1 1941, Articles divers (1941-1946). Reynold et l’avenir de la Suisse (1941)
1 Reynold et l’avenir de la Suisse (1941)a Le grand service que nous aura rendu
2 t pessimiste. Les plus graves faiblesses, morales et matérielles, dans le domaine de la « défense spirituelle » comme dans
3 cité congénitale à prévoir le pire, à l’admettre, et à se préparer en conséquence. Nous n’avons pas encore su prendre le t
4 ère de la bourgeoisie, ère du « confort moderne » et de l’absence d’imagination réaliste, prolonge encore dans la vie de n
5 u pour être vrai », disait-il au siècle dernier ; et aujourd’hui : « Trop affreux pour être vrai. » Cette double méfiance,
6 e » par en haut comme par en bas, traduit un seul et même refus de voir le monde tel qu’il est : pécheur et racheté, conda
7 me refus de voir le monde tel qu’il est : pécheur et racheté, condamné et sauvé. Qui ne croit pas en Dieu ne saurait croir
8 onde tel qu’il est : pécheur et racheté, condamné et sauvé. Qui ne croit pas en Dieu ne saurait croire au diable. Qui ne c
9 pas au pardon ne saurait mesurer les profondeurs et les puissances du mal. Et c’est pourquoi les chrétiens seuls savent r
10 mesurer les profondeurs et les puissances du mal. Et c’est pourquoi les chrétiens seuls savent reconnaître les démons et d
11 les chrétiens seuls savent reconnaître les démons et déjouer à temps leurs calculs. Reynold a le courage d’envisager — de
12 acun commence par dire la vérité dans son patois, et celui de Reynold est « de droite ». Le mien passa souvent pour être d
13 chatouillent les politiciens ! Laissons tout cela et avançons ! La claire vision d’un but commun et d’un péril qui se dési
14 la et avançons ! La claire vision d’un but commun et d’un péril qui se désigne lui-même comme total (ou totalitaire) doit
15 esse, comme aujourd’hui, l’on voit ce qui compte, et c’est cela qui unit. Pour le reste, si sérieux soit-il, on en reparle
16 la Hollande. a. Rougemont Denis de, « Reynold et l’avenir de la Suisse », Hommage à Gonzague de Reynold, Fribourg, Lib
2 1941, Articles divers (1941-1946). Trois paraboles (1er octobre 1941)
17 ut ! » Pour mieux courir, elle a jeté ses voiles, et sa pudeur est dévoilée, ô folle ! Mais lui les trouve et s’en revêt :
18 udeur est dévoilée, ô folle ! Mais lui les trouve et s’en revêt : voiles de nuit. Elle a passé tout près, ne l’a pas vu. C
19 a pas vu. C’est pourtant le désir qui les presse, et l’amour appelant l’amour aux chambres vides, dans la sonorité glacial
20 des. Car sinon, tu m’entends, je suis le Prince ! Et quelle est la femme égarée qui ne voudrait aimer le Prince de ces Lie
21 ient. La nuit pleuvait dans les futaies épaisses, et les herbes sauvages fouettaient les jambes nues. Au fond du parc, prè
22 l. L’homme choisit la plus terne, il était triste et présomptueux. À mesure qu’avec les années, il se persuadait que sa pi
23 de ses vœux, la pierre se mit à luire davantage ; et davantage encore il l’aimait, plus il luttait contre la vie, plus il
24 car seul j’ai deviné le cher secret de son éclat. Et maintenant, ma pierre, luis de ton propre éclat ! Qu’une fois au moin
25 ouleur — la pierre se mit à luire sous la cendre, et le grand feu flamba soudain toute la pièce. Il dit à sa pierre : — Ô
26 je encore besoin du feu ? Je reprendrai ma pierre et me reposerai dans la fraîcheur de son éclat. Il la prit. Elle était b
27 ens de ta jeunesse. Il choisit la plus éclatante. Et vois : quand il était heureux, elle luisait d’une froide splendeur, e
28 ait heureux, elle luisait d’une froide splendeur, et quand il était triste, elle était consolante. Mais c’était l’autre qu
29 it alors entre ses mains, la pierre du vœu triste et présomptueux de sa jeunesse. Et il pleurait. Une troisième fois, il s
30 rre du vœu triste et présomptueux de sa jeunesse. Et il pleurait. Une troisième fois, il se leva pour aller au marché de l
31 ne te vendrai rien à crédit. Tu possèdes ta Vie, et tu possèdes aussi ton Bien. Veux-tu davantage ? Voici, l’une des deux
32 s sera ta pierre de Mort, si tu la choisis seule, et ne veux plus souffrir. III. Le coup de pistolet Évidemment, je
33 ez que c’est compliqué, ce bâtiment. Des couloirs et des escaliers partout, un labyrinthe. Je suivais les tapis rouges, et
34 tout, un labyrinthe. Je suivais les tapis rouges, et les lampes rouges, comme lorsqu’on choisit une couleur au jeu de cart
35 que des feuilles de papier blanc sur les tables, et tout le monde lisait. Je dis : — Est-elle ici ? Quelqu’un l’a-t-il vu
36 ent d’un air vexé. Un valet s’approche rapidement et me dit à voix basse : — Puisque Monsieur est venu, et puisque Monsieu
37 e dit à voix basse : — Puisque Monsieur est venu, et puisque Monsieur demande si elle est ici, elle y est évidemment. Mais
38 er sans bruit. Mais vous connaissez ces couloirs. Et je ne voulais pas être mis à la porte ! Naturellement, j’aurais dû po
39 û pousser la première porte venue, sans y penser, et je serais sorti comme j’étais entré. Mais le fait est que je pensais
40 entré. Mais le fait est que je pensais à sortir, et par la bonne porte. Voilà la faute. L’inévitable se produisit au bout
41 de quelques heures. J’étais épuisé, j’avais faim et soif, je ne rencontrais plus personne. Je suis un fumeur invétéré. Ma
42 porte du bureau directorial. J’entre comme un fou et je crie : — Pourquoi ? Le directeur était assis face à la porte et me
43 urquoi ? Le directeur était assis face à la porte et me regardait comme s’il n’avait rien entendu. Nous nous sommes dévisa
44 lait que ce regard fuyait très loin dans ses yeux et me rejoignait par-derrière, je ne puis l’expliquer autrement. D’une c
45 ’était mon propre, regard qui traversait ses yeux et revenait sur ma nuque. À l’instant où je l’ai compris, il a tiré. — E
46 sais combien de temps cela va durer. Elle délire et j’ai cette balle dans le cœur. Et voici que maintenant, je ne puis pl
47 er. Elle délire et j’ai cette balle dans le cœur. Et voici que maintenant, je ne puis plus poser de questions. Car si vous
48 ai dans le cœur, il est évident que je suis mort. Et si vous me dites que la balle n’est pas plus réelle que ce qui s’est
49 upprimez à la fois toutes les questions possibles et donc toute possibilité de réponse à quoi que ce soit. Laissez-moi don
50 ce soit. Laissez-moi donc seul. C’est mon ordre. Et si vous ne me croyez pas, je vais tirer ! b. Rougemont Denis de,
3 1942, Articles divers (1941-1946). La leçon de l’armée suisse (4 mars 1942)
51 il dit à un soldat : « Vous êtes 500 000 hommes, et vous tirez bien ; mais si nous vous attaquions avec un million d’homm
52 ici les faits : Avec une population de 4 millions et demi d’habitants, la Suisse a une armée de 600 000 hommes. Un habitan
53 0 millions d’hommes. Mais nulle part les coutumes et les institutions ne sont plus démocratiques qu’en Suisse, et nulle pa
54 itutions ne sont plus démocratiques qu’en Suisse, et nulle part l’armée n’est plus populaire et ne fait aussi partie de la
55 uisse, et nulle part l’armée n’est plus populaire et ne fait aussi partie de la vie nationale qu’en Suisse. Depuis que les
56 toyens libres, possédant chacun ses propres armes et portant fièrement son fusil, ses munitions et son équipement militair
57 mes et portant fièrement son fusil, ses munitions et son équipement militaire. C’est ainsi qu’on peut souvent voir un pays
58 paysan, assis sur le seuil de sa porte, polissant et graissant son fusil après le tir du dimanche, — spectacle que vous ne
59 un symbole de leur liberté. Les libertés civiques et l’esprit militaire n’ont jamais été en contradiction. Depuis les temp
60 uisses étaient libres parce qu’ils étaient forts, et ils étaient forts parce qu’ils étaient libres. La possession par chaq
61 avaient le droit d’emporter chez eux leurs armes et leurs munitions ! En France, après l’Armistice, on offrit cent-mille
62 eul moyen d’assurer une mobilisation ultrarapide. Et c’est la défense la plus adéquate contre les parachutistes. Une coutu
63 C’est la clé de l’organisation de l’armée suisse et le secret de sa popularité… L’armée est un lien non seulement entre l
64 nt, on a le temps de reconnaître la valeur réelle et les faiblesses de son voisin, de se faire des amitiés. Une égalité co
65 oie les hommes à la vie civile, bronzés, endurcis et chargés d’expérience que la vie paisible des villes ou des villages n
66 sont un puissant tonique pour la jeunesse suisse et la durée relativement courte de l’entraînement permet à chaque recrue
67 ir, on voit des « cercles d’amis » pour officiers et sous-officiers. L’officier suisse est, dans la plupart des cas, un ci
68 ne guerre ne serait pas une guerre de « fronts », et qu’une défense en profondeur devait être organisée, constituée par de
69 ée par des « nids » offrant une résistance locale et soigneusement équipés. C’est ainsi que les Suisses retournent à leur
70 n propre système de défense, selon sa topographie et ses ressources. Des petits corps d’armée surgissent en certains point
71 rtains points pour défendre les profondes vallées et pour barrer le paysage des gorges étroites. Si l’ennemi est trop puis
72 la structure politique du pays : autonomie locale et entraide. La moitié de l’armée est composée de divisions mobiles régu
73 obiles régulières. Le reste consiste en garnisons et en forts pour défendre les principaux passages des Alpes. Ce sont des
74 montagne, constituées par des spécialistes du ski et de l’alpinisme, et des brigades indépendantes pour défendre les front
75 es par des spécialistes du ski et de l’alpinisme, et des brigades indépendantes pour défendre les frontières. Ces troupes
76 ière alerte, les hommes endossent leurs uniformes et vont à leurs postes. Les machines et les canons anti-tanks sont prêts
77 rs uniformes et vont à leurs postes. Les machines et les canons anti-tanks sont prêts. Les magasins de munitions et de viv
78 anti-tanks sont prêts. Les magasins de munitions et de vivres ont été cachés dans les rochers. En 1939, la disposition de
79 ses jumelles, un champ, à 3000 pieds au-dessous, et parfois attraper le clair reflet d’une robe d’été et imaginer qu’il r
80 parfois attraper le clair reflet d’une robe d’été et imaginer qu’il reconnaissait ses enfants. De telles choses comptent d
81 res de l’Axe peuvent devenir les maîtres de l’air et désorganiser les communications ferroviaires. Mais l’armée suisse a é
82 . Mais l’armée suisse a été mobilisée depuis 1939 et les distances sont si petites que les troupes peuvent être déplacées
83 , autant de bases de défense qu’il y a de défilés et de montagnes. Chaque village de la Suisse est devenu un fort, ses ent
84 u un fort, ses entrées fermées par des barricades et les maisons transformées en des forteresses en miniature. Vous ouvrez
85 iniature. Vous ouvrez la porte de quelque grenier et vous vous trouvez en face d’un canon anti-tank, protégé par un mur en
86 urrait seulement se faire en évitant les villages et en passant à travers les forêts ou les pâturages. Mais les routes son
87 les routes sont minées. Les fleuves, les vallées et les gorges sont protégés par des canons cachés dans les parois rocheu
88 isses de se défendre. Le contact entre les hommes et le sol, entre l’armée et le peuple, entre le présent et les tradition
89 contact entre les hommes et le sol, entre l’armée et le peuple, entre le présent et les traditions historiques, s’est vu r
90 sol, entre l’armée et le peuple, entre le présent et les traditions historiques, s’est vu raffermi par cette longue périod
91 rirent que ce serait un « morceau dur à avaler », et parce qu’il était celui qui a, dans ses mains, le Gothard. Les 4/5e d
92 le Gothard. Les 4/5e du trafic entre l’Allemagne et l’Italie se font par le Gothard ou le Simplon. Ces tunnels sont puiss
93 descendants. Voilà pourquoi nous croyons en Dieu et non pas en un homme qui prétend être adoré comme un Dieu. c. Roug
94 eçon de l’armée suisse », Journal suisse d’Égypte et du Proche-Orient, Alexandrie, 4 mars 1942, p. 1.
4 1943, Articles divers (1941-1946). Angérone (mars 1943)
95 e connaître, mais limiter sa part dans notre vie, et nul amour ne peut survivre à cette méfiance ou à cette avarice anxieu
96 lle avait sa statue dans le temple de la Volupté. Et certains pensent qu’elle est la même que la déesse Volupie. Promenons
97 issant le champ des facultés vers un objet unique et dans une seule pensée — l’identification, par la conquête chez l’un,
98 ter libre, mais il semble que l’âme s’extériorise et tombe sans fin dans le regard unique. Durant certaines secondes, elle
99 il est visible dans ce visage décomposé en ombres et lueurs lentement mouvantes, — un seul œil par où toute l’âme regarde
100 uvantes, — un seul œil par où toute l’âme regarde et supplie avec une impérieuse tendresse. De plus près encore, l’œil vie
101 êmes. Alors il lui saisit la tête entre ses bras, et la contemple. Et il la nomme dans sa pensée, comme s’il doutait… Adol
102 i saisit la tête entre ses bras, et la contemple. Et il la nomme dans sa pensée, comme s’il doutait… Adolescence ! Le cha
103 du présent. Or cette connaissance est interdite. Et c’est l’approche du viol de l’interdit qui impose aux amants leur sil
104 on a fait une brusque rumeur de vagues affrontées et hostiles. Maintenant, l’onde lisse et basse d’un temps nouveau nous e
105 affrontées et hostiles. Maintenant, l’onde lisse et basse d’un temps nouveau nous environne. Ceux qui n’aiment point la f
106 nos âmes ? Deux corps s’endorment dans leur paix, et l’être enfin comblé ne sait plus où se prendre. Il se ramène en soi,
107 ures d’avant l’aube, dans le dépaysement de l’âme et les métamorphoses indicibles. Lui s’éveille parfois tout à fait, et s
108 es indicibles. Lui s’éveille parfois tout à fait, et ses yeux dans le noir imaginent. Une étreinte qui s’égalerait à l’Inf
109 successives il s’élève à la jouissance imaginaire et désespérément consciente de l’Être. L’aube point. L’esprit se tourne
110 L’aube point. L’esprit se tourne vers les choses et les dénomme d’un regard. Un corps auprès du mien respire, mémoire pes
111 ne toucherons jamais qu’un impossible fascinant. Et nous vivrons dès lors dans le vertige de nous détruire au contact de
112 contact de cet infini, plus puissant que la joie et la douleur. Dans le vertige de revenir toucher cet absolu, sensible à
113 e : l’être que nous formons au sommet de l’amour, et qui meurt à l’instant où il naît. Tout notre platonisme échoue dans
114 , retirés en soi. Alors paraissent la conscience, et le sérieux, et la réalité des vies au jour. Nous sommes deux. Il n’y
115 i. Alors paraissent la conscience, et le sérieux, et la réalité des vies au jour. Nous sommes deux. Il n’y a que deux phi
116 Il n’y a que deux philosophies : celle du désir et celle de l’acte ; ou encore, il n’y a que deux doctrines : celle du s
117 e, il n’y a que deux doctrines : celle du silence et celle de la parole. La négation du désir amoureux par l’acte même qui
118 ieuse. Quittons ce temple où dorment deux idoles, et parlons le langage du Jour. d. Rougemont Denis de, « Angérone »,
5 1943, Articles divers (1941-1946). La gloire (mars 1943)
119 ire (mars 1943)e (Nous le connaissions un peu, et pensions le connaître. La lecture de ses papiers posthumes nous le ré
120 e bien différent. Il fallait certes s’y attendre, et pourtant l’on demeure surpris. C’est que tout, dans ses livres, — sur
121 enir les plus curieux malentendus entre un auteur et ses lecteurs. Or il se peut que ce soit l’attitude de la plupart des
122 J’ai vécu pour la gloire — dit le prince André — et qu’est-ce que la gloire, si ce n’est aussi l’amour du prochain, le dé
123 i l’amour du prochain, le désir de lui être utile et de mériter ses louanges ? J’ai donc vécu pour les autres, et mon exis
124 er ses louanges ? J’ai donc vécu pour les autres, et mon existence est perdue, perdue sans retour ; depuis que je vis pour
125 tres, c’est le prochain, comme la princesse Marie et toi vous l’appelez, le prochain, cette grande source d’iniquité et de
126 elez, le prochain, cette grande source d’iniquité et de mal ! Le prochain, le sais-tu, ce sont les paysans de Kiew, que tu
127 êves de combler de bienfaits. (Tolstoï, La Guerre et la Paix.) Cette page m’avait séduit par sa mauvaise humeur. En la co
128 nt aimé son prochain, n’en n’a pas reçu de gloire et n’en demandait point. Aussi ne pense-t-elle pas qu’elle a « perdu sa
129 Liszt à la fin d’un concert triomphal, s’incline et prononce à mi-voix : « Je suis le serviteur du public, cela va sans d
130 sans dire. » C’est à cela qu’on donne la gloire. Et ceux qui ne la briguent point risquent fort de se rendre antipathique
131 . Or personne ne lit plus Les Martyrs ni Corinne, et tout le monde croit aimer La Chartreuse et Adolphe. Mais ce jugement
132 rinne, et tout le monde croit aimer La Chartreuse et Adolphe. Mais ce jugement sur le talent, changé du tout, n’entraîne p
133 ire est donc un mythe : j’entends que son pouvoir et sa grandeur ne dépendent d’aucune raison, et paraissent même n’en poi
134 voir et sa grandeur ne dépendent d’aucune raison, et paraissent même n’en point souffrir. Fama crescit eundo : minuit prae
135 je veux être aimé pour moi-même, tel que je suis et non point tel que me désire leur goût sentimental de « l’Art ». Mais
136 mental de « l’Art ». Mais comme tout se complique et se retourne ! Celui qui veut la gloire, est-ce qu’il manquerait d’org
137 erait d’orgueil ? Serait-il plus humble que moi ? Et l’orgueilleux que je suis, ne donne-t-il pas une preuve d’amour à son
138 mmunion ou d’une communauté, écarte aussi de soi, et l’on éprouve alors le besoin de se faire confirmer. Un homme en commu
139 are. Mais il chercherait l’excellence, à son rang et selon ses astres. Ainsi les héros et les rois sont les auteurs de leu
140 , à son rang et selon ses astres. Ainsi les héros et les rois sont les auteurs de leur éclat. Ils donnent et ne demandent
141 rois sont les auteurs de leur éclat. Ils donnent et ne demandent rien. Et ce qu’ils donnent fait toute la renommée du peu
142 de leur éclat. Ils donnent et ne demandent rien. Et ce qu’ils donnent fait toute la renommée du peuple. (Aujourd’hui c’es
143 exandre exemplaire, plus beau que tous, plus fort et plus heureux que tous, n’était pas séparé mais au sommet. Sa gloire é
144 e, mais exagérée, mobile, nerveuse, sentimentale. Et voici qui est plus grave : elle est ressentie comme flatteuse. C’est
145 té de son œuvre, que s’est constituée sa gloire.) Et cependant, je me suis surpris à désirer une gloire qui ne m’ennuierai
146 Un dieu n’a pas besoin d’adorateurs pour rayonner et se réjouir de son être. Oui, c’est bien là le privilège d’un dieu. Et
147 être. Oui, c’est bien là le privilège d’un dieu. Et la vraie gloire. Qu’est-ce que l’incognito ? Il y a là quelqu’un qui
148 vanité, ou bien ils croient que ce serait naïf ; et si l’on avoue son orgueil, ils croient que c’est par vanité. Je suis
149 « Je vous avertis que je vais mentir, pour telle et telle raison aisément vérifiable. » Ce serait instructif et amusant.
