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occidentale, de même que l’Église, par son culte,
est
la mère de presque tous nos arts. La musique est née dans le chœur de
2
est la mère de presque tous nos arts. La musique
est
née dans le chœur des églises et des chapelles de couvents. La peintu
3
elles de couvents. La peinture et la sculpture se
sont
constituées sur les autels, dans les nefs, et autour des architecture
4
tures sacrées. Nos premiers rythmes poétiques ont
été
propagés par le latin d’église. Et ce n’est point que tous ces arts c
5
s ont été propagés par le latin d’église. Et ce n’
est
point que tous ces arts classiques ne soient sortis de l’enceinte ecc
6
Et ce n’est point que tous ces arts classiques ne
soient
sortis de l’enceinte ecclésiastique dès le déclin du Moyen Âge, mais
7
iastique dès le déclin du Moyen Âge, mais il n’en
est
aucun dont l’esprit et l’histoire ne manifestent à chaque instant l’i
8
e nos disciplines de pensée et la théologie, pour
être
moins généralement reconnu, n’en est pas moins étroit ni moins fécond
9
logie, pour être moins généralement reconnu, n’en
est
pas moins étroit ni moins fécond à observer. 2. Depuis les temps où
10
bserver. 2. Depuis les temps où la philosophie n’
était
que la servante de la théologie, ses efforts d’émancipation les plus
11
ccès, n’ont pu que confirmer une dépendance qui n’
est
certes plus de droit, mais n’en demeure pas moins de fait et de natur
12
élienne. De nos jours, le vocabulaire technique s’
est
transformé, les références aux dogmes ont disparu, l’appareil logique
13
rapports entre la théologie et la littérature ne
sont
pas aussi clairs, ni aussi facilement définissables et contrôlables.
14
ussi facilement définissables et contrôlables. Il
est
vrai que certaines influences directes, attestées par les écrivains e
15
paraît pas que le problème dans son ensemble ait
été
clairement posé ou étudié, ni par les docteurs de l’Église, ni par le
16
iproque dans laquelle théologiens et écrivains se
sont
installés pour la plupart, est-elle vraiment sans conséquence pour le
17
s et écrivains se sont installés pour la plupart,
est
-elle vraiment sans conséquence pour les uns et les autres, et pour l’
18
ns et les autres, et pour l’élite en général ? Il
est
clair que la théologie n’a pas besoin de la littérature et peut s’en
19
e critiquer le dogme chrétien dans l’Église, elle
est
en droit de laisser à d’autres le soin d’appliquer ses critères hors
20
’appliquer ses critères hors de l’Église. Mais il
est
beaucoup moins évident que la littérature puisse se passer impunément
21
uisse se passer impunément de la théologie. Et il
est
bien certain que lorsqu’elle s’en passe, les effets s’en font sentir
22
orales qu’elles tiennent pour allant de soi, tout
est
devenu trop différent, et presque sans commune mesure. À qui la faute
23
s commune mesure. À qui la faute ? 4. Certes, je
suis
le premier à redouter que les théologiens se mettent à faire de la cr
24
et à faire oublier leur « spécialité ». Mon idée
serait
bien plutôt d’exiger des critiques littéraires un minimum de connaiss
25
se montrent cruellement dépourvus. Et de même, je
suis
le premier à protester contre ces citations d’auteurs à la mode — ou
26
ernes ont coutume « d’orner » leurs sermons. Ce n’
est
pas la littérature qui doit prêter secours à la Parole de Dieu, mais
27
e homme. Ceci dit, j’en reviens à mon propos, qui
était
de soulever une question, et de suggérer pour son étude quelques hypo
28
ypothèses de travail. 5. L’ignorance générale où
sont
les écrivains modernes des rudiments de la théologie a pour conséquen
29
de n’avoir point connu l’existence de traditions
soit
orthodoxes soit hérétiques, c’est le cas le plus fréquent, dont à gra
30
t connu l’existence de traditions soit orthodoxes
soit
hérétiques, c’est le cas le plus fréquent, dont à grands frais ils re
31
montrer comment les troubadours, dont la doctrine
fut
reprise par les auteurs du Tristan, d’où sont issus presque tous nos
32
rine fut reprise par les auteurs du Tristan, d’où
sont
issus presque tous nos romans, étaient nourris de l’hérésie manichéen
33
Tristan, d’où sont issus presque tous nos romans,
étaient
nourris de l’hérésie manichéenne, et l’ont ainsi fait vivre jusqu’à n
34
bras au ciel, ou pointer le doigt du moraliste, n’
est
pas faire acte de charité à l’égard des efforts de l’avant-garde, d’a
35
ecours ? Va-t-on lui tourner le dos parce qu’elle
est
tapageuse, scandaleuse et d’une conduite peu régulière, la confirmant
36
confirmant ainsi dans sa persuasion que l’Église
est
bonne pour les petits bourgeois, n’a rien à dire aux esprits libres e
37
leur donnait rien. Exemple : Kierkegaard. Il ne
fut
pas un théologien au sens strict, mais toute son œuvre manifeste une
38
s deux Amériques. Notons que si cette influence s’
est
montrée décisive dans beaucoup de conversions, elle n’a pas eu pour e
39
adhésion des convertis à une Église déterminée. N’
est
-ce point là le signe d’une incompatibilité inquiétante entre l’élite
40
raitent de sujets religieux. Ici encore, « ce ne
sont
pas ceux qui disent : Seigneur ! Seigneur !… mais ceux qui font la vo
41
ieux. Faire la volonté de Dieu, en écrivant, ce n’
est
pas simplement parler de Dieu et de sa volonté, ni même en parler ave
42
d’ouvrages religieux dont le style journalistique
est
incompatible avec aucune espèce de réalité spirituelle. L’auteur ne c
43
’est que toute œuvre littéraire, si profane qu’en
soit
le sujet, implique une théologie (fût-ce à l’insu de son auteur), et
44
fane qu’en soit le sujet, implique une théologie (
fût
-ce à l’insu de son auteur), et qu’elle l’exprime par les mouvements m
45
par son argumentation. Expliciter cette théologie
serait
rendre un service important aux auteurs non moins qu’au public. Ces b
46
n du Tartare, où la pesante logique de la matière
est
abolie pour peu que l’homme se manifeste. Serait-ce un pur lieu de l’
47
ère est abolie pour peu que l’homme se manifeste.
