1 1941, Articles divers (1941-1946). Reynold et l’avenir de la Suisse (1941)
1 Reynold et l’avenir de la Suisse (1941) a Le grand service que nous aura rendu l’auteur de Conscience de la
2 de la Suisse (1941)a Le grand service que nous aura rendu l’auteur de Conscience de la Suisse, c’est d’avoir osé porter s
3 endu l’auteur de Conscience de la Suisse, c’est d’ avoir osé porter sur l’avenir immédiat de ce pays un jugement pessimiste. L
4 admettre, et à se préparer en conséquence. Nous n’ avons pas encore su prendre le tempo de ce xxe siècle. C’est que nous somm
5 istence condamnée ailleurs par des faits que je n’ ai pas à rappeler. La faiblesse du bourgeois réside dans son refus de pr
6 démons et déjouer à temps leurs calculs. Reynold a le courage d’envisager — de regarder en plein visage — ce qui nous ru
7 , pas du tout — mais il est simplement lucide. Il a su voir plus loin que le bout de la Suisse. Il a su voir l’Europe en
8 a su voir plus loin que le bout de la Suisse. Il a su voir l’Europe en pleine révolution. Il a montré l’un des premiers,
9 e. Il a su voir l’Europe en pleine révolution. Il a montré l’un des premiers, chez nous, que la vraie fin, même inconscie
10 ne, le jour de la capitulation de la Hollande. a . Rougemont Denis de, « Reynold et l’avenir de la Suisse », Hommage à
2 1941, Articles divers (1941-1946). Trois paraboles (1er octobre 1941)
11 lits pour y rêver, mille pour y souffrir, il n’y a qu’un Amant : tu t’égares, il s’enfuit. — « En vérité, vous vous cher
12 vous échangerez tout ! » Pour mieux courir, elle a jeté ses voiles, et sa pudeur est dévoilée, ô folle ! Mais lui les tr
13 i les trouve et s’en revêt : voiles de nuit. Elle a passé tout près, ne l’a pas vu. C’est pourtant le désir qui les press
14 êt : voiles de nuit. Elle a passé tout près, ne l’ a pas vu. C’est pourtant le désir qui les presse, et l’amour appelant l
15 le désir qui l’aveugle ? Elle est nue, ses jambes ont fui. — Toi qui connais le maître du palais, dis-moi s’il vit, s’il rè
16 er encore ? dit-elle. — Dans tes voiles. — Tu les as pris. — Viens dans mes bras, ma fille. II. Le marché de l’aube
17 la revoir, il dit : — Je suis un homme heureux, j’ ai su choisir la pierre de mes vœux, car seul j’ai deviné le cher secret
18 j’ai su choisir la pierre de mes vœux, car seul j’ ai deviné le cher secret de son éclat. Et maintenant, ma pierre, luis de
19 n hiver, il vécut de ce feu. Le printemps vint. — Aurai -je encore besoin du feu ? Je reprendrai ma pierre et me reposerai dan
20 n éclat. Il la prit. Elle était brûlée. — L’hiver a fait son temps, songea-t-il, dans ma vie. Pour la deuxième fois, il a
21 il se leva pour aller au marché de l’aube. — Tu n’ as plus rien, lui dit le petit vieillard, je ne te vendrai rien à crédit
22 . III. Le coup de pistolet Évidemment, je n’ aurais pas dû entrer. On fait de ces bêtises, par négligence, croit-on. Bref
23 e ou noir. J’arrive à la salle de lecture. Il n’y avait que des feuilles de papier blanc sur les tables, et tout le monde lis
24 nde lisait. Je dis : — Est-elle ici ? Quelqu’un l’ a-t -il vue ? Ils me regardent d’un air vexé. Un valet s’approche rapideme
25 Réponses. Je ne savais plus que dire, parce que j’ avais une chose à dire. D’ailleurs, même si je n’avais dit que : Fine day t
26 ’avais une chose à dire. D’ailleurs, même si je n’ avais dit que : Fine day to day, c’eût été une sorte de question ou de répo
27 oulais pas être mis à la porte ! Naturellement, j’ aurais dû pousser la première porte venue, sans y penser, et je serais sorti
28 sit au bout de quelques heures. J’étais épuisé, j’ avais faim et soif, je ne rencontrais plus personne. Je suis un fumeur invé
29 ssis face à la porte et me regardait comme s’il n’ avait rien entendu. Nous nous sommes dévisagés un certain temps ; je ne tro
30 eux et revenait sur ma nuque. À l’instant où je l’ ai compris, il a tiré. — Eh bien oui, je suis là, dit-elle. (Je tenais s
31 sur ma nuque. À l’instant où je l’ai compris, il a tiré. — Eh bien oui, je suis là, dit-elle. (Je tenais sa main. Je sen
32 , dit-elle. (Je tenais sa main. Je sentis qu’elle avait de la fièvre.) Je suis là parce que tu es venu, tout simplement. Nous
33 combien de temps cela va durer. Elle délire et j’ ai cette balle dans le cœur. Et voici que maintenant, je ne puis plus po
34 si vous me dites que c’est une vraie balle que j’ ai dans le cœur, il est évident que je suis mort. Et si vous me dites qu
3 1942, Articles divers (1941-1946). La leçon de l’armée suisse (4 mars 1942)
35 par la Belgique. La Suisse est l’un des pays qui a le mieux résolu l’urgent problème de la défense de la démocratie, san
36 tion de 4 millions et demi d’habitants, la Suisse a une armée de 600 000 hommes. Un habitant sur 7 est un soldat. La même
37 la domination médiévale des seigneurs, leur armée a été un groupement de citoyens libres, possédant chacun ses propres ar
38 it pas un serf, — se distinguait par ce fait : il avait le droit de porter des armes. Les Suisses considèrent leurs armes com
39 té. Les libertés civiques et l’esprit militaire n’ ont jamais été en contradiction. Depuis les temps les plus anciens, les S
40 ociales ou politiques, si les soldats démobilisés avaient le droit d’emporter chez eux leurs armes et leurs munitions ! En Fran
41 if. La possession par chacun de ses propres armes a également une importance technique qui n’est nullement à négliger. C’
42 ividus, mais aussi entre les classes. La Suisse n’ a pas d’école réservée aux officiers. Tous les hommes de 20 ans, propre
43 vice militaire vont à la même école. Là le paysan a comme compagnon de chambre l’étudiant, l’ouvrier le fils de son patro
44 endant les trois mois que dure l’entraînement, on a le temps de reconnaître la valeur réelle et les faiblesses de son voi
45 a vie paisible des villes ou des villages ne leur aurait pas donné en dix ans. Ces 3 mois sont un puissant tonique pour la jeu
46 hommes. Le Haut-Commandement de l’armée en Suisse a prévu dès 1930 déjà, que la prochaine guerre ne serait pas une guerre
47 ienne tradition de faire la guerre. Chaque canton a son propre système de défense, selon sa topographie et ses ressources
48 ions préparées à la frontière, parce qu’elles les ont fortifiées de leurs propres mains. À la première alerte, les hommes e
49 ont prêts. Les magasins de munitions et de vivres ont été cachés dans les rochers. En 1939, la disposition de ces troupes d
50 communications ferroviaires. Mais l’armée suisse a été mobilisée depuis 1939 et les distances sont si petites que les tr
51 e « compartiment » du territoire suisse, l’ennemi aurait à développer une attaque en règle. Il ne serait nullement question d’
52 es deux premières années de la victoire allemande ont renforcé la volonté des Suisses de se défendre. Le contact entre les
53 au dur à avaler », et parce qu’il était celui qui a , dans ses mains, le Gothard. Les 4/5e du trafic entre l’Allemagne et
54 tunnels sont puissamment minés. Beaucoup d’hommes ont juré de les faire sauter au premier signe d’invasion. L’Axe le sait,
55 si le plan suisse de défense. La ligne du Gothard a été déclarée comme ligne de retraite nationale. Certaines unités de l
56 ré est celui qui ne questionne jamais pour ce qui a trait à la défense du sol quand cela est raisonnable. À ceux qui dema
4 1943, Articles divers (1941-1946). Angérone (mars 1943)
57 puissions-nous aimer l’amour assez pour ne jamais avoir recours à ces remèdes, car définir l’amour ce n’est point le connaîtr
58 é. Angérone, déesse du Silence : on croit qu’elle avait sa statue dans le temple de la Volupté. Et certains pensent qu’elle e
59 plaisir ; tandis qu’un débauché vulgaire gémit d’ avoir perdu la volupté. L’homme du désir : il ne peut aimer qu’indéfinimen
60 tablit entre eux. L’approche des yeux, dès qu’ils ont accepté tout le regard de l’autre : sentiment comparable au vertige.
