1 1941, Articles divers (1941-1946). Reynold et l’avenir de la Suisse (1941)
1 l’avenir de la Suisse (1941)a Le grand service que nous aura rendu l’auteur de Conscience de la Suisse, c’est d’avoir os
2 core su prendre le tempo de ce xxe siècle. C’est que nous sommes devenus un peuple de bourgeois. L’ère de la bourgeoisie,
3 ns une existence condamnée ailleurs par des faits que je n’ai pas à rappeler. La faiblesse du bourgeois réside dans son ref
4 raduit un seul et même refus de voir le monde tel qu’ il est : pécheur et racheté, condamné et sauvé. Qui ne croit pas en Di
5 regarder en plein visage — ce qui nous ruine. Non qu’ il soit pessimiste par tempérament — ce n’est pas l’impression qu’il d
6 miste par tempérament — ce n’est pas l’impression qu’ il donne, pas du tout — mais il est simplement lucide. Il a su voir pl
7 il est simplement lucide. Il a su voir plus loin que le bout de la Suisse. Il a su voir l’Europe en pleine révolution. Il
8 lution. Il a montré l’un des premiers, chez nous, que la vraie fin, même inconsciente de l’étatisme disciplinaire, dépourvu
9 inaire, dépourvu d’idéal directeur, n’était autre que la mise au pas du pays, sa mise en marche vers le nihilisme — ou l’an
10 tional-socialisme. » Certes, on peut lui répondre que faire du nationalisme, c’est faire l’autre moitié de ce tout. Mais en
11 moitié de ce tout. Mais enfin, l’important c’est que chacun commence par dire la vérité dans son patois, et celui de Reyno
12 hez nous. S’ils veulent rester eux-mêmes, il faut que leurs diversités se fédèrent au service du pays. Quand le temps press
2 1941, Articles divers (1941-1946). Trois paraboles (1er octobre 1941)
13 its pour y rêver, mille pour y souffrir, il n’y a qu’ un Amant : tu t’égares, il s’enfuit. — « En vérité, vous vous cherchie
14 écoute, la voix venait du parc ? — Es-tu bien sûr que c’était une voix ? Ils y couraient. La nuit pleuvait dans les futaies
15 la porte démolie, là où les murs ne cachent plus que les abords désertiques de la ville, ils se sont vus ! Le jour naît da
16 terne, il était triste et présomptueux. À mesure qu’ avec les années, il se persuadait que sa pierre était bonne, étant bie
17 ux. À mesure qu’avec les années, il se persuadait que sa pierre était bonne, étant bien celle de ses vœux, la pierre se mit
18 maintenant, ma pierre, luis de ton propre éclat ! Qu’ une fois au moins je te contemple en mon repos. Elle s’éteignit. Il la
19 iste, elle était consolante. Mais c’était l’autre qu’ il prenait alors entre ses mains, la pierre du vœu triste et présomptu
20 pour voir si par hasard elle était là. Vous savez que c’est compliqué, ce bâtiment. Des couloirs et des escaliers partout,
21 oir. J’arrive à la salle de lecture. Il n’y avait que des feuilles de papier blanc sur les tables, et tout le monde lisait.
22 lub : Ni Questions Ni Réponses. Je ne savais plus que dire, parce que j’avais une chose à dire. D’ailleurs, même si je n’av
23 chose à dire. D’ailleurs, même si je n’avais dit que  : Fine day to day, c’eût été une sorte de question ou de réponse. Je
24 é une sorte de question ou de réponse. Je pensais que le mieux serait de m’en aller sans bruit. Mais vous connaissez ces co
25 erais sorti comme j’étais entré. Mais le fait est que je pensais à sortir, et par la bonne porte. Voilà la faute. L’inévita
26 s ; je ne trouvais pas son regard, il me semblait que ce regard fuyait très loin dans ses yeux et me rejoignait par-derrièr
27 suis là, dit-elle. (Je tenais sa main. Je sentis qu’ elle avait de la fièvre.) Je suis là parce que tu es venu, tout simple
28 délire et j’ai cette balle dans le cœur. Et voici que maintenant, je ne puis plus poser de questions. Car si vous me dites
29 uis plus poser de questions. Car si vous me dites que c’est une vraie balle que j’ai dans le cœur, il est évident que je su
30 s. Car si vous me dites que c’est une vraie balle que j’ai dans le cœur, il est évident que je suis mort. Et si vous me dit
31 vraie balle que j’ai dans le cœur, il est évident que je suis mort. Et si vous me dites que la balle n’est pas plus réelle
32 est évident que je suis mort. Et si vous me dites que la balle n’est pas plus réelle que ce qui s’est passé dans la maison,
33 vous me dites que la balle n’est pas plus réelle que ce qui s’est passé dans la maison, vous supprimez à la fois toutes le
3 1942, Articles divers (1941-1946). La leçon de l’armée suisse (4 mars 1942)
34 si nous vous attaquions avec un million d’hommes, que feriez-vous ? » — « Chacun de nous tirerait deux fois », répondit cal
35 es et les institutions ne sont plus démocratiques qu’ en Suisse, et nulle part l’armée n’est plus populaire et ne fait aussi
36 laire et ne fait aussi partie de la vie nationale qu’ en Suisse. Depuis que les communes suisses se libérèrent pour la premi
37 i partie de la vie nationale qu’en Suisse. Depuis que les communes suisses se libérèrent pour la première fois de la domina
38 unitions et son équipement militaire. C’est ainsi qu’ on peut souvent voir un paysan, assis sur le seuil de sa porte, poliss
39 t son fusil après le tir du dimanche, — spectacle que vous ne verrez nulle part ailleurs dans le monde. Cette habitude remo
40 de ses propres armes, montre d’une façon concrète que l’État lui fait confiance. Imaginez ce qui arriverait dans certains É
41 ier le fils de son patron. Pendant les trois mois que dure l’entraînement, on a le temps de reconnaître la valeur réelle et
42 civile, bronzés, endurcis et chargés d’expérience que la vie paisible des villes ou des villages ne leur aurait pas donné e
43 toujours où ses hommes habitent. L’habitude veut qu’ ils lui envoient leurs bons vœux de Nouvel An, auxquels il répond touj
44 ement de l’armée en Suisse a prévu dès 1930 déjà, que la prochaine guerre ne serait pas une guerre de « fronts », et qu’une
45 guerre ne serait pas une guerre de « fronts », et qu’ une défense en profondeur devait être organisée, constituée par des « 
46 ance locale et soigneusement équipés. C’est ainsi que les Suisses retournent à leur ancienne tradition de faire la guerre.
47 ilomètres de leurs propres maisons. Ils savent ce qu’ ils défendent. Il n’est pas besoin de leur faire des discours. L’un de
48 aper le clair reflet d’une robe d’été et imaginer qu’ il reconnaissait ses enfants. De telles choses comptent dans la guerre
49 itzkrieg » est d’empêcher la mobilisation du pays que l’on veut envahir. Les partenaires de l’Axe peuvent devenir les maîtr
50 isée depuis 1939 et les distances sont si petites que les troupes peuvent être déplacées sans l’aide des voies ferrées. La
51 n Suisse ? Il y a autant de centres de résistance qu’ il y a de cantons ou de villes, autant de bases de défense qu’il y a d
52 cantons ou de villes, autant de bases de défense qu’ il y a de défilés et de montagnes. Chaque village de la Suisse est dev
53 1940 uniquement parce que ses voisins comprirent que ce serait un « morceau dur à avaler », et parce qu’il était celui qui
54 a des valeurs morales. Il y a l’idée fédéraliste que nous devons conserver comme un héritage à nos descendants. Voilà pour
4 1943, Articles divers (1941-1946). Angérone (mars 1943)
55 par moments une espèce d’émotion ou de gêne, non qu’ il soit dit ni même décrit par allusions ou par symboles, mais sa prés
56 dit de l’amour même, mais rien non plus n’est dit que par l’amour, si toutefois quelque chose est vraiment dite. La Fable n
57 vraiment dite. La Fable nous apprend à sa manière que l’amour est le lieu d’un mutisme sacré. Angérone, déesse du Silence :
58 sme sacré. Angérone, déesse du Silence : on croit qu’ elle avait sa statue dans le temple de la Volupté. Et certains pensent
59 dans le temple de la Volupté. Et certains pensent qu’ elle est la même que la déesse Volupie. Promenons-nous aux alentours d
60 Volupté. Et certains pensent qu’elle est la même que la déesse Volupie. Promenons-nous aux alentours de ce colloque. La V
61 me. Quand le désir s’empare d’un homme, il arrive qu’ il le rende muet. Il arrive même que le désir se manifeste tout d’abor
62 me, il arrive qu’il le rende muet. Il arrive même que le désir se manifeste tout d’abord par ce mutisme. À tel point que l’
63 anifeste tout d’abord par ce mutisme. À tel point que l’homme ne retrouvera l’usage de la parole qu’avec le « terme » où l’
64 nt que l’homme ne retrouvera l’usage de la parole qu’ avec le « terme » où l’esprit se libère. La volupté serait un phénomèn
65 a conquête chez l’un, par l’abandon chez l’autre. Que cette hypnose soit en quelque mesure — celle de l’esprit — indépendan
66 e l’esprit — indépendante de l’instinct, c’est ce qu’ induisent à supposer les deux observations suivantes : l’extrême conce
67 la volupté. L’homme du désir : il ne peut aimer qu’ indéfiniment. Il n’aime que cela : regarder longtemps en silence, se p
68 sir : il ne peut aimer qu’indéfiniment. Il n’aime que cela : regarder longtemps en silence, se perdre dans des yeux. (Certa
69 ge. Le jugement peut rester libre, mais il semble que l’âme s’extériorise et tombe sans fin dans le regard unique. Durant c
70 ence : il éloigne sans fin le terme. Tu n’entends que ce qui s’interrompt. Tu ne sais rien que tu ne perdes. Car ce n’est p
71 ’entends que ce qui s’interrompt. Tu ne sais rien que tu ne perdes. Car ce n’est pas le savoir que tu veux, mais la divine
72 rien que tu ne perdes. Car ce n’est pas le savoir que tu veux, mais la divine connaissance du présent. Or cette connaissanc
73 nous environne. Ceux qui n’aiment point la femme qu’ ils viennent de posséder, leur silence meurt à cette minute du plaisir
74 ’est dans l’accomplissement du plus violent amour qu’ il nous est accordé de concevoir un absolu, mais sous la forme de l’in
75 erait à l’Infini. Se fondre en un seul être, mais que cet être accède ensuite au commerce de ses semblables, qu’à son tour
76 tre accède ensuite au commerce de ses semblables, qu’ à son tour il les aime, les possède ! Ainsi par une suite de vertiges,
77 reinte, n’est-ce point le souvenir du seul désert que désormais nous chercherons ? Au terme de la fuite, nous ne toucherons
78 ? Au terme de la fuite, nous ne toucherons jamais qu’ un impossible fascinant. Et nous vivrons dès lors dans le vertige de n
79 détruire au contact de cet infini, plus puissant que la joie et la douleur. Dans le vertige de revenir toucher cet absolu,
80 i seul qui l’éprouve jusqu’à l’épouvante : l’être que nous formons au sommet de l’amour, et qui meurt à l’instant où il naî
81 mour, dirait-on, change de signe. On voit soudain que le désir était le dialogue des corps, tandis que le plaisir est solit
82 ité des vies au jour. Nous sommes deux. Il n’y a que deux philosophies : celle du désir et celle de l’acte ; ou encore, il
83 du désir et celle de l’acte ; ou encore, il n’y a que deux doctrines : celle du silence et celle de la parole. La négation
84 ne physique, originel, de l’infinie contradiction que nous souffrons. Le désir divinise, l’acte rend à l’humain. L’amour rê
5 1943, Articles divers (1941-1946). La gloire (mars 1943)
85 attendre, et pourtant l’on demeure surpris. C’est que tout, dans ses livres, — surtout les plus sincères — semblait exclure
86 us sincères — semblait exclure les préoccupations que trahit son journal intime. Peut-être le secret d’une différence aussi
87 use est-il caché dans les passages de ces cahiers que nous allons transcrire ici. De ces fragments de dates diverses, l’on
88 us entre un auteur et ses lecteurs. Or il se peut que ce soit l’attitude de la plupart des écrivains modernes.) J’ai vécu
89 ai vécu pour la gloire — dit le prince André — et qu’ est-ce que la gloire, si ce n’est aussi l’amour du prochain, le désir
90 ur la gloire — dit le prince André — et qu’est-ce que la gloire, si ce n’est aussi l’amour du prochain, le désir de lui êtr
91 existence est perdue, perdue sans retour ; depuis que je vis pour moi, je vis pour moi, je suis plus calme… Les autres, c’e
92 rochain, le sais-tu, ce sont les paysans de Kiew, que tu rêves de combler de bienfaits. (Tolstoï, La Guerre et la Paix.) C
93 mauvaise humeur. En la copiant, je n’y vois plus que sophismes. Non, la gloire, ce n’est pas l’amour mais au contraire le
94 é n’a pas trouvé de prochains, car il n’a cherché qu’ un public. C’est le public qui donne la gloire à celui qui le méprise
95 t n’en demandait point. Aussi ne pense-t-elle pas qu’ elle a « perdu sa vie ». Liszt à la fin d’un concert triomphal, s’incl
96 teur du public, cela va sans dire. » C’est à cela qu’ on donne la gloire. Et ceux qui ne la briguent point risquent fort de
97 antipathiques. Jamais la foule n’a jugé ridicule que l’on affiche un amour de la gloire même excessif pour le talent qu’on
98 n amour de la gloire même excessif pour le talent qu’ on a. La foule ne tient pour glorieux que ceux qui prennent le soin de
99 e talent qu’on a. La foule ne tient pour glorieux que ceux qui prennent le soin de parler de leur gloire. Chateaubriand eut
100 ent sur le talent, changé du tout, n’entraîne pas que l’on change le jugement sur la gloire. La gloire est donc un mythe :
101 a gloire. La gloire est donc un mythe : j’entends que son pouvoir et sa grandeur ne dépendent d’aucune raison, et paraissen
102 ler à ce jeu-là. Je me sentirais dépossédé. C’est que je veux être aimé pour moi-même, tel que je suis et non point tel que
103 é. C’est que je veux être aimé pour moi-même, tel que je suis et non point tel que me désire leur goût sentimental de « l’A
104 é pour moi-même, tel que je suis et non point tel que me désire leur goût sentimental de « l’Art ». Mais comme tout se comp
105 et se retourne ! Celui qui veut la gloire, est-ce qu’ il manquerait d’orgueil ? Serait-il plus humble que moi ? Et l’orgueil
106 u’il manquerait d’orgueil ? Serait-il plus humble que moi ? Et l’orgueilleux que je suis, ne donne-t-il pas une preuve d’am
107 Serait-il plus humble que moi ? Et l’orgueilleux que je suis, ne donne-t-il pas une preuve d’amour à son audience en exige
108 e vous aime, puisque je vous veux moins vulgaires que vous n’êtes. Celui qui ne veut pas la gloire telle que la donne une f
109 ous n’êtes. Celui qui ne veut pas la gloire telle que la donne une foule à qui la flatte, n’est-ce pas qu’il veut la gloire
110 la donne une foule à qui la flatte, n’est-ce pas qu’ il veut la gloire telle que lui seul serait capable de se la décerner 
111 a flatte, n’est-ce pas qu’il veut la gloire telle que lui seul serait capable de se la décerner ? L’idée moderne de la glo
112 x est celui qui s’affirme en différant, bien plus qu’ en excellant. C’est donc l’individu qui se distingue, — n’importe où.
