chrétiens se conduisent mieux qu
1092 es autres, mais c’est qu’ils se confient en Dieu, et qu’ils attendent tous les ordres de lui. À la fin, un des communistes
1093 dres de lui. À la fin, un des communistes se lève et résume le débat : « En somme, dit-il, si nous ne croyons pas en Dieu,
1094 nt les plus intelligents du village. Ce sont eux, et eux seuls, qui proposent des réformes pratiques, qui demandent qu’on
1095 mes pratiques, qui demandent qu’on installe l’eau et l’électricité dans les maisons, etc. C’est l’élément réveillé et entr
1096 é dans les maisons, etc. C’est l’élément réveillé et entreprenant de la population. — Mais savent-ils ce que c’est, le mar
1097 er aux gros propriétaires qui tiennent la région, et de leur imposer des mesures de progrès, de bon sens… — Au point de vu
1098 d’abord parce qu’ils la connaissent mal, ensuite et surtout parce qu’elle ne joue pratiquement aucun rôle dans leur actio
1099 ne joue pratiquement aucun rôle dans leur action, et qu’elle n’a rien changé à leur croyance ou plutôt à leur incroyance.
1100 s marxistes que moi. Ils veulent avant tout vivre et travailler raisonnablement. Mais rien ne se présente pour les souteni
1101 u parti communiste parce qu’il n’y a rien d’autre et personne d’autre… Ce seraient souvent les meilleures têtes du pays, e
1102 Ce seraient souvent les meilleures têtes du pays, et on les laisse devenir les « mauvaises têtes ». 17 décembre 1934 Le gr
1103 peur. Or ils devraient n’avoir peur que de Dieu, et des vocations bouleversantes qu’il arrive que Dieu nous adresse. C’es
1104 u nous adresse. C’est un comique profond, lugubre et déprimant que celui du chrétien honteux, honteux d’une foi qu’il n’a
1105 plus de honte à la confesser devant les hommes ; et s’il a honte, c’est qu’il ne craint pas Dieu, mais qu’il croit au jug
1106 i qui sait qu’il ne croit pas aux dieux du monde, et qui le prouve. Comment le prouve-t-il ? Tout simplement en témoignant
1107 en témoignant, en annonçant aux hommes la vérité et le chemin. Point n’est besoin d’actions extraordinaires, surhumaines 
1108 , il passe en revue les compagnies d’assurances — et analogues — avec lesquelles il est en compte. Je dis compagnies d’ass
1109 ept ou huit. Il en totalise sept pour son compte, et sa dame fait le petit appoint. Elle s’est « coupé » la jambe, cela fa
1110 « coupé » la jambe, cela fait bien cinq ans déjà, et « touche » pour cette jambe cassée et d’ailleurs dûment guérie, 20 so
1111 q ans déjà, et « touche » pour cette jambe cassée et d’ailleurs dûment guérie, 20 sous par jour. Au dernier examen médical
1112 se venger, il leur a retiré son assurance à lui, et l’a passée à d’autres. Il reste par bonheur : les assurances sociales
1113 age », vieillesse, accidents du travail, incendie et une histoire très compliquée de capitalisation-loterie, qui l’excite
1114 son beau-frère. « Ce cochon-là » n’a pas répondu, et pourtant la lettre était recommandée. Alors il a été voir « une perso
1115 personne encore plus compétente » que lui Simard, et cette personne lui a conseillé d’écrire une nouvelle lettre recommand
1116 llu récrire deux fois pour obtenir gain de cause. Et tout ça lui a bien coûté 50 francs. Autrement, vous savez ce qui se p
1117 mettent l’argent dans leur poche. — Tous les mas et mazets des environs sont habités par des retraités, des pensionnés, d
1118 ent dans la rouspétance contre ces « cochons-là » et dans la crainte de la vieillesse. On travaille pour ne rien gagner, à
1119 d’argent, on ne croit plus ni à Dieu ni à diable et à peine à la politique, l’hiver est « pourri », la « pulmonie » fait
1120 est « pourri », la « pulmonie » fait des ravages, et ces cochons-là vous diminuent. Simard m’explique encore que les gens
1121 . Alors les catholiques descendent de la montagne et viennent prendre la place. « On les appelle ici les illettrés. Ça veu
1122 isés dans la mesure où nous sommes intellectuels, et acceptés — ou utilisés — dans la mesure où nous réussissons à nous fa
1123 Un beau chaos de partis pris, d’erreurs de faits et de formules électorales ! Je demandai la parole pour expliquer, le pl
1124 en Italie dans des termes particuliers à ce pays, et qu’en tout cas il ne peut pas se poser de la même façon en France. Je
1125 ascisme, ce n’était pas de condamner les Italiens et leurs admirateurs français, position négative, paresseuse, et donc fa
1126 irateurs français, position négative, paresseuse, et donc faible, mais d’essayer de résoudre « à la française » le problèm
1127 ent cinquante années de démocratie parlementaire, et toute une tradition de libertés. Bref, un petit sermon élémentaire su
1128 . Mais l’électeur veut qu’on soit pour ou contre, et il se méfie par principe de celui qui distingue et nuance. On ne tien
1129 t il se méfie par principe de celui qui distingue et nuance. On ne tiendra jamais assez compte de cette opposition fondame
1130 tre. Sinon, pour peu que l’article expose le pour et le contre, quelle que soit d’ailleurs ma conclusion, on me classera f
1131 onclusion, on me classera fasciste ou communiste. Et pourtant, la mission de l’écrivain n’est-elle pas justement d’éduquer
1132 régulier par son travail, s’il n’a plus d’emploi, et ne sait plus de quoi sera fait le lendemain. — Admettez que cela ne v
1133 e le fait que je suis heureux suffit à me nourrir et à me vêtir ? Vous n’avez qu’à regarder la frange de mon pantalon. Ce
1134 ort matériel très médiocre. Ce n’est pas nouveau. Et il faut bien reconnaître que ce n’est pas aussi romantique et excitan
1135 ien reconnaître que ce n’est pas aussi romantique et excitant que mon titre pourrait le faire croire. L’intéressant à mon
1136 de vue, c’est de montrer une fois que c’est vrai, et de montrer comment c’est vrai, dans le détail… ⁂ Cette conversation a
1137 supportable qui s’attache aujourd’hui à l’argent, et qui se mêle en particulier à tout échange d’idées sur la richesse, la
1138 es subits de la pensée ou des sentiments. Aigreur et nervosité qui révèlent surtout un refoulement séculaire de ces questi
1139 questions. Plusieurs générations de bourgeoisie, et la crise de cette bourgeoisie ont accouché d’un des plus beaux comple
1140 ur dresser les humains les uns contre les autres. Et qui, ou quoi, pourrait nous en guérir ? — Commençons par nous avouer,
1141 otre vie, de nous refaire une hiérarchie éthique, et de rendre ainsi à l’argent son rôle mineur de moyen, d’impur et simpl
1142 insi à l’argent son rôle mineur de moyen, d’impur et simple moyen… 31 mars 1935 Place aux vieux ! — Je lis dans un journa
1143 donnée une conférence au profit des vieux, hommes et femmes, âgés de 60 ans au mois de juillet 1930 29 . Tous ceux qui ne
1144 la conférence est à 10 heures, dimanche matin… — et les oligarchies réactionnaires ! Ô liberté, égalité, fraternité, Décl
1145 e cent années d’efforts, de luttes, de sacrifices et d’éloquence, de pensée libre, de raison cartésienne, de soif de Justi
1146 libre, de raison cartésienne, de soif de Justice et de passion libertaire, ce grand mot sera prononcé, proclamé, acclamé
1147 nt dominée par le souci des élections académiques et des retraites aux sexagénaires. N’est-ce pas beau, rassurant, émouvan
1148 me chaque jour, la plupart des journaux parisiens et méridionaux. Un vieux bonhomme au nez violacé traîne ses pantoufles p
1149 nez violacé traîne ses pantoufles par la boutique et grogne sans arrêt. Il interpelle assez grossièrement la patronne qui
1150 ça. Il faut le laisser frapper le sol de sa canne et redresser sa casquette pour ponctuer ses raisonnements d’alcoolique.
