1 1946, Articles divers (1946-1948). Théologie et littérature (1946)
1 l faut tenir la théologie chrétienne pour la mère de la pensée occidentale, de même que l’Église, par son culte, est la mè
2 de même que l’Église, par son culte, est la mère de presque tous nos arts. La musique est née dans le chœur des églises e
3 st née dans le chœur des églises et des chapelles de couvents. La peinture et la sculpture se sont constituées sur les aut
4 s rythmes poétiques ont été propagés par le latin d’ église. Et ce n’est point que tous ces arts classiques ne soient sorti
5 int que tous ces arts classiques ne soient sortis de l’enceinte ecclésiastique dès le déclin du Moyen Âge, mais il n’en es
6 toire ne manifestent à chaque instant l’influence de telles origines. Or le lien de filiation entre nos disciplines de pen
7 nstant l’influence de telles origines. Or le lien de filiation entre nos disciplines de pensée et la théologie, pour être
8 es. Or le lien de filiation entre nos disciplines de pensée et la théologie, pour être moins généralement reconnu, n’en es
9 s temps où la philosophie n’était que la servante de la théologie, ses efforts d’émancipation les plus violents, et même c
10 tait que la servante de la théologie, ses efforts d’ émancipation les plus violents, et même couronnés de succès, n’ont pu
11 émancipation les plus violents, et même couronnés de succès, n’ont pu que confirmer une dépendance qui n’est certes plus d
12 ue confirmer une dépendance qui n’est certes plus de droit, mais n’en demeure pas moins de fait et de nature, autant que d
13 certes plus de droit, mais n’en demeure pas moins de fait et de nature, autant que d’origine. Les grandes doctrines encore
14 de droit, mais n’en demeure pas moins de fait et de nature, autant que d’origine. Les grandes doctrines encore vivantes e
15 emeure pas moins de fait et de nature, autant que d’ origine. Les grandes doctrines encore vivantes et agissantes au xxe s
16 rits du jeune Marx sur la dialectique hégélienne. De nos jours, le vocabulaire technique s’est transformé, les références
17 ou non, qu’on l’admette comme Bergson vers la fin de sa carrière, qu’on cherche à le camoufler comme Heidegger, ou qu’on p
18 ées par les écrivains eux-mêmes, ont fait l’objet de travaux fameux : ainsi l’influence de saint Thomas sur Dante, de Calv
19 ait l’objet de travaux fameux : ainsi l’influence de saint Thomas sur Dante, de Calvin sur d’Aubigné, du jansénisme sur Pa
20 ux : ainsi l’influence de saint Thomas sur Dante, de Calvin sur d’Aubigné, du jansénisme sur Pascal et Racine, de Swedenbo
21 nfluence de saint Thomas sur Dante, de Calvin sur d’ Aubigné, du jansénisme sur Pascal et Racine, de Swedenborg sur Balzac,
22 ur d’Aubigné, du jansénisme sur Pascal et Racine, de Swedenborg sur Balzac, de Newman sur Gerard Manley Hopkins. Mais il n
23 e sur Pascal et Racine, de Swedenborg sur Balzac, de Newman sur Gerard Manley Hopkins. Mais il ne me paraît pas que le pro
24 té clairement posé ou étudié, ni par les docteurs de l’Église, ni par les critiques littéraires. Et cependant comment en n
25 ur le public cultivé un empire comparable à celui de la radio sur les masses, tandis que la prédication chrétienne semble
26 nne semble réduite, dans la cité, aux proportions d’ un chuchotement intermittent ? L’ignorance réciproque dans laquelle th
27 al ? Il est clair que la théologie n’a pas besoin de la littérature et peut s’en désintéresser sans grand dommage. Si l’on
28 age. Si l’on admet qu’elle a pour objet principal de formuler et de critiquer le dogme chrétien dans l’Église, elle est en
29 met qu’elle a pour objet principal de formuler et de critiquer le dogme chrétien dans l’Église, elle est en droit de laiss
30 e dogme chrétien dans l’Église, elle est en droit de laisser à d’autres le soin d’appliquer ses critères hors de l’Église.
31 , elle est en droit de laisser à d’autres le soin d’ appliquer ses critères hors de l’Église. Mais il est beaucoup moins év
32 nt que la littérature puisse se passer impunément de la théologie. Et il est bien certain que lorsqu’elle s’en passe, les
33 e des fidèles ne sauraient échapper à l’influence de leurs lectures, cependant qu’ils éprouvent une difficulté croissante
34 ulté croissante à juger celles-ci du point de vue de leur foi : le vocabulaire de la piété et celui de la littérature, les
35 s-ci du point de vue de leur foi : le vocabulaire de la piété et celui de la littérature, les atmosphères qu’elles créent,
36 de leur foi : le vocabulaire de la piété et celui de la littérature, les atmosphères qu’elles créent, les problèmes qu’ell
37 les valeurs morales qu’elles tiennent pour allant de soi, tout est devenu trop différent, et presque sans commune mesure.
38 à redouter que les théologiens se mettent à faire de la critique littéraire, comme il arrive qu’on en lise sous leur nom d
39 rrive qu’on en lise sous leur nom dans les revues de pensée religieuse : il s’agit trop souvent de comptes rendus d’amateu
40 ues de pensée religieuse : il s’agit trop souvent de comptes rendus d’amateurs qui cherchent à parler des livres « comme t
41 gieuse : il s’agit trop souvent de comptes rendus d’ amateurs qui cherchent à parler des livres « comme tout le monde » et
42 leur « spécialité ». Mon idée serait bien plutôt d’ exiger des critiques littéraires un minimum de connaissances théologiq
43 tôt d’exiger des critiques littéraires un minimum de connaissances théologiques, dont ils se montrent cruellement dépourvu
44 suis le premier à protester contre ces citations d’ auteurs à la mode — ou plus souvent à la mode d’il y a cinquante ans —
45 s d’auteurs à la mode — ou plus souvent à la mode d’ il y a cinquante ans — dont les prédicateurs modernes ont coutume « d’
46 ns — dont les prédicateurs modernes ont coutume «  d’ orner » leurs sermons. Ce n’est pas la littérature qui doit prêter sec
47 a littérature qui doit prêter secours à la Parole de Dieu, mais c’est le contraire. S’il arrive qu’un pasteur ou un prêtre
48 l arrive qu’un pasteur ou un prêtre juge opportun de parler d’un livre, j’attends, à la fois comme fidèle et comme écrivai
49 u’un pasteur ou un prêtre juge opportun de parler d’ un livre, j’attends, à la fois comme fidèle et comme écrivain, qu’il e
50 , à la critique et même, cas échéant, à une sorte de direction spirituelle des tendances littéraires de leur époque ; mais
51 e direction spirituelle des tendances littéraires de leur époque ; mais ceci, je le répète en tant que théologiens, non po
52 , non point en tant qu’écrivains-amateurs ou gens de goût. Sans rien préjuger du succès ou de l’influence possible d’une i
53 ou gens de goût. Sans rien préjuger du succès ou de l’influence possible d’une intervention de ce genre, elle aurait en t
54 ien préjuger du succès ou de l’influence possible d’ une intervention de ce genre, elle aurait en tout cas l’avantage de do
55 cès ou de l’influence possible d’une intervention de ce genre, elle aurait en tout cas l’avantage de donner aux fidèles —
56 n de ce genre, elle aurait en tout cas l’avantage de donner aux fidèles — et à leur clergé — certains critères de jugement
57 ux fidèles — et à leur clergé — certains critères de jugement, un certain vocabulaire, et par suite une certaine orientati
58 ocabulaire, et par suite une certaine orientation de l’esprit propres à rétablir, petit à petit, des éléments de commune m
59 t propres à rétablir, petit à petit, des éléments de commune mesure entre le croyant et le lecteur dans un même homme. Cec
60 e. Ceci dit, j’en reviens à mon propos, qui était de soulever une question, et de suggérer pour son étude quelques hypothè
61 on propos, qui était de soulever une question, et de suggérer pour son étude quelques hypothèses de travail. 5. L’ignoran
62 et de suggérer pour son étude quelques hypothèses de travail. 5. L’ignorance générale où sont les écrivains modernes des
63 rale où sont les écrivains modernes des rudiments de la théologie a pour conséquence immédiate qu’ils se condamnent à déco
64 rire une histoire des principales écoles modernes d’ un point de vue strictement théologique ? Une histoire qui nous montre
65 s, à leur insu, doivent à l’atmosphère religieuse de leur époque, mais surtout comment ils pâtissent de n’avoir point conn
66 e leur époque, mais surtout comment ils pâtissent de n’avoir point connu l’existence de traditions soit orthodoxes soit hé
67 ils pâtissent de n’avoir point connu l’existence de traditions soit orthodoxes soit hérétiques, c’est le cas le plus fréq
68 rop court (After Strange Gods) a donné l’esquisse d’ une étude des hérésies dans la littérature moderne. Pour ma part, j’ai
69 la littérature moderne. Pour ma part, j’ai tenté de montrer comment les troubadours, dont la doctrine fut reprise par les
70 doctrine fut reprise par les auteurs du Tristan, d’ où sont issus presque tous nos romans, étaient nourris de l’hérésie ma
71 nt issus presque tous nos romans, étaient nourris de l’hérésie manichéenne, et l’ont ainsi fait vivre jusqu’à nous et parm
72 mi nous, bien que vulgarisée et déprimée au point d’ en devenir méconnaissable. Petit exemple que je mentionne faute de mie
73 ire sur la renaissance endémique, dans nos écoles d’ avant-garde, des déviations les plus connues du mysticisme, du gnostic
74 s les plus connues du mysticisme, du gnosticisme, de l’arianisme et du libéralisme romantique. Qui voudra et pourra l’expl
75 e. Qui voudra et pourra l’expliquer aux disciples de ces mouvements ? Il y faudrait un théologien. Lever les bras au ciel,
76 inter le doigt du moraliste, n’est pas faire acte de charité à l’égard des efforts de l’avant-garde, d’autant qu’ils jouen
77 t pas faire acte de charité à l’égard des efforts de l’avant-garde, d’autant qu’ils jouent, aux yeux de beaucoup et des me
78 ils jouent, aux yeux de beaucoup et des meilleurs de nos contemporains, le rôle d’une spiritualité ardente et courageuse.
79 up et des meilleurs de nos contemporains, le rôle d’ une spiritualité ardente et courageuse. Pourquoi faudrait-il qu’à l’ob
80 l’obscurantisme théologique qui dénote la culture d’ aujourd’hui, réponde chez les théologiens un « refus d’informer » symé
81 ourd’hui, réponde chez les théologiens un « refus d’ informer » symétrique, fait de méfiance, d’incuriosité, de réprobation
82 ologiens un « refus d’informer » symétrique, fait de méfiance, d’incuriosité, de réprobation morale et de timidité bourgeo
83  refus d’informer » symétrique, fait de méfiance, d’ incuriosité, de réprobation morale et de timidité bourgeoise, plutôt q
84 er » symétrique, fait de méfiance, d’incuriosité, de réprobation morale et de timidité bourgeoise, plutôt que de rigueur t
85 méfiance, d’incuriosité, de réprobation morale et de timidité bourgeoise, plutôt que de rigueur théologique ? Au nom des b
86 tion morale et de timidité bourgeoise, plutôt que de rigueur théologique ? Au nom des besoins de la paroisse de campagne,
87 t que de rigueur théologique ? Au nom des besoins de la paroisse de campagne, trop souvent prise comme prétexte chez les p
88 r théologique ? Au nom des besoins de la paroisse de campagne, trop souvent prise comme prétexte chez les protestants, va-
89 e dos parce qu’elle est tapageuse, scandaleuse et d’ une conduite peu régulière, la confirmant ainsi dans sa persuasion que
90 u dernier siècle ? Au lecteur convaincu comme moi de la nécessité de rétablir des ponts entre la théologie et les lettres
91  ? Au lecteur convaincu comme moi de la nécessité de rétablir des ponts entre la théologie et les lettres vivantes, je sou
92 logie et les lettres vivantes, je soumets à titre d’ exemples et sans nul ordre préconçu, les thèses suivantes. 6. C’est l
93 que le libéralisme tendait à se mettre à l’école de leurs complaisances, et par suite ne leur donnait rien. Exemple : Ki
94 logique parfaitement cohérente et intransigeante, d’ où son influence profonde et indéniable sur Ibsen, sur Unamuno, sur Ri
95 sur Rilke, sur Kafka, et sur un très grand nombre de poètes, de romanciers et d’essayistes des plus jeunes générations, en
96 sur Kafka, et sur un très grand nombre de poètes, de romanciers et d’essayistes des plus jeunes générations, en Europe, en
97 un très grand nombre de poètes, de romanciers et d’ essayistes des plus jeunes générations, en Europe, en Angleterre et da
98 une Église déterminée. N’est-ce point là le signe d’ une incompatibilité inquiétante entre l’élite active et les « milieux
99 inquiétante entre l’élite active et les « milieux d’ Église » ? 7. Une théologie orthodoxe (je ne dis pas sclérosée) favor
100 lérosée) favorise, soutient et nourrit des œuvres de style classique, tandis qu’une théologie libérale se lie aux mouvemen
101 vain romantique croit voir dans les dogmes autant d’ entraves à l’essor créateur, tandis que le classique y trouve à la foi
102 ênes fécondes. Le premier, semblable à la colombe de Kant, s’imagine qu’il volerait mieux dans le vide. Le second, mieux a
103 erait mieux dans le vide. Le second, mieux assuré de la force de ses ailes, cherche une atmosphère dense pour exercer en p
104 dans le vide. Le second, mieux assuré de la force de ses ailes, cherche une atmosphère dense pour exercer en plein ses éne
105 ne résistance effective et valable aux incartades de l’imagination. Ainsi fait le fougueux d’Aubigné s’armant de la doctri
106 cartades de l’imagination. Ainsi fait le fougueux d’ Aubigné s’armant de la doctrine de Calvin. À l’inverse, je soupçonne l
107 nation. Ainsi fait le fougueux d’Aubigné s’armant de la doctrine de Calvin. À l’inverse, je soupçonne les romantiques d’av
108 ait le fougueux d’Aubigné s’armant de la doctrine de Calvin. À l’inverse, je soupçonne les romantiques d’avoir cherché dan
109 Calvin. À l’inverse, je soupçonne les romantiques d’ avoir cherché dans la théologie de leur époque et sous le nom de liber
110 les romantiques d’avoir cherché dans la théologie de leur époque et sous le nom de liberté, de coûteuses licences intellec
111 é dans la théologie de leur époque et sous le nom de liberté, de coûteuses licences intellectuelles, ou de simples facilit
112 éologie de leur époque et sous le nom de liberté, de coûteuses licences intellectuelles, ou de simples facilités… 8. La
113 iberté, de coûteuses licences intellectuelles, ou de simples facilités… 8. La littérature en général trouve à se nourrir
114 ique régnante que dans l’atmosphère et l’ambiance de controverses théologiques mêlées à des questions politiques. Exemple
115 abéthains ; et parmi nous, la renaissance notable d’ une poésie d’inspiration religieuse en France, pendant l’occupation et
116 t parmi nous, la renaissance notable d’une poésie d’ inspiration religieuse en France, pendant l’occupation et tôt après.
117 ion donnée. Je me bornerai à citer ici l’exemple de l’Église anglicane dont le Prayer Book a formé la langue des poètes d
118 l’histoire des lettres anglaises s’avère capital, de John Donne à T. S. Eliot, en passant par le Doyen Swift, l’évêque Ber
119 contre le ritualisme, mais indique une direction de recherches peut-être féconde. 10. Une critique théologique de la lit
120 peut-être féconde. 10. Une critique théologique de la littérature devra mettre en garde son public contre l’illusion cou
121 chrétiens » ou « religieux » que ceux qui parlent de Dieu et traitent de sujets religieux. Ici encore, « ce ne sont pas c
122 igieux » que ceux qui parlent de Dieu et traitent de sujets religieux. Ici encore, « ce ne sont pas ceux qui disent : Sei
123 gneur ! Seigneur !… mais ceux qui font la volonté de mon Père… » que nous devons prendre au sérieux. Faire la volonté de D
124 nous devons prendre au sérieux. Faire la volonté de Dieu, en écrivant, ce n’est pas simplement parler de Dieu et de sa vo
125 Dieu, en écrivant, ce n’est pas simplement parler de Dieu et de sa volonté, ni même en parler avec cette simplicité trop a
126 rivant, ce n’est pas simplement parler de Dieu et de sa volonté, ni même en parler avec cette simplicité trop aisément att
127 ntrent un goût immodéré. Je connais un bon nombre d’ ouvrages religieux dont le style journalistique est incompatible avec
128 ournalistique est incompatible avec aucune espèce de réalité spirituelle. L’auteur ne cesse de mentionner cette réalité, m
129 espèce de réalité spirituelle. L’auteur ne cesse de mentionner cette réalité, mais en fait il échoue à l’exprimer ; il se
130 à l’exprimer ; il se livre à des efforts visibles de propagande en faveur des « valeurs spirituelles », mais par là même,
131 là même, il trahit peut-être une certaine absence de l’Esprit dans la genèse de son œuvre. Il oublie que le style d’un écr
132 e une certaine absence de l’Esprit dans la genèse de son œuvre. Il oublie que le style d’un écrit transmet pour son compte
133 ns la genèse de son œuvre. Il oublie que le style d’ un écrit transmet pour son compte et par lui-même un « message » souve
134 tement dans l’esprit du lecteur. Ce qu’il importe de rappeler ici, c’est que toute œuvre littéraire, si profane qu’en soit
135 le sujet, implique une théologie (fût-ce à l’insu de son auteur), et qu’elle l’exprime par les mouvements mêmes du style,
136 les mouvements mêmes du style, plus fidèlement et d’ une manière plus contraignante que par son argumentation. Expliciter c
137 pérais simplement désigner. b. Rougemont Denis de , « Théologie et littérature », Hommage et reconnaissance : recueil de
138 ittérature », Hommage et reconnaissance : recueil de travaux publiés à l’occasion du soixantième anniversaire de Karl Bart
139 publiés à l’occasion du soixantième anniversaire de Karl Barth, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1946, p. 162-167.
2 1946, Articles divers (1946-1948). Le supplice de Tantale (octobre 1946)
140 Le supplice de Tantale (octobre 1946)a L’eau fuit ses lèvres, la branche fuit sa
141 teur non prévenu, tout se passe comme si le désir de Tantale suffisait à repousser les objets qu’il désire, et sa crainte
142 qu’il redoute. Quand il se penche vers la surface de la rivière où il baigne à mi-corps, quand il lève le bras vers ces fr
143 fruits mûrs qui font ployer la branche au-dessus de son front, on dirait que son geste même déclenche un mécanisme qui l’
144 ieu que ce coin du Tartare, où la pesante logique de la matière est abolie pour peu que l’homme se manifeste. Serait-ce un
145 u que l’homme se manifeste. Serait-ce un pur lieu de l’esprit ? Oui, car à l’instant même où Tantale est ému, où il forme
146 ému, où il forme un projet, où il agit, les lois de la chute des corps et de leur inertie, qui sont celles mêmes de la mo
147 et, où il agit, les lois de la chute des corps et de leur inertie, qui sont celles mêmes de la mort, font place aux lois d
148 s corps et de leur inertie, qui sont celles mêmes de la mort, font place aux lois des dieux, qui sont celles de l’esprit ;
149 t, font place aux lois des dieux, qui sont celles de l’esprit ; et des dieux irrités contre l’homme, c’est-à-dire d’un esp
150 et des dieux irrités contre l’homme, c’est-à-dire d’ un esprit coupable. Regardons bien ce paysage imaginaire, cette compos
151 iée comme un arcane du Tarot et non moins chargée de symboles : un corps, une eau, une branche et un rocher. C’est l’homme
152 r. C’est l’homme coupable, environné des emblèmes de sa peur et de sa convoitise — emblèmes ou signes, car tout tient ici
153 me coupable, environné des emblèmes de sa peur et de sa convoitise — emblèmes ou signes, car tout tient ici à des événemen
154 et tout illustre une des structures fondamentales de son être. Tantale avait commis deux crimes, dit la Fable. Admis à la
155 r les faire goûter aux mortels. Puis, dans l’idée de défier l’Olympe et d’éprouver son omniscience, il avait tué son propr
156 mortels. Puis, dans l’idée de défier l’Olympe et d’ éprouver son omniscience, il avait tué son propre fils Pélops, pour fa
157 e servir sa chair à la table divine. Les liqueurs d’ immortalité sont ici comme des signes de la Grâce, dont un homme cherc
158 liqueurs d’immortalité sont ici comme des signes de la Grâce, dont un homme chercherait à s’emparer par subterfuge, afin
159 stre. Doutons que la philanthropie préside au vol de Tantale, quand il est assez clair qu’il jalouse les dieux, leur divin
160 eux comme nourriture meilleure, il est surprenant d’ observer qu’elle invertit exactement le sacrifice du Fils de Dieu. Au
161 qu’elle invertit exactement le sacrifice du Fils de Dieu. Au lieu du Père livrant son Fils aux hommes pour qu’ils le tuen
162 pour qu’ensuite ils revivent par la consommation de son corps spirituel, un homme tue lui-même son fils, et donne sa chai
163 qu’ils en meurent, — s’ils perdent leur divinité de s’être une fois laissé surprendre et abuser. À cette double infractio
164 e et abuser. À cette double infraction aux grâces de l’esprit (comme je voudrais nommer les lois spirituelles), répond un
165 menace suspendue. Le monde païen ne conçoit pas de pardon par amour et de salut gratuit, et c’est pourquoi les châtiment
166 monde païen ne conçoit pas de pardon par amour et de salut gratuit, et c’est pourquoi les châtiments qu’infligent les dieu
167 ligent les dieux revêtent en général un caractère de revanche pure et simple, et comme automatique. C’est autant dire que
168 seul avec lui-même et se ferme aux interventions d’ une transcendance, ou d’un appel venu d’ailleurs. (Les « dieux » n’éta
169 e ferme aux interventions d’une transcendance, ou d’ un appel venu d’ailleurs. (Les « dieux » n’étant, en fait, que ses pro
170 ses propres limites.) Dans l’histoire du supplice de Tantale, cet automatisme est si sûr qu’il autorise à des spéculations
171 u sur sa tête, l’onde et la branche ne s’écartant de lui qu’à l’instant où il veut les atteindre, et tout cela ne tient vr
172 a ne tient vraiment qu’à lui, qu’aux dispositions de son âme : c’est que celles-ci n’ont pas changé depuis ses crimes. Nou
173 strent ces désirs et qui retardent, ironiquement, d’ écraser cet orgueil. Imaginons, maintenant, par impossible, que Tantal
174 s’abandonne, et qu’il préfère soudain à son amour d’ un moi coupable et torturé, l’expiation libératrice et son délire. À l
175 u pardon, ni au salut que lui vaudrait un instant de pur abandon — payé de sa mort, il est vrai, pour quelle indescriptibl
176 que lui vaudrait un instant de pur abandon — payé de sa mort, il est vrai, pour quelle indescriptible renaissance ! — préf
177 iptible renaissance ! — préfère subir le supplice de Tantale. C’est son orgueil et sa dignité d’homme : il se révolte cont
178 plice de Tantale. C’est son orgueil et sa dignité d’ homme : il se révolte contre tout — sauf soi. C’est pourquoi rien ne c
179 f et à sa peur. Il est cet homme qui, dans chacun de nous, préfère le désir, même douloureux d’avoir été mille et mille fo
180 chacun de nous, préfère le désir, même douloureux d’ avoir été mille et mille fois déçu — mais c’est encore son désir, donc
181 — à la proie qu’il ne posséderait qu’en acceptant d’ être changé d’abord. Que lui servirait, pense-t-il, de gagner le monde
182 re changé d’abord. Que lui servirait, pense-t-il, de gagner le monde s’il y perdait son moi ? Il est certain qu’à sa maniè
183 voir en son lieu. À la limite, et dans la logique d’ un mythe où l’homme s’identifie à l’une de ses tendances, celui qui ga
184 logique d’un mythe où l’homme s’identifie à l’une de ses tendances, celui qui gagne est donc toujours un autre. Et celui q
185 i qui désire ne gagnera jamais. C’est le sophisme de l’empereur : Napoléon n’est pas un Bonaparte comblé, mais quelqu’un q
186 is quelqu’un qui s’est substitué, sous le manteau d’ hermine, à Bonaparte. Le romantique qui rêvait d’être empereur est mor
187 d’hermine, à Bonaparte. Le romantique qui rêvait d’ être empereur est mort le jour du couronnement. Tous nos succès, tous
188 ute, sont ainsi à quelque degré des modifications de notre identité, des aliénations de nous-mêmes. À la limite, ils sont
189 modifications de notre identité, des aliénations de nous-mêmes. À la limite, ils sont autant d’usurpations. Changeons ma
190 tions de nous-mêmes. À la limite, ils sont autant d’ usurpations. Changeons maintenant de plan spirituel, et transposons l
191 sont autant d’usurpations. Changeons maintenant de plan spirituel, et transposons le mythe de Tantale dans un monde où l
192 tenant de plan spirituel, et transposons le mythe de Tantale dans un monde où l’instant d’abandon ne signifie plus la mort
193 ns le mythe de Tantale dans un monde où l’instant d’ abandon ne signifie plus la mort mais la vie et l’héritage de la vie é
194 e signifie plus la mort mais la vie et l’héritage de la vie éternelle. J’emprunte à Jean-Paul1, une histoire étrangement p
195 étrangement parabolique et qui, dans le registre de l’humour profond, reproduit notre fable grecque, mais la conduit à un
196 nt reviendront et appartiendront à celui des sept de MM. mes Neveux qui, durant la demi-heure qui suivra la lecture de la
197 x qui, durant la demi-heure qui suivra la lecture de la présente clause, versera avant tous les autres, une ou quelques la
198 e marchand Neupeter se demande s’il ne s’agit que d’ une mauvaise farce, indigne d’un homme de sens. Le fiscal Knol se sent
199 s’il ne s’agit que d’une mauvaise farce, indigne d’ un homme de sens. Le fiscal Knol se sent prêt à pleurer de colère. Pas
200 agit que d’une mauvaise farce, indigne d’un homme de sens. Le fiscal Knol se sent prêt à pleurer de colère. Pasvogel, le r
201 me de sens. Le fiscal Knol se sent prêt à pleurer de colère. Pasvogel, le rusé libraire, essaie de se remémorer tout ce qu
202 rer de colère. Pasvogel, le rusé libraire, essaie de se remémorer tout ce qu’il y a d’émouvant dans les livres. Klitte, qu
203 ibraire, essaie de se remémorer tout ce qu’il y a d’ émouvant dans les livres. Klitte, qui est alsacien, jure que pour tout
204 ure que pour tout l’or du monde, une plaisanterie de ce genre ne le ferait pas pleurer. Sur quoi l’inspecteur de police Ha
205 une intention plus sérieuse. » L’inspecteur ouvre de gros yeux fixes, où rien ne vient. Le jeune prédicateur Flachs, lui,
206 à se lamenter ecclésiastiquement, mais la vision de la maison de l’oncle, s’avançant vers lui sur ces flots, est bien tro
207 r ecclésiastiquement, mais la vision de la maison de l’oncle, s’avançant vers lui sur ces flots, est bien trop réjouissant
208 est bien trop réjouissante… Glanz, le conseiller d’ église, se met à faire une allocution, car il sait que cela le fait pl
209 ngotes grises, puis Lazare et ses chiens, la tête de beaucoup d’êtres, les souffrances du jeune Werther, un petit champ de
210 s, puis Lazare et ses chiens, la tête de beaucoup d’ êtres, les souffrances du jeune Werther, un petit champ de bataille, l
211 yablement à cause du testament, — et il s’en faut de bien peu qu’il ne pleure… Le conseiller continue son discours… Soudai
212 ment. Son émotion dûment enregistrée, il héritera de tous les biens de l’oncle, pour lui avoir dédié, entre tant d’autres,
213 dûment enregistrée, il héritera de tous les biens de l’oncle, pour lui avoir dédié, entre tant d’autres, une seule pensée
214 voir dédié, entre tant d’autres, une seule pensée d’ amour pur et gratuit. L’auteur du nouveau Testament n’en demande pas d
215 de pas davantage à l’homme pour le faire héritier de son royaume : il demande un instant de foi. Un instant d’abandon de s
216 e héritier de son royaume : il demande un instant de foi. Un instant d’abandon de soi-même, et d’amour désintéressé. Toute
217 oyaume : il demande un instant de foi. Un instant d’ abandon de soi-même, et d’amour désintéressé. Toute autre tentative po
218 l demande un instant de foi. Un instant d’abandon de soi-même, et d’amour désintéressé. Toute autre tentative pour mériter
219 tant de foi. Un instant d’abandon de soi-même, et d’ amour désintéressé. Toute autre tentative pour mériter la Vie et le Ro
220 clenche irrésistiblement le mécanisme du supplice de Tantale, c’est-à-dire qu’elle s’annule de soi-même. Si un homme croit
221 upplice de Tantale, c’est-à-dire qu’elle s’annule de soi-même. Si un homme croit pouvoir s’autoriser du mérite de ses œuvr
222 . Si un homme croit pouvoir s’autoriser du mérite de ses œuvres, il ne pleurera pas : car la vision de la proie qui s’appr
223 de ses œuvres, il ne pleurera pas : car la vision de la proie qui s’approche sera « bien trop réjouissante » pour son cœur
224 éloignera tout aussitôt, comme la branche chargée de fruits. Si un homme veut la Vie éternelle par seule crainte de mourir
225 un homme veut la Vie éternelle par seule crainte de mourir à cette vie temporelle, les eaux vives fuiront ses lèvres ; ca
226  ; car il faudrait, pour y être immergé, accepter de mourir d’abord à ses propres désirs et à soi-même. (Et c’est le symbo
227 t c’est le symbole du Baptême.) Telle est la ruse de l’Amour insondable. Admirons-en la précision miraculeuse ! Pour si pe
228 dmirons-en la précision miraculeuse ! Pour si peu d’ égoïsme qu’il subsiste dans l’acte de porter les lèvres ou la main ver
229 Pour si peu d’égoïsme qu’il subsiste dans l’acte de porter les lèvres ou la main vers cette eau, vers ces fruits offerts,
230 vers cette eau, vers ces fruits offerts, l’amour de soi domine encore le pur Amour, et le plaisir anticipé suffit encore
231 . 1. Dans les Flegeljahre. a. Rougemont Denis de , « Le supplice de Tantale », Fontaine, Paris, octobre 1946, p. 362-36
232 egeljahre. a. Rougemont Denis de, « Le supplice de Tantale », Fontaine, Paris, octobre 1946, p. 362-367.
3 1946, Articles divers (1946-1948). Genève, rose des vents de l’esprit (19 décembre 1946)
233 Genève, rose des vents de l’esprit (19 décembre 1946)c Pendant deux semaines viennent d’avoi
234 décembre 1946)c Pendant deux semaines viennent d’ avoir lieu à Genève, comme on sait, des « Rencontres internationales »
235 Rencontres internationales » placées sous l’égide de L’Esprit européen. On y a entendu des conférences et des discussions,
236 es et des discussions, des concerts, des récitals de poèmes, et assisté à des spectacles lyriques, dramatiques et cinémato
237 ux en ont abondamment parlé, ce qui nous dispense d’ y revenir en détail. Mais nous avons tenu à recueillir les impressions
238 Mais nous avons tenu à recueillir les impressions de M. Denis de Rougemont, l’un de nos plus brillants essayistes, dont la
239 ir les impressions de M. Denis de Rougemont, l’un de nos plus brillants essayistes, dont la conférence, en l’aula de l’Uni
240 illants essayistes, dont la conférence, en l’aula de l’Université, a obtenu le plus grand succès, comme celle, par ailleur
241 ssion, nous confie Denis de Rougemont. La liberté d’ opposition est typiquement européenne. Même sans en tirer de conclusio
242 on est typiquement européenne. Même sans en tirer de conclusion, sans trouver une solution. L’Européen veut prendre consci
243 n ?… L’Américain, lui, c’est ce qui le distingue de l’Européen, court à la conclusion. Il veut une solution pratique, aut
244 ble. Mais il est capable, après une conversation, de changer d’opinion. Pas l’Européen. L’Européen se retranche dans ses c
245 l est capable, après une conversation, de changer d’ opinion. Pas l’Européen. L’Européen se retranche dans ses convictions
246 s comme lui. Des entretiens, tels qu’ils viennent d’ avoir lieu à Genève, eussent été un four aux États-Unis. En Russie, il
247 ie. Je lui dirai : « Vous accusez les démocraties d’ être purement formelles, de n’être pas complètement réalisées ; vous p
248 ccusez les démocraties d’être purement formelles, de n’être pas complètement réalisées ; vous prétendez, vous, Russie, êtr
249 tre une démocratie réelle. Et vous avez des camps de concentration, et vous interdisez aux poètes de s’exprimer librement,
250 s de concentration, et vous interdisez aux poètes de s’exprimer librement, et vous n’avez pas la liberté de la presse, et
251 exprimer librement, et vous n’avez pas la liberté de la presse, et vous repoussez l’existentialisme qui pose des questions
252 ot. Votre démocratie est plus formelle que celles de nous tous. Nous, nous acceptons de n’être pas complètement démocratis
253 lle que celles de nous tous. Nous, nous acceptons de n’être pas complètement démocratisés ; vous, vous ne l’acceptez pas.
254 mocratisés ; vous, vous ne l’acceptez pas. À vous de faire le premier pas. Ouvrez vos frontières. Vous pouvez venir chez n
255 s espérons parvenir lors des prochains entretiens de Genève. À condition que nous ayons plus de contacts personnels entre
256 etiens de Genève. À condition que nous ayons plus de contacts personnels entre représentants des différents pays. » … Note
257 re Denis de Rougemont, que je passe pour un homme de gauche dans les partis de droite et pour un homme de droite dans les
258 je passe pour un homme de gauche dans les partis de droite et pour un homme de droite dans les partis de gauche. Je ne su
259 gauche dans les partis de droite et pour un homme de droite dans les partis de gauche. Je ne suis jamais pour ou contre un
260 droite et pour un homme de droite dans les partis de gauche. Je ne suis jamais pour ou contre un parti. Je suis contre le
261 ocratie réelle, qui est le fédéralisme. Un régime de tyrannie n’aboutit jamais à la liberté. On le voit, M. Denis de Rouge
262 emont nous prouve que l’esprit européen s’inspire d’ une grande liberté et d’une parfaite franchise de paroles. Sinon, ce n
263 esprit européen s’inspire d’une grande liberté et d’ une parfaite franchise de paroles. Sinon, ce ne serait plus l’esprit e
264 d’une grande liberté et d’une parfaite franchise de paroles. Sinon, ce ne serait plus l’esprit européen, où la France don
265 la France donne le ton, la France qui est un pays de dialogue, comme aime à répéter André Gide. Quand cesse le dialogue, c
266 éloge enthousiaste tous les participants ont fait de Genève et de la Suisse. Les Français, notamment, sont venus avec une
267 iaste tous les participants ont fait de Genève et de la Suisse. Les Français, notamment, sont venus avec une grande curios
268 venus avec une grande curiosité et un grand désir de tirer quelque chose de positif des entretiens de Genève. Il faut que
269 uriosité et un grand désir de tirer quelque chose de positif des entretiens de Genève. Il faut que Genève devienne une sor
270 de tirer quelque chose de positif des entretiens de Genève. Il faut que Genève devienne une sorte de Salzbourg intellectu
271 de Genève. Il faut que Genève devienne une sorte de Salzbourg intellectuel, ajoute notre interlocuteur. Tout le monde ins
272 y parle sans mandat, pas au nom d’un peuple, mais d’ un réel esprit européen. Nous ne sommes pas une nation, nous sommes un
273 onc bien préparés et prédisposés pour une mission de ce genre. Denis de Rougemont souhaite encore que l’an prochain on inv
274 ouhaite encore que l’on organise à Genève un Café de Flore de l’Esprit européen, ou chacun se rencontrera librement, en de
275 icialité. Excellente idée. Genève, rose des vents de l’esprit, continuera ainsi à jouer son rôle de cité internationale, à
276 ts de l’esprit, continuera ainsi à jouer son rôle de cité internationale, à condition, bien entendu, que l’esprit puisse y
277 ffler librement où il veut. c. Rougemont Denis de , « [Entretien] Genève, rose des vents de l’esprit », L’Illustré, Laus
278 nt Denis de, « [Entretien] Genève, rose des vents de l’esprit », L’Illustré, Lausanne, 19 décembre 1946, p. 31-32.
4 1947, Articles divers (1946-1948). Préface à Le Cœur est un chasseur solitaire de Carson McCullers (1947)
279 Préface à Le Cœur est un chasseur solitaire de Carson McCullers (1947)k Je ne connais dans tout New York qu’une s
280 is dans tout New York qu’une seule vraie terrasse de café, celle du Brevoort, au bas de la Cinquième Avenue. C’est là que
281 ’est là que Dos Passos situe plusieurs des scènes de ses romans, et c’est là qu’il y a bien six ans j’ai connu Carson McCu
282 ans j’ai connu Carson McCullers. Elle avait l’air d’ une toute jeune fille montée en graine, avec ses petits bas rouges au-
283 dans la ville. Je la félicitai sur le beau titre de son premier roman qui venait de paraître — écrit entre 19 et 22 ans —
284 rd je la revis à Brooklyn, dans une sombre maison de quatre étages où m’avait amené Golo, le plus jeune fils de Thomas Man
285 étages où m’avait amené Golo, le plus jeune fils de Thomas Mann. Un mélange improbable de Kafka, d’Enfants terribles et d
286 jeune fils de Thomas Mann. Un mélange improbable de Kafka, d’Enfants terribles et de style vieux New York en définissait
287 s de Thomas Mann. Un mélange improbable de Kafka, d’ Enfants terribles et de style vieux New York en définissait l’atmosphè
288 lange improbable de Kafka, d’Enfants terribles et de style vieux New York en définissait l’atmosphère. On écrivait, on com
289 rtes, et l’on se réunissait pour les repas autour d’ une très longue table que servaient deux ou trois énormes négresses. W
290 is, rédacteur du Harper’s Bazaar, tenait son rôle de propriétaire. Benjamin Britten et Paul Bowles représentaient la jeune
291 titre étaient des « creative people », parlaient de Kierkegaard, de Jung, de ballet, de sculpture précolombienne. Je croi
292 es « creative people », parlaient de Kierkegaard, de Jung, de ballet, de sculpture précolombienne. Je crois bien que toute
293 tive people », parlaient de Kierkegaard, de Jung, de ballet, de sculpture précolombienne. Je crois bien que toute la jeune
294  », parlaient de Kierkegaard, de Jung, de ballet, de sculpture précolombienne. Je crois bien que toute la jeune littératur
295 horégraphie américaines ont traversé cette maison de Brooklyn, seul centre de pensée et d’art que j’aie trouvé dans une gr
296 nt traversé cette maison de Brooklyn, seul centre de pensée et d’art que j’aie trouvé dans une grande ville de ce pays. Et
297 ette maison de Brooklyn, seul centre de pensée et d’ art que j’aie trouvé dans une grande ville de ce pays. Et puis leur no
298 e et d’art que j’aie trouvé dans une grande ville de ce pays. Et puis leur nomadisme habituel les a repris. Un an plus tar
299 un train venant du Sud, en route pour une maison de vacances d’écrivains, tout au Nord, près de Saratoga. Elle me tend de
300 nant du Sud, en route pour une maison de vacances d’ écrivains, tout au Nord, près de Saratoga. Elle me tend de ses mains t
301 ins, tout au Nord, près de Saratoga. Elle me tend de ses mains tremblantes une petite coupure de journal : son mari, le li
302 tend de ses mains tremblantes une petite coupure de journal : son mari, le lieutenant McCullers, est signalé comme le pre
303 i fut le premier à saluer son talent — la reprise de l’émigration traditionnelle des écrivains américains vers le Vieux Mo
304 être que les jeunes Américains sont moins anxieux de renouveler ou d’assouplir leurs procédés que de se créer un ordre int
305 es Américains sont moins anxieux de renouveler ou d’ assouplir leurs procédés que de se créer un ordre intime et d’approche
306 x de renouveler ou d’assouplir leurs procédés que de se créer un ordre intime et d’approcher par des moyens plus déliés ce
307 leurs procédés que de se créer un ordre intime et d’ approcher par des moyens plus déliés ce monde dont leurs aînés décriva
308 t leurs aînés décrivaient le chaos avec une sorte de brutalité qui en était le reflet plus que l’explication. Mais cette r
309 nt, se rapprochent et se manquent dans une espèce de tâtonnement aventureux qui est le mouvement même de la vie intérieure
310 tâtonnement aventureux qui est le mouvement même de la vie intérieure en quête d’explications, de rythmes, de certitudes
311 t le mouvement même de la vie intérieure en quête d’ explications, de rythmes, de certitudes à embrasser. Comme cette Mick,
312 ême de la vie intérieure en quête d’explications, de rythmes, de certitudes à embrasser. Comme cette Mick, jeune fille pau
313 e intérieure en quête d’explications, de rythmes, de certitudes à embrasser. Comme cette Mick, jeune fille pauvre de 15 an
314 à embrasser. Comme cette Mick, jeune fille pauvre de 15 ans, qui cherche la musique dans sa petite ville, et repère une à
315 une cour obscure et elle écoute. Puis elle essaie de composer elle-même. Elle appelle sa première sonate : Cette chose que
316 je ne sais pas quoi. Je pense qu’on est en droit de parler ici d’une « expérience romanesque », comme nous parlons depuis
317 quoi. Je pense qu’on est en droit de parler ici d’ une « expérience romanesque », comme nous parlons depuis vingt ans d’u
318 romanesque », comme nous parlons depuis vingt ans d’ une « expérience poétique ». L’exemple des dialogues peut le faire sen
319 s dialogues peut le faire sentir. Les personnages d’ un romancier français, quand ils discutent des idées, me paraissent êt
320 r nous inciter à mépriser l’erreur ou la bassesse d’ une classe qu’ils représentent, d’une tendance ou d’un vice dont ils s
321 ou la bassesse d’une classe qu’ils représentent, d’ une tendance ou d’un vice dont ils sont les supports. Leurs dialogues
322 une classe qu’ils représentent, d’une tendance ou d’ un vice dont ils sont les supports. Leurs dialogues sont de courts ess
323 dont ils sont les supports. Leurs dialogues sont de courts essais qui nous conduisent par un léger détour aux conclusions
324 . C’est pourquoi l’on citera souvent telle phrase d’ un héros de Malraux comme si elle exprimait la pensée de Malraux, au l
325 rquoi l’on citera souvent telle phrase d’un héros de Malraux comme si elle exprimait la pensée de Malraux, au lieu de n’êt
326 éros de Malraux comme si elle exprimait la pensée de Malraux, au lieu de n’être qu’un accord isolé de la partition. Chez l
327 de Malraux, au lieu de n’être qu’un accord isolé de la partition. Chez les jeunes écrivains américains, chez Carson McCul
328 gne et un docteur nègre (p. 307 et 308) sont ceux de Jake et du Dr Copeland, et leur maladresse pathétique éveille en moi
329 ⁂ Je me suis demandé souvent : quel est le sujet de ce roman ? Point d’intrigue, et pourtant une construction serrée, com
330 é souvent : quel est le sujet de ce roman ? Point d’ intrigue, et pourtant une construction serrée, comme celle d’un motet
331 et pourtant une construction serrée, comme celle d’ un motet à cinq voix qui se signalent et se posent une à une, se cherc
332 se perdent inexorablement dans la rumeur informe de la vie quotidienne. Une longue suite d’incidents sourdement émouvants
333 r informe de la vie quotidienne. Une longue suite d’ incidents sourdement émouvants, avec quelques éclats de beauté insolit
334 idents sourdement émouvants, avec quelques éclats de beauté insolite (comme la promenade de Baby) qui finissent tous dans
335 ues éclats de beauté insolite (comme la promenade de Baby) qui finissent tous dans un geste mortel, coupant, atroce. Est-c
336 e que l’âge adulte ? (Les scènes et les dialogues d’ enfants sont d’une justesse rarement atteinte, même chez les romancier
337 lte ? (Les scènes et les dialogues d’enfants sont d’ une justesse rarement atteinte, même chez les romanciers anglais.) Ou
338 e le problème noir ? Ou simplement la description d’ une petite ville pauvre du Sud ? Ou bien toutes ces choses à la fois ?