150 aison aisément vérifiable. » Ce serait instructif et amusant. Je veux ma gloire, et je ne l’avoue jamais, — je fais le mo
151 serait instructif et amusant. Je veux ma gloire, et je ne l’avoue jamais, — je fais le modeste — d’où vient cette pudeur 
152 pas la gloire pour vous éblouir, vous que j’aime et qui me connaissez. Vous savez ce que je suis, et si vous appreniez un
153 et qui me connaissez. Vous savez ce que je suis, et si vous appreniez un jour que j’ai de la gloire, que sauriez-vous alo
154 tres ce que vous ne croyez point par vous-mêmes — et je ne veux pas l’erreur. Ou bien veux-je cette erreur-là ? Certes — m
155 prête, me fait venir les larmes aux yeux ? Gloire et lumière, gloire ou mystère, gloire et mort lumineuse, gloire et ce tr
156 ux ? Gloire et lumière, gloire ou mystère, gloire et mort lumineuse, gloire et ce triomphal accord clamé, ou cet instant p
157 oire ou mystère, gloire et mort lumineuse, gloire et ce triomphal accord clamé, ou cet instant plutôt qui est au seuil de
158 e sa résolution fondamentale — quel est ce seuil, et que nous ouvrent, sur quel ciel, les symphonies ? Je n’ose pas dire q
159 mon nom est : mensonge, que je voudrais la gloire et ne sais pas pourquoi ? Ou n’ose pas savoir pourquoi… Ce que je n’ose
160 rvir, parce que je sais que son nom est mensonge, et que c’est moi qui ne suis rien. Ainsi Dieu est mon adversaire. C’est
161 ersaire. C’est lui seul qui s’oppose à ma gloire, et qui me sauve malgré moi de mon triomphe. Il n’y a qu’un seul Dieu, ce
162 , je ne serai rien. Si Dieu me tue, il sera tout, et tout sera. Ainsi, ô Dieu, délivrez-moi de la gloire ! Mais cette priè
6 1943, Articles divers (1941-1946). Rhétorique américaine (juin-juillet 1943)
163 des choses qui allaient de soi dans notre Europe, et qui me sont révélées dans ce pays, parce que c’est leur contraire, ic
164 le souci qu’y montre Gide d’une écriture durable et d’une œuvre d’avenir. Il n’accepte de rompre avec une tradition que p
165 dure, en Amérique, mais d’abord pour qu’il frappe et qu’il agisse, au maximum, dans le plus court délai. Signe de santé d’
166 pe. Un art qui n’exclut pas une poésie très drue, et qui possède une rhétorique, un « art de persuader » étrangement effic
167 rature contemporaine de ce pays. Secrets de style et de composition. La rhétorique française veut qu’un discours, un essai
168 it. La rhétorique américaine écarte ces prudences et ces cérémonies. Elle considère comme un poids mort nos formules de pr
169 nts. C’est la Catch Phrase, la phrase-qui-attrape et qui vous jette de but en blanc dans l’humanité vive du sujet, saisi p
170 atière. Le style français triomphe dans la litote et le raccourci, le style américain dans l’effet de choc ou d’accumulati
171 e américaine à la « formule heureuse » condensant et généralisant des observations que l’on néglige de rapporter en détail
172 n écrit, mais plutôt : c’est effective, agissant. Et d’une idée l’on ne demandera pas seulement qu’elle soit juste, mais q
173 me aventureux de notre siècle. Entre la sensation et le sensationnel, elle fait preuve d’un incomparable pouvoir d’émotion
174 is rien. Mais je suis sûr que l’écrivain français et l’écrivain américain ont beaucoup à apprendre l’un de l’autre. Ils m’
175 m’apparaissent complémentaires comme la virilité et la féminité, la couleur et le dessin, la poussée vitale et la retenue
176 ires comme la virilité et la féminité, la couleur et le dessin, la poussée vitale et la retenue formelle. Et j’entrevois l
177 inité, la couleur et le dessin, la poussée vitale et la retenue formelle. Et j’entrevois les plus féconds échanges entre c
178 dessin, la poussée vitale et la retenue formelle. Et j’entrevois les plus féconds échanges entre ces deux principes de tou
179 que polarisent nos deux littératures : tradition et actualité, mise en ordre et mise en mouvement. De leur alliance naît
180 tératures : tradition et actualité, mise en ordre et mise en mouvement. De leur alliance naît la Liberté. f. Rougemont
7 1943, Articles divers (1941-1946). Mémoire de l’Europe : Fragments d’un Journal des Mauvais Temps (septembre 1943)
181 à l’heure où on les perd. Souvenirs de Salzbourg et de Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à l’heure où s
182 perd. Souvenirs de Salzbourg et de Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à l’heure où sombrent des nations s
183 enirs de Salzbourg et de Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à l’heure où sombrent des nations sous l’unif
184 ’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirante et délicieuse comme les secondes voix de Schumann. Un mythe nouveau pren
185 t l’avant-guerre, les souvenirs de notre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’un coup, est encore plus proche : c’
186 e était notre manière toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs
187 toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels… Combien d
188 relle de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels… Combien de temps en
189 ombien de semaines pourrons-nous goûter ce répit, et sentir que nous prolongeons une existence que nos fils appelleront do
190 ouvons que le monde a glissé dans une ère étrange et brutale, où ces formes de vie qui sont encore les nôtres ne peuvent p
191 us dresse à résister, il faudra changer le rythme et rectifier la tenue, bander tous les ressorts, mobiliser les cœurs… C’
192 le charme qu’elle fait régner. Des lois adroites et humaines ne suffiront jamais à l’assurer : il y faut ce climat sentim
193 de mettre en question l’usurpateur du Hradschin. Et dès lors qu’il l’a mis en question, et qu’il nous force au réalisme à
194 Hradschin. Et dès lors qu’il l’a mis en question, et qu’il nous force au réalisme à sa manière, le charme est détruit dans
195 s vies. Nous sommes pareils à celui qui s’éveille et goûte encore quelques instants les délices d’un rêve inachevé. Mais i
196 onté humaine plus inutile que jamais, dominatrice et bafouée. II. — Le dernier printemps de la paix En Suisse, 2 mai
197 l’espoir qu’au seuil des catastrophes générales. Et j’en connais qui ne parviennent à leur régime normal de vie (comme un
198 régime normal à tant à l’heure) que dans le drame et le bouleversement des habitudes où l’énergie s’enlise. Ce besoin d’êt
199 micile depuis le début de cette année. « Étranger et voyageur sur la terre », ainsi pensais-je d’autres fois, dans ces pér
200 t s’abattre une pluie d’orage sur la Concorde : «  Et moi qui ai oublié mon masque à gaz ! C’était pourtant l’heure ! » 14
201 d’un soir pluvieux. Paris, souffrance des visages et des corps, exercice perpétuel de charité dans une atmosphère exténuan
202 plus extraordinaire du siècle ! Il est des êtres et des drames dont la vérité n’apparaît que dans cet environnement de lu
203 ’existences étrangères. Paris propose une liberté et un danger, une révélation totale de l’humain dans tous ses risques ma
204 otale de l’humain dans tous ses risques matériels et spirituels, impossible ailleurs de nos jours, et peut-être à toute au
205 et spirituels, impossible ailleurs de nos jours, et peut-être à toute autre époque. Imaginer là-dessus un livre vrai, un
206 ivre vrai, un livre où tout serait avoué, horreur et charme, à travers la vision d’un saint qui vivrait sa vie consacrée d
207 Centre du monde ! Il s’en va, coudoyant la foule et traversant les lieux publics avec cette grande Question qu’il porte d
208 cette grande Question qu’il porte dans son être, et qui est aussi la grande réponse ; et les démons s’éveillent sur son p
209 ns son être, et qui est aussi la grande réponse ; et les démons s’éveillent sur son passage, il n’y a plus nulle part d’in
210 candale, l’Autre, l’Amour qui bouleverse le monde et fait surgir des quotidiennes apparences l’être tou­chant, bizarre ou
211 u travers de propos superficiellement passionnés… Et l’on cesserait aussi de redouter la guerre, parce qu’on la verrait da
212 à la frontière Écouté la radio : opéra de Mozart. Et dans une seule bouffée, toutes ces nuits de Vienne, élégantes passion
213 ons perdues encore, régions perdues dans le passé et territoires envahis. Le passé, le présent réduits se rétrécissent ver
214 aller, où rester, où demeurer quand tout s’en va, et que penser si je ne puis — rien dire ou faire qui s’accorde à ces tem
215 i vaste que la terre, se rétrécit de jour en jour et d’heure en heure, à chaque fois que j’allume cet œil vert — pays perd
216 où suis-je ? Déjà tout recommence, sans relâche, et cet acharnement des choses contre moi, voulant quoi, sans relâche ? v
217 pêcha les hommes de se rendre compte de l’ampleur et de la rapidité des bouleversements qu’ils vivaient. Aux mois de mai e
218 bouleversements qu’ils vivaient. Aux mois de mai et de juin 1940, on entendait répéter constamment : « Je viens d’écouter
219 as… V. — Lisbonne 10 septembre 1940 Blanche et bleue dans l’immense lumière de la liberté atlantique, avec tous ses
220 erté atlantique, avec tous ses drapeaux claquants et ses rues débouchant sur le ciel, la ville aux sept collines oublie la
221 nt de tomber sur la tête, qui se relève, se tâte, et ne sait pas encore où il a mal. Va-t-il vivre ? A-t-il rêvé ? Serait-
222 Serait-il déjà mort ? J’ai vu l’Espagne de cendre et d’esprit, incapable de retrouver son équilibre entre le démoniaque et
223 le de retrouver son équilibre entre le démoniaque et le surhumain. Et j’ai vu, aux frontières de la Suisse, l’invasion des
224 on équilibre entre le démoniaque et le surhumain. Et j’ai vu, aux frontières de la Suisse, l’invasion des herbes sauvages
225 s sauvages venant des terres abandonnées du Nord, et que nos paysans s’efforcent d’arrêter avant qu’elles n’étouffent leur
226 aniques dévastatrices du ve siècle de notre ère. Et je songe au bastion que mon pays élève autour du massif du Gothard, i
227 ays élève autour du massif du Gothard, invincible et désert, cœur mystérieux du continent, dernier symbole d’une liberté q
228 à peine d’un étage au-dessus des champs de roses et des blés, au bord du plateau de la Brie. Je montais vers Périgny par
229 caliers. Une seule rangée de maisons à traverser, et l’on parvient à la grand-rue : comme elle est vide ! Les toits d’ardo
230 patinées par les vents. Rares sont les boutiques, et même les cafés. Et s’il passe une auto, c’est une de ces voitures bra
231 nts. Rares sont les boutiques, et même les cafés. Et s’il passe une auto, c’est une de ces voitures branlantes qui semblen
232 monde la vie n’apparaît si discrète, si pacifique et séculaire. Ce pays-là n’est qu’amitié des tons et des lignes humaines
233 et séculaire. Ce pays-là n’est qu’amitié des tons et des lignes humaines, humilité sous la douceur du ciel, retrait des âm
234 à cet endroit, hésitant sur le chemin à prendre. Et soudain, je vis à mes pieds, tracé à la craie sur le sol, un grand ce
235 lage, silence des rues vides ouvertes sur le ciel et sur les blés. J’étais là fasciné comme par la découverte d’un secret
236 elui qui revient au pays après une longue absence et des déboires : il entre, ne trouve personne. Mais ses outils sont là,
237 usage du pays, l’intimité des choses de toujours. Et le moindre signe suffît. Je suis redescendu vers la vallée de l’Yerre
238 la vallée de l’Yerre, qui coule entre des saules et des peupliers blancs. Il faisait lourd et doux, le goudron de la rout
239 saules et des peupliers blancs. Il faisait lourd et doux, le goudron de la route sentait plus fort que les champs de rose
240 route sentait plus fort que les champs de roses, et des nuages noirs traînaient sur les vergers. J’ai su, plus tard, que
241 it si près là-bas. J’étais baigné. J’étais fondé. Et je marchais parmi les signes. Sédiments séculaires, socles de nos pat
242 s, mais qui renvoient l’écho familier de nos pas. Et ces rues qui tournaient doucement vers une place plantée d’arbres et
243 rnaient doucement vers une place plantée d’arbres et déserte, aux rendez-vous manqués où je me retrouvais… « Je t’aime. J’
244 . Le silence attendait, l’absence était profonde, et chaque être présent questionnait, répondait. La force était au secret
245 — il était vieux déjà du temps de notre enfance, et notre possession la plus tenace, il nous réduisait au silence. La for
246 s blessé, ta vie s’en va). La force était mémoire et allusion, elle était ce vieil arbre tenace. Elle était la douceur et
247 tait ce vieil arbre tenace. Elle était la douceur et la sagesse amère des adieux, ou la gaieté d’un mot dit en passant. El
248 , parce qu’elle a su garder en vie tant de passé, et garder tant de morts dans la présence, elle ne cessera pas d’engendre
8 1944, Articles divers (1941-1946). Un peuple se révèle dans le malheur (février 1944)
249 vèle dans le malheur (février 1944)k Autrefois et naguère encore, avant l’occupation allemande, les étrangers qui n’ava
250 es lieux de plaisir de la capitale, connaissaient et jugeaient la France par ses vedettes. À leurs yeux, tout Français dev
251 uait aussitôt l’image d’une moustache à la Menjou et d’une boutonnière fleurie, d’un sourire charmeur à la Charles Boyer,
252 upé nous parlent du peuple de France ; les récits et les témoignages qui ont été publiés secrètement par les mouvements de
253 liés secrètement par les mouvements de résistance et qui parviennent sous nos yeux nous parlent du peuple de France ; et l
254 sous nos yeux nous parlent du peuple de France ; et les films composés à Hollywood ou à Londres sur l’organisation de la
255 onyme, le peuple unanime, le peuple sans vedettes et le voici enfin devenu la vraie vedette, malgré lui, de la France et d
256 devenu la vraie vedette, malgré lui, de la France et de sa résistance. J’ai vu à New York la plupart de ces films qui empr
257 lling, Croix de Lorraine, Assignment in Brittany, et je cite au hasard, il y en a tant. Je les ai vus avec des amis, tantô
258 vraisemblables, les traîtres trop conventionnels, et finalement l’inévitable raid de commandos sauvait tout le monde comme
259 l’œil : en critiquant, ils essuyaient une larme, et rien de plus français que cette pudeur. Quant aux Américains, ils exu
260 e que l’Europe mais constamment méconnue ou niée, et souvent par la faute des élites parisiennes : le peuple de France est
261 il est sérieux. Il n’est pas avant tout charmant et spirituel, bien-disant, bon vivant et léger. Il n’est tout cela qu’en
262 ut charmant et spirituel, bien-disant, bon vivant et léger. Il n’est tout cela qu’en second lieu, et comme par luxe. Dans
263 t et léger. Il n’est tout cela qu’en second lieu, et comme par luxe. Dans le fond et d’abord, il est sérieux, plus qu’aucu
264 u’en second lieu, et comme par luxe. Dans le fond et d’abord, il est sérieux, plus qu’aucun autre peuple dont j’aie vécu l
265 s pose, avec pudeur, préférant affecter la blague et le scepticisme plutôt que de paraître exagérer sa peine. Car il pense
266 me frappe le plus, dans les films que je citais, et dans les témoignages directs venus de France sur la lutte contre les
267 laient conquérir un pays de bavards, de coquettes et de politiciens véreux. Après quelques semaines en territoire conquis,
268 Allemand s’est senti dominé par une force étrange et qui l’intimidait : le regard sérieux de l’homme et de la femme du peu
269 t qui l’intimidait : le regard sérieux de l’homme et de la femme du peuple, ce jugement précis et humain, bien plus insupp
270 omme et de la femme du peuple, ce jugement précis et humain, bien plus insupportable que tous les cris de haines. Ils ne s
271 de la vraie France. Ils ont continué à le piller et à le fusiller avec une rage panique ; ils continuent, mais ils se sav
9 1944, Articles divers (1941-1946). Ars prophetica, ou D’un langage qui ne veut pas être clair (hiver 1944)
272 st pas exact que je les aime bien. Ils m’irritent et m’agacent. Mais je ne les oublie pas.7 L’auteur. La mémoire des off
273 ns vous n’êtes pas encore assez clair. L’auteur. Et pourquoi je vous prie, être clair ? Vous n’allez pas me dire que c’es
274 pour n’être point la dupe de vos phrases. Écrire, et surtout en français, ce n’est pas jouer du violon. Tout d’un coup vou
275 on. Tout d’un coup vous le prenez à double corde, et l’on distingue mal les passages, vous changez de ton et l’on voudrait
276 n distingue mal les passages, vous changez de ton et l’on voudrait savoir que vous le savez… Il me semble que vous manquez
277 ceté pour vos idées. Elles vous séduisent de loin et quand vous nous les présentez, elles ont déjà votre complicité, je ne
278 us persuader que vos goûts sont bien des raisons, et que ces raisons sont les nôtres. Ou bien vous faites de la poésie, et
279 ont les nôtres. Ou bien vous faites de la poésie, et alors vous jouez sur des surprises, ou bien vous nous parlez d’idées,
280 des surprises, ou bien vous nous parlez d’idées, et dans ce cas, il faut que nous pensions à chaque instant : « j’allais
281 e feinte aimable. Au reste nous sommes entre nous et vous n’abuserez pas de mes aveux… D’autant qu’ils seront probablement