113 loire n’a plus souci ni même conscience du voisin qu’ il pourrait aider (c’est le prochain), mais seulement du voisin qu’il
114 der (c’est le prochain), mais seulement du voisin qu’ il peut utiliser. Il cherche des admirateurs, des confirmateurs de son
115 admirateurs, des confirmateurs de son être. C’est que l’acte de s’écarter d’une communion ou d’une communauté, écarte aussi
116 ur éclat. Ils donnent et ne demandent rien. Et ce qu’ ils donnent fait toute la renommée du peuple. (Aujourd’hui c’est l’inv
117 renommée du peuple. (Aujourd’hui c’est l’inverse qu’ on observe ; c’est ce que donne la foule qui fait la gloire d’un homme
118 ourd’hui c’est l’inverse qu’on observe ; c’est ce que donne la foule qui fait la gloire d’un homme.) La gloire antique étai
119 le, comme le don. Alexandre exemplaire, plus beau que tous, plus fort et plus heureux que tous, n’était pas séparé mais au
120 re, plus beau que tous, plus fort et plus heureux que tous, n’était pas séparé mais au sommet. Sa gloire était dans son des
121 dans son destin, gagée par une mesure universelle que ses actions comblaient exactement. Mais notre gloire ne saurait être
122  ; c’est là, non pas dans la beauté de son œuvre, que s’est constituée sa gloire.) Et cependant, je me suis surpris à désir
123 e m’ennuierait pas. Non point la leur, mais celle que je pourrais rejoindre, telle que je la connais depuis toujours, moi s
124 leur, mais celle que je pourrais rejoindre, telle que je la connais depuis toujours, moi seul. Un dieu n’a pas besoin d’ado
125 n là le privilège d’un dieu. Et la vraie gloire. Qu’ est-ce que l’incognito ? Il y a là quelqu’un qui a de la valeur ; on n
126 ivilège d’un dieu. Et la vraie gloire. Qu’est-ce que l’incognito ? Il y a là quelqu’un qui a de la valeur ; on ne le sait
127 x ne vaut rien pour la gloire. Il ne peut aboutir qu’ au succès. Il reste sous l’empire de la comparaison. Beaucoup d’homme
128 a comparaison. Beaucoup d’hommes n’imaginent pas qu’ on puisse avouer sa vanité, ou bien ils croient que ce serait naïf ; e
129 u’on puisse avouer sa vanité, ou bien ils croient que ce serait naïf ; et si l’on avoue son orgueil, ils croient que c’est
130 naïf ; et si l’on avoue son orgueil, ils croient que c’est par vanité. Je suis homme : donc vaniteux, naïf, retors, orguei
131 vanité étant assurément d’essayer de faire croire qu’ on n’en a point. Si l’on condamne sa propre vanité, le mieux pour s’en
132 . Comme un menteur qui dirait : « Je vous avertis que je vais mentir, pour telle et telle raison aisément vérifiable. » Ce
133 Je ne veux pas la gloire pour vous éblouir, vous que j’aime et qui me connaissez. Vous savez ce que je suis, et si vous ap
134 us que j’aime et qui me connaissez. Vous savez ce que je suis, et si vous appreniez un jour que j’ai de la gloire, que saur
135 avez ce que je suis, et si vous appreniez un jour que j’ai de la gloire, que sauriez-vous alors d’essentiel que dès mainten
136 si vous appreniez un jour que j’ai de la gloire, que sauriez-vous alors d’essentiel que dès maintenant vous ne sachiez ? O
137 de la gloire, que sauriez-vous alors d’essentiel que dès maintenant vous ne sachiez ? Ou c’est que vous vous tromperiez, c
138 iel que dès maintenant vous ne sachiez ? Ou c’est que vous vous tromperiez, croyant par d’autres ce que vous ne croyez poin
139 que vous vous tromperiez, croyant par d’autres ce que vous ne croyez point par vous-mêmes — et je ne veux pas l’erreur. Ou
140 rtes — mais non comme une erreur —, je veux cela. Qu’ est-ce donc que « gloire », dont la prononciation, pour peu d’emphase
141 comme une erreur —, je veux cela. Qu’est-ce donc que « gloire », dont la prononciation, pour peu d’emphase que j’y prête,
142 oire », dont la prononciation, pour peu d’emphase que j’y prête, me fait venir les larmes aux yeux ? Gloire et lumière, glo
143 a résolution fondamentale — quel est ce seuil, et que nous ouvrent, sur quel ciel, les symphonies ? Je n’ose pas dire que j
144 sur quel ciel, les symphonies ? Je n’ose pas dire que je veux être Dieu. Ce serait là, pourtant, ma vérité, la vérité de mo
145 vérité, la vérité de mon mensonge. Est-ce à cause que mon nom est : mensonge, que je voudrais la gloire et ne sais pas pour
146 songe. Est-ce à cause que mon nom est : mensonge, que je voudrais la gloire et ne sais pas pourquoi ? Ou n’ose pas savoir p
147 s pas pourquoi ? Ou n’ose pas savoir pourquoi… Ce que je n’ose pas savoir est angoisse. Angoisse est le nom du secret que j
148 avoir est angoisse. Angoisse est le nom du secret que je sers sans oser le servir, parce que je sais que son nom est menson
149 ue je sers sans oser le servir, parce que je sais que son nom est mensonge, et que c’est moi qui ne suis rien. Ainsi Dieu e
150 r, parce que je sais que son nom est mensonge, et que c’est moi qui ne suis rien. Ainsi Dieu est mon adversaire. C’est lui
151 qui me sauve malgré moi de mon triomphe. Il n’y a qu’ un seul Dieu, celui qui dit Je suis. Ce sera Dieu, ou ce sera moi. Si
6 1943, Articles divers (1941-1946). Rhétorique américaine (juin-juillet 1943)
152 ici, qui va de soi. Parmi la douzaine de bouquins que j’ai pu emporter de Paris, il y avait le Journal d’André Gide. Chaque
153 relis quelques pages, je suis frappé par le souci qu’ y montre Gide d’une écriture durable et d’une œuvre d’avenir. Il n’acc
154 avenir. Il n’accepte de rompre avec une tradition que pour en fonder une nouvelle, qui se révélera sans doute conforme à la
155 e, en Amérique, mais d’abord pour qu’il frappe et qu’ il agisse, au maximum, dans le plus court délai. Signe de santé d’une
156 e et de composition. La rhétorique française veut qu’ un discours, un essai ou un simple article, soient introduits par quel
157 use » condensant et généralisant des observations que l’on néglige de rapporter en détail. Au séminaire de Short Stories (h
158 ntra dans la banque. » Mais décrivez la sensation qu’ il éprouve au moment où ses semelles-crêpe marquent d’une empreinte po
159 nt. Et d’une idée l’on ne demandera pas seulement qu’ elle soit juste, mais qu’elle soit inspiring, stimulante. Tout cela do
160 demandera pas seulement qu’elle soit juste, mais qu’ elle soit inspiring, stimulante. Tout cela donne une littérature plus
161 ulante. Tout cela donne une littérature plus apte qu’ aucune autre à l’expression du dynamisme aventureux de notre siècle. E
162 lons entrer ? Je n’en sais rien. Mais je suis sûr que l’écrivain français et l’écrivain américain ont beaucoup à apprendre
163 s entre ces deux principes de toute civilisation, que polarisent nos deux littératures : tradition et actualité, mise en or
7 1943, Articles divers (1941-1946). Mémoire de l’Europe : Fragments d’un Journal des Mauvais Temps (septembre 1943)
164 pe du sentiment, patrie de nostalgie de tous ceux qu’ a touchés le romantisme — encore un paradis perdu ! Mais les vrais par
165 très loin dans le passé, dans la légende, si loin que nul, en vérité, ne l’avait vu. Mais déjà, pour beaucoup d’entre nous,
166 -guerre, les souvenirs de notre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’un coup, est encore plus proche : c’est l’an p
167 semaines pourrons-nous goûter ce répit, et sentir que nous prolongeons une existence que nos fils appelleront douceur de vi
168 pit, et sentir que nous prolongeons une existence que nos fils appelleront douceur de vivre ? Déjà nous éprouvons que le mo
169 ppelleront douceur de vivre ? Déjà nous éprouvons que le monde a glissé dans une ère étrange et brutale, où ces formes de v
170 ôtres ne peuvent plus apprivoiser le destin. Soit que les tyrans nous accablent, soit qu’un sursaut nous dresse à résister,
171 destin. Soit que les tyrans nous accablent, soit qu’ un sursaut nous dresse à résister, il faudra changer le rythme et rect
172 elles sévissent, mais aussi bien chez les voisins qu’ elles secouent d’un défi grossier. La liberté ne peut survivre à de te
173 racle. Elle est encore une œuvre d’art qui n’agit que par l’atmosphère, par le charme qu’elle fait régner. Des lois adroite
174 rt qui n’agit que par l’atmosphère, par le charme qu’ elle fait régner. Des lois adroites et humaines ne suffiront jamais à
175 iance, presque d’une insouciance… C’est tout cela que vient de mettre en question l’usurpateur du Hradschin. Et dès lors qu
176 dschin. Et dès lors qu’il l’a mis en question, et qu’ il nous force au réalisme à sa manière, le charme est détruit dans nos
177 les délices d’un rêve inachevé. Mais il sait bien que c’est fini. Brève dispense, le temps d’un peu se souvenir… Il faut se
178 e droit d’aimer, cette bonté humaine plus inutile que jamais, dominatrice et bafouée. II. — Le dernier printemps de la p
179 En Suisse, 2 mai 1939 Combien oseraient avouer que cette menace leur rend enfin le goût de vivre ? Privilégiés qui n’épr
180 ilégiés qui n’éprouvent de désir pour leurs biens qu’ à la veille de les perdre. Déshérités aussi, qui ne re­trouvent l’espo
181 re. Déshérités aussi, qui ne re­trouvent l’espoir qu’ au seuil des catastrophes générales. Et j’en connais qui ne parviennen
182 moteur prend son régime normal à tant à l’heure) que dans le drame et le bouleversement des habitudes où l’énergie s’enlis
183 est capable est si profond, peut-être si normal, que j’en viens à me demander si toutes nos crises ne seraient pas machiné
184 vouer parce que je suis un écrivain, Il est admis que ces gens-là ont le droit de dire — pour le soulagement général — ce q
185 e la rue de cynisme ou de lâcheté. Faut-il penser qu’ ils sont plus courageux ? Mais non. Ils sont tout seuls devant leur pa
186 des êtres et des drames dont la vérité n’apparaît que dans cet environnement de lueurs fuyantes, d’activités apparemment dé
187 sant les lieux publics avec cette grande Question qu’ il porte dans son être, et qui est aussi la grande réponse ; et les dé
188 pparences l’être tou­chant, bizarre ou monstrueux que chacun de nous dissimule. Alors, on verrait le réel, alors on cessera
189 vers la catastrophe. Il n’est plus d’autre issue que la nuit, mais viendra-t-elle après ma mort ou avec elle ? Si c’est av
190 er, où rester, où demeurer quand tout s’en va, et que penser si je ne puis — rien dire ou faire qui s’accorde à ces temps ?
191 des pays libres, hier encore presque aussi vaste que la terre, se rétrécit de jour en jour et d’heure en heure, à chaque f
192 , ce serait un retour du passé. Vaudrait-il mieux qu’ alors ? Saurions-nous mieux le vivre, augmenté du souvenir de sa perte
193 le passé ne reviendra jamais, ce bon vieux temps que je sentais présent — un an déjà ! comme dans les chansons — même si l
194 e l’ampleur et de la rapidité des bouleversements qu’ ils vivaient. Aux mois de mai et de juin 1940, on entendait répéter co
195 n frappée au cœur, je l’ai vue chanceler, je sais qu’ elle peut mourir. J’ai vu la France, comme un homme qui vient de tombe
196 auvages venant des terres abandonnées du Nord, et que nos paysans s’efforcent d’arrêter avant qu’elles n’étouffent leurs ch
197 u ve siècle de notre ère. Et je songe au bastion que mon pays élève autour du massif du Gothard, invincible et désert, cœu
198 nier symbole d’une liberté qui ne peut plus vivre que sous la cuirasse. Hâtons-nous, car tout peut périr. Nous qui sommes e
199 oitures branlantes qui semblent ne pouvoir rouler que sur les routes écartées, d’une ferme au marché le plus proche. Nulle
200 rète, si pacifique et séculaire. Ce pays-là n’est qu’ amitié des tons et des lignes humaines, humilité sous la douceur du ci
201 et doux, le goudron de la route sentait plus fort que les champs de roses, et des nuages noirs traînaient sur les vergers.
202 s traînaient sur les vergers. J’ai su, plus tard, que ce jour-là, j’avais fait mes adieux à la France. VII. — Mémoire de
203 I. — Mémoire de l’Europe 1943 Je ne savais pas que tout était si près là-bas. J’étais baigné. J’étais fondé. Et je march
204 nts séculaires, socles de nos patries ! Monuments que l’on ne voit plus, mais qui renvoient l’écho familier de nos pas. Et
205 force devient visible, c’est comme le sang, c’est que tu es blessé, ta vie s’en va). La force était mémoire et allusion, el
8 1944, Articles divers (1941-1946). Un peuple se révèle dans le malheur (février 1944)
206 nt pas voyagé en France, ou ceux qui n’avaient vu que les lieux de plaisir de la capitale, connaissaient et jugeaient la Fr
207 t Français devait ressembler aux types d’humanité que représentaient dans le monde les acteurs à succès, les écrivains célè
208 e à Paris ou en province, ne nous montrent encore que le peuple de France, pour la première fois. Le peuple anonyme, le peu
209 ls essuyaient une larme, et rien de plus français que cette pudeur. Quant aux Américains, ils exultaient de confiance, en c
210 a « Marseillaise » finale. On peut penser tout ce que l’on veut de ces films, du pire au bien ; j’en retiens pour ma part q
211 ilms, du pire au bien ; j’en retiens pour ma part qu’ ils nous présentent enfin le petit peuple français comme le grand héro
212 l’étranger s’aperçoit d’une vérité aussi vieille que l’Europe mais constamment méconnue ou niée, et souvent par la faute d
213 n-disant, bon vivant et léger. Il n’est tout cela qu’ en second lieu, et comme par luxe. Dans le fond et d’abord, il est sér
214 xe. Dans le fond et d’abord, il est sérieux, plus qu’ aucun autre peuple dont j’aie vécu la vie. Seulement, il est sérieux s
215 érant affecter la blague et le scepticisme plutôt que de paraître exagérer sa peine. Car il pense d’instinct, comme Talleyr
216 peine. Car il pense d’instinct, comme Talleyrand, que « ce qui est exagéré n’est pas sérieux ». Ce qui me frappe le plus, d
217 rieux ». Ce qui me frappe le plus, dans les films que je citais, et dans les témoignages directs venus de France sur la lut
218 ations de la Brute. On avait dit aux jeunes nazis qu’ ils allaient conquérir un pays de bavards, de coquettes et de politici
219 ugement précis et humain, bien plus insupportable que tous les cris de haines. Ils ne savaient pas cela, les jeunes Alleman
220 ils continuent, mais ils se savent battus. Depuis qu’ ils ont rencontré ce regard… k. Rougemont Denis de, « Un peuple se
9 1944, Articles divers (1941-1946). Ars prophetica, ou D’un langage qui ne veut pas être clair (hiver 1944)
221 tale6, je les aime bien… Enfin il n’est pas exact que je les aime bien. Ils m’irritent et m’agacent. Mais je ne les oublie
222 s offenses est la plus sûre. Il me semble parfois qu’ il n’est pas de louange préférable à celle-ci qu’on me fasse grief de
223 qu’il n’est pas de louange préférable à celle-ci qu’ on me fasse grief de mes écrits. J’y voudrais voir la preuve d’une cer
224 y voudrais voir la preuve d’une certaine grièveté qu’ ils présentent, comme cela se dit d’une blessure… Le critique. Oui, o
225 de ma critique… Ce qui me gênait, je crois, c’est qu’ à mon sens vous n’êtes pas encore assez clair. L’auteur. Et pourquoi
226 vous prie, être clair ? Vous n’allez pas me dire que c’est la bonne manière de se faire comprendre ? Le critique. On voud
227 e comprendre ? Le critique. On voudrait être sûr que vous vous comprenez assez. L’auteur. Assez pour quoi ? C. Assez pou
228 ages, vous changez de ton et l’on voudrait savoir que vous le savez… Il me semble que vous manquez de méchanceté pour vos i
229 n voudrait savoir que vous le savez… Il me semble que vous manquez de méchanceté pour vos idées. Elles vous séduisent de lo
230 composer les entrées. Il faudrait nous persuader que vos goûts sont bien des raisons, et que ces raisons sont les nôtres.