61 i mortel. Dans le silence du désir, la possession a fait une brusque rumeur de vagues affrontées et hostiles. Maintenant,
62 alité des vies au jour. Nous sommes deux. Il n’y a que deux philosophies : celle du désir et celle de l’acte ; ou encore
63 e du désir et celle de l’acte ; ou encore, il n’y a que deux doctrines : celle du silence et celle de la parole. La négat
5 1943, Articles divers (1941-1946). La gloire (mars 1943)
64 ttitude de la plupart des écrivains modernes.) J’ ai vécu pour la gloire — dit le prince André — et qu’est-ce que la gloir
65 de lui être utile et de mériter ses louanges ? J’ ai donc vécu pour les autres, et mon existence est perdue, perdue sans r
66 s. (Tolstoï, La Guerre et la Paix.) Cette page m’ avait séduit par sa mauvaise humeur. En la copiant, je n’y vois plus que so
67 ontraire le mépris du prochain. Le Prince André n’ a pas trouvé de prochains, car il n’a cherché qu’un public. C’est le pu
68 rince André n’a pas trouvé de prochains, car il n’ a cherché qu’un public. C’est le public qui donne la gloire à celui qui
69 ur le flatter. Tandis que la princesse Marie, qui a vraiment aimé son prochain, n’en n’a pas reçu de gloire et n’en deman
70 e Marie, qui a vraiment aimé son prochain, n’en n’ a pas reçu de gloire et n’en demandait point. Aussi ne pense-t-elle pas
71 emandait point. Aussi ne pense-t-elle pas qu’elle a « perdu sa vie ». Liszt à la fin d’un concert triomphal, s’incline et
72 ort de se rendre antipathiques. Jamais la foule n’ a jugé ridicule que l’on affiche un amour de la gloire même excessif po
73 r de la gloire même excessif pour le talent qu’on a . La foule ne tient pour glorieux que ceux qui prennent le soin de par
74 t le soin de parler de leur gloire. Chateaubriand eut de la gloire, mais non Stendhal. Madame de Staël en eut, mais non Con
75 la gloire, mais non Stendhal. Madame de Staël en eut , mais non Constant (comme écrivain). Or personne ne lit plus Les Mart
76 r du prochain. L’individu qui cherche la gloire n’ a plus souci ni même conscience du voisin qu’il pourrait aider (c’est l
77 e la connais depuis toujours, moi seul. Un dieu n’ a pas besoin d’adorateurs pour rayonner et se réjouir de son être. Oui,
78 ’est-ce que l’incognito ? Il y a là quelqu’un qui a de la valeur ; on ne le sait pas. La gloire moderne, c’est à peu près
79 t assurément d’essayer de faire croire qu’on n’en a point. Si l’on condamne sa propre vanité, le mieux pour s’en débarras
80 e que je suis, et si vous appreniez un jour que j’ ai de la gloire, que sauriez-vous alors d’essentiel que dès maintenant v
81 t qui me sauve malgré moi de mon triomphe. Il n’y a qu’un seul Dieu, celui qui dit Je suis. Ce sera Dieu, ou ce sera moi.
6 1943, Articles divers (1941-1946). Rhétorique américaine (juin-juillet 1943)
82 américaine (juin-juillet 1943)f g L’Amérique m’ a fait prendre conscience de bien des choses qui allaient de soi dans n
83 ui va de soi. Parmi la douzaine de bouquins que j’ ai pu emporter de Paris, il y avait le Journal d’André Gide. Chaque fois
84 nt, à juste titre, aucun reproche. Car l’Amérique a fait du journalisme un art par une révolution trop ignorée de l’Europ
85 Mais elle attend encore son style intellectuel. J’ ai tenté de définir deux attitudes. Comment juger ? De la littérature qu
86 lle qui se préoccupe davantage de durer, laquelle a le plus de chance d’avenir dans le monde où nous allons entrer ? Je n
87 r que l’écrivain français et l’écrivain américain ont beaucoup à apprendre l’un de l’autre. Ils m’apparaissent complémentai
7 1943, Articles divers (1941-1946). Mémoire de l’Europe : Fragments d’un Journal des Mauvais Temps (septembre 1943)
88 x temps présent Paris, 17 mars 1939 Le Führer a passé la nuit au Hradschin Après Vienne, avec Prague, c’est une Eur
89 du sentiment, patrie de nostalgie de tous ceux qu’ a touchés le romantisme — encore un paradis perdu ! Mais les vrais para
90 dans la légende, si loin que nul, en vérité, ne l’ avait vu. Mais déjà, pour beaucoup d’entre nous, ce fut simplement l’avant-
91 européen. Jours de sursis d’une liberté dont nous avions à peine conscience, parce qu’elle était notre manière toute naturelle
92 uceur de vivre ? Déjà nous éprouvons que le monde a glissé dans une ère étrange et brutale, où ces formes de vie qui sont
93 on l’usurpateur du Hradschin. Et dès lors qu’il l’ a mis en question, et qu’il nous force au réalisme à sa manière, le cha
94 je suis un écrivain, Il est admis que ces gens-là ont le droit de dire — pour le soulagement général — ce qui ferait taxer
95 une pluie d’orage sur la Concorde : « Et moi qui ai oublié mon masque à gaz ! C’était pourtant l’heure ! » 14 mai 1939 La
96 et les démons s’éveillent sur son passage, il n’y a plus nulle part d’indifférence possible ! Ici, le Christ reste le Sca
97 encore… À quoi pensent-ils, ceux de la bataille ? Ont -ils de ces retours soudains vers des moments de tendresse banale ? Il
98 anale ? Ils deviendraient fous de révolte… Ils en ont , ils en ont sûrement quand ils s’endorment épuisés, sur un talus, ou
99 deviendraient fous de révolte… Ils en ont, ils en ont sûrement quand ils s’endorment épuisés, sur un talus, ou pire encore 
100 nt épuisés, sur un talus, ou pire encore ! ils en ont au réveil, affreux bonheur d’une illusion rapide, où suis-je ? Déjà t
101 maginer un monde où tout peut encore continuer. J’ ai vu la civilisation frappée au cœur, je l’ai vue chanceler, je sais qu
102 er. J’ai vu la civilisation frappée au cœur, je l’ ai vue chanceler, je sais qu’elle peut mourir. J’ai vu la France, comme
103 ’ai vue chanceler, je sais qu’elle peut mourir. J’ ai vu la France, comme un homme qui vient de tomber sur la tête, qui se
104 i se relève, se tâte, et ne sait pas encore où il a mal. Va-t-il vivre ? A-t-il rêvé ? Serait-il déjà mort ? J’ai vu l’Es
105 t ne sait pas encore où il a mal. Va-t-il vivre ? A-t -il rêvé ? Serait-il déjà mort ? J’ai vu l’Espagne de cendre et d’espr
106 -il vivre ? A-t-il rêvé ? Serait-il déjà mort ? J’ ai vu l’Espagne de cendre et d’esprit, incapable de retrouver son équili
107 uilibre entre le démoniaque et le surhumain. Et j’ ai vu, aux frontières de la Suisse, l’invasion des herbes sauvages venan
108 rrêter avant qu’elles n’étouffent leurs champs. J’ ai vu renaître les paniques dévastatrices du ve siècle de notre ère. Et
109 t-elle à Mandres, c’est donc jour de marché. » Il a écrit ces mots. Elle saura bien. Il a rejoint l’usage du pays, l’inti
110 arché. » Il a écrit ces mots. Elle saura bien. Il a rejoint l’usage du pays, l’intimité des choses de toujours. Et le moi
111 et des nuages noirs traînaient sur les vergers. J’ ai su, plus tard, que ce jour-là, j’avais fait mes adieux à la France.