282 nel ! A. Notre langage courant sans aucun doute. Et plus rigoureusement encore notre langage intellectuel et scientifique
283 rigoureusement encore notre langage intellectuel et scientifique, qui se distingue du langage courant par le souci de con
284 oir choisir entre un langage franchement poétique et ce langage clair et distinct qui convient au débat des idées. A. … q
285 langage franchement poétique et ce langage clair et distinct qui convient au débat des idées. A. … qui convient au débat
286 du langage. N’est-ce pas la cohérence des raisons et à la fois l’exact ajustement de ces raisons à la réalité, qui constit
287 transcendante. Il part de ce qu’il suppose clair et facile, et sa marche est une déduction. La convention d’un tel langag
288 nte. Il part de ce qu’il suppose clair et facile, et sa marche est une déduction. La convention d’un tel langage, est que
289 un tel langage, est que tout est donné au départ, et qu’il s’agit de ne rien introduire dans la chaîne des arguments qui n
290 s arguments qui n’ait été d’abord jaugé, chiffré, et défini en termes simples. À mon tour de me défier d’une convention au
291 puleuse, mais c’est qu’il a le goût de se tromper et de tromper. A. Pour moi, je crains une duperie moins naïve dans la m
292 nd-on dans le monde rien qui soit « clair, simple et facile » en soi ? Le monde dans lequel nous vivons et parlons n’est-i
293 acile » en soi ? Le monde dans lequel nous vivons et parlons n’est-il pas, comme l’a dit un Russe « le monde de l’imprécis
294 , comme l’a dit un Russe « le monde de l’imprécis et du non résolu » ? Ou comme l’écrit Descartes lui-même, le monde des c
295 pas pour effet immédiat de multiplier le mystère et les absurdités logiques ? Voyez Kafka… Je me demande alors si le cart
296 t — au nom de quoi, je vous en prie ? — la clarté et la simplicité d’un certain nombre de postulats abstraits. Ma méfiance
297 . C’est elle dont usent nos physiciens, chimistes et mathématiciens, pour formuler ce qu’ils appellent des lois. Bien. Mai
298 dire — à la formule mathématique ; d’autre part, et voilà qui est remarquable, il est sous-entendu qu’elles correspondent
299 scours cohérent sur des propriétés de la matière. Et ce discours n’est qu’un certain système d’images. S’il se distingue d
300 c’est entendu, qu’une manière de parler du réel, et sans cesse corrigée par les faits. Mais où je crie à la tricherie, c’
301 la fin nous échappent ! Comme s’il était licite, et même possible, de partir de certains éléments et de les déclarer conn
302 et même possible, de partir de certains éléments et de les déclarer connus, quand on ignore méthodiquement l’ensemble don
303 nore méthodiquement l’ensemble dont ils dépendent et qui est leur seule mesure. C. J’avoue que je vous suivrais mieux si
304 ées en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître. » Voilà qui paraît clair, j’entends confo
305 oser que le plus simple est aussi le plus proche, et qu’il faut commencer par là. C’est sans doute le plus mauvais tour qu
306 On ne peut connaître les parties que par le tout, et non l’inverse. C. J’observe une fois de plus avec curiosité le gliss
307 iques. Souffrez alors que je m’avoue incompétent, et que j’assiste sans vous interrompre davantage aux développements d’un
308 postales. Elle dispose en bon ordre ses repères, et puis s’ébranle à reculons vers l’inconnu, les yeux toujours fixés sur
309 le chemin parcouru : elle ignore tout de son but et tiendrait même pour une prévention fâcheuse la croyance que ce but ex
310 lée. Voilà le sens, l’orientation de ma démarche, et c’est pourquoi je vous disais qu’on ne peut la comprendre qu’à partir
311 ’imagine ? A. Il vaut mieux dire indescriptible, et cela tient à sa vérité même, je veux dire à sa plénitude instantanée
312 , s’il était pur, serait absolument inexplicable, et évident. Il n’y aurait plus qu’à méditer sans fin cette forme signifi
313 diter sans fin cette forme significative du tout, et de chaque partie dans le tout. Bien entendu, je ne puis avancer aucun
314 er à deux modes d’expression également rigoureuse et pourtant exclusifs l’un de l’autre. Le premier serait la loi scientif
315 loi scientifique. Ses conventions sont la clarté et l’absence de contradiction. La seconde forme d’expression, ce serait
316 r la limite, en parlant d’un langage inexplicable et pourtant évident. C’est peut-être le verbe impliquer qui distinguera
317 tion va nous aider : impliquer le réel comme tel, et non pas expliquer certaines manières de le réduire aux exigences d’un
318 core une fois, que les contradictions s’éclairent et se résolvent, et non pas à partir d’éléments que j’aurais distingués
319 e les contradictions s’éclairent et se résolvent, et non pas à partir d’éléments que j’aurais distingués dès le départ. Un
320 partant pour reconnaître une Amérique de vision. Et cette fin, ce terme, ce télos, tous les hiatus, toutes les obscurités
321 re. On peut les emporter sans qu’elles se gâtent, et quand on a faim, on les ouvre. C. Encore une petite question, voulez
322 lez-vous ? Qui a le droit de parler en paraboles, et d’être obscur à la manière des prophètes ? A. Le droit ? Personne, b
323 arrive assez souvent que l’on oublie les grandes et graves raisons qu’il y a de se taire, ou de parler seulement selon le
324 e se taire, ou de parler seulement selon le droit et la décence, en toute clarté. Il arrive que certains furieux, je ne sa
325 toutefois imaginer une autre attitude de l’être, et qui soit telle que la question du droit ne se pose plus. C’est l’atti
326 a vu quelque chose, ou simplement qui a cru voir, et qui voudrait retrouver sa vision et la faire pressentir à d’autres ho
327 i a cru voir, et qui voudrait retrouver sa vision et la faire pressentir à d’autres hommes. Une vision ne se transmet pas,
328 it dans une certaine orientation au moyen de mots et de phrases qui puissent, comme par une ironie, être compris en soi et
329 issent, comme par une ironie, être compris en soi et dans leur lettre, mais dont le sens dernier ne puisse être aperçu sou
330 quelque chose doit parler la langue des prophètes et composer des paraboles. Si ses prophéties sont décevantes et ses para
331 des paraboles. Si ses prophéties sont décevantes et ses paraboles sans fruit, il n’en est pas moins un prophète. Mais alo
332 e le Petit Monde au Grand Monde, — signes du Tout et de la Fin, mais signes seulement, résumés, prises partielles et signi
333 mais signes seulement, résumés, prises partielles et significatives… Certes celui qui pourrait les fixer retrouverait tout
334 uire au parler prophétique. C’est le même risque, et ce n’est pas la même grandeur… Les « sentinelles de Juda », les grand
10 1944, Articles divers (1941-1946). L’attitude personnaliste (octobre 1944)
335 in devenues favorables pour une action plus large et constructive. Les événements eux-mêmes se sont chargés de faire la cr
336 nde à reconstruire, les grandes questions peuvent et doivent être reposées. Allons-nous rebâtir sur les valeurs d’une phil
337 sophie de l’Objet (qui était celle du capitalisme et des divers « planisme »), ou bien allons-nous faire une société où le
338 bjets soient remis au service de l’homme qui crée et qui se veut responsable ? Si nous choisissons la seconde voie, la doc
339 conscience de leur responsabilité intellectuelle et civique vers 1930, en France, se trouvaient confrontés avec les dilem
340 gat de réflexes conditionnés par l’État, le Parti et les statisticiens. Sur le plan philosophique, la situation n’était pa
341 lait se fonder la démocratie d’un siècle dernier, et le soldat politique sur lequel a voulu se fonder le totalitarisme de
342 institutions doivent être au service de l’homme, et non l’inverse : — la liberté ne cesse d’être un mot creux que dans un
343 alisme, fédéralisme. Ils définissent une attitude et une action. Certes, beaucoup de philosophes s’étaient intitulés « per
344 s un William Stern, un Keyserling, un C. G. Jung, et l’école californienne de The Personalist. Mais la caractéristique du
345 on politique, d’une économie, d’un régime social, et même d’une esthétique. C’est pourquoi je ne saurais mieux décrire la
346 rvice civil industriel Les premiers manifestes et volumes publiés par le mouvement n’apportaient pas les blue-prints d’
347 roite ou de gauche édifiaient des plans abstraits et se bornaient pratiquement à revendiquer des réformes isolées ou matér
348 ire ne serait plus le seul mobile du travailleur, et la masse de main-d’œuvre créée par le service civil serait mise par l
349 e. Les politiciens déclarèrent le projet utopique et d’ailleurs néfaste : il risquait de résoudre un conflit que leur tact
350 ion de l’atelier. Il était éditeur de son métier, et si peu adroit de ses mains qu’il assurait être le seul officier de ré
351 vil supposait une refonte générale de l’économie, et notamment une discrimination très précise entre le travail quantitati
352 entre le travail quantitatif (ou « parcellaire ») et le travail qualitatif ou créateur. Le premier devait être entièrement
353 ur. Le premier devait être entièrement socialisé, et régi par l’État, qui assurerait d’autre part la distribution d’un min
354 gratuit pour tous. Le second devait rester libre, et d’autant plus qu’il recevrait l’aide gratuite du service civil. L’Éta
355 État lui-même se trouverait réduit au rôle précis et limité d’agence de statistique et de répartition de la main-d’œuvre e
356 au rôle précis et limité d’agence de statistique et de répartition de la main-d’œuvre et du bonus social, au profit des e
357 statistique et de répartition de la main-d’œuvre et du bonus social, au profit des entreprises libres et des groupes coop
358 du bonus social, au profit des entreprises libres et des groupes coopératifs. La notion de groupe L’un des traits ma
359 insistance sur la nécessité des groupes autonomes et organiques. Elle coïncide avec la découverte la plus importante de no
360 cle de la physique quantique. La paresse d’esprit et l’inertie ont laissé se constituer au xxe siècle des cadres démesuré
361 s cadres démesurés, simplifiés jusqu’à la démence et rigides comme elle, qui pèsent lourdement sur nos activités. L’État c
362 t lourdement sur nos activités. L’État centralisé et sa bureaucratie abstraite tendent à détruire les groupes organiques,
363 unique, étendant sur l’économie, la vie politique et les coutumes d’un pays le carcan géométrique de ses décrets, le perso
364 foyers rayonnants de création locale : entreprise et commune à la base, librement fédérées par bassins naturels, par-dessu
365 la nation. La France avait des frontières rigides et un centre unique, Paris. Entre les deux, le vide, l’espace abstrait.
366 sistance élevés dans toute la profondeur du pays, et une mobilisation fortement décentralisée. C’était en somme le système
367 ant un régime fédéraliste. Les événements de 1940 et toute l’évolution ultérieure de la guerre ont amplement confirmé ces
368 r les secrets de la vénalité des grands journaux, et recueillir une documentation locale précise et humaine. Un bulletin d
369 x, et recueillir une documentation locale précise et humaine. Un bulletin de liaison alimentait les clubs. Tout était prép
370 ations fameuses de l’Underground. État présent et avenir du mouvement À la veille de la guerre, le personnalisme ava
371 revues, un hebdomadaire, des bulletins, brochures et tracts, répandaient ses idées. Les nazis avaient délégué leur représe
372 route. Ils souffraient tout d’abord d’une qualité et d’un défaut bien typiquement français : le sérieux et l’excès d’idées
373 ’un défaut bien typiquement français : le sérieux et l’excès d’idées neuves. Hors d’eux-mêmes s’opposaient à leur action :
374 d’un désastre prévisible, les préjugés de droite et de gauche, le manque d’argent et de moyens de pression collectifs. Il
375 éjugés de droite et de gauche, le manque d’argent et de moyens de pression collectifs. Il valait mieux attendre encore un
376 er des hommes, un à un, non des masses. La guerre et l’invasion obligèrent le mouvement à « disparaître ». Dans l’interval
377 Dans l’intervalle entre l’armistice de juin 1940 et la suppression de toute expression libre par Vichy, la revue Esprit
378 a suite d’un article contre Pétain, son directeur et plusieurs de ses rédacteurs emprisonnés. Nul autre mouvement ne me pa
379 manque de foi. 8. Exemple : le bassin houiller et ferrugineux de la Sarre coupé en deux par une frontière correspondant
11 1944, Articles divers (1941-1946). Quelle guerre cruelle (octobre-novembre 1944)
380 ême. L’un n’est guère bon, mais l’autre est pire, et j’ai choisi sans hésiter jamais. On peut appeler le premier démocrate
381 iter jamais. On peut appeler le premier démocrate et le second totalitaire. On peut aussi les nommer Pierre et Paul, ou mo
382 cond totalitaire. On peut aussi les nommer Pierre et Paul, ou moi et l’autre, ou nous et l’ennemi : car « la seule chose q
383 . On peut aussi les nommer Pierre et Paul, ou moi et l’autre, ou nous et l’ennemi : car « la seule chose qui importe est d
384 nommer Pierre et Paul, ou moi et l’autre, ou nous et l’ennemi : car « la seule chose qui importe est de gagner la guerre »
385 our de moi. Si j’essayais de m’entendre d’abord ? Et de comprendre, s’il se peut, la question que cette guerre pose et ne
386 , s’il se peut, la question que cette guerre pose et ne peut résoudre. ⁂ Par dépit, par fatigue, ou par esprit de polémiqu
387 ités économiques étaient plus fortes que l’esprit et que ses choix. Or ces réalités ne faisaient que traduire en quantités
388 tre attitude spirituelle. Elles étaient résultats et non pas causes. Car il n’y a pas d’abord la loi de l’offre et de la d
389 auses. Car il n’y a pas d’abord la loi de l’offre et de la demande, il y a d’abord nos offres et nos demandes, selon nos r
390 offre et de la demande, il y a d’abord nos offres et nos demandes, selon nos rêves et nos passions. Il n’y a pas d’abord l
391 abord nos offres et nos demandes, selon nos rêves et nos passions. Il n’y a pas d’abord les machines puis une société qui
392 symbole ancestral. Il n’y a pas d’abord les faits et puis l’humanité qu’ils guident ou blessent, mais il y a d’abord l’hum
393 is il y a d’abord l’humanité créatrice ou malade, et puis des faits qui expriment avec un peu de retard ce génie ou cette
394 voir qu’elle se passe d’abord en chacun de nous, et qu’elle figure dans son ensemble la crise d’un conflit psychologique
395 imaginative, affective, sexuelle, intuitive, etc. et se réduit théoriquement à la raison commune, il arrive que les facult
396 exilées dans son inconscient se révoltent soudain et l’attaquent en force, par une espèce d’éruption volcanique nommée név
397 rs envahissent sa vie quotidienne, le persécutent et lui rendent l’existence impossible. Il se persuade que des forces abs
398 e d’un autre. Un médecin qu’il jugera très brutal et hostile lui suggère alors que cet « autre » n’est en fait qu’une part
399 fait qu’une part de lui-même. S’il comprend cela et s’il le croit, le malade guérira peut-être. Sinon, il faudra l’enferm
400 yen Âge, on disait qu’un tel homme était possédé, et on l’exorcisait par des cérémonies souvent efficaces. Au xixe siècle
401 aces. Au xixe siècle, on disait qu’il était fou, et l’on essayait d’abord de le raisonner, puis de le réduire à la raison
402 inculte9. On a tenté de raisonner cet inconscient et de le forcer à se tenir tranquille. Privé de moyens de s’exprimer à s
403 la planète. L’humanité comme aliénée se flagella et se meurtrit : elle fait la guerre. Exactement, elle se la fait. Elle
404 se la fait. Elle ne tardera pas à tomber épuisée et à se passer la camisole de force d’un régime d’ordre pour incurables 
405 mènent à une proposition que je voudrais défendre et illustrer dans une série d’écrits à venir : il est temps que la pensé
406 guerre nous plaît. Toutes ses victimes le nient, et presque tous ceux qu’elle fait vivre. Je dis que la guerre nous plaît
407 elle serait impossible. Tous, nous sommes contre, et nous la faisons tous : expliquez cela. — « Ce sont les autres. » Mais
408 avez pas pensé. Nous avons « fait notre devoir » et pas de question. Je dis que la guerre nous plaît. Elle arrange bien d
409 ’état d’exception proclamé dans la nation entière et dans tous les domaines. Ainsi la guerre devient pour nous l’équivalen
410 éguisement de rigueur, le sacrifice humain légal, et les valeurs morales changent de signe : tu tueras, tu voleras, tu dir
411 ion comme on dirait état de siège, état de grâce. Et les trois ne sont point sans rapports. Comme la fête chez les primiti
412 e nous attire. Pourtant viendra la paix, bientôt. Et ce sera peut-être pour des siècles. (Il y aura trop d’avions du même
413 qu’on n’allume plus de bûchers pour les chrétiens et qu’ils tolèrent les hérétiques), c’est la mort sous les balles pour l
414 ue l’esprit seul sait pousser jusqu’au paroxysme. Et comment vivre, s’il n’y a plus de paroxysmes ? La guerre nous plaît.