231 persuader que vos goûts sont bien des raisons, et que ces raisons sont les nôtres. Ou bien vous faites de la poésie, et alo
232 vous nous parlez d’idées, et dans ce cas, il faut que nous pensions à chaque instant : « j’allais le dire ! » Mais ne mêlez
233 on soupçonnera quelque tricherie. A. Voulez-vous que nous parlions de la clarté ? Je crois deviner que cela nous ramènera
234 que nous parlions de la clarté ? Je crois deviner que cela nous ramènera dans les environs du sujet de mes deux précédents
235 ité ? A. C’est justement ce parti pris de clarté que je voudrais proposer maintenant à votre réflexion méfiante. Si vous l
236 e de défendre mon propre point de vue. Il se peut que cette maladresse m’en apprenne davantage qu’une feinte aimable. Au re
237 peut que cette maladresse m’en apprenne davantage qu’ une feinte aimable. Au reste nous sommes entre nous et vous n’abuserez
238 D’autant qu’ils seront probablement exagérés. C. Que de précautions ! Vous êtes en train d’imiter ce héros de je ne sais q
239 qui feint de feindre afin de mieux dissimuler. —  Qu’ est-ce qu’être clair, à votre avis ? A. Dès que l’on pose cette quest
240 de feindre afin de mieux dissimuler. — Qu’est-ce qu’ être clair, à votre avis ? A. Dès que l’on pose cette question, il me
241 A. Dès que l’on pose cette question, il me semble qu’ on se voit condamné à des réponses ou plates ou mystérieuses. Ne serai
242 onses ou plates ou mystérieuses. Ne serait-ce pas que la clarté n’est qu’une convention de langage ? J’entends : un mot de
243 ystérieuses. Ne serait-ce pas que la clarté n’est qu’ une convention de langage ? J’entends : un mot de passe de la tribu, o
244 aranti par l’usage… C. Hé quoi ! vous savez bien que tout notre langage est un système conventionnel ! A. Notre langage c
245 ncevoir ni respecter d’autre nécessité en général que celle qu’impose la fin de toute pensée. C. Restons, si vous le voule
246 respecter d’autre nécessité en général que celle qu’ impose la fin de toute pensée. C. Restons, si vous le voulez, sur le
247 Car le Discours de la méthode ne définit en somme qu’ une méthode du discours. La fin dernière d’un discours n’est autre que
248 scours. La fin dernière d’un discours n’est autre que la cohérence, la vérité elle-même s’y trouvant ordonnée à la logique
249 de fin qui lui soit transcendante. Il part de ce qu’ il suppose clair et facile, et sa marche est une déduction. La convent
250 ne déduction. La convention d’un tel langage, est que tout est donné au départ, et qu’il s’agit de ne rien introduire dans
251 tel langage, est que tout est donné au départ, et qu’ il s’agit de ne rien introduire dans la chaîne des arguments qui n’ait
252 d’une convention aussi commode. C. Il me semble qu’ il faut y voir une garantie contre les illusions de la rhétorique flam
253 ienter d’une allure aussi scrupuleuse, mais c’est qu’ il a le goût de se tromper et de tromper. A. Pour moi, je crains une
254 ation d’une raison sans parti pris à ce monde tel qu’ il est donné, n’a-t-elle pas pour effet immédiat de multiplier le myst
255 re-pensée. C’est sans doute une « arrière-image » qu’ il faudrait dire. C. Ne serait-il pas trop cartésien de vous demander
256 ns, chimistes et mathématiciens, pour formuler ce qu’ ils appellent des lois. Bien. Mais comment obtiennent-ils ces formules
257 et voilà qui est remarquable, il est sous-entendu qu’ elles correspondent au langage du sens commun, aux images que pourrait
258 rrespondent au langage du sens commun, aux images que pourrait se former du phénomène un observateur non savant. Maintenant
259 es propriétés de la matière. Et ce discours n’est qu’ un certain système d’images. S’il se distingue du parler quotidien, c’
260 avants, la science légale n’étant, c’est entendu, qu’ une manière de parler du réel, et sans cesse corrigée par les faits. M
261 partir de vérités élémentaires qui ne sont autres que des abstractions opérées sur nos formes de langage. Je voudrais dire
262 a tricherie d’une déduction claire consiste en ce qu’ elle prétend partir d’un nombre limité de faits acquis, quand le tout,
263 pendent et qui est leur seule mesure. C. J’avoue que je vous suivrais mieux si vous pouviez me montrer chez Descartes un e
264 me populaire. On la tient pour tellement évidente que son rappel, au cours d’une discussion, figure presque une insolence.
265 e va pas reculer devant cet autre exploit : poser que le plus simple est aussi le plus proche, et qu’il faut commencer par
266 r que le plus simple est aussi le plus proche, et qu’ il faut commencer par là. C’est sans doute le plus mauvais tour qu’on
267 cer par là. C’est sans doute le plus mauvais tour qu’ on ait joué aux écrivains d’idées ! Commencer par le commencement ! Al
268 le commencement ! Aller du simple au compliqué ! Que cela paraît plein de bon sens ! Le beau cliché, la belle absurdité, l
269 la magnifique carte postale ! S’il est une chose que l’expérience humaine me paraît avoir établie — je dirais : pour l’éte
270 fins dernières. On ne peut connaître les parties que par le tout, et non l’inverse. C. J’observe une fois de plus avec cu
271 glissement qui s’opère dans vos propos : je vois que vous allez passer sans crier gare à des propositions théologiques. So
272 es. Souffrez alors que je m’avoue incompétent, et que j’assiste sans vous interrompre davantage aux développements d’une pe
273 ntrainte mon sabir eschatologique. Je disais donc que la déduction cartésienne travaille sur des cartes postales. Elle disp
274 ait même pour une prévention fâcheuse la croyance que ce but existe en tout état de cause. Pour moi, c’est presque le contr
275 oi, c’est presque le contraire. Voilà : — Je sais que je suis dans la nuit. Je ne puis marcher que dans la confusion. Mais,
276 sais que je suis dans la nuit. Je ne puis marcher que dans la confusion. Mais, si je marche cependant, c’est qu’à certains
277 la confusion. Mais, si je marche cependant, c’est qu’ à certains moments j’ai vu le but. — J’ai cru le voir… C’est une visio
278 de ma démarche, et c’est pourquoi je vous disais qu’ on ne peut la comprendre qu’à partir de son but. Il est très juste qu’
279 urquoi je vous disais qu’on ne peut la comprendre qu’ à partir de son but. Il est très juste qu’elle paraisse absurde à l’ob
280 prendre qu’à partir de son but. Il est très juste qu’ elle paraisse absurde à l’observateur raisonnable. C. Le propre d’une
281 nable. C. Le propre d’une vision pareille, c’est qu’ elle est incommunicable, j’imagine ? A. Il vaut mieux dire indescript
282 ment inexplicable, et évident. Il n’y aurait plus qu’ à méditer sans fin cette forme significative du tout, et de chaque par
283 core se garder avec soin de les définir autrement qu’ en vue de cette fin dernière vers quoi l’on tend. Le langage cartésien
284 nce. Mais si je parle en paraboles, je n’ai souci que d’une certaine orientation. C’est à partir du terme, encore une fois,
285 tation. C’est à partir du terme, encore une fois, que les contradictions s’éclairent et se résolvent, et non pas à partir d
286 t et se résolvent, et non pas à partir d’éléments que j’aurais distingués dès le départ. Une parabole se comprend par la fi
287 doivent l’indiquer comme au-delà d’eux-mêmes… ce que ne sauraient faire des arguments toujours fondés sur ce qui les précè
288 la vision. C. Comment expliquez-vous le plaisir que je prends à la lecture de certaines paraboles dont le sens eschatolog
289 sus parlait en paraboles à ses disciples, sachant qu’ ils ne comprendraient pas. Voici la réponse qu’elle me fit : Jésus rac
290 nt qu’ils ne comprendraient pas. Voici la réponse qu’ elle me fit : Jésus racontait des histoires pour qu’ils s’en souvienne
291 formelle d’un usage. Mais il arrive assez souvent que l’on oublie les grandes et graves raisons qu’il y a de se taire, ou d
292 ent que l’on oublie les grandes et graves raisons qu’ il y a de se taire, ou de parler seulement selon le droit et la décenc
293 e droit et la décence, en toute clarté. Il arrive que certains furieux, je ne sais quels extatiques ou esprits relâchés, s’
294 r une autre attitude de l’être, et qui soit telle que la question du droit ne se pose plus. C’est l’attitude de l’homme qui
295 aperçu sous un angle de vision quelconque. Je dis que l’homme qui a vu quelque chose doit parler la langue des prophètes et
296 alors on le jugera selon sa fin. Vous m’avouerez que dans ces conditions il faut une sorte de naïveté très singulière pour
10 1944, Articles divers (1941-1946). L’attitude personnaliste (octobre 1944)
297 e des journaux clandestins parus en France montre que les idées personnalistes avaient fait leur chemin dans l’élite de la
298 saurons un jour. Mais il est clair dès maintenant que les circonstances sont enfin devenues favorables pour une action plus
299 oyen pensait pouvoir vivre impunément, jusqu’à ce que Hitler vînt en prendre avantage. Devant un monde à reconstruire, les
300 lité. La psychologie freudienne ne voyait en elle qu’ un îlot précaire perdu dans l’océan de l’inconscient. D’autres s’appli
301 es biologiques, ou sociologiques, ou économiques. Que devenait dans tout cela, le droit imprescriptible d’un homme à dire j
302 on point des objets — fussent-ils aussi abstraits que les fameuses « forces économiques » — mais de l’homme, mesure de tout
303 de toutes choses. La grande question était donc : qu’ est-ce que l’homme ? Sur quelle notion centrale de son humanité devons
304 choses. La grande question était donc : qu’est-ce que l’homme ? Sur quelle notion centrale de son humanité devons-nous rece
305 , ne sont pas des hommes complets. L’individu n’a que des droits, le soldat politique que des devoirs. Le premier est un pu
306 ’individu n’a que des droits, le soldat politique que des devoirs. Le premier est un pur concept, le second est un simple o
307 rançais opposèrent la notion de personne. Quelles que fussent les prémisses religieuses ou métaphysiques des diverses tenda
308 verse : — la liberté ne cesse d’être un mot creux que dans un ordre souple, qui respecte la diversité des vocations ; — là
309 aurais mieux décrire la doctrine du personnalisme qu’ en indiquant certaines des tentatives d’action les plus typiques qu’el
310 rtaines des tentatives d’action les plus typiques qu’ elle inspira avant cette guerre. Un service civil industriel Les
311 ts institutionnels n’ayant de valeur à leurs yeux que s’ils traduisaient réellement une attitude nouvelle de l’homme aux pr
312 dustriels hochèrent la tête. Ils ne croyaient pas qu’ un simple civil pourrait du jour au lendemain se transformer en bon ma
313 eurs néfaste : il risquait de résoudre un conflit que leur tactique cherchait au contraire à rendre plus aigu. Conformément
314 teur de son métier, et si peu adroit de ses mains qu’ il assurait être le seul officier de réserve français qui se fût jamai
315 service civil donnèrent leur salaire aux ouvriers qu’ ils avaient « relevé », leur assurant ainsi quelques semaines de vacan
316 le climat de l’effort personnaliste. Il est clair que l’institution du service civil supposait une refonte générale de l’éc
317 . Le second devait rester libre, et d’autant plus qu’ il recevrait l’aide gratuite du service civil. L’État lui-même se trou
318 e de notre siècle : celle de l’être-en-relations. Que ce soit dans le domaine de la physique ou celui de la sociologie, en
319 de parler de réalité, de mesure, ou d’efficacité, qu’ au sein d’un groupe donné de forces. L’homme, par exemple, n’est réel
320 donné de forces. L’homme, par exemple, n’est réel que dans une communauté ni trop étroite ni trop vaste. Isolé, il se compo
321 sonnellement. Il n’existe vraiment comme personne que dans un cadre à la mesure humaine, dans un groupe : entreprise ou com
322 formations, ou mensongère, elle ne reflétait plus que l’anarchie capitaliste, non le pays réel. Que faire contre ce mal, sa
323 lus que l’anarchie capitaliste, non le pays réel. Que faire contre ce mal, sans capitaux énormes ? Les personnalistes organ
324 , lui transmettre des informations vraies (celles que la presse passait sous silence), lui révéler les secrets de la vénali
325 Il valait mieux attendre encore un temps, plutôt que de s’engager dans une propagande trop coûteuse pour rester pure. Au r
11 1944, Articles divers (1941-1946). Quelle guerre cruelle (octobre-novembre 1944)
326 ord ? Et de comprendre, s’il se peut, la question que cette guerre pose et ne peut résoudre. ⁂ Par dépit, par fatigue, ou p
327 , beaucoup de penseurs ont estimé depuis cent ans que les réalités économiques étaient plus fortes que l’esprit et que ses
328 que les réalités économiques étaient plus fortes que l’esprit et que ses choix. Or ces réalités ne faisaient que traduire
329 s économiques étaient plus fortes que l’esprit et que ses choix. Or ces réalités ne faisaient que traduire en quantités phy
330 it et que ses choix. Or ces réalités ne faisaient que traduire en quantités physiquement mesurables notre attitude spiritue
331 qui choisissent de construire des machines plutôt que d’avoir faim, ou de chercher la sagesse, ou de prier devant un symbol
332 Il n’y a pas d’abord les faits et puis l’humanité qu’ ils guident ou blessent, mais il y a d’abord l’humanité créatrice ou m
333 Ainsi de la guerre actuelle : il importe de voir qu’ elle se passe d’abord en chacun de nous, et qu’elle figure dans son en
334 ir qu’elle se passe d’abord en chacun de nous, et qu’ elle figure dans son ensemble la crise d’un conflit psychologique de p
335 duit théoriquement à la raison commune, il arrive que les facultés exilées dans son inconscient se révoltent soudain et l’a
336 mée névrose. Alors l’homme se croit menacé par ce qu’ il appelle des esprits. Il est victime de terreurs inexplicables. Des
337 ui rendent l’existence impossible. Il se persuade que des forces absolument distinctes de son être l’attaquent avec une fér
338 é sans précédent. Il devient aliéné, c’est-à-dire qu’ il devient la proie d’un autre. Un médecin qu’il jugera très brutal et
339 ire qu’il devient la proie d’un autre. Un médecin qu’ il jugera très brutal et hostile lui suggère alors que cet « autre » n
340 lui suggère alors que cet « autre » n’est en fait qu’ une part de lui-même. S’il comprend cela et s’il le croit, le malade g
341 mal, mais il restera fou. Au Moyen Âge, on disait qu’ un tel homme était possédé, et on l’exorcisait par des cérémonies souv
342 ies souvent efficaces. Au xixe siècle, on disait qu’ il était fou, et l’on essayait d’abord de le raisonner, puis de le réd
343 ux. La guerre actuelle est une névrose collective que nous sommes en train de traiter par les méthodes les plus propres à l
344 r nos arguments, il n’a plus trouvé d’autre issue que dans une révolte explosive. Le cauchemar envahit la planète. L’humani
345 ieux. ⁂ Ces remarques m’amènent à une proposition que je voudrais défendre et illustrer dans une série d’écrits à venir : i
346 er dans une série d’écrits à venir : il est temps que la pensée politique rejoigne la psychologie contemporaine. Depuis qu
347 e. Je ne parle pas de propagande : celle-ci n’est qu’ une tactique de bombardement. La politique que j’imagine serait une cu
348 est qu’une tactique de bombardement. La politique que j’imagine serait une cure. Mais avant de l’entreprendre, il nous faud
349 n’a pas le courage de s’avouer plus profondément qu’ aucune autre, il ne faut en attendre rien de bon, ni rien de grand, ni
350 outes ses victimes le nient, et presque tous ceux qu’ elle fait vivre. Je dis que la guerre nous plaît inconsciemment. Autre
351 , et presque tous ceux qu’elle fait vivre. Je dis que la guerre nous plaît inconsciemment. Autrement, elle serait impossibl
352 « fait notre devoir » et pas de question. Je dis que la guerre nous plaît. Elle arrange bien des choses. Elle ajourne nos
353 ajourne nos vrais conflits. Elle tire de nous ce que la paix n’en tirait plus. Elle offre l’avantage incomparable de sanct