1151 ts d’alcoolique. Entre un homme maigre, casquette et veste de toile bleue proprette, visage nerveux et intelligent. — Vous
1152 et veste de toile bleue proprette, visage nerveux et intelligent. — Vous avez mon Huma ? — Bou die ! je les ai toutes vend
1153 ur de foire). — Allons, tant mieux, fait l’homme. Et si des fois on vous en demande de trop, vous n’avez qu’à donner la mi
1154 lorsque le vieux gâteux l’arrête sur le seuil. «  Et alors, mon bon, c’est toi qu’on va mettre à la mairie ? » L’homme au
1155 n geste réticent. Le vieux le tient par la manche et lui martèle de sa canne le bout des souliers : « Tu m’entends ? Nous
1156 que vous l’avez, le pouvoir ! » L’autre se dégage et s’en va, un peu triste, ou peut-être gêné. Entre ces deux hommes, je
1157 totale décrépitude où l’ont laissée les radicaux et les créatures de Bouisson, dont mon alcoolique fait partie. Voilà l’a
1158 mon alcoolique fait partie. Voilà l’aspect local et personnel de la question, sur le plan des prochaines élections munici
1159 même niveau social, sans doute parents, de mœurs et de langage pareils. S’ils s’opposent, c’est que l’un est avare et lég
1160 reils. S’ils s’opposent, c’est que l’un est avare et légèrement maboul, l’autre énergique et assez sensé. Simple question
1161 est avare et légèrement maboul, l’autre énergique et assez sensé. Simple question de tempérament. Peut-être aussi le commu
1162 cemment, le dernier numéro de l’Huma. De la haine et encore de la haine, quelques mensonges grossiers, le truquage habitue
1163 epte à la rigueur cette division du monde en gros et en petits, si c’est le seul moyen pratique de faire valoir les droits
1164 ournal ! Leur seule force contre les capitalistes et surtout contre leurs suppôts, ces retraités radicaux ou socialistes,
1165 cialistes, ce serait d’être le parti de la vérité et du bon sens. Ils auraient avec eux tous les hommes — bourgeois ou int
1166 ois ou intellectuels — qui détestent la politique et la combine électorale. Au lieu de quoi on pervertit les révoltes les
1167 e abstraite, brutale — eux qui le sont si peu ! —  et si possible, plus médiocre que celle des grands journaux d’informatio
1168 e à lire ou à entendre. Il comprend sa situation, et ne voit pas que son journal est sans rapport réel avec cette situatio
1169 demande par quelle rancune vaguement démoniaque, et surtout vaine, ils en viennent à s’imaginer qu’ils défendent eux auss
1170 its » en défendant ces exploiteurs de la bassesse et du mensonge en service commandé. L’homme à la veste bleue, je le comp
1171 mmandé. L’homme à la veste bleue, je le comprends et je l’aime dans son effort maladroit et réel. Mais dans la mesure où j
1172 comprends et je l’aime dans son effort maladroit et réel. Mais dans la mesure où je l’aime, ils me dégoûtent. 28 avril 19
1173 tirer quelque chose de sensé, de vécu, de réel, —  et qui renversera les conclusions cyniques des partisans de la dictature
1174 uerre dans les campagnes : nomadisme des employés et ouvriers, impossibilité de « suivre » un effort bien localisé, de s’a
1175 les. Ils vous diront que le mal vient de l’État — et cela veut dire : de ceux qui font les lois sans rien savoir des situa
1176 abaissant la limite d’âge dans les chemins de fer et l’administration ; faire des lois régionales pour la viticulture ; me
1177 s des « caves centrales » avec des vins d’Afrique et des produits chimiques (« que vous avez la gorge brûlante après un ve
1178 phrase entendue un peu partout dans la province). Et puis « leur » politique, parlez-moi de « leurs combines » — il n’y a
1179 libératrices, des sports, des moyens de circuler et de s’instruire, résistance à l’état tentaculaire. (Quant à la lutte c
1180 ppartient à des équipes d’hommes nouveaux, jeunes et sortis de toutes les classes, d’exprimer ce que taisent les journaux,
1181 xprimer ce que taisent les journaux, les orateurs et les affiches — et qui est la volonté réelle des travailleurs, trahis
1182 sent les journaux, les orateurs et les affiches — et qui est la volonté réelle des travailleurs, trahis par le langage pol
1183 u’un argument très puissant contre nous : sur qui et sur quoi tablez-vous ? nous dit-elle, sur quelle classe, sur quels in
1184 Mais rien d’autre n’est vrai… 6 mai 1935 La mort et les cérémonies dans le Gard. — La maison de Simard recèle un effrayan
1185 stence en même temps que l’imminence de sa mort — et voici qui éveillera peut-être des réflexions fécondes dans l’esprit d
1186 r philosophe. Déjà huit mois que nous sommes ici, et combien de fois ne sommes-nous pas entrés dans la grande cuisine qui
1187 étaient vides ou ne servaient que de débarras —, et rien ne pouvait nous faire soupçonner cette présence à côté. Hier mat
1188 savez, elle est toute chargée, bou die, l’estomac et tout. — Mais les Simard ne m’avaient jamais parlé d’elle ! — Peuchère
1189 en longtemps. On peut dire que la chose est sûre. Et on l’entend ! Trois fois par jour, le bruit d’effroyables discussions
1190 la cuisine des Simard. Un beau-frère est arrivé, et on partage. C’est toujours assez compliqué. La nuit, par un dernier r
1191 ns la remise qui est au-dessous de notre chambre, et leurs éclats de voix nous ont plusieurs fois réveillés. 18 mai 1935 …
1192 nous ont plusieurs fois réveillés. 18 mai 1935 … Et un beau jour, plus moyen d’échapper à cette humiliante évidence : san
1193 t remettre en place les aquarelles, les guéridons et les dessus de cheminée. Après-demain, nous partons. Nous fuyons. 27
1194 ie qu’inaugurèrent les généraux de la Révolution, et qui fut celle de Bonaparte, n’est en somme que l’application du style
14 1937, Articles divers (1936-1938). Lénine, Staline et la littérature (17 avril 1937)
1195 Lénine, Staline et la littérature (17 avril 1937)n Pour lutter contre le fascisme, le
1196 déjà ! — doit devenir une littérature de Parti. » Et Staline fait écho, trente ans plus tard, à cette déclaration totalita
1197 hrases sont tirées d’un choix de propos de Lénine et de Staline Sur la littérature et l’art. Disons tout de suite que le P
1198 propos de Lénine et de Staline Sur la littérature et l’art. Disons tout de suite que le Père des peuples n’a fourni pour s
1199 che en littérature des goûts tantôt traditionnels et presque scolaires (Lermontov, Pouchkine, Tolstoï), tantôt petits-bour
1200 kine, Tolstoï), tantôt petits-bourgeois (Monthéus et Barbusse). Son inculture, dans ce domaine, est d’ailleurs franchement
1201 ouvé un pareil plaisir, du point de vue politique et administratif. Dans son poème, il raille impitoyablement les réunions
1202 son poème, il raille impitoyablement les réunions et se moque des communistes qui ne font que siéger et siéger encore. Je
1203 t se moque des communistes qui ne font que siéger et siéger encore. Je ne sais ce qu’il faut penser de la poésie, mais pou
1204 ulture ». Au moins, c’est franc, sans prétention, et cela rend l’homme plutôt sympathique. Mais, en 1935, le ton des « dir
1205 e des peuples, sur le même Maïakovski : Il a été et il demeure le poète le meilleur, le plus talentueux de notre époque s
1206 re époque soviétique. L’indifférence à sa mémoire et à ses œuvres est un crime. Vous reconnaissez le ton du policier, et
1207 un crime. Vous reconnaissez le ton du policier, et du fonctionnaire arrivé. « L’indifférence à ses œuvres est un crime. 
