1 1938, Articles divers (1938-1940). Le seul espoir (juin 1938)
1 les cols du centre de l’Europe ; mission pratique et symbolique. Au cours des derniers mois, il semble bien que nous l’ayi
2 e le Gothard ne jouera plus jamais le rôle unique et décisif qu’il jouait au temps du Saint-Empire. Mais alors l’aspect sy
3 ct symbolique de la mission confédérale se dégage et doit être dégagé avec une évidence, une force, une conviction profond
4 clamer la signification spirituelle de cette même et unique mission : c’est la défense du cœur spirituel de l’Europe, la g
5 it l’homme d’Occident : la réalité de la personne et des institutions fondées sur elle. ⁂ La personne, ce n’est pas l’indi
6 qui n’a plus en lui-même de principe d’existence, et qui n’est rien qu’un rouage de l’État. Enfin la personne n’est plus u
7 plus une simple idée. C’est la réalité paradoxale et dynamique de l’homme qui a fait la civilisation et la grandeur réelle
8 t dynamique de l’homme qui a fait la civilisation et la grandeur réelle de l’Occident : l’homme libre, existant par soi-mê
9 l’Occident : l’homme libre, existant par soi-même et par la force de sa vocation unique, mais cependant relié à la communa
10 é par l’exercice de cette vocation. L’homme libre et relié, c’est le chrétien des communautés primitives : c’est le cheval
11 légendes médiévales ; c’est l’artisan des guildes et des corporations au temps de l’ascension bourgeoise ; c’est le citoye
12 ces démocraties méritent encore de porter ce nom, et ne sont pas de simples oligarchies de financiers et de démagogues. To
13 ne sont pas de simples oligarchies de financiers et de démagogues. Tout ce qui s’est fait de réel et de valable en Occide
14 et de démagogues. Tout ce qui s’est fait de réel et de valable en Occident fut l’œuvre de ces hommes doublement responsab
15 es hommes doublement responsables devant leur foi et devant leurs prochains. Cette attitude « personnaliste » est la vraie
16 veulent le croire, un moyen terme entre anarchie et tyrannie, c’est au contraire l’équilibre central et créateur dont l’i
17 tyrannie, c’est au contraire l’équilibre central et créateur dont l’individualisme et le collectivisme ne représentent qu
18 uilibre central et créateur dont l’individualisme et le collectivisme ne représentent que les déviations et les maladies p
19 collectivisme ne représentent que les déviations et les maladies périodiques. Or il se trouve que la devise antique de no
20 e de l’homme libre mais relié, le paradoxe vivant et vivifiant de l’un pour tous, tous pour un ! Ainsi, dès l’origine, la
21 ardienne du secret de l’Europe, de sa vraie force et des valeurs qui l’ont créée. Gardienne des cols pour les nations, gar
22 is elle est davantage que cela : elle est le lieu et la formule du génie propre de l’Europe. Et voilà pourquoi nous somme
23 lieu et la formule du génie propre de l’Europe. Et voilà pourquoi nous sommes neutres. ⁂ En aucune heure de notre histoi
24 e théorique d’ailleurs — de la race, de la langue et de la force militaire. Par là même, elle s’attaque à la tradition cré
25 attaque à la tradition créatrice de l’Occident, —  et elle menace en premier lieu sa garde neutre. L’esprit totalitaire est
26 seul principe qui tienne rassemblés nos cantons, et de l’idéal commun qui nous a fédérés. Jamais, depuis le xiiie siècle
27 rticle, bien minimes il est vrai, mais assez nets et assez neufs. Il y en a d’autres, très typiques, dans l’attitude de no
28 lisme tel que nous sommes chargés de le défendre, et qui s’oppose autant au particularisme étroit qu’à cette forme antisui
29 i. Car il y va de l’existence même de notre État, et au-delà : de l’espoir d’une Europe recréée selon son génie. De cette
30 C’est dans la mesure où nous voulons rester cela, et le devenir de mieux en mieux, que nous serons grands devant l’Europe,
31 églé. Car : 1° nous perdrons notre raison d’être, et il n’est pas d’exemple dans l’Histoire qu’un État qui a perdu sa rais
32 enir qu’une des plus petites nations de l’Europe, et une nation divisée contre elle-même en trois races et trois langues,
33 ne nation divisée contre elle-même en trois races et trois langues, si ce n’est quatre. Dès lors, quelle force opposerons-
34 e seule force est dans notre idéal personnaliste, et donc fédéraliste. Notre seule force sérieuse est d’ordre spirituel. L
35 s « réalistes » qui voudraient le nier trahissent et ruinent notre grandeur et notre espoir. La Suisse n’a pas de pires en
36 ient le nier trahissent et ruinent notre grandeur et notre espoir. La Suisse n’a pas de pires ennemis. Ce n’est pas une ar
37 ort pour nous élever au niveau de cette destinée. Et c’est l’affirmation tenace et convaincue de l’avenir que nous incarno
38 de cette destinée. Et c’est l’affirmation tenace et convaincue de l’avenir que nous incarnons aux yeux des peuples d’Occi
39 otre seul espoir, à nous Suisses, c’est de rester et de devenir de mieux en mieux le seul espoir de l’Europe déchirée. a
2 1938, Articles divers (1938-1940). Souvenir d’Esztergom (juin 1938)
40 ie, — le plus profondément magyar de sensibilité, et en même temps le plus européen par la culture. Des amis me proposèren
41 les étés. J’eus ce bonheur de découvrir une terre et une race par ses poètes. La plaine hongroise était une grande liberté
42 nde liberté lumineuse ; tout m’accueillait, êtres et paysages, dans une vaste hospitalité qui était celle de l’été même do
43 st resté merveilleusement vivant dans ma mémoire, et je ne puis plus séparer sa vision de ce que m’évoque le nom de Michel
44 ilique élève une coupole d’ocre éclatant, immense et froide, dominant cette plaine onduleuse dont les vagues se perdent da
45 ns jaunes, basses, ville sans ombre, sans arbres, et nous montons vers la maison du poète, sur un coteau de vignes. Trois
46 s rides, la petite ville juste au-dessous de soi, et la Basilique sur son rocher. Fraîches, sentant bon, avec des livres s
47 s, l’ombre bourdonnante, — trois petites chambres et un pan de toit par-dessus, cela fait une arche à peine visible dans l
48 près-midi est immense. Nous buvons des vins dorés et doux que nous verse Ilonka Babits (elle est poète aussi, et très bell
49 e nous verse Ilonka Babits (elle est poète aussi, et très belle). Nous inscrivons nos noms au charbon sur le mur chaulé, G
50 hotos, Gyergyai fouille la plaine à la longue-vue et rêve qu’il y est, je grimpe au cerisier sauvage, derrière la maison,
3 1938, Articles divers (1938-1940). « Comment libérer l’État de la tyrannie de l’Argent ? » (10 juin 1938)
51 e que pose l’homme est celui-ci : remettre l’État et l’argent à leur place d’instruments techniques. Schéma : un État souv
52 atistiques économiques ; fournissant aux communes et aux entreprises privées certains crédits et la main-d’œuvre indiffére
53 munes et aux entreprises privées certains crédits et la main-d’œuvre indifférenciée (service civil) ; privé de toute autor
54 t proprement dit, émanation des communes fédérées et des patries locales, et seule expression unitaire de la Nation ; joui
55 ion des communes fédérées et des patries locales, et seule expression unitaire de la Nation ; jouissant d’un pouvoir dicta
56 pouvoirs strictement définis par le gouvernement, et de nature technique ; répartissant ses bénéfices sous forme de minimu
57 sion des puissances financières avec le Parlement et l’exécutif, collusion responsable de la mauvaise marche des administr
58 la mauvaise marche des administrations publiques, et de cette erreur économique — entre autres — qu’est la guerre totale,
59 ». Il n’y a de liberté possible pour les communes et les personnes que sur la base d’une organisation rationnelle des serv
60 euse entre ce qui relève de l’exécution technique et ce qui relève de l’opinion et de la création, toujours personnelle. C
61 exécution technique et ce qui relève de l’opinion et de la création, toujours personnelle. C’est la confusion des pouvoirs
62 nnelle. C’est la confusion des pouvoirs matériels et de l’autorité, dee l’organisé et de l’organisateur, de l’État et de l
63 uvoirs matériels et de l’autorité, dee l’organisé et de l’organisateur, de l’État et de la Nation, qui conduit au désordre
64 é, dee l’organisé et de l’organisateur, de l’État et de la Nation, qui conduit au désordre flagrant des démocraties, et à
65 qui conduit au désordre flagrant des démocraties, et à cette fixation brutale du même désordre qu’on nomme l’ordre totalit
66 elèvent d’une action spirituelle au premier chef, et vous savez que je n’entends pas le spirituel au sens évanescent des l
67 que que secrète, qui mobilise le tout de l’homme, et qui seule est transformatrice. Mais ce n’est pas sur ces voies que vo
68 yrannie de l’Argent ? », Combat : revue des idées et des faits, Paris, 10 juin 1938, p. 505. d. Précédé de la note suivan
69 — entre un gouvernement issu des groupes humains et une économie étatiste extra-gouvernementale. Pour atteindre ce but, M
70 e “une action spirituelle” plus forte, plus riche et plus noble que l’action politique au sens présent du terme. » e. Ce
4 1938, Articles divers (1938-1940). Le Relèvement de l’Allemagne (1918-1938) par Albert Rivaud (28 octobre 1938)
71 r sur la question hitlérienne, autrement brûlante et immédiate. Le livre de M. Rivaud nous y aidera. Il faut le lire avant
72 in Kampf ou les traductions plus ou moins fidèles et tronquées qu’on nous en offre. Car M. Rivaud a le grand mérite d’avoi
73 ermaniste, qui a précédé Hitler, qui le soutient, et qui peut-être lui survivra. La première partie de ce gros ouvrage est
74 e ce gros ouvrage est à mon sens la plus sérieuse et la plus riche d’enseignements. C’est un historique de l’Allemagne d’a
75 de la révolution, puis de la République de Weimar et de l’ascension hitlérienne. À la lumière des événements de septembre,
76 4. Mêmes manœuvres simultanées de bluffe guerrier et d’assurances pacifiques, même duplicité dans le détail des négociatio
77 té différent, certes. En 1914, la guerre a éclaté et l’Allemagne, au terme du conflit, n’a rien obtenu. En 1938, la guerre
78 a rien obtenu. En 1938, la guerre n’a pas éclaté, et l’Allemagne a tout obtenu. Les partisans de la résistance à tout prix
79 plus tard, l’Allemagne est plus forte que jamais, et atteint ses objectifs sans coup férir. Dans la seconde partie, l’aute
80 uteur entreprend de décrire le régime nazi : État et armée, doctrine et formation des esprits, système économique et finan
81 décrire le régime nazi : État et armée, doctrine et formation des esprits, système économique et financier. Nous aurions
82 rine et formation des esprits, système économique et financier. Nous aurions beaucoup de réserves à formuler sur le détail
83 éserves à formuler sur le détail de ces chapitres et sur l’intention qui préside à la « description » qu’ils nous offrent.
84 faudrait citer ses sources avec plus de minutie, et quand on donne un chiffre, donner aussi les moyens de l’interpréter.
85 t doublé » depuis 1933. Dans quelles industries ? Et quels étaient les salaires de base ? Les polémiques au sujet des sala
86 rimer une grande partie des producteurs libres », et on précise que le nombre des sociétés anonymes a été réduit de 9634 e
87 ymes a été réduit de 9634 en 1932 à 7204 en 1936, et que le nombre des « petites sociétés » est tombé de 6632 à 3863. Comm
88 fournis sur l’économie paysanne sont plus précis, et paraissent autoriser mieux le terme de « socialisme agraire ». Il fau
89 flou : on ne sait trop ce qui est dit par Hitler et ce qui est du cru de l’auteur. Enfin, le chapitre sur les Églises et
90 u de l’auteur. Enfin, le chapitre sur les Églises et la religion est superficiel et souvent inexact : défaut d’autant plus
91 re sur les Églises et la religion est superficiel et souvent inexact : défaut d’autant plus curieux que c’est essentiellem
92 des méthodes nazies d’usage interne, en politique et en économie. M. Rivaud ne cache pas l’admiration que lui inspirent le
93 l’antithèse exacte de ce qui se passe en France. Et l’on en vient à se demander si ce n’est pas surtout le souci de faire
94 de faciliter une lecture à tant d’égards urgente et révélatrice. f. Rougemont Denis de, « [Compte rendu] Albert Rivaud
5 1938, Articles divers (1938-1940). Réponse de Denis de Rougemont, lauréat du prix Rambert 1938 (novembre 1938)
95 es superstitions. Il ne me reste qu’à persévérer, et c’est ce que je vais faire en vous contant les circonstances dans les
96 dans l’élaboration d’un ouvrage intitulé L’Amour et l’Occident . Je partais d’une réflexion passionnée sur le mythe de la
97 sur le mythe de la passion, la légende de Tristan et Iseut. Nul n’ignore que ce mythe, demeuré si puissant dans nos vies,
98 signification secrète, qui est le combat du Jour et de la Nuit. J’espérais terminer mon livre aux alentours du 21 juin, d
99 prenez garde ! Voici que la nuit cède au jour ! » Et en effet, le 20 au soir — à peine plus tôt que je ne l’avais prévu —
100 mon livre, vous décidiez de me donner votre prix. Et la lettre qui me l’annonçait portait la date fatidique du 21. Comment
101 ans le savoir deux livres à la fois, le Journal et l’ Amour . Et peut-être ainsi mon travail, tout au moins par sa quant
102 deux livres à la fois, le Journal et l’ Amour . Et peut-être ainsi mon travail, tout au moins par sa quantité, sera-t-il
103 lesquels il vit ; enfin des relations de l’auteur et de son public. Or vous n’ignorez pas que mon souci tout helvétique de
104 comprendre. D’où sont nés quantité de malentendus et d’illusions, largement exploités par les démagogies d’ailleurs les pl
105 es. Tout mon effort se portait donc à distinguer, et dans la mesure de mes moyens et dans mon champ, à dissiper ces malent
106 onc à distinguer, et dans la mesure de mes moyens et dans mon champ, à dissiper ces malentendus et leurs causes. Le reste
107 ens et dans mon champ, à dissiper ces malentendus et leurs causes. Le reste de votre jury m’inciterait à croire que j’y ai
108 ’un livre comme le Journal , celui qu’il cherche et qu’il espère rejoindre avant tout autre. Et c’est pourquoi j’ose voir
109 erche et qu’il espère rejoindre avant tout autre. Et c’est pourquoi j’ose voir dans votre décision le signe d’une entente
110 votre décision le signe d’une entente réalisée — et attestée avec munificence ! — entre un auteur et son public. Cet aspe
111 et attestée avec munificence ! — entre un auteur et son public. Cet aspect de mon « problème des gens », vous l’avez réso
112 ne me préparait à l’espérer ? Vous êtes Vaudois, et pourtant vous couronnez un Neuchâtelois. Vous êtes zofingiens, et vou
113 couronnez un Neuchâtelois. Vous êtes zofingiens, et vous couronnez un ancien bellettrien, — ce qui est encore plus digne
114 louange. Enfin, vous êtes des Suisses de Suisse, et vous couronnez un Suisse de Paris, ein Pariser Neuburger comme disent
115 e de cette calomnie, avec tout l’éclat désirable. Et ce n’est pas le moindre titre que vous ayez à ma reconnaissance. Une
116 u contraire, au sens patriotique de nos ancêtres. Et il se peut que de nos jours, où la Suisse apparaît de plus en plus co
117 eurs européennes. Mais peut-être faut-il ensuite, et à côté, des hommes qui essaient de représenter l’idée de la Suisse au
118 exprime ici ma plus profonde reconnaissance. 1. Et non plus mercenaire, faut-il le préciser ? h. Rougemont Denis de, «
6 1938, Articles divers (1938-1940). Réponse à l’enquête « Littérature et christianisme » (20 novembre 1938)
119 Réponse à l’enquête « Littérature et christianisme » (20 novembre 1938)j k Tous les problèmes se posen
120 problèmes se posent différemment pour un croyant et pour un incroyant. Non pas que leurs données soient différentes. Mais
121 e m’explique. Il n’y a pas une manière chrétienne et une manière athée de réussir une paire de souliers. Les souliers sont
122 ait un chrétien, il le dédie à la gloire de Dieu, et c’est là toute la différence. Dira-t-on qu’elle n’est guère visible ?
123 s ce qui agira sur le lecteur, en fin de compte — et supposé que l’œuvre soit réussie du point de vue de l’art, donc trans
124 possible entre la situation du romancier chrétien et celle du romancier communiste. Car le chrétien comme tel ne sert pas
125 chrétien comme tel ne sert pas une cause visible, et son service n’est pas mesurable à ses « résultats » (scandale ou conv
126 versions produites). Le chrétien sert son Dieu, —  et ensuite Dieu se sert de lui et de son œuvre comme il Lui plait. Mais
127 n sert son Dieu, — et ensuite Dieu se sert de lui et de son œuvre comme il Lui plait. Mais je m’aperçois que ce point de v
128 lité totale, telle que la foi seule la révèle : — et à partir de là ne se posent plus que des problèmes d’ordre technique.
129 sus des déserts du monde. « Il faut qu’il croisse et que je diminue. » Et nous dirions de notre public ce que disait de so
130 nde. « Il faut qu’il croisse et que je diminue. » Et nous dirions de notre public ce que disait de son malade le calvinist
131 re, je le répète : une expression vraiment totale et sans réserve de l’homme tel que le voient les yeux de la foi : dans l
132 yeux de la foi : dans le péché où Dieu le cherche et où la grâce vient le trouver, — presque toujours par d’autres voies q
133 imaginer… j. Rougemont Denis de, « Littérature et christianisme », La Cité chrétienne, Bruxelles, 20 novembre 1938, p. 