Serait
-ce un pur lieu de l’esprit ? Oui, car à l’instant même où Tantale est
48
e l’esprit ? Oui, car à l’instant même où Tantale
est
ému, où il forme un projet, où il agit, les lois de la chute des corp
49
ois de la chute des corps et de leur inertie, qui
sont
celles mêmes de la mort, font place aux lois des dieux, qui sont cell
50
es de la mort, font place aux lois des dieux, qui
sont
celles de l’esprit ; et des dieux irrités contre l’homme, c’est-à-dir
51
illustre une des structures fondamentales de son
être
. Tantale avait commis deux crimes, dit la Fable. Admis à la table de
52
air à la table divine. Les liqueurs d’immortalité
sont
ici comme des signes de la Grâce, dont un homme chercherait à s’empar
53
philanthropie préside au vol de Tantale, quand il
est
assez clair qu’il jalouse les dieux, leur divination, leur puissance,
54
ensuite aux dieux comme nourriture meilleure, il
est
surprenant d’observer qu’elle invertit exactement le sacrifice du Fil
55
ls en meurent, — s’ils perdent leur divinité de s’
être
une fois laissé surprendre et abuser. À cette double infraction aux g
56
répond un châtiment dont on croit deviner qu’il n’
est
qu’une double réfraction du crime dans l’ordre humain. Parce qu’il a
57
, ou d’un appel venu d’ailleurs. (Les « dieux » n’
étant
, en fait, que ses propres limites.) Dans l’histoire du supplice de Ta
58
’histoire du supplice de Tantale, cet automatisme
est
si sûr qu’il autorise à des spéculations précises, encore que fantast
59
t un instant de pur abandon — payé de sa mort, il
est
vrai, pour quelle indescriptible renaissance ! — préfère subir le sup
60
la légende, à sa faim, à sa soif et à sa peur. Il
est
cet homme qui, dans chacun de nous, préfère le désir, même douloureux
61
e nous, préfère le désir, même douloureux d’avoir
été
mille et mille fois déçu — mais c’est encore son désir, donc lui-même
62
à la proie qu’il ne posséderait qu’en acceptant d’
être
changé d’abord. Que lui servirait, pense-t-il, de gagner le monde s’i
63
l, de gagner le monde s’il y perdait son moi ? Il
est
certain qu’à sa manière il a raison. Car à gagner, l’on perd toujours
64
ividu qui aurait désiré si longtemps que tout son
être
en fût devenu attente, espoir et nostalgie. Cet être-là mourrait néce
65
i aurait désiré si longtemps que tout son être en
fût
devenu attente, espoir et nostalgie. Cet être-là mourrait nécessairem
66
e en fût devenu attente, espoir et nostalgie. Cet
être
-là mourrait nécessairement, et par définition, du don reçu. Ou encore
67
t, et par définition, du don reçu. Ou encore : un
être
nouveau surgirait dans l’instant du don, pour le recevoir en son lieu
68
entifie à l’une de ses tendances, celui qui gagne
est
donc toujours un autre. Et celui qui désire ne gagnera jamais. C’est
69
ais. C’est le sophisme de l’empereur : Napoléon n’
est
pas un Bonaparte comblé, mais quelqu’un qui s’est substitué, sous le
70
est pas un Bonaparte comblé, mais quelqu’un qui s’
est
substitué, sous le manteau d’hermine, à Bonaparte. Le romantique qui
71
’hermine, à Bonaparte. Le romantique qui rêvait d’
être
empereur est mort le jour du couronnement. Tous nos succès, tous nos
72
naparte. Le romantique qui rêvait d’être empereur
est
mort le jour du couronnement. Tous nos succès, tous nos actes sans do
73
ment. Tous nos succès, tous nos actes sans doute,
sont
ainsi à quelque degré des modifications de notre identité, des aliéna
74
, des aliénations de nous-mêmes. À la limite, ils
sont
autant d’usurpations. Changeons maintenant de plan spirituel, et tra
75
ouve ainsi conçue : « Tous mes biens tels qu’ils
sont
et vont reviendront et appartiendront à celui des sept de MM. mes Nev
76
essera le protocole. Si tout reste sec, mes biens
seront
donnés au légataire universel dont le nom va suivre. » À ce point, le
77
qu’il y a d’émouvant dans les livres. Klitte, qui
est
alsacien, jure que pour tout l’or du monde, une plaisanterie de ce ge
78
ue s’il parvient à pleurer à force de rire, ce ne
sera
qu’un vol pur et simple, mais l’Alsacien proteste que s’il rit, « c’e
79
rien ne vient. Le jeune prédicateur Flachs, lui,
serait
tout disposé à se lamenter ecclésiastiquement, mais la vision de la m
80
on de l’oncle, s’avançant vers lui sur ces flots,
est
bien trop réjouissante… Glanz, le conseiller d’église, se met à faire
81
puis Lazare et ses chiens, la tête de beaucoup d’
êtres
, les souffrances du jeune Werther, un petit champ de bataille, lui-mê
82
ra pas : car la vision de la proie qui s’approche
sera
« bien trop réjouissante » pour son cœur, et le Royaume convoité s’él
83
ives fuiront ses lèvres ; car il faudrait, pour y
être
immergé, accepter de mourir d’abord à ses propres désirs et à soi-mêm
84
soi-même. (Et c’est le symbole du Baptême.) Telle
est
la ruse de l’Amour insondable. Admirons-en la précision miraculeuse !
85
mancier français Georges Bernanos, tous deux ne s’
étant
pas trop égarés dans les mots en urne, ayant appelé un chat un chat e
86
onfie Denis de Rougemont. La liberté d’opposition
est
typiquement européenne. Même sans en tirer de conclusion, sans trouve
87
e solution pratique, autant que possible. Mais il
est
capable, après une conversation, de changer d’opinion. Pas l’Européen
88
he dans ses convictions et pense que l’adversaire
est
méchant, puisqu’il ne pense pas comme lui. Des entretiens, tels qu’il
89
ls qu’ils viennent d’avoir lieu à Genève, eussent
été
un four aux États-Unis. En Russie, ils auraient été interdits. Person
90
é un four aux États-Unis. En Russie, ils auraient
été
interdits. Personnellement, je regrette qu’aucun Russe n’ait répondu
91
. Je lui dirai : « Vous accusez les démocraties d’
être
purement formelles, de n’être pas complètement réalisées ; vous préte
92
z les démocraties d’être purement formelles, de n’
être
pas complètement réalisées ; vous prétendez, vous, Russie, être une d
93
ètement réalisées ; vous prétendez, vous, Russie,
être
une démocratie réelle. Et vous avez des camps de concentration, et vo
94
et vous refoulez les reporters étrangers et vous
êtes
le peuple le plus militariste du monde. Si vous vous dites un pays dé
95
démocratique, c’est simple mot. Votre démocratie
est
plus formelle que celles de nous tous. Nous, nous acceptons de n’être
96
ue celles de nous tous. Nous, nous acceptons de n’
être
pas complètement démocratisés ; vous, vous ne l’acceptez pas. À vous
97
homme de droite dans les partis de gauche. Je ne
suis
jamais pour ou contre un parti. Je suis contre le totalitarisme et po
98
he. Je ne suis jamais pour ou contre un parti. Je
suis
contre le totalitarisme et pour la démocratie réelle, qui est le fédé
99
e totalitarisme et pour la démocratie réelle, qui
est
le fédéralisme. Un régime de tyrannie n’aboutit jamais à la liberté.