112 es vergers. J’ai su, plus tard, que ce jour-là, j’ avais fait mes adieux à la France. VII. — Mémoire de l’Europe 1943 Je
113 és où je me retrouvais… « Je t’aime. J’aime ! » J’ ai tout dit. L’Europe était patrie d’amour. Le silence attendait, l’abse
114 dieux, ou la gaieté d’un mot dit en passant. Elle avait les pudeurs de l’amour… Quand je me souviens — c’est l’Europe. Parce
115 e l’Europe est la mémoire du monde, parce qu’elle a su garder en vie tant de passé, et garder tant de morts dans la prése
116 a présence, elle ne cessera pas d’engendrer. Elle a maîtrise d’avenir. h. Rougemont Denis de, « Mémoire de l’Europe »
8 1944, Articles divers (1941-1946). Un peuple se révèle dans le malheur (février 1944)
117 avant l’occupation allemande, les étrangers qui n’ avaient pas voyagé en France, ou ceux qui n’avaient vu que les lieux de plais
118 qui n’avaient pas voyagé en France, ou ceux qui n’ avaient vu que les lieux de plaisir de la capitale, connaissaient et jugeaien
119 ple de France ; les récits et les témoignages qui ont été publiés secrètement par les mouvements de résistance et qui parvi
120 , malgré lui, de la France et de sa résistance. J’ ai vu à New York la plupart de ces films qui empruntent leur sujet à cer
121 gnment in Brittany, et je cite au hasard, il y en a tant. Je les ai vus avec des amis, tantôt américains, tantôt français
122 any, et je cite au hasard, il y en a tant. Je les ai vus avec des amis, tantôt américains, tantôt français. Les Français c
123 il est sérieux, plus qu’aucun autre peuple dont j’ aie vécu la vie. Seulement, il est sérieux sans pose, avec pudeur, préfér
124 gnité impénétrable aux tentations de la Brute. On avait dit aux jeunes nazis qu’ils allaient conquérir un pays de bavards, de
125 vaient pas cela, les jeunes Allemands, on ne leur avait jamais parlé du vrai peuple de la vraie France. Ils ont continué à le
126 mais parlé du vrai peuple de la vraie France. Ils ont continué à le piller et à le fusiller avec une rage panique ; ils con
127 tinuent, mais ils se savent battus. Depuis qu’ils ont rencontré ce regard… k. Rougemont Denis de, « Un peuple se révèle
9 1944, Articles divers (1941-1946). Ars prophetica, ou D’un langage qui ne veut pas être clair (hiver 1944)
128 t pas être clair (hiver 1944)j Un critique. J’ ai lu vos deux dialogues sur la carte postale6, je les aime bien… Enfin
129 t de loin et quand vous nous les présentez, elles ont déjà votre complicité, je ne sais quel air de passion, un peu trop tô
130 s phrases. Autrement dit, le discours cartésien n’ a pas de fin qui lui soit transcendante. Il part de ce qu’il suppose cl
131 ien introduire dans la chaîne des arguments qui n’ ait été d’abord jaugé, chiffré, et défini en termes simples. À mon tour d
132 sions de la rhétorique flamboyante. Le romantisme a pu s’impatienter d’une allure aussi scrupuleuse, mais c’est qu’il a l
133 d’une allure aussi scrupuleuse, mais c’est qu’il a le goût de se tromper et de tromper. A. Pour moi, je crains une dupe
134 quel nous vivons et parlons n’est-il pas, comme l’ a dit un Russe « le monde de l’imprécis et du non résolu » ? Ou comme l
135 sans parti pris à ce monde tel qu’il est donné, n’ a-t -elle pas pour effet immédiat de multiplier le mystère et les absurdit
136 … Je me demande alors si le cartésianisme ne nous a pas trompés une fois pour toutes, à l’origine, en décrétant — au nom
137 s traduisant les résultats acquis. Or ces phrases ont été choisies par le savant en vertu d’une double exigence : d’une par
138 r là. C’est sans doute le plus mauvais tour qu’on ait joué aux écrivains d’idées ! Commencer par le commencement ! Aller du
139 est une chose que l’expérience humaine me paraît avoir établie — je dirais : pour l’éternité ! — c’est bien qu’il faut toujo
140 e marche cependant, c’est qu’à certains moments j’ ai vu le but. — J’ai cru le voir… C’est une vision illuminante, instanta
141 , c’est qu’à certains moments j’ai vu le but. — J’ ai cru le voir… C’est une vision illuminante, instantanée, dont la trace
142 erait absolument inexplicable, et évident. Il n’y aurait plus qu’à méditer sans fin cette forme significative du tout, et de c
143 conséquence. Mais si je parle en paraboles, je n’ ai souci que d’une certaine orientation. C’est à partir du terme, encore
144 e résolvent, et non pas à partir d’éléments que j’ aurais distingués dès le départ. Une parabole se comprend par la fin. Comme
145 iennent mieux plus tard. C’est comme les noix qui ont une coquille très dure. On peut les emporter sans qu’elles se gâtent,
146 les emporter sans qu’elles se gâtent, et quand on a faim, on les ouvre. C. Encore une petite question, voulez-vous ? Qui
147 C. Encore une petite question, voulez-vous ? Qui a le droit de parler en paraboles, et d’être obscur à la manière des pr
148  ? A. Le droit ? Personne, bien sûr ! Personne n’ a aucun droit de ce genre, si l’on nomme droit la garantie formelle d’u
149 ne se pose plus. C’est l’attitude de l’homme qui a vu quelque chose, ou simplement qui a cru voir, et qui voudrait retro
150 l’homme qui a vu quelque chose, ou simplement qui a cru voir, et qui voudrait retrouver sa vision et la faire pressentir
151 ngle de vision quelconque. Je dis que l’homme qui a vu quelque chose doit parler la langue des prophètes et composer des
152 obscur. Passe encore pour l’homme de Patmos, qui avait vu la fin de notre Histoire : l’ampleur de sa vision le sauve. Mais i
153 es « sentinelles de Juda », les grands prophètes, ont été justifiés dans leur délire, mais un prophète des choses d’ici-bas
10 1944, Articles divers (1941-1946). L’attitude personnaliste (octobre 1944)
154 rus en France montre que les idées personnalistes avaient fait leur chemin dans l’élite de la Résistance. S’agit-il d’une influ
155 siècle dernier, et le soldat politique sur lequel a voulu se fonder le totalitarisme de ce siècle, ne sont pas des hommes
156 le, ne sont pas des hommes complets. L’individu n’ a que des droits, le soldat politique que des devoirs. Le premier est u
157 ophes s’étaient intitulés « personnalistes » ou l’ avaient été avant la lettre : Leibnitz, Kant, Renouvier, ou de nos jours un W
158 rituel d’abord, les changements institutionnels n’ ayant de valeur à leurs yeux que s’ils traduisaient réellement une attitude
159 bien commun. 3) Perfectionnement technique. Nul n’ aurait plus intérêt à paralyser l’invention, puisqu’elle ne créerait plus de
160 civil donnèrent leur salaire aux ouvriers qu’ils avaient « relevé », leur assurant ainsi quelques semaines de vacances payées,
161 roupements autonomes en perpétuelle interaction n’ a pas encore été traduite dans nos institutions. Nos nations sont resté
162 sique quantique. La paresse d’esprit et l’inertie ont laissé se constituer au xxe siècle des cadres démesurés, simplifiés
163 te attitude doctrinale. Dès 1937, l’Ordre nouveau avait dénoncé l’organisation hypercentralisée de l’armée française, copiée
164 centralisation politique de la nation. La France avait des frontières rigides et un centre unique, Paris. Entre les deux, le
165 1940 et toute l’évolution ultérieure de la guerre ont amplement confirmé ces vues. L’Underground, dans plusieurs pays, en a
166 ces vues. L’Underground, dans plusieurs pays, en a glorieusement confirmé l’efficacité. Les groupes personnalistes criti
167 ent À la veille de la guerre, le personnalisme avait réussi à dégager les implications de sa doctrine dans les plans les p
168 hures et tracts, répandaient ses idées. Les nazis avaient délégué leur représentant en France, Abetz, au soin d’observer de trè
11 1944, Articles divers (1941-1946). Quelle guerre cruelle (octobre-novembre 1944)
169 L’un n’est guère bon, mais l’autre est pire, et j’ ai choisi sans hésiter jamais. On peut appeler le premier démocrate et l
170 ou par esprit de polémique, beaucoup de penseurs ont estimé depuis cent ans que les réalités économiques étaient plus fort
171 s étaient résultats et non pas causes. Car il n’y a pas d’abord la loi de l’offre et de la demande, il y a d’abord nos of
172 demandes, selon nos rêves et nos passions. Il n’y a pas d’abord les machines puis une société qui doit subir leurs lois,
173 oisissent de construire des machines plutôt que d’ avoir faim, ou de chercher la sagesse, ou de prier devant un symbole ancest
174 , ou de prier devant un symbole ancestral. Il n’y a pas d’abord les faits et puis l’humanité qu’ils guident ou blessent,
175 s méthodes les plus propres à l’aggraver, après l’ avoir provoquée : les méthodes du siècle dernier, rationalistes ou punitive
176 trop longtemps opprimé, nié, laissé inculte9. On a tenté de raisonner cet inconscient et de le forcer à se tenir tranqui
177 imer à sa manière, affolé par nos arguments, il n’ a plus trouvé d’autre issue que dans une révolte explosive. Le cauchema
178 guerre psychologique10 à l’instar des nazis qui l’ avaient inventée. Au seuil de la paix, il est temps de chercher au moins les
179 quer les premiers éléments. Si cette génération n’ a pas le courage de s’avouer plus profondément qu’aucune autre, il ne f
180 s. » Mais ils le disent aussi. — « Pardon ! ils n’ ont pas le droit de le dire. » Sommes-nous sûrs de l’avoir, ce droit ? Av
181 pas le droit de le dire. » Sommes-nous sûrs de l’ avoir , ce droit ? Avons-nous fait enquête avant de partir ? Sommes-nous en
