1 1941, Articles divers (1941-1946). Reynold et l’avenir de la Suisse (1941)
1 avoir osé porter sur l’avenir immédiat de ce pays un jugement pessimiste. Les plus graves faiblesses, morales et matériell
2 la défense du territoire, proviennent chez nous d’ une incapacité congénitale à prévoir le pire, à l’admettre, et à se prépa
3 de ce xxe siècle. C’est que nous sommes devenus un peuple de bourgeois. L’ère de la bourgeoisie, ère du « confort modern
4 liste, prolonge encore dans la vie de nos cantons une existence condamnée ailleurs par des faits que je n’ai pas à rappeler
5 nos cantons une existence condamnée ailleurs par des faits que je n’ai pas à rappeler. La faiblesse du bourgeois réside da
6 s dépasse » par en haut comme par en bas, traduit un seul et même refus de voir le monde tel qu’il est : pécheur et rachet
7 r l’Europe en pleine révolution. Il a montré l’un des premiers, chez nous, que la vraie fin, même inconsciente de l’étatism
8 issons tout cela et avançons ! La claire vision d’ un but commun et d’un péril qui se désigne lui-même comme total (ou tota
9 avançons ! La claire vision d’un but commun et d’ un péril qui se désigne lui-même comme total (ou totalitaire) doit bien
10 bien suffire à fédérer nos vérités partielles en une force vivante. Allons-y viribus unitis ! Car cela est clair : ni les
11 a plus tard. Faisons d’abord en sorte qu’il y ait un « plus tard ». En campagne, le jour de la capitulation de la Hollan
2 1941, Articles divers (1941-1946). Trois paraboles (1er octobre 1941)
12 pour y rêver, mille pour y souffrir, il n’y a qu’ un Amant : tu t’égares, il s’enfuit. — « En vérité, vous vous cherchiez
13 our aux chambres vides, dans la sonorité glaciale des appartements du Pouvoir. Lui, la voyant passer, s’offusque, ou c’est
14 oix venait du parc ? — Es-tu bien sûr que c’était une voix ? Ils y couraient. La nuit pleuvait dans les futaies épaisses, e
15 Palais disparu, les jardins dévastés, il est vêtu des voiles, elle tremble nue. — Où se cacher encore ? dit-elle. — Dans te
16 t, plus il luttait contre la vie, plus il vivait. Un soir, émerveillé de la revoir, il dit : — Je suis un homme heureux, j
17 soir, émerveillé de la revoir, il dit : — Je suis un homme heureux, j’ai su choisir la pierre de mes vœux, car seul j’ai d
18 puis te toucher, mais la chaleur est bonne. Tout un hiver, il vécut de ce feu. Le printemps vint. — Aurai-je encore besoi
19 Et vois : quand il était heureux, elle luisait d’ une froide splendeur, et quand il était triste, elle était consolante. Ma
20 aussi ton Bien. Veux-tu davantage ? Voici, l’une des deux pierres sera ta pierre de Mort, si tu la choisis seule, et ne ve
21 là. Vous savez que c’est compliqué, ce bâtiment. Des couloirs et des escaliers partout, un labyrinthe. Je suivais les tapi
22 que c’est compliqué, ce bâtiment. Des couloirs et des escaliers partout, un labyrinthe. Je suivais les tapis rouges, et les
23 bâtiment. Des couloirs et des escaliers partout, un labyrinthe. Je suivais les tapis rouges, et les lampes rouges, comme
24 es, et les lampes rouges, comme lorsqu’on choisit une couleur au jeu de cartes, rouge ou noir. J’arrive à la salle de lectu
25 J’arrive à la salle de lecture. Il n’y avait que des feuilles de papier blanc sur les tables, et tout le monde lisait. Je
26 ici ? Quelqu’un l’a-t-il vue ? Ils me regardent d’ un air vexé. Un valet s’approche rapidement et me dit à voix basse : — P
27 un l’a-t-il vue ? Ils me regardent d’un air vexé. Un valet s’approche rapidement et me dit à voix basse : — Puisque Monsie
28 es. Je ne savais plus que dire, parce que j’avais une chose à dire. D’ailleurs, même si je n’avais dit que : Fine day to da
29 i je n’avais dit que : Fine day to day, c’eût été une sorte de question ou de réponse. Je pensais que le mieux serait de m’
30 et soif, je ne rencontrais plus personne. Je suis un fumeur invétéré. Ma dernière cigarette était brûlée. Je me dis : — Pu
31 uve la porte du bureau directorial. J’entre comme un fou et je crie : — Pourquoi ? Le directeur était assis face à la port
32 n’avait rien entendu. Nous nous sommes dévisagés un certain temps ; je ne trouvais pas son regard, il me semblait que ce
33 par-derrière, je ne puis l’expliquer autrement. D’ une certaine manière, c’était mon propre, regard qui traversait ses yeux
34 oser de questions. Car si vous me dites que c’est une vraie balle que j’ai dans le cœur, il est évident que je suis mort. E
3 1942, Articles divers (1941-1946). La leçon de l’armée suisse (4 mars 1942)
35 nt la guerre de 1914, l’empereur Guillaume II fit une visite au gouvernement suisse. Au cours des manœuvres militaires, il
36 I fit une visite au gouvernement suisse. Au cours des manœuvres militaires, il dit à un soldat : « Vous êtes 500 000 hommes
37 isse. Au cours des manœuvres militaires, il dit à un soldat : « Vous êtes 500 000 hommes, et vous tirez bien ; mais si nou
38 us tirez bien ; mais si nous vous attaquions avec un million d’hommes, que feriez-vous ? » — « Chacun de nous tirerait deu
39 référa passer par la Belgique. La Suisse est l’un des pays qui a le mieux résolu l’urgent problème de la défense de la démo
40 ense de la démocratie, sans toutefois tomber dans une mobilisation totalitaire. Voici les faits : Avec une population de 4
41 mobilisation totalitaire. Voici les faits : Avec une population de 4 millions et demi d’habitants, la Suisse a une armée d
42 on de 4 millions et demi d’habitants, la Suisse a une armée de 600 000 hommes. Un habitant sur 7 est un soldat. La même pro
43 bitants, la Suisse a une armée de 600 000 hommes. Un habitant sur 7 est un soldat. La même proportion donnerait aux États-
44 ne armée de 600 000 hommes. Un habitant sur 7 est un soldat. La même proportion donnerait aux États-Unis une armée de 20 m
45 ldat. La même proportion donnerait aux États-Unis une armée de 20 millions d’hommes. Mais nulle part les coutumes et les in
46 pour la première fois de la domination médiévale des seigneurs, leur armée a été un groupement de citoyens libres, posséda
47 ination médiévale des seigneurs, leur armée a été un groupement de citoyens libres, possédant chacun ses propres armes et
48 nt militaire. C’est ainsi qu’on peut souvent voir un paysan, assis sur le seuil de sa porte, polissant et graissant son fu
49 poque, l’« homme libre », — celui qui n’était pas un serf, — se distinguait par ce fait : il avait le droit de porter des
50 inguait par ce fait : il avait le droit de porter des armes. Les Suisses considèrent leurs armes comme un symbole de leur l
51 armes. Les Suisses considèrent leurs armes comme un symbole de leur liberté. Les libertés civiques et l’esprit militaire
52 par chaque citoyen de ses propres armes, montre d’ une façon concrète que l’État lui fait confiance. Imaginez ce qui arriver
53 riverait dans certains États modernes, en proie à des luttes sociales ou politiques, si les soldats démobilisés avaient le
54 oldats, en échange de leurs fusils, par crainte d’ une révolution. Hitler fit désarmer ses propres troupes de choc, après l’
55 puration du 30 juin 1934, leur laissant seulement un poignard décoratif. La possession par chacun de ses propres armes a é
56 ssion par chacun de ses propres armes a également une importance technique qui n’est nullement à négliger. C’est le seul mo
57 llement à négliger. C’est le seul moyen d’assurer une mobilisation ultrarapide. Et c’est la défense la plus adéquate contre
58 éfense la plus adéquate contre les parachutistes. Une coutume médiévale est devenue, ainsi, la méthode la plus moderne de d
59 suisse et le secret de sa popularité… L’armée est un lien non seulement entre les individus, mais aussi entre les classes.
60 elle et les faiblesses de son voisin, de se faire des amitiés. Une égalité complète existe dans les baraquements. Cet entra
61 aiblesses de son voisin, de se faire des amitiés. Une égalité complète existe dans les baraquements. Cet entraînement inten
62 urcis et chargés d’expérience que la vie paisible des villes ou des villages ne leur aurait pas donné en dix ans. Ces 3 moi
63 és d’expérience que la vie paisible des villes ou des villages ne leur aurait pas donné en dix ans. Ces 3 mois sont un puis
64 leur aurait pas donné en dix ans. Ces 3 mois sont un puissant tonique pour la jeunesse suisse et la durée relativement cou
65 vie civile. L’insuffisance technique résultant d’ une si brève période de service est compensée par un entraînement annuel.
66 une si brève période de service est compensée par un entraînement annuel. La vie civile également apporte au citadin de fr
67 chaque village, dans chaque club de tir, on voit des « cercles d’amis » pour officiers et sous-officiers. L’officier suiss
68 . L’officier suisse est, dans la plupart des cas, un civil, comme tout le monde. Entre les manœuvres annuelles, il consacr
69 ques heures par semaine à ses devoirs militaires. Un capitaine, par exemple, dans la vie civile, surveille sa compagnie :
70 urs de ces hommes vont vers lui pour lui demander un conseil ou pour les aider à trouver du travail. Tous le considèrent c
71 r du travail. Tous le considèrent comme le chef d’ une famille de 200 hommes. Le Haut-Commandement de l’armée en Suisse a pr
72 1930 déjà, que la prochaine guerre ne serait pas une guerre de « fronts », et qu’une défense en profondeur devait être org
73 rre ne serait pas une guerre de « fronts », et qu’ une défense en profondeur devait être organisée, constituée par des « nid
74 profondeur devait être organisée, constituée par des « nids » offrant une résistance locale et soigneusement équipés. C’es
75 re organisée, constituée par des « nids » offrant une résistance locale et soigneusement équipés. C’est ainsi que les Suiss
76 défense, selon sa topographie et ses ressources. Des petits corps d’armée surgissent en certains points pour défendre les
77 e les profondes vallées et pour barrer le paysage des gorges étroites. Si l’ennemi est trop puissant, des renforcements son
78 s gorges étroites. Si l’ennemi est trop puissant, des renforcements sont demandés aux voisins, suivant des plans préétablis
79 renforcements sont demandés aux voisins, suivant des plans préétablis. Nous trouvons ainsi à la base de l’organisation mil
80 et en forts pour défendre les principaux passages des Alpes. Ce sont des brigades de montagne, constituées par des spéciali
81 fendre les principaux passages des Alpes. Ce sont des brigades de montagne, constituées par des spécialistes du ski et de l
82 Ce sont des brigades de montagne, constituées par des spécialistes du ski et de l’alpinisme, et des brigades indépendantes
83 par des spécialistes du ski et de l’alpinisme, et des brigades indépendantes pour défendre les frontières. Ces troupes de c
84 ’ils défendent. Il n’est pas besoin de leur faire des discours. L’un de ceux qui écrivit cet article fut mobilisé en 1939,
85 x qui écrivit cet article fut mobilisé en 1939, à un poste-frontière du Jura. Il pouvait voir, à travers ses jumelles, un
86 du Jura. Il pouvait voir, à travers ses jumelles, un champ, à 3000 pieds au-dessous, et parfois attraper le clair reflet d
87 au-dessous, et parfois attraper le clair reflet d’ une robe d’été et imaginer qu’il reconnaissait ses enfants. De telles cho
88 s. De telles choses comptent dans la guerre. Mais une petite armée peut-elle défendre avec succès un pays contre un adversa
89 s une petite armée peut-elle défendre avec succès un pays contre un adversaire cinquante fois mieux équipé ? Le premier ac
90 mée peut-elle défendre avec succès un pays contre un adversaire cinquante fois mieux équipé ? Le premier acte du « blitzkr
91 ue les troupes peuvent être déplacées sans l’aide des voies ferrées. La seconde phase du « blitzkrieg » est la trouée du te
92 montagnes. Chaque village de la Suisse est devenu un fort, ses entrées fermées par des barricades et les maisons transform
93 uisse est devenu un fort, ses entrées fermées par des barricades et les maisons transformées en des forteresses en miniatur
94 par des barricades et les maisons transformées en des forteresses en miniature. Vous ouvrez la porte de quelque grenier et
95 de quelque grenier et vous vous trouvez en face d’ un canon anti-tank, protégé par un mur en ciment. Une poussée rapide de
96 trouvez en face d’un canon anti-tank, protégé par un mur en ciment. Une poussée rapide de divisions motorisées pourrait se
97 un canon anti-tank, protégé par un mur en ciment. Une poussée rapide de divisions motorisées pourrait seulement se faire en
98 uves, les vallées et les gorges sont protégés par des canons cachés dans les parois rocheuses. Dans chaque « compartiment »
99 u territoire suisse, l’ennemi aurait à développer une attaque en règle. Il ne serait nullement question d’avancer rapidemen
100 de la victoire allemande ont renforcé la volonté des Suisses de se défendre. Le contact entre les hommes et le sol, entre
101 nt parce que ses voisins comprirent que ce serait un « morceau dur à avaler », et parce qu’il était celui qui a, dans ses
102 unités de l’armée doivent ralentir la pénétration des frontières, d’autres doivent défendre les vallées partant du Gothard.
103 Suisses pourraient tenir, sans espérer toutefois une victoire, mais ils sauveront du moins l’honneur du pays. Des extraits
104 e, mais ils sauveront du moins l’honneur du pays. Des extraits d’un récent discours prononcé à Berne par un colonel, devant
105 veront du moins l’honneur du pays. Des extraits d’ un récent discours prononcé à Berne par un colonel, devant un grand publ
106 xtraits d’un récent discours prononcé à Berne par un colonel, devant un grand public, montre l’état d’esprit actuel de la
107 discours prononcé à Berne par un colonel, devant un grand public, montre l’état d’esprit actuel de la Suisse. Le vrai Co
108 » La liberté individuelle ne pourra survivre dans un État qui ne défend pas son indépendance. Mais au-delà de tout calcul
109 u-delà de tout calcul de gain ou de perte, il y a des valeurs morales. Il y a l’idée fédéraliste que nous devons conserver
110 ’idée fédéraliste que nous devons conserver comme un héritage à nos descendants. Voilà pourquoi nous croyons en Dieu et no
111 Voilà pourquoi nous croyons en Dieu et non pas en un homme qui prétend être adoré comme un Dieu. c. Rougemont Denis de
112 non pas en un homme qui prétend être adoré comme un Dieu. c. Rougemont Denis de, « La leçon de l’armée suisse », Jour
4 1943, Articles divers (1941-1946). Angérone (mars 1943)
113 à certains de s’oublier jusqu’à donner de l’amour une ou plusieurs définitions. Ah ! puissions-nous aimer l’amour assez pou
114 méfiance ou à cette avarice anxieuse. Mais il est une manière imaginable de parler de l’amour sans malice : c’est de former
115 thmes de phrases où l’indicible jette par moments une espèce d’émotion ou de gêne, non qu’il soit dit ni même décrit par al
116 annoncée par certain frémissement de l’assemblée des mots qui font la cour : le Roi s’approche. Toute éloquence est amour
117 us apprend à sa manière que l’amour est le lieu d’ un mutisme sacré. Angérone, déesse du Silence : on croit qu’elle avait s
118 ’approche de son terme. Quand le désir s’empare d’ un homme, il arrive qu’il le rende muet. Il arrive même que le désir se
119  terme » où l’esprit se libère. La volupté serait un phénomène analogue à celui de l’hypnose : un état de l’âme ou de l’es
120 rait un phénomène analogue à celui de l’hypnose : un état de l’âme ou de l’esprit rétrécissant le champ des facultés vers
121 tat de l’âme ou de l’esprit rétrécissant le champ des facultés vers un objet unique et dans une seule pensée — l’identifica
122 l’esprit rétrécissant le champ des facultés vers un objet unique et dans une seule pensée — l’identification, par la conq
123 e champ des facultés vers un objet unique et dans une seule pensée — l’identification, par la conquête chez l’un, par l’aba
124 ntes : l’extrême concentration de l’attention sur un objet non corporel, œuvre d’art ou pensée d’un ordre difficile, peut
125 ur un objet non corporel, œuvre d’art ou pensée d’ un ordre difficile, peut échouer comme par court-circuit dans le plaisir
126 mme par court-circuit dans le plaisir ; tandis qu’ un débauché vulgaire gémit d’avoir perdu la volupté. L’homme du désir :
127 a : regarder longtemps en silence, se perdre dans des yeux. (Certaines heures, soirs, aubes, passages.) L’ivresse naissante
128 res, soirs, aubes, passages.) L’ivresse naissante des amants, c’est le silence qui s’établit entre eux. L’approche des yeux
129 st le silence qui s’établit entre eux. L’approche des yeux, dès qu’ils ont accepté tout le regard de l’autre : sentiment co
130 aines secondes, elle dépasse le temps, s’approche des bords d’une immobilité sans fond où elle se penche… Maintenant un seu
131 es, elle dépasse le temps, s’approche des bords d’ une immobilité sans fond où elle se penche… Maintenant un seul œil est vi
132 mmobilité sans fond où elle se penche… Maintenant un seul œil est visible dans ce visage décomposé en ombres et lueurs len
133 omposé en ombres et lueurs lentement mouvantes, —  un seul œil par où toute l’âme regarde et supplie avec une impérieuse te
134 ul œil par où toute l’âme regarde et supplie avec une impérieuse tendresse. De plus près encore, l’œil vient à perdre toute
135 l. Dans le silence du désir, la possession a fait une brusque rumeur de vagues affrontées et hostiles. Maintenant, l’onde l
136 et hostiles. Maintenant, l’onde lisse et basse d’ un temps nouveau nous environne. Ceux qui n’aiment point la femme qu’ils
137 violent amour qu’il nous est accordé de concevoir un absolu, mais sous la forme de l’inaccessible. Atteintes enfin les lim
138 solitude égarée du couple, Éros pose en couronne un désespoir glacial : vous n’irez pas au-delà de votre union. Ô silence
139 vous n’irez pas au-delà de votre union. Ô silence des astres ! Fondues nos âmes ? Deux corps s’endorment dans leur paix, et
140 tout à fait, et ses yeux dans le noir imaginent. Une étreinte qui s’égalerait à l’Infini. Se fondre en un seul être, mais
141 étreinte qui s’égalerait à l’Infini. Se fondre en un seul être, mais que cet être accède ensuite au commerce de ses sembla
142 u’à son tour il les aime, les possède ! Ainsi par une suite de vertiges, multipliant la splendeur amoureuse, par mille étre
143 esprit se tourne vers les choses et les dénomme d’ un regard. Un corps auprès du mien respire, mémoire pesante de l’incomme
144 ourne vers les choses et les dénomme d’un regard. Un corps auprès du mien respire, mémoire pesante de l’incommensurable nu
145 u terme de la fuite, nous ne toucherons jamais qu’ un impossible fascinant. Et nous vivrons dès lors dans le vertige de nou
146 e. On voit soudain que le désir était le dialogue des corps, tandis que le plaisir est solitaire, instant où les amants son
147 ssent la conscience, et le sérieux, et la réalité des vies au jour. Nous sommes deux. Il n’y a que deux philosophies : cel
5 1943, Articles divers (1941-1946). La gloire (mars 1943)
148 La gloire (mars 1943)e (Nous le connaissions un peu, et pensions le connaître. La lecture de ses papiers posthumes no
149 trahit son journal intime. Peut-être le secret d’ une différence aussi curieuse est-il caché dans les passages de ces cahie
150 ontradictions. Mais c’est ce qui peut intéresser. Une attitude aussi profondément ambiguë, vis-à-vis de la gloire, n’est pa
151 ans entretenir les plus curieux malentendus entre un auteur et ses lecteurs. Or il se peut que ce soit l’attitude de la pl
152 ’a pas trouvé de prochains, car il n’a cherché qu’ un public. C’est le public qui donne la gloire à celui qui le méprise as
153 pas qu’elle a « perdu sa vie ». Liszt à la fin d’ un concert triomphal, s’incline et prononce à mi-voix : « Je suis le ser
154 amais la foule n’a jugé ridicule que l’on affiche un amour de la gloire même excessif pour le talent qu’on a. La foule ne
155 nge le jugement sur la gloire. La gloire est donc un mythe : j’entends que son pouvoir et sa grandeur ne dépendent d’aucun
156 tia famam. Toute gloire est donc aliénée. Celle d’ un Chateaubriand n’est pas à lui, ni à son œuvre, mais au public qui la
157 ? Et l’orgueilleux que je suis, ne donne-t-il pas une preuve d’amour à son audience en exigeant d’elle plus de noblesse ? D
158 us néglige, vous qui donnez la gloire pour prix d’ une complaisance. Mais c’est dire aussi : je vous aime, puisque je vous v
159 elui qui ne veut pas la gloire telle que la donne une foule à qui la flatte, n’est-ce pas qu’il veut la gloire telle que lu
160 ve siècle.) Le besoin de la gloire est donc né d’ une sorte de maladie du sens social. C’est le contraire de l’amour du pro
161 ulement du voisin qu’il peut utiliser. Il cherche des admirateurs, des confirmateurs de son être. C’est que l’acte de s’éca
162 qu’il peut utiliser. Il cherche des admirateurs, des confirmateurs de son être. C’est que l’acte de s’écarter d’une commun
163 eurs de son être. C’est que l’acte de s’écarter d’ une communion ou d’une communauté, écarte aussi de soi, et l’on éprouve a
164 ’est que l’acte de s’écarter d’une communion ou d’ une communauté, écarte aussi de soi, et l’on éprouve alors le besoin de s
165 on éprouve alors le besoin de se faire confirmer. Un homme en communion active avec les hommes qui l’entourent ne songerai
166 c’est ce que donne la foule qui fait la gloire d’ un homme.) La gloire antique était virile, comme le don. Alexandre exemp
167 ommet. Sa gloire était dans son destin, gagée par une mesure universelle que ses actions comblaient exactement. Mais notre
168 Mais notre gloire ne saurait être mesurée : c’est une rumeur, c’est une publicité, une espèce d’inflation provisoire. Elle
169 ne saurait être mesurée : c’est une rumeur, c’est une publicité, une espèce d’inflation provisoire. Elle n’est pas grande,
170 mesurée : c’est une rumeur, c’est une publicité, une espèce d’inflation provisoire. Elle n’est pas grande, mais exagérée,
171 uels moyens elle fut acquise : toujours au prix d’ une vulgarité. (Zones de bassesse chez d’Annunzio ; c’est là, non pas dan
172 oire.) Et cependant, je me suis surpris à désirer une gloire qui ne m’ennuierait pas. Non point la leur, mais celle que je
173 elle que je la connais depuis toujours, moi seul. Un dieu n’a pas besoin d’adorateurs pour rayonner et se réjouir de son ê
174 ir de son être. Oui, c’est bien là le privilège d’ un dieu. Et la vraie gloire. Qu’est-ce que l’incognito ? Il y a là quel
175 débarrasser serait d’en parler ouvertement. Comme un menteur qui dirait : « Je vous avertis que je vais mentir, pour telle
176 . Vous savez ce que je suis, et si vous appreniez un jour que j’ai de la gloire, que sauriez-vous alors d’essentiel que dè
177 veux-je cette erreur-là ? Certes — mais non comme une erreur —, je veux cela. Qu’est-ce donc que « gloire », dont la pronon
178 me sauve malgré moi de mon triomphe. Il n’y a qu’ un seul Dieu, celui qui dit Je suis. Ce sera Dieu, ou ce sera moi. Si c’
6 1943, Articles divers (1941-1946). Rhétorique américaine (juin-juillet 1943)
179 L’Amérique m’a fait prendre conscience de bien des choses qui allaient de soi dans notre Europe, et qui me sont révélées
180 s, je suis frappé par le souci qu’y montre Gide d’ une écriture durable et d’une œuvre d’avenir. Il n’accepte de rompre avec
181 ouci qu’y montre Gide d’une écriture durable et d’ une œuvre d’avenir. Il n’accepte de rompre avec une tradition que pour en
182 d’une œuvre d’avenir. Il n’accepte de rompre avec une tradition que pour en fonder une nouvelle, qui se révélera sans doute
183 e de rompre avec une tradition que pour en fonder une nouvelle, qui se révélera sans doute conforme à la tradition de la la
184 us vivace. Gide craint d’inclure l’actualité dans un ouvrage, parce que c’est elle qui risque de vieillir en premier lieu.