339 al, ni sexy, ni religieux, ni relatif à la guerre de Sécession, ni susceptible de fournir un scénario, ni indiscret, ni mê
340 relatif à la guerre de Sécession, ni susceptible de fournir un scénario, ni indiscret, ni même documentaire, ait eu tant
341 it eu tant de succès en Amérique ? Je ne vois pas de réponse satisfaisante à ma deuxième question : le fait est là. Pour l
342 que j’aurais dû trouver une clé dans cette lettre d’ un sourd-muet à son ami devenu fou, qu’on va lire aux pages 219-220 :
343 ourriture ou le sommeil ou le vin ou la compagnie d’ un ami. C’est la raison pour laquelle ils sont toujours si occupés. »
344 rement, à Paris, je disais à Carson, avec la ruse d’ un interviewer : — Il n’y a pas d’histoires d’amour, dans ce roman. El
345 n, avec la ruse d’un interviewer : — Il n’y a pas d’ histoires d’amour, dans ce roman. Elle me regarde étonnée, presque ind
346 use d’un interviewer : — Il n’y a pas d’histoires d’ amour, dans ce roman. Elle me regarde étonnée, presque indignée : — Il
347 New York, le 15 avril 1947. k. Rougemont Denis de , McCullers Carson, « [Préface] Carson McCullers, Le Cœur est un chass
5 1947, Articles divers (1946-1948). La lutte des classes (1947)
348 ins suisses, bien qu’ils vous conduisent en moins d’ une heure d’un monde à l’autre — de Neuchâtel à Berne par exemple — ne
349 bien qu’ils vous conduisent en moins d’une heure d’ un monde à l’autre — de Neuchâtel à Berne par exemple — ne servent cep
350 isent en moins d’une heure d’un monde à l’autre — de Neuchâtel à Berne par exemple — ne servent cependant qu’aux petits dé
351 ée ne s’établit jamais cette monotonie des heures de plaine et d’océan de nuit où rien ne bouge. Comme il n’y a pas de pla
352 it jamais cette monotonie des heures de plaine et d’ océan de nuit où rien ne bouge. Comme il n’y a pas de place en Suisse
353 s cette monotonie des heures de plaine et d’océan de nuit où rien ne bouge. Comme il n’y a pas de place en Suisse pour un
354 céan de nuit où rien ne bouge. Comme il n’y a pas de place en Suisse pour un véritable voyage, on s’en tire en coupant le
355 on s’en tire en coupant le milieu, ce remplissage de kilomètres, ces deux mesures de musique russe indéfiniment répétées,
356 u, ce remplissage de kilomètres, ces deux mesures de musique russe indéfiniment répétées, pour ne garder que le meilleur,
357 nt les extrêmes les plus touchants du souvenir et de l’espoir, quand les portes du cœur, un instant, sont à la fois ouvert
358 s romantiques contraints par les dimensions mêmes de l’État au classicisme véritable, celui qui exprime le tout en disant
359 prime le tout en disant le moins, et qui témoigne de l’inspiration par le signal d’un raccourci métaphorique. J’idéalise,
360 s, et qui témoigne de l’inspiration par le signal d’ un raccourci métaphorique. J’idéalise, mais pourquoi pas ? S’il me fal
361 t décrire nos petits déplacements du point de vue de l’usager moyen, je dirais que je les trouve divisés en trois classes,
362 rouve divisés en trois classes, pour la commodité de l’exposé. De mon temps, les gens bien voyageaient en troisième, les g
363 en trois classes, pour la commodité de l’exposé. De mon temps, les gens bien voyageaient en troisième, les gens chic parf
364 ne savais rien des premières sinon qu’un morceau de dentelle ornait le haut de leurs sièges de velours rouge, pour quelqu
365 es sinon qu’un morceau de dentelle ornait le haut de leurs sièges de velours rouge, pour quelque usage ignoré du commun. P
366 orceau de dentelle ornait le haut de leurs sièges de velours rouge, pour quelque usage ignoré du commun. Presque toujours
367 ens bien, gracieusement mêlés au peuple souverain de la région, dans cette égalité scolaire que créent en Suisse les bancs
368 e égalité scolaire que créent en Suisse les bancs de bois peints en faux bois jaune clair. On s’attendait à être interrogé
369 l’instituteur et le gendarme, un personnage vêtu d’ un sévère uniforme au col bordé de perles blanches mordant sur l’encol
370 personnage vêtu d’un sévère uniforme au col bordé de perles blanches mordant sur l’encolure bien rasée entrait, claquait l
371 t annonçait avec une emphatique autorité des noms de villages que tout le monde connaissait, mais cela faisait partie du j
372 leurs sans angoisse, en ce temps-là. On était sûr de son affaire, on était parfaitement « en règle », il fallait simplemen
373 e, voire prévenante, qui fait la force principale de notre régime fédéral. Revenant en Suisse après sept ans d’absence, l’
374 régime fédéral. Revenant en Suisse après sept ans d’ absence, l’été dernier, et plus que jamais frappé par ce trait nationa
375 toires du monde ont une fin — la faiblesse fatale de notre État : cette habitude de nous sentir en règle, donc de nous cro
376 a faiblesse fatale de notre État : cette habitude de nous sentir en règle, donc de nous croire protégés par toutes les loi
377 at : cette habitude de nous sentir en règle, donc de nous croire protégés par toutes les lois divines et humaines, comme s
378 manité où nous plongeons se conformait aux règles de la bonne conduite. » L’aspect d’un wagon suisse de IIIe classe, tant
379 rmait aux règles de la bonne conduite. » L’aspect d’ un wagon suisse de IIIe classe, tant il respire naturellement l’honnêt
380 e la bonne conduite. » L’aspect d’un wagon suisse de IIIe classe, tant il respire naturellement l’honnêteté, tendrait à no
381 tion, la décence et la sécurité des citoyens sont de purs et simples miracles ; que le monde est une jungle atomique, l’hu
382 rresponsable et affamée ; et notre âme un cloaque de crimes potentiels, comme l’ont dit Freud, Shakespeare et les Pères de
383 t le normal qui est exceptionnel, ce sont les cas d’ ordre, de paix et de raison qui doivent nous étonner quand ils paraiss
384 al qui est exceptionnel, ce sont les cas d’ordre, de paix et de raison qui doivent nous étonner quand ils paraissent, phén
385 exceptionnel, ce sont les cas d’ordre, de paix et de raison qui doivent nous étonner quand ils paraissent, phénomènes haut
386 lieu de nous rebattre les oreilles du train-train de nos corruptions. Donc les Suisses que je vois en IIIe classe offrent
387 uisses que je vois en IIIe classe offrent l’image de l’homme sûr de son monde. D’où vient alors cette espèce de malaise qu
388 ois en IIIe classe offrent l’image de l’homme sûr de son monde. D’où vient alors cette espèce de malaise qu’éprouvent les
389 asse offrent l’image de l’homme sûr de son monde. D’ où vient alors cette espèce de malaise qu’éprouvent les étrangers sens
390 e sûr de son monde. D’où vient alors cette espèce de malaise qu’éprouvent les étrangers sensibles lorsqu’ils prennent plac
391 nnent place dans nos trains locaux ? L’expérience de la vie new-yorkaise, où personne ne vous voit jamais, se propose par
392 en somme, inconsciemment, comme si notre système de sécurité devait être à chaque instant vérifié, mis au point, méticule
393 méticuleusement nettoyé des moindres suggestions de bizarrerie ou de virtuelle indiscipline que peuvent représenter une c
394 nettoyé des moindres suggestions de bizarrerie ou de virtuelle indiscipline que peuvent représenter une cravate insolente,
395 tion sévère du regard suisse me surprend à chacun de mes retours. Comment décrire et comment justifier l’espèce particuliè
396 écrire et comment justifier l’espèce particulière d’ irritation que provoquent ces regards apparemment timides, vaguement b
397 ement ne se détournent qu’avec cet air exaspérant de celui qui renonce à comprendre… Ah ! mais il faut y être pour sentir
398 naisé près de la porte du balcon dans une chambre d’ hôtel des bords du lac Léman : Afin d’éviter tout bruit inutile, la d
399 : Afin d’éviter tout bruit inutile, la direction de l’hôtel prie sa clientèle de ne pas donner à manger aux mouettes. C’
400 nutile, la direction de l’hôtel prie sa clientèle de ne pas donner à manger aux mouettes. C’était l’été des expériences d
401 nger aux mouettes. C’était l’été des expériences de Bikini. Dans les secondes règne la gravité du commerce et de l’indust
402 Dans les secondes règne la gravité du commerce et de l’industrie. L’authentique usager de cette classe n’est pas curieux,
403 commerce et de l’industrie. L’authentique usager de cette classe n’est pas curieux, comme les gens des troisièmes, des me
404 e vagabonde pas, reste enfermée dans sa serviette de cuir. Rien d’étonnant si le contrôleur distingue à première vue les r
405 s, reste enfermée dans sa serviette de cuir. Rien d’ étonnant si le contrôleur distingue à première vue les resquilleurs, c
406 s jeunes gens excités qui prétendent ne pas payer de supplément parce qu’il n’y avait plus de place dans les troisièmes :
407 as payer de supplément parce qu’il n’y avait plus de place dans les troisièmes : ils ont l’air trop contents d’être là, on
408 dans les troisièmes : ils ont l’air trop contents d’ être là, on les refoule. J’ai cru remarquer à ce propos que le peuple
409 s aux moues insolentes, vêtues comme des réclames de magazines, discutent avec un accent révoltant le prix de leurs nylons
410 zines, discutent avec un accent révoltant le prix de leurs nylons ou de cette « Cadillac » promise, affirment-elles, par l
411 ec un accent révoltant le prix de leurs nylons ou de cette « Cadillac » promise, affirment-elles, par le jeune mâle placid
412 les troisièmes. Mais il faut traverser un couloir de premières. Et je m’arrête, fasciné. Un vieux monsieur en noir, au col
413 n’existait pas, ils vont plus loin. Confirmation de la sentence ésotérique : l’œil qui ne voit pas n’est pas vu. Les pass
414 l’œil qui ne voit pas n’est pas vu. Les passagers de première classe, en Suisse, je les nomme les imperméables. Ils traver
415 t transparents s’ils vont très vite ? On ne cesse de voir le paysage au travers.) Ils appartiennent au vaste monde dont je
416 s secondes entre les deux ! j. Rougemont Denis de , « La lutte des classes », CFF. Pour un anniversaire (1847-1947), Lau
6 1947, Articles divers (1946-1948). Les maladies de l’Europe (1947)
417 Les maladies de l’Europe (1947)g On m’a prié de vous parler ce soir d’une Europe à
418 Les maladies de l’Europe (1947)g On m’a prié de vous parler ce soir d’une Europe à laquelle je reviens après six ans
419 ope (1947)g On m’a prié de vous parler ce soir d’ une Europe à laquelle je reviens après six ans d’absence, et certains
420 d’une Europe à laquelle je reviens après six ans d’ absence, et certains événements. L’émotion de pareils revoirs rend sou
421 ans d’absence, et certains événements. L’émotion de pareils revoirs rend souvent malaisé l’échange de la parole, mais don
422 de pareils revoirs rend souvent malaisé l’échange de la parole, mais donne aussi parfois, au tout premier regard, une luci
423 n peu. Eh bien ! tu n’as pas trop changé ! » Mais d’ un coup d’œil, vous avez lu toute son histoire. Ainsi j’ai retrouvé l’
424 sont tes soucis ? » Et puis, après ce petit tour d’ horizon, on s’arrête et l’on demande d’un autre ton : « Et maintenant,
425 petit tour d’horizon, on s’arrête et l’on demande d’ un autre ton : « Et maintenant, quels sont tes projets ? » Je ne saura
426 ts ? » Je ne saurais échapper ce soir à l’emprise de ce rituel des retours et de l’amitié, le moins variable et le plus na
427 r ce soir à l’emprise de ce rituel des retours et de l’amitié, le moins variable et le plus naturel. Je vais donc regarder
428 Je vais donc regarder notre Europe et j’éviterai de faire du sentiment puisque aussi bien tout se passe en public, puis j
429 si bien tout se passe en public, puis j’essaierai de mesurer sa situation nouvelle dans le monde. Enfin, j’ai hâte de lui
430 ituation nouvelle dans le monde. Enfin, j’ai hâte de lui demander : « Et maintenant, qu’allons-nous faire ensemble ? » ⁂ L
431 ller tous ses traits, on en reçoit une impression d’ ensemble que je traduirai par ces mots : on dirait, à la voir, qu’elle
432 s dans la lutte, ils ont marqué leurs adversaires d’ une empreinte qui vaut une victoire. C’était fatal ! Imaginez deux hom
433 ui croit que les bonnes manières viendront à bout de tout. Mais, si la brute se jette soudain sur lui, dans le corps à cor
434 e relève : il se trouve que c’est notre gentleman de tout à l’heure, mais le voilà méconnaissable, le visage tuméfié, les
435 é. La brute a donc imposé son point de vue. Ainsi d’ Hitler et de l’Europe démocratique. Ce ne sont pas seulement les ruine
436 a donc imposé son point de vue. Ainsi d’Hitler et de l’Europe démocratique. Ce ne sont pas seulement les ruines et les dés
437 par le judéo-christianisme, par la notion grecque d’ individu, par le droit romain, par le culte de la vérité objective, et
438 que d’individu, par le droit romain, par le culte de la vérité objective, et malgré le nationalisme. Hitler représentait e
439 t, et point par point, le refus et la destruction de tous ces éléments — l’anti-Europe. Qu’était-il en effet pour ceux qui
440 et policière, la négation du droit et des droits de la personne, une conception de l’homme réduit au partisan, une techni
441 roit et des droits de la personne, une conception de l’homme réduit au partisan, une technique du mensonge et de la délati
442 réduit au partisan, une technique du mensonge et de la délation, les élites asservies à la louange du chef, la politisati
443 vies à la louange du chef, la politisation totale de l’existence. Hitler battu, son corps brûlé dans le pétrole, que reste
444 ourd’hui chez nous et dans nos mœurs — avec moins de virulence, peut-être, c’est-à-dire d’une manière moins avouée, non mo
445 avec moins de virulence, peut-être, c’est-à-dire d’ une manière moins avouée, non moins dangereuse. La guerre n’a pas arrê
446 La guerre n’a pas arrêté, loin de là, les progrès de la déchristianisation de l’Europe. Commencée parmi les élites, au xvi
447 loin de là, les progrès de la déchristianisation de l’Europe. Commencée parmi les élites, au xviiie siècle, avec l’attaq
448 des rationalistes, poursuivie par les polémiques de Feuerbach, d’Engels puis de Nietzsche, pratiquement appuyée dans le m
449 stes, poursuivie par les polémiques de Feuerbach, d’ Engels puis de Nietzsche, pratiquement appuyée dans le même temps et d
450 ie par les polémiques de Feuerbach, d’Engels puis de Nietzsche, pratiquement appuyée dans le même temps et dans des masses
451 ns notre siècle à l’action politique au lendemain de la révolution russe, puis sous le régime hitlérien, elle se révèle en
452 considérer comme liquidée, au sens le plus récent de ce terme, l’illusion d’une chrétienté identifiable au concept de l’Eu
453 e, au sens le plus récent de ce terme, l’illusion d’ une chrétienté identifiable au concept de l’Europe, Die Christenheit o
454 illusion d’une chrétienté identifiable au concept de l’Europe, Die Christenheit oder Europa, selon le titre du fameux essa
455 nheit oder Europa, selon le titre du fameux essai de Novalis. Les masses comme les élites échappent aux Églises. Elles ne
456 staurée par l’inquisition policière, la dictature d’ étiquette populaire, les liquidations collectives calculées sur la bas
457 es liquidations collectives calculées sur la base de statistiques d’État. Cependant, à peine libérées des dogmes religieux
458 collectives calculées sur la base de statistiques d’ État. Cependant, à peine libérées des dogmes religieux, ces masses et
459 asses et ces élites n’ont rien de plus pressé que de s’asservir aux dogmes d’un parti. Tout ce qu’a perdu la religion, c’e
460 rien de plus pressé que de s’asservir aux dogmes d’ un parti. Tout ce qu’a perdu la religion, c’est la politique qui le ga
461 ! Insistons fortement sur ce trait : le fanatisme d’ aujourd’hui n’est plus religieux, mais politique. L’idée que « la fin
462 niste, mais fasciste. L’hypocrisie aussi a changé de camp. Tartuffe n’est plus dévot comme jadis, il n’est plus même de dr
463 n’est plus dévot comme jadis, il n’est plus même de droite comme hier, il est de gauche, ou « dans la ligne », il se rang
464 , il n’est plus même de droite comme hier, il est de gauche, ou « dans la ligne », il se range au nouveau conformisme. Dan
465 ouveau conformisme. Dans telles grandes capitales d’ Europe, on voit des écrivains et des savants donner des gages d’appare
466 oit des écrivains et des savants donner des gages d’ apparente loyauté au parti le plus menaçant, comme autrefois Descartes
467 er la voix, partout l’on vous chuchote un conseil de prudence. Certes, le conformisme en soi n’est pas nouveau, même chez
468 chez les intellectuels. Ce qui est nouveau, c’est de le voir pratiqué précisément par ceux de l’avant-garde ou qui se donn
469 u, c’est de le voir pratiqué précisément par ceux de l’avant-garde ou qui se donnent pour tels en politique. Ce qui est no
470 pour tels en politique. Ce qui est nouveau, c’est de le voir défendu par ceux-là mêmes dont la fonction serait de l’attaqu
471 défendu par ceux-là mêmes dont la fonction serait de l’attaquer, d’où qu’il vienne. Mais ces lâchetés intellectuelles se p
472 x-là mêmes dont la fonction serait de l’attaquer, d’ où qu’il vienne. Mais ces lâchetés intellectuelles se parent des noms
473 s ces lâchetés intellectuelles se parent des noms d’ amour du peuple, de discipline révolutionnaire, d’antifascisme, en sor
474 llectuelles se parent des noms d’amour du peuple, de discipline révolutionnaire, d’antifascisme, en sorte qu’à les dénonce
475 d’amour du peuple, de discipline révolutionnaire, d’ antifascisme, en sorte qu’à les dénoncer, au seul nom de la bonne foi
476 fascisme, en sorte qu’à les dénoncer, au seul nom de la bonne foi ou de la véracité, on prend l’air d’attaquer la cause de
477 qu’à les dénoncer, au seul nom de la bonne foi ou de la véracité, on prend l’air d’attaquer la cause des prolétaires, et t
478 de la bonne foi ou de la véracité, on prend l’air d’ attaquer la cause des prolétaires, et tout essai de critique libre se
479 ’attaquer la cause des prolétaires, et tout essai de critique libre se voit taxer de réaction. Cette mauvaise foi brutale
480 es, et tout essai de critique libre se voit taxer de réaction. Cette mauvaise foi brutale en service commandé est un nouve
481 brutale en service commandé est un nouveau succès de l’esprit totalitaire qui n’a eu qu’à changer d’étiquette pour occuper
482 s de l’esprit totalitaire qui n’a eu qu’à changer d’ étiquette pour occuper, sans coup férir, d’importantes sections de nos
483 hanger d’étiquette pour occuper, sans coup férir, d’ importantes sections de nos élites. D’autres symptômes d’un mal profon
484 occuper, sans coup férir, d’importantes sections de nos élites. D’autres symptômes d’un mal profond, dont l’hitlérisme fu
485 tantes sections de nos élites. D’autres symptômes d’ un mal profond, dont l’hitlérisme fut la première crise ou le premier
486 lérisme fut la première crise ou le premier abcès de fixation, se révèlent à l’observateur de l’Europe d’après-guerre. J’e
487 er abcès de fixation, se révèlent à l’observateur de l’Europe d’après-guerre. J’en mentionnerai quelques-uns rapidement. L
488 fixation, se révèlent à l’observateur de l’Europe d’ après-guerre. J’en mentionnerai quelques-uns rapidement. La Résistance
489 ment. La Résistance européenne, admirable sursaut d’ une liberté blessée qui se défendait, mais aussi d’un espoir exigeant
490 ’une liberté blessée qui se défendait, mais aussi d’ un espoir exigeant qui attaquait, est en train d’avorter sous nos yeux
491 re ; la dénonciation partisane, non pas le régime d’ union sacrée. Autant de succès remportés par l’esprit du vaincu sur ce
492 rtisane, non pas le régime d’union sacrée. Autant de succès remportés par l’esprit du vaincu sur celui des vainqueurs. L’a
493 Tout se passe comme si l’écrasement du foyer même de ce mal infernal n’avait eu pour effet que d’en faire rejaillir de tou
494 même de ce mal infernal n’avait eu pour effet que d’ en faire rejaillir de tous côtés les étincelles. Le nationalisme fait
495 al n’avait eu pour effet que d’en faire rejaillir de tous côtés les étincelles. Le nationalisme fait rage, cette maladie r
496 nationalisme fait rage, cette maladie romantique de l’Europe. Lui seul, sous le couvert de je ne sais quels prétextes par
497 romantique de l’Europe. Lui seul, sous le couvert de je ne sais quels prétextes parés du nom de tradition, en réalité vill
498 ouvert de je ne sais quels prétextes parés du nom de tradition, en réalité villageois et naïvement machiavéliques, entreti
499 parmi nous la méfiance, des rancunes séculaires, d’ absurdes vanités locales, maintient encore des barrières de visas, d’e
500 s vanités locales, maintient encore des barrières de visas, d’exorbitants tarifs douaniers, des censures plus ou moins avo
501 locales, maintient encore des barrières de visas, d’ exorbitants tarifs douaniers, des censures plus ou moins avouées, et d
502 douaniers, des censures plus ou moins avouées, et de ruineux budgets de défense nationale. Un pays qui ne peut pas vêtir s
503 ures plus ou moins avouées, et de ruineux budgets de défense nationale. Un pays qui ne peut pas vêtir ses déportés trouve
504 eut pas vêtir ses déportés trouve encore le moyen de faire des uniformes et discute la couleur des parements, cependant qu
505 , vient de changer en une seconde la couleur même de l’océan. Et non seulement l’idée d’une guerre prochaine, mais l’idée
506 couleur même de l’océan. Et non seulement l’idée d’ une guerre prochaine, mais l’idée d’une révolution à main armée se voi
507 lement l’idée d’une guerre prochaine, mais l’idée d’ une révolution à main armée se voit acceptée comme fatale, se voit nou
508 ée se voit acceptée comme fatale, se voit nourrie de nos passivités. Voilà ce qu’on nous prépare à droite comme à gauche,
509 u nom d’une confusion contre une autre confusion, d’ une superstition contre un mythe, de quelques scélérats déclarés infai
510 re confusion, d’une superstition contre un mythe, de quelques scélérats déclarés infaillibles contre un groupe d’autres sc
511 contre un groupe d’autres scélérats qui se disent de bonne volonté ! Pendant ce temps que font les élites ? J’entends les
512 es ? J’entends les hommes dont la fonction serait de dénoncer ces maux, d’en rechercher les causes, et d’en inventer les r
513 mes dont la fonction serait de dénoncer ces maux, d’ en rechercher les causes, et d’en inventer les remèdes ? Leur voix ne
514 dénoncer ces maux, d’en rechercher les causes, et d’ en inventer les remèdes ? Leur voix ne porte guère, tant qu’elle n’emp
515 s, c’est aussi n’être plus entendu, car il s’agit de s’adapter, de se « mettre au pas » spontanément, au point que rien ne
516 n’être plus entendu, car il s’agit de s’adapter, de se « mettre au pas » spontanément, au point que rien ne passe plus de
517 s » spontanément, au point que rien ne passe plus de ce qu’on avait à dire. Devant cette impuissance pratique à inscrire l
518 à inscrire leurs pensées dans des actes, beaucoup d’ intellectuels s’inscrivent dans un parti et c’est là ce qu’ils appelle
519 fait, pour la plupart d’entre eux, une démission de la pensée, un alibi. Pour qu’une pensée soit efficace et douée d’une
520 alibi. Pour qu’une pensée soit efficace et douée d’ une vertu agissante, il ne suffit pas que le penseur s’achète une étiq
521 Et cependant, s’il se tient seul dans l’intégrité de l’esprit, il fera figure de déserteur… Ainsi privés de guides spiritu
522 seul dans l’intégrité de l’esprit, il fera figure de déserteur… Ainsi privés de guides spirituels, les jeunes gens qui ne
523 esprit, il fera figure de déserteur… Ainsi privés de guides spirituels, les jeunes gens qui ne se contentent pas de cultiv
524 rituels, les jeunes gens qui ne se contentent pas de cultiver le sens de l’absurde cherchent des chefs qui leur commandent
525 gens qui ne se contentent pas de cultiver le sens de l’absurde cherchent des chefs qui leur commandent d’agir et de réussi
526 l’absurde cherchent des chefs qui leur commandent d’ agir et de réussir n’importe quoi. Le « Führerprinzip » n’est pas mort
527 cherchent des chefs qui leur commandent d’agir et de réussir n’importe quoi. Le « Führerprinzip » n’est pas mort avec celu
528 alitaire marque des points. Tous ces maux et tant d’ impuissance à y parer n’ont pas manqué de provoquer dans les élites de
529 et tant d’impuissance à y parer n’ont pas manqué de provoquer dans les élites demeurées libérales une crise de pessimisme
530 uer dans les élites demeurées libérales une crise de pessimisme et de mauvaise conscience. Il semble que l’idée de décaden
531 es demeurées libérales une crise de pessimisme et de mauvaise conscience. Il semble que l’idée de décadence, acclimatée av
532 e et de mauvaise conscience. Il semble que l’idée de décadence, acclimatée avant la guerre par des penseurs aussi divers q
533 généralement substituée dans nos esprits à l’idée de progrès automatique. Née d’analyses et de pressentiments de nos défai
534 nos esprits à l’idée de progrès automatique. Née d’ analyses et de pressentiments de nos défaillances internes, elle se vo
535 l’idée de progrès automatique. Née d’analyses et de pressentiments de nos défaillances internes, elle se voit confirmée e
536 automatique. Née d’analyses et de pressentiments de nos défaillances internes, elle se voit confirmée et comme objectivée
537 irmée et comme objectivée par la rapide élévation de deux empires extraeuropéens. Ce sont eux qui ont gagné la guerre, et
538 a foi au progrès. Et nous restons avec l’héritage d’ une défaite, notre conscience inquiète et fatiguée, notre scepticisme
539 scepticisme lucide… ⁂ Il se peut que le portrait de l’Europe que je viens d’esquisser devant vous pèche par excès de pess
540 se peut que le portrait de l’Europe que je viens d’ esquisser devant vous pèche par excès de pessimisme, et que plusieurs
541 je viens d’esquisser devant vous pèche par excès de pessimisme, et que plusieurs des rides que j’ai cru distinguer sur le
542 le visage spirituel du continent — je ne dis rien de son visage physique — ne trahissent qu’une fatigue temporaire. Je n’i
543 s des êtres que l’on aime, il arrive qu’on manque d’ indulgence… Faisons la part de ces travers ou de ces exagérations. Il
544 arrive qu’on manque d’indulgence… Faisons la part de ces travers ou de ces exagérations. Il reste cependant un fait qui ne
545 e d’indulgence… Faisons la part de ces travers ou de ces exagérations. Il reste cependant un fait qui ne dépend à aucun de
546 ste cependant un fait qui ne dépend à aucun degré de nos estimations ou jugements subjectifs : c’est que la situation de l
547 ou jugements subjectifs : c’est que la situation de l’Europe dans le monde s’est modifiée, qu’elle s’est même totalement
548 s’est même totalement renversée depuis l’automne de 1939. Avant cette guerre, le nom d’Europe évoquait un foyer intense d
549 uis l’automne de 1939. Avant cette guerre, le nom d’ Europe évoquait un foyer intense dont le rayonnement s’élargissait sur
550 e nous semblait donc plus grande qu’elle n’était. D’ où l’effet de choc que produisit dans nos esprits, au lendemain de l’a
551 it donc plus grande qu’elle n’était. D’où l’effet de choc que produisit dans nos esprits, au lendemain de l’autre guerre,
552 choc que produisit dans nos esprits, au lendemain de l’autre guerre, la phrase fameuse de Valéry sur l’Europe « petit cap
553 au lendemain de l’autre guerre, la phrase fameuse de Valéry sur l’Europe « petit cap de l’Asie ». Aujourd’hui l’Europe vue
554 « petit cap de l’Asie ». Aujourd’hui l’Europe vue d’ Amérique, et j’imagine aussi vue de Russie, paraît plus petite que nat
555 i l’Europe vue d’Amérique, et j’imagine aussi vue de Russie, paraît plus petite que nature : physiquement resserrée entre
556 s dont les ombres immenses s’affrontent au-dessus d’ elle, rongée et ruinée sur ses bords, moralement refermée sur elle-mêm
557 plus. Nous voyons l’Europe comme vidée, au profit de ces deux empires, de certaines ambitions, de certains rêves et de cer
558 urope comme vidée, au profit de ces deux empires, de certaines ambitions, de certains rêves et de certaines croyances appa
559 ofit de ces deux empires, de certaines ambitions, de certains rêves et de certaines croyances apparus sur son sol, et qui
560 res, de certaines ambitions, de certains rêves et de certaines croyances apparus sur son sol, et qui semblaient parfois dé
561 a Russie. C’est une notion qui s’étiole chez nous d’ autant plus vite qu’elle grandit mieux ailleurs, chez les voisins où e
562 us qu’ils nous semblent en faire nous dégoûtaient de son usage normal. Ainsi de bien d’autres notions ou de bien d’autres
563 faire nous dégoûtaient de son usage normal. Ainsi de bien d’autres notions ou de bien d’autres mythes engendrés par nos œu
564 n usage normal. Ainsi de bien d’autres notions ou de bien d’autres mythes engendrés par nos œuvres. Ainsi de nos technique
565 n d’autres mythes engendrés par nos œuvres. Ainsi de nos techniques industrielles, de nos machines, et de nos armes. Penda
566 os œuvres. Ainsi de nos techniques industrielles, de nos machines, et de nos armes. Pendant des siècles d’expansion irrési
567 nos techniques industrielles, de nos machines, et de nos armes. Pendant des siècles d’expansion irrésistible, impérialiste
568 os machines, et de nos armes. Pendant des siècles d’ expansion irrésistible, impérialiste ou généreuse, l’Europe a diffusé
569 ses découvertes et ses utopies, les secrets mêmes de sa puissance, et les germes de ses maladies. Et tout cela sur des ter
570 les secrets mêmes de sa puissance, et les germes de ses maladies. Et tout cela sur des terres plus fertiles, ou peut-être
571 nt. Ces notions et ces mythes qui nous reviennent d’ outre-Atlantique ou d’outre-Oder, nous refusons d’y reconnaître nos en
572 mythes qui nous reviennent d’outre-Atlantique ou d’ outre-Oder, nous refusons d’y reconnaître nos enfants. Leur exil en a
573 d’outre-Atlantique ou d’outre-Oder, nous refusons d’ y reconnaître nos enfants. Leur exil en a fait des monstres à nos yeux
574 tique, qui ont fait fortune en Amérique, venaient d’ Europe ; comme en venaient le matérialisme dialectique, la technique r
575 lectique, la technique révolutionnaire, et l’idée d’ une justice sociale établie par la force aux dépens de la coutume, qui
576 dans l’empire des Soviets. Comme aussi le respect de la science appliquée qui régit dans ces deux pays l’éducation de l’en
577 ppliquée qui régit dans ces deux pays l’éducation de l’enfant et l’eugénique, l’alimentation, le logement, et jusqu’à la m
578 squ’à la morale, autrefois religieuse. Tout vient d’ Europe, tout cela fut nôtre à l’origine. Mais alors, comment et pourqu
579 leur plein succès ? Et comment et pourquoi, hors d’ Europe, ont-elles subi cette croissance gigantesque ? Pourquoi n’ont-e
580 u’en Europe, elles se trouvaient toujours en état de composition, tandis qu’ailleurs, pour le bien et le mal, elles se son
581 alisme, par les guerres, et par tous les barrages de douanes ou de coutumes que l’Amérique ne connaît pas. Et de même le p
582 s guerres, et par tous les barrages de douanes ou de coutumes que l’Amérique ne connaît pas. Et de même le progrès social
583 ocial s’est vu bridé et contrarié par la tyrannie de l’argent, dont la Russie nouvelle s’est libérée. Mais en même temps,
584 , soit au nom d’utopies plus virulentes. Cet état de complexité, d’intrications et de contradictions, définit l’équilibre
585 ’utopies plus virulentes. Cet état de complexité, d’ intrications et de contradictions, définit l’équilibre humain qu’on no
586 lentes. Cet état de complexité, d’intrications et de contradictions, définit l’équilibre humain qu’on nomme Europe. Il con
587 fois aussi qu’il trahit, la conception européenne de l’homme. Toute la question est de savoir si nous saurons maintenir ce
588 tion européenne de l’homme. Toute la question est de savoir si nous saurons maintenir cet équilibre malgré l’attraction fo
589 nt leurs succès littéralement démesurés. Essayons d’ évaluer nos chances, dans l’état de résistance morale diminuée où vien
590 urés. Essayons d’évaluer nos chances, dans l’état de résistance morale diminuée où vient de nous laisser la guerre d’Hitle
591 orale diminuée où vient de nous laisser la guerre d’ Hitler. Ces chances paraissent très faibles en vérité. L’Europe a domi
592 des grandes découvertes, par ses armes et son art de la guerre mis au service tantôt de la rapacité de telle nation ou de
593 mes et son art de la guerre mis au service tantôt de la rapacité de telle nation ou de tel prince, tantôt d’idéaux contagi
594 de la guerre mis au service tantôt de la rapacité de telle nation ou de tel prince, tantôt d’idéaux contagieux ; enfin par
595 service tantôt de la rapacité de telle nation ou de tel prince, tantôt d’idéaux contagieux ; enfin par ses machines et pa
596 rapacité de telle nation ou de tel prince, tantôt d’ idéaux contagieux ; enfin par ses machines et par ses capitaux. Mais
597 armes, le grand commerce et jusqu’à la curiosité de la planète ! Tout cela dans l’espace de trente ans, et sans retour po
598 curiosité de la planète ! Tout cela dans l’espace de trente ans, et sans retour possible, à vues humaines. Que nous reste-
599 -t-il donc en propre ? Un monopole unique : celui de la culture au sens le plus large du terme, c’est-à-dire : une mesure
600 le plus large du terme, c’est-à-dire : une mesure de l’homme, un principe de critique permanente, un certain équilibre hum
601 c’est-à-dire : une mesure de l’homme, un principe de critique permanente, un certain équilibre humain résultant de tension
602 permanente, un certain équilibre humain résultant de tensions innombrables. Cela, on nous le laisse encore, et à vrai dire
603 c’est aussi le plus difficile à maintenir en état d’ efficacité. Or, il s’en faut de beaucoup que les Européens soient unan
604 maintenir en état d’efficacité. Or, il s’en faut de beaucoup que les Européens soient unanimes à tenir activement le part
605 péens soient unanimes à tenir activement le parti de cette Europe, de ses complexités vitales, de sa culture. Une analyse
606 imes à tenir activement le parti de cette Europe, de ses complexités vitales, de sa culture. Une analyse sociologique asse
607 arti de cette Europe, de ses complexités vitales, de sa culture. Une analyse sociologique assez grossière suffit à révéler
608 suffit à révéler dans tout le continent une sorte de clivage et un double tropisme. Les masses industrielles, dans leur pa
609 e, regardent vers la Russie, et les grands hommes d’ affaires regardent vers l’Amérique. À tort ou à raison — je n’en juge
610 eux que leur nation ce qu’ils attendent eux-mêmes de la vie. Ainsi, ce ne sont pas seulement les idéaux de progrès collect
611 a vie. Ainsi, ce ne sont pas seulement les idéaux de progrès collectiviste ou de progrès capitaliste qui ont quitté notre
612 seulement les idéaux de progrès collectiviste ou de progrès capitaliste qui ont quitté notre continent, mais à leur suite
613 é. La bourgeoisie, dans son ensemble, se contente d’ un double refus de la Russie et de l’Amérique, se résigne à la décaden
614 dans son ensemble, se contente d’un double refus de la Russie et de l’Amérique, se résigne à la décadence, ou la déplore
615 le, se contente d’un double refus de la Russie et de l’Amérique, se résigne à la décadence, ou la déplore mais sans faire
616 igadés d’une part, les provinciaux et campagnards de l’autre. C’est-à-dire les esprits les plus libérés, et les plus attac
617 cée entre deux grands empires, dépossédée par eux de presque tous ses monopoles et moyens de puissance, vidée de rêves et
618 e par eux de presque tous ses monopoles et moyens de puissance, vidée de rêves et divisée non seulement par l’esprit de fa
619 tous ses monopoles et moyens de puissance, vidée de rêves et divisée non seulement par l’esprit de faction, mais parce qu
620 ée de rêves et divisée non seulement par l’esprit de faction, mais parce que beaucoup de ses habitants espèrent ailleurs,
621 rès faibles dans l’ensemble, malgré les illusions de santé et de durée que peuvent entretenir encore dans nos vies certain
622 dans l’ensemble, malgré les illusions de santé et de durée que peuvent entretenir encore dans nos vies certains îlots d’in
623 nt entretenir encore dans nos vies certains îlots d’ inconscience routinière, et l’image rassurante de deux ou trois pays,
624 d’inconscience routinière, et l’image rassurante de deux ou trois pays, petits pays épargnés par la guerre. Voici le mome
625 tits pays épargnés par la guerre. Voici le moment de nous demander très sérieusement si, dans cette conjoncture plus que d
626 ncture plus que défavorable, il est bien légitime de s’obstiner, de parler d’une défense de l’Europe, de nous cramponner à
627 défavorable, il est bien légitime de s’obstiner, de parler d’une défense de l’Europe, de nous cramponner à ses restes, et
628 le, il est bien légitime de s’obstiner, de parler d’ une défense de l’Europe, de nous cramponner à ses restes, et même d’ap
629 s’obstiner, de parler d’une défense de l’Europe, de nous cramponner à ses restes, et même d’appeler à son secours des for
630 ’Europe, de nous cramponner à ses restes, et même d’ appeler à son secours des forces jeunes. Posons-nous donc sans nul cyn
631 t-elles justifiables ? Ou bien ne sont-elles rien de mieux que les sentiments égoïstes d’un vieux propriétaire dépossédé q
632 t-elles rien de mieux que les sentiments égoïstes d’ un vieux propriétaire dépossédé qui pleure et rage sur la perte d’un d
633 iétaire dépossédé qui pleure et rage sur la perte d’ un domaine, alors que ce domaine menace ruine par sa faute, et que les
634 re ? Que valent nos craintes ? Qu’avons-nous peur de perdre en vérité ? Cette même question, je sais plusieurs Européens q
635 it-ce pas ce « Kinderland » qu’appelait Nietzsche de ses vœux ? Ce n’est pas assez de donner des ancêtres à ses enfants ;
636 pelait Nietzsche de ses vœux ? Ce n’est pas assez de donner des ancêtres à ses enfants ; ils ont besoin d’un avenir aussi.
637 onner des ancêtres à ses enfants ; ils ont besoin d’ un avenir aussi. Et de quel droit sacrifierais-je leurs espoirs à mes
638 es enfants ; ils ont besoin d’un avenir aussi. Et de quel droit sacrifierais-je leurs espoirs à mes souvenirs ? En défenda
639 souvenirs ? En défendant l’Europe, il s’agit donc de savoir si nous défendons plus et mieux que de belles ruines, des préj
640 onc de savoir si nous défendons plus et mieux que de belles ruines, des préjugés sociaux, et des habitudes de culture péri
641 es ruines, des préjugés sociaux, et des habitudes de culture périmées, ou peut-être perverses, comme le pensent et le dise
642 nos voisins. Je songe à ces enfants, et j’essaie de mêler à la vision de leur avenir la vision d’une Europe réduite à l’é
643 e à ces enfants, et j’essaie de mêler à la vision de leur avenir la vision d’une Europe réduite à l’état de musée plus ou
644 aie de mêler à la vision de leur avenir la vision d’ une Europe réduite à l’état de musée plus ou moins bien tenu, ou au co
645 ur avenir la vision d’une Europe réduite à l’état de musée plus ou moins bien tenu, ou au contraire la vision d’une Europe
646 lus ou moins bien tenu, ou au contraire la vision d’ une Europe qui aurait cédé aux tentations d’un bonheur étranger à son
647 ision d’une Europe qui aurait cédé aux tentations d’ un bonheur étranger à son génie, une Europe américanisée — ce serait p
648 démissionnaire, colonisée, c’est un certain sens de la vie, une certaine conscience de l’humain, oui, l’âme d’une civilis
649 n certain sens de la vie, une certaine conscience de l’humain, oui, l’âme d’une civilisation qui serait perdue, perdue pou
650 , une certaine conscience de l’humain, oui, l’âme d’ une civilisation qui serait perdue, perdue pour tous et non seulement
651 ’il nous faut défendre l’Europe, mais au seul nom de l’humanité la plus consciente et la plus créatrice de l’homme. On con
652 ’humanité la plus consciente et la plus créatrice de l’homme. On contestait l’autre jour, ici même, l’existence d’un espri
653 On contestait l’autre jour, ici même, l’existence d’ un esprit européen, et c’était un appel, nous l’avions tous compris. C
654 s regardons l’Europe dans le monde, ce changement de point de vue va nous faire voir une très solide réalité spirituelle.