182 e dire. » Sommes-nous sûrs de l’avoir, ce droit ? Avons -nous fait enquête avant de partir ? Sommes-nous en possession des piè
183 du suicide. Ne me parlez pas de droits, vous n’y avez pas pensé. Nous avons « fait notre devoir » et pas de question. Je di
184 rlez pas de droits, vous n’y avez pas pensé. Nous avons « fait notre devoir » et pas de question. Je dis que la guerre nous p
185 n de leurs plus belles plumes. La guerre actuelle a perdu ces attraits. Tout le monde la fait, en salopette, en kaki, ou
186 era peut-être pour des siècles. (Il y aura trop d’ avions du même côté.) Mais comment l’homme compensera-t-il le manque de guer
187 homme compensera-t-il le manque de guerres ? Nous avons tout prévu contre un futur Hitler, rien contre son absence, autant qu
188 je sache. Le seul type d’héroïsme que l’Occident ait su concevoir (depuis qu’on n’allume plus de bûchers pour les chrétien
189 es pour la Patrie ou pour le parti. Mais s’il n’y a plus de guerres, qui fera les héros ? Qui réveillera le sens du sacri
190 er jusqu’au paroxysme. Et comment vivre, s’il n’y a plus de paroxysmes ? La guerre nous plaît. Nous le nions tous, et c’e
191 nsons qu’Hitler est un monstre avec lequel nous n’ avons rien de commun. Il s’agit de le détruire avant toute autre tâche. Poi
192 ement devant nous, mais en nous. Il était en nous avons d’être contre nous. C’est en nous-mêmes d’abord qu’il se dresse contr
193 bord qu’il se dresse contre nous. Et quand nous l’ aurons tué, il nous occupera sans coup férir si nous n’admettons pas qu’il e
194 . Dans la réalité psychologique du siècle, Hitler aura joué le rôle d’un personnage de rêve d’angoisse. Ce rêve collectif a
195 personnage de rêve d’angoisse. Ce rêve collectif a modelé notre histoire, mais il était d’abord dans l’ombre de nos âmes
196 ais il était d’abord dans l’ombre de nos âmes. On a remarqué que dans un cauchemar, ce qui nous terrifie n’est pas toujou
197 à nos yeux d’une puissance de terreur dont nous n’ avions sans doute jamais eu l’expérience. Et pourtant c’est une part de nous
198 e de terreur dont nous n’avions sans doute jamais eu l’expérience. Et pourtant c’est une part de nous-mêmes qui machine ce
199 iologie moderne le prouve. À son défaut, Hitler l’ aurait fait voir par le moyen de cette religion synthétique (comme le caoutc
200 alité. Il est incontestable que le rationalisme12 a déprimé depuis des siècles le sens religieux des Occidentaux. Car non
201 u mystiques, prières ou rites, sont les moyens qu’ a trouvé l’homme pour capter ses puissances obscures et les ordonner à
202 arence. Le rationalisme régnant peut produire des avions en masse et par ce moyen-là venir à bout d’Hitler ; mais il ne pourra
203 m, faute de mieux. La raison n’ose pas dire qu’il a tort d’avoir faim. Dira-t-elle qu’il a tort d’avoir soif de religion 
204 de mieux. La raison n’ose pas dire qu’il a tort d’ avoir faim. Dira-t-elle qu’il a tort d’avoir soif de religion ? De tromper
205 dire qu’il a tort d’avoir faim. Dira-t-elle qu’il a tort d’avoir soif de religion ? De tromper cet instinct rendu furieux
206 l a tort d’avoir faim. Dira-t-elle qu’il a tort d’ avoir soif de religion ? De tromper cet instinct rendu furieux par des sièc
207 ? 12. Les méfaits de la psychologie rationaliste ont été patents dans la morale sexuelle et la conception du mariage au si
12 1945, Articles divers (1941-1946). Présentation du tarot (printemps 1945)
208 rtus, le Système céleste. Michel-Ange est supposé avoir inventé un jeu de tarot pour enseigner l’arithmétique. Et Gargantua j
209 t son premier disciple, et par Éliphas Levi. Elle a été contestée par W. A. Chatto, anglais, en 1848, et par Boiteau, fra
210 selon lui (et d’ailleurs aussi selon Lévi) qui l’ auraient transmis à l’Europe. Mais on sait que le peuple tzigane ne vint en Eu
211 t de Gébelin, terrassa ce que ce grave antiquaire avait transcrit dans son huitième volume du Monde primitif, d’après un amat
212 nde primitif, d’après un amateur qui, lui-même, n’ avait pu copier l’art de tirer les cartes, dont il est question, que d’aprè
213 ue, ses interprétations sont hasardeuses, mais il a le mérite d’en avoir proposées. Ses disciples, dont le plus grand fut
214 ations sont hasardeuses, mais il a le mérite d’en avoir proposées. Ses disciples, dont le plus grand fut Éliphas Lévi (l’abbé
215 t réciproquement. En voici un exemple : Etteilla a placé le Fou à la fin du jeu, c’est-à-dire au nombre 78, et a mis au
216 ou à la fin du jeu, c’est-à-dire au nombre 78, et a mis au nombre 21 la figure qu’il nomme le Despote africain, qui n’est
217 l’arcane 7, 1e Chariot… Mais en fait cette lame n’ a pas de nombre autre que le zéro. Ce nombre 21 appartient à la lettre
218 à leur interprétation, les variations paraissent avoir été aussi nombreuses que les familles d’esprits, les hérésies chrétie
219 e le Monde : on peut le voir de plus d’une façon. A ) Pays. Citons Elie Alta : Etteilla a composé un jeu dans lequel les
220 ’une façon. A) Pays. Citons Elie Alta : Etteilla a composé un jeu dans lequel les figures des arcanes majeurs ont été dé
221 n jeu dans lequel les figures des arcanes majeurs ont été déplacées ou transformées. Seuls les arcanes mineurs sont exacts,
222 lien où seulement deux arcanes sont différents : ( a ) Le pape qui est remplacé par Jupiter, ce qui est la même chose, car
223 lement le tarot de Marseille. La Maison Grimaud l’ a remplacé par le tarot italien ; celui de Schaffhouse ne se trouve qu’
224 , de même celui de Francfort en Allemagne ; ils n’ ont pas droit d’entrée en France. Quant à celui d’Etteilla, on le trouve
225 e de musique 8. un nom à quoi l’occultiste Lenain a cru pouvoir ajouter : 9. un jour 10. une heure 11. un degré 12. un gé
226 rès Elie Alta (et donc Etteilla), « les Égyptiens ont attaché à chaque carte des 22 atouts majeurs une lettre de l’alphabet
227 eurs une lettre de l’alphabet hébreu… Ces lettres ont apporté avec elles les signatures célestes. Il y a 7 lettres appelées
228 ares, initiateurs de toute la poésie occidentale, auraient pris le maquis dans plusieurs pays, mais n’auraient pas cessé de répa
229 raient pris le maquis dans plusieurs pays, mais n’ auraient pas cessé de répandre leur croyance et leur sagesse par l’entremise d
230 ’entremise des tireurs de cartes. Cette hypothèse a été formulée par le grand indianiste Heinrich Zimmer, dont nous tradu
231 r « Le Fou ». 6. De l’usage des tarots Nous avons pris l’habitude de considérer les tarots avant tout comme un moyen de
232 in, de Columbia, et de Paul Foster Case, le tarot aurait été, originellement, une méthode de psychothérapie comparable à notre
233 e plus souvent charlatanesques, dont les modernes ont cru pouvoir se rendre maîtres. Terminons sur une anecdote. Le lendema
234 feuilles et des glands. Le Fou, arcane 0 a ) Interprétation d’Elie Alta d’après Etteilla : Le grelot de la Fo
235 résistance, la vie vécue au niveau animal. Rien n’ a été appris ou gagné par la traversée du Jeu. La vie a vécu cet homme,
236 é appris ou gagné par la traversée du Jeu. La vie a vécu cet homme, ce n’est pas lui qui l’a vécue. Aussi la somme de ce
237 . La vie a vécu cet homme, ce n’est pas lui qui l’ a vécue. Aussi la somme de ce qu’il a réalisé est-elle zéro. Vu sous l’
238 pas lui qui l’a vécue. Aussi la somme de ce qu’il a réalisé est-elle zéro. Vu sous l’angle de A. E. Waite, le Fou est un
239 ystèmes de castes, des hiérarchies sociales. Il n’ a plus besoin de la puissance terrestre (les épées) ; des sacrements, r
240 deniers) ; du sol et du foyer (les bâtons). Il n’ a plus d’attaches, ni de nom. Il est la carte anonyme. Il n’est qu’un f
241 carte anonyme. Il n’est qu’un fol errant. Comment a-t -il atteint le stade suprême, bien au-dessus des rois, des reines, des
242 suprême, bien au-dessus des rois, des reines, des as , des chevaliers et des valets, au-dessus des 21 symboles qui décriven
243 ravers eux tous, mais sans être pris par un seul… Ayant accompli son être dans la coïncidence des contraires, pour lui l’univ
244 visible et tangible continue d’exister, mais elle a perdu son pouvoir magique. Voici l’expérience du Fou : le monde extér
245 Voici l’expérience du Fou : le monde extérieur n’ a pas plus de signification réelle que l’ego, dont il s’est débarrassé
246 omme et son essence divine innée… Le fol errant n’ a ni famille, ni possessions, ni lieu où reposer sa tête. Cependant, il
247 ont que néant, elles ne sont qu’un mirage, il les a dépassées… Il est le mendiant qui possède l’univers, et toutes ses ri
248 modées… Le Parfait sous l’aspect d’un fol errant, a dépassé la possibilité d’être aucune des réalités particulières expri
249 du tarot ! La Roue de Fortune, arcane 10 a ) Interprétation d’Elie Alta, d’après Etteilla : La lettre Iod se
250 apporte à la plupart des idées du nombre 10. Elle a le sens de main, les deux mains, les 10 doigts. Elle symbolise la man
251 e porte pas de signes, mais il se peut qu’elle en ait porté autrefois. À l’extrémité de chacun des rayons de la première ro
252 he Book of Tokens, Washington, 1934. Ouspenski : A New Model of the Universe, New York, 1930. A. E. Thierens : The Gene
13 1945, Articles divers (1941-1946). Les règles du jeu dans l’art romanesque (1944-1945)