185 r craindre les atteintes du temps. On n’écrit pas un livre pour qu’il dure, en Amérique, mais d’abord pour qu’il frappe et
186 ximum, dans le plus court délai. Signe de santé d’ une culture. Le journaliste est l’homme pour qui le lendemain n’existe pa
187 un reproche. Car l’Amérique a fait du journalisme un art par une révolution trop ignorée de l’Europe. Un art qui n’exclut
188 . Car l’Amérique a fait du journalisme un art par une révolution trop ignorée de l’Europe. Un art qui n’exclut pas une poés
189 art par une révolution trop ignorée de l’Europe. Un art qui n’exclut pas une poésie très drue, et qui possède une rhétori
190 trop ignorée de l’Europe. Un art qui n’exclut pas une poésie très drue, et qui possède une rhétorique, un « art de persuade
191 n’exclut pas une poésie très drue, et qui possède une rhétorique, un « art de persuader » étrangement efficace. La connaiss
192 poésie très drue, et qui possède une rhétorique, un « art de persuader » étrangement efficace. La connaissance de ses règ
193 t de composition. La rhétorique française veut qu’ un discours, un essai ou un simple article, soient introduits par quelqu
194 ion. La rhétorique française veut qu’un discours, un essai ou un simple article, soient introduits par quelques précaution
195 orique française veut qu’un discours, un essai ou un simple article, soient introduits par quelques précautions verbales,
196 its par quelques précautions verbales, qui créent une atmosphère ou orientent l’esprit. La rhétorique américaine écarte ces
197 prudences et ces cérémonies. Elle considère comme un poids mort nos formules de présentation ou de congé. Un article de ma
198 ds mort nos formules de présentation ou de congé. Un article de magazine américain commence presque obligatoirement par un
199 ne américain commence presque obligatoirement par une anecdote étonnante, une énumération de faits bruts, ou quelques chiff
200 esque obligatoirement par une anecdote étonnante, une énumération de faits bruts, ou quelques chiffres impressionnants. C’e
201 el. L’article ensuite ne se déroulera pas suivant un plan logique, mais suivant la ligne de plus immédiate efficacité. Là
202 , le Human Touch, sont régulièrement préférés par un directeur de revue américaine à la « formule heureuse » condensant et
203 a « formule heureuse » condensant et généralisant des observations que l’on néglige de rapporter en détail. Au séminaire de
204 de Short Stories (histoires brèves, nouvelles) d’ une grande université américaine, on enseigne aux étudiants à éviter tout
205 prouve au moment où ses semelles-crêpe marquent d’ une empreinte poussiéreuse le moelleux tapis du hall d’entrée, etc. Exemp
206 apis du hall d’entrée, etc. Exemple caricatural d’ un mode d’expression qui donnerait, avec beaucoup de talent, une page de
207 xpression qui donnerait, avec beaucoup de talent, une page de Faulkner, un poème ; avec moins de talent, un long roman. De
208 t, avec beaucoup de talent, une page de Faulkner, un poème ; avec moins de talent, un long roman. De cet ouvrage, la criti
209 age de Faulkner, un poème ; avec moins de talent, un long roman. De cet ouvrage, la critique américaine ne dira pas souven
210 it, mais plutôt : c’est effective, agissant. Et d’ une idée l’on ne demandera pas seulement qu’elle soit juste, mais qu’elle
211 ’elle soit inspiring, stimulante. Tout cela donne une littérature plus apte qu’aucune autre à l’expression du dynamisme ave
212 sensation et le sensationnel, elle fait preuve d’ un incomparable pouvoir d’émotion. Mais elle attend encore son style int
7 1943, Articles divers (1941-1946). Mémoire de l’Europe : Fragments d’un Journal des Mauvais Temps (septembre 1943)
213 Mémoire de l’Europe : Fragments d’ un Journal des Mauvais Temps (septembre 1943)h I. — Le bon vieux te
214 Mémoire de l’Europe : Fragments d’un Journal des Mauvais Temps (septembre 1943)h I. — Le bon vieux temps présent
215 t au Hradschin Après Vienne, avec Prague, c’est une Europe qui vient de mourir. Europe du sentiment, patrie de nostalgie
216 de tous ceux qu’a touchés le romantisme — encore un paradis perdu ! Mais les vrais paradis seront toujours perdus : ils n
217 et la Vienne de Schubert — à l’heure où sombrent des nations sous l’uniforme barbarie — je les vois s’élever rayonnants da
218 ois s’élever rayonnants dans la lueur éternisée d’ un soir d’été, après l’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirante
219 un soir d’été, après l’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirante et délicieuse comme les secondes voix de Schumann.
220 t délicieuse comme les secondes voix de Schumann. Un mythe nouveau prend son essor au sein même de la catastrophe. Tout un
221 nd son essor au sein même de la catastrophe. Tout un âge, un climat de musiques, soudain se fixe en nos mémoires, s’idéali
222 ssor au sein même de la catastrophe. Tout un âge, un climat de musiques, soudain se fixe en nos mémoires, s’idéalise. Un «
223 ues, soudain se fixe en nos mémoires, s’idéalise. Un « bon vieux temps » de plus, tout près de nous… Le bon vieux temps, p
224 otre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’ un coup, est encore plus proche : c’est l’an passé, c’est avant-hier, pe
225 rs du bon vieux temps européen. Jours de sursis d’ une liberté dont nous avions à peine conscience, parce qu’elle était notr
226 s goûter ce répit, et sentir que nous prolongeons une existence que nos fils appelleront douceur de vivre ? Déjà nous éprou
227  ? Déjà nous éprouvons que le monde a glissé dans une ère étrange et brutale, où ces formes de vie qui sont encore les nôtr
228 stin. Soit que les tyrans nous accablent, soit qu’ un sursaut nous dresse à résister, il faudra changer le rythme et rectif
229 les ressorts, mobiliser les cœurs… C’est le crime des dictatures : elles ne tuent pas la liberté dans les pays seulement où
230 s aussi bien chez les voisins qu’elles secouent d’ un défi grossier. La liberté ne peut survivre à de tels chocs. Car elle
231 ivre à de tels chocs. Car elle est vraiment comme un rêve, un rêve heureux où l’on circule avec aisance, gardant parfois l
232 tels chocs. Car elle est vraiment comme un rêve, un rêve heureux où l’on circule avec aisance, gardant parfois l’arrière-
233 c aisance, gardant parfois l’arrière-conscience d’ un miracle. Elle est encore une œuvre d’art qui n’agit que par l’atmosph
234 ’arrière-conscience d’un miracle. Elle est encore une œuvre d’art qui n’agit que par l’atmosphère, par le charme qu’elle fa
235 l’atmosphère, par le charme qu’elle fait régner. Des lois adroites et humaines ne suffiront jamais à l’assurer : il y faut
236 t sentimental, cette espèce de naturel qui naît d’ une entente tacite, d’une confiance, presque d’une insouciance… C’est tou
237 spèce de naturel qui naît d’une entente tacite, d’ une confiance, presque d’une insouciance… C’est tout cela que vient de me
238 d’une entente tacite, d’une confiance, presque d’ une insouciance… C’est tout cela que vient de mettre en question l’usurpa
239 e et goûte encore quelques instants les délices d’ un rêve inachevé. Mais il sait bien que c’est fini. Brève dispense, le t
240 t bien que c’est fini. Brève dispense, le temps d’ un peu se souvenir… Il faut se lever. Il faut entrer résolument dans le
241 le grand jour du siècle mécanique, accepter pour un temps sa loi, en préservant, s’il se peut, dans nos cœurs, ce droit d
242 és aussi, qui ne re­trouvent l’espoir qu’au seuil des catastrophes générales. Et j’en connais qui ne parviennent à leur rég
243 ne parviennent à leur régime normal de vie (comme un moteur prend son régime normal à tant à l’heure) que dans le drame et
244 à l’heure) que dans le drame et le bouleversement des habitudes où l’énergie s’enlise. Ce besoin d’être provoqué pour montr
245 ent collectif. Je puis l’avouer parce que je suis un écrivain, Il est admis que ces gens-là ont le droit de dire — pour le
246 nos pensées, de nos images. Hier, dans l’autobus, une petite dame assise devant moi s’écrie, voyant s’abattre une pluie d’o
247 dame assise devant moi s’écrie, voyant s’abattre une pluie d’orage sur la Concorde : « Et moi qui ai oublié mon masque à g
248 1939 La grande ville traversée dans la fatigue d’ un soir pluvieux. Paris, souffrance des visages et des corps, exercice p
249 la fatigue d’un soir pluvieux. Paris, souffrance des visages et des corps, exercice perpétuel de charité dans une atmosphè
250 n soir pluvieux. Paris, souffrance des visages et des corps, exercice perpétuel de charité dans une atmosphère exténuante,
251 et des corps, exercice perpétuel de charité dans une atmosphère exténuante, hâte, érotisme, énervement. Paris soudain cons
252 ituelle la plus extraordinaire du siècle ! Il est des êtres et des drames dont la vérité n’apparaît que dans cet environnem
253 us extraordinaire du siècle ! Il est des êtres et des drames dont la vérité n’apparaît que dans cet environnement de lueurs
254 roisements d’existences étrangères. Paris propose une liberté et un danger, une révélation totale de l’humain dans tous ses
255 istences étrangères. Paris propose une liberté et un danger, une révélation totale de l’humain dans tous ses risques matér
256 rangères. Paris propose une liberté et un danger, une révélation totale de l’humain dans tous ses risques matériels et spir
257 eut-être à toute autre époque. Imaginer là-dessus un livre vrai, un livre où tout serait avoué, horreur et charme, à trave
258 e autre époque. Imaginer là-dessus un livre vrai, un livre où tout serait avoué, horreur et charme, à travers la vision d’
259 t avoué, horreur et charme, à travers la vision d’ un saint qui vivrait sa vie consacrée dans les rues, les cafés, les métr
260 ortant de cette église ouverte, où passe le bruit des autobus ; ou bien de ce temple, un samedi soir, où la Sainte-Cène est
261 asse le bruit des autobus ; ou bien de ce temple, un samedi soir, où la Sainte-Cène est partagée dans un silence de cataco
262 samedi soir, où la Sainte-Cène est partagée dans un silence de catacombes. Centre du monde ! Il s’en va, coudoyant la fou
263 e, l’Amour qui bouleverse le monde et fait surgir des quotidiennes apparences l’être tou­chant, bizarre ou monstrueux que c
264 ïr, ou d’être déçu par l’amour, ou de s’inquiéter des rumeurs qui glissent au travers de propos superficiellement passionné
265 re son vrai combat. III. — Pendant la bataille des Flandres En Suisse, 24 mai 1940. Poste militaire à la frontière Éc
266 ntière Écouté la radio : opéra de Mozart. Et dans une seule bouffée, toutes ces nuits de Vienne, élégantes passions égarées
267 ions égarées, musique aux jardins jusqu’à l’aube… Un quart de tour, nouvelles de la bataille des Flandres, c’est la fin d’
268 ’aube… Un quart de tour, nouvelles de la bataille des Flandres, c’est la fin d’un communiqué, régions perdues encore, régio
269 elles de la bataille des Flandres, c’est la fin d’ un communiqué, régions perdues encore, régions perdues dans le passé et
270 rien dire ou faire qui s’accorde à ces temps ? «  Une nuit viendra, pendant laquelle personne ne peut agir. » C’est quelque
271 qui peut-être ne viendront jamais ? Car la carte des pays libres, hier encore presque aussi vaste que la terre, se rétréci
272 t — pays perdus, souvenirs saccagés. S’il y avait une victoire enfin, ce serait un retour du passé. Vaudrait-il mieux qu’al
273 cagés. S’il y avait une victoire enfin, ce serait un retour du passé. Vaudrait-il mieux qu’alors ? Saurions-nous mieux le
274 mais, ce bon vieux temps que je sentais présent — un an déjà ! comme dans les chansons — même si la guerre était gagnée, m
275 a bataille ? Ont-ils de ces retours soudains vers des moments de tendresse banale ? Ils deviendraient fous de révolte… Ils
276 n ont sûrement quand ils s’endorment épuisés, sur un talus, ou pire encore ! ils en ont au réveil, affreux bonheur d’une i
277 encore ! ils en ont au réveil, affreux bonheur d’ une illusion rapide, où suis-je ? Déjà tout recommence, sans relâche, et
278 tout recommence, sans relâche, et cet acharnement des choses contre moi, voulant quoi, sans relâche ? voulant ma mort à moi
279 . C’est sérieux, cette fois-ci ça y est !… Vivant un cauchemar qui est vrai, nous allons en désordre au réveil. La mort, l
280 isation de la radio produisit durant cette guerre une conséquence fort imprévue : elle empêcha les hommes de se rendre comp
281 e se rendre compte de l’ampleur et de la rapidité des bouleversements qu’ils vivaient. Aux mois de mai et de juin 1940, on
282 n… » Le monde était en train de changer de face d’ un jour à l’autre, mais on le regardait d’heure en heure, de trop près,
283 ’Amérique. Mais ici, je fais le serment d’opposer une stricte mémoire à la candeur intarissable de la Vie, toujours pressée
284 tarissable de la Vie, toujours pressée d’imaginer un monde où tout peut encore continuer. J’ai vu la civilisation frappée
285 ais qu’elle peut mourir. J’ai vu la France, comme un homme qui vient de tomber sur la tête, qui se relève, se tâte, et ne
286 j’ai vu, aux frontières de la Suisse, l’invasion des herbes sauvages venant des terres abandonnées du Nord, et que nos pay
287 la Suisse, l’invasion des herbes sauvages venant des terres abandonnées du Nord, et que nos paysans s’efforcent d’arrêter
288 , cœur mystérieux du continent, dernier symbole d’ une liberté qui ne peut plus vivre que sous la cuirasse. Hâtons-nous, car
289 , novembre 1940 Périgny… C’était bien ce nom-là ? Un long village en bordure de la route. D’un côté, les maisons dominaien
290 om-là ? Un long village en bordure de la route. D’ un côté, les maisons dominaient une vallée, de l’autre elles s’élevaient
291 re de la route. D’un côté, les maisons dominaient une vallée, de l’autre elles s’élevaient à peine d’un étage au-dessus des
292 ne vallée, de l’autre elles s’élevaient à peine d’ un étage au-dessus des champs de roses et des blés, au bord du plateau d
293 re elles s’élevaient à peine d’un étage au-dessus des champs de roses et des blés, au bord du plateau de la Brie. Je montai
294 peine d’un étage au-dessus des champs de roses et des blés, au bord du plateau de la Brie. Je montais vers Périgny par un s
295 u plateau de la Brie. Je montais vers Périgny par un sentier fort raide entre les ronces, aboutissant à de vieux escaliers
296 tre les ronces, aboutissant à de vieux escaliers. Une seule rangée de maisons à traverser, et l’on parvient à la grand-rue 
297 t les boutiques, et même les cafés. Et s’il passe une auto, c’est une de ces voitures branlantes qui semblent ne pouvoir ro
298 et même les cafés. Et s’il passe une auto, c’est une de ces voitures branlantes qui semblent ne pouvoir rouler que sur les
299 ne pouvoir rouler que sur les routes écartées, d’ une ferme au marché le plus proche. Nulle part au monde la vie n’apparaît
300 acifique et séculaire. Ce pays-là n’est qu’amitié des tons et des lignes humaines, humilité sous la douceur du ciel, retrai
301 séculaire. Ce pays-là n’est qu’amitié des tons et des lignes humaines, humilité sous la douceur du ciel, retrait des âmes d
302 maines, humilité sous la douceur du ciel, retrait des âmes dans leur destin. Je longeais cette rue silencieuse, imaginant d
303 ngeais cette rue silencieuse, imaginant d’y vivre un jour dans une fermette aux volets pâles, sans adresse, au ras de la p
304 rue silencieuse, imaginant d’y vivre un jour dans une fermette aux volets pâles, sans adresse, au ras de la plaine. Un peu
305 volets pâles, sans adresse, au ras de la plaine. Un peu avant la sortie du village, la rue bifurque : une route prend à d
306 peu avant la sortie du village, la rue bifurque : une route prend à droite, vers la plaine, escortée de quelques maisons ;
307 je vis à mes pieds, tracé à la craie sur le sol, un grand cercle entourant une inscription en lettres capitales bien arro
308 à la craie sur le sol, un grand cercle entourant une inscription en lettres capitales bien arrondies : Martine Je suis
309 Je suis Aux champs Paix du village, silence des rues vides ouvertes sur le ciel et sur les blés. J’étais là fasciné c
310 lés. J’étais là fasciné comme par la découverte d’ un secret de pudeur naïvement dévoilé. Secret de ce village aux volets c
311 . Secret de ce village aux volets clos. Imaginant une idylle muette. Celui qui revient au pays après une longue absence et
312 ne idylle muette. Celui qui revient au pays après une longue absence et des déboires : il entre, ne trouve personne. Mais s
313 i qui revient au pays après une longue absence et des déboires : il entre, ne trouve personne. Mais ses outils sont là, con
314 ra bien. Il a rejoint l’usage du pays, l’intimité des choses de toujours. Et le moindre signe suffît. Je suis redescendu ve
315 scendu vers la vallée de l’Yerre, qui coule entre des saules et des peupliers blancs. Il faisait lourd et doux, le goudron
316 vallée de l’Yerre, qui coule entre des saules et des peupliers blancs. Il faisait lourd et doux, le goudron de la route se
317 ute sentait plus fort que les champs de roses, et des nuages noirs traînaient sur les vergers. J’ai su, plus tard, que ce j
318 os pas. Et ces rues qui tournaient doucement vers une place plantée d’arbres et déserte, aux rendez-vous manqués où je me r
319 e était au secret de nos vies, nouée parfois dans une rancune obscure, ou bien dans la contemplation jalouse d’un vieil arb
320 obscure, ou bien dans la contemplation jalouse d’ un vieil arbre — il était vieux déjà du temps de notre enfance, et notre
321 était chanson fredonnée, sur le seuil, au matin d’ une journée qui se liait aux autres… (Quand ta force devient visible, c’e
322 tenace. Elle était la douceur et la sagesse amère des adieux, ou la gaieté d’un mot dit en passant. Elle avait les pudeurs
323 ur et la sagesse amère des adieux, ou la gaieté d’ un mot dit en passant. Elle avait les pudeurs de l’amour… Quand je me s
8 1944, Articles divers (1941-1946). Un peuple se révèle dans le malheur (février 1944)
324 Un peuple se révèle dans le malheur (février 1944)k Autrefois et nagu
325 urs à succès, les écrivains célèbres, les modèles des grands couturiers, ou même les chefs cuisiniers des palaces internati
326 s grands couturiers, ou même les chefs cuisiniers des palaces internationaux. Le mot Français évoquait aussitôt l’image d’u
327 naux. Le mot Français évoquait aussitôt l’image d’ une moustache à la Menjou et d’une boutonnière fleurie, d’un sourire char
328 aussitôt l’image d’une moustache à la Menjou et d’ une boutonnière fleurie, d’un sourire charmeur à la Charles Boyer, l’aima
329 tache à la Menjou et d’une boutonnière fleurie, d’ un sourire charmeur à la Charles Boyer, l’aimable scepticisme d’un Anato
330 rmeur à la Charles Boyer, l’aimable scepticisme d’ un Anatole France, l’élégance d’une ligne parisienne, l’étiquette d’un b
331 ble scepticisme d’un Anatole France, l’élégance d’ une ligne parisienne, l’étiquette d’un bourgogne fameux présenté par le m
332 l’élégance d’une ligne parisienne, l’étiquette d’ un bourgogne fameux présenté par le maître d’hôtel. Tout cela c’était le
333 ritable grandeur. Les journaux qui nous apportent des nouvelles de la résistance à l’intérieur du pays occupé nous parlent
334 ite au hasard, il y en a tant. Je les ai vus avec des amis, tantôt américains, tantôt français. Les Français critiquaient b
335 du coin de l’œil : en critiquant, ils essuyaient une larme, et rien de plus français que cette pudeur. Quant aux Américain
336 os de la France. Soudain, l’étranger s’aperçoit d’ une vérité aussi vieille que l’Europe mais constamment méconnue ou niée,
337 tamment méconnue ou niée, et souvent par la faute des élites parisiennes : le peuple de France est grave, ou plus exactemen
338 it dit aux jeunes nazis qu’ils allaient conquérir un pays de bavards, de coquettes et de politiciens véreux. Après quelque
339 itoire conquis, l’Allemand s’est senti dominé par une force étrange et qui l’intimidait : le regard sérieux de l’homme et d
340 ls ont continué à le piller et à le fusiller avec une rage panique ; ils continuent, mais ils se savent battus. Depuis qu’i
341 rencontré ce regard… k. Rougemont Denis de, «  Un peuple se révèle dans le malheur », Fontaine, Alger, février 1944, p.