655 ’est surtout parce qu’elle n’avait pas l’occasion de se comparer, de s’opposer et de se définir ; elle était seule et rein
656 ce qu’elle n’avait pas l’occasion de se comparer, de s’opposer et de se définir ; elle était seule et reine de la planète.
657 it pas l’occasion de se comparer, de s’opposer et de se définir ; elle était seule et reine de la planète. Mais en 1946, e
658 oser et de se définir ; elle était seule et reine de la planète. Mais en 1946, elle se voit affrontée à deux empires. Du m
659 son unité et la définit par contraste comme celle d’ une conception de l’homme. Esquissons cette comparaison entre l’Europe
660 éfinit par contraste comme celle d’une conception de l’homme. Esquissons cette comparaison entre l’Europe et les nouveaux
661 ettres et presque les mêmes : US d’une part, URSS de l’autre. Nous distinguerons d’abord deux conceptions divergentes et p
662 conceptions divergentes et peut-être antagonistes de la nature ou de la condition de l’homme. À l’origine de la religion,
663 rgentes et peut-être antagonistes de la nature ou de la condition de l’homme. À l’origine de la religion, de la culture et
664 être antagonistes de la nature ou de la condition de l’homme. À l’origine de la religion, de la culture et de la morale eu
665 nature ou de la condition de l’homme. À l’origine de la religion, de la culture et de la morale européennes, il y a l’idée
666 condition de l’homme. À l’origine de la religion, de la culture et de la morale européennes, il y a l’idée de la contradic
667 mme. À l’origine de la religion, de la culture et de la morale européennes, il y a l’idée de la contradiction, du déchirem
668 ulture et de la morale européennes, il y a l’idée de la contradiction, du déchirement fécond, du conflit créateur. Il y a
669 ment fécond, du conflit créateur. Il y a ce signe de contradiction par excellence qui est la croix. Au contraire, à l’orig
670 ’origine des deux empires nouveaux, il y a l’idée de l’unification de l’homme lui-même, de l’élimination des antithèses, e
671 empires nouveaux, il y a l’idée de l’unification de l’homme lui-même, de l’élimination des antithèses, et du triomphe de
672 y a l’idée de l’unification de l’homme lui-même, de l’élimination des antithèses, et du triomphe de l’organisation bien h
673 , de l’élimination des antithèses, et du triomphe de l’organisation bien huilée, sans histoire, et sans drame. Il s’ensuit
674 e qui atteint, dramatiquement, le plus haut point de conscience et de signification : le saint, le mystique, le martyr. Ta
675 amatiquement, le plus haut point de conscience et de signification : le saint, le mystique, le martyr. Tandis que le héros
676 plus haut exemple ; pour eux, c’est l’exemplaire de série. Ces deux sens du mot « exemplaire » nous livrent le secret de
677 sens du mot « exemplaire » nous livrent le secret de l’opposition que je voudrais vous faire sentir. Pour eux la vie se ré
678 uction et consommation. Tout leur effort est donc de les équilibrer, de les faire jouer sans à-coup ; et le produit de cet
679 ion. Tout leur effort est donc de les équilibrer, de les faire jouer sans à-coup ; et le produit de cet équilibre sera le
680 r, de les faire jouer sans à-coup ; et le produit de cet équilibre sera le bonheur inévitable, obligatoire. Pour nous, la
681 névitable, obligatoire. Pour nous, la vie résulte d’ un conflit permanent, et son but n’est pas le bonheur, mais la conscie
682 eur, mais la conscience plus aiguë, la découverte d’ un sens, d’une signification, fût-ce dans le malheur de la passion, fû
683 a conscience plus aiguë, la découverte d’un sens, d’ une signification, fût-ce dans le malheur de la passion, fût-ce dans l
684 sens, d’une signification, fût-ce dans le malheur de la passion, fût-ce dans l’échec. Ils visent à l’inconscience heureuse
685 e quel prix. Ils veulent la vie, nous des raisons de vivre, même mortelles. Voilà pourquoi l’Européen typique sera tantôt
686 naît donc la valeur essentielle des antagonismes, de l’opposition créatrice, tandis que l’Américain et le Russe soviétique
687 in et le Russe soviétique considèrent l’existence de l’opposition comme l’indice d’un mauvais fonctionnement, qu’il faut é
688 dèrent l’existence de l’opposition comme l’indice d’ un mauvais fonctionnement, qu’il faut éliminer doucement ou brutalemen
689 ndront par la publicité, le cinéma, la production de série, et les autres par des moyens un peu moins souples, comme on sa
690 en plus. Pour illustrer le contraste que je viens d’ esquisser d’une manière un peu trop schématique et abstraite entre l’E
691 r illustrer le contraste que je viens d’esquisser d’ une manière un peu trop schématique et abstraite entre l’Européen, d’u
692 ropéen, d’une part, l’Américain et le Soviétique, de l’autre, je n’ai pas à chercher bien loin. Je prendrai simplement l’e
693 rcher bien loin. Je prendrai simplement l’exemple de l’entreprise qui nous rassemble ici. En Amérique, je pense que ces re
694 four, ou un flop, comme ils disent. La diversité de nos points de vue inquiéterait l’auditeur plus qu’elle ne l’intéresse
695 où nous cherchons avant tout un approfondissement de la conscience. En Russie, je ne crois pas être injuste en affirmant q
696 icain et le Russe n’aient quelques bonnes raisons de se comporter ainsi, je dis seulement que leurs raisons ne sont pas ce
697 is seulement que leurs raisons ne sont pas celles de la culture ; que la culture suppose la libre discussion, en vue d’un
698 ue la culture suppose la libre discussion, en vue d’ un engagement plus authentique au service d’une plus large vérité ; qu
699 n vue d’un engagement plus authentique au service d’ une plus large vérité ; que telle est bien la vocation de l’Europe, et
700 lus large vérité ; que telle est bien la vocation de l’Europe, et que l’Europe existe au plus haut point comme entité spir
701 ans notre rencontre. Ainsi donc, la confrontation de l’Europe et de ces deux filles parfois ingrates du plus grand Occiden
702 ntre. Ainsi donc, la confrontation de l’Europe et de ces deux filles parfois ingrates du plus grand Occident nous suggère
703 s du plus grand Occident nous suggère une formule de l’homme typiquement européen : c’est l’homme de la contradiction, l’h
704 e de l’homme typiquement européen : c’est l’homme de la contradiction, l’homme dialectique par excellence. Nous le voyons
705 ar l’homme européen en tant que tel n’accepte pas d’ être réduit à l’un ou à l’autre de ces termes. Mais il entend les assu
706 liférer ailleurs. D’autre part, elle a pour effet de concentrer sur l’homme lui-même, créateur ou victime de ces tensions,
707 centrer sur l’homme lui-même, créateur ou victime de ces tensions, l’effort principal de l’esprit. Européenne sera donc, t
708 ur ou victime de ces tensions, l’effort principal de l’esprit. Européenne sera donc, typiquement, la volonté de rapporter
709 it. Européenne sera donc, typiquement, la volonté de rapporter à l’homme, de mesurer à l’homme toutes les institutions. Ce
710 , typiquement, la volonté de rapporter à l’homme, de mesurer à l’homme toutes les institutions. Cet homme de la contradict
711 urer à l’homme toutes les institutions. Cet homme de la contradiction (s’il la domine en création) c’est celui que j’appel
712 sonne. Et ces institutions à sa mesure, à hauteur d’ homme, traduisant dans la vie de la culture, comme dans les structures
713 mesure, à hauteur d’homme, traduisant dans la vie de la culture, comme dans les structures politiques, les mêmes tensions
714 essieurs, s’ouvre béante devant moi, la tentation de me lancer dans une série de définitions philosophiques de ces deux te
715 ant moi, la tentation de me lancer dans une série de définitions philosophiques de ces deux termes : la personne et le féd
716 ncer dans une série de définitions philosophiques de ces deux termes : la personne et le fédéralisme. Cette manière d’appa
717 es : la personne et le fédéralisme. Cette manière d’ apparence rigoureuse s’autoriserait trop facilement d’une certaine tra
718 parence rigoureuse s’autoriserait trop facilement d’ une certaine tradition européenne, non la meilleure. Je préfère emprun
719 tiques leur sens aigu des implications politiques de toute pensée, même gratuite d’apparence. Demandons-nous ce que nous a
720 cations politiques de toute pensée, même gratuite d’ apparence. Demandons-nous ce que nous avons à faire pour maintenir et
721 r maintenir et pour illustrer les valeurs propres de l’Europe. Ce sera peut-être un bon moyen de les définir dans l’actuel
722 opres de l’Europe. Ce sera peut-être un bon moyen de les définir dans l’actuel. Sauver l’Europe — c’est simple à dire vrai
723 Et c’est aussi rendre inutiles les mitraillettes de la révolution et les fusillades massives. (Je ne dis pas — notez-le b
724 constate nécessaires, mais au contraire les faire d’ une manière non sanglante, car l’Europe ne peut pas s’offrir des destr
725 que certains vont me dire : que je fais là le jeu de la réaction, selon l’expression consacrée, — mais c’est faux ! C’est
726 e commandé, dont j’ai déjà parlé, qui fait le jeu de la réaction en écœurant par sa tactique ceux qui se dévouent à la cau
727 t par sa tactique ceux qui se dévouent à la cause de la justice économique. Empêcher les guerres à tout prix… Or, les guer
728 la charge des élites lorsque celles-ci négligent de l’exercer. Les guerres ni les révolutions ne sont jamais initiées ni
729 les n’ont cerveau ni main, ni, par suite, faculté de décision. C’est donc sur les élites qu’il importe d’agir. Ce sont ell
730 décision. C’est donc sur les élites qu’il importe d’ agir. Ce sont elles que l’on peut utilement éveiller à la claire consc
731 des guerres civiles et nationales, et des moyens d’ y remédier. Or ces causes, nous allons les retrouver, précisément, dan
732 te dont on vient de voir qu’elle est la condition de l’homme européen, la source vive de sa grandeur et de sa spiritualité
733 la condition de l’homme européen, la source vive de sa grandeur et de sa spiritualité. Voilà le drame. La personne, en ef
734 ’homme européen, la source vive de sa grandeur et de sa spiritualité. Voilà le drame. La personne, en effet, c’est en chac
735 le drame. La personne, en effet, c’est en chacun de nous le conflit permanent entre la liberté et la vocation d’une part,
736 uand l’homme se considère seulement sous l’aspect de ses libertés, ou de ses droits individuels, comme le firent les requi
737 idère seulement sous l’aspect de ses libertés, ou de ses droits individuels, comme le firent les requins capitalistes du d
738 à provoquer une réaction collectiviste. À l’excès de liberté chez les individus, répond mécaniquement un excès d’étatisme.
739 chez les individus, répond mécaniquement un excès d’ étatisme. Qui veut faire l’ange, ou le démon, fait la bête et voici qu
740 on l’enferme aujourd’hui dans la cage du parti ou de l’État. À vrai dire, il ne l’a pas volé. Le bon moyen d’éviter ces ex
741 at. À vrai dire, il ne l’a pas volé. Le bon moyen d’ éviter ces excès d’engagement dans le Parti, d’oppression par l’État,
742 ne l’a pas volé. Le bon moyen d’éviter ces excès d’ engagement dans le Parti, d’oppression par l’État, ce n’est pas du tou
743 en d’éviter ces excès d’engagement dans le Parti, d’ oppression par l’État, ce n’est pas du tout de prêcher ce qu’on appell
744 ti, d’oppression par l’État, ce n’est pas du tout de prêcher ce qu’on appelle un « individualisme impénitent ». C’est au c
745 ent ». C’est au contraire, au nom de la personne, de prêcher l’engagement personnel, libre, efficace et constamment critiq
746 ui oppose ici, ce n’est nullement l’excès inverse de l’anarchie et du capitalisme libéral, mais bien cette morale civique,
747 ous nous demandons, en effet, quels sont les pays de l’Europe qui « marchent le mieux », nous constatons que ce sont sans
748 tés par le collectivisme autoritaire. Sur le plan de la personne, et du civisme donc, la déviation vers l’anarchie d’une p
749 ctatures. Or il n’en va pas autrement sur le plan de la communauté et de la politique des nations. Ici, l’équilibre vivant
750 va pas autrement sur le plan de la communauté et de la politique des nations. Ici, l’équilibre vivant doit s’établir entr
751 entations opposées, et par suite les mêmes causes de guerre, dès que l’un des éléments en équilibre faiblit, ou se voit éc
752 se voit écrasé et absorbé par l’autre. La volonté d’ unification nationale à la manière d’un Louis XIV, plus tard à la mani
753 locaux dont on exige le suicide. C’est la volonté d’ unifier qui provoque leur refus de s’unir, c’est elle qui excite en eu
754 ’est la volonté d’unifier qui provoque leur refus de s’unir, c’est elle qui excite en eux la volonté morbide de s’enfermer
755 , c’est elle qui excite en eux la volonté morbide de s’enfermer dans leur différence essentielle. Cet impérialisme intérie
756 elle. Cet impérialisme intérieur ne manque jamais de s’exalter à son tour en impérialisme tout court. Un gouvernement tota
757 nale en passant. La volonté qui possède Bonaparte d’ unifier l’Europe au mépris des diversités nationales provoquera, sous
758 a naissance des nationalismes. Telle est la cause de presque toutes nos guerres. J’ai dit, et je ne le répéterai jamais as
759 cellence. Je compare le nationalisme à une espèce de court-circuit dans la tension normale qu’il s’agit de maintenir entre
760 ourt-circuit dans la tension normale qu’il s’agit de maintenir entre le particulier et le général. D’une part, en effet, l
761 sme écrase les diversités vivantes, sous prétexte d’ unification, et alors on ne saurait plus parler d’union, puisqu’il n’y
762 d’unification, et alors on ne saurait plus parler d’ union, puisqu’il n’y a plus rien à unir. D’autre part, il déclare souv
763 tre part, il déclare souveraine la nation unifiée de la sorte, qui se conduit alors vis-à-vis de l’Europe comme un groupe
764 . Et justement parce qu’il respecte à l’intérieur d’ une nation la riche diversité des groupes, il est prêt à s’ouvrir à de
765 père, il fait tout pour les amorcer, par la vertu de l’exemple vécu. Telle est la santé de l’Europe, et telles sont ses de
766 ar la vertu de l’exemple vécu. Telle est la santé de l’Europe, et telles sont ses deux maladies, contradictoires en appare
767 toires en apparence, mais également provocatrices de guerre. Cette santé et ces maladies se définissent respectivement com
768 ies se définissent respectivement comme les états d’ équilibre ou de relâchement d’une seule et même tension fondamentale,
769 ent respectivement comme les états d’équilibre ou de relâchement d’une seule et même tension fondamentale, d’une condition
770 ent comme les états d’équilibre ou de relâchement d’ une seule et même tension fondamentale, d’une condition profondément e
771 chement d’une seule et même tension fondamentale, d’ une condition profondément et vitalement contradictoire de l’homme. Et
772 ndition profondément et vitalement contradictoire de l’homme. Et c’est pourquoi la vocation de l’Europe et des élites qui
773 ictoire de l’homme. Et c’est pourquoi la vocation de l’Europe et des élites qui portent la conscience de cette Europe, m’a
774 l’Europe et des élites qui portent la conscience de cette Europe, m’apparaît, dans un double office de vigilance et d’inv
775 e cette Europe, m’apparaît, dans un double office de vigilance et d’invention. Le trésor de l’Europe, c’est son idée de l’
776 m’apparaît, dans un double office de vigilance et d’ invention. Le trésor de l’Europe, c’est son idée de l’homme. Mais c’es
777 ble office de vigilance et d’invention. Le trésor de l’Europe, c’est son idée de l’homme. Mais c’est un trésor explosif, d
778 ’invention. Le trésor de l’Europe, c’est son idée de l’homme. Mais c’est un trésor explosif, d’où la nécessité d’une vigil
779 n idée de l’homme. Mais c’est un trésor explosif, d’ où la nécessité d’une vigilance ardente autour de cette notion central
780 Mais c’est un trésor explosif, d’où la nécessité d’ une vigilance ardente autour de cette notion centrale de la personne,
781 vigilance ardente autour de cette notion centrale de la personne, car ses déviations perpétuelles vers l’individu sans dev
782 rs le militant sans droits sont les vraies causes de nos malheurs sociaux. Et notre second office est l’invention de struc
783 s sociaux. Et notre second office est l’invention de structures politiques du type fédéraliste, seules créatrices de paix
784 politiques du type fédéraliste, seules créatrices de paix et seules capables de sauvegarder la liberté dans l’ordre. Après
785 ste, seules créatrices de paix et seules capables de sauvegarder la liberté dans l’ordre. Après tout, c’est l’Europe qui a
786 sécrété ce contagieux nationalisme, c’est à elle d’ inventer son antidote. Elle est seule en mesure de le faire à cause de
787 d’inventer son antidote. Elle est seule en mesure de le faire à cause de ses diversités ; et de le faire non seulement pou
788 mesure de le faire à cause de ses diversités ; et de le faire non seulement pour son salut, mais pour celui de la paix du
789 ire non seulement pour son salut, mais pour celui de la paix du monde entier. ⁂ Mesdames et Messieurs, si les descriptions
790 mes et Messieurs, si les descriptions pessimistes de l’Europe auxquelles je me suis livré en débutant sont exactes, il peu
791 tant sont exactes, il peut paraître assez étrange de parler après cela d’une vocation de l’Europe. Pour exercer une vocati
792 peut paraître assez étrange de parler après cela d’ une vocation de l’Europe. Pour exercer une vocation, il faut d’abord ê
793 assez étrange de parler après cela d’une vocation de l’Europe. Pour exercer une vocation, il faut d’abord être vivant, il
794 empires, minée par son propre génie et par l’abus de ses vertus bien plus encore que par ses vices, l’Europe a-t-elle des
795 que par ses vices, l’Europe a-t-elle des chances de vivre encore assez pour qu’il ne soit pas utopique d’envisager sa fon
796 ivre encore assez pour qu’il ne soit pas utopique d’ envisager sa fonction dans le monde, son avenir et le nôtre en elle ?
797 is qu’un être est maintenu en vie par la vie même de sa vocation, et qu’il tombe bientôt lorsqu’elle est accomplie. Or, no
798 , notre vocation européenne me paraît encore loin d’ être accomplie… Mais cette raison irrationnelle, de croire à nos chanc
799 ’être accomplie… Mais cette raison irrationnelle, de croire à nos chances de durée, ne peut ni ne doit vous suffire. J’en
800 tte raison irrationnelle, de croire à nos chances de durée, ne peut ni ne doit vous suffire. J’en indiquerai rapidement qu
801 , et surtout la Russie — ces deux grandes plaines d’ un seul tenant — peuvent se permettre d’expérimenter. Ma deuxième rais
802 s plaines d’un seul tenant — peuvent se permettre d’ expérimenter. Ma deuxième raison est d’ordre psychologique. Malgré tou
803 permettre d’expérimenter. Ma deuxième raison est d’ ordre psychologique. Malgré tout, je veux dire malgré la contagion des
804 iques totalitaires, qui affecte une certaine part de nos esprits, l’Europe garde encore l’apanage du scepticisme et de l’e
805 l’Europe garde encore l’apanage du scepticisme et de l’esprit critique. Les Églises, autrefois, les redoutaient ; je pense
806 ritique, ce scepticisme, s’applique aux mystiques de l’État et du Parti divinisé, aux idéaux purement profanes et séculier
807 t l’URSS et les US. Vis-à-vis de ces mystiques et de ces idéaux, c’est notre sens d’un absolu qui dépasse l’homme et son b
808 ces mystiques et de ces idéaux, c’est notre sens d’ un absolu qui dépasse l’homme et son bonheur, c’est notre sens du tran
809 ant, précisément, c’est notre foi, qui doit faire de nous des douteurs et des objecteurs de conscience. Cependant que notr
810 doit faire de nous des douteurs et des objecteurs de conscience. Cependant que notre sens de l’équilibre humain nous invit
811 bjecteurs de conscience. Cependant que notre sens de l’équilibre humain nous invite à remettre à leur place ces prétention
812 mporte quoi par 10 ou 100. Vous oubliez la mesure de l’homme. Si, par exemple, vous multipliez par 10 toutes les dimension
813 ple, vous multipliez par 10 toutes les dimensions d’ une maison, vous ne pourrez plus gravir les escaliers ni vous asseoir
814 sseoir dans les fauteuils… » Ma troisième raison d’ espérer, ce sont les crises qu’il faut prévoir dans les deux empires d
815 ndés sur une méconnaissance voulue, systématique, de la complexité de l’homme total. Ils ne sont que des expériences, et l
816 nnaissance voulue, systématique, de la complexité de l’homme total. Ils ne sont que des expériences, et le propre d’une ex
817 al. Ils ne sont que des expériences, et le propre d’ une expérience est de rater neuf fois sur dix. Je pense aux crises éco
818 es expériences, et le propre d’une expérience est de rater neuf fois sur dix. Je pense aux crises économiques qui menacent
819 miques qui menacent constamment l’Amérique. Celle de 1930 eut pour effet de la réveiller, de l’humaniser, et par là même d
820 stamment l’Amérique. Celle de 1930 eut pour effet de la réveiller, de l’humaniser, et par là même de la rapprocher de l’Eu
821 ue. Celle de 1930 eut pour effet de la réveiller, de l’humaniser, et par là même de la rapprocher de l’Europe. Je pense su
822 t de la réveiller, de l’humaniser, et par là même de la rapprocher de l’Europe. Je pense surtout à l’avenir de l’URSS. Que
823 , de l’humaniser, et par là même de la rapprocher de l’Europe. Je pense surtout à l’avenir de l’URSS. Que l’on soit sympat
824 pprocher de l’Europe. Je pense surtout à l’avenir de l’URSS. Que l’on soit sympathique ou non à l’expérience de dictature
825 . Que l’on soit sympathique ou non à l’expérience de dictature si brillamment conduite, jusqu’ici, par les hiérarques sovi
826 coup de réalités humaines, qui gênent l’exécution de leurs plans rationnels. Il faut bien constater que presque tout les g
827 et la presse les gênent, et les partis — surtout de gauche, et l’imprévu de l’invention dans les arts ou de la découverte
828 , et les partis — surtout de gauche, et l’imprévu de l’invention dans les arts ou de la découverte dans les sciences, et l
829 che, et l’imprévu de l’invention dans les arts ou de la découverte dans les sciences, et l’insouciance et l’inquiétude, et
830 ouciance et l’inquiétude, et l’humour et l’esprit de révolte, et le scepticisme rationnel autant que la foi religieuse — e
831 Europe, et c’est là sa grandeur, a justement vécu de toutes ces choses gênantes, elle s’arrange à merveille de leur comple
832 s ces choses gênantes, elle s’arrange à merveille de leur complexité ; elle y voit même la saveur de la vie ! Tout cela va
833 e de leur complexité ; elle y voit même la saveur de la vie ! Tout cela va compter — à la longue. Un beau jour, il n’est p
834 , viendront s’enquérir auprès de nous des secrets de notre désordre et de nos ordres — sinon eux du moins leurs enfants. U
835 r auprès de nous des secrets de notre désordre et de nos ordres — sinon eux du moins leurs enfants. Un dernier trait : l’E
836 surtout si on la compare aux deux empires séparés d’ elle, et que je nomme les deux empires sans précédent — l’Europe est l
837 x empires sans précédent — l’Europe est la patrie de la mémoire. Elle est même, pratiquement, la mémoire du monde, le lieu
838 nes. Voilà pourquoi l’Europe a toutes les chances de rester la patrie de l’invention — alors que les empires sans précéden
839 l’Europe a toutes les chances de rester la patrie de l’invention — alors que les empires sans précédent, sans tradition, s
840 avons depuis des siècles, ce qui nous permet donc d’ aller plus loin. Ainsi l’Europe construit des églises modernes, en ver
841 pe est la mémoire du monde qu’elle ne cessera pas d’ inventer. Elle restera le point de virulence extrême de la création sp
842 ne cessera pas d’inventer. Elle restera le point de virulence extrême de la création spirituelle, ce coin du monde où l’h
843 enter. Elle restera le point de virulence extrême de la création spirituelle, ce coin du monde où l’homme a su tirer de lu
844 irituelle, ce coin du monde où l’homme a su tirer de lui-même les utopies les plus transformatrices et les plus riches d’a
845 pies les plus transformatrices et les plus riches d’ avenir, pour tous les autres hommes de la planète. Mais, riches d’aven
846 plus riches d’avenir, pour tous les autres hommes de la planète. Mais, riches d’avenir… oui, s’il est un avenir, non seule
847 ous les autres hommes de la planète. Mais, riches d’ avenir… oui, s’il est un avenir, non seulement pour l’Europe, mais pou
848 lait tout de même que ce fût dit ici, la question de l’avenir du monde se résume dans ce simple dilemme : la Planète unie
849 pas, si la guerre atomique éclate, il n’y a plus de problème de l’Europe, et d’une façon plus générale, il n’y a peut-êtr
850 guerre atomique éclate, il n’y a plus de problème de l’Europe, et d’une façon plus générale, il n’y a peut-être plus de pr
851 éclate, il n’y a plus de problème de l’Europe, et d’ une façon plus générale, il n’y a peut-être plus de problème de l’ici-
852 ’une façon plus générale, il n’y a peut-être plus de problème de l’ici-bas, mais seulement du jugement dernier — et je n’e
853 lus générale, il n’y a peut-être plus de problème de l’ici-bas, mais seulement du jugement dernier — et je n’en dirai rien
854 une large mesure aussi, l’avenir du monde dépend de l’attitude de l’Europe, et de son pouvoir d’invention. Ici, point de
855 ure aussi, l’avenir du monde dépend de l’attitude de l’Europe, et de son pouvoir d’invention. Ici, point de malentendu ! N
856 nir du monde dépend de l’attitude de l’Europe, et de son pouvoir d’invention. Ici, point de malentendu ! Ne demandons pas
857 pend de l’attitude de l’Europe, et de son pouvoir d’ invention. Ici, point de malentendu ! Ne demandons pas l’instauration
858 Europe, et de son pouvoir d’invention. Ici, point de malentendu ! Ne demandons pas l’instauration d’une fédération europée
859 t de malentendu ! Ne demandons pas l’instauration d’ une fédération européenne pour que se crée un troisième bloc, un bloc-
860 frontières et visas, renoncent au dogme meurtrier de la souveraineté absolue, créant ainsi une attitude nouvelle, une conf
861 Ce qu’il nous faut demander et obtenir — obtenir de nous-mêmes tout d’abord — c’est que le génie de l’Europe découvre, et
862 r de nous-mêmes tout d’abord — c’est que le génie de l’Europe découvre, et qu’il propage, les antitoxines des virus dont i
863 virus dont il a infesté le monde entier. Il n’y a de fédération européenne imaginable qu’en vue d’une fédération mondiale.
864 y a de fédération européenne imaginable qu’en vue d’ une fédération mondiale. Il n’y a de paix et donc d’avenir imaginable
865 ble qu’en vue d’une fédération mondiale. Il n’y a de paix et donc d’avenir imaginable que dans l’effort pour instaurer un
866 une fédération mondiale. Il n’y a de paix et donc d’ avenir imaginable que dans l’effort pour instaurer un vrai gouvernemen
867 ent mondial. Et le monde, pour ce faire, a besoin de l’Europe, j’entends de son esprit critique autant que de son sens inv
868 e, pour ce faire, a besoin de l’Europe, j’entends de son esprit critique autant que de son sens inventif. La pensée du mon
869 rope, j’entends de son esprit critique autant que de son sens inventif. La pensée du monde, c’est l’Europe. Et s’il s’agit
870 du monde, c’est l’Europe. Et s’il s’agit vraiment de penser, que penser d’autre pour la paix, je vous le demande, qu’un id
871 pe. Et s’il s’agit vraiment de penser, que penser d’ autre pour la paix, je vous le demande, qu’un idéal fédératif mondial 
872 ? C’est pourquoi, sans reculer devant l’apparence d’ un calembour, mais qui formule non sans bonheur, je crois, l’attitude
873 ui formule non sans bonheur, je crois, l’attitude d’ engagement et de solidarité qui doit ici nous inspirer, je dirai, song
874 ans bonheur, je crois, l’attitude d’engagement et de solidarité qui doit ici nous inspirer, je dirai, songeant à l’Europe
875 Je pense, donc j’en suis ! g. Rougemont Denis de , « Les maladies de l’Europe », L’Esprit européen, Neuchâtel, Éditions
876 n suis ! g. Rougemont Denis de, « Les maladies de l’Europe », L’Esprit européen, Neuchâtel, Éditions de la Baconnière,
877 ’Europe », L’Esprit européen, Neuchâtel, Éditions de la Baconnière, 1947, p. 143-163.
7 1947, Articles divers (1946-1948). L’opportunité chrétienne (1947)
878 aller à les revendiquer injustement. Les docteurs de l’Église se défendaient contre les attaques successives du scepticism
879 contre les attaques successives du scepticisme né de la science cartésienne, de l’historisme, de la philologie, puis des s
880 ives du scepticisme né de la science cartésienne, de l’historisme, de la philologie, puis des systèmes sociologiques et ph
881 me né de la science cartésienne, de l’historisme, de la philologie, puis des systèmes sociologiques et philosophiques qui
882 otidienne, innombrable, et sans cesse accrue mais d’ une manière imperceptible, d’habitudes de pensée et de vie de moins en
883 ns cesse accrue mais d’une manière imperceptible, d’ habitudes de pensée et de vie de moins en moins conformes aux lois spi
884 rue mais d’une manière imperceptible, d’habitudes de pensée et de vie de moins en moins conformes aux lois spirituelles :
885 e manière imperceptible, d’habitudes de pensée et de vie de moins en moins conformes aux lois spirituelles : sans le savoi
886 re imperceptible, d’habitudes de pensée et de vie de moins en moins conformes aux lois spirituelles : sans le savoir, sans
887 é doucement persécutée. Cette persécution à coups d’ épingle, de demi-sourires et d’ironies intellectuelles basées sur « le
888 persécutée. Cette persécution à coups d’épingle, de demi-sourires et d’ironies intellectuelles basées sur « les derniers
889 ersécution à coups d’épingle, de demi-sourires et d’ ironies intellectuelles basées sur « les derniers progrès de la scienc
890 intellectuelles basées sur « les derniers progrès de la science », cette tolérance même qui se manifestait à l’égard des «
891 rd des « survivances religieuses », firent autant de mal aux Églises que les persécutions romaines aux premiers temps leur
892 érentes confessions. On reculait sous la pression de l’incroyance, on frisait la part du feu, on cédait les positions trop
893 mence flambante qui fut toujours signe et symbole de l’Esprit. Un fils soumis de Rome, le grand Paul Claudel, pouvait écri
894 ours signe et symbole de l’Esprit. Un fils soumis de Rome, le grand Paul Claudel, pouvait écrire vers la fin de cette péri
895 le grand Paul Claudel, pouvait écrire vers la fin de cette période qu’à la question : « Si le sel perd sa saveur, avec quo
896 minoritaire des chrétiens ; qu’il les a attaqués de front au nom des principes non chrétiens (comme le nationalisme) qu’i
897 chute ont été pour toutes les Églises une épreuve de force, un challenge, une purification, une occasion de réveil. C’est
898 rce, un challenge, une purification, une occasion de réveil. C’est un fait que la culture laïque, a-chrétienne ou antichré
899 démontré son impuis­sance réelle devant l’assaut de dictatures barbares : elle s’est reconnue impuissante à donner des bu
900 elle s’est reconnue impuissante à donner des buts de vie, des idéaux, une morale, plus efficace que le christianisme. C’es
901 ianisme. C’est un fait que « les derniers progrès de la Science » autorisent de moins en moins — et non de plus en plus, c
902 « les derniers progrès de la Science » autorisent de moins en moins — et non de plus en plus, comme au siècle passé — à me
903 a Création du monde par Dieu, sa Fin, l’existence de l’esprit, etc., paraît close pour longtemps. C’est enfin un fait que
904 nt retrouvé depuis une ou deux décades le courage de réaffirmer leurs positions parfois les plus extrêmes, avec une belle
905 ec une belle indépendance vis-à-vis des critiques de l’extérieur. Renaissance du thomisme et des études mystiques chez les
906 des mystiques chez les catholiques ; restauration de la dogmatique réformée grâce au mouvement initié par Karl Barth chez
907 ar Karl Barth chez les protestants ; réapparition d’ une puissante et purifiée Église orthodoxe à l’Est. Mais dire que l’ép
908 Église orthodoxe à l’Est. Mais dire que l’époque de la défensive est terminée pour elles, dans notre temps, c’est poser a
909 mir, ou bien à passer à l’attaque. ⁂ Ce lendemain d’ une guerre de Trente Ans ne ressemble guère à une victoire, il faut bi
910 à passer à l’attaque. ⁂ Ce lendemain d’une guerre de Trente Ans ne ressemble guère à une victoire, il faut bien le dire. L
911 grands que ceux qu’elles eussent été contraintes de subir en se rendant. (Dans ce « presque » est la différence entre hon
912 Les uns s’abandonnent aux vieilleries et tentent de restaurer le nationalisme, condamné par les catastrophes récentes. Le
913 angera la vie… D’autres enfin, faisant la théorie de leur faiblesse, formulent des doctrines nihilistes dans un jargon phi
914 our le moins inoffensives. Devant cette démission de la pensée et de la morale, l’État se voit forcé d’étendre ses pouvoir
915 ffensives. Devant cette démission de la pensée et de la morale, l’État se voit forcé d’étendre ses pouvoirs, à coups de dé
916 e la pensée et de la morale, l’État se voit forcé d’ étendre ses pouvoirs, à coups de décrets si généraux que chaque vocati
917 tat se voit forcé d’étendre ses pouvoirs, à coups de décrets si généraux que chaque vocation personnelle s’en trouve néces
918 s ont moins que jamais à se soucier, aujourd’hui, de réfuter les arguments de l’incroyance : elles ont, tout simplement à
919 se soucier, aujourd’hui, de réfuter les arguments de l’incroyance : elles ont, tout simplement à donner leurs croyances, a
920 nt dans l’Église, et voyant au-dehors ses chances d’ action, et la misère du temps qui appelle, j’attends ceci : 1° Que l’É
921 e, j’attends ceci : 1° Que l’Église offre un type de relations humaines viables, comme elle le fit aux siècles sombres, av
922 raison du Moyen Âge, qui fut son œuvre. Il s’agit de restaurer le sens de la communauté vivante, que le gigantisme de nos
923 qui fut son œuvre. Il s’agit de restaurer le sens de la communauté vivante, que le gigantisme de nos machines administrati
924 sens de la communauté vivante, que le gigantisme de nos machines administratives, le règne de l’argent, le nomadisme indu
925 antisme de nos machines administratives, le règne de l’argent, le nomadisme industriel, et les déportations en masse, ont
926 s, souvent utiles, mais qui ne sont jamais règles de vie. Je voudrais une sociologie chrétienne pour le siècle. 2° Que l’É
927 nne pour le siècle. 2° Que l’Église offre un type de relations culturelles viables ; qu’elle ose de nouveau soutenir et gu
928 s’agit que nos théologiens adoptent une politique d’ intervention, et non de vertueuse indignation, à l’égard des écoles no
929 ens adoptent une politique d’intervention, et non de vertueuse indignation, à l’égard des écoles nouvelles, dépourvues de
930 ation, à l’égard des écoles nouvelles, dépourvues de principe d’intégration, de commune mesure, d’ambitions spirituelles.
931 gard des écoles nouvelles, dépourvues de principe d’ intégration, de commune mesure, d’ambitions spirituelles. Sans « dévot
932 nouvelles, dépourvues de principe d’intégration, de commune mesure, d’ambitions spirituelles. Sans « dévotion » à rien d’
933 ues de principe d’intégration, de commune mesure, d’ ambitions spirituelles. Sans « dévotion » à rien d’avouable… Toute la
934 ’ambitions spirituelles. Sans « dévotion » à rien d’ avouable… Toute la culture de l’Occident — musique, peinture, philosop
935 « dévotion » à rien d’avouable… Toute la culture de l’Occident — musique, peinture, philosophie, littérature — est sortie
936 recherche pour la ramener ! 3° Que l’Église cesse de défendre la triste et inefficace moralité bourgeoise, avec laquelle t
937 nefficace moralité bourgeoise, avec laquelle trop de chrétiens confondent aujourd’hui la vertu ; et qu’elle restaure chez
938 tu ; et qu’elle restaure chez les fidèles le sens de la vocation personnelle, seul fondement d’une morale spécifiquement c
939 e sens de la vocation personnelle, seul fondement d’ une morale spécifiquement chrétienne. « Soyez bien sages » nous disaie
940 jourd’hui, hors des Églises, me paraissent avides d’ entendre. La « folie de la Croix » non la sagesse bourgeoise. Quelque
941 ises, me paraissent avides d’entendre. La « folie de la Croix » non la sagesse bourgeoise. Quelque chose qui entraîne en a
942 là, non pas ce qui retient en arrière des risques de la vie. 4° Que l’Église affirme avec force, dans le domaine politique
943 orce, dans le domaine politique, la Transcendance de son chef, contre tous les absolutismes nationaux, étatiques, partisan
944 dans notre siècle : il peut offrir le modèle même d’ une union mondiale dans le respect des diversités nationales. Que dis-
945 nationales. Que dis-je, il peut ! Il le doit, et de toute urgence ! S’il y échoue, je ne vois aucune raison d’attendre au
946 urgence ! S’il y échoue, je ne vois aucune raison d’ attendre autre chose, pour le monde, que des tyrans, leurs guerres, et
947 e, qui résume à mes yeux les plus grandes chances d’ action du christianisme au xxe siècle, resterait une pure utopie si l
948 s et par des petits groupes ; par quelques « fous de Dieu » comme saint François d’Assise ; par des gens de peu réunis dan
949 eu » comme saint François d’Assise ; par des gens de peu réunis dans une chambre ; par des mystiques qui n’auront l’air de
950 ne chambre ; par des mystiques qui n’auront l’air de rien ; par des hommes dont on dira qu’ils exagèrent, qu’ils rêvent, q
951 là : « l’incomparable, l’unique, celui qui a reçu de Dieu une vocation précise », et il ajoute : « toute vocation est sans
952 reçoit. Exemple : Abraham ». d. Rougemont Denis de , « L’opportunité chrétienne », La Troisième heure, New York, 1947, p.
