1 1941, Articles divers (1941-1946). Reynold et l’avenir de la Suisse (1941)
1 rendre le tempo de ce xxe siècle. C’est que nous sommes devenus un peuple de bourgeois. L’ère de la bourgeoisie, ère du « con
2 ndre au sérieux ce qui l’étonne. « Trop beau pour être vrai », disait-il au siècle dernier ; et aujourd’hui : « Trop affreux
3 le dernier ; et aujourd’hui : « Trop affreux pour être vrai. » Cette double méfiance, cette double incrédulité à l’endroit d
4 un seul et même refus de voir le monde tel qu’il est  : pécheur et racheté, condamné et sauvé. Qui ne croit pas en Dieu ne
5 er en plein visage — ce qui nous ruine. Non qu’il soit pessimiste par tempérament — ce n’est pas l’impression qu’il donne, p
6 Non qu’il soit pessimiste par tempérament — ce n’ est pas l’impression qu’il donne, pas du tout — mais il est simplement lu
7 s l’impression qu’il donne, pas du tout — mais il est simplement lucide. Il a su voir plus loin que le bout de la Suisse. I
8 isme disciplinaire, dépourvu d’idéal directeur, n’ était autre que la mise au pas du pays, sa mise en marche vers le nihilisme
9 re la vérité dans son patois, et celui de Reynold est « de droite ». Le mien passa souvent pour être de « gauche », comme s
10 old est « de droite ». Le mien passa souvent pour être de « gauche », comme si je croyais encore aux vaines distinctions qui
11 force vivante. Allons-y viribus unitis ! Car cela est clair : ni les gauches ni les droites seules, ni les catholiques ni l
12 et c’est cela qui unit. Pour le reste, si sérieux soit -il, on en reparlera plus tard. Faisons d’abord en sorte qu’il y ait u
2 1941, Articles divers (1941-1946). Trois paraboles (1er octobre 1941)
13 ieux courir, elle a jeté ses voiles, et sa pudeur est dévoilée, ô folle ! Mais lui les trouve et s’en revêt : voiles de nui
14 ’offusque, ou c’est le désir qui l’aveugle ? Elle est nue, ses jambes ont fui. — Toi qui connais le maître du palais, dis-m
15 encore aux solitudes. Car sinon, tu m’entends, je suis le Prince ! Et quelle est la femme égarée qui ne voudrait aimer le Pr
16 inon, tu m’entends, je suis le Prince ! Et quelle est la femme égarée qui ne voudrait aimer le Prince de ces Lieux ? — Mais
17 on m’appelle, écoute, la voix venait du parc ? —  Es -tu bien sûr que c’était une voix ? Ils y couraient. La nuit pleuvait
18 us que les abords désertiques de la ville, ils se sont vus ! Le jour naît dans la pluie. Le Palais disparu, les jardins déva
19 luie. Le Palais disparu, les jardins dévastés, il est vêtu des voiles, elle tremble nue. — Où se cacher encore ? dit-elle.
20 rêtre oriental. L’homme choisit la plus terne, il était triste et présomptueux. À mesure qu’avec les années, il se persuadait
21 u’avec les années, il se persuadait que sa pierre était bonne, étant bien celle de ses vœux, la pierre se mit à luire davanta
22 nées, il se persuadait que sa pierre était bonne, étant bien celle de ses vœux, la pierre se mit à luire davantage ; et davan
23 . Un soir, émerveillé de la revoir, il dit : — Je suis un homme heureux, j’ai su choisir la pierre de mes vœux, car seul j’a
24 ans le brasier cendreux. Pendant la nuit — grande était sa douleur — la pierre se mit à luire sous la cendre, et le grand feu
25 s le feu ! Je ne puis te toucher, mais la chaleur est bonne. Tout un hiver, il vécut de ce feu. Le printemps vint. — Aurai-
26 dans la fraîcheur de son éclat. Il la prit. Elle était brûlée. — L’hiver a fait son temps, songea-t-il, dans ma vie. Pour la
27 Il choisit la plus éclatante. Et vois : quand il était heureux, elle luisait d’une froide splendeur, et quand il était trist
28 elle luisait d’une froide splendeur, et quand il était triste, elle était consolante. Mais c’était l’autre qu’il prenait alo
29 froide splendeur, et quand il était triste, elle était consolante. Mais c’était l’autre qu’il prenait alors entre ses mains,
30 Veux-tu davantage ? Voici, l’une des deux pierres sera ta pierre de Mort, si tu la choisis seule, et ne veux plus souffrir.
31 e ces bêtises, par négligence, croit-on. Bref, je suis entré, c’était juste pour voir si par hasard elle était là. Vous save
32 entré, c’était juste pour voir si par hasard elle était là. Vous savez que c’est compliqué, ce bâtiment. Des couloirs et des
33 r les tables, et tout le monde lisait. Je dis : — Est -elle ici ? Quelqu’un l’a-t-il vue ? Ils me regardent d’un air vexé. U
34 ement et me dit à voix basse : — Puisque Monsieur est venu, et puisque Monsieur demande si elle est ici, elle y est évidemm
35 eur est venu, et puisque Monsieur demande si elle est ici, elle y est évidemment. Mais je rappelle à Monsieur la règle du c
36 puisque Monsieur demande si elle est ici, elle y est évidemment. Mais je rappelle à Monsieur la règle du club : Ni Questio
37 me si je n’avais dit que : Fine day to day, c’eût été une sorte de question ou de réponse. Je pensais que le mieux serait d
38 e question ou de réponse. Je pensais que le mieux serait de m’en aller sans bruit. Mais vous connaissez ces couloirs. Et je ne
39 ous connaissez ces couloirs. Et je ne voulais pas être mis à la porte ! Naturellement, j’aurais dû pousser la première porte
40 ser la première porte venue, sans y penser, et je serais sorti comme j’étais entré. Mais le fait est que je pensais à sortir,
41 venue, sans y penser, et je serais sorti comme j’ étais entré. Mais le fait est que je pensais à sortir, et par la bonne port
42 je serais sorti comme j’étais entré. Mais le fait est que je pensais à sortir, et par la bonne porte. Voilà la faute. L’iné
43 itable se produisit au bout de quelques heures. J’ étais épuisé, j’avais faim et soif, je ne rencontrais plus personne. Je sui
44 faim et soif, je ne rencontrais plus personne. Je suis un fumeur invétéré. Ma dernière cigarette était brûlée. Je me dis : —
45 Je suis un fumeur invétéré. Ma dernière cigarette était brûlée. Je me dis : — Puisque c’est absurde, pourquoi ménager quoi qu
46 isque c’est absurde, pourquoi ménager quoi que ce soit  ? C’était la question par excellence ! Le résumé de toutes mes erreur
47 mme un fou et je crie : — Pourquoi ? Le directeur était assis face à la porte et me regardait comme s’il n’avait rien entendu
48 ardait comme s’il n’avait rien entendu. Nous nous sommes dévisagés un certain temps ; je ne trouvais pas son regard, il me sem
49 où je l’ai compris, il a tiré. — Eh bien oui, je suis là, dit-elle. (Je tenais sa main. Je sentis qu’elle avait de la fièvr
50 a tiré. — Eh bien oui, je suis là, dit-elle. (Je tenais sa main. Je sentis qu’elle avait de la fièvre.) Je suis là parce que
51 a main. Je sentis qu’elle avait de la fièvre.) Je suis là parce que tu es venu, tout simplement. Nous étions couchés chez no
52 elle avait de la fièvre.) Je suis là parce que tu es venu, tout simplement. Nous étions couchés chez nous. Je ne sais comb
53 is là parce que tu es venu, tout simplement. Nous étions couchés chez nous. Je ne sais combien de temps cela va durer. Elle dé
54 e c’est une vraie balle que j’ai dans le cœur, il est évident que je suis mort. Et si vous me dites que la balle n’est pas
55 alle que j’ai dans le cœur, il est évident que je suis mort. Et si vous me dites que la balle n’est pas plus réelle que ce q
56 je suis mort. Et si vous me dites que la balle n’ est pas plus réelle que ce qui s’est passé dans la maison, vous supprimez
57 s que la balle n’est pas plus réelle que ce qui s’ est passé dans la maison, vous supprimez à la fois toutes les questions p
58 t donc toute possibilité de réponse à quoi que ce soit . Laissez-moi donc seul. C’est mon ordre. Et si vous ne me croyez pas,
3 1942, Articles divers (1941-1946). La leçon de l’armée suisse (4 mars 1942)
59 manœuvres militaires, il dit à un soldat : « Vous êtes 500 000 hommes, et vous tirez bien ; mais si nous vous attaquions ave
60 Kaiser préféra passer par la Belgique. La Suisse est l’un des pays qui a le mieux résolu l’urgent problème de la défense d
61 a une armée de 600 000 hommes. Un habitant sur 7 est un soldat. La même proportion donnerait aux États-Unis une armée de 2
62 is nulle part les coutumes et les institutions ne sont plus démocratiques qu’en Suisse, et nulle part l’armée n’est plus pop
63 mocratiques qu’en Suisse, et nulle part l’armée n’ est plus populaire et ne fait aussi partie de la vie nationale qu’en Suis
64 domination médiévale des seigneurs, leur armée a été un groupement de citoyens libres, possédant chacun ses propres armes
65 À cette époque, l’« homme libre », — celui qui n’ était pas un serf, — se distinguait par ce fait : il avait le droit de port
66 ertés civiques et l’esprit militaire n’ont jamais été en contradiction. Depuis les temps les plus anciens, les Suisses étai
67 n. Depuis les temps les plus anciens, les Suisses étaient libres parce qu’ils étaient forts, et ils étaient forts parce qu’ils
68 anciens, les Suisses étaient libres parce qu’ils étaient forts, et ils étaient forts parce qu’ils étaient libres. La possessio
69 étaient libres parce qu’ils étaient forts, et ils étaient forts parce qu’ils étaient libres. La possession par chaque citoyen d
70 étaient forts, et ils étaient forts parce qu’ils étaient libres. La possession par chaque citoyen de ses propres armes, montre
71 armes a également une importance technique qui n’ est nullement à négliger. C’est le seul moyen d’assurer une mobilisation
72 e contre les parachutistes. Une coutume médiévale est devenue, ainsi, la méthode la plus moderne de défense. C’est la clé d
73 mée suisse et le secret de sa popularité… L’armée est un lien non seulement entre les individus, mais aussi entre les class
74 s ne leur aurait pas donné en dix ans. Ces 3 mois sont un puissant tonique pour la jeunesse suisse et la durée relativement
75 nique résultant d’une si brève période de service est compensée par un entraînement annuel. La vie civile également apporte
76 ur officiers et sous-officiers. L’officier suisse est , dans la plupart des cas, un civil, comme tout le monde. Entre les ma
77 a prévu dès 1930 déjà, que la prochaine guerre ne serait pas une guerre de « fronts », et qu’une défense en profondeur devait
78  fronts », et qu’une défense en profondeur devait être organisée, constituée par des « nids » offrant une résistance locale
79 arrer le paysage des gorges étroites. Si l’ennemi est trop puissant, des renforcements sont demandés aux voisins, suivant d
80 Si l’ennemi est trop puissant, des renforcements sont demandés aux voisins, suivant des plans préétablis. Nous trouvons ain
81 utonomie locale et entraide. La moitié de l’armée est composée de divisions mobiles régulières. Le reste consiste en garnis
82 ur défendre les principaux passages des Alpes. Ce sont des brigades de montagne, constituées par des spécialistes du ski et
83 urs postes. Les machines et les canons anti-tanks sont prêts. Les magasins de munitions et de vivres ont été cachés dans les
84 prêts. Les magasins de munitions et de vivres ont été cachés dans les rochers. En 1939, la disposition de ces troupes de co
85 res maisons. Ils savent ce qu’ils défendent. Il n’ est pas besoin de leur faire des discours. L’un de ceux qui écrivit cet a
86 es discours. L’un de ceux qui écrivit cet article fut mobilisé en 1939, à un poste-frontière du Jura. Il pouvait voir, à tr
87 et parfois attraper le clair reflet d’une robe d’ été et imaginer qu’il reconnaissait ses enfants. De telles choses compten
88 mieux équipé ? Le premier acte du « blitzkrieg » est d’empêcher la mobilisation du pays que l’on veut envahir. Les partena
89 ommunications ferroviaires. Mais l’armée suisse a été mobilisée depuis 1939 et les distances sont si petites que les troupe
90 isse a été mobilisée depuis 1939 et les distances sont si petites que les troupes peuvent être déplacées sans l’aide des voi
91 distances sont si petites que les troupes peuvent être déplacées sans l’aide des voies ferrées. La seconde phase du « blitzk
92 voies ferrées. La seconde phase du « blitzkrieg » est la trouée du territoire derrière les lignes. Cela serait-il possible
93 la trouée du territoire derrière les lignes. Cela serait -il possible en Suisse ? Il y a autant de centres de résistance qu’il
94 ilés et de montagnes. Chaque village de la Suisse est devenu un fort, ses entrées fermées par des barricades et les maisons
95 vers les forêts ou les pâturages. Mais les routes sont minées. Les fleuves, les vallées et les gorges sont protégés par des
96 nt minées. Les fleuves, les vallées et les gorges sont protégés par des canons cachés dans les parois rocheuses. Dans chaque
97 i aurait à développer une attaque en règle. Il ne serait nullement question d’avancer rapidement comme dans les plaines de Fla
98 entre le présent et les traditions historiques, s’ est vu raffermi par cette longue période de mobilisation. La Suisse fut é
99 r cette longue période de mobilisation. La Suisse fut épargnée au printemps 1940 uniquement parce que ses voisins compriren
100 niquement parce que ses voisins comprirent que ce serait un « morceau dur à avaler », et parce qu’il était celui qui a, dans s
101 erait un « morceau dur à avaler », et parce qu’il était celui qui a, dans ses mains, le Gothard. Les 4/5e du trafic entre l’A
102 se font par le Gothard ou le Simplon. Ces tunnels sont puissamment minés. Beaucoup d’hommes ont juré de les faire sauter au
103 le plan suisse de défense. La ligne du Gothard a été déclarée comme ligne de retraite nationale. Certaines unités de l’arm
104 allées partant du Gothard. Les Suisses pourraient tenir , sans espérer toutefois une victoire, mais ils sauveront du moins l’h
105 d’esprit actuel de la Suisse. Le vrai Confédéré est celui qui ne questionne jamais pour ce qui a trait à la défense du so
106 our ce qui a trait à la défense du sol quand cela est raisonnable. À ceux qui demandent : « Pourquoi ces sacrifices ? », il
107 Ni la famine, ni la guerre, ni l’exil ne pourront être évités si nous gémissons sans lutter. » La liberté individuelle ne po
108 royons en Dieu et non pas en un homme qui prétend être adoré comme un Dieu. c. Rougemont Denis de, « La leçon de l’armée
4 1943, Articles divers (1941-1946). Angérone (mars 1943)
109 érone (mars 1943)d Somnium narrare vigilantis est . Sénèque En pleine polémique avec le mystère, il arrive à certains d
110 r recours à ces remèdes, car définir l’amour ce n’ est point le connaître, mais limiter sa part dans notre vie, et nul amour
111 tte méfiance ou à cette avarice anxieuse. Mais il est une manière imaginable de parler de l’amour sans malice : c’est de fo
112 oments une espèce d’émotion ou de gêne, non qu’il soit dit ni même décrit par allusions ou par symboles, mais sa présence so
113 ions ou par symboles, mais sa présence souveraine est annoncée par certain frémissement de l’assemblée des mots qui font la
114 ont la cour : le Roi s’approche. Toute éloquence est amoureuse, excitée par l’amour qui la rend fleurissante. Mais l’amour
115 amour qui la rend fleurissante. Mais l’amour même est chose du silence. Cela dont je ne puis parler sans l’offenser dans sa
116 r, c’est ce qui m’enflamme à parler. Rien ne peut être dit de l’amour même, mais rien non plus n’est dit que par l’amour, si
117 ut être dit de l’amour même, mais rien non plus n’ est dit que par l’amour, si toutefois quelque chose est vraiment dite. La
118 t dit que par l’amour, si toutefois quelque chose est vraiment dite. La Fable nous apprend à sa manière que l’amour est le
119 e. La Fable nous apprend à sa manière que l’amour est le lieu d’un mutisme sacré. Angérone, déesse du Silence : on croit qu
120 temple de la Volupté. Et certains pensent qu’elle est la même que la déesse Volupie. Promenons-nous aux alentours de ce col
121 -nous aux alentours de ce colloque. La Volupté n’ est pas le plaisir même, mais l’imagination active du désir qui lentement
122 ec le « terme » où l’esprit se libère. La volupté serait un phénomène analogue à celui de l’hypnose : un état de l’âme ou de l
123 un, par l’abandon chez l’autre. Que cette hypnose soit en quelque mesure — celle de l’esprit — indépendante de l’instinct, c
124 ns fond où elle se penche… Maintenant un seul œil est visible dans ce visage décomposé en ombres et lueurs lentement mouvan
125 e s’il doutait… Adolescence ! Le charme du désir est celui du silence : il éloigne sans fin le terme. Tu n’entends que ce
126 rompt. Tu ne sais rien que tu ne perdes. Car ce n’ est pas le savoir que tu veux, mais la divine connaissance du présent. Or
127 ne connaissance du présent. Or cette connaissance est interdite. Et c’est l’approche du viol de l’interdit qui impose aux a
128 ’accomplissement du plus violent amour qu’il nous est accordé de concevoir un absolu, mais sous la forme de l’inaccessible.
129 mes ? Deux corps s’endorment dans leur paix, et l’ être enfin comblé ne sait plus où se prendre. Il se ramène en soi, se divi
130 qui s’égalerait à l’Infini. Se fondre en un seul être , mais que cet être accède ensuite au commerce de ses semblables, qu’à
131 l’Infini. Se fondre en un seul être, mais que cet être accède ensuite au commerce de ses semblables, qu’à son tour il les ai
132 sance imaginaire et désespérément consciente de l’ Être . L’aube point. L’esprit se tourne vers les choses et les dénomme d’un
133 s-mêmes. Mais dans cette défaite de l’étreinte, n’ est -ce point le souvenir du seul désert que désormais nous chercherons ?
134 celui seul qui l’éprouve jusqu’à l’épouvante : l’ être que nous formons au sommet de l’amour, et qui meurt à l’instant où il
135 on, change de signe. On voit soudain que le désir était le dialogue des corps, tandis que le plaisir est solitaire, instant o
136 tait le dialogue des corps, tandis que le plaisir est solitaire, instant où les amants sont le plus séparés, arrachés, reti
137 e le plaisir est solitaire, instant où les amants sont le plus séparés, arrachés, retirés en soi. Alors paraissent la consci
138 le sérieux, et la réalité des vies au jour. Nous sommes deux. Il n’y a que deux philosophies : celle du désir et celle de l’
139 umain. L’amour rêvé meurt au seuil de l’amour qui sera notre tâche sérieuse. Quittons ce temple où dorment deux idoles, et p
5 1943, Articles divers (1941-1946). La gloire (mars 1943)
140 ut-être le secret d’une différence aussi curieuse est -il caché dans les passages de ces cahiers que nous allons transcrire
141 i profondément ambiguë, vis-à-vis de la gloire, n’ est pas sans entretenir les plus curieux malentendus entre un auteur et s
142 e un auteur et ses lecteurs. Or il se peut que ce soit l’attitude de la plupart des écrivains modernes.) J’ai vécu pour la
143 vécu pour la gloire — dit le prince André — et qu’ est -ce que la gloire, si ce n’est aussi l’amour du prochain, le désir de
144 rince André — et qu’est-ce que la gloire, si ce n’ est aussi l’amour du prochain, le désir de lui être utile et de mériter s
145 n’est aussi l’amour du prochain, le désir de lui être utile et de mériter ses louanges ? J’ai donc vécu pour les autres, et
146 J’ai donc vécu pour les autres, et mon existence est perdue, perdue sans retour ; depuis que je vis pour moi, je vis pour
147 ; depuis que je vis pour moi, je vis pour moi, je suis plus calme… Les autres, c’est le prochain, comme la princesse Marie e
148 ’iniquité et de mal ! Le prochain, le sais-tu, ce sont les paysans de Kiew, que tu rêves de combler de bienfaits. (Tolstoï,
149 n’y vois plus que sophismes. Non, la gloire, ce n’ est pas l’amour mais au contraire le mépris du prochain. Le Prince André
150 triomphal, s’incline et prononce à mi-voix : « Je suis le serviteur du public, cela va sans dire. » C’est à cela qu’on donne
151 même excessif pour le talent qu’on a. La foule ne tient pour glorieux que ceux qui prennent le soin de parler de leur gloire.