1208  » Heureusement pour lui que Lénine est déjà mort et momifié ! Je ne sais quelle était l’intention des éditeurs communiste
1209 aient en général saines, banales, un peu courtes, et que Staline s’est chargé d’en extraire ce qu’elles avaient de réactio
1210 ’en extraire ce qu’elles avaient de réactionnaire et d’attardé, ou de brutalement primaire, pour le planifier à l’échelle
1211 À nous de relever la vraie défense de la culture, et d’une culture créatrice, novatrice, contre ses fossoyeurs totalitaire
1212 e, novatrice, contre ses fossoyeurs totalitaires, et contre ce distributeur de prix à l’Académie de l’Armée rouge, l’homme
1213 ut ». n. Rougemont Denis de, « Lénine, Staline et la littérature », À nous la liberté, Paris, 17 avril 1937, p. 10.
15 1937, Articles divers (1936-1938). Chamisso et le Mythe de l’Ombre perdue (mai-juin 1937)
1214 Chamisso et le Mythe de l’Ombre perdue (mai-juin 1937)p L’énigme Vers 181
1215 e bat son plein. On a vu bien des fous Chez Tieck et chez Fouqué. Celui-ci pourtant manifeste une anxiété plus sérieusemen
1216 iné, expliqué. Chamisso est français de naissance et d’éducation. Une excentricité du sort a fait de lui un poète allemand
1217 prouve, le désir de s’en délivrer en l’exprimant. Et c’est ainsi que Chamisso introduisit dans la conscience moderne le my
1218 ui a perdu son ombre, sous les traits pathétiques et naïfs du célèbre Peter Schlemihl. De Chamisso à Hofmannsthal, plusieu
1219 onne enfin de ce lien entre le domaine germanique et l’expression littéraire du mythe : Chamisso, Andersen, Hofmannsthal,
1220 aire du mythe : Chamisso, Andersen, Hofmannsthal, et bien d’autres imitateurs, dont le moindre n’est pas Hoffmann… ⁂ L’éni
1221 . Je ne connaissais pas le livret d’Hofmannsthal, et compris mal l’intrigue de la Femme sans ombre. Je voyais une actrice
1222 un grand morceau d’étoffe qui figurait son ombre et l’embarrassait fort. Aux entractes, on parlait de Freud. La musique m
1223 oilà pourquoi, pensais-je, ils méprisent l’ombre, et la mésestiment gravement. Mais encore ? Ils en ont tous une, et s’ent
1224 ent gravement. Mais encore ? Ils en ont tous une, et s’entendent à tirer parti du plaisir que dispense un corps. Ils prise
1225 notre chair. Mais perdre sa chair, c’est mourir, et cet infortuné Schlemihl n’était tout de même pas mort d’avoir perdu s
1226 d’avoir perdu son ombre… Il était même si vivant, et sa présence si gênante, que je tentai de le contraindre, quoi qu’il a
1227 ner au délire de persécution. Tout effraye Peter, et le moleste en mille manières. Les jeux des enfants dans la rue, les v
1228 mmes qu’il rencontre, surtout la lumière du jour, et même la clarté de la lune. Il recherche la solitude pour y mener des
1229 endu. (Ne connaît-on que ce qui vient à manquer ? Et perd-on ce que l’on connaît, comme Adam et Ève l’innocence ?) Schlemi
1230 quer ? Et perd-on ce que l’on connaît, comme Adam et Ève l’innocence ?) Schlemihl est donc le type classique de l’homme qu
1231 istin sympathique, d’un philistin sans exigences, et qui veut croire à la vertu, — s’il n’y avait, au centre de lui-même,
1232 autres, sauf en ce je ne sais quoi qui n’est rien et devient l’essentiel, notre philistin méconnu se voit chassé de la com
1233 éconnu se voit chassé de la communauté des siens. Et par sa faute ! c’est là son amertume. Ici intervient l’évasion. Il ac
1234 ues ! Désormais il échappe à la vie, au voisinage et au dialogue. Son existence réelle se confond avec tous les vagabondag
1235 e la métamorphose, qui est la vie même de la vie. Et pourquoi dire dès lors : ceci est cause de cela ? Quand l’inverse est
1236 la ? Quand l’inverse est au moins aussi probable. Et quand rien ne dépend à coup sûr que du tout ? Ceci dit, la psychanaly
1237 analyse peut nous donner des descriptions utiles, et quelques « trucs » d’observation. Je retiens donc de Freud cette cons
1238 st considéré comme anormal au point de vue social et moral, celui-là peut être considéré comme anormal dans sa vie sexuell
1239 celui qui ne peut « trouver sa place au soleil », et qui ne subsiste dans la compagnie de ses semblables que par un subter
1240 emihl n’est-il pas comparable à celui d’un esprit et d’un corps sains après « l’amour » ? Durant quelques moments, l’homme
1241 ’homme éprouve une sensation de vide, de légèreté et en même temps de lourdeur, comme s’il était un peu en arrière des cho
1242 es choses, lent à démêler le monde où il revient, et qui l’accable de présences bizarres, ou douces, mais aussi quelques f
1243 , ou douces, mais aussi quelques fois, hostiles. ( Et cela peut être comme une première influence de ce qu’on nommera chez
1244 sente trop lucide, perçant toutes choses à jour, et lui-même, d’où l’impression qu’il a d’être mal défendu contre les reg
1245 s adultes, à des mélancoliques qu’à des sanguins, et même à des Nordiques qu’à des Méridionaux, pourrions-nous ajouter ave
1246 e voir se réduire à quelque chose d’aussi précis, et que mille préjugés, français surtout, concourent à ridiculiser. Un fr
1247 onner la clé d’une interprétation autrement riche et inquiétante. Je traduis ce fragment littéralement : « On ne peut comp
1248 e sur la paroi, laquelle (ombre) vient de l’homme et se forme d’après lui : telle est aussi la Liquor, qui est « l’ombre i
1249 m’apprendre, avec bien d’autres choses curieuses et profondes, que la portée de ce passage était en vérité beaucoup plus
1250 qu’il y a de plus noble dans le corps tout entier et dans l’homme. » Je la rapproche alors de ce Selbst (ou soi-même) dont
1251 e tout ce qui est vraiment grave dans notre vie ; et la fameuse « question sexuelle » ne tire son importance démesurée que
1252 che à le dissimuler comme quelque chose de sacré, et que les deux fils de Noé couvrirent la nudité de leur père ivre en ma