100
d’une parfaite franchise de paroles. Sinon, ce ne
serait
plus l’esprit européen, où la France donne le ton, la France qui est
101
uropéen, où la France donne le ton, la France qui
est
un pays de dialogue, comme aime à répéter André Gide. Quand cesse le
102
Genève et de la Suisse. Les Français, notamment,
sont
venus avec une grande curiosité et un grand désir de tirer quelque ch
103
le monde insiste pour cela ; parce que la Suisse
est
en dehors de l’ONU, parce qu’on y parle sans mandat, pas au nom d’un
104
n peuple, mais d’un réel esprit européen. Nous ne
sommes
pas une nation, nous sommes une confédération, donc bien préparés et
105
rit européen. Nous ne sommes pas une nation, nous
sommes
une confédération, donc bien préparés et prédisposés pour une mission
106
nférenciers américains, dont la voix ne peut plus
être
séparée des dialogues européens. Il souhaite encore que l’on organise
107
Préface à Le Cœur
est
un chasseur solitaire de Carson McCullers (1947)k Je ne connais da
108
e strip-tease, et tous les autres à quelque titre
étaient
des « creative people », parlaient de Kierkegaard, de Jung, de ballet
109
me habituel les a repris. Un an plus tard, tous s’
étaient
dispersés, au Mexique ou au Michigan, en Angleterre ou en Californie,
110
Angleterre ou en Californie, et Carson McCullers
était
dans une clinique. Un jour je la rencontre dans un train venant du Su
111
e de journal : son mari, le lieutenant McCullers,
est
signalé comme le premier Américain blessé lors du débarquement en Nor
112
rs du débarquement en Normandie. Aujourd’hui elle
est
à Paris, inaugurant avec Kay Boyle et Richard Wright — qui fut le pre
113
inaugurant avec Kay Boyle et Richard Wright — qui
fut
le premier à saluer son talent — la reprise de l’émigration tradition
114
k. C’est dire peut-être que les jeunes Américains
sont
moins anxieux de renouveler ou d’assouplir leurs procédés que de se c
115
aient le chaos avec une sorte de brutalité qui en
était
le reflet plus que l’explication. Mais cette recherche obscurément sp
116
sympathie plus fascinée que volontaire. Ainsi les
êtres
qui animent cet ouvrage se poursuivent, se rapprochent et se manquent
117
ent dans une espèce de tâtonnement aventureux qui
est
le mouvement même de la vie intérieure en quête d’explications, de ry
118
que je veux, je ne sais pas quoi. Je pense qu’on
est
en droit de parler ici d’une « expérience romanesque », comme nous pa
119
ais, quand ils discutent des idées, me paraissent
être
, en règle générale, tout juste aussi intelligents que leur auteur ; o
120
eprésentent, d’une tendance ou d’un vice dont ils
sont
les supports. Leurs dialogues sont de courts essais qui nous conduise
121
vice dont ils sont les supports. Leurs dialogues
sont
de courts essais qui nous conduisent par un léger détour aux conclusi
122
elle exprimait la pensée de Malraux, au lieu de n’
être
qu’un accord isolé de la partition. Chez les jeunes écrivains américa
123
on un ivrogne et un docteur nègre (p. 307 et 308)
sont
ceux de Jake et du Dr Copeland, et leur maladresse pathétique éveille
124
r les questions qui tourmentent l’époque. ⁂ Je me
suis
demandé souvent : quel est le sujet de ce roman ? Point d’intrigue, e
125
ent l’époque. ⁂ Je me suis demandé souvent : quel
est
le sujet de ce roman ? Point d’intrigue, et pourtant une construction
126
ssent tous dans un geste mortel, coupant, atroce.
Est
-ce que le sujet serait la solitude, la frustration ? Ou bien l’enfanc
127
este mortel, coupant, atroce. Est-ce que le sujet
serait
la solitude, la frustration ? Ou bien l’enfance plus sérieuse et plus
128
e adulte ? (Les scènes et les dialogues d’enfants
sont
d’une justesse rarement atteinte, même chez les romanciers anglais.)
129
se satisfaisante à ma deuxième question : le fait
est
là. Pour la première, je puis dire après coup que j’aurais dû trouver
130
agnie d’un ami. C’est la raison pour laquelle ils
sont
toujours si occupés. » Dernièrement, à Paris, je disais à Carson, ave
131
Il n’y a que cela ! Elle voulait dire l’amour des
êtres
, l’amour réel, et non pas celui des romans. New York, le 15 avril 194
132
ers Carson, « [Préface] Carson McCullers, Le Cœur
est
un chasseur solitaire », dans Le Cœur est un chasseur solitaire, Par
133
e Cœur est un chasseur solitaire », dans Le Cœur
est
un chasseur solitaire, Paris, Stock, 1947, p. I-V.