152 l’on change le jugement sur la gloire. La gloire est donc un mythe : j’entends que son pouvoir et sa grandeur ne dépendent
153 cit eundo : minuit praesentia famam. Toute gloire est donc aliénée. Celle d’un Chateaubriand n’est pas à lui, ni à son œuvr
154 oire est donc aliénée. Celle d’un Chateaubriand n’ est pas à lui, ni à son œuvre, mais au public qui la lui prête parce que
155 c qui la lui prête parce que d’abord l’auteur s’y est prêté. Quant à moi, je suis trop égoïste pour me laisser aller à ce j
156 e d’abord l’auteur s’y est prêté. Quant à moi, je suis trop égoïste pour me laisser aller à ce jeu-là. Je me sentirais dépos
157 -là. Je me sentirais dépossédé. C’est que je veux être aimé pour moi-même, tel que je suis et non point tel que me désire le
158 t que je veux être aimé pour moi-même, tel que je suis et non point tel que me désire leur goût sentimental de « l’Art ». Ma
159 plique et se retourne ! Celui qui veut la gloire, est -ce qu’il manquerait d’orgueil ? Serait-il plus humble que moi ? Et l’
160 ut la gloire, est-ce qu’il manquerait d’orgueil ? Serait -il plus humble que moi ? Et l’orgueilleux que je suis, ne donne-t-il
161 -il plus humble que moi ? Et l’orgueilleux que je suis , ne donne-t-il pas une preuve d’amour à son audience en exigeant d’el
162 , puisque je vous veux moins vulgaires que vous n’ êtes . Celui qui ne veut pas la gloire telle que la donne une foule à qui l
163 e telle que la donne une foule à qui la flatte, n’ est -ce pas qu’il veut la gloire telle que lui seul serait capable de se l
164 st-ce pas qu’il veut la gloire telle que lui seul serait capable de se la décerner ? L’idée moderne de la gloire nous vient,
165 e nous vient, dit-on, de la Renaissance. Glorieux est celui qui s’affirme en différant, bien plus qu’en excellant. C’est do
166 l’Italie du xve siècle.) Le besoin de la gloire est donc né d’une sorte de maladie du sens social. C’est le contraire de
167 cherche des admirateurs, des confirmateurs de son être . C’est que l’acte de s’écarter d’une communion ou d’une communauté, é
168 ngerait pas à rechercher la gloire. Car la gloire est ce qui sépare. Mais il chercherait l’excellence, à son rang et selon
169 et selon ses astres. Ainsi les héros et les rois sont les auteurs de leur éclat. Ils donnent et ne demandent rien. Et ce qu
170 qui fait la gloire d’un homme.) La gloire antique était virile, comme le don. Alexandre exemplaire, plus beau que tous, plus
171 u que tous, plus fort et plus heureux que tous, n’ était pas séparé mais au sommet. Sa gloire était dans son destin, gagée par
172 ous, n’était pas séparé mais au sommet. Sa gloire était dans son destin, gagée par une mesure universelle que ses actions com
173 mblaient exactement. Mais notre gloire ne saurait être mesurée : c’est une rumeur, c’est une publicité, une espèce d’inflati
174 licité, une espèce d’inflation provisoire. Elle n’ est pas grande, mais exagérée, mobile, nerveuse, sentimentale. Et voici q
175 rée, mobile, nerveuse, sentimentale. Et voici qui est plus grave : elle est ressentie comme flatteuse. C’est donc quelque c
176 sentimentale. Et voici qui est plus grave : elle est ressentie comme flatteuse. C’est donc quelque chose de vulgaire. De f
177 dont on ne puisse démontrer par quels moyens elle fut acquise : toujours au prix d’une vulgarité. (Zones de bassesse chez d
178 st là, non pas dans la beauté de son œuvre, que s’ est constituée sa gloire.) Et cependant, je me suis surpris à désirer une
179 s’est constituée sa gloire.) Et cependant, je me suis surpris à désirer une gloire qui ne m’ennuierait pas. Non point la le
180 n d’adorateurs pour rayonner et se réjouir de son être . Oui, c’est bien là le privilège d’un dieu. Et la vraie gloire. Qu’e
181 à le privilège d’un dieu. Et la vraie gloire. Qu’ est -ce que l’incognito ? Il y a là quelqu’un qui a de la valeur ; on ne l
182 oire moderne, c’est à peu près l’inverse. Mais ne serait -ce pas aussi le meilleur moyen de sauver son incognito en se donnant
183 e avantage de la gloire : elle confère le droit d’ être banal. Tant pis si beaucoup en abusent… Hypothèse : l’expérience int
184 isse avouer sa vanité, ou bien ils croient que ce serait naïf ; et si l’on avoue son orgueil, ils croient que c’est par vanité
185 son orgueil, ils croient que c’est par vanité. Je suis homme : donc vaniteux, naïf, retors, orgueilleux, etc. Quel avantage
186 c. Quel avantage à feindre ? La plus sotte vanité étant assurément d’essayer de faire croire qu’on n’en a point. Si l’on cond
187 sa propre vanité, le mieux pour s’en débarrasser serait d’en parler ouvertement. Comme un menteur qui dirait : « Je vous aver
188 r telle et telle raison aisément vérifiable. » Ce serait instructif et amusant. Je veux ma gloire, et je ne l’avoue jamais, —
189 j’aime et qui me connaissez. Vous savez ce que je suis , et si vous appreniez un jour que j’ai de la gloire, que sauriez-vous
190 s — mais non comme une erreur —, je veux cela. Qu’ est -ce donc que « gloire », dont la prononciation, pour peu d’emphase que
191 triomphal accord clamé, ou cet instant plutôt qui est au seuil de sa résolution fondamentale — quel est ce seuil, et que no
192 est au seuil de sa résolution fondamentale — quel est ce seuil, et que nous ouvrent, sur quel ciel, les symphonies ? Je n’o
193 l, les symphonies ? Je n’ose pas dire que je veux être Dieu. Ce serait là, pourtant, ma vérité, la vérité de mon mensonge. E
194 ies ? Je n’ose pas dire que je veux être Dieu. Ce serait là, pourtant, ma vérité, la vérité de mon mensonge. Est-ce à cause qu
195 , pourtant, ma vérité, la vérité de mon mensonge. Est -ce à cause que mon nom est : mensonge, que je voudrais la gloire et n
196 érité de mon mensonge. Est-ce à cause que mon nom est  : mensonge, que je voudrais la gloire et ne sais pas pourquoi ? Ou n’
197 e pas savoir pourquoi… Ce que je n’ose pas savoir est angoisse. Angoisse est le nom du secret que je sers sans oser le serv
198 Ce que je n’ose pas savoir est angoisse. Angoisse est le nom du secret que je sers sans oser le servir, parce que je sais q
199 ans oser le servir, parce que je sais que son nom est mensonge, et que c’est moi qui ne suis rien. Ainsi Dieu est mon adver
200 que son nom est mensonge, et que c’est moi qui ne suis rien. Ainsi Dieu est mon adversaire. C’est lui seul qui s’oppose à ma
201 ge, et que c’est moi qui ne suis rien. Ainsi Dieu est mon adversaire. C’est lui seul qui s’oppose à ma gloire, et qui me sa
202 omphe. Il n’y a qu’un seul Dieu, celui qui dit Je suis . Ce sera Dieu, ou ce sera moi. Si c’est moi, ce ne sera rien. Si c’es
203 n’y a qu’un seul Dieu, celui qui dit Je suis. Ce sera Dieu, ou ce sera moi. Si c’est moi, ce ne sera rien. Si c’est Dieu, j
204 Dieu, celui qui dit Je suis. Ce sera Dieu, ou ce sera moi. Si c’est moi, ce ne sera rien. Si c’est Dieu, je ne serai rien.
205 Ce sera Dieu, ou ce sera moi. Si c’est moi, ce ne sera rien. Si c’est Dieu, je ne serai rien. Si Dieu me tue, il sera tout,
206 c’est moi, ce ne sera rien. Si c’est Dieu, je ne serai rien. Si Dieu me tue, il sera tout, et tout sera. Ainsi, ô Dieu, déli
207 c’est Dieu, je ne serai rien. Si Dieu me tue, il sera tout, et tout sera. Ainsi, ô Dieu, délivrez-moi de la gloire ! Mais c
208 serai rien. Si Dieu me tue, il sera tout, et tout sera . Ainsi, ô Dieu, délivrez-moi de la gloire ! Mais cette prière m’émeut
6 1943, Articles divers (1941-1946). Rhétorique américaine (juin-juillet 1943)
209 qui allaient de soi dans notre Europe, et qui me sont révélées dans ce pays, parce que c’est leur contraire, ici, qui va de
210 de. Chaque fois que j’en relis quelques pages, je suis frappé par le souci qu’y montre Gide d’une écriture durable et d’une
211 en premier lieu. Ce souci, cette arrière-pensée, sont étrangers à la littérature américaine, trop jeune pour craindre les a
212 lai. Signe de santé d’une culture. Le journaliste est l’homme pour qui le lendemain n’existe pas, remarquait encore André G
213 ut qu’un discours, un essai ou un simple article, soient introduits par quelques précautions verbales, qui créent une atmosphè
214 llustrer. L’anecdote révélatrice, le Human Touch, sont régulièrement préférés par un directeur de revue américaine à la « fo
215 ’une idée l’on ne demandera pas seulement qu’elle soit juste, mais qu’elle soit inspiring, stimulante. Tout cela donne une l
216 ra pas seulement qu’elle soit juste, mais qu’elle soit inspiring, stimulante. Tout cela donne une littérature plus apte qu’a
217 ù nous allons entrer ? Je n’en sais rien. Mais je suis sûr que l’écrivain français et l’écrivain américain ont beaucoup à ap
7 1943, Articles divers (1941-1946). Mémoire de l’Europe : Fragments d’un Journal des Mauvais Temps (septembre 1943)
218 encore un paradis perdu ! Mais les vrais paradis seront toujours perdus : ils naissent à l’heure où on les perd. Souvenirs de
219 er rayonnants dans la lueur éternisée d’un soir d’ été , après l’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirante et délicieu
220 ait vu. Mais déjà, pour beaucoup d’entre nous, ce fut simplement l’avant-guerre, les souvenirs de notre enfance. Et voici q
221 nce. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’un coup, est encore plus proche : c’est l’an passé, c’est avant-hier, peut-être mê
222 ’est l’an passé, c’est avant-hier, peut-être même est -ce — aujourd’hui ? Mais oui, peut-être vivons-nous, ici, dans ce Pari
223 ont nous avions à peine conscience, parce qu’elle était notre manière toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et ve
224 ère étrange et brutale, où ces formes de vie qui sont encore les nôtres ne peuvent plus apprivoiser le destin. Soit que les
225 les nôtres ne peuvent plus apprivoiser le destin. Soit que les tyrans nous accablent, soit qu’un sursaut nous dresse à résis
226 er le destin. Soit que les tyrans nous accablent, soit qu’un sursaut nous dresse à résister, il faudra changer le rythme et
227 iberté ne peut survivre à de tels chocs. Car elle est vraiment comme un rêve, un rêve heureux où l’on circule avec aisance,
228 t parfois l’arrière-conscience d’un miracle. Elle est encore une œuvre d’art qui n’agit que par l’atmosphère, par le charme
229 il nous force au réalisme à sa manière, le charme est détruit dans nos vies. Nous sommes pareils à celui qui s’éveille et g
230 anière, le charme est détruit dans nos vies. Nous sommes pareils à celui qui s’éveille et goûte encore quelques instants les d
231 des habitudes où l’énergie s’enlise. Ce besoin d’ être provoqué pour montrer de quoi l’on est capable est si profond, peut-ê
232 besoin d’être provoqué pour montrer de quoi l’on est capable est si profond, peut-être si normal, que j’en viens à me dema
233 re provoqué pour montrer de quoi l’on est capable est si profond, peut-être si normal, que j’en viens à me demander si tout
234 j’en viens à me demander si toutes nos crises ne seraient pas machinées par nous-mêmes, dans notre inconscient collectif. Je pu
235 onscient collectif. Je puis l’avouer parce que je suis un écrivain, Il est admis que ces gens-là ont le droit de dire — pour
236 e puis l’avouer parce que je suis un écrivain, Il est admis que ces gens-là ont le droit de dire — pour le soulagement géné
237 e de cynisme ou de lâcheté. Faut-il penser qu’ils sont plus courageux ? Mais non. Ils sont tout seuls devant leur papier bla
238 penser qu’ils sont plus courageux ? Mais non. Ils sont tout seuls devant leur papier blanc. Les réactions à leur parole sero
239 nt leur papier blanc. Les réactions à leur parole seront lointaines, ou même ils ne les connaîtront jamais… Paris, 12 mai 1939
240 spirituelle la plus extraordinaire du siècle ! Il est des êtres et des drames dont la vérité n’apparaît que dans cet enviro
241 lle la plus extraordinaire du siècle ! Il est des êtres et des drames dont la vérité n’apparaît que dans cet environnement de
242 maginer là-dessus un livre vrai, un livre où tout serait avoué, horreur et charme, à travers la vision d’un saint qui vivrait
243 n de ce temple, un samedi soir, où la Sainte-Cène est partagée dans un silence de catacombes. Centre du monde ! Il s’en va,
244 s avec cette grande Question qu’il porte dans son être , et qui est aussi la grande réponse ; et les démons s’éveillent sur s
245 grande Question qu’il porte dans son être, et qui est aussi la grande réponse ; et les démons s’éveillent sur son passage,
246 onde et fait surgir des quotidiennes apparences l’ être tou­chant, bizarre ou monstrueux que chacun de nous dissimule. Alors,
247 verrait le réel, alors on cesserait de haïr, ou d’ être déçu par l’amour, ou de s’inquiéter des rumeurs qui glissent au trave
248 réduits se rétrécissent vers la catastrophe. Il n’ est plus d’autre issue que la nuit, mais viendra-t-elle après ma mort ou
249 irs saccagés. S’il y avait une victoire enfin, ce serait un retour du passé. Vaudrait-il mieux qu’alors ? Saurions-nous mieux
250 éjà ! comme dans les chansons — même si la guerre était gagnée, même si demain nous devons vivre encore… À quoi pensent-ils,
251 réveil, affreux bonheur d’une illusion rapide, où suis -je ? Déjà tout recommence, sans relâche, et cet acharnement des chose
252 ma mort à moi. C’est sérieux, cette fois-ci ça y est  !… Vivant un cauchemar qui est vrai, nous allons en désordre au révei
253 cette fois-ci ça y est !… Vivant un cauchemar qui est vrai, nous allons en désordre au réveil. La mort, le désespoir en ple
254 les mêmes histoires, pas de décision… » Le monde était en train de changer de face d’un jour à l’autre, mais on le regardait
255 encore où il a mal. Va-t-il vivre ? A-t-il rêvé ? Serait -il déjà mort ? J’ai vu l’Espagne de cendre et d’esprit, incapable de
256 rasse. Hâtons-nous, car tout peut périr. Nous qui sommes encore épargnés, ne perdons pas notre délai de grâce ! VI. — Souve
257 ser, et l’on parvient à la grand-rue : comme elle est vide ! Les toits d’ardoises ne dépassent pas les façades nues, brunie
258 brunies par l’âge, patinées par les vents. Rares sont les boutiques, et même les cafés. Et s’il passe une auto, c’est une d
259 discrète, si pacifique et séculaire. Ce pays-là n’ est qu’amitié des tons et des lignes humaines, humilité sous la douceur d
260 lentement vers la vallée, dans les vergers. Je m’ étais arrêté à cet endroit, hésitant sur le chemin à prendre. Et soudain, j
261 lettres capitales bien arrondies : Martine Je suis Aux champs Paix du village, silence des rues vides ouvertes sur l
262 ues vides ouvertes sur le ciel et sur les blés. J’ étais là fasciné comme par la découverte d’un secret de pudeur naïvement dé
263 s : il entre, ne trouve personne. Mais ses outils sont là, contre le mur. Il reprend le chemin de son champ. En passant au c
264 hemin de son champ. En passant au carrefour, il s’ est dit : « Peut-être est-elle à Mandres, c’est donc jour de marché. » Il
265 passant au carrefour, il s’est dit : « Peut-être est -elle à Mandres, c’est donc jour de marché. » Il a écrit ces mots. Ell
266 hoses de toujours. Et le moindre signe suffît. Je suis redescendu vers la vallée de l’Yerre, qui coule entre des saules et d
267 ire de l’Europe 1943 Je ne savais pas que tout était si près là-bas. J’étais baigné. J’étais fondé. Et je marchais parmi l
268 Je ne savais pas que tout était si près là-bas. J’ étais baigné. J’étais fondé. Et je marchais parmi les signes. Sédiments séc
269 que tout était si près là-bas. J’étais baigné. J’ étais fondé. Et je marchais parmi les signes. Sédiments séculaires, socles
270 … « Je t’aime. J’aime ! » J’ai tout dit. L’Europe était patrie d’amour. Le silence attendait, l’absence était profonde, et ch
271 t patrie d’amour. Le silence attendait, l’absence était profonde, et chaque être présent questionnait, répondait. La force ét
272 ce attendait, l’absence était profonde, et chaque être présent questionnait, répondait. La force était au secret de nos vies
273 ue être présent questionnait, répondait. La force était au secret de nos vies, nouée parfois dans une rancune obscure, ou bie
274 ns la contemplation jalouse d’un vieil arbre — il était vieux déjà du temps de notre enfance, et notre possession la plus ten
275 us tenace, il nous réduisait au silence. La force était chanson fredonnée, sur le seuil, au matin d’une journée qui se liait
276 evient visible, c’est comme le sang, c’est que tu es blessé, ta vie s’en va). La force était mémoire et allusion, elle éta
277 c’est que tu es blessé, ta vie s’en va). La force était mémoire et allusion, elle était ce vieil arbre tenace. Elle était la
278 ’en va). La force était mémoire et allusion, elle était ce vieil arbre tenace. Elle était la douceur et la sagesse amère des
279 allusion, elle était ce vieil arbre tenace. Elle était la douceur et la sagesse amère des adieux, ou la gaieté d’un mot dit
280 me souviens — c’est l’Europe. Parce que l’Europe est la mémoire du monde, parce qu’elle a su garder en vie tant de passé,
8 1944, Articles divers (1941-1946). Un peuple se révèle dans le malheur (février 1944)
281 tait piquant, indéfinissablement féminin comme le sont la plupart des vedettes. Mais où était dans tout cela le vrai peuple
282 in comme le sont la plupart des vedettes. Mais où était dans tout cela le vrai peuple de la vraie France ? Ce peuple naguère
283 de France ; les récits et les témoignages qui ont été publiés secrètement par les mouvements de résistance et qui parvienne
284 ais. Les Français critiquaient beaucoup. Le décor était inexact, les situations pas toujours vraisemblables, les traîtres tro
285 aute des élites parisiennes : le peuple de France est grave, ou plus exactement il est sérieux. Il n’est pas avant tout cha
286 peuple de France est grave, ou plus exactement il est sérieux. Il n’est pas avant tout charmant et spirituel, bien-disant,
287 st grave, ou plus exactement il est sérieux. Il n’ est pas avant tout charmant et spirituel, bien-disant, bon vivant et lége
288 spirituel, bien-disant, bon vivant et léger. Il n’ est tout cela qu’en second lieu, et comme par luxe. Dans le fond et d’abo
289 u, et comme par luxe. Dans le fond et d’abord, il est sérieux, plus qu’aucun autre peuple dont j’aie vécu la vie. Seulement
290 utre peuple dont j’aie vécu la vie. Seulement, il est sérieux sans pose, avec pudeur, préférant affecter la blague et le sc
291 pense d’instinct, comme Talleyrand, que « ce qui est exagéré n’est pas sérieux ». Ce qui me frappe le plus, dans les films