354 ombler, elle déçoit l’instinct combatif : comptez qu’ une fraction très réduite de l’humanité — presque totalement mobilisée
355 n connaît le corps à corps, la bataille d’hommes. Qu’ aimons-nous donc tous dans la guerre, que nous soyons civils ou combat
356 ’hommes. Qu’aimons-nous donc tous dans la guerre, que nous soyons civils ou combattants ? C’est l’état d’exception proclamé
357 manité moderne. Elle nous fournit la seule excuse que notre esprit puisse accepter pour suspendre le cours d’une existence
358 st pourquoi la paix nous angoisse au moins autant qu’ elle nous attire. Pourtant viendra la paix, bientôt. Et ce sera peut-ê
359 un futur Hitler, rien contre son absence, autant que je sache. Le seul type d’héroïsme que l’Occident ait su concevoir (de
360 nce, autant que je sache. Le seul type d’héroïsme que l’Occident ait su concevoir (depuis qu’on n’allume plus de bûchers po
361 ’héroïsme que l’Occident ait su concevoir (depuis qu’ on n’allume plus de bûchers pour les chrétiens et qu’ils tolèrent les
362 on n’allume plus de bûchers pour les chrétiens et qu’ ils tolèrent les hérétiques), c’est la mort sous les balles pour la Pa
363 ne fut plus dépourvue de respect pour les vertus que l’esprit seul sait pousser jusqu’au paroxysme. Et comment vivre, s’il
364 d’enseigner à s’en servir ? Je ne sais pas mieux que la plupart ce qui résulterait d’une décision de ce genre, mais je sai
365 ulterait d’une décision de ce genre, mais je sais que la plupart résistent à priori à cette idée. Je vois des moustaches qu
366 us instinctif, comme ils disent. Et c’est tout ce que je voulais leur faire dire. (Il leur reste à me traiter de défaitiste
367 éfaitiste.) Une politique qui négligerait le fait que la guerre nous plaît pour des raisons profondes, cette politique sera
368 able de rien conduire, ni de rien prévoir d’autre que d’astucieux traités de commerce que la prochaine guerre annulerait. 2
369 évoir d’autre que d’astucieux traités de commerce que la prochaine guerre annulerait. 2. Hitler. — Nous pensons qu’Hitler e
370 aine guerre annulerait. 2. Hitler. — Nous pensons qu’ Hitler est un monstre avec lequel nous n’avons rien de commun. Il s’ag
371 s d’être contre nous. C’est en nous-mêmes d’abord qu’ il se dresse contre nous. Et quand nous l’aurons tué, il nous occupera
372 occupera sans coup férir si nous n’admettons pas qu’ il est une part de nous, la part du diable dans nos cœurs. Hitler se t
373 de l’homme qui fit trembler tout l’univers, voici que nous nous écrierons avec une stupéfaction mêlée de honte : — Comme il
374 t petit ! Il n’était grand, comme Satan lui-même, que de la grandeur de nos misères secrètes. Dans la réalité psychologique
375 t d’abord dans l’ombre de nos âmes. On a remarqué que dans un cauchemar, ce qui nous terrifie n’est pas toujours l’aspect d
376 dans un geste, une forme, une atmosphère, tout ce que nous refusions d’admettre en nous. Le cauchemar nous apprend qu’il ne
377 ons d’admettre en nous. Le cauchemar nous apprend qu’ il ne suffit pas de refuser un instinct ou quelque tentation pour les
378 iliser, ou de s’en guérir ; sinon soyons certains qu’ ils vont revenir en force, sous un déguisement séduisant, ou sous la f
379 cette religion synthétique (comme le caoutchouc) qu’ est le national-socialisme. Je ne parle pas ici du christianisme, mais
380 parle d’un instinct aussi fondamental et naturel que la sexualité. Il est incontestable que le rationalisme12 a déprimé de
381 et naturel que la sexualité. Il est incontestable que le rationalisme12 a déprimé depuis des siècles le sens religieux des
382 sans la foi). Or les coutumes religieuses quelles qu’ elles soient, sacrifices, fêtes, orgies ou jeûnes, disciplines morales
383 s ou mystiques, prières ou rites, sont les moyens qu’ a trouvé l’homme pour capter ses puissances obscures et les ordonner à
384 révoltaient soudain, nous attaquaient, exigeaient que nous les adorions : leur révolte serait notre carence. Le rationalism
385 symptômes de la même névrose. Tout porte à croire que nous allons entrer dans une ère de religions aberrantes. Ou, comme le
386 sa faim, faute de mieux. La raison n’ose pas dire qu’ il a tort d’avoir faim. Dira-t-elle qu’il a tort d’avoir soif de relig
387 e pas dire qu’il a tort d’avoir faim. Dira-t-elle qu’ il a tort d’avoir soif de religion ? De tromper cet instinct rendu fur
388 ont elle sera la première responsable, aussi vrai que le régime de la prohibition fut responsable des méfaits de l’alcool f
389 ’alcool frelaté, en Amérique. ⁂ Je ne demande pas que des sorciers ni même des prêtres dirigent l’État : c’est le péril qu’
390 même des prêtres dirigent l’État : c’est le péril qu’ il faudrait conjurer. Mais je pense qu’il est temps de renoncer à la v
391 t le péril qu’il faudrait conjurer. Mais je pense qu’ il est temps de renoncer à la vieille politique de l’équilibre des gra
392 e. Et s’il faut des experts autour du tapis vert, qu’ on appelle des psychiatres plutôt que des banquiers. L’argent ne chass
393 tapis vert, qu’on appelle des psychiatres plutôt que des banquiers. L’argent ne chasse pas les démons. 9. Instincts, for
394 les pays de langue anglaise. 11. Type d’argument que l’on peut opposer à ce qui précède, afin de tuer dans l’œuf toute ten
395 ntative d’analyse féconde : « Avouez tout de même que nos régimes actuels, si imparfaits qu’ils soient, sont un moindre mal
396 ut de même que nos régimes actuels, si imparfaits qu’ ils soient, sont un moindre mal. » Et certes, en politique, il s’agira
397 question est de savoir si le prétendu moindre mal que l’on défend n’est pas simplement un premier stade du pire. La chute s
398 tade du pire. La chute serait-elle un moindre mal que la fracture qui en résulte ? La maladie mortelle, un moindre mal que
399 en résulte ? La maladie mortelle, un moindre mal que la mort qui la termine ? 12. Les méfaits de la psychologie rationali
12 1945, Articles divers (1941-1946). Présentation du tarot (printemps 1945)
400 ns à l’une des figures du paquet de 78 cartes tel qu’ il existait au xiiie siècle. Ce nom fut attribué par la suite à l’ens
401 e du jeu. Un des premiers témoignages historiques que l’on possède sur le tarot remonte à 1393. Cette année-là, Jacquemin G
402 squ’au xviiie siècle, le tarot n’est guère connu que chez les princes et chez les gipsys, tout en haut de l’échelle social
403 cultiste suisse Court de Gébelin émit l’hypothèse que le tarot dérivait du Livre de Toth, livre sacré de l’Égypte. Mais il
404 qui l’auraient transmis à l’Europe. Mais on sait que le peuple tzigane ne vint en Europe qu’en 1417 sous la conduite du « 
405 s on sait que le peuple tzigane ne vint en Europe qu’ en 1417 sous la conduite du « Duc d’Égypte » ; et qu’on lui suppose un
406 en 1417 sous la conduite du « Duc d’Égypte » ; et qu’ on lui suppose une ascendance hindoue. Or nous possédons des cartes de
407 et à la science de Court de Gébelin, terrassa ce que ce grave antiquaire avait transcrit dans son huitième volume du Monde
408 l’art de tirer les cartes, dont il est question, que d’après sa cuisinière. Il était perruquier et se nommait de son vrai
409 t enclins aux mêmes complaisances interprétatives que le maître. La lecture de leurs textes est généralement exaspérante, à
410 ire au nombre 78, et a mis au nombre 21 la figure qu’ il nomme le Despote africain, qui n’est autre que l’arcane 7, 1e Chari
411 qu’il nomme le Despote africain, qui n’est autre que l’arcane 7, 1e Chariot… Mais en fait cette lame n’a pas de nombre aut
412 … Mais en fait cette lame n’a pas de nombre autre que le zéro. Ce nombre 21 appartient à la lettre Schin de l’alphabet hébr
413 habet hébreu… Le véritable 21 est aussi 22, ainsi que nous le verrons. Etteilla place le Fou sous le nombre 78 qui est enfi
414 On peut juger d’après ce texte (et son contexte) que selon Etteilla et son disciple Elie Alta, l’un corrigeant l’autre. 0
415 7) = 21 = 22 = (20) = 0. Telles sont les brimades que doit subir le débutant dans l’étude du tarot. 3. Variations Sel
416 variations paraissent avoir été aussi nombreuses que les familles d’esprits, les hérésies chrétiennes, ou les écoles marxi
417 , mais qui peut également servir en tenant compte que les Bâtons sont remplacés par les Carreaux ; les Épées par les Piques
418 tarot italien ; celui de Schaffhouse ne se trouve qu’ en Suisse, de même celui de Francfort en Allemagne ; ils n’ont pas dro
419 op. cit., p. 27). B) Dessin. La plupart des jeux qu’ on trouve aujourd’hui en circulation (si l’on peut dire, car leur vent
420 nte des symboles. Comparez par exemple les cartes que nous reproduisons à la suite de cet article, les unes selon Court de
421 oderne. C’est un abus inqualifiable, si l’on sait que l’interprétation de chaque lame ou arcane majeur peut être profondéme
422 ne majeur peut être profondément différente selon que la carte apparaît dans le jeu droite ou renversée. Il en résulte auss
423 s le jeu droite ou renversée. Il en résulte aussi que le manque de place, dans le cas d’une figure doublée, oblige le dessi
424 e dessinateur à expulser de la carte les symboles qu’ il juge superflus (tel que l’oiseau de l’immortalité dans l’arcane 17,
425 e la carte les symboles qu’il juge superflus (tel que l’oiseau de l’immortalité dans l’arcane 17, petit exemple, ou les let
426 scopiques. Celles-ci sont en nombre infini, ainsi qu’ on en pourra juger par l’examen du tableau suivant. En effet, chacune
427 es simples qui figurent les 12 signes du zodiaque que parcourt le soleil pendant les 4 saisons. Enfin il reste les 3 lettre
428 = Pensée = Feu Il semblerait, à lire cette liste, que les arcanes représentent, grosso modo, les autorités religieuses et s
429 de l’illusion à la réalité, et des choses telles qu’ elles nous apparaissent aux choses telles qu’elles sont. Les 22 arcane
430 lles qu’elles nous apparaissent aux choses telles qu’ elles sont. Les 22 arcanes décriraient l’histoire de l’homme qui part
431 nique, comparée à d’autres, résidait dans le fait qu’ elle combinait plusieurs modes d’entraînement dans une seule activité.
432 chaîne. La surface entière du globe (le 0) n’est que le théâtre de nos extravagances. Retraçons d’ailleurs aux yeux du sag
433 voyageur, qui symbolise l’homme. Cette vie n’est qu’ un court trajet dont nous pouvons adoucir les peines en nous comportan
434 n’est pas lui qui l’a vécue. Aussi la somme de ce qu’ il a réalisé est-elle zéro. Vu sous l’angle de A. E. Waite, le Fou est
435 et poursuivant sa route sans craindre les dangers que court l’homme collectif ou purement instinctif. Plus petit que le pet
436 omme collectif ou purement instinctif. Plus petit que le petit, plus grand que le grand, tenu pour néant par la raison et l
437 t instinctif. Plus petit que le petit, plus grand que le grand, tenu pour néant par la raison et le monde, symbolisé par le
438 omme. Du point de vue de l’égo, cette quête n’est que folie et non-sens. c) Interprétation moderne de B. McM. Hazard (r
439 elle. Les arcanes majeurs qui suivent montrent ce qu’ il adviendra du Fou à mesure qu’il traversera les collines, vallées et
440 ivent montrent ce qu’il adviendra du Fou à mesure qu’ il traversera les collines, vallées et montagnes indiquées dans le fon
441 indiquées dans le fond de cette carte, jusqu’à ce qu’ il revienne au grand soleil ou « Père » dont il est « tombé ». Il sera
442 à un mendiant, à un hors-caste : car c’est ainsi que le saint, l’homme parfait, doit apparaître aux yeux des autres. Il s’
443 s des religions établies (les coupes) ; des biens qu’ on peut acheter et vendre (les deniers) ; du sol et du foyer (les bâto
444 hes, ni de nom. Il est la carte anonyme. Il n’est qu’ un fol errant. Comment a-t-il atteint le stade suprême, bien au-dessus
445 de extérieur n’a pas plus de signification réelle que l’ego, dont il s’est débarrassé depuis longtemps. L’une et l’autre so
446 voit à travers toutes les choses : elles ne sont que néant, elles ne sont qu’un mirage, il les a dépassées… Il est le mend
447 s choses : elles ne sont que néant, elles ne sont qu’ un mirage, il les a dépassées… Il est le mendiant qui possède l’univer
448 et toutes ses richesses, qui ne sont rien d’autre que le déploiement de sa propre nature. Vous pourrez donc le traiter de f
449 lconque, un idiot ou un simple d’esprit. C’est ce qu’ il paraît. Si quelque étranger aux habits sales et déchirés, au regard
450 Étant tout et toutes choses, il ne lui reste plus qu’ à feindre de n’être rien. Et de même, il convient que la séquence des
451 à feindre de n’être rien. Et de même, il convient que la séquence des arcanes, grâce aux symboles graphiques desquels nous
452 manière dont nous le traiterons ! Il se pourrait qu’ il soit le Saint-Esprit incarné, le Christ errant de nouveau parmi les
453 uvre. Cependant le fond bleu pâle du ciel indique que la paix spirituelle s’établira finalement quand les tensions entre le
454 entre de la carte, un large cercle orangé indique que le Grand Œuvre est une activité solaire. Trois cercles concentriques
455 utre roue ne porte pas de signes, mais il se peut qu’ elle en ait porté autrefois. À l’extrémité de chacun des rayons de la
13 1945, Articles divers (1941-1946). Les règles du jeu dans l’art romanesque (1944-1945)
456 partie de la rhétorique des éléments aussi divers que les lois de composition d’un tableau, et sa limitation par le cadre ;
457 dont le rêve compose ses drames. Il se peut même que ces figures ne soient, à l’origine au moins, que l’affleurement ou qu
458 que ces figures ne soient, à l’origine au moins, que l’affleurement ou que la fixation des archétypes de l’inconscient, te
459 ient, à l’origine au moins, que l’affleurement ou que la fixation des archétypes de l’inconscient, tels qu’un Jung put les
460 la fixation des archétypes de l’inconscient, tels qu’ un Jung put les retrouver dans les symboles des religions et des magie
461 endant que le journalisme fait son apparition, et que la réalité quotidienne s’introduit dans les romans. Conjonction lourd
462 mposition. Mais elle alla plus loin. Elle déclara que la rhétorique en tant que telle était mauvaise, insincère, et contrai
463 ettes magiques et artifices profonds, elle ne vit que recettes et artifices, et commanda de les éliminer. De ses fleurs, el
464 tion pure, comme la colombe de Kant qui s’imagine qu’ elle volerait mieux dans le vide, l’artiste crut qu’il irait loin… Il
465 ’elle volerait mieux dans le vide, l’artiste crut qu’ il irait loin… Il tomba dans « la réalité », coupa ses ailes et se fit
466 le souvenir des héros de la tribu. Mais à mesure que les dieux prennent figure d’hommes, que les statues se mettent à ress
467 à mesure que les dieux prennent figure d’hommes, que les statues se mettent à ressembler aux hommes, que l’homme devient d
468 e les statues se mettent à ressembler aux hommes, que l’homme devient de plus en plus son propre centre et son sujet d’éton
469 proche de l’histoire. Il gagne en intérêt tout ce qu’ il perd en magie. Naît alors le récit en prose, illustration de vérité
470 roman comme L’Astrée. Mais L’Astrée n’est encore qu’ un rêve éveillé, donné pour tel par son auteur. C’est avec La Princess
471 par son auteur. C’est avec La Princesse de Clèves que l’on atteint la phase critique où la féerie cède à l’observation, la
472 naissait les pouvoirs. Il ne lui reste pour appui que la réalité telle qu’il la voit. Mais cette réalité — c’est-à-dire : l
473 . Il ne lui reste pour appui que la réalité telle qu’ il la voit. Mais cette réalité — c’est-à-dire : l’extérieur — ne peut
474 té — c’est-à-dire : l’extérieur — ne peut fournir que des objets à exprimer, non pas des moyens d’expression. Mieux on l’im
475 rait jouer2. Le jeu ne sera vivant et passionnant qu’ à la mesure de la fixité même de ses règles indiscutées. L’art consist
476 ou des sentiments ? Par l’extérieur on ne rejoint que l’insignifiance observable. C’est ce qui va se produire après Balzac.