1253 é, la mauvaise pudeur provient de ce que le corps et l’âme se distinguent de plus en plus, et cessent d’être reflets l’un
1254 le corps et l’âme se distinguent de plus en plus, et cessent d’être reflets l’un de l’autre. Alors le corps a honte de sa
1255 de l’autre. Alors le corps a honte de sa pensée, et celle-ci des désirs de son corps — comme d’un embrassement sans amour
1256 amour, ou d’un amour qui se refuse à l’étreinte. Et pourquoi la pudeur cesse-t-elle d’exister — normalement — quand deux
1257 n avant de lui-même, là où il peut dominer sa vie et la construire avec tout son instinct à l’image d’une vision de l’espr
1258 vision de l’esprit. (L’esprit seul voit) Le corps et l’âme chantent alors dans l’unisson de la chasteté. L’esprit offensif
1259 dans l’unisson de la chasteté. L’esprit offensif et joyeux, le corps qui se sent « plein dans sa peau », partagent les ri
1260 dans sa peau », partagent les richesses du désir. Et l’homme a retrouvé son ombre. Suite et fin de la fable Peter Sc
1261 désir. Et l’homme a retrouvé son ombre. Suite et fin de la fable Peter Schlemihl nous apparaît maintenant une émouv
1262 Schlemihl nous apparaît maintenant une émouvante et très précise description de l’individu romantique, dans ce qu’il a de
1263 t à saisir le monde pour le former à son image40, et d’évasif devant sa vocation : le mystère de l’incarnation. Chamisso a
1264 sso a donné à son Peter tous les traits physiques et moraux de ce que l’on appellera plus tard le vague à l’âme, — qui est
1265 emme stérile, l’impératrice qui a perdu son ombre et qui emprunte celle d’une fille du peuple. Mais Andersen, comme on pou
1266 ’auteur pour prendre corps dans l’œuvre poétique. Et le poème ensuite — plus beau et plus vivant que l’individu qui l’a co
1267 l’œuvre poétique. Et le poème ensuite — plus beau et plus vivant que l’individu qui l’a conçu comme porté au-delà de lui-m
1268 que d’avoir su élever les faiblesses de l’homme, et quelques-unes de ses plus folles illusions, à la hauteur du mythe, et
1269 ses plus folles illusions, à la hauteur du mythe, et de la Fable, plus profondément vrais que la vie. (Plus riches d’ensei
1270 ue la vie. (Plus riches d’enseignements concrets, et d’invites à la métamorphose). Mettre en forme ce qui nous défait, c’e
1271 voir d’invention dont la nouveauté reste entière. Et j’y songe : ce Schlemihl éternel, ce symbole en bottes de sept lieues
1272 . C’est le siècle où je vis qui n’a plus d’ombre, et c’est pour lui que je garde ma pitié. Il ne sait même plus écrire sa
1273 tiques. Notons qu’en dehors du domaine germanique et anglais, il ne relève que deux ou trois auteurs français. Encore ceux
1274 gine du conte célèbre serait donc bien française, et Barrès s’en réjouit. Il va jusqu’à soutenir que l’ombre perdue serait
1275 due par Chamisso. Les documents réunis par Rank — et que j’ignorais d’ailleurs au moment où j’écrivis cette étude — réduis
1276 philosophe « Venant des froides régions du Nord » et voyageant aux pays chauds, perd son ombre à force de rêver d’une jeun
1277 s climats chauds, les choses croissent très vite, et après qu’une semaine eut passé, il vit à sa grande joie qu’une nouvel
1278 omantisme allemand qui en a montré bien d’autres, et de tout contraire parfois : que l’on songe à Hegel, à Fichte, à Schle
1279 , à Schlegel. p. Rougemont Denis de, « Chamisso et le Mythe de l’Ombre perdue », Les Cahiers du Sud, Marseille, mai–juin
16 1937, Articles divers (1936-1938). Journal d’un intellectuel en chômage (25 juillet 1937)
1280 abriquée : j’ai trouvé dans le chai deux tréteaux et deux planches bien rabotées ; j’ai dressé cela devant la fenêtre ouve
1281 e le ciel au-delà, un ciel lavé, tissé d’oiseaux, et parfois traversé par un nuage rapide. En me retournant à droite, je v
1282 , je vois par une autre fenêtre un coin de lande, et de petites dunes broussailleuses qui ferment l’horizon bas. Peu de te
1283 ailleuses qui ferment l’horizon bas. Peu de terre et beaucoup de ciel, et partout cette humide lumière blanche qui met des
1284 l’horizon bas. Peu de terre et beaucoup de ciel, et partout cette humide lumière blanche qui met des ombres si légères, v
1285 ère blanche qui met des ombres si légères, vertes et bleues, sur les murailles rosées. La maison compte deux chambres au r
1286 de la cuisine, deux autres chambres assez vastes et presque vides, auxquelles le toit sert de plafond. Très peu de meuble
1287 de bleu clair, des planchers rudes. Décor candide et gai, oui vraiment plus gai qu’ascétique. Dans le chai, à la porte un
1288 e dans l’ombre des amas de branchages, des outils et des treilles pour la pêche aux crevettes. Je me suis procuré un petit
1289 toute blanche qui contourne la panse de l’église, et aboutit à la place principale. Au milieu de cette place, qui est un v
1290 trie architecturale. Il domine toutes les maisons et le clocher. Il est seul au-dessus du pays. Je voudrais le dessiner da
1291 dans le style rom antique, avec tous ses détails et toute son opulence, frisé comme une perruque du grand siècle. De troi
1292 alignent en ordre modeste, peintes en tons clairs et simples, blanc, jaune ou vert. La couleur des volets s’harmonise avec
1293 armonise avec chaque façade d’une manière subtile et précise qui en dit long sur l’âme de ce peuple discret. C’est l’impre
1294 le village où l’on va vivre. Celle-ci est énorme et goutteuse. Elle a des douleurs dans les jambes, et m’en parle d’abord
1295 t goutteuse. Elle a des douleurs dans les jambes, et m’en parle d’abord, pour me mettre en confiance. Je sens bien qu’elle
1296 eur, des enveloppes jaunes, du peloton de ficelle et du kilo de riz. Mes vêtements, citadins mais râpés, ne la renseignent