134
servent cependant qu’aux petits déplacements, qui
sont
des voyages concentrés et plus émouvants que les vrais, parce qu’entr
135
e l’espoir, quand les portes du cœur, un instant,
sont
à la fois ouvertes et fermées. Ainsi la Suisse est la patrie des roma
136
nt à la fois ouvertes et fermées. Ainsi la Suisse
est
la patrie des romantiques contraints par les dimensions mêmes de l’Ét
137
ue usage ignoré du commun. Presque toujours elles
étaient
vides. En troisième on retrouvait, comme j’ai dit, les gens bien, gra
138
peints en faux bois jaune clair. On s’attendait à
être
interrogé, dans les trois langues nationales. À mi-chemin entre l’ins
139
sait d’ailleurs sans angoisse, en ce temps-là. On
était
sûr de son affaire, on était parfaitement « en règle », il fallait si
140
, en ce temps-là. On était sûr de son affaire, on
était
parfaitement « en règle », il fallait simplement « ne pas faire atten
141
l. Revenant en Suisse après sept ans d’absence, l’
été
dernier, et plus que jamais frappé par ce trait national — le seul sa
142
ctif —, je me disais : « C’est notre force, et ce
sera
peut-être un jour, au dernier jour — car les plus belles histoires du
143
nes et humaines, comme si le monde où nous vivons
était
fait à notre mesure, comme si l’humanité où nous plongeons se conform
144
orrection, la décence et la sécurité des citoyens
sont
de purs et simples miracles ; que le monde est une jungle atomique, l
145
s sont de purs et simples miracles ; que le monde
est
une jungle atomique, l’humanité dans sa très grande majorité une espè
146
Ici pourtant la confiance règne, mais ce miracle
est
si bien déguisé en exacte banalité que les Suisses le prennent pour b
147
normale du genre humain, l’anarchie et la guerre
étant
des exceptions. Ainsi pensent les Français du climat tempéré dont ils
148
En dépit du langage courant, c’est le normal qui
est
exceptionnel, ce sont les cas d’ordre, de paix et de raison qui doive
149
courant, c’est le normal qui est exceptionnel, ce
sont
les cas d’ordre, de paix et de raison qui doivent nous étonner quand
150
emment, comme si notre système de sécurité devait
être
à chaque instant vérifié, mis au point, méticuleusement nettoyé des m
151
lui qui renonce à comprendre… Ah ! mais il faut y
être
pour sentir et pour réagir comme je le dis. Dès que je m’éloigne un p
152
i recopier un « avis » imprimé que j’ai pu lire l’
été
dernier, punaisé près de la porte du balcon dans une chambre d’hôtel
153
e ne pas donner à manger aux mouettes. C’était l’
été
des expériences de Bikini. Dans les secondes règne la gravité du comm
154
industrie. L’authentique usager de cette classe n’
est
pas curieux, comme les gens des troisièmes, des menus incidents du tr
155
ns les troisièmes : ils ont l’air trop contents d’
être
là, on les refoule. J’ai cru remarquer à ce propos que le peuple suis
156
e voie venir le jour où la réaction la plus noire
sera
le dernier refuge des esprits libres. Je me décide à regagner les tro
157
nsieur en noir, au col rond, dur et haut, ce doit
être
un évêque anglican, somnole. En face de lui, la beauté même, « ô toi
158
magazine. Je croyais autrefois que les premières
étaient
vides. C’était vrai, les enfants voient juste. Ces gens traversent le
159
la sentence ésotérique : l’œil qui ne voit pas n’
est
pas vu. Les passagers de première classe, en Suisse, je les nomme les
160
traversent et passent, et rien ne les touche. Ce
sont
aussi, et pour la même raison, des transparents. (Avez-vous remarqué
161
ez-vous remarqué que les trains qui vous croisent
sont
transparents s’ils vont très vite ? On ne cesse de voir le paysage au
162
t si tu veux m’aimer, regarde bien d’abord qui je
suis
devenue ! » Ensuite on se promène, on dit : « Où en es-tu ? qui vois-
163
venue ! » Ensuite on se promène, on dit : « Où en
es
-tu ? qui vois-tu ? quels sont tes soucis ? » Et puis, après ce petit
164
ène, on dit : « Où en es-tu ? qui vois-tu ? quels
sont
tes soucis ? » Et puis, après ce petit tour d’horizon, on s’arrête et
165
n demande d’un autre ton : « Et maintenant, quels
sont
tes projets ? » Je ne saurais échapper ce soir à l’emprise de ce ritu
166
a guerre. Militairement, Hitler et ses séides ont
été
battus et sont morts, mais dans la lutte, ils ont marqué leurs advers
167
tairement, Hitler et ses séides ont été battus et
sont
morts, mais dans la lutte, ils ont marqué leurs adversaires d’une emp
168
al ! Imaginez deux hommes qui se disputent : l’un
est
une brute, et son point de vue, c’est que la brutalité doit toujours
169
ue la brutalité doit toujours triompher ; l’autre
est
un parfait gentleman qui croit que les bonnes manières viendront à bo
170
Ainsi d’Hitler et de l’Europe démocratique. Ce ne
sont
pas seulement les ruines et les désordres matériels qui marquent le p
171
nous a réveillé ces forces parmi nous. L’Europe a
été
façonnée par le judéo-christianisme, par la notion grecque d’individu
172
truction de tous ces éléments — l’anti-Europe. Qu’
était
-il en effet pour ceux qui le combattaient ? La rage antichrétienne, l
173
près tout cela — moins Hitler. Mais tout cela qui
était
chez les « nazis », chez les méchants, en face de nous, ressurgit auj
174
ement sur ce trait : le fanatisme d’aujourd’hui n’
est
plus religieux, mais politique. L’idée que « la fin justifie les moye
175
ique. L’idée que « la fin justifie les moyens » n’
est
plus jésuite, mais léniniste, mais fasciste. L’hypocrisie aussi a cha
176
. L’hypocrisie aussi a changé de camp. Tartuffe n’
est
plus dévot comme jadis, il n’est plus même de droite comme hier, il e
177
camp. Tartuffe n’est plus dévot comme jadis, il n’
est
plus même de droite comme hier, il est de gauche, ou « dans la ligne
178
adis, il n’est plus même de droite comme hier, il
est
de gauche, ou « dans la ligne », il se range au nouveau conformisme.
179
seil de prudence. Certes, le conformisme en soi n’
est
pas nouveau, même chez les intellectuels. Ce qui est nouveau, c’est d
180
pas nouveau, même chez les intellectuels. Ce qui
est
nouveau, c’est de le voir pratiqué précisément par ceux de l’avant-ga
181
ou qui se donnent pour tels en politique. Ce qui
est
nouveau, c’est de le voir défendu par ceux-là mêmes dont la fonction
182
e voir défendu par ceux-là mêmes dont la fonction
serait
de l’attaquer, d’où qu’il vienne. Mais ces lâchetés intellectuelles s
183
n. Cette mauvaise foi brutale en service commandé
est
un nouveau succès de l’esprit totalitaire qui n’a eu qu’à changer d’é
184
res symptômes d’un mal profond, dont l’hitlérisme
fut
la première crise ou le premier abcès de fixation, se révèlent à l’ob
185
t, mais aussi d’un espoir exigeant qui attaquait,
est
en train d’avorter sous nos yeux, et pas un résistant ne me contredir
186
es habitudes prises dans la lutte clandestine, ce
sont
les pires qui se perpétuent, non les meilleures : le mensonge et non
187
les aliénés. Si l’on se bat en Europe demain, ce
sera
au nom de la démocratie contre le peuple, au nom du peuple contre les
188
es élites ? J’entends les hommes dont la fonction
serait
de dénoncer ces maux, d’en rechercher les causes, et d’en inventer le
189
trôlés par l’État ou par le parti au pouvoir, qui
sont
la radio et la presse. Seuls ces moyens sont à l’échelle des masses.