477 e branche sera celle du réalisme social. C’est là que va triompher la terreur, se déchaîner la chasse impitoyable aux artif
478 Le roman, dit M. Jaloux, ne connaît d’autres lois que les lois mêmes de la vie. » Cette proposition des plus étranges est r
479 t du conte, effectivement, tenait aux conventions qu’ il savait mettre en œuvre. Le conte multipliait les rencontres fortuit
480 me était autorité. Les événements extraordinaires qu’ il présentait, portaient les sentiments jusqu’au sublime, proposaient
481 le libre déploiement des réalités mêmes de l’âme, qu’ il décrivait en personnages selon certains procédés et figures surgis
482 onnaissance, au double sens de l’expression. Mais que se passe-t-il lorsque le romancier nous fait savoir qu’il a mis dans
483 passe-t-il lorsque le romancier nous fait savoir qu’ il a mis dans son livre ce qui est, et non plus ce qu’il a inventé ? L
484 l a mis dans son livre ce qui est, et non plus ce qu’ il a inventé ? L’abandon de la rhétorique entraîne deux séries de cons
485 rticulier de réceptivité et de créance. On savait qu’ un jeu commençait, amusant ou profond, et significatif. On croyait tou
486 e enfant, avant de lui raconter la même histoire, que cela s’est passé tout à l’heure, dans la rue, il ferait aussitôt mill
487 jections. Il vous jugerait avec toute la sévérité que les enfants réservent aux adultes futiles. Au siècle passé, les conte
488 ulta l’indicateur. » Il s’agit de me faire croire que c’est vrai. Il faut donc me fournir des preuves et des observations e
489 le à cela. « La vraie vie », je la connais autant que cet auteur. Je me méfie, et bientôt discute. Et plus l’auteur paraît
490 vraisemblable. À la limite, il serait impossible qu’ un lecteur tombe jamais d’accord avec l’auteur. Car il n’est pas deux
491 la mienne pour faire crédit à celle de l’écrivain que si, d’abord, il renonçait à démontrer, et m’entraînait par d’autres c
492 r d’autres charmes… Du conteur pur, je n’exigeais qu’ un sens, valable et vérifiable en soi. 2°) — Par la suppression des cé
493 llusion du réel quotidien. Pourtant il ne dispose que de mots, quoi qu’il fasse. Ce dernier artifice paraît le gêner d’auta
494 s les conventions narratives, pour peu d’exigence qu’ on y mette, aboutit à faire du roman quelque chose d’interminable, et
495 elle-est ne signifie presque rien. Or, c’est elle qu’ on veut reproduire en multipliant les observations exactes et les pers
496 nques. Et c’est au nom de cette fidélité à la vie que M. Jules Romains va s’interdire, dit-il — « les enchaînements arbitra
497 ts arbitraires et le picaresque », les rencontres qu’ on ne voit pas dans la réalité, bref, tous recours au « hasard qui fai
498 blic contemporain, le morceau n’étant visiblement qu’ une captatio benevolentiae où l’auteur se montre attentif à ne promett
499 ù l’auteur se montre attentif à ne promettre rien qu’ il ne sache attendu. « Le roman, écrit encore M. Romains, ne connaît p
500 ela ? M. Romains connaît bien son public. Il sait que l’absence de conventions sera tenue pour avantage, et compensera, aux
501 ns la vie ? Les romans traditionnels « préoccupés qu’ ils sont, au nom des vieilles règles, de commencer et de finir le jeu
502 d’ailleurs, comment le pourraient-ils ? Si longs qu’ ils soient, ils seront toujours trop courts pour imiter sans conventio
503 oprement romanesque s’éteindra dans le même temps que l’ère bourgeoise et pour avoir commis la même erreur : qui était de c
504 par le succès du roman policier. Je ne pense pas qu’ on puisse expliquer ce succès par un intérêt pour le crime, qui serait
505 ut complètement à la fin du livre, et ne comporte qu’ un nombre fini d’éléments. Le lieu de l’action est circonscrit : c’est
506 it : c’est généralement une maison dont il semble que personne n’ait pu y entrer ni en sortir, et qui contient le problème
507 problème sous forme de cadavre. Parfois, ce n’est qu’ une chambre4. Toutes ces conditions satisfont à l’excellente définitio
508 progrès du genre. Une grande partie de l’intérêt que l’amateur apporte à la lecture de ces ouvrages, tient au raffinement
509 nt dans le temps. Mais l’impureté du genre, c’est qu’ il peut se passer de la crédibilité intrinsèque du conte, par le recou
510 ance, aux conceptions bourgeoises de la vie, soit qu’ il les décrivît d’abord, soit qu’ensuite il n’utilisât que leurs tabou
511 de la vie, soit qu’il les décrivît d’abord, soit qu’ ensuite il n’utilisât que leurs tabous comme ressorts de l’action, ou
512 s décrivît d’abord, soit qu’ensuite il n’utilisât que leurs tabous comme ressorts de l’action, ou qu’enfin il se fît un pre
513 t que leurs tabous comme ressorts de l’action, ou qu’ enfin il se fît un prestige de les contredire et miner. Tout cela ne d
514 les contredire et miner. Tout cela ne durera plus que le temps de liquider un héritage saccagé par la guerre actuelle et pa
515 elle et par l’avènement des masses. La révolution que nous vivons déclassera la plupart des objets dont le roman faisait to
516 iter la vie, la récréera ; et renonçant à prouver qu’ il dit vrai, aussitôt se verra restituer les prestiges de la persuasio
517 inct sadique et le goût des orgies de destruction que devait traduire, quelques années plus tard, la guerre totale. Ne fût-
518 ues années plus tard, la guerre totale. Ne fût-ce que pour rester au niveau de nos épreuves et de nos désastres réels, l’ar
519 contes. Il ne rejoindra le sens vrai de nos vies qu’ en se livrant à la logique profonde des symboles et des mythes de l’âm
520 mythes de l’âme. Tout porte à tenir pour probable que les grandes œuvres narratives qui vont naître au lendemain de cette g
521 heront des types de libre création, des paraboles que furent en d’autres temps Gargantua, Don Quichotte, Robinson Crusoe, o
14 1946, Articles divers (1941-1946). Contribution à l’étude du coup de foudre (1946)
522 rien. Avec autant de sincérité, nous semblait-il, qu’ un croyant décrivant sa conversion en termes de grâce et de prédestina
523 ère de destinée fatale. Cette espèce de passivité que l’on allègue, ne serait-elle point un alibi ? Je ne parle que du vrai
524 ègue, ne serait-elle point un alibi ? Je ne parle que du vrai coup de fondre, celui qui est suivi d’incendie. Car pour ceux
525 re, celui qui est suivi d’incendie. Car pour ceux que l’on attend, que l’on appelle, ils ne sont qu’éclairs de chaleur dans
526 suivi d’incendie. Car pour ceux que l’on attend, que l’on appelle, ils ne sont qu’éclairs de chaleur dans l’aura d’un cœur
527 ux que l’on attend, que l’on appelle, ils ne sont qu’ éclairs de chaleur dans l’aura d’un cœur orageux. Aux portières d’un t
528 ’aura d’un cœur orageux. Aux portières d’un train que l’on croise, entre cieux stations de métro, dans la foule où se cherc
529 e cherchent des yeux — ils se détournent aussitôt que frappés et c’est toujours : « Ô toi que j’eusse aimée ! » Mais non, s
530 aussitôt que frappés et c’est toujours : « Ô toi que j’eusse aimée ! » Mais non, si c’était vrai, j’aurais su t’arrêter. L
531 es. Il en a tant parlé, et vous autres après lui, que toutes les femmes qui vont le rencontrer y pensent, épiant les plus l
532 trer y pensent, épiant les plus légers mouvements que cette apparition fait naître en elles. Très facile que de les persuad
533 ette apparition fait naître en elles. Très facile que de les persuader, une fois si bien intéressées ! Car rien ne flatte c
534 ien intéressées ! Car rien ne flatte comme l’idée que l’on va vivre à son tour une scène de roman. Oui, l’idée seule a fait
535 n’y aurait jamais de coup de fondre sans ce désir que vous entretenez par vos romans… Mais ce n’est pas assez que d’une com
536 ntretenez par vos romans… Mais ce n’est pas assez que d’une complaisance acquise. Il faut encore une rencontre ménagée à la
537 au contraire par la profonde convenance des rôles qu’ ils tiennent dans la société, sous l’égide des plus intangibles hiérar
538 Don Juan triche, une fois de plus, quand il feint que cela se produise à l’improviste, comme au coin d’un bois… Il me vient
539 me vint, le sentiment de mal tomber. Il me sembla que mes propos touchaient mon interlocuteur d’une manière un peu trop per
540 ière un peu trop personnelle, et comment dire ? —  qu’ il savait mieux que moi cette histoire que je lui contais. — Permettez
541 rsonnelle, et comment dire ? — qu’il savait mieux que moi cette histoire que je lui contais. — Permettez, dit-il gentiment,
542 ire ? — qu’il savait mieux que moi cette histoire que je lui contais. — Permettez, dit-il gentiment, que je vous réponde pa
543 ue je lui contais. — Permettez, dit-il gentiment, que je vous réponde par une confession. Je ne sais d’ailleurs ce qu’on pe
544 onde par une confession. Je ne sais d’ailleurs ce qu’ on peut en conclure pour ou contre vos théories. ⁂ Au début de 1933, a
545 r réserver un dîner : bref, vous vous rappelez ce qu’ était la Hongrie, cette hospitalité incomparable, cette liberté lyriqu
546 je m’aperçois, et cette fois-ci non sans terreur, que la femme du banquier, elle aussi, n’a presque pas touché aux mets ser
547 ne toutefois sans que mon hôte ait paru remarquer que mon malaise est contagieux. Il bavarde encore en prenant le café, pui
548 ci seuls. Silence. Silence encore dans la voiture qu’ elle conduit avec une expression concentrée, presque rageuse. Nous tra
549 ur les flancs d’un énorme rocher en pleine ville, que domine la statue de saint Geller, les bras en croix. Elle arrête la v
550 au caviar rouge. Et le tour recommence. Même jeu qu’ au déjeuner. Ni l’un ni l’autre ne pouvons toucher à rien. Tout d’un c
551 le — et je m’entends prononcer : — Puisqu’il faut que cela soit, eh bien… que cela soit ! Elle se lève et me suit. Nous all
552 noncer : — Puisqu’il faut que cela soit, eh bien… que cela soit ! Elle se lève et me suit. Nous allons chez elle. Un vertig
553 es auparavant dans un groupe politique, à Berlin, que je fréquentais à l’insu de ma femme. J’étais dans un état d’exaltatio
554 : l’avion part à 10 heures du matin. Mais il faut que je la revoie une dernière fois. Je prendrai donc l’express du soir. J
555 tend, grave et presque sévère. Moi, je ne pensais qu’ à la situation politique. Nous nous mettons à table, je l’interroge av
556 vénements de l’avant-veille. Elle répond à peine. Qu’ y a-t-il ? — Avec qui m’as-tu trompée ? dit-elle enfin. Je la regarde
557 ttre par avion, arrivée pour moi le matin même et qu’ elle avait ouverte par crainte d’un malheur. Quelques lignes sur une f
558 , je n’oublierai jamais les nuits extraordinaires que nous avons encore pu passer ensemble, à la veille de ce cataclysme. »
559 e perd-il pas un peu de son mystère si l’on songe que la femme du banquier était lectrice de romans — et sans doute de vos
560 t ce coup de foudre, n’est-il pas tombé d’un ciel qu’ il convient de nommer Littérature ? o. Rougemont Denis de, « Contri
15 1946, Articles divers (1941-1946). Penser avec les mains (janvier 1946)
561 pas ce lieu de combat sans merci où quelque chose qu’ il ne peut plus fuir attaque l’auteur et tout ce qu’il reflète d’une a
562 ’il ne peut plus fuir attaque l’auteur et tout ce qu’ il reflète d’une ambiance domestiquée. Il est grand temps que la pensé
563 te d’une ambiance domestiquée. Il est grand temps que la pensée redevienne ce qu’elle est en réalité : dangereuse pour le p
564 e. Il est grand temps que la pensée redevienne ce qu’ elle est en réalité : dangereuse pour le penseur, et transformatrice d
565 t. Toute l’opinion du monde en est à peu près là, que la pensée ne peut venir qu’à la remorque d’événements qui n’ont cure
566 en est à peu près là, que la pensée ne peut venir qu’ à la remorque d’événements qui n’ont cure de ses arrêts. C’est que l’o
567 d’événements qui n’ont cure de ses arrêts. C’est que l’on confond la pensée avec l’usage inoffensif de ce que des créateur
568 n confond la pensée avec l’usage inoffensif de ce que des créateurs ont pensé, au prix de leur vie souvent, et toujours par
16 1946, Articles divers (1941-1946). Les quatre libertés (30 mars 1946)
569 t l’idéal officiel de la paix. Mais j’ai remarqué qu’ assez peu de personnes sont capables de les énumérer. Il semble qu’on
570 ersonnes sont capables de les énumérer. Il semble qu’ on se soit battu « pour » quelque chose qui n’était pas trop clair, ni
571 s disent, non sans raison, les gouvernants, n’est que le résultat déplorable, mais fatal, de la guerre. (Étrange activité q
572 « fatalement » prolonge ou aggrave les tyrannies qu’ elle avait pour seul but d’écraser. Mais ceci est une autre histoire.)
573 condamnée à subir au double ou au triple tout ce qu’ elle s’est épuisé à combattre ? Doit-elle accepter de se passer d’au m
574 au moins trois libertés sur quatre, avec l’espoir que ses enfants les recevront plus tard — données par qui ? Sommes-nous v
575 questions, parce qu’elles ne paraissent comporter que des réponses amères et humiliantes, si l’on reste au niveau des faits
576 s nous y rabat impitoyablement par la comparaison qu’ il nous oblige à faire de l’idéal et du présent. Je propose donc que n
577 à faire de l’idéal et du présent. Je propose donc que nous changions ce qui peut être immédiatement changé : notre idéal, e
578  : notre idéal, en attendant le reste. Je propose que nous remplacions la revendication des quatre libertés, pour le moment
579 ar une affirmation unique de Liberté indivisible, qu’ il ne dépend que de nous de saisir à l’instant. Il n’y a pas quatre li
580 on unique de Liberté indivisible, qu’il ne dépend que de nous de saisir à l’instant. Il n’y a pas quatre libertés. Il n’y a
581 l’instant. Il n’y a pas quatre libertés. Il n’y a que « la » liberté, ou non. Je le prouverai par une parabole. Je connais
582 rtés susdites. « Une » : Ils peuvent dire tout ce qu’ ils veulent à leurs voisins ; « deux » : ils reçoivent gratuitement le
583 Elle exige d’être affirmée sur le champ, et coûte que coûte, quels que soient les obstacles. Il y aura toujours des obstacl
584 affirmée sur le champ, et coûte que coûte, quels que soient les obstacles. Il y aura toujours des obstacles. Ceux qui ont
585 e est toujours possible. Cette Résistance ne fait que commencer. Mais si nous décidons que les obstacles à l’exercice de no
586 ance ne fait que commencer. Mais si nous décidons que les obstacles à l’exercice de notre liberté sont fatals, nécessaires
587 puisque nous lui laisserons tous les devoirs. Ce qu’ il nous faut, ce n’est pas d’abord un monde bien arrangé autour de nou
588 (Certaines prisons sont très bien arrangées). Ce qu’ il nous faut pour être libres, uniquement et tout simplement, c’est du
589 indre. Lénine, sous le tsarisme, était plus libre qu’ un fonctionnaire sous Staline. Et George Washington était plus libre q
590 us Staline. Et George Washington était plus libre qu’ un citoyen américain qui tourne le bouton de sa radio. Ils combattaien
17 1946, Articles divers (1941-1946). Dialogues sur la bombe atomique : La pensée planétaire (30 mars 1946)
591 )r Le xxe siècle est en train de découvrir ce qu’ on savait depuis un certain temps mais qu’on n’avait jamais très bien
592 vrir ce qu’on savait depuis un certain temps mais qu’ on n’avait jamais très bien compris, à savoir que la terre est ronde.
593 qu’on n’avait jamais très bien compris, à savoir que la terre est ronde. D’où il résulte, entre autres conséquences, que s
594 onde. D’où il résulte, entre autres conséquences, que si vous tirez devant vous avec une arme assez puissante, vous recevre
595 figure signifie quelque chose d’important : c’est que tout le mal que nous faisons à nos voisins nous atteindra bientôt néc
596 quelque chose d’important : c’est que tout le mal que nous faisons à nos voisins nous atteindra bientôt nécessairement, si
597 t-à-dire : à une guerre qui nous atteint tous, et que nous ne faisons donc qu’à nous-mêmes. Les dimensions de la communauté
598 ui nous atteint tous, et que nous ne faisons donc qu’ à nous-mêmes. Les dimensions de la communauté normale, pour une époque
599 comme objet rond, pomme, sphère ou sceptre d’or, que ce soit l’Univers, ou l’Empire, ou l’atome. Ici les extrêmes se reflè
600 -là, il aura fait une révolution bien plus grande que la Renaissance. Il semble que la dernière guerre, j’entends celle de
601 on bien plus grande que la Renaissance. Il semble que la dernière guerre, j’entends celle de 39-45, a beaucoup fait pour év
602 ours essayer d’expliquer aux victimes de la crise que ce n’est pas la faute du député local ni de « l’hypocrisie américaine
603 u député local ni de « l’hypocrisie américaine ». Que faire ? Tout le monde ne peut pas tout savoir, encore moins tout voir
604 pourtant nous sommes destinés à découvrir un jour que ces lions sont des hommes, qui d’ailleurs nous prenaient nous aussi p
605 s d’une conscience planétaire. C’est sa nécessité qu’ il faut d’abord sentir. Et qu’aussitôt la presse et la radio, le ciném
606 C’est sa nécessité qu’il faut d’abord sentir. Et qu’ aussitôt la presse et la radio, le cinéma surtout l’éveillent et la pr
607 t-ce un hasard si, parmi tous nos écrivains, ceux que je vois manifester le sentiment le plus direct et le plus contagieux
608 Dans leur prose et dans leurs longs versets, quel qu’ en soit le sujet allégué, nous avons pour la première fois senti, sous
609 e cœur violent des Amériques. Vous alliez me dire que j’oubliais ce grand joueur de Boule que fut « Saint-Ex ». À Dieu ne p
610 z me dire que j’oubliais ce grand joueur de Boule que fut « Saint-Ex ». À Dieu ne plaise que j’oublie jamais celui qui le p
611 r de Boule que fut « Saint-Ex ». À Dieu ne plaise que j’oublie jamais celui qui le premier me parla de la Planète comme d’u
18 1946, Articles divers (1941-1946). Dialogues sur la bombe atomique : La paix ou la bombe (20 avril 1946)
612 Parmi tous les projets de contrôle de la Bombe que l’on a suggérés depuis six mois, j’en retiens deux : 1. Donner la Bom
613 odèle courant. Il faudrait l’ajuster.) Le cabinet que ces chambres éliraient compterait les ministères suivants : Bombe et
614 its de la personne, Transports planétaires. (Rien que de raisonnable, comme vous le voyez. On trouverait mieux, en s’appliq
615 trouverait mieux, en s’appliquant.) Mais il n’y a que les idées pratiques et raisonnables que l’on traite de folies, à l’âg
616 il n’y a que les idées pratiques et raisonnables que l’on traite de folies, à l’âge où l’on prépare dans le monde entier,
617 cablement dernière guerre civile du genre humain. Que va-t-il se passer ? Ces projets échoueront. On en rira. On n’en rira
618 uilibrer les budgets de guerre, etc. Ce n’est pas qu’ une angoisse diffuse ne soit sensible dans les populations et chez bea
619 e sens, je ne vous ai pas convaincue. Vous pensez que j’ai exagéré. Vous pensez que j’ai cédé au goût américain de la sensa
620 aincue. Vous pensez que j’ai exagéré. Vous pensez que j’ai cédé au goût américain de la sensation, du biggest in the world.