134 938, p. 57. k. Précédé de la notice suivante : «  Et voici la réponse d’un protestant. Par sa pensée ferme et drue, Denis
135 i la réponse d’un protestant. Par sa pensée ferme et drue, Denis de Rougemont exerce une influence décisive sur les différ
136 ains , le Journal d’un intellectuel en chômage , et les autres écrits de Rougemont en sont parmi les plus importants témo
7 1939, Articles divers (1938-1940). Quel est le rôle de l’Université dans le pays ? (1939)
137 oit souvent. Pour ma part, je ne l’ai jamais cru, et aujourd’hui moins que jamais. Ce n’est pas à l’Université que j’appri
138 xpérience. Or l’Université ne saurait les donner. Et il serait bien sot, il serait même barbare de le lui reprocher un seu
139 ns le vouloir : une atmosphère, un milieu de vie, et bien au-delà d’une instruction : des possibilités de culture, au sens
140 loisirs, de réflexions aventureuses, de rêveries et de conversations interminables, — ces stations au café de la Rotonde,
141 des promenades qui ne mènent à rien, sinon à voir et à sentir comme jamais plus nous ne le ferons plus tard, la couleur de
142 s tard, la couleur de nos pierres après la pluie, et l’odeur du lac immobile… Tout cela peut se résumer d’un mot. C’est le
143 lées qui ont suivi ont été aussi folles que nous, et s’il serait décent de le souhaiter. Mais c’est avec plus de tendresse
144 heures de paresse, voire même de gueule de bois — et d’accès d’enthousiasme pathétiques ! Nous passions des soirées et des
145 housiasme pathétiques ! Nous passions des soirées et des nuits que nous imaginions orgiaques, et qui étaient simplement ly
146 irées et des nuits que nous imaginions orgiaques, et qui étaient simplement lyriques. Durant des mois d’hiver, notre vie t
147 ien de plus évocateur d’un état de fête collectif et prolongé… Pendant des mois, ai-je dit, car il fallait d’abord choisir
148 e en un théâtre. Dans cette ville dont les places et les rues sont si pareilles à des décors, la nuit, nous avions l’impre
149 autour du cou, avec des mines fatales d’insomnies et des restes de fard aux joues. Nous dansions autour d’une flamme invis
150 ur d’une flamme invisible à tout autre qu’à nous, et dont nous n’étions même pas toujours sûrs qu’elle fût réelle — mais q
151 mportait ? Quelques-uns, pourtant, s’y brûlèrent. Et voilà qui me donne à penser qu’il n’y avait pas en jeu, dans tout cel
152 ns la montre… Mais ceci c’est une autre histoire, et qui m’entraînerait assez loin. … Ne serait-ce pas notre rôle actuel,
153 uisse, de maintenir cette tradition du romantisme et des féconds loisirs qui a fait la gloire d’une Heidelberg, d’une Tubi
154 fait la gloire d’une Heidelberg, d’une Tubingue, et de tant d’autres petites cités où résonnent aujourd’hui des chants… d
155 tre espèce ? Ne serait-ce pas à nous de maintenir et d’illustrer aux yeux du monde moderne une de ces vérités qu’il méconn
156 ré que dans les lieux où le loisir est cultivé, —  et non pas méprisé ou condamné comme un péché envers l’État. Il m’a semb
157 as déplacée ce soir, dans cette halte du souvenir et de l’amitié. Vraiment, quel danger y aurait-il à faire l’éloge d’une
8 1939, Articles divers (1938-1940). Le protestantisme créateur de personnes (1939)
158 é dont la valeur varie si curieusement entre zéro et l’infini, et dont tant d’auteurs non protestants ou incroyants nous f
159 eur varie si curieusement entre zéro et l’infini, et dont tant d’auteurs non protestants ou incroyants nous font une gloir
160 les menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’Église, et sur la civilisation dite chrétienne, incitent beaucoup de contemporai
161 e pied sur les vieilles bases spirituelles, rudes et monumentales, posées par les Pères de l’Église, des Apôtres jusqu’à L
162 mpter leurs forces, à recenser tous leurs appuis. Et c’est sans doute à ce désir de certitude renouvelée, à ce désir de re
163 mporte quelle réponse flatteuse ou approximative. Et ce besoin de certitude, il s’agit de la combler en vérité. La menace
164 menace est sérieuse, les événements de septembre et toute la suite l’ont fait voir aux plus optimistes. En Russie, en All
165 éclenchée. Elle nous atteint déjà par contrecoup, et il est sage de s’attendre à bien pire. C’est donc le moment ou jamais
166 ès rigoureux dans le choix des moyens de défense. Et , par exemple, si beaucoup sont prêts à louer la Réforme d’être une éc
167 instituée sur les notions de personne, d’individu et de personnalité. Il existe un mouvement personnaliste qui a pris pour
168 iste qui a pris pour tâche de démêler ces notions et de fonder sur elles un ordre social renouvelé. Des philosophes tels q
169 ellence des hommes d’État démocratiques. Ce fait, et toutes les équivoques que risquent d’entraîner de telles notions, me
170 ues que l’on a proposées entre individu, personne et personnalité. Je préfère illustrer ces notions par des exemples histo
171 t apparues dans l’Histoire les notions d’individu et de personne, et les systèmes qui s’y opposent, nous verrons mieux com
172 l’Histoire les notions d’individu et de personne, et les systèmes qui s’y opposent, nous verrons mieux comment se situe la
173 se situe la Réforme dans l’évolution de l’Europe, et quel principe central elle doit y incarner, de nos jours sans doute p
174 du n’est pas une invention du siècle des Lumières et de la Déclaration des droits de l’homme. C’est une invention grecque,
175 s droits de l’homme. C’est une invention grecque, et sa naissance signale la naissance même de l’hellénisme. L’individu, c
176 out d’un coup se met à réfléchir pour son compte, et qui, de ce fait même, se distingue du groupe naturel, et s’isole. Le
177 de ce fait même, se distingue du groupe naturel, et s’isole. Le groupe primitif, la tribu, est lié par le lien du sang, d
178 , est lié par le lien du sang, des morts communs, et par celui de la terreur sacrée. C’est autour d’un tabou et autour des
179 lui de la terreur sacrée. C’est autour d’un tabou et autour des tombeaux, objets d’effroi, que se rassemble la société pri
180 t sacré.) De plus, elle est radicalement grégaire et xénophobe. Mais supposez maintenant qu’un des membres de la tribu se
181 nner à part soi. Raisonner, c’est d’abord douter, et c’est bientôt se révolter. L’homme qui raisonne, c’est l’homme qui ch
182 a terreur originelle, aux liens sacrés du groupe, et par là même à son principe de tyrannie. Ce mouvement d’arrachement au
183 famille — la cité est fondée sur l’intérêt commun et les contrats. Alors que la morale de la tribu dicte des devoirs sacré
184 manière minutieusement prescrite par les usages, et toute contravention entraînait l’exécration ou la mort. Dans la cité,
185 ns à faire autrement que lui. On se veut autonome et conscient. La définition la plus noble de l’individu nous est fournie
186 dividuelle, libère-toi des déterminations sacrées et obscures. Peut-être peut-on rapprocher cette tendance morale de celle
187 ler le principe d’individuation, les législateurs et les artistes à concentrer leur attention sur l’homme et son destin pa
188 artistes à concentrer leur attention sur l’homme et son destin particulier. D’où le héros, d’où la statue, d’où le tragiq
189 sacrées de l’État) ; — d’où les notions de gloire et de record. Et Alcibiade coupe la queue de son chien pour qu’on parle
190 tat) ; — d’où les notions de gloire et de record. Et Alcibiade coupe la queue de son chien pour qu’on parle de lui, qu’on
191 nfond d’abord, soulignons-le, avec l’intelligence et la raison, ne tarde pas à affaiblir les liens sociaux. Il s’oriente v
192 ffuse d’où naît l’appel à une communauté nouvelle et plus solide, où l’individu isolé retrouve des contraintes qui le rass
193 isolé retrouve des contraintes qui le rassurent, et l’État sa puissance matérielle. C’est Rome alors, c’est l’Empire roma
194 sur l’individualisme social. L’État romain, rural et militaire, avec son appareil rigide, devait fatalement triompher d’un
195 lisme est toujours un appel à l’État dictatorial. Et cet État aux cadres géométriques, avec son armée, sa bureaucratie, sa
196 e appréciable. Vous voyez qu’entre individualisme et dictature, l’opposition n’est qu’apparente : en réalité, il y a de l’
197 rilise peu à peu toutes les initiatives vivantes, et qu’il finit par s’effondrer sous le poids de son appareil dévorateur.
198 fondrer sous le poids de son appareil dévorateur. Et cela ne manque pas de se produire lorsque la majorité des citoyens se
199 ng. Mais plus tard elle a sombré dans l’anarchie. Et à son tour, la Rome étatique s’écroule sous son propre poids. De nouv
200 e angoisse, un appel à une communauté. L’anarchie et la tyrannie, successivement, ont fait faillite. Quelle sera la nouvel
201 à recréer la communauté primitive, à base de sang et de liens sacrés : c’est une régression vers la barbarie, mais qui fla
202 n vers la barbarie, mais qui flatte les instincts et les passions, et satisfait le rêve nostalgique du retour à la nature,
203 e, mais qui flatte les instincts et les passions, et satisfait le rêve nostalgique du retour à la nature, d’une fraternité
204 assé, ni sur des lois, mais sur l’attente commune et enthousiaste d’un au-delà libérateur. Ce n’est plus le rêve du retour
205 lique romaine, quand le César est devenu un dieu. Et c’est l’échec de cette religion d’État, confondu avec l’échec plus gé
206 énéral d’une société bureaucratisée, qui a permis et préparé le triomphe du christianisme. Mais je demeure persuadé que la
207 ût pas suffi à éveiller la volonté de la réaliser et de la faire sortir de l’utopie. Il fallut qu’un fait historique, qu’u
208 sformer cette possibilité en une vision immédiate et dynamique. Et ce fait, c’est l’événement central de toute l’Histoire,
209 possibilité en une vision immédiate et dynamique. Et ce fait, c’est l’événement central de toute l’Histoire, la seule nouv
210 ons, ni du rang social : on y trouve des esclaves et des citoyens riches. Leur lien n’est pas terrestre : il est dans l’au
211 ar ce qu’elles attendent, c’est la fin des temps. Et cependant, ces communautés étranges constituent bel et bien les germe
212 pendant, ces communautés étranges constituent bel et bien les germes d’une société véritable. Elles ont leur organisation
213 servir leurs frères. Ils se voient donc libérés, et du même coup engagés dans un corps social nouveau. Prenons le cas soc
214 ue l’État romain lui déniait toute activité libre et spontanée, l’Église lui rend sa dignité humaine d’individu et son rôl
215 , l’Église lui rend sa dignité humaine d’individu et son rôle actif de persona. Spirituellement, il se produit un phénomèn
216 nvertit se voit d’une part racheté de son péché ; et d’autre part, il reçoit une mission nouvelle, une vocation. Il devien
217 r du Maître qui le libère. Ainsi, spirituellement et socialement, l’Église est une communauté d’hommes qui sont à la fois
218 une communauté d’hommes qui sont à la fois libres et engagés. Libérés par Celui qui les engage à son service, et engagés a
219 . Libérés par Celui qui les engage à son service, et engagés au service du prochain dans la mesure précisément où ils se s
220 ux apparaissent donc comme des paradoxes vivants, et cependant nous savons bien que leur libération et leur service ne son
221 et cependant nous savons bien que leur libération et leur service ne sont nullement contradictoires, puisqu’ils traduisent
222 aduisent deux aspects complémentaires d’une seule et même réalité : la conversion. Tel est l’homme neuf, créé par l’Église
223 soucie davantage de servir que de se distinguer. Et ce n’est pas non plus la persona du droit romain, puisque l’homme qui
224 elations constituant la Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, les docteurs de l’Église grecque avaient adopté le t
225 mme, lui aussi, se trouve être à la fois autonome et en relation. Ainsi le mot avec son sens nouveau, et la réalité social
226 en relation. Ainsi le mot avec son sens nouveau, et la réalité sociale de la personne, sont bel et bien des créations chr
227 u, et la réalité sociale de la personne, sont bel et bien des créations chrétiennes ou, pour mieux dire, des créations de
228 rétienne. Voici donc définis par leurs origines, et dans leur genèse historique, les maîtres mots de notre conception occ
229 re conception occidentale de l’homme : l’individu et la personne. Et vous voyez que la distinction entre ces deux vocables
230 cidentale de l’homme : l’individu et la personne. Et vous voyez que la distinction entre ces deux vocables si courants, lo
231 débuts, que la distinction entre l’homme naturel et l’homme chrétien. Ces bases étant posées, faisons dans nos pensées un
232 er tout à la fois dans l’époque de la Réformation et dans le sujet précis qui nous occupe. L’Église des premiers siècles a
233 cette collusion peut-être inévitable de l’Église et de l’Empire temporel, recréa, tout au long du Moyen Âge, une sorte de
234 orte de paradoxe : elle unissait l’individu libre et la persona ou fonction sociale, dans un composé original dominé par l
235 ration, famille ou sous tout autre forme générale et collective. » C’est-à-dire que la collusion de l’Église et du pouvoir
236 tive. » C’est-à-dire que la collusion de l’Église et du pouvoir politique tendait à opprimer la liberté de la personne, en
237 is que l’élément sacré reparaît dans une société, et tend à s’imposer par la force, comme ce fut le cas dès le xiie siècl
238 d en Italie, un siècle au moins avant la Réforme. Et l’on peut la caractériser par quelques traits qui rappelleront ma des
239 xamen de toutes choses. Il est assoiffé de gloire et de richesse, de sa propre gloire et de sa propre richesse, fussent-el
240 ffé de gloire et de richesse, de sa propre gloire et de sa propre richesse, fussent-elles acquises aux dépens de sa famill
241 , fussent-elles acquises aux dépens de sa famille et de sa cité, aux dépens même de la vie d’autrui. Un grand nombre de cr
242 siècle à seule fin de s’acquérir de la renommée. Et les pirates siciliens, fondateurs du capitalisme commercial, sont sou
243 ison mystérieuse entre la naissance de l’individu et le crime social. Enfin l’individu de la Renaissance se livre à une ac
244 scientifique libre. Tout cela relève d’une seule et même volonté : celle de profaner le sacré collectif et ses tabous, af
245 me volonté : celle de profaner le sacré collectif et ses tabous, afin de s’affirmer libre et sans responsabilité par rappo
246 collectif et ses tabous, afin de s’affirmer libre et sans responsabilité par rapport à la société. Qu’il s’agisse de libre
247 sse de libre examen, de crimes, de soif de gloire et de richesses ou d’expériences telles que la dissection du corps humai
248 s deux déviations, contre l’oppression collective et contre la révolte de l’individu, ce qui va se dresser pour proclamer
249 u, ce qui va se dresser pour proclamer les droits et les devoirs de la personne chrétienne — c’est la Réforme. Nous toucho
250 vais essayer de vous montrer ce que pourrait être et devrait être un personnalisme inspiré de la Réforme. Calvin ni Luther
251 pas non plus de l’individu ou de la collectivité, et cependant toutes les réalités que désignent ces termes sont présentes
252 réalités que désignent ces termes sont présentes, et sont en conflit à l’époque de la Réforme. Essayons de les dégager som
253 ns personnelles à la place de l’exposition simple et fidèle de la pure Parole de Dieu. » Du point de vue qui nous intéress
254 e du Moyen Âge, confondant l’autorité spirituelle et le pouvoir temporel. L’anarchisme, c’était la révolte de la Renaissan
255 anarchisme, c’était la révolte de la Renaissance, et les sectes d’illuminés, c’est-à-dire l’individualisme social et relig
256 d’illuminés, c’est-à-dire l’individualisme social et religieux. Calvin combat les deux tendances non point pour des raison
257 de personnes, d’hommes nouveaux, à la fois libres et engagés, constituant une multitude de communautés locales. Telles ser
258 , point de capitale, point d’unification formelle et forcée. Dès le début, la Réforme considère comme normales les diversi
259 es où il avait une autorité immédiate, Strasbourg et Genève. Le problème ne se pose même pas. Les Églises locales s’organi
260 dérations, délégueront des députés à des synodes, et il n’y aura pas de pape pour unifier temporellement toutes ces cellul
261 rellement toutes ces cellules vivantes, autonomes et solidaires. Elles ont leur véritable unité en Christ, et dans la comm
262 daires. Elles ont leur véritable unité en Christ, et dans la communion des saints. Ici-bas, l’Église nous apparaît, selon
263 termes de Calvin, dans la diversité « des Églises et des personnes particulières ». Car non seulement il y a plusieurs Égl
264 radoxe essentiel de la personne : à la fois libre et engagée, distincte et reliée à nouveau. Car le rôle que Dieu attribue
265 personne : à la fois libre et engagée, distincte et reliée à nouveau. Car le rôle que Dieu attribue à un homme distingue
266 l peut incarner une volonté particulière de Dieu. Et dès lors, cet homme n’a pas seulement le droit d’être respecté par l’
267 rticulier dans le serment des pasteurs de Genève, et dont l’actualité vous frappera certainement. « Je promets, dit le pas
268 promets, dit le pasteur, de servir la Seigneurie et le peuple de telle manière que par cela je ne sois nullement empêché
269 lésiastique, c’est vrai. Mais il était inévitable et normal que ce type de relations influençât peu à peu toutes les autre
270 t peu à peu toutes les autres relations humaines, et en particulier les relations politiques. Toute l’histoire de l’Europe
271 e à partir de cette constatation : que les formes et structures des Églises ont toujours précédé et ont en quelque sorte c
272 es et structures des Églises ont toujours précédé et ont en quelque sorte contaminé les formes et structures politiques. N
273 cédé et ont en quelque sorte contaminé les formes et structures politiques. Nous en verrons quelques exemples. Quelle fut
274 politique de la doctrine calvinienne de l’Église et des vocations personnelles ? Je n’hésite pas à le dire : c’est le féd
275 furent les régimes qui persécutèrent la Réforme ? Et quelle fut l’action historique des hommes d’État réformés ? Partout,
276 historique des hommes d’État réformés ? Partout, et dès le début, l’obstacle principal à la Réforme, ce fut l’absolutisme
277 éforme, ce fut l’absolutisme, la passion unitaire et centralisatrice, tant chez les papes que chez les princes. Et partout
278 atrice, tant chez les papes que chez les princes. Et partout, les chefs protestants quand ils le purent, proposèrent au co
279 rent, proposèrent au contraire des plans d’allure et d’intention nettement fédéralistes. L’absolutisme, la confusion des p
280 absolutisme, la confusion des pouvoirs politiques et spirituels, nous les trouvons chez un Charles-Quint, chez un Philippe
281 un Charles-Quint, chez un Philippe II d’Espagne, et en France dans le parti des Guise, dans la Ligue. Plus tard, c’est ce
282 mot d’ordre unitaire : une foi, une loi, un roi. Et l’on célébrera « la France toute catholique sous le règne de Louis le
283 chronisée, centralisée, déjà presque totalitaire, et vidée de ses meilleures forces créatrices. Mais dès que le parti prot
284 agisse de la Transylvanie convertie au calvinisme et qui devient l’âme de la résistance au centralisme des Habsbourg, qu’i
285 une manière plus vague, des États-Unis d’Amérique et de l’Empire anglais avec ses libres dominions, — partout l’on voit le
286 , — partout l’on voit les protestants revendiquer et appliquer un système politique souple et vivant, respectueux des dive
287 endiquer et appliquer un système politique souple et vivant, respectueux des diversités, c’est-à-dire fédéraliste. Les syn
288 ume, avec large autonomie des communes à la base, et au sommet, contrôle du pouvoir royal par un organe plus ou moins insp
289 plus ou moins inspiré du stathoudérat hollandais. Et n’est-ce pas le huguenot Sully qui, le premier, sous Henry IV, conçut
290 rouvaient le besoin de se fédérer contre l’Empire et contre Rome, et cela se vérifie souvent au xvie siècle. Mais je main
291 oin de se fédérer contre l’Empire et contre Rome, et cela se vérifie souvent au xvie siècle. Mais je maintiens que la cau
292 à la fois le respect des diversités en politique, et le respect des personnes dans la vie privée. L’un entraîne l’autre, l
293 des personnes, dit préoccupation de les éduquer. Et vous savez que les problèmes d’éducation furent dès le début le grand
294 e prédispose les peuples protestants à comprendre et à soutenir les régimes fédéralistes. L’homme ne vaut rien par lui-mêm
295 à cause de sa vocation qu’il est à la fois libre et engagé, autonome et pourtant responsable au sein de la communauté. Ai
296 ion qu’il est à la fois libre et engagé, autonome et pourtant responsable au sein de la communauté. Ainsi le citoyen calvi
297 Ainsi le citoyen calviniste, qui vit profondément et quotidiennement cette doctrine peut-il comprendre mieux que tout autr
298 aines notions fondamentales telles que l’individu et la personne, abordons notre siècle et l’histoire présente. Car en déf
299 l’individu et la personne, abordons notre siècle et l’histoire présente. Car en définitive, c’est de cela qu’il s’agit. L
300 ’aujourd’hui les positions civiques de la Réforme et sa morale personnaliste ? Calvin, vous le savez, ne s’est jamais préo
301 reprises sur le fait que monarchies, oligarchies et républiques sont également voulues de Dieu et doivent être obéies com
302 ies et républiques sont également voulues de Dieu et doivent être obéies comme telles. Une fois cependant il marque une pr
303 est celui-là où il y a une liberté bien tempérée et pour durer longuement. » Il me semble que le spectacle de l’Europe co
304 Europe contemporaine donne raison au réformateur. Et je ne crois pas être infidèle à sa pensée en y ajoutant cette précisi
305 , mais bien la condition qu’il ménage à l’Église, et l’idée de l’homme qu’il suppose. C’est en nous plaçant à ce double po
306 à ce double point de vue : condition de l’Église et condition de l’homme, que nous pourrons le mieux départager les deux
307 upe est celui des nations qui respectent l’Église et la personne. Nous y trouvons des formes de gouvernement aussi dispara
308 ux républiques démocratiques seulement, la Suisse et la France ; et enfin trois semi-dictatures : Pologne, Hongrie et Port
309 démocratiques seulement, la Suisse et la France ; et enfin trois semi-dictatures : Pologne, Hongrie et Portugal. (On ose à
310 et enfin trois semi-dictatures : Pologne, Hongrie et Portugal. (On ose à peine parler des Tchèques, déjà plus qu’à moitié
311 dès qu’ils sont assez forts pour lever le masque, et leur mépris de la personne. Voici, à mon avis, les causes de ces deux
312 deux phénomènes. En Russie, en Allemagne, à Rome et en Espagne, la distinction entre l’Église et l’État n’avait jamais ét
313 Rome et en Espagne, la distinction entre l’Église et l’État n’avait jamais été établie d’une manière satisfaisante. Le tsa
314 tsar par exemple, était à la fois chef de l’État et chef de l’Église : c’est ce qu’on nomme le césaropapisme. D’autre par
315 mmer souffraient, eux aussi, à des degrés divers, et pour mille raisons très complexes, de l’un ou l’autre de ces maux. La
316 ’autre de ces maux. La coupure entre le spirituel et le temporel n’y était pas faite au bon endroit, ou mal faite, ou pas
317 ésultait, dans le peuple, le sentiment que l’État et l’Église formaient un tout et constituaient à eux deux le Pouvoir. Re
318 entiment que l’État et l’Église formaient un tout et constituaient à eux deux le Pouvoir. Renverser l’un, c’était donc fat
319 un, c’était donc fatalement s’attaquer à l’autre. Et le chef de la révolution triomphante dans chacun de ces pays, se trou
320 on compte à la fois l’autorité d’un chef d’Église et le pouvoir d’un chef d’État. Chacun sait qu’une Révolution copie touj
321 centralistes comme les Rois. Ainsi encore Staline et Hitler se firent césaropapistes comme les régimes qu’ils venaient d’a
322 ces régimes tyranniques fut largement facilitée, et même appelée, par l’absence dans tous ces pays d’élites civiques cons
323 es de leur mission. Dans un essai publié en 1928, et intitulé L’Espagne invertébrée, le grand écrivain espagnol Ortega y G
324 n’hésite pas à comparer sous ce rapport l’Espagne et la Russie. « Fort différentes sur beaucoup de points, écrit-il, elles
325 les souffrent toutes les deux d’un manque évident et permanent d’individualités marquantes, … de personnalités autonomes. 