190
qui sont la radio et la presse. Seuls ces moyens
sont
à l’échelle des masses. Mais se faire écouter par ces moyens, c’est a
191
is se faire écouter par ces moyens, c’est aussi n’
être
plus entendu, car il s’agit de s’adapter, de se « mettre au pas » spo
192
ission de la pensée, un alibi. Pour qu’une pensée
soit
efficace et douée d’une vertu agissante, il ne suffit pas que le pens
193
de réussir n’importe quoi. Le « Führerprinzip » n’
est
pas mort avec celui qui lui donna son nom. Il se cherche, il se trouv
194
aussi divers que Spengler, Valéry et Huizinga, se
soit
généralement substituée dans nos esprits à l’idée de progrès automati
195
pide élévation de deux empires extraeuropéens. Ce
sont
eux qui ont gagné la guerre, et non pas nous. Ce sont eux qui ont rep
196
eux qui ont gagné la guerre, et non pas nous. Ce
sont
eux qui ont repris en charge le progrès et la foi au progrès. Et nous
197
ritique. Je n’ignore pas que l’indignation morale
est
un genre littéraire, dont la rhétorique fort ancienne peut entraîner
198
traîner à l’injustice. Et qu’enfin, vis-à-vis des
êtres
que l’on aime, il arrive qu’on manque d’indulgence… Faisons la part d
199
’est que la situation de l’Europe dans le monde s’
est
modifiée, qu’elle s’est même totalement renversée depuis l’automne de
200
l’Europe dans le monde s’est modifiée, qu’elle s’
est
même totalement renversée depuis l’automne de 1939. Avant cette guerr
201
L’Europe nous semblait donc plus grande qu’elle n’
était
. D’où l’effet de choc que produisit dans nos esprits, au lendemain de
202
randit mieux ailleurs, chez les voisins où elle s’
est
transplantée. Et tout se passe comme si l’excès où ils la portent et
203
refois religieuse. Tout vient d’Europe, tout cela
fut
nôtre à l’origine. Mais alors, comment et pourquoi ces créations euro
204
dis qu’ailleurs, pour le bien et le mal, elles se
sont
déployées sans frein ni contrepoids. Le capitalisme, chez nous, n’a j
205
nous, n’a jamais pu donner son plein, parce qu’il
était
sans cesse bridé et contrarié par le nationalisme, par les guerres, e
206
ue ne connaît pas. Et de même le progrès social s’
est
vu bridé et contrarié par la tyrannie de l’argent, dont la Russie nou
207
a tyrannie de l’argent, dont la Russie nouvelle s’
est
libérée. Mais en même temps, le capitalisme et l’étatisme n’ont pas a
208
s forces adverses, critiqués et remis en question
soit
au nom d’un passé encore vivant, soit au nom d’utopies plus virulente
209
en question soit au nom d’un passé encore vivant,
soit
au nom d’utopies plus virulentes. Cet état de complexité, d’intricati
210
nception européenne de l’homme. Toute la question
est
de savoir si nous saurons maintenir cet équilibre malgré l’attraction
211
é. Or, il s’en faut de beaucoup que les Européens
soient
unanimes à tenir activement le parti de cette Europe, de ses complexi
212
u’ils attendent eux-mêmes de la vie. Ainsi, ce ne
sont
pas seulement les idéaux de progrès collectiviste ou de progrès capit
213
s conservateurs par profession ou position. Telle
est
, en gros, notre situation. Une Europe démoralisée par sa victoire dou
214
, dans cette conjoncture plus que défavorable, il
est
bien légitime de s’obstiner, de parler d’une défense de l’Europe, de
215
t notre angoisse devant un héritage si compromis,
sont
-elles valables et sont-elles justifiables ? Ou bien ne sont-elles rie
216
un héritage si compromis, sont-elles valables et
sont
-elles justifiables ? Ou bien ne sont-elles rien de mieux que les sent
217
valables et sont-elles justifiables ? Ou bien ne
sont
-elles rien de mieux que les sentiments égoïstes d’un vieux propriétai
218
pays des pères, mais l’Amérique, ou la Russie, ne
serait
-ce pas ce « Kinderland » qu’appelait Nietzsche de ses vœux ? Ce n’est
219
erland » qu’appelait Nietzsche de ses vœux ? Ce n’
est
pas assez de donner des ancêtres à ses enfants ; ils ont besoin d’un
220
tranger à son génie, une Europe américanisée — ce
serait
par goût — soviétisée — ce serait par contrainte — dans les deux cas
221
éricanisée — ce serait par goût — soviétisée — ce
serait
par contrainte — dans les deux cas colonisée. Un musée ou une colonie
222
ce de l’humain, oui, l’âme d’une civilisation qui
serait
perdue, perdue pour tous et non seulement pour nous ! Ce n’est donc p
223
erdue pour tous et non seulement pour nous ! Ce n’
est
donc pas au nom de je ne sais quel nationalisme européen qu’il nous f
224
re voir une très solide réalité spirituelle. S’il
est
vrai que l’Europe, jusqu’à ce siècle, ne s’est guère sentie et conçue
225
il est vrai que l’Europe, jusqu’à ce siècle, ne s’
est
guère sentie et conçue comme un tout, comme un corps organisé, c’est
226
se comparer, de s’opposer et de se définir ; elle
était
seule et reine de la planète. Mais en 1946, elle se voit affrontée à
227
y a ce signe de contradiction par excellence qui
est
la croix. Au contraire, à l’origine des deux empires nouveaux, il y a
228
et sans drame. Il s’ensuit que le héros européen
sera
l’homme qui atteint, dramatiquement, le plus haut point de conscience
229
le martyr. Tandis que le héros américain ou russe
sera
l’homme le plus conforme au standard du bonheur, celui qui réussit, c
230
réussit, celui qui ne souffre plus parce qu’il s’
est
parfaitement adapté. L’homme exemplaire pour nous, c’est l’homme exce
231
ns : production et consommation. Tout leur effort
est
donc de les équilibrer, de les faire jouer sans à-coup ; et le produi
232
ouer sans à-coup ; et le produit de cet équilibre
sera
le bonheur inévitable, obligatoire. Pour nous, la vie résulte d’un co
233
vie résulte d’un conflit permanent, et son but n’
est
pas le bonheur, mais la conscience plus aiguë, la découverte d’un sen
234
uë, la découverte d’un sens, d’une signification,
fût
-ce dans le malheur de la passion, fût-ce dans l’échec. Ils visent à l
235
nification, fût-ce dans le malheur de la passion,
fût
-ce dans l’échec. Ils visent à l’inconscience heureuse, et nous à la c
236
même mortelles. Voilà pourquoi l’Européen typique
sera
tantôt un révolutionnaire ou un apôtre, un amant passionné ou un myst
237
un maniaque ou un inventeur. Son bien et son mal
sont
liés, inextricablement et vitalement. L’Européen connaît donc la vale
238
ble ici. En Amérique, je pense que ces rencontres
seraient
un four, ou un flop, comme ils disent. La diversité de nos points de
239
ment de la conscience. En Russie, je ne crois pas