621 gest in the world. Et de vrai, c’est dans ce pays que la première Bombe vient d’être construite. Exagérée sans doute et dép
622 Exagérée sans doute et dépassant la mesure de ce que l’on connaissait avant le 6 août, elle est là, parce que l’homme l’a
623 ler comme l’esprit devant la mort… Mais admettons que j’ai exagéré : c’était fatal. Écrire, c’est mettre en forme, donc con
624 nc toujours « exagérer » les traits ou phénomènes que l’on veut dégager. Admettons que les armées retiennent une bonne part
625 ts ou phénomènes que l’on veut dégager. Admettons que les armées retiennent une bonne partie de leur utilité au service des
626 e des nations et de leur vertu d’ordre. Admettons qu’ elles arrivent encore à se battre. Admettons que la Bombe soit moins p
627 s qu’elles arrivent encore à se battre. Admettons que la Bombe soit moins puissante que les savants autorisés ne l’affirmen
628 ttre. Admettons que la Bombe soit moins puissante que les savants autorisés ne l’affirment. Admettons qu’il n’y ait pas de
629 e les savants autorisés ne l’affirment. Admettons qu’ il n’y ait pas de raz-de-marée, ni d’autres accidents d’ampleur contin
630 utres accidents d’ampleur continentale. Admettons que notre globe dure longtemps encore, et que la guerre militaire y prosp
631 mettons que notre globe dure longtemps encore, et que la guerre militaire y prospère d’autant mieux qu’elle sera dotée d’un
632 que la guerre militaire y prospère d’autant mieux qu’ elle sera dotée d’une arme de plus. Admettons que l’on invente une par
633 qu’elle sera dotée d’une arme de plus. Admettons que l’on invente une parade à la Bombe, selon l’axiome des militaires, sa
634 ombe, selon l’axiome des militaires, sans oublier que leur expérience démontre qu’on ne pare jamais qu’un certain pourcenta
635 taires, sans oublier que leur expérience démontre qu’ on ne pare jamais qu’un certain pourcentage des coups tirés… Pensez-vo
636 que leur expérience démontre qu’on ne pare jamais qu’ un certain pourcentage des coups tirés… Pensez-vous que les effets de
637 certain pourcentage des coups tirés… Pensez-vous que les effets de la prochaine guerre seront très différents de ceux que
638 a prochaine guerre seront très différents de ceux que j’ai prévus ? La souffrance sera pire, l’agonie de la terre un peu pl
639 matique, et sans témoins. Je reconnais volontiers que ce processus peut se poursuivre assez longtemps. Les choses ne se pas
640 eut-être pas de la manière soudaine et dramatique qu’ un certain goût de l’antithèse m’incline parfois à souhaiter. La tragé
641 es, parce que nos choix ne sont pas si francs, et que nos chefs savent à peine ce qu’ils jouent. Une espèce d’organisation
642 pas si francs, et que nos chefs savent à peine ce qu’ ils jouent. Une espèce d’organisation mondiale ouvrira des bureaux con
643 sortiront quelques vœux incolores. Il est évident que les nations souveraines s’en moqueront. Il est évident que l’une d’en
644 ations souveraines s’en moqueront. Il est évident que l’une d’entre elles, Bombe en main, essaiera d’imposer sa paix à tout
645 tres. (Inutile même de la nommer.) Il est évident que les peuples se révolteront contre cette nation et son régime, tôt ou
646 nation et son régime, tôt ou tard. Il est évident que si l’on continue à penser comme on pense aujourd’hui, cela finira dan
647 finira dans l’explosion totale. Et il est évident que la grande majorité des hommes se refuse à ces évidences. On nous ress
648 évidences. On nous ressasse à longueur de journée qu’ elle « n’est pas prête pour un gouvernement mondial ». Est-ce qu’on lu
649 pas prête pour un gouvernement mondial ». Est-ce qu’ on lui demande si elle est prête pour la mort ? L’humanité, ce sont de
650 t des gens comme vous et moi. Quand vous me dites qu’ elle n’est pas prête pour la paix, cela veut dire que vous d’abord, vo
651 elle n’est pas prête pour la paix, cela veut dire que vous d’abord, vous refusez de faire le choix de la paix, parce que se
652 fficile de le cacher. Nos alibis ne trompent plus que nous-mêmes. Pour moi, je poursuivrai ma lutte, quoi qu’il arrive. C’e
653 Et comment ne m’y tiendrais-je pas, quand je sais que l’enjeu n’est point de ceux que la défaite, mais la désertion seule p
654 as, quand je sais que l’enjeu n’est point de ceux que la défaite, mais la désertion seule puisse me faire perdre ? Je me ra
655 Isaïe, criant de Séir au prophète : « Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? » La sentinel
656 « Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? » La sentinelle a répondu : « Le matin vient et l
657 ons de la Bible vous irritent. Et vous me direz : que fait Dieu dans tout cela ? Dangereuse question : imaginez qu’il vous
658 u dans tout cela ? Dangereuse question : imaginez qu’ il vous réponde ? S’il permet que nous fassions sauter la Terre, elle
659 stion : imaginez qu’il vous réponde ? S’il permet que nous fassions sauter la Terre, elle sautera et ce sera très bien. Au-
19 1946, Articles divers (1941-1946). Dialogues sur la bombe atomique : Post-scriptum (27 avril 1946)
660 um (27 avril 1946)t — Un dernier mot. (Et dire que j’allais l’oublier !) La Bombe n’est pas dangereuse du tout. — Êtes-v
661 ns vos cinq dialogues précédents ? Faut-il penser que vous vous moquiez du monde ? — J’étais sérieux. Je prenais au sérieux
662 re manière paradoxale, comme de coutume, d’avouer que vous exagériez. Savez-vous que beaucoup l’ont pensé, sans vous le dir
663 coutume, d’avouer que vous exagériez. Savez-vous que beaucoup l’ont pensé, sans vous le dire ? Il est bien naturel que l’é
664 nt pensé, sans vous le dire ? Il est bien naturel que l’événement d’Hiroshima nous ait jetés pour quelque temps dans un éta
665 avons repris nos sens. Certains pressentent déjà que la Bombe est en train de se dégonfler, pour ainsi dire. Après tout, n
666 rce que tout le monde en avait une peur bleue, et que personne, même pas Hitler, n’a eu le courage de commencer. À plus for
667 recours aux gaz, c’est entendu. Mais pensez-vous qu’ une timidité subite l’ait arrêté, ou quelque amour tardif de notre hum
668 in de compenser, même à ses yeux, le risque moral qu’ il eût couru à l’employer. Le cas de la Bombe est différent. Je vous r
669 Le cas de la Bombe est différent. Je vous répète qu’ elle supprimera la possibilité de riposter, c’est-à-dire jouera milita
670 y a pas de punition à redouter. Il est donc clair qu’ on l’emploiera, au risque de faire sauter la Terre. — Alors, pourquoi
671 i seul qui se prépare à l’employer. Quand je vois qu’ on nomme des comités pour la retenir ! Comme si elle était tombée du c
672 t d’un comique démesuré. Le contrôle de la Bombe, que l’on discute à longueur de colonne, dans toute la presse, est la plus
673 clair. Elle se tiendra bien coite dans sa caisse. Qu’ on ne nous raconte donc pas d’histoires. Ce qu’il nous faut, c’est un
674 e. Qu’on ne nous raconte donc pas d’histoires. Ce qu’ il nous faut, c’est un contrôle de l’homme. — Ah ! ça, c’est une autre
675 . C’est la seule. On ne peut plus l’éviter depuis que la Bombe nous menace et nous tente à la fois. Et voilà bien le progrè
20 1946, Articles divers (1941-1946). Faut-il rentrer ? (4 mai 1946)
676 Faut-il rentrer ? (4 mai 1946)u On me dit que Mauriac a écrit : Faut-il partir ? (pensant aux jeunes Français, répo
677 r ? (pensant aux jeunes Français, répondant non). Que Bernanos s’est écrié : Mais partez donc ! la Terre est vaste ! Que d’
678 t écrié : Mais partez donc ! la Terre est vaste ! Que d’autres ont protesté que ce débat était antipatriotique, ou anticomm
679  ! la Terre est vaste ! Que d’autres ont protesté que ce débat était antipatriotique, ou anticommuniste, que sais-je. On m’
680 e débat était antipatriotique, ou anticommuniste, que sais-je. On m’écrit cela de Paris et l’on ajoute que je ferais bien d
681 sais-je. On m’écrit cela de Paris et l’on ajoute que je ferais bien de rentrer, sous peine de ne pas comprendre la réalité
682 ndre la France plus au sérieux, plus au tragique, que les chiffres stupides n’y inviteraient. Je m’interroge. Je reprends l
683 rtir serait une tout autre affaire.) Il se trouve que j’habite, pour quelques semaines encore, du côté où les jeunes Europé
684 les avantages de l’Amérique et ses défauts, mieux qu’ ils ne sont en mesure de les imaginer. Cela se discuterait à l’infini.
685 maginer. Cela se discuterait à l’infini. Il n’est qu’ une solution, qui est d’aller voir, et d’« essayer » le pays comme un
686  » le pays comme un nouveau costume. Et je me dis que le problème est mal posé. Il ne s’agit ni de partir ni de rester, au
687 apparemment, puisqu’on pose le problème. Supposez que nous soyons libres de circuler à notre guise. Je répondrais sans hési
688 vre au xxe siècle, en tenant compte des réalités que nous avons créées ou laissé s’imposer ; de la rapidité des transports
689 emporain d’un monde qui change beaucoup plus vite que Jules Verne n’a pu le rêver. C’est cela, et c’est aussi le cauchemar
690 se résoudrait en termes simples : on verrait vite que c’est un faux dilemme. Le fait est là : nous allons en dix heures de
691 ’y revient donc jamais vraiment. Le paysan n’aime que sa terre, ne l’aime donc pas de la meilleure manière, s’il refuse tou
692 Revenez si le cœur vous en dit. Mais je sais bien qu’ il y a les visas. N’acceptons pas que cet accident tardif de la démenc
693 je sais bien qu’il y a les visas. N’acceptons pas que cet accident tardif de la démence nationaliste dénature le problème h
21 1946, Articles divers (1941-1946). « Selon Denis de Rougemont, le centre de gravité du monde s’est déplacé d’Europe en Amérique » (16 mai 1946)
694 reinte. Le prochain aussi, ce Vivre en Amérique que Stock publiera cet automne. Nous questionnons : Dites-nous quels sent
695 civilisation. Une impression beaucoup plus forte que celle qu’éveillent en nous les livres ou même le cinéma. Un sentiment
696 ion. Une impression beaucoup plus forte que celle qu’ éveillent en nous les livres ou même le cinéma. Un sentiment qui dure 
697 de la vie américaine. Parfois, on a l’impression que les gens sont un peu fous… Ils chantent dans la rue, vous posent les
698 puis, ils ont un peu peur de nous ; ils craignent que nous ne soyons une source permanente de désordres et de troubles. Tou
699 ont le sentiment d’être decent. Leur opinion est que les Européens ne sont, eux, pas très decent, qualité qu’un jeune cito
700 Européens ne sont, eux, pas très decent, qualité qu’ un jeune citoyen de là-bas expliquait en ces termes : « Être decent, c
701 en de notre continent ; souvent, elle ignore même que la Suisse existe. Un GI m’a récemment déclaré : « La Suisse ? Quand e
702 ’a récemment déclaré : « La Suisse ? Quand est-ce que nous avons bien pu libérer ça ? C’est si petit ! » Par souci de préci
703 si petit ! » Par souci de précision, j’ajouterai que je ne connais que l’Amérique la moins éloignée de l’Europe. Si de New
704 souci de précision, j’ajouterai que je ne connais que l’Amérique la moins éloignée de l’Europe. Si de New York vous passez
705 i des contrastes les plus violents. ⁂ Pensez-vous qu’ à l’issue de cette dernière guerre, on puisse affirmer que le centre d
706 ssue de cette dernière guerre, on puisse affirmer que le centre de gravité du monde s’est déplacé en Amérique ? Très nettem
707  ; il a cédé le pas au problème Amérique-URSS. Et que pensent les Américains des Russes ? L’opinion est extrêmement mélangé
708 gée. En général, les hommes d’affaires voudraient que ce monde lointain s’ouvre. Le président de la Chambre de commerce amé
709 un œil ouvert sur l’Europe. C’est toujours de là que vient l’initiative. Ce qu’ils ont de plus que nous, c’est un grand ar
710 . C’est toujours de là que vient l’initiative. Ce qu’ ils ont de plus que nous, c’est un grand art du reportage, de la descr
711 là que vient l’initiative. Ce qu’ils ont de plus que nous, c’est un grand art du reportage, de la description. Ils ont ind
712 euvent être violentes, mais cela ne veut pas dire que l’on soit de droite ou de gauche. On fait la grève pour des raisons p
713 e » est profitable à l’Européen ? Absolument ! Ce que je souhaite, c’est qu’on envoie le plus grand nombre possible d’Europ
714 Européen ? Absolument ! Ce que je souhaite, c’est qu’ on envoie le plus grand nombre possible d’Européens outre-Atlantique p
715 de gentillesse. Telle est la « leçon d’Amérique » que nous a donnée M. Denis de Rougemont. En conclusion, disons que lorsqu
716 nnée M. Denis de Rougemont. En conclusion, disons que lorsque Talleyrand affirmait qu’il avait trouvé aux États-Unis « tren
717 nclusion, disons que lorsque Talleyrand affirmait qu’ il avait trouvé aux États-Unis « trente-deux religions et un seul plat
718 deux religions et un seul plat », il n’avait tort qu’ a cinquante pour cent… w. Rougemont Denis de, « [Entretien] Le cent
719 oint séparables, et toutes deux ne sont possibles que dans cet acte unique d’obéissance qui s’appelle l’amour du prochain »
22 1946, Articles divers (1941-1946). Histoire de singes ou deux secrets de l’Europe (16 mai 1946)
720 e siècle. Elle a cours en Europe au moins autant qu’ ailleurs. Elle risquerait parfois de nous frapper d’une sorte de mélan
721 s risques de son choix. Laissons l’Histoire telle qu’ on la simplifie en courbes ascendantes et descendantes. Tout peut enco
722 dans les destins de collectivités aussi complexes que celles que je viens de citer. Je n’entends pas attaquer les jeunes pu
723 stins de collectivités aussi complexes que celles que je viens de citer. Je n’entends pas attaquer les jeunes puissances, n
724 us persuader de la fécondité de certaines valeurs que l’Europe a promues patiemment et qu’elle illustre encore aux yeux du
725 ines valeurs que l’Europe a promues patiemment et qu’ elle illustre encore aux yeux du monde. Je veux parler de la « mémoire
726 es et de leur attristante psychologie nous révèle que ces faux ancêtres ne sont guère inférieurs à l’homme sous le rapport
727 s le rapport de l’intelligence ! Leur malheur est qu’ ils n’ont aucune mémoire. Ils se voient obligés chaque matin de recons
728 faute de traditions instrumentales. Il s’imagine qu’ il invente sans cesse. Il ne croit qu’à l’actualité, aux nouvelles tou
729 l s’imagine qu’il invente sans cesse. Il ne croit qu’ à l’actualité, aux nouvelles toutes chaudes, à la dernière tactique, e
730 outes chaudes, à la dernière tactique, et ne fait que singer d’antiques découvertes. À propos de ces mêmes créatures, une e
731 us break down » le plus caractérisé ! L’Européen, que vingt siècles d’histoire accoutumèrent à trouver le tiroir vide neuf
732 t d’une sobriété devant le destin. Il se souvient que tout peut arriver, même le pire. Il pressent que le sort, la science,
733 que tout peut arriver, même le pire. Il pressent que le sort, la science, le monde moderne et sa prospérité ne sont pas le
23 1946, Articles divers (1941-1946). La pensée planétaire (30 mai 1946)
734 )y Le xxe siècle est en train de découvrir ce qu’ on savait depuis un certain temps mais qu’on n’avait jamais très bien
735 vrir ce qu’on savait depuis un certain temps mais qu’ on n’avait jamais très bien compris, à savoir que la terre est ronde.