326 lités marquantes, … de personnalités autonomes. » Et de la sorte, Ortega laisse entendre que le destin de ces pays, du fai
327 intenu avec rigueur la distinction entre l’Église et l’État, et que d’autre part il a toujours favorisé le développement d
328 rigueur la distinction entre l’Église et l’État, et que d’autre part il a toujours favorisé le développement de la person
329 toujours favorisé le développement de la personne et donc la formation d’élites civiques actives et responsables, on compr
330 ne et donc la formation d’élites civiques actives et responsables, on comprendra sans peine le fait suivant qui, à ma conn
331 ne autre correspondant à l’Allemagne luthérienne, et deux autres correspondant à l’Italie et à l’Espagne catholiques, alor
332 hérienne, et deux autres correspondant à l’Italie et à l’Espagne catholiques, alors qu’il n’en existe point qui se soit dé
333 du, que le calvinisme ne puisse dévier lui aussi, et soit sans défauts. Mais cela signifie que ses défauts et déviations n
334 sans défauts. Mais cela signifie que ses défauts et déviations n’entraînent pas cette conséquence-là. Lorsque la religion
335 eure. Car en effet, une opposition aussi radicale et aussi exacte entre la mentalité totalitaire et la mentalité calvinist
336 le et aussi exacte entre la mentalité totalitaire et la mentalité calviniste, va nous permettre une confrontation utile de
337 tion utile des deux doctrines. Je dis bien utile, et non pas simplement intéressante. Je ne fais pas ici, vous le sentez b
338 ous le sentez bien, une description désintéressée et académique de divers régimes également soutenables dans l’abstrait. J
339 comme une menace terrible pour notre civilisation et plus encore pour nos Églises. Je considère que nous n’avons plus le d
340 e gauche ou de droite, alors qu’il est du diable, et que c’est en chrétiens que nous avons maintenant à nous défendre, dan
341 est de connaître l’adversaire afin de reconnaître et de tuer les plus secrètes complicités qu’il a su ménager dans nos cœu
342 en premier lieu vaincre l’adversaire en soi-même, et pour cela, savoir le dépister. Connaître la religion totalitaire, c’e
343 e de l’attitude qu’il prend vis-à-vis de l’Église et du fait religieux en général. Un régime est totalitaire lorsqu’il pré
344 traliser radicalement tous les pouvoirs temporels et toute l’autorité spirituelle. Il se transforme alors en une religion
345 , ou encore en une politique d’allure religieuse. Et d’autant plus que la religion qu’il adopte est, comme dans le cas des
346 qu’il adopte est, comme dans le cas des fascismes et du communisme, une religion de l’ici-bas, une religion sans transcend
347 divergent plus du tout des buts de la politique, et même se confondent avec eux. Alors il n’y a plus de recours, plus de
348 que c’est lui qui l’a créée pour ses seules fins, et qu’il n’existe rien au-delà. Pour définir une telle communauté, repre
349 à pourquoi elle est intolérante au suprême degré, et plus qu’intolérante : on ne peut même pas s’y convertir ! Si l’on n’a
350 es morts ? Religion du sang, religion de la terre et des morts, religion sanglante et mortelle, religion des choses vieill
351 gion de la terre et des morts, religion sanglante et mortelle, religion des choses vieilles, mortes et enterrées depuis de
352 et mortelle, religion des choses vieilles, mortes et enterrées depuis des millénaires, jamais passées, et qui réclament en
353 enterrées depuis des millénaires, jamais passées, et qui réclament encore du sang, des morts, des cortèges funèbres, des c
354 À nous maintenant de rester vigilants, exigeants et vigilants, même et surtout sur des points qui paraissent actuellement
355 de rester vigilants, exigeants et vigilants, même et surtout sur des points qui paraissent actuellement de peu d’importanc
356 te ici, chez nous, la vertu régénératrice du sang et le culte des morts sacrés, même s’il s’agit, comme c’est le cas, de m
357 ions du monde, d’une défense spirituelle du pays. Et je suis le premier à l’approuver. Mais lorsque l’on fonde cette défen
358 pieds joints dans la fatale confusion du temporel et du spirituel. Parler d’une Suisse chrétienne quand beaucoup de Suisse
359 re lancé, ce ne peut être que par l’Église seule, et non par un parti, et non par l’État fédéral. Une « Suisse chrétienne 
360 être que par l’Église seule, et non par un parti, et non par l’État fédéral. Une « Suisse chrétienne », ce serait une Suis
361 aient chrétiens. En attendant, sachons maintenir, et étendons plus que jamais la distinction strictement calviniste entre
362 rictement calviniste entre les droits de l’Église et ceux de l’État. Beaucoup de choses en dépendent, pour l’avenir immédi
363 de choses en dépendent, pour l’avenir immédiat ! Et enfin, sur le plan politique, essayons de comprendre une bonne fois l
364 termes. Ceux qui disent : « Centralisons tout », et ceux qui disent : « chacun pour soi », prouvent ainsi les uns et les
365 ent : « chacun pour soi », prouvent ainsi les uns et les autres, qu’ils n’ont pas encore bien compris le paradoxe vivant q
366 personne : celui de la liberté ou de l’autonomie, et l’on a tout réduit à l’autre pôle : celui de l’engagement social. L’h
367 nt social. L’homme étant totalement engagé, corps et esprit, dans les rouages de l’État, et cet État ne reconnaissant plus
368 agé, corps et esprit, dans les rouages de l’État, et cet État ne reconnaissant plus aucune autorité qui transcende et limi
369 reconnaissant plus aucune autorité qui transcende et limite son pouvoir, il n’y a plus aucun recours de l’individu à l’abs
370 des milliers de petits Führer — mais c’est l’État et sa mystique qui les créent. On ne leur laisse d’initiative que dans l
371 n extérieure, c’est-à-dire un individu embrigadé, et non pas une vocation. Milliers de masques durs, volontairement durcis
372 reste pure ! Car de même que le culte de la terre et des morts, pour peu qu’il vienne à s’accentuer, risque de nous condui
373 me créateur de personnalités. Notre danger intime et permanent, c’est le moralisme, le culte de nos vertus utilisées pour
374 é, comme on dit, « une pépinière d’individualités et de caractères bien trempés », nous courons le risque d’oublier que la
375 sur un individu qui ne croit plus à sa vocation, et qui a simplement été formé par une éducation et une ambiance protesta
376 , et qui a simplement été formé par une éducation et une ambiance protestante. Il y a trop de ces gloires dites protestant
377 és. Cela constitue dans la cité des tissus sains, et c’est une sauvegarde appréciable contre la contamination totalitaire.
378 ité, si grande soit-elle, devant Dieu c’est zéro. Et si l’on se borne au social, il faut prévoir que ces personnalités, ce
379 s laissons tarir les sources vives de la Réforme. Et puis, une personnalité en soi, sans vocation, ce n’est rien de plus,
380 la Réforme pour ne garder que ses vertus humaines et activistes. Et c’est pourquoi l’on a pu dire que le calvinisme était
381 ne garder que ses vertus humaines et activistes. Et c’est pourquoi l’on a pu dire que le calvinisme était à l’origine du
382 ance pratique de cette distinction entre personne et personnalité. Hitler peut former, lui aussi, des personnalités énergi
383 nt ses véritables adversaires, les seuls sérieux, et il le sait ! Si Niemöller est dans un camp de concentration, prisonni
384 r, dans le concret, la distinction entre personne et personnalité. Je ne vois aucune raison de lui laisser le bénéfice exc
385 e sa doctrine représente, en sa pureté, le centre et l’axe même de la notion chrétienne de la personne, à la fois libre et
386 notion chrétienne de la personne, à la fois libre et engagée. Il en résulte alors que la Réforme, et spécialement sa tenda
387 e et engagée. Il en résulte alors que la Réforme, et spécialement sa tendance calviniste, est appelée à figurer, dans notr
388 e charge ? Simplement, mais aussi rigoureusement, et dans toute la virulence du terme, redevenir de véritables protestants
389 rendre au sérieux la doctrine réformée de l’homme et de l’État. Ceci ne signifie pas que l’Église ait à proposer un progra
390 e doit marquer en toute clarté certaines limites, et , d’autre part, qu’elle ne doit pas hésiter à appuyer certaines revend
391 s du hic et nunc chrétien. Or il se trouve qu’ici et maintenant, notre situation ressemble fort à celle qu’eut à résoudre
392 combat contre l’esprit collectiviste, mais aussi et d’abord contre les déviations humanistes de la personne : transformon
393 dualistes en démocraties vraiment personnalistes. Et surtout, n’oublions jamais que l’ennemi qui se dresse devant nous, c’
394 mi qu’il porte en lui-même. Car un ennemi visible et extérieur, ce n’est jamais que l’incarnation d’une possibilité secrèt
395 souffre dans son cœur. Alors seulement, purifiés et lucides, quand nous aurons repris conscience de notre force véritable
396 mois de janvier 1939 à Bâle, Neuchâtel, Lausanne et Genève. l. Rougemont Denis de, « Le protestantisme créateur de pers
9 1939, Articles divers (1938-1940). Le théâtre communautaire en Suisse (1939)
397 x de nos mœurs, notre fameuse méfiance du décorum et des attitudes concertées, nécessite et provoque une réaction qui trou
398 du décorum et des attitudes concertées, nécessite et provoque une réaction qui trouverait sur la scène son lieu privilégié
399 théâtre satisfait au premier chef ? Je ne sais ; et m’en tiendrai donc au seul problème du théâtre actuel. Nous voyons na
400 re des masses sur les ruines de l’individualisme, et cela dans tous les domaines, dans la culture non moins que dans la po
401 individuels font place aux mythes collectivistes, et la pièce à trois personnages au jeu sacral et militaire. Tout récemme
402 es, et la pièce à trois personnages au jeu sacral et militaire. Tout récemment, le chef d’un des États voisins posait la p
403 stes visibles, sur cette scène, seront les masses et leurs insignes. Le théâtre individualiste analysait les conflits inté
404 nations. Or, nous n’avons pas de grandes villes, et nous ne sommes pas une grande nation. La seule voie qui nous reste ou
405 la structure communautaire de notre Confédération et de chacun de nos cantons. J’essaierai de concrétiser ce point de vue
406 de 1939 — par les dimensions de la scène prévue, et les ressources disponibles dans le canton qui devait prendre la charg
407 canton qui devait prendre la charge du spectacle. Et voici, quelque peu schématisée, la solution où je suis parvenu. Parmi
408 nécessité de recourir à des chœurs, qui peuplent et animent de grands espaces, tout en concentrant l’attention sur un ou
409 de beaucoup le plus facile à recruter en Suisse, et particulièrement dans le canton de Neuchâtel, qui m’a demandé d’écrir
410 hœurs mixtes de premier ordre à La Chaux-de-Fonds et au Locle ; un chœur d’enfants dans la région de Neuchâtel ; enfin un
411 ame, une masse chorale qui représentera le Monde, et qui agira sur le degré inférieur de la scène à trois plans dont j’ai
412 t avec le chœur d’enfants : ce seront les Suisses et les enfants de Nicolas. Enfin un petit chœur caché derrière le degré
413 représentera les voix célestes, appelant Nicolas et le réconfortant. La structure même de la scène commandera le mouvemen
414 cte, le monde vient à lui : les chœurs gravissent et redescendent les escaliers qui conduisent du plan 1 au plan 3. Au tro
415 isse comme résultant de la conjonction du cortège et de la cantate (voir l’intéressant article d’Édouard Combe sur le Fest
416 on texte à des éléments spectaculaires trop lents et trop vastes, qui accaparent toute l’attention. Je suis donc parti du
417 supporter l’amplification par les haut-parleurs. Et la musique intervient soit pour souligner le sentiment qui se dégage
418 s qu’en génie créateur. Le travail de préparation et de répétition de ce spectacle est d’ailleurs venu justifier le calcul
419 es cousant des costumes ; choristes des montagnes et du vignoble — le fédéralisme ne perdit jamais ses droits, même à l’in
420 e ce drame. Mais indépendamment de cette valeur — et c’est bien cela qui me permet d’invoquer un exemple aussi personnel !
421 rs qu’en Suisse, il n’eût été possible d’imaginer et de réaliser un spectacle de cette envergure, et de le rendre populair
422 r et de réaliser un spectacle de cette envergure, et de le rendre populaire. Ce sont les conditions proprement suisses, et
423 laire. Ce sont les conditions proprement suisses, et plus précisément fédéralistes, de ce théâtre communautaire qu’il m’a
10 1939, Articles divers (1938-1940). Un quart d’heure avec M. Denis de Rougemont : Hitler, grand-prêtre de l’Allemagne (11 janvier 1939)
424 our moi-même mes impressions sur ce que je voyais et sur ce que j’entendais, pendant un séjour de huit mois dans une grand
425 N’importe. Il ne faut pas craindre de le répéter, et surtout de le faire bien comprendre. Les nazis, eux, ont compris que
426 taire à moitié. Il lui faut la fameuse confiance, et une confiance disciplinée, à toute épreuve. Seule, la mystique nation
427 t apparaître un petit homme au sourire extatique. Et tandis que cet homme s’avance lentement, en saluant d’un geste épisco
428 n geste épiscopal, quarante mille bras se lèvent, et le tonnerre rythmé des heil commence. Et cela dure plusieurs minutes,
429 lèvent, et le tonnerre rythmé des heil commence. Et cela dure plusieurs minutes, ce qui est très long, jusqu’à ce que com
430 est qu’on ne tire pas sur un homme qui n’est rien et qui est tout. On ne tire pas sur un petit-bourgeois qui est le rêve d
431 lois économiques, les forces relatives des partis et des classes avant 1933, les circonstances politiques de l’Europe, le
432 ion d’une communauté autour d’un sentiment sacré. Et ce n’est pas la soif d’une tyrannie, au sens politique et légal, qui
433 est pas la soif d’une tyrannie, au sens politique et légal, qui a jeté l’Autriche dans les bras du Führer. Mais c’est l’at
434 ord que le régime hitlérien est né de la pauvreté et du malheur de son pays — ce qui est très juste. Mais il ajoute : « La
435 ui est très juste. Mais il ajoute : « La pauvreté et le malheur ne peuvent expliquer que des phénomènes extérieurs. La rai
436 d. Nous voulions croire à l’immortalité du peuple et peut-être réussirons-nous à y croire. » Voilà qui dit bien où est la
437 ra que la foi. Mais la vraie lutte commence là. » Et je crois toujours que le problème est là : c’est celui d’une renaissa
11 1939, Articles divers (1938-1940). Qui est Hitler ? (24 février 1939)
438 tarien belliqueux qui ressemble à Charlie Chaplin et qui est doué d’une voix de stentor fanatique, particulièrement désagr
439 nt au contraire que le Führer est un homme simple et bon, quoique énergique, sorti du peuple, assoiffé de justice, restaur
440 justice, restaurateur de la puissance allemande, et redresseur de tous les torts : le pur des purs. En présence des bruta
441 u Roi avant la révolution de 1789. Au panégyrique et à la caricature, j’opposerai ici un témoignage limité, mais authentiq
442 uthentique. J’ai entendu Hitler pendant une heure et demie, à peu de distance de sa tribune, et je l’ai vu à la sortie de
443 heure et demie, à peu de distance de sa tribune, et je l’ai vu à la sortie de cette « manifestation monstre », — de ce cu
444 pressentir l’inconsciente angoisse de son peuple, et incarner à ses yeux un symbole d’espérance, de vengeance et de force
445 r à ses yeux un symbole d’espérance, de vengeance et de force collective. Un tel génie ne compte plus en tant qu’individu.