8 1947, Articles divers (1946-1948). La guerre des sexes en Amérique (janvier 1947)
953 Le flirt en public (outdoor love-making) vient d’ être interdit à la station aéronavale de San Diego, Californie, tant p
954 ng) vient d’être interdit à la station aéronavale de San Diego, Californie, tant pour le personnel de la Marine que pour l
955 de San Diego, Californie, tant pour le personnel de la Marine que pour les civils. Le capitaine Leslie E. Gehres, command
956 civils. Le capitaine Leslie E. Gehres, commandant de la station, déclare que depuis quelque temps, on assiste à un croissa
957 emps, on assiste à un croissant étalage en public de marques d’affection du genre communément appelé necking 4. S’il est v
958 siste à un croissant étalage en public de marques d’ affection du genre communément appelé necking 4. S’il est vrai que tou
959 le monde s’accorde à reconnaître qu’il s’agit là d’ un passe-temps absorbant et plaisant, il est non moins généralement ad
960 parue dans le respectable New York Times au mois d’ avril 1946, exprime avec un grain d’humour l’attitude de la jeune Amér
961 Times au mois d’avril 1946, exprime avec un grain d’ humour l’attitude de la jeune Amérique vis-à-vis du problème des sexes
962 l 1946, exprime avec un grain d’humour l’attitude de la jeune Amérique vis-à-vis du problème des sexes. Si vous tenez entr
963 t une lettre à peine regardée, et que vous tentez de formuler ce qu’il évoque dans votre esprit comme type de civilisation
964 uler ce qu’il évoque dans votre esprit comme type de civilisation, j’imagine que vos conclusions ne seront point trop diff
965 vos conclusions ne seront point trop différentes de celles que je voudrais dégager d’un séjour de six ans en Amérique. Le
966 rop différentes de celles que je voudrais dégager d’ un séjour de six ans en Amérique. Les mœurs sexuelles de l’Europe peuv
967 tes de celles que je voudrais dégager d’un séjour de six ans en Amérique. Les mœurs sexuelles de l’Europe peuvent être déf
968 éjour de six ans en Amérique. Les mœurs sexuelles de l’Europe peuvent être définies comme un jeu très complexe opposant un
969 s comme un jeu très complexe opposant un ensemble de règles sociales communément respectées en principe, et un ensemble de
970 ommunément respectées en principe, et un ensemble de pratiques traditionnelles permettant de tourner ces règles sans les d
971 ensemble de pratiques traditionnelles permettant de tourner ces règles sans les détruire. Les mœurs sexuelles de l’Amériq
972 ces règles sans les détruire. Les mœurs sexuelles de l’Amérique ne sont point si faciles à définir. Comment expliquer le c
973 iquer le contraste entre le puritanisme rigoureux de tel village de la Pennsylvanie, de tel milieu méthodiste ou baptiste,
974 ste entre le puritanisme rigoureux de tel village de la Pennsylvanie, de tel milieu méthodiste ou baptiste, et le laisser-
975 isme rigoureux de tel village de la Pennsylvanie, de tel milieu méthodiste ou baptiste, et le laisser-aller naïf en appare
976 u baptiste, et le laisser-aller naïf en apparence de la jeunesse qui vit au cinéma et s’inspire des valeurs d’Hollywood, e
977 unesse qui vit au cinéma et s’inspire des valeurs d’ Hollywood, en dépit de toutes les censures ? Car en Europe, le vice et
978 vertu restent fort étroitement liés, l’un vivant de l’autre, pour ainsi dire, et n’existant que par la négation de l’autr
979 our ainsi dire, et n’existant que par la négation de l’autre, si bien que le contraste entre les deux relève en fin de com
980 contraste entre les deux relève en fin de compte d’ une même estimation du rôle et de l’importance de la sexualité. Tandis
981 en fin de compte d’une même estimation du rôle et de l’importance de la sexualité. Tandis qu’en Amérique nous trouvons deu
982 d’une même estimation du rôle et de l’importance de la sexualité. Tandis qu’en Amérique nous trouvons deux morales égalem
983 rales également admises, semble-t-il, l’une faite de vices et de vertus, comme chez nous, mais l’autre étant un « sport »
984 ent admises, semble-t-il, l’une faite de vices et de vertus, comme chez nous, mais l’autre étant un « sport » d’une nature
985 comme chez nous, mais l’autre étant un « sport » d’ une nature différente, — et c’est la seconde que j’essaierai de décrir
986 différente, — et c’est la seconde que j’essaierai de décrire. ⁂ De la passion Je pense que l’Amérique en tant qu’amér
987 c’est la seconde que j’essaierai de décrire. ⁂ De la passion Je pense que l’Amérique en tant qu’américaine, ignore l
988 véritable, car elle suppose une très grande force d’ imagination créatrice ; des dispositions spirituelles à la fois délica
989 vé leur véritable objet ; un pouvoir exceptionnel de concentration, c’est-à-dire de fidélité ; enfin le mépris des biens t
990 uvoir exceptionnel de concentration, c’est-à-dire de fidélité ; enfin le mépris des biens terrestres et du bonheur… L’amou
991 ation marquée par la croyance en la valeur unique de chaque être. Il suppose un objet irremplaçable et comme prédestiné pa
992 en Amérique, trahissent une critique inconsciente de l’atmosphère du Nouveau Monde : elles en peignent le négatif. L’Améri
993 oué pour les raffinements spirituels, peu capable de concentration, peu enclin au mépris des biens terrestres, et religieu
994 eligieusement convaincu que le bonheur est le but de la vie : n’est-ce point écrit dans sa Constitution ? Son attitude vis
995 point souffrir, et tient pour perversion ce goût de la torture exaltante et intéressante qui fait le sujet de nos plus be
996 rture exaltante et intéressante qui fait le sujet de nos plus beaux romans d’amour. Les obstacles au bonheur des amants, i
997 ssante qui fait le sujet de nos plus beaux romans d’ amour. Les obstacles au bonheur des amants, indispensables au développ
998 nheur des amants, indispensables au développement d’ une grande passion, sont à ses yeux autant de preuves que l’affaire es
999 ment d’une grande passion, sont à ses yeux autant de preuves que l’affaire est mal engagée et qu’il ferait bien d’y renonc
1000 ue l’affaire est mal engagée et qu’il ferait bien d’ y renoncer. Si quelque drame se noue dans sa vie, malgré lui, il n’a d
1001 que drame se noue dans sa vie, malgré lui, il n’a de cesse qu’il n’en sorte au plus vite, par une dépêche d’adieu, un voya
1002 se qu’il n’en sorte au plus vite, par une dépêche d’ adieu, un voyage, un divorce. Never get involved, ne vous laissez jama
1003 involved, ne vous laissez jamais prendre au piège d’ une intrigue complexe et qui menace de tirer à conséquence : telle est
1004 re au piège d’une intrigue complexe et qui menace de tirer à conséquence : telle est la grande maxime de sa morale nouvell
1005 tirer à conséquence : telle est la grande maxime de sa morale nouvelle. Les difficultés sentimentales qui nous fascinent
1006 nous l’avouer, lui font peur, et l’éloignent vite de l’être ou des circonstances qui les causent. Il n’a pas le goût de la
1007 circonstances qui les causent. Il n’a pas le goût de la durée intense. C’est tout de suite ou jamais. C’est OK ou ce n’est
1008 e erreur. Ils ne croient guère à la valeur unique d’ un être, — et il est vrai qu’il faut beaucoup de soins, de temps perdu
1009 e, — et il est vrai qu’il faut beaucoup de soins, de temps perdu, de complaisance et de folies pour composer une telle cro
1010 rai qu’il faut beaucoup de soins, de temps perdu, de complaisance et de folies pour composer une telle croyance. Nul n’est
1011 coup de soins, de temps perdu, de complaisance et de folies pour composer une telle croyance. Nul n’est irremplaçable dans
1012 pour eux qu’une perte sèche, et non la condition d’ un approfondissement de la conscience et de la densité de la vie. Comm
1013 sèche, et non la condition d’un approfondissement de la conscience et de la densité de la vie. Comme on demandait à une Am
1014 dition d’un approfondissement de la conscience et de la densité de la vie. Comme on demandait à une Américaine intelligent
1015 profondissement de la conscience et de la densité de la vie. Comme on demandait à une Américaine intelligente si le suicid
1016 on, dit-elle, si nous nous suicidons au lendemain d’ une rupture ou d’une trahison, c’est simplement que nous n’aimons pas
1017 nous nous suicidons au lendemain d’une rupture ou d’ une trahison, c’est simplement que nous n’aimons pas à rester seuls.
1018 x solutions praticables : le mariage, ou l’affair d’ un soir (car ils appellent affair tout autre chose que le business com
1019 s). Le mariage à l’américaine est une institution d’ un type nouveau. Il se fonde sur l’égalité économique et légale des co
1020 nérale, mais c’est la femme qui tient les cordons de la bourse, en l’occurrence, le carnet de chèques. Elle ne se borne pa
1021 cordons de la bourse, en l’occurrence, le carnet de chèques. Elle ne se borne pas à choisir les rideaux, mais la maison,
1022 s) dans cette ardeur inextinguible qui la possède de perfectionner tout ce qui tombe à portée de sa main (et un peu plus).
1023 ssède de perfectionner tout ce qui tombe à portée de sa main (et un peu plus). On ne saurait dire d’elle, comme de l’Europ
1024 e de sa main (et un peu plus). On ne saurait dire d’ elle, comme de l’Européenne, par, métaphore idéaliste, qu’elle règne a
1025 et un peu plus). On ne saurait dire d’elle, comme de l’Européenne, par, métaphore idéaliste, qu’elle règne au sein de son
1026 ans toute la vie, et le foyer n’est qu’une partie de ses domaines. Il s’agit de l’aménager pour qu’il fonctionne au servic
1027 er n’est qu’une partie de ses domaines. Il s’agit de l’aménager pour qu’il fonctionne au service de tout le reste : la car
1028 it de l’aménager pour qu’il fonctionne au service de tout le reste : la carrière du mari et la sienne propre, l’hygiène de
1029 enfants, les relations sociales. Pour elle, point d’ esclavage des routines domestiques : ce serait être esclave de ses mac
1030 des routines domestiques : ce serait être esclave de ses machines. Si ces dernières se multiplient dans une cuisine et un
1031 z nous. Il est étrange que nous parlions toujours de leur « matérialisme » à ce propos, puisque le but de ces perfectionne
1032 leur « matérialisme » à ce propos, puisque le but de ces perfectionnements est d’alléger les tâches matérielles, auxquelle
1033 opos, puisque le but de ces perfectionnements est d’ alléger les tâches matérielles, auxquelles notre littérature prétendum
1034 grissant à l’extrême, dont la majorité des femmes d’ Europe souffrent encore, pour la plus grande satisfaction des hommes.
1035 pour payer le frigidaire et permettre à la femme de lire des romans, — ou d’en écrire. Regardez maintenant le couple amér
1036 et permettre à la femme de lire des romans, — ou d’ en écrire. Regardez maintenant le couple américain au restaurant, ou d
1037 ménage simplifié lui en laisse le temps —, ornée de quelques gros bijoux de quatre sous, mais bien brillants, précédant u
1038 laisse le temps —, ornée de quelques gros bijoux de quatre sous, mais bien brillants, précédant un mari moins galant que
1039 férence. Chaque pas, chaque geste, et chaque moue de la femme manifeste qu’elle sait ce qu’on lui doit. Comme elle est ins
1040 t polie, mais parfois un peu plus que désinvolte, d’ une propriétaire de droit divin. Qu’un incident de voyage ou de servic
1041 is un peu plus que désinvolte, d’une propriétaire de droit divin. Qu’un incident de voyage ou de service la mécontente pou
1042 d’une propriétaire de droit divin. Qu’un incident de voyage ou de service la mécontente pour quelque raison mystérieuse, e
1043 taire de droit divin. Qu’un incident de voyage ou de service la mécontente pour quelque raison mystérieuse, elle ne fera p
1044 pour quelque raison mystérieuse, elle ne fera pas de scène criarde, mais affichera un silence offensé qui signifie à son m
1045 ichera un silence offensé qui signifie à son mari d’ intervenir, sinon elle va se lever et sortir d’un pas vif, le menton h
1046 ri d’intervenir, sinon elle va se lever et sortir d’ un pas vif, le menton haut, les cheveux au vent. Et le mari se hâte d’
1047 ton haut, les cheveux au vent. Et le mari se hâte d’ obtempérer pour éviter le pire. Cette domination de la femme ne s’obse
1048 ’obtempérer pour éviter le pire. Cette domination de la femme ne s’observe pas seulement dans la vie quotidienne d’un ména
1049 e s’observe pas seulement dans la vie quotidienne d’ un ménage ou d’une rue citadine. Elle s’enracine profondément dans la
1050 seulement dans la vie quotidienne d’un ménage ou d’ une rue citadine. Elle s’enracine profondément dans la psychologie et
1051 caine. On assure que les femmes possèdent le 75 % de la fortune privée en Amérique, soit que le système de l’héritage les
1052 a fortune privée en Amérique, soit que le système de l’héritage les favorise, soit qu’elles montrent en affaires comme ail
1053 es la déterminent. Mais c’est dans la psychologie de la famille américaine que le statut royal de la femme a ses bases vra
1054 ogie de la famille américaine que le statut royal de la femme a ses bases vraiment profondes. Et cette psychologie tient d
1055 s ces trois lettres fatidiques qui sont le secret de millions de drames matrimoniaux, sexuels et psychiques : MOM. Philip
1056 lettres fatidiques qui sont le secret de millions de drames matrimoniaux, sexuels et psychiques : MOM. Philip Wylie, dans
1057 p Wylie, dans un livre rageur intitulé Génération de Vipères, a seul osé dénoncer le « momisme » comme la Gorgone du matri
1058 MOM est partout, elle est tout et dans tous, et d’ elle dépend le reste des États-Unis. Déguisée en bonne vieille ; mom,
1059 aux qui la maintiennent ailleurs dans les limites de l’activité domestique, a créé le Women’s Club et cent-mille organisat
1060 unes femmes — selon le même auteur — « cette part de la personnalité du fils qui devait devenir l’amour d’une femme de son
1061 a personnalité du fils qui devait devenir l’amour d’ une femme de son âge ». Mom le transmute en sentimentalité fixée sur l
1062 té du fils qui devait devenir l’amour d’une femme de son âge ». Mom le transmute en sentimentalité fixée sur la mère dévor
1063 orante. Sans nul doute faut-il voir dans ce mythe de la Mère la tragédie secrète d’une civilisation qui produit plus de di
1064 voir dans ce mythe de la Mère la tragédie secrète d’ une civilisation qui produit plus de divorces, plus d’homosexuels, plu
1065 gédie secrète d’une civilisation qui produit plus de divorces, plus d’homosexuels, plus d’obsédés que l’on enferme ou non,
1066 e civilisation qui produit plus de divorces, plus d’ homosexuels, plus d’obsédés que l’on enferme ou non, et plus d’alcooli
1067 roduit plus de divorces, plus d’homosexuels, plus d’ obsédés que l’on enferme ou non, et plus d’alcooliques qu’aucune autre
1068 , plus d’obsédés que l’on enferme ou non, et plus d’ alcooliques qu’aucune autre. Dans la femme qu’il épouse, le jeune Amér
1069 répond dans le meilleur des cas par cette espèce de loyauté que le suzerain jadis accordait au vassal. Et ce n’est point
1070 est point qu’elle soit moins capable qu’une autre d’ amour, de tendresse ou même d’aveugle dévouement. Mais l’attitude de l
1071 qu’elle soit moins capable qu’une autre d’amour, de tendresse ou même d’aveugle dévouement. Mais l’attitude de l’homme à
1072 apable qu’une autre d’amour, de tendresse ou même d’ aveugle dévouement. Mais l’attitude de l’homme à son égard est faite p
1073 sse ou même d’aveugle dévouement. Mais l’attitude de l’homme à son égard est faite pour éveiller en elle le goût de la lib
1074 son égard est faite pour éveiller en elle le goût de la liberté et de l’autonomie, comme elle dira ; entendons bien : de l
1075 te pour éveiller en elle le goût de la liberté et de l’autonomie, comme elle dira ; entendons bien : de la domination. Ain
1076 e l’autonomie, comme elle dira ; entendons bien : de la domination. Ainsi la femme se virilise à la mesure de ce que l’hom
1077 omination. Ainsi la femme se virilise à la mesure de ce que l’homme attend d’elle. Frustrée sans le savoir dans sa féminit
1078 se virilise à la mesure de ce que l’homme attend d’ elle. Frustrée sans le savoir dans sa féminité, elle se révolte contre
1079 minité, elle se révolte contre sa condition, fait de nécessité vertu, prend en main les rênes de la vie, et se prépare à d
1080 fait de nécessité vertu, prend en main les rênes de la vie, et se prépare à devenir à son tour une mom aussi redoutableme
1081 ub ou parmi les copains du bar voisin. La journée d’ un couple bourgeois, dans une grande ville américaine, ménage peu de c
1082 ureau ; elle, dans un restaurant où des centaines de femmes, par tablées, composent aux yeux de l’étranger qui s’égare dan
1083 prochent volontiers), mais il y a je ne sais quoi de repoussant (et pas seulement pour un Européen, je m’en assure) dans u
1084 n Européen, je m’en assure) dans un rassemblement de femmes d’âge moyen, non dépourvues de prétentions à-plaire. Le soir r
1085 , je m’en assure) dans un rassemblement de femmes d’ âge moyen, non dépourvues de prétentions à-plaire. Le soir réunit le c
1086 ssemblement de femmes d’âge moyen, non dépourvues de prétentions à-plaire. Le soir réunit le couple quelques instants pour
1087 dans les alcools. Tout se passe comme si l’homme d’ Amérique n’avait qu’un goût modéré pour la femme, dont il ne serait qu
1088 ris dans la petite cuisine blanche, parfois ornée d’ un bar, toujours d’un frigidaire. Mais alors le mari perd en autorité
1089 cuisine blanche, parfois ornée d’un bar, toujours d’ un frigidaire. Mais alors le mari perd en autorité ce qu’il gagne en i
1090 il gagne en intimité. Il se peut que les mariages de ce type — où l’homme joue le rôle de la machine numéro un dans la mai
1091 dans la maison — soient ceux qui offrent le plus de garanties contre le divorce américain. Du divorce Les statistiq
1092 e comprise. Mais ce que les statistiques oublient de noter, c’est qu’on y divorce d’une manière tout à fait différente. Au
1093 istiques oublient de noter, c’est qu’on y divorce d’ une manière tout à fait différente. Aux yeux des intéressés, le divorc
1094 ait être, comme chez nous, la douloureuse rupture d’ une longue intimité, celle-ci n’existant pas, en règle générale. Aux y
1095 le courante, il apparaît bien moins sous l’aspect d’ un désordre social que sous l’aspect d’une mise en ordre de deux vies
1096 s l’aspect d’un désordre social que sous l’aspect d’ une mise en ordre de deux vies individuelles. C’est qu’en Europe, l’on
1097 rdre social que sous l’aspect d’une mise en ordre de deux vies individuelles. C’est qu’en Europe, l’on se préoccupe avant
1098 en Europe, l’on se préoccupe avant tout du passé, d’ un capital de souvenirs et d’habitudes communes, dont la rupture du co
1099 on se préoccupe avant tout du passé, d’un capital de souvenirs et d’habitudes communes, dont la rupture du couple entraîne
1100 avant tout du passé, d’un capital de souvenirs et d’ habitudes communes, dont la rupture du couple entraînera la perte. En
1101 ue, tout cela pèse bien peu au regard des chances de repartir à neuf, de déblayer les perspectives d’avenir, qu’offre l’in
1102 ien peu au regard des chances de repartir à neuf, de déblayer les perspectives d’avenir, qu’offre l’interruption d’une exp
1103 de repartir à neuf, de déblayer les perspectives d’ avenir, qu’offre l’interruption d’une expérience mal engagée ou négati
1104 es perspectives d’avenir, qu’offre l’interruption d’ une expérience mal engagée ou négative. Nous pensons, comme toujours,
1105 à ouvrir. Le divorce est pour nous l’enterrement d’ un bonheur, pour eux l’acte de naissance d’une vie plus nette, — ou si
1106 nous l’enterrement d’un bonheur, pour eux l’acte de naissance d’une vie plus nette, — ou simplement la permission de se r
1107 rement d’un bonheur, pour eux l’acte de naissance d’ une vie plus nette, — ou simplement la permission de se remarier. Il a
1108 une vie plus nette, — ou simplement la permission de se remarier. Il arrive que le nouveau mariage ne soit séparé du divor
1109 ariage ne soit séparé du divorce que par le temps de changer de salle, et c’est le même juge — passant par l’autre porte —
1110 oit séparé du divorce que par le temps de changer de salle, et c’est le même juge — passant par l’autre porte — qui légali
1111 era les deux actes. Telle est du moins la coutume de Reno. Reno n’est pas une légende pittoresque, mais une nécessité prat
1112 si dans l’État de New York, la seule cause admise de divorce est le flagrant délit d’adultère. Autant dire que le divorce
1113 ule cause admise de divorce est le flagrant délit d’ adultère. Autant dire que le divorce est impossible, à moins que l’on
1114 divorce est impossible, à moins que l’on accepte d’ en passer par une odieuse mise en scène « légalement constatée » dans
1115 n scène « légalement constatée » dans une chambre d’ hôtel. Le seul recours est donc le voyage de Reno, comédie fort coûteu
1116 ambre d’hôtel. Le seul recours est donc le voyage de Reno, comédie fort coûteuse basée sur un mensonge : l’intéressé doit
1117 éclarer devant la cour son intention bien arrêtée de vivre désormais dans le Nevada. Il y reste six semaines, à l’hôtel, e
1118 ans les courriers mondains annonçant les mariages de la classe riche, vous trouverez les noms des conjoints suivis de cett
1119 che, vous trouverez les noms des conjoints suivis de cette mention qui n’étonne plus : « lui pour la troisième fois, elle
1120 : mental cruelty (nous disons : « incompatibilité d’ humeur »). Mais on en trouvera d’autres, plus précis. Il n’aimait que
1121 Nord, elle lui servait des ratatouilles à la mode de la Louisiane : divorce accordé. Dès qu’elle tombait malade, il faisai
1122 éricain divorce, révèle que ses mariages manquent de sens et de sérieux. Il n’y entre pas pour toute la vie, mais pour un
1123 orce, révèle que ses mariages manquent de sens et de sérieux. Il n’y entre pas pour toute la vie, mais pour un bail de « t
1124 ’y entre pas pour toute la vie, mais pour un bail de « trois-six-neuf ». Une jeune héritière très connue déclarait à un gr
1125 jeune héritière très connue déclarait à un groupe de journalistes qui la félicitaient sur ses fiançailles, à 19 ans : « C’
1126 r ses fiançailles, à 19 ans : « C’est merveilleux de se marier pour la première fois ! » Deux ans plus tard, elle était à
1127 e est considéré avant tout comme la mise en ordre de deux vies. Derrière tous les motifs allégués, il y a comme partout l’
1128 l’on croit au mariage-sacrement, à la continuité de la famille, à l’héritage, on s’accommode de la faute, on attend la fi
1129 nuité de la famille, à l’héritage, on s’accommode de la faute, on attend la fin de la crise, on espère recoller tant bien
1130 age, on s’accommode de la faute, on attend la fin de la crise, on espère recoller tant bien que mal le ménage, afin qu’il
1131 qu’il puisse encore offrir à l’opinion une façade de normalité. En Amérique, on se refuse à cette hypocrisie sociale. Le p
1132 oint coûte à l’autre 1000 dollars, prix du voyage de Reno, du séjour et des avocats. L’hygiène morale de l’Amérique ne tol
1133 Reno, du séjour et des avocats. L’hygiène morale de l’Amérique ne tolère pas dans un foyer les miasmes d’une situation ir
1134 ’Amérique ne tolère pas dans un foyer les miasmes d’ une situation irrégulière, et ne laisse pas le temps de les résorber.
1135 situation irrégulière, et ne laisse pas le temps de les résorber. C’est une passion de la propreté, de la mise au net, d’
1136 e pas le temps de les résorber. C’est une passion de la propreté, de la mise au net, d’origine nettement puritaine, qui ex
1137 e les résorber. C’est une passion de la propreté, de la mise au net, d’origine nettement puritaine, qui explique peut-être
1138 st une passion de la propreté, de la mise au net, d’ origine nettement puritaine, qui explique peut-être, en fin de compte,
1139 de compte, le phénomène du divorce américain. De la sexualité Je mets en fait que le puritanisme, hérésie moraliste
1140 ée dans toute sa virulence en Amérique, détermine de nos jours encore les mœurs sexuelles du Nouveau Monde. J’ajouterai qu
1141 lle provoque une fois refoulée dans l’inconscient de la plus composite des collectivités. L’élément puritain ou d’ascendan
1142 omposite des collectivités. L’élément puritain ou d’ ascendance puritaine ne représente plus en Amérique qu’une infime mino
1143 ns qui forment ensemble les trois quarts au moins de la population de New York, sont indemnes de toute trace directe d’édu
1144 semble les trois quarts au moins de la population de New York, sont indemnes de toute trace directe d’éducation puritaine
1145 moins de la population de New York, sont indemnes de toute trace directe d’éducation puritaine au foyer. Mais les standard
1146 de New York, sont indemnes de toute trace directe d’ éducation puritaine au foyer. Mais les standards moraux créés par les
1147 nniers leurs sont transmis sous la forme atténuée de l’American way of life, à l’école, dans la presse, au cinéma, au cour
1148 ques étudiants ce qu’ils entendaient par là, l’un d’ eux me dit : « Décent est l’homme qui tient parole et se tient propre,
1149 t se tient propre, à tous égards. » Cette volonté de vivre une vie nette se combine curieusement, aujourd’hui, avec une ré
1150 a « chair » soit le Mal, ni ses désirs des signes de malédiction divine. Peu ou point de pudeur, la nudité triomphe avec l
1151 rs des signes de malédiction divine. Peu ou point de pudeur, la nudité triomphe avec le plus grand naturel. Point de mystè
1152 nudité triomphe avec le plus grand naturel. Point de mystère non plus quant aux « origines de la vie », que les parents et
1153 l. Point de mystère non plus quant aux « origines de la vie », que les parents et professeurs expliquent avec un certain p
1154 s mœurs chez les jeunes gens, l’Européen s’étonne de ne point trouver trace de ce qu’il nommait libertinage. L’Américain,
1155 ns, l’Européen s’étonne de ne point trouver trace de ce qu’il nommait libertinage. L’Américain, me semble-t-il, n’est pas
1156 nt immoraliste. Ce qu’il ignore, c’est ce mélange de scrupules et de goût de les violer, de sentiment longuement macéré et
1157 Ce qu’il ignore, c’est ce mélange de scrupules et de goût de les violer, de sentiment longuement macéré et de raffinements
1158 ignore, c’est ce mélange de scrupules et de goût de les violer, de sentiment longuement macéré et de raffinements casuist
1159 ce mélange de scrupules et de goût de les violer, de sentiment longuement macéré et de raffinements casuistiques, de consc
1160 de les violer, de sentiment longuement macéré et de raffinements casuistiques, de conscience dans le mal et de plaisir au
1161 onguement macéré et de raffinements casuistiques, de conscience dans le mal et de plaisir au drame qui, chez nous, pervert
1162 ements casuistiques, de conscience dans le mal et de plaisir au drame qui, chez nous, pervertit la vie sexuelle et l’élève
1163 Américain semblerait un peu fade à nos romanciers de l’amour. Il reste chaste ou se comporte en animal irresponsable, mima
1164 omporte en animal irresponsable, mimant une sorte d’ innocence. Disons, pour fixer les idées, que les deux romans européens
1165 et les Liaisons dangereuses. Ajoutons-y la poésie d’ un Baudelaire, sa spiritualité sensuelle. Les avantages et les dangers
1166 ritualité sensuelle. Les avantages et les dangers de l’état des mœurs que l’on vient d’esquisser donneraient matière à tou
1167 et les dangers de l’état des mœurs que l’on vient d’ esquisser donneraient matière à tout un livre. Mais il me paraît vain
1168 t matière à tout un livre. Mais il me paraît vain de l’écrire, car l’Amérique est en pleine transition, à cet égard plus q
1169 cet égard plus qu’à tout autre. Il convient donc de n’indiquer qu’à la volée quelques remarques dont on reconnaît qu’elle
1170 ns critiques américains déclarent que la jeunesse de leur pays est sex-obsessed, mais il se peut qu’elle soit tout simplem
1171 critiques. Certains Européens penseraient plutôt de la même jeunesse qu’elle manque de vraie sensualité. Ils croient sent
1172 eraient plutôt de la même jeunesse qu’elle manque de vraie sensualité. Ils croient sentir entre les sexes une sourde hosti
1173 ’inconscient, et qui se vengent. Les statistiques de crimes sadiques, de délinquance juvénile, de cas de névrose ou de fol
1174 se vengent. Les statistiques de crimes sadiques, de délinquance juvénile, de cas de névrose ou de folie, viendraient à l’
1175 ques de crimes sadiques, de délinquance juvénile, de cas de névrose ou de folie, viendraient à l’appui de cette thèse ; ma
1176 crimes sadiques, de délinquance juvénile, de cas de névrose ou de folie, viendraient à l’appui de cette thèse ; mais il n
1177 es, de délinquance juvénile, de cas de névrose ou de folie, viendraient à l’appui de cette thèse ; mais il ne faut pas oub
1178 comics. À mon avis, l’aspect le plus intéressant de l’évolution actuelle des mœurs américaines, c’est qu’on y pressent un
1179 on y pressent un avenir qui sera sans doute celui de la Russie soviétique et d’une partie de la jeunesse européenne. Essay
1180 sera sans doute celui de la Russie soviétique et d’ une partie de la jeunesse européenne. Essayons de le définir en quelqu
1181 ute celui de la Russie soviétique et d’une partie de la jeunesse européenne. Essayons de le définir en quelques traits. Pe
1182 d’une partie de la jeunesse européenne. Essayons de le définir en quelques traits. Perte du sens tragique de l’amour ; ré
1183 éfinir en quelques traits. Perte du sens tragique de l’amour ; réalisme scientifique et quelque peu pédant, substitué aux
1184 bonheur comme seule règle ; et peut-être, du fait de l’égalité complète, désaffection mutuelle des deux sexes. (Vont-ils m
1185 mutuelle des deux sexes. (Vont-ils mourir chacun de leur côté, selon la prophétie de Vigny, fatigués de leurs brèves et f
1186 ls mourir chacun de leur côté, selon la prophétie de Vigny, fatigués de leurs brèves et frustes pariades ?) Tout cela, au
1187 leur côté, selon la prophétie de Vigny, fatigués de leurs brèves et frustes pariades ?) Tout cela, au stade présent du mo
1188 lontaire et rationnel pour que l’on soit en droit d’ y voir une « révolte des instincts », ou d’y dénoncer je ne sais quell
1189 droit d’y voir une « révolte des instincts », ou d’ y dénoncer je ne sais quelle « vague de barbarie nouvelle ». Le danger
1190 ncts », ou d’y dénoncer je ne sais quelle « vague de barbarie nouvelle ». Le danger n’est sans doute pas là. Car il est tr
1191 n plus timides, la violence primitive et la santé de l’instinct soient justement les vraies créatrices de tabous, et que l
1192 l’instinct soient justement les vraies créatrices de tabous, et que la suppression de ces derniers, loin de relever d’une
1193 raies créatrices de tabous, et que la suppression de ces derniers, loin de relever d’une dialectique normale entre contrai
1194 e la suppression de ces derniers, loin de relever d’ une dialectique normale entre contrainte et liberté, trahisse un fléch
1195 trahisse un fléchissement vital. Possible aussi, d’ un tout autre point de vue, que la morale bourgeoise, issue des purita
1196 les moralistes puritains qui tentaient follement de faire « comme si » l’instinct sexuel pouvait être passé sous silence
1197 e ou nié ; les sexologues qui tenteront follement de faire « comme si » ce même instinct souffrait des mesures rationnelle
1198 ouffrait des mesures rationnelles ; les producers de Hollywood qui tentent follement de l’exciter tout en le contenant dan
1199 les producers de Hollywood qui tentent follement de l’exciter tout en le contenant dans de « justes » limites, fixées par
1200 follement de l’exciter tout en le contenant dans de « justes » limites, fixées par le Comité Hays, — le jeune Américain,
1201 bles, sera vraiment le génie du siècle et l’objet d’ une grâce spéciale. Or c’est bien ce qu’il pense être, étant Américain
1202 erve pas sans inquiétude ; non plus sans beaucoup d’ amitié. 4. « Courtiser » traduirait trop faiblement ce terme couran
1203 erse. Je l’ai fait ailleurs. h. Rougemont Denis de , « La guerre des sexes en Amérique », La NEF, Paris, janvier 1947, p.
9 1947, Articles divers (1946-1948). Journal d’un intellectuel en exil (mars 1947)
1204 Journal d’ un intellectuel en exil (mars 1947)i Janvier 1941 L’avant-garde à
1205 re » dans ce pays. Et ce n’était pas une terrasse de café, ni l’antichambre d’une maison d’édition, ni un salon — rien de
1206 ’était pas une terrasse de café, ni l’antichambre d’ une maison d’édition, ni un salon — rien de tout cela n’existe en Amér
1207 hambre d’une maison d’édition, ni un salon — rien de tout cela n’existe en Amérique — mais une party. Et cette party n’éta
1208 u la célébrité des invités, mais par les plateaux de cocktails que l’on passait continuellement d’un groupe à l’autre. Il
1209 aux de cocktails que l’on passait continuellement d’ un groupe à l’autre. Il y avait là bon nombre des « intellectuels » de
1210 e. Il y avait là bon nombre des « intellectuels » de vingt à quarante ans dont je retrouve les noms dans les petites revue
1211 dont je retrouve les noms dans les petites revues de l’avant-garde américaine. Peu de gaieté bruyante, mais un humour bonh
1212 ’ont paru cultiver le genre des nihilistes russes d’ antan. La plupart sont trotskistes, ont lu Freud, ou en parlent. À li
1213 es voir chez eux ou ensemble, j’éprouve une sorte de tristesse. Ils paraissent encore moins intégrés que leurs confrères e
1214 s intégrés que leurs confrères européens à la vie de leur propre nation. Cela tient sans doute à mille raisons matérielles
1215 équentant les éditeurs d’ici. Atteindre le public d’ un si vaste pays suppose trop de compromissions visant au succès comme
1216 teindre le public d’un si vaste pays suppose trop de compromissions visant au succès commercial. Les meilleurs se voient d
1217 sition sans portée politique, spectateurs irrités de la vie américaine, disciples réticents de nos écoles d’Europe, cherch
1218 irrités de la vie américaine, disciples réticents de nos écoles d’Europe, cherchant une méthode de pensée plutôt que des f
1219 vie américaine, disciples réticents de nos écoles d’ Europe, cherchant une méthode de pensée plutôt que des fondements spir
1220 nts de nos écoles d’Europe, cherchant une méthode de pensée plutôt que des fondements spirituels, compensant par la brusqu
1221 ndements spirituels, compensant par la brusquerie de leurs jugements et un style tough (nous dirions « dur » ou « vache »)
1222 h (nous dirions « dur » ou « vache ») leur défaut de responsabilité. Tout cela ne les empêche pas, bien au contraire, de r
1223 Tout cela ne les empêche pas, bien au contraire, de rechercher surtout la « vie » dans leurs écrits, avec une sorte de no
1224 tout la « vie » dans leurs écrits, avec une sorte de nostalgie à la Lawrence. Ils jugent en général trop formalistes ou rh
1225 Je veux dire que l’on sent chez vous un tel souci de la forme durable… » Eux, c’est un certain dynamisme, une certaine app
1226 aine approche brute, instinctive, et parfois émue de la « vie »… On ne sait trop. Le savent-ils eux-mêmes ? L’exigence que
1227 ls eux-mêmes ? L’exigence que nous gardons encore de dégager, d’expliciter un sens, leur apparaît vaguement suspecte ou en
1228  ? L’exigence que nous gardons encore de dégager, d’ expliciter un sens, leur apparaît vaguement suspecte ou ennuyeuse, pro
1229 i leur fait le plus peur. Mais quand ils décident de penser, ils tournent aussitôt au pédant germanique et jugent mundane
1230 n isme, et le langage technique des ismes réputés d’ avant-garde. Leur vrai drame, c’est de s’être affranchis des tabous du
1231 mes réputés d’avant-garde. Leur vrai drame, c’est de s’être affranchis des tabous du puritanisme au prix d’une frustration
1232 être affranchis des tabous du puritanisme au prix d’ une frustration de l’âme, d’un refus ricaneur du spirituel. Le mot de
1233 s tabous du puritanisme au prix d’une frustration de l’âme, d’un refus ricaneur du spirituel. Le mot de transcendance les
1234 u puritanisme au prix d’une frustration de l’âme, d’ un refus ricaneur du spirituel. Le mot de transcendance les rend malad
1235 e l’âme, d’un refus ricaneur du spirituel. Le mot de transcendance les rend malades, leur paraît méchamment subversif, « r
1236 ier 1941 Cinquième colonne. — Quelques fragments de mon Journal d’Allemagne ayant paru dans une revue de New York, Upto
1237 ème colonne. — Quelques fragments de mon Journal d’ Allemagne ayant paru dans une revue de New York, Upton Sinclair du fo
1238 n Journal d’Allemagne ayant paru dans une revue de New York, Upton Sinclair du fond de la Californie alerte à leur sujet
1239 ans une revue de New York, Upton Sinclair du fond de la Californie alerte à leur sujet deux éditeurs. Sur leur demande pre
1240 ien, je voudrais le publier, mais il a le malheur de porter sur les années 1935 et 1936. Or le public veut de l’actualité.
1241 er sur les années 1935 et 1936. Or le public veut de l’actualité. Le second m’a fait venir ce matin : — En tant que citoye
1242 tin : — En tant que citoyen, me dit-il, il serait de mon devoir de publier ce livre. Mais en tant qu’éditeur, ce serait un
1243 t que citoyen, me dit-il, il serait de mon devoir de publier ce livre. Mais en tant qu’éditeur, ce serait un suicide. — Co
1244 nt cela ? — Vous êtes trop objectif. On parlerait de cinquième colonne à propos de ma maison et de vous-même. — Savez-vous
1245 ait de cinquième colonne à propos de ma maison et de vous-même. — Savez-vous que mon livre est sur la liste noire des Alle
1246 ivre est sur la liste noire des Allemands et même de l’organisation vichyssoise des libraires ? Savez-vous que la Gestapo
1247 ir ce qu’il juge, ni pourquoi… Quitte à rivaliser d’ intolérance brutale avec ceux qu’il croit condamner… N’est-ce pas cela
1248 nos démocraties, je vous le dis, c’est la paresse d’ esprit ! 27 janvier 1941 Soirée, hier, chez Reinhold Niebuhr, l’une de
1249 r, l’une des meilleures têtes du pays. Professeur de théologie, socialiste militant, polémiste sérieux et sarcastique, il
1250 sarcastique, il mène campagne pour l’intervention de l’Amérique dans le conflit. Une petite revue virulente et dense, Chri
1251 nity and Crisis, qu’il vient de fonder, s’efforce de combattre l’inertie des Églises, demeurées isolationnistes dans leur
1252 s’opposent à l’intervention, c’est par objection de conscience, pacifisme, antimilitarisme, crainte du régime tyrannique
1253 inte du régime tyrannique que toute guerre risque d’ instaurer. Mais c’est aussi parce qu’on ne croit plus au mal, en Améri
1254 trop affreux pour être vrai », dit-on des récits de réfugiés. Il en résulte qu’on collabore avec les partisans sournois d
1255 sulte qu’on collabore avec les partisans sournois d’ Hitler, de Mussolini, de Franco et de leurs régimes « d’avenir »… Celu
1256 n collabore avec les partisans sournois d’Hitler, de Mussolini, de Franco et de leurs régimes « d’avenir »… Celui qui ne v
1257 ec les partisans sournois d’Hitler, de Mussolini, de Franco et de leurs régimes « d’avenir »… Celui qui ne veut pas croire
1258 ans sournois d’Hitler, de Mussolini, de Franco et de leurs régimes « d’avenir »… Celui qui ne veut pas croire au diable tr
1259 er, de Mussolini, de Franco et de leurs régimes «  d’ avenir »… Celui qui ne veut pas croire au diable travaille fatalement
1260 Mass.), 18 avril 1941 Quinze jours dans ce refuge de l’esprit, l’Université de Harvard, au milieu de la petite ville de Ca
1261 ze jours dans ce refuge de l’esprit, l’Université de Harvard, au milieu de la petite ville de Cambridge qui n’est plus qu’
1262 iversité de Harvard, au milieu de la petite ville de Cambridge qui n’est plus qu’un faubourg de Boston. Le premier soir en
1263 café. Il avait des questions à me poser au sujet d’ un de mes livres dont il devra parler au séminaire de littérature. Que
1264 . Il avait des questions à me poser au sujet d’un de mes livres dont il devra parler au séminaire de littérature. Que veut
1265 n de mes livres dont il devra parler au séminaire de littérature. Que veut-il donc savoir ? Simplement si c’est vrai. S’il
1266 restaurant très bon marché où l’on doit se munir d’ un plateau, de services et d’assiettes pris sur la pile, puis défiler
1267 ès bon marché où l’on doit se munir d’un plateau, de services et d’assiettes pris sur la pile, puis défiler devant un comp
1268 ù l’on doit se munir d’un plateau, de services et d’ assiettes pris sur la pile, puis défiler devant un comptoir où l’on dé
1269 iler devant un comptoir où l’on désigne les plats de son choix, — je déjeune avec des étudiants et leurs amies, des profes
1270 to dans la campagne, vers les petits lacs secrets de New Hampshire, perdus dans les forêts de bouleaux ; à Concord où j’ai
1271 secrets de New Hampshire, perdus dans les forêts de bouleaux ; à Concord où j’ai vu la maison d’Emerson, ses chapeaux et
1272 rêts de bouleaux ; à Concord où j’ai vu la maison d’ Emerson, ses chapeaux et ses cannes accrochés dans le hall, la chambre
1273 et ses cannes accrochés dans le hall, la chambre de Thoreau avec son lit qu’il avait fabriqué lui-même. Au crépuscule, j’
1274 j’aime errer sur les quais, le long des bâtiments de brique rose aux fenêtres encadrées de pierre et surmontés de clochers
1275 s bâtiments de brique rose aux fenêtres encadrées de pierre et surmontés de clochers fins au bulbe d’or, devant le couvent
1276 ose aux fenêtres encadrées de pierre et surmontés de clochers fins au bulbe d’or, devant le couvent luxueux des moines ang
1277 de pierre et surmontés de clochers fins au bulbe d’ or, devant le couvent luxueux des moines anglicans, et plus loin, à tr
1278 s et les fumées des feux qui les détruisent, lieu de désolation voluptueuse où T. S. Eliot, me dit-on, conçut l’idée de so
1279 uptueuse où T. S. Eliot, me dit-on, conçut l’idée de son Waste Land… Un grand cimetière le domine, je n’en ai jamais vu de
1280 omine, je n’en ai jamais vu de plus serein. Point de barrières ni d’allées. De simples pierres dressées sur le gazon, irré
1281 i jamais vu de plus serein. Point de barrières ni d’ allées. De simples pierres dressées sur le gazon, irrégulièrement espa
1282 u de plus serein. Point de barrières ni d’allées. De simples pierres dressées sur le gazon, irrégulièrement espacées. Ce p
1283 as la mort comme les Germains, et n’en fait point de cérémonies grandiloquentes comme les Latins, a les cimetières les plu
1284 opéen, parce qu’à la différence des autres bourgs de ce pays, l’on y trouve une vraie place, au carrefour de trois rues, e
1285 pays, l’on y trouve une vraie place, au carrefour de trois rues, et des cafés où vers six heures du soir se groupent autou
1286 fés où vers six heures du soir se groupent autour d’ un verre et d’un problème les écrivains, les jeunes professeurs, les l
1287 x heures du soir se groupent autour d’un verre et d’ un problème les écrivains, les jeunes professeurs, les logiciens et le
1288 génie aux États-Unis, c’est une catégorie précise d’ étudiants. « Génie » n’est pas un éloge excité, dans leur bouche : cel
1289 par des signes certains et scientifiques. Le test d’ intelligence d’un génie (examen portant sur la mémoire, l’érudition, l
1290 certains et scientifiques. Le test d’intelligence d’ un génie (examen portant sur la mémoire, l’érudition, le sens logique,
1291 n par exemple, n’en sera pas moins un spécialiste de Kierkegaard ou de Kafka, à l’analyse desquels il appliquera les théor
1292 n sera pas moins un spécialiste de Kierkegaard ou de Kafka, à l’analyse desquels il appliquera les théories de la logistiq
1293 , à l’analyse desquels il appliquera les théories de la logistique de Vienne, à moins qu’il ne préfère les aborder en soci
1294 quels il appliquera les théories de la logistique de Vienne, à moins qu’il ne préfère les aborder en sociologue postmarxis
1295 ns le regarder, comme on résout un petit problème de logique pure. Il portait une mouche au menton. Le second était ivre.