1297 ins mais râpés, ne la renseignent pas clairement. Et que penser d’un « Parisien » qui manifeste l’intention de rester ici
1298 à écrire… Elle n’ose pas m’en demander davantage. Et moi, je recule devant l’entreprise de lui expliquer la nature de mon
1299 uère autre chose que de la mercerie, des lainages et des épices. Alors il faut aller de l’autre côté de la place, chez Mél
1300 933 Le bureau de poste. — Trois mètres sur trois, et grille épaisse au milieu. Derrière la grille, le long visage de Péden
1301 son tarif, fait son calcul sur un bout de papier, et conclut que j’ai à payer 72 francs, pour un envoi, ce jour-là, d’une
1302 apaisement qui ménage toutes les susceptibilités, et finalement ne rien payer de plus. Je note ceci parce que c’est un pet
1303 e du malentendu qui apparaît entre les gens d’ici et moi dès qu’il s’agit de mon travail et de ses conditions pratiques. P
1304 gens d’ici et moi dès qu’il s’agit de mon travail et de ses conditions pratiques. Petits ennuis sans gravité, bien sûr. Ma
1305 te de recette auxiliaire ! Depuis lors, il rougit et transpire rien qu’à me voir entrer. Je cause un peu, pour me faire pa
1306 it des lessives. En été ils pêchent des palourdes et les vendent aux baigneurs. Bien entendu, je n’arrive pas à savoir com
1307 livre. Il est exactement de l’espèce que j’aime, et l’un des plus charmants dans cette espèce, mais ce n’est point pour c
1308 ’en parle ici. C’est pour une raison très précise et qui n’a rien à voir avec la critique littéraire. À la page 43 de l’éd
1309 ’air malade. Le lendemain nous le trouvions mort. Et je l’avais oublié là, sans sépulture, caché sous des feuillages bruni
1310 conclusion qui la dépasse d’ailleurs notablement et qui me paraît assez frappante. Voici : pour la première fois depuis j
1311 cette vieille ville, la plus proche de notre île, et où nous devons encore passer deux heures en attendant le départ de l’
1312 t d’un lieu public, de lire les journaux de Paris et de fumer des cigarettes américaines au goût de miel, introuvables dan
1313 rovise pas. Qu’il faut la conquérir avec méthode, et organiser à l’avance un plan d’attaque, prévoyant à un jour près la d
17 1937, Articles divers (1936-1938). Extraits de… Journal d’un intellectuel en chômage (15 août 1937)
1314 ’on se doute à Paris de l’importance des autocars et des transformations qu’ils sont en train de causer dans la vie provin
1315 utumes : rien ne pouvait modifier plus rapidement et plus profondément « la coutume » de la France rurale. Mais ce n’est p
1316 complètement le mode de contact entre le voyageur et la province. Naguère encore, quand on n’avait que les chemins de fer,
1317 it relégué à l’écart de la « vraie » circulation. Et l’on ne voyait guère que des gares, ce qu’il y a de plus attristant d
1318 qui l’habitent ne sont pas tous de la même sorte, et que d’une province à une autre, ce n’est pas seulement le paysage qui
1319 e matinale des foires, dans les districts ruraux, et ailleurs de l’entrée et de la sortie des usines ou des écoles. La sim
1320 ans les districts ruraux, et ailleurs de l’entrée et de la sortie des usines ou des écoles. La simple intention d’utiliser
1321 précisions concernant l’heure du prochain départ et la destination des diverses voitures qui stationnent, sur la place… E
1322 diverses voitures qui stationnent, sur la place… Et que dire maintenant du voyage lui-même ? C’est une résurrection de ce
1323 ut dispose à romancer ; de conversations absurdes et rapidement intimes, avec ce personnage enfoui à côté de vous dans un
1324 ns un luxueux fauteuil de cuir rouge ou bleu vif, et qui change de tête plusieurs fois pendant le trajet, de coups de main
1325 aquets ou d’un jeune veau, ou d’un enfant hurlant et admiré, d’arrêts et de détours imprévus — car les chauffeurs accepten
1326 veau, ou d’un enfant hurlant et admiré, d’arrêts et de détours imprévus — car les chauffeurs acceptent volontiers toutes
1327 r confient au départ avec force recommandations ; et ils sont rares, ceux qui n’ont pas deux mots à dire par la portière e
1328 r. Ce sont en général de jeunes gaillards solides et gais, et qui ont toutes les raisons d’aimer le travail et de le faire
1329 t en général de jeunes gaillards solides et gais, et qui ont toutes les raisons d’aimer le travail et de le faire bien : c
1330 et qui ont toutes les raisons d’aimer le travail et de le faire bien : c’est moderne, c’est sportif, cela vous pose dans
1331 on se sent maître à bord de sa puissante machine, et l’on bénéficie de ces petites faveurs que les femmes ont toujours acc
1332 mmes ont toujours accordées à ceux qui commandent et disposent, ne fût-ce que pour une heure, de leur vie. Oui, voilà bien
1333 t la bonne humeur, le dynamisme, le sens pratique et la rapidité d’esprit que les bourgeois, qui en sont dépourvus, attrib
1334 compter les moyens techniques dont ils disposent et qui seraient décisifs lors d’une action rapide. Mais loin de moi ces
1335 ions : ceux qui les ont n’en parlent pas, dit-on. Et je ne suis qu’un écrivain. Ceci me rappelle un bout de conversation q
1336 e Taillefer voulait savoir quel était mon métier. Et quand j’eus dit que je n’en avais aucun, et que je n’étais qu’un écri
1337 tier. Et quand j’eus dit que je n’en avais aucun, et que je n’étais qu’un écrivain, et chômeur par-dessus le marché, il s’
1338 en avais aucun, et que je n’étais qu’un écrivain, et chômeur par-dessus le marché, il s’écria : « Ah ! cher monsieur, je v
1339 dans la société. Vous avez le temps de réfléchir et de nous faire part de vos lumières, et sans vous, où irions-nous donc
1340 réfléchir et de nous faire part de vos lumières, et sans vous, où irions-nous donc, nous qui ne croyons plus aux curés ? 