292 nct, comme Talleyrand, que « ce qui est exagéré n’ est pas sérieux ». Ce qui me frappe le plus, dans les films que je citais
293 ïsme populaire. Ce peuple en noir au regard vif s’ est révélé face au danger. Il manquait d’armes, il lutte avec sa dignité
294 ques semaines en territoire conquis, l’Allemand s’ est senti dominé par une force étrange et qui l’intimidait : le regard sé
9 1944, Articles divers (1941-1946). Ars prophetica, ou D’un langage qui ne veut pas être clair (hiver 1944)
295 Ars prophetica, ou D’un langage qui ne veut pas être clair (hiver 1944)j Un critique. J’ai lu vos deux dialogues sur l
296 r la carte postale6, je les aime bien… Enfin il n’ est pas exact que je les aime bien. Ils m’irritent et m’agacent. Mais je
297 oublie pas.7 L’auteur. La mémoire des offenses est la plus sûre. Il me semble parfois qu’il n’est pas de louange préféra
298 es est la plus sûre. Il me semble parfois qu’il n’ est pas de louange préférable à celle-ci qu’on me fasse grief de mes écri
299 i me gênait, je crois, c’est qu’à mon sens vous n’ êtes pas encore assez clair. L’auteur. Et pourquoi je vous prie, être cla
300 assez clair. L’auteur. Et pourquoi je vous prie, être clair ? Vous n’allez pas me dire que c’est la bonne manière de se fai
301 e se faire comprendre ? Le critique. On voudrait être sûr que vous vous comprenez assez. L’auteur. Assez pour quoi ? C. A
302 ez. L’auteur. Assez pour quoi ? C. Assez pour n’ être point la dupe de vos phrases. Écrire, et surtout en français, ce n’es
303 vos phrases. Écrire, et surtout en français, ce n’ est pas jouer du violon. Tout d’un coup vous le prenez à double corde, et
304 ssion, un peu trop tôt — qui nous surprend… A. N’ est -ce pas toujours ainsi ? Je veux dire : tout écrivain n’est-il pas d’a
305 s toujours ainsi ? Je veux dire : tout écrivain n’ est -il pas d’abord séduit, ou au contraire vexé par ses images ou ses idé
306 entrées. Il faudrait nous persuader que vos goûts sont bien des raisons, et que ces raisons sont les nôtres. Ou bien vous fa
307 s goûts sont bien des raisons, et que ces raisons sont les nôtres. Ou bien vous faites de la poésie, et alors vous jouez sur
308 et de mes deux précédents dialogues. C. Du moins serez -vous en garde contre votre obscurité ? A. C’est justement ce parti p
309 ne davantage qu’une feinte aimable. Au reste nous sommes entre nous et vous n’abuserez pas de mes aveux… D’autant qu’ils seron
310 vous n’abuserez pas de mes aveux… D’autant qu’ils seront probablement exagérés. C. Que de précautions ! Vous êtes en train d’
311 bablement exagérés. C. Que de précautions ! Vous êtes en train d’imiter ce héros de je ne sais quel album de Toepffer, qui
312 i feint de feindre afin de mieux dissimuler. — Qu’ est -ce qu’être clair, à votre avis ? A. Dès que l’on pose cette question
313 feindre afin de mieux dissimuler. — Qu’est-ce qu’ être clair, à votre avis ? A. Dès que l’on pose cette question, il me sem
314 amné à des réponses ou plates ou mystérieuses. Ne serait -ce pas que la clarté n’est qu’une convention de langage ? J’entends :
315 ou mystérieuses. Ne serait-ce pas que la clarté n’ est qu’une convention de langage ? J’entends : un mot de passe de la trib
316 Hé quoi ! vous savez bien que tout notre langage est un système conventionnel ! A. Notre langage courant sans aucun doute
317 le souci de contrôler ses conventions. Mais ce n’ est pas là le seul mode d’expression possible. C. Précisément je souhait
318 ons, si vous le voulez, sur le plan du langage. N’ est -ce pas la cohérence des raisons et à la fois l’exact ajustement de ce
319 hode du discours. La fin dernière d’un discours n’ est autre que la cohérence, la vérité elle-même s’y trouvant ordonnée à l
320 dit, le discours cartésien n’a pas de fin qui lui soit transcendante. Il part de ce qu’il suppose clair et facile, et sa mar
321 de ce qu’il suppose clair et facile, et sa marche est une déduction. La convention d’un tel langage, est que tout est donné
322 st une déduction. La convention d’un tel langage, est que tout est donné au départ, et qu’il s’agit de ne rien introduire d
323 ion. La convention d’un tel langage, est que tout est donné au départ, et qu’il s’agit de ne rien introduire dans la chaîne
324 introduire dans la chaîne des arguments qui n’ait été d’abord jaugé, chiffré, et défini en termes simples. À mon tour de me
325 nne. Car enfin où prend-on dans le monde rien qui soit « clair, simple et facile » en soi ? Le monde dans lequel nous vivons
326 i ? Le monde dans lequel nous vivons et parlons n’ est -il pas, comme l’a dit un Russe « le monde de l’imprécis et du non rés
327 d’une raison sans parti pris à ce monde tel qu’il est donné, n’a-t-elle pas pour effet immédiat de multiplier le mystère et
328 au choix de ces données dites premières. Encore n’ est -il pas exact de recourir ici à l’expression d’arrière-pensée. C’est s
329 une « arrière-image » qu’il faudrait dire. C. Ne serait -il pas trop cartésien de vous demander de préciser ? A. J’essaierai
330 par un exemple. La méthode inventée par Descartes est donc devenue celle de la science. C’est elle dont usent nos physicien
331 aduisant les résultats acquis. Or ces phrases ont été choisies par le savant en vertu d’une double exigence : d’une part el
332 formule mathématique ; d’autre part, et voilà qui est remarquable, il est sous-entendu qu’elles correspondent au langage du
333  ; d’autre part, et voilà qui est remarquable, il est sous-entendu qu’elles correspondent au langage du sens commun, aux im
334 ur des propriétés de la matière. Et ce discours n’ est qu’un certain système d’images. S’il se distingue du parler quotidien
335 ge, vidées de leurs sens particuliers. Ce procédé est sans danger quand il est appliqué par les savants, la science légale
336 particuliers. Ce procédé est sans danger quand il est appliqué par les savants, la science légale n’étant, c’est entendu, q
337 est appliqué par les savants, la science légale n’ étant , c’est entendu, qu’une manière de parler du réel, et sans cesse corri
338 prétendent partir de vérités élémentaires qui ne sont autres que des abstractions opérées sur nos formes de langage. Je vou
339 le tout, quand la fin nous échappent ! Comme s’il était licite, et même possible, de partir de certains éléments et de les dé
340 thodiquement l’ensemble dont ils dépendent et qui est leur seule mesure. C. J’avoue que je vous suivrais mieux si vous pou
341 n de l’esprit : c’est une maxime populaire. On la tient pour tellement évidente que son rappel, au cours d’une discussion, fi
342 vant cet autre exploit : poser que le plus simple est aussi le plus proche, et qu’il faut commencer par là. C’est sans dout
343 lle absurdité, la magnifique carte postale ! S’il est une chose que l’expérience humaine me paraît avoir établie — je dirai
344 e davantage aux développements d’une pensée qui m’ est curieusement étrangère. Vous parliez d’une vision totale ?… A. L’exp
345 chemin parcouru : elle ignore tout de son but et tiendrait même pour une prévention fâcheuse la croyance que ce but existe en to
346 st presque le contraire. Voilà : — Je sais que je suis dans la nuit. Je ne puis marcher que dans la confusion. Mais, si je m
347 ne peut la comprendre qu’à partir de son but. Il est très juste qu’elle paraisse absurde à l’observateur raisonnable. C.
348 C. Le propre d’une vision pareille, c’est qu’elle est incommunicable, j’imagine ? A. Il vaut mieux dire indescriptible, et
349  ? A. Il vaut mieux dire indescriptible, et cela tient à sa vérité même, je veux dire à sa plénitude instantanée qui découra
350 urquoi le langage de la vision ou de la foi, s’il était pur, serait absolument inexplicable, et évident. Il n’y aurait plus q
351 angage de la vision ou de la foi, s’il était pur, serait absolument inexplicable, et évident. Il n’y aurait plus qu’à méditer
352 et pourtant exclusifs l’un de l’autre. Le premier serait la loi scientifique. Ses conventions sont la clarté et l’absence de c
353 emier serait la loi scientifique. Ses conventions sont la clarté et l’absence de contradiction. La seconde forme d’expressio
354 contradiction. La seconde forme d’expression, ce serait celle dont j’essayais de vous faire pressentir la limite, en parlant
355 ieux cette forme-là de la première, dont l’office est évidemment d’expliquer. Oui, cette opposition va nous aider : impliqu
356 précède. Voilà pourquoi le discours d’un prophète est le contraire d’un discours. L’événement seul lui rendra sa raison. Ai
357 ment seul lui rendra sa raison. Ainsi la parabole est une énigme dont le sens est dans la vision. C. Comment expliquez-vou
358 on. Ainsi la parabole est une énigme dont le sens est dans la vision. C. Comment expliquez-vous le plaisir que je prends à
359 ous ? Qui a le droit de parler en paraboles, et d’ être obscur à la manière des prophètes ? A. Le droit ? Personne, bien sûr
360 n peut toutefois imaginer une autre attitude de l’ être , et qui soit telle que la question du droit ne se pose plus. C’est l’
361 ois imaginer une autre attitude de l’être, et qui soit telle que la question du droit ne se pose plus. C’est l’attitude de l
362 et de phrases qui puissent, comme par une ironie, être compris en soi et dans leur lettre, mais dont le sens dernier ne puis
363 leur lettre, mais dont le sens dernier ne puisse être aperçu sous un angle de vision quelconque. Je dis que l’homme qui a v
364 ètes et composer des paraboles. Si ses prophéties sont décevantes et ses paraboles sans fruit, il n’en est pas moins un prop
365 t décevantes et ses paraboles sans fruit, il n’en est pas moins un prophète. Mais alors on le jugera selon sa fin. Vous m’a
366 naïveté très singulière pour endosser le risque d’ être obscur. Passe encore pour l’homme de Patmos, qui avait vu la fin de n
367 stoire : l’ampleur de sa vision le sauve. Mais il est des visions moins illustres, qui n’embrassent pas le monde de haut en
368 rant inventaire. Je parle de visions furtives qui sont à celle de l’apôtre comme le Petit Monde au Grand Monde, — signes du
369 parler prophétique. C’est le même risque, et ce n’ est pas la même grandeur… Les « sentinelles de Juda », les grands prophèt
370  sentinelles de Juda », les grands prophètes, ont été justifiés dans leur délire, mais un prophète des choses d’ici-bas, un
371 divine, quelle défense osera-t-il produire qui ne soit pas aussi son jugement ? 6. Ces deux dialogues sont restés dans un
372 pas aussi son jugement ? 6. Ces deux dialogues sont restés dans un tiroir à Paris. 7. Quatre « dialogues » paraîtront au
373   Ars prophetica, ou D’un langage qui ne veut pas être clair », Hémisphères, New York, hiver 1944, p. 3-9.
10 1944, Articles divers (1941-1946). L’attitude personnaliste (octobre 1944)
374 leçon des faits, nous le saurons un jour. Mais il est clair dès maintenant que les circonstances sont enfin devenues favora
375 il est clair dès maintenant que les circonstances sont enfin devenues favorables pour une action plus large et constructive.
376 arge et constructive. Les événements eux-mêmes se sont chargés de faire la critique de tant d’incohérences au sein desquelle
377 struire, les grandes questions peuvent et doivent être reposées. Allons-nous rebâtir sur les valeurs d’une philosophie de l’
378 sur les valeurs d’une philosophie de l’Objet (qui était celle du capitalisme et des divers « planisme »), ou bien allons-nous
379 bien allons-nous faire une société où les objets soient remis au service de l’homme qui crée et qui se veut responsable ? Si
380 iciens. Sur le plan philosophique, la situation n’ était pas meilleure. Là encore, la personne humaine se voyait attaquée, dis
381 enser un monde en partant, non point des objets — fussent -ils aussi abstraits que les fameuses « forces économiques » — mais de
382 omme, mesure de toutes choses. La grande question était donc : qu’est-ce que l’homme ? Sur quelle notion centrale de son huma
383 toutes choses. La grande question était donc : qu’ est -ce que l’homme ? Sur quelle notion centrale de son humanité devons-no
384 ous recentrer le monde ? Les institutions doivent être fondées sur une notion compréhensive de l’homme, sinon elles agissent
385 voulu se fonder le totalitarisme de ce siècle, ne sont pas des hommes complets. L’individu n’a que des droits, le soldat pol
386 , le soldat politique que des devoirs. Le premier est un pur concept, le second est un simple objet. À ces deux mutilations
387 devoirs. Le premier est un pur concept, le second est un simple objet. À ces deux mutilations de la notion d’homme, les jeu
388 ais opposèrent la notion de personne. Quelles que fussent les prémisses religieuses ou métaphysiques des diverses tendances per
389 s formules de ce genre : les institutions doivent être au service de l’homme, et non l’inverse : — la liberté ne cesse d’êtr
390 homme, et non l’inverse : — la liberté ne cesse d’ être un mot creux que dans un ordre souple, qui respecte la diversité des
391 la diversité des vocations ; — là où l’homme veut être total, l’État ne sera jamais totalitaire. Un certain nombre de mots-c
392 ions ; — là où l’homme veut être total, l’État ne sera jamais totalitaire. Un certain nombre de mots-clés se retrouvent dans
393 et une action. Certes, beaucoup de philosophes s’ étaient intitulés « personnalistes » ou l’avaient été avant la lettre : Leibn
394 étaient intitulés « personnalistes » ou l’avaient été avant la lettre : Leibnitz, Kant, Renouvier, ou de nos jours un Willi
395 ractéristique du mouvement personnaliste français fut , dès le début, de considérer sa doctrine comme le fondement immédiat
396 née de caserne. Les avantages de ce service civil seraient triples : 1) Justice sociale. La classe prolétarienne serait relevée
397 les : 1) Justice sociale. La classe prolétarienne serait relevée de son fardeau à vie. 2) Économie. La hantise du salaire ne s
398 deau à vie. 2) Économie. La hantise du salaire ne serait plus le seul mobile du travailleur, et la masse de main-d’œuvre créée
399 masse de main-d’œuvre créée par le service civil serait mise par l’État à la disposition des libres entreprises, syndicats ou
400 x battit le record de production de l’atelier. Il était éditeur de son métier, et si peu adroit de ses mains qu’il assurait ê
401 ier, et si peu adroit de ses mains qu’il assurait être le seul officier de réserve français qui se fût jamais blessé avec so
402 être le seul officier de réserve français qui se fût jamais blessé avec son propre sabre ! Les pionniers du service civil
403 ence, dans l’ensemble, réussit brillamment. Je me suis étendu sur cet exemple unique pour décrire le climat de l’effort pers
404 r décrire le climat de l’effort personnaliste. Il est clair que l’institution du service civil supposait une refonte généra
405 travail qualitatif ou créateur. Le premier devait être entièrement socialisé, et régi par l’État, qui assurerait d’autre par
406 tre siècle : celle de l’être-en-relations. Que ce soit dans le domaine de la physique ou celui de la sociologie, en mathémat
407 e, en économie, les meilleurs esprits de ce temps sont parvenus à des conclusions analogues : il n’est possible de parler de
408 sont parvenus à des conclusions analogues : il n’ est possible de parler de réalité, de mesure, ou d’efficacité, qu’au sein
409 n groupe donné de forces. L’homme, par exemple, n’ est réel que dans une communauté ni trop étroite ni trop vaste. Isolé, il
410 me un fou. Noyé dans une collectivité informe, il sera frustré de toute possibilité de se faire entendre ou d’agir personnel
411 tonomes en perpétuelle interaction n’a pas encore été traduite dans nos institutions. Nos nations sont restées au stade de
412 e été traduite dans nos institutions. Nos nations sont restées au stade de la classification des corps simples par Mendeleïe
413 n des corps simples par Mendeleïev, quand nous en sommes au siècle de la physique quantique. La paresse d’esprit et l’inertie
414 Un bulletin de liaison alimentait les clubs. Tout était préparé pour sa transmission en cas de crise révolutionnaire ou d’inv
415 de sa doctrine dans les plans les plus divers. Il était prêt à déclencher une action en profondeur d’abord, puis publique. Un
416 son tirage quintupler en quelques mois. Puis elle fut interdite, à la suite d’un article contre Pétain, son directeur et pl
11 1944, Articles divers (1941-1946). Quelle guerre cruelle (octobre-novembre 1944)
417 moi. Ils mènent cette guerre en moi-même. L’un n’ est guère bon, mais l’autre est pire, et j’ai choisi sans hésiter jamais.
418 e en moi-même. L’un n’est guère bon, mais l’autre est pire, et j’ai choisi sans hésiter jamais. On peut appeler le premier
419 us et l’ennemi : car « la seule chose qui importe est de gagner la guerre ». Là-dessus, nous tombons d’accord. Mais sur le
420 timé depuis cent ans que les réalités économiques étaient plus fortes que l’esprit et que ses choix. Or ces réalités ne faisaie
421 ment mesurables notre attitude spirituelle. Elles étaient résultats et non pas causes. Car il n’y a pas d’abord la loi de l’off
422 croit menacé par ce qu’il appelle des esprits. Il est victime de terreurs inexplicables. Des cauchemars envahissent sa vie
423 suade que des forces absolument distinctes de son être l’attaquent avec une férocité sans précédent. Il devient aliéné, c’es
424 et hostile lui suggère alors que cet « autre » n’ est en fait qu’une part de lui-même. S’il comprend cela et s’il le croit,
425 tera fou. Au Moyen Âge, on disait qu’un tel homme était possédé, et on l’exorcisait par des cérémonies souvent efficaces. Au
426 uvent efficaces. Au xixe siècle, on disait qu’il était fou, et l’on essayait d’abord de le raisonner, puis de le réduire à l
427 mettait derrière des barreaux. La guerre actuelle est une névrose collective que nous sommes en train de traiter par les mé
428 erre actuelle est une névrose collective que nous sommes en train de traiter par les méthodes les plus propres à l’aggraver, a
429 de raisonner cet inconscient et de le forcer à se tenir tranquille. Privé de moyens de s’exprimer à sa manière, affolé par no
430 de force d’un régime d’ordre pour incurables : ce sera la paix. La santé vaudrait mieux. ⁂ Ces remarques m’amènent à une pro
431 et illustrer dans une série d’écrits à venir : il est temps que la pensée politique rejoigne la psychologie contemporaine.