1296 génies. New York, 15 mai 1941 Recette pour vivre de peu. — Je me souviens de ce sous-titre de mon Journal d’un intellect
1297 1941 Recette pour vivre de peu. — Je me souviens de ce sous-titre de mon Journal d’un intellectuel en chômage . Je disai
1298 r vivre de peu. — Je me souviens de ce sous-titre de mon Journal d’un intellectuel en chômage . Je disais simplement : « 
1299 — Je me souviens de ce sous-titre de mon Journal d’ un intellectuel en chômage . Je disais simplement : « Gagner peu ». Et
1300 es libertés américaines, non sans angoisse. Point de bohème en Amérique. C’est la misère totale ou le niveau bourgeois, ce
1301 qu’en parler. Mais les intellectuels ? Ils n’ont de choix qu’entre le journalisme et le professorat. Or je répugne à l’un
1302 etit atelier, près de Greenwich village6, au haut d’ une vieille maison de pierre brune, et quitté non sans soulagement mon
1303 Greenwich village6, au haut d’une vieille maison de pierre brune, et quitté non sans soulagement mon hôtel. Un plancher b
1304 s fenêtres sur la cour. En face, le haut building d’ une imprimerie. À droite, je domine le toit plat, formant terrasse, d’
1305 droite, je domine le toit plat, formant terrasse, d’ une maison de trois étages, qui est un couvent. Les nonnes, deux par d
1306 mine le toit plat, formant terrasse, d’une maison de trois étages, qui est un couvent. Les nonnes, deux par deux, vont et
1307 ut craindre à chaque fois qu’elles fassent un pas de trop, et tombent dans le vide, pour peu que leur lecture les passionn
1308 Cendres, février 1942 Depuis des mois, j’essayais de m’y mettre7. Mais je fuyais partout, dans la rue, dans le monde, au c
1309 able — les deux bras du fauteuil touchant le bord de la table — devant un bloc de papier blanc. Des heures ont passé, immo
1310 uil touchant le bord de la table — devant un bloc de papier blanc. Des heures ont passé, immobiles. Le téléphone a sonné p
1311 s que je bouge. J’ai lentement relu ma conférence de Buenos Aires, des notes éparses. À sept heures, je me suis mis à écri
1312 u écrire, ou sortir. — Après trois jours et nuits de travail acharné, j’ai tenté hier soir une sortie. Deux signes m’ont p
1313 vé que jusqu’à nouvel ordre je suis le prisonnier de mon livre et ferais bien de ne plus m’en échapper. Je devais aller ch
1314 je suis le prisonnier de mon livre et ferais bien de ne plus m’en échapper. Je devais aller chez des amis après le dîner.
1315 sur le seuil : va-t-on me servir encore ? Au fond de la salle, deux hommes et une femme attablés causent et boivent. L’un
1316 Ils se retournent à demi et rient. J’ai fui. Pas d’ autre restaurant dans ce quartier. Je suis monté sans dîner chez mes a
1317 salon. Rentré tôt, mais n’ai rien fait qui vaille de toute la nuit. Voilà qui est clair : ou écrire, ou sortir. 20 mars 19
1318 t-être tombées dans la cour. Des gouttes chargées de suie s’écrasent sur mon papier, la verrière doit être fendue ou mal j
1319 fendue ou mal jointe. Raccommodé avec un ligament de ficelle verte le pied cassé de mon petit fauteuil. Bonheur d’écrire e
1320 é avec un ligament de ficelle verte le pied cassé de mon petit fauteuil. Bonheur d’écrire et de me sentir libre nuit et jo
1321 erte le pied cassé de mon petit fauteuil. Bonheur d’ écrire et de me sentir libre nuit et jour. Fin mars 1942 Écrit finis à
1322 cassé de mon petit fauteuil. Bonheur d’écrire et de me sentir libre nuit et jour. Fin mars 1942 Écrit finis à six heures
1323 devant le vieux prêtre anglican, dans une crypte de pierre nue. Exorciser en moi la part du diable, celle qu’il a sans do
1324 ’ai si vite bouclé ce livre, c’était pour essayer de le prendre de vitesse. 1er avril 1942 Une lettre du propriétaire m’ap
1325 uclé ce livre, c’était pour essayer de le prendre de vitesse. 1er avril 1942 Une lettre du propriétaire m’apprend qu’on va
1326 n regarde les vitrines différemment selon qu’on a de l’argent dans sa poche ou non ! D’abord, on ne regarde pas les mêmes.
1327 e vitrine, en bonne partie, il doit être possible de déterminer le degré de fortune ou d’infortune d’un auteur d’après ses
1328 tie, il doit être possible de déterminer le degré de fortune ou d’infortune d’un auteur d’après ses descriptions du monde.
1329 tre possible de déterminer le degré de fortune ou d’ infortune d’un auteur d’après ses descriptions du monde. 10 mai 1942
1330 de déterminer le degré de fortune ou d’infortune d’ un auteur d’après ses descriptions du monde. 10 mai 1942 Un job. — J’
1331 quitter l’Office of War Information, étant appelé d’ urgence à Washington. La place sera vacante demain après-midi, et sans
1332 ce travail, nouveau pour moi : écrire des textes d’ information et des commentaires politiques, diffusés par ondes courtes
1333 és par ondes courtes vers la France et retransmis de Londres par la BBC. Fin mai 1942 Échantillons. — Voici donc la secti
1334 n mai 1942 Échantillons. — Voici donc la section de langue française d’un organisme américain qui tient le rang et joue l
1335 lons. — Voici donc la section de langue française d’ un organisme américain qui tient le rang et joue le rôle de ministère
1336 in qui tient le rang et joue le rôle de ministère de l’Information. Il peut être amusant de noter pour plus tard la compos
1337 ministère de l’Information. Il peut être amusant de noter pour plus tard la composition de notre équipe en termes de gaze
1338 re amusant de noter pour plus tard la composition de notre équipe en termes de gazette littéraire. L’ancien rédacteur en c
1339 de gazette littéraire. L’ancien rédacteur en chef de Paris-Soir assisté par l’ancien secrétaire de la Revue hebdomadaire l
1340 hef de Paris-Soir assisté par l’ancien secrétaire de la Revue hebdomadaire la dirige. L’ancien secrétaire de la Nouvelle
1341 Revue hebdomadaire la dirige. L’ancien secrétaire de la Nouvelle Revue française et l’ancien rédacteur en chef du Matin
1342 ancien rédacteur en chef du Matin lui fournissent de la copie. Les anciens directeurs de La Révolution surréaliste et de L
1343 i fournissent de la copie. Les anciens directeurs de La Révolution surréaliste et de L’Esprit nouveau parlent cette copie
1344 nciens directeurs de La Révolution surréaliste et de L’Esprit nouveau parlent cette copie devant le micro. Cependant que s
1345 ant que s’affairent dans la grande salle centrale d’ anciens collaborateurs des Nouvelles littéraires , du Collège de soci
1346 borateurs des Nouvelles littéraires , du Collège de sociologie, d’ Esprit , du Figaro , etc. Telles sont les petites sur
1347 Nouvelles littéraires , du Collège de sociologie, d’ Esprit , du Figaro , etc. Telles sont les petites surprises de l’exi
1348 Figaro , etc. Telles sont les petites surprises de l’exil. Fin juin 1942 Une journée à l’OWI.— André Breton, superbemen
1349 comme un lion bien décidé à ignorer les barreaux de sa cage, apparaît vers cinq heures au fond de la grande salle. Il vie
1350 aux de sa cage, apparaît vers cinq heures au fond de la grande salle. Il vient nous prêter sa voix noble, agrémentée d’un
1351 e. Il vient nous prêter sa voix noble, agrémentée d’ un léger sifflement, mais il garde pour lui son port de tête et sa pré
1352 léger sifflement, mais il garde pour lui son port de tête et sa présence d’esprit indiscernablement ironique, admirante et
1353 il garde pour lui son port de tête et sa présence d’ esprit indiscernablement ironique, admirante et solennelle. Qu’on lui
1354 lvador Dali, qu’il appelle Avida Dollars, le soin de faire monnaie d’une étiquette plus prestigieuse ici qu’à Paris même :
1355 l appelle Avida Dollars, le soin de faire monnaie d’ une étiquette plus prestigieuse ici qu’à Paris même : surréalisme. Cha
1356 n texte terminé sous pression passe par une série de bureaux, de la censure à la polycopie, avant d’être remis aux speaker
1357 iné sous pression passe par une série de bureaux, de la censure à la polycopie, avant d’être remis aux speakers, nous trou
1358 e de bureaux, de la censure à la polycopie, avant d’ être remis aux speakers, nous trouvons un moment pour causer. Et souve
1359 Et souvent nous parlons des fêtes que nous rêvons d’ organiser. Celle par exemple qui devrait durer trois jours dans une va
1360 serescrit , les heures réglées, le moindre indice de relâchement dans l’attitude ou le langage entraînant des sanctions im
1361 … Introduction à la vie hiératique… C’est un rêve de compensation, si l’on voit dans quel cadre nous sommes en train de ca
1362 n, il apporte son texte sur la vie dans les camps d’ entraînement. Il a trouvé le moyen de se rendre plus invisible encore
1363 ns les camps d’entraînement. Il a trouvé le moyen de se rendre plus invisible encore à force de discrétion, en revêtant l’
1364 ant et le jeune fils des Pitoëff, se voient priés de passer au studio 16 pour l’émission. Dans cinq minutes, au fond d’une
1365 io 16 pour l’émission. Dans cinq minutes, au fond d’ une campagne française — ce sera déjà la nuit là-bas — des oreilles cl
1366 — des oreilles clandestines entendront : La Voix de l’Amérique parle aux Français. Il est temps que je recueille et dépou
1367 emps que je recueille et dépouille les directives de Washington, de New York, de Londres, pour ma seconde émission, celle
1368 ueille et dépouille les directives de Washington, de New York, de Londres, pour ma seconde émission, celle de la nuit. Pie
1369 ouille les directives de Washington, de New York, de Londres, pour ma seconde émission, celle de la nuit. Pierre Lazareff,
1370 York, de Londres, pour ma seconde émission, celle de la nuit. Pierre Lazareff, en bras de chemise, sort de sa cage vitrée,
1371 ssion, celle de la nuit. Pierre Lazareff, en bras de chemise, sort de sa cage vitrée, le crayon sur l’oreille et le front
1372 a nuit. Pierre Lazareff, en bras de chemise, sort de sa cage vitrée, le crayon sur l’oreille et le front maculé d’encre à
1373 itrée, le crayon sur l’oreille et le front maculé d’ encre à copier. Il me cherche du regard par-dessus ses lunettes. Il ti
1374 gard par-dessus ses lunettes. Il tient une liasse de documents, les feuillette rapidement, comme sans regarder, sort une p
1375 te rapidement, comme sans regarder, sort une page d’ un petit geste nerveux : « Voilà ce que vous cherchiez, mon cher. Une
1376 Une bonne idée pour vous là-dedans ! » Cela tient de la divination, et c’est juste neuf fois sur dix. Huit heures et demie
1377 neuf fois sur dix. Huit heures et demie. L’équipe de nuit s’installe sans bruit dans les bureaux presque déserts. Téléphon
1378 bruit dans les bureaux presque déserts. Téléphone de Bernstein, il voudrait bien savoir un peu ce qui se passe… « N’êtes-v
1379 a victime. » Sur quoi, peut-être, il serait temps d’ aller à ce dîner, n’était-ce pas pour huit heures ? Quitte à revenir t
1380 é, je monterai chez « Saint-Ex » faire une partie d’ échecs et l’écouter parler des malheurs de sa France… Juin 1942 La gue
1381 partie d’échecs et l’écouter parler des malheurs de sa France… Juin 1942 La guerre va mal, il faut le dire, et persuader
1382 re. Mais j’ai pu annoncer le premier raid anglais de mille avions, et la promesse du général Marshall : « Nous débarqueron
1383 . — Lorsqu’il est arrivé en Amérique, il n’a paru de lui qu’une seule photo, encore était-elle prise de dos. (Mais ce trai
1384 e lui qu’une seule photo, encore était-elle prise de dos. (Mais ce trait justement le révélait.) Penché à un balcon d’hôte
1385 trait justement le révélait.) Penché à un balcon d’ hôtel, au haut d’une tour, dominant le paysage épique de Manhattan, il
1386 le révélait.) Penché à un balcon d’hôtel, au haut d’ une tour, dominant le paysage épique de Manhattan, il se refusait à l’
1387 l, au haut d’une tour, dominant le paysage épique de Manhattan, il se refusait à l’interview. À Washington, il vit dans de
1388 uement, les visiteurs qui passent par cette ville de nulle part. Et j’ai songé à cette autre retraite, la maison rose de «
1389 j’ai songé à cette autre retraite, la maison rose de « La Muette », où Ramuz lui aussi laisse venir ceux qui lui apportent
1390 i laisse venir ceux qui lui apportent les rumeurs de la planète. Mais l’un questionne et l’autre parle. Il parle de Briand
1391 . Mais l’un questionne et l’autre parle. Il parle de Briand qu’il a servi longtemps, et qui n’a jamais su qu’il y avait Sa
1392 ui n’a jamais su qu’il y avait Saint-John Perse ; d’ Hitler dont il a regardé les yeux de près et qu’il décrit en termes mé
1393 -John Perse ; d’Hitler dont il a regardé les yeux de près et qu’il décrit en termes médicaux ; de Reynaud qui l’a renvoyé
1394 yeux de près et qu’il décrit en termes médicaux ; de Reynaud qui l’a renvoyé sous la pression du parti de l’armistice… Et
1395 Reynaud qui l’a renvoyé sous la pression du parti de l’armistice… Et je doute si personne aujourd’hui parle un français pl
1396 i personne aujourd’hui parle un français plus sûr de ses nuances, plus naturellement mémorable. Quand il vient à New York
1397 , il se promène interminablement, suivant au long d’ avenues anonymes des caravanes de songes planétaires nourris de mainte
1398 suivant au long d’avenues anonymes des caravanes de songes planétaires nourris de maintes connaissances des prestiges, et
1399 nymes des caravanes de songes planétaires nourris de maintes connaissances des prestiges, et de la ruse et des métiers de
1400 ourris de maintes connaissances des prestiges, et de la ruse et des métiers de plus d’une race… « Chemins du monde, l’un v
1401 s prestiges, et de la ruse et des métiers de plus d’ une race… « Chemins du monde, l’un vous suit. » Chemins d’exil. Wespor
1402 ce… « Chemins du monde, l’un vous suit. » Chemins d’ exil. Wesport (Connecticut), 15 août 1942 Huit jours de vacances à la
1403 l. Wesport (Connecticut), 15 août 1942 Huit jours de vacances à la mer. Je partage cette maison de bois, au bord du Sound,
1404 urs de vacances à la mer. Je partage cette maison de bois, au bord du Sound, avec les Saint-Exupéry. Parties d’échecs sur
1405 au bord du Sound, avec les Saint-Exupéry. Parties d’ échecs sur la galerie, après le bain, à toutes les heures du jour et d
1406 ie, après le bain, à toutes les heures du jour et de la nuit. Profité de ce bref loisir pour reprendre mon diable abandonn
1407 toutes les heures du jour et de la nuit. Profité de ce bref loisir pour reprendre mon diable abandonné dans un tiroir dep
1408 rle » et la passion réelle). Tonio rentre un soir de New York portant gauchement sous le bras une longue boîte noire, d’où
1409 t gauchement sous le bras une longue boîte noire, d’ où sort un très jeune chien tremblant. C’est un boxer qu’il baptise An
1410 la plage. 18 août 1942 Peut-être qu’il n’est pas de bonheur plus conscient que celui de l’enfance retrouvée dans une vaca
1411 ’il n’est pas de bonheur plus conscient que celui de l’enfance retrouvée dans une vacance où le travail lui-même est jeu.
1412 ail s’intensifie, et les échos nous en reviennent de France. Leur dire là-bas, dire à la Résistance que la situation se re
1413 ique : car cela signifie pratiquement un peu plus de bateaux vers l’Europe. Leur dire que la production de guerre américai
1414 ateaux vers l’Europe. Leur dire que la production de guerre américaine peut leur sembler une tartarinade8, mais que lorsqu
1415 bler une tartarinade8, mais que lorsqu’on la voit de ses yeux, elle donne une sensation directe de la victoire inévitable.
1416 oit de ses yeux, elle donne une sensation directe de la victoire inévitable. Leur répéter chaque jour quels sont les plans
1417 le. Leur répéter chaque jour quels sont les plans d’ Hitler pour dépouiller la France de sa main-d’œuvre qualifiée — opérat
1418 sont les plans d’Hitler pour dépouiller la France de sa main-d’œuvre qualifiée — opération que Laval diaboliquement baptis
1419 « relève des prisonniers » ; donner des recettes de sabotage, qui seront reprises par la presse clandestine… Mais dire au
1420 aussi les revers et les défaites : notre consigne de véracité est absolue. Washington part de l’idée juste qu’il n’est pas
1421 consigne de véracité est absolue. Washington part de l’idée juste qu’il n’est pas de mensonge, si pieux mensonge soit-il,
1422 . Washington part de l’idée juste qu’il n’est pas de mensonge, si pieux mensonge soit-il, qui ne serve Hitler en fin de co
1423 is vingt à trente pages par jour après des heures de recherches préparatoires. Abondance de documents sur l’Afrique du Nor
1424 des heures de recherches préparatoires. Abondance de documents sur l’Afrique du Nord, depuis quelques jours… Long Island,
1425 es Saint-Exupéry. J’y passe mes trente-six heures de congé, chaque semaine. C’est immense, sur un promontoire emplumé d’ar
1426 emaine. C’est immense, sur un promontoire emplumé d’ arbres échevelés par les tempêtes, mais doucement entouré de trois côt
1427 chevelés par les tempêtes, mais doucement entouré de trois côtés par des lagunes sinueuses qui s’avancent dans un paysage
1428 lagunes sinueuses qui s’avancent dans un paysage de forêts et d’îles tropicales. « Je voulais une cabane et c’est le Pala
1429 euses qui s’avancent dans un paysage de forêts et d’ îles tropicales. « Je voulais une cabane et c’est le Palais de Versail
1430 cales. « Je voulais une cabane et c’est le Palais de Versailles ! » s’est écrié Tonio bourru, en pénétrant le premier soir
1431 l. Maintenant, on ne saurait plus le faire sortir de Bevin House. Il s’est remis à écrire un conte d’enfants qu’il illustr
1432 de Bevin House. Il s’est remis à écrire un conte d’ enfants qu’il illustre lui-même à l’aquarelle. Géant chauve, aux yeux
1433 -même à l’aquarelle. Géant chauve, aux yeux ronds d’ oiseau des hauts parages, aux doigts précis de mécanicien, il s’appliq
1434 nds d’oiseau des hauts parages, aux doigts précis de mécanicien, il s’applique à manier de petits pinceaux puérils et tire
1435 igts précis de mécanicien, il s’applique à manier de petits pinceaux puérils et tire la langue pour ne pas « dépasser ». J
1436 c’est moi ! » Le soir, il nous lit les fragments d’ un livre énorme (« Je vais vous lire mon œuvre posthume ») et qui me p
1437 une rigueur inflexible. Il me donne l’impression d’ un cerveau qui ne peut plus s’arrêter de penser… Fin octobre 1942 Pro
1438 mpression d’un cerveau qui ne peut plus s’arrêter de penser… Fin octobre 1942 Propagande et style. — Depuis que je suis à
1439 otidiennes, je n’ai pu guère écrire que ces notes de journal, et deux essais pour des revues américaines. Mais ces essais-
1440 ’ont suffi pour déceler l’influence sur mon style de ce travail de propagande. Ou bien serait-ce l’influence de l’Amérique
1441 r déceler l’influence sur mon style de ce travail de propagande. Ou bien serait-ce l’influence de l’Amérique en général ?
1442 vail de propagande. Ou bien serait-ce l’influence de l’Amérique en général ? Mais elles convergent ou même s’identifient.
1443 ne aujourd’hui à écrire certaines phrases, à user de certains tours que je pressens intraduisibles, au sens le plus large
1444 terme. Car il ne s’agit pas seulement, pour moi, d’ écrire en vue d’une traduction américaine, mais également en vue d’une
1445 e s’agit pas seulement, pour moi, d’écrire en vue d’ une traduction américaine, mais également en vue d’une transmission di
1446 ’une traduction américaine, mais également en vue d’ une transmission directe à la radio. Dans les deux cas, les exigences
1447 pliquent le renoncement à toutes ces coquetteries de style imitées de nos auteurs anciens qu’on trouvait à chaque ligne ch
1448 cement à toutes ces coquetteries de style imitées de nos auteurs anciens qu’on trouvait à chaque ligne chez Valéry, chez G
1449 e ligne chez Valéry, chez Gide et leurs disciples de la NRF , et qui en anglais retombent à plat, à la radio font parasit
1450 radio font parasites. Il faut sauter dans le vif d’ un sujet, sans précautions de langage ni fausse humilité. Puis s’effor
1451 t sauter dans le vif d’un sujet, sans précautions de langage ni fausse humilité. Puis s’efforcer de suivre la ligne de plu
1452 ns de langage ni fausse humilité. Puis s’efforcer de suivre la ligne de plus grande efficacité, sans la moindre bavure sav
1453 » sinon par référence à des modèles anciens. (Que de pastiches dans nos lettres modernes !) Bien écrire, c’est régler ses
1454 ite » ; ou l’exiger, selon les cas. Que serait-ce d’ être un grand écrivain dans une langue morte ? Ou dans une langue parl
1455 par une petite peuplade dispersée ? Or une partie de la littérature française moderne, la meilleure justement, s’est mise
1456 bien », parce que leurs élégances restent cousues de fil blanc. On y est fort sensible à Paris. Cependant nous vivons au x
1457 alité, originalité, beauté, vérité intrinsèque ou de leur opportunité et de leur pouvoir de signification commune. Une car
1458 uté, vérité intrinsèque ou de leur opportunité et de leur pouvoir de signification commune. Une carrière de grand écrivain
1459 insèque ou de leur opportunité et de leur pouvoir de signification commune. Une carrière de grand écrivain commence par la
1460 ur pouvoir de signification commune. Une carrière de grand écrivain commence par la qualité et finit par la signification.
1461 a qualité et finit par la signification. À partir d’ un certain moment, la gloire d’un homme confère de l’importance à la m
1462 fication. À partir d’un certain moment, la gloire d’ un homme confère de l’importance à la moindre opinion qu’il exprime —
1463 d’un certain moment, la gloire d’un homme confère de l’importance à la moindre opinion qu’il exprime — par position. (Et c
1464 qu’il exprime — par position. (Et c’est le signe de la gloire moderne.) Il entre dans le domaine public, dans la banalité
1465 opre du terme (ce qui est à tous, comme on le dit d’ un cœur, d’un taureau ou d’un four « banal »). Fin de la vie d’un Tols
1466 me (ce qui est à tous, comme on le dit d’un cœur, d’ un taureau ou d’un four « banal »). Fin de la vie d’un Tolstoï ou d’un
1467 tous, comme on le dit d’un cœur, d’un taureau ou d’ un four « banal »). Fin de la vie d’un Tolstoï ou d’un Goethe ; d’un V
1468 n cœur, d’un taureau ou d’un four « banal »). Fin de la vie d’un Tolstoï ou d’un Goethe ; d’un Valéry et d’un Gide, parmi
1469 un taureau ou d’un four « banal »). Fin de la vie d’ un Tolstoï ou d’un Goethe ; d’un Valéry et d’un Gide, parmi nous. La g
1470 un four « banal »). Fin de la vie d’un Tolstoï ou d’ un Goethe ; d’un Valéry et d’un Gide, parmi nous. La gloire est devenu
1471 l »). Fin de la vie d’un Tolstoï ou d’un Goethe ; d’ un Valéry et d’un Gide, parmi nous. La gloire est devenue le droit d’é
1472 vie d’un Tolstoï ou d’un Goethe ; d’un Valéry et d’ un Gide, parmi nous. La gloire est devenue le droit d’énoncer des bana
1473 Gide, parmi nous. La gloire est devenue le droit d’ énoncer des banalités mais qui ne passent plus pour telles, et qui por
1474 ai l’original, le différent. Or le but reste bien d’ élever le niveau banal en dégageant des significations communes. (Quit
1475 core inéchangeables cette année. Mais il convient de les maquiller un peu, pour qu’elles circulent, précisément.) Le monde
1476 isément.) Le monde actuel pressent qu’il a besoin de maîtres et de directeurs de conscience, plutôt que de monstres précie
1477 onde actuel pressent qu’il a besoin de maîtres et de directeurs de conscience, plutôt que de monstres précieux. Cependant,
1478 essent qu’il a besoin de maîtres et de directeurs de conscience, plutôt que de monstres précieux. Cependant, il faut comme
1479 aîtres et de directeurs de conscience, plutôt que de monstres précieux. Cependant, il faut commencer par être un monstre,
1480 e création est en soi monstrueuse, qu’il s’agisse de l’automobile, du sourire de la Joconde, ou des Variations Goldberg. L
1481 ueuse, qu’il s’agisse de l’automobile, du sourire de la Joconde, ou des Variations Goldberg. Les copies seules sont accept
1482 ) Bevin House, fin octobre 1942 Dans cette maison d’ il y a longtemps, semblable à celles de mon enfance, en marge du temps
1483 tte maison d’il y a longtemps, semblable à celles de mon enfance, en marge du temps de la guerre, j’ai vécu des journées s
1484 blable à celles de mon enfance, en marge du temps de la guerre, j’ai vécu des journées soustraites au Destin. La mer est g
1485 eaux sifflent, et l’automne atténue la sauvagerie de la verdure américaine. Que fais-je ici, que rejoindre ma vie, pas à p
1486 eut qu’on m’envoie bientôt en Afrique du Nord, et de là… Et j’éprouve un besoin presque panique de me rassembler, de me re
1487 et de là… Et j’éprouve un besoin presque panique de me rassembler, de me retrouver, pour rentrer tout entier en Europe ap
1488 rouve un besoin presque panique de me rassembler, de me retrouver, pour rentrer tout entier en Europe après ces deux année
1489 ntrer tout entier en Europe après ces deux années de violente dérive. … mais sachez-le : Nous n’étions pas absents de vou
1490 ve. … mais sachez-le : Nous n’étions pas absents de vous plus que de nous-mêmes. Vous étiez « occupés », nous étions en e
1491 z-le : Nous n’étions pas absents de vous plus que de nous-mêmes. Vous étiez « occupés », nous étions en exil, et les uns c
1492 se en question générale au pire moment, à l’heure de moindre résistance. Notre angoisse était de penser : parlerons-nous e
1493 heure de moindre résistance. Notre angoisse était de penser : parlerons-nous encore le même langage au jour de ce retour e
1494 r : parlerons-nous encore le même langage au jour de ce retour en France, — dans quelle France, et dans quelle Europe ? No
1495 ns quelle Europe ? Nous étions soumis à l’érosion de l’exil, moins brutale, certes, mais plus intime que celle de l’occupa
1496 moins brutale, certes, mais plus intime que celle de l’occupation. Un conquérant n’occupe jamais que l’extérieur, mais l’é
1497 e l’extérieur, mais l’étranger s’infiltre au cœur de l’être. Comment lui résisterait-on ? C’est un ami. Il vous a reçus d’
1498 us a proposé ses façons et usages qu’il convenait d’ aimer. Bientôt, s’il voit que vous restez là, il change un peu : vous
1499 s’arranger pour payer. Et quand vous n’avez plus d’ argent, c’est tout d’un coup le monsieur qui ne tient pas à ce que vou
1500 r. Et quand vous n’avez plus d’argent, c’est tout d’ un coup le monsieur qui ne tient pas à ce que vous causiez des ennuis.
1501 vous êtes trop nombreux, on ne peut pas s’occuper de chacun de vous. Et c’est bien vrai. Nous étions trop nombreux. En Fra
1502 trop nombreux, on ne peut pas s’occuper de chacun de vous. Et c’est bien vrai. Nous étions trop nombreux. En France, en Su
1503 vant la guerre, nous trouvions qu’il y avait trop de juifs réfugiés. Des gens frappés par le malheur, où que ce soit, il y
1504 sait enviable, à juste titre. Les pires tourments de l’esprit et du cœur ont toujours paru préférables à la torture physiq
1505 ndre par nous, dans l’exil… 6. Quartier du bas de la ville où habitent beaucoup d’écrivains et surtout de peintres. 7.
1506 Quartier du bas de la ville où habitent beaucoup d’ écrivains et surtout de peintres. 7. Il s’agit du livre intitulé La
1507 ville où habitent beaucoup d’écrivains et surtout de peintres. 7. Il s’agit du livre intitulé La Part du diable , qui de
1508 diable , qui devait paraître à New York à la fin de 1942, dans une première version. La seconde version, élargie, date de
1509 emière version. La seconde version, élargie, date de 1944. 8. Nous annoncions chaque semaine, à cette époque, le résultat
1510 cions chaque semaine, à cette époque, le résultat de l’effort spectaculaire entrepris par les chantiers maritimes de Henry
1511 ectaculaire entrepris par les chantiers maritimes de Henry Kaiser : il se proposait de réduire le temps de construction d’
1512 tiers maritimes de Henry Kaiser : il se proposait de réduire le temps de construction d’un cargo Liberty de trente-six jou
1513 enry Kaiser : il se proposait de réduire le temps de construction d’un cargo Liberty de trente-six jours à quatorze, puis
1514 se proposait de réduire le temps de construction d’ un cargo Liberty de trente-six jours à quatorze, puis à cinq ! Il y pa
1515 duire le temps de construction d’un cargo Liberty de trente-six jours à quatorze, puis à cinq ! Il y parvint. i. Rougemo
1516 puis à cinq ! Il y parvint. i. Rougemont Denis de , « Journal d’un intellectuel en exil », Fontaine, Paris, mars 1947, p
1517 Il y parvint. i. Rougemont Denis de, « Journal d’ un intellectuel en exil », Fontaine, Paris, mars 1947, p. 899-916.
10 1947, Articles divers (1946-1948). La jeune littérature des États-Unis devant le roman américain (7 juin 1947)
1518 is dans tout New York qu’une seule vraie terrasse de café, celle du Brevoort, au bas de la Cinquième Avenue. C’est là que
1519 ’est là que Dos Passos situe plusieurs des scènes de ses romans, et c’est là qu’il y a bien six ans j’ai connu Carson McCu
1520 ans j’ai connu Carson McCullers. Elle avait l’air d’ une toute jeune fille montée en graine, avec ses petits bas rouges au-
1521 dans la ville. Je la félicitai sur le beau titre de son premier roman qui venait de paraître — écrit entre 19 et 22 ans —
1522 rd je la revis à Brooklyn, dans une sombre maison de quatre étages où m’avait amené Golo, le plus jeune fils de Thomas Man
1523 étages où m’avait amené Golo, le plus jeune fils de Thomas Mann. Un mélange improbable de Kafka, d’Enfants terribles et d
1524 jeune fils de Thomas Mann. Un mélange improbable de Kafka, d’Enfants terribles et de style vieux New York en définissait
1525 s de Thomas Mann. Un mélange improbable de Kafka, d’ Enfants terribles et de style vieux New York en définissait l’atmosphè
1526 lange improbable de Kafka, d’Enfants terribles et de style vieux New York en définissait l’atmosphère. On écrivait, on com
1527 rtes, et l’on se réunissait pour les repas autour d’ une très longue table que servaient deux ou trois énormes négresses. W
1528 is, rédacteur du Harper’s Bazaar, tenait son rôle de propriétaire. Benjamin Britten et Paul Bowles représentaient la jeune
1529 titre étaient des « creative people », parlaient de Kierkegaard, de Jung, de ballet, de sculpture précolombienne. Je croi
1530 es « creative people », parlaient de Kierkegaard, de Jung, de ballet, de sculpture précolombienne. Je crois bien que toute
1531 tive people », parlaient de Kierkegaard, de Jung, de ballet, de sculpture précolombienne. Je crois bien que toute la jeune
1532  », parlaient de Kierkegaard, de Jung, de ballet, de sculpture précolombienne. Je crois bien que toute la jeune littératur
1533 horégraphie américaines ont traversé cette maison de Brooklyn, seul centre de pensée et d’art que j’aie trouvé dans une gr
1534 nt traversé cette maison de Brooklyn, seul centre de pensée et d’art que j’aie trouvé dans une grande ville de ce pays. ⁂
1535 ette maison de Brooklyn, seul centre de pensée et d’ art que j’aie trouvé dans une grande ville de ce pays. ⁂ Et puis leur
1536 e et d’art que j’aie trouvé dans une grande ville de ce pays. ⁂ Et puis leur nomadisme habituel les a repris. Un an plus t
1537 un train venant du Sud, en route pour une maison de vacances d’écrivains, tout au Nord, près de Saratoga. Elle me tend de
1538 nant du Sud, en route pour une maison de vacances d’ écrivains, tout au Nord, près de Saratoga. Elle me tend de ses mains t
1539 ins, tout au Nord, près de Saratoga. Elle me tend de ses mains tremblantes une petite coupure de journal : son mari, le li
1540 tend de ses mains tremblantes une petite coupure de journal : son mari, le lieutenant McCullers, est signalé comme le pre
1541 i fut le premier à saluer son talent — la reprise de l’émigration traditionnelle des écrivains américains vers le Vieux Mo
1542 être que les jeunes Américains sont moins anxieux de renouveler ou d’assouplir leurs procédés que de se créer un ordre int
1543 es Américains sont moins anxieux de renouveler ou d’ assouplir leurs procédés que de se créer un ordre intime et d’approche
1544 x de renouveler ou d’assouplir leurs procédés que de se créer un ordre intime et d’approcher par des moyens plus déliés ce
1545 leurs procédés que de se créer un ordre intime et d’ approcher par des moyens plus déliés ce monde dont leurs aînés décriva
1546 t leurs aînés décrivaient le chaos avec une sorte de brutalité qui en était le reflet plus que l’explication. Mais cette r
1547 nt, se rapprochent et se manquent dans une espèce de tâtonnement aventureux qui est le mouvement même de la vie intérieure
1548 tâtonnement aventureux qui est le mouvement même de la vie intérieure en quête d’explications, de rythmes, de certitudes
1549 t le mouvement même de la vie intérieure en quête d’ explications, de rythmes, de certitudes à embrasser. La nouvelle litté
1550 ême de la vie intérieure en quête d’explications, de rythmes, de certitudes à embrasser. La nouvelle littérature américain
1551 e intérieure en quête d’explications, de rythmes, de certitudes à embrasser. La nouvelle littérature américaine, au lieu d
1552 s qui tourmentent l’époque. m. Rougemont Denis de , « La jeune littérature des États-Unis devant le roman américain », L
11 1947, Articles divers (1946-1948). Drôle de paix (7 juin 1947)
1553 Drôle de paix (7 juin 1947)l Nouvelles du monde chaque matin dans l’excitan
1554 du monde chaque matin dans l’excitante confusion d’ un grand journal américain : la juxtaposition des faits, des lieux, de
1555 plans et des valeurs humaines y dégage une espèce de lyrisme « global », mais elle augmente aussi l’incertitude. Or ce n’e
1556 l’incertitude qui domine l’état d’esprit général de l’époque, depuis que Hitler a disparu. Notre vision du monde, naguère
1557 e vision du monde, naguère limitée aux dimensions de la nation, mais désormais sollicitée par des espaces nouveaux, se tro
1558 utumiers et pratiques s’est élargi aux dimensions de la planète. Que faire de ces informations en vrac, dont chacune signa
1559 st élargi aux dimensions de la planète. Que faire de ces informations en vrac, dont chacune signale une menace ou une prom
1560 nous concerner, mais dont il nous est impossible d’ évaluer la portée concrète ? Savoir d’abord les faits La Russie s
1561 tialistes et l’adultère. Quelle est donc son idée de la liberté ? Aux Indes les musulmans, les hindous et les princes ne s
1562 princes ne s’accordent que sur un point, qui est de refuser les plans de retraite obstinément offerts par les Anglais. Qu
1563 nt que sur un point, qui est de refuser les plans de retraite obstinément offerts par les Anglais. Que penser de l’impéria
1564 e obstinément offerts par les Anglais. Que penser de l’impérialisme britannique, représenté d’ailleurs par le Labour Party
1565 mérique du Sud le dictateur Perón signe une série de traités d’Anschluss économiques avec ses voisins immédiats et devient
1566 Sud le dictateur Perón signe une série de traités d’ Anschluss économiques avec ses voisins immédiats et devient une puissa
1567 ec ses voisins immédiats et devient une puissance de premier plan. On croyait le fascisme abattu. Les statistiques révèlen
1568 s conséquences, mais lesquelles ? Il n’est pas un de ces faits, grands ou petits, moral, économique, culturel, religieux,
1569 gir, à plus ou moins longue échéance, sur le sort de chacune de nos nations d’Europe et sur nos vies individuelles. Il n’e
1570 ou moins longue échéance, sur le sort de chacune de nos nations d’Europe et sur nos vies individuelles. Il n’est pas un d
1571 e échéance, sur le sort de chacune de nos nations d’ Europe et sur nos vies individuelles. Il n’est pas un de ces faits qu’
1572 pe et sur nos vies individuelles. Il n’est pas un de ces faits qu’on puisse analyser à l’aide de nos catégories de droite
1573 qu’on puisse analyser à l’aide de nos catégories de droite et de gauche sans glisser vers l’insanité ou révéler son ignor
1574 analyser à l’aide de nos catégories de droite et de gauche sans glisser vers l’insanité ou révéler son ignorance. Il n’es
1575 nsanité ou révéler son ignorance. Il n’est pas un de ces faits, par conséquent, dont tiennent compte nos débats politiques
1576 ques. Ces derniers sont centrés sur des questions de partis et de partis pris locaux et ancestraux nommés « doctrines », q
1577 niers sont centrés sur des questions de partis et de partis pris locaux et ancestraux nommés « doctrines », qui ont à peu
1578 avec l’état des forces dans le monde qu’un combat de coqs avec le problème de la bombe. Et tout cela n’est que trop nature
1579 ns le monde qu’un combat de coqs avec le problème de la bombe. Et tout cela n’est que trop naturel. Il est parfaitement na
1580 est parfaitement naturel que nous aimions parler de politique. Il est parfaitement naturel que nos discussions se passion
1581 se passionnent dans la mesure où elles s’allègent d’ une quantité d’informations encore plus difficiles à retenir qu’à rass
1582 dans la mesure où elles s’allègent d’une quantité d’ informations encore plus difficiles à retenir qu’à rassembler ; car c’
1583 c’est la passion que nous aimons et l’affirmation de nos points de vue, et s’il fallait d’abord savoir les faits il n’y au
1584 d’abord savoir les faits il n’y aurait plus moyen de causer. La bêtise triomphante Cependant nous soupçonnons bien q
1585 dant nous soupçonnons bien qu’en dehors de ce jeu de nos partis il y a la vie sérieuse, la vie réelle du monde, d’immenses
1586 s il y a la vie sérieuse, la vie réelle du monde, d’ immenses transformations continentales qui demain disposeront de nos v
1587 nsformations continentales qui demain disposeront de nos vies : s’en occuper serait s’occuper vraiment de politique. Car i
1588 nos vies : s’en occuper serait s’occuper vraiment de politique. Car il n’y a plus à proprement parler de politique pratiqu
1589 politique. Car il n’y a plus à proprement parler de politique pratique, sérieuse et efficace, sinon dans le cadre planéta
1590 apon l’ont démontré par leur échec, qui fut celui d’ une dernière tentative d’impérialisme national et autarcique niant la
1591 eur échec, qui fut celui d’une dernière tentative d’ impérialisme national et autarcique niant la solidarité globale. Désor
1592 pinion publique mondiale qui seule nous permettra de dominer la cause unique des guerres depuis cent ans, à savoir bêtise
1593 epuis cent ans, à savoir bêtise armée sous le nom de nationalisme. Quatre foyers de contradictions Le monde s’offre
1594 mée sous le nom de nationalisme. Quatre foyers de contradictions Le monde s’offre à nos yeux, cette année, sous les
1595 s’offre à nos yeux, cette année, sous les espèces de quatre ou cinq foyers continentaux de crises et de profondes contradi
1596 les espèces de quatre ou cinq foyers continentaux de crises et de profondes contradictions internes. Leur lien n’est pas f
1597 e quatre ou cinq foyers continentaux de crises et de profondes contradictions internes. Leur lien n’est pas facile à disti
1598 st pas facile à distinguer. Essayons tout d’abord de les décrire. Voici l’URSS, et cette patrie de la révolution moderne
1599 rd de les décrire. Voici l’URSS, et cette patrie de la révolution moderne est aussi celle qui manque le plus de liberté ;
1600 lution moderne est aussi celle qui manque le plus de liberté ; et cette puissance la plus redoutée est aussi celle qu’un r
1601 ue, un journal libre, une phrase dans le discours de quelque Américain, un diplomate qui prend l’air à sa fenêtre, un homm
1602 manière imprévisible. Jamais gouvernement si sûr de ses calculs quand il s’agit de la vie de millions de ses sujets n’ava
1603 ouvernement si sûr de ses calculs quand il s’agit de la vie de millions de ses sujets n’avait trahi tant d’insécurité dans
1604 t si sûr de ses calculs quand il s’agit de la vie de millions de ses sujets n’avait trahi tant d’insécurité dans ses réact
1605 ses calculs quand il s’agit de la vie de millions de ses sujets n’avait trahi tant d’insécurité dans ses réactions extérie
1606 vie de millions de ses sujets n’avait trahi tant d’ insécurité dans ses réactions extérieures, tant de nervosité à l’égard
1607 opposition. Voici les États-Unis, et cette patrie de la démocratie, c’est-à-dire de l’éducation et du civisme, découvre qu
1608 s, et cette patrie de la démocratie, c’est-à-dire de l’éducation et du civisme, découvre que ce sont précisément quelques-
1609 e, découvre que ce sont précisément quelques-unes de ses bases morales, son esprit civique et son système d’éducation qui
1610 bases morales, son esprit civique et son système d’ éducation qui sont en crise. Le divorce y devient une maladie sociale,
1611 deux gouverneurs rivaux, démasquant la faiblesse de la loi et la violence des préjugés de races… Et tout cela au moment p
1612 a faiblesse de la loi et la violence des préjugés de races… Et tout cela au moment précis où l’Amérique du Nord se voit ch
1613 ment précis où l’Amérique du Nord se voit chargée de la conduite des affaires du monde et se dispose à exporter les princi
1614 s du monde et se dispose à exporter les principes de son way of life, qui se confondent dans son esprit avec la santé même
1615 ie, les Indes et la Chine. Ces deux énormes blocs de 400 et de 450 millions d’habitants se voient enfin libérés de la tute
1616 des et la Chine. Ces deux énormes blocs de 400 et de 450 millions d’habitants se voient enfin libérés de la tutelle et de
1617 Ces deux énormes blocs de 400 et de 450 millions d’ habitants se voient enfin libérés de la tutelle et de l’exploitation o
1618 450 millions d’habitants se voient enfin libérés de la tutelle et de l’exploitation occidentales : c’est pour inaugurer l
1619 abitants se voient enfin libérés de la tutelle et de l’exploitation occidentales : c’est pour inaugurer la guerre civile.