1341 tons qu’un fonctionnaire c’était pour le flatter, et cela tient aux circonstances mêmes qui l’ont mis dans le cas d’écrire
1342 ou bien l’on écrit ce que l’on ne peut pas faire, et c’est l’aveu d’une faiblesse ou d’une ambition excessive, deux choses
1343 is ; ou bien l’on écrit des choses intelligentes, et c’est encore l’aveu d’une inadaptation cruelle aux mœurs et coutumes
1344 ncore l’aveu d’une inadaptation cruelle aux mœurs et coutumes de ce temps ; on bien l’on écrit simplement pour gagner sa c
1345 n écrit simplement pour gagner sa chienne de vie, et c’est le bon moyen de traîner la misère la plus honteuse qui se puiss
1346 ute façon, un écrivain est par nature un empêtré. Et voilà le paradoxe et l’injustice : c’est qu’on attend, qu’on exige mê
1347 n est par nature un empêtré. Et voilà le paradoxe et l’injustice : c’est qu’on attend, qu’on exige même de ces gens-là des
1348 i suffiraient à rendre heureux les plus indignes, et ingénieux les plus balourds, enfin je ne sais quelle supériorité huma
1349 vous donnons, c’est justement ce qui nous manque, et quand vous aurez compris cela, vous cesserez, je le crains, d’envier
1350 ouvrages déjà remarqués : Penser avec les mains et Politique du personnalisme [sic], M. Denis de Rougemont vient d’ill
1351 chômage, un recueil de réflexions, d’observations et de jugements. Il y montre ce que peut avoir de quotidien cet effort d
1352 de quotidien cet effort de restauration morale — et sociale — qui s’impose aux nouvelles générations. Par les menues expé
1353 ns. Par les menues expériences d’une vie diminuée et matériellement difficile, M. Denis de Rougemont sait tracer un tablea
1354 s de Rougemont sait tracer un tableau très vivant et très nuancé de la province française, ainsi qu’en témoigne cet extrai
18 1937, Articles divers (1936-1938). « Subjectivité et transcendance », Lettre de M. Denis de Rougemont (décembre 1937)
1355 « Subjectivité et transcendance », Lettre de M. Denis de Rougemont (décembre 1937)w x
1356 ent de transcendance, la nature devient divinité ( et ne peut pas ne pas le devenir). Pour ma part, je ne conçois pas de re
1357 dans son rapport aux puissances de l’imagination et non seulement dans son rapport à l’éthique. w. Rougemont Denis de,
1358 ions à la conférence de Jean Wahl, « Subjectivité et transcendance ».
19 1938, Articles divers (1936-1938). Réponse à Pierre Beausire (15 janvier 1938)
1359 ux personnalistes « de ne point perdre leur temps et leurs forces à discuter avec leurs adversaires ». Il leur demande ens
1360 ure que l’on se proposait justement de combattre, et qui est celle de l’État totalitaire. Or, pour convaincre, il faut ent
1361 réaction (qu’il dit « parfaitement justifiée ») ; et quand il énumère nos réclamations, il ajoute en parlant de leurs aute
1362 nt de leurs auteurs : « On ne peut que les suivre et les approuver. » En somme, il se rangerait à nos côtés pour l’essenti
1363 ’est sur des points que nous n’avons pas abordés, et sur des thèses que je souhaite qu’aucun de nous ne soutienne jamais.
1364 t l’amour abstrait de l’humanité. » Erreur totale et malentendu maximum. S’il fallait à tout prix reprendre les termes cho
1365 as « la bonté, la charité (vertus toutes passives et féminines) » (au sentiment de l’auteur), mais c’est, au contraire, la
1366 ce qui libère en l’homme les forces de résistance et de création, systématiquement déprimées par les tyrannies que l’on sa
1367 ivilisation, le caractère spécifique de la pensée et de la vie des hommes qui ont fait l’Europe et qui veulent la mainteni
1368 sée et de la vie des hommes qui ont fait l’Europe et qui veulent la maintenir. Et l’individualisme et les collectivismes n
1369 ui ont fait l’Europe et qui veulent la maintenir. Et l’individualisme et les collectivismes ne sont que les déviations com
1370 et qui veulent la maintenir. Et l’individualisme et les collectivismes ne sont que les déviations complémentaires et péri
1371 vismes ne sont que les déviations complémentaires et périodiques de cette ligne de plus grande efficacité. Le mouvement pe
1372 ement personnaliste ne s’est constitué comme tel, et n’a pris ce nom, que parce que dans l’Europe actuelle se déchaînent d
1373 e déchaînent des puissances de mort, spirituelles et matérielles, radicalement contraires au génie de l’Occident. Ces puis
1374 ces nous ont obligés, par leurs menaces instantes et brutales, à prendre une conscience active de ce qui, depuis nos origi
1375 ive s’est effectuée diversement selon les milieux et les groupes. En France, elle s’est traduite surtout en termes catholi
1376 elle s’est traduite surtout en termes catholiques et en termes proudhoniens ; chez nous, en termes surtout protestants ; e
1377 e tiens que seule la foi réelle — celle qui agit, et non celle qui endort — donne à notre attitude son sens dernier. Beauc
1378 Ils en ont d’autres, que je crois insuffisantes, et je le leur dis en toute franchise. Du moins ne tiennent-ils pas le ch
1379 . À défaut de la foi, ils connaissent l’Histoire, et savent de quoi l’Europe s’est faite. Pierre Beausire ne craint pas de
1380 proclamer que « si l’on veut parler à des hommes, et non à des enfants, il faut renoncer à invoquer le Christ ». Je ne cra
1381 ls s’emparent hardiment du pouvoir dans cet État, et , en manifestant la noblesse de leur caractère, nous délivrent du tris
1382 une souveraine dignité, d’une intelligence froide et d’un jugement droit. » Où trouve-t-on cela ? Dans les livres de Nietz
1383 as une utopie de plus, un refuge pour les faibles et les sceptiques, pour ceux qui craignent de se perdre en s’engageant,
1384 r ceux qui craignent de se perdre en s’engageant, et préfèrent la littérature ; si ce n’est pas une manière de « grève per
1385 devenir un, qu’il nous amène ce précieux renfort, et nous le saluerons d’un vivat ! Nous saurons très bien nous entendre a
1386 de Dieu seul — mais bien la possibilité de vivre et de créer sa vérité — bonne ou mauvaise — contre les fous totalitaires
1387 otalitaires de droite ou de gauche, leurs guerres et leurs cultes d’État. 80. Voir numéro du 1er décembre 1937 : Le Pers
20 1938, Articles divers (1936-1938). Søren Kierkegaard (février 1938)
1388 cablé par la misère, il était monté sur un tertre et il avait maudit le Dieu Tout-Puissant qui le laissait mourir de faim.