être
injuste en affirmant que ces rencontres seraient simplement interdite
240
pas être injuste en affirmant que ces rencontres
seraient
simplement interdites, ou conduiraient leurs malheureux initiateurs s
241
rter ainsi, je dis seulement que leurs raisons ne
sont
pas celles de la culture ; que la culture suppose la libre discussion
242
ue au service d’une plus large vérité ; que telle
est
bien la vocation de l’Europe, et que l’Europe existe au plus haut poi
243
, la sécurité et le risque, les règles du jeu qui
sont
pour tous et la vocation qui est pour un seul. Crucifié, dis-je, car
244
gles du jeu qui sont pour tous et la vocation qui
est
pour un seul. Crucifié, dis-je, car l’homme européen en tant que tel
245
l’homme européen en tant que tel n’accepte pas d’
être
réduit à l’un ou à l’autre de ces termes. Mais il entend les assumer
246
sions, l’effort principal de l’esprit. Européenne
sera
donc, typiquement, la volonté de rapporter à l’homme, de mesurer à l’
247
our illustrer les valeurs propres de l’Europe. Ce
sera
peut-être un bon moyen de les définir dans l’actuel. Sauver l’Europe
248
rairement à ce que pensent beaucoup de bourgeois,
sont
initiées et déclenchées par les élites, ou par quelques meneurs et ma
249
t de l’exercer. Les guerres ni les révolutions ne
sont
jamais initiées ni déclenchées par les masses, car les masses comme t
250
’est donc sur les élites qu’il importe d’agir. Ce
sont
elles que l’on peut utilement éveiller à la claire conscience des cau
251
e agonie permanente dont on vient de voir qu’elle
est
la condition de l’homme européen, la source vive de sa grandeur et de
252
ment dans le Parti, d’oppression par l’État, ce n’
est
pas du tout de prêcher ce qu’on appelle un « individualisme impéniten
253
ion collectiviste. Ce que je lui oppose ici, ce n’
est
nullement l’excès inverse de l’anarchie et du capitalisme libéral, ma
254
testante. Si nous nous demandons, en effet, quels
sont
les pays de l’Europe qui « marchent le mieux », nous constatons que c
255
qui « marchent le mieux », nous constatons que ce
sont
sans contredit : la fédération suisse, et les royaumes démocratiques
256
devenir, en toute liberté, les plus sociaux, ils
sont
aussi les moins touchés, les moins tentés par le collectivisme autori
257
antes des guerres civiles, et par suite, quel que
soit
le vainqueur, aux dictatures. Or il n’en va pas autrement sur le plan
258
érialisme tout court. Un gouvernement totalitaire
sera
toujours impérialiste, c’est une loi que je signale en passant. La vo
259
s Napoléon, la naissance des nationalismes. Telle
est
la cause de presque toutes nos guerres. J’ai dit, et je ne le répéter
260
r d’une nation la riche diversité des groupes, il
est
prêt à s’ouvrir à des unions plus vastes. Il les appelle, il les espè
261
es amorcer, par la vertu de l’exemple vécu. Telle
est
la santé de l’Europe, et telles sont ses deux maladies, contradictoir
262
e vécu. Telle est la santé de l’Europe, et telles
sont
ses deux maladies, contradictoires en apparence, mais également provo
263
vidu sans devoirs ou vers le militant sans droits
sont
les vraies causes de nos malheurs sociaux. Et notre second office est
264
s de nos malheurs sociaux. Et notre second office
est
l’invention de structures politiques du type fédéraliste, seules créa
265
lisme, c’est à elle d’inventer son antidote. Elle
est
seule en mesure de le faire à cause de ses diversités ; et de le fair
266
riptions pessimistes de l’Europe auxquelles je me
suis
livré en débutant sont exactes, il peut paraître assez étrange de par
267
l’Europe auxquelles je me suis livré en débutant
sont
exactes, il peut paraître assez étrange de parler après cela d’une vo
268
urope. Pour exercer une vocation, il faut d’abord
être
vivant, il faut survivre. Or l’Europe démoralisée, coincée entre deux
269
e des chances de vivre encore assez pour qu’il ne
soit
pas utopique d’envisager sa fonction dans le monde, son avenir et le
270
mystique au sujet de la vocation. Je crois qu’un
être
est maintenu en vie par la vie même de sa vocation, et qu’il tombe bi
271
ique au sujet de la vocation. Je crois qu’un être
est
maintenu en vie par la vie même de sa vocation, et qu’il tombe bientô
272
e sa vocation, et qu’il tombe bientôt lorsqu’elle
est
accomplie. Or, notre vocation européenne me paraît encore loin d’être
273
notre vocation européenne me paraît encore loin d’
être
accomplie… Mais cette raison irrationnelle, de croire à nos chances d
274
J’en indiquerai rapidement quelques autres, et ce
sera
ma conclusion. Une raison toute physique, géographique d’abord : l’Eu
275
aphique d’abord : l’Europe, cette Grèce agrandie,
est
un continent cloisonné, et par nature diversifié, impropre donc et mê
276
t se permettre d’expérimenter. Ma deuxième raison
est
d’ordre psychologique. Malgré tout, je veux dire malgré la contagion
277
« Vous croyez, leur disais-je, que le plus grand
est
nécessairement le meilleur. Et que l’on peut impunément multiplier n’
278
s fauteuils… » Ma troisième raison d’espérer, ce
sont
les crises qu’il faut prévoir dans les deux empires du succès. Leurs
279
es deux empires du succès. Leurs plans, en effet,
sont
fondés sur une méconnaissance voulue, systématique, de la complexité
280
atique, de la complexité de l’homme total. Ils ne
sont
que des expériences, et le propre d’une expérience est de rater neuf
281
ue des expériences, et le propre d’une expérience
est
de rater neuf fois sur dix. Je pense aux crises économiques qui menac
282
. Je pense surtout à l’avenir de l’URSS. Que l’on
soit
sympathique ou non à l’expérience de dictature si brillamment conduit
283
int qu’on se demande si ce qui les gêne le plus n’
est
pas simplement l’homme, dans son humanité rebelle aux chiffres, l’hom
284
cela va compter — à la longue. Un beau jour, il n’
est
pas impossible, il est même probable, et c’est là mon espoir, que les
285
longue. Un beau jour, il n’est pas impossible, il
est
même probable, et c’est là mon espoir, que les Russes, comme les Amér
286
nomme les deux empires sans précédent — l’Europe
est
la patrie de la mémoire. Elle est même, pratiquement, la mémoire du m
287
dent — l’Europe est la patrie de la mémoire. Elle
est
même, pratiquement, la mémoire du monde, le lieu du monde où l’on con
288
verre et en ciment armé, tandis que l’Amérique en
est
encore à bâtir des églises en gothique neuf. C’est parce que l’Europe