253 est l’art de persuader. L’ignorance ou l’abus en ont fait aujourd’hui l’art de parler pour ne rien dire. Rhétorique est de
254 qui pourrait désigner le gagnant ? Tricher même n’ a plus aucun charme. Si vous vous soumettez aux règles des échecs, dépl
255 les témoins avertis sauront immédiatement si vous avez bien ou mal fait, si vous avez risqué à bon escient, si vous avez inv
256 édiatement si vous avez bien ou mal fait, si vous avez risqué à bon escient, si vous avez inventé quelque chose. Ôtez les rè
257 fait, si vous avez risqué à bon escient, si vous avez inventé quelque chose. Ôtez les règles, et ce même déplacement devien
258 divers de la planète. Les romantiques allemands l’ ont soupçonné : Jean-Paul invoque la « rhétorique des rêves ». Mais c’est
259 les rites sociaux et les cérémonies dont l’élite a perdu le sens, pour instaurer le culte dépouillé de la Raison. La ter
260 du roman est dans le conte. La société primitive a des mythes, courts récits mémorables destinés à fixer des événements
261 les communes à l’élite d’une société donnée. Nous avons fait, en quelques lignes, tout le chemin qui sépare les premiers chap
262 -t-il lorsque le romancier nous fait savoir qu’il a mis dans son livre ce qui est, et non plus ce qu’il a inventé ? L’aba
263 s dans son livre ce qui est, et non plus ce qu’il a inventé ? L’abandon de la rhétorique entraîne deux séries de conséque
264 t également ruineuses. 1°) — Le romancier moderne a perdu l’autorité magique du conteur. Il s’est privé volontairement du
265 ionné d’attente où naît l’illusion romanesque. Il a suffi des mots rituels pour suspendre le sens critique, et voici le p
266 rs populaires et certains des meilleurs écrivains avaient encore coutume de débuter par des phrases stéréotypées : « Par une be
267 ière preuve, je commence à douter ; après tout, j’ ai vu cela, moi aussi, ou quelque chose qui ressemble à cela. « La vraie
268 a dans le même temps que l’ère bourgeoise et pour avoir commis la même erreur : qui était de croire les conventions « convent
269 sont connues et communes : dès Conan Doyle, elles ont pris force contraignante. Ses personnages sont constants comme ceux d
270 ralement une maison dont il semble que personne n’ ait pu y entrer ni en sortir, et qui contient le problème sous forme de c
271 assique et les chroniques en vers. Il mourra pour avoir épuisé ses possibilités formelles, et pour avoir poursuivi la chimère
272 avoir épuisé ses possibilités formelles, et pour avoir poursuivi la chimère d’une liberté sans condition. Quelques phénomène
273 s imaginations. Seul un art délirant de fantaisie a su préfigurer le rythme de nos catastrophes. Les dessins animés de Wa
274 Gulliver, monstrueux dessins animés où l’homme n’ a pas cessé de reconnaître son image la plus convaincante. 1. La dial
14 1946, Articles divers (1941-1946). Contribution à l’étude du coup de foudre (1946)
275 ne sert de n’y pas croire. C’est un fait, nous l’ avons subi, et nous avons tous dit : je n’y puis rien. Avec autant de sincé
276 croire. C’est un fait, nous l’avons subi, et nous avons tous dit : je n’y puis rien. Avec autant de sincérité, nous semblait-
277 appelle, ils ne sont qu’éclairs de chaleur dans l’ aura d’un cœur orageux. Aux portières d’un train que l’on croise, entre ci
278 tôt que frappés et c’est toujours : « Ô toi que j’ eusse aimée ! » Mais non, si c’était vrai, j’aurais su t’arrêter. Le monde
279 ue j’eusse aimée ! » Mais non, si c’était vrai, j’ aurais su t’arrêter. Le monde entier en eût été changé à l’instant même, san
280 t vrai, j’aurais su t’arrêter. Le monde entier en eût été changé à l’instant même, sans que nul ne s’en doute. ⁂ J’étais sc
281 e Don Juan pour impressionner ses victimes. Il en a tant parlé, et vous autres après lui, que toutes les femmes qui vont
282 à son tour une scène de roman. Oui, l’idée seule a fait tous ces ravages, et non pas quelque dieu, ni le Destin. Il n’y
283 es, et non pas quelque dieu, ni le Destin. Il n’y aurait jamais de coup de fondre sans ce désir que vous entretenez par vos ro
284 dans sa bibliothèque, où d’un coup d’œil furtif j’ avais remarqué mes livres, lorsque sa femme entra en nous saluant d’une mél
285 me réconforter, raconte avec vivacité comment il a organisé mes conférences, et quel public j’aurai, et quelles personne
286 t il a organisé mes conférences, et quel public j’ aurai , et quelles personnes me prient de leur réserver un dîner : bref, vou
287 terreur, que la femme du banquier, elle aussi, n’ a presque pas touché aux mets servis. Le déjeuner se termine toutefois
288 e déjeuner se termine toutefois sans que mon hôte ait paru remarquer que mon malaise est contagieux. Il bavarde encore en p
289 avarde encore en prenant le café, puis s’excuse d’ avoir à regagner sa banque : d’ailleurs sa femme me promènera dans Buda, et
290 lle désigne la ville à nos pieds : « — Mon mari m’ a demandé de vous montrer Budapest. Voilà, c’est Budapest. » Il n’y a r
291 montrer Budapest. Voilà, c’est Budapest. » Il n’y a rien d’autre à dire. Nous remontons en voiture et descendons vers la
292 ain, je me suis décidé et j’articule : « — Vous n’ avez rien mangé au déjeuner, madame. — Vous non plus… » Je poursuis non sa
293 tige, un sombre délire, et sans qu’un mot de plus ait été prononcé… Et ce fut ainsi, durant tout mon séjour à Budapest. L’a
294 us le répète, nous ne parlions jamais. Le soir, j’ avais mes conférences ou un dîner. Et je passais le reste de la nuit dans u
295 compagnie d’un peintre réfugié, nommé Maria. Je l’ avais connu quelques années auparavant dans un groupe politique, à Berlin,
296 ents de l’avant-veille. Elle répond à peine. Qu’y a-t -il ? — Avec qui m’as-tu trompée ? dit-elle enfin. Je la regarde longu
297 . Elle répond à peine. Qu’y a-t-il ? — Avec qui m’ as -tu trompée ? dit-elle enfin. Je la regarde longuement, bien en face.
298 ent supporter un mensonge dans leur vie intime. J’ ai tout avoué sans me chercher d’excuse. Et comme elle se taisait encore
299 d’excuse. Et comme elle se taisait encore, je lui ai demandé comment elle avait su. Alors elle m’a tendu une lettre par av
300 se taisait encore, je lui ai demandé comment elle avait su. Alors elle m’a tendu une lettre par avion, arrivée pour moi le ma
301 ui ai demandé comment elle avait su. Alors elle m’ a tendu une lettre par avion, arrivée pour moi le matin même et qu’elle
302 avion, arrivée pour moi le matin même et qu’elle avait ouverte par crainte d’un malheur. Quelques lignes sur une feuille por
303 blierai jamais les nuits extraordinaires que nous avons encore pu passer ensemble, à la veille de ce cataclysme. » La lettre
15 1946, Articles divers (1941-1946). Penser avec les mains (janvier 1946)
304 ne peut venir qu’à la remorque d’événements qui n’ ont cure de ses arrêts. C’est que l’on confond la pensée avec l’usage ino
305 e avec l’usage inoffensif de ce que des créateurs ont pensé, au prix de leur vie souvent, et toujours par un acte initiateu
16 1946, Articles divers (1941-1946). Les quatre libertés (30 mars 1946)
306 e libertés (30 mars 1946)q Les Quatre Libertés ont figuré le but de guerre idéal des Nations unies, comme elles restent
307 elles restent l’idéal officiel de la paix. Mais j’ ai remarqué qu’assez peu de personnes sont capables de les énumérer. Il
308 t… Vous rappelez-vous ? C’était Roosevelt qui les avait énoncées le premier au début de 1942 dans son discours sur l’état de
309 a misère et de la crainte. Donc les Nations unies ayant gagné la guerre, il est temps de nous demander quel est l’état présen
310 a peur les uns des autres. Quant à la Bombe, elle a multiplié par 20 000 au moins la liberté de craindre le pire à chaque
311 ement » prolonge ou aggrave les tyrannies qu’elle avait pour seul but d’écraser. Mais ceci est une autre histoire.) Ma généra
312 dépend que de nous de saisir à l’instant. Il n’y a pas quatre libertés. Il n’y a que « la » liberté, ou non. Je le prouv
313 à l’instant. Il n’y a pas quatre libertés. Il n’y a que « la » liberté, ou non. Je le prouverai par une parabole. Je conn
314 de la religion de leur choix ; « trois » : ils n’ ont plus à se préoccuper de leur subsistance ; « quatre » ils sont solide
315 acles. Il y aura toujours des obstacles. Ceux qui ont peur d’être libres en feront leurs prétextes comme l’ont fait les All
316 r d’être libres en feront leurs prétextes comme l’ ont fait les Allemands sous l’hitlérisme. La liberté fondamentale dont to
317 aussitôt nous cesserons d’être libres. Et l’État aura tous les droits, puisque nous lui laisserons tous les devoirs. Ce qu’
318 e, c’est un homme courageux, non pas un homme qui aurait reçu (de qui ?) trois ou quatre ou trente-six libertés. On entend dir
17 1946, Articles divers (1941-1946). Dialogues sur la bombe atomique : La pensée planétaire (30 mars 1946)
319 qu’on savait depuis un certain temps mais qu’on n’ avait jamais très bien compris, à savoir que la terre est ronde. D’où il ré
320 portée des armes connues dans cette époque. (Vous avez ici les prémices d’une théorie sociologique flambant neuve.) À l’arme
321 arrive à digérer et intégrer cette pensée-là, il aura fait une révolution bien plus grande que la Renaissance. Il semble qu
322 que la dernière guerre, j’entends celle de 39-45, a beaucoup fait pour éveiller dans les nations le sentiment de leur rel