736 qu’on n’avait jamais très bien compris, à savoir que la terre est ronde. D’où il résulte, entre autres conséquences, que s
737 onde. D’où il résulte, entre autres conséquences, que si vous tirez devant vous avec une arme assez puissante vous recevrez
738 figure signifie quelque chose d’important : c’est que tout le mal que nous faisons à nos voisins nous atteindra bientôt néc
739 quelque chose d’important : c’est que tout le mal que nous faisons à nos voisins nous atteindra bientôt nécessairement, si
740 est-à-dire à une guerre qui nous atteint tous, et que nous ne faisons donc qu’à nous-mêmes. Les dimensions de la communauté
741 ui nous atteint tous, et que nous ne faisons donc qu’ à nous-mêmes. Les dimensions de la communauté normale, pour une époque
742 comme objet rond, pomme, sphère ou sceptre d’or, que ce soit l’Univers ou l’Empire ou l’Atome. Ici les extrêmes se reflète
743 -là, il aura fait une révolution bien plus grande que la Renaissance. Il semble que la dernière guerre a beaucoup fait pour
744 on bien plus grande que la Renaissance. Il semble que la dernière guerre a beaucoup fait pour éveiller dans les nations le
745 ours essayer d’expliquer aux victimes de la crise que ce n’est pas la faute des députés ni de l’« hypocrisie américaine »…
746 te des députés ni de l’« hypocrisie américaine »… Que faire ? Tout le monde ne peut pas tout savoir, encore moins tout voir
747 pourtant nous sommes destinés à découvrir un jour que ces lions sont des hommes, qui d’ailleurs nous prenaient nous aussi p
748 s d’une conscience planétaire. C’est sa nécessité qu’ il faut d’abord sentir. Et qu’aussitôt la presse, et la radio, le ciné
749 C’est sa nécessité qu’il faut d’abord sentir. Et qu’ aussitôt la presse, et la radio, le cinéma surtout l’éveillent et la p
750 Ce n’est pas une question d’information d’abord, qu’ on m’entende bien, mais de sens, de vision, d’ouverture de l’esprit… F
751 asard si, parmi tous les écrivains français, ceux que je vois manifester le sentiment le plus direct et le plus contagieux
752 Dans leur prose et dans leurs longs versets, quel qu’ en soit le sujet allégué, nous avons pour la première fois senti, sous
753 suré de l’Asie, le cœur violent des Amériques. Et que dire de ce grand joueur de Boule que fut « Saint-Ex »13, le premier q
754 mériques. Et que dire de ce grand joueur de Boule que fut « Saint-Ex »13, le premier qui me parla de la Planète comme d’un
755 mme d’un amour et d’une souffrance intime ? Sinon qu’ il fut lui aussi un poète, en prose et en action, en vision créatrice.
24 1946, Articles divers (1941-1946). La fin du monde (juin 1946)
756 fine, sed nunc stans. Parmi toutes les libertés que la pensée se donne lorsque, se dégageant de notre condition, elle ima
757 de l’homme qui pense cette idée, détruit ; l’idée que vous, et qui pensez, un jour ne serez plus, un jour serez un mort. Si
758 mienne. Et non plus, à mon sens, de la méditation que je poursuis entre ces phrases, dans cette matinée blanche, typiquemen
759 ut s’arrête avant midi, pour moi ? Je ne sens pas que l’idée soit tragique : elle m’appartient, je puis en disposer, feindr
760 z facilement d’en rire. Elle n’est pas plus forte que moi. Peut-être même n’est-elle qu’une ruse cousue de fil blanc de ma
761 pas plus forte que moi. Peut-être même n’est-elle qu’ une ruse cousue de fil blanc de ma vitalité : la seule pensée que mon
762 sue de fil blanc de ma vitalité : la seule pensée que mon souffle puisse, dans quelques instants, s’arrêter, accélère ma re
763 ccélère ma respiration. Et cela ne signifie point que nous n’ayons jamais pensé à notre mort avec une rapide angoisse — nou
764 ec une rapide angoisse — nous y pensons bien plus que nous n’osons le croire, sans doute ne pensons-nous qu’à elle — mais n
765 ous n’osons le croire, sans doute ne pensons-nous qu’ à elle — mais nous n’avons jamais pu penser notre mort. Contester là-d
766 d’une perfection intellectuelle, et l’on conçoit que son application ne puisse être ni rapportée ni répétée. Perfection et
767 épétée. Perfection et Mort en ceci se confondent, qu’ elles sont absolument tragiques, c’est-à-dire sans appel. Ontologie
768 elle situation — la nôtre à tous — ne faut-il pas qu’ une instance mystérieuse aimante notre méditation et qu’elle la fixe s
769 instance mystérieuse aimante notre méditation et qu’ elle la fixe sur cela que le naturel se refuse à prendre au sérieux ?
770 ante notre méditation et qu’elle la fixe sur cela que le naturel se refuse à prendre au sérieux ? Car si nous restons impui
771 ature crie à l’utopie devant ma mort. De là vient que l’humanité, dans son ensemble, résiste instinctivement à la pensée de
772 uis-je donc ici à remuer ces choses ? Il est vrai que ce sont les seules dont l’intérêt grandisse avec le temps, si l’on ad
773 l’intérêt grandisse avec le temps, si l’on admet que le temps va toujours dans le même sens : vers sa fin. Mais c’est une
774 rs sa fin. Mais c’est une mauvaise raison. Depuis qu’ il court ainsi, mesuré par les saisons régulières, le temps nous endor
775 sons régulières, le temps nous endort bien plutôt qu’ il ne nous avertit de son but. Si l’homme savait un jour ce qu’il en e
776 avertit de son but. Si l’homme savait un jour ce qu’ il en est de son destin et de sa liberté, s’il voyait à l’œil nu, leur
777 puissance à choisir sans retour. Vivre est impur, qu’ on sache ou non où va la vie, et c’est pourquoi les bonnes raisons n’e
778 l’homme à penser concrètement sa fin ? D’où vient qu’ imperceptible encore au plus grand nombre, à tous les lettrés sans esp
779 se Le Bas-Empire ne fut « bas », en son temps, qu’ aux yeux de ceux qu’une réalité nouvelle illuminait. Sans la vie, que
780 ne fut « bas », en son temps, qu’aux yeux de ceux qu’ une réalité nouvelle illuminait. Sans la vie, que dire de la mort ? Et
781 qu’une réalité nouvelle illuminait. Sans la vie, que dire de la mort ? Et sans la Fin, que dire de la durée ? Mais tout se
782 ans la vie, que dire de la mort ? Et sans la Fin, que dire de la durée ? Mais tout se mêle encore confusément. Nous sommes
783 n rêve, empêtrés, dans le sentiment d’une urgence que nous ne parvenons pas à distinguer avec des yeux bien dessillés. C’es
784 ret de crise qui sévit au cœur de ce siècle n’est qu’ une première parole, ambiguë, de la Fin. Une première demande d’inform
785 e juger les buts réels de notre marche séculaire. Que savons-nous du sens de notre civilisation ? Quelle est sa fin, dès l’
786 lidarité ? Ce sont des idéaux de ligues, des mots qu’ on n’ose plus employer qu’au dessert. La richesse ? Voici qu’elle n’es
787 aux de ligues, des mots qu’on n’ose plus employer qu’ au dessert. La richesse ? Voici qu’elle n’est plus à la portée des mai
788 plus employer qu’au dessert. La richesse ? Voici qu’ elle n’est plus à la portée des mains humaines, elle n’est plus qu’un
789 s à la portée des mains humaines, elle n’est plus qu’ un symbole chiffré désignant des puissances lointaines. Toutefois, ell
790 s, d’évaluer les conquêtes futures. Signe évident que nous les redoutons. (Si le temps, désormais, travaillait contre nous 
791 la fin du temps, la Fin du Monde. Car il se peut que l’assurance mondiale que nous tentons d’organiser, aménage notre ruin
792 du Monde. Car il se peut que l’assurance mondiale que nous tentons d’organiser, aménage notre ruine collective : lorsque la
793 hiffre dépendra d’une centrale unique, il suffira que l’Ange de la Fin saisisse les commandes pour accomplir le Temps… Et n
794 tion. Car, tandis que le temps s’écoule, à mesure que sa fin s’approche, notre foi diminue, notre attente faiblit. La primi
795 iner cette dimension tragique de notre vie, voici qu’ un destin ironique se charge de l’approfondir. Non pas le temps, mais
796 masse et son Histoire. Vous vous dites en secret qu’ elle ne peut pas mourir, et il est vrai qu’elle ne possède pas de vie
797 secret qu’elle ne peut pas mourir, et il est vrai qu’ elle ne possède pas de vie réelle, et ne peut donc penser sa fin, ni r
798 exagéré, démesuré. Écoutez-moi : s’il se trouvait que le monde réellement fût perdu, quel que soit le désir que vous avez q
799 trouvait que le monde réellement fût perdu, quel que soit le désir que vous avez qu’il dure, et la persuasion où vous vous
800 onde réellement fût perdu, quel que soit le désir que vous avez qu’il dure, et la persuasion où vous vous entretenez qu’il
801 t fût perdu, quel que soit le désir que vous avez qu’ il dure, et la persuasion où vous vous entretenez qu’il durera toujour
802 il dure, et la persuasion où vous vous entretenez qu’ il durera toujours autant que vous ? S’il se trouvait que la vérité ac
803 vous vous entretenez qu’il durera toujours autant que vous ? S’il se trouvait que la vérité actuelle fût totalement démesur
804 urera toujours autant que vous ? S’il se trouvait que la vérité actuelle fût totalement démesurée ? Qui périrait dans la ho
805 s à se défendre, mais seulement à se révéler tels qu’ ils sont, où qu’ils soient. Plus d’évasions spirituelles. L’homme fuya
806 mais seulement à se révéler tels qu’ils sont, où qu’ ils soient. Plus d’évasions spirituelles. L’homme fuyant la Terre où l
807 le sévit, se réfugie sur les hauteurs et découvre que Dieu y est plus dangereux encore, d’une autre sorte, fulgurante. P
808 rreur sans mémoire ? Il faut croire, aujourd’hui, que cela se peut. Cela s’est produit comme un rêve, ou comme la colère so
809 outes ses prières perdues ! » — mais ils savaient que rien ne peut finir tout à fait et à jamais qu’au prix de cela justeme
810 nt que rien ne peut finir tout à fait et à jamais qu’ au prix de cela justement qu’il n’était point permis d’imaginer. Celui
811 t à fait et à jamais qu’au prix de cela justement qu’ il n’était point permis d’imaginer. Celui dont les belles manières son
812 ont les belles manières sont apprises souffre mal qu’ on y passe outre, — et très peu d’entre eux possédaient la pleine assu
813 ligence et belle âme comprises. Et ce n’est point que nous aimions la mort comme telle. Bien au contraire, ce qu’affectionn
814 imions la mort comme telle. Bien au contraire, ce qu’ affectionne la chair, c’est ce qui, croit-elle, la détourne de la mort
815 -elle, la détourne de la mort. C’est la vie telle que vous la cultivez, qui conduit à la mort et la mérite. Nous sommes tou
816 nt. Il sera porté aussi bien sur votre élan vital que sur l’élan mortel. Car il ne vient pas de nous, mais d’En Face. Ici l
817 futur nous attend, ce futur qui n’était pour nous qu’ un recul devant le présent. Ici le temps dit oui pour la première fois
818 l’accomplit, — notre temps, qui n’était pour nous qu’ un refus de l’instant éternel. Et l’Histoire tout entière dans l’acte
819 être. Voici l’instant où les hommes s’aperçoivent que leurs efforts et leurs soucis se tournaient vers ce qui n’est rien, v
820 trouve sans préparation. L’on ne s’était défendu que de l’autre côté, du côté de ce monde mal fait… Parut un soleil nouvea
821 ut ce qui voit éclaire aussi, où tout œil rend ce qu’ il reçoit, où le grand jour est tout en tous. Ce premier Jugement fut
822 de ses aveuglements, de sa tendresse. C’est ainsi que fut déclarée l’incomparable qualité de son péché et mesuré le degré d
823 n péché et mesuré le degré d’être de son être tel qu’ il l’avait librement fait en le vivant. L’examen des raisons de surviv
824 au titre de l’éternité occupèrent moins de temps qu’ on n’imagine. La procédure était, en effet, des plus simples. — Témoig
825 s plus simples. — Témoignez, disait-on, de la vie que vous possédez. Quel est votre plus vrai désir ? Les sages répondaient
826 Les sages répondaient : — Nul ne possède vraiment que ce qu’il peut donner. Demandez-moi plutôt pour quoi je veux mourir. E
827 es répondaient : — Nul ne possède vraiment que ce qu’ il peut donner. Demandez-moi plutôt pour quoi je veux mourir. Et c’éta
828 utôt pour quoi je veux mourir. Et c’était bien ce qu’ on faisait. Ainsi tous connurent la mort, mais les uns renaissaient au
829 d’une voix faible : — Vous savez sans doute mieux que moi. Ils renaîtraient plantes heureuses, par l’effet de quelque pitié
830 tristesse errante, empruntant la forme des joies qu’ il rencontrait ; et son désir ainsi fut exaucé. Un autre voulait vivre
831 au-dessus du sourire de la plus fervente ironie ? Qu’ est-ce qu’il grommelle sous son chapeau de paille ?14 « Qu’il voudrait
832 du sourire de la plus fervente ironie ? Qu’est-ce qu’ il grommelle sous son chapeau de paille ?14 « Qu’il voudrait subsister
833 qu’il grommelle sous son chapeau de paille ?14 «  Qu’ il voudrait subsister dans ce moment du choix qu’on lui impose mainten
834  Qu’il voudrait subsister dans ce moment du choix qu’ on lui impose maintenant, bien plus violent qu’il n’a jamais osé l’ima
835 ix qu’on lui impose maintenant, bien plus violent qu’ il n’a jamais osé l’imaginer. Car, dit-il, au sein d’un tel choix, je
836 le choral d’une angélique hilarité. Et nous sûmes que cet homme était très grand.) Troisième jugement, ou le pardon T
837 rit son essor. Et chacun de nous accède au destin qu’ il s’est fait, à la parfaite possession de soi-même, à son enfer ou à
838 é. « Mais l’Esprit et l’Épouse disent : Viens. Et que celui qui entend dise : Viens ! à celui qui porte avec soi la rétribu
839 ans nos œuvres. Commence l’œuvre du Pardon. « Et que celui qui a soif vienne, que celui qui veut prenne de l’eau de la vie
840 uvre du Pardon. « Et que celui qui a soif vienne, que celui qui veut prenne de l’eau de la vie, gratuitement. » Car mainten
25 1946, Articles divers (1941-1946). Deux lettres sur le gouvernement mondial (4 juin 1946)
841 t mondial (4 juin 1946)z I. Problème curieux que pose le gouvernement mondial Vous me dites que ce n’est point par
842 que pose le gouvernement mondial Vous me dites que ce n’est point par mauvaise volonté, mais que vous avez grand-peine à
843 tes que ce n’est point par mauvaise volonté, mais que vous avez grand-peine à vous représenter « pratiquement » un Pouvoir
844 omment j’explique, pour ma part, cette difficulté que nous éprouvons tous. Un cabinet privé de ministère des Affaires étran
845 dre, personne à menacer ? Personne à qui répondre que l’honneur du pays est en jeu, qu’on ne cédera plus d’une ligne, etc. 