415 ysmes ? La guerre nous plaît. Nous le nions tous, et c’est normal. Mais je propose un test précis. Pourquoi tant de rétice
416 éticences à décider le désarmement général, total et définitif de tous les peuples, appuyé par une interdiction absolue de
417 r une interdiction absolue de fabriquer des armes et d’enseigner à s’en servir ? Je ne sais pas mieux que la plupart ce qu
418 ui tremblent avant même que la bouche ne s’ouvre. Et cependant, ils ne sont guère capables de me donner sur-le-champ, avec
419 fus. C’est un refus instinctif, comme ils disent. Et c’est tout ce que je voulais leur faire dire. (Il leur reste à me tra
420 sable pour gagner la guerre. Point de vue stérile et désastreux dès qu’il s’agit de la paix. Hitler n’est pas en dehors de
421 n nous-mêmes d’abord qu’il se dresse contre nous. Et quand nous l’aurons tué, il nous occupera sans coup férir si nous n’a
422 aventure prendra fin dans la catastrophe prévue. Et devant le cadavre gisant de l’homme qui fit trembler tout l’univers,
423 nous n’avions sans doute jamais eu l’expérience. Et pourtant c’est une part de nous-mêmes qui machine cette brusque épouv
424 eligion en général, comme phénomène humain, cause et produit de toute communauté vivante. Je parle d’un instinct aussi fon
425 vivante. Je parle d’un instinct aussi fondamental et naturel que la sexualité. Il est incontestable que le rationalisme12
426 eux des Occidentaux. Car non content de combattre et d’évacuer les coutumes religieuses périmées (c’était son droit et son
427 coutumes religieuses périmées (c’était son droit et son devoir), il s’est méthodiquement refusé à laisser naître des cout
428 rouvé l’homme pour capter ses puissances obscures et les ordonner à des fins tantôt pratiques, tantôt transcendantales. Ca
429 rent la circulation entre l’inconscient collectif et l’activité quotidienne. Condamnez-les et vous créerez une sécheresse
430 ollectif et l’activité quotidienne. Condamnez-les et vous créerez une sécheresse générale, nécessairement suivie d’une rup
431 le, nécessairement suivie d’une rupture de digues et de l’interruption catastrophique des forces sombres de la cité. La ra
432 étruit tous les moyens connus de les apprivoiser, et prohibe la recherche hasardeuse de moyens nouveaux, elle fait lever d
433 nalisme régnant peut produire des avions en masse et par ce moyen-là venir à bout d’Hitler ; mais il ne pourra prévenir la
434 l’Accroissement des Monstres. Les pires sottises et les thaumaturgies les plus grossières sont destinées à susciter dans
435 l’après-guerre l’enthousiasme éperdu des foules. Et les calculs politiques les plus sains des réalistes et des experts se
436 s calculs politiques les plus sains des réalistes et des experts seront vidés d’un coup par ces lames de fond. Certains in
437 alors l’instinct religieux, cette « survivance ». Et nous lirons encore des jérémiades sur le déclin de l’esprit et l’aban
438 s encore des jérémiades sur le déclin de l’esprit et l’abandon des grands principes. « C’est inconcevable ! » opineront-il
439 de l’équilibre des grandes puissances nationales et des trusts : elle ne peut plus saisir les éléments de notre conflit.
440 ologiques, dans les masses, à l’échelle du globe. Et s’il faut des experts autour du tapis vert, qu’on appelle des psychia
441 imparfaits qu’ils soient, sont un moindre mal. » Et certes, en politique, il s’agira toujours, au mieux, de moindres maux
442 ionaliste ont été patents dans la morale sexuelle et la conception du mariage au siècle dernier ; ou lorsqu’il s’agissait
443 ion artistique, l’importance relative de l’argent et du travail, les dogmes chrétiens, etc., etc. m. Rougemont Denis de,
12 1945, Articles divers (1941-1946). Présentation du tarot (printemps 1945)
444 Jacquemin Gringonneur, peintre français, dessina et enlumina des cartes pour Charles VI, le roi fou, liant ainsi le tarot
445 d’argent, ne portent ni inscriptions ni nombres, et s’inspirent de modèles vénitiens. Dix-sept d’entre elles sont conserv
446 . D’un autre jeu, faussement attribué à Mantegna, et daté de 1400, subsistent aujourd’hui quatre exemplaires de 50 cartes
447 té un jeu de tarot pour enseigner l’arithmétique. Et Gargantua jouait au « Tarau » selon Rabelais. Au xve siècle, l’inven
448 , le tarot n’est guère connu que chez les princes et chez les gipsys, tout en haut de l’échelle sociale et tout en bas, pa
449 hez les gipsys, tout en haut de l’échelle sociale et tout en bas, passe-temps noble et magique ou rituel de science maudit
450 échelle sociale et tout en bas, passe-temps noble et magique ou rituel de science maudite, et prêtant aux abus les plus pu
451 ps noble et magique ou rituel de science maudite, et prêtant aux abus les plus puérils ou les plus démoniaques, bien enten
452 ts dans une inscription chinoise, datant de 1120, et dans les tablettes hindoues représentant les avatars de Vishnu. L’ori
453 llons parler, par d’Odoucet son premier disciple, et par Éliphas Levi. Elle a été contestée par W. A. Chatto, anglais, en
454 été contestée par W. A. Chatto, anglais, en 1848, et par Boiteau, français, en 1854. Ce dernier attribue au tarot une orig
455 e dernier attribue au tarot une origine hindoue ; et ce sont les gipsys, selon lui (et d’ailleurs aussi selon Lévi) qui l’
456 igine hindoue ; et ce sont les gipsys, selon lui ( et d’ailleurs aussi selon Lévi) qui l’auraient transmis à l’Europe. Mais
457 qu’en 1417 sous la conduite du « Duc d’Égypte » ; et qu’on lui suppose une ascendance hindoue. Or nous possédons des carte
458 1922) : Cet auteur, en rendant justice au génie et à la science de Court de Gébelin, terrassa ce que ce grave antiquaire
459 , que d’après sa cuisinière. Il était perruquier et se nommait de son vrai nom, Alliette. Il redécouvrit le tarot pendant
460 à cause de leur propension à ramener tout à tout, et réciproquement. En voici un exemple : Etteilla a placé le Fou à la f
461 e Fou à la fin du jeu, c’est-à-dire au nombre 78, et a mis au nombre 21 la figure qu’il nomme le Despote africain, qui n’e
462 e Fou sous le nombre 78 qui est enfin notre zéro, et voici son intéressante analyse de ce nombre. (Elie Alta, Le Tarot égy
463 é, Vichy, 1922.) On peut juger d’après ce texte ( et son contexte) que selon Etteilla et son disciple Elie Alta, l’un corr
464 rès ce texte (et son contexte) que selon Etteilla et son disciple Elie Alta, l’un corrigeant l’autre. 0 = 78 = (77) = 21 =
465 tude du tarot. 3. Variations Selon les pays et les temps : quant au dessin des cartes, et quant à leur interprétatio
466 s pays et les temps : quant au dessin des cartes, et quant à leur interprétation, les variations paraissent avoir été auss
467 lacés par les Carreaux ; les Épées par les Piques et les Deniers par les Trèfles. En France nous trouvons difficilement le
468 modèles plus anciens, restitués par l’érudition. Et depuis Court de Gébelin, la décadence s’est accentuée. On trouve même
469 artes de tarot à figures redoublées (tête en haut et tête en bas) à l’instar du jeu de cartes moderne. C’est un abus inqua
470 ’arcane 17, petit exemple, ou les lettres T-A-R-O et J-H-V-H dans l’arcane 10, c’est-à-dire simplement le sens de la lame
471 re simplement le sens de la lame — Taro ou Rota — et le nom de Dieu — Jahvé). On voudrait conseiller au lecteur de détruir
472 d’interprétations fort diverses : il serait aisé ( et désirable) de les multiplier à propos de ces mêmes cartes. Peut-être
473 une lettre de l’alphabet hébreu (sens exotérique et sens ésotérique) 4. un nombre (interprété par la Cabbale) 5. un éléme
474 é 12. un génie 13. un verset des psaumes de David et les psychanalystes modernes : 14. une des quatre facultés (pensée, in
475 cations sont organisées en structures ou rythmes, et non pas simplement juxtaposées. Prenons l’exemple des lettres. D’aprè
476 Prenons l’exemple des lettres. D’après Elie Alta ( et donc Etteilla), « les Égyptiens ont attaché à chaque carte des 22 ato
477 cartes majeures : l’Homme (Le Bateleur), le Fou, et la Mort. » 4. Correspondances avec les cartes modernes Les inte
478 me à établir entre les quatre couleurs des tarots et les quatre couleurs du jeu de cartes moderne. Bornons-nous à livrer à
479 résentent, grosso modo, les autorités religieuses et sociales au Moyen Âge, et quelques-unes des situations élémentaires d
480 s autorités religieuses et sociales au Moyen Âge, et quelques-unes des situations élémentaires de l’existence, signifiées
481 jusqu’au moindre détail, si le dessin est exact. Et ces symboles, à l’examen d’une attention qui consent à se laisser doc
482 s majeurs est une apparition, un grand rêve fixé, et peut être analysé à ce titre. Les figures de la papesse, de l’empereu
483 de l’inconscient, dans leur immobilité insondable et infiniment allusive. Cependant que la Roue de Fortune, le, Jugement d
484 ur décapitée sont de grands événements psychiques et cosmiques, tantôt clichés dans leur moment d’extrême tension, tantôt
485 ure. Les arcanes sont issus de la nuit des Mères, et de l’Underground éternel. Peut-être même faudrait-il voir dans les la
486 is n’auraient pas cessé de répandre leur croyance et leur sagesse par l’entremise des tireurs de cartes. Cette hypothèse a
487 en particulier du professeur Tassin, de Columbia, et de Paul Foster Case, le tarot aurait été, originellement, une méthode
488 ngées — la cure ou yoga durait plusieurs années — et marqueraient les étapes d’une « voie hermétique » aboutissant à la ré
489 r, à travers ce yoga, de l’illusion à la réalité, et des choses telles qu’elles nous apparaissent aux choses telles qu’ell
490 e qui part dans la vie comme un Fol (arcane zéro) et aboutit à la connaissance de soi et du Monde (arcane 21) en passant p
491 (arcane zéro) et aboutit à la connaissance de soi et du Monde (arcane 21) en passant par tous les stades du développement
492 étudiant en occultisme comme sujet de méditations et de contemplation, au cours d’exercices poursuivis aux fins d’arriver
493 , à la visualisation, à l’exactitude, à l’analyse et à la synthèse, à l’évaluation des couleurs et des formes, et surtout
494 yse et à la synthèse, à l’évaluation des couleurs et des formes, et surtout il entraînait cette faculté maîtresse qui étab
495 thèse, à l’évaluation des couleurs et des formes, et surtout il entraînait cette faculté maîtresse qui établit des corréla
496 nt des usages pittoresques, secondaires, dérivés, et le plus souvent charlatanesques, dont les modernes ont cru pouvoir se
497 tre Emlen Etting, attaché aux forces américaines, et son ami André Lhote, furent les premiers à pénétrer dans le Palais du
498 ers, épées : des cœurs, des cloches, des feuilles et des glands. Le Fou, arcane 0 a) Interprétation d’Elie Alta d’
499 me richement habillé, portant une rose à la main, et qui s’arrête au bord d’un précipice pour contempler l’espace au-desso
500 ’un précipice pour contempler l’espace au-dessous et au-dessus de lui. L’abîme ne lui inspire pas de terreur. Son visage e
501 eur. Son visage est plein d’intelligence, de rêve et d’attente. C’est un prince de l’autre monde en voyage ici-bas. Sous c
502 la conscience individuelle libérée de l’illusion, et poursuivant sa route sans craindre les dangers que court l’homme coll
503 grand que le grand, tenu pour néant par la raison et le monde, symbolisé par le cercle, il est l’expression de la volonté
504 oint de vue de l’égo, cette quête n’est que folie et non-sens. c) Interprétation moderne de B. McM. Hazard (résumé)
505 rimer un état de préparation, avant la conscience et l’individuation. Les symboles de la carte le confirment : le grand so
506 ion terrestre. Il porte les deux symboles féminin et masculin : ses cheveux clairs dénotent la conscience (par opposition
507 —, ornée de trèfles verts — la nature créatrice — et de disques jaunes sur lesquels sont brodées des roues rouges à 8 rayo
508 annonçant l’accomplissement futur, l’intégration et la conscience individuelle. Les arcanes majeurs qui suivent montrent
509 u à mesure qu’il traversera les collines, vallées et montagnes indiquées dans le fond de cette carte, jusqu’à ce qu’il rev
510 abond errant sans but, avec la démarche d’un fou… et un regard qui perce toutes choses sans s’arrêter à aucune. (Le Fou) e
511 nce terrestre (les épées) ; des sacrements, rites et prêtres des religions établies (les coupes) ; des biens qu’on peut ac
512 blies (les coupes) ; des biens qu’on peut acheter et vendre (les deniers) ; du sol et du foyer (les bâtons). Il n’a plus d
513 ’on peut acheter et vendre (les deniers) ; du sol et du foyer (les bâtons). Il n’a plus d’attaches, ni de nom. Il est la c
514 ssus des rois, des reines, des as, des chevaliers et des valets, au-dessus des 21 symboles qui décrivent la hiérarchie des
515 symboles qui décrivent la hiérarchie des essences et des sphères surhumaines ? En passant à travers eux tous, mais sans êt
516 nivers ambiant perd son poids. Sa réalité visible et tangible continue d’exister, mais elle a perdu son pouvoir magique. V
517 dont il s’est débarrassé depuis longtemps. L’une et l’autre sont les illusions qui s’interposent entre l’homme et son ess
518 ont les illusions qui s’interposent entre l’homme et son essence divine innée… Le fol errant n’a ni famille, ni possession
519 tamment son essence dans les aspects de l’univers et de ses créatures, et cependant restant le « Dieu caché », deus abscon
520 ans les aspects de l’univers et de ses créatures, et cependant restant le « Dieu caché », deus absconditus, éternellement…
521 manifestation de Dieu, c’est-à-dire de lui-même, et en même temps il voit à travers toutes les choses : elles ne sont que
522 assées… Il est le mendiant qui possède l’univers, et toutes ses richesses, qui ne sont rien d’autre que le déploiement de
523 u’il paraît. Si quelque étranger aux habits sales et déchirés, au regard bizarre, entrait chez vous et vous tapait gentime
524 et déchirés, au regard bizarre, entrait chez vous et vous tapait gentiment sur l’épaule en murmurant à votre oreille : « J
525 en murmurant à votre oreille : « Je suis le Père, et le Fils, et le Saint-Esprit ! » — la plupart d’entre vous, sans plus
526 à votre oreille : « Je suis le Père, et le Fils, et le Saint-Esprit ! » — la plupart d’entre vous, sans plus d’enquête, l
527 t initié ne condescend pas à desserrer ses lèvres et à révéler le scandaleux secret de sa perfection. Dans la sagesse du S
528 carné, il passe, étranger, silencieux. Étant tout et toutes choses, il ne lui reste plus qu’à feindre de n’être rien. Et d
529 il ne lui reste plus qu’à feindre de n’être rien. Et de même, il convient que la séquence des arcanes, grâce aux symboles
530 raphiques desquels nous sont dévolus l’initiation et l’accomplissement, apparaisse simplement comme une série de cartes à
531 comme une série de cartes à jouer plutôt bizarres et démodées… Le Parfait sous l’aspect d’un fol errant, a dépassé la poss
532 s particulières exprimées par les quatre couleurs et les arcanes. C’est pourquoi, prenons garde, s’il nous advient jamais
533 rné, le Christ errant de nouveau parmi les hommes Et de plus, s’il y condescendait, il pourrait bien être capable de nous
534 traîne d’un côté un singe, un lapin ou un diable, et de l’autre côté un homme. Elle nous indique simplement le mouvement d
535 lles ou physiques… Celui qui s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé. Synonymes. Droite : Fortune, bonheur
536 ésumé) : La clef 10 termine le cycle collectif et inaugure le cycle individuel. Aux 4 coins de la carte, les figures sy
537 les 4 lettres I H V H brodées sur la robe du Fou, et représentent les 4 signes fixes du zodiaque. L’Ange (Aquarius) est l’
538 s chérubiniques dans Ézéchiel, les 4 évangélistes et leurs emblèmes, les 4 rivières du Paradis, et le Tétragramme. Ces 4 s
539 tes et leurs emblèmes, les 4 rivières du Paradis, et le Tétragramme. Ces 4 symboles cosmiques sont entourés de nuages de t
540 de l’autre : équilibre entre les aspects positifs et négatifs des 4 instruments (bâtons, épées, coupes, deniers), c’est-à-
541 coupes, deniers), c’est-à-dire entre l’évolution et l’involution. L’une des roues porte les signes alchimiques du Mercure
542 ure (Intellect) ; Sel (Corps) ; Soufre (Esprit) ; et Dissolution (Émotions). L’autre roue ne porte pas de signes, mais il
543 plus bas niveau de la conscience, encore solaire et collective (symboles abstraits). Autour de la roue, trois symboles co
544 ) dirigé vers le bas (involution dans la matière) et ondulant (action vibratoire de l’intellect créateur). L’Anubis, ou He
545 e, coloré en rouge (désir), s’élève de la matière et évolue vers le Père : c’est l’homme qui s’éveille des profondeurs, et
546 re : c’est l’homme qui s’éveille des profondeurs, et qui commence à monter vers l’appel du Sphinx, symbole de l’homme parf
547 u Sphinx, symbole de l’homme parfait ou conscient et individualisé. Le Sphinx est bleu (spiritualisé, re-né) et porte sur
548 dualisé. Le Sphinx est bleu (spiritualisé, re-né) et porte sur la tête des ornements noirs et blancs : équilibre des contr
549 , re-né) et porte sur la tête des ornements noirs et blancs : équilibre des contradictions. Il tient l’épée de la discrimi
550 Playing Cards, London, 1848. Éliphas Lévi : Dogme et rituel de la haute magie, 1860 — Clefs majeures et clavicules de Salo
551 t rituel de la haute magie, 1860 — Clefs majeures et clavicules de Salomon, 1895. — Le Grand Arcane, 1898. — Transcendenta
13 1945, Articles divers (1941-1946). Les règles du jeu dans l’art romanesque (1944-1945)
552 hétorique est devenue synonyme d’éloquence creuse et de clichés. J’en parlerai dans un tout autre sens. Je voudrais désign
553 divers que les lois de composition d’un tableau, et sa limitation par le cadre ; les lois de l’harmonie et du contrepoint
554 limitation par le cadre ; les lois de l’harmonie et du contrepoint ; les genres musicaux et littéraires ; les conventions
555 ’harmonie et du contrepoint ; les genres musicaux et littéraires ; les conventions de l’opéra et de la danse ; les personn
556 icaux et littéraires ; les conventions de l’opéra et de la danse ; les personnages constants du théâtre ; les ouvertures,
557 s, levers de rideau, préfaces, finales, épilogues et points d’orgue ; la règle des trois unités ; les transitions, récitat
558 s ; les transitions, récitatifs, coups de théâtre et contrastes ménagés ; le nombre fixe des syllabes dans un vers et des
559 énagés ; le nombre fixe des syllabes dans un vers et des vers dans un sonnet ; les rimes et les césures, — bref, toutes le
560 ns un vers et des vers dans un sonnet ; les rimes et les césures, — bref, toutes les conventions acceptées en commun par l
561 conventions acceptées en commun par les artistes et leur public. Tout cela faisait l’Art, aux grandes époques. Artiste ét
562 sa liberté. L’inspiration passait par ces canaux et se communiquait par eux. Les règles étant connues, amateurs et critiq
563 quait par eux. Les règles étant connues, amateurs et critiques disposaient d’une mesure commune avec le créateur. Ils pouv
564 Ils pouvaient estimer la bienfacture d’une œuvre, et faire la part de l’invention par déduction de la coutume. Presque tou
565 plus juger d’une œuvre. Elle tient la rhétorique et ses figures pour arbitraires, artificielles, non contraignantes. (Et
566 arbitraires, artificielles, non contraignantes. ( Et sans doute, le sont-elles devenues.) Mais dès l’instant où les règles
567 vous avez inventé quelque chose. Ôtez les règles, et ce même déplacement devient le type du geste indifférent. Dans le pri
568 t le type du geste indifférent. Dans le principe, et dans les hautes époques, la rhétorique au sens large, et ses règles,
569 les hautes époques, la rhétorique au sens large, et ses règles, sont strictement non arbitraires. Elles traduisent des re
570 ations constitutives de notre corps, de la psyché et du Cosmos. La régularité et l’alternance de la respiration, des nuits
571 e corps, de la psyché et du Cosmos. La régularité et l’alternance de la respiration, des nuits et des saisons, sont nécess
572 rité et l’alternance de la respiration, des nuits et des saisons, sont nécessaires à notre vie, comme les cadences et les
573 sont nécessaires à notre vie, comme les cadences et les contrastes composés sont vitaux pour nos œuvres d’art. Au surplus
574 put les retrouver dans les symboles des religions et des magies, spontanément réapparus au cours des âges et sur les point
575 magies, spontanément réapparus au cours des âges et sur les points les plus divers de la planète. Les romantiques alleman
576 cependant que le journalisme fait son apparition, et que la réalité quotidienne s’introduit dans les romans. Conjonction l
577 , balayant les symboles sacrés, les rites sociaux et les cérémonies dont l’élite a perdu le sens, pour instaurer le culte
578 s convenues, rimes, unités, précautions oratoires et procédés de composition. Mais elle alla plus loin. Elle déclara que l
579 ique en tant que telle était mauvaise, insincère, et contraire à l’inspiration libre. Dans ses recettes magiques et artifi
580 à l’inspiration libre. Dans ses recettes magiques et artifices profonds, elle ne vit que recettes et artifices, et command
581 s et artifices profonds, elle ne vit que recettes et artifices, et commanda de les éliminer. De ses fleurs, elle fit des c
582 profonds, elle ne vit que recettes et artifices, et commanda de les éliminer. De ses fleurs, elle fit des clichés1. Aband
583 in… Il tomba dans « la réalité », coupa ses ailes et se fit romancier ou paysagiste d’après nature. Le sociologue et le ph
584 ncier ou paysagiste d’après nature. Le sociologue et le photographe l’observaient d’un œil ironique. La naissance, le tri
585 ent d’un œil ironique. La naissance, le triomphe et le déclin du roman comme genre littéraire, illustrent à merveille ces
586 brèves indications sur l’office de la rhétorique et le danger de l’écarter à la légère. L’origine du roman est dans le co
587 de l’âme ou du Cosmos dans un jeu de personnages et d’aventures très simples. Le mythe se développe en légende, et la lég
588 s très simples. Le mythe se développe en légende, et la légende sacrée convoie un enseignement religieux. L’épopée perpétu
589 l’homme devient de plus en plus son propre centre et son sujet d’étonnement favori, le mythe se rapproche de l’histoire. I
590 l’« étude » du réel, quand le conte, la légende, et même l’épopée, étaient créations pures de l’imagination. Et l’on ne s
591 épopée, étaient créations pures de l’imagination. Et l’on ne sait plus si le roman est une pseudo-science ou un faux art.