289
glises en gothique neuf. C’est parce que l’Europe
est
la mémoire du monde qu’elle ne cessera pas d’inventer. Elle restera l
290
s de la planète. Mais, riches d’avenir… oui, s’il
est
un avenir, non seulement pour l’Europe, mais pour le monde. Dans une
291
mais pour le monde. Dans une certaine mesure, qui
est
celle du réalisme politique, et il fallait tout de même que ce fût di
292
isme politique, et il fallait tout de même que ce
fût
dit ici, la question de l’avenir du monde se résume dans ce simple di
293
-tampon, ou un bloc opposé aux deux autres. Ce ne
serait
rien résoudre, et au contraire, ce serait exalter le nationalisme aux
294
. Ce ne serait rien résoudre, et au contraire, ce
serait
exalter le nationalisme aux dimensions continentales. Ce qu’il nous f
295
s invite à le dire avec moi : Je pense, donc j’en
suis
! g. Rougemont Denis de, « Les maladies de l’Europe », L’Esprit eu
296
endre leurs pouvoirs spirituels, certains États s’
étant
laissé aller à les revendiquer injustement. Les docteurs de l’Église
297
me même, du moins à cette véhémence flambante qui
fut
toujours signe et symbole de l’Esprit. Un fils soumis de Rome, le gra
298
lisme) qu’ils croyaient pouvoir tolérer ; qu’il a
été
abattu finalement, dans ses formes déclarées et spectaculaires tout a
299
; et que son élévation brutale puis sa chute ont
été
pour toutes les Églises une épreuve de force, un challenge, une purif
300
e devant l’assaut de dictatures barbares : elle s’
est
reconnue impuissante à donner des buts de vie, des idéaux, une morale
301
d’une puissante et purifiée Église orthodoxe à l’
Est
. Mais dire que l’époque de la défensive est terminée pour elles, dans
302
e à l’Est. Mais dire que l’époque de la défensive
est
terminée pour elles, dans notre temps, c’est poser aux Églises chréti
303
es presque aussi grands que ceux qu’elles eussent
été
contraintes de subir en se rendant. (Dans ce « presque » est la diffé
304
ntes de subir en se rendant. (Dans ce « presque »
est
la différence entre honneur et honte, vie et mort.) Et que trouvent a
305
s, mais un vide doctrinal sans précédent. Ce vide
est
un appel, urgent et dramatique. Un appel à l’attaque, à l’offensive,
306
les sombres, avant la floraison du Moyen Âge, qui
fut
son œuvre. Il s’agit de restaurer le sens de la communauté vivante, q
307
ses réglementations, souvent utiles, mais qui ne
sont
jamais règles de vie. Je voudrais une sociologie chrétienne pour le s
308
t — musique, peinture, philosophie, littérature —
est
sortie des églises et des couvents. Hélas, elle en est bien sortie !
309
ortie des églises et des couvents. Hélas, elle en
est
bien sortie ! Il est temps que nous sortions à sa recherche pour la r
310
des couvents. Hélas, elle en est bien sortie ! Il
est
temps que nous sortions à sa recherche pour la ramener ! 3° Que l’Égl
311
ndement d’une morale spécifiquement chrétienne. «
Soyez
bien sages » nous disaient les prédicateurs depuis deux siècles. « So
312
disaient les prédicateurs depuis deux siècles. «
Soyez
fous ! », dit saint Paul aux Corinthiens. « Osez être l’invraisemblab
313
fous ! », dit saint Paul aux Corinthiens. « Osez
être
l’invraisemblable ! »2 dit Kierkegaard. Ce sont ces voix que les meil
314
z être l’invraisemblable ! »2 dit Kierkegaard. Ce
sont
ces voix que les meilleurs aujourd’hui, hors des Églises, me paraisse
315
s Américains, s’instaure sur notre planète, ce ne
sera
qu’au nom de ce qui transcende nos attachements nationaux, politiques
316
action chrétienne. Celle-ci se fera, comme elle s’
est
toujours faite, par des personnes et par des petits groupes ; par que
317
cation précise », et il ajoute : « toute vocation
est
sans précédent, et paraît donc ‟invraisemblable” à celui qui la reçoi
318
Le flirt en public (outdoor love-making) vient d’
être
interdit à la station aéronavale de San Diego, Californie, tant pour
319
ction du genre communément appelé necking 4. S’il
est
vrai que tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il s’agit là d’un p
320
git là d’un passe-temps absorbant et plaisant, il
est
non moins généralement admis que ce n’est pas un sport public et diur
321
ant, il est non moins généralement admis que ce n’
est
pas un sport public et diurne. Cette petite nouvelle, parue dans le
322
de civilisation, j’imagine que vos conclusions ne
seront
point trop différentes de celles que je voudrais dégager d’un séjour
323
Amérique. Les mœurs sexuelles de l’Europe peuvent
être
définies comme un jeu très complexe opposant un ensemble de règles so
324
es détruire. Les mœurs sexuelles de l’Amérique ne
sont
point si faciles à définir. Comment expliquer le contraste entre le p
325
vices et de vertus, comme chez nous, mais l’autre
étant
un « sport » d’une nature différente, — et c’est la seconde que j’ess
326
uée par la croyance en la valeur unique de chaque
être
. Il suppose un objet irremplaçable et comme prédestiné par un acte di
327
stres, et religieusement convaincu que le bonheur
est
le but de la vie : n’est-ce point écrit dans sa Constitution ? Son at
328
convaincu que le bonheur est le but de la vie : n’
est
-ce point écrit dans sa Constitution ? Son attitude vis-à-vis de la pa
329
nstitution ? Son attitude vis-à-vis de la passion
est
peut-être plus saine que la nôtre. En bref, il n’aime point souffrir,
330
spensables au développement d’une grande passion,
sont
à ses yeux autant de preuves que l’affaire est mal engagée et qu’il f
331
, sont à ses yeux autant de preuves que l’affaire
est
mal engagée et qu’il ferait bien d’y renoncer. Si quelque drame se no
332
lexe et qui menace de tirer à conséquence : telle
est
la grande maxime de sa morale nouvelle. Les difficultés sentimentales
333
l’avouer, lui font peur, et l’éloignent vite de l’
être
ou des circonstances qui les causent. Il n’a pas le goût de la durée
334
. C’est tout de suite ou jamais. C’est OK ou ce n’
est
rien. Si ce n’est pas vous ce soir, c’était donc une erreur. Ils ne c
335
ite ou jamais. C’est OK ou ce n’est rien. Si ce n’
est
pas vous ce soir, c’était donc une erreur. Ils ne croient guère à la
336
eur. Ils ne croient guère à la valeur unique d’un
être
, — et il est vrai qu’il faut beaucoup de soins, de temps perdu, de co
337
oient guère à la valeur unique d’un être, — et il
est
vrai qu’il faut beaucoup de soins, de temps perdu, de complaisance et
338
de folies pour composer une telle croyance. Nul n’