1389 it mourir de faim. Ce blasphème assombrit sa vie, et la révélation qu’en eut plus tard Søren fut décisive pour son dévelop
1390 egaard. Il devint commerçant, amassa une fortune, et c’est ainsi que Kierkegaard reçut en héritage, après une sévère éduca
1391 étiste, un secret qu’il qualifiera de terrifiant, et une belle aisance matérielle. Du secret, il tira une partie de son œu
1392 frères, pour éviter d’avoir affaire aux banques, et lorsqu’il mourut, l’on s’aperçut qu’il n’en restait que 200 francs. C
1393 . À 27 ans, il terminait ses études de théologie, et se fiançait avec une jeune fille de 18 ans, Régine Olsen. Tout le mon
1394 hent des raisons physiologiques ; c’est probable, et de peu de portée). Au lendemain de sa rupture, il partit pour Berlin
1395 chaque chambre il faisait disposer une écritoire et du papier, de façon à pouvoir noter, au cours de son interminable pro
1396 rues les plus animées de la ville, parlant, riant et discutant avec les bourgeois, avec des jeunes filles, avec des balaye
1397 es, signés de pseudonymes (La Répétition, Crainte et Tremblement) et deux recueils de Discours édifiants, signés de son no
1398 eudonymes (La Répétition, Crainte et Tremblement) et deux recueils de Discours édifiants, signés de son nom. Mais à mesure
1399 rétien de sa pensée, le public s’écarta, effrayé. Et lorsqu’en 1831, il se mit à attaquer avec une extrême violence, le ch
1400 c une extrême violence, le christianisme officiel et ses évêques, il se vit abandonné dans la plus complète solitude qu’ai
1401 fut l’attaque qu’il mena contre l’Église établie et contre dix-huit siècles de chrétienté officielle — attaque contre le
1402 devenir chrétien ». Car on ne naît pas chrétien, et même on ne peut pas l’être, il faut sans cesse le devenir, et le deve
1403 e peut pas l’être, il faut sans cesse le devenir, et le devenir dans l’instant de la foi, qui est l’instant de l’acte d’ob
1404 0 volumes en douze années). Pensée qu’il défendit et qu’il servit de toutes les forces de son génie universel de poète, de
1405 nie universel de poète, de philosophe, d’ironiste et de théologien. Il se trouvait devant un monde où tout avait été broui
1406 ant un monde où tout avait été brouille : sérieux et plaisanterie, valeurs éternelles et opportunisme, christianisme et co
1407 lle : sérieux et plaisanterie, valeurs éternelles et opportunisme, christianisme et confort moral, témoignage, discours ac
1408 valeurs éternelles et opportunisme, christianisme et confort moral, témoignage, discours académiques. L’évêque Nynster ven
1409 vêque Nynster venait de mourir, comblé d’honneurs et de gloire mondaine. Sur sa tombe son successeur le qualifia, selon l’
1410 n homme qui témoigne dans le dénuement, la misère et l’humiliation, méconnu, déteste, insulté, bafoué — un homme qui est f
1411 omme qui est flagellé, torturé, traîné en prison, et puis enfin — car c’est bien d’un véritable témoin de la vérité qu’on
1412 véritable témoin de la vérité qu’on nous parle — et puis enfin crucifié, décapité, brûlé ou rôti sur un gril, jeté par le
1413 tre enterré. Voilà un témoin de la vérité, sa vie et son existence, sa mort et son enterrement, et l’évêque Nynster, nous
1414 in de la vérité, sa vie et son existence, sa mort et son enterrement, et l’évêque Nynster, nous dit-on, fut un des vrais t
1415 vie et son existence, sa mort et son enterrement, et l’évêque Nynster, nous dit-on, fut un des vrais témoins de la vérité 
1416 re au christianisme que n’importe quelle hérésie, et c’est de jouer au christianisme, d’en écarter les dangers, et de joue
1417 jouer au christianisme, d’en écarter les dangers, et de jouer ensuite au jeu que l’évêque Nynster était un témoin de la vé
1418 l’ordre. Il le devint lui-même, de tout son être. Et il savait ce que cela devait lui coûter. Car le monde ne tolère jamai
1419 rt des gens vivent dans une confusion impensable, et n’en conçoivent pas de malaise. D’autres, qui s’essaient à penser en
1420 a force à une mort que toute son œuvre provoquait et qui vaincue par une telle victime, lui révéla dans les derniers insta
1421 Contempler dans sa mort la « fin » de sa passion et l’accomplissement de sa foi, tel fut le sort de Kierkegaard, son inco
1422 eil à forcer l’esprit sur l’obstacle du désespoir et de l’absurdité de l’existence ; toute une vie tendue vers l’impossibl
1423 es tentations d’une religion qui n’est pas Dieu ; et soudain, sur son lit de mort, cette phrase : Je ne pense pas que ce
1424 j’ai dit, mais je ne l’ai dit que pour l’écarter, et pour arriver à Alléluia ! Alléluia ! Alléluia !82 Deux documents éc
1425 tère de ce triomphe, le sens dernier de cette vie et de cette mort. Le premier est de Kierkegaard : Forcer les hommes à ê
1426 Kierkegaard : Forcer les hommes à être attentifs et à juger, c’est exactement prendre le chemin du vrai martyre. Un vrai
1427 elle il a consacré toutes ses forces spirituelles et toute son œuvre d’écrivain… S’il reste en vie, dit-il, il poursuivra
1428 traire sa mort donnera de la force à son attaque, et lui assurera, pense-t-il, la victoire.84 ⁂ De cette œuvre considéra
1429 s. Il faut y aller voir dans ses livres traduits, et dans l’étude monumentale que Jean Wahl publie ces jours-ci. Mais il s
1430 ur non prévenu : la « difficulté » de Kierkegaard et sa dialectique du sérieux et de l’ironie. Kierkegaard est difficile
1431 lté » de Kierkegaard et sa dialectique du sérieux et de l’ironie. Kierkegaard est difficile parce qu’il est simple. « La
1432 hose nécessaire s’oppose à tous nos conformismes, et même à nos plus hauts désirs. Il est désespéré, mais c’est à cause de
1433 . Il est désespéré, mais c’est à cause de la foi. Et s’il espère, c’est « en vertu de l’absurde », c’est-à-dire de l’incar
1434 on craint pitié corrosive. Finalement on se rend et il refuse cette capitulation. On n’étudie pas Kierkegaard, on l’attra
1435 tre irrémédiable. Tous les autres, sauf Empédocle et Nietzsche, ont refusé de signer de leur sang le pacte qui lie le pens
1436 cision mortelle. Concession, la raison de Pascal, et lors même qu’il y renonce : concession, la pitié parfois presque sadi
1437 pens de tout ce qui soutient l’homme contre Dieu. Et cependant, dans le pire désespoir, jamais de défi, ni d’« hybris ». P
1438 aines paraboles, de certaines ironies polémiques. Et tout d’un coup on s’aperçoit qu’elles nous jettent en plein drame de
1439 eul acte de foi, qui jette sur nos sérieux, poses et amusettes (ou « plaisirs » comme on dit non sans grandiloquence à pro
1440 ne illusion, un mythe, un saut dans le vide, etc. Et alors il n’y a plus nulle part de « vrai » sérieux. Mais peut-être au
1441 ut-être aussi cet acte existe-t-il, quelque part, et alors il n’y a pas de vrai sérieux dans ma vie tant que je n’ai pas t
1442 première est littéraire : ce sont les dramaturges et les poètes du Nord, dont le plus grand nom est Ibsen. La seconde phil