432 s qui l’avaient inventée. Au seuil de la paix, il est temps de chercher au moins les principes d’une politique psychologiqu
433 gique. Je ne parle pas de propagande : celle-ci n’ est qu’une tactique de bombardement. La politique que j’imagine serait un
434 tique de bombardement. La politique que j’imagine serait une cure. Mais avant de l’entreprendre, il nous faudrait un diagnosti
435 guerre nous plaît inconsciemment. Autrement, elle serait impossible. Tous, nous sommes contre, et nous la faisons tous : expli
436 nt. Autrement, elle serait impossible. Tous, nous sommes contre, et nous la faisons tous : expliquez cela. — « Ce sont les aut
437 et nous la faisons tous : expliquez cela. — « Ce sont les autres. » Mais ils le disent aussi. — « Pardon ! ils n’ont pas le
438 — « Pardon ! ils n’ont pas le droit de le dire. » Sommes -nous sûrs de l’avoir, ce droit ? Avons-nous fait enquête avant de par
439 droit ? Avons-nous fait enquête avant de partir ? Sommes -nous en possession des pièces du procès ? Quand cela serait, ce ne se
440 s en possession des pièces du procès ? Quand cela serait , ce ne serait pas grand-chose. Car la guerre ne résulte pas d’une opé
441 n des pièces du procès ? Quand cela serait, ce ne serait pas grand-chose. Car la guerre ne résulte pas d’une opération légale
442 anctionner notre acquittement par contumace. Elle est le grand non-lieu de millions d’hommes — le non-lieu —, ce vrai no ma
443 — le non-lieu —, ce vrai no man’s land où l’on n’ est plus responsable de soi. La guerre ancienne était une chance offerte
444 n’est plus responsable de soi. La guerre ancienne était une chance offerte à l’instinct combatif ; c’était l’affaire des mâle
445 Qu’aimons-nous donc tous dans la guerre, que nous soyons civils ou combattants ? C’est l’état d’exception proclamé dans la nat
446 buts les plus aisément reconnaissables : les lois sont suspendues, les budgets sans limites, les passions collectives déchaî
447 ait état de siège, état de grâce. Et les trois ne sont point sans rapports. Comme la fête chez les primitifs, la guerre est
448 orts. Comme la fête chez les primitifs, la guerre est le « grand Temps » de l’humanité moderne. Elle nous fournit la seule
449 attire. Pourtant viendra la paix, bientôt. Et ce sera peut-être pour des siècles. (Il y aura trop d’avions du même côté.) M
450 ice ? Pour qui ? Pour quoi ? Jamais l’humanité ne fut moins préparée pour la paix, car jamais elle ne fut plus dépourvue de
451 t moins préparée pour la paix, car jamais elle ne fut plus dépourvue de respect pour les vertus que l’esprit seul sait pous
452 me que la bouche ne s’ouvre. Et cependant, ils ne sont guère capables de me donner sur-le-champ, avec calme, de bonnes raiso
453 plaît pour des raisons profondes, cette politique serait incapable de rien conduire, ni de rien prévoir d’autre que d’astucieu
454 e annulerait. 2. Hitler. — Nous pensons qu’Hitler est un monstre avec lequel nous n’avons rien de commun. Il s’agit de le d
455 désastreux dès qu’il s’agit de la paix. Hitler n’ est pas en dehors de l’humanité, mais en elle. Bien plus, il n’est pas se
456 hors de l’humanité, mais en elle. Bien plus, il n’ est pas seulement devant nous, mais en nous. Il était en nous avons d’êtr
457 n’est pas seulement devant nous, mais en nous. Il était en nous avons d’être contre nous. C’est en nous-mêmes d’abord qu’il s
458 vant nous, mais en nous. Il était en nous avons d’ être contre nous. C’est en nous-mêmes d’abord qu’il se dresse contre nous.
459 era sans coup férir si nous n’admettons pas qu’il est une part de nous, la part du diable dans nos cœurs. Hitler se taira d
460 avec une stupéfaction mêlée de honte : — Comme il était petit ! Il n’était grand, comme Satan lui-même, que de la grandeur de
461 on mêlée de honte : — Comme il était petit ! Il n’ était grand, comme Satan lui-même, que de la grandeur de nos misères secrèt
462 e rêve collectif a modelé notre histoire, mais il était d’abord dans l’ombre de nos âmes. On a remarqué que dans un cauchemar
463 qué que dans un cauchemar, ce qui nous terrifie n’ est pas toujours l’aspect du personnage en scène, qui peut être emprunté
464 oujours l’aspect du personnage en scène, qui peut être emprunté à la réalité la plus banale, mais c’est plutôt l’intensité d
465 s’agit de les utiliser, ou de s’en guérir ; sinon soyons certains qu’ils vont revenir en force, sous un déguisement séduisant,
466 n monstre archaïque. L’ogre à la petite moustache est l’un de ces monstres. Nous en verrons bien d’autres, si nous nous con
467 tte religion synthétique (comme le caoutchouc) qu’ est le national-socialisme. Je ne parle pas ici du christianisme, mais de
468 aussi fondamental et naturel que la sexualité. Il est incontestable que le rationalisme12 a déprimé depuis des siècles le s
469 périmées (c’était son droit et son devoir), il s’ est méthodiquement refusé à laisser naître des coutumes nouvelles (en cec
470 oi). Or les coutumes religieuses quelles qu’elles soient , sacrifices, fêtes, orgies ou jeûnes, disciplines morales ou mystique
471 sciplines morales ou mystiques, prières ou rites, sont les moyens qu’a trouvé l’homme pour capter ses puissances obscures et
472 , exigeaient que nous les adorions : leur révolte serait notre carence. Le rationalisme régnant peut produire des avions en ma
473 sottises et les thaumaturgies les plus grossières sont destinées à susciter dans l’après-guerre l’enthousiasme éperdu des fo
474 iques les plus sains des réalistes et des experts seront vidés d’un coup par ces lames de fond. Certains intellectuels incrimi
475 oncera vainement des délires collectifs dont elle sera la première responsable, aussi vrai que le régime de la prohibition f
476 sable, aussi vrai que le régime de la prohibition fut responsable des méfaits de l’alcool frelaté, en Amérique. ⁂ Je ne dem
477 éril qu’il faudrait conjurer. Mais je pense qu’il est temps de renoncer à la vieille politique de l’équilibre des grandes p
478 eut plus saisir les éléments de notre conflit. Il est temps de nous orienter vers une politique d’équilibre des grandes pui
479 stitions. 10. L’expression psychological warfare est devenue courante dans les pays de langue anglaise. 11. Type d’argume
480 ême que nos régimes actuels, si imparfaits qu’ils soient , sont un moindre mal. » Et certes, en politique, il s’agira toujours,
481 nos régimes actuels, si imparfaits qu’ils soient, sont un moindre mal. » Et certes, en politique, il s’agira toujours, au mi
482 urs, au mieux, de moindres maux. Mais la question est de savoir si le prétendu moindre mal que l’on défend n’est pas simple
483 voir si le prétendu moindre mal que l’on défend n’ est pas simplement un premier stade du pire. La chute serait-elle un moin
484 pas simplement un premier stade du pire. La chute serait -elle un moindre mal que la fracture qui en résulte ? La maladie morte
485 2. Les méfaits de la psychologie rationaliste ont été patents dans la morale sexuelle et la conception du mariage au siècle
12 1945, Articles divers (1941-1946). Présentation du tarot (printemps 1945)
486 1945)n 1. Origines Tarot, tarok ou taroc, est le nom donné par les Italiens à l’une des figures du paquet de 78 car
487 artes tel qu’il existait au xiiie siècle. Ce nom fut attribué par la suite à l’ensemble du jeu. Un des premiers témoignage
488 rent de modèles vénitiens. Dix-sept d’entre elles sont conservées à la Bibliothèque Nationale. D’un autre jeu, faussement at
489 raux, les Vertus, le Système céleste. Michel-Ange est supposé avoir inventé un jeu de tarot pour enseigner l’arithmétique.
490 ulation, mais jusqu’au xviiie siècle, le tarot n’ est guère connu que chez les princes et chez les gipsys, tout en haut de
491 lus démoniaques, bien entendu. L’origine du tarot est obscure. Vers le milieu du xviiie siècle, l’occultiste suisse Court
492 avatars de Vishnu. L’origine égyptienne du tarot est soutenue par Etteilla, dont nous allons parler, par d’Odoucet son pre
493 son premier disciple, et par Éliphas Levi. Elle a été contestée par W. A. Chatto, anglais, en 1848, et par Boiteau, françai
494 ier attribue au tarot une origine hindoue ; et ce sont les gipsys, selon lui (et d’ailleurs aussi selon Lévi) qui l’auraient
495 vait pu copier l’art de tirer les cartes, dont il est question, que d’après sa cuisinière. Il était perruquier et se nomma
496 t il est question, que d’après sa cuisinière. Il était perruquier et se nommait de son vrai nom, Alliette. Il redécouvrit le
497 ant la seconde moitié du xviiie siècle. Sa prose est vague, ses interprétations sont hasardeuses, mais il a le mérite d’en
498 siècle. Sa prose est vague, ses interprétations sont hasardeuses, mais il a le mérite d’en avoir proposées. Ses disciples,
499 voir proposées. Ses disciples, dont le plus grand fut Éliphas Lévi (l’abbé Alphonse Louis Constant), ne se privent pas de d
500 tatives que le maître. La lecture de leurs textes est généralement exaspérante, à cause de leur propension à ramener tout à
501 la figure qu’il nomme le Despote africain, qui n’ est autre que l’arcane 7, 1e Chariot… Mais en fait cette lame n’a pas de
502 ettre Schin de l’alphabet hébreu… Le véritable 21 est aussi 22, ainsi que nous le verrons. Etteilla place le Fou sous le no
503 rons. Etteilla place le Fou sous le nombre 78 qui est enfin notre zéro, et voici son intéressante analyse de ce nombre. (El
504 autre. 0 = 78 = (77) = 21 = 22 = (20) = 0. Telles sont les brimades que doit subir le débutant dans l’étude du tarot. 3.
505 r interprétation, les variations paraissent avoir été aussi nombreuses que les familles d’esprits, les hérésies chrétiennes
506 u dans lequel les figures des arcanes majeurs ont été déplacées ou transformées. Seuls les arcanes mineurs sont exacts, mai
507 lacées ou transformées. Seuls les arcanes mineurs sont exacts, mais malgré ces changements on peut se servir de son jeu. Il
508 ces changements on peut se servir de son jeu. Il est préférable d’employer les suivants, mais en numérotant les arcanes mi
509 : 1. Le tarot de Marseille où les arcanes majeurs sont exacts ; 2. Le tarot suisse de Schaffhouse ; 3. Le tarot italien où s
510 e ; 3. Le tarot italien où seulement deux arcanes sont différents : (a) Le pape qui est remplacé par Jupiter, ce qui est la
511 nt deux arcanes sont différents : (a) Le pape qui est remplacé par Jupiter, ce qui est la même chose, car Jupiter étant sym
512 (a) Le pape qui est remplacé par Jupiter, ce qui est la même chose, car Jupiter étant symboliquement principe de vie, fait
513 ar Jupiter, ce qui est la même chose, car Jupiter étant symboliquement principe de vie, fait fonction de Dieu dans l’Humanité
514 umanité ; (b) La papesse, remplacée par Junon qui est l’espace ou sanctuaire de la vie, ce qui est le même symbole ; 4. Le
515 qui est l’espace ou sanctuaire de la vie, ce qui est le même symbole ; 4. Le tarot de Francfort, qui est entièrement défig
516 t le même symbole ; 4. Le tarot de Francfort, qui est entièrement défiguré, mais qui peut également servir en tenant compte
517 également servir en tenant compte que les Bâtons sont remplacés par les Carreaux ; les Épées par les Piques et les Deniers
518 en circulation (si l’on peut dire, car leur vente est interdite dans de nombreux pays), s’inspirent de modèles du xviiie s
519 ition. Et depuis Court de Gébelin, la décadence s’ est accentuée. On trouve même aujourd’hui des cartes de tarot à figures r
520 terprétation de chaque lame ou arcane majeur peut être profondément différente selon que la carte apparaît dans le jeu droit
521 ues exemples d’interprétations fort diverses : il serait aisé (et désirable) de les multiplier à propos de ces mêmes cartes. P
522 de ces modifications kaléidoscopiques. Celles-ci sont en nombre infini, ainsi qu’on en pourra juger par l’examen du tableau
523 nconscient collectif. De plus, ces significations sont organisées en structures ou rythmes, et non pas simplement juxtaposée
524 fin il reste les 3 lettres dites les 3 Mères, qui sont attachées à nos trois cartes majeures : l’Homme (Le Bateleur), le Fou
525 e l’existence, signifiées par allégories. Il n’en est rien. Tout est symbole dans le Tarot, jusqu’au moindre détail, si le
526 signifiées par allégories. Il n’en est rien. Tout est symbole dans le Tarot, jusqu’au moindre détail, si le dessin est exac
527 s le Tarot, jusqu’au moindre détail, si le dessin est exact. Et ces symboles, à l’examen d’une attention qui consent à se l
528 dent pas à révéler deux caractères généraux : ils sont tantôt hiératiques, tantôt dramatiques, comme le sont les symboles de
529 tantôt hiératiques, tantôt dramatiques, comme le sont les symboles de nos « grands rêves ». De fait, chacun des arcanes maj
530 ands rêves ». De fait, chacun des arcanes majeurs est une apparition, un grand rêve fixé, et peut être analysé à ce titre.
531 s est une apparition, un grand rêve fixé, et peut être analysé à ce titre. Les figures de la papesse, de l’empereur, de la J
532 e, Jugement dernier, la Lune ou la Tour décapitée sont de grands événements psychiques et cosmiques, tantôt clichés dans leu
533 ribuer un auteur, une date fixe, un usage limité, serait méconnaître leur nature. Les arcanes sont issus de la nuit des Mères,
534 mité, serait méconnaître leur nature. Les arcanes sont issus de la nuit des Mères, et de l’Underground éternel. Peut-être mê
535 ntremise des tireurs de cartes. Cette hypothèse a été formulée par le grand indianiste Heinrich Zimmer, dont nous traduison
536 Columbia, et de Paul Foster Case, le tarot aurait été , originellement, une méthode de psychothérapie comparable à notre psy
537 érapie comparable à notre psychanalyse. Ses lames seraient en vérité autant de thèmes de méditations prolongées — la cure ou yog
538 lles nous apparaissent aux choses telles qu’elles sont . Les 22 arcanes décriraient l’histoire de l’homme qui part dans la vi
539 viduel, de la psyché humaine. Chacune des cartes était utilisée par l’étudiant en occultisme comme sujet de méditations et d
540 ns entre les idées abstraites. Le schème d’études était en général le suivant : l’étudiant commençait par la contemplation d’
541 é aux forces américaines, et son ami André Lhote, furent les premiers à pénétrer dans le Palais du Luxembourg, abandonné la ve
542 es brisés, papiers épars, une table au tapis vert était seule restée debout. Les deux peintres s’étant approchés y virent « j
543 rt était seule restée debout. Les deux peintres s’ étant approchés y virent « jetées comme par la main du destin » une séquenc
544 otre chaîne. La surface entière du globe (le 0) n’ est que le théâtre de nos extravagances. Retraçons d’ailleurs aux yeux du
545 d’un voyageur, qui symbolise l’homme. Cette vie n’ est qu’un court trajet dont nous pouvons adoucir les peines en nous compo
546 l’on place l’arcane à la fin du jeu) cette carte est une image de l’inconscience, des occasions manquées, de la vie d’illu
547 uées, de la vie d’illusion. Le Fou, dans ce sens, est la passion subie sans résistance, la vie vécue au niveau animal. Rien
548 sistance, la vie vécue au niveau animal. Rien n’a été appris ou gagné par la traversée du Jeu. La vie a vécu cet homme, ce
549 a traversée du Jeu. La vie a vécu cet homme, ce n’ est pas lui qui l’a vécue. Aussi la somme de ce qu’il a réalisé est-elle
550 i l’a vécue. Aussi la somme de ce qu’il a réalisé est -elle zéro. Vu sous l’angle de A. E. Waite, le Fou est un homme richem
551 elle zéro. Vu sous l’angle de A. E. Waite, le Fou est un homme richement habillé, portant une rose à la main, et qui s’arrê
552 L’abîme ne lui inspire pas de terreur. Son visage est plein d’intelligence, de rêve et d’attente. C’est un prince de l’autr
553 utre monde en voyage ici-bas. Sous cet aspect, il est la conscience individuelle libérée de l’illusion, et poursuivant sa r
554 Plus petit que le petit, plus grand que le grand, tenu pour néant par la raison et le monde, symbolisé par le cercle, il est
555 a raison et le monde, symbolisé par le cercle, il est l’expression de la volonté d’individuation dans l’homme. Du point de
556 l’homme. Du point de vue de l’égo, cette quête n’ est que folie et non-sens. c) Interprétation moderne de B. McM. Hazar
557 encore indifférenciées ; la couleur jaune du fond est celle de l’intellect, de l’air, de la respiration ; le Fou lui-même e
558 ct, de l’air, de la respiration ; le Fou lui-même est peint comme l’Éternelle Jeunesse, prête à pénétrer dans l’abîme de la
559 ure créatrice — et de disques jaunes sur lesquels sont brodées des roues rouges à 8 rayons, annonçant l’accomplissement futu
560 u’il revienne au grand soleil ou « Père » dont il est « tombé ». Il sera représenté successivement comme homme, ou femme, o
561 rand soleil ou « Père » dont il est « tombé ». Il sera représenté successivement comme homme, ou femme, ou objet, ou animal,
562 me le type du pèlerin-sage (selon la sagesse de l’ Est ) parvenu au terme de l’initiation. Semblable à un fou, à un mendiant,
563 arfait, doit apparaître aux yeux des autres. Il s’ est libéré des systèmes de castes, des hiérarchies sociales. Il n’a plus
564 es bâtons). Il n’a plus d’attaches, ni de nom. Il est la carte anonyme. Il n’est qu’un fol errant. Comment a-t-il atteint l
565 ttaches, ni de nom. Il est la carte anonyme. Il n’ est qu’un fol errant. Comment a-t-il atteint le stade suprême, bien au-de
566 maines ? En passant à travers eux tous, mais sans être pris par un seul… Ayant accompli son être dans la coïncidence des con
567 is sans être pris par un seul… Ayant accompli son être dans la coïncidence des contraires, pour lui l’univers ambiant perd s
568 plus de signification réelle que l’ego, dont il s’ est débarrassé depuis longtemps. L’une et l’autre sont les illusions qui
569 est débarrassé depuis longtemps. L’une et l’autre sont les illusions qui s’interposent entre l’homme et son essence divine i
570 t, il ne se sent frustré de rien de tout cela. Il est en union avec l’Univers, sa vraie maison. L’univers participe à sa na
571 e, au-delà de tout changement ou forme, se trouve être aussi son essence propre. Car il est la coincidentia oppositorum. La
572 , se trouve être aussi son essence propre. Car il est la coincidentia oppositorum. La forme suprême de cette union est Dieu
573 ntia oppositorum. La forme suprême de cette union est Dieu, déployant constamment son essence dans les aspects de l’univers
574 ps il voit à travers toutes les choses : elles ne sont que néant, elles ne sont qu’un mirage, il les a dépassées… Il est le
575 es les choses : elles ne sont que néant, elles ne sont qu’un mirage, il les a dépassées… Il est le mendiant qui possède l’un
576 lles ne sont qu’un mirage, il les a dépassées… Il est le mendiant qui possède l’univers, et toutes ses richesses, qui ne so
577 ossède l’univers, et toutes ses richesses, qui ne sont rien d’autre que le déploiement de sa propre nature. Vous pourrez don
578 nature. Vous pourrez donc le traiter de fou. Il l’ est en effet, mais il n’est pas un lunatique quelconque, un idiot ou un s
579 c le traiter de fou. Il l’est en effet, mais il n’ est pas un lunatique quelconque, un idiot ou un simple d’esprit. C’est ce
580 sur l’épaule en murmurant à votre oreille : « Je suis le Père, et le Fils, et le Saint-Esprit ! » — la plupart d’entre vous
581 t-Esprit incarné, il passe, étranger, silencieux. Étant tout et toutes choses, il ne lui reste plus qu’à feindre de n’être ri
582 es choses, il ne lui reste plus qu’à feindre de n’ être rien. Et de même, il convient que la séquence des arcanes, grâce aux
583 anes, grâce aux symboles graphiques desquels nous sont dévolus l’initiation et l’accomplissement, apparaisse simplement comm
584 spect d’un fol errant, a dépassé la possibilité d’ être aucune des réalités particulières exprimées par les quatre couleurs e
585 ous advient jamais de rencontrer quelqu’un qui ne soit rien, ni homme d’affaires, ni professeur, ni garçon d’ascenseur, — qu
586 re dont nous le traiterons ! Il se pourrait qu’il soit le Saint-Esprit incarné, le Christ errant de nouveau parmi les hommes
587 t de plus, s’il y condescendait, il pourrait bien être capable de nous révéler le dernier mot sur les symboles du tarot !