446 alités propres, de vices ou de vertus, comme vous et moi ; il n’a que les vertus symboliques de l’Allemand moyen. Il ne po
447 en. Il ne possède rien en propre, matériellement, et ne détient aucun pouvoir précis, aucun portefeuille dans le gouvernem
448 st d’inspiration, d’arbitrage entre les factions, et de prestige.) Il ne veut être appelé ni dictateur, ni maréchal, ni ro
449 ni dictateur, ni maréchal, ni roi, ni président, et il insiste sur ce point. Il n’avait même pas d’état civil allemand lo
450 inir ». Celui, comme je le disais, qui n’est rien et qui est tout. Un lieu de passage des forces de l’Histoire, le catalys
451 rces, qui sont là dressées devant vous, suscitées et coalisées par sa parole brutale et envoûtante. Et maintenant, vous po
452 ous, suscitées et coalisées par sa parole brutale et envoûtante. Et maintenant, vous pourriez le supprimer sans rien détru
453 et coalisées par sa parole brutale et envoûtante. Et maintenant, vous pourriez le supprimer sans rien détruire de ce qui s
454 très bien qu’elle n’appartient pas à l’individu, et même qu’elle ne saurait se manifester qu’autant que l’individu ne com
455 ée de ces masses, de leur âme humiliée, misérable et déçue, et qui cherchait partout des raisons de croire et d’espérer, d
456 masses, de leur âme humiliée, misérable et déçue, et qui cherchait partout des raisons de croire et d’espérer, des raisons
457 e, et qui cherchait partout des raisons de croire et d’espérer, des raisons de se dévouer corps et âme à un absolu. Il s’e
458 ire et d’espérer, des raisons de se dévouer corps et âme à un absolu. Il s’est donné pour l’Absolu, la Providence, le Dest
459 , le Destin des Allemands. Il a fait des miracles et dit des prophéties — et elles se sont réalisées — non pas au nom du C
460 s. Il a fait des miracles et dit des prophéties — et elles se sont réalisées — non pas au nom du Christ, mais au nom des i
461 nom de la race aryenne, de l’orgueil germanique, et de la foi nationaliste. Or, nous savons par l’Ancien Testament que le
462 qui annonce aux hommes le règne de l’Homme fort, et non la gloire du Dieu vivant. C’est pourquoi notre vraie défense cont
463 hef de l’Église confessante (Union des luthériens et calvinistes allemands), le pasteur Martin Niemöller, est actuellement
464 hrer pour dix ans. Cas unique, à ma connaissance, et qui revêt une signification extraordinaire dans sa simplicité. Mieux
12 1939, Articles divers (1938-1940). Il y a toujours des directeurs de conscience en Occident (juin 1939)
465 truchement de vulgarisateurs qui les trahissent), et les éditeurs (qui s’efforcent plutôt de refléter que de guider les go
466 je ne retiens que ceux qui répondent sérieusement et par principe aux lettres de lecteurs : un Gide, un Claudel… Ils sont
467 t les médecins de famille : ce n’est pas nouveau. Et les psychanalystes : c’est pratiquement limité au très petit nombre d
468 conséquence nécessaire de notre anarchie morale. Et cette anarchie résulte elle-même de la multiplicité et de l’impuissan
469 tte anarchie résulte elle-même de la multiplicité et de l’impuissance des ersatz de prêtres et de pasteurs que vous énumér
470 plicité et de l’impuissance des ersatz de prêtres et de pasteurs que vous énumérez. II. Mon principal directeur de c
471 nt tout se préoccuper de le prendre là où il est, et commencer là. Voilà le secret de tout secours… Pour aider réellement
472 s est défini par deux points : le point de départ et le point d’arrivée. Ou, selon les termes de Kierkegaard : le directeu
473 n, doit d’abord « prendre l’homme là où il est », et ensuite, il doit « en savoir davantage que lui », c’est-à-dire qu’il
474 éel. La direction de conscience perd toute valeur et tout sens, donc cesse d’exister comme direction, dès que l’on perd de
475 Point de direction de conscience sans orthodoxie. Et à l’inverse ; dès qu’une orthodoxie se remet à sévir, la fonction de
476 situation complexe où il se trouve, au but final et simple assigné à sa vie. Or nous voyons au xxe siècle plusieurs « or
477 , ou de la Race, ou de l’Empire, ou de la Nation, et elles entendent expressément subordonner toutes les activités de l’ho
478  ; elles leur imposent des déformations violentes et littéralement monstrueuses. Sur quoi vous proposez, bien entendu, « l
479 ie « universaliste », seule capable de « dépasser et dominer » ces pseudo-solutions partielles à prétentions totalitaires.
480 -solutions partielles à prétentions totalitaires. Et en effet, une doctrine réellement universaliste, c’est-à-dire embrass
481 plénitude. Un universalisme est donc souhaitable. Et tout le monde est d’accord pour le souhaiter. Mais qui peut « invente
482 iter. Mais qui peut « inventer » une orthodoxie ? Et surtout « universaliste » ? Il y faudrait un homme universel, nouvel
483 faudrait un homme universel, nouvel Adam indemne et pur, libre de toute partialité, donc sachant tout sans expérience, et
484 te partialité, donc sachant tout sans expérience, et qui, vainqueur du temps, verrait d’un seul regard nos origines et nos
485 r du temps, verrait d’un seul regard nos origines et nos fins dernières, d’où nous venons, où nous allons… À son défaut, t
486 rsalisme concevable, descriptible, à notre portée et à notre disposition, c’est-à-dire ayant son fondement dans le plan te
487 devenir le point de convergence de tous nos actes et de tous nos espoirs. Mais alors, c’est un objet de foi, car il échapp
488 la foi chrétienne est universaliste dans son élan et dans son espérance au-delà des diversités confessionnelles et dogmati
489 espérance au-delà des diversités confessionnelles et dogmatiques3. Elle est réellement totalitaire, parce qu’elle attend d
490 totalitaire, parce qu’elle attend dans la prière et l’obéissance la Rédemption de toute vie créée, la plénitude universel
491 je n’entends pas parler d’un retour à une église, et encore moins d’un retour au christianisme. Ce serait émettre un non-s
492 t qui dit : « Viens ! » au terme de l’Apocalypse. Et c’est ce mouvement-là qui crée l’Église quand il entraîne « deux ou t
493 t au-delà du monde, dans l’Éternel qu’elle espère et qu’elle prie, et vers lequel elle s’ouvre à l’infini. « Et l’Esprit e
494 e, dans l’Éternel qu’elle espère et qu’elle prie, et vers lequel elle s’ouvre à l’infini. « Et l’Esprit et l’Épouse disent
495 e prie, et vers lequel elle s’ouvre à l’infini. «  Et l’Esprit et l’Épouse disent : Viens ! Et que celui qui entend dise :
496 ers lequel elle s’ouvre à l’infini. « Et l’Esprit et l’Épouse disent : Viens ! Et que celui qui entend dise : Viens. Que c
497 nfini. « Et l’Esprit et l’Épouse disent : Viens ! Et que celui qui entend dise : Viens. Que celui qui a soif vienne, que c
498 ens confessants peuvent connaître la vraie nature et la signification, et cela dans la seule mesure où ils s’efforcent de
499 nt connaître la vraie nature et la signification, et cela dans la seule mesure où ils s’efforcent de le surmonter. q. Ro
13 1939, Articles divers (1938-1940). Nicolas de Flue vu par Denis de Rougemont (8 juillet 1939)
500 t au monde une œuvre nouvelle. Un seul coup d’œil et on les reconnaît : puissant, massif, les cheveux noirs en bataille, l
501 if, les cheveux noirs en bataille, le geste large et le sourire généreux, voici Honegger, le musicien. À ses côtés, plus r
502 , plus replié sur lui-même, le regard intelligent et un visage buriné par de longues méditations, voici Denis de Rougemont
503 es placards. Une rangée de pipes — toutes espèces et toutes tailles — en disent long sur la méditation qui a conduit à mat
504 t. Elle sera représentée à l’Exposition de Zurich et offerte au public suisse par le canton de Neuchâtel. Il y a quelque c
505 lèbres de son temps — suisse, ne l’oublions pas — et par un des écrivains les plus intelligents de sa génération. Neuchâte
506 nts de sa génération. Neuchâtelois de naissance — et d’origine. Bel exemple de fédéralisme. Notre Nicolas de Flue compre
507 répond Denis de Rougemont à une de mes questions. Et ces différences sont ? Il a fallu se plier aux conditions données par
508 fondeur. Tout ce qui est inutile devient ennuyeux et lourd, car il ne faut pas songer au talent des acteurs pour sauver un
509 t des acteurs pour sauver un texte si besoin est… Et pourquoi donc ? La scène de Zurich est immense et se trouve dans une
510 Et pourquoi donc ? La scène de Zurich est immense et se trouve dans une salle ouverte. En outre, la scène comprend trois é
511 tat d’une action individualiste, mais collective. Et comment avez-vous traduit, dans la pratique, ces nécessités ? M. Deni
512 ue. Il évolue du plan inférieur au plan supérieur et entraîne avec lui un des composants du spectacle, soit la foule, soit
513 eut dire ainsi. Ses paroles sont très concentrées et expriment une vérité massive qui doit frapper le public… D’ailleurs c
514 éral si net qu’elles prennent, de par leur esprit et leur forme, une actualité vivante. Mais comment faites-vous pour isol
515 as de Flue. On le met en vedette par des lumières et les autres composants restent dans la pénombre… Je précise encore que
516 mbre… Je précise encore que la salle est ouverte, et que la légende sera plus collective qu’individuelle. Maintenant, je m
517 a suivi, la pipe à la bouche, notre conversation. Et la musique ? D’abord, je vous dirai qu’il y a 30 parties musicales et
518 ord, je vous dirai qu’il y a 30 parties musicales et que le choral du premier acte par exemple forme le centre même de l’a
519 eront l’acteur numéro 1 du spectacle. Exactement. Et j’ai composé ma musique en tenant compte de cette particularité. Les
520 s chœurs s’expriment comme les chants d’oratorios et la musique les soutiendra. Seul un mot, parfois une phrase, émergera
521 nore. Ce sera comme un cri répété plusieurs fois. Et la conversation continue longuement sur les thèmes toujours riches de
522 st la joie qu’ils ont eue à créer une œuvre saine et forte. C’est aussi l’inquiétude d’en connaître les résultats. Qu’ils
523 ils se rassurent ! Quand on a œuvré avec son cœur et sa probité artistique, le public apprécie et s’incline. Cette résurre
524 cœur et sa probité artistique, le public apprécie et s’incline. Cette résurrection de Nicolas de Flue le prouvera en même
525 mps qu’elle donnera une grande leçon de tolérance et d’humanité. s. Rougemont Denis de, « [Entretien] Nicolas de Flue v
14 1939, Articles divers (1938-1940). Du mythe de Tristan et Iseut à l’hitlérisme (14 juillet 1939)
526 Du mythe de Tristan et Iseut à l’hitlérisme (14 juillet 1939)u v Il était juste que Denis
527 llectuel en chômage », qui traîna ses méditations et sa machine à écrire de la Vendée en Languedoc, et de la province à Pa
528 et sa machine à écrire de la Vendée en Languedoc, et de la province à Paris, installé dans ses meubles, avec une suspensio
529 s, installé dans ses meubles, avec une suspension et des draperies qui lui appartinssent en propre ?… Le voici à Paris pou
530 sent en propre ?… Le voici à Paris pour ma chance et fort Parisien, à ce qu’il me semble. Entre deux averses de cet été in
531 du petit jardin de la NRF. C’est un lieu ordonné et aménagé avec goût comme tout ce qui touche à la maison de la rue Séba
532 ure de géraniums rouges offre à l’œil un opportun et gracieux point d’appui. Tout invite à un entretien parfait. Tout, jus
533 ient de paraître dans la collection de la Pléiade et qui, posé sur la table, imprime à notre rencontre la note de la maiso
534 se faire dans la littérature une place bien à lui et qui n’est pas des moindres. Ce fils de la libre Suisse, qui a hérité
535 de la libre Suisse, qui a hérité de la conscience et du sérieux de ceux de sa race, qui s’attelle aux problèmes avec convi
536 lon, possède en même temps une ironie affectueuse et amusée qui allège ce que ses sujets et sa manière risqueraient d’avoi
537 ffectueuse et amusée qui allège ce que ses sujets et sa manière risqueraient d’avoir de légèrement pédant. Denis de Rougem
538 is de Rougemont anime les plus arides méditations et donne des ailes à la plus austère exégèse. Peut-être est-ce parce qu’
539 venue lui parler de l’amour, ou plutôt de L’Amour et l’Occident, son dernier livre. Si ma question ne vous paraît pas trop
540 Je songe au Journal d’un intellectuel en chômage, et surtout au Journal d’Allemagne qui fut accueilli avec une telle faveu
541 es les plus brûlants de la société d’aujourd’hui, et c’est surtout à cet aspect de la question que j’ai songé en me mettan
542 faire un livre court traitant du mythe de Tristan et de la décadence de la conception du mariage. Les idées me sont venues
543 stan avec la tradition courtoise, les troubadours et le catharisme. C’est ainsi que les livres II à V de L’Amour et l’Occ
544 me. C’est ainsi que les livres II à V de L’Amour et l’Occident , consacrés aux origines religieuses du mythe, à passion e
545 crés aux origines religieuses du mythe, à passion et mysticisme, au mythe dans la littérature, à l’amour et la guerre, ont
546 sticisme, au mythe dans la littérature, à l’amour et la guerre, ont été trouvés en cours de route. Mais les hypothèses his
547 e nous des silences qui me font dire qu’il a fini et que je dois poser une question. Mais non, le voici qui reprend. Au dé
548 ne songeais qu’au problème individuel de l’amour et du mariage. C’est en creusant les conceptions sociologiques, peut-êtr
549 t-être sous l’influence du Collège de sociologie, et en partant non plus des relations économiques, mais de ce qui est sac
550 st une légende reprise dans cinq textes officiels et certainement dans de plus nombreuses versions non connues. D’où vient
551 ur ? J’ai cherché ce qui lui ressemblait le plus, et j’ai trouvé que c’était la poésie des troubadours. Quant à savoir d’o
552 guedoc, en Provence, dans une partie de l’Espagne et de l’Italie, le mouvement cathare. D’après ce que nous en savons, il
553 ers d’entre eux. C’est sur des faits de cet ordre et sur toute une série d’analogies dans l’expression, que j’ai fondé mon
554 La passion a des racines naturelles. L’antiquité et l’Orient connaissaient les mêmes germes, seulement la passion y était
555 siècle, sous l’influence de la mystique cathare et de la poésie des troubadours, la passion reçoit droit de cité. Elle p
556 avec plus ou moins de succès, le roman de Tristan et Iseut. Vous soutenez cette opinion paradoxale que Tristan et Iseut, c
557 ous soutenez cette opinion paradoxale que Tristan et Iseut, couple de parfaits amants, ne s’aimèrent pas. À la manière don
558 ous, il n’est pas de synthèse possible entre Éros et Agapè ? J’ai tenté une esquisse de synthèse à la fin de mon livre, en
559 vant de passer à la synthèse. En écrivant L’Amour et l’Occident, vous avez réhabilité les problèmes de la passion qui n’ét
560 e l’amour sans ironie comme sans sentimentalisme. Et j’ai surtout rencontré la faveur du public féminin content de voir ex
561 venu à envisager le parallélisme entre la guerre et l’amour ? Je ne peux me retenir plus longtemps de poser cette questio
562 is il n’existait pas de distinction entre l’amour et la guerre. Le lansquenet de l’ancien temps avait le goût de la guerre
563 ne espèce de jeu avec des règles, un commencement et une fin, ce qui est la définition même du jeu. Certes, on ne peut pas
564 ur. Les peuples les plus guerriers sont l’Espagne et la France ; l’Allemagne ne vient que loin derrière, — l’Allemagne d’a
565 ? Il y a certainement une source commune à Hitler et aux romantiques allemands ; il y a certainement une analogie profonde
566 nde entre les réactions collectives des Allemands et les rêves d’un Allemand. Quand les formes se disloquent, le mythe n’e
567 en par le marxisme que par l’économie bourgeoise. Et cette négligence se venge maintenant en suscitant des mouvements pass
568 emont Denis de, « [Entretien] Du mythe de Tristan et Iseut à l’hitlérisme », Tribune de France. Hebdomadaire de la reconst
15 1939, Articles divers (1938-1940). Comment j’ai écrit Nicolas de Flue (3 novembre 1939)
569 ar hasard un livre sur la vie de Nicolas de Flue. Et je tombai sur le récit de la Diète de Stans, c’est-à-dire sur le réci
570 ouffle, le peuple attend les cloches fatidiques : et d’un coup le même « Alléluia ! » parce qu’un homme a osé, quand tout
571 quand tout était perdu, croire encore au miracle et l’accomplir ! Le message de l’ermite du Ranft prenait en ce soir-là d
572 rouvé — Honegger, le puissant auteur du Roi David et d’Antigone — et dès le mois de mai de cette année, sous l’égide de l’
573 , le puissant auteur du Roi David et d’Antigone — et dès le mois de mai de cette année, sous l’égide de l’Institut neuchât
574 t neuchâtelois, 500 personnes, acteurs, choristes et figurants se mirent joyeusement à l’ouvrage pour réaliser le spectacl
575 réaliser le spectacle. Ce magnifique effort d’art et de patriotisme devait trouver son couronnement lors des deux journées
576 t su écarter. C’était l’échec tragique de Nicolas et du message fraternel que le drame allait nous redire. Et cependant no
577 essage fraternel que le drame allait nous redire. Et cependant nous n’avons pas perdu courage. La foi de Nicolas domine le
578 st encore le grand symbole de notre Confédération et de sa mission en Europe. Plus que jamais, dans ces heures sérieuses,
579 tées à votre intention par les acteurs, choristes et musiciens qui s’étaient préparés pour Zurich. (Compagnie de la Saint-
580 Compagnie de la Saint-Grégoire, Chorales du Locle et de La Chaux-de-Fonds, dirigées par M. Charles Taller, Fanfare des Arm
16 1939, Articles divers (1938-1940). Pourquoi nous sommes là (décembre 1939)
581 gros flocons humides sur un vallon du haut Jura. Et la neige fond dans la boue. Je débouche entre deux sapins pleureurs,
582 pé dans une toile de tente raidie par l’humidité. Et je constate que mes hommes ont cessé de creuser leur trou de mitraill
583 nfumer autour d’un feu de branches mortes, mornes et ronchonneurs, à la lisière d’un bois. J’essaie de les réconforter. Si
584 Silence, réprobation muette. Je prends une pioche et tape deux coups : la terre gicle sur mes joues glacées et sur mon cas
585 deux coups : la terre gicle sur mes joues glacées et sur mon casque. Les hommes me regardent, et ils ne rient même pas. L’
586 acées et sur mon casque. Les hommes me regardent, et ils ne rient même pas. L’un d’eux entre ses dents : « On se demande c
587 eurs, vous avez bien raison de vous le demander ! Et je me le demande encore, devant ce papier blanc : pourquoi sommes-nou
588 tres d’ici commencent les tranchées de la guerre, et des hommes meurent. Pourquoi cette guerre, pourquoi ces morts ? Parce
589 allemandes, tchèques, slovaques ou ukrainiennes. Et pourquoi ne l’ont-ils pas su ? Parce que tous ils s’imaginaient — ou
590 ou croyaient devoir s’imaginer ! — que le bonheur et la force d’un peuple dépendent de sa grandeur physique, de sa mise au
591 ce que les peuples autour de nous font la guerre, et s’ils la font, c’est parce qu’ils n’ont pas su, comme nous les Suisse
592 illite retentissante des systèmes centralisateurs et gigantesques. C’est la guerre la plus antisuisse de toute l’histoire.
593 ite, attestée par le sang, que la solution suisse et fédérale est seule capable de fonder la paix, puisque l’autre aboutit
594 gent à le reconnaître avec une tragique évidence. Et c’est cela que nous avons à défendre : le seul avenir possible de l’E
595 ges, des conseils d’administration, notre confort et nos hôtels. D’autres — on sait qui — feraient marcher tout cela aussi
596 st pas non plus pour protéger nos « lacs d’azur » et nos « glaciers sublimes ». (Certain ministre de la propagande se char
597 -même, de garder son trésor, d’affirmer sa santé, et de sauver son avenir. Si nous trahissons cette mission, si nous n’en
17 1939, Articles divers (1938-1940). Nicolas de Flue : naissance d’un drame (Noël 1939)
598 n Nocturne dans le théâtre goldonien de la Fenice et je me disais une fois de plus : j’écrirai quelque chose pour cet homm
599 uoi la guerre fit un pas lourd dans notre Europe, et cette approche assourdissante fascina tout entendement. C’est à ce mo
600 ettre mon casque ; enfin je n’avais pas de sujet, et je défiais quiconque d’en trouver un, en Suisse, qui fût de taille à
601 ista, je demandai trois jours « pour réfléchir », et n’en fis rien. J’étais certain qu’avant le terme, la catastrophe régl
602 out. Sur quoi, le coup de téléphone que j’ai dit, et toute la vie qui se reprend à vivre, les délais à courir, le sujet à
603 n grand drame religieux au seuil de la Réforme, —  et déjà des dialogues esquissés, ces relations faites par des pèlerins m
604  : la cellule silencieuse de l’ermite, au centre, et tout autour le jeu bruyant du monde, et ces deux files de pèlerins, l
605 u centre, et tout autour le jeu bruyant du monde, et ces deux files de pèlerins, l’une qui descend à droite, l’autre qui v
606 résistiblement, impitoyablement. Dans l’obscurité et la fièvre, je perçois mille correspondances. Cette Diète de Stans où
607 écrite, bien entendu, mais tout entière organisée et déployée dans mon esprit. Elle ne s’est guère modifiée depuis lors. D
608 e suite au style lyrique monumental des prophètes et des psalmistes. Nul autre ne possède, dans notre tradition, cette vio
609 r à la fois à la déclamation d’un chœur en marche et au dialogue, forcément sans nuances, de personnages quasi mythiques.