9 1944, Articles divers (1941-1946). Ars prophetica, ou D’un langage qui ne veut pas être clair (hiver 1944)
342 Ars prophetica, ou D’ un langage qui ne veut pas être clair (hiver 1944)j Un critique. J’a
343 gage qui ne veut pas être clair (hiver 1944)j Un critique. J’ai lu vos deux dialogues sur la carte postale6, je les ai
344 ais je ne les oublie pas.7 L’auteur. La mémoire des offenses est la plus sûre. Il me semble parfois qu’il n’est pas de lo
345 rief de mes écrits. J’y voudrais voir la preuve d’ une certaine grièveté qu’ils présentent, comme cela se dit d’une blessure
346 e grièveté qu’ils présentent, comme cela se dit d’ une blessure… Le critique. Oui, oui… Mais ne tirez pas argument d’une ex
347 critique. Oui, oui… Mais ne tirez pas argument d’ une exagération de ma critique… Ce qui me gênait, je crois, c’est qu’à mo
348 en français, ce n’est pas jouer du violon. Tout d’ un coup vous le prenez à double corde, et l’on distingue mal les passage
349 votre complicité, je ne sais quel air de passion, un peu trop tôt — qui nous surprend… A. N’est-ce pas toujours ainsi ? J
350 l faudrait nous persuader que vos goûts sont bien des raisons, et que ces raisons sont les nôtres. Ou bien vous faites de l
351 vous faites de la poésie, et alors vous jouez sur des surprises, ou bien vous nous parlez d’idées, et dans ce cas, il faut
352 t que cette maladresse m’en apprenne davantage qu’ une feinte aimable. Au reste nous sommes entre nous et vous n’abuserez pa
353 e question, il me semble qu’on se voit condamné à des réponses ou plates ou mystérieuses. Ne serait-ce pas que la clarté n’
354 érieuses. Ne serait-ce pas que la clarté n’est qu’ une convention de langage ? J’entends : un mot de passe de la tribu, ou u
355 n’est qu’une convention de langage ? J’entends : un mot de passe de la tribu, ou une espèce de style garanti par l’usage…
356 age ? J’entends : un mot de passe de la tribu, ou une espèce de style garanti par l’usage… C. Hé quoi ! vous savez bien qu
357 quoi ! vous savez bien que tout notre langage est un système conventionnel ! A. Notre langage courant sans aucun doute. E
358 cisément je souhaitais de vous voir choisir entre un langage franchement poétique et ce langage clair et distinct qui conv
359 e langage clair et distinct qui convient au débat des idées. A. … qui convient au débat des idées claires ! Mais il faudra
360 t au débat des idées. A. … qui convient au débat des idées claires ! Mais il faudrait s’entendre tout d’abord sur la néces
361 sur le plan du langage. N’est-ce pas la cohérence des raisons et à la fois l’exact ajustement de ces raisons à la réalité,
362 constitue la fin de l’expression ? A. Oui, dans un monde cartésien, c’est-à-dire dans le monde du discours. Car le Disco
363 le Discours de la méthode ne définit en somme qu’ une méthode du discours. La fin dernière d’un discours n’est autre que la
364 mme qu’une méthode du discours. La fin dernière d’ un discours n’est autre que la cohérence, la vérité elle-même s’y trouva
365 trouvant ordonnée à la logique de l’enchaînement des phrases. Autrement dit, le discours cartésien n’a pas de fin qui lui
366 e qu’il suppose clair et facile, et sa marche est une déduction. La convention d’un tel langage, est que tout est donné au
367 , et sa marche est une déduction. La convention d’ un tel langage, est que tout est donné au départ, et qu’il s’agit de ne
368 qu’il s’agit de ne rien introduire dans la chaîne des arguments qui n’ait été d’abord jaugé, chiffré, et défini en termes s
369 fini en termes simples. À mon tour de me défier d’ une convention aussi commode. C. Il me semble qu’il faut y voir une gara
370 aussi commode. C. Il me semble qu’il faut y voir une garantie contre les illusions de la rhétorique flamboyante. Le romant
371 e flamboyante. Le romantisme a pu s’impatienter d’ une allure aussi scrupuleuse, mais c’est qu’il a le goût de se tromper et
372 se tromper et de tromper. A. Pour moi, je crains une duperie moins naïve dans la modestie cartésienne. Car enfin où prend-
373 ous vivons et parlons n’est-il pas, comme l’a dit un Russe « le monde de l’imprécis et du non résolu » ? Ou comme l’écrit
374 » ? Ou comme l’écrit Descartes lui-même, le monde des choses « mal compassées » ? L’application d’une raison sans parti pri
375 e des choses « mal compassées » ? L’application d’ une raison sans parti pris à ce monde tel qu’il est donné, n’a-t-elle pas
376 je vous en prie ? — la clarté et la simplicité d’ un certain nombre de postulats abstraits. Ma méfiance porte sur l’arrièr
377 à l’expression d’arrière-pensée. C’est sans doute une « arrière-image » qu’il faudrait dire. C. Ne serait-il pas trop cart
378 der de préciser ? A. J’essaierai de le faire par un exemple. La méthode inventée par Descartes est donc devenue celle de
379 mathématiciens, pour formuler ce qu’ils appellent des lois. Bien. Mais comment obtiennent-ils ces formules ? Par l’examen d
380 omment obtiennent-ils ces formules ? Par l’examen des nombres qui résument leurs expériences, dira-t-on. Je n’en crois rien
381 xpériences, dira-t-on. Je n’en crois rien. Ouvrez un ouvrage de science : vous y trouverez au terme de chaque analyse un c
382 nce : vous y trouverez au terme de chaque analyse un certain nombre de phrases traduisant les résultats acquis. Or ces phr
383 phrases ont été choisies par le savant en vertu d’ une double exigence : d’une part elles doivent permettre de permettre de
384 les doivent permettre de permettre de passer, par une espèce de symbolisme abstrait — si j’ose dire — à la formule mathémat
385 n, aux images que pourrait se former du phénomène un observateur non savant. Maintenant, ces phrases dans leur ensemble co
386 ntenant, ces phrases dans leur ensemble composent un discours cohérent sur des propriétés de la matière. Et ce discours n’
387 leur ensemble composent un discours cohérent sur des propriétés de la matière. Et ce discours n’est qu’un certain système
388 propriétés de la matière. Et ce discours n’est qu’ un certain système d’images. S’il se distingue du parler quotidien, c’es
389 d’exclure les sens ordinairement contradictoires des mots. Ainsi les lois formulées par la science, ces modèles d’expressi
390 les d’expression claire, se réfèrent en réalité à des formes courantes du langage, vidées de leurs sens particuliers. Ce pr
391 nts, la science légale n’étant, c’est entendu, qu’ une manière de parler du réel, et sans cesse corrigée par les faits. Mais
392 ir de vérités élémentaires qui ne sont autres que des abstractions opérées sur nos formes de langage. Je voudrais dire cela
393 oudrais dire cela plus simplement… La tricherie d’ une déduction claire consiste en ce qu’elle prétend partir d’un nombre li
394 on claire consiste en ce qu’elle prétend partir d’ un nombre limité de faits acquis, quand le tout, quand la fin nous échap
395 s mieux si vous pouviez me montrer chez Descartes un exemple de ce recours aux formes du langage courant. A. Prenons la 3
396 ent, la plus étrange illusion de l’esprit : c’est une maxime populaire. On la tient pour tellement évidente que son rappel,
397 our tellement évidente que son rappel, au cours d’ une discussion, figure presque une insolence. Cette maxime affirme en eff
398 rappel, au cours d’une discussion, figure presque une insolence. Cette maxime affirme en effet la nécessité générale de « c
399 vient d’assimiler sans sourciller la simplicité d’ un objet avec l’aisance à le connaître — c’est encore un tour du langage
400 bjet avec l’aisance à le connaître — c’est encore un tour du langage — ne va pas reculer devant cet autre exploit : poser
401 absurdité, la magnifique carte postale ! S’il est une chose que l’expérience humaine me paraît avoir établie — je dirais :
402 r la fin, par la vision totale, par la révélation des fins dernières. On ne peut connaître les parties que par le tout, et
403 : je vois que vous allez passer sans crier gare à des propositions théologiques. Souffrez alors que je m’avoue incompétent,
404 s vous interrompre davantage aux développements d’ une pensée qui m’est curieusement étrangère. Vous parliez d’une vision to
405 qui m’est curieusement étrangère. Vous parliez d’ une vision totale ?… A. L’expression vous apparaît privée de sens ? Mesu
406 s donc que la déduction cartésienne travaille sur des cartes postales. Elle dispose en bon ordre ses repères, et puis s’ébr
407 lle ignore tout de son but et tiendrait même pour une prévention fâcheuse la croyance que ce but existe en tout état de cau
408 moments j’ai vu le but. — J’ai cru le voir… C’est une vision illuminante, instantanée, dont la trace ne tarde pas à s’évano
409 a foi ou du pressentiment, soutenu par l’espoir d’ une vision renouvelée. Voilà le sens, l’orientation de ma démarche, et c’
410 urde à l’observateur raisonnable. C. Le propre d’ une vision pareille, c’est qu’elle est incommunicable, j’imagine ? A. Il
411 Bien entendu, je ne puis avancer aucun exemple d’ une telle perfection. Mais il fallait indiquer cette limite pour éclairer
412 de vous faire pressentir la limite, en parlant d’ un langage inexplicable et pourtant évident. C’est peut-être le verbe im
413 certaines manières de le réduire aux exigences d’ un discours cohérent — voilà sans doute le rôle du langage parabolique…
414 ité. Parler en paraboles, c’est tenter d’exprimer un fait ou des idées, en tenant compte du tout qui les englobe. Ou c’est
415 en paraboles, c’est tenter d’exprimer un fait ou des idées, en tenant compte du tout qui les englobe. Ou c’est encore se g
416 ais si je parle en paraboles, je n’ai souci que d’ une certaine orientation. C’est à partir du terme, encore une fois, que l
417 d’éléments que j’aurais distingués dès le départ. Une parabole se comprend par la fin. Comme l’expédition de Colomb partant
418 e l’expédition de Colomb partant pour reconnaître une Amérique de vision. Et cette fin, ce terme, ce télos, tous les hiatus
419 me au-delà d’eux-mêmes… ce que ne sauraient faire des arguments toujours fondés sur ce qui les précède. Voilà pourquoi le d
420 ce qui les précède. Voilà pourquoi le discours d’ un prophète est le contraire d’un discours. L’événement seul lui rendra
421 quoi le discours d’un prophète est le contraire d’ un discours. L’événement seul lui rendra sa raison. Ainsi la parabole es
422 seul lui rendra sa raison. Ainsi la parabole est une énigme dont le sens est dans la vision. C. Comment expliquez-vous le
423 ppe, je le suppose, absolument ? A. Je demandais un jour à une petite-fille pourquoi Jésus parlait en paraboles à ses dis
424 suppose, absolument ? A. Je demandais un jour à une petite-fille pourquoi Jésus parlait en paraboles à ses disciples, sac
425 Voici la réponse qu’elle me fit : Jésus racontait des histoires pour qu’ils s’en souviennent mieux plus tard. C’est comme l
426 ent mieux plus tard. C’est comme les noix qui ont une coquille très dure. On peut les emporter sans qu’elles se gâtent, et
427 ent, et quand on a faim, on les ouvre. C. Encore une petite question, voulez-vous ? Qui a le droit de parler en paraboles,
428 genre, si l’on nomme droit la garantie formelle d’ un usage. Mais il arrive assez souvent que l’on oublie les grandes et gr
429 appellent cela poésie. On peut toutefois imaginer une autre attitude de l’être, et qui soit telle que la question du droit
430 vision et la faire pressentir à d’autres hommes. Une vision ne se transmet pas, c’est le contraire d’une carte postale. Il
431 e vision ne se transmet pas, c’est le contraire d’ une carte postale. Il s’agit donc de disposer l’esprit dans une certaine
432 postale. Il s’agit donc de disposer l’esprit dans une certaine orientation au moyen de mots et de phrases qui puissent, com
433 yen de mots et de phrases qui puissent, comme par une ironie, être compris en soi et dans leur lettre, mais dont le sens de
434 s dont le sens dernier ne puisse être aperçu sous un angle de vision quelconque. Je dis que l’homme qui a vu quelque chose
435 omme qui a vu quelque chose doit parler la langue des prophètes et composer des paraboles. Si ses prophéties sont décevante
436 e doit parler la langue des prophètes et composer des paraboles. Si ses prophéties sont décevantes et ses paraboles sans fr
437 t ses paraboles sans fruit, il n’en est pas moins un prophète. Mais alors on le jugera selon sa fin. Vous m’avouerez que d
438 . Vous m’avouerez que dans ces conditions il faut une sorte de naïveté très singulière pour endosser le risque d’être obscu
439 re : l’ampleur de sa vision le sauve. Mais il est des visions moins illustres, qui n’embrassent pas le monde de haut en bas
440 ui n’embrassent pas le monde de haut en bas, dans un fulgurant inventaire. Je parle de visions furtives qui sont à celle d
441 pocalypse, comme Cuvier la préhistoire à partir d’ une vertèbre isolée. Mais l’oubli vient avec le premier doute… Petites vi
442 ubli vient avec le premier doute… Petites visions des hommes de peu de foi, visions de la fin de nos courtes passions : la
443 ophètes, ont été justifiés dans leur délire, mais un prophète des choses d’ici-bas, un prophète sans mission divine, quell
444 été justifiés dans leur délire, mais un prophète des choses d’ici-bas, un prophète sans mission divine, quelle défense ose
445 ur délire, mais un prophète des choses d’ici-bas, un prophète sans mission divine, quelle défense osera-t-il produire qui
446 gement ? 6. Ces deux dialogues sont restés dans un tiroir à Paris. 7. Quatre « dialogues » paraîtront au début de l’ouv
447 j. Rougemont Denis de, «  Ars prophetica, ou D’ un langage qui ne veut pas être clair », Hémisphères, New York, hiver 19
10 1944, Articles divers (1941-1946). L’attitude personnaliste (octobre 1944)
448 itude personnaliste (octobre 1944)l La lecture des journaux clandestins parus en France montre que les idées personnalis
449 chemin dans l’élite de la Résistance. S’agit-il d’ une influence directe, ou d’une prise de conscience spontanée devant la l
450 sistance. S’agit-il d’une influence directe, ou d’ une prise de conscience spontanée devant la leçon des faits, nous le saur
451 une prise de conscience spontanée devant la leçon des faits, nous le saurons un jour. Mais il est clair dès maintenant que
452 ntanée devant la leçon des faits, nous le saurons un jour. Mais il est clair dès maintenant que les circonstances sont enf
453 circonstances sont enfin devenues favorables pour une action plus large et constructive. Les événements eux-mêmes se sont c
454 ’à ce que Hitler vînt en prendre avantage. Devant un monde à reconstruire, les grandes questions peuvent et doivent être r
455 e reposées. Allons-nous rebâtir sur les valeurs d’ une philosophie de l’Objet (qui était celle du capitalisme et des divers
456 hie de l’Objet (qui était celle du capitalisme et des divers « planisme »), ou bien allons-nous faire une société où les ob
457 s divers « planisme »), ou bien allons-nous faire une société où les objets soient remis au service de l’homme qui crée et
458 toutes à dépersonnaliser l’homme, à le réduire à un agrégat de réflexes conditionnés par l’État, le Parti et les statisti
459 é. La psychologie freudienne ne voyait en elle qu’ un îlot précaire perdu dans l’océan de l’inconscient. D’autres s’appliqu
460 conscient. D’autres s’appliquaient à la réduire à des déterminismes biologiques, ou sociologiques, ou économiques. Que deve
461 venait dans tout cela, le droit imprescriptible d’ un homme à dire je, à dire moi, à se considérer comme une cause efficien
462 omme à dire je, à dire moi, à se considérer comme une cause efficiente, comme un individu responsable, c’est-à-dire comme u
463 à se considérer comme une cause efficiente, comme un individu responsable, c’est-à-dire comme une personne ? Il fallait re
464 comme un individu responsable, c’est-à-dire comme une personne ? Il fallait repenser un monde en partant, non point des obj
465 t-à-dire comme une personne ? Il fallait repenser un monde en partant, non point des objets — fussent-ils aussi abstraits
466 l fallait repenser un monde en partant, non point des objets — fussent-ils aussi abstraits que les fameuses « forces économ
467 monde ? Les institutions doivent être fondées sur une notion compréhensive de l’homme, sinon elles agissent contre l’homme.
468 idu, sur lequel voulait se fonder la démocratie d’ un siècle dernier, et le soldat politique sur lequel a voulu se fonder l
469 fonder le totalitarisme de ce siècle, ne sont pas des hommes complets. L’individu n’a que des droits, le soldat politique q
470 sont pas des hommes complets. L’individu n’a que des droits, le soldat politique que des devoirs. Le premier est un pur co
471 ividu n’a que des droits, le soldat politique que des devoirs. Le premier est un pur concept, le second est un simple objet
472 soldat politique que des devoirs. Le premier est un pur concept, le second est un simple objet. À ces deux mutilations de
473 irs. Le premier est un pur concept, le second est un simple objet. À ces deux mutilations de la notion d’homme, les jeunes
474 ussent les prémisses religieuses ou métaphysiques des diverses tendances personnalistes, tous s’entendaient fort bien sur d
475 personnalistes, tous s’entendaient fort bien sur des formules de ce genre : les institutions doivent être au service de l’
476 , et non l’inverse : — la liberté ne cesse d’être un mot creux que dans un ordre souple, qui respecte la diversité des voc
477 la liberté ne cesse d’être un mot creux que dans un ordre souple, qui respecte la diversité des vocations ; — là où l’hom
478 e dans un ordre souple, qui respecte la diversité des vocations ; — là où l’homme veut être total, l’État ne sera jamais to
479 ut être total, l’État ne sera jamais totalitaire. Un certain nombre de mots-clés se retrouvent dans tous les ouvrages publ
480 aniques, pluralisme, fédéralisme. Ils définissent une attitude et une action. Certes, beaucoup de philosophes s’étaient int
481 sme, fédéralisme. Ils définissent une attitude et une action. Certes, beaucoup de philosophes s’étaient intitulés « personn
482 ttre : Leibnitz, Kant, Renouvier, ou de nos jours un William Stern, un Keyserling, un C. G. Jung, et l’école californienne
483 ant, Renouvier, ou de nos jours un William Stern, un Keyserling, un C. G. Jung, et l’école californienne de The Personalis
484 ou de nos jours un William Stern, un Keyserling, un C. G. Jung, et l’école californienne de The Personalist. Mais la cara
485 sidérer sa doctrine comme le fondement immédiat d’ une action politique, d’une économie, d’un régime social, et même d’une e
486 e le fondement immédiat d’une action politique, d’ une économie, d’un régime social, et même d’une esthétique. C’est pourquo
487 mmédiat d’une action politique, d’une économie, d’ un régime social, et même d’une esthétique. C’est pourquoi je ne saurais
488 ue, d’une économie, d’un régime social, et même d’ une esthétique. C’est pourquoi je ne saurais mieux décrire la doctrine du
489 ctrine du personnalisme qu’en indiquant certaines des tentatives d’action les plus typiques qu’elle inspira avant cette gue
490 us typiques qu’elle inspira avant cette guerre. Un service civil industriel Les premiers manifestes et volumes publié
491 le mouvement n’apportaient pas les blue-prints d’ une société idéale, mais quelques principes d’action. Car il s’agissait p
492 tion. Car il s’agissait pour les personnalistes d’ un changement spirituel d’abord, les changements institutionnels n’ayant
493 ur à leurs yeux que s’ils traduisaient réellement une attitude nouvelle de l’homme aux prises avec le destin d’un siècle no
494 e nouvelle de l’homme aux prises avec le destin d’ un siècle nouveau. Alors que la plupart des révolutionnaires de droite o
495 évolutionnaires de droite ou de gauche édifiaient des plans abstraits et se bornaient pratiquement à revendiquer des réform
496 traits et se bornaient pratiquement à revendiquer des réformes isolées ou matérielles comme l’abolition du Parlement, des s
497 es ou matérielles comme l’abolition du Parlement, des salaires plus élevés, la nationalisation des grandes industries, les
498 ent, des salaires plus élevés, la nationalisation des grandes industries, les personnalistes affirmaient la nécessité d’une
499 es, les personnalistes affirmaient la nécessité d’ une révolution plus profonde : révolution dans la manière de poser les pr
500 groupe de l’Ordre nouveau proposa l’institution d’ un service civil obligatoire, répartissant sur l’ensemble de la populati
501 on le travail industriel non différencié. Pendant un an ou plus, tous les citoyens travailleraient dans les usines, au lie
502 travailleraient dans les usines, au lieu de faire une année de caserne. Les avantages de ce service civil seraient triples 
503 ice civil serait mise par l’État à la disposition des libres entreprises, syndicats ou coopératives, qui justifieraient leu
504 triels hochèrent la tête. Ils ne croyaient pas qu’ un simple civil pourrait du jour au lendemain se transformer en bon manœ
505 e et d’ailleurs néfaste : il risquait de résoudre un conflit que leur tactique cherchait au contraire à rendre plus aigu.
506 leur doctrine, les personnalistes répondirent par un engagement personnel. Ils tentèrent un essai pratique, à petite échel
507 dirent par un engagement personnel. Ils tentèrent un essai pratique, à petite échelle. Dans plusieurs usines de la région
508 es, comme manœuvres. Au bout de trois jours, dans une manufacture de brosses à dents, l’un d’eux battit le record de produc
509 ant ainsi quelques semaines de vacances payées, à un moment où cette institution n’existait pas encore en France. L’expéri
510 lair que l’institution du service civil supposait une refonte générale de l’économie, et notamment une discrimination très
511 une refonte générale de l’économie, et notamment une discrimination très précise entre le travail quantitatif (ou « parcel
512 at, qui assurerait d’autre part la distribution d’ un minimum vital gratuit pour tous. Le second devait rester libre, et d’
513 de la main-d’œuvre et du bonus social, au profit des entreprises libres et des groupes coopératifs. La notion de groupe
514 bonus social, au profit des entreprises libres et des groupes coopératifs. La notion de groupe L’un des traits marqua
515 oupes coopératifs. La notion de groupe L’un des traits marquants du mouvement personnaliste, c’est son insistance sur
516 sonnaliste, c’est son insistance sur la nécessité des groupes autonomes et organiques. Elle coïncide avec la découverte la
517 les meilleurs esprits de ce temps sont parvenus à des conclusions analogues : il n’est possible de parler de réalité, de me
518 réalité, de mesure, ou d’efficacité, qu’au sein d’ un groupe donné de forces. L’homme, par exemple, n’est réel que dans une
519 forces. L’homme, par exemple, n’est réel que dans une communauté ni trop étroite ni trop vaste. Isolé, il se comporte comme
520 troite ni trop vaste. Isolé, il se comporte comme un fou. Noyé dans une collectivité informe, il sera frustré de toute pos
521 te. Isolé, il se comporte comme un fou. Noyé dans une collectivité informe, il sera frustré de toute possibilité de se fair
522 ent. Il n’existe vraiment comme personne que dans un cadre à la mesure humaine, dans un groupe : entreprise ou commune, pa
523 sonne que dans un cadre à la mesure humaine, dans un groupe : entreprise ou commune, patrie locale ou cercle invisible d’e
524 parentés dans le monde entier. Mais cette image d’ un univers composé de groupements autonomes en perpétuelle interaction n
525 ations sont restées au stade de la classification des corps simples par Mendeleïev, quand nous en sommes au siècle de la ph
526 l’inertie ont laissé se constituer au xxe siècle des cadres démesurés, simplifiés jusqu’à la démence et rigides comme elle
527 s organiques, à leur imposer en dépit du bon sens des frontières communes8, un régime uniforme. C’est pourquoi, se plaçant
528 er en dépit du bon sens des frontières communes8, un régime uniforme. C’est pourquoi, se plaçant dans la ligne des forces
529 niforme. C’est pourquoi, se plaçant dans la ligne des forces les plus actives, sinon les plus spectaculaires du siècle, le
530 ur l’économie, la vie politique et les coutumes d’ un pays le carcan géométrique de ses décrets, le personnalisme opposait
531 nationales, au besoin. Je donnerai deux exemples des conséquences pratiques découlant de cette attitude doctrinale. Dès 19
532 alisation politique de la nation. La France avait des frontières rigides et un centre unique, Paris. Entre les deux, le vid
533 nation. La France avait des frontières rigides et un centre unique, Paris. Entre les deux, le vide, l’espace abstrait. Les
534 rait. Les personnalistes proposaient au contraire un système de foyers de résistance élevés dans toute la profondeur du pa
535 tance élevés dans toute la profondeur du pays, et une mobilisation fortement décentralisée. C’était en somme le système mil
536 mme le système militaire de la Suisse, traduisant un régime fédéraliste. Les événements de 1940 et toute l’évolution ultér
537 apitaux énormes ? Les personnalistes organisèrent des « clubs de presse ». Dans chaque quartier de grande ville, dans chaqu
538 ue quartier de grande ville, dans chaque commune, des correspondants devaient grouper un auditoire régulier, lui transmettr
539 aque commune, des correspondants devaient grouper un auditoire régulier, lui transmettre des informations vraies (celles q
540 nt grouper un auditoire régulier, lui transmettre des informations vraies (celles que la presse passait sous silence), lui
541 silence), lui révéler les secrets de la vénalité des grands journaux, et recueillir une documentation locale précise et hu
542 de la vénalité des grands journaux, et recueillir une documentation locale précise et humaine. Un bulletin de liaison alime
543 llir une documentation locale précise et humaine. Un bulletin de liaison alimentait les clubs. Tout était préparé pour sa
544 personnalistes fournirent ainsi le premier modèle des publications fameuses de l’Underground. État présent et avenir du
545 plans les plus divers. Il était prêt à déclencher une action en profondeur d’abord, puis publique. Une trentaine de volumes
546 une action en profondeur d’abord, puis publique. Une trentaine de volumes, deux revues, un hebdomadaire, des bulletins, br
547 publique. Une trentaine de volumes, deux revues, un hebdomadaire, des bulletins, brochures et tracts, répandaient ses idé
548 entaine de volumes, deux revues, un hebdomadaire, des bulletins, brochures et tracts, répandaient ses idées. Les nazis avai
549 t encore la route. Ils souffraient tout d’abord d’ une qualité et d’un défaut bien typiquement français : le sérieux et l’ex
550 . Ils souffraient tout d’abord d’une qualité et d’ un défaut bien typiquement français : le sérieux et l’excès d’idées neuv
551 démagogues, l’insouciance générale à la veille d’ un désastre prévisible, les préjugés de droite et de gauche, le manque d
552 ssion collectifs. Il valait mieux attendre encore un temps, plutôt que de s’engager dans une propagande trop coûteuse pour
553 dre encore un temps, plutôt que de s’engager dans une propagande trop coûteuse pour rester pure. Au reste, la doctrine pers
554 e. Au reste, la doctrine personnaliste impliquait un progrès organique, forcément lent. Il s’agissait de gagner des hommes
555 rganique, forcément lent. Il s’agissait de gagner des hommes, un à un, non des masses. La guerre et l’invasion obligèrent l
556 rcément lent. Il s’agissait de gagner des hommes, un à un, non des masses. La guerre et l’invasion obligèrent le mouvement
557 nt lent. Il s’agissait de gagner des hommes, un à un , non des masses. La guerre et l’invasion obligèrent le mouvement à « 
558 Il s’agissait de gagner des hommes, un à un, non des masses. La guerre et l’invasion obligèrent le mouvement à « disparaît
559 lques mois. Puis elle fut interdite, à la suite d’ un article contre Pétain, son directeur et plusieurs de ses rédacteurs e
560 e paraît mieux apte à inspirer ceux qui demandent un monde à la mesure de l’homme, non plus à celle des monstres nés de so
561 un monde à la mesure de l’homme, non plus à celle des monstres nés de son anxiété, de sa paresse ou de son manque de foi.
562 ller et ferrugineux de la Sarre coupé en deux par une frontière correspondant aux langues. l. Rougemont Denis de, « L’att
11 1944, Articles divers (1941-1946). Quelle guerre cruelle (octobre-novembre 1944)
563 à-dessus, nous tombons d’accord. Mais sur le sens des mots gagner la guerre, je trouve très peu d’accord autour de moi. Si
564 passions. Il n’y a pas d’abord les machines puis une société qui doit subir leurs lois, mais il y a d’abord des hommes qui
565 té qui doit subir leurs lois, mais il y a d’abord des hommes qui choisissent de construire des machines plutôt que d’avoir
566 d’abord des hommes qui choisissent de construire des machines plutôt que d’avoir faim, ou de chercher la sagesse, ou de pr
567 im, ou de chercher la sagesse, ou de prier devant un symbole ancestral. Il n’y a pas d’abord les faits et puis l’humanité
568 a d’abord l’humanité créatrice ou malade, et puis des faits qui expriment avec un peu de retard ce génie ou cette maladie.
569 s, et qu’elle figure dans son ensemble la crise d’ un conflit psychologique de proportions mondiales, de portée séculaire.
570 portions mondiales, de portée séculaire. ⁂ Lorsqu’ un individu refoule pendant longtemps ses facultés créatrice, imaginativ
571 se révoltent soudain et l’attaquent en force, par une espèce d’éruption volcanique nommée névrose. Alors l’homme se croit m
572 lors l’homme se croit menacé par ce qu’il appelle des esprits. Il est victime de terreurs inexplicables. Des cauchemars env
573 sprits. Il est victime de terreurs inexplicables. Des cauchemars envahissent sa vie quotidienne, le persécutent et lui rend
574 endent l’existence impossible. Il se persuade que des forces absolument distinctes de son être l’attaquent avec une férocit
575 bsolument distinctes de son être l’attaquent avec une férocité sans précédent. Il devient aliéné, c’est-à-dire qu’il devien
576 ent aliéné, c’est-à-dire qu’il devient la proie d’ un autre. Un médecin qu’il jugera très brutal et hostile lui suggère alo
577 , c’est-à-dire qu’il devient la proie d’un autre. Un médecin qu’il jugera très brutal et hostile lui suggère alors que cet
578 suggère alors que cet « autre » n’est en fait qu’ une part de lui-même. S’il comprend cela et s’il le croit, le malade guér
579 érira peut-être. Sinon, il faudra l’enfermer dans une camisole de force. Il ne fera plus de mal, mais il restera fou. Au Mo
580 , mais il restera fou. Au Moyen Âge, on disait qu’ un tel homme était possédé, et on l’exorcisait par des cérémonies souven
581 n tel homme était possédé, et on l’exorcisait par des cérémonies souvent efficaces. Au xixe siècle, on disait qu’il était
582 le raisonner, puis de le réduire à la raison, par des procédés contraignants. En cas d’échec, on le mettait derrière des ba
583 raignants. En cas d’échec, on le mettait derrière des barreaux. La guerre actuelle est une névrose collective que nous somm
584 ait derrière des barreaux. La guerre actuelle est une névrose collective que nous sommes en train de traiter par les méthod
585 tie consciente de l’humanité se voit attaquée par des figures de cauchemar qui symbolisent un inconscient trop longtemps op
586 quée par des figures de cauchemar qui symbolisent un inconscient trop longtemps opprimé, nié, laissé inculte9. On a tenté
587 uments, il n’a plus trouvé d’autre issue que dans une révolte explosive. Le cauchemar envahit la planète. L’humanité comme
588 ber épuisée et à se passer la camisole de force d’ un régime d’ordre pour incurables : ce sera la paix. La santé vaudrait m
589 santé vaudrait mieux. ⁂ Ces remarques m’amènent à une proposition que je voudrais défendre et illustrer dans une série d’éc
590 sition que je voudrais défendre et illustrer dans une série d’écrits à venir : il est temps que la pensée politique rejoign
591 ons de mener la guerre psychologique10 à l’instar des nazis qui l’avaient inventée. Au seuil de la paix, il est temps de ch
592 il est temps de chercher au moins les principes d’ une politique psychologique. Je ne parle pas de propagande : celle-ci n’e
593 Je ne parle pas de propagande : celle-ci n’est qu’ une tactique de bombardement. La politique que j’imagine serait une cure.