588 e porte bien… On demande quant à la femme si elle est impudique. Figure. Elle représente une roue sur son axe, elle entraî
589 tions matérielles ou physiques… Celui qui s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé. Synonymes. Droite : Fortu
590 i qui s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé. Synonymes. Droite : Fortune, bonheur, bonification, bénédicti
591 les 4 signes fixes du zodiaque. L’Ange (Aquarius) est l’Air (Verseau, Gémeaux, Balance) ; l’Aigle (Scorpion) est l’Eau (Sco
592 (Verseau, Gémeaux, Balance) ; l’Aigle (Scorpion) est l’Eau (Scorpion, Poissons, Cancer) ; le Taureau (Taureau) est la Terr
593 corpion, Poissons, Cancer) ; le Taureau (Taureau) est la Terre (Taureau, Vierge, Capricorne) ; le Lion (Lion) est le Feu (L
594 re (Taureau, Vierge, Capricorne) ; le Lion (Lion) est le Feu (Lion, Sagittaire, Bélier). Rappelons les 4 parties de l’homme
595 adis, et le Tétragramme. Ces 4 symboles cosmiques sont entourés de nuages de tempête suggérant les luttes nécessaires pour a
596 finalement quand les tensions entre les éléments seront équilibrées. Au centre de la carte, un large cercle orangé indique qu
597 un large cercle orangé indique que le Grand Œuvre est une activité solaire. Trois cercles concentriques s’y inscrivent : Pè
598 xtrémité de chacun des rayons de la première roue est placée une des lettres du mot T A R O, qui doit se lire dans le sens
599 xtrémité de chacun des rayons de la seconde roue, sont les lettres Yod, Heh, Vav, Heh, qui doivent être lues en sens inverse
600 sont les lettres Yod, Heh, Vav, Heh, qui doivent être lues en sens inverse des aiguilles d’une montre, étant hébraïques. La
601 lues en sens inverse des aiguilles d’une montre, étant hébraïques. La division quaternaire du cosmos se retrouve ici au plus
602 u de la conscience collective humaine. Le Serpent est jaune (activité de l’intellect) dirigé vers le bas (involution dans l
603 parfait ou conscient et individualisé. Le Sphinx est bleu (spiritualisé, re-né) et porte sur la tête des ornements noirs e
604 oirs et blancs : équilibre des contradictions. Il tient l’épée de la discrimination. Son corps est mi-féminin, mi-léonin, her
605 . Il tient l’épée de la discrimination. Son corps est mi-féminin, mi-léonin, hermaphrodite, équilibré. Bibliographie so
13 1945, Articles divers (1941-1946). Les règles du jeu dans l’art romanesque (1944-1945)
606 ns l’art romanesque (1944-1945)i La rhétorique est l’art de persuader. L’ignorance ou l’abus en ont fait aujourd’hui l’a
607 hui l’art de parler pour ne rien dire. Rhétorique est devenue synonyme d’éloquence creuse et de clichés. J’en parlerai dans
608 cela faisait l’Art, aux grandes époques. Artiste était celui qui, de ces règles, savait tirer sa liberté. L’inspiration pass
609 ces canaux et se communiquait par eux. Les règles étant connues, amateurs et critiques disposaient d’une mesure commune avec
610 notre époque ne sait plus juger d’une œuvre. Elle tient la rhétorique et ses figures pour arbitraires, artificielles, non con
611 ficielles, non contraignantes. (Et sans doute, le sont -elles devenues.) Mais dès l’instant où les règles d’un jeu cessent d’
612 is dès l’instant où les règles d’un jeu cessent d’ être respectées comme absolues, qui pourrait désigner le gagnant ? Tricher
613 ques, la rhétorique au sens large, et ses règles, sont strictement non arbitraires. Elles traduisent des relations constitut
614 ance de la respiration, des nuits et des saisons, sont nécessaires à notre vie, comme les cadences et les contrastes composé
615 ie, comme les cadences et les contrastes composés sont vitaux pour nos œuvres d’art. Au surplus, les figures de la rhétoriqu
616 ue considérées dans toute la variété des arts, ne sont pas sans correspondances avec les formes régulières dont le rêve comp
617 se ses drames. Il se peut même que ces figures ne soient , à l’origine au moins, que l’affleurement ou que la fixation des arch
618 Elle déclara que la rhétorique en tant que telle était mauvaise, insincère, et contraire à l’inspiration libre. Dans ses rec
619 nger de l’écarter à la légère. L’origine du roman est dans le conte. La société primitive a des mythes, courts récits mémor
620 genèse d’un roman comme L’Astrée. Mais L’Astrée n’ est encore qu’un rêve éveillé, donné pour tel par son auteur. C’est avec
621 el, quand le conte, la légende, et même l’épopée, étaient créations pures de l’imagination. Et l’on ne sait plus si le roman es
622 e l’imagination. Et l’on ne sait plus si le roman est une pseudo-science ou un faux art. Regardons de plus près ce passage
623 t vivant ». Comme si les règles d’un jeu devaient être vivantes ! Plus personne ne pourrait jouer2. Le jeu ne sera vivant et
624 tes ! Plus personne ne pourrait jouer2. Le jeu ne sera vivant et passionnant qu’à la mesure de la fixité même de ses règles
625 e deux branches d’importance inégale. La première est la monographie : Adolphe, Obermann, Dominique. Ces récits intéressent
626 ’il se retrouve dans le héros. La part de l’art y est réduite à celle du style. L’autre branche sera celle du réalisme soci
627 t y est réduite à celle du style. L’autre branche sera celle du réalisme social. C’est là que va triompher la terreur, se dé
628 de la vie. » Cette proposition des plus étranges est reçue sans le moindre étonnement par la critique moderne et par le gr
629 vait choir fatalement le roman dès qu’il refusa d’ être fable. Tout l’intérêt du conte, effectivement, tenait aux conventions
630 re fable. Tout l’intérêt du conte, effectivement, tenait aux conventions qu’il savait mettre en œuvre. Le conte multipliait le
631 Sa rapidité folle – par rapport à la vie réelle – tenait l’auditeur en haleine ; son rythme était autorité. Les événements ext
632 éelle – tenait l’auditeur en haleine ; son rythme était autorité. Les événements extraordinaires qu’il présentait, portaient
633 e, et réveillaient des forces endormies. Le conte était le libre déploiement des réalités mêmes de l’âme, qu’il décrivait en
634 s procédés et figures surgis des profondeurs de l’ être , identiques à ceux du rêve, et crus comme tels avec reconnaissance, a
635 ous fait savoir qu’il a mis dans son livre ce qui est , et non plus ce qu’il a inventé ? L’abandon de la rhétorique entraîne
636 derne a perdu l’autorité magique du conteur. Il s’ est privé volontairement du bénéfice de « l’art de persuader » traditionn
637 , et voici le plaisir extrême : Peau d’âne va lui être conté. Mais si vous alliez dire au même enfant, avant de lui raconter
638 vant de lui raconter la même histoire, que cela s’ est passé tout à l’heure, dans la rue, il ferait aussitôt mille objection
639 ie, qui ne commence et ne finit jamais. Force lui est donc d’entrer comme par hasard, au milieu d’une situation, d’une atmo
640 s j’exige un récit vraisemblable. À la limite, il serait impossible qu’un lecteur tombe jamais d’accord avec l’auteur. Car il
641 eur tombe jamais d’accord avec l’auteur. Car il n’ est pas deux expériences humaines superposables. Et je ne renoncerais à l
642 ome de la critique moderne : un roman ne doit pas être « écrit ». Tous ces efforts trahissent le curieux embarras de ne pouv
643 avec le dernier coup ; mais le sérieux de la vie est , par définition, le domaine des conséquences indéfinies. L’hésitation
644 l’esprit ou par un artifice de rhétorique, telle est la source impure du roman-fleuve. La longueur des ouvrages de ce genr
645 oman-fleuve. La longueur des ouvrages de ce genre est l’expression de l’embarras d’un écrivain qui s’est privé des secours
646 st l’expression de l’embarras d’un écrivain qui s’ est privé des secours de l’art. D’ailleurs cet allongement, trop souvent
647 trop souvent excessif pour l’intérêt romanesque, sera toujours insuffisant pour égaler la durée réelle d’une vie. Quelque c
648 oyenne du grand public contemporain, le morceau n’ étant visiblement qu’une captatio benevolentiae où l’auteur se montre atten
649 mérite esthétique. (Alors que la première absence est en réalité la cause immédiate de la seconde.) Parlant encore de son p
650 ie ? Les romans traditionnels « préoccupés qu’ils sont , au nom des vieilles règles, de commencer et de finir le jeu avec les
651 eurs, comment le pourraient-ils ? Si longs qu’ils soient , ils seront toujours trop courts pour imiter sans conventions le déco
652 t le pourraient-ils ? Si longs qu’ils soient, ils seront toujours trop courts pour imiter sans conventions le décousu de la vi
653 atisée. Ces conditions, dans une vue commerciale, sont très jalousement maintenues par les « producers », éditeurs et direct
654 rgeoise et pour avoir commis la même erreur : qui était de croire les conventions « conventionnelles » au sens dépréciatif de
655 pas. Une contre-épreuve de notre diagnostic nous sera fournie par le succès du roman policier. Je ne pense pas qu’on puisse
656 iquer ce succès par un intérêt pour le crime, qui serait particulier à notre époque. Le roman policier est populaire parce qu’
657 ait particulier à notre époque. Le roman policier est populaire parce qu’il demeure le seul genre défini, obéissant aux loi
658 lère aucune faiblesse, aucune tricherie. Ses lois sont connues et communes : dès Conan Doyle, elles ont pris force contraign
659 les ont pris force contraignante. Ses personnages sont constants comme ceux de la Commedia dell’arte, ou ceux des cartes et
660 qu’un nombre fini d’éléments. Le lieu de l’action est circonscrit : c’est généralement une maison dont il semble que person
661 le problème sous forme de cadavre. Parfois, ce n’ est qu’une chambre4. Toutes ces conditions satisfont à l’excellente défin
662 J. Huizinga5 : une action dont le début et la fin sont nettement marqués, qui a lieu dans un espace nettement délimité et qu
663 ans la mesure même où il tient compte des règles, soit pour les appliquer avec une perfection classique, soit pour y introdu
664 pour les appliquer avec une perfection classique, soit pour y introduire quelque ingénieuse variation. La fixité même des rè
665 e l’amateur apporte à la lecture de ces ouvrages, tient au raffinement ou à la complication croissante des règles. (Le lecteu
666 té : des clubs de fanatiques du roman policier se sont fondés un peu partout. La vogue actuelle du roman historique pourrait
667 t. La vogue actuelle du roman historique pourrait être invoquée, elle aussi, bien que l’exemple soit moins pur et moins frap
668 ait être invoquée, elle aussi, bien que l’exemple soit moins pur et moins frappant. Le roman historique garde le bénéfice du
669 u cadre : son action circonscrite par définition, est isolée du réel quotidien par l’éloignement dans le temps. Mais l’impu
670 du fait accompli. Cette possibilité de tricherie est voisine de celle qui consiste à forcer la vraisemblance par une accum
671 e faits observables. Le roman mourra donc, comme sont mortes la tragédie classique et les chroniques en vers. Il mourra pou
672 naissance, aux conceptions bourgeoises de la vie, soit qu’il les décrivît d’abord, soit qu’ensuite il n’utilisât que leurs t
673 oises de la vie, soit qu’il les décrivît d’abord, soit qu’ensuite il n’utilisât que leurs tabous comme ressorts de l’action,
674 , quelques années plus tard, la guerre totale. Ne fût -ce que pour rester au niveau de nos épreuves et de nos désastres réel
675 des symboles et des mythes de l’âme. Tout porte à tenir pour probable que les grandes œuvres narratives qui vont naître au le
676 nt des types de libre création, des paraboles que furent en d’autres temps Gargantua, Don Quichotte, Robinson Crusoe, ou Gulli
677 cupation : Les Fleurs de Tarbes. 2. Ce cauchemar est fort bien décrit par Lewis Carroll dans la scène de la partie de croq
678 erland où les arceaux, les maillets et les boules sont vivants et ne cessent de se déplacer. 3. Coup de sifflet donné par l
14 1946, Articles divers (1941-1946). Contribution à l’étude du coup de foudre (1946)
679 t les voilà fixés, cloués sur place, comme le coq est cloué sur la ligne de craie tirée devant son bec. Ce serait trop bête
680 ué sur la ligne de craie tirée devant son bec. Ce serait trop bête si ce n’était trop beau. Mais rien ne sert de n’y pas croir
681 tirée devant son bec. Ce serait trop bête si ce n’ était trop beau. Mais rien ne sert de n’y pas croire. C’est un fait, nous l
682 n termes de grâce et de prédestination. Mais s’il est vain de nier le fait, il ne l’est point de mettre en doute son caract
683 tion. Mais s’il est vain de nier le fait, il ne l’ est point de mettre en doute son caractère de destinée fatale. Cette espè
684 e. Cette espèce de passivité que l’on allègue, ne serait -elle point un alibi ? Je ne parle que du vrai coup de fondre, celui q
685 Je ne parle que du vrai coup de fondre, celui qui est suivi d’incendie. Car pour ceux que l’on attend, que l’on appelle, il
686 ur ceux que l’on attend, que l’on appelle, ils ne sont qu’éclairs de chaleur dans l’aura d’un cœur orageux. Aux portières d’
687 ai, j’aurais su t’arrêter. Le monde entier en eût été changé à l’instant même, sans que nul ne s’en doute. ⁂ J’étais scepti
688 à l’instant même, sans que nul ne s’en doute. ⁂ J’ étais sceptique, en ce temps-là. Je disais à ce romancier (l’un des meilleu
689 Allemagne d’alors) : — Le mythe du coup de foudre est sans doute une astucieuse invention de Don Juan pour impressionner se
690 sir que vous entretenez par vos romans… Mais ce n’ est pas assez que d’une complaisance acquise. Il faut encore une rencontr
691 ntres fameuses : Tristan devant la cour d’Irlande est reçu par la fille du roi selon l’usage et l’étiquette. Siegfried et B
692 ent l’un vers l’autre, dans la scène du hanap, ce sont des officiants… Tout se passe comme si les deux amants se trouvaient
693 raire par la profonde convenance des rôles qu’ils tiennent dans la société, sous l’égide des plus intangibles hiérarchies. Et Do
694 st. Le président de l’organisation qui m’invitait était un grand banquier, ami des lettres. Il vint m’attendre au débarqué de
695 s à table. Mon hôte bientôt s’inquiète : « — Vous êtes pâle et vous ne mangez rien ! Vous sentiriez-vous indisposé ? » Je ba
696 éserver un dîner : bref, vous vous rappelez ce qu’ était la Hongrie, cette hospitalité incomparable, cette liberté lyrique dan
697 en n’y fait. Je ne puis avaler une seule bouchée. Est -ce vraiment l’effet de l’avion ? J’allais m’en persuader quand je m’a
698 s que mon hôte ait paru remarquer que mon malaise est contagieux. Il bavarde encore en prenant le café, puis s’excuse d’avo
699 iture et descendons vers la ville. Soudain, je me suis décidé et j’articule : « — Vous n’avez rien mangé au déjeuner, madame
700 e ne pouvons toucher à rien. Tout d’un coup je me suis mis debout. Je fais le tour de la table, je m’arrête devant elle, les
701 ant elle, les bras en arrière, comme cela — je me suis retenu de lui toucher l’épaule — et je m’entends prononcer : — Puisqu
702 e m’entends prononcer : — Puisqu’il faut que cela soit , eh bien… que cela soit ! Elle se lève et me suit. Nous allons chez e
703 — Puisqu’il faut que cela soit, eh bien… que cela soit  ! Elle se lève et me suit. Nous allons chez elle. Un vertige, un somb
704 , un sombre délire, et sans qu’un mot de plus ait été prononcé… Et ce fut ainsi, durant tout mon séjour à Budapest. L’après
705 et sans qu’un mot de plus ait été prononcé… Et ce fut ainsi, durant tout mon séjour à Budapest. L’après-midi, je vous le ré
706 erlin, que je fréquentais à l’insu de ma femme. J’ étais dans un état d’exaltation extrême, à peu près incapable de dormir, sa
707 iet de mon sort. Il y avait de quoi d’ailleurs, j’ étais inscrit, à cette époque, au parti communiste dissident. Je m’informe 
708 a regarde longuement, bien en face. Aucun doute n’ est possible. Elle sait. Monsieur, je puis garder un secret d’État, vous
709 arder un secret d’État, vous le savez, mais je ne suis pas de ceux qui peuvent supporter un mensonge dans leur vie intime. J
710 peu près : « Donne-moi vite de tes nouvelles, je suis inquiet, je n’oublierai jamais les nuits extraordinaires que nous avo
711 semble, à la veille de ce cataclysme. » La lettre était signée Maria. — Un vrai drame du destin ! fis-je après un moment. Le
712 on mystère si l’on songe que la femme du banquier était lectrice de romans — et sans doute de vos propres romans ?… Et ce cou
713 de vos propres romans ?… Et ce coup de foudre, n’ est -il pas tombé d’un ciel qu’il convient de nommer Littérature ? o. R
15 1946, Articles divers (1941-1946). Penser avec les mains (janvier 1946)
714 Penser avec les mains (janvier 1946)p Il est temps de proclamer vaine toute œuvre qui laisse son auteur intact, et
715 distinguée. Inoffensifs tous ceux dont l’œuvre n’ est pas ce lieu de combat sans merci où quelque chose qu’il ne peut plus
716 t ce qu’il reflète d’une ambiance domestiquée. Il est grand temps que la pensée redevienne ce qu’elle est en réalité : dang
717 t grand temps que la pensée redevienne ce qu’elle est en réalité : dangereuse pour le penseur, et transformatrice du réel.