592 non pas des moyens d’expression. Mieux on l’imite et plus on s’écarte de l’art. Avec une incroyable étourderie, certains d
593 ersonne ne pourrait jouer2. Le jeu ne sera vivant et passionnant qu’à la mesure de la fixité même de ses règles indiscutée
594 e naturante, au lieu de copier la nature naturée. Et la psyché réinventait un réel significatif. Comment rejoindrait-on le
595 Comment rejoindrait-on le sens profond des choses et des événements de la vie, en décalquant le désordre varié des objets
596 ans le moindre étonnement par la critique moderne et par le grand public. Elle rend compte de l’insignifiance, au sens lit
597 u’au sublime, proposaient des types de vie haute, et réveillaient des forces endormies. Le conte était le libre déploiemen
598 décrivait en personnages selon certains procédés et figures surgis des profondeurs de l’être, identiques à ceux du rêve,
599 profondeurs de l’être, identiques à ceux du rêve, et crus comme tels avec reconnaissance, au double sens de l’expression.
600 ait savoir qu’il a mis dans son livre ce qui est, et non plus ce qu’il a inventé ? L’abandon de la rhétorique entraîne deu
601 ’auditeur un état très particulier de réceptivité et de créance. On savait qu’un jeu commençait, amusant ou profond, et si
602 savait qu’un jeu commençait, amusant ou profond, et significatif. On croyait tout : c’était le jeu. Le jeu ne tolère pas
603 des mots rituels pour suspendre le sens critique, et voici le plaisir extrême : Peau d’âne va lui être conté. Mais si vous
604 futiles. Au siècle passé, les conteurs populaires et certains des meilleurs écrivains avaient encore coutume de débuter pa
605 dans l’atmosphère du récit. (Le début de Le Rouge et le Noir.) Ces procédés d’avertissement retenaient encore une règle él
606 liste ambitionne d’imiter la vie, qui ne commence et ne finit jamais. Force lui est donc d’entrer comme par hasard, au mil
607 atmosphère, ou même d’une phrase, « N’importe où et n’importe comment » — c’est à quoi vise son effort. « Gontran sortit
608 son briquet de nacre, alluma une cigarette blonde et consulta l’indicateur. » Il s’agit de me faire croire que c’est vrai.
609 e c’est vrai. Il faut donc me fournir des preuves et des observations exactes. Mais à la première preuve, je commence à do
610 je la connais autant que cet auteur. Je me méfie, et bientôt discute. Et plus l’auteur paraît désireux de me convaincre —
611 que cet auteur. Je me méfie, et bientôt discute. Et plus l’auteur paraît désireux de me convaincre — au lieu de s’abandon
612 ’est pas deux expériences humaines superposables. Et je ne renoncerais à la mienne pour faire crédit à celle de l’écrivain
613 rivain que si, d’abord, il renonçait à démontrer, et m’entraînait par d’autres charmes… Du conteur pur, je n’exigeais qu’u
614 Du conteur pur, je n’exigeais qu’un sens, valable et vérifiable en soi. 2°) — Par la suppression des cérémonies d’introduc
615 Par la suppression des cérémonies d’introduction et de sortie3, le romancier moderne veut créer l’illusion du réel quotid
616 it à faire du roman quelque chose d’interminable, et quelque chose de méthodiquement insignifiant. Quelque chose qui n’en
617 eproduire en multipliant les observations exactes et les personnages quelconques. Et c’est au nom de cette fidélité à la v
618 ervations exactes et les personnages quelconques. Et c’est au nom de cette fidélité à la vie que M. Jules Romains va s’int
619 terdire, dit-il — « les enchaînements arbitraires et le picaresque », les rencontres qu’on ne voit pas dans la réalité, br
620 ’absence de conventions sera tenue pour avantage, et compensera, aux yeux de ses contemporains, l’absence de mérite esthét
621 ls sont, au nom des vieilles règles, de commencer et de finir le jeu avec les mêmes cartes », échouent à exprimer ce désor
622 uoi les romans devraient-ils exprimer tout cela ? Et d’ailleurs, comment le pourraient-ils ? Si longs qu’ils soient, ils s
623 la vie », c’est doublement tricher : avec la vie, et surtout avec l’art. Cette tricherie généralisée doit amener, nécessai
624 tôt frustes mais fixes, du découpage, du montage, et de la présentation dramatisée. Ces conditions, dans une vue commercia
625 sement maintenues par les « producers », éditeurs et directeurs de magazines à grand tirage. Le genre proprement romanesq
626 ’éteindra dans le même temps que l’ère bourgeoise et pour avoir commis la même erreur : qui était de croire les convention
627 aux lois d’une rhétorique précise. C’est un jeu, et un jeu serré, qui ne tolère aucune faiblesse, aucune tricherie. Ses l
628 aiblesse, aucune tricherie. Ses lois sont connues et communes : dès Conan Doyle, elles ont pris force contraignante. Ses p
629 ceux de la Commedia dell’arte, ou ceux des cartes et des échecs : le détective élégant, volontiers philosophe, l’agent de
630 tesse de palaces ; le valet de chambre silencieux et astucieux, etc. La situation, donnée d’entrée de jeu, se résout compl
631 de jeu, se résout complètement à la fin du livre, et ne comporte qu’un nombre fini d’éléments. Le lieu de l’action est cir
632 mble que personne n’ait pu y entrer ni en sortir, et qui contient le problème sous forme de cadavre. Parfois, ce n’est qu’
633 posée par J. Huizinga5 : une action dont le début et la fin sont nettement marqués, qui a lieu dans un espace nettement dé
634 ués, qui a lieu dans un espace nettement délimité et qui obéit, entre ces limites spatiales et temporelles, à des règles i
635 élimité et qui obéit, entre ces limites spatiales et temporelles, à des règles indiscutées. Le roman policier passionne da
636 s permet de mesurer l’invention de chaque auteur, et les progrès du genre. Une grande partie de l’intérêt que l’amateur ap
637 mans policiers devient très vite un spécialiste.) Et cette rhétorique ne manquera pas d’exercer son pouvoir créateur de co
638 ée, elle aussi, bien que l’exemple soit moins pur et moins frappant. Le roman historique garde le bénéfice du cadre : son
639 rra donc, comme sont mortes la tragédie classique et les chroniques en vers. Il mourra pour avoir épuisé ses possibilités
640 rra pour avoir épuisé ses possibilités formelles, et pour avoir poursuivi la chimère d’une liberté sans condition. Quelque
641 qu’enfin il se fît un prestige de les contredire et miner. Tout cela ne durera plus que le temps de liquider un héritage
642 quider un héritage saccagé par la guerre actuelle et par l’avènement des masses. La révolution que nous vivons déclassera
643 e lire des fables ne s’éteindra pas pour si peu ; et moins encore, le besoin d’en conter. L’imaginaire, délivré du souci d
644  fabuleux », le pouvoir créateur des formes fixes et la dialectique des symboles. Le conteur, renonçant à imiter la vie, l
645 conteur, renonçant à imiter la vie, la récréera ; et renonçant à prouver qu’il dit vrai, aussitôt se verra restituer les p
646 on. Notre monde retentit d’événements incroyables et pourtant mortellement réels. Les faits les plus flagrants du siècle d
647 tre du fou rire populaire avec l’instinct sadique et le goût des orgies de destruction que devait traduire, quelques année
648 fût-ce que pour rester au niveau de nos épreuves et de nos désastres réels, l’art de demain va revenir au jeu des amplifi
649 va revenir au jeu des amplifications, raccourcis et miracles qui constituaient la rhétorique des contes. Il ne rejoindra
650 ’en se livrant à la logique profonde des symboles et des mythes de l’âme. Tout porte à tenir pour probable que les grandes
651 s convaincante. 1. La dialectique de la Terreur et de la Rhétorique forme le sujet du grand livre de Jean Paulhan, publi
652 ’Alice in Wonderland où les arceaux, les maillets et les boules sont vivants et ne cessent de se déplacer. 3. Coup de sif
653 arceaux, les maillets et les boules sont vivants et ne cessent de se déplacer. 3. Coup de sifflet donné par l’arbitre, a
654 e dans la vie sérieuse. Idem : les rites d’entrée et de sortie relatifs à un espace ou à un temps sacré. 4. Voir Roger Ca
14 1946, Articles divers (1941-1946). Contribution à l’étude du coup de foudre (1946)
655 oup de foudre (1946)o Un regard dans un regard et les voilà fixés, cloués sur place, comme le coq est cloué sur la lign
656 n’y pas croire. C’est un fait, nous l’avons subi, et nous avons tous dit : je n’y puis rien. Avec autant de sincérité, nou
657 royant décrivant sa conversion en termes de grâce et de prédestination. Mais s’il est vain de nier le fait, il ne l’est po
658 des yeux — ils se détournent aussitôt que frappés et c’est toujours : « Ô toi que j’eusse aimée ! » Mais non, si c’était v
659 r impressionner ses victimes. Il en a tant parlé, et vous autres après lui, que toutes les femmes qui vont le rencontrer y
660 roman. Oui, l’idée seule a fait tous ces ravages, et non pas quelque dieu, ni le Destin. Il n’y aurait jamais de coup de f
661 rlande est reçu par la fille du roi selon l’usage et l’étiquette. Siegfried et Brunehilde qui s’avancent l’un vers l’autre
662 le du roi selon l’usage et l’étiquette. Siegfried et Brunehilde qui s’avancent l’un vers l’autre, dans la scène du hanap,
663 é, sous l’égide des plus intangibles hiérarchies. Et Don Juan triche, une fois de plus, quand il feint que cela se produis
664 erlocuteur d’une manière un peu trop personnelle, et comment dire ? — qu’il savait mieux que moi cette histoire que je lui
665 ettres. Il vint m’attendre au débarqué de l’avion et me conduisit à sa demeure. C’était l’heure du déjeuner. Nous causions
666 Mon hôte bientôt s’inquiète : « — Vous êtes pâle et vous ne mangez rien ! Vous sentiriez-vous indisposé ? » Je balbutie n
667 c vivacité comment il a organisé mes conférences, et quel public j’aurai, et quelles personnes me prient de leur réserver
668 organisé mes conférences, et quel public j’aurai, et quelles personnes me prient de leur réserver un dîner : bref, vous vo
669 on ? J’allais m’en persuader quand je m’aperçois, et cette fois-ci non sans terreur, que la femme du banquier, elle aussi,
670 que : d’ailleurs sa femme me promènera dans Buda, et me fera visiter le Musée, — à ce soir ! Il s’en va, très satisfait de
671 — à ce soir ! Il s’en va, très satisfait de lui, et de moi aussi, je crois. Nous voici seuls. Silence. Silence encore dan
672 eige bien gelée où ses pas, lentement s’enfoncent et se marquent. Je la rejoins. Alors d’un geste elle désigne la ville à
673 a rien d’autre à dire. Nous remontons en voiture et descendons vers la ville. Soudain, je me suis décidé et j’articule :
674 cendons vers la ville. Soudain, je me suis décidé et j’articule : « — Vous n’avez rien mangé au déjeuner, madame. — Vous n
675 i attablés devant des sandwiches au caviar rouge. Et le tour recommence. Même jeu qu’au déjeuner. Ni l’un ni l’autre ne po
676 ela — je me suis retenu de lui toucher l’épaule — et je m’entends prononcer : — Puisqu’il faut que cela soit, eh bien… que
677 cela soit, eh bien… que cela soit ! Elle se lève et me suit. Nous allons chez elle. Un vertige, un sombre délire, et sans
678 s allons chez elle. Un vertige, un sombre délire, et sans qu’un mot de plus ait été prononcé… Et ce fut ainsi, durant tout
679 lire, et sans qu’un mot de plus ait été prononcé… Et ce fut ainsi, durant tout mon séjour à Budapest. L’après-midi, je vou
680 is. Le soir, j’avais mes conférences ou un dîner. Et je passais le reste de la nuit dans un bar, en compagnie d’un peintre
681 de politique, des perspectives du nouveau régime, et pas du tout de mes après-midi. Bien entendu. La veille de mon départ,
682 de mon départ, comme nous sortions du bar, Maria et moi, une édition du matin nous apprend l’incendie du Reichstag. Je dé
683 stag. Je décide de rentrer le jour même à Berlin, et prends congé de mon ami qui se montrait fort inquiet de mon sort. Il
684 tre villa de Zehlendorf, ma femme m’attend, grave et presque sévère. Moi, je ne pensais qu’à la situation politique. Nous
685 ntime. J’ai tout avoué sans me chercher d’excuse. Et comme elle se taisait encore, je lui ai demandé comment elle avait su
686 lettre par avion, arrivée pour moi le matin même et qu’elle avait ouverte par crainte d’un malheur. Quelques lignes sur u
687 e feuille portant l’en-tête d’un bar de Budapest, et disant à peu près : « Donne-moi vite de tes nouvelles, je suis inquie
688 e la femme du banquier était lectrice de romans — et sans doute de vos propres romans ?… Et ce coup de foudre, n’est-il pa
689 e romans — et sans doute de vos propres romans ?… Et ce coup de foudre, n’est-il pas tombé d’un ciel qu’il convient de nom
690 ontribution à l’étude du coup de foudre », Formes et Couleurs, Lausanne, 1946, p. 1-4.