594 e bombardement. La politique que j’imagine serait une cure. Mais avant de l’entreprendre, il nous faudrait un diagnostic. T
595 e. Mais avant de l’entreprendre, il nous faudrait un diagnostic. Tentons d’en indiquer les premiers éléments. Si cette gén
596 bon, ni rien de grand, ni rien de vrai. Essayons une autoanalyse. C’est notre chance peut-être unique. 1. La guerre nous
597 quête avant de partir ? Sommes-nous en possession des pièces du procès ? Quand cela serait, ce ne serait pas grand-chose. C
598 t pas grand-chose. Car la guerre ne résulte pas d’ une opération légale ou d’une enquête scientifique, mais elle ressemble à
599 guerre ne résulte pas d’une opération légale ou d’ une enquête scientifique, mais elle ressemble à une colère, à une perte d
600 d’une enquête scientifique, mais elle ressemble à une colère, à une perte de patience ou de maîtrise de soi, à la réaction
601 scientifique, mais elle ressemble à une colère, à une perte de patience ou de maîtrise de soi, à la réaction automatique d’
602 u de maîtrise de soi, à la réaction automatique d’ un mystérieux sens de l’honneur blessé. Flamme aveuglante, vague de sang
603 e dis que la guerre nous plaît. Elle arrange bien des choses. Elle ajourne nos vrais conflits. Elle tire de nous ce que la
604 plus responsable de soi. La guerre ancienne était une chance offerte à l’instinct combatif ; c’était l’affaire des mâles, l
605 offerte à l’instinct combatif ; c’était l’affaire des mâles, le jeu des coqs ornés pour l’occasion de leurs plus belles plu
606 ct combatif ; c’était l’affaire des mâles, le jeu des coqs ornés pour l’occasion de leurs plus belles plumes. La guerre act
607 ler, elle déçoit l’instinct combatif : comptez qu’ une fraction très réduite de l’humanité — presque totalement mobilisée —
608 combat en fait sur les champs de bataille. Seule une fraction de cette fraction connaît le corps à corps, la bataille d’ho
609 esprit puisse accepter pour suspendre le cours d’ une existence de plus en plus conforme aux prévisions des grandes compagn
610 existence de plus en plus conforme aux prévisions des grandes compagnies d’assurances. (Quelle fête immense faudrait-il à c
611 endra la paix, bientôt. Et ce sera peut-être pour des siècles. (Il y aura trop d’avions du même côté.) Mais comment l’homme
612 manque de guerres ? Nous avons tout prévu contre un futur Hitler, rien contre son absence, autant que je sache. Le seul t
613 s le nions tous, et c’est normal. Mais je propose un test précis. Pourquoi tant de réticences à décider le désarmement gén
614 otal et définitif de tous les peuples, appuyé par une interdiction absolue de fabriquer des armes et d’enseigner à s’en ser
615 appuyé par une interdiction absolue de fabriquer des armes et d’enseigner à s’en servir ? Je ne sais pas mieux que la plup
616 ais pas mieux que la plupart ce qui résulterait d’ une décision de ce genre, mais je sais que la plupart résistent à priori
617 plupart résistent à priori à cette idée. Je vois des moustaches qui tremblent avant même que la bouche ne s’ouvre. Et cepe
618 mp, avec calme, de bonnes raisons bien étudiées d’ un tel refus. C’est un refus instinctif, comme ils disent. Et c’est tout
619 onnes raisons bien étudiées d’un tel refus. C’est un refus instinctif, comme ils disent. Et c’est tout ce que je voulais l
620 dire. (Il leur reste à me traiter de défaitiste.) Une politique qui négligerait le fait que la guerre nous plaît pour des r
621 négligerait le fait que la guerre nous plaît pour des raisons profondes, cette politique serait incapable de rien conduire,
622 nulerait. 2. Hitler. — Nous pensons qu’Hitler est un monstre avec lequel nous n’avons rien de commun. Il s’agit de le détr
623 sans coup férir si nous n’admettons pas qu’il est une part de nous, la part du diable dans nos cœurs. Hitler se taira d’ici
624 out l’univers, voici que nous nous écrierons avec une stupéfaction mêlée de honte : — Comme il était petit ! Il n’était gra
625 ychologique du siècle, Hitler aura joué le rôle d’ un personnage de rêve d’angoisse. Ce rêve collectif a modelé notre histo
626 dans l’ombre de nos âmes. On a remarqué que dans un cauchemar, ce qui nous terrifie n’est pas toujours l’aspect du person
627 t il nous paraît animé. Il se charge à nos yeux d’ une puissance de terreur dont nous n’avions sans doute jamais eu l’expéri
628 s doute jamais eu l’expérience. Et pourtant c’est une part de nous-mêmes qui machine cette brusque épouvante, ramassant dan
629 i machine cette brusque épouvante, ramassant dans un geste, une forme, une atmosphère, tout ce que nous refusions d’admett
630 cette brusque épouvante, ramassant dans un geste, une forme, une atmosphère, tout ce que nous refusions d’admettre en nous.
631 ue épouvante, ramassant dans un geste, une forme, une atmosphère, tout ce que nous refusions d’admettre en nous. Le cauchem
632 hemar nous apprend qu’il ne suffit pas de refuser un instinct ou quelque tentation pour les supprimer. Il s’agit de les ut
633 oyons certains qu’ils vont revenir en force, sous un déguisement séduisant, ou sous la forme d’un monstre archaïque. L’ogr
634 sous un déguisement séduisant, ou sous la forme d’ un monstre archaïque. L’ogre à la petite moustache est l’un de ces monst
635 fier les causes dans nous-mêmes11. Mais ceci pose un problème nouveau : le problème de la religion. 3. Il faut une religio
636 nouveau : le problème de la religion. 3. Il faut une religion pour le peuple. Entendons : pour qu’un peuple subsiste. Tout
637 une religion pour le peuple. Entendons : pour qu’ un peuple subsiste. Toute la sociologie moderne le prouve. À son défaut,
638 t produit de toute communauté vivante. Je parle d’ un instinct aussi fondamental et naturel que la sexualité. Il est incont
639 ontestable que le rationalisme12 a déprimé depuis des siècles le sens religieux des Occidentaux. Car non content de combatt
640 12 a déprimé depuis des siècles le sens religieux des Occidentaux. Car non content de combattre et d’évacuer les coutumes r
641 , il s’est méthodiquement refusé à laisser naître des coutumes nouvelles (en ceci protestant, mais sans la foi). Or les cou
642 capter ses puissances obscures et les ordonner à des fins tantôt pratiques, tantôt transcendantales. Canaux exutoires ou é
643 tivité quotidienne. Condamnez-les et vous créerez une sécheresse générale, nécessairement suivie d’une rupture de digues et
644 une sécheresse générale, nécessairement suivie d’ une rupture de digues et de l’interruption catastrophique des forces somb
645 ure de digues et de l’interruption catastrophique des forces sombres de la cité. La raison peut nier ou négliger ces forces
646 he hasardeuse de moyens nouveaux, elle fait lever des monstres autour de nous. Imaginons une similitude assez exacte : si n
647 fait lever des monstres autour de nous. Imaginons une similitude assez exacte : si nos animaux domestiques se révoltaient s
648 re carence. Le rationalisme régnant peut produire des avions en masse et par ce moyen-là venir à bout d’Hitler ; mais il ne
649 . Tout porte à croire que nous allons entrer dans une ère de religions aberrantes. Ou, comme le dit une grande légende indi
650 une ère de religions aberrantes. Ou, comme le dit une grande légende indienne, dans l’ère de l’Accroissement des Monstres.
651 e légende indienne, dans l’ère de l’Accroissement des Monstres. Les pires sottises et les thaumaturgies les plus grossières
652 usciter dans l’après-guerre l’enthousiasme éperdu des foules. Et les calculs politiques les plus sains des réalistes et des
653 foules. Et les calculs politiques les plus sains des réalistes et des experts seront vidés d’un coup par ces lames de fond
654 alculs politiques les plus sains des réalistes et des experts seront vidés d’un coup par ces lames de fond. Certains intell
655 sains des réalistes et des experts seront vidés d’ un coup par ces lames de fond. Certains intellectuels incrimineront alor
656 ieux, cette « survivance ». Et nous lirons encore des jérémiades sur le déclin de l’esprit et l’abandon des grands principe
657 jérémiades sur le déclin de l’esprit et l’abandon des grands principes. « C’est inconcevable ! » opineront-ils, les bras au
658 nt-ils, les bras au ciel. Mais c’est très simple. Un homme qui meurt de faim mange n’importe quoi pour tromper sa faim, fa
659 igion ? De tromper cet instinct rendu furieux par des siècles de privation ? Elle dénoncera vainement des délires collectif
660 s siècles de privation ? Elle dénoncera vainement des délires collectifs dont elle sera la première responsable, aussi vrai
661 i que le régime de la prohibition fut responsable des méfaits de l’alcool frelaté, en Amérique. ⁂ Je ne demande pas que des
662 ool frelaté, en Amérique. ⁂ Je ne demande pas que des sorciers ni même des prêtres dirigent l’État : c’est le péril qu’il f
663 que. ⁂ Je ne demande pas que des sorciers ni même des prêtres dirigent l’État : c’est le péril qu’il faudrait conjurer. Mai
664 de renoncer à la vieille politique de l’équilibre des grandes puissances nationales et des trusts : elle ne peut plus saisi
665 l’équilibre des grandes puissances nationales et des trusts : elle ne peut plus saisir les éléments de notre conflit. Il e
666 notre conflit. Il est temps de nous orienter vers une politique d’équilibre des grandes puissances psychologiques, dans les
667 s de nous orienter vers une politique d’équilibre des grandes puissances psychologiques, dans les masses, à l’échelle du gl
668 ns les masses, à l’échelle du globe. Et s’il faut des experts autour du tapis vert, qu’on appelle des psychiatres plutôt qu
669 t des experts autour du tapis vert, qu’on appelle des psychiatres plutôt que des banquiers. L’argent ne chasse pas les démo
670 is vert, qu’on appelle des psychiatres plutôt que des banquiers. L’argent ne chasse pas les démons. 9. Instincts, forces
671 égimes actuels, si imparfaits qu’ils soient, sont un moindre mal. » Et certes, en politique, il s’agira toujours, au mieux
672 nt un premier stade du pire. La chute serait-elle un moindre mal que la fracture qui en résulte ? La maladie mortelle, un
673 la fracture qui en résulte ? La maladie mortelle, un moindre mal que la mort qui la termine ? 12. Les méfaits de la psych
12 1945, Articles divers (1941-1946). Présentation du tarot (printemps 1945)
674 taroc, est le nom donné par les Italiens à l’une des figures du paquet de 78 cartes tel qu’il existait au xiiie siècle. C
675 om fut attribué par la suite à l’ensemble du jeu. Un des premiers témoignages historiques que l’on possède sur le tarot re
676 fut attribué par la suite à l’ensemble du jeu. Un des premiers témoignages historiques que l’on possède sur le tarot remont
677 ringonneur, peintre français, dessina et enlumina des cartes pour Charles VI, le roi fou, liant ainsi le tarot à l’un des m
678 arles VI, le roi fou, liant ainsi le tarot à l’un des moments les plus violemment poétiques de l’histoire de France. Ces ca
679 es sont conservées à la Bibliothèque Nationale. D’ un autre jeu, faussement attribué à Mantegna, et daté de 1400, subsisten
680 me céleste. Michel-Ange est supposé avoir inventé un jeu de tarot pour enseigner l’arithmétique. Et Gargantua jouait au « 
681 s il crut aussi en retrouver les équivalents dans une inscription chinoise, datant de 1120, et dans les tablettes hindoues
682 , français, en 1854. Ce dernier attribue au tarot une origine hindoue ; et ce sont les gipsys, selon lui (et d’ailleurs aus
683 nduite du « Duc d’Égypte » ; et qu’on lui suppose une ascendance hindoue. Or nous possédons des cartes de tarot plus ancien
684 suppose une ascendance hindoue. Or nous possédons des cartes de tarot plus anciennes, comme on vient de le voir. Les origin
685 selon nous, se perdent littéralement dans la nuit des temps. Nous soutiendrons cette thèse au paragraphe 5. 2. Etteilla
686 Nous lisons le jugement suivant sur Etteilla dans un petit ouvrage intitulé Le Nouvel Etteilla (Paris 1922) : Cet auteur,
687 ns son huitième volume du Monde primitif, d’après un amateur qui, lui-même, n’avait pu copier l’art de tirer les cartes, d
688 ramener tout à tout, et réciproquement. En voici un exemple : Etteilla a placé le Fou à la fin du jeu, c’est-à-dire au n
689 Selon les pays et les temps : quant au dessin des cartes, et quant à leur interprétation, les variations paraissent avo
690 t représente le Monde : on peut le voir de plus d’ une façon. A) Pays. Citons Elie Alta : Etteilla a composé un jeu dans le
691 . A) Pays. Citons Elie Alta : Etteilla a composé un jeu dans lequel les figures des arcanes majeurs ont été déplacées ou
692 Etteilla a composé un jeu dans lequel les figures des arcanes majeurs ont été déplacées ou transformées. Seuls les arcanes
693 avec plus ou moins de fidélité. Défaut courant : une simplification intempérante des symboles. Comparez par exemple les ca
694 Défaut courant : une simplification intempérante des symboles. Comparez par exemple les cartes que nous reproduisons à la
695 les unes selon Court de Gébelin, les autres selon des modèles plus anciens, restitués par l’érudition. Et depuis Court de G
696 dence s’est accentuée. On trouve même aujourd’hui des cartes de tarot à figures redoublées (tête en haut et tête en bas) à
697 n bas) à l’instar du jeu de cartes moderne. C’est un abus inqualifiable, si l’on sait que l’interprétation de chaque lame
698 sulte aussi que le manque de place, dans le cas d’ une figure doublée, oblige le dessinateur à expulser de la carte les symb
699 ueuses. C) Significations. Nous donnons en regard des lames reproduites ci-après quelques exemples d’interprétations fort d
700 ier à propos de ces mêmes cartes. Peut-être alors une certaine cohérence transparaîtrait-elle lentement au travers de ces m
701 ar l’examen du tableau suivant. En effet, chacune des lames du tarot (arcanes majeurs) s’identifie à : 1. une planète 2. un
702 mes du tarot (arcanes majeurs) s’identifie à : 1. une planète 2. un signe du zodiaque 3. une lettre de l’alphabet hébreu (s
703 rcanes majeurs) s’identifie à : 1. une planète 2. un signe du zodiaque 3. une lettre de l’alphabet hébreu (sens exotérique
704 fie à : 1. une planète 2. un signe du zodiaque 3. une lettre de l’alphabet hébreu (sens exotérique et sens ésotérique) 4. u
705 et hébreu (sens exotérique et sens ésotérique) 4. un nombre (interprété par la Cabbale) 5. un élément (selon l’alchimie) 6
706 ique) 4. un nombre (interprété par la Cabbale) 5. un élément (selon l’alchimie) 6. une couleur 7. une note de musique 8. u
707 r la Cabbale) 5. un élément (selon l’alchimie) 6. une couleur 7. une note de musique 8. un nom à quoi l’occultiste Lenain a
708 . un élément (selon l’alchimie) 6. une couleur 7. une note de musique 8. un nom à quoi l’occultiste Lenain a cru pouvoir aj
709 lchimie) 6. une couleur 7. une note de musique 8. un nom à quoi l’occultiste Lenain a cru pouvoir ajouter : 9. un jour 10.
710 oi l’occultiste Lenain a cru pouvoir ajouter : 9. un jour 10. une heure 11. un degré 12. un génie 13. un verset des psaume
711 ste Lenain a cru pouvoir ajouter : 9. un jour 10. une heure 11. un degré 12. un génie 13. un verset des psaumes de David et
712 ru pouvoir ajouter : 9. un jour 10. une heure 11. un degré 12. un génie 13. un verset des psaumes de David et les psychana
713 outer : 9. un jour 10. une heure 11. un degré 12. un génie 13. un verset des psaumes de David et les psychanalystes modern
714 jour 10. une heure 11. un degré 12. un génie 13. un verset des psaumes de David et les psychanalystes modernes : 14. une
715 une heure 11. un degré 12. un génie 13. un verset des psaumes de David et les psychanalystes modernes : 14. une des quatre
716 mes de David et les psychanalystes modernes : 14. une des quatre facultés (pensée, intuition, sentiment, sensation) 15. un
717 de David et les psychanalystes modernes : 14. une des quatre facultés (pensée, intuition, sentiment, sensation) 15. un des
718 tés (pensée, intuition, sentiment, sensation) 15. un des archétypes de l’inconscient collectif. De plus, ces signification
719 (pensée, intuition, sentiment, sensation) 15. un des archétypes de l’inconscient collectif. De plus, ces significations so
720 non pas simplement juxtaposées. Prenons l’exemple des lettres. D’après Elie Alta (et donc Etteilla), « les Égyptiens ont at
721 illa), « les Égyptiens ont attaché à chaque carte des 22 atouts majeurs une lettre de l’alphabet hébreu… Ces lettres ont ap
722 ont attaché à chaque carte des 22 atouts majeurs une lettre de l’alphabet hébreu… Ces lettres ont apporté avec elles les s
723 7 lettres appelées doubles qui figurent le monde des planètes ; puis 12 lettres dites simples qui figurent les 12 signes d
724 rnes Les interprètes contemporains diffèrent d’ une manière décourageante quant au parallélisme à établir entre les quatr
725 parallélisme à établir entre les quatre couleurs des tarots et les quatre couleurs du jeu de cartes moderne. Bornons-nous
726 ation = Terre Enfin, selon R. M. de Marinis (dans un ouvrage à paraître en 1945) : Bâtons = Trèfle = Sexualité = Sensation
727 ieuses et sociales au Moyen Âge, et quelques-unes des situations élémentaires de l’existence, signifiées par allégories. Il
728 e dessin est exact. Et ces symboles, à l’examen d’ une attention qui consent à se laisser docilement absorber, ne tardent pa
729 symboles de nos « grands rêves ». De fait, chacun des arcanes majeurs est une apparition, un grand rêve fixé, et peut être
730 rêves ». De fait, chacun des arcanes majeurs est une apparition, un grand rêve fixé, et peut être analysé à ce titre. Les
731 t, chacun des arcanes majeurs est une apparition, un grand rêve fixé, et peut être analysé à ce titre. Les figures de la p
732 onc considérer les arcanes majeurs du tarot comme un véritable Alphabet de la grande poésie universelle. Leur attribuer un
733 t de la grande poésie universelle. Leur attribuer un auteur, une date fixe, un usage limité, serait méconnaître leur natur
734 nde poésie universelle. Leur attribuer un auteur, une date fixe, un usage limité, serait méconnaître leur nature. Les arcan
735 erselle. Leur attribuer un auteur, une date fixe, un usage limité, serait méconnaître leur nature. Les arcanes sont issus
736 re leur nature. Les arcanes sont issus de la nuit des Mères, et de l’Underground éternel. Peut-être même faudrait-il voir d
737 ir dans les lames les plus anciennes les signes d’ un langage secret, communiquant sous la forme anodine d’un jeu, les doct
738 gage secret, communiquant sous la forme anodine d’ un jeu, les doctrines manichéennes de la secte des cathares ou albigeois
739 d’un jeu, les doctrines manichéennes de la secte des cathares ou albigeois, persécutée par l’inquisition. (La croisade con
740 dre leur croyance et leur sagesse par l’entremise des tireurs de cartes. Cette hypothèse a été formulée par le grand indian
741 ges remarquables sur « Le Fou ». 6. De l’usage des tarots Nous avons pris l’habitude de considérer les tarots avant t
742 abitude de considérer les tarots avant tout comme un moyen de divination de l’avenir. Si l’on en croit les plus récents tr
743 Foster Case, le tarot aurait été, originellement, une méthode de psychothérapie comparable à notre psychanalyse. Ses lames
744 t plusieurs années — et marqueraient les étapes d’ une « voie hermétique » aboutissant à la réalisation intime du Grand Œuvr
745 boutissant à la réalisation intime du Grand Œuvre des alchimistes. Il s’agirait de passer, à travers ce yoga, de l’illusion
746 à travers ce yoga, de l’illusion à la réalité, et des choses telles qu’elles nous apparaissent aux choses telles qu’elles s
747 l’histoire de l’homme qui part dans la vie comme un Fol (arcane zéro) et aboutit à la connaissance de soi et du Monde (ar
748 , puis individuel, de la psyché humaine. Chacune des cartes était utilisée par l’étudiant en occultisme comme sujet de méd
749 lle combinait plusieurs modes d’entraînement dans une seule activité. Ainsi, tandis que l’étudiant apprenait les symboles,
750 ude, à l’analyse et à la synthèse, à l’évaluation des couleurs et des formes, et surtout il entraînait cette faculté maître
751 et à la synthèse, à l’évaluation des couleurs et des formes, et surtout il entraînait cette faculté maîtresse qui établit
752 il entraînait cette faculté maîtresse qui établit des corrélations entre les idées abstraites. Le schème d’études était en
753 nt : l’étudiant commençait par la contemplation d’ une carte isolée, puis il la reliait graduellement à d’autres cartes, dis
754 res cartes, disposées autour de la première selon des structures de plus en plus complexes. (Berthe MacMonnies Hazard) Cet
755 teur l’importance réelle du tarot, indépendamment des usages pittoresques, secondaires, dérivés, et le plus souvent charlat
756 ont cru pouvoir se rendre maîtres. Terminons sur une anecdote. Le lendemain de la libération de Paris, le peintre Emlen Et
757 la salle du Sénat, meubles brisés, papiers épars, une table au tapis vert était seule restée debout. Les deux peintres s’ét
758 s y virent « jetées comme par la main du destin » une séquence de lames de tarot. Dernier message des occupants. Message su
759 » une séquence de lames de tarot. Dernier message des occupants. Message suspect, ajouterons-nous : il s’agissait de cartes
760 l s’agissait de cartes allemandes portant au lieu des coupes, bâtons, deniers, épées : des cœurs, des cloches, des feuilles
761 tant au lieu des coupes, bâtons, deniers, épées : des cœurs, des cloches, des feuilles et des glands. Le Fou, arcane 0
762 u des coupes, bâtons, deniers, épées : des cœurs, des cloches, des feuilles et des glands. Le Fou, arcane 0 a) Inte
763 bâtons, deniers, épées : des cœurs, des cloches, des feuilles et des glands. Le Fou, arcane 0 a) Interprétation d’
764 , épées : des cœurs, des cloches, des feuilles et des glands. Le Fou, arcane 0 a) Interprétation d’Elie Alta d’aprè
765 Retraçons d’ailleurs aux yeux du sage l’emblème d’ un voyageur, qui symbolise l’homme. Cette vie n’est qu’un court trajet d
766 yageur, qui symbolise l’homme. Cette vie n’est qu’ un court trajet dont nous pouvons adoucir les peines en nous comportant
767 itney, d’après diverses traditions : Vue sous un certain angle (si l’on place l’arcane à la fin du jeu) cette carte es
768 n place l’arcane à la fin du jeu) cette carte est une image de l’inconscience, des occasions manquées, de la vie d’illusion
769 jeu) cette carte est une image de l’inconscience, des occasions manquées, de la vie d’illusion. Le Fou, dans ce sens, est l
770 zéro. Vu sous l’angle de A. E. Waite, le Fou est un homme richement habillé, portant une rose à la main, et qui s’arrête
771 e, le Fou est un homme richement habillé, portant une rose à la main, et qui s’arrête au bord d’un précipice pour contemple
772 ant une rose à la main, et qui s’arrête au bord d’ un précipice pour contempler l’espace au-dessous et au-dessus de lui. L’
773 plein d’intelligence, de rêve et d’attente. C’est un prince de l’autre monde en voyage ici-bas. Sous cet aspect, il est la
774 McM. Hazard (résumé) La clef 0 doit exprimer un état de préparation, avant la conscience et l’individuation. Les symb
775 — et de disques jaunes sur lesquels sont brodées des roues rouges à 8 rayons, annonçant l’accomplissement futur, l’intégra
776 e, ou objet, ou animal, ou même abstraction, dans une suite de symboles qui expriment d’abord les archétypes de l’homme col
777 d) Interprétation de Heinrich Zimmer (extraite d’ un ouvrage posthume, non encore publié) Dernière carte de la série de
778 porte pas de symboles ou de nombre qui la relie à une des couleurs… Cette figure solitaire montre un vagabond errant sans b
779 e pas de symboles ou de nombre qui la relie à une des couleurs… Cette figure solitaire montre un vagabond errant sans but,
780 à une des couleurs… Cette figure solitaire montre un vagabond errant sans but, avec la démarche d’un fou… et un regard qui
781 e un vagabond errant sans but, avec la démarche d’ un fou… et un regard qui perce toutes choses sans s’arrêter à aucune. (L
782 nd errant sans but, avec la démarche d’un fou… et un regard qui perce toutes choses sans s’arrêter à aucune. (Le Fou) expr
783 st) parvenu au terme de l’initiation. Semblable à un fou, à un mendiant, à un hors-caste : car c’est ainsi que le saint, l
784 u au terme de l’initiation. Semblable à un fou, à un mendiant, à un hors-caste : car c’est ainsi que le saint, l’homme par
785 ’initiation. Semblable à un fou, à un mendiant, à un hors-caste : car c’est ainsi que le saint, l’homme parfait, doit appa
786 saint, l’homme parfait, doit apparaître aux yeux des autres. Il s’est libéré des systèmes de castes, des hiérarchies socia
787 t apparaître aux yeux des autres. Il s’est libéré des systèmes de castes, des hiérarchies sociales. Il n’a plus besoin de l
788 s autres. Il s’est libéré des systèmes de castes, des hiérarchies sociales. Il n’a plus besoin de la puissance terrestre (l
789 us besoin de la puissance terrestre (les épées) ; des sacrements, rites et prêtres des religions établies (les coupes) ; de
790 re (les épées) ; des sacrements, rites et prêtres des religions établies (les coupes) ; des biens qu’on peut acheter et ven
791 et prêtres des religions établies (les coupes) ; des biens qu’on peut acheter et vendre (les deniers) ; du sol et du foyer
792 , ni de nom. Il est la carte anonyme. Il n’est qu’ un fol errant. Comment a-t-il atteint le stade suprême, bien au-dessus d
793 t a-t-il atteint le stade suprême, bien au-dessus des rois, des reines, des as, des chevaliers et des valets, au-dessus des
794 tteint le stade suprême, bien au-dessus des rois, des reines, des as, des chevaliers et des valets, au-dessus des 21 symbol
795 ade suprême, bien au-dessus des rois, des reines, des as, des chevaliers et des valets, au-dessus des 21 symboles qui décri
796 ême, bien au-dessus des rois, des reines, des as, des chevaliers et des valets, au-dessus des 21 symboles qui décrivent la
797 s des rois, des reines, des as, des chevaliers et des valets, au-dessus des 21 symboles qui décrivent la hiérarchie des ess
798 , des as, des chevaliers et des valets, au-dessus des 21 symboles qui décrivent la hiérarchie des essences et des sphères s
799 essus des 21 symboles qui décrivent la hiérarchie des essences et des sphères surhumaines ? En passant à travers eux tous,
800 boles qui décrivent la hiérarchie des essences et des sphères surhumaines ? En passant à travers eux tous, mais sans être p
801 ssant à travers eux tous, mais sans être pris par un seul… Ayant accompli son être dans la coïncidence des contraires, pou
802 seul… Ayant accompli son être dans la coïncidence des contraires, pour lui l’univers ambiant perd son poids. Sa réalité vis
803 hoses : elles ne sont que néant, elles ne sont qu’ un mirage, il les a dépassées… Il est le mendiant qui possède l’univers,
804 iter de fou. Il l’est en effet, mais il n’est pas un lunatique quelconque, un idiot ou un simple d’esprit. C’est ce qu’il
805 effet, mais il n’est pas un lunatique quelconque, un idiot ou un simple d’esprit. C’est ce qu’il paraît. Si quelque étrang
806 il n’est pas un lunatique quelconque, un idiot ou un simple d’esprit. C’est ce qu’il paraît. Si quelque étranger aux habit
807 tre rien. Et de même, il convient que la séquence des arcanes, grâce aux symboles graphiques desquels nous sont dévolus l’i
808 et l’accomplissement, apparaisse simplement comme une série de cartes à jouer plutôt bizarres et démodées… Le Parfait sous
809 bizarres et démodées… Le Parfait sous l’aspect d’ un fol errant, a dépassé la possibilité d’être aucune des réalités parti
810 ol errant, a dépassé la possibilité d’être aucune des réalités particulières exprimées par les quatre couleurs et les arcan
811 r, — quelqu’un qui ne professe aucune profession, un spirituel sans emploi, un vagabond cosmique. Prenons bien garde à la
812 esse aucune profession, un spirituel sans emploi, un vagabond cosmique. Prenons bien garde à la manière dont nous le trait
813 nifestation qui va se produire, la potentialité d’ un événement. Idée d’eau, de liquide. Astrologie. La Vierge, maison de
814 e si elle est impudique. Figure. Elle représente une roue sur son axe, elle entraîne d’un côté un singe, un lapin ou un di