718 t transformatrice du réel. « Là où je crée, là je suis vrai », écrivait Rilke. Et c’est pourquoi nous prendrons au sérieux c
719 sérieux cette distinction : il y a des hommes qui sont l’orgueil de notre esprit, — et d’autres qui s’enorgueillissent de no
720 esprits, les professeurs, pour lesquels la pensée est un art d’agrément, un héritage, une carrière libérale, ou un capital
721 e monde, peinant peut-être en pure perte, si ce n’ est pour notre perte à tous. Or, ces gens forment l’opinion, sans aucun d
722 te, et ils le savent. Toute l’opinion du monde en est à peu près là, que la pensée ne peut venir qu’à la remorque d’événeme
16 1946, Articles divers (1941-1946). Les quatre libertés (30 mars 1946)
723 aix. Mais j’ai remarqué qu’assez peu de personnes sont capables de les énumérer. Il semble qu’on se soit battu « pour » quel
724 sont capables de les énumérer. Il semble qu’on se soit battu « pour » quelque chose qui n’était pas trop clair, ni bien faci
725 qu’on se soit battu « pour » quelque chose qui n’ était pas trop clair, ni bien facile à retenir dans l’esprit… Vous rappelez
726 Donc les Nations unies ayant gagné la guerre, il est temps de nous demander quel est l’état présent des libertés qui faisa
727 gné la guerre, il est temps de nous demander quel est l’état présent des libertés qui faisaient l’enjeu de la lutte. La deu
728 s au Mexique, mais dans l’ensemble la situation n’ est pas mauvaise. J’ignore d’ailleurs si ce progrès doit être attribué à
729 mauvaise. J’ignore d’ailleurs si ce progrès doit être attribué à moins de fanatisme de la part des masses religieuses, ou à
730 nous disent, non sans raison, les gouvernants, n’ est que le résultat déplorable, mais fatal, de la guerre. (Étrange activi
731 qu’elle avait pour seul but d’écraser. Mais ceci est une autre histoire.) Ma génération est-elle donc condamnée à subir au
732 Mais ceci est une autre histoire.) Ma génération est -elle donc condamnée à subir au double ou au triple tout ce qu’elle s’
733 à subir au double ou au triple tout ce qu’elle s’ est épuisé à combattre ? Doit-elle accepter de se passer d’au moins trois
734 fants les recevront plus tard — données par qui ? Sommes -nous voués à l’esclavage d’État par nécessité matérielle ? On m’en vo
735 t. Je propose donc que nous changions ce qui peut être immédiatement changé : notre idéal, en attendant le reste. Je propose
736 e préoccuper de leur subsistance ; « quatre » ils sont solidement protégés contre tous les périls extérieurs. Ce sont les dé
737 nt protégés contre tous les périls extérieurs. Ce sont les détenus des prisons américaines. (On leur donne même des séances
738 de cinéma le samedi soir.) La liberté ne peut pas être détaillée ni débitée en tranches : elle est vivante. Elle ne peut pas
739 pas être détaillée ni débitée en tranches : elle est vivante. Elle ne peut pas non plus être donnée. Elle exige d’être aff
740 hes : elle est vivante. Elle ne peut pas non plus être donnée. Elle exige d’être affirmée sur le champ, et coûte que coûte,
741 le ne peut pas non plus être donnée. Elle exige d’ être affirmée sur le champ, et coûte que coûte, quels que soient les obsta
742 irmée sur le champ, et coûte que coûte, quels que soient les obstacles. Il y aura toujours des obstacles. Ceux qui ont peur d’
743 aura toujours des obstacles. Ceux qui ont peur d’ être libres en feront leurs prétextes comme l’ont fait les Allemands sous
744 ne comptent guère. Par elle seule, elles peuvent être conquises. Nous l’affirmons et nous le démontrons par notre lutte con
745 s » qui s’y opposent sans relâche. Et cette lutte est toujours possible. Cette Résistance ne fait que commencer. Mais si no
746 s que les obstacles à l’exercice de notre liberté sont fatals, nécessaires et surhumains, aussitôt nous les rendrons tels, a
747 nous les rendrons tels, aussitôt nous cesserons d’ être libres. Et l’État aura tous les droits, puisque nous lui laisserons t
748 serons tous les devoirs. Ce qu’il nous faut, ce n’ est pas d’abord un monde bien arrangé autour de nous. (Certaines prisons
749 e bien arrangé autour de nous. (Certaines prisons sont très bien arrangées). Ce qu’il nous faut pour être libres, uniquement
750 ont très bien arrangées). Ce qu’il nous faut pour être libres, uniquement et tout simplement, c’est du courage. Car nous som
751 nt et tout simplement, c’est du courage. Car nous sommes libres, si nous sommes prêts à payer le prix de la liberté, qui sera
752 c’est du courage. Car nous sommes libres, si nous sommes prêts à payer le prix de la liberté, qui sera toujours : payer de sa
753 s sommes prêts à payer le prix de la liberté, qui sera toujours : payer de sa personne. Un homme libre, c’est un homme coura
754 tre ou trente-six libertés. On entend dire : « X… est un esprit libre. » De qui tient-il sa liberté ? Ni de l’État, ni de l
755 entend dire : « X… est un esprit libre. » De qui tient -il sa liberté ? Ni de l’État, ni de la Révolution, ni des Soviets, ni
756 émocratie, et surtout pas de leurs experts. Il la tient de sa vision seule et de son courage de lutter pour la joindre. Lénin
757 lutter pour la joindre. Lénine, sous le tsarisme, était plus libre qu’un fonctionnaire sous Staline. Et George Washington éta
758 fonctionnaire sous Staline. Et George Washington était plus libre qu’un citoyen américain qui tourne le bouton de sa radio.
17 1946, Articles divers (1941-1946). Dialogues sur la bombe atomique : La pensée planétaire (30 mars 1946)
759 nsée planétaire (30 mars 1946)r Le xxe siècle est en train de découvrir ce qu’on savait depuis un certain temps mais qu
760 t jamais très bien compris, à savoir que la terre est ronde. D’où il résulte, entre autres conséquences, que si vous tirez
761 le, pour une époque donnée, me paraissent pouvoir être mesurées à la portée des armes connues dans cette époque. (Vous avez
762 objet rond, pomme, sphère ou sceptre d’or, que ce soit l’Univers, ou l’Empire, ou l’atome. Ici les extrêmes se reflètent. Le
763 , en 1944 et 1945, si les cargos alliés n’avaient été trop occupés dans le Pacifique. Les Anglais eussent peut-être voté di
764 idarité pratique des différentes parties du globe est un fait durement établi au niveau de notre existence matérielle. Avan
765 bablement passer par une étape intermédiaire, qui est celle du fait psychologique : la formation d’une conscience planétair
766 ce un peu, disons à quelques heures d’avion. Ce n’ est rien de traduire une langue : les problèmes nationaux restent intradu
767 ne peut y aller voir et sentir. Et notre époque n’ est pas celle des voyages, mais seulement celle des « missions » comme on
768 plus boucler leurs comptes parce que les Noirs se seront révoltés en Caroline du Sud ou à Harlem ; et les mineurs du pays de G
769 dant des mois, parce que les péons d’Argentine se seront enfin organisés contre les grands estancieros. Vous pourrez toujours
770 yer d’expliquer aux victimes de la crise que ce n’ est pas la faute du député local ni de « l’hypocrisie américaine ». Que f
771 ges de leurs cartes de l’Europe. Et pourtant nous sommes destinés à découvrir un jour que ces lions sont des hommes, qui d’ail
772 sommes destinés à découvrir un jour que ces lions sont des hommes, qui d’ailleurs nous prenaient nous aussi pour des lions.
773 pas de Persans pour se demander : Comment peut-on être Français ?) Je parlais d’une conscience planétaire. C’est sa nécessit
774 s de larges rubriques créant un appel d’air. Ce n’ est pas une question d’information d’abord, vous m’entendez, mais de sens
775 je dirais : c’est d’abord une question de poésie. Est -ce un hasard si, parmi tous nos écrivains, ceux que je vois manifeste
776 e plus direct et le plus contagieux de la planète sont précisément deux poètes : le Saint-John Perse de l’Anabase et de l’Ex
777 eur prose et dans leurs longs versets, quel qu’en soit le sujet allégué, nous avons pour la première fois senti, sous le dra
778 dire que j’oubliais ce grand joueur de Boule que fut « Saint-Ex ». À Dieu ne plaise que j’oublie jamais celui qui le premi
18 1946, Articles divers (1941-1946). Dialogues sur la bombe atomique : La paix ou la bombe (20 avril 1946)
779  : 1. Donner la Bombe aux petits pays pour qu’ils soient protégés contre les grands. Ces derniers fourniraient ainsi la preuve
780 la police des nations. Deux chambres universelles seraient élues, l’une formée de délégués des États, l’autre de députés des peu
781 tes : équilibrer les budgets de guerre, etc. Ce n’ est pas qu’une angoisse diffuse ne soit sensible dans les populations et
782 rre, etc. Ce n’est pas qu’une angoisse diffuse ne soit sensible dans les populations et chez beaucoup de bons esprits, mais
783 bons esprits, mais une paralysie sans précédent s’ est emparée des volontés. Vous-même, je le sens, je ne vous ai pas convai
784 c’est dans ce pays que la première Bombe vient d’ être construite. Exagérée sans doute et dépassant la mesure de ce que l’on
785 de ce que l’on connaissait avant le 6 août, elle est là, parce que l’homme l’a mise là. Et votre sens de la mesure peut se
786 rivent encore à se battre. Admettons que la Bombe soit moins puissante que les savants autorisés ne l’affirment. Admettons q
787 uerre militaire y prospère d’autant mieux qu’elle sera dotée d’une arme de plus. Admettons que l’on invente une parade à la
788 Pensez-vous que les effets de la prochaine guerre seront très différents de ceux que j’ai prévus ? La souffrance sera pire, l’
789 ifférents de ceux que j’ai prévus ? La souffrance sera pire, l’agonie de la terre un peu plus longue, la fin de l’humanité n
790 ’aura pas de lignes pures, parce que nos choix ne sont pas si francs, et que nos chefs savent à peine ce qu’ils jouent. Une
791 tables d’où sortiront quelques vœux incolores. Il est évident que les nations souveraines s’en moqueront. Il est évident qu
792 nt que les nations souveraines s’en moqueront. Il est évident que l’une d’entre elles, Bombe en main, essaiera d’imposer sa
793 outes les autres. (Inutile même de la nommer.) Il est évident que les peuples se révolteront contre cette nation et son rég
794 ontre cette nation et son régime, tôt ou tard. Il est évident que si l’on continue à penser comme on pense aujourd’hui, cel
795 d’hui, cela finira dans l’explosion totale. Et il est évident que la grande majorité des hommes se refuse à ces évidences.
796 n nous ressasse à longueur de journée qu’elle « n’ est pas prête pour un gouvernement mondial ». Est-ce qu’on lui demande si
797 « n’est pas prête pour un gouvernement mondial ». Est -ce qu’on lui demande si elle est prête pour la mort ? L’humanité, ce
798 ement mondial ». Est-ce qu’on lui demande si elle est prête pour la mort ? L’humanité, ce sont des gens comme vous et moi.
799 e si elle est prête pour la mort ? L’humanité, ce sont des gens comme vous et moi. Quand vous me dites qu’elle n’est pas prê
800 comme vous et moi. Quand vous me dites qu’elle n’ est pas prête pour la paix, cela veut dire que vous d’abord, vous refusez
801 pour la mort, et vous en rendez responsable. Tout tient à chacun de nous. Et nous en sommes au point où il devient difficile
802 ponsable. Tout tient à chacun de nous. Et nous en sommes au point où il devient difficile de le cacher. Nos alibis ne trompent
803 e principe du pessimisme actif. Et comment ne m’y tiendrais -je pas, quand je sais que l’enjeu n’est point de ceux que la défaite,
804 m’y tiendrais-je pas, quand je sais que l’enjeu n’ est point de ceux que la défaite, mais la désertion seule puisse me faire
805 nous fassions sauter la Terre, elle sautera et ce sera très bien. Au-delà de ce « clin d’œil », il nous attend. s. Rougem
19 1946, Articles divers (1941-1946). Dialogues sur la bombe atomique : Post-scriptum (27 avril 1946)
806 ot. (Et dire que j’allais l’oublier !) La Bombe n’ est pas dangereuse du tout. — Êtes-vous fou ? De quoi donc parliez-vous d
807 blier !) La Bombe n’est pas dangereuse du tout. — Êtes -vous fou ? De quoi donc parliez-vous dans vos cinq dialogues précéden
808 ut-il penser que vous vous moquiez du monde ? — J’ étais sérieux. Je prenais au sérieux les événements qui nous menacent à bou
809 ant. La fin des armées, par exemple. Mais cela ne serait rien encore, quoi qu’en pensent quelques généraux. Je parlais de la f
810 que beaucoup l’ont pensé, sans vous le dire ? Il est bien naturel que l’événement d’Hiroshima nous ait jetés pour quelque
811 ais dix mois ont passé, et rien ne se passe. Dieu soit loué, nous avons repris nos sens. Certains pressentent déjà que la Bo
812 nos sens. Certains pressentent déjà que la Bombe est en train de se dégonfler, pour ainsi dire. Après tout, nous devions l
813 nt riposter, et la valeur militaire de cette arme était loin de compenser, même à ses yeux, le risque moral qu’il eût couru à
814 qu’il eût couru à l’employer. Le cas de la Bombe est différent. Je vous répète qu’elle supprimera la possibilité de ripost
815 nous-mêmes, de nos actes. Si l’emploi de la Bombe est décisif, il n’y a pas de punition à redouter. Il est donc clair qu’on
816 décisif, il n’y a pas de punition à redouter. Il est donc clair qu’on l’emploiera, au risque de faire sauter la Terre. — A
817 Terre. — Alors, pourquoi dites-vous : la Bombe n’ est pas dangereuse ? — Pour une raison très simple. La Bombe est un objet
818 gereuse ? — Pour une raison très simple. La Bombe est un objet. Les objets ne sont jamais dangereux. Ce qui est dangereux,
819 très simple. La Bombe est un objet. Les objets ne sont jamais dangereux. Ce qui est dangereux, horriblement, c’est l’homme.
820 bjet. Les objets ne sont jamais dangereux. Ce qui est dangereux, horriblement, c’est l’homme. C’est lui qui a fait la Bombe
821 nomme des comités pour la retenir ! Comme si elle était tombée du ciel, animée de mauvaises intentions ! C’est d’un comique d
822 cute à longueur de colonne, dans toute la presse, est la plus belle absurdité de l’Histoire. Comprenez-vous bien de quoi l’
823 anquille, elle ne fera rien, c’est clair. Elle se tiendra bien coite dans sa caisse. Qu’on ne nous raconte donc pas d’histoires
20 1946, Articles divers (1941-1946). Faut-il rentrer ? (4 mai 1946)
824 x jeunes Français, répondant non). Que Bernanos s’ est écrié : Mais partez donc ! la Terre est vaste ! Que d’autres ont prot
825 ernanos s’est écrié : Mais partez donc ! la Terre est vaste ! Que d’autres ont protesté que ce débat était antipatriotique,
826 st vaste ! Que d’autres ont protesté que ce débat était antipatriotique, ou anticommuniste, que sais-je. On m’écrit cela de P
827 . Je reprends la question dans les termes où elle est posée : faut-il partir ? (Peut-on partir serait une tout autre affair
828 elle est posée : faut-il partir ? (Peut-on partir serait une tout autre affaire.) Il se trouve que j’habite, pour quelques sem
829 ges de l’Amérique et ses défauts, mieux qu’ils ne sont en mesure de les imaginer. Cela se discuterait à l’infini. Il n’est q
830 es imaginer. Cela se discuterait à l’infini. Il n’ est qu’une solution, qui est d’aller voir, et d’« essayer » le pays comme
831 uterait à l’infini. Il n’est qu’une solution, qui est d’aller voir, et d’« essayer » le pays comme un nouveau costume. Et j
832 un nouveau costume. Et je me dis que le problème est mal posé. Il ne s’agit ni de partir ni de rester, au sens pathétique
833 ces mots. Il s’agit simplement de circuler. Ce n’ est pas très facile, pratiquement ? Mais partir, ou rester, ne le sont pa
834 ile, pratiquement ? Mais partir, ou rester, ne le sont pas non plus, apparemment, puisqu’on pose le problème. Supposez que n
835 nt, puisqu’on pose le problème. Supposez que nous soyons libres de circuler à notre guise. Je répondrais sans hésiter : il ne
836 atiquement en mesure de le vivre ! Combien encore sont -ils du Moyen Âge, ou du bourgeois et lent xixe siècle ! Serait-ce ma
837 Moyen Âge, ou du bourgeois et lent xixe siècle ! Serait -ce manque d’imagination ? Certes, il en faut une dose non ordinaire p
838 n verrait vite que c’est un faux dilemme. Le fait est là : nous allons en dix heures de Lisbonne à New York, de New York au
839 de l’humain, une conception de la fidélité qui ne soit plus exclusive de la curiosité, un accueil plus ferme et plus souple
840 eil plus ferme et plus souple de la diversité des êtres et des coutumes. Aimez votre terre et quittez-la. Quittez-la trois fo
21 1946, Articles divers (1941-1946). « Selon Denis de Rougemont, le centre de gravité du monde s’est déplacé d’Europe en Amérique » (16 mai 1946)
841 nis de Rougemont, le centre de gravité du monde s’ est déplacé d’Europe en Amérique » (16 mai 1946)w x M. de Rougemont es
842 en Amérique » (16 mai 1946)w x M. de Rougemont est rentré d’Amérique. Il nous en parle simplement, avec ce sens de l’équ
843 dure : pour moi, il a duré pendant six ans. Ceci est surtout vrai pour les mœurs, leur détail. Les jugements moraux y sont
844 ur les mœurs, leur détail. Les jugements moraux y sont très différents de ceux de l’Europe. Là-bas, certaines choses vont de
845 s paraissent bizarres. En France, par exemple, il était bien vu de tricher avec le fisc ; on s’en vantait. En Amérique, la ch
846 le fisc ; on s’en vantait. En Amérique, la chose est mal vue. Les gens trichent peut-être, mais je n’en suis pas persuadé.