323 ns directs, mais pourtant notables : les Français eussent mieux mangé, en 1944 et 1945, si les cargos alliés n’avaient été trop
324 ux mangé, en 1944 et 1945, si les cargos alliés n’ avaient été trop occupés dans le Pacifique. Les Anglais eussent peut-être vot
325 t été trop occupés dans le Pacifique. Les Anglais eussent peut-être voté différemment. La solidarité pratique des différentes p
326 une conscience planétaire. Nous retardons, il n’y a pas de doute, nous retardons sur nos réalités. Nous poursuivons nos e
327 t. Une mission ne se promène pas, ne voit rien, n’ a pas de temps à perdre. C’est un raid. Nous n’apprendrons rien. Cepend
328 ou à Harlem ; et les mineurs du pays de Galles n’ auront plus de viande pendant des mois, parce que les péons d’Argentine se s
329 s versets, quel qu’en soit le sujet allégué, nous avons pour la première fois senti, sous le drapé d’un français riche et pur
18 1946, Articles divers (1941-1946). Dialogues sur la bombe atomique : La paix ou la bombe (20 avril 1946)
330 tous les projets de contrôle de la Bombe que l’on a suggérés depuis six mois, j’en retiens deux : 1. Donner la Bombe aux
331 n trouverait mieux, en s’appliquant.) Mais il n’y a que les idées pratiques et raisonnables que l’on traite de folies, à
332 e des volontés. Vous-même, je le sens, je ne vous ai pas convaincue. Vous pensez que j’ai exagéré. Vous pensez que j’ai cé
333 , je ne vous ai pas convaincue. Vous pensez que j’ ai exagéré. Vous pensez que j’ai cédé au goût américain de la sensation,
334 . Vous pensez que j’ai exagéré. Vous pensez que j’ ai cédé au goût américain de la sensation, du biggest in the world. Et d
335 avant le 6 août, elle est là, parce que l’homme l’ a mise là. Et votre sens de la mesure peut se rebeller comme l’esprit d
336 mme l’esprit devant la mort… Mais admettons que j’ ai exagéré : c’était fatal. Écrire, c’est mettre en forme, donc condense
337 nts autorisés ne l’affirment. Admettons qu’il n’y ait pas de raz-de-marée, ni d’autres accidents d’ampleur continentale. Ad
338 haine guerre seront très différents de ceux que j’ ai prévus ? La souffrance sera pire, l’agonie de la terre un peu plus lo
339 hèse m’incline parfois à souhaiter. La tragédie n’ aura pas de lignes pures, parce que nos choix ne sont pas si francs, et qu
340 ès mon premier écrit sur les choses politiques, j’ ai posé le principe du pessimisme actif. Et comment ne m’y tiendrais-je
341 ntinelle, que dis-tu de la nuit ? » La sentinelle a répondu : « Le matin vient et la nuit aussi. » Je n’ai pas fini d’aim
342 pondu : « Le matin vient et la nuit aussi. » Je n’ ai pas fini d’aimer ce cri. Les citations de la Bible vous irritent. Et
19 1946, Articles divers (1941-1946). Dialogues sur la bombe atomique : Post-scriptum (27 avril 1946)
343 uer que vous exagériez. Savez-vous que beaucoup l’ ont pensé, sans vous le dire ? Il est bien naturel que l’événement d’Hiro
344 est bien naturel que l’événement d’Hiroshima nous ait jetés pour quelque temps dans un état d’esprit d’Apocalypse. Mais dix
345 dans un état d’esprit d’Apocalypse. Mais dix mois ont passé, et rien ne se passe. Dieu soit loué, nous avons repris nos sen
346 passé, et rien ne se passe. Dieu soit loué, nous avons repris nos sens. Certains pressentent déjà que la Bombe est en train
347 re. Après tout, nous devions le prévoir, car nous avons vécu un précédent : la guerre des gaz. Tout le monde s’y préparait, v
348 sque en bandoulière. Eh bien, la guerre des gaz n’ a pas eu lieu, parce que tout le monde en avait une peur bleue, et que
349 s gaz n’a pas eu lieu, parce que tout le monde en avait une peur bleue, et que personne, même pas Hitler, n’a eu le courage d
350 e peur bleue, et que personne, même pas Hitler, n’ a eu le courage de commencer. À plus forte raison pour la Bombe… — Je n
351 peur bleue, et que personne, même pas Hitler, n’a eu le courage de commencer. À plus forte raison pour la Bombe… — Je ne t
352 uve pas la raison bien forte, en vérité. Hitler n’ a pas eu recours aux gaz, c’est entendu. Mais pensez-vous qu’une timidi
353 s la raison bien forte, en vérité. Hitler n’a pas eu recours aux gaz, c’est entendu. Mais pensez-vous qu’une timidité subi
354 ntendu. Mais pensez-vous qu’une timidité subite l’ ait arrêté, ou quelque amour tardif de notre humanité ? Simplement, il a
355 e amour tardif de notre humanité ? Simplement, il a fait son calcul. Les Alliés pouvaient riposter, et la valeur militair
356 compenser, même à ses yeux, le risque moral qu’il eût couru à l’employer. Le cas de la Bombe est différent. Je vous répète
357 ctes. Si l’emploi de la Bombe est décisif, il n’y a pas de punition à redouter. Il est donc clair qu’on l’emploiera, au r
358 ereux, horriblement, c’est l’homme. C’est lui qui a fait la Bombe, et c’est lui seul qui se prépare à l’employer. Quand j
20 1946, Articles divers (1941-1946). Faut-il rentrer ? (4 mai 1946)
359 rentrer ? (4 mai 1946)u On me dit que Mauriac a écrit : Faut-il partir ? (pensant aux jeunes Français, répondant non)
360 s partez donc ! la Terre est vaste ! Que d’autres ont protesté que ce débat était antipatriotique, ou anticommuniste, que s
361 en tirer par une réplique, même de bon sens, et j’ ai quelques raisons de prendre la France plus au sérieux, plus au tragiq
362 e siècle, en tenant compte des réalités que nous avons créées ou laissé s’imposer ; de la rapidité des transports, par exemp
363 e qui change beaucoup plus vite que Jules Verne n’ a pu le rêver. C’est cela, et c’est aussi le cauchemar des visas. Si ce
364 ontinent comme on part en week-end. Le mot partir a donc changé de sens. Il a perdu son aura dramatique. Plus question de
365 week-end. Le mot partir a donc changé de sens. Il a perdu son aura dramatique. Plus question de couper les ponts, de brûl
366 mot partir a donc changé de sens. Il a perdu son aura dramatique. Plus question de couper les ponts, de brûler les pénates,
367 n billet d’aller et retour. La poésie des voyages a vécu, la tragédie des départs a vécu. Mais ce qui naît, ce qui peut n
368 oésie des voyages a vécu, la tragédie des départs a vécu. Mais ce qui naît, ce qui peut naître parmi nous, c’est un amour
369 e tampons ? Comment peut-on les justifier ? Ils n’ ont pas arrêté un seul espion, tout en causant la perte des milliers d’in
21 1946, Articles divers (1941-1946). « Selon Denis de Rougemont, le centre de gravité du monde s’est déplacé d’Europe en Amérique » (16 mai 1946)
370 éveille chez un Européen ? En arrivant là-bas, on a l’impression très nette de pénétrer dans une autre civilisation. Une
371 e le cinéma. Un sentiment qui dure : pour moi, il a duré pendant six ans. Ceci est surtout vrai pour les mœurs, leur déta
372 ns civique. Quand le citoyen est discipliné, il n’ a pas pour autant l’amour du règlement comme en Suisse… J’ai aussi été
373 ur autant l’amour du règlement comme en Suisse… J’ ai aussi été sensible à une sorte de loufoquerie de la vie américaine. P
374 de loufoquerie de la vie américaine. Parfois, on a l’impression que les gens sont un peu fous… Ils chantent dans la rue,
375 ges le montant de leur revenu. Cinq minutes après avoir fait votre connaissance, ils vous appellent par votre prénom et vous
376 er entre plusieurs classes d’Américains. Ceux qui ont connu l’Europe et qui y ont vécu, se distinguent par une sorte de sno
377 ’Américains. Ceux qui ont connu l’Europe et qui y ont vécu, se distinguent par une sorte de snobisme européen, surtout au p
378 européen, surtout au point de vue culture, où ils ont d’ailleurs raison. Ce groupe forme une petite minorité qui affectionn
379 r leurs ergots ; des gens en qui l’on ne peut pas avoir une grande confiance… Ils voient l’Europe un peu comme nous voyions l
380 voyions les Balkans avant la guerre. Et puis, ils ont un peu peur de nous ; ils craignent que nous ne soyons une source per
381 u point de vue du civisme et de la politique. Ils ont le sentiment d’être decent. Leur opinion est que les Européens ne son
382 t, elle ignore même que la Suisse existe. Un GI m’ a récemment déclaré : « La Suisse ? Quand est-ce que nous avons bien pu
383 ent déclaré : « La Suisse ? Quand est-ce que nous avons bien pu libérer ça ? C’est si petit ! » Par souci de précision, j’ajo
384 ontent le monde anglo-saxon et le monde russe. On a fortement l’impression de l’existence de deux pôles d’attraction : l’
385 les perspectives. Le problème France-Allemagne n’ a aujourd’hui plus grande importance ; il a cédé le pas au problème Amé
386 magne n’a aujourd’hui plus grande importance ; il a cédé le pas au problème Amérique-URSS. Et que pensent les Américains
387 se servant de la bombe atomique, etc. Moscou, qui a toujours eu cette espèce de « complexe d’assiégement », se referme tr
388 de la bombe atomique, etc. Moscou, qui a toujours eu cette espèce de « complexe d’assiégement », se referme trop sur elle-
389 sont nécessaires à leur organisme. Tout le monde a , là-bas, le plus grand respect pour les experts en n’importe quoi. Au
390 a guerre ou après. Entre 1918 et 1939, l’Amérique a connu une grande période littéraire. Je ne distingue actuellement pas
391 toujours de là que vient l’initiative. Ce qu’ils ont de plus que nous, c’est un grand art du reportage, de la description.