15 1946, Articles divers (1941-1946). Penser avec les mains (janvier 1946)
691 r vaine toute œuvre qui laisse son auteur intact, et son lecteur à son confort. Vaine et mauvaise toute œuvre qui ne te sa
692 uteur intact, et son lecteur à son confort. Vaine et mauvaise toute œuvre qui ne te saisit pas comme avec une main, qui ne
693 ue chose qu’il ne peut plus fuir attaque l’auteur et tout ce qu’il reflète d’une ambiance domestiquée. Il est grand temps
694 elle est en réalité : dangereuse pour le penseur, et transformatrice du réel. « Là où je crée, là je suis vrai », écrivait
695 Là où je crée, là je suis vrai », écrivait Rilke. Et c’est pourquoi nous prendrons au sérieux cette distinction : il y a d
696 des hommes qui sont l’orgueil de notre esprit, —  et d’autres qui s’enorgueillissent de notre esprit. Il y a des hommes qu
697  : il ne faudra plus les confondre. Il y a Pascal et Goethe, Dostoïevski et Kierkegaard, — il y a aussi les fins lettrés,
698 s confondre. Il y a Pascal et Goethe, Dostoïevski et Kierkegaard, — il y a aussi les fins lettrés, les bons esprits, les p
699 , ou un capital bien placé. Cerveaux sans mains ! et qui jugent de haut, mais de loin, et toujours après coup, la multitud
700 sans mains ! et qui jugent de haut, mais de loin, et toujours après coup, la multitude des mains sans cerveau qui travaill
701 Or, ces gens forment l’opinion, sans aucun doute, et ils le savent. Toute l’opinion du monde en est à peu près là, que la
702 créateurs ont pensé, au prix de leur vie souvent, et toujours par un acte initiateur et révolutionnaire. Les uns pensent,
703 r vie souvent, et toujours par un acte initiateur et révolutionnaire. Les uns pensent, dit-on, les autres agissent ! Mais
16 1946, Articles divers (1941-1946). Les quatre libertés (30 mars 1946)
704 laisément dans notre langue par liberté de parole et de religion, libération de la misère et de la crainte. Donc les Natio
705 de parole et de religion, libération de la misère et de la crainte. Donc les Nations unies ayant gagné la guerre, il est t
706 écemment libérés, de même qu’en Russie soviétique et au Japon. On brûle encore, à l’occasion, quelques églises protestante
707 u commerciales, la misère règne, la police règne, et les vainqueurs eux-mêmes vivent dans la peur les uns des autres. Quan
708 s ne paraissent comporter que des réponses amères et humiliantes, si l’on reste au niveau des faits, des dures nécessités,
709 comparaison qu’il nous oblige à faire de l’idéal et du présent. Je propose donc que nous changions ce qui peut être imméd
710 donnée. Elle exige d’être affirmée sur le champ, et coûte que coûte, quels que soient les obstacles. Il y aura toujours d
711 e, elles peuvent être conquises. Nous l’affirmons et nous le démontrons par notre lutte contre toutes les « nécessités » q
712 les « nécessités » qui s’y opposent sans relâche. Et cette lutte est toujours possible. Cette Résistance ne fait que comme
713 xercice de notre liberté sont fatals, nécessaires et surhumains, aussitôt nous les rendrons tels, aussitôt nous cesserons
714 rons tels, aussitôt nous cesserons d’être libres. Et l’État aura tous les droits, puisque nous lui laisserons tous les dev
715 . Ce qu’il nous faut pour être libres, uniquement et tout simplement, c’est du courage. Car nous sommes libres, si nous so
716 Révolution, ni des Soviets, ni de la Démocratie, et surtout pas de leurs experts. Il la tient de sa vision seule et de so
717 de leurs experts. Il la tient de sa vision seule et de son courage de lutter pour la joindre. Lénine, sous le tsarisme, é
718 tait plus libre qu’un fonctionnaire sous Staline. Et George Washington était plus libre qu’un citoyen américain qui tourne
17 1946, Articles divers (1941-1946). Dialogues sur la bombe atomique : La pensée planétaire (30 mars 1946)
719 es provinces ; le canon à la guerre des nations ; et l’avion à la guerre des continents. Voici la Bombe, à quoi servira-t-
720 ’est-à-dire : à une guerre qui nous atteint tous, et que nous ne faisons donc qu’à nous-mêmes. Les dimensions de la commun
721 la Terre, le Globe, la Boule, la Tête, la Bombe, et l’Unité considérée partout et de tout temps comme objet rond, pomme,
722 la Tête, la Bombe, et l’Unité considérée partout et de tout temps comme objet rond, pomme, sphère ou sceptre d’or, que ce
723 d au macrocosme. Si notre siècle arrive à digérer et intégrer cette pensée-là, il aura fait une révolution bien plus grand
724 te des habitants des Amériques Nord, Centre, Sud, et de l’Asie, c’est-à-dire la moitié du genre humain. L’autre moitié en
725 ables : les Français eussent mieux mangé, en 1944 et 1945, si les cargos alliés n’avaient été trop occupés dans le Pacifiq
726 u Romains, avec nos clans, nos écoles, nos partis et nos disputes centenaires ou quinquennales, avec nos allusions perfide
727 lusions perfides ou flatteuses qui perdent pointe et sens si l’on se déplace un peu, disons à quelques heures d’avion. Ce
728 tent intraduisibles pour qui ne peut y aller voir et sentir. Et notre époque n’est pas celle des voyages, mais seulement c
729 uisibles pour qui ne peut y aller voir et sentir. Et notre époque n’est pas celle des voyages, mais seulement celle des « 
730 rien. Cependant qu’un beau jour le paysan normand et le boutiquier de Lyon ne pourront plus boucler leurs comptes parce qu
731 seront révoltés en Caroline du Sud ou à Harlem ; et les mineurs du pays de Galles n’auront plus de viande pendant des moi
732 e ne peut pas tout savoir, encore moins tout voir et tout comprendre. Les problèmes les plus angoissants de nos compagnons
733 ns de planète restent pour nous terres inconnues, et psychologiquement inexplorées. Hic sunt leones inscrivaient les géogr
734 s les grandes marges de leurs cartes de l’Europe. Et pourtant nous sommes destinés à découvrir un jour que ces lions sont
735 re. C’est sa nécessité qu’il faut d’abord sentir. Et qu’aussitôt la presse et la radio, le cinéma surtout l’éveillent et l
736 ’il faut d’abord sentir. Et qu’aussitôt la presse et la radio, le cinéma surtout l’éveillent et la propagent, sous de larg
737 presse et la radio, le cinéma surtout l’éveillent et la propagent, sous de larges rubriques créant un appel d’air. Ce n’es
738 ue je vois manifester le sentiment le plus direct et le plus contagieux de la planète sont précisément deux poètes : le Sa
739 nt deux poètes : le Saint-John Perse de l’Anabase et de l’Exil, et Paul Claudel, notre grand écrivain « global » ? Dans le
740  : le Saint-John Perse de l’Anabase et de l’Exil, et Paul Claudel, notre grand écrivain « global » ? Dans leur prose et da
741 notre grand écrivain « global » ? Dans leur prose et dans leurs longs versets, quel qu’en soit le sujet allégué, nous avon
742 ère fois senti, sous le drapé d’un français riche et pur, battre le pouls mesuré de l’Asie, le cœur violent des Amériques.
743 e premier me parla de la Planète comme d’un amour et d’une souffrance intime !… r. Rougemont Denis de, « Dialogues sur
18 1946, Articles divers (1941-1946). Dialogues sur la bombe atomique : La paix ou la bombe (20 avril 1946)
744 raient compterait les ministères suivants : Bombe et Répression des États, Échange des matières premières, Sens général de
745 ppliquant.) Mais il n’y a que les idées pratiques et raisonnables que l’on traite de folies, à l’âge où l’on prépare dans
746 monde entier, à la demande générale, la prochaine et irrévocablement dernière guerre civile du genre humain. Que va-t-il s
747 sse diffuse ne soit sensible dans les populations et chez beaucoup de bons esprits, mais une paralysie sans précédent s’es
748 éricain de la sensation, du biggest in the world. Et de vrai, c’est dans ce pays que la première Bombe vient d’être constr
749 ombe vient d’être construite. Exagérée sans doute et dépassant la mesure de ce que l’on connaissait avant le 6 août, elle
750 août, elle est là, parce que l’homme l’a mise là. Et votre sens de la mesure peut se rebeller comme l’esprit devant la mor
751 nne partie de leur utilité au service des nations et de leur vertu d’ordre. Admettons qu’elles arrivent encore à se battre
752 Admettons que notre globe dure longtemps encore, et que la guerre militaire y prospère d’autant mieux qu’elle sera dotée
753 omphe des « éléments d’ordre » aussi énigmatique, et sans témoins. Je reconnais volontiers que ce processus peut se poursu
754 se passeront peut-être pas de la manière soudaine et dramatique qu’un certain goût de l’antithèse m’incline parfois à souh
755 pures, parce que nos choix ne sont pas si francs, et que nos chefs savent à peine ce qu’ils jouent. Une espèce d’organisat
756 ue les peuples se révolteront contre cette nation et son régime, tôt ou tard. Il est évident que si l’on continue à penser
757 aujourd’hui, cela finira dans l’explosion totale. Et il est évident que la grande majorité des hommes se refuse à ces évid
758 la mort ? L’humanité, ce sont des gens comme vous et moi. Quand vous me dites qu’elle n’est pas prête pour la paix, cela v
759 isir la paix, vous votez tacitement pour la mort, et vous en rendez responsable. Tout tient à chacun de nous. Et nous en s
760 rendez responsable. Tout tient à chacun de nous. Et nous en sommes au point où il devient difficile de le cacher. Nos ali
761 iques, j’ai posé le principe du pessimisme actif. Et comment ne m’y tiendrais-je pas, quand je sais que l’enjeu n’est poin
762 it ? » La sentinelle a répondu : « Le matin vient et la nuit aussi. » Je n’ai pas fini d’aimer ce cri. Les citations de la
763 ce cri. Les citations de la Bible vous irritent. Et vous me direz : que fait Dieu dans tout cela ? Dangereuse question :
764 t que nous fassions sauter la Terre, elle sautera et ce sera très bien. Au-delà de ce « clin d’œil », il nous attend. s.
19 1946, Articles divers (1941-1946). Dialogues sur la bombe atomique : Post-scriptum (27 avril 1946)
765 t-scriptum (27 avril 1946)t — Un dernier mot. ( Et dire que j’allais l’oublier !) La Bombe n’est pas dangereuse du tout.
766 elques généraux. Je parlais de la fin du monde… — Et maintenant vous nous dites : aucun danger ! C’est là sans doute votre
767 t d’esprit d’Apocalypse. Mais dix mois ont passé, et rien ne se passe. Dieu soit loué, nous avons repris nos sens. Certain
768 parce que tout le monde en avait une peur bleue, et que personne, même pas Hitler, n’a eu le courage de commencer. À plus
769 a fait son calcul. Les Alliés pouvaient riposter, et la valeur militaire de cette arme était loin de compenser, même à ses
770 nt, c’est l’homme. C’est lui qui a fait la Bombe, et c’est lui seul qui se prépare à l’employer. Quand je vois qu’on nomme
771 eut plus l’éviter depuis que la Bombe nous menace et nous tente à la fois. Et voilà bien le progrès le plus sensationnel d
772 que la Bombe nous menace et nous tente à la fois. Et voilà bien le progrès le plus sensationnel du siècle. — Un progrès ?
773 tout ce qui nous rapproche des vraies questions, et nous oblige à y faire face. t. Rougemont Denis de, « Dialogues sur
20 1946, Articles divers (1941-1946). Faut-il rentrer ? (4 mai 1946)
774 communiste, que sais-je. On m’écrit cela de Paris et l’on ajoute que je ferais bien de rentrer, sous peine de ne pas compr
775 pas comprendre la réalité européenne en général, et française en particulier. Je pourrais me contenter de répondre : c’es
776 à m’en tirer par une réplique, même de bon sens, et j’ai quelques raisons de prendre la France plus au sérieux, plus au t
777 ux de partir. Je vois les avantages de l’Amérique et ses défauts, mieux qu’ils ne sont en mesure de les imaginer. Cela se
778 . Il n’est qu’une solution, qui est d’aller voir, et d’« essayer » le pays comme un nouveau costume. Et je me dis que le p
779 t d’« essayer » le pays comme un nouveau costume. Et je me dis que le problème est mal posé. Il ne s’agit ni de partir ni
780 ns hésiter : il ne s’agit ni de choisir une terre et ses morts contre le Globe et ses vivants ; ni de choisir le nomadisme
781 de choisir une terre et ses morts contre le Globe et ses vivants ; ni de choisir le nomadisme permanent et l’exil par prin
782 es vivants ; ni de choisir le nomadisme permanent et l’exil par principe ou dégoût. Il s’agit simplement de vivre au xxe
783 ien peu d’hommes d’aujourd’hui vivent leur temps, et se trouvent pratiquement en mesure de le vivre ! Combien encore sont-
784 ien encore sont-ils du Moyen Âge, ou du bourgeois et lent xixe siècle ! Serait-ce manque d’imagination ? Certes, il en fa
785 vite que Jules Verne n’a pu le rêver. C’est cela, et c’est aussi le cauchemar des visas. Si cette folie furieuse et inutil
786 i le cauchemar des visas. Si cette folie furieuse et inutile ne régnait pas sur le monde d’après-guerre, le problème parti
787 stion de couper les ponts, de brûler les pénates, et autres rites attestant devant les mânes des ancêtres un choix farouch
788 rrévocable. Se déplacer devient un geste naturel, et partir peut très bien signifier revenir après quelque temps, comme on
789 s quelque temps, comme on prend un billet d’aller et retour. La poésie des voyages a vécu, la tragédie des départs a vécu.
790 exclusive de la curiosité, un accueil plus ferme et plus souple de la diversité des êtres et des coutumes. Aimez votre te
791 us ferme et plus souple de la diversité des êtres et des coutumes. Aimez votre terre et quittez-la. Quittez-la trois fois
792 sité des êtres et des coutumes. Aimez votre terre et quittez-la. Quittez-la trois fois et revenez-y trois et quatre fois,
793 votre terre et quittez-la. Quittez-la trois fois et revenez-y trois et quatre fois, selon l’arithmétique du cœur. Le noma
794 ttez-la. Quittez-la trois fois et revenez-y trois et quatre fois, selon l’arithmétique du cœur. Le nomade n’aime pas sa te
795 la meilleure manière, s’il refuse tout le reste, et la comparaison. Il faut s’ouvrir. Il faut aimer. Il faut cesser de tr
796 aut aimer. Il faut cesser de trouver cela nigaud, et de faire le coq de village tout hérissé, griffu, inefficace. Circulez
797 é, griffu, inefficace. Circulez donc, allez voir, et aimez. Puis choisissez. Revenez si le cœur vous en dit. Mais je sais
798 us empêchent de rejoindre le siècle, de l’habiter et d’user de ses dons. Forçons les gouvernants à nous répondre : à quoi
21 1946, Articles divers (1941-1946). « Selon Denis de Rougemont, le centre de gravité du monde s’est déplacé d’Europe en Amérique » (16 mai 1946)
799 en parle simplement, avec ce sens de l’équilibre et de la mesure dont ses ouvrages portent l’empreinte. Le prochain aussi
800 connaissance, ils vous appellent par votre prénom et vous invitent pour le prochain week-end. Aux États-Unis, l’étranger e
801 sons, si elles sont plus rares, sont plus solides et profondes. Outre-Atlantique, on est très camarade ; tout cela glisse,
802 très camarade ; tout cela glisse, change, glisse… Et l’inverse ? Quels sont, chez l’Américain, les sentiments éveillés par
803 classes d’Américains. Ceux qui ont connu l’Europe et qui y ont vécu, se distinguent par une sorte de snobisme européen, su
804 norité qui affectionne particulièrement la France et la Suisse. L’Américain moyen, qui connaît notre continent par les jou
805 u comme nous voyions les Balkans avant la guerre. Et puis, ils ont un peu peur de nous ; ils craignent que nous ne soyons
806 nous ne soyons une source permanente de désordres et de troubles. Tous les nationalismes européens les effraient. De même
807 te chez les Américains au point de vue du civisme et de la politique. Ils ont le sentiment d’être decent. Leur opinion est
808 ces termes : « Être decent, c’est tenir sa parole et se tenir propre soi-même »… Quant à la masse du centre du pays, elle
809 ts y viennent de partout, de toutes les Amériques et de tous les continents. New York résume un peu les États-Unis… Mais u
810 ce de glacis ou s’affrontent le monde anglo-saxon et le monde russe. On a fortement l’impression de l’existence de deux pô
811 existence de deux pôles d’attraction : l’Amérique et la Russie. Cette impression est une réalité. Quant à notre continent,
812 nce ; il a cédé le pas au problème Amérique-URSS. Et que pensent les Américains des Russes ? L’opinion est extrêmement mél
813 le de la comprendre de l’autre côté de l’Océan. ⁂ Et l’Amérique intellectuelle ? La vie scientifique est très remarquable 
814 rts en n’importe quoi. Au point de vue littéraire et philosophique, je ne vois rien de très neuf qui se soit développé pen
815 développé pendant la guerre ou après. Entre 1918 et 1939, l’Amérique a connu une grande période littéraire. Je ne disting
816 t intellectuels, qui font un lyrisme très violent et très coloré… Quant à l’Amérique sociale… Socialement parlant, l’ouvri
817 fait la grève pour des raisons purement pratiques et non au nom du marxisme… En conclusion, une « cure d’Amérique » est pr
818 outre-Atlantique pour y vivre une ou deux années et inversement. Je ne vois pas d’hostilité possible entre les deux conti
819 ue, nous pouvons apporter beaucoup de raffinement et un sens des valeurs spirituelles. Les Américains nous apportent la fr
820 ent la franchise dans la vie, la liberté d’allure et beaucoup de gentillesse. Telle est la « leçon d’Amérique » que nous a
821 ait trouvé aux États-Unis « trente-deux religions et un seul plat », il n’avait tort qu’a cinquante pour cent… w. Rouge
822 érique », L’Illustré, Lausanne, 16 mai 1946, p. 5 et 23. x. Propos recueillis par Georges Gygax et introduits par la note
823  5 et 23. x. Propos recueillis par Georges Gygax et introduits par la note suivante : « Un écrivain nous est revenu. Il n
824 us est revenu. Il nous est revenu de la lointaine et si proche Amérique, emportant avec lui, pour nous le communiquer avec
825 ournal d’un intellectuel en chômage , de L’Amour et l’Occident , de tant d’autres œuvres auxquelles sa personnalité a imp
826 a personnalité a imprimé son sceau de vie, de foi et de vérité, doit être classé à l’opposé absolu de tout ce qui porte en
827 e qui porte en soi le germe de la superficialité. Et Dieu seul est capable de dessiner les contours de ce mot « superficie
828 tional-socialisme, « phénomène à la fois mythique et mystique ». N’est-ce pas lui qui a lancé cette fulgurante vérité aux
829 joyeusement à la chute dans l’abîme : « Personne et pensée ne sont point séparables, et toutes deux ne sont possibles que
830  : « Personne et pensée ne sont point séparables, et toutes deux ne sont possibles que dans cet acte unique d’obéissance q
22 1946, Articles divers (1941-1946). Histoire de singes ou deux secrets de l’Europe (16 mai 1946)
831 eune Amérique, vieille Europe. Patrie de l’avenir et patrie de la mémoire. Dynamisme allégé du poids des traditions et que
832 mémoire. Dynamisme allégé du poids des traditions et querelles ancestrales qui tournent en rond. C’est la rumeur du xxe s
833 nous frapper d’une sorte de mélancolie sceptique et de nous tenter d’abandon aux prétendues fatalités de l’Histoire. Mais
834 pour l’homme qui ne recule pas devant sa liberté, et qui accepte les risques de son choix. Laissons l’Histoire telle qu’on
835 e telle qu’on la simplifie en courbes ascendantes et descendantes. Tout peut encore se renverser, et plus d’une fois, dans
836 s et descendantes. Tout peut encore se renverser, et plus d’une fois, dans les destins de collectivités aussi complexes qu
837 rtaines valeurs que l’Europe a promues patiemment et qu’elle illustre encore aux yeux du monde. Je veux parler de la « mém
838 x yeux du monde. Je veux parler de la « mémoire » et de l’« expérience historique », qui est celle des épreuves et des éch
839 périence historique », qui est celle des épreuves et des échecs. L’étude des singes et de leur attristante psychologie nou
840 le des épreuves et des échecs. L’étude des singes et de leur attristante psychologie nous révèle que ces faux ancêtres ne
841 reconstruire leur monde, de l’apprendre à nouveau et de réinventer les gestes élémentaires. Ce travail de Sisyphe les épui
842 es élémentaires. Ce travail de Sisyphe les épuise et les condamne à rester singes. Il les réduit à imiter, là où nous somm
843 nuit, faute de repères, faute d’un passé vivant, et faute de traditions instrumentales. Il s’imagine qu’il invente sans c
844 nouvelles toutes chaudes, à la dernière tactique, et ne fait que singer d’antiques découvertes. À propos de ces mêmes créa
845 s découvrent bientôt les tiroirs, ils les ouvrent et dévorent les bananes. On répète le manège un grand nombre de fois, po
846 es singes se précipitent, arrachent les tiroirs — et les trouvent vides. La plupart de ces animaux montrent alors les sign
847 ressent que le sort, la science, le monde moderne et sa prospérité ne sont pas les garants infaillibles d’un bonheur qui l
848 ptimisme automatique conditionné par la publicité et les sirènes du progrès. Et c’est pourquoi il tiendra le coup. v. R
849 ionné par la publicité et les sirènes du progrès. Et c’est pourquoi il tiendra le coup. v. Rougemont Denis de, « Histoi
23 1946, Articles divers (1941-1946). La pensée planétaire (30 mai 1946)
850 es provinces ; le canon à la guerre des nations ; et l’avion à la guerre des continents. Voici la Bombe. À quoi servira-t-
851 c’est-à-dire à une guerre qui nous atteint tous, et que nous ne faisons donc qu’à nous-mêmes. Les dimensions de la commun
852 la Terre, le Globe, la Boule, la Tête, la Bombe, et l’Unité considérée partout et de tout temps comme objet rond, pomme,
853 la Tête, la Bombe, et l’Unité considérée partout et de tout temps comme objet rond, pomme, sphère ou sceptre d’or, que ce
854 d au macrocosme. Si notre siècle arrive à digérer et intégrer cette pensée-là, il aura fait une révolution bien plus grand
855 te des habitants des Amériques Nord, Centre, Sud, et de l’Asie, c’est-à-dire la moitié du genre humain. L’autre moitié en
856 ables : les Français eussent mieux mangé, en 1944 et 1945, si les cargos alliés n’avaient pas été trop occupés dans le Pac
857 u Romains, avec nos clans, nos écoles, nos partis et nos disputes centenaires ou quinquennales, avec nos allusions perfide
858 lusions perfides ou flatteuses qui perdent pointe et sens si l’on se déplace un peu, disons à quelques heures d’avion. Ce
859 tent intraduisibles pour qui ne peut y aller voir et sentir. Et notre époque n’est pas celle des voyages, mais seulement c
860 uisibles pour qui ne peut y aller voir et sentir. Et notre époque n’est pas celle des voyages, mais seulement celle des « 
861 rien. Cependant qu’un beau jour le paysan normand et le boutiquier de Lyon ne pourront plus boucler leurs comptes parce qu
862 seront révoltés en Caroline du Sud ou à Harlem ; et les mineurs du pays de Galles n’auront plus de viande pendant des moi
863 e ne peut pas tout savoir, encore moins tout voir et comprendre. Les problèmes les plus angoissants de nos compagnons de p
864 ns de planète restent pour nous terres inconnues, et psychologiquement inexplorées. « Hic sunt leones » inscrivaient les g
865 urs cartes de l’Europe, « ici vivent les lions ». Et pourtant nous sommes destinés à découvrir un jour que ces lions sont
866 re. C’est sa nécessité qu’il faut d’abord sentir. Et qu’aussitôt la presse, et la radio, le cinéma surtout l’éveillent et
867 il faut d’abord sentir. Et qu’aussitôt la presse, et la radio, le cinéma surtout l’éveillent et la propagent, sous de larg
868 resse, et la radio, le cinéma surtout l’éveillent et la propagent, sous de larges rubriques créant un appel d’air. Ce n’es
869 ue je vois manifester le sentiment le plus direct et le plus contagieux de la planète sont précisément deux poètes : le Sa
870 nt deux poètes : le Saint-John Perse de l’Anabase et de l’Exil, et Paul Claudel, notre grand écrivain « global » ? Dans le
871  : le Saint-John Perse de l’Anabase et de l’Exil, et Paul Claudel, notre grand écrivain « global » ? Dans leur prose et da
872 notre grand écrivain « global » ? Dans leur prose et dans leurs longs versets, quel qu’en soit le sujet allégué, nous avon
873 ère fois senti, sous le drapé d’un français riche et pur, battre le pouls mesuré de l’Asie, le cœur violent des Amériques.