610 e même de l’œuvre en marche. L’accord du musicien et de l’auteur était si parfaitement préétabli que je ne fus pas étonné
611 ques que j’avais inventés en composant mes chœurs et mes récitatifs, — et que je m’étais bien gardé de lui chanter ! On sa
612 ntés en composant mes chœurs et mes récitatifs, —  et que je m’étais bien gardé de lui chanter ! On sait la suite : tout ét
613 sement fortuit d’une série de petits faits privés et d’une série de faits européens, devait subir, à partir de ce jour, le
614 tion. On voit la part déterminante que l’occasion et les données de fait ont joué dans cette création (scène de Zurich, ch
615 joué dans cette création (scène de Zurich, chœurs et fanfares disponibles en pays neuchâtelois). On devine aussi à quelles
616 rmi nous, foule, parmi nous. Descends ! clémente et pacificatrice — ô voix pareille à la rosée ! — Viens te poser sur le
617 n cris de joie ! Oui, tous en chœur, levez-vous et chantez ! Dans la paix que notre Dieu nous envoie Oui, tous, enco
618 otre Dieu nous envoie Oui, tous, encor, jubilez et riez ! Battez des mains, peuple, pour Nicolas, Unissez-vous à l’é
619 vous à l’éclat des fanfares Vous tous, au loin, et quiconque entendra : Louez la paix, mémorable victoire ! Alléluia
620 Nicolas de Flue : naissance d’un drame », Formes et couleurs, Lausanne, Noël 1939, p. 1-2.
18 1940, Articles divers (1938-1940). L’homme au poignard enguirlandé (1940)
621 er la Suisse de Manuel à l’Helvétie des manuels ! Et qu’importe le calembour, s’il fait hésiter les corrects dans un pays
622 erre en Italie pour le plaisir d’un sang violent, et quand les lansquenets trichaient au jeu mortel, quand les canons détr
623 t l’art des armes, on rentrait écœuré mais libre, et l’on exhalait sa colère dans un chant débordant d’injures : « Tu mens
624 qui parle en ses Tragiques d’une nuit Où l’Amour et la Mort troquèrent leurs flambeaux. Par le pinceau, par l’épée et la
625 èrent leurs flambeaux. Par le pinceau, par l’épée et la plume, Manuel n’a cessé de provoquer la mort. Dans toute son œuvre
626 yrisme, elle tient le lieu de la passion d’amour, et c’est elle qu’il invite à la danse avec une fougue adolescente, une p
627 peur naïve, un courage chrétien. Mort des martyrs et mort bourgeoise, mort soldatesque et mort de carnaval, vierge, paysan
628 des martyrs et mort bourgeoise, mort soldatesque et mort de carnaval, vierge, paysanne, ou fille à lansquenets, c’est tou
629 sa vie : toujours vêtue aux couleurs de sa fièvre et de sa nouvelle aventure. Pourquoi les hommes les plus vivants de cett
630 mour ? Urs Graf, Holbein, Hans Kluber, Grünewald, et tant d’autres, connus ou anonymes, dira-t-on que ce fut leur romantis
631 antisme ? Mais non, le romantisme est littéraire, et ces hommes ont le regard net, accoutumé à taxer le réel avec une dure
632 Suisse est au sommet de son élan vers la conquête et la richesse ; au comble de sa gloire, et de son risque. Elle n’a jama
633 conquête et la richesse ; au comble de sa gloire, et de son risque. Elle n’a jamais été moins neutre, moins confinée dans
634 deur. Elle est sérieuse parce qu’elle est menacée et menaçante ; parce qu’elle est tout le contraire d’un pays d’« assurés
635 ut le contraire d’un pays d’« assurés ». Sérieuse et impétueuse, comme ceux qui savent que la vie n’est pas le but de la v
636 ut de la vie, qu’elle ne mérite pas de majuscule, et qu’elle est quelque chose qui doit brûler, flamber, et non pas rappor
637 ’elle est quelque chose qui doit brûler, flamber, et non pas rapporter du trois pour cent. Sérieuse comme ce qui compte av
638 ce qui compte avec l’esprit, — avec la profondeur et la hauteur sans quoi toute vie demeure plate et basse. ⁂ Quanta bell
639 r et la hauteur sans quoi toute vie demeure plate et basse. ⁂ Quanta bella giovinezza Che si fugge tuttavia ! Chi vuo
640 za. Ainsi chantait Laurent le Magnifique. Manuel et ses contemporains savent et disent à leur manière que de demain rien
641 le Magnifique. Manuel et ses contemporains savent et disent à leur manière que de demain rien n’est certain. Mais ce qu’il
642 qu’ils sentent menacé, ce n’est point la jeunesse et l’amour, je ne sais quel printemps platonicien, c’est la vie savoureu
643 el printemps platonicien, c’est la vie savoureuse et forte qui figure à leurs yeux le train normal de l’homme. Leur œuvre
644 mps tu le retrouveras ; donnes-en une part à sept et même à huit, car tu ne sais pas quel malheur peut arriver sur la terr
645 érons aujourd’hui l’éloge de la vie au grand air. Et tout se passe comme si le souci de l’hygiène, et celui de l’épargne d
646 Et tout se passe comme si le souci de l’hygiène, et celui de l’épargne dans tous les domaines, tuaient en nous le sens mé
647 t du premier, le gigantisme méthodique du second. Et quant à l’élégance dans le style énergique, ou au contraire à l’énerg
648 samment significative. Le sens des fins dernières et une facture, ce qu’il faut pour faire du grand art, pour composer des
649 pour faire du grand art, pour composer des hommes et des paysages dans une architecture théologique, c’est à peu près ce q
650 i se soucie d’abord de composer. Entre une épaule et une arcade, vous découvrez un lac entouré de cultures, de beaux champ
651 de cultures, de beaux champs gras, des laboureurs et des bateaux, toute une nature à la mesure de l’homme, portant les mar
652 esure de l’homme, portant les marques de l’usage, et dominée par quelques Alpes qui sont des vagues à peine figées dans le
653 à peine figées dans leur élan. Une Suisse réelle, et non pas un décor ; non pas un état d’âme vaporeux, comme les idylles
654 erre des hommes, vue par les yeux de qui l’habite et l’utilise, et non point des « paysages » ou des « vues » que l’« Art 
655 s, vue par les yeux de qui l’habite et l’utilise, et non point des « paysages » ou des « vues » que l’« Art » dissout en i
656 es « vues » que l’« Art » dissout en impressions, et que la photo durcit et fixe comme nul regard vivant n’a jamais rien p
657  » dissout en impressions, et que la photo durcit et fixe comme nul regard vivant n’a jamais rien perçu. ⁂ Mais je m’attar
658 s rien perçu. ⁂ Mais je m’attarde à ces tableaux, et Manuel n’est pas un « artiste » au sens moderne et bien suspect du te
659 t Manuel n’est pas un « artiste » au sens moderne et bien suspect du terme. Un beau jour, fatigué de signer d’un poignard
660 iers du chevalier de Stein, va combattre à Novare et pille la cité, assiste à la défaite de la Bicoque, crie son indignati
661 oque, crie son indignation dans un furieux poème, et s’en revient à Berne pour y faire la Réforme. Il écrira d’abord des j
662 vérité bien plus que des satires « contre le pape et sa séquelle » : des catéchismes illustrés, tout comme sa Danse des mo
663 vers : Amen. Scellé avec le poignard suisse16. Et voilà qui résume toute sa vie. Car ce poignard, c’était déjà celui qu
664 du guerrier suisse, signe des vieilles libertés ; et maintenant c’est le sceau des poèmes qu’il dédie « à la gloire de Die
665 arrières monotones. Mais la grandeur d’un Manuel, et de plusieurs à son époque, est d’avoir su conduire leur vie vers un b
666 but qui transcende toutes nos activités. Fougueux et appliqué dans sa peinture, Manuel n’hésite pas un instant à planter l
667 uel n’hésite pas un instant à planter là pinceaux et chevalet lorsqu’ayant dominé son art, il entrevoit une action plus ur
668 ? Peut-être à la recréation d’une unité de rythme et de vision au sein d’un monde qui perdait ses mesures. Et quand le lie
669 ision au sein d’un monde qui perdait ses mesures. Et quand le lieu du grand débat devient enfin l’Église et sa réforme, co
670 and le lieu du grand débat devient enfin l’Église et sa réforme, courant toujours au plus pressé, au plus vivant, Manuel s
671 i l’unité de sa vie dans la recherche d’une forme et d’un sens. Si l’art n’y suffit pas, c’est que le mal est profond : d’
672 ». Rappelons alors que ce guerrier fut bon époux, et bon père de six enfants ; que cet artiste, l’un des plus grands de so
673 éformation. L’année même où pour divertir Zwingli et ses savants collègues il leur envoie le manuscrit d’une satire contre
674 e s’il croyait au fond qu’on devrait tout savoir, et que pourtant… C’est la passion de la Renaissance, si l’on veut. Je cr
675 nuel apparut parmi nous comme un flambeau brûlant et éclatant. Survint alors la maladie qui nous l’arrache dans sa 46e ann
676 i nous montre, à la fin de sa vie, un regard doux et perspicace, un visage aigu de malade, peint avec la véracité d’un hom
677 nd. Gott sye lob ! – La plupart des autres drames et satires de Manuel se terminent par la mention du « Schwyzerdegen », q
19 1940, Articles divers (1938-1940). Mission spéciale (1940)
678 tres d’ici commencent les tranchées de la guerre, et des hommes meurent. Pourquoi cette guerre, pourquoi ces morts ? Parce
679 tre fédéralisme séculaire l’a résolu par le droit et le fait, sur des bases chrétiennes et pratiques, dans un esprit de so
680 ar le droit et le fait, sur des bases chrétiennes et pratiques, dans un esprit de solidarité que symbolise exactement notr
681 ue les peuples autour de nous se font la guerre ; et s’ils la font, c’est parce qu’ils n’ont pas su se fédérer progressive
682 ite, attestée par le sang, que la solution suisse et fédérale est seule capable de fonder la paix, puisque les autres abou
683 gent à le reconnaître avec une tragique évidence. Et c’est cela que nous avons à défendre en défendant notre patrie : le s
684 t pas seulement pour protéger nos « lacs d’azur » et nos « glaciers sublimes ». Si nous sommes là, c’est pour exécuter la
685 -même, de garder son trésor, d’affirmer sa santé, et de sauver son avenir. Tel est le sens de notre indépendance, et telle
686 on avenir. Tel est le sens de notre indépendance, et telle est la mission spéciale qui justifie notre neutralité. av. R
20 1940, Articles divers (1938-1940). D’un certain cafard helvétique (janvier 1940)
687 lleur moyen de soutenir le moral, c’est l’action. Et non pas les distractions. Les hommes qui se battent, par exemple, son
688 vé dans son action. C’est bien pire qu’une totale et irrémédiable inaction. Cela ressemble aux cauchemars ; quand on ne pe
689 raps. Or c’est à cette sorte-là de démoralisation et de cafard que se trouvent exposés aujourd’hui les petits pays neutres
690 ailler pour leur pays, qui sont pleins de projets et d’espoirs, qui ont cru en septembre 1939 que notre mobilisation allai
691 on allait ouvrir des possibilités d’action morale et nationale sans précédent, — et qui, après trois ou quatre mois, sont
692 és d’action morale et nationale sans précédent, —  et qui, après trois ou quatre mois, sont en train comme on dit de se dég
693 ntrer dans le rang ». Essayez de lancer un projet et d’y consacrer toutes vos forces, on vous traitera vite « d’utopiste »
694 , j’entends du sentiment de solidarité, d’équipe, et de virile entraide, qui a forgé notre fédération, et l’a préservée ju
695 de virile entraide, qui a forgé notre fédération, et l’a préservée jusqu’ici de la tentation dictatoriale. Nous nous méfio
696 yens les plus conscients de sa mission historique et actuelle trouvent les moyens d’exprimer cette mission, et surtout de
697 lle trouvent les moyens d’exprimer cette mission, et surtout de la réaliser. La DAC est un de ces moyens ; bien modeste,
698 es moyens ; bien modeste, mais il faut commencer. Et j’en profite pour dire, ici, à tous ceux qui veulent faire quelque ch
699 ci, à tous ceux qui veulent faire quelque chose — et ils sont plus nombreux que jamais — ; ne vous laissez pas engluer par
700  ; ne vous laissez pas engluer par les sceptiques et les faux réalistes, par tous ceux qui ne savent prendre au sérieux qu
701 arce qu’il y a ces obstacles que nous devons agir et réagir. Quand le premier enthousiasme est tombé, l’heure est venue d’
702 mont. Adjudance générale de l’Armée Section Armée et Foyer   aa. Rougemont Denis de, « D’un certain cafard helvétique »
21 1940, Articles divers (1938-1940). Les Suisses sont-ils « à la hauteur » de la Suisse ? (20 janvier 1940)
703 t avec cela beaucoup de littérature de manuels, —  et en même temps un peu d’argent, je crois. Tant pis pour les manuels et
704 peu d’argent, je crois. Tant pis pour les manuels et tant mieux pour l’argent. Mais il y a sans doute autre chose à tirer
705 èges », si nous voulons les préserver. Neutralité et beautés naturelles ont été trop longtemps considérées soit d’un point
706 utilitaire ou touristique. C’est-à-dire trop haut et trop bas. Il est grand temps d’abandonner cette attitude que beaucoup
707 esprit même de la Suisse, « peuple d’instituteurs et d’hôteliers », comme chacun sait… Qu’on y prenne garde : si nous somm
708 si nous sommes neutres, si nos Alpes sont belles et nos glaciers « sublimes », il n’y a pas là de quoi nous vanter. D’abo
709 utres Suisses du xxe siècle, dans notre histoire et notre géographie. Ensuite, si nous bénéficions de privilèges considér
710 er un privilège, après tout, c’est de le mériter. Et de prouver en fait que l’on est seul à pouvoir l’exercer dignement. O
711 nous chantons nos glaciers qui touchent aux deux, et nous en retirons d’importants bénéfices, mais nous oublions trop souv
712 raient-ils pas aussi capables que nous de chanter et de gagner de l’argent, si nous étions contraints de leur céder la pla
713 céder la place ? Sommes-nous vraiment plus dignes et plus conscients que d’autres des « charges » que supposent de pareils
714 ait un ensemble prodigieux de choses harmonieuses et magnifiques, pleines de la grandeur de Dieu. Je me suis retourné, me
715 suis retourné, me demandant à quel être supérieur et choisi la nature servait ce merveilleux festin de montagnes, de nuage
716 ait ce merveilleux festin de montagnes, de nuages et de soleil, et cherchant un témoin sublime à ce sublime paysage. Il y
717 leux festin de montagnes, de nuages et de soleil, et cherchant un témoin sublime à ce sublime paysage. Il y avait un témoi
718 , car du reste l’esplanade était sauvage, abrupte et déserte. Je n’oublierai cela de ma vie. Dans une anfractuosité du roc
719 osse pierre, un idiot, un goitreux, à corps grêle et à face énorme, riait d’un air stupide, le visage en plein soleil, et
720 iait d’un air stupide, le visage en plein soleil, et regardait au hasard devant lui. Ô abîme ! les Alpes étaient le specta
721 mble « la posture la plus misérable de l’homme ». Et je suis loin de penser que nous sommes des crétins ! Je dis seulement
722 ». Non, ce n’est pas si facile que cela d’habiter et de posséder un pays dont l’altière beauté menace sans cesse d’écraser
723 er l’homme qui voudrait simplement s’y complaire, et qui oublie qu’on peut aussi l’y comparer. Être Suisse, ce n’est pas u
724 y faut aujourd’hui l’endurance, la longue audace et la maîtrise de soi de l’« alpiniste » justement, et non pas seulement
725 la maîtrise de soi de l’« alpiniste » justement, et non pas seulement la sympathie distante du spectateur, touriste ou hô
22 1940, Articles divers (1938-1940). La Suisse que nous devons défendre. I : Les voix que rien n’arrête (24 février 1940)
726 s avons hermétiquement fermé toutes les fissures, et plus rien ne passe. Murailles naturelles, Alpes, fleuves, Jura ; larg
727 es barbelées, ceinture fortifiée, pièces chargées et , derrière tout cela, l’armée qui guette et qui travaille encore dans
728 argées et, derrière tout cela, l’armée qui guette et qui travaille encore dans les forêts, dans les ravins et dans les cha
729 travaille encore dans les forêts, dans les ravins et dans les champs neigeux ; et derrière l’armée, un peuple entier qui g
730 êts, dans les ravins et dans les champs neigeux ; et derrière l’armée, un peuple entier qui guette, et qui travaille lui a
731 et derrière l’armée, un peuple entier qui guette, et qui travaille lui aussi jour et nuit, dans les bureaux et les usines
732 ntier qui guette, et qui travaille lui aussi jour et nuit, dans les bureaux et les usines — pour que rien ne passe. Fronti
733 ravaille lui aussi jour et nuit, dans les bureaux et les usines — pour que rien ne passe. Frontières closes, pays forclos,
734 closes, pays forclos, reclus dans ses sécurités. Et rien ne passe. Sommes-nous bien sûrs que réellement plus rien ne pass
735 se ? Certes, toutes ces barrières doivent suffire et suffiront pour arrêter les hommes, les chars d’assaut et les armées d
736 iront pour arrêter les hommes, les chars d’assaut et les armées d’envahissement. Mais les plus épaisses murailles ne peuve
737 ns de mystère qui circulent au-dessus de l’Europe et que, parfois, quand vous cherchez un poste à la radio, vous captez sa
738 s secrets que rien ne saurait empêcher de passer, et qui peut-être vont nous apporter des nouvelles beaucoup moins rassura
739 p moins rassurantes que les discours patriotiques et officiels ? Figurez-vous que vous êtes, en cet instant, devant un pos
740 s êtes, en cet instant, devant un poste de radio, et que j’arrête tout exprès le petit trait lumineux du cadran sur l’un d
741 ai de l’interpréter. Depuis une dizaine d’années, et plus précisément depuis 1933, la face de l’Europe a changé. Il est te
742 Il est temps de nous en rendre compte. Autrefois, et naguère encore, il suffisait à une nation de déclarer son sol sacré,
743 stion. Il n’y avait pas d’autre raison à chercher et à proclamer que cette raison tout instinctive. À cette époque, on ne
744 effet conquérir un pays qu’au moyen d’une armée, et les armées n’ont jamais occupé autre chose que du terrain. C’était do
745 tionale. Souvenez-vous des tragédies autrichienne et tchécoslovaque. L’armée ne vient qu’en dernier lieu, quand le princip
746 nd le principal a été fait par les agents secrets et les propagandistes. Et que disent ces propagandistes ? Ils proclament
747 ait par les agents secrets et les propagandistes. Et que disent ces propagandistes ? Ils proclament une doctrine politique
748 t volontiers que chaque État était voulu de Dieu, et qu’il jouissait par conséquent d’une légitimité indiscutable. La prop
749 créés par Dieu, mais par le traité de Versailles. Et c’est bien vrai. Elle dit aussi que d’autres États, et en particulier
750 est bien vrai. Elle dit aussi que d’autres États, et en particulier les petits États, ont été créés, eux aussi, par d’autr
751 istoire. Elle proclame que les nations « jeunes » et « dynamiques » ont droit à un espace vital, lequel espace englobe, co
752 dirigeants, la victoire lui est acquise d’avance. Et les ceintures de fortifications les mieux conçues ne serviront de rie
753 raison d’être, si nous osons encore le proclamer, et si nous en gardons une conscience claire et forte. Elles nous mettent
754 amer, et si nous en gardons une conscience claire et forte. Elles nous mettent au défi de produire le « pourquoi » de notr
755 défi de produire le « pourquoi » de notre défense et de notre volonté d’autonomie. Elles nous forcent, non sans brutalité,
756 dont nous ne serions pas sûrs qu’elle a le droit et le devoir d’exister, devant Dieu. On n’a pas le droit de mourir pour
757 ience sérieuse des raisons de vivre de la Suisse, et de nos raisons de vivre en tant que Suisses. Il nous faut tout d’abo
758 bord écarter un certain nombre de fausses raisons et d’illusions, de phrases toutes faites et de clichés patriotiques. Que
759 raisons et d’illusions, de phrases toutes faites et de clichés patriotiques. Que mes lecteurs ne s’étonnent donc pas trop
760 rait inutile, si nous ne cherchions pas ensemble, et surtout si nous ne trouvions pas, par-dessous les grandes phrases hab
761 euses « libertés », puis de notre « neutralité ». Et ce sera pour découvrir le sens positif de ces termes, pour les sauver
762 banalité scolaire, officielle ou journalistique, et pour en dégager enfin la vocation concrète de la Suisse. 5. Voir L
23 1940, Articles divers (1938-1940). La Suisse que nous devons défendre. II : Sommes-nous libres ? (2 mars 1940)
763 ous ont acquises au prix de leur héroïsme civique et militaire, et qui sont un modèle pour l’Europe. » Oui, certes. Mais,
764 es au prix de leur héroïsme civique et militaire, et qui sont un modèle pour l’Europe. » Oui, certes. Mais, en fait, que s
765 en fait, que sont devenues ces libertés illustres et antiques, ces privilèges démocratiques qu’on nous envie ? Avons-nous
766 vons-nous bien le droit de nous en vanter encore, et suffit-il de s’en vanter pour qu’elles subsistent ? La liberté n’est
767 t ne sait pas les mériter par ses manières d’être et de penser. Un jour, écrit Goethe, les Suisses se délivrèrent d’un ty
768 usqu’à satiété, qu’ils se sont affranchis un jour et qu’ils sont demeurés libres. En vérité, derrière leurs murailles, ils
769 lles, ils ne sont plus esclaves que de leurs lois et de leurs coutumes, de leurs commérages et de leurs préjugés bourgeois
770 rs lois et de leurs coutumes, de leurs commérages et de leurs préjugés bourgeois. Je n’oublie pas que Goethe écrivait cel
771 z nous, ne se fréquentent pas, ne se parlent pas, et souvent ne se saluent plus ! On dirait presque qu’ils croient que l’a
772 eaucoup mieux les façons de vivre de notre voisin et le mystère de son existence. On me dira peut-être que ces considérati
773 ations n’ont pas grande importance, actuellement, et que les libertés qu’il s’agit de défendre, en ce mois de mars 1940, s
774 ue nos libertés politiques ne sauraient subsister et garder leur valeur concrète que si nous conquérons une plus grande li
775 si nous conquérons une plus grande liberté morale et intellectuelle. Car les unes ne vont pas sans les autres, et toute no
776 tuelle. Car les unes ne vont pas sans les autres, et toute notre histoire en témoigne. « Une politique de liberté ne peut