392 un grand art du reportage, de la description. Ils ont indiscutablement créé le style du grand reportage. Je connais quelque
393 parlant, l’ouvrier américain est un bourgeois. Il a sa voiture, sa maison ou un appartement avec salle de bains. Dans les
394 lesse. Telle est la « leçon d’Amérique » que nous a donnée M. Denis de Rougemont. En conclusion, disons que lorsque Talle
395 on, disons que lorsque Talleyrand affirmait qu’il avait trouvé aux États-Unis « trente-deux religions et un seul plat », il n
396 s « trente-deux religions et un seul plat », il n’ avait tort qu’a cinquante pour cent… w. Rougemont Denis de, « [Entretien
397 x religions et un seul plat », il n’avait tort qu’ a cinquante pour cent… w. Rougemont Denis de, « [Entretien] Le centr
398 euse exploration pour qui sait respecter, après l’ avoir établi, le contact avec le réel, contact de la pensée qui, s’il ne s’
399 e gouffre de l’abstraction. M. de Rougemont, lui, a vécu l’Amérique. Il ne s’est pas borné à la survoler : il l’a pénétré
400 rique. Il ne s’est pas borné à la survoler : il l’ a pénétrée, il s’est mêlé à elle, il s’est donné à son expérience créat
401 e tant d’autres œuvres auxquelles sa personnalité a imprimé son sceau de vie, de foi et de vérité, doit être classé à l’o
402 fois mythique et mystique ». N’est-ce pas lui qui a lancé cette fulgurante vérité aux nations qui s’apprêtaient joyeuseme
22 1946, Articles divers (1941-1946). Histoire de singes ou deux secrets de l’Europe (16 mai 1946)
403 ent en rond. C’est la rumeur du xxe siècle. Elle a cours en Europe au moins autant qu’ailleurs. Elle risquerait parfois
404 de la fécondité de certaines valeurs que l’Europe a promues patiemment et qu’elle illustre encore aux yeux du monde. Je v
405 ort de l’intelligence ! Leur malheur est qu’ils n’ ont aucune mémoire. Ils se voient obligés chaque matin de reconstruire le
406 s réflexes conditionnés des chiens. Ses disciples ont passé des chiens aux singes. On prend dix singes, on les range dans u
407 se un grand meuble à tiroirs. Dans les tiroirs on a mis des bananes. Sur un signal donné par une sirène, les singes sont
408 non pas de ces épreuves-là précisément, car on n’ avait jamais rien vu de pareil — mais de quelque chose de plus profond, qui
23 1946, Articles divers (1941-1946). La pensée planétaire (30 mai 1946)
409 qu’on savait depuis un certain temps mais qu’on n’ avait jamais très bien compris, à savoir que la terre est ronde. D’où il ré
410 portée des armes connues dans cette époque. (Vous avez ici les prémices d’une théorie sociologique flambant neuve !) À l’arm
411 arrive à digérer et intégrer cette pensée-là, il aura fait une révolution bien plus grande que la Renaissance. Il semble qu
412 la Renaissance. Il semble que la dernière guerre a beaucoup fait pour éveiller dans les nations le sentiment de leur rel
413 ns directs, mais pourtant notables : les Français eussent mieux mangé, en 1944 et 1945, si les cargos alliés n’avaient pas été
414 ux mangé, en 1944 et 1945, si les cargos alliés n’ avaient pas été trop occupés dans le Pacifique. Les Anglais eussent peut-être
415 s été trop occupés dans le Pacifique. Les Anglais eussent peut-être voté différemment. La solidarité pratique des différentes p
416 une conscience planétaire. Nous retardons, il n’y a pas de doute, nous retardons sur nos réalités. Nous poursuivons nos e
417 t. Une mission ne se promène pas, ne voit rien, n’ a pas de temps à perdre. C’est un raid. Nous n’apprendrons rien. Cepend
418 ou à Harlem ; et les mineurs du pays de Galles n’ auront plus de viande pendant des mois, parce que les péons d’Argentine se s
419 s versets, quel qu’en soit le sujet allégué, nous avons pour la première fois senti, sous le drapé d’un français riche et pur
24 1946, Articles divers (1941-1946). La fin du monde (juin 1946)
420 respiration. Et cela ne signifie point que nous n’ ayons jamais pensé à notre mort avec une rapide angoisse — nous y pensons b
421 ans doute ne pensons-nous qu’à elle — mais nous n’ avons jamais pu penser notre mort. Contester là-dessus serait fournir l’ave
422 réellement, ce serait aussitôt mourir. Peut-être avons -nous là le seul critère d’une perfection intellectuelle, et l’on conç
423 nt ce qui la condamne. Ainsi, la pensée de la Fin a les meilleures raisons du monde d’être pensée ; toutefois l’effort en
424 qui déjà nous pénètre, sinon de la Réalité qui m’ a pressé d’écrire ces pages et qui pourrait suspendre ici ma phrase, me
425 e la Terre. Et déjà, par intermittence, certains, ont entrevu et tenté de juger les buts réels de notre marche séculaire. Q
426 l’origine, quel est son rêve ? La grandeur ? Nous avons détruit toute mesure, et plus rien n’est grand ni petit, mais toute c
427 it nous provoque à la dépasser. La liberté ? Nous avons encombré la terre entière de barrières destinées à protéger sa course
428 pensée de la fin imminente. Mais parmi nous, qui avons cru pouvoir éliminer cette dimension tragique de notre vie, voici qu’
429 lement fût perdu, quel que soit le désir que vous avez qu’il dure, et la persuasion où vous vous entretenez qu’il durera tou
430 eront en grand nombre dans le vide. Mais ceux qui auront vu, et qui auront cru leurs yeux, retrouveront dans la tempête la cou
431 bre dans le vide. Mais ceux qui auront vu, et qui auront cru leurs yeux, retrouveront dans la tempête la coutume des hautes pe
432 jouet du vertige. Le temps vient où les hommes n’ auront plus à se défendre, mais seulement à se révéler tels qu’ils sont, où
433 ffection de la chair, c’est la mort. Saint Paul l’ a vu bien avant Freud, et mieux. Il entendait par « chair » le tout de
434 s’avançant vers Midi avec le naturel de ceux qui ont la coutume de la Cour. Bien peu soutinrent les derniers soleils et l’
435 et mesuré le degré d’être de son être tel qu’il l’ avait librement fait en le vivant. L’examen des raisons de survivre et leur
436 lui impose maintenant, bien plus violent qu’il n’ a jamais osé l’imaginer. Car, dit-il, au sein d’un tel choix, je m’appr