815 représente une roue sur son axe, elle entraîne d’ un côté un singe, un lapin ou un diable, et de l’autre côté un homme. El
816 nte une roue sur son axe, elle entraîne d’un côté un singe, un lapin ou un diable, et de l’autre côté un homme. Elle nous
817 ue sur son axe, elle entraîne d’un côté un singe, un lapin ou un diable, et de l’autre côté un homme. Elle nous indique si
818 xe, elle entraîne d’un côté un singe, un lapin ou un diable, et de l’autre côté un homme. Elle nous indique simplement le
819 singe, un lapin ou un diable, et de l’autre côté un homme. Elle nous indique simplement le mouvement de la vie dans tous
820 é au sommet de la roue, figure la loi universelle des transmutations matérielles ou physiques… Celui qui s’élève sera abais
821 ux 4 coins de la carte, les figures symboliques — un homme, ou ange, un lion, un taureau, un aigle — signifient les 4 divi
822 rte, les figures symboliques — un homme, ou ange, un lion, un taureau, un aigle — signifient les 4 divisions du cosmos aux
823 figures symboliques — un homme, ou ange, un lion, un taureau, un aigle — signifient les 4 divisions du cosmos auxquelles f
824 oliques — un homme, ou ange, un lion, un taureau, un aigle — signifient les 4 divisions du cosmos auxquelles faisaient all
825 éments seront équilibrées. Au centre de la carte, un large cercle orangé indique que le Grand Œuvre est une activité solai
826 arge cercle orangé indique que le Grand Œuvre est une activité solaire. Trois cercles concentriques s’y inscrivent : Père,
827 ues s’y inscrivent : Père, Mère, Fils. Au milieu, une roue à 8 rayons signifie la manifestation parfaite, résultant du mouv
828 équilibre entre les aspects positifs et négatifs des 4 instruments (bâtons, épées, coupes, deniers), c’est-à-dire entre l’
829 t-à-dire entre l’évolution et l’involution. L’une des roues porte les signes alchimiques du Mercure (Intellect) ; Sel (Corp
830 e en ait porté autrefois. À l’extrémité de chacun des rayons de la première roue est placée une des lettres du mot T A R O,
831 chacun des rayons de la première roue est placée une des lettres du mot T A R O, qui doit se lire dans le sens des aiguill
832 cun des rayons de la première roue est placée une des lettres du mot T A R O, qui doit se lire dans le sens des aiguilles d
833 res du mot T A R O, qui doit se lire dans le sens des aiguilles d’une montre. À l’extrémité de chacun des rayons de la seco
834  O, qui doit se lire dans le sens des aiguilles d’ une montre. À l’extrémité de chacun des rayons de la seconde roue, sont l
835 s aiguilles d’une montre. À l’extrémité de chacun des rayons de la seconde roue, sont les lettres Yod, Heh, Vav, Heh, qui d
836 , Vav, Heh, qui doivent être lues en sens inverse des aiguilles d’une montre, étant hébraïques. La division quaternaire du
837 doivent être lues en sens inverse des aiguilles d’ une montre, étant hébraïques. La division quaternaire du cosmos se retrou
838 évolue vers le Père : c’est l’homme qui s’éveille des profondeurs, et qui commence à monter vers l’appel du Sphinx, symbole
839 t bleu (spiritualisé, re-né) et porte sur la tête des ornements noirs et blancs : équilibre des contradictions. Il tient l’
840 la tête des ornements noirs et blancs : équilibre des contradictions. Il tient l’épée de la discrimination. Son corps est m
841 ébelin : Le Monde primitif (volume VIII) : Du jeu des tarots, Paris, 1781. Etteilla : Manière de se récréer avec le jeu de
842 5. — Le Livre de Thot. M. M. D’Odoucet : Science des signes, ou médecine de l’esprit, connue sous le nom d’art de tirer le
843 (Gérard Encausse) : Le Tarot divinatoire ou tarot des bohémiens, Paris, 1885. Arthur Edward Waite : The Pictorial Key to th
844 ot Égyptien, Vichy, 1922. Oswald Wirth : Le Tarot des imagiers du Moyen Âge, 1927. Paul Foster Case : An introduction to th
13 1945, Articles divers (1941-1946). Les règles du jeu dans l’art romanesque (1944-1945)
845 loquence creuse et de clichés. J’en parlerai dans un tout autre sens. Je voudrais désigner par rhétorique l’ensemble des r
846 s. Je voudrais désigner par rhétorique l’ensemble des règles du jeu dans l’art. Feraient partie de la rhétorique des élémen
847 jeu dans l’art. Feraient partie de la rhétorique des éléments aussi divers que les lois de composition d’un tableau, et sa
848 éments aussi divers que les lois de composition d’ un tableau, et sa limitation par le cadre ; les lois de l’harmonie et du
849 , finales, épilogues et points d’orgue ; la règle des trois unités ; les transitions, récitatifs, coups de théâtre et contr
850 de théâtre et contrastes ménagés ; le nombre fixe des syllabes dans un vers et des vers dans un sonnet ; les rimes et les c
851 rastes ménagés ; le nombre fixe des syllabes dans un vers et des vers dans un sonnet ; les rimes et les césures, — bref, t
852 gés ; le nombre fixe des syllabes dans un vers et des vers dans un sonnet ; les rimes et les césures, — bref, toutes les co
853 e fixe des syllabes dans un vers et des vers dans un sonnet ; les rimes et les césures, — bref, toutes les conventions acc
854 tant connues, amateurs et critiques disposaient d’ une mesure commune avec le créateur. Ils pouvaient estimer la bienfacture
855 créateur. Ils pouvaient estimer la bienfacture d’ une œuvre, et faire la part de l’invention par déduction de la coutume. P
856 acés ou perdus, notre époque ne sait plus juger d’ une œuvre. Elle tient la rhétorique et ses figures pour arbitraires, arti
857 les devenues.) Mais dès l’instant où les règles d’ un jeu cessent d’être respectées comme absolues, qui pourrait désigner l
858 s aucun charme. Si vous vous soumettez aux règles des échecs, déplacer un seul pion du noir au blanc devient un acte passio
859 us vous soumettez aux règles des échecs, déplacer un seul pion du noir au blanc devient un acte passionnant, qui peut conc
860 s, déplacer un seul pion du noir au blanc devient un acte passionnant, qui peut concentrer votre esprit pendant plusieurs
861 ont strictement non arbitraires. Elles traduisent des relations constitutives de notre corps, de la psyché et du Cosmos. La
862 La régularité et l’alternance de la respiration, des nuits et des saisons, sont nécessaires à notre vie, comme les cadence
863 é et l’alternance de la respiration, des nuits et des saisons, sont nécessaires à notre vie, comme les cadences et les cont
864 e la rhétorique considérées dans toute la variété des arts, ne sont pas sans correspondances avec les formes régulières don
865 e au moins, que l’affleurement ou que la fixation des archétypes de l’inconscient, tels qu’un Jung put les retrouver dans l
866 fixation des archétypes de l’inconscient, tels qu’ un Jung put les retrouver dans les symboles des religions et des magies,
867 ls qu’un Jung put les retrouver dans les symboles des religions et des magies, spontanément réapparus au cours des âges et
868 les retrouver dans les symboles des religions et des magies, spontanément réapparus au cours des âges et sur les points le
869 ns et des magies, spontanément réapparus au cours des âges et sur les points les plus divers de la planète. Les romantiques
870 ont soupçonné : Jean-Paul invoque la « rhétorique des rêves ». Mais c’est Baudelaire qui touche le vrai point, lorsque, ris
871 laire qui touche le vrai point, lorsque, risquant un assemblage de mots qui devait paraître, de son temps, le plus scandal
872 eusement paradoxal, il n’hésite pas à nous parler des artifices d’une « rhétorique profonde ». Au milieu du xviiie siècle
873 al, il n’hésite pas à nous parler des artifices d’ une « rhétorique profonde ». Au milieu du xviiie siècle, trois phénomèn
874 commanda de les éliminer. De ses fleurs, elle fit des clichés1. Abandonné à l’inspiration pure, comme la colombe de Kant qu
875 . Le sociologue et le photographe l’observaient d’ un œil ironique. La naissance, le triomphe et le déclin du roman comme
876 u roman est dans le conte. La société primitive a des mythes, courts récits mémorables destinés à fixer des événements de l
877 mythes, courts récits mémorables destinés à fixer des événements de l’âme ou du Cosmos dans un jeu de personnages et d’aven
878 à fixer des événements de l’âme ou du Cosmos dans un jeu de personnages et d’aventures très simples. Le mythe se développe
879 éveloppe en légende, et la légende sacrée convoie un enseignement religieux. L’épopée perpétue ensuite le souvenir des hér
880 religieux. L’épopée perpétue ensuite le souvenir des héros de la tribu. Mais à mesure que les dieux prennent figure d’homm
881 ustration de vérités morales communes à l’élite d’ une société donnée. Nous avons fait, en quelques lignes, tout le chemin q
882 qui sépare les premiers chapitres de la genèse d’ un roman comme L’Astrée. Mais L’Astrée n’est encore qu’un rêve éveillé,
883 man comme L’Astrée. Mais L’Astrée n’est encore qu’ un rêve éveillé, donné pour tel par son auteur. C’est avec La Princesse
884 imagination. Et l’on ne sait plus si le roman est une pseudo-science ou un faux art. Regardons de plus près ce passage de l
885 e sait plus si le roman est une pseudo-science ou un faux art. Regardons de plus près ce passage de l’invention réelle au
886  c’est-à-dire : l’extérieur — ne peut fournir que des objets à exprimer, non pas des moyens d’expression. Mieux on l’imite
887 e peut fournir que des objets à exprimer, non pas des moyens d’expression. Mieux on l’imite et plus on s’écarte de l’art. A
888 eux on l’imite et plus on s’écarte de l’art. Avec une incroyable étourderie, certains demandent alors un « art vivant ». Co
889 e incroyable étourderie, certains demandent alors un « art vivant ». Comme si les règles d’un jeu devaient être vivantes !
890 nt alors un « art vivant ». Comme si les règles d’ un jeu devaient être vivantes ! Plus personne ne pourrait jouer2. Le jeu
891 opier la nature naturée. Et la psyché réinventait un réel significatif. Comment rejoindrait-on le sens profond des choses
892 nificatif. Comment rejoindrait-on le sens profond des choses et des événements de la vie, en décalquant le désordre varié d
893 ment rejoindrait-on le sens profond des choses et des événements de la vie, en décalquant le désordre varié des objets ou d
894 ements de la vie, en décalquant le désordre varié des objets ou des sentiments ? Par l’extérieur on ne rejoint que l’insign
895 ie, en décalquant le désordre varié des objets ou des sentiments ? Par l’extérieur on ne rejoint que l’insignifiance observ
896 que les lois mêmes de la vie. » Cette proposition des plus étranges est reçue sans le moindre étonnement par la critique mo
897 ient les sentiments jusqu’au sublime, proposaient des types de vie haute, et réveillaient des forces endormies. Le conte ét
898 oposaient des types de vie haute, et réveillaient des forces endormies. Le conte était le libre déploiement des réalités mê
899 es endormies. Le conte était le libre déploiement des réalités mêmes de l’âme, qu’il décrivait en personnages selon certain
900 onnages selon certains procédés et figures surgis des profondeurs de l’être, identiques à ceux du rêve, et crus comme tels
901 t une fois… », il créait aussitôt chez l’auditeur un état très particulier de réceptivité et de créance. On savait qu’un j
902 culier de réceptivité et de créance. On savait qu’ un jeu commençait, amusant ou profond, et significatif. On croyait tout 
903 eu. Le jeu ne tolère pas de scepticisme. Observez un enfant quand il attend « l’histoire ». Dès que la formule consacrée t
904  l’histoire ». Dès que la formule consacrée tombe des lèvres de la grande personne, l’enfant change de visage, l’état secon
905 attente où naît l’illusion romanesque. Il a suffi des mots rituels pour suspendre le sens critique, et voici le plaisir ext
906 siècle passé, les conteurs populaires et certains des meilleurs écrivains avaient encore coutume de débuter par des phrases
907 s écrivains avaient encore coutume de débuter par des phrases stéréotypées : « Par une belle matinée de novembre, un voyage
908 e de débuter par des phrases stéréotypées : « Par une belle matinée de novembre, un voyageur vêtu d’un macfarlane gris chev
909 éréotypées : « Par une belle matinée de novembre, un voyageur vêtu d’un macfarlane gris chevauchait sur la route qui va de
910 une belle matinée de novembre, un voyageur vêtu d’ un macfarlane gris chevauchait sur la route qui va de N… à X… » (Fenimor
911 … » (Fenimore Cooper, j’imagine). Ou bien c’était une lente description des lieux, introduisant dans l’atmosphère du récit.
912 j’imagine). Ou bien c’était une lente description des lieux, introduisant dans l’atmosphère du récit. (Le début de Le Rouge
913 .) Ces procédés d’avertissement retenaient encore une règle élémentaire : marquer le début du jeu par un signal convenu, is
914 e règle élémentaire : marquer le début du jeu par un signal convenu, isoler de la vie courante la partie jouée. Mais le ro
915 i est donc d’entrer comme par hasard, au milieu d’ une situation, d’une atmosphère, ou même d’une phrase, « N’importe où et
916 er comme par hasard, au milieu d’une situation, d’ une atmosphère, ou même d’une phrase, « N’importe où et n’importe comment
917 lieu d’une situation, d’une atmosphère, ou même d’ une phrase, « N’importe où et n’importe comment » — c’est à quoi vise son
918 rt. « Gontran sortit son briquet de nacre, alluma une cigarette blonde et consulta l’indicateur. » Il s’agit de me faire cr
919 re croire que c’est vrai. Il faut donc me fournir des preuves et des observations exactes. Mais à la première preuve, je co
920 ’est vrai. Il faut donc me fournir des preuves et des observations exactes. Mais à la première preuve, je commence à douter
921 s’abandonner à son rythme d’images — plus j’exige un récit vraisemblable. À la limite, il serait impossible qu’un lecteur
922 aisemblable. À la limite, il serait impossible qu’ un lecteur tombe jamais d’accord avec l’auteur. Car il n’est pas deux ex
923 ’autres charmes… Du conteur pur, je n’exigeais qu’ un sens, valable et vérifiable en soi. 2°) — Par la suppression des céré
924 le et vérifiable en soi. 2°) — Par la suppression des cérémonies d’introduction et de sortie3, le romancier moderne veut cr
925 oublier. D’où cet axiome de la critique moderne : un roman ne doit pas être « écrit ». Tous ces efforts trahissent le curi
926 curieux embarras de ne pouvoir faire entrer dans un livre des personnages grandeur nature. La volonté d’éliminer toutes l
927 embarras de ne pouvoir faire entrer dans un livre des personnages grandeur nature. La volonté d’éliminer toutes les convent
928 sérieux de la vie est, par définition, le domaine des conséquences indéfinies. L’hésitation du romancier moderne à terminer
929 ion du romancier moderne à terminer son livre par une décision de l’esprit ou par un artifice de rhétorique, telle est la s
930 ner son livre par une décision de l’esprit ou par un artifice de rhétorique, telle est la source impure du roman-fleuve. L
931 est la source impure du roman-fleuve. La longueur des ouvrages de ce genre est l’expression de l’embarras d’un écrivain qui
932 ages de ce genre est l’expression de l’embarras d’ un écrivain qui s’est privé des secours de l’art. D’ailleurs cet allonge
933 ssion de l’embarras d’un écrivain qui s’est privé des secours de l’art. D’ailleurs cet allongement, trop souvent excessif p
934 oujours insuffisant pour égaler la durée réelle d’ une vie. Quelque chose de méthodiquement insignifiant. Car la-vie-telle-q
935 c contemporain, le morceau n’étant visiblement qu’ une captatio benevolentiae où l’auteur se montre attentif à ne promettre
936 our le roman comme genre les occasions d’acquérir un mérite esthétique supérieur… mais ce qui en tout cas lui interdit de
937 e : « Le lecteur se demandera : où cela va-t-il ? Des personnages se perdent… » Mais, répond notre auteur, comme pour se ju
938 ns traditionnels « préoccupés qu’ils sont, au nom des vieilles règles, de commencer et de finir le jeu avec les mêmes carte
939 ousu de la vie réelle. Avouer l’ambition d’écrire un livre en se conformant aux « lois de la vie », c’est doublement trich
940 la présentation dramatisée. Ces conditions, dans une vue commerciale, sont très jalousement maintenues par les « producers
941 f de l’épithète. Ces légèretés ne pardonnent pas. Une contre-épreuve de notre diagnostic nous sera fournie par le succès du
942 ne pense pas qu’on puisse expliquer ce succès par un intérêt pour le crime, qui serait particulier à notre époque. Le roma
943 emeure le seul genre défini, obéissant aux lois d’ une rhétorique précise. C’est un jeu, et un jeu serré, qui ne tolère aucu
944 béissant aux lois d’une rhétorique précise. C’est un jeu, et un jeu serré, qui ne tolère aucune faiblesse, aucune tricheri
945 x lois d’une rhétorique précise. C’est un jeu, et un jeu serré, qui ne tolère aucune faiblesse, aucune tricherie. Ses lois
946 ants comme ceux de la Commedia dell’arte, ou ceux des cartes et des échecs : le détective élégant, volontiers philosophe, l
947 x de la Commedia dell’arte, ou ceux des cartes et des échecs : le détective élégant, volontiers philosophe, l’agent de poli
948 complètement à la fin du livre, et ne comporte qu’ un nombre fini d’éléments. Le lieu de l’action est circonscrit : c’est g
949 de l’action est circonscrit : c’est généralement une maison dont il semble que personne n’ait pu y entrer ni en sortir, et
950 blème sous forme de cadavre. Parfois, ce n’est qu’ une chambre4. Toutes ces conditions satisfont à l’excellente définition d
951 nte définition du jeu proposée par J. Huizinga5 : une action dont le début et la fin sont nettement marqués, qui a lieu dan
952 et la fin sont nettement marqués, qui a lieu dans un espace nettement délimité et qui obéit, entre ces limites spatiales e
953 it, entre ces limites spatiales et temporelles, à des règles indiscutées. Le roman policier passionne dans la mesure même o
954 passionne dans la mesure même où il tient compte des règles, soit pour les appliquer avec une perfection classique, soit p
955 t compte des règles, soit pour les appliquer avec une perfection classique, soit pour y introduire quelque ingénieuse varia
956 uire quelque ingénieuse variation. La fixité même des règles fondamentales permet de mesurer l’invention de chaque auteur,
957 ention de chaque auteur, et les progrès du genre. Une grande partie de l’intérêt que l’amateur apporte à la lecture de ces
958 nt au raffinement ou à la complication croissante des règles. (Le lecteur de romans policiers devient très vite un spéciali
959 (Le lecteur de romans policiers devient très vite un spécialiste.) Et cette rhétorique ne manquera pas d’exercer son pouvo
960 as d’exercer son pouvoir créateur de communauté : des clubs de fanatiques du roman policier se sont fondés un peu partout.
961 bs de fanatiques du roman policier se sont fondés un peu partout. La vogue actuelle du roman historique pourrait être invo
962 celle qui consiste à forcer la vraisemblance par une accumulation de faits observables. Le roman mourra donc, comme sont
963 s formelles, et pour avoir poursuivi la chimère d’ une liberté sans condition. Quelques phénomènes extérieurs viendront préc
964 comme ressorts de l’action, ou qu’enfin il se fît un prestige de les contredire et miner. Tout cela ne durera plus que le
965 Tout cela ne durera plus que le temps de liquider un héritage saccagé par la guerre actuelle et par l’avènement des masses
966 saccagé par la guerre actuelle et par l’avènement des masses. La révolution que nous vivons déclassera la plupart des objet
967 isait toute son « étude ». Mais le besoin de lire des fables ne s’éteindra pas pour si peu ; et moins encore, le besoin d’e
968 oin d’en conter. L’imaginaire, délivré du souci d’ une vraisemblance insignifiante ou statistique, retrouvera l’usage propre
969 sage proprement « fabuleux », le pouvoir créateur des formes fixes et la dialectique des symboles. Le conteur, renonçant à
970 uvoir créateur des formes fixes et la dialectique des symboles. Le conteur, renonçant à imiter la vie, la récréera ; et ren
971 lagrants du siècle défient nos imaginations. Seul un art délirant de fantaisie a su préfigurer le rythme de nos catastroph
972 rire populaire avec l’instinct sadique et le goût des orgies de destruction que devait traduire, quelques années plus tard,
973 ésastres réels, l’art de demain va revenir au jeu des amplifications, raccourcis et miracles qui constituaient la rhétoriqu
974 urcis et miracles qui constituaient la rhétorique des contes. Il ne rejoindra le sens vrai de nos vies qu’en se livrant à l
975 e nos vies qu’en se livrant à la logique profonde des symboles et des mythes de l’âme. Tout porte à tenir pour probable que
976 se livrant à la logique profonde des symboles et des mythes de l’âme. Tout porte à tenir pour probable que les grandes œuv
977 re au lendemain de cette guerre, se rapprocheront des types de libre création, des paraboles que furent en d’autres temps G
978 re, se rapprocheront des types de libre création, des paraboles que furent en d’autres temps Gargantua, Don Quichotte, Robi
979 3. Coup de sifflet donné par l’arbitre, appel d’ un des joueurs à son partenaire, disposition des pions ; trois coups fra
980 . Coup de sifflet donné par l’arbitre, appel d’un des joueurs à son partenaire, disposition des pions ; trois coups frappés
981 el d’un des joueurs à son partenaire, disposition des pions ; trois coups frappés d’avance, lever de rideau ; l’ouverture d
982 frappés d’avance, lever de rideau ; l’ouverture d’ un opéra ; le cadre du tableau, etc. Des procédés identiques annoncent l
983 ’ouverture d’un opéra ; le cadre du tableau, etc. Des procédés identiques annoncent la terminaison du jeu, la rentrée dans
984 Idem : les rites d’entrée et de sortie relatifs à un espace ou à un temps sacré. 4. Voir Roger Caillois, Le Roman policie
985 s d’entrée et de sortie relatifs à un espace ou à un temps sacré. 4. Voir Roger Caillois, Le Roman policier, Buenos Aires
14 1946, Articles divers (1941-1946). Contribution à l’étude du coup de foudre (1946)
986 ntribution à l’étude du coup de foudre (1946)o Un regard dans un regard et les voilà fixés, cloués sur place, comme le
987 étude du coup de foudre (1946)o Un regard dans un regard et les voilà fixés, cloués sur place, comme le coq est cloué s
988 beau. Mais rien ne sert de n’y pas croire. C’est un fait, nous l’avons subi, et nous avons tous dit : je n’y puis rien. A
989 n. Avec autant de sincérité, nous semblait-il, qu’ un croyant décrivant sa conversion en termes de grâce et de prédestinati
990 passivité que l’on allègue, ne serait-elle point un alibi ? Je ne parle que du vrai coup de fondre, celui qui est suivi d
991 , ils ne sont qu’éclairs de chaleur dans l’aura d’ un cœur orageux. Aux portières d’un train que l’on croise, entre cieux s
992 ur dans l’aura d’un cœur orageux. Aux portières d’ un train que l’on croise, entre cieux stations de métro, dans la foule o
993 stations de métro, dans la foule où se cherchent des yeux — ils se détournent aussitôt que frappés et c’est toujours : « Ô
994 e, en ce temps-là. Je disais à ce romancier (l’un des meilleurs de l’Allemagne d’alors) : — Le mythe du coup de foudre est
995 rs) : — Le mythe du coup de foudre est sans doute une astucieuse invention de Don Juan pour impressionner ses victimes. Il
996 flatte comme l’idée que l’on va vivre à son tour une scène de roman. Oui, l’idée seule a fait tous ces ravages, et non pas
997 nez par vos romans… Mais ce n’est pas assez que d’ une complaisance acquise. Il faut encore une rencontre ménagée à la resse
998 ez que d’une complaisance acquise. Il faut encore une rencontre ménagée à la ressemblance du rêve : toute une cérémonie, av
999 ncontre ménagée à la ressemblance du rêve : toute une cérémonie, avec ses rôles prescrits, son ouverture déclarée par un hé
1000 c ses rôles prescrits, son ouverture déclarée par un héraut, sa lenteur imposante interdisant la fuite. Admirez l’appareil
1001 ’un vers l’autre, dans la scène du hanap, ce sont des officiants… Tout se passe comme si les deux amants se trouvaient dési
1002 si les deux amants se trouvaient désignés non par un sort aveugle, mais au contraire par la profonde convenance des rôles
1003 gle, mais au contraire par la profonde convenance des rôles qu’ils tiennent dans la société, sous l’égide des plus intangib
1004 les qu’ils tiennent dans la société, sous l’égide des plus intangibles hiérarchies. Et Don Juan triche, une fois de plus, q
1005 cela se produise à l’improviste, comme au coin d’ un bois… Il me vient une image dont la netteté pourra faire excuser le p
1006 ’improviste, comme au coin d’un bois… Il me vient une image dont la netteté pourra faire excuser le prosaïsme : le coup de
1007 né, il veut la pose… Tandis que je parlais ainsi, une espèce de gêne me vint, le sentiment de mal tomber. Il me sembla que
1008 bla que mes propos touchaient mon interlocuteur d’ une manière un peu trop personnelle, et comment dire ? — qu’il savait mie
1009 propos touchaient mon interlocuteur d’une manière un peu trop personnelle, et comment dire ? — qu’il savait mieux que moi
1010 mettez, dit-il gentiment, que je vous réponde par une confession. Je ne sais d’ailleurs ce qu’on peut en conclure pour ou c
1011 Hitler arrivait au pouvoir, on m’offrit de donner des conférences à Budapest. Le président de l’organisation qui m’invitait
1012 président de l’organisation qui m’invitait était un grand banquier, ami des lettres. Il vint m’attendre au débarqué de l’
1013 ation qui m’invitait était un grand banquier, ami des lettres. Il vint m’attendre au débarqué de l’avion et me conduisit à
1014 puis quelques instants dans sa bibliothèque, où d’ un coup d’œil furtif j’avais remarqué mes livres, lorsque sa femme entra
1015 livres, lorsque sa femme entra en nous saluant d’ une mélodieuse formule hongroise. La présentation faite, cette dame nous
1016 elle liqueur de pêche dont on vide trois verres d’ un seul trait, en se regardant dans les yeux. Je me sentis pâlir violemm
1017 , et quelles personnes me prient de leur réserver un dîner : bref, vous vous rappelez ce qu’était la Hongrie, cette hospit
1018 relations… Mais rien n’y fait. Je ne puis avaler une seule bouchée. Est-ce vraiment l’effet de l’avion ? J’allais m’en per
1019 lence encore dans la voiture qu’elle conduit avec une expression concentrée, presque rageuse. Nous traversons les grandes a
1020 s traversons les grandes artères de Pest, le pont des Chaînes sur les eaux jaunes du Danube, puis ces ruelles de Buda qui m
1021 ces ruelles de Buda qui montent sur les flancs d’ un énorme rocher en pleine ville, que domine la statue de saint Geller,
1022 les bras en croix. Elle arrête la voiture près d’ une barrière de parc public, descend, s’éloigne dans la neige bien gelée
1023 ’enfoncent et se marquent. Je la rejoins. Alors d’ un geste elle désigne la ville à nos pieds : « — Mon mari m’a demandé de
1024  : « — Si nous allions prendre quelque chose dans un restaurant ? — Bonne idée », fait-elle d’une voix basse, sans me rega
1025 dans un restaurant ? — Bonne idée », fait-elle d’ une voix basse, sans me regarder. Nous voici attablés devant des sandwich
1026 sse, sans me regarder. Nous voici attablés devant des sandwiches au caviar rouge. Et le tour recommence. Même jeu qu’au déj
1027 l’un ni l’autre ne pouvons toucher à rien. Tout d’ un coup je me suis mis debout. Je fais le tour de la table, je m’arrête
1028 ! Elle se lève et me suit. Nous allons chez elle. Un vertige, un sombre délire, et sans qu’un mot de plus ait été prononcé
1029 ve et me suit. Nous allons chez elle. Un vertige, un sombre délire, et sans qu’un mot de plus ait été prononcé… Et ce fut
1030 ez elle. Un vertige, un sombre délire, et sans qu’ un mot de plus ait été prononcé… Et ce fut ainsi, durant tout mon séjour
1031 lions jamais. Le soir, j’avais mes conférences ou un dîner. Et je passais le reste de la nuit dans un bar, en compagnie d’
1032 un dîner. Et je passais le reste de la nuit dans un bar, en compagnie d’un peintre réfugié, nommé Maria. Je l’avais connu
1033 s le reste de la nuit dans un bar, en compagnie d’ un peintre réfugié, nommé Maria. Je l’avais connu quelques années aupara
1034 Je l’avais connu quelques années auparavant dans un groupe politique, à Berlin, que je fréquentais à l’insu de ma femme.