777 esprits libres. » Les deux libertés, l’extérieure et l’intérieure, ont toujours été liées dans notre histoire. C’est parce
778 nt la passion de leurs libertés sociales, civiles et quotidiennes qu’ils ont voulu se libérer du joug autrichien. Et c’est
779 s qu’ils ont voulu se libérer du joug autrichien. Et c’est parce que les Suisses du xviiie siècle ne jouissaient plus d’u
780 s insister sur ce point : si nous perdons le sens et le goût de la liberté quotidienne, celle qui se manifeste dans la div
781 dans la diversité infinie des manières de penser et de vivre, nos libertés politiques ne pourront subsister longtemps, et
782 ertés politiques ne pourront subsister longtemps, et alors c’en sera fait de noire liberté vis-à-vis de l’étranger, c’est-
783 tre assez inattendus. Ce sont la paresse d’esprit et l’égalitarisme. Voici ce que j’entends par la paresse d’esprit : les
784 e pas à première vue dans des catégories moyennes et bien connues, telles que bon ou méchant, droite ou gauche, ami de l’o
785 s dictatoriales. Il y avait quelque chose de sain et de profondément démocratique dans l’effacement volontaire des plus gr
786 uer. Pourquoi ? Parce que c’est bien plus simple, et plus facile de tout ramener à des mesures médiocres et uniformes. C’e
787 us facile de tout ramener à des mesures médiocres et uniformes. C’est bien plus simple et plus facile que de tenir compte
788 es médiocres et uniformes. C’est bien plus simple et plus facile que de tenir compte des vivantes complexités, des vocatio
24 1940, Articles divers (1938-1940). La Suisse que nous devons défendre. III : Pourquoi nous devons rester neutres (9 mars 1940)
789 -nous, dans cette guerre-ci, aux yeux de l’Europe et à nos propres yeux, notre situation privilégiée de neutres ? Il sembl
790 e que depuis quelques années, nous avons renoncé, et c’est heureux, à regarder notre neutralité comme une chose qui irait
791 imaginables, qui nous serait due sans discussion et même sans contrepartie, et qui représenterait, en somme, un privilège
792 it due sans discussion et même sans contrepartie, et qui représenterait, en somme, un privilège de droit divin. Nous savon
793 e tout homme le pousse toujours à prendre parti ; et qu’enfin nous devons la justifier, sous peine de passer pour des lâch
794 guerre, enfin, parce que notre diversité raciale et religieuse risquerait d’entraîner la dislocation de notre fédération,
795 ous dit-on, parce que les traités nous y forcent. Et certes, aux yeux d’un chrétien et d’un Suisse, les traités ne seront
796 nous y forcent. Et certes, aux yeux d’un chrétien et d’un Suisse, les traités ne seront jamais de simples chiffons de papi
797 la fidélité à la parole jurée, le nom l’indique, et surtout en allemand : Eid-Genossenschaft, communauté de ceux qui ont
798 ibre stratégique peut tomber d’un jour à l’autre. Et la preuve que nous ne la prenons pas au sérieux, c’est que nous resto
799 1918 lorsque le fameux « fossé » séparait Welches et Suisses allemands. Aujourd’hui, nous sommes unanimes… Que reste-t-il
800 sentent plus une raison suffisante de s’abstenir, et d’autre part, qu’ils n’ont plus guère de force convaincante pour nos
801 lus guère de force convaincante pour nos voisins, et par suite, ne sont plus pour nous cette garantie morale dont nous avo
802 s avons un besoin réellement vital. Si maintenant et malgré tout j’affirme que la Suisse a le devoir de rester neutre, ce
803 ne saurait être un privilège, c’est une charge ! Et ce serait bien mal la défendre que de la défendre au nom de nos seuls
804 re au nom de nos seuls intérêts, car elle ne peut et ne doit subsister qu’au nom de l’intérêt de l’Europe entière. Seule,
805 le, la mission positive de la Suisse rend un sens et un poids aux arguments que nous jugions tout à l’heure insuffisants.
806 entiquement par le présent Acte que la neutralité et l’inviolabilité de la Suisse, et son indépendance de toute influence
807 ue la neutralité et l’inviolabilité de la Suisse, et son indépendance de toute influence étrangère, sont dans les vrais in
808 s intérêts de la politique de l’Europe entière. » Et j’en arrive, ici, au centre même de tout ce que je voulais dire dans
809 dans cette série d’articles : le seul moyen réel et réaliste de conserver nos privilèges, c’est de les considérer dorénav
810 e représentait une charge autant qu’un privilège, et même le privilège était subordonné à la charge ; il n’avait d’autre b
811 nos privilèges, même naturels, n’ont d’autre sens et d’autre raison d’être que de nous permettre d’accomplir notre mission
812 un dernier article, sur la vocation de la Suisse et ses conséquences pour nous tous. af. Rougemont Denis de, « La Suis
25 1940, Articles divers (1938-1940). La Suisse que nous devons défendre. IV : Notre « mission spéciale » (16 mars 1940)
813 ile à dire en quelques mots. La vocation actuelle et historique de la Suisse, c’est de défendre et d’illustrer aux yeux de
814 lle et historique de la Suisse, c’est de défendre et d’illustrer aux yeux de l’Europe le principe du fédéralisme ; princip
815 adicalement contraire a tout système totalitaire, et seule base possible et solide de la paix que nous espérons. C’est trè
816 tout système totalitaire, et seule base possible et solide de la paix que nous espérons. C’est très facile à dire, et ce
817 paix que nous espérons. C’est très facile à dire, et ce n’est pas très neuf, en apparence. Mais dès qu’on veut prendre au
818 pas si simple. Que signifient ces mots : défendre et illustrer le principe du fédéralisme ? Le défendre, c’est d’abord nou
819 s c’est aussi le répandre au-dehors, le propager, et préparer par nos études, par nos initiatives, par certaines prises de
820 n européenne. L’illustrer, c’est le réaliser, ici et maintenant et dans nos vies, à l’intérieur de nos frontières. C’est f
821 L’illustrer, c’est le réaliser, ici et maintenant et dans nos vies, à l’intérieur de nos frontières. C’est faire que notre
822 uer avec succès que si l’on est sûr de ses armes, et solidement appuyé par l’arrière. Quand on parle d’une vocation de la
823 de gens s’imaginent que les réalités matérielles et pratiques sont plus sérieuses que les réalités spirituelles, qu’ils t
824 ies fumeuses. Ces gens-là se trompent lourdement, et aujourd’hui plus qu’à toute autre époque. Car il est clair que la gue
825 ue la guerre actuelle est une guerre de doctrines et même de religions. Des raisons spirituelles la dominent, et il s’agit
826 religions. Des raisons spirituelles la dominent, et il s’agit de les prendre au sérieux si l’on veut rester réaliste. Épa
827 p de bons Suisses ne le voient pas de leurs yeux, et par suite, ne veulent pas y croire. Ils prétendent tenir compte uniqu
828 nos nécessités, dans notre situation géographique et matérielle. Et ils affirment que dans toutes ces choses qui peuvent ê
829 dans notre situation géographique et matérielle. Et ils affirment que dans toutes ces choses qui peuvent être vues et tou
830 que dans toutes ces choses qui peuvent être vues et touchées, nos Alpes, la petitesse de notre territoire, et nos difficu
831 ées, nos Alpes, la petitesse de notre territoire, et nos difficultés économiques, ils n’aperçoivent nullement l’indication
832 s faits matériels. Il faut savoir l’y déchiffrer, et cela ne se peut qu’avec les yeux de l’esprit. Tenir compte des faits
833 mais il doit en partir justement, aller au-delà, et dans un sens qui ne peut être révélé que par sa foi. Maintenant donc,
834 c’est-à-dire à la faire connaître autour de nous et en dehors de nos frontières. Si quelqu’un me dit que pour sa part, il
835 qui se trouveraient mieux placés dans ce combat, et d’être prêt à leur porter main-forte cas échéant. Car tout revient, d
836 , dans ce domaine, à une question d’état d’esprit et de préparation morale. Ce qu’il s’agit de créer, avant tout, c’est un
837 nous les appellerons, où nous les croirons justes et nécessaires. Peut-être est-il encore trop tôt pour mobiliser l’opinio
838 mmes d’une expérience fédéraliste de six siècles. Et surtout, ne dénigrons pas les tentatives qui se feraient jour dans ce
839 ofitons de notre paix matérielle pour le parfaire et pour l’approfondir, jusque dans le détail de nos vies, en sorte que c
840 moins de l’ouvrage bien fait, digne d’être exposé et en bonne place, comme un modèle valable pour l’Europe de demain. Voil
841 éenne : mais je le répète, l’une suppose l’autre, et la soutient. Je laisserai de côté ici l’aspect politique — au sens ét
842 fédéralisme est tout d’abord une réalité morale, et même spirituelle. Et c’est sur ce plan décisif qu’il nous reste le pl
843 d’abord une réalité morale, et même spirituelle. Et c’est sur ce plan décisif qu’il nous reste le plus à faire. Il nous r
844 os histoires diverses, si curieusement défigurées et affadies par les manuels. Il nous reste à connaître beaucoup mieux no
845 pose toute une morale, toute une manière de vivre et de penser. Connaître le voisin de langue ou confession différente, lu
846 st pas la Suisse des manuels, des cartes postales et des discours, n’est pas la Suisse qui se vante de ses beautés, de ses
847 isse qui se vante de ses beautés, de ses libertés et de sa neutralité, mais bien la Suisse qui sait reconnaître dans ces p
848 ant l’Europe, nous apprendrons à voir plus grand, et par suite à penser plus librement, avec plus de générosité. Alors nou
849 vraie grandeur du rôle qui peut nous y attendre. Et parce que nous serons plus conscients de ce que nous avons à donner,
26 1940, Articles divers (1938-1940). Le petit nuage (avril 1940)
850 choses. Primo, j’ai bouclé mes dossiers, lettres et papiers personnels, je les ai mis en lieu sûr et j’ai sorti mes unifo
851 et papiers personnels, je les ai mis en lieu sûr et j’ai sorti mes uniformes pour les aérer. Secundo, j’ai envoyé à un ce
852 lettre de « quelque part dans le Proche-Orient », et une autre des États-Unis. La première me dit : « Le petit nuage n’est
853 t : « Le petit nuage n’est pas passé. Il passera, et nous serons encore une fois assis au café des Deux Magots. La vie rep
854 a seconde me dit : « Le petit nuage passera, oui… et nous avec ! » Selon l’humeur du jour, je donne raison à l’une ou à l’
855 vons à redouter que le Prince de tous les démons, et non pas tel ou tel démon qu’il nous délègue de temps à autre. Le comb
856 os misérables cafards, de nos craintes dérisoires et mesquines. « C’est un petit nuage, il passera. » Ce mot me fut comme
857 role d’Évangile quand je le lus l’année dernière. Et je ne me trompais guère, vous allez le voir. Voici ce que je viens de
858 vient de démissionner (la scène se passe en 1935) et il s’attend à être abattu par l’un de ces anciens amis. Réfugié dans
859 tables de nuit de ces hospices. Je le feuilletai et mon premier regard tomba sur cette parole consolante : Ils ne continu
27 1940, Articles divers (1938-1940). D’un journal d’attente (pages démodées) (avril 1940)
860 la peut « donner » à l’usage. C’est faute d’usage et d’occasion, faute d’une action vraiment totale et engageante, que je
861 et d’occasion, faute d’une action vraiment totale et engageante, que je commence ici, pour la première fois, une espèce de
862 — entre l’espèce de paix que nous laissa l’hiver, et la guerre qui revient nous avertir, au seuil de ce printemps quelle d
863 demande une vacance, un espace qui ne soit mesuré et un temps qui ne soit rythmé que par les lois intimes du sujet fascina
864 ois intimes du sujet fascinant. Chaque œuvre veut et crée son temps à soi, dans la vie de l’auteur qu’elle choisit. Mais a
865 ue dans mes pensées. Désorganisent la méditation. Et me contraignent à n’écrire que des fragments. Le « journaliste » est
866 travailler. Qu’est-ce que cela change ? J’ai semé et taillé comme chaque année. Ils n’ont qu’à faire la guerre pour leurs
867 s cette fois-ci, j’ai tout semé comme d’habitude, et on verra ! — Croyez-vous donc qu’ils vous laisseront tranquilles, les
868 es années… Monsieur Turc promène un regard précis et compétent sur le vallon et les cultures. Médite et redresse sa casque
869 omène un regard précis et compétent sur le vallon et les cultures. Médite et redresse sa casquette. Et tout d’un coup, son
870 t compétent sur le vallon et les cultures. Médite et redresse sa casquette. Et tout d’un coup, son regard s’assombrit : —
871 et les cultures. Médite et redresse sa casquette. Et tout d’un coup, son regard s’assombrit : — Ha ! mais je vais vous dir
872 e projeté. Toute œuvre humaine, tout acte humain, et même parfois les plus élémentaires, exigent et supposent un avenir. N
873 n, et même parfois les plus élémentaires, exigent et supposent un avenir. Nous l’oublions souvent, dans notre vie individu
874 evoir moins de livres, mais aussi moins d’enfants et moins d’amours profondes. La guerre ne tue pas seulement pendant qu’e
875 uerre ne tue pas seulement pendant qu’elle sévit, et après ; mais aussi avant. 15 avril 1939 Pour peu que les circonstance
876 ent du peuple, d’avoir ainsi perdu sa sève active et livré les masses affamées au délire totalitaire. Il me semble aujourd
877 ains savants qui, à force d’ascèse intellectuelle et de raffinements affectifs, ont su capter le secret de notre existence
878 les masses, créées par des puissances inhumaines ( et auxquelles nulle culture n’aurait pu s’opposer) ont déchu au-dessous
879 encore agissante. S’il y a divorce entre culture et masses, ce serait moins la faute de la culture que celle des hasards
880 l la plus « active » des cultures perd ses prises et son efficace. En vérité, ce ne sont pas les clercs qui ont trahi, mai
881 ed de mon Journal d’un intellectuel en chômage , et d’insister désormais davantage sur les valeurs d’opposition que sur c
882 s la moitié de l’Europe, elle est des Catacombes, et non pas du Forum. On m’a loué de « penser près de la vie ». Hélas ! j
883 e la vie ». Hélas ! je n’en suis que trop près, —  et surtout de la vie des autres ! On voudrait parfois être riche, à seul
884 ’installe, peu à peu, le régime de l’union sacrée et de la « discipline de l’opinion ». Dans quelle mesure un citoyen a-t-
885 s un train bondé. Une journée de reprise à Paris. Et ce soir, me voici [venu] assister à un débat, dans un cercle privé, s
886 es de langage. Il est sans cesse question d’achat et de vente, et je remarque que l’acheteur et le vendeur sont nécessaire
887 . Il est sans cesse question d’achat et de vente, et je remarque que l’acheteur et le vendeur sont nécessairement deux per
888 ’achat et de vente, et je remarque que l’acheteur et le vendeur sont nécessairement deux personnes différentes, mais non p
889 deux personnes différentes, mais non pas l’acheté et le vendu. L’homme qui agit (achète ou vend) est défini par son action
890 er de la « personnalité » d’un produit commercial et de son « prestige ». Curieuse dramatisation ! À mesure que les hommes
891 ystérie, fatigue excessive, ambitions délirantes, et le tréponème, et j’en passe… Qui est fou, qui ne l’est pas ? » Il me
892 excessive, ambitions délirantes, et le tréponème, et j’en passe… Qui est fou, qui ne l’est pas ? » Il me dit hésiter souve
893 pas ? » Il me dit hésiter souvent sur ce point, —  et me donne un éclair d’hésitation… 27 avril 1939 L’un me dit : — « Pour
894 ffirait-il, pour que les points de vue changent — et même s’échangent — que le premier se mette à lire la presse du soir,
895 que le premier se mette à lire la presse du soir, et le second celle du matin ? 29 avril 1939 Comme il est des stratèges d
896 l est des « résistants » qui n’ont rien à sauver, et qui ne s’en montrent que plus « durs ». Cet excité croit-il vraiment
897 ré.) Mais lui, l’émigré, l’excité, le belliciste, et pire : l’homme dépourvu de tact, que disait-il : — La France aime tan
898 l’espoir qu’au seuil des catastrophes générales. Et j’en connais qui ne parviennent à leur régime normal de vie (comme un
899 nd son régime à tant à l’heure) que dans le drame et le bouleversement des habitudes où l’énergie s’enlise. Ce besoin d’êt
900 dent, c’est entrevoir, imaginer ses conséquences, et la guerre est la suppression de toute espèce de conséquences, la priv
901 ividu, qui se voit concrètement réduit à sa juste et minime importance. Paris, 12 mai 1939 Quatrième changement de domicil
902 micile depuis le début de cette année. « Étranger et voyageur sur la terre », ainsi pensais-je d’autres fois, dans ces pér
903 t s’abattre une pluie d’orage sur la Concorde : «  Et moi qui ai oublié mon masque à gaz ! C’était pourtant l’heure H ! » 1
904 d’un soir pluvieux, Paris, souffrance des visages et des corps, exercice perpétuel de charité dans une atmosphère exténuan
905 plus extraordinaire du siècle ! Il est des êtres et des drames dont la vérité n’apparaît que dans cet environnement de lu
906 ’existences étrangères. Paris propose une liberté et un danger, une révélation totale de l’humain dans tous ses risques ma
907 otale de l’humain dans tous ses risques matériels et spirituels, impossibles ailleurs de nos jours, et, peut-être, à toute
908 et spirituels, impossibles ailleurs de nos jours, et , peut-être, à toute autre époque. Imaginer là-dessus un livre vrai, u
909 ivre vrai, un livre où tout serait avoué, horreur et charme, à travers la vision d’un saint qui vivrait sa vie consacrée d
910 Centre du monde ! Il s’en va, coudoyant la foule et traversant les lieux publics, avec cette grande Question qu’il porte
911 cette grande Question qu’il porte dans son être, et qui est aussi la grande Réponse ; et les démons s’éveillent sur son p
912 ns son être, et qui est aussi la grande Réponse ; et les démons s’éveillent sur son passage, il n’y a plus nulle part d’in
913 candale, l’Autre, l’Amour qui bouleverse le monde et fait surgir des quotidiennes apparences l’être touchant, bizarre et p
914 quotidiennes apparences l’être touchant, bizarre et pitoyable que chacun de nous dissimule. Alors on verrait le réel, alo
915 u travers de propos superficiellement passionnés… Et l’on cesserait aussi de redouter la guerre, parce qu’on la verrait da
916 s fameuses photos en couleur d’écrivains français et étrangers — et José Ortega y Gasset. Il y a trois semaines, nous étio
917 os en couleur d’écrivains français et étrangers — et José Ortega y Gasset. Il y a trois semaines, nous étions ensemble à O
918 r la représentation de la Jeanne d’Arc de Claudel et Honegger. Entre-temps, V. O. a tenu le rôle du récitant dans la Persé
919 phone de Stravinsky, à Florence. Ortega spirituel et sérieux, parlant sur le même ton du grand panda, le nouvel hôte du Ja
920 rand panda, le nouvel hôte du Jardin des Plantes, et du dernier livre de Huizinga, qui nous parvint hier de Hollande. Nous
921 semble l’appréhension des catastrophes prochaines et le désir d’un ultime colloque avant que ne se ferment les frontières,
922 comme la Beauté même, comme la Passion despotique et fervente. Nous sentons bien qu’elle marquera tout ce printemps dans n
923 en, dans ce régime, un bien que nous avons perdu, et qu’il séquestre, s’il n’y avait que du mal en lui, nous n’aurions pas
924  : on ne hait pas les catastrophes, les incendies et les tremblements de terre. Notre amertume et notre indignation devant
925 dies et les tremblements de terre. Notre amertume et notre indignation devant le phénomène totalitaire naissent d’un désir
926 x de la révolution manquée par nous, mais séduite et violée par le voisin ; d’une nostalgie de cette communauté qu’ils dis
927 disent avoir réinventée, dont nous ne sommes pas, et dont nous sentons bien qu’ils nous excluent dans l’intention d’en abu
928 , désaccordé, géométrique, douloureux pour la vue et pour l’ouïe, faussement riche et trop éclairé par ce néon rouge ou bl
929 reux pour la vue et pour l’ouïe, faussement riche et trop éclairé par ce néon rouge ou bleuâtre qui sera, n’en doutons pas
930 , l’éclairage de l’enfer… Les clients : demi-luxe et demi-monde. Des femmes qui ont voulu ressembler aux trois ou quatre t
931 ties de chiens qui sentent eux-mêmes le patchouli et qu’elles disposent sur la banquette de velours grenat à côté du repré
932 é du représentant calamistré d’une marque d’auto. Et ces rires, ces éclats de voix ! Mais il y a depuis un moment une musi
933 minant tout. Des trompettes solennelles au début, et maintenant, planante et pure, une voix de femme se détache… Tout d’un
934 tes solennelles au début, et maintenant, planante et pure, une voix de femme se détache… Tout d’un coup, cette ivresse ail
935 ssi, se fait entendre maintenant le chant profond et continu, la respiration bienheureuse des anges gardiens de ce temps,
936 a ville environnante, à la campagne… Je suis seul et je pense à un bonheur promis, ce revoir qui est pour demain. Et voici
937 un bonheur promis, ce revoir qui est pour demain. Et voici que soudain, un « à venir » m’est rendu, un rythme heureux du t
938 comptera que par rapport à ce plaisir qui vient. Et les ennuis, et l’ennui même, ne seront plus que les petits retards où
939 ar rapport à ce plaisir qui vient. Et les ennuis, et l’ennui même, ne seront plus que les petits retards où s’alimente le
940 sinon l’espoir d’un rendez-vous au-delà du monde, et l’entretien de son attente ardente ? Si j’y croyais vraiment, sans ce
941 raiment, sans cesse, je serais heureux sans cesse et en tout lieu ! Si tout dépendait d’un avenir assez lointain et assez
942 eu ! Si tout dépendait d’un avenir assez lointain et assez glorieux pour disqualifier nos soucis, tout serait à chaque ins
943 er nos soucis, tout serait à chaque instant libre et allègre, ouvert sur la seule grande Attente… À l’œuvre donc, advienne
944 te des choses espérées ! Qu’est-ce que la guerre, et qu’est-ce que cette crise, quand le seul terme redoutable est le Juge