1620 flation augmente et que le pays manque à peu près de tout après seize ans de guerre et d’invasion. À peine les Anglais ont
1621 le pays manque à peu près de tout après seize ans de guerre et d’invasion. À peine les Anglais ont-ils annoncé leur décisi
1622 e à peu près de tout après seize ans de guerre et d’ invasion. À peine les Anglais ont-ils annoncé leur décision de se reti
1623 À peine les Anglais ont-ils annoncé leur décision de se retirer des Indes en juin 1948 que la Ligue musulmane se déclare p
1624 l’Indonésie en sont encore au stade préliminaire de la lutte pour l’autonomie. Voici l’Europe enfin, cette Europe qui nag
1625 leux des continents, et qui fait une grande crise de scepticisme et de manque de confiance en soi, tandis que ses intellec
1626 s, et qui fait une grande crise de scepticisme et de manque de confiance en soi, tandis que ses intellectuels découvrent s
1627 fait une grande crise de scepticisme et de manque de confiance en soi, tandis que ses intellectuels découvrent subitement
1628 llectuels découvrent subitement les sombres joies de l’humilité et les plaisirs plus lucides de l’angoisse. L’Europe patri
1629 joies de l’humilité et les plaisirs plus lucides de l’angoisse. L’Europe patrie de l’invention, du « système D » et de la
1630 isirs plus lucides de l’angoisse. L’Europe patrie de l’invention, du « système D » et de la réplique rapide, dont les mini
1631 Europe patrie de l’invention, du « système D » et de la réplique rapide, dont les ministres annoncent que c’est le froid q
1632 eine délivrée des tyrans et des dictatures, cesse de croire à la démocratie. L’Europe qui se donne pour battue, quand à el
1633 our battue, quand à elle seule elle totalise plus d’ habitants que la Russie et les États-Unis additionnés ! Ainsi la « drô
1634 et les États-Unis additionnés ! Ainsi la « drôle de paix » que nous vivons repose en fait sur quatre crises, sur quatre p
1635 ises, sur quatre pauvretés continentales : manque de liberté en Russie, manque de bases spirituelles aux États-Unis, manqu
1636 ntinentales : manque de liberté en Russie, manque de bases spirituelles aux États-Unis, manque d’ordre politique en Asie,
1637 nque de bases spirituelles aux États-Unis, manque d’ ordre politique en Asie, manque de foi et d’espoir en Europe. Je dis b
1638 ts-Unis, manque d’ordre politique en Asie, manque de foi et d’espoir en Europe. Je dis bien que notre paix repose sur ces
1639 anque d’ordre politique en Asie, manque de foi et d’ espoir en Europe. Je dis bien que notre paix repose sur ces manques, q
1640 ranties les plus sûres. Car ce sont les richesses d’ autrui et non ses maladies que l’on jalouse. Si l’un de ces quatre gra
1641 rui et non ses maladies que l’on jalouse. Si l’un de ces quatre grands malades recouvrait subitement la santé, il deviendr
1642 ssie pouvait prouver que son régime ménage autant de libertés que la démocratie américaine elle dominerait bientôt le mond
1643 le dominerait bientôt le monde par la seule force de son utopie de justice et d’ordre social. Si l’Asie était moins anarch
1644 bientôt le monde par la seule force de son utopie de justice et d’ordre social. Si l’Asie était moins anarchique elle domi
1645 de par la seule force de son utopie de justice et d’ ordre social. Si l’Asie était moins anarchique elle dominerait un jour
1646 assuré dans ses propres foyers elle serait tentée d’ abuser de ses avantages actuels. Et si l’Europe était moins abîmée, qu
1647 ns ses propres foyers elle serait tentée d’abuser de ses avantages actuels. Et si l’Europe était moins abîmée, qui sait qu
1648 les hommes d’État se préoccupent essentiellement de la répartition des richesses du monde, au bénéfice de leur nation, bi
1649 a répartition des richesses du monde, au bénéfice de leur nation, bien entendu. Si c’est le cas, ces hommes d’État sont en
1650 qu’ils avaient, tout au contraire. C’est toujours de la pauvreté que montent les appels à l’union et que surgit l’utopie a
1651 unies ne s’est formée que pour répondre à l’appel de nos anxiétés et de nos manques. C’est grâce à eux et en eux seuls qu’
1652 ée que pour répondre à l’appel de nos anxiétés et de nos manques. C’est grâce à eux et en eux seuls qu’elle a pris quelque
1653 e resteraient enfermés dans les cloisons étanches de leur autarcie politique ; parce que l’Europe sans elle s’enfoncerait
1654 ns elle s’enfoncerait encore plus dans sa névrose de scepticisme et de retrait. Elle se renforcera au cours des mois proch
1655 ait encore plus dans sa névrose de scepticisme et de retrait. Elle se renforcera au cours des mois prochains parce que l’A
1656 qu’elle représente pour les Américains ce symbole d’ un avenir plus vaste qui peut seul les mettre au défi de se redresser
1657 venir plus vaste qui peut seul les mettre au défi de se redresser pour tenir un grand rôle. Ce sont nos quatre pauvretés q
1658 ient et qui assurent notre paix provisoire. C’est d’ elles que naît l’appel à la fédération. Et si les hommes d’État qui se
1659 . Et si les hommes d’État qui se trouvent chargés d’ administrer l’ONU ne le comprennent pas il faut prévoir que cet appel
1660 ppel créera demain d’autres organes plus capables de l’enregistrer et de lui donner une forme et de le satisfaire. l.
1661 ’autres organes plus capables de l’enregistrer et de lui donner une forme et de le satisfaire. l. Rougemont Denis de,
1662 es de l’enregistrer et de lui donner une forme et de le satisfaire. l. Rougemont Denis de, « Drôle de paix », Une Sema
1663 forme et de le satisfaire. l. Rougemont Denis de , « Drôle de paix », Une Semaine dans le monde, Paris, 7 juin 1947, p.
1664 le satisfaire. l. Rougemont Denis de, « Drôle de paix », Une Semaine dans le monde, Paris, 7 juin 1947, p. 1 et 6.
12 1947, Articles divers (1946-1948). Einstein, patriarche de l’âge atomique, m’a dit : « C’est pour dissimuler sa pauvreté et sa faiblesse que l’URSS méfiante, s’entoure de secret… » (9 août 1947)
1665 Einstein, patriarche de l’âge atomique, m’a dit : « C’est pour dissimuler sa pauvreté et sa f
1666 té et sa faiblesse que l’URSS méfiante, s’entoure de secret… » (9 août 1947)n Princeton est une petite cité américaine
1667 itié des habitants se préparent à porter le titre de docteur et vivent dans des châteaux néo-gothiques pleins de salles de
1668 et vivent dans des châteaux néo-gothiques pleins de salles de bains : c’est l’une des grandes universités du continent. D
1669 dans des châteaux néo-gothiques pleins de salles de bains : c’est l’une des grandes universités du continent. Depuis deux
1670 n. Je suis allé lui rendre visite dans une maison de bois jaune entourée de gazon, de fleurs et d’arbres pleins d’oiseaux.
1671 dre visite dans une maison de bois jaune entourée de gazon, de fleurs et d’arbres pleins d’oiseaux. C’est d’ici que partit
1672 dans une maison de bois jaune entourée de gazon, de fleurs et d’arbres pleins d’oiseaux. C’est d’ici que partit, en 1939,
1673 son de bois jaune entourée de gazon, de fleurs et d’ arbres pleins d’oiseaux. C’est d’ici que partit, en 1939, la fameuse l
1674 e entourée de gazon, de fleurs et d’arbres pleins d’ oiseaux. C’est d’ici que partit, en 1939, la fameuse lettre au préside
1675 aquelle Einstein demandait que fussent organisées d’ urgence des recherches sur l’arme atomique. Dans cette petite maison n
1676 nouvel âge. Le voici soudain devant moi. Souriant de ses gros yeux très vifs sous des arcades sourcilières étrangement éle
1677 es, un énorme nez rose, des joues grises creusées de profondes ravines et deux touffes de cheveux blancs en auréole. À le
1678 ses creusées de profondes ravines et deux touffes de cheveux blancs en auréole. À le voir de tout près, je le trouve plutô
1679 x touffes de cheveux blancs en auréole. À le voir de tout près, je le trouve plutôt petit, massif, la tête rentrée dans de
1680 Il porte un chandail bleu très ample, un pantalon de flanelle sans pli et des sandales. C’est le costume habituel des étud
1681 habituel des étudiants. Il m’apporte un fauteuil de jardin près du sien. Et nous parlons de l’Amérique, dont Einstein est
1682 fauteuil de jardin près du sien. Et nous parlons de l’Amérique, dont Einstein est devenu citoyen. Il me dit : — Écoutez-m
1683 ordiaux, serviables et surtout ils sont dépourvus de toute espèce d’inhibition sociale. Je vous en donnerai un bon exemple
1684 les et surtout ils sont dépourvus de toute espèce d’ inhibition sociale. Je vous en donnerai un bon exemple. Il y a quelque
1685 onnerai un bon exemple. Il y a quelques mois, une de mes voisines, que je ne connais pas, envoie sa petite fille sonner à
1686 n pense que vous pourrez m’aider pour mes devoirs d’ arithmétique. » Je l’ai aidée de mon mieux. C’est une charmante enfant
1687 pour mes devoirs d’arithmétique. » Je l’ai aidée de mon mieux. C’est une charmante enfant. — Depuis quand vivez-vous en A
1688 étais venu une première fois en 1922, pour parler d’ un projet d’université juive à Jérusalem. On m’a donné beaucoup de ban
1689 ne première fois en 1922, pour parler d’un projet d’ université juive à Jérusalem. On m’a donné beaucoup de banquets, j’ai
1690 teries qui faisaient rire en ce temps-là, c’était d’ une sottise incroyable. En vingt-cinq ans, à travers la crise de 1929
1691 incroyable. En vingt-cinq ans, à travers la crise de 1929 et la guerre, ils ont fait des progrès immenses vers le sérieux
1692 et vers la vraie culture. Toutefois, je m’étonne de la manière dont ils réagissent, ou plutôt ne réagissent pas à la mena
1693 ez-vous remarqué qu’il se développe ici une sorte d’ hystérie antirusse ? Méfiance russe Et je pense à part moi : nous
1694 istes, simplement. N’a-t-il pas proposé, en 1945, de livrer le secret de la bombe aux quatre Grands, donc pratiquement à l
1695 ’a-t-il pas proposé, en 1945, de livrer le secret de la bombe aux quatre Grands, donc pratiquement à l’URSS ? Au risque de
1696 à ses yeux, je suggère que la cause la plus nette de ce qu’il nomme l’hystérie antirusse, n’est autre que l’attitude des R
1697 il enfin, que l’obstacle majeur à l’établissement d’ un gouvernement mondial, c’est la méfiance systématique des Soviets. O
1698 proposent. Elle soupçonne une menace dans chacun de nos mouvements. C’est fatal. Et cela durera tant qu’elle nous croira
1699 s croira les plus forts. — Tant que la bombe sera de notre côté… Que pensez-vous de ce délai de cinq ans qu’on cite partou
1700 que la bombe sera de notre côté… Que pensez-vous de ce délai de cinq ans qu’on cite partout, et qui serait nécessaire à l
1701 e sera de notre côté… Que pensez-vous de ce délai de cinq ans qu’on cite partout, et qui serait nécessaire à la Russie pou
1702 u’elle y travaille. — Croyez-vous que le « rideau de fer » s’explique par la peur qu’ont les Russes que l’on se renseigne
1703 u’ont les Russes que l’on se renseigne sur l’état de leurs travaux atomiques ? — J’ai une explication plus simple du « rid
1704  ? — J’ai une explication plus simple du « rideau de fer ». Les Russes sont très pauvres. C’est pour cela qu’ils ont si pe
1705 actuel du dollar, il serait vraiment trop facile d’ acheter des espions en Russie. L’indicateur y serait trop bon marché.
1706 nt de nous les inquiète, et ils se croient forcés de tout refuser. — Alors que faire ? — Je ne vois qu’une solution possib
1707 le sabotage soviétique, qu’on n’aura plus besoin d’ y garder des secrets. Les Russes pourront bien entretenir auprès d’ell
1708 crets. Les Russes pourront bien entretenir auprès d’ elle autant d’observateurs qu’il leur plaira, officiels ou non. Et à l
1709 ses pourront bien entretenir auprès d’elle autant d’ observateurs qu’il leur plaira, officiels ou non. Et à la fin — car il
1710 s nazis —, ils verront bien que leur avantage est d’ y rentrer. La « bombe » et le monde… La nuit est venue. Nous pas
1711 piano sur lequel Schnabel, le meilleur exécutant de Beethoven, accompagne parfois Einstein, qui joue du violon. Je me rap
1712 atienté, pour dire au violoniste : « Ce qu’il y a d’ ennuyeux avec vous, Albert, c’est que vous ne savez pas compter ! » Je
1713 e pose la bombe. Cet homme se sent-il responsable de la menace d’Apocalypse qu’il a contribué plus que nul autre à suscite
1714 be. Cet homme se sent-il responsable de la menace d’ Apocalypse qu’il a contribué plus que nul autre à susciter dans notre
1715 question. Mais soudain, Einstein m’interrompt et, de son air malicieux et bonhomme : « La bombe, dit-il, n’a pas changé le
1716 « La bombe, dit-il, n’a pas changé les conditions de la guerre beaucoup plus que ne l’avaient déjà fait les raids massifs
1717 plus que ne l’avaient déjà fait les raids massifs d’ avions. Mais la bombe a du moins l’avantage de rendre les masses plus
1718 ifs d’avions. Mais la bombe a du moins l’avantage de rendre les masses plus conscientes du danger de la guerre moderne. »
1719 e de rendre les masses plus conscientes du danger de la guerre moderne. » Je lui demande s’il approuve le plan Baruch, au
1720 Baruch, au terme duquel les États-Unis proposent de céder la bombe à un organisme international doté de pouvoirs de contr
1721 céder la bombe à un organisme international doté de pouvoirs de contrôle illimités. Il répond : — Tant que la machine mil
1722 mbe à un organisme international doté de pouvoirs de contrôle illimités. Il répond : — Tant que la machine militaire reste
1723 fonctionner dans tous les grands pays, les plans de ce genre seront sans efficacité. Cependant, la proposition Baruch a c
1724 ficacité. Cependant, la proposition Baruch a cela d’ excellent qu’elle impliquerait un renoncement partiel à la souverainet
1725 un gouvernement mondial, c’est-à-dire vers la fin de la féodalité des États-nations. — La route est longue, bien longue en
1726 n me reconduisant. Sur quoi je lui cite la parole de Lyautey qui avait demandé qu’on plante devant sa résidence une arbre
1727 emandé qu’on plante devant sa résidence une arbre d’ une espèce rare ; et comme le jardinier lui objectait que ces arbres-l
1728 ier lui objectait que ces arbres-là prennent plus d’ un siècle à se développer : « Vous voyez, riposta le maréchal, il n’y
1729 s une seconde à perdre ! » n. Rougemont Denis de , « Einstein, patriarche de l’âge atomique, m’a dit… », Paris Presse,
1730 n. Rougemont Denis de, « Einstein, patriarche de l’âge atomique, m’a dit… », Paris Presse, Paris, 9 août 1947, p. 1 et
13 1947, Articles divers (1946-1948). Conversation à bâtons rompus avec M. Denis de Rougemont (30-31 août 1947)
1731 mont (30-31 août 1947)o L’émouvante profession de foi fédéraliste qu’a entendue le congrès des fédéralistes européens d
1732 ’a entendue le congrès des fédéralistes européens de la bouche de M. Denis de Rougemont a eu un retentissement considérabl
1733 e congrès des fédéralistes européens de la bouche de M. Denis de Rougemont a eu un retentissement considérable. Avec cette
1734 ts et cette parfaite courtoisie qui est la marque de l’homme bien né, M. de Rougemont nous a fait l’honneur de nous recevo
1735 me bien né, M. de Rougemont nous a fait l’honneur de nous recevoir quelques instants. Je viens de passer sept ans aux État
1736 s parti pour l’Amérique afin de faire une tournée de conférences sur la Suisse. J’y allais aussi dans l’intention de faire
1737 sur la Suisse. J’y allais aussi dans l’intention de faire jouer mon oratorio Nicolas de Flue , dont Honegger a écrit la
1738 ours. Avez-vous beaucoup écrit pendant ce « temps de pénitence » ? Oui, passablement. J’ai écrit Vivre en Amérique , j’ai
1739 nfin, un ouvrage sur la Suisse, intitulé Le Cœur de l’Europe et dont il n’existe qu’une édition anglaise. Ce qu’on sait
1740 s l’avouer, mais il s’est fait l’ardent défenseur de nos institutions. Ce rôle a été d’autant plus utile pour nous que not
1741 dent défenseur de nos institutions. Ce rôle a été d’ autant plus utile pour nous que notre neutralité n’a pas toujours été
1742 e n’a pas toujours été très tendre à notre égard. De cette influence, nous ne donnerons qu’un exemple, mais qui illustre b
1743 t Truman avait constitué un comité civil, composé d’ éminentes personnalités américaines, qui avait été chargé d’établir un
1744 s personnalités américaines, qui avait été chargé d’ établir un rapport sur la conscription. Or, dans ses conclusions, ce c
1745 parce que, se référant à l’ouvrage sur la Suisse de M. Denis de Rougemont, il a donné comme argument principal le cas de
1746 emont, il a donné comme argument principal le cas de notre propre armée. En Europe même, les écrits de M. de Rougemont, on
1747 de notre propre armée. En Europe même, les écrits de M. de Rougemont, ont marqué de leur influence une partie de l’élite i
1748 e même, les écrits de M. de Rougemont, ont marqué de leur influence une partie de l’élite intellectuelle de l’Occident. En
1749 ougemont, ont marqué de leur influence une partie de l’élite intellectuelle de l’Occident. En Hollande, par exemple, le pa
1750 ur influence une partie de l’élite intellectuelle de l’Occident. En Hollande, par exemple, le parti socialiste personnalis
1751 parti socialiste personnaliste a tiré sa doctrine de ses ouvrages et de ceux de quelques autres penseurs. Au Danemark, cet
1752 rsonnaliste a tiré sa doctrine de ses ouvrages et de ceux de quelques autres penseurs. Au Danemark, cette doctrine personn
1753 ste a tiré sa doctrine de ses ouvrages et de ceux de quelques autres penseurs. Au Danemark, cette doctrine personnaliste a
1754 c’est évidemment en France, qu’elle a eu le plus de succès et qu’elle a trouvé peut-être le terrain le plus favorable. Ce
1755 ues. Comme dirait Péguy, c’était un rassemblement de toutes les croyances et incroyances. Les membres de ce mouvement ont
1756 toutes les croyances et incroyances. Les membres de ce mouvement ont été dispersés par la guerre, certains étant morts, m
1757 En écoutant parler mardi soir l’auteur du Journal d’ un intellectuel en chômage, nous nous étions demandé à la suite de que
1758 M. de Rougemont, qui nous a répondu simplement : De tout temps, j’ai été fédéraliste, et je me suis fait une philosophie
1759 t une philosophie qui cadre avec les institutions de notre pays, car, contrairement à ce que l’on pense généralement, je m
1760 empêche pas, il est vrai, bon nombre d’entre nous de douter de la naissance d’une fédération européenne. Mais ce qui me pa
1761 s, il est vrai, bon nombre d’entre nous de douter de la naissance d’une fédération européenne. Mais ce qui me paraît impor
1762 bon nombre d’entre nous de douter de la naissance d’ une fédération européenne. Mais ce qui me paraît important et encourag
1763 l existait un sentiment suisse, mais l’on doutait de la possibilité de créer un État fédéral. Comme je l’ai dit dans ma co
1764 iment suisse, mais l’on doutait de la possibilité de créer un État fédéral. Comme je l’ai dit dans ma conférence de mardi
1765 tat fédéral. Comme je l’ai dit dans ma conférence de mardi soir, ce qui étonne tous les historiens de notre Confédération,
1766 de mardi soir, ce qui étonne tous les historiens de notre Confédération, c’est justement l’extrême rapidité avec laquelle
1767 l’extrême rapidité avec laquelle la Constitution de 1848 fut proposée, écrite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle
1768 48, était informulé, et qu’il a fallu la campagne de la Société helvétique et les écrits du doyen Bridel pour que l’opinio
1769 pour que l’opinion publique prît enfin conscience de ce sentiment suisse. Aujourd’hui, il ne faut pas se leurrer, il y a u
1770 cette crise vient de ce que nous sommes entourés d’ États-nations, qui menacent notre fédéralisme. Cela explique aussi pou
1771 terrifiants. Aussi suis-je convaincu que le salut de notre fédéralisme ne peut venir que d’une Europe fédérée. o. Rouge
1772 e le salut de notre fédéralisme ne peut venir que d’ une Europe fédérée. o. Rougemont Denis de, « [Entretien] Conversati
1773 r que d’une Europe fédérée. o. Rougemont Denis de , « [Entretien] Conversation à bâtons rompus avec M. Denis de Rougemon
1774 tons rompus avec M. Denis de Rougemont », Tribune de Genève, Genève, 30–31 août 1947, p. 9.
14 1947, Articles divers (1946-1948). L’attitude fédéraliste (octobre 1947)
1775 ger que présente un tel sujet, c’est qu’il risque d’ entraîner à des généralisations théoriques ; or, rien n’est plus contr
1776 éralisations. D’autre part, j’ai toujours éprouvé de la répugnance à séparer les valeurs spirituelles et leur incarnation
1777 tion dans les réalités humaines. J’essaierai donc de définir l’esprit fédéraliste d’une manière indirecte, par implication
1778 J’essaierai donc de définir l’esprit fédéraliste d’ une manière indirecte, par implication, et je m’en tiendrai le plus po
1779 es que nous pouvons les observer et les contrôler de très près dans une expérience bien connue : celle de la Confédération
1780 très près dans une expérience bien connue : celle de la Confédération helvétique. Toutefois, je ne puis éviter de poser au
1781 dération helvétique. Toutefois, je ne puis éviter de poser au départ quelques définitions. Il est vain de parler des probl
1782 poser au départ quelques définitions. Il est vain de parler des problèmes politiques, si l’on ne s’est pas entendu d’abord
1783 e s’est pas entendu d’abord sur une certaine idée de l’homme. Car toute politique implique une certaine idée de l’homme, e
1784 e. Car toute politique implique une certaine idée de l’homme, et contribue à promouvoir un certain type d’humanité, qu’on
1785 ’homme, et contribue à promouvoir un certain type d’ humanité, qu’on le veuille ou non, qu’on le sache ou non. Quelle est d
1786 on le sache ou non. Quelle est donc la définition de l’homme sur laquelle nous pouvons tomber d’accord, ou pour mieux dire
1787 n’en parlerions pas si nous pensions que le type d’ homme le plus souhaitable est l’individu isolé, dégagé de toute respon
1788 le plus souhaitable est l’individu isolé, dégagé de toute responsabilité vis-à-vis de la communauté. Car dans ce cas, not
1789 oldat politique totalement absorbé par le service de la communauté. Car alors, nous irions de l’autre côté du rideau de fe
1790 service de la communauté. Car alors, nous irions de l’autre côté du rideau de fer, en esprit tout au moins. Si nous en pa
1791 Car alors, nous irions de l’autre côté du rideau de fer, en esprit tout au moins. Si nous en parlons, si nous le voulons,
1792 rendre chaque individu plus libre dans l’exercice de sa vocation. L’homme est donc à la fois libre et engagé, à la fois au
1793 es humains, qui favorisent trois types différents de régimes politiques, et sont en retour favorisés par eux. À l’homme co
1794 sont que des déviations morbides, des démissions de l’humanité complète. La personne n’est pas à mi-chemin entre la peste
1795 le représente la santé civique. Un homme qui boit de l’eau et qui se lave n’est pas à mi-chemin entre celui qui meurt de s
1796 lave n’est pas à mi-chemin entre celui qui meurt de soif et celui qui se noie. Et de même, le fédéralisme ne naîtra jama
1797 oie. Et de même, le fédéralisme ne naîtra jamais d’ un habile dosage d’anarchie et de dictature, de particularisme borné e
1798 e fédéralisme ne naîtra jamais d’un habile dosage d’ anarchie et de dictature, de particularisme borné et de centralisation
1799 ne naîtra jamais d’un habile dosage d’anarchie et de dictature, de particularisme borné et de centralisation oppressive. L
1800 is d’un habile dosage d’anarchie et de dictature, de particularisme borné et de centralisation oppressive. Le fédéralisme
1801 rchie et de dictature, de particularisme borné et de centralisation oppressive. Le fédéralisme est sur un autre plan que c
1802 dictateurs, sont au contraire le fait des groupes de citoyens responsables, c’est-à-dire des personnes fédérées. Ayant ain
1803 yant ainsi esquissé à grands traits la conception de l’homme sur laquelle nos travaux doivent se fonder et qu’ils ont pour
1804 x doivent se fonder et qu’ils ont pour but ultime de promouvoir, nous pouvons passer maintenant à une description plus con
1805 passer maintenant à une description plus concrète de l’attitude et des méthodes fédéralistes. ⁂ L’an dernier, aux Rencontr
1806 s. ⁂ L’an dernier, aux Rencontres internationales de Genève, le philosophe allemand Karl Jaspers déclarait que l’Europe n’
1807 mand Karl Jaspers déclarait que l’Europe n’a plus de choix qu’entre la balkanisation et l’helvétisation. Je suppose que Ja
1808 ers entendait par balkanisation la désintégration de l’Europe en nationalismes rivaux, et par helvétisation au contraire,
1809 égration fédérale des nations, renonçant au dogme de leur souveraineté absolue, et acceptant sous une forme ou sous une au
1810 ans cette vue, la Suisse moderne serait une sorte de « bon exemple » à suivre. Rien de plus banal, que cette référence à l
1811 tte référence à la Suisse, dès qu’il est question d’ États-Unis d’Europe ou d’un gouvernement mondial. Rien de plus banal,
1812 , dès qu’il est question d’États-Unis d’Europe ou d’ un gouvernement mondial. Rien de plus banal, si ce n’est les objection
1813 aux Suisses pour se fédérer, et nous avons besoin de solutions rapides. » À la deuxième objection, je répondrai que les ca
1814 pté une constitution commune qu’en 1848, au terme d’ une crise d’assez courte durée, et en dépit d’une opposition très impo
1815 titution commune qu’en 1848, au terme d’une crise d’ assez courte durée, et en dépit d’une opposition très importante dans
1816 ition très importante dans la population, doublée d’ un scepticisme assez général chez les gens ou pouvoir. Ce qui étonne t
1817 ens ou pouvoir. Ce qui étonne tous les historiens de la Confédération helvétique, c’est justement l’extrême rapidité avec
1818 l’extrême rapidité avec laquelle la Constitution de 1848 fut proposée, écrite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle
1819 soi. Quant à ce que l’on répète sur la petitesse de la Suisse et sur l’impossibilité de transposer ses institutions à l’é
1820 la petitesse de la Suisse et sur l’impossibilité de transposer ses institutions à l’échelle continentale, je répondrai qu
1821 n est valable si l’on ne s’attache qu’aux détails de la mise en pratique du fédéralisme en Suisse, mais non pas si l’on ch
1822 en Suisse, mais non pas si l’on cherche à dégager de cette expérience l’idée fédéraliste qu’elle illustre. Une expérience
1823 idée fédéraliste qu’elle illustre. Une expérience de laboratoire est nécessairement plus réduite de dimensions que ses app
1824 ce de laboratoire est nécessairement plus réduite de dimensions que ses applications, mais pourtant celles-ci n’existeraie
1825 ns celle-là. C’est pourquoi, dans notre tentative de définir l’idée fédéraliste en soi, nous ferons bien de ne pas perdre
1826 finir l’idée fédéraliste en soi, nous ferons bien de ne pas perdre de vue cette expérience-témoin, concrète, typique, et p
1827 raliste en soi, nous ferons bien de ne pas perdre de vue cette expérience-témoin, concrète, typique, et particulièrement c
1828 quelques mots, en une formule. C’est qu’elle est d’ un type organique plutôt que rationnel, et dialectique plutôt que simp
1829 e vulgaire, mais correspond assez bien aux formes de pensée introduites par la science relativiste. À mon sens, le mouveme
1830 ence relativiste. À mon sens, le mouvement intime de la pensée fédéraliste ne saurait être mieux comparé qu’à un rythme, à
1831 me, à une respiration, à l’alternance perpétuelle de la diastole et de la systole. La pensée fédéraliste ne projette pas d
1832 ion, à l’alternance perpétuelle de la diastole et de la systole. La pensée fédéraliste ne projette pas devant elle une uto
1833 une utopie européenne qu’il s’agirait simplement de rejoindre, ou des plans statiques qu’il faudrait réaliser en quatre o
1834 nent le plan. Elle cherche au contraire le secret d’ un équilibre souple et constamment mouvant entre des groupes qu’il s’a
1835 onstamment mouvant entre des groupes qu’il s’agit de composer en les respectant, et non point de soumettre les uns aux aut
1836 ’agit de composer en les respectant, et non point de soumettre les uns aux autres, ou d’écraser l’un après l’autre. On ne
1837 et non point de soumettre les uns aux autres, ou d’ écraser l’un après l’autre. On ne saurait trop insister sur ce double
1838 omme on voudra, qui est le battement même du cœur de tout régime fédéraliste. L’oublier serait se condamner à retomber san
1839 sse dans un malentendu fondamental, que l’exemple de la vie politique suisse illustre très clairement. En effet, les mots
1840 , les mots fédération et fédéralisme sont compris de deux manières très différentes par les Suisses alémaniques et par les
1841 i signifie union, et qui évoque avant tout l’idée de centralisation. En Suisse romande, au contraire, ceux qui se proclame
1842 édéralistes sont en réalité les défenseurs jaloux de l’autonomie des cantons contre la centralisation. Pour les uns, fédér
1843 nion. Il consiste dans la composition perpétuelle de ces deux forces de sens contraire, en vue de leur renforcement mutuel
1844 ans la composition perpétuelle de ces deux forces de sens contraire, en vue de leur renforcement mutuel. Ce dernier point
1845 nier point est parfaitement exprimé par la devise de la Suisse, devise paradoxale ou « dialectique » dans sa forme : « Un
1846 ous aurons des fédéralistes préoccupés avant tout de sauvegarder les droits de chaque nation contre les empiètements du po
1847 s préoccupés avant tout de sauvegarder les droits de chaque nation contre les empiètements du pouvoir central. Et nous dev
1848 sme véritable n’est ni dans l’une ni dans l’autre de ces tendances, mais bien dans leur co-existence acceptée, dans leur d
1849 it les anciens historiens suisses, j’entends ceux d’ avant 1848, on est frappé de constater qu’ils n’emploient jamais le te
1850 isses, j’entends ceux d’avant 1848, on est frappé de constater qu’ils n’emploient jamais le terme de fédéralisme, qu’ils l
1851 é de constater qu’ils n’emploient jamais le terme de fédéralisme, qu’ils l’ignorent, et qu’ils ne touchent que très rareme
1852 bablement, parce qu’un sûr instinct les prévenait de rationaliser les principes de leur vie politique. Il est incontestabl
1853 tinct les prévenait de rationaliser les principes de leur vie politique. Il est incontestable, en effet, que l’idée fédéra
1854 e, en effet, que l’idée fédéraliste n’a pas cessé d’ inspirer et de guider les démarches des meilleurs hommes d’État suisse
1855 ue l’idée fédéraliste n’a pas cessé d’inspirer et de guider les démarches des meilleurs hommes d’État suisses, pendant des
1856 soigneusement informulée, jusqu’à ce que la crise d’ une guerre civile, en 1847, l’ait forcée à prendre forme et force de l
1857 e, en 1847, l’ait forcée à prendre forme et force de loi. Et ce n’est guère qu’au xxe siècle que les penseurs et sociolog
1858 mme la vie même ; elle était la vie du civisme et de la pratique politique des Suisses. C’est le défi que représente l’esp
1859 ire, qui les force à faire aujourd’hui la théorie de cette pratique, et qui la transforme en une sorte de programme, ou de
1860 cette pratique, et qui la transforme en une sorte de programme, ou de manifeste vivant. Par la force des choses, l’union p
1861 t qui la transforme en une sorte de programme, ou de manifeste vivant. Par la force des choses, l’union paisible de deux r
1862 vivant. Par la force des choses, l’union paisible de deux religions, de quatre langues, de vingt-deux républiques, et de j
1863 e des choses, l’union paisible de deux religions, de quatre langues, de vingt-deux républiques, et de je ne sais combien d
1864 on paisible de deux religions, de quatre langues, de vingt-deux républiques, et de je ne sais combien de « races » en un É
1865 de quatre langues, de vingt-deux républiques, et de je ne sais combien de « races » en un État qui les respecte, cette un
1866 vingt-deux républiques, et de je ne sais combien de « races » en un État qui les respecte, cette union prend l’allure à l
1867 es respecte, cette union prend l’allure à la fois d’ un antiracisme déclaré et d’un antinationalisme. L’instinct contrecarr
1868 nd l’allure à la fois d’un antiracisme déclaré et d’ un antinationalisme. L’instinct contrecarré devient conscience ; la co
1869 n par une propagande agressive se voit contrainte de développer pour sa défense une théorie. Nous vivons ce moment de l’hi
1870 our sa défense une théorie. Nous vivons ce moment de l’histoire où le fédéralisme suisse, s’il veut durer, doit devenir à
1871 rise : ou se nier, ou triompher, mais sur le plan de l’Europe entière. Le grand danger de l’heure présente, pour la Suisse
1872 sur le plan de l’Europe entière. Le grand danger de l’heure présente, pour la Suisse, je le vois dans ce fait qu’elle doi
1873 mieux. Elle s’expose à son risque maximum : celui de décoller de ses bases concrètes, perdant ainsi en force originelle ce
1874 s’expose à son risque maximum : celui de décoller de ses bases concrètes, perdant ainsi en force originelle ce qu’elle pou
1875 iginelle ce qu’elle pourrait gagner en conscience de ses fins. De même pour le fédéralisme européen. Un instinct commun se
1876 nct commun se formait peu à peu, depuis la guerre de 1914-1918. La SDN fut l’un de ses symptômes, bien faible encore. L’id
1877 u, depuis la guerre de 1914-1918. La SDN fut l’un de ses symptômes, bien faible encore. L’idée d’un réseau de pactes bilat
1878 l’un de ses symptômes, bien faible encore. L’idée d’ un réseau de pactes bilatéraux en fut un autre. Dans les deux cas, le
1879 symptômes, bien faible encore. L’idée d’un réseau de pactes bilatéraux en fut un autre. Dans les deux cas, le sentiment fé
1880 nt fédéraliste fut promptement détourné au profit de politiques d’hégémonie. Toutefois ce sentiment ne cessait pas de croî
1881 fut promptement détourné au profit de politiques d’ hégémonie. Toutefois ce sentiment ne cessait pas de croître et de se r
1882 ’hégémonie. Toutefois ce sentiment ne cessait pas de croître et de se renforcer dans la plupart des peuples. La guerre don
1883 utefois ce sentiment ne cessait pas de croître et de se renforcer dans la plupart des peuples. La guerre dont nous sortons
1884 nue le fouetter. Brusquement, la question se pose de fédérer l’Europe dès la paix rétablie. Mais parce qu’elle se pose bru
1885 u’elle se pose brusquement, cette question risque d’ être mal posée. J’entends qu’elle risque de ne susciter que des plans
1886 risque d’être mal posée. J’entends qu’elle risque de ne susciter que des plans rationnels et des systèmes. C’est pour évit
1887 coup, quelques-uns des principes directeurs qui, d’ une manière tout empirique, ont formé la fédération suisse. Et je vais
1888 t applicables, immédiatement, dans l’état présent de l’Europe. Premier principe. — La fédération ne peut naître que du re
1889 on ne peut naître que du renoncement à toute idée d’ hégémonie organisatrice, exercée par l’une des nations composantes. T
1890 ois qu’un des cantons, comme Zurich, ou un groupe de cantons citadins, plus riche ou plus peuplé que les autres, a cru pou
1891 Lors de la dernière crise grave, la guerre civile de 1847 opposant catholiques et protestants, les vainqueurs n’ont eu rie
1892 , les vainqueurs n’ont eu rien de plus pressé que de rendre aux vaincus leur pleine égalité de droit. Et de cet acte de re
1893 ssé que de rendre aux vaincus leur pleine égalité de droit. Et de cet acte de renoncement à l’hégémonie conquise, est résu
1894 ndre aux vaincus leur pleine égalité de droit. Et de cet acte de renoncement à l’hégémonie conquise, est résulté la consti
1895 ncus leur pleine égalité de droit. Et de cet acte de renoncement à l’hégémonie conquise, est résulté la constitution de 18
1896 l’hégémonie conquise, est résulté la constitution de 1848, véritable base de l’État fédératif moderne. C’est pourquoi la S
1897 t résulté la constitution de 1848, véritable base de l’État fédératif moderne. C’est pourquoi la Suisse ne verra jamais sa
1898 fiance certains « grands » s’arroger l’initiative d’ une fédération continentale ou mondiale. L’échec de Napoléon, puis cel
1899 ’une fédération continentale ou mondiale. L’échec de Napoléon, puis celui d’Hitler, dans leurs tentatives pour faire l’uni
1900 tale ou mondiale. L’échec de Napoléon, puis celui d’ Hitler, dans leurs tentatives pour faire l’unité de l’Europe, sont des
1901 ’Hitler, dans leurs tentatives pour faire l’unité de l’Europe, sont des avertissements utiles, ils nous confirment dans l’
1902 nt conduire qu’à l’unification forcée, caricature de l’union véritable. Deuxième principe. — Le fédéralisme ne peut naîtr
1903 e ne peut naître que du renoncement à tout esprit de système. Ce que je viens de dire au sujet de l’impérialisme ou de l’h
1904 ue je viens de dire au sujet de l’impérialisme ou de l’hégémonie d’une nation, vaut également pour l’impérialisme d’une id
1905 dire au sujet de l’impérialisme ou de l’hégémonie d’ une nation, vaut également pour l’impérialisme d’une idéologie. On pou
1906 d’une nation, vaut également pour l’impérialisme d’ une idéologie. On pourrait définir l’attitude fédéraliste comme un ref
1907 fédéraliste comme un refus constant et instinctif de recourir aux solutions systématiques, aux plans simples de lignes, cl
1908 ir aux solutions systématiques, aux plans simples de lignes, clairs et satisfaisant pour la logique, mais par là même infi
1909 destructeurs des diversités qui sont la condition de toute vie organique. Rappelons-nous toujours que fédérer, ce n’est pa
1910 tre en ordre d’après un plan géométrique à partir d’ un centre ou d’un axe ; fédérer, c’est tout simplement arranger ensemb
1911 après un plan géométrique à partir d’un centre ou d’ un axe ; fédérer, c’est tout simplement arranger ensemble, composer ta
1912 s caractères particuliers, qu’il s’agit à la fois de respecter, et d’articuler dans un tout. Troisième principe. — Le féd
1913 iculiers, qu’il s’agit à la fois de respecter, et d’ articuler dans un tout. Troisième principe. — Le fédéralisme ne conna
1914 oisième principe. — Le fédéralisme ne connaît pas de problème des minorités. On objectera que le totalitarisme, lui aussi
1915 qualités ne se traduit pas seulement dans le mode d’ élection du Conseil des États, mais surtout, et d’une manière beaucoup
1916 d’élection du Conseil des États, mais surtout, et d’ une manière beaucoup plus efficace, dans les coutumes de la vie politi
1917 manière beaucoup plus efficace, dans les coutumes de la vie politique et culturelle, où l’on voit la Suisse romande et la
1918 nne jouer un rôle sans proportion avec le chiffre de leurs habitants ou de leurs kilomètres carrés. Quatrième principe. —
1919 proportion avec le chiffre de leurs habitants ou de leurs kilomètres carrés. Quatrième principe. — La fédération n’a pas
1920 trième principe. — La fédération n’a pas pour but d’ effacer les diversités et de fondre toutes les nations en un seul bloc
1921 tion n’a pas pour but d’effacer les diversités et de fondre toutes les nations en un seul bloc, mais au contraire, de sauv
1922 s les nations en un seul bloc, mais au contraire, de sauvegarder leurs qualités propres. La richesse de la Suisse par exem
1923 e sauvegarder leurs qualités propres. La richesse de la Suisse par exemple, réside dans ses diversités jalousement défendu
1924 ent défendues et maintenues. De même, la richesse de l’Europe et l’essence même de sa culture seraient perdues si l’on ten
1925 e même, la richesse de l’Europe et l’essence même de sa culture seraient perdues si l’on tentait d’unifier le continent, d
1926 me de sa culture seraient perdues si l’on tentait d’ unifier le continent, de tout mélanger, et d’obtenir une sorte de nati
1927 t perdues si l’on tentait d’unifier le continent, de tout mélanger, et d’obtenir une sorte de nation européenne, où Latins
1928 tait d’unifier le continent, de tout mélanger, et d’ obtenir une sorte de nation européenne, où Latins et Germains, Slaves
1929 ntinent, de tout mélanger, et d’obtenir une sorte de nation européenne, où Latins et Germains, Slaves et Anglo-Saxons, Sca
1930 ois et coutumes, qui ne pourrait satisfaire aucun de ces groupes, et qui les brimerait tous. Si l’Europe doit se fédérer,
1931 i l’Europe doit se fédérer, c’est pour que chacun de ses membres bénéficie de l’aide de tous les autres, et réussisse ains
1932 r, c’est pour que chacun de ses membres bénéficie de l’aide de tous les autres, et réussisse ainsi à conserver ses particu
1933 our que chacun de ses membres bénéficie de l’aide de tous les autres, et réussisse ainsi à conserver ses particularités et
1934 articularités et son autonomie, qu’il serait hors d’ état de défendre seul contre la pression des grands empires qui le men
1935 arités et son autonomie, qu’il serait hors d’état de défendre seul contre la pression des grands empires qui le menacent.