1035 je fréquentais à l’insu de ma femme. J’étais dans un état d’exaltation extrême, à peu près incapable de dormir, sauf quelq
1036 ns avec mon ami d’art, de religion, de politique, des perspectives du nouveau régime, et pas du tout de mes après-midi. Bie
1037 départ, comme nous sortions du bar, Maria et moi, une édition du matin nous apprend l’incendie du Reichstag. Je décide de r
1038 10 heures du matin. Mais il faut que je la revoie une dernière fois. Je prendrai donc l’express du soir. J’arrive à Berlin
1039 est possible. Elle sait. Monsieur, je puis garder un secret d’État, vous le savez, mais je ne suis pas de ceux qui peuvent
1040 mais je ne suis pas de ceux qui peuvent supporter un mensonge dans leur vie intime. J’ai tout avoué sans me chercher d’exc
1041 mandé comment elle avait su. Alors elle m’a tendu une lettre par avion, arrivée pour moi le matin même et qu’elle avait ouv
1042 matin même et qu’elle avait ouverte par crainte d’ un malheur. Quelques lignes sur une feuille portant l’en-tête d’un bar d
1043 rte par crainte d’un malheur. Quelques lignes sur une feuille portant l’en-tête d’un bar de Budapest, et disant à peu près 
1044 elques lignes sur une feuille portant l’en-tête d’ un bar de Budapest, et disant à peu près : « Donne-moi vite de tes nouve
1045 ce cataclysme. » La lettre était signée Maria. — Un vrai drame du destin ! fis-je après un moment. Le type même du Schick
1046 e Maria. — Un vrai drame du destin ! fis-je après un moment. Le type même du Schicksalsdrama, comme vous dites… Mais le de
1047 ans ?… Et ce coup de foudre, n’est-il pas tombé d’ un ciel qu’il convient de nommer Littérature ? o. Rougemont Denis de,
15 1946, Articles divers (1941-1946). Penser avec les mains (janvier 1946)
1048 vaise toute œuvre qui ne te saisit pas comme avec une main, qui ne te pousse pas hors de toi-même, dans le scandale ou dans
1049 créatrice. Trop de penseurs inoffensifs secrètent des philosophies correctes, trop de drames inoffensifs se nouent par jeu
1050 fuir attaque l’auteur et tout ce qu’il reflète d’ une ambiance domestiquée. Il est grand temps que la pensée redevienne ce
1051 s prendrons au sérieux cette distinction : il y a des hommes qui sont l’orgueil de notre esprit, — et d’autres qui s’enorgu
1052 es qui s’enorgueillissent de notre esprit. Il y a des hommes qui créent, d’autres qui enregistrent : il ne faudra plus les
1053 its, les professeurs, pour lesquels la pensée est un art d’agrément, un héritage, une carrière libérale, ou un capital bie
1054 s, pour lesquels la pensée est un art d’agrément, un héritage, une carrière libérale, ou un capital bien placé. Cerveaux s
1055 els la pensée est un art d’agrément, un héritage, une carrière libérale, ou un capital bien placé. Cerveaux sans mains ! et
1056 ’agrément, un héritage, une carrière libérale, ou un capital bien placé. Cerveaux sans mains ! et qui jugent de haut, mais
1057 ais de loin, et toujours après coup, la multitude des mains sans cerveau qui travaillent sans fin par le monde, peinant peu
1058 nfond la pensée avec l’usage inoffensif de ce que des créateurs ont pensé, au prix de leur vie souvent, et toujours par un
1059 nsé, au prix de leur vie souvent, et toujours par un acte initiateur et révolutionnaire. Les uns pensent, dit-on, les autr
16 1946, Articles divers (1941-1946). Les quatre libertés (30 mars 1946)
1060 Quatre Libertés ont figuré le but de guerre idéal des Nations unies, comme elles restent l’idéal officiel de la paix. Mais
1061 from want, freedom from fear », ce qui se traduit un peu malaisément dans notre langue par liberté de parole et de religio
1062 st temps de nous demander quel est l’état présent des libertés qui faisaient l’enjeu de la lutte. La deuxième, celle du cul
1063 berté de parole se voit partout mise en échec par des censures officielles ou commerciales, la misère règne, la police règn
1064 vainqueurs eux-mêmes vivent dans la peur les uns des autres. Quant à la Bombe, elle a multiplié par 20 000 au moins la lib
1065 elle avait pour seul but d’écraser. Mais ceci est une autre histoire.) Ma génération est-elle donc condamnée à subir au dou
1066 tions, parce qu’elles ne paraissent comporter que des réponses amères et humiliantes, si l’on reste au niveau des faits, de
1067 es amères et humiliantes, si l’on reste au niveau des faits, des dures nécessités, des ruines. Or le rappel des fameuses Qu
1068 t humiliantes, si l’on reste au niveau des faits, des dures nécessités, des ruines. Or le rappel des fameuses Quatre Libert
1069 reste au niveau des faits, des dures nécessités, des ruines. Or le rappel des fameuses Quatre Libertés nous y rabat impito
1070 s, des dures nécessités, des ruines. Or le rappel des fameuses Quatre Libertés nous y rabat impitoyablement par la comparai
1071 Je propose que nous remplacions la revendication des quatre libertés, pour le moment inaccessibles, par une affirmation un
1072 uatre libertés, pour le moment inaccessibles, par une affirmation unique de Liberté indivisible, qu’il ne dépend que de nou
1073 a que « la » liberté, ou non. Je le prouverai par une parabole. Je connais certains hommes qui jouissent en fait des quatre
1074 Je connais certains hommes qui jouissent en fait des quatre libertés susdites. « Une » : Ils peuvent dire tout ce qu’ils v
1075 jouissent en fait des quatre libertés susdites. «  Une  » : Ils peuvent dire tout ce qu’ils veulent à leurs voisins ; « deux 
1076 e tous les périls extérieurs. Ce sont les détenus des prisons américaines. (On leur donne même des séances de cinéma le sam
1077 enus des prisons américaines. (On leur donne même des séances de cinéma le samedi soir.) La liberté ne peut pas être détail
1078 uels que soient les obstacles. Il y aura toujours des obstacles. Ceux qui ont peur d’être libres en feront leurs prétextes
1079 devoirs. Ce qu’il nous faut, ce n’est pas d’abord un monde bien arrangé autour de nous. (Certaines prisons sont très bien
1080 iberté, qui sera toujours : payer de sa personne. Un homme libre, c’est un homme courageux, non pas un homme qui aurait re
1081 urs : payer de sa personne. Un homme libre, c’est un homme courageux, non pas un homme qui aurait reçu (de qui ?) trois ou
1082 Un homme libre, c’est un homme courageux, non pas un homme qui aurait reçu (de qui ?) trois ou quatre ou trente-six libert
1083 ou trente-six libertés. On entend dire : « X… est un esprit libre. » De qui tient-il sa liberté ? Ni de l’État, ni de la R
1084 a liberté ? Ni de l’État, ni de la Révolution, ni des Soviets, ni de la Démocratie, et surtout pas de leurs experts. Il la
1085 re. Lénine, sous le tsarisme, était plus libre qu’ un fonctionnaire sous Staline. Et George Washington était plus libre qu’
1086 Staline. Et George Washington était plus libre qu’ un citoyen américain qui tourne le bouton de sa radio. Ils combattaient.
17 1946, Articles divers (1941-1946). Dialogues sur la bombe atomique : La pensée planétaire (30 mars 1946)
1087 est en train de découvrir ce qu’on savait depuis un certain temps mais qu’on n’avait jamais très bien compris, à savoir q
1088 conséquences, que si vous tirez devant vous avec une arme assez puissante, vous recevrez le projectile dans le dos, au pro
1089 échelle planétaire. La flèche servait à la guerre des villages ; le fusil à la guerre des provinces ; le canon à la guerre
1090 t à la guerre des villages ; le fusil à la guerre des provinces ; le canon à la guerre des nations ; et l’avion à la guerre
1091 à la guerre des provinces ; le canon à la guerre des nations ; et l’avion à la guerre des continents. Voici la Bombe, à qu
1092 à la guerre des nations ; et l’avion à la guerre des continents. Voici la Bombe, à quoi servira-t-elle ? À la guerre plané
1093 t-elle ? À la guerre planétaire, c’est-à-dire : à une guerre qui nous atteint tous, et que nous ne faisons donc qu’à nous-m
1094 es. Les dimensions de la communauté normale, pour une époque donnée, me paraissent pouvoir être mesurées à la portée des ar
1095 , me paraissent pouvoir être mesurées à la portée des armes connues dans cette époque. (Vous avez ici les prémices d’une th
1096 dans cette époque. (Vous avez ici les prémices d’ une théorie sociologique flambant neuve.) À l’arme planétaire correspond
1097 mbant neuve.) À l’arme planétaire correspond donc une communauté universelle, qui relègue les nations au rang de simples pr
1098 entraîner quelques instants dans ce jeu gravitant des symboles : la Terre, le Globe, la Boule, la Tête, la Bombe, et l’Unit
1099 digérer et intégrer cette pensée-là, il aura fait une révolution bien plus grande que la Renaissance. Il semble que la dern
1100 ssa pendant dix ans, directement, la vie courante des habitants des Amériques Nord, Centre, Sud, et de l’Asie, c’est-à-dire
1101 x ans, directement, la vie courante des habitants des Amériques Nord, Centre, Sud, et de l’Asie, c’est-à-dire la moitié du
1102 ut-être voté différemment. La solidarité pratique des différentes parties du globe est un fait durement établi au niveau de
1103 ité pratique des différentes parties du globe est un fait durement établi au niveau de notre existence matérielle. Avant q
1104 xistence matérielle. Avant qu’elle puisse devenir un fait de droit, il nous faudra probablement passer par une étape inter
1105 de droit, il nous faudra probablement passer par une étape intermédiaire, qui est celle du fait psychologique : la formati
1106 est celle du fait psychologique : la formation d’ une conscience planétaire. Nous retardons, il n’y a pas de doute, nous re
1107 ses qui perdent pointe et sens si l’on se déplace un peu, disons à quelques heures d’avion. Ce n’est rien de traduire une
1108 uelques heures d’avion. Ce n’est rien de traduire une langue : les problèmes nationaux restent intraduisibles pour qui ne p
1109 r voir et sentir. Et notre époque n’est pas celle des voyages, mais seulement celle des « missions » comme on dit. Une miss
1110 n’est pas celle des voyages, mais seulement celle des « missions » comme on dit. Une mission ne se promène pas, ne voit rie
1111 is seulement celle des « missions » comme on dit. Une mission ne se promène pas, ne voit rien, n’a pas de temps à perdre. C
1112 s, ne voit rien, n’a pas de temps à perdre. C’est un raid. Nous n’apprendrons rien. Cependant qu’un beau jour le paysan no
1113 st un raid. Nous n’apprendrons rien. Cependant qu’ un beau jour le paysan normand et le boutiquier de Lyon ne pourront plus
1114 du pays de Galles n’auront plus de viande pendant des mois, parce que les péons d’Argentine se seront enfin organisés contr
1115 ope. Et pourtant nous sommes destinés à découvrir un jour que ces lions sont des hommes, qui d’ailleurs nous prenaient nou
1116 s destinés à découvrir un jour que ces lions sont des hommes, qui d’ailleurs nous prenaient nous aussi pour des lions. (Il
1117 es, qui d’ailleurs nous prenaient nous aussi pour des lions. (Il ne manque pas de Persans pour se demander : Comment peut-o
1118 r : Comment peut-on être Français ?) Je parlais d’ une conscience planétaire. C’est sa nécessité qu’il faut d’abord sentir.
1119 et la propagent, sous de larges rubriques créant un appel d’air. Ce n’est pas une question d’information d’abord, vous m’
1120 ges rubriques créant un appel d’air. Ce n’est pas une question d’information d’abord, vous m’entendez, mais de sens, de vis
1121 sprit… Forçant à peine, je dirais : c’est d’abord une question de poésie. Est-ce un hasard si, parmi tous nos écrivains, ce
1122 is : c’est d’abord une question de poésie. Est-ce un hasard si, parmi tous nos écrivains, ceux que je vois manifester le s
1123 vons pour la première fois senti, sous le drapé d’ un français riche et pur, battre le pouls mesuré de l’Asie, le cœur viol
1124 battre le pouls mesuré de l’Asie, le cœur violent des Amériques. Vous alliez me dire que j’oubliais ce grand joueur de Boul
1125 lui qui le premier me parla de la Planète comme d’ un amour et d’une souffrance intime !… r. Rougemont Denis de, « Dialo
1126 mier me parla de la Planète comme d’un amour et d’ une souffrance intime !… r. Rougemont Denis de, « Dialogues sur la bom
18 1946, Articles divers (1941-1946). Dialogues sur la bombe atomique : La paix ou la bombe (20 avril 1946)
1127 mbe au gouvernement mondial, pour faire la police des nations. Deux chambres universelles seraient élues, l’une formée de d
1128 erselles seraient élues, l’une formée de délégués des États, l’autre de députés des peuples. (Je prends le modèle courant.
1129 formée de délégués des États, l’autre de députés des peuples. (Je prends le modèle courant. Il faudrait l’ajuster.) Le cab
1130 ait les ministères suivants : Bombe et Répression des États, Échange des matières premières, Sens général des recherches sc
1131 suivants : Bombe et Répression des États, Échange des matières premières, Sens général des recherches scientifiques, Défens
1132 ats, Échange des matières premières, Sens général des recherches scientifiques, Défense des droits de la personne, Transpor
1133 ens général des recherches scientifiques, Défense des droits de la personne, Transports planétaires. (Rien que de raisonnab
1134 ibrer les budgets de guerre, etc. Ce n’est pas qu’ une angoisse diffuse ne soit sensible dans les populations et chez beauco
1135 opulations et chez beaucoup de bons esprits, mais une paralysie sans précédent s’est emparée des volontés. Vous-même, je le
1136 , mais une paralysie sans précédent s’est emparée des volontés. Vous-même, je le sens, je ne vous ai pas convaincue. Vous p
1137 nnent une bonne partie de leur utilité au service des nations et de leur vertu d’ordre. Admettons qu’elles arrivent encore
1138 re y prospère d’autant mieux qu’elle sera dotée d’ une arme de plus. Admettons que l’on invente une parade à la Bombe, selon
1139 ée d’une arme de plus. Admettons que l’on invente une parade à la Bombe, selon l’axiome des militaires, sans oublier que le
1140 ’on invente une parade à la Bombe, selon l’axiome des militaires, sans oublier que leur expérience démontre qu’on ne pare j
1141 leur expérience démontre qu’on ne pare jamais qu’ un certain pourcentage des coups tirés… Pensez-vous que les effets de la
1142 re qu’on ne pare jamais qu’un certain pourcentage des coups tirés… Pensez-vous que les effets de la prochaine guerre seront
1143 s ? La souffrance sera pire, l’agonie de la terre un peu plus longue, la fin de l’humanité non moins certaine, le triomphe
1144 fin de l’humanité non moins certaine, le triomphe des « éléments d’ordre » aussi énigmatique, et sans témoins. Je reconnais
1145 -être pas de la manière soudaine et dramatique qu’ un certain goût de l’antithèse m’incline parfois à souhaiter. La tragédi
1146 et que nos chefs savent à peine ce qu’ils jouent. Une espèce d’organisation mondiale ouvrira des bureaux confortables d’où
1147 ouent. Une espèce d’organisation mondiale ouvrira des bureaux confortables d’où sortiront quelques vœux incolores. Il est é
1148 totale. Et il est évident que la grande majorité des hommes se refuse à ces évidences. On nous ressasse à longueur de jour
1149 ongueur de journée qu’elle « n’est pas prête pour un gouvernement mondial ». Est-ce qu’on lui demande si elle est prête po
1150 elle est prête pour la mort ? L’humanité, ce sont des gens comme vous et moi. Quand vous me dites qu’elle n’est pas prête p
19 1946, Articles divers (1941-1946). Dialogues sur la bombe atomique : Post-scriptum (27 avril 1946)
1151 be atomique : Post-scriptum (27 avril 1946)t — Un dernier mot. (Et dire que j’allais l’oublier !) La Bombe n’est pas da
1152 énements qui nous menacent à bout portant. La fin des armées, par exemple. Mais cela ne serait rien encore, quoi qu’en pens
1153 ’Hiroshima nous ait jetés pour quelque temps dans un état d’esprit d’Apocalypse. Mais dix mois ont passé, et rien ne se pa
1154 out, nous devions le prévoir, car nous avons vécu un précédent : la guerre des gaz. Tout le monde s’y préparait, vous rapp
1155 oir, car nous avons vécu un précédent : la guerre des gaz. Tout le monde s’y préparait, vous rappelez-vous ? Dans toutes le
1156 boîte à masque en bandoulière. Eh bien, la guerre des gaz n’a pas eu lieu, parce que tout le monde en avait une peur bleue,
1157 n’a pas eu lieu, parce que tout le monde en avait une peur bleue, et que personne, même pas Hitler, n’a eu le courage de co
1158 cours aux gaz, c’est entendu. Mais pensez-vous qu’ une timidité subite l’ait arrêté, ou quelque amour tardif de notre humani
1159 ster, c’est-à-dire jouera militairement le rôle d’ une bataille décisive. Elle supprimera donc les scrupules de l’agresseur
1160 éventuel. Car nos scrupules naissent en général d’ une rapide évaluation des conséquences fâcheuses, pour nous-mêmes, de nos
1161 pules naissent en général d’une rapide évaluation des conséquences fâcheuses, pour nous-mêmes, de nos actes. Si l’emploi de
1162 tes-vous : la Bombe n’est pas dangereuse ? — Pour une raison très simple. La Bombe est un objet. Les objets ne sont jamais
1163 use ? — Pour une raison très simple. La Bombe est un objet. Les objets ne sont jamais dangereux. Ce qui est dangereux, hor
1164 e prépare à l’employer. Quand je vois qu’on nomme des comités pour la retenir ! Comme si elle était tombée du ciel, animée
1165 du ciel, animée de mauvaises intentions ! C’est d’ un comique démesuré. Le contrôle de la Bombe, que l’on discute à longueu
1166 ontrôler cet objet inerte ? C’est comme si tout d’ un coup l’on se jetait sur une chaise pour l’empêcher d’aller casser les
1167 C’est comme si tout d’un coup l’on se jetait sur une chaise pour l’empêcher d’aller casser les vases de Chine. Si on laiss
1168 e donc pas d’histoires. Ce qu’il nous faut, c’est un contrôle de l’homme. — Ah ! ça, c’est une autre question. — C’est la
1169 t, c’est un contrôle de l’homme. — Ah ! ça, c’est une autre question. — C’est la question de l’Autre. C’est la seule. On ne
1170 bien le progrès le plus sensationnel du siècle. — Un progrès ? — Oui, j’appelle ainsi tout ce qui nous rapproche des vraie
1171 — Oui, j’appelle ainsi tout ce qui nous rapproche des vraies questions, et nous oblige à y faire face. t. Rougemont Deni
20 1946, Articles divers (1941-1946). Faut-il rentrer ? (4 mai 1946)
1172 roblèmes. Mais je ne cherche pas à m’en tirer par une réplique, même de bon sens, et j’ai quelques raisons de prendre la Fr
1173 t posée : faut-il partir ? (Peut-on partir serait une tout autre affaire.) Il se trouve que j’habite, pour quelques semaine
1174 iner. Cela se discuterait à l’infini. Il n’est qu’ une solution, qui est d’aller voir, et d’« essayer » le pays comme un nou
1175 est d’aller voir, et d’« essayer » le pays comme un nouveau costume. Et je me dis que le problème est mal posé. Il ne s’a
1176 ondrais sans hésiter : il ne s’agit ni de choisir une terre et ses morts contre le Globe et ses vivants ; ni de choisir le
1177 plement de vivre au xxe siècle, en tenant compte des réalités que nous avons créées ou laissé s’imposer ; de la rapidité d
1178 avons créées ou laissé s’imposer ; de la rapidité des transports, par exemple. Combien peu d’hommes d’aujourd’hui vivent le
1179 rait-ce manque d’imagination ? Certes, il en faut une dose non ordinaire pour se rendre contemporain d’un monde qui change
1180 dose non ordinaire pour se rendre contemporain d’ un monde qui change beaucoup plus vite que Jules Verne n’a pu le rêver.