945 D’un journal d’attente (pages démodées) », Formes et Couleurs, Lausanne, avril 1940, p. 29-32.
28 1940, Articles divers (1938-1940). L’heure sévère (juin 1940)
946 nt des pessimistes réfléchis maîtres d’eux-mêmes, et objectifs. Je dirai plus : ce qu’il nous faut, ce sont des pessimiste
947 nt des pessimistes actifs. Des hommes qui pensent et qui agissent conformément à la maxime du Taciturne : « Pas n’est beso
948 s où l’ère bourgeoise, ère du « confort moderne » et de l’absence d’imagination, prolonge encore une existence brutalement
949 . La croyance au Progrès nous a mis des œillères. Et quand soudain la route normale se trouve barrée ou coupée par un préc
950 ttait hors d’état d’imaginer à la fois le sublime et le pire. « Trop beau pour être vrai », c’était un de nos proverbes. E
951 au pour être vrai », c’était un de nos proverbes. Et lorsqu’on nous avertissait de certains dangers formidables qui menaça
952 le scepticisme de qui ne s’en laisse pas conter, et connaît toutes les ruses de toutes les propagandes. Nous nous prétend
953 as en Dieu ne sait pas non plus croire au diable, et ne sait pas le reconnaître, fût-il aussi mal déguisé qu’un grenadier
954 a ! Nous oublions que « cela », c’est nous aussi, et que Dieu malgré tout nous aime. Si nous avions su croire en lui penda
955 patience, nous aurions eu « des yeux pour voir », et pour connaître les démons. Voici venu le temps de la colère, le temps
956 ent. Voici venue l’heure sévère. Ouvrons les yeux et apprenons ce qu’il en est de notre châtiment. ⁂ L’Europe est en train
957 quoi tend le progrès matériel ? Question stupide et irritante, n’est-ce pas, aux yeux de qui refuse d’envisager la vie co
958 té orientée par l’esprit. L’esprit prévoit le mal et tient compte du péché. Il sait que les inventions humaines peuvent êt
959 ste modéré ne veut prévoir que le profit d’argent et l’augmentation du confort. Il refuse de se demander à quoi servira ce
960 s, il n’oserait pas répondre en toute franchise ; et à la seconde, il pressent bien qu’on ne pourrait que répondre non. D’
961 u’on ne pourrait que répondre non. D’où sa myopie et son imprévision systématique des maux prochains. J’écris ceci pendant
962 ts, des hommes d’affaires, des penseurs officiels et des bourgeois moyens, a refusé pendant cent ans d’envisager ? Pourtan
963 s dans la critique du « réalisme » de leur temps, et dans la prédiction des maux à venir — ceux qui fondent sur nous aujou
964 n, sinon leur mépris pour les idoles bourgeoises, et leur vision précise du châtiment qui s’abattra nécessairement sur l’O
965 à ne prendre au sérieux que les valeurs de bourse et la « prosperity ». Kierkegaard nous décrit le règne de la masse comme
966 en train d’adopter « une morale de commerçants », et qu’il sera vaincu par des ascètes féroces. Vinet prévoit que les libe
967 les oriente, aboutiront au despotisme de l’État. Et contre tout l’« économisme » de son temps, il ose écrire : « Si quelq
968 , n’en doutons pas, est du côté de la tyrannie. » Et qu’il suffise enfin d’une allusion aux prophéties célèbres de Burckha
969 yables dictatures militaires au nom de la liberté et du bonheur des masses. Cette unanimité d’esprits partout ailleurs irr
970 s avons été avertis. Nous avons refusé d’écouter. Et maintenant il faut payer. Non point parce que l’injustice triomphe, n
971 ste pas, mais au contraire parce que Dieu existe, et qu’il est juste dans son châtiment. Il faut payer. Nous adorions l’id
972 ut payer. Nous adorions l’idole de la prospérité, et l’idole du confort, et l’idole du progrès — ce progrès qui ne sait ri
973 l’idole de la prospérité, et l’idole du confort, et l’idole du progrès — ce progrès qui ne sait rien que répéter comme un
974 ique, à sacrifier notre prospérité, notre confort et nos progrès aux nécessités impérieuses de la défense nationale. Pour
975 és un règlement plus juste des relations sociales et internationales, pour avoir refusé obstinément tout ce qui lésait si
976 nt à des sacrifices mille fois pires, inévitables et stériles. Le plus étrange est que ces sacrifices se révèlent parfaite
977 passaient pour folles, démagogiques, impensables et impraticables aux yeux des « réalistes » de l’économie : prélèvement
978 ement sur le capital ou caisse de compensation, —  et je ne prends là que de petits exemples7… Nous avons critiqué sans mer
979 temps, à supprimer toutes les questions sociales. Et cela non pas seulement en Suisse, mais dans tous les pays de l’Europe
980 mieux mourir ou du mieux tuer. Eh bien si la peur et la guerre sont seules capables d’obtenir de nous un dépassement de no
981 pourquoi donc voulez-vous que nous ayons l’amour, et la paix et la sécurité ? Nous avons la peur et la guerre. Nous avons
982 nc voulez-vous que nous ayons l’amour, et la paix et la sécurité ? Nous avons la peur et la guerre. Nous avons ce que nous
983 r, et la paix et la sécurité ? Nous avons la peur et la guerre. Nous avons ce que nous méritons. Nous sommes payés et nous
984 ous avons ce que nous méritons. Nous sommes payés et nous payons selon notre justice à nous. C’est aujourd’hui qu’on en me
985 sont pas originales. Elles sont même grossières, et gênantes. Certains diront encore qu’elles sont inopportunes, à l’heur
986 st regarder en plein visage. Notre salut, le seul et le dernier possible — quelle que soit l’issue de la guerre — dépend d
987 onserver des privilèges hérités, tout en admirant et soutenant des chefs brutaux qui les bernaient pour mieux les détrouss
988 aient profiter des avantages de la folie moderne, et qui se plaignent aujourd’hui de devoir payer leur part minime dans la
989 utes avaient donc commises ces millions de femmes et d’enfants en fuite sur les routes de France ? Nous n’avons plus qu’un
990 précis que notre sens des chiffres, des quantités et des vitesses. Avis à la génération sportive, aux réalistes qui l’enge
991 à temps. Ils sont encore à l’écart de la guerre, et peut-être y resteront-ils. Ils ont encore ce bref délai de grâce dont
992 ais aux Hollandais, en novembre de l’an dernier — et c’est fini — dont je parlais aux Suisses en janvier de cette année —
993 e parlais aux Suisses en janvier de cette année — et cela fait déjà cinq mois passés8. Ce délai nous permet de comprendre,
994 ai nous permet de comprendre, d’avouer nos fautes et celles de notre monde, de dire la vérité que les peuples en guerre n’
995 rs retrempé. Avouer les fautes de ceux qu’on aime et dont on attend la victoire comme la permission de revivre, c’est une
996 s fautes, parce que nous en sommes les complices, et que nous aimons les fautifs. Il est dur de les avouer, parce que les
997 , en face, nous paraissent bien plus effrayantes, et qu’ils triomphent tout de même, ou à cause de cela même. Il est dur d
998 e châtiment, qui nous atteint aussi, est mérité ; et qu’il était logique, inévitable, et qu’il n’y a plus qu’à en tirer le
999 est mérité ; et qu’il était logique, inévitable, et qu’il n’y a plus qu’à en tirer les conclusions9. Mais nous ne sommes
1000 n spéciale, notre responsabilité devant l’Europe. Et cela suppose un dur effort contre nos goûts, nos sympathies et nos pa
1001 se un dur effort contre nos goûts, nos sympathies et nos passions. Je ne sais pas ce que l’avenir vaudra, mais je sais que
1002 i mérite d’être sauvé ou recréé. Non pas le droit et la justice dont se réclamaient nos égoïsmes et celui des gouvernement
1003 it et la justice dont se réclamaient nos égoïsmes et celui des gouvernements : tout cela ne sera que ruines et détritus à
1004 des gouvernements : tout cela ne sera que ruines et détritus à déblayer, même si les grandes démocraties ont la victoire.
1005 ictoire. Non pas le bonheur fait de laisser-aller et d’insouciance du prochain, car nous le payons maintenant, une fois po
1006 riture nous l’apprend lorsqu’elle dit : « Le ciel et la terre passeront, mais ma Parole ne passera point. » Voilà la base
1007 mais ma Parole ne passera point. » Voilà la base et le point fixe que nulle puissance humaine ne saurait ébranler, quand
1008 ne ne saurait ébranler, quand tout le reste, ciel et terre, idéaux et réalités, est pulvérisé par les bombes. Au plus fort
1009 anler, quand tout le reste, ciel et terre, idéaux et réalités, est pulvérisé par les bombes. Au plus fort de la persécutio
1010 t nuage » passeraient aussi, probablement, sa vie et celle de tant de frères. Mais au-delà de l’optimisme humain toujours
1011 lâche, il y a la foi dans l’éternel, y a l’amour et l’espérance de l’éternel. À quoi se raccrocher, que faire encore ? Qu
29 1940, Articles divers (1938-1940). Au peuple suisse ! (22 juillet 1940)
1012 histoire. Elle fut celle de nos grandes victoires et de nos grands renouvellements. Nous savons à quelles conditions nos a
1013 e créer, eux aussi, un ordre neuf, à leur manière et selon leur foi chrétienne. Aujourd’hui, comme aux heures héroïques, s
1014 urd’hui, comme aux heures héroïques, sachons voir et saisir notre chance ! Les événements se chargent de nous ouvrir les y
1015 ous unir au-delà des partis, au-delà d’une gauche et d’une droite périmées, au-delà du vieux conflit du capital et du trav
1016 ite périmées, au-delà du vieux conflit du capital et du travail. Partout, chaque jour, des citoyens qui hier encore se cro
1017 ts à travailler ensemble, pour défendre la Suisse et pour la rénover. Ils ne croient plus aux plans, aux promesses faciles
1018 s faciles. Ils veulent une méthode neuve d’action et de pensée, une solidarité pratique. Et ils attendent des hommes nouve
1019 e d’action et de pensée, une solidarité pratique. Et ils attendent des hommes nouveaux. Des hommes et non pas des programm
1020 Et ils attendent des hommes nouveaux. Des hommes et non pas des programmes. Car les événements marchent vite. Des hommes
1021 le. Il est temps que ces aspirations se réalisent et s’organisent. Il est temps que les bonnes volontés deviennent une vol
1022   Bastion naturel de la Suisse, cœur de l’Europe et limite des races, le Gothard est le grand symbole autour duquel tous
1023 es, que tous ceux qui viennent d’être démobilisés et qui sont prêts à faire du neuf, que tous les aînés qui voient clair,
1024 n seul but : maintenir la Suisse, dans le présent et pour l’avenir. Nous ne vous promettons qu’un grand effort commun. Mai
1025 commun. Mais il nous rendra fiers d’être hommes, et d’être Suisses.   Ligue du Gothard Schauplatzgasse 23, Berne.   Dan
1026 ans quelques jours, nous publierons nos principes et buts d’action, les noms des membres du comité, ainsi qu’un grand nomb
1027 nnalités appartenant aux milieux les plus divers, et qui nous ont promis leur appui. ak. Rougemont Denis de, « Au peupl
30 1940, Articles divers (1938-1940). Autocritique de la Suisse (août 1940)
1028 issance, n’a été plus souvent expliqué à lui-même et au monde que la Suisse. C’est qu’il en a besoin plus que nul autre. S
1029 Elle exclut en principe toute doctrine unitaire, et suppose donc la connaissance très vivante d’une autre espèce d’union,
1030 on, sans cesse à recréer. Or l’inertie des masses et l’à peu près intellectuel s’opposent sans cesse à cette reprise de co
1031 choir ou se laisser dissoudre, si l’on veut durer et surtout, si l’on prétend se donner en exemple. 1. Clarifions notre la
1032 quilibre vivant entre les droits de chaque région et ses devoirs envers l’ensemble, il est absurde de nommer « fédéraliste
1033 es. 2. Ni gauche ni droite. — Les centralisateurs et les régionalistes ont également tort, c’est évident, puisque le fédér
1034 sition, indéfendable en théorie, des centralistes et des régionalistes, ce qui se cache en réalité, c’est l’opposition gau
1035 nt antisuisse s’ils progressent. Les « libéraux » et les conservateurs « fédéralistes » ne sont que des réactionnaires inc
1036 déralistes » (ce mot étant pris dans leur sens). ( Et ce ne sont pas seulement les particuliers, propriétaires ou industrie
1037 qui mendient la « manne fédérale », les subsides et les allocations ; mais les cantons les plus conservateurs sont souven
1038 rlement, importé d’Amérique à une époque récente, et plus ou moins contaminé par les mœurs politiques françaises. L’idée m
1039 itique est en puissance un petit État totalitaire et unifié, qui voudrait bien tout régler à sa guise, et qui se condamne,
1040 unifié, qui voudrait bien tout régler à sa guise, et qui se condamne, ridiculement, à avoir des idées sur tout. Les seuls
1041 informes. Chacun veut tout assimiler, tout juger et tout absorber. Il serait temps de se remettre à la Diète ! 3. Suite d
1042 « de gauche » au lendemain de la guerre d’Espagne et du Pacte germano-russe ? Les Espagnols se sont entretués pendant troi
1043 t entretués pendant trois ans, en toute sincérité et en tout héroïsme, au nom d’une droite et d’une gauche extrémistes qui
1044 incérité et en tout héroïsme, au nom d’une droite et d’une gauche extrémistes qui, dès « l’affaire » liquidée, ont démasqu
1045 vent d’ailleurs être les mêmes. (« Réactionnaires et capitalistes internationaux ».) Nos descendants diront de notre siècl
1046 l’empêche de respecter nos précieuses diversités, et de se mettre à leur service, comme il se doit. Prévoir des exceptions
1047 lus difficile ; c’est beaucoup plus intéressant ; et c’est utile. Si, pratiquement, la plupart des bureaux font tout le co
1048 r la faute des fonctionnaires qui s’y incrustent, et dont l’intelligence politique s’atténue dans le confort et la prudenc
1049 ’intelligence politique s’atténue dans le confort et la prudence. Ne dites donc plus : « Nous sommes opposés par principe
1050 s dites : « Nous voulons des fonctionnaires frais et dispos, capables d’imagination, détestant les complications administr
1051 és concrètes, choisis pour leur sens fédéraliste, et révocables aussitôt qu’ils le perdent. » Si vous les obtenez, la révo
1052 x tiers des ressources passent à l’administration et aux salaires fixes, tandis que moins d’un tiers est consacré au but d
1053 nsacré au but de l’œuvre. Je vois une revue d’art et de littérature consacrer des milliers de francs à sa « présentation »
1054 liers de francs à sa « présentation » matérielle, et zéro franc à payer ses collaborateurs. Si l’un d’entre eux s’étonne,
1055 bain, l’une coûtant 300 fr. de plus que l’autre, et qui se désabonnent « vu la crise » de la seule revue qu’ils recevaien
1056 vois enfin que toute notre politique est alourdie et comme paralysée par des soucis budgétaires de cet ordre, traduisant c
1057 e cet ordre, traduisant cette échelle de valeurs. Et je conclus : « Si quelque chose aujourd’hui menace la liberté, ce n’e
1058 net n’ont pas eu peur du germanisme, l’ont étudié et l’ont aimé. Ce sont nos meilleurs écrivains. 7. Tolérance. — Le fédér
1059 ainsi que l’équilibre s’établit entre les grands et les petits, entre le nombre et les groupements restreints. Les petits
1060 t entre les grands et les petits, entre le nombre et les groupements restreints. Les petits cantons, chez nous, ont voix é
1061 e vie, même « privée », c’est nier le fédéralisme et ruiner les bases de la Suisse. Que nos moralistes s’en souviennent, e
1062 e la Suisse. Que nos moralistes s’en souviennent, et que nos conformistes ne l’oublient pas ! 8. Intolérance. — À mon avis
1063 ressemblance entre ce qu’ils détestent en Suisse et ce qu’ils admirent au-dehors…) 9. Notre naïveté. — Elle éclate dans c
1064 rises à l’égard de la presse — par qui de droit — et qui consistent à ménager non seulement la chèvre et le chou, ce qui e
1065 qui consistent à ménager non seulement la chèvre et le chou, ce qui est humain, mais encore l’agneau… et le loup, ce qui
1066 le chou, ce qui est humain, mais encore l’agneau… et le loup, ce qui est moins impartial qu’il ne semble. Ne commettons pl
1067 agande qui nous tape sur le crâne, littéralement, et cela depuis plusieurs années. De ce point de vue, nous ne sommes plus
1068 e parce que victimes d’une agression systématique et quotidienne contre les principes mêmes qui fondent notre État. (Je me
1069 e stalinienne.) Si l’on nous interdit de le dire, et de nous défendre en ripostant, pourquoi donc, demanderai-je, fortifie
1070 s quand celle-ci est déjà compromise ? 10. Poésie et prose. — Revenons à la géographie ! dit ce poète. Et de nous décrire
1071 prose. — Revenons à la géographie ! dit ce poète. Et de nous décrire une Suisse héroïque protégée par les Alpes, ce rempar
1072 r les Alpes, ce rempart, le Jura, cette barrière, et le Rhin, ce fossé… Oui, mais les géographes, plus sobres, définissent
1073 as parler de neutralité en général, dans l’absolu et dans l’abstrait. Car tout dépend de ceci : vis-à-vis de quoi, ou de q
1074 son sens spirituel, c’est toujours un blasphème, et c’est souvent une grosse sottise. 12. Neutralité « éternelle ». — On
1075 us parle aujourd’hui de « neutralité éternelle », et l’on va même jusqu’à nous affirmer que cette « éternité » est la base