874 mesuré de l’Asie, le cœur violent des Amériques. Et que dire de ce grand joueur de Boule que fut « Saint-Ex »13, le premi
875 emier qui me parla de la Planète comme d’un amour et d’une souffrance intime ? Sinon qu’il fut lui aussi un poète, en pros
876 me ? Sinon qu’il fut lui aussi un poète, en prose et en action, en vision créatrice. 13. Saint-Exupéry, l’auteur de Vol
877 ice. 13. Saint-Exupéry, l’auteur de Vol de Nuit et de Terre des Hommes. y. Rougemont Denis de, « La pensée planétaire 
24 1946, Articles divers (1941-1946). La fin du monde (juin 1946)
878 qui pense cette idée, détruit ; l’idée que vous, et qui pensez, un jour ne serez plus, un jour serez un mort. Si « macabr
879 ucun cas se dire de sa propre mort, de la mienne. Et non plus, à mon sens, de la méditation que je poursuis entre ces phra
880 ues instants, s’arrêter, accélère ma respiration. Et cela ne signifie point que nous n’ayons jamais pensé à notre mort ave
881 le seul critère d’une perfection intellectuelle, et l’on conçoit que son application ne puisse être ni rapportée ni répét
882 e puisse être ni rapportée ni répétée. Perfection et Mort en ceci se confondent, qu’elles sont absolument tragiques, c’est
883 une instance mystérieuse aimante notre méditation et qu’elle la fixe sur cela que le naturel se refuse à prendre au sérieu
884 doit normalement être aperçu comme négligeable ; et s’y attarder serait le fait d’une sophistique assez gratuite. Ma natu
885 applique à la disqualifier, à la rendre abstraite et lointaine, à la chasser à tout jamais dans un futur indéfini. Ainsi d
886 omme savait un jour ce qu’il en est de son destin et de sa liberté, s’il voyait à l’œil nu, leur sens dernier et l’enjeu v
887 iberté, s’il voyait à l’œil nu, leur sens dernier et l’enjeu véritable de ses choix, à qui reviendrait l’empire de ce mond
888 Vivre est impur, qu’on sache ou non où va la vie, et c’est pourquoi les bonnes raisons n’expliquent pas notre réalité, mai
889 n de la Réalité qui m’a pressé d’écrire ces pages et qui pourrait suspendre ici ma phrase, me jetant dans mon jugement ? S
890 Crise déjà qui affleure, nous avertit de la Fin, et l’atteste. La crise Le Bas-Empire ne fut « bas », en son temps,
891 le illuminait. Sans la vie, que dire de la mort ? Et sans la Fin, que dire de la durée ? Mais tout se mêle encore confusém
892 yeux bien dessillés. C’est assez pour l’angoisse et trop peu pour agir. Ainsi le grand décret de crise qui sévit au cœur
893 oche, — ce crépuscule qui est peut-être une aube, et la frange de cet éclat qui doit consumer toute chair. Dans cette lueu
894 un jour d’apparaître la face réelle de la Terre. Et déjà, par intermittence, certains, ont entrevu et tenté de juger les
895 Et déjà, par intermittence, certains, ont entrevu et tenté de juger les buts réels de notre marche séculaire. Que savons-n
896  ? La grandeur ? Nous avons détruit toute mesure, et plus rien n’est grand ni petit, mais toute chose sans répit nous prov
897 i le temps, désormais, travaillait contre nous ?) Et le monde entier s’organise à ce niveau de vie moyenne qui paraît offr
898 surances s’étend sur toutes nos activités : plans et pactes, statistiques de l’imprévu, eugénisme et longévité, clercs au
899 s et pactes, statistiques de l’imprévu, eugénisme et longévité, clercs au pas ou stérilisés, guerre hors la loi, sécurité
900 la loi, sécurité d’abord. Nous apprenons à vivre, et non plus à mourir : cet effort est contre nature. Il naît au déclin d
901 t est contre nature. Il naît au déclin de la vie, et fatalement se retourne contre elle. Nous voulons échapper au temps, à
902 n saisisse les commandes pour accomplir le Temps… Et nous serons pris au dépourvu, comme nulle autre génération. Car, tand
903 Avertissement Votre refuge est dans la masse et son Histoire. Vous vous dites en secret qu’elle ne peut pas mourir, e
904 vous dites en secret qu’elle ne peut pas mourir, et il est vrai qu’elle ne possède pas de vie réelle, et ne peut donc pen
905 il est vrai qu’elle ne possède pas de vie réelle, et ne peut donc penser sa fin, ni rien. Elle ne peut être en soi pensée,
906 sa fin, ni rien. Elle ne peut être en soi pensée, et l’homme en elle reste à peu près dénué de réalité, jusqu’au jour où l
907 nué de réalité, jusqu’au jour où la Fin le pense. Et c’est là son tragique et l’humour de la Fin. Tout ce qui est réel, to
908 jour où la Fin le pense. Et c’est là son tragique et l’humour de la Fin. Tout ce qui est réel, tout ce qui manifeste la pr
909 quel que soit le désir que vous avez qu’il dure, et la persuasion où vous vous entretenez qu’il durera toujours autant qu
910 totalement démesurée ? Qui périrait dans la honte et la rage ? Ceux qui croient encore aux mesures et cherchent leur appui
911 et la rage ? Ceux qui croient encore aux mesures et cherchent leur appui dans l’illusion tomberont en grand nombre dans l
912 and nombre dans le vide. Mais ceux qui auront vu, et qui auront cru leurs yeux, retrouveront dans la tempête la coutume de
913 e où le diable sévit, se réfugie sur les hauteurs et découvre que Dieu y est plus dangereux encore, d’une autre sorte, ful
914 une vaste conversation de la mort, sur les places et dans les grands cafés, aux lieux de populace et de parole rapide. Peu
915 s et dans les grands cafés, aux lieux de populace et de parole rapide. Peut-être le soleil éteint se promène-t-il depuis q
916 ut si facilement glisser, tout se trouver changé, et les hommes poursuivre leur discours, pénétrant dans l’horreur sans mé
917 epuis bientôt mille ans, l’An Mil était passé — «  et toutes ses prières perdues ! » — mais ils savaient que rien ne peut f
918 s ils savaient que rien ne peut finir tout à fait et à jamais qu’au prix de cela justement qu’il n’était point permis d’im
919 sont apprises souffre mal qu’on y passe outre, —  et très peu d’entre eux possédaient la pleine assurance de l’être. L’Ins
920 nstinct de mort. On proposait une cure des masses et la nationalisation des écoles de psychanalyse. Un théologien répondit
921 ’est la mort. Saint Paul l’a vu bien avant Freud, et mieux. Il entendait par « chair » le tout de l’homme, intelligence et
922 it par « chair » le tout de l’homme, intelligence et belle âme comprises. Et ce n’est point que nous aimions la mort comme
923 de l’homme, intelligence et belle âme comprises. Et ce n’est point que nous aimions la mort comme telle. Bien au contrair
924 telle que vous la cultivez, qui conduit à la mort et la mérite. Nous sommes tout simplement au jour du Jugement. Il sera p
925 oui pour la première fois à l’instant qui le juge et l’accomplit, — notre temps, qui n’était pour nous qu’un refus de l’in
926 était pour nous qu’un refus de l’instant éternel. Et l’Histoire tout entière dans l’acte de ce oui, se manifeste au Jour d
927 Comme il parlait encore, une lueur d’aube apparut et grandit autour d’eux. Toutes choses replongées dans la stupeur origin
928 ant où les hommes s’aperçoivent que leurs efforts et leurs soucis se tournaient vers ce qui n’est rien, vers une Absence d
929 a seule Présence qui est terrible en sa splendeur et difficile à supporter, le seul Amour apparaissant qui menace d’être i
930 té de ce monde mal fait… Parut un soleil nouveau. Et ceux qui le voyaient prenaient un visage neuf, leurs yeux devenaient
931 aient un visage neuf, leurs yeux devenaient forts et s’attendaient à l’éclat d’une lueur encore plus vive. Par degré le Gr
932 degré le Grand Jour éclatait, toujours plus vaste et blanc dans l’univers entier. Ils se sont tout d’abord sentis gênés, b
933 ourds, ne sachant trop quelle contenance prendre. Et la lumière ne cesse de grandir. Ils tombent déjà par rangs entiers, a
934 dir. Ils tombent déjà par rangs entiers, aveuglés et cloués sur place par l’évidence de l’amour éclatant. Quelques-uns cep
935 la Cour. Bien peu soutinrent les derniers soleils et l’agrandissement de la lumière jusqu’aux limites de sa perfection, où
936 haque homme poussé à la limite de son expression, et chaque homme forcé à l’extrémité de son choix, cria le « terme » de s
937 ternelle sommation, somme absolue de ses journées et de ses nuits, de ses pensées et de ses gestes, de son savoir, de ses
938 e de ses journées et de ses nuits, de ses pensées et de ses gestes, de son savoir, de ses refus, de ses aveuglements, de s
939 fut déclarée l’incomparable qualité de son péché et mesuré le degré d’être de son être tel qu’il l’avait librement fait e
940 it en le vivant. L’examen des raisons de survivre et leur introduction au titre de l’éternité occupèrent moins de temps qu
941 er. Demandez-moi plutôt pour quoi je veux mourir. Et c’était bien ce qu’on faisait. Ainsi tous connurent la mort, mais les
942 e de la banalité soudain flagrante de leurs vœux, et , finalement, murmuraient d’une voix faible : — Vous savez sans doute
943 empruntant la forme des joies qu’il rencontrait ; et son désir ainsi fut exaucé. Un autre voulait vivre abondamment au sei
944 u sein d’une perpétuelle pauvreté. Devint soleil. Et quel est celui qui s’approche avec son parapluie mal fermé sous le br
945 proche avec son parapluie mal fermé sous le bras, et des lunettes bourrues au-dessus du sourire de la plus fervente ironie
946 eut alors comme un silence qui s’imposa sur nous et jusqu’assez haut dans les cieux, en sorte que plus haut, régnant seul
947 s les cieux, en sorte que plus haut, régnant seul et purifié, l’on put entendre le choral d’une angélique hilarité. Et nou
948 put entendre le choral d’une angélique hilarité. Et nous sûmes que cet homme était très grand.) Troisième jugement, ou
949 , toute chair a son temps, tout esprit son essor. Et chacun de nous accède au destin qu’il s’est fait, à la parfaite posse
950 son être, au faîte inconcevable du désir comblé, et comblé pour l’éternité. « Mais l’Esprit et l’Épouse disent : Viens. E
951 omblé, et comblé pour l’éternité. « Mais l’Esprit et l’Épouse disent : Viens. Et que celui qui entend dise : Viens ! à cel
952 nité. « Mais l’Esprit et l’Épouse disent : Viens. Et que celui qui entend dise : Viens ! à celui qui porte avec soi la rét
953 n dans nos œuvres. Commence l’œuvre du Pardon. «  Et que celui qui a soif vienne, que celui qui veut prenne de l’eau de la
954 ................................................. Et c’est alors que toutes les voix des justes confondues clameront l’har
955 s justes confondues clameront l’harmonie violente et bienheureuse du mot sacrement de toute la création, son terme monumen
956 Tout-Puissant, — l’Amen du Temps qui s’agenouille et s’abîme éternellement. 14. Søren Kierkegaard, d’après une caricatu
25 1946, Articles divers (1941-1946). Deux lettres sur le gouvernement mondial (4 juin 1946)
957 représenter « pratiquement » un Pouvoir Mondial, et à vous en former une image convaincante. Voici comment j’explique, po
958 re des Affaires étrangères nous paraît comme puni et humilié ; et sans ministère de la Guerre, il nous paraît dépourvu de
959 es étrangères nous paraît comme puni et humilié ; et sans ministère de la Guerre, il nous paraît dépourvu de sérieux. Or,
960 erre ? À quoi cela ressemblerait-il ? Les nations et leurs gouvernements ne se posent qu’en s’opposant. C’est la menace ex
961 nte leur unité », qui « galvanise leur énergie », et qui provoque ces magnifiques mouvements « d’union sacrée » où chacun
962 parie que vous venez de penser à la planète Mars, et à une guerre possible contre les Martiens ? Ne me dites pas non : vot
963 votre première idée a été de supposer une guerre. Et cela pour essayer de vous mieux représenter ce qu’un pouvoir planétai
964 rres avec d’autres nations. Je perdrais mon temps et le vôtre à fonder en logique, et, dans l’Histoire, cette relation que
965 rdrais mon temps et le vôtre à fonder en logique, et , dans l’Histoire, cette relation que le premier venu peut détecter da
966 le premier venu peut détecter dans sa conscience, et sans autre instrument qu’un peu de sincérité. Les nations produisent
967 les guerres, les guerres produisent les nations, et les unes sans les autres ne seraient pas imaginables. Si vous me dite
968 aix elle-même que vous ne voyez pas. Je dis vous, et je m’en excuse. Vous représentez ici l’humanité. Notre condition malh
969 d’une moralité douteuse. Quant aux lance-flammes et aux bombardiers lourds, et quant à ceux qui donneront le signal de le
970 uant aux lance-flammes et aux bombardiers lourds, et quant à ceux qui donneront le signal de les utiliser au service des n
971 au service des nations, gouvernants tout d’abord et généraux ensuite, ils représentent les « éléments d’ordre », à n’en p
972 tait le pire désordre imaginable à notre époque ; et que ceux qui la tenaient encore pour une nécessité, voire pour une ve
973 tu, étaient les véritables éléments de désordre ; et que l’utopie la plus dangereuse était la théorie de la souveraineté s
974 attre », ce qui est bien la preuve que j’ai tort, et d’ailleurs de n’importe quoi. Il ajoute que ma lettre, dans sa forme,
975 « Vivement la Bombe ! Suprême élément d’ordre ! » Et ne croyez pas que je plaisantais. Car la Bombe seule peut nous débarr
976 rrasser des armées, des souverainetés nationales, et de l’anarchie qu’elles entretiennent sur la planète. Je dis que la Bo
977 que les nations puissent perdre leur souveraineté et leurs armées, vous attriste visiblement. Vous avez l’impression que l
978 ement. Vous avez l’impression que la civilisation et la culture y perdraient quelque chose de précieux. Nous serions tous
979 magma informe de races, de langues, de religions et de coutumes, et toutes les différences qui font le goût de la vie s’é
980 e races, de langues, de religions et de coutumes, et toutes les différences qui font le goût de la vie s’évanouiraient sou
981 n engagés. Ce sont les guerres qui le produisent. Et ce sont les nations qui produisent les guerres… Mais je vois que ce m
982 té absolue, n’est pas limité par leurs frontières et ne saurait être défendu par leurs armées. En effet, supprimez ces tro
983 éléments qui composent l’idée moderne de nation, et les nations réelles subsisteront intactes, comme membres du corps de
984 corps de l’humanité, comme foyers de rayonnement, et comme communauté de gens apparentés, soit par leurs traditions, soit
985 seront de parler français, de créer leur culture, et d’habiter paisiblement leur terre, si la France renonce un beau jour,
986 les autres nations, à son armée, à ses douaniers et à son ministère des Affaires étrangères ? Et ne pensez-vous pas que s
987 iers et à son ministère des Affaires étrangères ? Et ne pensez-vous pas que si le gouvernement français n’a plus rien d’au
988 uit aujourd’hui les nations, dans le sens valable et fécond de ce mot, c’est qu’elles tendent à se confondre avec l’État,
989 ’est qu’elles tendent à se confondre avec l’État, et c’est la volonté qu’ont les États-nations ainsi formés, de se rendre
990 anence. Ainsi l’ennemi des nations c’est l’État ; et leur sauvegarde serait le gouvernement mondial. Ceux qui pensent que
991 er les échanges internationaux, comme le bon sens et l’économie l’indiqueraient ? C’est parce que certains pays ont préfér
992 en plus nombreux, qui se referment sur eux-mêmes et sur leur budget militaire, qui se bardent de protections à la frontiè
993 l’étatisme parce qu’elle veut la justice sociale, et que cela n’a rien à voir avec la préparation à la guerre. Sans doute,
994 arce qu’elle contient ces trois syllabes sacrées, et l’on traite de fasciste celui qui demande à voir. (La prochaine fois
995 nt qu’on prend parti sans en savoir plus que moi, et à cause de trois syllabes. Et que l’on confond socialisation et natio
996 avoir plus que moi, et à cause de trois syllabes. Et que l’on confond socialisation et nationalisation pour masquer le fai
997 trois syllabes. Et que l’on confond socialisation et nationalisation pour masquer le fait qu’il s’agit d’une étatisation.