437 Troisième jugement, ou le pardon Toute chose a son lieu, maintenant, toute chair a son temps, tout esprit son essor.
438 Toute chose a son lieu, maintenant, toute chair a son temps, tout esprit son essor. Et chacun de nous accède au destin
439 . Commence l’œuvre du Pardon. « Et que celui qui a soif vienne, que celui qui veut prenne de l’eau de la vie, gratuiteme
25 1946, Articles divers (1941-1946). Deux lettres sur le gouvernement mondial (4 juin 1946)
440 e n’est point par mauvaise volonté, mais que vous avez grand-peine à vous représenter « pratiquement » un Pouvoir Mondial, e
441 tiens ? Ne me dites pas non : votre première idée a été de supposer une guerre. Et cela pour essayer de vous mieux représ
442 gereuse »… À propos de cette dernière expression, avez -vous remarqué qu’on l’emploie de préférence pour dénigrer des projets
443 s de paix ? Pour qui sont-ils donc si dangereux ? Avez -vous également remarqué que les militaires qui prennent la plume (com
444 litaires qui prennent la plume (comme ils disent) ont coutume de dénoncer sous le nom d’« élément de désordre » les partisa
445 Il suffit de voir l’état présent de l’Europe. ⁂ J’ ai cru longtemps que la guerre était le pire désordre imaginable à notre
446 l m’assure que « à chaque guerre nous, cavaliers, avons prouvé que nous savions nous battre », ce qui est bien la preuve que
447 ns nous battre », ce qui est bien la preuve que j’ ai tort, et d’ailleurs de n’importe quoi. Il ajoute que ma lettre, dans
448 je suis un « élément de désordre ». Ce colonel m’ a donné une idée. En reposant sa lettre je me suis écrié : « Vivement l
449 el. Dites-lui que je respecte la cavalerie : elle a fait ses preuves sous Murat. Mais revenons au xxe siècle. L’idée que
450 et leurs armées, vous attriste visiblement. Vous avez l’impression que la civilisation et la culture y perdraient quelque c
451 nt les guerres… Mais je vois que ce mot de nation a créé entre nous une équivoque. Il a deux sens bien différents. Je n’a
452 mot de nation a créé entre nous une équivoque. Il a deux sens bien différents. Je n’ai parlé que du mauvais, jusqu’ici, p
453 e équivoque. Il a deux sens bien différents. Je n’ ai parlé que du mauvais, jusqu’ici, parce que c’est de beaucoup le plus
454 pensez-vous pas que si le gouvernement français n’ a plus rien d’autre à faire qu’administrer le pays, il sera un meilleur
455 se confondre avec l’État, et c’est la volonté qu’ ont les États-nations ainsi formés, de se rendre autarciques en vue d’une
456 e l’indiqueraient ? C’est parce que certains pays ont préféré payer le prix exorbitant de l’autarcie, plutôt que de se mett
457 ce qu’elle veut la justice sociale, et que cela n’ a rien à voir avec la préparation à la guerre. Sans doute, mais je parl
458 r le fait qu’il s’agit d’une étatisation. Je n’en ai qu’au cadre national. Introduisez dans cette broyeuse automatique qu’
459 n’est qu’un jeu de force, et le premier qui tire aura gagné, quel que soit le mordant de l’infanterie ou la bravoure de vot
460 ’infanterie ou la bravoure de votre colonel. Il n’ aura pas d’adversaires à combattre à 2000 kilomètres à la ronde, sauf s’il
26 1946, Articles divers (1941-1946). L’Américain croit à la vie, le Français aux raisons de vivre (19 juillet 1946)
461 de vivre (19 juillet 1946)ab Pendant que vous avez encore quelques Américains en France, et que l’Amérique encore me tie
462 bouche sur des dents éclatantes, et comme s’il n’ avait attendu que votre arrivée, justement, pour donner enfin libre cours à
463 et suivies, attentives et agissantes. Personne n’ a plus, et mieux écrit sur l’amitié que les moralistes français, de Mon
464 on le plus rapide du monde. L’industrie française a tenu le coup, elle se remonte même si rapidement qu’elle bat déjà l’a
465 ire. Et pendant qu’on le construisait, l’Amérique a produit quelques milliers d’appareils plus lourds et plus lents, qui
466 iers d’appareils plus lourds et plus lents, qui n’ ont d’autre avantage que de fonctionner sur toutes les grandes lignes du
467 stade atteint et dépassé, c’est comme si tous les avions de série étaient déjà faits ; il en est fatigué d’avance, et passe à
468 aux, le font passer pour plus léger que l’air. Il a fallu le général de Gaulle et les récits de la Résistance pour que ce
469 ou espagnol… Par contre, les cottages américains ont infiniment plus d’originalité, de diversité et d’élégance, que les ma
470 uvez-vous ? Modérément ? À l’excès ? Fumez-vous ? Avez -vous d’autres vices ? Êtes-vous partisan de doctrines tendant au renv
471 il faut en matériel — que les batteries d’en face ont été écrasées. Cette folie apparente de l’Européen dénote un certain d
472 Et cela va peut-être choquer ? Que voulez-vous, j’ ai deux amours. Or l’amour rend parfois plus lucide que l’être aimé ne l
473 ture incertaine, aucune copie correcte du texte n’ ayant pu être obtenue.
27 1946, Articles divers (1941-1946). Réponse à l’enquête « Les travaux des écrivains » (24 août 1946)
474 Les travaux des écrivains » (24 août 1946)ae J’ ai un certain nombre d’ouvrages qui vont paraître en même temps, ce qu’e
475 réfère ne point vous parler des traductions. J’en ai environ dix-huit ! ae. Rougemont Denis de, « [Réponse à une enquêt
28 1946, Articles divers (1941-1946). Mémoire de l’Europe (écrit en Amérique, en 1943) (août-septembre 1946)
476 és où je me retrouvais… « Je t’aime. J’aime ! » J’ ai tout dit. L’Europe était patrie d’amour. Le silence attendait, l’abse
477 dieux, ou la gaieté d’un mot dit en passant. Elle avait les pudeurs de l’amour… ⁂ Quand je me souviens — c’est l’Europe. Parc
478 e l’Europe est la mémoire du monde, parce qu’elle a su garder en vie tant de passé, et garder tant de morts dans la prése
479 a présence, elle ne cessera pas d’engendrer. Elle a maîtrise d’avenir. ah. Rougemont Denis de, « Mémoire de l’Europe (
29 1946, Articles divers (1941-1946). En 1940, j’ai vu chanceler une civilisation : ce que l’on entendait sur le paquebot entre Lisbonne et New York (21 septembre 1946)
480 En 1940, j’ ai vu chanceler une civilisation : ce que l’on entendait sur le paquebot
481 ns de voir une civilisation frappée au cœur, je l’ ai vue chanceler, j’ai vu qu’elle peut mourir. Durant cette traversée en
482 isation frappée au cœur, je l’ai vue chanceler, j’ ai vu qu’elle peut mourir. Durant cette traversée en autocar de Genève a
483 car de Genève aux Pyrénées, pendant deux jours, j’ ai vu la France toute pareille à un homme qui vient de tomber sur la têt
484 l se relève, se tâte, et ne sait pas encore où il a mal. Va-t-il vivre ? A-t-il rêvé ? Serait-il déjà mort ? J’ai vu l’Es
485 t ne sait pas encore où il a mal. Va-t-il vivre ? A-t -il rêvé ? Serait-il déjà mort ? J’ai vu l’Espagne de cendre et d’espr
486 -il vivre ? A-t-il rêvé ? Serait-il déjà mort ? J’ ai vu l’Espagne de cendre et d’esprit, incapable de retrouver son équili
487 uilibre entre le démoniaque et le surhumain. Et j’ ai vu, aux frontières de la Suisse, l’invasion des herbes sauvages venan
488 rrêter avant qu’elles n’étouffent leurs champs. J’ ai vu renaître les paniques dévastatrices du ve siècle de notre ère. Et
489 nos papiers enfin déposés chez le purser, nous n’ avons plus devant nous qu’un océan sans douanes ! Dix jours vierges, dix jo
490 ne et de police. Secondés par la chance, nous n’y avons passé, si je compte bien, guère plus de 22 heures, mais le total norm
491 e la dernière ligne reliant l’Europe à l’Amérique ont tous des noms en « Ex » : Exeter, Excalibur, Excambion. Et ils ne tra
492 t tardive et propice aux aveux. V., ex-cagoulard, ayant raconté, non sans verve comment ses camarades et lui-même, avant la g
493 s, leurs astucieux préparatifs de guerre civile n’ auraient été troublés que par l’attaque intempestive des nazis. Contre ceux-là
494 ve des nazis. Contre ceux-là, il semblerait qu’on eût moins brillamment prévu les choses… De fait, les étrangers sont toujo
495 x fois par jour les usagers de la radio. Le monde a changé de face sous nos yeux, mais nous le regardions de trop près :
496 egardions de trop près : d’heure en heure, nous n’ avons rien vu. C’est après coup, en nous retournant, que nous avons entrevu
497 u. C’est après coup, en nous retournant, que nous avons entrevu l’ampleur et la rapidité des événements. Il a dit : « Rien de
498 trevu l’ampleur et la rapidité des événements. Il a dit : « Rien de nouveau, rien d’important… » Mais je crois avoir ente
499 ien de nouveau, rien d’important… » Mais je crois avoir entendu dans le ronron nasillard qui sortait de la petite chambre : «
500 asillard qui sortait de la petite chambre : « 165 avions allemands ont été abattus sur Londres. » Et c’est peut-être la nouvel
501 ait de la petite chambre : « 165 avions allemands ont été abattus sur Londres. » Et c’est peut-être la nouvelle la plus imp
502 un peuple qui ne sait pas quand il est battu. » J’ ai pensé aux chefs français trop cartésiens qui ont admis la défaite sur
503 J’ai pensé aux chefs français trop cartésiens qui ont admis la défaite sur sa définition, — avant qu’elle fût définitive. 1
504 omment prévoir l’issue de cette guerre, lorsqu’on a remarqué qu’elle n’oppose plus que deux nations : l’une qui ne sait p
505 métro… Il est correct, isn’t he ? » À mon tour, j’ ai craché dans l’eau, pour marquer mon approbation. 20 septembre 1940, e
506 e si près, avant les gratte-ciel, la statue… Je n’ ai jamais eu la sensation d’un paysage plus étranger, mais plus étrangem
507 avant les gratte-ciel, la statue… Je n’ai jamais eu la sensation d’un paysage plus étranger, mais plus étrangement accuei
508 nt même ! ag. Rougemont Denis de, « En 1940, j’ ai vu chanceler une civilisation », Le Figaro littéraire, Paris, 21 sept