847 al vue. Les gens trichent peut-être, mais je n’en suis pas persuadé. L’Américain s’achète une bonne conscience en payant son
848 dmire beaucoup son sens civique. Quand le citoyen est discipliné, il n’a pas pour autant l’amour du règlement comme en Suis
849 l’amour du règlement comme en Suisse… J’ai aussi été sensible à une sorte de loufoquerie de la vie américaine. Parfois, on
850 éricaine. Parfois, on a l’impression que les gens sont un peu fous… Ils chantent dans la rue, vous posent les questions les
851 le prochain week-end. Aux États-Unis, l’étranger est accueilli avec beaucoup de gentillesse. Les Américains lui font crédi
852 it. En Europe, par contre, les liaisons, si elles sont plus rares, sont plus solides et profondes. Outre-Atlantique, on est
853 r contre, les liaisons, si elles sont plus rares, sont plus solides et profondes. Outre-Atlantique, on est très camarade ; t
854 t plus solides et profondes. Outre-Atlantique, on est très camarade ; tout cela glisse, change, glisse… Et l’inverse ? Quel
855 cela glisse, change, glisse… Et l’inverse ? Quels sont , chez l’Américain, les sentiments éveillés par la civilisation europé
856 ui se disputent pour des choses mystérieuses, qui sont toujours sur leurs ergots ; des gens en qui l’on ne peut pas avoir un
857 t un peu peur de nous ; ils craignent que nous ne soyons une source permanente de désordres et de troubles. Tous les nationali
858 ivisme et de la politique. Ils ont le sentiment d’ être decent. Leur opinion est que les Européens ne sont, eux, pas très dec
859 Ils ont le sentiment d’être decent. Leur opinion est que les Européens ne sont, eux, pas très decent, qualité qu’un jeune
860 tre decent. Leur opinion est que les Européens ne sont , eux, pas très decent, qualité qu’un jeune citoyen de là-bas expliqua
861 ne citoyen de là-bas expliquait en ces termes : «  Être decent, c’est tenir sa parole et se tenir propre soi-même »… Quant à
862 s expliquait en ces termes : « Être decent, c’est tenir sa parole et se tenir propre soi-même »… Quant à la masse du centre d
863 rmes : « Être decent, c’est tenir sa parole et se tenir propre soi-même »… Quant à la masse du centre du pays, elle ne connaî
864 Un GI m’a récemment déclaré : « La Suisse ? Quand est -ce que nous avons bien pu libérer ça ? C’est si petit ! » Par souci d
865 n peu les États-Unis… Mais un jugement d’ensemble est impossible. On peut à peu près tout dire sur l’Amérique : ça sera tou
866 On peut à peu près tout dire sur l’Amérique : ça sera toujours juste quelque part. Je ne cesse personnellement de me battre
867 cette affirmation européenne selon laquelle tout est pareil aux États-Unis. Au contraire, ce pays est celui des contrastes
868 est pareil aux États-Unis. Au contraire, ce pays est celui des contrastes les plus violents. ⁂ Pensez-vous qu’à l’issue de
869 isse affirmer que le centre de gravité du monde s’ est déplacé en Amérique ? Très nettement. Vue de New York, l’Europe const
870 ction : l’Amérique et la Russie. Cette impression est une réalité. Quant à notre continent, il est considéré comme une espè
871 sion est une réalité. Quant à notre continent, il est considéré comme une espèce de champ de bataille en puissance. Cela ch
872 que pensent les Américains des Russes ? L’opinion est extrêmement mélangée. En général, les hommes d’affaires voudraient qu
873 Le président de la Chambre de commerce américaine est allé en Russie tenir des discours capitalistes… D’autres gens voudrai
874 Chambre de commerce américaine est allé en Russie tenir des discours capitalistes… D’autres gens voudraient faire la guerre à
875 ’assiégement », se referme trop sur elle-même. Il est difficile de la comprendre de l’autre côté de l’Océan. ⁂ Et l’Amériqu
876 t l’Amérique intellectuelle ? La vie scientifique est très remarquable ; l’énergie atomique en est la preuve. La civilisati
877 ique est très remarquable ; l’énergie atomique en est la preuve. La civilisation américaine devient de plus en plus une civ
878 gne aux enfants combien de calories, de vitamines sont nécessaires à leur organisme. Tout le monde a, là-bas, le plus grand
879 hilosophique, je ne vois rien de très neuf qui se soit développé pendant la guerre ou après. Entre 1918 et 1939, l’Amérique
880 sociale… Socialement parlant, l’ouvrier américain est un bourgeois. Il a sa voiture, sa maison ou un appartement avec salle
881 les, on remarque de la misère. Certains quartiers sont très tristes. La conscience politique de la classe ouvrière, si vivan
882 ique de la classe ouvrière, si vivante chez nous, est presque inexistante là-bas. Les grèves peuvent être violentes, mais c
883 st presque inexistante là-bas. Les grèves peuvent être violentes, mais cela ne veut pas dire que l’on soit de droite ou de g
884 re violentes, mais cela ne veut pas dire que l’on soit de droite ou de gauche. On fait la grève pour des raisons purement pr
885 marxisme… En conclusion, une « cure d’Amérique » est profitable à l’Européen ? Absolument ! Ce que je souhaite, c’est qu’o
886 qui se complètent admirablement. Les différences sont fortes, certes ; mais elles sont tout à fait conciliables. À l’Amériq
887 Les différences sont fortes, certes ; mais elles sont tout à fait conciliables. À l’Amérique, nous pouvons apporter beaucou
888 iberté d’allure et beaucoup de gentillesse. Telle est la « leçon d’Amérique » que nous a donnée M. Denis de Rougemont. En c
889 de, « [Entretien] Le centre de gravité du monde s’ est déplacé d’Europe en Amérique », L’Illustré, Lausanne, 16 mai 1946, p.
890 roduits par la note suivante : « Un écrivain nous est revenu. Il nous est revenu de la lointaine et si proche Amérique, emp
891 suivante : « Un écrivain nous est revenu. Il nous est revenu de la lointaine et si proche Amérique, emportant avec lui, pou
892 ités souvent insoupçonnées. M. Denis de Rougemont est rentré d’Amérique. Pas pour longtemps, puisqu’il se prépare déjà à re
893 M. de Rougemont, lui, a vécu l’Amérique. Il ne s’ est pas borné à la survoler : il l’a pénétrée, il s’est mêlé à elle, il s
894 t pas borné à la survoler : il l’a pénétrée, il s’ est mêlé à elle, il s’est donné à son expérience créatrice. L’auteur de
895 ler : il l’a pénétrée, il s’est mêlé à elle, il s’ est donné à son expérience créatrice. L’auteur de Politique de la person
896 primé son sceau de vie, de foi et de vérité, doit être classé à l’opposé absolu de tout ce qui porte en soi le germe de la s
897 n soi le germe de la superficialité. Et Dieu seul est capable de dessiner les contours de ce mot « superficiel », qui gouve
898 , « phénomène à la fois mythique et mystique ». N’ est -ce pas lui qui a lancé cette fulgurante vérité aux nations qui s’appr
899 à la chute dans l’abîme : « Personne et pensée ne sont point séparables, et toutes deux ne sont possibles que dans cet acte
900 ensée ne sont point séparables, et toutes deux ne sont possibles que dans cet acte unique d’obéissance qui s’appelle l’amour
22 1946, Articles divers (1941-1946). Histoire de singes ou deux secrets de l’Europe (16 mai 1946)
901 aux prétendues fatalités de l’Histoire. Mais il n’ est point de fatalité pour l’homme qui ne recule pas devant sa liberté, e
902  mémoire » et de l’« expérience historique », qui est celle des épreuves et des échecs. L’étude des singes et de leur attri
903 psychologie nous révèle que ces faux ancêtres ne sont guère inférieurs à l’homme sous le rapport de l’intelligence ! Leur m
904 sous le rapport de l’intelligence ! Leur malheur est qu’ils n’ont aucune mémoire. Ils se voient obligés chaque matin de re
905 rester singes. Il les réduit à imiter, là où nous sommes capables d’innover en tirant les leçons d’expériences de la veille. S
906 rant les leçons d’expériences de la veille. Singe est celui qui doit refaire chaque jour le chemin perdu pendant la nuit, f
907 s. Sur un signal donné par une sirène, les singes sont lâchés dans la chambre. Ils découvrent bientôt les tiroirs, ils les o
908 la science, le monde moderne et sa prospérité ne sont pas les garants infaillibles d’un bonheur qui lui serait dû. L’échec
909 pas les garants infaillibles d’un bonheur qui lui serait dû. L’échec pour lui — guerre, privations, retards — n’est pas une dé
910 ’échec pour lui — guerre, privations, retards — n’ est pas une déception totalement scandaleuse qui le laisserait tout béant
911 ne obscure sagesse en lui s’y attendait ; elle le tenait prêt à subir en souplesse les mécomptes, à vrai dire normaux, de l’op
912 é et les sirènes du progrès. Et c’est pourquoi il tiendra le coup. v. Rougemont Denis de, « Histoire de singes ou deux secre
23 1946, Articles divers (1941-1946). La pensée planétaire (30 mai 1946)
913 ensée planétaire (30 mai 1946)y Le xxe siècle est en train de découvrir ce qu’on savait depuis un certain temps mais qu
914 t jamais très bien compris, à savoir que la terre est ronde. D’où il résulte, entre autres conséquences, que si vous tirez
915 le, pour une époque donnée, me paraissent pouvoir être mesurées à la portée des armes connues dans cette époque. (Vous avez
916 objet rond, pomme, sphère ou sceptre d’or, que ce soit l’Univers ou l’Empire ou l’Atome. Ici les extrêmes se reflètent. Le m
917 1944 et 1945, si les cargos alliés n’avaient pas été trop occupés dans le Pacifique. Les Anglais eussent peut-être voté di
918 idarité pratique des différentes parties du globe est un fait durement établi au niveau de notre existence matérielle. Avan
919 bablement passer par une étape intermédiaire, qui est celle du fait psychologique : la formation d’une conscience planétair
920 ce un peu, disons à quelques heures d’avion. Ce n’ est rien de traduire une langue : les problèmes nationaux restent intradu
921 ne peut y aller voir et sentir. Et notre époque n’ est pas celle des voyages, mais seulement celle des « missions », comme o
922 plus boucler leurs comptes parce que les Noirs se seront révoltés en Caroline du Sud ou à Harlem ; et les mineurs du pays de G
923 dant des mois, parce que les péons d’Argentine se seront enfin organisés contre les grands « estancieros ». Vous pourrez toujo
924 yer d’expliquer aux victimes de la crise que ce n’ est pas la faute des députés ni de l’« hypocrisie américaine »… Que faire
925 urope, « ici vivent les lions ». Et pourtant nous sommes destinés à découvrir un jour que ces lions sont des hommes, qui d’ail
926 sommes destinés à découvrir un jour que ces lions sont des hommes, qui d’ailleurs nous prenaient nous aussi pour des lions.
927 pas de Persans pour se demander : Comment peut-on être Français ?) Je parlais d’une conscience planétaire. C’est sa nécessit
928 s de larges rubriques créant un appel d’air. Ce n’ est pas une question d’information d’abord, qu’on m’entende bien, mais de
929 je dirais : c’est d’abord une question de poésie. Est -ce un hasard si, parmi tous les écrivains français, ceux que je vois
930 e plus direct et le plus contagieux de la planète sont précisément deux poètes : le Saint-John Perse de l’Anabase et de l’Ex
931 eur prose et dans leurs longs versets, quel qu’en soit le sujet allégué, nous avons pour la première fois senti, sous le dra
932 ques. Et que dire de ce grand joueur de Boule que fut « Saint-Ex »13, le premier qui me parla de la Planète comme d’un amou
933 un amour et d’une souffrance intime ? Sinon qu’il fut lui aussi un poète, en prose et en action, en vision créatrice. 13.
24 1946, Articles divers (1941-1946). La fin du monde (juin 1946)
934 La fin du monde (juin 1946)aa Æternitas non est temporis successio sine fine, sed nunc stans. Parmi toutes les liber
935 ruit ; l’idée que vous, et qui pensez, un jour ne serez plus, un jour serez un mort. Si « macabre » désigne assez bien l’étra
936 us, et qui pensez, un jour ne serez plus, un jour serez un mort. Si « macabre » désigne assez bien l’étrangeté de la mort des
937 avant midi, pour moi ? Je ne sens pas que l’idée soit tragique : elle m’appartient, je puis en disposer, feindre assez faci
938 poser, feindre assez facilement d’en rire. Elle n’ est pas plus forte que moi. Peut-être même n’est-elle qu’une ruse cousue
939 le n’est pas plus forte que moi. Peut-être même n’ est -elle qu’une ruse cousue de fil blanc de ma vitalité : la seule pensée
940 jamais pu penser notre mort. Contester là-dessus serait fournir l’aveu d’une impuissance à comprendre le mot penser dans son
941 son sens fort. Car penser sa mort réellement, ce serait aussitôt mourir. Peut-être avons-nous là le seul critère d’une perfec
942 le, et l’on conçoit que son application ne puisse être ni rapportée ni répétée. Perfection et Mort en ceci se confondent, qu
943 erfection et Mort en ceci se confondent, qu’elles sont absolument tragiques, c’est-à-dire sans appel. Ontologie de la fin
944 e mort dans le vif, ce phénomène doit normalement être aperçu comme négligeable ; et s’y attarder serait le fait d’une sophi
945 t être aperçu comme négligeable ; et s’y attarder serait le fait d’une sophistique assez gratuite. Ma nature crie à l’utopie d
946 jour, tel jour ordinaire, l’homme meurt. Pourquoi suis -je donc ici à remuer ces choses ? Il est vrai que ce sont les seules
947 ourquoi suis-je donc ici à remuer ces choses ? Il est vrai que ce sont les seules dont l’intérêt grandisse avec le temps, s
948 donc ici à remuer ces choses ? Il est vrai que ce sont les seules dont l’intérêt grandisse avec le temps, si l’on admet que
949 de son but. Si l’homme savait un jour ce qu’il en est de son destin et de sa liberté, s’il voyait à l’œil nu, leur sens der
950 ensée, l’impuissance à choisir sans retour. Vivre est impur, qu’on sache ou non où va la vie, et c’est pourquoi les bonnes
951 sée de la Fin a les meilleures raisons du monde d’ être pensée ; toutefois l’effort entier de notre vie la neutralise. D’où v
952 in, et l’atteste. La crise Le Bas-Empire ne fut « bas », en son temps, qu’aux yeux de ceux qu’une réalité nouvelle il
953 urée ? Mais tout se mêle encore confusément. Nous sommes là comme en rêve, empêtrés, dans le sentiment d’une urgence que nous
954 décret de crise qui sévit au cœur de ce siècle n’ est qu’une première parole, ambiguë, de la Fin. Une première demande d’in
955 e obscure d’un danger proche, — ce crépuscule qui est peut-être une aube, et la frange de cet éclat qui doit consumer toute
956 avons-nous du sens de notre civilisation ? Quelle est sa fin, dès l’origine, quel est son rêve ? La grandeur ? Nous avons d
957 lisation ? Quelle est sa fin, dès l’origine, quel est son rêve ? La grandeur ? Nous avons détruit toute mesure, et plus rie
958 ? Nous avons détruit toute mesure, et plus rien n’ est grand ni petit, mais toute chose sans répit nous provoque à la dépass
959 protéger sa course. L’amour ? La solidarité ? Ce sont des idéaux de ligues, des mots qu’on n’ose plus employer qu’au desser
960 oyer qu’au dessert. La richesse ? Voici qu’elle n’ est plus à la portée des mains humaines, elle n’est plus qu’un symbole ch
961 n’est plus à la portée des mains humaines, elle n’ est plus qu’un symbole chiffré désignant des puissances lointaines. Toute
962 due de la conscience humaine… Car notre volonté n’ est plus de conquérir, mais seulement d’assurer la vie du plus grand nomb
963 renons à vivre, et non plus à mourir : cet effort est contre nature. Il naît au déclin de la vie, et fatalement se retourne
964 se les commandes pour accomplir le Temps… Et nous serons pris au dépourvu, comme nulle autre génération. Car, tandis que le te
965 fense nationale. Avertissement Votre refuge est dans la masse et son Histoire. Vous vous dites en secret qu’elle ne p
966 dites en secret qu’elle ne peut pas mourir, et il est vrai qu’elle ne possède pas de vie réelle, et ne peut donc penser sa
967 ne peut donc penser sa fin, ni rien. Elle ne peut être en soi pensée, et l’homme en elle reste à peu près dénué de réalité,
968 à son tragique et l’humour de la Fin. Tout ce qui est réel, tout ce qui manifeste la présence éternelle de la Fin, tout ce
969 ez-moi : s’il se trouvait que le monde réellement fût perdu, quel que soit le désir que vous avez qu’il dure, et la persuas
970 uvait que le monde réellement fût perdu, quel que soit le désir que vous avez qu’il dure, et la persuasion où vous vous entr
971 ue vous ? S’il se trouvait que la vérité actuelle fût totalement démesurée ? Qui périrait dans la honte et la rage ? Ceux q
972 utes pentes. Car celui seul qui accepte la mort n’ est pas le jouet du vertige. Le temps vient où les hommes n’auront plus à
973 défendre, mais seulement à se révéler tels qu’ils sont , où qu’ils soient. Plus d’évasions spirituelles. L’homme fuyant la Te
974 eulement à se révéler tels qu’ils sont, où qu’ils soient . Plus d’évasions spirituelles. L’homme fuyant la Terre où le diable s
975 e réfugie sur les hauteurs et découvre que Dieu y est plus dangereux encore, d’une autre sorte, fulgurante. Péripétie
976 aut croire, aujourd’hui, que cela se peut. Cela s’ est produit comme un rêve, ou comme la colère soudain là, ou le printemps
977 ps, ou chaque soir la nuit. (Une première lampe s’ est allumée. Quelqu’un dit : « Elle est là ».) Premier jugement, par l
978 mière lampe s’est allumée. Quelqu’un dit : « Elle est là ».) Premier jugement, par la lumière La fin du monde, irréfu
979 inexprimable. Depuis bientôt mille ans, l’An Mil était passé — « et toutes ses prières perdues ! » — mais ils savaient que r
980 et à jamais qu’au prix de cela justement qu’il n’ était point permis d’imaginer. Celui dont les belles manières sont apprises
981 permis d’imaginer. Celui dont les belles manières sont apprises souffre mal qu’on y passe outre, — et très peu d’entre eux p
982 d’entre eux possédaient la pleine assurance de l’ être . L’Institut de l’opinion planétaire publia les premiers résultats d’u
983 mme, intelligence et belle âme comprises. Et ce n’ est point que nous aimions la mort comme telle. Bien au contraire, ce qu’
984 ultivez, qui conduit à la mort et la mérite. Nous sommes tout simplement au jour du Jugement. Il sera porté aussi bien sur vot
985 us sommes tout simplement au jour du Jugement. Il sera porté aussi bien sur votre élan vital que sur l’élan mortel. Car il n
986 En Face. Ici le futur nous attend, ce futur qui n’ était pour nous qu’un recul devant le présent. Ici le temps dit oui pour la
987 qui le juge et l’accomplit, — notre temps, qui n’ était pour nous qu’un refus de l’instant éternel. Et l’Histoire tout entièr
988 lons voir paraître enfin leur justification, leur être . Voici l’instant où les hommes s’aperçoivent que leurs efforts et leu
989 forts et leurs soucis se tournaient vers ce qui n’ est rien, vers une Absence douloureuse, — alors que c’est la seule Présen
990 loureuse, — alors que c’est la seule Présence qui est terrible en sa splendeur et difficile à supporter, le seul Amour appa
991 upporter, le seul Amour apparaissant qui menace d’ être insoutenable : il nous trouve sans préparation. L’on ne s’était défen
992 able : il nous trouve sans préparation. L’on ne s’ était défendu que de l’autre côté, du côté de ce monde mal fait… Parut un s
993 plus vaste et blanc dans l’univers entier. Ils se sont tout d’abord sentis gênés, balourds, ne sachant trop quelle contenanc
994 ù tout œil rend ce qu’il reçoit, où le grand jour est tout en tous. Ce premier Jugement fut la Salutation. Second jugeme
995 grand jour est tout en tous. Ce premier Jugement fut la Salutation. Second jugement ou sommation Voici le principe d
996 es aveuglements, de sa tendresse. C’est ainsi que fut déclarée l’incomparable qualité de son péché et mesuré le degré d’êtr
997 parable qualité de son péché et mesuré le degré d’ être de son être tel qu’il l’avait librement fait en le vivant. L’examen d
998 ité de son péché et mesuré le degré d’être de son être tel qu’il l’avait librement fait en le vivant. L’examen des raisons d
999 rent moins de temps qu’on n’imagine. La procédure était , en effet, des plus simples. — Témoignez, disait-on, de la vie que vo
1000 nez, disait-on, de la vie que vous possédez. Quel est votre plus vrai désir ? Les sages répondaient : — Nul ne possède vrai
1001 des joies qu’il rencontrait ; et son désir ainsi fut exaucé. Un autre voulait vivre abondamment au sein d’une perpétuelle
1002 ’une perpétuelle pauvreté. Devint soleil. Et quel est celui qui s’approche avec son parapluie mal fermé sous le bras, et de
1003 dessus du sourire de la plus fervente ironie ? Qu’ est -ce qu’il grommelle sous son chapeau de paille ?14 « Qu’il voudrait su
1004 ablement de Celui qui d’un choix me créa. » (Nous fûmes tous saisis d’un vertige à ce discours d’une furieuse démesure, mais
1005 e angélique hilarité. Et nous sûmes que cet homme était très grand.) Troisième jugement, ou le pardon Toute chose a son
1006 essor. Et chacun de nous accède au destin qu’il s’ est fait, à la parfaite possession de soi-même, à son enfer ou à son ciel
1007 r ou à son ciel, dans la consommation de tout son être , au faîte inconcevable du désir comblé, et comblé pour l’éternité. « 
1008 te avec soi la rétribution de nos œuvres » — elle est en Lui, non dans nos œuvres. Commence l’œuvre du Pardon. « Et que ce
1009 au de la vie, gratuitement. » Car maintenant tout est payé. Tout est gratuit. .............................................