1936 e une fonction propre, irremplaçable, comme celle d’ un organe dans un corps. Or la vie normale du corps dépend de la vital
1937 dans un corps. Or la vie normale du corps dépend de la vitalité de chacun de ses organes, de même que la vie d’un organe
1938 Or la vie normale du corps dépend de la vitalité de chacun de ses organes, de même que la vie d’un organe dépend de son h
1939 normale du corps dépend de la vitalité de chacun de ses organes, de même que la vie d’un organe dépend de son harmonie av
1940 lité de chacun de ses organes, de même que la vie d’ un organe dépend de son harmonie avec tous les autres. Si les nations
1941 es organes, de même que la vie d’un organe dépend de son harmonie avec tous les autres. Si les nations de l’Europe arrivai
1942 son harmonie avec tous les autres. Si les nations de l’Europe arrivaient à se concevoir dans ce rôle d’organes divers d’un
1943 e l’Europe arrivaient à se concevoir dans ce rôle d’ organes divers d’un même corps, elles comprendraient que leur harmonie
1944 ient à se concevoir dans ce rôle d’organes divers d’ un même corps, elles comprendraient que leur harmonie est une nécessit
1945 concession qu’on leur demande, ou une diminution de leur valeur propre. Elles comprendraient aussi que dans une fédératio
1946 as à se mélanger, mais au contraire à fonctionner de concert, chacune selon sa vocation. Ce ne serait pas même une questio
1947 n sa vocation. Ce ne serait pas même une question de tolérance, vertu purement négative et qui naît le plus souvent du sce
1948 du scepticisme. Chaque nation serait mise au défi de donner le meilleur d’elle-même, à sa manière et selon son génie. Aprè
1949 nation serait mise au défi de donner le meilleur d’ elle-même, à sa manière et selon son génie. Après tout, le poumon n’a
1950 lérer » le cœur. Tout ce qu’on lui demande, c’est d’ être un vrai poumon, d’être aussi poumon que possible, et dans cette m
1951 e qu’on lui demande, c’est d’être un vrai poumon, d’ être aussi poumon que possible, et dans cette mesure même, il aidera l
1952 ème principe. — Le fédéralisme repose sur l’amour de la complexité, par contraste avec le simplisme brutal qui caractérise
1953 mplificateurs ». Lorsque les étrangers s’étonnent de l’extrême complication des institutions suisses, de cette espèce de m
1954 l’extrême complication des institutions suisses, de cette espèce de mouvement d’horlogerie fine que composent nos rouages
1955 ication des institutions suisses, de cette espèce de mouvement d’horlogerie fine que composent nos rouages communaux, cant
1956 nstitutions suisses, de cette espèce de mouvement d’ horlogerie fine que composent nos rouages communaux, cantonaux, fédéra
1957 x, fédéraux, si diversement engrenés, il convient de leur montrer que cette complexité est la condition même de nos libert
1958 ontrer que cette complexité est la condition même de nos libertés. C’est grâce à elle que nos fonctionnaires sont constamm
1959 au concret, et que nos législateurs sont obligés de garder un contact attentif avec les réalités humaines et naturelles d
1960 aines et naturelles du pays. La Suisse est formée d’ une multitude de groupes et d’organismes politiques, administratifs, c
1961 les du pays. La Suisse est formée d’une multitude de groupes et d’organismes politiques, administratifs, culturels, lingui
1962 a Suisse est formée d’une multitude de groupes et d’ organismes politiques, administratifs, culturels, linguistiques, relig
1963 ont pas les mêmes frontières, et qui se recoupent de cent manières différentes. Il est clair que des lois ou des instituti
1964 taire, brimeraient nécessairement un ou plusieurs de ces groupes, tendraient à réduire leur variété, et mutileraient ainsi
1965 eur variété, et mutileraient ainsi dans plusieurs de ses dimensions la personne même de ceux qui s’y rattachent. Certes, i
1966 dans plusieurs de ses dimensions la personne même de ceux qui s’y rattachent. Certes, il est plus facile de décréter sur t
1967 ux qui s’y rattachent. Certes, il est plus facile de décréter sur table rase, de simplifier les réalités d’un trait de plu
1968 s, il est plus facile de décréter sur table rase, de simplifier les réalités d’un trait de plume, de tirer des plans à la
1969 créter sur table rase, de simplifier les réalités d’ un trait de plume, de tirer des plans à la règle, dans un bureau, et d
1970 table rase, de simplifier les réalités d’un trait de plume, de tirer des plans à la règle, dans un bureau, et de forcer en
1971 , de simplifier les réalités d’un trait de plume, de tirer des plans à la règle, dans un bureau, et de forcer ensuite leur
1972 de tirer des plans à la règle, dans un bureau, et de forcer ensuite leur exécution en écrasant tout ce qui résiste, ou sim
1973 ce qu’on écrase ainsi, c’est la vitalité civique d’ un peuple. Une politique fédéraliste soucieuse de se mouler sur la réa
1974 d’un peuple. Une politique fédéraliste soucieuse de se mouler sur la réalité toujours complexe, suppose infiniment plus d
1975 éalité toujours complexe, suppose infiniment plus de soins, d’ingéniosité technique, et de compréhension des peuples qu’el
1976 jours complexe, suppose infiniment plus de soins, d’ ingéniosité technique, et de compréhension des peuples qu’elle gouvern
1977 niment plus de soins, d’ingéniosité technique, et de compréhension des peuples qu’elle gouverne. Elle exige beaucoup plus
1978 euples qu’elle gouverne. Elle exige beaucoup plus de vrai sens politique. Finalement, si l’on y réfléchit, on s’aperçoit q
1979 ’aperçoit que la politique fédéraliste n’est rien d’ autre que la politique tout court, la politique par excellence — c’est
1980 la politique par excellence — c’est-à-dire l’art d’ organiser la cité au bénéfice des citoyens. Tandis que les méthodes to
1981 lement à supprimer les diversités, par incapacité de les composer en un tout organique et vivant. Enfin, sixième principe 
1982 Enfin, sixième principe : Une fédération se forme de proche en proche, par le moyen des personnes et des groupes, et non p
1983 s personnes et des groupes, et non point à partir d’ un centre ou par le moyen des gouvernements. Je vois la fédération eur
1984 opéenne se composer lentement, un peu partout, et de toutes sortes de manières. Ici, c’est une entente économique, là c’es
1985 er lentement, un peu partout, et de toutes sortes de manières. Ici, c’est une entente économique, là c’est une parenté cul
1986 ulturelle qui s’affirme. Ici ce sont deux églises de confessions voisines qui s’ouvrent l’une à l’autre, et là c’est un gr
1987 s’ouvrent l’une à l’autre, et là c’est un groupe de petits pays qui forment une union douanière. Et surtout, ce sont des
1988 personnes qui créent peu à peu des réseaux variés d’ échanges européens. Rien de tout cela n’est inutile. Et tout cela, qui
1989 peu des réseaux variés d’échanges européens. Rien de tout cela n’est inutile. Et tout cela, qui paraît si dispersé, si peu
1990 des structures complexes, dessine les linéaments d’ une ossature et le système des vaisseaux sanguins de ce qui deviendra
1991 une ossature et le système des vaisseaux sanguins de ce qui deviendra un jour le corps des États-Unis d’Europe. Au-dessous
1992 n réalité, qu’elle ne le croit. C’est sur le plan de l’action gouvernementale que les oppositions et les rivalités éclaten
1993 s nations. Chacun sait qu’il serait déraisonnable de choisir comme arbitres d’un match les capitaines des équipes en prése
1994 il serait déraisonnable de choisir comme arbitres d’ un match les capitaines des équipes en présence. C’est pourtant bien c
1995 n présence. C’est pourtant bien ce qu’avait tenté de faire la SDN, qui en est morte, et ce que tente à nouveau l’ONU, que
1996 et ce que tente à nouveau l’ONU, que cela empêche de vivre. La fédération européenne ne sera pas l’œuvre des gouvernants c
1997 éenne ne sera pas l’œuvre des gouvernants chargés de défendre les intérêts de leur nation contre le reste du monde. La féd
1998 des gouvernants chargés de défendre les intérêts de leur nation contre le reste du monde. La fédération sera l’œuvre de g
1999 tre le reste du monde. La fédération sera l’œuvre de groupes et de personnes qui prendront l’initiative de se fédérer en d
2000 u monde. La fédération sera l’œuvre de groupes et de personnes qui prendront l’initiative de se fédérer en dehors des gouv
2001 roupes et de personnes qui prendront l’initiative de se fédérer en dehors des gouvernements nationaux. Et ce sont ces grou
2002 es et ces personnes qui formeront le gouvernement de l’Europe. Il n’y a pas d’autre voie possible et praticable. Les USA n
2003 rmeront le gouvernement de l’Europe. Il n’y a pas d’ autre voie possible et praticable. Les USA ne sont pas dirigés par une
2004 . Ces deux fédérations sont gouvernées, au-dessus de leurs États, et en dehors d’eux, par un exécutif et un législatif iss
2005 islatif issus des peuples. Le jour où les peuples d’ Europe auront compris qu’ils sont en réalité beaucoup plus solidaires
2006 Justice et la Liberté, qu’il est aussi impossible d’ opposer en réalité qu’en principe. Aujourd’hui, repoussant tous ces an
2007 talitaires, en effet, sont fondés sur l’hégémonie d’ un parti ou d’une nation, sur l’esprit de système, sur l’écrasement de
2008 effet, sont fondés sur l’hégémonie d’un parti ou d’ une nation, sur l’esprit de système, sur l’écrasement des minorités et
2009 égémonie d’un parti ou d’une nation, sur l’esprit de système, sur l’écrasement des minorités et des oppositions, sur l’uni
2010 le mépris des vocations remplacées par une fiche de mobilisation professionnelle, politique, et finalement militaire. Le
2011 gue, notre inquiétude, nos doutes et nos vertiges de démission spirituelle. L’esprit totalitaire n’est pas dangereux seule
2012 parce qu’il triomphe aujourd’hui dans une dizaine de pays et progresse plus ou moins rapidement dans tous les autres ; mai
2013 ntérieur de nos pensées, au moindre fléchissement de notre vitalité, de notre courage, du sens de notre vocation. Nous n’a
2014 sées, au moindre fléchissement de notre vitalité, de notre courage, du sens de notre vocation. Nous n’arriverons à rien de
2015 ment de notre vitalité, de notre courage, du sens de notre vocation. Nous n’arriverons à rien de bon, dans nos efforts et
2016 sens de notre vocation. Nous n’arriverons à rien de bon, dans nos efforts et nos débats pour promouvoir l’Europe unie, si
2017 r nos esprits, même et surtout quand nous parlons de fédéralisme. Si au contraire, à la faveur de ces débats, nous parveno
2018 lons de fédéralisme. Si au contraire, à la faveur de ces débats, nous parvenons à développer des réflexes de pensée fédéra
2019 débats, nous parvenons à développer des réflexes de pensée fédéraliste, si nous devenons nous-mêmes intégralement fédéral
2020 alistes qu’elle le devra, et à eux seuls. Sur qui d’ autre peut-elle compter ? Elle ne doit pas compter sur les gens au pou
2021 u pouvoir. J’en connais peu qui aient l’intention de le laisser limiter, et c’est pourtant ce que nous leur demandons. Tou
2022 urvivre aussi longtemps que possible avec l’appui de la police. Or l’être des gouvernements, dans le monde actuel, c’est l
2023 tes ou méchants, mais leur fonction leur interdit de céder un pouce, et dans l’état présent de l’opinion et des rivalités
2024 nterdit de céder un pouce, et dans l’état présent de l’opinion et des rivalités des partis, ils courraient le risque d’êtr
2025 es rivalités des partis, ils courraient le risque d’ être accusés de trahison s’ils transigeaient un seul instant avec le d
2026 s partis, ils courraient le risque d’être accusés de trahison s’ils transigeaient un seul instant avec le dogme de la souv
2027 s’ils transigeaient un seul instant avec le dogme de la souveraineté absolue. L’union, la paix, que la plupart d’entre eux
2028 oilà qui est clair, pour qu’ils acceptent un jour de renoncer non pas à la souveraineté même de leur nation, mais à son ca
2029 n jour de renoncer non pas à la souveraineté même de leur nation, mais à son caractère absolu. Et c’est l’agitation de l’o
2030 mais à son caractère absolu. Et c’est l’agitation de l’opinion et des peuples dans toute l’Europe qui les poussera. De cet
2031 des peuples dans toute l’Europe qui les poussera. De cette agitation, que je voudrais baptiser la Nouvelle Résistance euro
2032 us sommes déclarés responsables au récent congrès de Montreux, qui fédérait tous les fédéralistes, dans la conviction sobr
2033 ette fois-ci, on ne nous laisserait plus le temps de rater. p. Rougemont Denis de, « L’attitude fédéraliste », La NEF,
2034 ait plus le temps de rater. p. Rougemont Denis de , « L’attitude fédéraliste », La NEF, Paris, octobre 1947, p. 49-60.
15 1947, Articles divers (1946-1948). La liberté dans l’amour [Réponse à une enquête] (novembre 1947)
2035 blème me paraît capital, mais son énoncé sur plus d’ un point critiquable ou obscur. Je me propose donc de serrer de près l
2036 n point critiquable ou obscur. Je me propose donc de serrer de près les termes de votre questionnaire. La conception chrét
2037 itiquable ou obscur. Je me propose donc de serrer de près les termes de votre questionnaire. La conception chrétienne de l
2038 . Je me propose donc de serrer de près les termes de votre questionnaire. La conception chrétienne de l’amour ? Je demande
2039 de votre questionnaire. La conception chrétienne de l’amour ? Je demande à voir ce qu’on entend par là. Si on la confond,
2040 nte » des romans français modernes, et l’accusent de « saper les fondements du mariage et de la famille ». Mais il est has
2041 ’accusent de « saper les fondements du mariage et de la famille ». Mais il est hasardeux de parler de la « conception chré
2042 mariage et de la famille ». Mais il est hasardeux de parler de la « conception chrétienne de l’amour » comme d’une chose b
2043 de la famille ». Mais il est hasardeux de parler de la « conception chrétienne de l’amour » comme d’une chose bien connue
2044 hasardeux de parler de la « conception chrétienne de l’amour » comme d’une chose bien connue et qui va de soi. Avant de la
2045 de la « conception chrétienne de l’amour » comme d’ une chose bien connue et qui va de soi. Avant de la déclarer périmée,
2046 i. Avant de la déclarer périmée, il serait normal d’ en prendre connaissance, de la distinguer des conceptions bourgeoises,
2047 imée, il serait normal d’en prendre connaissance, de la distinguer des conceptions bourgeoises, et plus profondément des c
2048 s au xiie siècle par les troubadours et le roman de Tristan. Il faudrait au moins distinguer amour et sexualité. Il n’est
2049 distinguer amour et sexualité. Il n’est pas exact de dire, par exemple, que « l’homme primitif et l’homme civilisé (mainti
2050 e civilisé (maintiennent) l’amour sous la tutelle d’ une éthique… » Car ce que les primitifs réglementaient n’était jamais
2051 , mais les rapports sexuels. Maintenant, le texte de votre enquête trahit une certaine impatience à l’endroit de tutelles,
2052 mour comme tel, ou l’ait même nommé dans un code. De quoi donc voudrait-on le libérer ? L’amour a toujours été libre. Bien
2053 é libre. Bien plus, l’amour est le principe actif de toute libération humaine. Il est la liberté même. (Et quant à ceux qu
2054 ous : sécheresse, blessures spirituelles, anxiété de l’orgueil tournée en méfiance d’autrui et mépris de soi-même. Pour li
2055 tuelles, anxiété de l’orgueil tournée en méfiance d’ autrui et mépris de soi-même. Pour libérer l’amour, aimez ! C’est le s
2056 l’orgueil tournée en méfiance d’autrui et mépris de soi-même. Pour libérer l’amour, aimez ! C’est le seul moyen, et cela
2057 l moyen, et cela suffira. Les sages et les saints de tous les temps sont avec vous pour affirmer la Liberté dans l’Amour e
2058 otre questionnaire, il est l’idéal par excellence de tout ce qui mérite le nom d’homme. Ama et fac quod vis, dit saint Aug
2059 idéal par excellence de tout ce qui mérite le nom d’ homme. Ama et fac quod vis, dit saint Augustin. « C’est l’amour qui no
2060 e une révolution peut s’enflammer sur des slogans d’ émancipation, et justifier après quelques années et au nom de ces même
2061 roblème que vous posez. Je ne me sens pas capable de le résoudre en quelques lignes, et je ne vois pas très bien, je l’avo
2062 ien, je l’avoue, quel sens aurait ici une « prise de position ». (Avec toutes les imprudences du monde, il m’a fallu 350 p
2063 re des homosexuels. Ils ont en fait toute liberté de vivre à leur guise, jouissent des mêmes droits politiques et économiq
2064 droits politiques et économiques que les autres. D’ une manière générale, les sanctions dans le domaine sexuel sont néglig
2065 compare à celles qu’entraîne la simple tentative de traverser une frontière sans visa, le refus de servir dans l’armée, l
2066 ve de traverser une frontière sans visa, le refus de servir dans l’armée, la fraude fiscale, ou certaines opinions politiq
2067 florer les vierges par des personnages sacrés, et d’ une manière générale ne toléraient aucune fantaisie individuelle dans
2068 C’est précisément l’existence — et non l’absence de la liberté sexuelle parmi nous qui pose un problème sérieux. Si l’on
2069 oblème sérieux. Si l’on estime que l’état présent de nos mœurs est satisfaisant, il en résulte qu’une « éthique de l’amour
2070 est satisfaisant, il en résulte qu’une « éthique de l’amour » (entendons de la sexualité) n’est pas nécessaire ; car en f
2071 résulte qu’une « éthique de l’amour » (entendons de la sexualité) n’est pas nécessaire ; car en fait nous n’en avons plus
2072 en avons plus, ou juste assez pour que le piquant d’ une tricherie que toutes nos modes, romans et films favorisentf. Si l’
2073 ment : entre nos instincts déréglés et les règles d’ un jeu nouveau. Quel jeu ? Quelles règles ? Sujet d’autre enquête. 3
2074 un jeu nouveau. Quel jeu ? Quelles règles ? Sujet d’ autre enquête. 3. Phénomène appelé péché par les théologiens. e. R
2075 é péché par les théologiens. e. Rougemont Denis de , « La liberté dans l’amour », L’Âge d’or, Paris, novembre 1947, p. 48
2076 mont Denis de, « La liberté dans l’amour », L’Âge d’ or, Paris, novembre 1947, p. 48-50. f. Syntaxe fautive.
16 1947, Articles divers (1946-1948). La balance n’est pas égale entre les États-Unis et l’URSS (8 novembre 1947)
2077 de visiter les stations flambant neuves du métro de Moscou, et son guide soviétique l’invite à admirer. « Très beau, dit
2078 ès beau, dit notre Américain, mais je ne vois pas de trains circuler ? » — « En effet, réplique le guide, ils ne circulent
2079 t pas encore, mais vous, qu’est-ce que vous dites de la question des Noirs aux États-Unis, hein ? » Ce dialogue de fous n’
2080 on des Noirs aux États-Unis, hein ? » Ce dialogue de fous n’est pas celui des peuples, mais de certains journalistes qui p
2081 ialogue de fous n’est pas celui des peuples, mais de certains journalistes qui parlent en leur nom. C’est ainsi que L’Huma
2082 détourner l’attention des mises au pas mensuelles de la culture décrétées par Jdanov en Russie, proclame que « l’Amérique
2083 lar ; 3° Donc Truman impose à l’Europe la lecture de Henry Miller, et ce dernier qui est « le plus rusé de tous » écrit ce
2084 enry Miller, et ce dernier qui est « le plus rusé de tous » écrit ce qu’il faut pour servir « l’expansionnisme » du dollar
2085 onnisme » du dollar. Qu’on ne rie pas : il s’agit de « dialectique ». Et qu’on ne hausse pas les épaules : il s’agit d’un
2086 ». Et qu’on ne hausse pas les épaules : il s’agit d’ un retour en force de l’hitléro-fascisme culturel. (C’est à peine si l
2087 pas les épaules : il s’agit d’un retour en force de l’hitléro-fascisme culturel. (C’est à peine si les termes ont changé
2088 aient les Yankees barbares.) Tout le raisonnement de L’Humanité repose sur la conviction typiquement totalitaire que ce qu
2089 es mêmes raisons, le succès en Europe occidentale de Tolstoï et Dostoïevsky devrait être mis au crédit des sombres dessein
2090 ins du tsarisme ? Et, de même, l’insuccès notoire de la littérature soviétique serait le fait d’un calcul de Staline ? Il
2091 toire de la littérature soviétique serait le fait d’ un calcul de Staline ? Il se peut que les rédacteurs de L’Humanité s’i
2092 littérature soviétique serait le fait d’un calcul de Staline ? Il se peut que les rédacteurs de L’Humanité s’imaginent ser
2093 calcul de Staline ? Il se peut que les rédacteurs de L’Humanité s’imaginent servir la paix et la justice en embrouillant t
2094 m de fleur dialectique. Pour ma part, j’essaierai de débrouiller quelques faits, au nom de la simple vérité. ⁂ Tout d’abor
2095 e vérité. ⁂ Tout d’abord, il est notoirement faux d’ écrire que Henry Miller a puisé son désespoir « dans son pays » : c’es
2096 sé son désespoir « dans son pays » : c’est la vie de Montparnasse entre les deux guerres que décrivent ses Tropiques, publ
2097 que. Ensuite, il est notoirement faux et ridicule d’ accuser les éditeurs américains de « tirer parti » du pessimisme d’un
2098 aux et ridicule d’accuser les éditeurs américains de « tirer parti » du pessimisme d’un Miller ou d’un Faulkner, pour fair
2099 teurs américains de « tirer parti » du pessimisme d’ un Miller ou d’un Faulkner, pour faire de leurs livres des « rabatteur
2100 s de « tirer parti » du pessimisme d’un Miller ou d’ un Faulkner, pour faire de leurs livres des « rabatteurs de dollars à
2101 ssimisme d’un Miller ou d’un Faulkner, pour faire de leurs livres des « rabatteurs de dollars à travers le monde ». Essayo
2102 kner, pour faire de leurs livres des « rabatteurs de dollars à travers le monde ». Essayons d’expliquer patiemment l’absur
2103 atteurs de dollars à travers le monde ». Essayons d’ expliquer patiemment l’absurdité technique de ce reproche : 1° Les édi
2104 yons d’expliquer patiemment l’absurdité technique de ce reproche : 1° Les éditeurs américains ne sont pas aux ordres de Tr
2105 1° Les éditeurs américains ne sont pas aux ordres de Truman, comme ceux de l’URSS sont aux ordres de Staline ; 2° Les édit
2106 ains ne sont pas aux ordres de Truman, comme ceux de l’URSS sont aux ordres de Staline ; 2° Les éditeurs américains cherch
2107 s de Truman, comme ceux de l’URSS sont aux ordres de Staline ; 2° Les éditeurs américains cherchent à faire de l’argent, c
2108 ne ; 2° Les éditeurs américains cherchent à faire de l’argent, comme les nôtres, tout en publiant parfois une œuvre de qua
2109 me les nôtres, tout en publiant parfois une œuvre de qualité qui ne rapporte rien ; 3° Or les livres qui font de l’argent
2110 qui ne rapporte rien ; 3° Or les livres qui font de l’argent aux US sont les romans historiques et les romans religieux,
2111 rent souvent à un million et plus ; 4° Les droits de traduction d’un de ces romans ne représentent au mieux qu’une fractio
2112 un million et plus ; 4° Les droits de traduction d’ un de ces romans ne représentent au mieux qu’une fraction négligeable
2113 illion et plus ; 4° Les droits de traduction d’un de ces romans ne représentent au mieux qu’une fraction négligeable des b
2114 vente en Amérique ; 5° Les œuvres « pessimistes » de Faulkner et surtout de Miller, loin d’être des best-sellers, tirent à
2115 Les œuvres « pessimistes » de Faulkner et surtout de Miller, loin d’être des best-sellers, tirent à 5 ou 20 000 exemplaire
2116 simistes » de Faulkner et surtout de Miller, loin d’ être des best-sellers, tirent à 5 ou 20 000 exemplaires, tandis que le
2117 à 5 ou 20 000 exemplaires, tandis que les œuvres de Lewis Douglas, de Betty Smith, de Betty McDonald, et d’une trentaine
2118 mplaires, tandis que les œuvres de Lewis Douglas, de Betty Smith, de Betty McDonald, et d’une trentaine de romanciers dont
2119 que les œuvres de Lewis Douglas, de Betty Smith, de Betty McDonald, et d’une trentaine de romanciers dont l’Europe ne con
2120 is Douglas, de Betty Smith, de Betty McDonald, et d’ une trentaine de romanciers dont l’Europe ne connaît même pas les noms
2121 etty Smith, de Betty McDonald, et d’une trentaine de romanciers dont l’Europe ne connaît même pas les noms, tirent à 800 0
2122 ok club s’y intéresse ; 6° Le succès à l’étranger d’ un Henry Miller stupéfie les éditeurs américains qui en entendent parl
2123 ntendent parler, mais non pas Truman qui s’occupe d’ autre chose, et dont la politique a autant de rapports avec les vomiss
2124 cupe d’autre chose, et dont la politique a autant de rapports avec les vomissements décrits par un Miller, que la réalité
2125 en écrit un stalinien. Ceci dit, et les arguments de L’Humanité proprement balayés dans le ruisseau, auquel nous laisseron
2126 dans le ruisseau, auquel nous laisserons le soin de les conduire à leur conclusion naturelle, — reste toute la question d
2127 r conclusion naturelle, — reste toute la question de la culture américaine dans ses rapports avec « l’esprit », pour parle
2128 nistes. Les intellectuels européens qui ont connu de près la vie américaine ont coutume d’insister sur deux traits de cett
2129 i ont connu de près la vie américaine ont coutume d’ insister sur deux traits de cette culture qui leur paraissent foncière
2130 américaine ont coutume d’insister sur deux traits de cette culture qui leur paraissent foncièrement déplaisants : la dicta
2131 araissent foncièrement déplaisants : la dictature de l’argent, et celle du grand public, c’est-à-dire du simplisme qu’on b
2132 e qu’on baptise opinion moyenne. Sur la dictature de l’argent aux USA, tout a été dit, et les cent anecdotes personnelles
2133 n’est pas hypocrite dans ce domaine, les éditeurs de livres et de revues demandent avant tout d’un écrit qu’il se vende. O
2134 ocrite dans ce domaine, les éditeurs de livres et de revues demandent avant tout d’un écrit qu’il se vende. On m’assure qu
2135 teurs de livres et de revues demandent avant tout d’ un écrit qu’il se vende. On m’assure que l’éditeur d’Ambre fit savoir
2136 n écrit qu’il se vende. On m’assure que l’éditeur d’ Ambre fit savoir à la jeune et jolie femme qui en est l’auteur qu’il j
2137 mme très vendable. Qu’il y ait là une dégradation de l’esprit, je pense que tout le monde l’admettra, sans chicaner sur le
2138 st le goût du public qui fait le succès financier d’ un roman, bien plus que la passion du gain chez l’éditeur. En d’autres
2139 e est un triomphe mondial qui réduit à néant ceux de Miller à Paris, c’est que la majorité du grand public est imbécile. I
2140 ssimilable et simplifiée, il trouvera le meilleur de ce qui s’écrit chez nous. Et que lui donne-t-on, dans le fait ? D’exc
2141 chez nous. Et que lui donne-t-on, dans le fait ? D’ excellents articles sur l’hygiène, les sciences, les mœurs chinoises,
2142 iène, les sciences, les mœurs chinoises, la vague de divorces, l’aviation ou le sort des Indiens ; des extraits bien chois
2143 u le sort des Indiens ; des extraits bien choisis d’ Emery Reeve, d’Einstein, de Saint-Exupéry, de John Gunther ; des anecd
2144 ndiens ; des extraits bien choisis d’Emery Reeve, d’ Einstein, de Saint-Exupéry, de John Gunther ; des anecdotes frappantes
2145 extraits bien choisis d’Emery Reeve, d’Einstein, de Saint-Exupéry, de John Gunther ; des anecdotes frappantes et loufoque
2146 isis d’Emery Reeve, d’Einstein, de Saint-Exupéry, de John Gunther ; des anecdotes frappantes et loufoques à souhait ; de l
2147 des anecdotes frappantes et loufoques à souhait ; de l’optimisme, encore de l’optimisme, et une confiance sérieusement mot
2148 s et loufoques à souhait ; de l’optimisme, encore de l’optimisme, et une confiance sérieusement motivée dans les destins d
2149 e confiance sérieusement motivée dans les destins de l’Amérique. Nous voici loin des « turpitudes » et de la résignation m
2150 l’Amérique. Nous voici loin des « turpitudes » et de la résignation morbide dénoncées par L’Humanité. Mais dans la mesure
2151 ans la mesure même où ces digests sont des écoles de simplisme béat au service de l’idéologie majoritaire, nous voici tout
2152 ests sont des écoles de simplisme béat au service de l’idéologie majoritaire, nous voici tout près des problèmes que pose
2153 ue. Un communiste moins que tout autre a le droit d’ ironiser sur ce sujet. L’éditeur américain, pour éduquer le grand pub
2154 and public, cherche à le séduire et lui fait trop de concessions, ce qui rapporte une quantité de dollars. Le commissaire
2155 trop de concessions, ce qui rapporte une quantité de dollars. Le commissaire soviétique, au contraire, force carrément l’o
2156 ontraire, force carrément l’opinion, dans le sens d’ une théorie tactique qui change d’ailleurs tous les six mois ; ce qui
2157 tous les six mois ; ce qui entraîne une quantité d’ emprisonnements. Mais nous, Européens, quels efforts faisons-nous pour
2158 points, les mauvaises notes à droite et à gauche, d’ un air sceptique. Nous dénonçons l’abus flagrant des méthodes américai
2159 s, au lieu d’en faire meilleur usage. Nous sommes de petits malins qui refusent de choisir entre la peste et le choléra, e
2160 usage. Nous sommes de petits malins qui refusent de choisir entre la peste et le choléra, entre les blocs. Nous tenons la
2161 ique est tout de même un pays où les dégradations de l’esprit, hélas ! réelles, peuvent encore être dénoncées, et le sont
2162 , une cruauté qu’aucun critique européen n’égale. De Mencken à Philip Wylic, de Thorsten Veblen à Reinhold Niehbur, pour n
2163 ique européen n’égale. De Mencken à Philip Wylic, de Thorsten Veblen à Reinhold Niehbur, pour ne rien dire des romanciers,
2164 ée par les Américains eux-mêmes, avec une liberté d’ esprit que l’Europe ne peut qu’envier, et qui épouvanterait les stalin
2165 grade l’esprit, ce sont bien moins les tentations de l’argent et du succès vulgaire que les habitudes de mensonge en servi
2166 l’argent et du succès vulgaire que les habitudes de mensonge en service commandé par l’État. Ce qui dégrade l’esprit, ce
2167 ombrent l’étalage, mais qu’on n’ait plus le droit de les juger mauvais si le Parti les déclare orthodoxes. La balance n’es
2168 clare orthodoxes. La balance n’est pas égale. Car d’ un côté l’on se moque encore de la bêtise, de l’autre on la fait respe
2169 est pas égale. Car d’un côté l’on se moque encore de la bêtise, de l’autre on la fait respecter. Pendant qu’on jouait à Mo
2170 Car d’un côté l’on se moque encore de la bêtise, de l’autre on la fait respecter. Pendant qu’on jouait à Moscou, ce print
2171 jouait à Moscou, ce printemps, une pièce violente de Simonov, où l’on voit un reporter américain persécuté par ses patrons
2172 rsécuté par ses patrons pour avoir « bien parlé » de l’URSS, l’un des meilleurs producers de Broadway me dit en riant : « 
2173 n parlé » de l’URSS, l’un des meilleurs producers de Broadway me dit en riant : « Il n’y a qu’une réponse possible. Je vai
2174 is faire jouer cette pièce ici, ce sera le succès de fou rire de la rentrée. » ⁂ Quant à l’influence américaine, concluons
2175 er cette pièce ici, ce sera le succès de fou rire de la rentrée. » ⁂ Quant à l’influence américaine, concluons sur une sim
2176 Pour L’Humanité tout se résume dans le pessimisme de Miller, dont le succès, je l’ai montré, loin d’être le fait des édite
2177 e de Miller, dont le succès, je l’ai montré, loin d’ être le fait des éditeurs américains, est celui de notre public. Mais
2178 d’être le fait des éditeurs américains, est celui de notre public. Mais sur l’Europe, en général, l’influence américaine s
2179 en deux occasions plus marquantes, je veux parler de 1917 et de 1942, et alors elle fut bien le fait de la volonté du peup
2180 asions plus marquantes, je veux parler de 1917 et de 1942, et alors elle fut bien le fait de la volonté du peuple américai
2181 e 1917 et de 1942, et alors elle fut bien le fait de la volonté du peuple américain et de la politique de ses chefs. q.
2182 bien le fait de la volonté du peuple américain et de la politique de ses chefs. q. Rougemont Denis de, « La balance n’e
2183 la volonté du peuple américain et de la politique de ses chefs. q. Rougemont Denis de, « La balance n’est pas égale ent
2184 la politique de ses chefs. q. Rougemont Denis de , « La balance n’est pas égale entre les États-Unis et l’URSS », Le Fi
17 1947, Articles divers (1946-1948). Une Europe fédérée (20 décembre 1947)
2185 J’entends dire tous les jours depuis le congrès de Montreux9 : « Vous y croyez à cette fédération de l’Europe ? » Je rép
2186 de Montreux9 : « Vous y croyez à cette fédération de l’Europe ? » Je réponds qu’il s’agit plutôt de la vouloir. « Mais pou
2187 on de l’Europe ? » Je réponds qu’il s’agit plutôt de la vouloir. « Mais pourquoi, me dit-on, faudrait-il la vouloir ? » Je
2188 ’y a qu’à regarder l’Europe, qu’à faire son bilan de misères, qu’à voir la place qu’elle tient encore ou ne tient déjà plu
2189 r quelques observations très simples qu’il suffit de grouper pour qu’elles parlent clairement, et d’ordonner pour qu’un mo
2190 t de grouper pour qu’elles parlent clairement, et d’ ordonner pour qu’un mot d’ordre s’en dégage. Quelques faits La fé
2191 re s’en dégage. Quelques faits La fédération de l’Europe est inscrite dans les faits les plus neufs de ce siècle, les
2192 Europe est inscrite dans les faits les plus neufs de ce siècle, les uns techniques, les autres politiques. Si tout le mond
2193 utres politiques. Si tout le monde ne le voit pas d’ un coup d’œil, c’est que « l’homme moderne est démodé », comme l’a dit
2194 s immobiles, quand la mesure pratique est l’heure de vol. Il médite sur la carte des frontières, dont les réseaux de l’air
2195 ite sur la carte des frontières, dont les réseaux de l’air ne tiennent pas compte. S’il posait son atlas pour faire tourne
2196 rner un globe il verrait que le plus court chemin de l’Amérique à la Russie ne passe plus par l’Europe, mais par le pôle.
2197 d fait politique des deux empires, qui ont un air de vouloir se partager le monde. En 1939 il y avait en présence l’Allema
2198 premier, nous nous méfions du second. Notre idée de l’homme n’est pas celle du Kremlin ni celle du businessman américain.
2199 lle du businessman américain. Nous ne voulons pas d’ un régime de terreur, de parole asservie, d’épuration à froid, de disc
2200 essman américain. Nous ne voulons pas d’un régime de terreur, de parole asservie, d’épuration à froid, de discipline d’aci
2201 cain. Nous ne voulons pas d’un régime de terreur, de parole asservie, d’épuration à froid, de discipline d’acier (c’est le
2202 s pas d’un régime de terreur, de parole asservie, d’ épuration à froid, de discipline d’acier (c’est le nom de Staline) et
2203 terreur, de parole asservie, d’épuration à froid, de discipline d’acier (c’est le nom de Staline) et de diplomatie à coups
2204 role asservie, d’épuration à froid, de discipline d’ acier (c’est le nom de Staline) et de diplomatie à coups de marteau (c
2205 tion à froid, de discipline d’acier (c’est le nom de Staline) et de diplomatie à coups de marteau (c’est le nom choisi par
2206 e discipline d’acier (c’est le nom de Staline) et de diplomatie à coups de marteau (c’est le nom choisi par Molotov). Nous
2207 c’est le nom de Staline) et de diplomatie à coups de marteau (c’est le nom choisi par Molotov). Nous ne voulons pas de la
2208 t le nom choisi par Molotov). Nous ne voulons pas de la dictature d’un seul parti ; qui ne représente qu’un quart du corps
2209 par Molotov). Nous ne voulons pas de la dictature d’ un seul parti ; qui ne représente qu’un quart du corps électoral dans
2210 brutal, n’est pas moins franc. Nous avons besoin d’ elle matériellement, elle a besoin de nous spirituellement, et si son
2211 avons besoin d’elle matériellement, elle a besoin de nous spirituellement, et si son aide économique nous trouvait complai
2212 laisants ou serviles dans le domaine des mœurs et de la culture elle y perdrait autant que nous. L’Europe a dépassé le sta
2213 rait autant que nous. L’Europe a dépassé le stade de l’individualisme économique. Son rôle est d’inventer un régime neuf,
2214 tade de l’individualisme économique. Son rôle est d’ inventer un régime neuf, plus souple et plus humain que la dictature r
2215 et plus humain que la dictature russe, mais guéri de l’obsession de l’argent qui dénature les libertés américaines. Un rég
2216 que la dictature russe, mais guéri de l’obsession de l’argent qui dénature les libertés américaines. Un régime qui traduis
2217 n politique, dans l’économie et les mœurs, l’idée de l’homme commune aux peuples de l’Europe : ni l’individu sans devoirs
2218 les mœurs, l’idée de l’homme commune aux peuples de l’Europe : ni l’individu sans devoirs ni le soldat politique sans dro
2219 n pour tous et le tous pour un. Voilà la vocation de l’Europe. Or il est clair qu’aucune de nos nations n’est en mesure de
2220 a vocation de l’Europe. Or il est clair qu’aucune de nos nations n’est en mesure de la réaliser pour son seul compte et sa
2221 st clair qu’aucune de nos nations n’est en mesure de la réaliser pour son seul compte et sans échanges. Aucune n’est assez
2222 ésister seule aux pressions impériales. Et l’idée de coopération qui serait au cœur de ce régime social, et qui inspire pa
2223 ales. Et l’idée de coopération qui serait au cœur de ce régime social, et qui inspire partout sa recherche, ne saurait s’a
2224 sa recherche, ne saurait s’arrêter aux frontières d’ un pays. Voilà donc le fédéralisme. L’opposition Il semble à pre
2225 aux meilleures volontés qu’il ne puisse provoquer d’ opposition foncière. Qui oserait dire : « Je veux une Europe désunie !