1181 le rêver. C’est cela, et c’est aussi le cauchemar des visas. Si cette folie furieuse et inutile ne régnait pas sur le monde
1182 ait en termes simples : on verrait vite que c’est un faux dilemme. Le fait est là : nous allons en dix heures de Lisbonne
1183 de Lisbonne à New York, de New York au Pacifique. Un très long voyage aujourd’hui nous ramènerait nécessairement au point
1184 mènerait nécessairement au point de départ, après un petit tour da planète. Nous changeons de continent comme on part en w
1185 nates, et autres rites attestant devant les mânes des ancêtres un choix farouche, irrévocable. Se déplacer devient un geste
1186 res rites attestant devant les mânes des ancêtres un choix farouche, irrévocable. Se déplacer devient un geste naturel, et
1187 choix farouche, irrévocable. Se déplacer devient un geste naturel, et partir peut très bien signifier revenir après quelq
1188 ifier revenir après quelque temps, comme on prend un billet d’aller et retour. La poésie des voyages a vécu, la tragédie d
1189 e on prend un billet d’aller et retour. La poésie des voyages a vécu, la tragédie des départs a vécu. Mais ce qui naît, ce
1190 retour. La poésie des voyages a vécu, la tragédie des départs a vécu. Mais ce qui naît, ce qui peut naître parmi nous, c’es
1191 ce qui naît, ce qui peut naître parmi nous, c’est un amour plus large de l’humain, une conception de la fidélité qui ne so
1192 armi nous, c’est un amour plus large de l’humain, une conception de la fidélité qui ne soit plus exclusive de la curiosité,
1193 élité qui ne soit plus exclusive de la curiosité, un accueil plus ferme et plus souple de la diversité des êtres et des co
1194 accueil plus ferme et plus souple de la diversité des êtres et des coutumes. Aimez votre terre et quittez-la. Quittez-la tr
1195 ferme et plus souple de la diversité des êtres et des coutumes. Aimez votre terre et quittez-la. Quittez-la trois fois et r
1196 nationaliste dénature le problème humain. Lançons une campagne mondiale pour la suppression des visas, de ces anachronismes
1197 Lançons une campagne mondiale pour la suppression des visas, de ces anachronismes scandaleux qui nous empêchent de rejoindr
1198 ment peut-on les justifier ? Ils n’ont pas arrêté un seul espion, tout en causant la perte des milliers d’innocents. Ils r
1199 s arrêté un seul espion, tout en causant la perte des milliers d’innocents. Ils rendent vains les progrès matériels dont no
1200 re s’enorgueillir. Ils représentent dans l’esprit des modernes la Fatalité imbécile. Pourquoi donc les acceptons-nous, comm
1201 imbécile. Pourquoi donc les acceptons-nous, comme des moutons, sans qu’une voix ne proteste ? u. Rougemont Denis de, « F
1202 nc les acceptons-nous, comme des moutons, sans qu’ une voix ne proteste ? u. Rougemont Denis de, « Faut-il rentrer ? », P
21 1946, Articles divers (1941-1946). « Selon Denis de Rougemont, le centre de gravité du monde s’est déplacé d’Europe en Amérique » (16 mai 1946)
1203 tact avec la civilisation américaine éveille chez un Européen ? En arrivant là-bas, on a l’impression très nette de pénétr
1204 as, on a l’impression très nette de pénétrer dans une autre civilisation. Une impression beaucoup plus forte que celle qu’é
1205 ès nette de pénétrer dans une autre civilisation. Une impression beaucoup plus forte que celle qu’éveillent en nous les liv
1206 u’éveillent en nous les livres ou même le cinéma. Un sentiment qui dure : pour moi, il a duré pendant six ans. Ceci est su
1207 s je n’en suis pas persuadé. L’Américain s’achète une bonne conscience en payant son dû à l’État. J’admire beaucoup son sen
1208 lement comme en Suisse… J’ai aussi été sensible à une sorte de loufoquerie de la vie américaine. Parfois, on a l’impression
1209 ine. Parfois, on a l’impression que les gens sont un peu fous… Ils chantent dans la rue, vous posent les questions les plu
1210 nu l’Europe et qui y ont vécu, se distinguent par une sorte de snobisme européen, surtout au point de vue culture, où ils o
1211 re, où ils ont d’ailleurs raison. Ce groupe forme une petite minorité qui affectionne particulièrement la France et la Suis
1212 urnaux, nous juge assez mal, nous considère comme un pays très compliqué de gens assez méchants qui se disputent pour des
1213 iqué de gens assez méchants qui se disputent pour des choses mystérieuses, qui sont toujours sur leurs ergots ; des gens en
1214 ystérieuses, qui sont toujours sur leurs ergots ; des gens en qui l’on ne peut pas avoir une grande confiance… Ils voient l
1215 s ergots ; des gens en qui l’on ne peut pas avoir une grande confiance… Ils voient l’Europe un peu comme nous voyions les B
1216 s avoir une grande confiance… Ils voient l’Europe un peu comme nous voyions les Balkans avant la guerre. Et puis, ils ont
1217 ons les Balkans avant la guerre. Et puis, ils ont un peu peur de nous ; ils craignent que nous ne soyons une source perman
1218 u peur de nous ; ils craignent que nous ne soyons une source permanente de désordres et de troubles. Tous les nationalismes
1219 opéens les effraient. De même qu’il y a en Europe un grand sentiment de supériorité à cause de notre culture, l’inverse ex
1220 ropéens ne sont, eux, pas très decent, qualité qu’ un jeune citoyen de là-bas expliquait en ces termes : « Être decent, c’e
1221 ; souvent, elle ignore même que la Suisse existe. Un GI m’a récemment déclaré : « La Suisse ? Quand est-ce que nous avons
1222 nuances dans la civilisation. New York constitue un excellent poste d’observation, parce que ses habitants y viennent de
1223 riques et de tous les continents. New York résume un peu les États-Unis… Mais un jugement d’ensemble est impossible. On pe
1224 ents. New York résume un peu les États-Unis… Mais un jugement d’ensemble est impossible. On peut à peu près tout dire sur
1225 l aux États-Unis. Au contraire, ce pays est celui des contrastes les plus violents. ⁂ Pensez-vous qu’à l’issue de cette der
1226 ès nettement. Vue de New York, l’Europe constitue une espèce de glacis ou s’affrontent le monde anglo-saxon et le monde rus
1227 n : l’Amérique et la Russie. Cette impression est une réalité. Quant à notre continent, il est considéré comme une espèce d
1228 . Quant à notre continent, il est considéré comme une espèce de champ de bataille en puissance. Cela change toutes les pers
1229 lème Amérique-URSS. Et que pensent les Américains des Russes ? L’opinion est extrêmement mélangée. En général, les hommes d
1230 e de commerce américaine est allé en Russie tenir des discours capitalistes… D’autres gens voudraient faire la guerre à la
1231 a civilisation américaine devient de plus en plus une civilisation scientifique, par opposition à la civilisation plus litt
1232 ou après. Entre 1918 et 1939, l’Amérique a connu une grande période littéraire. Je ne distingue actuellement pas d’école n
1233 as d’école nouvelle. Les jeunes écrivains gardent un œil ouvert sur l’Europe. C’est toujours de là que vient l’initiative.
1234 initiative. Ce qu’ils ont de plus que nous, c’est un grand art du reportage, de la description. Ils ont indiscutablement c
1235 eunes poètes, pas du tout intellectuels, qui font un lyrisme très violent et très coloré… Quant à l’Amérique sociale… Soci
1236 ale… Socialement parlant, l’ouvrier américain est un bourgeois. Il a sa voiture, sa maison ou un appartement avec salle de
1237 n est un bourgeois. Il a sa voiture, sa maison ou un appartement avec salle de bains. Dans les grandes villes, on remarque
1238 oit de droite ou de gauche. On fait la grève pour des raisons purement pratiques et non au nom du marxisme… En conclusion,
1239 atiques et non au nom du marxisme… En conclusion, une « cure d’Amérique » est profitable à l’Européen ? Absolument ! Ce que
1240 ossible d’Européens outre-Atlantique pour y vivre une ou deux années et inversement. Je ne vois pas d’hostilité possible en
1241 nous pouvons apporter beaucoup de raffinement et un sens des valeurs spirituelles. Les Américains nous apportent la franc
1242 uvons apporter beaucoup de raffinement et un sens des valeurs spirituelles. Les Américains nous apportent la franchise dans
1243 trouvé aux États-Unis « trente-deux religions et un seul plat », il n’avait tort qu’a cinquante pour cent… w. Rougemon
1244 rges Gygax et introduits par la note suivante : «  Un écrivain nous est revenu. Il nous est revenu de la lointaine et si pr
1245 pour nous le communiquer avec la belle générosité des gens d’esprit, un riche message gonflé de réalités souvent insoupçonn
1246 iquer avec la belle générosité des gens d’esprit, un riche message gonflé de réalités souvent insoupçonnées. M. Denis de R
1247 uverte de ce continent qui, à lui seul, constitue un monde. Quelle merveilleuse exploration pour qui sait respecter, après
1248 a pensée qui, s’il ne s’accompagne pas du contact des sens, conduit à l’insondable gouffre de l’abstraction. M. de Rougemon
1249 (quel beau titre, solide, puissant, élégant comme une voile au vent), du Journal d’un intellectuel en chômage , de L’Amou
1250 , élégant comme une voile au vent), du Journal d’ un intellectuel en chômage , de L’Amour et l’Occident , de tant d’autre
22 1946, Articles divers (1941-1946). Histoire de singes ou deux secrets de l’Europe (16 mai 1946)
1251 t patrie de la mémoire. Dynamisme allégé du poids des traditions et querelles ancestrales qui tournent en rond. C’est la ru
1252 lleurs. Elle risquerait parfois de nous frapper d’ une sorte de mélancolie sceptique et de nous tenter d’abandon aux prétend
1253 ’apologie du vieillissement. Mais j’emprunterai à des recherches récentes deux résultats qui prennent figure de paraboles :
1254 et de l’« expérience historique », qui est celle des épreuves et des échecs. L’étude des singes et de leur attristante psy
1255 ience historique », qui est celle des épreuves et des échecs. L’étude des singes et de leur attristante psychologie nous ré
1256 qui est celle des épreuves et des échecs. L’étude des singes et de leur attristante psychologie nous révèle que ces faux an
1257 perdu pendant la nuit, faute de repères, faute d’ un passé vivant, et faute de traditions instrumentales. Il s’imagine qu’
1258 ues découvertes. À propos de ces mêmes créatures, une expérience récente peut nous fournir une seconde parabole du siècle.
1259 éatures, une expérience récente peut nous fournir une seconde parabole du siècle. Cela se passe on Russie, dans l’école de
1260 de célèbres travaux sur les réflexes conditionnés des chiens. Ses disciples ont passé des chiens aux singes. On prend dix s
1261 conditionnés des chiens. Ses disciples ont passé des chiens aux singes. On prend dix singes, on les range dans une chambre
1262 ux singes. On prend dix singes, on les range dans une chambre, le long d’une des parois. À l’autre extrémité de la pièce se
1263 singes, on les range dans une chambre, le long d’ une des parois. À l’autre extrémité de la pièce se dresse un grand meuble
1264 ges, on les range dans une chambre, le long d’une des parois. À l’autre extrémité de la pièce se dresse un grand meuble à t
1265 parois. À l’autre extrémité de la pièce se dresse un grand meuble à tiroirs. Dans les tiroirs on a mis des bananes. Sur un
1266 grand meuble à tiroirs. Dans les tiroirs on a mis des bananes. Sur un signal donné par une sirène, les singes sont lâchés d
1267 roirs. Dans les tiroirs on a mis des bananes. Sur un signal donné par une sirène, les singes sont lâchés dans la chambre.
1268 irs on a mis des bananes. Sur un signal donné par une sirène, les singes sont lâchés dans la chambre. Ils découvrent bientô
1269 rent et dévorent les bananes. On répète le manège un grand nombre de fois, pour habituer les animaux à courir vers le meub
1270 animaux à courir vers le meuble au signal. Après un certain temps d’interruption, on ramène les sujets dans la même chamb
1271 rouver le tiroir vide neuf fois sur dix, réagit d’ une toute autre manière. Il vient de le prouver pendant six ans. Il se so
1272 qui définit la condition humaine. S’agirait-il d’ une sorte de méfiance ? Disons plutôt d’une sobriété devant le destin. Il
1273 rait-il d’une sorte de méfiance ? Disons plutôt d’ une sobriété devant le destin. Il se souvient que tout peut arriver, même
1274 prospérité ne sont pas les garants infaillibles d’ un bonheur qui lui serait dû. L’échec pour lui — guerre, privations, ret
1275 our lui — guerre, privations, retards — n’est pas une déception totalement scandaleuse qui le laisserait tout béant sur l’a
1276 e qui le laisserait tout béant sur l’absurde, car une obscure sagesse en lui s’y attendait ; elle le tenait prêt à subir en
23 1946, Articles divers (1941-1946). La pensée planétaire (30 mai 1946)
1277 est en train de découvrir ce qu’on savait depuis un certain temps mais qu’on n’avait jamais très bien compris, à savoir q
1278 conséquences, que si vous tirez devant vous avec une arme assez puissante vous recevrez le projectile dans le dos, au proc
1279 échelle planétaire. La flèche servait à la guerre des villages ; le fusil à la guerre des provinces ; le canon à la guerre
1280 t à la guerre des villages ; le fusil à la guerre des provinces ; le canon à la guerre des nations ; et l’avion à la guerre
1281 à la guerre des provinces ; le canon à la guerre des nations ; et l’avion à la guerre des continents. Voici la Bombe. À qu
1282 à la guerre des nations ; et l’avion à la guerre des continents. Voici la Bombe. À quoi servira-t-elle ? À la guerre plané
1283 a-t-elle ? À la guerre planétaire, c’est-à-dire à une guerre qui nous atteint tous, et que nous ne faisons donc qu’à nous-m
1284 es. Les dimensions de la communauté normale, pour une époque donnée, me paraissent pouvoir être mesurées à la portée des ar
1285 , me paraissent pouvoir être mesurées à la portée des armes connues dans cette époque. (Vous avez ici les prémices d’une th
1286 dans cette époque. (Vous avez ici les prémices d’ une théorie sociologique flambant neuve !) À l’arme planétaire correspond
1287 bant neuve !) À l’arme planétaire correspond donc une communauté universelle, qui relègue les nations au rang de simples pr
1288 entraîner quelques instants dans ce jeu gravitant des symboles : la Terre, le Globe, la Boule, la Tête, la Bombe, et l’Unit
1289 digérer et intégrer cette pensée-là, il aura fait une révolution bien plus grande que la Renaissance. Il semble que la dern
1290 ssa pendant dix ans, directement, la vie courante des habitants des Amériques Nord, Centre, Sud, et de l’Asie, c’est-à-dire
1291 x ans, directement, la vie courante des habitants des Amériques Nord, Centre, Sud, et de l’Asie, c’est-à-dire la moitié du
1292 ut-être voté différemment. La solidarité pratique des différentes parties du globe est un fait durement établi au niveau de
1293 ité pratique des différentes parties du globe est un fait durement établi au niveau de notre existence matérielle. Avant q
1294 xistence matérielle. Avant qu’elle puisse devenir un fait de droit, il nous faudra probablement passer par une étape inter
1295 de droit, il nous faudra probablement passer par une étape intermédiaire, qui est celle du fait psychologique : la formati
1296 est celle du fait psychologique : la formation d’ une conscience planétaire. Nous retardons, il n’y a pas de doute, nous re
1297 ses qui perdent pointe et sens si l’on se déplace un peu, disons à quelques heures d’avion. Ce n’est rien de traduire une
1298 uelques heures d’avion. Ce n’est rien de traduire une langue : les problèmes nationaux restent intraduisibles pour qui ne p
1299 r voir et sentir. Et notre époque n’est pas celle des voyages, mais seulement celle des « missions », comme on dit. Une mis
1300 n’est pas celle des voyages, mais seulement celle des « missions », comme on dit. Une mission ne se promène pas, ne voit ri
1301 s seulement celle des « missions », comme on dit. Une mission ne se promène pas, ne voit rien, n’a pas de temps à perdre. C
1302 s, ne voit rien, n’a pas de temps à perdre. C’est un raid. Nous n’apprendrons rien. Cependant qu’un beau jour le paysan no
1303 st un raid. Nous n’apprendrons rien. Cependant qu’ un beau jour le paysan normand et le boutiquier de Lyon ne pourront plus
1304 du pays de Galles n’auront plus de viande pendant des mois, parce que les péons d’Argentine se seront enfin organisés contr
1305 ux victimes de la crise que ce n’est pas la faute des députés ni de l’« hypocrisie américaine »… Que faire ? Tout le monde
1306 s ». Et pourtant nous sommes destinés à découvrir un jour que ces lions sont des hommes, qui d’ailleurs nous prenaient nou
1307 s destinés à découvrir un jour que ces lions sont des hommes, qui d’ailleurs nous prenaient nous aussi pour des lions. (Il
1308 es, qui d’ailleurs nous prenaient nous aussi pour des lions. (Il ne manque pas de Persans pour se demander : Comment peut-o
1309 r : Comment peut-on être Français ?) Je parlais d’ une conscience planétaire. C’est sa nécessité qu’il faut d’abord sentir.
1310 et la propagent, sous de larges rubriques créant un appel d’air. Ce n’est pas une question d’information d’abord, qu’on m
1311 ges rubriques créant un appel d’air. Ce n’est pas une question d’information d’abord, qu’on m’entende bien, mais de sens, d
1312 sprit… Forçant à peine, je dirais : c’est d’abord une question de poésie. Est-ce un hasard si, parmi tous les écrivains fra
1313 is : c’est d’abord une question de poésie. Est-ce un hasard si, parmi tous les écrivains français, ceux que je vois manife
1314 vons pour la première fois senti, sous le drapé d’ un français riche et pur, battre le pouls mesuré de l’Asie, le cœur viol
1315 battre le pouls mesuré de l’Asie, le cœur violent des Amériques. Et que dire de ce grand joueur de Boule que fut « Saint-Ex
1316 13, le premier qui me parla de la Planète comme d’ un amour et d’une souffrance intime ? Sinon qu’il fut lui aussi un poète
1317 qui me parla de la Planète comme d’un amour et d’ une souffrance intime ? Sinon qu’il fut lui aussi un poète, en prose et e
1318 une souffrance intime ? Sinon qu’il fut lui aussi un poète, en prose et en action, en vision créatrice. 13. Saint-Exupér
1319 aint-Exupéry, l’auteur de Vol de Nuit et de Terre des Hommes. y. Rougemont Denis de, « La pensée planétaire », Servir, La
24 1946, Articles divers (1941-1946). La fin du monde (juin 1946)
1320 ue, se dégageant de notre condition, elle imagine des idées qui détruisent l’homme, l’on rencontre sans trop d’effroi l’idé
1321 e idée, détruit ; l’idée que vous, et qui pensez, un jour ne serez plus, un jour serez un mort. Si « macabre » désigne ass
1322 e que vous, et qui pensez, un jour ne serez plus, un jour serez un mort. Si « macabre » désigne assez bien l’étrangeté de
1323 qui pensez, un jour ne serez plus, un jour serez un mort. Si « macabre » désigne assez bien l’étrangeté de la mort des au
1324 cabre » désigne assez bien l’étrangeté de la mort des autres, cela ne saurait en aucun cas se dire de sa propre mort, de la
1325 plus forte que moi. Peut-être même n’est-elle qu’ une ruse cousue de fil blanc de ma vitalité : la seule pensée que mon sou
1326 t que nous n’ayons jamais pensé à notre mort avec une rapide angoisse — nous y pensons bien plus que nous n’osons le croire
1327 mort. Contester là-dessus serait fournir l’aveu d’ une impuissance à comprendre le mot penser dans son sens fort. Car penser
1328 mourir. Peut-être avons-nous là le seul critère d’ une perfection intellectuelle, et l’on conçoit que son application ne pui
1329 Pour que nous apparaisse parfois l’étrangeté d’ une telle situation — la nôtre à tous — ne faut-il pas qu’une instance my
1330 e situation — la nôtre à tous — ne faut-il pas qu’ une instance mystérieuse aimante notre méditation et qu’elle la fixe sur
1331 me négligeable ; et s’y attarder serait le fait d’ une sophistique assez gratuite. Ma nature crie à l’utopie devant ma mort.
1332 ite et lointaine, à la chasser à tout jamais dans un futur indéfini. Ainsi de l’homme, ainsi de l’humanité. Pourtant un jo
1333 . Ainsi de l’homme, ainsi de l’humanité. Pourtant un jour, tel jour ordinaire, l’homme meurt. Pourquoi suis-je donc ici à
1334 jours dans le même sens : vers sa fin. Mais c’est une mauvaise raison. Depuis qu’il court ainsi, mesuré par les saisons rég
1335 ’il ne nous avertit de son but. Si l’homme savait un jour ce qu’il en est de son destin et de sa liberté, s’il voyait à l’
1336 se. D’où vient alors cette prise de conscience, d’ une menace, mais aussi de l’incapacité où se trouve l’homme à penser conc
1337 fut « bas », en son temps, qu’aux yeux de ceux qu’ une réalité nouvelle illuminait. Sans la vie, que dire de la mort ? Et sa
1338 s là comme en rêve, empêtrés, dans le sentiment d’ une urgence que nous ne parvenons pas à distinguer avec des yeux bien des
1339 gence que nous ne parvenons pas à distinguer avec des yeux bien dessillés. C’est assez pour l’angoisse et trop peu pour agi
1340 t qui nous fait accéder à la conscience obscure d’ un danger proche, — ce crépuscule qui est peut-être une aube, et la fran
1341 danger proche, — ce crépuscule qui est peut-être une aube, et la frange de cet éclat qui doit consumer toute chair. Dans c
1342 er toute chair. Dans cette lueur suspecte, risque un jour d’apparaître la face réelle de la Terre. Et déjà, par intermitte
1343 éger sa course. L’amour ? La solidarité ? Ce sont des idéaux de ligues, des mots qu’on n’ose plus employer qu’au dessert. L
1344 r ? La solidarité ? Ce sont des idéaux de ligues, des mots qu’on n’ose plus employer qu’au dessert. La richesse ? Voici qu’
1345 a richesse ? Voici qu’elle n’est plus à la portée des mains humaines, elle n’est plus qu’un symbole chiffré désignant des p
1346 la portée des mains humaines, elle n’est plus qu’ un symbole chiffré désignant des puissances lointaines. Toutefois, elle
1347 , elle n’est plus qu’un symbole chiffré désignant des puissances lointaines. Toutefois, elle reste liée au rêve d’activité
1348 u rêve d’activité qui tourmente l’Occident depuis des siècles. Mais ce rêve, à son tour se trouble ; il faiblit, il ne couv
1349 grand nombre contre les créations catastrophiques des Héros ou des grands Névrosés. Un doute règne sur nous, depuis peu. No
1350 contre les créations catastrophiques des Héros ou des grands Névrosés. Un doute règne sur nous, depuis peu. Nous essayons,
1351 catastrophiques des Héros ou des grands Névrosés. Un doute règne sur nous, depuis peu. Nous essayons, mais en phrases bana
1352 comme à tout acte créateur, le moins de chances. Un vaste système d’assurances s’étend sur toutes nos activités : plans e
1353 ère soumise au seul pouvoir du chiffre dépendra d’ une centrale unique, il suffira que l’Ange de la Fin saisisse les command
1354 r cette dimension tragique de notre vie, voici qu’ un destin ironique se charge de l’approfondir. Non pas le temps, mais no
1355 monde, nous pouvons calculer le prix de revient d’ une destruction de l’humanité : la somme de nos budgets de Défense nation
1356 a présence éternelle de la Fin, tout ce qui donne un sens d’éternité à vos singeries, vous l’appelez exagéré, démesuré. Éc
1357 urs yeux, retrouveront dans la tempête la coutume des hautes pentes. Car celui seul qui accepte la mort n’est pas le jouet
1358 découvre que Dieu y est plus dangereux encore, d’ une autre sorte, fulgurante. Péripétie La scène du monde vient de p
1359 Péripétie La scène du monde vient de passer à une vaste conversation de la mort, sur les places et dans les grands café
1360 int se promène-t-il depuis quelques instants dans un ciel sale. Qui sortirait pour voir ? Seul, d’ici, je m’étonne : ce mo
1361 d’hui, que cela se peut. Cela s’est produit comme un rêve, ou comme la colère soudain là, ou le printemps, ou chaque soir
1362 mière La fin du monde, irréfutable, s’arrêtait un peu en avant, les regardait sans indulgence, puis se remettait à marc
1363 ette fin du monde ! Car sinon tout apparaissait d’ une indécence inexprimable. Depuis bientôt mille ans, l’An Mil était pass
1364 pinion planétaire publia les premiers résultats d’ une enquête-éclair : il s’agissait d’une névrose collective, d’une poussé
1365 résultats d’une enquête-éclair : il s’agissait d’ une névrose collective, d’une poussée subite de l’instinct de mort. On pr
1366 clair : il s’agissait d’une névrose collective, d’ une poussée subite de l’instinct de mort. On proposait une cure des masse
1367 oussée subite de l’instinct de mort. On proposait une cure des masses et la nationalisation des écoles de psychanalyse. Un
1368 bite de l’instinct de mort. On proposait une cure des masses et la nationalisation des écoles de psychanalyse. Un théologie
1369 oposait une cure des masses et la nationalisation des écoles de psychanalyse. Un théologien répondit : — L’affection de la
1370 et la nationalisation des écoles de psychanalyse. Un théologien répondit : — L’affection de la chair, c’est la mort. Saint
1371 ur nous attend, ce futur qui n’était pour nous qu’ un recul devant le présent. Ici le temps dit oui pour la première fois à
1372 ccomplit, — notre temps, qui n’était pour nous qu’ un refus de l’instant éternel. Et l’Histoire tout entière dans l’acte de
1373 Jour de tous les jours. Comme il parlait encore, une lueur d’aube apparut et grandit autour d’eux. Toutes choses replongée
1374 soucis se tournaient vers ce qui n’est rien, vers une Absence douloureuse, — alors que c’est la seule Présence qui est terr
1375 l’autre côté, du côté de ce monde mal fait… Parut un soleil nouveau. Et ceux qui le voyaient prenaient un visage neuf, leu
1376 soleil nouveau. Et ceux qui le voyaient prenaient un visage neuf, leurs yeux devenaient forts et s’attendaient à l’éclat d
1377 eux devenaient forts et s’attendaient à l’éclat d’ une lueur encore plus vive. Par degré le Grand Jour éclatait, toujours pl
1378 ’il l’avait librement fait en le vivant. L’examen des raisons de survivre et leur introduction au titre de l’éternité occup
1379 ps qu’on n’imagine. La procédure était, en effet, des plus simples. — Témoignez, disait-on, de la vie que vous possédez. Qu
1380 ante de leurs vœux, et, finalement, murmuraient d’ une voix faible : — Vous savez sans doute mieux que moi. Ils renaîtraient
1381 plantes heureuses, par l’effet de quelque pitié. Un homme vint, comme viennent les somnambules, le corps en paix, mais le
1382 paix, mais le visage affreusement nu. Il désirait un palais vide à la mesure de sa tristesse. Il devint donc une tristesse
1383 vide à la mesure de sa tristesse. Il devint donc une tristesse errante, empruntant la forme des joies qu’il rencontrait ;
1384 t donc une tristesse errante, empruntant la forme des joies qu’il rencontrait ; et son désir ainsi fut exaucé. Un autre vou
1385 u’il rencontrait ; et son désir ainsi fut exaucé. Un autre voulait vivre abondamment au sein d’une perpétuelle pauvreté. D
1386 ucé. Un autre voulait vivre abondamment au sein d’ une perpétuelle pauvreté. Devint soleil. Et quel est celui qui s’approche
1387 che avec son parapluie mal fermé sous le bras, et des lunettes bourrues au-dessus du sourire de la plus fervente ironie ? Q
1388 n’a jamais osé l’imaginer. Car, dit-il, au sein d’ un tel choix, je m’approche insondablement de Celui qui d’un choix me cr
1389 hoix, je m’approche insondablement de Celui qui d’ un choix me créa. » (Nous fûmes tous saisis d’un vertige à ce discours d
1390 i d’un choix me créa. » (Nous fûmes tous saisis d’ un vertige à ce discours d’une furieuse démesure, mais il y eut alors co
1391 us fûmes tous saisis d’un vertige à ce discours d’ une furieuse démesure, mais il y eut alors comme un silence qui s’imposa
1392 ’une furieuse démesure, mais il y eut alors comme un silence qui s’imposa sur nous et jusqu’assez haut dans les cieux, en
1393 nt seul et purifié, l’on put entendre le choral d’ une angélique hilarité. Et nous sûmes que cet homme était très grand.)