1010 ratuitement. » Car maintenant tout est payé. Tout est gratuit. ............................................................
25 1946, Articles divers (1941-1946). Deux lettres sur le gouvernement mondial (4 juin 1946)
1011 le gouvernement mondial Vous me dites que ce n’ est point par mauvaise volonté, mais que vous avez grand-peine à vous rep
1012 r ? Personne à qui répondre que l’honneur du pays est en jeu, qu’on ne cédera plus d’une ligne, etc. ? Pour tout dire, pas
1013 ens ? Ne me dites pas non : votre première idée a été de supposer une guerre. Et cela pour essayer de vous mieux représente
1014 isent les nations, et les unes sans les autres ne seraient pas imaginables. Si vous me dites maintenant que c’est mon gouverneme
1015 us souffrons. Autrement, le bien — ou la paix — n’ est à nos yeux qu’une fumée, une abstraction, c’est-à-dire, soyons francs
1016 yeux qu’une fumée, une abstraction, c’est-à-dire, soyons francs, le comble de l’ennui, si ce n’est pas une « utopie dangereuse
1017 ire, soyons francs, le comble de l’ennui, si ce n’ est pas une « utopie dangereuse »… À propos de cette dernière expression,
1018 ence pour dénigrer des projets de paix ? Pour qui sont -ils donc si dangereux ? Avez-vous également remarqué que les militair
1019 t de l’Europe. ⁂ J’ai cru longtemps que la guerre était le pire désordre imaginable à notre époque ; et que ceux qui la tenai
1020 re imaginable à notre époque ; et que ceux qui la tenaient encore pour une nécessité, voire pour une vertu, étaient les véritabl
1021 encore pour une nécessité, voire pour une vertu, étaient les véritables éléments de désordre ; et que l’utopie la plus dangere
1022 de désordre ; et que l’utopie la plus dangereuse était la théorie de la souveraineté sans limites des nations. C’était trop
1023 l’invention de la bombe atomique, m’écrit que je suis un primaire. Il m’assure que « à chaque guerre nous, cavaliers, avons
1024 ons prouvé que nous savions nous battre », ce qui est bien la preuve que j’ai tort, et d’ailleurs de n’importe quoi. Il ajo
1025 rte quoi. Il ajoute que ma lettre, dans sa forme, est « nettement péjorative vis-à-vis de l’armée, de la cavalerie en parti
1026 ée, de la cavalerie en particulier », bref que je suis un « élément de désordre ». Ce colonel m’a donné une idée. En reposan
1027 l m’a donné une idée. En reposant sa lettre je me suis écrié : « Vivement la Bombe ! Suprême élément d’ordre ! » Et ne croye
1028 ue la Bombe peut nous délivrer de deux manières : soit en faisant sauter le tout, soit en nous forçant d’ici peu à fédérer l
1029 e deux manières : soit en faisant sauter le tout, soit en nous forçant d’ici peu à fédérer les hommes au-delà des nations. V
1030 humain ? Eh bien, madame, si j’ose le dire : vous êtes servie. II. L’État-nation Non, je n’en veux pas un instant à vo
1031 ture y perdraient quelque chose de précieux. Nous serions tous fondus dans un magma informe de races, de langues, de religions
1032 ’éviter, ou plutôt d’en sortir un peu, car nous y sommes déjà bien engagés. Ce sont les guerres qui le produisent. Et ce sont
1033 r un peu, car nous y sommes déjà bien engagés. Ce sont les guerres qui le produisent. Et ce sont les nations qui produisent
1034 gés. Ce sont les guerres qui le produisent. Et ce sont les nations qui produisent les guerres… Mais je vois que ce mot de na
1035 ations, ce qui fait leur véritable originalité, n’ est pas défini par leur souveraineté absolue, n’est pas limité par leurs
1036 n’est pas défini par leur souveraineté absolue, n’ est pas limité par leurs frontières et ne saurait être défendu par leurs
1037 est pas limité par leurs frontières et ne saurait être défendu par leurs armées. En effet, supprimez ces trois éléments qui
1038 onnement, et comme communauté de gens apparentés, soit par leurs traditions, soit par leurs idéaux, c’est-à-dire par destin
1039 té de gens apparentés, soit par leurs traditions, soit par leurs idéaux, c’est-à-dire par destin ou par choix. Croyez-vous s
1040 s rien d’autre à faire qu’administrer le pays, il sera un meilleur gouvernement ? (Je vous pose ces questions simplistes pou
1041 rendre autarciques en vue d’une guerre possible, soit qu’ils redoutent ou souhaitent cette éventualité. L’État détruit néce
1042 glo-saxonne, socialiste ou capitaliste. Ce modèle est celui de l’État totalitaire, qui est l’état de guerre en permanence.
1043 e. Ce modèle est celui de l’État totalitaire, qui est l’état de guerre en permanence. Ainsi l’ennemi des nations c’est l’Ét
1044 emi des nations c’est l’État ; et leur sauvegarde serait le gouvernement mondial. Ceux qui pensent que c’est tout le contraire
1045 n carnages périodiques. Autre exemple. Pourquoi n’ est -il question que de « nationaliser » tout ce qui peut l’être à l’intér
1046 estion que de « nationaliser » tout ce qui peut l’ être à l’intérieur des frontières, au lieu de multiplier les échanges inte
1047 tives ? Vous me direz que la France, par exemple, est entrée dans la voie de l’étatisme parce qu’elle veut la justice socia
1048 effets inéluctables. Le désir de justice sociale est une noble passion, la socialisation de l’industrie est une mesure éco
1049 ne noble passion, la socialisation de l’industrie est une mesure économique partiellement souhaitable, mais je ne leur vois
1050 erez me dire que le Social Register de New York n’ est qu’un Bottin mondain, je vous dénonce dans L’Humanité.) Vous sentez q
1051 l. Introduisez dans cette broyeuse automatique qu’ est l’État-nation de la démocratie ou marxisme, des idées libérales ou du
1052 belle passion de la justice sociale, le résultat sera le même : à l’autre bout, vous obtiendrez du totalitarisme en bâtons
1053 totalitarisme en bâtons et une grêle de coups. Je suis sérieux. Le socialisme, non pas en soi, mais construit dans le cadre
1054 re, donc à l’état de guerre larvé ou déclaré, qui est le pire des crimes sociaux. On ne sortira de ce cercle vicieux qu’en
1055 s les nations, mais l’humanité. Car ceux-là seuls seront qualifiés pour arbitrer. Autrement ce n’est qu’un jeu de force, et le
1056 ls seront qualifiés pour arbitrer. Autrement ce n’ est qu’un jeu de force, et le premier qui tire aura gagné, quel que soit
1057 orce, et le premier qui tire aura gagné, quel que soit le mordant de l’infanterie ou la bravoure de votre colonel. Il n’aura
26 1946, Articles divers (1941-1946). L’Américain croit à la vie, le Français aux raisons de vivre (19 juillet 1946)
1058 Américains en France, et que l’Amérique encore me tient par tout ce que je viens d’y vivre en six années, livrons-nous au pet
1059 livrons-nous au petit jeu de société mondiale qu’ est la comparaison des peuples deux à deux. Jeu plus sérieux d’ailleurs q
1060 paraît. Car l’une des grandes questions du siècle est sans doute celle de ne point laisser nos moyens matériels de transpor
1061 ra l’impossible pour vous cacher sa richesse s’il est riche, sa pauvreté s’il est pauvre, sa vie privée en général, et ne v
1062 cher sa richesse s’il est riche, sa pauvreté s’il est pauvre, sa vie privée en général, et ne vous rencontrera qu’au café.
1063 ncontre par hasard, on ne se demande pas ce qu’on est devenu, on rit, on boit, on ne s’étonne de rien, tout glisse et passe
1064 onne de rien, tout glisse et passe, il y a tant d’ êtres sur la terre, tant de hasards, tant de manières de vivre, de bonnes e
1065 le plus rapide du monde. L’industrie française a tenu le coup, elle se remonte même si rapidement qu’elle bat déjà l’améric
1066 dépassé, c’est comme si tous les avions de série étaient déjà faits ; il en est fatigué d’avance, et passe à l’invention suiva
1067 us les avions de série étaient déjà faits ; il en est fatigué d’avance, et passe à l’invention suivante. Vue d’Amérique, l’
1068 et. Comment ils prennent la vie Le Français est profondément sérieux, c’est même à mon avis l’espèce d’homme la plus
1069 rtains Américains pressentent enfin que la France est le pays du sérieux sobre, de l’intransigeance réaliste, des provincia
1070 glo-Saxon puritain du type dynamique, alors qu’il est en réalité, et neuf fois sur dix, bien plus près du Méridional par so
1071 ridional par son goût de l’exagération — Tartarin serait bien épaté — son humeur communicative, et son insouciance lyrique. Se
1072 scandale. Se quitter bons amis après [illisible] est régulier. S’attacher, [illisible], voilà qui est immoral…ad Comme
1073 est régulier. S’attacher, [illisible], voilà qui est immoral…ad Comment ils construisent En Europe, terre des cathé
1074 ésidences luxueuses de la campagne ou de la ville sont régulièrement — sauf dans le Sud — de style Tudor, de style Renaissan
1075 eoises en France. Quant aux gratte-ciel, l’ère en est bien passée. Sauf à New York, ils ne sont pas rentables. Comment i
1076 l’ère en est bien passée. Sauf à New York, ils ne sont pas rentables. Comment ils sont scrupuleux ou non L’Américain n
1077 w York, ils ne sont pas rentables. Comment ils sont scrupuleux ou non L’Américain ne pardonne pas une erreur de 2 cent
1078 l’excès ? Fumez-vous ? Avez-vous d’autres vices ? Êtes -vous partisan de doctrines tendant au renversement des institutions a
1079 ons américaines ? » Vous pouvez répondre que vous êtes alcoolique et anarchiste, on vous laissera entrer. Mais si vous dites
1080 vous dites sous la foi du serment, que vous ne l’ êtes pas, et que votre vie plus tard prouve que vous l’êtes, l’amende ou l
1081 pas, et que votre vie plus tard prouve que vous l’ êtes , l’amende ou la peine de prison seront triplées. Tout repose ici sur
1082 e que vous l’êtes, l’amende ou la peine de prison seront triplées. Tout repose ici sur la parole donnée, seul fondement d’une
1083 Français, élevé dans l’idée que dulce et decorum est pro patria mori, accepte de se faire tuer non point par fanatisme, re
1084 aut en matériel — que les batteries d’en face ont été écrasées. Cette folie apparente de l’Européen dénote un certain degré
1085 l’inverse. Je compare et vous laisse juger. Ce n’ est pas simple. Et cela va peut-être choquer ? Que voulez-vous, j’ai deux
1086 amours. Or l’amour rend parfois plus lucide que l’ être aimé ne le souhaite. ab. Rougemont Denis de, « L’Américain croit
1087 rtaine, aucune copie correcte du texte n’ayant pu être obtenue.
27 1946, Articles divers (1941-1946). Réponse à l’enquête « Les travaux des écrivains » (24 août 1946)
1088 version définitive. Les Personnes du drame . Ce sont des essais sur Goethe, Kierkegaard, Kafka, Luther, Gide, Ramuz, Claud
1089 ible tirage et des circonstances où ils parurent, sont restés pratiquement ignorés. Chez Albin Michel, Penser avec les main
1090 46, p. 2. af. La première version de cet ouvrage est parue en 1942, et non en 1940.
28 1946, Articles divers (1941-1946). Mémoire de l’Europe (écrit en Amérique, en 1943) (août-septembre 1946)
1091 ût-septembre 1946)ah Je ne savais pas que tout était si près, là-bas. J’étais baigné. J’étais fondé. Et je marchais parmi
1092 e ne savais pas que tout était si près, là-bas. J’ étais baigné. J’étais fondé. Et je marchais parmi les signes. Sédiments séc
1093 que tout était si près, là-bas. J’étais baigné. J’ étais fondé. Et je marchais parmi les signes. Sédiments séculaires, socles
1094 … « Je t’aime. J’aime ! » J’ai tout dit. L’Europe était patrie d’amour. Le silence attendait, l’absence était profonde, et ch
1095 t patrie d’amour. Le silence attendait, l’absence était profonde, et chaque être présent questionnait, répondait. La force ét
1096 ce attendait, l’absence était profonde, et chaque être présent questionnait, répondait. La force était au secret de nos vies
1097 ue être présent questionnait, répondait. La force était au secret de nos vies, nouée parfois dans une rancune obscure, ou bie
1098 ns la contemplation jalouse d’un vieil arbre — il était vieux déjà du temps de notre enfance, et notre possession la plus ten
1099 us tenace, il nous réduisait au silence. La force était chanson fredonnée, sur le seuil, au matin d’une journée qui se liait
1100 evient visible, c’est comme le sang, c’est que tu es blessé, ta vie s’en va !) La force était mémoire et allusion. Elle ét
1101 ’est que tu es blessé, ta vie s’en va !) La force était mémoire et allusion. Elle était ce vieil arbre tenace. Elle était la
1102 en va !) La force était mémoire et allusion. Elle était ce vieil arbre tenace. Elle était la douceur et la sagesse amère des
1103 allusion. Elle était ce vieil arbre tenace. Elle était la douceur et la sagesse amère des adieux, ou la gaieté d’un mot dit
1104 me souviens — c’est l’Europe. Parce que l’Europe est la mémoire du monde, parce qu’elle a su garder en vie tant de passé,
29 1946, Articles divers (1941-1946). En 1940, j’ai vu chanceler une civilisation : ce que l’on entendait sur le paquebot entre Lisbonne et New York (21 septembre 1946)
1105 encore où il a mal. Va-t-il vivre ? A-t-il rêvé ? Serait -il déjà mort ? J’ai vu l’Espagne de cendre et d’esprit, incapable de
1106 rasse. Hâtons-nous, car tout peut périr. Nous qui sommes encore épargnés, ne perdons pas notre délai de grâce ! À bord de l’Ex
1107 ts mètres — du Portugal et de la liberté. Car tel est le sadisme policier. Nous venons de passer, en quatre jours de voyage
1108 en, guère plus de 22 heures, mais le total normal est d’au moins 30, m’affirme-t-on, et les « accidents » sont fréquents. P
1109 au moins 30, m’affirme-t-on, et les « accidents » sont fréquents. Paradoxe du siècle où tout est fait pour réduire l’homme à
1110 ents » sont fréquents. Paradoxe du siècle où tout est fait pour réduire l’homme à l’anonyme, pour le priver du sentiment de
1111 l’assurait quotidiennement, inconsciemment, qu’il était bien réel et bien lui-même… En mer, nuit du 12 au 13 septembre 1940 L
1112 ers leur exil. Mais moi, de quoi pourrais-je bien être l’ex ? Ni fugitif, ni juif, ni riche, ni détrôné, et ne pouvant me ré
1113 des catastrophes, scandaleux personnage, comme le serait un témoin vivant même aux colloques des fantômes… Je crois bien que c
1114 ues des fantômes… Je crois bien que cette image m’ est venue à cause d’une conversation entendue sur le pont cette nuit même
1115 ion entendue sur le pont cette nuit même. L’heure était fort tardive et propice aux aveux. V., ex-cagoulard, ayant raconté, n
1116 astucieux préparatifs de guerre civile n’auraient été troublés que par l’attaque intempestive des nazis. Contre ceux-là, il
1117 llamment prévu les choses… De fait, les étrangers sont toujours surprenants. On ne s’entend vraiment bien qu’entre gens du m
1118 de la petite chambre : « 165 avions allemands ont été abattus sur Londres. » Et c’est peut-être la nouvelle la plus importa
1119 ouvelle la plus importante de la guerre. Car tout tient aux Anglais, et si ce bulletin dit vrai, les Anglais tiennent. L’autr
1120 Anglais, et si ce bulletin dit vrai, les Anglais tiennent . L’autre jour à Lisbonne une lady me disait : « Nous ne serons jamais
1121 re jour à Lisbonne une lady me disait : « Nous ne serons jamais battus, parce que nous sommes un peuple qui ne sait pas quand
1122  : « Nous ne serons jamais battus, parce que nous sommes un peuple qui ne sait pas quand il est battu. » J’ai pensé aux chefs
1123 ue nous sommes un peuple qui ne sait pas quand il est battu. » J’ai pensé aux chefs français trop cartésiens qui ont admis
1124 mis la défaite sur sa définition, — avant qu’elle fût définitive. 18 septembre 1940 Comment prévoir l’issue de cette guerre
1125 incre, mais qui gagne, et l’autre qui ne sait pas être vaincue, mais qui perd ? Les Allemands, en effet, même victorieux, se
1126 ctoire en général. La seule solution « possible » serait donc la victoire anglaise. 19 septembre 1940 Un journaliste américain
1127 gens, des Parisiens, qui trouvent que les Boches sont corrects… Well… Quand un gangster de Chicago vous prend votre portefe
1128 e quelquefois cinq sous pour rentrer en métro… Il est correct, isn’t he ? » À mon tour, j’ai craché dans l’eau, pour marque
1129 ion. 20 septembre 1940, en rade de New York Je me suis éveillé dans ma cabine moite avec le sentiment que tout était changé
1130 é dans ma cabine moite avec le sentiment que tout était changé autour de moi. Eh oui ! des verdures proches défilaient au hub
1131 es défilaient au hublot ! Couru sur le pont. Nous sommes dans les passes de l’Hudson. Une brume de chaleur tropicale bleuit le
1132 s la brume — Manhattan, comme une prémonition qui serait vérifiée à l’instant même ! ag. Rougemont Denis de, « En 1940, j’a