998 bout, vous obtiendrez du totalitarisme en bâtons et une grêle de coups. Je suis sérieux. Le socialisme, non pas en soi, m
999 arbitrer. Autrement ce n’est qu’un jeu de force, et le premier qui tire aura gagné, quel que soit le mordant de l’infante
1000 ement mondial », Mondes, Paris, 4 juin 1946, p. 1 et 3.
26 1946, Articles divers (1941-1946). L’Américain croit à la vie, le Français aux raisons de vivre (19 juillet 1946)
1001 e vous avez encore quelques Américains en France, et que l’Amérique encore me tient par tout ce que je viens d’y vivre en
1002 illent un étranger Le grand bourgeois de Paris et ses fils, lorsqu’ils rencontrent une tête nouvelle, ne sourient guère
1003 traire, comme sa bouche sur des dents éclatantes, et comme s’il n’avait attendu que votre arrivée, justement, pour donner
1004 cours à ses puissances instinctives de cordialité et d’hospitalité. Comment ils deviennent amis À la deuxième rencon
1005 it votre prénom, vous raconte sa vie sentimentale et l’état de ses affaires, enfin vous invite pour un week-end. Pendant v
1006 uvreté s’il est pauvre, sa vie privée en général, et ne vous rencontrera qu’au café. Mais en France des amitiés se nouent
1007 intraduisible en anglais — des amitiés exigeantes et suivies, attentives et agissantes. Personne n’a plus, et mieux écrit
1008 s — des amitiés exigeantes et suivies, attentives et agissantes. Personne n’a plus, et mieux écrit sur l’amitié que les mo
1009 ies, attentives et agissantes. Personne n’a plus, et mieux écrit sur l’amitié que les moralistes français, de Montaigne à
1010 ut le monde. La rançon d’une intimité trop rapide et superficielle, c’est la facilité avec laquelle cette intimité s’évapo
1011 elques semaines, puis plus du tout pendant un an. Et quand on se rencontre par hasard, on ne se demande pas ce qu’on est d
1012 rit, on boit, on ne s’étonne de rien, tout glisse et passe, il y a tant d’êtres sur la terre, tant de hasards, tant de man
1013 de hasards, tant de manières de vivre, de bonnes et de mauvaises fortunes, par chance… Le sourire large des Américains di
1014 tragédie : la solitude. Comment ils s’unissent et se divisentac En France, il y a les catholiques et les laïques, c
1015 divisentac En France, il y a les catholiques et les laïques, c’est simple ; mais il y a d’autre part trente-six parti
1016 mple ; mais il y a d’autre part trente-six partis et sous-partis, tendances et nuances politiques. En Amérique, il y a les
1017 part trente-six partis et sous-partis, tendances et nuances politiques. En Amérique, il y a les républicains et les démoc
1018 politiques. En Amérique, il y a les républicains et les démocrates, c’est simple ; mais il y a d’autre part trente-six « 
1019 d’autre part trente-six « stocks » d’immigrants, et trente-six églises différentes, sous-églises, sectes et sous-sectes,
1020 nte-six églises différentes, sous-églises, sectes et sous-sectes, transportées jadis ou naguère par des réfugiés religieux
1021 rapide du monde n’existe qu’à un seul exemplaire. Et pendant qu’on le construisait, l’Amérique a produit quelques milliers
1022 produit quelques milliers d’appareils plus lourds et plus lents, qui n’ont d’autre avantage que de fonctionner sur toutes
1023 ence du génie français : il invente sans relâche, et cent fois plus que le génie américain ; mais aussitôt il généralise s
1024 son prototype ; c’est à ses yeux un stade atteint et dépassé, c’est comme si tous les avions de série étaient déjà faits ;
1025 étaient déjà faits ; il en est fatigué d’avance, et passe à l’invention suivante. Vue d’Amérique, l’Europe apparaît comme
1026 dardisée. C’est que l’Européen s’ennuie plus vite et supporte moins de s’ennuyer. Tandis que l’Américain se contente plus
1027 e qu’il les utilise vraiment, parce qu’il en vit, et qu’il ne spécule pas à leur sujet. Comment ils prennent la vie
1028 , son théâtre d’avant-guerre, ses romans à succès et ses produits d’exportation, humains ou commerciaux, le font passer po
1029 léger que l’air. Il a fallu le général de Gaulle et les récits de la Résistance pour que certains Américains pressentent
1030 in du type dynamique, alors qu’il est en réalité, et neuf fois sur dix, bien plus près du Méridional par son goût de l’exa
1031 rin serait bien épaté — son humeur communicative, et son insouciance lyrique. Ses chansons déchirantes de sentimentalisme
1032 style emprunté aux nègres. Mais sa vie amoureuse et sexuelle me paraît fort peu romantique. On compare les salaires en to
1033 ande à Le Corbusier de bâtir des églises en verre et en ciment : je me souviens du temple protestant de Drancy, et de ving
1034  : je me souviens du temple protestant de Drancy, et de vingt églises en style aérodynamique construites par les Allemands
1035 ement jusqu’à construire le chœur en style roman, et la nef en style ogival ; jusqu’à reproduire les tours non terminées d
1036 tours non terminées des cathédrales européennes. Et les résidences luxueuses de la campagne ou de la ville sont régulière
1037 s ont infiniment plus d’originalité, de diversité et d’élégance, que les maisons bourgeoises en France. Quant aux gratte-c
1038 livre. Ce qu’il ne tolère pas, c’est le mensonge, et là précisément où le Français le considère comme allant de soi, j’ent
1039 ? » Vous pouvez répondre que vous êtes alcoolique et anarchiste, on vous laissera entrer. Mais si vous dites sous la foi d
1040 s sous la foi du serment, que vous ne l’êtes pas, et que votre vie plus tard prouve que vous l’êtes, l’amende ou la peine
1041 Voici le contraste le plus profond entre l’Ancien et le Nouveau Monde : leur manière de réagir à la souffrance. Prenons l’
1042 guerre. Le Français, élevé dans l’idée que dulce et decorum est pro patria mori, accepte de se faire tuer non point par f
1043 sans opinion.) Il pense qu’il faut ce qu’il faut, et qu’il faut cela, et que c’est ainsi depuis des siècles, et qu’on ne p
1044 nse qu’il faut ce qu’il faut, et qu’il faut cela, et que c’est ainsi depuis des siècles, et qu’on ne peut pas y échapper.
1045 faut cela, et que c’est ainsi depuis des siècles, et qu’on ne peut pas y échapper. L’Américain, bien au contraire, considè
1046 icain, bien au contraire, considère la souffrance et la mort comme des accidents insensés, que rien au monde ne peut rendr
1047 uns préfèrent les raisons de vivre à la vie même, et pour les autres, c’est l’inverse. Je compare et vous laisse juger. Ce
1048 , et pour les autres, c’est l’inverse. Je compare et vous laisse juger. Ce n’est pas simple. Et cela va peut-être choquer 
1049 ompare et vous laisse juger. Ce n’est pas simple. Et cela va peut-être choquer ? Que voulez-vous, j’ai deux amours. Or l’a
1050 Sous-titre manifestement oublié par la rédaction, et rajouté par nous sur la base du texte paru dans Vivre en Amérique (
27 1946, Articles divers (1941-1946). Réponse à l’enquête « Les travaux des écrivains » (24 août 1946)
1051 arus dans Carrefour , Le Figaro , Le Littéraire et le Journal de Genève . Chez Gallimard : mes Lettres sur la bombe at
1052 que , qui paraissent simultanément dans huit pays et en sept langues différentes. La Part du diable , dont deux versions
1053 rsions différentes parurent à New York en 1940 af et en 1944. Il s’agit, bien entendu, de la version définitive. Les Per
1054 Kierkegaard, Kafka, Luther, Gide, Ramuz, Claudel et les romantiques allemands. Enfin, Doctrine fabuleuse . J’y travaille
1055 ctrine fabuleuse . J’y travaille depuis vingt ans et voudrais la voir sortir pour mon quarantième anniversaire. D’autre pa
1056 ons d’ouvrages qui, à cause de leur faible tirage et des circonstances où ils parurent, sont restés pratiquement ignorés.
1057 norés. Chez Albin Michel, Penser avec les mains et le Journal d’un intellectuel en chômage . Aux Éditions « Je sers » :
1058 remière version de cet ouvrage est parue en 1942, et non en 1940.
28 1946, Articles divers (1941-1946). Mémoire de l’Europe (écrit en Amérique, en 1943) (août-septembre 1946)
1059 t si près, là-bas. J’étais baigné. J’étais fondé. Et je marchais parmi les signes. Sédiments séculaires, socles de nos pat
1060 s, mais qui renvoient l’écho familier de nos pas. Et ces rues qui tournaient doucement vers une place plantée d’arbres et
1061 rnaient doucement vers une place plantée d’arbres et déserte, aux rendez-vous manqués où je me retrouvais… « Je t’aime. J’
1062 . Le silence attendait, l’absence était profonde, et chaque être présent questionnait, répondait. La force était au secret
1063 — il était vieux déjà du temps de notre enfance, et notre possession la plus tenace, il nous réduisait au silence. La for
1064 blessé, ta vie s’en va !) La force était mémoire et allusion. Elle était ce vieil arbre tenace. Elle était la douceur et
1065 tait ce vieil arbre tenace. Elle était la douceur et la sagesse amère des adieux, ou la gaieté d’un mot dit en passant. El
1066 , parce qu’elle a su garder en vie tant de passé, et garder tant de morts dans la présence, elle ne cessera pas d’engendre
29 1946, Articles divers (1941-1946). En 1940, j’ai vu chanceler une civilisation : ce que l’on entendait sur le paquebot entre Lisbonne et New York (21 septembre 1946)
1067 que l’on entendait sur le paquebot entre Lisbonne et New York (21 septembre 1946)ag Lisbonne, 8 septembre 1940 Blanche
1068 bre 1946)ag Lisbonne, 8 septembre 1940 Blanche et bleue dans l’immense lumière de la liberté atlantique, avec tous ses
1069 berté atlantique, avec tous ses drapeaux claquant et ses rues débouchant sur le ciel, la ville aux sent collines renie la
1070 nt de tomber sur la tête : il se relève, se tâte, et ne sait pas encore où il a mal. Va-t-il vivre ? A-t-il rêvé ? Serait-
1071 Serait-il déjà mort ? J’ai vu l’Espagne de cendre et d’esprit, incapable de retrouver son équilibre entre le démoniaque et
1072 le de retrouver son équilibre entre le démoniaque et le surhumain. Et j’ai vu, aux frontières de la Suisse, l’invasion des
1073 on équilibre entre le démoniaque et le surhumain. Et j’ai vu, aux frontières de la Suisse, l’invasion des herbes sauvages
1074 es sauvages venant des terres abandonnées du Nord et que nos paysans s’efforcent d’arrêter avant qu’elles n’étouffent leur
1075 aniques dévastatrices du ve siècle de notre ère. Et je songe au bastion que mon pays élève, nuit et jour, autour du massi
1076 . Et je songe au bastion que mon pays élève, nuit et jour, autour du massif du Gothard, cœur mystérieux du continent, dern
1077 rniers barrages traversés, la passerelle relevée, et nos papiers enfin déposés chez le purser, nous n’avons plus devant no
1078 la frontière — à deux-cents mètres — du Portugal et de la liberté. Car tel est le sadisme policier. Nous venons de passer
1079 rs de voyage, sept contrôles différents de douane et de police. Secondés par la chance, nous n’y avons passé, si je compte
1080 e total normal est d’au moins 30, m’affirme-t-on, et les « accidents » sont fréquents. Paradoxe du siècle où tout est fait
1081 s de prouver son identité. Or plus il en proteste et moins il s’en assure. Plus il la chiffre et moins il la ressent. Et p
1082 teste et moins il s’en assure. Plus il la chiffre et moins il la ressent. Et plus il la démontre à coups de documents, moi
1083 ssure. Plus il la chiffre et moins il la ressent. Et plus il la démontre à coups de documents, moins il se reconnaît dans
1084 ilieu, de tout ce qui allait de soi autour de lui et l’assurait quotidiennement, inconsciemment, qu’il était bien réel et
1085 diennement, inconsciemment, qu’il était bien réel et bien lui-même… En mer, nuit du 12 au 13 septembre 1940 Les derniers b
1086 es noms en « Ex » : Exeter, Excalibur, Excambion. Et ils ne transportent, en effet, que des ex-quelque chose, ex-ministres
1087 l’ex ? Ni fugitif, ni juif, ni riche, ni détrôné, et ne pouvant me réclamer que d’une « mission de conférences » (prétexte
1088 pont cette nuit même. L’heure était fort tardive et propice aux aveux. V., ex-cagoulard, ayant raconté, non sans verve co
1089 ant raconté, non sans verve comment ses camarades et lui-même, avant la guerre, organisaient des dépôts de mitraillettes d
1090 t de la gauche, lui répondit avec un demi-sourire et sans retirer son mégot, que de l’autre côté on savait tout cela, et q
1091 n mégot, que de l’autre côté on savait tout cela, et qu’au surplus, on en faisait autant, avec des armes fournies par cert
1092 ufiler, R. s’extrait du groupe, me cède sa place, et je l’entends dire à sa femme qui attendait un peu en arrière : « Rien
1093 nous retournant, que nous avons entrevu l’ampleur et la rapidité des événements. Il a dit : « Rien de nouveau, rien d’impo
1094 5 avions allemands ont été abattus sur Londres. » Et c’est peut-être la nouvelle la plus importante de la guerre. Car tout
1095 ortante de la guerre. Car tout tient aux Anglais, et si ce bulletin dit vrai, les Anglais tiennent. L’autre jour à Lisbonn
1096  : l’une qui ne sait pas vaincre, mais qui gagne, et l’autre qui ne sait pas être vaincue, mais qui perd ? Les Allemands,
1097 ctorieux, se plaignent encore comme des victimes. Et les Anglais, même battus, se comportent en propriétaires de droit div
1098 nt de Paris, s’appuie au bastingage, près de moi, et me dit en crachant dans l’eau entre chaque phrase : « Il y a des gens
1099 pas à la nature américaine, à la voir la première et de si près, avant les gratte-ciel, la statue… Je n’ai jamais eu la se
1100 t accueillant. Tous ces arbres si riches, touffus et un peu fous ! Et ces maisons coloniales espacées, si intimes semble-t
1101 us ces arbres si riches, touffus et un peu fous ! Et ces maisons coloniales espacées, si intimes semble-t-il derrière leur
1102 imes semble-t-il derrière leurs grands portiques. Et comme on aime une terre qui s’approche, avec l’immense sécurité du co
1103 mbre de luxueuse tapisserie… La rivière s’élargit et se peuple de mâts. Au sommet d’une falaise qui fuit obliquement éclat
1104 fuit obliquement éclate une longue façade claire et neuve : la première rue américaine ! Nous approchons. Tournant la têt
1105 Figaro littéraire, Paris, 21 septembre 1946, p. 1 et 4.