2226 ionale, qu’ils se cantonnent dans le double refus de l’Amérique et de la Russie, qu’ils y ajoutent un troisième refus, cel
2227 cantonnent dans le double refus de l’Amérique et de la Russie, qu’ils y ajoutent un troisième refus, celui de l’Europe, j
2228 ssie, qu’ils y ajoutent un troisième refus, celui de l’Europe, jusqu’à ce qu’ils soient dûment colonisés ! » Personne n’os
2229 ais certains le pensent et finissent par le dire, d’ une manière un peu différente : « Vous y croyez à cette fédération de
2230 u différente : « Vous y croyez à cette fédération de l’Europe ?… » Derrière ce scepticisme en quête d’un sourire complice
2231 de l’Europe ?… » Derrière ce scepticisme en quête d’ un sourire complice ou gêné (tant de gens ont une peur bleue de passer
2232 complice ou gêné (tant de gens ont une peur bleue de passer pour utopistes et d’avoir l’air de croire un peu à quelque cho
2233 ns ont une peur bleue de passer pour utopistes et d’ avoir l’air de croire un peu à quelque chose) se cachent en réalité tr
2234 r bleue de passer pour utopistes et d’avoir l’air de croire un peu à quelque chose) se cachent en réalité trois formes de
2235 quelque chose) se cachent en réalité trois formes de sabotage : nationalisme, défaitisme et stalinisme. Le nationalisme n’
2236 . Le nationalisme n’est en fait qu’une crispation de névrose féodale, un complexe de repli devant les réalités qui dominen
2237 qu’une crispation de névrose féodale, un complexe de repli devant les réalités qui dominent aujourd’hui la planète. Le déf
2238 que la guerre des deux blocs est fatale ; inutile de rien faire en l’attendant, et surtout pas quelque chose qui l’empêche
2239 pêche ! Enfin le stalinisme a décrété que l’union de l’Europe est antirusse, ce qui est la manière stalinienne de dire que
2240 est antirusse, ce qui est la manière stalinienne de dire que la Russie ne veut pas la paix de l’Europe. Invités aux congr
2241 inienne de dire que la Russie ne veut pas la paix de l’Europe. Invités aux congrès fédéralistes, les communistes répondent
2242 es, les communistes répondent en tirant le rideau de fer, s’enferment et crient qu’on les empêche d’entrer, qu’on les excl
2243 u de fer, s’enferment et crient qu’on les empêche d’ entrer, qu’on les exclut, qu’on fait un bloc contre eux… Il n’y a donc
2244 que. Quand il est autre chose que l’effet naturel d’ une grande affirmation centrale, il n’est même pas un vrai refus : il
2245 est la grande affirmation centrale, le grand but de cette drôle de paix ? À quel plan nous vouer ? À quelle doctrine nouv
2246 affirmation centrale, le grand but de cette drôle de paix ? À quel plan nous vouer ? À quelle doctrine nouvelle consacrer
2247  ? À quelle doctrine nouvelle consacrer ce besoin d’ engagement que les totalitaires ne demandent qu’à tromper ? Ils donnen
2248 aveugle à ceux qui cherchent un ordre, et le camp de concentration à ceux qui rêvent encore de restaurer le sens communaut
2249 le camp de concentration à ceux qui rêvent encore de restaurer le sens communautaire. En dehors d’eux rien n’a paru depuis
2250 n’y avait rien devant nous. Quand le monde attend de nous l’invention pacifiante et la formule d’un ordre neuf… Où irons-n
2251 tend de nous l’invention pacifiante et la formule d’ un ordre neuf… Où irons-nous ? Seul le fédéralisme ouvre des voies nou
2252 surmonter — voyez la Suisse — les vieux conflits de races, de langues et de religions sclérosés dans le nationalisme et l
2253 — voyez la Suisse — les vieux conflits de races, de langues et de religions sclérosés dans le nationalisme et le problème
2254 isse — les vieux conflits de races, de langues et de religions sclérosés dans le nationalisme et le problème des minorités
2255 asser l’opposition chaque jour moins convaincante d’ une gauche qui défend la contrainte et d’une droite qui revendique les
2256 aincante d’une gauche qui défend la contrainte et d’ une droite qui revendique les libertés : le but, l’essence de la pensé
2257 e qui revendique les libertés : le but, l’essence de la pensée fédéraliste étant précisément de trouver les moyens d’artic
2258 ssence de la pensée fédéraliste étant précisément de trouver les moyens d’articuler, d’arranger sans les tuer, les diversi
2259 déraliste étant précisément de trouver les moyens d’ articuler, d’arranger sans les tuer, les diversités de tous ordres (po
2260 nt précisément de trouver les moyens d’articuler, d’ arranger sans les tuer, les diversités de tous ordres (politiques auss
2261 ticuler, d’arranger sans les tuer, les diversités de tous ordres (politiques aussi bien qu’économiques) dans un corps, non
2262 tique par excellence, n’en déplaise aux sectaires de tous bords. La véritable troisième force, ce n’est pas je ne sais que
2263 me force, ce n’est pas je ne sais quel groupement de doubles négations et de demi-mesures — c’est l’Europe fédérée devant
2264 e ne sais quel groupement de doubles négations et de demi-mesures — c’est l’Europe fédérée devant les deux empires. C’est
2265 e, mais cette vieille terre à rajeunir, à libérer de ses cloisons, à reconquérir : notre Europe. 9. Le congrès de l’Uni
2266 s, à reconquérir : notre Europe. 9. Le congrès de l’Union européenne des fédéralistes, qui s’est tenu à Montreux à la f
2267 istes, qui s’est tenu à Montreux à la fin du mois d’ août. r. Rougemont Denis de, « Une Europe fédérée », Une Semaine dan
2268 eux à la fin du mois d’août. r. Rougemont Denis de , « Une Europe fédérée », Une Semaine dans le monde, Paris, 20 décembr
18 1948, Articles divers (1946-1948). Notes sur la voie clandestine (hiver 1948)
2269 une erreur qui doit ouvrir la voie. Mais essayons de ramener l’attention sur cet obstacle tant de fois refusé dans un écar
2270 s un écart désarçonnant : qu’est-ce que le destin d’ un homme, — mon destin ? C’est ici que la voie prend naissance. Tu as
2271 sur l’hélice. Avant l’heure H, ou dans l’attente d’ un amour, quelque cérémonie te disposera dans le fil de ta chance ou l
2272 amour, quelque cérémonie te disposera dans le fil de ta chance ou la cadence de ta grâce. Le risque et l’isolement nous re
2273 disposera dans le fil de ta chance ou la cadence de ta grâce. Le risque et l’isolement nous rendent à l’enfance, parce qu
2274 , je me perdrais en route.) Dans l’insignifiance d’ une vie où l’argent et la guerre sont seuls à organiser la cohue, le s
2275 itieux simplement sera celui qui ne désespère pas de trouver quelque sens acceptable sous l’uniforme absurdité de ce que l
2276 quelque sens acceptable sous l’uniforme absurdité de ce que l’on voit. C’est le seul optimiste parmi nous, qui ait causé d
2277 C’est le seul optimiste parmi nous, qui ait causé de l’être sans niaiserie. S’il s’arrête à telle apparence curieusement p
2278 aurait tromper. C’est la puissante circonspection de celui qui s’engage sur le sentier de la guerre. Les feux rouges, des
2279 rconspection de celui qui s’engage sur le sentier de la guerre. Les feux rouges, des yeux verts, un profil détourné au cro
2280 des yeux verts, un profil détourné au croisement de deux rues, c’est New York, dont la somme donne 6 et le produit 9 — le
2281 arbus. Il n’attend rien qui ressemble aux dictons de l’occulte, attendant cela seulement qui ne ressemble à rien mais qu’i
2282 premier coup : un repère à la craie sur le seuil de sa vie, une note que lui seul peut entendre parce qu’elle résout sa d
2283 dissonance intime et l’introduit dans l’harmonie de son destin. Cherchant ce qui ne vibre qu’à lui-même et révèle un acco
2284 t en créer un seul nouveau ! Dans les jeux, rêves de la conscience, et dans les rêves, jeux de l’inconscient, on a vite fa
2285 , rêves de la conscience, et dans les rêves, jeux de l’inconscient, on a vite fait d’en dresser le catalogue : tout se ram
2286 les rêves, jeux de l’inconscient, on a vite fait d’ en dresser le catalogue : tout se ramène à quelques personnages consta
2287 igures soient presque seules à définir le pouvoir d’ illustrer les messages émis par quelque au-delà (ou en deçà) du moi qu
2288 x éprouvés, jalonnant la voie clandestine, fleurs de cette « rhétorique du rêve » que Jean-Paul a nommée le premier, ils r
2289 ne m’indique plus comment agir et comment sortir de l’impasse, je tire les cartes, j’accepte le clin d’œil de mes superst
2290 asse, je tire les cartes, j’accepte le clin d’œil de mes superstitions improvisées. Qu’est-ce donc que cela ? Un moyen de
2291 s improvisées. Qu’est-ce donc que cela ? Un moyen de me refonder sur mes assises inconscientes, si la raison hésite et là
2292 t les signes que j’accueille ont bien des chances d’ être dans la complicité de mon exigence secrète. C’est elle, au vrai,
2293 le ont bien des chances d’être dans la complicité de mon exigence secrète. C’est elle, au vrai, qui les choisit, en vertu
2294 rétation. Ils agissent donc comme des révélateurs de moi-même à mes propres yeux. D’autre part, il se peut que ces signes
2295 rdonnent les hasards apparents, et des structures de laquelle ils me permettent de repérer certains linéaments ou certains
2296 , et des structures de laquelle ils me permettent de repérer certains linéaments ou certains affleurements. Ainsi d’ailleu
2297 mes ancestrales, aux dictons : signes enregistrés de l’inconscient collectif, et tenant lieu de raisons lorsque la raison
2298 istrés de l’inconscient collectif, et tenant lieu de raisons lorsque la raison cale. ⁂ Le superstitieux expérimente quotid
2299 s neuf fois sur dix, comme toutes vos expériences de laboratoire. Et comme vous, je ne retiens que le dixième, qui donne u
2300 erstitieux va loin, s’il est grand : dans la voie de l’incomparable, il va jusqu’au bout de lui-même. ⁂ Erreur commune : s
2301 ut de lui-même. ⁂ Erreur commune : s’il n’y a pas de hasard, tout serait donc déterminé ? Nous n’aurions plus qu’à suivre
2302 n’aurions plus qu’à suivre une voie rigide, fixée de toute nécessité par le Destin ? Erreur commune et dont il faut rougir
2303 reur commune et dont il faut rougir. Il n’y a pas de hasard, mais pourtant nous sommes libres. Je ne sais qui dispose de m
2304 urtant nous sommes libres. Je ne sais qui dispose de moi, mais la contrainte, si c’en est une, certainement n’est pas méca
2305 iente ou me désoriente… C’est une immense affaire d’ amour ! Nous ne sommes pas aimantés comme des grains de limaille, nous
2306 ur ! Nous ne sommes pas aimantés comme des grains de limaille, nous sommes aimés par un destin. Et parfois il nous traite
2307 erminisme. Il voit un rail. Il pense au règlement d’ une dictature anonyme. J’imagine un destin actif et joueur. Arrêtez-v
2308 me l’étais avoué : celle du changement instantané de tout, en sorte que nul ne s’en doute. Ne serait-ce pas sur cette croy
2309 d, « que Dieu peut à tout instant, voilà la santé de la foi. » ⁂ Amoureux égale superstitieux, parce que tout amour est un
2310 s qu’il y a des hommes et qui aiment : « Question de peaux. » Nous en sommes là. On avancerait un peu en disant : « Questi
2311 s là. On avancerait un peu en disant : « Question d’ astres. » ⁂ Poète égale superstitieux, parce qu’ils se sentent accompa
2312 e je ramène sur la berge du réveil par une touffe de cheveux, par la main… Il se débat, et pour un peu, m’entraînait dans
2313 re en joue, et s’en jouent. t. Rougemont Denis de , « Notes sur la voie clandestine », Les Cahiers de la Pléiade, Paris,
2314 e, « Notes sur la voie clandestine », Les Cahiers de la Pléiade, Paris, janvier 1948, p. 57-63.
19 1948, Articles divers (1946-1948). Rencontre avec Denis de Rougemont (janvier 1948)
2315 sme ! La belliqueuse inscription, glorieux indice d’ un récent combat, marque d’une tache rouge à demi effacée par une main
2316 ption, glorieux indice d’un récent combat, marque d’ une tache rouge à demi effacée par une main sacrilège, l’un des murs d
2317 emi effacée par une main sacrilège, l’un des murs de cette citadelle qu’est, pour la république des Lettres, l’immeuble de
2318 un petit bureau étroit et blanc comme une cellule de moine, tout embrumé par la fumée des pipes, que je rencontre, convers
2319 cuteurs penchés sur les bonnes feuilles du Cheval de Troie, et m’entraîne dans un bar voisin. Musique en sourdine, lumière
2320 de Beauvoir s’entretiennent fiévreusement du sort de l’Europe. L’auteur de La Part du diable m’en parlera lui aussi, tout
2321 nnent fiévreusement du sort de l’Europe. L’auteur de La Part du diable m’en parlera lui aussi, tout à l’heure. Mais, d’abo
2322 , comment sa pondération, sa générosité, son sens de l’humain pourraient-ils m’échapper ? Sa voix est douce, mais nette ;
2323 re accompagne son propos, et son regard s’éclaire d’ une lueur qu’il me faut bien qualifier de « mystique ». Demandez-lui c
2324 ’éclaire d’une lueur qu’il me faut bien qualifier de « mystique ». Demandez-lui ce qu’il fait : Je n’ai d’autre spécialité
2325  mystique ». Demandez-lui ce qu’il fait : Je n’ai d’ autre spécialité, vous répondra-t-il, que de réfléchir aux conséquence
2326 n’ai d’autre spécialité, vous répondra-t-il, que de réfléchir aux conséquences générales des découvertes particulières, e
2327 . Un intellectuel qui n’a pas mauvaise conscience de sa vocation, qui ne s’en cache pas. Il intitula même un de ses livres
2328 ation, qui ne s’en cache pas. Il intitula même un de ses livres les plus remarquables : Journal d’un intellectuel en chôma
2329 un de ses livres les plus remarquables : Journal d’ un intellectuel en chômage. Mais, au centre de ses préoccupations, se
2330 nal d’un intellectuel en chômage. Mais, au centre de ses préoccupations, se tient la personne humaine ; ne voulut-il pas i
2331 maine ; ne voulut-il pas instaurer une Politique de la personne  ? Et, pour mieux préciser encore sa position, ne nous in
2332 , me dit Denis de Rougemont. J’ai fait des études de lettres en Suisse et en Autriche, à Vienne. J’ai voyagé en Allemagne
2333 e et en Hongrie. Pendant un temps, je fus lecteur de français à l’Université de Francfort. En 1931, je vins en France ; j’
2334 temps, je fus lecteur de français à l’Université de Francfort. En 1931, je vins en France ; j’ai vécu en province et à Pa
2335 ition « Je sers », créant une petite revue au ton d’ avant-garde — Hic et Nunc — qui compta douze numéros. Nous y défendi
2336 éfendions la théologie existentielle, et les noms de Heidegger, de Kierkegaard, revenaient souvent sous notre plume. Au so
2337 héologie existentielle, et les noms de Heidegger, de Kierkegaard, revenaient souvent sous notre plume. Au sommaire, l’on t
2338 gemont en Suisse ; il fut mobilisé à l’état-major de Berne. Lors de l’entrée de Hitler à Paris, je fis paraître dans la G
2339 obilisé à l’état-major de Berne. Lors de l’entrée de Hitler à Paris, je fis paraître dans la Gazette de Lausanne un arti
2340 Hitler à Paris, je fis paraître dans la Gazette de Lausanne un article qui me valut d’être condamné à quinze jours de f
2341 la Gazette de Lausanne un article qui me valut d’ être condamné à quinze jours de forteresse ! En septembre 1940, il éta
2342 ticle qui me valut d’être condamné à quinze jours de forteresse ! En septembre 1940, il était envoyé en Amérique pour y fa
2343 faire des conférences. Il n’en revint qu’au mois de juillet dernier. Il vécut à New York, à Princeton, où il respira une
2344 là, dans « ce cadre trop parfait, cette ambiance d’ innocence, de sports et d’ombres vertes », que demeurait Albert Einste
2345 e cadre trop parfait, cette ambiance d’innocence, de sports et d’ombres vertes », que demeurait Albert Einstein, l’invente
2346 parfait, cette ambiance d’innocence, de sports et d’ ombres vertes », que demeurait Albert Einstein, l’inventeur de la bomb
2347 tes », que demeurait Albert Einstein, l’inventeur de la bombe atomique. Nous étions voisins, me raconte Denis de Rougemont
2348 s du matin, ce patriarche du nouvel âge, ce Moïse de la terre atomique passait sous mes fenêtres. Il portait un sweater bl
2349 nêtres. Il portait un sweater bleu et un pantalon de flanelle, comme les étudiants de l’Université. Un soir (j’avais publi
2350 u et un pantalon de flanelle, comme les étudiants de l’Université. Un soir (j’avais publié depuis peu mes Lettres sur la
2351 connaître. Je me rendis chez lui, dans une maison de bois jaune entourée de gazon, de fleurs et d’arbres pleins d’oiseaux.
2352 chez lui, dans une maison de bois jaune entourée de gazon, de fleurs et d’arbres pleins d’oiseaux. Il s’avança vers moi,
2353 dans une maison de bois jaune entourée de gazon, de fleurs et d’arbres pleins d’oiseaux. Il s’avança vers moi, souriant d
2354 son de bois jaune entourée de gazon, de fleurs et d’ arbres pleins d’oiseaux. Il s’avança vers moi, souriant de ses gros ye
2355 e entourée de gazon, de fleurs et d’arbres pleins d’ oiseaux. Il s’avança vers moi, souriant de ses gros yeux bleus très vi
2356 pleins d’oiseaux. Il s’avança vers moi, souriant de ses gros yeux bleus très vifs sous des arcades sourcilières étrangeme
2357 es, un énorme nez rose, des joues grises creusées de profondes ravines et deux touffes de cheveux blancs en auréole. Il me
2358 ses creusées de profondes ravines et deux touffes de cheveux blancs en auréole. Il me fit asseoir près de lui dans un faut
2359 e. Il me fit asseoir près de lui dans un fauteuil de jardin, et nous nous mîmes à parler de l’Amérique, de la Russie et de
2360 n fauteuil de jardin, et nous nous mîmes à parler de l’Amérique, de la Russie et de la bombe atomique. Avez-vous eu l’impr
2361 ardin, et nous nous mîmes à parler de l’Amérique, de la Russie et de la bombe atomique. Avez-vous eu l’impression qu’Einst
2362 ous mîmes à parler de l’Amérique, de la Russie et de la bombe atomique. Avez-vous eu l’impression qu’Einstein se sentait r
2363 u l’impression qu’Einstein se sentait responsable de sa découverte ? Einstein est pacifiste, il est antimilitariste. Que l
2364 ste, il est antimilitariste. Que les conséquences de sa découverte l’effrayent, c’est certain. Mais sa responsabilité ne s
2365 ombe, m’a-t-il dit, n’a pas changé les conditions de la guerre beaucoup plus que ne l’avaient déjà fait les raids massifs
2366 plus que ne l’avaient déjà fait les raids massifs d’ avions. Mais la bombe a du moins l’avantage de rendre les masses plus
2367 ifs d’avions. Mais la bombe a du moins l’avantage de rendre les masses plus conscientes du danger de la guerre moderne. C’
2368 e de rendre les masses plus conscientes du danger de la guerre moderne. C’est la question même de la guerre qui se trouve
2369 nger de la guerre moderne. C’est la question même de la guerre qui se trouve posée. » Et de la Russie que pense-t-il ? Pou
2370 stion même de la guerre qui se trouve posée. » Et de la Russie que pense-t-il ? Pour lui, les Russes se savent et se sente
2371 e l’Amérique. S’ils se cachent derrière un rideau de fer, c’est pour que leur pauvreté ne soit pas découverte. Einstein so
2372 e par se rendre compte que son avantage n’est pas de s’y opposer perpétuellement et en vain, mais d’y entrer. Je n’interro
2373 s de s’y opposer perpétuellement et en vain, mais d’ y entrer. Je n’interrogerai pas Denis de Rougemont sur les États-Unis.
2374 Rougemont sur les États-Unis. Il leur a consacré de nombreux articles dans des journaux et des revues de France et de Sui
2375 nombreux articles dans des journaux et des revues de France et de Suisse — articles qu’il a d’ailleurs rassemblés en un vo
2376 cles dans des journaux et des revues de France et de Suisse — articles qu’il a d’ailleurs rassemblés en un volume sous le
2377 hasarde pourtant une question sur la littérature d’ outre-Atlantique. Il me répond : La littérature américaine est dans un
2378 que la nôtre. Les disputes autour de l’engagement de l’écrivain n’existent pas là-bas. Écrire, aux États-Unis, c’est entre
2379 Unis, c’est entretenir les lecteurs des problèmes d’ aujourd’hui : les noirs, les ouvriers, comme hier la prohibition. Voil
2380 ne ?… À leur époque, ils accomplirent leur métier d’ écrivain comme alors on le concevait. Et c’est cela qui me semble esse
2381 adaptés comme, au contraire, le furent les hommes de lettres du xixe siècle, par exemple. Voyez Nietzsche, voyez Baudelai
2382 qui est mort — oui, littéralement — qui est mort de cela. Ils demeurèrent toujours en marge de la société, parce qu’il n’
2383 n marge de la société, parce qu’il n’y avait plus de communauté réelle entre l’écrivain d’une part, la bourgeoisie et les
2384 e part, la bourgeoisie et les masses en formation de l’autre. Aujourd’hui, c’est le besoin vital de recréer une communauté
2385 on de l’autre. Aujourd’hui, c’est le besoin vital de recréer une communauté qui oblige les écrivains à s’engager, à vouloi
2386 s de Rougemont, lui serre la main et l’entretient d’ un petit restaurant où ils avaient l’habitude de se rencontrer naguère
2387 t d’un petit restaurant où ils avaient l’habitude de se rencontrer naguère, mais où, maintenant, « on ne peut plus mettre
2388 les pieds ». « Pensez, dit Sartre, la voix pleine d’ indignation, l’on a tout transformé, l’on a mis des cretonnes partout.
2389 rk, reprend Denis de Rougemont, j’ai eu la visite de Sartre. Il m’a dit : « Les deux plus grands écrivains français contem
2390 et Simone de Beauvoir. » N’était-ce pas là façon de se désigner soi-même… par personne interposée ? Denis de Rougemont po
2391 i encore représentée par la génération des hommes de 40 à 50 ans. Je pensais que de plus jeunes nous relèveraient, s’impos
2392 -je à mon tour, que le fossé creusé par la guerre de 1914 était moins profond que celui qu’a creusé cette guerre-ci. Pour
2393 ’a creusé cette guerre-ci. Pour les jeunes hommes d’ aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de relever des ruines, mais de
2394 hommes d’aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de relever des ruines, mais de découvrir un monde nouveau et de l’organi
2395 s’agit pas seulement de relever des ruines, mais de découvrir un monde nouveau et de l’organiser. Tout est à recréer. Ils
2396 des ruines, mais de découvrir un monde nouveau et de l’organiser. Tout est à recréer. Ils n’ont encore rien à dire, ou ce
2397 re imprécis. Ceux qui élèvent la voix, les hommes de 40 ans comme vous les nommez, ne font que poursuivre les discours com
2398 pénombre crépusculaire. Nul mouvement, nul bruit de la rue n’est perceptible ici. L’on dirait qu’on est en marge du temps
2399 ente gratuité qui en trahit l’objet. Ce qu’il y a de remarquable chez les plus grands écrivains d’à présent, me dit Denis
2400 y a de remarquable chez les plus grands écrivains d’ à présent, me dit Denis de Rougemont, c’est leur internationalisme. Il
2401 tières. Bien souvent, ce n’est pas dans leur pays d’ origine qu’ils rencontrent le plus large accueil. Ils sont tentés d’al
2402 encontrent le plus large accueil. Ils sont tentés d’ aller là où ils se sentent le mieux compris, où leurs paroles acquière
2403 ieux compris, où leurs paroles acquièrent le plus d’ efficacité. Mais, en conséquence, ils deviennent des errants. Je crois
2404 . Je crois, quant à moi, que cette transformation de leur existence ne peut pas être sans influence profonde sur leurs pen
2405 ées et leur œuvre. Enfin, nous en venons à parler de l’Europe. Je suis profondément européen, me déclare Denis de Rougemon
2406 ter à chaque région et à chaque personne. Au mois d’ août dernier, au congrès de l’Union européenne des fédéralistes, qui s
2407 aque personne. Au mois d’août dernier, au congrès de l’Union européenne des fédéralistes, qui se tenait à Montreux, j’ai p
2408 du fédéralisme. Il ne peut naître, disais-je, que d’ un renoncement à toute idée d’hégémonie organisatrice, d’abord, à tout
2409 tre, disais-je, que d’un renoncement à toute idée d’ hégémonie organisatrice, d’abord, à tout esprit de système ensuite. Il
2410 d’hégémonie organisatrice, d’abord, à tout esprit de système ensuite. Il ignore le problème des minorités (car ce qui comp
2411 nation, à chaque province. Il repose sur l’amour de la complexité. Et, ce qui est non moins important, il se forme de pro
2412 . Et, ce qui est non moins important, il se forme de proche en proche, par le moyen des personnes et des groupes, et non p
2413 s personnes et des groupes, et non point à partir d’ un centre ou par le moyen des gouvernements. C’est en dehors de ces go
2414 doit naître. Il faut provoquer les états généraux de l’Europe. C’est le seul moyen d’échapper au totalitarisme de plus en
2415 s états généraux de l’Europe. C’est le seul moyen d’ échapper au totalitarisme de plus en plus menaçant. Or, ce totalitaris
2416 us sommes exposés. Son importance donne la mesure de notre absence de présence au monde. Tout comme la guerre et la mort,
2417 . Son importance donne la mesure de notre absence de présence au monde. Tout comme la guerre et la mort, il est simple et
2418 la paix, comme la vie. Il ne faut pas avoir peur de ces complexités, de ces complications. Elles seules préservent notre
2419 ie. Il ne faut pas avoir peur de ces complexités, de ces complications. Elles seules préservent notre liberté. Chaque jour
2420 our l’Europe ? Mais, encore une fois, il convient de se hâter, car je vois venir le temps des terribles simplificateurs.
2421 quels hommes prendraient part aux états généraux de l’Europe dont il vient de me parler. Il faut, me répond-il, que toute
2422 ment. Si nous parvenons à développer des réflexes de pensée fédéraliste, si ceux qui militent deviennent eux-mêmes intégra
2423 sera plus qu’à moitié gagnée. Voici venue l’heure de nous séparer. Nous faisons encore, côte à côte, quelques pas dans la
2424 rue. La nuit est tombée ; les passants se hâtent de rentrer. Bientôt, Denis de Rougemont quittera Paris et s’installera à
2425 ’installera à Ferney, à l’ombre de Voltaire, l’un de ses maîtres. Là, avant d’entreprendre d’autres travaux, il achèvera d
2426 ombre de Voltaire, l’un de ses maîtres. Là, avant d’ entreprendre d’autres travaux, il achèvera de mettre au point le proch
2427 vant d’entreprendre d’autres travaux, il achèvera de mettre au point le prochain livre qu’il doit publier : Les Personnes
2428 it publier : Les Personnes du drame . J’y traite de Goethe, de Kafka, de Kierkegaard, de Luther, de Gide, de Claudel et d
2429 : Les Personnes du drame . J’y traite de Goethe, de Kafka, de Kierkegaard, de Luther, de Gide, de Claudel et de Ramuz. En
2430 sonnes du drame . J’y traite de Goethe, de Kafka, de Kierkegaard, de Luther, de Gide, de Claudel et de Ramuz. Ensuite, il
2431 . J’y traite de Goethe, de Kafka, de Kierkegaard, de Luther, de Gide, de Claudel et de Ramuz. Ensuite, il publiera son Jo
2432 e de Goethe, de Kafka, de Kierkegaard, de Luther, de Gide, de Claudel et de Ramuz. Ensuite, il publiera son Journal des d
2433 he, de Kafka, de Kierkegaard, de Luther, de Gide, de Claudel et de Ramuz. Ensuite, il publiera son Journal des deux monde
2434 de Kierkegaard, de Luther, de Gide, de Claudel et de Ramuz. Ensuite, il publiera son Journal des deux mondes , des essais
2435 des essais sur des mythes, tels que « Le supplice de Tantale », « L’Ombre perdue », « Le nœud gordien » — textes qu’il écr
2436 20 et 40 ans. Mais son plus important projet est de composer une morale qu’il intitulera : La Règle du jeu. Espérons que
2437 ’il faut contrôler. Adieu ! s. Rougemont Denis de , « [Entretien] Rencontre avec Denis de Rougemont », Paru, Paris, janv
20 1948, Articles divers (1946-1948). Les deux blocs ? Il n’en existe qu’un (9 janvier 1948)
2438 ce égale entre le refus du stalinisme et le refus de l’américanisme. Tel est le dialogue qui se poursuit depuis des mois :
2439 empires également impérialistes, également avides de nous coloniser, donc également dangereux pour nous. Avons-nous bien r
2440 fférence saute aux yeux, quand on compare le rôle de l’URSS et celui des États-Unis dans notre monde : c’est que nous avon
2441 andis que les USA n’ont que des sympathies, point de propagande organisée, aucun moyen de donner des ordres à nos masses o
2442 thies, point de propagande organisée, aucun moyen de donner des ordres à nos masses ou à leurs députés. L’URSS possède une
2443 une doctrine très précise dont elle se sert comme d’ un instrument de conquête et qui dicte une tactique scientifique : le
2444 s précise dont elle se sert comme d’un instrument de conquête et qui dicte une tactique scientifique : le marxisme ; tandi
2445 ique : le marxisme ; tandis que les USA n’ont pas de doctrine, et n’ont rien d’autre à proposer qu’un genre de vie, leur w
2446 que les USA n’ont pas de doctrine, et n’ont rien d’ autre à proposer qu’un genre de vie, leur way of life qui n’est nullem
2447 ine, et n’ont rien d’autre à proposer qu’un genre de vie, leur way of life qui n’est nullement une arme de combat. Par rap
2448 ie, leur way of life qui n’est nullement une arme de combat. Par rapport à l’Europe, les intentions des deux empires ne so
2449 ence des Seize. L’URSS s’oppose à toute tentative d’ unir les nations de l’Europe : c’est qu’elle veut diviser pour régner.
2450 RSS s’oppose à toute tentative d’unir les nations de l’Europe : c’est qu’elle veut diviser pour régner. Les États-Unis, au
2451 e aux ouvriers, mais en fait on leur ôte le droit de grève et le droit de se plaindre d’une inégalité de salaires sans pré
2452 en fait on leur ôte le droit de grève et le droit de se plaindre d’une inégalité de salaires sans précédent dans les pays
2453 ôte le droit de grève et le droit de se plaindre d’ une inégalité de salaires sans précédent dans les pays capitalistes. E
2454 grève et le droit de se plaindre d’une inégalité de salaires sans précédent dans les pays capitalistes. En Amérique, les
2455 aut vraiment se boucher les yeux pour ne pas voir de quel côté les promesses faites aux masses sont tenues aux USA, non pa
2456 dira qu’il y a dans les deux camps des opprimés, de la misère et des scandales. Certes, mais là s’arrête la ressemblance.
2457 commune, et non pas une simple tactique. Et ainsi de suite. Toutes les comparaisons précises et objectives que l’on peut é
2458 us conduisent à la même conclusion : il n’y a pas de commune mesure entre le danger soviétique pour l’Europe et le prétend
2459 qui vise à l’autarcie totalitaire sous la férule d’ un parti unique, redoute les curieux, épure les opposants, annexe ses
2460 n satellites, enfin tire devant le tout un rideau de fer, la Russie est un bloc dans tous les sens du terme. Mais l’Amériq
2461 ère les pires indiscrétions, multiplie les moyens de communication, s’ouvre enfin plus qu’aucun pays à toutes les influenc
2462 nde, et sait très bien que sa propre santé dépend de celle des autres, et non de leur misère. L’Amérique est une démocrati
2463 a propre santé dépend de celle des autres, et non de leur misère. L’Amérique est une démocratie, et une démocratie vivante
2464 arent noblement décliner ? En fait, il n’y a plus de choix possible. Car la Russie, en refusant de collaborer, en essayant
2465 lus de choix possible. Car la Russie, en refusant de collaborer, en essayant de saboter le plan Marshall, en devenant bloc
2466 la Russie, en refusant de collaborer, en essayant de saboter le plan Marshall, en devenant bloc, précisément, a choisi pou
2467 i pour nous, malgré nous. Si nous n’acceptons pas d’ être ses satellites, elle nous déclare et nous croit ses ennemis et le
2468 déclare et nous croit ses ennemis et les esclaves de l’Amérique. Et tout le verbiage des communistes contre un prétendu « 
2469 unistes contre un prétendu « bloc américain » n’a d’ autre but que de masquer ce fait brutal : la Russie ne veut pas d’une
2470 n prétendu « bloc américain » n’a d’autre but que de masquer ce fait brutal : la Russie ne veut pas d’une Europe forte, c’
2471 de masquer ce fait brutal : la Russie ne veut pas d’ une Europe forte, c’est-à-dire d’une Europe unie et autonome ; elle ne
2472 ssie ne veut pas d’une Europe forte, c’est-à-dire d’ une Europe unie et autonome ; elle ne veut qu’une Europe livrée à sa m
2473 répondre en nous jetant simplement dans les bras de l’Amérique. Non seulement nous ne le devons pas, mais c’est pratiquem
2474 ossible. Car l’Amérique n’a nullement l’intention de nous entretenir à grands frais comme des malades de luxe, ingrats et
2475 nous entretenir à grands frais comme des malades de luxe, ingrats et susceptibles. Elle cherche à nous aider pour que nou
2476 s Russes : c’est là son intérêt le mieux compris, d’ un point de vue stratégique autant que culturel. Mais elle ne pourra n
2477 eul choix qui nous reste ouvert, c’est donc celui de l’Europe elle-même. La seule manière possible de défendre l’Europe, c
2478 de l’Europe elle-même. La seule manière possible de défendre l’Europe, c’est de la faire, donc de nous fédérer. Malgré le
2479 eule manière possible de défendre l’Europe, c’est de la faire, donc de nous fédérer. Malgré les Russes et avec l’appui pro
2480 ble de défendre l’Europe, c’est de la faire, donc de nous fédérer. Malgré les Russes et avec l’appui probable des démocrat
2481 des démocrates américains. u. Rougemont Denis de , « Les deux blocs ? Il n’en existe qu’un », L’Intransigeant, Paris, 9
21 1948, Articles divers (1946-1948). Ce sont les Français qui ont commencé (La querelle des « condensés… ») (14 février 1948)
2482 4 février 1948)v Mme de Staël priait Schelling de lui exposer sa philosophie en un quart d’heure, et l’arrêtait au bout
2483 À l’époque, on vit dans ce trait une exagération de l’esprit français. À lire les plaintes ou les diatribes que provoque
2484 s l’apparition des « condensés », on serait tenté de croire que ces produits sont d’invention américaine, et que leur soud
2485 , on serait tenté de croire que ces produits sont d’ invention américaine, et que leur soudaine diffusion provient d’une cl
2486 éricaine, et que leur soudaine diffusion provient d’ une clause secrète du plan Marshall. Preuve de plus des sombres dessei
2487 Street, acharnés à nous asservir tout en feignant de donner du lait en poudre aux enfants. Il faut avouer que le nom même
2488 oudre aux enfants. Il faut avouer que le nom même de « condensé » nous vient de l’anglais, ou mieux, de l’américain. En in
2489 e « condensé » nous vient de l’anglais, ou mieux, de l’américain. En introduisant par surprise ce substantif néologique ti
2490 uisant par surprise ce substantif néologique tiré de l’adjectif condensed (from…), il semble que nos éditeurs aient voulu
2491 eurs aient voulu souligner le caractère américain de leur entreprise, et donner à celle-ci le prestige populaire qui s’att
2492 i le prestige populaire qui s’attache aux audaces d’ outre-Atlantique. S’ils s’étaient contentés de mots français bien conn
2493 ces d’outre-Atlantique. S’ils s’étaient contentés de mots français bien connus, comme résumé ou adaptation, la polémique a
2494 lle eût pris un autre cours. Il suffit, en effet, de dire résumé au lieu de condensé pour que l’on s’aperçoive que nous so
2495 aussi vieille que celle des manuels. Et il suffit de parler d’adaptations (ou d’abrégés) pour que l’on soit contraint de r
2496 lle que celle des manuels. Et il suffit de parler d’ adaptations (ou d’abrégés) pour que l’on soit contraint de reconnaître
2497 manuels. Et il suffit de parler d’adaptations (ou d’ abrégés) pour que l’on soit contraint de reconnaître dans l’entreprise
2498 tions (ou d’abrégés) pour que l’on soit contraint de reconnaître dans l’entreprise des éditeurs modernes la suite d’une lo
2499 dans l’entreprise des éditeurs modernes la suite d’ une longue tradition bien française. J’en marquerai quelques étapes, a
2500 nçaise. J’en marquerai quelques étapes, au hasard de mes souvenirs, et sans recourir à d’autres sources qu’un vieux Lanson
2501 x Lanson que j’ai sous la main. ⁂ En 1714, Houdar de La Motte condense L’Iliade en douze chants, « et ce qui tombe », écri
2502 sèche du fait », c’est la poésie, c’est le style d’ Homère. Lesage condense (ou dilue, indifféremment) quantité de romans
2503 sage condense (ou dilue, indifféremment) quantité de romans espagnols, pour gagner sa vie. Dès 1768, Ducis condense Shakes
2504 ondense Shakespeare. « Il a rogné ses drames avec d’ impitoyables ciseaux… il y a retaillé des tragédies à la française »,
2505 re en français. Vers la fin du siècle, le vicomte de Vogüé et d’autres condensent le roman russe, l’adaptent sans réplique
2506 jaune. Et j’allais oublier les Mille et Une Nuits de Galland, qui sont pourtant le record du genre, comme on peut le vérif
2507 ant le record du genre, comme on peut le vérifier d’ un coup d’œil, si on les place sur un rayon de bibliothèque à côté des
2508 ier d’un coup d’œil, si on les place sur un rayon de bibliothèque à côté des 25 volumes de la traduction de Mardrus. Rappe
2509 ur un rayon de bibliothèque à côté des 25 volumes de la traduction de Mardrus. Rappelons aussi les innombrables « condensé
2510 bliothèque à côté des 25 volumes de la traduction de Mardrus. Rappelons aussi les innombrables « condensés » de Don Quicho
2511 s. Rappelons aussi les innombrables « condensés » de Don Quichotte, de Gulliver, de Robinson, de L’Odyssée, et même des Sa
2512 les innombrables « condensés » de Don Quichotte, de Gulliver, de Robinson, de L’Odyssée, et même des Saintes Écritures, d
2513 bles « condensés » de Don Quichotte, de Gulliver, de Robinson, de L’Odyssée, et même des Saintes Écritures, dont s’est nou
2514 sés » de Don Quichotte, de Gulliver, de Robinson, de L’Odyssée, et même des Saintes Écritures, dont s’est nourrie toute no
2515 des scrupules. Mais voici deux exemples célèbres de grandes œuvres littéraires « condensées » dans leur propre langue. On
2516 rose, par Charles Lamb, des comédies et tragédies de Shakespeare. Je ne saurais leur comparer chez nous, sous le double ra
2517 er chez nous, sous le double rapport du succès et de la valeur littéraire intrinsèque, que le Roman de Tristan et Yseult,
2518 de la valeur littéraire intrinsèque, que le Roman de Tristan et Yseult, dans la version de Joseph Bédier : condensation en
2519 ue le Roman de Tristan et Yseult, dans la version de Joseph Bédier : condensation en prose et en un volume des cinq versio
2520 rose et en un volume des cinq versions originales de la légende, et en particulier du poème de Thomas (3144 vers) et de ce
2521 ginales de la légende, et en particulier du poème de Thomas (3144 vers) et de celui de Béroul (4485 vers). Vous trouverez
2522 en particulier du poème de Thomas (3144 vers) et de celui de Béroul (4485 vers). Vous trouverez sans peine, dans n’impor
2523 culier du poème de Thomas (3144 vers) et de celui de Béroul (4485 vers). Vous trouverez sans peine, dans n’importe quelle
2524 uverez sans peine, dans n’importe quelle histoire de la littérature française, de quoi tripler le nombre de pareils exempl
2525 orte quelle histoire de la littérature française, de quoi tripler le nombre de pareils exemples. Mais il suffit. Le résumé
2526 littérature française, de quoi tripler le nombre de pareils exemples. Mais il suffit. Le résumé, l’adaptation d’une œuvre
2527 exemples. Mais il suffit. Le résumé, l’adaptation d’ une œuvre au goût réel ou supposé du public d’une époque et d’un pays,
2528 ion d’une œuvre au goût réel ou supposé du public d’ une époque et d’un pays, ce n’est pas une invention américaine, mais u
2529 au goût réel ou supposé du public d’une époque et d’ un pays, ce n’est pas une invention américaine, mais une ancienne cout
2530 blic, s’il n’eût pas été présenté comme américain d’ origine. (Américain signifiant pour les uns : dépourvu de scrupules li
2531 ne. (Américain signifiant pour les uns : dépourvu de scrupules littéraires et de style, pour les autres : excitant et mode
2532 ur les uns : dépourvu de scrupules littéraires et de style, pour les autres : excitant et moderne.) Or non seulement le pr
2533 nous leur attribuons, et qu’ils semblent en passe de prendre ici. Quant à la légitimité de l’adaptation en général, les ex
2534 nt en passe de prendre ici. Quant à la légitimité de l’adaptation en général, les exemples français que j’ai cités suffise
2535 oductions insuffisantes, mais utiles à des œuvres d’ accès malaisé. Bédier, enfin, restitue un chef-d’œuvre, le continue et
2536 lui-même n’est pas en cause, mais bien le talent de celui qui l’applique, et peut-être aussi le modèle (ou la victime) qu
2537 me) que l’on choisit. À ce propos, il est curieux de relever que tout se passe comme si les grands chefs-d’œuvre se prêtai
2538 vre se prêtaient mieux au résumé que les ouvrages d’ une honnête moyenne. Les critiques n’ont pas protesté tant qu’on nous
2539 n se risque à « condenser » un lauréat quelconque de la saison. Je dois avoir l’esprit mal fait : j’ai peine à partager ce
2540 ne à partager cette répulsion. C’est que le style de Goethe m’importe davantage que celui du dernier prix Tartempion. J’av
2541 me choque dans l’entreprise des éditeurs français de « condensés », c’est qu’ils accordent à des ouvrages moyens ou faible
2542 la trancher : si l’on reproche aux « condensés » d’ évacuer le style d’un auteur, et de priver son message d’une partie de
2543 ’on reproche aux « condensés » d’évacuer le style d’ un auteur, et de priver son message d’une partie de sa vertu en le dép
2544 « condensés » d’évacuer le style d’un auteur, et de priver son message d’une partie de sa vertu en le dépouillant des mil
2545 er le style d’un auteur, et de priver son message d’ une partie de sa vertu en le dépouillant des mille détails mûrement ch
2546 ’un auteur, et de priver son message d’une partie de sa vertu en le dépouillant des mille détails mûrement choisis qui l’i
2547 l’illustraient et le nuançaient, que doit-on dire de presque toutes les traductions ? Et surtout des adaptations destinées
2548 ons destinées à la scène ou à l’écran ? Le Procès de Kafka, quand Barrault le met en scène dans la version dialoguée d’And
2549 arrault le met en scène dans la version dialoguée d’ André Gide, tirée d’une traduction de Vialatte, faite sur un roman non
2550 ène dans la version dialoguée d’André Gide, tirée d’ une traduction de Vialatte, faite sur un roman non terminé, et que l’a
2551 on dialoguée d’André Gide, tirée d’une traduction de Vialatte, faite sur un roman non terminé, et que l’auteur voulait dét
2552 l crier à l’américanisme ? Ou plutôt se féliciter de voir cette œuvre atteindre enfin la vaste audience que nos critiques
2553 ient pas su lui procurer ? Pour ma part, je salue de mes vœux toute entreprise qui tend à populariser la connaissance des
2554 connaissance des chefs-d’œuvre. Et je crois vain de s’indigner des « condensés » tant qu’on n’aura rien fait pour la cult
2555 masses y sont le despote qu’il s’agit avant tout d’ éclairer. Mais il n’est pas vain d’exiger que les fabricants de conden
2556 git avant tout d’éclairer. Mais il n’est pas vain d’ exiger que les fabricants de condensés se donnent des règles et jouent
2557 ais il n’est pas vain d’exiger que les fabricants de condensés se donnent des règles et jouent franc jeu. Qu’ils résument
2558 qu’un résumé, et qu’ils rappellent les dimensions de l’original ; enfin qu’ils prennent le soin de renvoyer aux éditions c
2559 ennent le soin de renvoyer aux éditions complètes de l’œuvre, dans tous les cas où il est possible de se les procurer chez
2560 de l’œuvre, dans tous les cas où il est possible de se les procurer chez le libraire. Tous les critiques français ne devr
2561 is ne devraient-ils pas se liguer pour qu’un code de ce genre soit adopté ? v. Rougemont Denis de, « Ce sont les França
2562 e de ce genre soit adopté ? v. Rougemont Denis de , « Ce sont les Français qui ont commencé (La querelle des « condensés