1076 erpétuelle. Se figure-t-on que l’homme a le droit et le pouvoir de décréter « l’éternité » d’une décision humaine ? Appren
1077 ’est éternel ; que la Suisse est un État humain ; et que par conséquent l’épithète « éternelle » ne saurait désigner l’att
1078 lement que nous refusons d’envisager son abandon, et que nous le refuserons aussi longtemps que possible. Par exemple : ta
1079 digne de ce nom consiste à prévoir même le pire, et même la réalisation prochaine de nos plus lointaines ambitions. Or pr
1080 r prévoir, c’est aussi se préparer, peser le pour et le contre, discuter… On connaît la devise humoristique du Méridional 
1081  » Pourquoi est-ce comique ? Parce que l’histoire et la politique ne cessent pas de modifier ces positions toutes relative
1082 ces positions toutes relatives que sont la gauche et la droite. Affirmer dans l’absolu une position relative, si légitime
1083 oit, c’est se condamner à être sans cesse dépassé et ridiculisé par les faits. 14. Neutralité « morale ». — Les traités no
1084 aités nous reconnaissent une neutralité politique et militaire. Ils nous obligent aussi à la défendre intégralement. Mais
1085 ce. C’est renoncer à nous défendre intégralement. Et c’est enfin céder sur un point décisif pour notre indépendance future
1086 ent. Le Conseil fédéral a repoussé officiellement et publiquement la prétention de ceux qui voulaient « neutraliser » de c
1087 mes étrangers qui attaquent ouvertement le nôtre. Et qu’on ne vienne pas me dire qu’une pareille attitude peut compromettr
1088 r par la force l’intégrité de notre indépendance, et non pas seulement sa matérialité (le territoire). Le vrai patriote su
1089 Les petits pays ne sont pas dispensés d’imaginer et de voir grand. Bien au contraire : ils sont contraints de compenser l
1090 tés techniques », superstition des experts d’hier et d’avant-hier. Ils ont pensé, et prouvé par le fait, que la Technique
1091 es experts d’hier et d’avant-hier. Ils ont pensé, et prouvé par le fait, que la Technique ne saurait inspirer une politiqu
1092 au contraire servir à tout lorsqu’on l’y force — et en particulier à dominer les masses13. Il est temps que la Suisse com
1093 ouvernement de « gouverner14 », de piloter l’État et d’orienter sa marche ; le reste, le fonctionnement technique de la ma
1094 affaire des fonctionnaires — leur nom l’indique — et des conseillers commerciaux. On demande des diplomates qui fassent un
1095 demande des diplomates qui fassent une politique, et qui aient plus d’idées générales que de compétences économiques. Je c
1096 , tel écrivain, tel philanthrope, tel connaisseur et praticien des choses de la SDN et de la chose européenne, qui nous re
1097 tel connaisseur et praticien des choses de la SDN et de la chose européenne, qui nous représenteraient à l’étranger — offi
1098 urs spécialistes formés par les bureaux de Berne, et rompus à toutes les prudences « fédérales ». Sur le plan diplomatique
1099 le plan diplomatique européen, la Suisse pourrait et devrait jouer dans notre siècle une partie magnifique. Mais il faudra
1100 prenne ceci : La prudence est le vice des timides et la vertu des audacieux. 10. Peut-être me croira-t-on si je déclare,
1101 angage ! Un « drôle », c’est à la fois un comique et un malandrin. 12. Ceci ne veut pas dire que nous devons préférer la
1102 publie, réunis en un volume, une série d’articles et de conférences dont il indique, dans son avertissement, le propos, en
1103 “Ils sont tous nés d’un même souci de la personne et de son rôle dans la communauté ; et tous ils s’adressent à des Suisse
1104 e la personne et de son rôle dans la communauté ; et tous ils s’adressent à des Suisses. Par une série de cercles concentr
1105 ppel viril à la réflexion, un avertissement grave et clairvoyant quant à l’avenir. Nous sommes donc particulièrement heure
31 1940, Articles divers (1938-1940). Henri le Vert ou l’âme alémanique (1940)
1106 l’été, nous traversions des vergers, des jardins et des fermes, dans la grande liberté militaire, pénétrant dans l’intimi
1107 ire, pénétrant dans l’intimité d’une vie bonhomme et opulente, dormant dans des auberges inconnues des touristes, nous dan
1108 des cuisines accueillantes, où le confort moderne et le confort paysan se mariaient à l’ombre des installant pour quelques
1109 nstallant pour quelques heures le confort moderne et le confort auvents immenses, et des balcons de bois ornés de pieuses
1110 e confort moderne et le confort auvents immenses, et des balcons de bois ornés de pieuses devises et de géraniums éclatant
1111 , et des balcons de bois ornés de pieuses devises et de géraniums éclatants. Tout paraissait, dans ce pays, un peu plus la
1112 eu plus large que chez nous, plus largement assis et attablé, dans une nature moins douce, mais plus drue. Je m’étais bien
1113 plus drue. Je m’étais bien promis d’y retourner, et c’est encore la mobilisation qui m’y ramène. Si je vous confie que me
1114 ce roman soit si peu lu chez nous, si mal connu, et qu’il n’en existe à cette heure qu’une seule et unique édition. Car c
1115 , et qu’il n’en existe à cette heure qu’une seule et unique édition. Car ce n’est pas seulement l’un des chefs-d’œuvre de
1116 verselle, l’un de ces livres à la fois populaires et pleins de secrets émouvants, où chacun peut trouver sa pâture, mais c
1117 chacun peut trouver sa pâture, mais c’est encore, et c’est surtout, pour moi, la meilleure expression de l’esprit suisse a
1118 un libraire ou à la bibliothèque la plus proche, et demandez la traduction de ce gros livre. Vous commettrez une bonne ac
1119 iotisme suisse est d’abord une question d’amitié, et l’amitié suppose une connaissance mutuelle, et je ne sais rien qui pu
1120 é, et l’amitié suppose une connaissance mutuelle, et je ne sais rien qui puisse nous donner, comme ce roman de Gottfried K
1121 rouverez dans ce récit d’une jeunesse aventureuse et d’un retour vers le pays natal, un mélange étonnant de romantisme, de
1122 nge étonnant de romantisme, de bon sens bourgeois et d’humour. Et c’est peut-être là le secret des Suisses allemands. Le s
1123 de romantisme, de bon sens bourgeois et d’humour. Et c’est peut-être là le secret des Suisses allemands. Le secret d’un ce
1124 lyrisme qui les distingue de nous autres Romands. Et quand je parle de lyrisme, je n’entends pas ce sentimentalisme vague
1125 yrisme, je n’entends pas ce sentimentalisme vague et un peu lourd qui met tant de points d’orgue dans les couplets d’un Mä
1126 e de saveur primitive, une manière plus confiante et plus joyeuse d’accepter la vie instinctive, un peu plus de musique, u
1127 un peu moins de scrupules, un peu plus d’énergie et moins d’esprit critique. Ce sont ces nuances-là qui donnent le ton de
1128 nent le ton de la bonne chanson suisse allemande, et de la fantaisie d’Henri le Vert. On me dira que je vais chercher bien
1129 Vert. On me dira que je vais chercher bien haut, et dans une œuvre exceptionnelle, mon modèle du Suisse allemand… Oh, bie
1130 es Allemands ne sont pas des Goethe — loin de là… Et cependant, celui qui a compris Pascal, ou Goethe, ou Gottfried Keller
1131 e qu’autrement nous n’eussions jamais soupçonnée, et que dorénavant nous saurons reconnaître ici ou là, d’une manière furt
1132 ice un peu brusque, un élan, une saveur populaire et lyrique, tout ce qui fait le meilleur fonds du Suisse allemand dès qu
1133 mand dès qu’il est délivré de son sérieux massif. Et alors, dans mon enthousiasme, j’évoque Berne, avec sa force calme et
1134 enthousiasme, j’évoque Berne, avec sa force calme et ses maisons aux puissantes assises, ses ours qui furent conquis sur l
1135 , ses ours qui furent conquis sur le duc de Milan et ramenés par-dessus les Alpes, — j’évoque le dynamisme américain des Z
1136 stion sacré, dans le souvenir de Nicolas de Flue. Et je me dis que la Providence nous veut vraiment du bien, à nous les Su
1137 puisqu’elle nous a permis de réunir des qualités et des défauts qui se complètent si heureusement : la rouspétance du Sui
1138 si heureusement : la rouspétance du Suisse romand et la patience de l’Alémanique, — la nervosité latine et la ténacité ger
1139 a patience de l’Alémanique, — la nervosité latine et la ténacité germanique ; notre ironie critique et leur humour. Et tou
1140 et la ténacité germanique ; notre ironie critique et leur humour. Et tout ce qu’il y a dans la culture romande d’un peu pr
1141 ermanique ; notre ironie critique et leur humour. Et tout ce qu’il y a dans la culture romande d’un peu précautionneux ou
1142 ar exemple les grands romans de Jérémie Gotthelf. Et puisque j’ai parlé de fédéralisme, permettez-moi de terminer par une
1143 he de Noé pleine d’animaux de toute espèce, mâles et femelles, ne saurait être plus content que ces hommes avec leur chère
1144 tent que ces hommes avec leur chère petite patrie et les milliers de bonnes choses qu’elle contient, depuis le vieux broch
1145 et étroit espace, tous différents par leurs mœurs et coutumes, par leurs costumes et leurs accents !… Et tout est bon et b
1146 s par leurs mœurs et coutumes, par leurs costumes et leurs accents !… Et tout est bon et beau et cher au cœur, — car c’est
1147 coutumes, par leurs costumes et leurs accents !… Et tout est bon et beau et cher au cœur, — car c’est la patrie. Qu’il es
1148 eurs costumes et leurs accents !… Et tout est bon et beau et cher au cœur, — car c’est la patrie. Qu’il est donc réjouissa
1149 tumes et leurs accents !… Et tout est bon et beau et cher au cœur, — car c’est la patrie. Qu’il est donc réjouissant que t
1150 s sortis du même moule, qu’il y ait des Zurichois et des Bernois, des gens d’Unterwald et de Neuchâtel, des Grisons et des
1151 es Zurichois et des Bernois, des gens d’Unterwald et de Neuchâtel, des Grisons et des Bâlois, et même deux espèces de Bâlo
1152 des gens d’Unterwald et de Neuchâtel, des Grisons et des Bâlois, et même deux espèces de Bâlois ! Qu’il y ait une histoire
1153 rwald et de Neuchâtel, des Grisons et des Bâlois, et même deux espèces de Bâlois ! Qu’il y ait une histoire de l’Appenzell
1154 Bâlois ! Qu’il y ait une histoire de l’Appenzell et une histoire de Genève ! Cette variété dans l’unité — Dieu veuille no
1155 onserver — voilà la véritable école de l’amitié ! Et quand une même appartenance politique vient à s’épanouir dans l’amiti
32 1940, Articles divers (1938-1940). L’heure de la Suisse (1er août 1940)
1156 enacée dans son autonomie par la force des choses et par la contagion des idéologies nouvelles. Nous courons le risque d’ê
1157 er nos raisons d’être, notre mission confédérale, et notre volonté de nous en rendre dignes. Mais voici le message du 1er
1158 devenir notre chance. Il nous sort de nous-mêmes et de nos préjugés, il nous oblige à mesurer nos forces vraies, il nous
1159 met de nous unir mieux que jamais pour la défense et la rénovation de l’héritage que Dieu nous a confié. Nos raisons d’êtr
1160 ose que des mots flatteurs : des raisons de vivre et de mourir. Notre histoire est celle de la liberté, certes, mais de la
1161 s plus grands sacrifices, toujours sauvée, envers et contre tout, grâce à un sens communautaire qui doit rester en exemple
1162 tance locale organisée, la préparation minutieuse et la discipline civique qui ont gagné la bataille de Morgarten contre u
1163 e liberté, défaut de solidarité entre les classes et entre les cantons. Mais là encore, la résistance « aveugle » de quelq
1164 l’Europe à l’impressionner par leur résistance ; et après une tentative manquée pour imposer à la Suisse un statut contra
1165 menacée par des puissances dix fois supérieures, et qu’elle ne s’est maintenue qu’en acceptant la lutte même sans espoir.
1166 la lutte même sans espoir. Un siècle de sécurité et de confort nous a fait oublier ces vérités. Aujourd’hui, elles nous p
1167 e nouveau. Les menaces actuelles nous réveillent, et nous ramènent à notre loi normale ; la loi du risque et de l’effort t
1168 s ramènent à notre loi normale ; la loi du risque et de l’effort tenace. Ces menaces ne sauraient surprendre et démoralise
1169 ffort tenace. Ces menaces ne sauraient surprendre et démoraliser que ceux qui ont oublié comment la Suisse s’est faite, et
1170 eux qui ont oublié comment la Suisse s’est faite, et à quel prix elle s’est toujours maintenue. Mais on ne se défend bien
1171 d’une Europe nouvelle, réconciliée avec elle-même et tolérante ! Sachons nous élever à la hauteur de l’idéal forgé par not
1172 re histoire. Rendons la Suisse digne d’elle-même, et rendons-nous plus dignes d’elle ! Comment ? Je voudrais vous le montr
1173 à ce but ses intérêts particuliers, ses préjugés, et son confort. C’est tout. Le but commun ne fut jamais plus clair. C’es
1174 ommun ne fut jamais plus clair. C’est le maintien et la rénovation de la Suisse : l’un ne va pas sans l’autre, l’une rend
1175 btenir de nous, il faut que la paix le maintienne et le développe au maximum. Prenons un cas concret : Si nous parvenons à
1176 il y va de la liberté future de leur entreprise. Et je conjure les ouvriers de consentir des réductions de salaire, si ce
1177 que ceux de l’autre bord fassent les premiers pas et disent le premier mea culpa. Commençons une bonne fois, risquons-nous
1178 bonne fois, risquons-nous, allons chez le voisin et disons-lui : vous étiez de gauche, et moi de droite, mais aujourd’hui
1179 z le voisin et disons-lui : vous étiez de gauche, et moi de droite, mais aujourd’hui nous sommes de Suisse, l’un comme l’a
1180 e rénovation pratique. Ceux qui l’auront compris, et qui le prouveront, travailleront au salut du pays. Mais ceux qui s’ob
1181 à notre perte à tous. Ces remarques sont simples et utilisables. Elles ne sont pas originales. Il me suffit qu’elles soie
1182 oient chrétiennes. Si mes lecteurs les approuvent et les mettent en pratique aussitôt, ils auront célébré, mieux que par l
33 1940, Articles divers (1938-1940). Un fondateur de la Ligue du Gothard part pour quatre mois aux États-Unis : M. Denis de Rougemont nous dit… (23 août 1940)
1183 ution de la « Ligue du Gothard » qui est mon idée et celle de mon ami Spoerri, de Zurich, et à laquelle je tiens. Elle sui
1184 mon idée et celle de mon ami Spoerri, de Zurich, et à laquelle je tiens. Elle suit d’ailleurs son chemin malgré les torre
1185 é les torrents d’injures dont elle a été abreuvée et vous pouvez être assuré qu’elle n’a enregistré jusqu’à ce jour aucune
1186 er deux brochures qui vont paraître prochainement et qui expliquent les desseins de notre groupement : réunir — non point
1187 logiquement représenter la Suisse d’aujourd’hui. Et travailler au bien de la Suisse. Le comité directeur de la Ligue est
1188 t formé de dix hommes dont le plus jeune a 26 ans et le plus âgé 44. C’est vous dire que nous voulons mettre la jeunesse a
1189 nous sommes rendu compte que les hommes de 35 ans et moins ne sont pas dans les partis, parce que la politique leur a paru
1190 août 1940, p. 1. aq. Propos recueillis par F. G. et précédés de la notice suivante : « M. Denis de Rougemont s’en va. Tel
1191 on parlait sous le couvert depuis quelques jours et qui vient d’être rendue officielle. N’y voyons pas, comme certains se
1192 euchâteloises de l’Exposition nationale de Zurich et qui ne put être représentée, la guerre ayant éclaté quelques jours av
1193 k. Ce voyage, on le voit, est sérieusement motivé et ne signifie nullement que M. de Rougemont fuit les responsabilités… o
1194 ses lettres de citoyens qui s’intéressent à elles et à ses desseins. Nous le croyons volontiers et l’attendons à l’œuvre t
1195 les et à ses desseins. Nous le croyons volontiers et l’attendons à l’œuvre tout d’abord sur le terrain cantonal, en bonne
34 1940, Articles divers (1938-1940). La Ligue du Gothard : raisons d’espérer (13 septembre 1940)
1196 igue. Il faut faire confiance à des hommes jeunes et qui forment une équipe. Passons sur le passé. Nous sommes anticapital
1197 assons sur le passé. Nous sommes anticapitalistes et antimarxistes, ni de gauche ni de droite, alliés aux syndicats par le
1198 ux syndicats par leurs éléments les plus vivants, et nous travaillons à la réconciliation des syndicats et des corporation
1199 ous travaillons à la réconciliation des syndicats et des corporations, pour préparer par canton une organisation professio
1200 mme si personne n’était capable d’entendre raison et de modifier ses positions. Duttweiler ne nous a pas donné un sou, quo
1201 peu que nous avons, ce sont des dons personnels. Et nous cherchons, sûrs de trouver dans la mesure où nous sommes sûrs de
1202 es que nous versons à titre de documents au débat et que nous faisons suivre des remarques et conclusions qu’elles nous su
1203 au débat et que nous faisons suivre des remarques et conclusions qu’elles nous suggèrent. Voici tout d’abord l’opinion de