1443 xistentielle » d’Allemagne, avec Martin Heidegger et Karl Jaspers. La troisième théologique : l’école dialectique, qui sou
1444 on de Karl Barth est en train de sauver l’honneur et l’existence même des églises allemandes. Nul ne peut mesurer aujourd’
1445 on publie sur son œuvre des centaines d’ouvrages et d’articles. Ce qui est certain, c’est qu’à la différence de Nietzsche
1446 « utiliser » Kierkegaard pour des fins politiques et temporelles. Il se dresse, au seuil de l’époque comme la plus formida
1447 s, nos compromis spirituels, nos passions courtes et agitées. Sur une pierre de cimetière danois, on peut lire cette inscr
1448 cette inscription nue : « Le Solitaire ». Le rire et la passion sévère, le ricanement puissant et le message d’amour de Ki
1449 rire et la passion sévère, le ricanement puissant et le message d’amour de Kierkegaard traversent notre âge comme cette pi
1450 erkegaard traversent notre âge comme cette pierre et ce mot gravé qui ne cessent de nous accuser dans leur silence d’étern
21 1938, Articles divers (1936-1938). Nouvelles pages du Journal d’un intellectuel en chômage (avril 1938)
1451 mer singulier, c’est-à-dire supérieur à la masse. Et ce n’est pas encore franchement s’avouer que de se comparer aux seuls
1452 rien en nous, que rien dans notre vie n’attendait et ne prévoyait. Ce n’est qu’au prix d’un désordre social — selon les pr
1453 asser », c’est à la fois se reconnaître en vérité et rejoindre l’humanité. Chômage. — On dit souvent qu’il faut à l’homm
1454 aine de volumes l’espace de dix ans : Kierkegaard et Nietzsche. Le premier était riche et dépensait sans compter85. Le sec
1455 Kierkegaard et Nietzsche. Le premier était riche et dépensait sans compter85. Le second était si pauvre, au moment où il
1456 rceaux du bras avant servi à rapiécer les épaules et le plastron. Le peu d’argent de sa retraite de professeur servait à p
1457 fesseur servait à payer ses logeuses successives, et les remèdes contre ses effroyables maux de tête. De plus, il était à
1458 tête. De plus, il était à demi aveugle… Confort et culture. — À ceux qui n’ont rien, il faut donner du confort, afin qu’
1459 dont il faut redouter je ne sais quelle invisible et brusque vie tout près. Nuit des villes, rouge et circulante, pleine d
1460 et brusque vie tout près. Nuit des villes, rouge et circulante, pleine de rumeurs, comparable à la fièvre. Plus lucide so
1461 , tout repose complètement. Un silence implacable et mat enserre l’homme qui chemine sur la route incertaine, au milieu de
1462 s. Par temps clair, les étoiles sont très grosses et molles au-dessus du jardin. Mais il arrive que le noir soit compact.
1463 rues du village, illuminées comme un décor blanc et vert. Des chiens surgissent des coins d’ombre, aboient horriblement,
1464 ournent autour de moi, me flairent avec angoisse, et fuient soudain en gémissant. J’ai des lettres à porter à l’autobus. I
1465 l faut s’éloigner du village. De nouveau le noir, et l’écho de mes pas contre les murs des maisons mortes. Je me glisse da
1466 Je me glisse dans le hangar de la grosse voiture et tâte ses flancs jusqu’à ce que je rencontre l’ouverture de la boîte a
1467 bas, éclairent quelques façades blanches, carrés et rectangles détachés violemment au bas de l’énorme nuit. On ne voit qu
1468 éométriques, dominées par le clocher à toit plat, et des fragments de silhouettes d’arbres devant les maisons. La rumeur d
1469 ange écho des pas, si proche dans les rues vides, et les mêmes chiens qui reviennent, et pas une âme. « Vallée de l’ombre
1470 s rues vides, et les mêmes chiens qui reviennent, et pas une âme. « Vallée de l’ombre de la mort… étranger et voyageur sur
1471 une âme. « Vallée de l’ombre de la mort… étranger et voyageur sur la terre… » Jamais plus que dans cette nuit. Fin de sé
1472 lace. Je garderai toutefois le plan d’aménagement et de décoration des trois chambres du premier étage, on ne sait jamais…
1473 incer le sommier au tournant, entre la balustrade et les parois de la cage d’escalier — au surplus fortement rayées — nous
1474 descendre mes caisses de livres à la gare, etc., et le train part dans une heure. Quand la propriétaire reviendra pour l’
1475 era à ce sommier monumental dans sa pose scandale et ma réputation sera faite ! Fuyons, fuyons ! (Été à Paris). Impossib
1476 du libre-échange humain. — Considération irritée et décevante des « gens » en général — quand je ne fais que les jauger d
1477 l — quand je ne fais que les jauger d’un regard — et sympathie violente, « élan vers », dès que mon regard s’attache un pe
1478 s’attache un peu longuement à un visage, au corps et aux vêtements, aux mains, à l’attitude distraite et vraie d’un être i
1479 aux vêtements, aux mains, à l’attitude distraite et vraie d’un être isolé près de moi. Je prends le métro, malgré l’odeur
1480 . Je prends le métro, malgré l’odeur de buanderie et ce relent de fauves de certains parfums de femmes, rien que pour rega
1481 rfums de femmes, rien que pour regarder des êtres et vivre un moment auprès d’eux, le temps de trois stations, le temps d’
1482 elles que j’en ai sans doute vécues, adolescent — et sûrement ce serait bien autre chose… La femme descend sans se retourn
1483 autre chose, à quelque chose qui n’est pas d’ici. Et déjà je ne comprends plus pourquoi j’ai eu ce fort désir soudain, dan
1484 ses raisons qui sont plus fortes que nous tous. —  Et alors, dira-t-on : « Faire la révolution ! » — Ce substitut, ce renvo
1485 ntparnasse. — Stupidité triste, parfois insolente et lourde, de cette population de mannequins vides et mal truqués. Figur
1486 t lourde, de cette population de mannequins vides et mal truqués. Figures grises devant des menthes fausses. « Fric », « b
1487 e idée embrassée avec force au mépris de soi-même et de l’utilité. Car elle peut devenir le fait dominateur. En vérité, il
1488 té, il n’y a pas de faits grands ou petits en soi et par comparaison. Il y a dans chaque vie d’homme à peu près digne de c
1489 e de ce nom, un fait qui commande tous les autres et qui est la mesure de tout. Quand tu l’auras connu et accepté — tu es
1490 qui est la mesure de tout. Quand tu l’auras connu et accepté — tu es seul à pouvoir le connaître — lève-toi et regarde les
1491 té — tu es seul à pouvoir le connaître — lève-toi et regarde les choses, les gestes incongrus et mécaniques des autres : é
1492 e-toi et regarde les choses, les gestes incongrus et mécaniques des autres : écoute bien ce qu’ils disent à travers les pa
1493 ou quand ils rient : tu ne verras, tu n’entendras et tu ne comprendras jamais qu’un appel à devenir toi-même ce fait qui e
1494 attend, attend de toute éternité pour aujourd’hui et de toi seul — et c’est ta foi. 85. Kierkegaard avait déposé sa fort
1495 toute éternité pour aujourd’hui et de toi seul — et c’est ta foi. 85. Kierkegaard avait déposé sa fortune, réalisée en