1394 .............. Et c’est alors que toutes les voix des justes confondues clameront l’harmonie violente et bienheureuse du mo
1395 éternellement. 14. Søren Kierkegaard, d’après une caricature. aa. Rougemont Denis de, « La fin du monde », Fontaine,
25 1946, Articles divers (1941-1946). Deux lettres sur le gouvernement mondial (4 juin 1946)
1396 z grand-peine à vous représenter « pratiquement » un Pouvoir Mondial, et à vous en former une image convaincante. Voici co
1397 quement » un Pouvoir Mondial, et à vous en former une image convaincante. Voici comment j’explique, pour ma part, cette dif
1398 a part, cette difficulté que nous éprouvons tous. Un cabinet privé de ministère des Affaires étrangères nous paraît comme
1399 vertu de sa définition. De plus, comment imaginer un pouvoir digne de ce nom, s’il ne trouvait personne en face de lui ave
1400 rouvait personne en face de lui avec qui échanger des notes ? Personne à craindre, personne à menacer ? Personne à qui répo
1401 onneur du pays est en jeu, qu’on ne cédera plus d’ une ligne, etc. ? Pour tout dire, pas de voisins, donc personne à qui fai
1402 que vous venez de penser à la planète Mars, et à une guerre possible contre les Martiens ? Ne me dites pas non : votre pre
1403 s pas non : votre première idée a été de supposer une guerre. Et cela pour essayer de vous mieux représenter ce qu’un pouvo
1404 cela pour essayer de vous mieux représenter ce qu’ un pouvoir planétaire pourrait bien faire de ses dix doigts… Pas de nati
1405 ondial que vous ne voyez pas — car il supposerait une sorte de nation unique, sans voisins, donc sans guerre possible — cel
1406 sachions imaginer le bien que par contraste avec un mal dont nous souffrons. Autrement, le bien — ou la paix — n’est à no
1407 ement, le bien — ou la paix — n’est à nos yeux qu’ une fumée, une abstraction, c’est-à-dire, soyons francs, le comble de l’e
1408 ien — ou la paix — n’est à nos yeux qu’une fumée, une abstraction, c’est-à-dire, soyons francs, le comble de l’ennui, si ce
1409 ons francs, le comble de l’ennui, si ce n’est pas une « utopie dangereuse »… À propos de cette dernière expression, avez-vo
1410 arqué qu’on l’emploie de préférence pour dénigrer des projets de paix ? Pour qui sont-ils donc si dangereux ? Avez-vous éga
1411 éral ? Ces gens-là leur paraissent, évidemment, d’ une moralité douteuse. Quant aux lance-flammes et aux bombardiers lourds,
1412 ui donneront le signal de les utiliser au service des nations, gouvernants tout d’abord et généraux ensuite, ils représente
1413 époque ; et que ceux qui la tenaient encore pour une nécessité, voire pour une vertu, étaient les véritables éléments de d
1414 la tenaient encore pour une nécessité, voire pour une vertu, étaient les véritables éléments de désordre ; et que l’utopie
1415 était la théorie de la souveraineté sans limites des nations. C’était trop simple. Un colonel de cavalerie à qui vous fîte
1416 té sans limites des nations. C’était trop simple. Un colonel de cavalerie à qui vous fîtes imprudemment lire ma lettre sur
1417 vention de la bombe atomique, m’écrit que je suis un primaire. Il m’assure que « à chaque guerre nous, cavaliers, avons pr
1418 e la cavalerie en particulier », bref que je suis un « élément de désordre ». Ce colonel m’a donné une idée. En reposant s
1419 un « élément de désordre ». Ce colonel m’a donné une idée. En reposant sa lettre je me suis écrié : « Vivement la Bombe !
1420 santais. Car la Bombe seule peut nous débarrasser des armées, des souverainetés nationales, et de l’anarchie qu’elles entre
1421 la Bombe seule peut nous débarrasser des armées, des souverainetés nationales, et de l’anarchie qu’elles entretiennent sur
1422 us forçant d’ici peu à fédérer les hommes au-delà des nations. Vous cherchiez l’Autre contre qui s’unir ? Il vous fallait u
1423 chiez l’Autre contre qui s’unir ? Il vous fallait une menace planétaire pour provoquer l’union sacrée du genre humain ? Eh
1424 ie. II. L’État-nation Non, je n’en veux pas un instant à votre ami le colonel. Dites-lui que je respecte la cavaleri
1425 chose de précieux. Nous serions tous fondus dans un magma informe de races, de langues, de religions et de coutumes, et t
1426 surez-vous. Je n’appelle pas le chaos. Je cherche un moyen de l’éviter, ou plutôt d’en sortir un peu, car nous y sommes dé
1427 erche un moyen de l’éviter, ou plutôt d’en sortir un peu, car nous y sommes déjà bien engagés. Ce sont les guerres qui le
1428 is je vois que ce mot de nation a créé entre nous une équivoque. Il a deux sens bien différents. Je n’ai parlé que du mauva
1429 ter paisiblement leur terre, si la France renonce un beau jour, en même temps que toutes les autres nations, à son armée,
1430 n d’autre à faire qu’administrer le pays, il sera un meilleur gouvernement ? (Je vous pose ces questions simplistes pour r
1431 s ainsi formés, de se rendre autarciques en vue d’ une guerre possible, soit qu’ils redoutent ou souhaitent cette éventualit
1432 té. L’État détruit nécessairement l’originalité d’ une nation, lorsqu’il prétend réglementer ses énergies d’après un modèle
1433 orsqu’il prétend réglementer ses énergies d’après un modèle uniforme, qu’il s’agisse d’une nation latine ou anglo-saxonne,
1434 gies d’après un modèle uniforme, qu’il s’agisse d’ une nation latine ou anglo-saxonne, socialiste ou capitaliste. Ce modèle
1435 st l’état de guerre en permanence. Ainsi l’ennemi des nations c’est l’État ; et leur sauvegarde serait le gouvernement mond
1436 ns le sens de souverain, dont ils font finalement un dieu, créant d’horribles confusions d’idées, qui se terminent en carn
1437 ionaliser » tout ce qui peut l’être à l’intérieur des frontières, au lieu de multiplier les échanges internationaux, comme
1438 tre hors d’état de faire la guerre, en se liant à des économies voisines. Mais remarquez l’hypocrisie du terme « nationalis
1439 la Bombe vienne volatiliser leurs centres vifs en une seconde, négligeant les armées purement décoratives ? Vous me direz q
1440 on à la guerre. Sans doute, mais je parlais moins des motifs que des effets inéluctables. Le désir de justice sociale est u
1441 Sans doute, mais je parlais moins des motifs que des effets inéluctables. Le désir de justice sociale est une noble passio
1442 ets inéluctables. Le désir de justice sociale est une noble passion, la socialisation de l’industrie est une mesure économi
1443 oble passion, la socialisation de l’industrie est une mesure économique partiellement souhaitable, mais je ne leur vois de
1444 dire que le Social Register de New York n’est qu’ un Bottin mondain, je vous dénonce dans L’Humanité.) Vous sentez que je
1445 tionalisation pour masquer le fait qu’il s’agit d’ une étatisation. Je n’en ai qu’au cadre national. Introduisez dans cette
1446 u’est l’État-nation de la démocratie ou marxisme, des idées libérales ou du planisme, ou même une belle passion de la justi
1447 isme, des idées libérales ou du planisme, ou même une belle passion de la justice sociale, le résultat sera le même : à l’a
1448 ut, vous obtiendrez du totalitarisme en bâtons et une grêle de coups. Je suis sérieux. Le socialisme, non pas en soi, mais
1449 ’état de guerre larvé ou déclaré, qui est le pire des crimes sociaux. On ne sortira de ce cercle vicieux qu’en supprimant c
1450 provoque, c’est-à-dire en désintégrant le carcan des États-nations. Par quel moyen ? En remettant le soin de diriger les a
1451 le soin de diriger les affaires internationales à des hommes qui ne représentent pas les nations, mais l’humanité. Car ceux
1452 nt qualifiés pour arbitrer. Autrement ce n’est qu’ un jeu de force, et le premier qui tire aura gagné, quel que soit le mor
26 1946, Articles divers (1941-1946). L’Américain croit à la vie, le Français aux raisons de vivre (19 juillet 1946)
1453 tit jeu de société mondiale qu’est la comparaison des peuples deux à deux. Jeu plus sérieux d’ailleurs qu’il n’y paraît. Ca
1454 us sérieux d’ailleurs qu’il n’y paraît. Car l’une des grandes questions du siècle est sans doute celle de ne point laisser
1455 e aux cadres nationaux. Comment ils accueillent un étranger Le grand bourgeois de Paris et ses fils, lorsqu’ils renco
1456 eois de Paris et ses fils, lorsqu’ils rencontrent une tête nouvelle, ne sourient guère. Ils tendent une main précise, accom
1457 une tête nouvelle, ne sourient guère. Ils tendent une main précise, accompagnée d’un regard qui jauge cet adversaire ou ce
1458 uère. Ils tendent une main précise, accompagnée d’ un regard qui jauge cet adversaire ou ce partenaire possible. Qui va pre
1459 se présentent-ils, comme s’ils venaient de tirer une invisible fermeture éclair. L’Américain s’ouvre, au contraire, comme
1460 ricain s’ouvre, au contraire, comme sa bouche sur des dents éclatantes, et comme s’il n’avait attendu que votre arrivée, ju
1461 et l’état de ses affaires, enfin vous invite pour un week-end. Pendant vingt ans, le Français vous dira Monsieur, fera l’i
1462 et ne vous rencontrera qu’au café. Mais en France des amitiés se nouent — terme intraduisible en anglais — des amitiés exig
1463 tiés se nouent — terme intraduisible en anglais — des amitiés exigeantes et suivies, attentives et agissantes. Personne n’a
1464 u monde en connaissant tout le monde. La rançon d’ une intimité trop rapide et superficielle, c’est la facilité avec laquell
1465 dant quelques semaines, puis plus du tout pendant un an. Et quand on se rencontre par hasard, on ne se demande pas ce qu’o
1466 mauvaises fortunes, par chance… Le sourire large des Américains dissimule leur vraie tragédie : la solitude. Comment il
1467 et sous-sectes, transportées jadis ou naguère par des réfugiés religieux. Mais les Américains changent facilement d’église,
1468 e parti que de passé. Comment ils inventent Un ingénieur français, débarquant à New York, déclare que son pays vient
1469 it, l’avion le plus rapide du monde n’existe qu’à un seul exemplaire. Et pendant qu’on le construisait, l’Amérique a produ
1470 e son invention, son prototype ; c’est à ses yeux un stade atteint et dépassé, c’est comme si tous les avions de série éta
1471 suivante. Vue d’Amérique, l’Europe apparaît comme une petite région de la planète proprement stupéfiante par la densité de
1472 Tandis que l’Américain se contente plus longtemps des mêmes idées, des mêmes types d’appareils, parce qu’il les utilise vra
1473 icain se contente plus longtemps des mêmes idées, des mêmes types d’appareils, parce qu’il les utilise vraiment, parce qu’i
1474 s du sérieux sobre, de l’intransigeance réaliste, des provinciaux vêtus de noir — « le noir, la couleur nationale ! » s’écr
1475 oir — « le noir, la couleur nationale ! » s’écrie un personnage de Giraudoux — sans parler des débats sur la laïcité ou le
1476 s’écrie un personnage de Giraudoux — sans parler des débats sur la laïcité ou les écoles confessionnelles. L’Américain lui
1477 les. L’Américain lui, passe encore en Europe pour un Anglo-Saxon puritain du type dynamique, alors qu’il est en réalité, e
1478 timentalisme ne traduisent que ses rêveries, dans un style emprunté aux nègres. Mais sa vie amoureuse et sexuelle me paraî
1479 les salaires en toute simplicité, on divorce pour des questions de cuisine, on se console vite, on n’admet pas la jalousie.
1480 et pas la jalousie. Le « réalisme terre-à-terre » des Américains dans ce domaine, présente un tel contraste avec les mœurs
1481 -terre » des Américains dans ce domaine, présente un tel contraste avec les mœurs des Européens qu’on perd l’espoir de jam
1482 domaine, présente un tel contraste avec les mœurs des Européens qu’on perd l’espoir de jamais faire comprendre les uns aux
1483 mais faire comprendre les uns aux autres. L’ordre des valeurs morales me semble s’inverser lorsqu’on passe d’un continent à
1484 rs morales me semble s’inverser lorsqu’on passe d’ un continent à l’autre. Un seul exemple : en Europe, la longue durée d’u
1485 nverser lorsqu’on passe d’un continent à l’autre. Un seul exemple : en Europe, la longue durée d’une liaison l’officialise
1486 e. Un seul exemple : en Europe, la longue durée d’ une liaison l’officialise presque ; en Amérique, c’est elle qui fait scan
1487 Comment ils construisent En Europe, terre des cathédrales, on demande à Le Corbusier de bâtir des églises en verre
1488 s cathédrales, on demande à Le Corbusier de bâtir des églises en verre et en ciment : je me souviens du temple protestant d
1489 ival ; jusqu’à reproduire les tours non terminées des cathédrales européennes. Et les résidences luxueuses de la campagne o
1490 scrupuleux ou non L’Américain ne pardonne pas une erreur de 2 cents dans un compte, mais se trompe joyeusement d’un pay
1491 ricain ne pardonne pas une erreur de 2 cents dans un compte, mais se trompe joyeusement d’un pays quand il bombarde, d’un
1492 ents dans un compte, mais se trompe joyeusement d’ un pays quand il bombarde, d’un siècle quand il cite l’histoire, d’un or
1493 trompe joyeusement d’un pays quand il bombarde, d’ un siècle quand il cite l’histoire, d’un ordre spirituel quand il critiq
1494 bombarde, d’un siècle quand il cite l’histoire, d’ un ordre spirituel quand il critique un livre. Ce qu’il ne tolère pas, c
1495 ’histoire, d’un ordre spirituel quand il critique un livre. Ce qu’il ne tolère pas, c’est le mensonge, et là précisément o
1496 us entrez en Amérique, on vous demande de remplir des questionnaires comportant des questions de ce genre : « Buvez-vous ?
1497 demande de remplir des questionnaires comportant des questions de ce genre : « Buvez-vous ? Modérément ? À l’excès ? Fumez
1498 ous partisan de doctrines tendant au renversement des institutions américaines ? » Vous pouvez répondre que vous êtes alcoo
1499 repose ici sur la parole donnée, seul fondement d’ une réelle démocratie. Comment ils se battent Voici le contraste le
1500 esprit quasi sportif comme l’Américain, mais par une sorte de fatalisme inconscient. (Je ne parle pas du héros, mais du tr
1501 ut, et qu’il faut cela, et que c’est ainsi depuis des siècles, et qu’on ne peut pas y échapper. L’Américain, bien au contra
1502 ntraire, considère la souffrance et la mort comme des accidents insensés, que rien au monde ne peut rendre acceptables ou j
1503 andis qu’elle règne sur notre inconscient, résidu des plus solennelles traditions religieuses de l’Occident. C’est pourquoi
1504 asées. Cette folie apparente de l’Européen dénote un certain degré de spiritualité, car l’esprit se nourrit de sacrifices.
1505 crifices. Tandis que le bon sens américain trahit une certaine ignorance des conditions premières de la vie spirituelle. Le
1506 bon sens américain trahit une certaine ignorance des conditions premières de la vie spirituelle. Les uns préfèrent les rai
1507 ans Vivre en Amérique (chapitre 4), livre édité un an plus tard chez Stock. ad. Depuis « L’ordre des valeurs morales… »
1508 un an plus tard chez Stock. ad. Depuis « L’ordre des valeurs morales… » : lecture incertaine, aucune copie correcte du tex
27 1946, Articles divers (1941-1946). Réponse à l’enquête « Les travaux des écrivains » (24 août 1946)
1509 Réponse à l’enquête « Les travaux des écrivains » (24 août 1946)ae J’ai un certain nombre d’ouvrages qui
1510 travaux des écrivains » (24 août 1946)ae J’ai un certain nombre d’ouvrages qui vont paraître en même temps, ce qu’expl
1511 D’abord, chez Stock : Vivre en Amérique . C’est un recueil de tous mes articles sur les États-Unis, parus dans Carrefou
1512 on définitive. Les Personnes du drame . Ce sont des essais sur Goethe, Kierkegaard, Kafka, Luther, Gide, Ramuz, Claudel e
1513 d’ouvrages qui, à cause de leur faible tirage et des circonstances où ils parurent, sont restés pratiquement ignorés. Chez
1514 Michel, Penser avec les mains et le Journal d’ un intellectuel en chômage . Aux Éditions « Je sers » : Politique de la
1515 a personne , qui, publié il y a douze ans, obtint un vif succès en Hollande, où il joua un certain rôle dans la naissance
1516 ans, obtint un vif succès en Hollande, où il joua un certain rôle dans la naissance du parti travailliste. Je préfère ne p
1517 rti travailliste. Je préfère ne point vous parler des traductions. J’en ai environ dix-huit ! ae. Rougemont Denis de, « 
1518 ix-huit ! ae. Rougemont Denis de, « [Réponse à une enquête] Les travaux des écrivains », Le Figaro littéraire, Paris, 24
1519 t Denis de, « [Réponse à une enquête] Les travaux des écrivains », Le Figaro littéraire, Paris, 24 août 1946, p. 2. af. La
28 1946, Articles divers (1941-1946). Mémoire de l’Europe (écrit en Amérique, en 1943) (août-septembre 1946)
1520 os pas. Et ces rues qui tournaient doucement vers une place plantée d’arbres et déserte, aux rendez-vous manqués où je me r
1521 e était au secret de nos vies, nouée parfois dans une rancune obscure, ou bien dans la contemplation jalouse d’un vieil arb
1522 obscure, ou bien dans la contemplation jalouse d’ un vieil arbre — il était vieux déjà du temps de notre enfance, et notre
1523 était chanson fredonnée, sur le seuil, au matin d’ une journée qui se liait aux autres… (Quand ta force devient visible, c’e
1524 tenace. Elle était la douceur et la sagesse amère des adieux, ou la gaieté d’un mot dit en passant. Elle avait les pudeurs
1525 ur et la sagesse amère des adieux, ou la gaieté d’ un mot dit en passant. Elle avait les pudeurs de l’amour… ⁂ Quand je me
29 1946, Articles divers (1941-1946). En 1940, j’ai vu chanceler une civilisation : ce que l’on entendait sur le paquebot entre Lisbonne et New York (21 septembre 1946)
1526 En 1940, j’ai vu chanceler une civilisation : ce que l’on entendait sur le paquebot entre Lisbonne e
1527 l’Amérique. Mais ici je fais le serment d’opposer une stricte mémoire à la candeur intarissable de la vie, toujours pressée
1528 tarissable de la vie, toujours pressée d’imaginer un monde où tout peut encore continuer. Je viens de voir une civilisatio
1529 e où tout peut encore continuer. Je viens de voir une civilisation frappée au cœur, je l’ai vue chanceler, j’ai vu qu’elle
1530 nt deux jours, j’ai vu la France toute pareille à un homme qui vient de tomber sur la tête : il se relève, se tâte, et ne
1531 j’ai vu, aux frontières de la Suisse, l’invasion des herbes sauvages venant des terres abandonnées du Nord et que nos pays
1532 la Suisse, l’invasion des herbes sauvages venant des terres abandonnées du Nord et que nos paysans s’efforcent d’arrêter a
1533 , cœur mystérieux du continent, dernier symbole d’ une liberté qui ne peut plus vivre que sous la cuirasse. Hâtons-nous, car
1534 chez le purser, nous n’avons plus devant nous qu’ un océan sans douanes ! Dix jours vierges, dix jours durant lesquels on
1535 a au viol de notre vie privée. Pourtant, certains des passagers gardent encore l’air de s’attendre au pire, tandis qu’ils f
1536 à l’émigrant, à celui qui s’éloigne de ses bases, des réflexes de son milieu, de tout ce qui allait de soi autour de lui et
1537 ière ligne reliant l’Europe à l’Amérique ont tous des noms en « Ex » : Exeter, Excalibur, Excambion. Et ils ne transportent
1538 Excambion. Et ils ne transportent, en effet, que des ex-quelque chose, ex-ministres, ex-directeurs, ex-Autrichiens, ex-mil
1539 iche, ni détrôné, et ne pouvant me réclamer que d’ une « mission de conférences » (prétexte évidemment peu convaincant) je f
1540 nt) je fais figure d’ex-voyageur normal. Touriste des catastrophes, scandaleux personnage, comme le serait un témoin vivant
1541 astrophes, scandaleux personnage, comme le serait un témoin vivant même aux colloques des fantômes… Je crois bien que cett
1542 mme le serait un témoin vivant même aux colloques des fantômes… Je crois bien que cette image m’est venue à cause d’une con
1543 crois bien que cette image m’est venue à cause d’ une conversation entendue sur le pont cette nuit même. L’heure était fort
1544 arades et lui-même, avant la guerre, organisaient des dépôts de mitraillettes dans certaines rues stratégiques de Paris, T.
1545 , T., ex-militant de la gauche, lui répondit avec un demi-sourire et sans retirer son mégot, que de l’autre côté on savait
1546 ela, et qu’au surplus, on en faisait autant, avec des armes fournies par certains ministères. Si j’en crois ces deux ex-adv
1547 aient été troublés que par l’attaque intempestive des nazis. Contre ceux-là, il semblerait qu’on eût moins brillamment prév
1548 ce, et je l’entends dire à sa femme qui attendait un peu en arrière : « Rien de nouveau, c’est toujours les mêmes petites
1549 st toujours les mêmes petites histoires… » Depuis des mois, c’est ce que répètent dix fois par jour les usagers de la radio
1550 , que nous avons entrevu l’ampleur et la rapidité des événements. Il a dit : « Rien de nouveau, rien d’important… » Mais je
1551 ai, les Anglais tiennent. L’autre jour à Lisbonne une lady me disait : « Nous ne serons jamais battus, parce que nous somme
1552 us ne serons jamais battus, parce que nous sommes un peuple qui ne sait pas quand il est battu. » J’ai pensé aux chefs fra
1553 effet, même victorieux, se plaignent encore comme des victimes. Et les Anglais, même battus, se comportent en propriétaires
1554 rait donc la victoire anglaise. 19 septembre 1940 Un journaliste américain, qui revient de Paris, s’appuie au bastingage,
1555 rachant dans l’eau entre chaque phrase : « Il y a des gens, des Parisiens, qui trouvent que les Boches sont corrects… Well…
1556 ns l’eau entre chaque phrase : « Il y a des gens, des Parisiens, qui trouvent que les Boches sont corrects… Well… Quand un
1557 rouvent que les Boches sont corrects… Well… Quand un gangster de Chicago vous prend votre portefeuille, il vous donne quel
1558 ent que tout était changé autour de moi. Eh oui ! des verdures proches défilaient au hublot ! Couru sur le pont. Nous somme
1559 le pont. Nous sommes dans les passes de l’Hudson. Une brume de chaleur tropicale bleuit les rives. Je ne m’attendais pas à
1560 ciel, la statue… Je n’ai jamais eu la sensation d’ un paysage plus étranger, mais plus étrangement accueillant. Tous ces ar
1561 ccueillant. Tous ces arbres si riches, touffus et un peu fous ! Et ces maisons coloniales espacées, si intimes semble-t-il
1562 derrière leurs grands portiques. Et comme on aime une terre qui s’approche, avec l’immense sécurité du continent qu’on imag
1563 là de ces falaises orangées, frangées de forêts d’ un vert sombre de luxueuse tapisserie… La rivière s’élargit et se peuple
1564 vière s’élargit et se peuple de mâts. Au sommet d’ une falaise qui fuit obliquement éclate une longue façade claire et neuve
1565 sommet d’une falaise qui fuit obliquement éclate une longue façade claire et neuve : la première rue américaine ! Nous app
1566 ! Nous approchons. Tournant la tête vers l’avant, un peu au-dessus de la poupe, je viens de voir un groupe de tours serrée
1567 t, un peu au-dessus de la poupe, je viens de voir un groupe de tours serrées, presque diaphanes dans la brume — Manhattan,
1568 resque diaphanes dans la brume — Manhattan, comme une prémonition qui serait vérifiée à l’instant même ! ag. Rougemont D
1569 Rougemont Denis de, « En 1940, j’ai vu chanceler une civilisation », Le Figaro littéraire, Paris, 21 septembre 1946, p. 1