846 à qui répondre que l’honneur du pays est en jeu, qu’ on ne cédera plus d’une ligne, etc. ? Pour tout dire, pas de voisins,
847 ? Les nations et leurs gouvernements ne se posent qu’ en s’opposant. C’est la menace extérieure qui « cimente leur unité »,
848 cet Autre indispensable à son prestige ? Je parie que vous venez de penser à la planète Mars, et à une guerre possible cont
849 Et cela pour essayer de vous mieux représenter ce qu’ un pouvoir planétaire pourrait bien faire de ses dix doigts… Pas de na
850 r en logique, et, dans l’Histoire, cette relation que le premier venu peut détecter dans sa conscience, et sans autre instr
851 cter dans sa conscience, et sans autre instrument qu’ un peu de sincérité. Les nations produisent les guerres, les guerres p
852 ient pas imaginables. Si vous me dites maintenant que c’est mon gouvernement mondial que vous ne voyez pas — car il suppose
853 tes maintenant que c’est mon gouvernement mondial que vous ne voyez pas — car il supposerait une sorte de nation unique, sa
854 , donc sans guerre possible — cela revient à dire que c’est la paix elle-même que vous ne voyez pas. Je dis vous, et je m’e
855 — cela revient à dire que c’est la paix elle-même que vous ne voyez pas. Je dis vous, et je m’en excuse. Vous représentez i
856 ici l’humanité. Notre condition malheureuse veut que nous ne sachions imaginer le bien que par contraste avec un mal dont
857 utrement, le bien — ou la paix — n’est à nos yeux qu’ une fumée, une abstraction, c’est-à-dire, soyons francs, le comble de
858 de cette dernière expression, avez-vous remarqué qu’ on l’emploie de préférence pour dénigrer des projets de paix ? Pour qu
859 donc si dangereux ? Avez-vous également remarqué que les militaires qui prennent la plume (comme ils disent) ont coutume d
860 l’état présent de l’Europe. ⁂ J’ai cru longtemps que la guerre était le pire désordre imaginable à notre époque ; et que c
861 t le pire désordre imaginable à notre époque ; et que ceux qui la tenaient encore pour une nécessité, voire pour une vertu,
862 étaient les véritables éléments de désordre ; et que l’utopie la plus dangereuse était la théorie de la souveraineté sans
863 uite de l’invention de la bombe atomique, m’écrit que je suis un primaire. Il m’assure que « à chaque guerre nous, cavalier
864 que, m’écrit que je suis un primaire. Il m’assure que « à chaque guerre nous, cavaliers, avons prouvé que nous savions nous
865 e « à chaque guerre nous, cavaliers, avons prouvé que nous savions nous battre », ce qui est bien la preuve que j’ai tort,
866 savions nous battre », ce qui est bien la preuve que j’ai tort, et d’ailleurs de n’importe quoi. Il ajoute que ma lettre,
867 tort, et d’ailleurs de n’importe quoi. Il ajoute que ma lettre, dans sa forme, est « nettement péjorative vis-à-vis de l’a
868 e l’armée, de la cavalerie en particulier », bref que je suis un « élément de désordre ». Ce colonel m’a donné une idée. En
869 be ! Suprême élément d’ordre ! » Et ne croyez pas que je plaisantais. Car la Bombe seule peut nous débarrasser des armées,
870 s, des souverainetés nationales, et de l’anarchie qu’ elles entretiennent sur la planète. Je dis que la Bombe peut nous déli
871 hie qu’elles entretiennent sur la planète. Je dis que la Bombe peut nous délivrer de deux manières : soit en faisant sauter
872 pas un instant à votre ami le colonel. Dites-lui que je respecte la cavalerie : elle a fait ses preuves sous Murat. Mais r
873 sous Murat. Mais revenons au xxe siècle. L’idée que les nations puissent perdre leur souveraineté et leurs armées, vous a
874 vous attriste visiblement. Vous avez l’impression que la civilisation et la culture y perdraient quelque chose de précieux.
875 nations qui produisent les guerres… Mais je vois que ce mot de nation a créé entre nous une équivoque. Il a deux sens bien
876 ue. Il a deux sens bien différents. Je n’ai parlé que du mauvais, jusqu’ici, parce que c’est de beaucoup le plus courant. E
877 p le plus courant. Essayons de les distinguer. Ce qu’ il y a de précieux dans les nations, ce qui fait leur véritable origin
878 par destin ou par choix. Croyez-vous sérieusement que les Français cesseront de parler français, de créer leur culture, et
879 e des Affaires étrangères ? Et ne pensez-vous pas que si le gouvernement français n’a plus rien d’autre à faire qu’administ
880 uvernement français n’a plus rien d’autre à faire qu’ administrer le pays, il sera un meilleur gouvernement ? (Je vous pose
881 , dans le sens valable et fécond de ce mot, c’est qu’ elles tendent à se confondre avec l’État, et c’est la volonté qu’ont l
882 t à se confondre avec l’État, et c’est la volonté qu’ ont les États-nations ainsi formés, de se rendre autarciques en vue d’
883 re autarciques en vue d’une guerre possible, soit qu’ ils redoutent ou souhaitent cette éventualité. L’État détruit nécessai
884 lementer ses énergies d’après un modèle uniforme, qu’ il s’agisse d’une nation latine ou anglo-saxonne, socialiste ou capita
885 serait le gouvernement mondial. Ceux qui pensent que c’est tout le contraire prennent le mot patrie dans le sens de nation
886 diques. Autre exemple. Pourquoi n’est-il question que de « nationaliser » tout ce qui peut l’être à l’intérieur des frontiè
887 ré payer le prix exorbitant de l’autarcie, plutôt que de se mettre hors d’état de faire la guerre, en se liant à des économ
888 l’idée de nation… En fait, on étatise la nation. Que penser de ces États-nations, de plus en plus nombreux, qui se referme
889 ons à la frontière, comme autrefois, en attendant que la Bombe vienne volatiliser leurs centres vifs en une seconde, néglig
890 t les armées purement décoratives ? Vous me direz que la France, par exemple, est entrée dans la voie de l’étatisme parce q
891 tatisme parce qu’elle veut la justice sociale, et que cela n’a rien à voir avec la préparation à la guerre. Sans doute, mai
892 rre. Sans doute, mais je parlais moins des motifs que des effets inéluctables. Le désir de justice sociale est une noble pa
893 itable, mais je ne leur vois de commun, à priori, que trois syllabes. Cependant l’on revendique la socialisation parce qu’e
894 iste celui qui demande à voir. (La prochaine fois que vous oserez me dire que le Social Register de New York n’est qu’un Bo
895 voir. (La prochaine fois que vous oserez me dire que le Social Register de New York n’est qu’un Bottin mondain, je vous dé
896 me dire que le Social Register de New York n’est qu’ un Bottin mondain, je vous dénonce dans L’Humanité.) Vous sentez que j
897 in, je vous dénonce dans L’Humanité.) Vous sentez que je ne prends parti ni pour ni contre la socialisation, je note seulem
898 our ni contre la socialisation, je note seulement qu’ on prend parti sans en savoir plus que moi, et à cause de trois syllab
899 e seulement qu’on prend parti sans en savoir plus que moi, et à cause de trois syllabes. Et que l’on confond socialisation
900 ir plus que moi, et à cause de trois syllabes. Et que l’on confond socialisation et nationalisation pour masquer le fait qu
901 alisation et nationalisation pour masquer le fait qu’ il s’agit d’une étatisation. Je n’en ai qu’au cadre national. Introdui
902 e fait qu’il s’agit d’une étatisation. Je n’en ai qu’ au cadre national. Introduisez dans cette broyeuse automatique qu’est
903 onal. Introduisez dans cette broyeuse automatique qu’ est l’État-nation de la démocratie ou marxisme, des idées libérales ou
904 rimes sociaux. On ne sortira de ce cercle vicieux qu’ en supprimant ce qui permet la guerre, ou la provoque, c’est-à-dire en
905 eront qualifiés pour arbitrer. Autrement ce n’est qu’ un jeu de force, et le premier qui tire aura gagné, quel que soit le m
906 de force, et le premier qui tire aura gagné, quel que soit le mordant de l’infanterie ou la bravoure de votre colonel. Il n
26 1946, Articles divers (1941-1946). L’Américain croit à la vie, le Français aux raisons de vivre (19 juillet 1946)
907 ous avez encore quelques Américains en France, et que l’Amérique encore me tient par tout ce que je viens d’y vivre en six
908 ce, et que l’Amérique encore me tient par tout ce que je viens d’y vivre en six années, livrons-nous au petit jeu de sociét
909 es, livrons-nous au petit jeu de société mondiale qu’ est la comparaison des peuples deux à deux. Jeu plus sérieux d’ailleur
910 peuples deux à deux. Jeu plus sérieux d’ailleurs qu’ il n’y paraît. Car l’une des grandes questions du siècle est sans dout
911 s dents éclatantes, et comme s’il n’avait attendu que votre arrivée, justement, pour donner enfin libre cours à ses puissan
912 sa vie privée en général, et ne vous rencontrera qu’ au café. Mais en France des amitiés se nouent — terme intraduisible en
913 s. Personne n’a plus, et mieux écrit sur l’amitié que les moralistes français, de Montaigne à Paul Valéry. Tandis qu’en Amé
914 se rencontre par hasard, on ne se demande pas ce qu’ on est devenu, on rit, on boit, on ne s’étonne de rien, tout glisse et
915 d’amis, tandis que le Français donne l’impression qu’ il ne changerait pas plus de parti que de passé. Comment ils invent
916 ’impression qu’il ne changerait pas plus de parti que de passé. Comment ils inventent Un ingénieur français, débarqua
917 ngénieur français, débarquant à New York, déclare que son pays vient de construire l’avion le plus rapide du monde. L’indus
918 tenu le coup, elle se remonte même si rapidement qu’ elle bat déjà l’américaine sur le terrain le plus favorable à cette de
919 te fait, l’avion le plus rapide du monde n’existe qu’ à un seul exemplaire. Et pendant qu’on le construisait, l’Amérique a p
920 lourds et plus lents, qui n’ont d’autre avantage que de fonctionner sur toutes les grandes lignes du monde. Curieuse impat
921 çais : il invente sans relâche, et cent fois plus que le génie américain ; mais aussitôt il généralise son invention, son p
922 pe stupéfie par sa production standardisée. C’est que l’Européen s’ennuie plus vite et supporte moins de s’ennuyer. Tandis
923 u’il les utilise vraiment, parce qu’il en vit, et qu’ il ne spécule pas à leur sujet. Comment ils prennent la vie Le F
924 ns ou commerciaux, le font passer pour plus léger que l’air. Il a fallu le général de Gaulle et les récits de la Résistance
925 ce pour que certains Américains pressentent enfin que la France est le pays du sérieux sobre, de l’intransigeance réaliste,
926 sons déchirantes de sentimentalisme ne traduisent que ses rêveries, dans un style emprunté aux nègres. Mais sa vie amoureus
927 nte un tel contraste avec les mœurs des Européens qu’ on perd l’espoir de jamais faire comprendre les uns aux autres. L’ordr
928 ique, on copie le gothique, tant pour les églises que pour les universités. On pousse le raffinement jusqu’à construire le
929 t plus d’originalité, de diversité et d’élégance, que les maisons bourgeoises en France. Quant aux gratte-ciel, l’ère en es
930 un ordre spirituel quand il critique un livre. Ce qu’ il ne tolère pas, c’est le mensonge, et là précisément où le Français
931 institutions américaines ? » Vous pouvez répondre que vous êtes alcoolique et anarchiste, on vous laissera entrer. Mais si
932 ntrer. Mais si vous dites sous la foi du serment, que vous ne l’êtes pas, et que votre vie plus tard prouve que vous l’êtes
933 ous la foi du serment, que vous ne l’êtes pas, et que votre vie plus tard prouve que vous l’êtes, l’amende ou la peine de p
934 ne l’êtes pas, et que votre vie plus tard prouve que vous l’êtes, l’amende ou la peine de prison seront triplées. Tout rep
935 mort à la guerre. Le Français, élevé dans l’idée que dulce et decorum est pro patria mori, accepte de se faire tuer non po
936 , mais du troupier moyen, sans opinion.) Il pense qu’ il faut ce qu’il faut, et qu’il faut cela, et que c’est ainsi depuis d
937 pier moyen, sans opinion.) Il pense qu’il faut ce qu’ il faut, et qu’il faut cela, et que c’est ainsi depuis des siècles, et
938 s opinion.) Il pense qu’il faut ce qu’il faut, et qu’ il faut cela, et que c’est ainsi depuis des siècles, et qu’on ne peut
939 qu’il faut ce qu’il faut, et qu’il faut cela, et que c’est ainsi depuis des siècles, et qu’on ne peut pas y échapper. L’Am
940 t cela, et que c’est ainsi depuis des siècles, et qu’ on ne peut pas y échapper. L’Américain, bien au contraire, considère l
941 uffrance et la mort comme des accidents insensés, que rien au monde ne peut rendre acceptables ou justifiables. L’idée que
942 e peut rendre acceptables ou justifiables. L’idée que la souffrance puisse devenir féconde ne l’effleure pas, tandis qu’ell
943 cains s’assurent d’abord — quitte à payer le prix qu’ il faut en matériel — que les batteries d’en face ont été écrasées. Ce
944 — quitte à payer le prix qu’il faut en matériel — que les batteries d’en face ont été écrasées. Cette folie apparente de l’
945 n’est pas simple. Et cela va peut-être choquer ? Que voulez-vous, j’ai deux amours. Or l’amour rend parfois plus lucide qu
946 deux amours. Or l’amour rend parfois plus lucide que l’être aimé ne le souhaite. ab. Rougemont Denis de, « L’Américain
27 1946, Articles divers (1941-1946). Réponse à l’enquête « Les travaux des écrivains » (24 août 1946)
947 re d’ouvrages qui vont paraître en même temps, ce qu’ explique aisément ma longue absence de six ans. D’abord, chez Stock :
28 1946, Articles divers (1941-1946). Mémoire de l’Europe (écrit en Amérique, en 1943) (août-septembre 1946)
948 1943) (août-septembre 1946)ah Je ne savais pas que tout était si près, là-bas. J’étais baigné. J’étais fondé. Et je marc
949 nts séculaires, socles de nos patries ! Monuments que l’on ne voit plus, mais qui renvoient l’écho familier de nos pas. Et
950 force devient visible, c’est comme le sang, c’est que tu es blessé, ta vie s’en va !) La force était mémoire et allusion. E
29 1946, Articles divers (1941-1946). En 1940, j’ai vu chanceler une civilisation : ce que l’on entendait sur le paquebot entre Lisbonne et New York (21 septembre 1946)
951 En 1940, j’ai vu chanceler une civilisation : ce que l’on entendait sur le paquebot entre Lisbonne et New York (21 septemb
952 n frappée au cœur, je l’ai vue chanceler, j’ai vu qu’ elle peut mourir. Durant cette traversée en autocar de Genève aux Pyré
953 sauvages venant des terres abandonnées du Nord et que nos paysans s’efforcent d’arrêter avant qu’elles n’étouffent leurs ch
954 u ve siècle de notre ère. Et je songe au bastion que mon pays élève, nuit et jour, autour du massif du Gothard, cœur mysté
955 nier symbole d’une liberté qui ne peut plus vivre que sous la cuirasse. Hâtons-nous, car tout peut périr. Nous qui sommes e
956 sés chez le purser, nous n’avons plus devant nous qu’ un océan sans douanes ! Dix jours vierges, dix jours durant lesquels o
957 erges, dix jours durant lesquels on peut imaginer que la police renoncera au viol de notre vie privée. Pourtant, certains d
958 moins il se reconnaît dans le portrait simplifié que la police en compose à toutes fins menaçantes. Songeons aussi que ces
959 compose à toutes fins menaçantes. Songeons aussi que ces procédés s’appliquent précisément à l’émigrant, à celui qui s’élo
960 ui et l’assurait quotidiennement, inconsciemment, qu’ il était bien réel et bien lui-même… En mer, nuit du 12 au 13 septembr
961 bur, Excambion. Et ils ne transportent, en effet, que des ex-quelque chose, ex-ministres, ex-directeurs, ex-Autrichiens, ex
962 , ni riche, ni détrôné, et ne pouvant me réclamer que d’une « mission de conférences » (prétexte évidemment peu convaincant
963 t avec un demi-sourire et sans retirer son mégot, que de l’autre côté on savait tout cela, et qu’au surplus, on en faisait
964 égot, que de l’autre côté on savait tout cela, et qu’ au surplus, on en faisait autant, avec des armes fournies par certains
965 paratifs de guerre civile n’auraient été troublés que par l’attaque intempestive des nazis. Contre ceux-là, il semblerait q
966 mpestive des nazis. Contre ceux-là, il semblerait qu’ on eût moins brillamment prévu les choses… De fait, les étrangers sont
967 es petites histoires… » Depuis des mois, c’est ce que répètent dix fois par jour les usagers de la radio. Le monde a changé
968 ns rien vu. C’est après coup, en nous retournant, que nous avons entrevu l’ampleur et la rapidité des événements. Il a dit 
969 oir l’issue de cette guerre, lorsqu’on a remarqué qu’ elle n’oppose plus que deux nations : l’une qui ne sait pas vaincre, m
970 uerre, lorsqu’on a remarqué qu’elle n’oppose plus que deux nations : l’une qui ne sait pas vaincre, mais qui gagne, et l’au
971  : « Il y a des gens, des Parisiens, qui trouvent que les Boches sont corrects… Well… Quand un gangster de Chicago vous pre
972 is éveillé dans ma cabine moite avec le sentiment que tout était changé autour de moi. Eh oui ! des verdures proches défila
973 s’approche, avec l’immense sécurité du continent qu’ on imagine au-delà de ces falaises orangées, frangées de forêts d’un v