est
irremplaçable dans un monde aussi vaste, et où les déplacements sont
339
dans un monde aussi vaste, et où les déplacements
sont
si faciles. Au vrai, l’amour-passion ne saurait exister dans une civi
340
tient pour vrai que ce qui réussit. Or, l’échec n’
est
pour eux qu’une perte sèche, et non la condition d’un approfondisseme
341
ess comme nous disons). Le mariage à l’américaine
est
une institution d’un type nouveau. Il se fonde sur l’égalité économiq
342
tout simplement, dans toute la vie, et le foyer n’
est
qu’une partie de ses domaines. Il s’agit de l’aménager pour qu’il fon
343
, point d’esclavage des routines domestiques : ce
serait
être esclave de ses machines. Si ces dernières se multiplient dans un
344
d’esclavage des routines domestiques : ce serait
être
esclave de ses machines. Si ces dernières se multiplient dans une cui
345
la femme des soucis qui l’absorbent chez nous. Il
est
étrange que nous parlions toujours de leur « matérialisme » à ce prop
346
e propos, puisque le but de ces perfectionnements
est
d’alléger les tâches matérielles, auxquelles notre littérature préten
347
ifeste qu’elle sait ce qu’on lui doit. Comme elle
est
installée dans la vie ! Elle s’y avance avec l’autorité, souvent poli
348
ssèdent le 75 % de la fortune privée en Amérique,
soit
que le système de l’héritage les favorise, soit qu’elles montrent en
349
, soit que le système de l’héritage les favorise,
soit
qu’elles montrent en affaires comme ailleurs une efficiency sans égal
350
es comme ailleurs une efficiency sans égale. Nous
sommes
donc en présence d’une civilisation qui tend vers le matriarcat, dans
351
n du foyer, dans ces trois lettres fatidiques qui
sont
le secret de millions de drames matrimoniaux, sexuels et psychiques :
352
» comme la Gorgone du matriarcat américain. MOM
est
partout, elle est tout et dans tous, et d’elle dépend le reste des Ét
353
e du matriarcat américain. MOM est partout, elle
est
tout et dans tous, et d’elle dépend le reste des États-Unis. Déguisée
354
chère vieille mom, votre mom aimante, etc., elle
est
la fiancée à tous les enterrements, le cadavre à tous les mariages.
355
sert, elle l’endort et le semonce. Au culte qu’il
est
censé lui rendre, elle répond dans le meilleur des cas par cette espè
356
ue le suzerain jadis accordait au vassal. Et ce n’
est
point qu’elle soit moins capable qu’une autre d’amour, de tendresse o
357
is accordait au vassal. Et ce n’est point qu’elle
soit
moins capable qu’une autre d’amour, de tendresse ou même d’aveugle dé
358
évouement. Mais l’attitude de l’homme à son égard
est
faite pour éveiller en elle le goût de la liberté et de l’autonomie,
359
le le plus inquiétant du Nouveau Monde : car nous
sommes
habitués à voir des hommes en masses, à la caserne ou dans une réunio
360
avait qu’un goût modéré pour la femme, dont il ne
serait
que la conquête plus ou moins résignée ou satisfaite. Certains ménage
361
ue la femme couche les enfants, et tous les repas
sont
pris dans la petite cuisine blanche, parfois ornée d’un bar, toujours
362
le rôle de la machine numéro un dans la maison —
soient
ceux qui offrent le plus de garanties contre le divorce américain.
363
x des intéressés, le divorce américain ne saurait
être
, comme chez nous, la douloureuse rupture d’une longue intimité, celle
364
toujours, à conserver5, eux à ouvrir. Le divorce
est
pour nous l’enterrement d’un bonheur, pour eux l’acte de naissance d’
365
se remarier. Il arrive que le nouveau mariage ne
soit
séparé du divorce que par le temps de changer de salle, et c’est le m
366
utre porte — qui légalisera les deux actes. Telle
est
du moins la coutume de Reno. Reno n’est pas une légende pittoresque,
367
es. Telle est du moins la coutume de Reno. Reno n’
est
pas une légende pittoresque, mais une nécessité pratique créée par le
368
tat de New York, la seule cause admise de divorce
est
le flagrant délit d’adultère. Autant dire que le divorce est impossib
369
rant délit d’adultère. Autant dire que le divorce
est
impossible, à moins que l’on accepte d’en passer par une odieuse mise
370
tatée » dans une chambre d’hôtel. Le seul recours
est
donc le voyage de Reno, comédie fort coûteuse basée sur un mensonge :
371
ns le Nevada. Il y reste six semaines, à l’hôtel,
est
alors déclaré résident, obtient son divorce en un quart d’heure, se r
372
seconde fois. Cette éventualité, d’ailleurs, doit
être
envisagée très sérieusement. Chaque jour dans les courriers mondains
373
tout parce qu’elle amuse. Vous penserez que ce n’
est
pas sérieux, et peut-être aurez-vous raison. Si grave que soit un tel
374
eux, et peut-être aurez-vous raison. Si grave que
soit
un tel jugement, j’incline à croire que la facilité avec laquelle l’A
375
our la première fois ! » Deux ans plus tard, elle
était
à Reno et se remariait, « elle pour la seconde fois, lui pour la quat
376
ma première définition, le divorce à l’américaine
est
considéré avant tout comme la mise en ordre de deux vies. Derrière to
377
infime minorité. Boston, leur ancienne citadelle,
est
aujourd’hui en majorité catholique. Les Juifs, les Noirs, les Irlanda
378
ois quarts au moins de la population de New York,
sont
indemnes de toute trace directe d’éducation puritaine au foyer. Mais
379
es standards moraux créés par les Pionniers leurs
sont
transmis sous la forme atténuée de l’American way of life, à l’école,
380
récemment naturalisés. On leur inculque à tous qu’
être
un Américain, c’est être un homme « décent » et comme je demandais à
381
leur inculque à tous qu’être un Américain, c’est
être
un homme « décent » et comme je demandais à quelques étudiants ce qu’
382
entendaient par là, l’un d’eux me dit : « Décent
est
l’homme qui tient parole et se tient propre, à tous égards. » Cette v
383
ous ses tabous. On ne pense plus que la « chair »
soit
le Mal, ni ses désirs des signes de malédiction divine. Peu ou point
384
mmait libertinage. L’Américain, me semble-t-il, n’
est
pas vicieux. Il est moral ou sans morale, mais bien rarement immorali
385
’Américain, me semble-t-il, n’est pas vicieux. Il
est
moral ou sans morale, mais bien rarement immoraliste. Ce qu’il ignore
386
romans européens les moins pensables en Amérique
seraient
sans doute Adolphe et les Liaisons dangereuses. Ajoutons-y la poésie
387
ais il me paraît vain de l’écrire, car l’Amérique
est
en pleine transition, à cet égard plus qu’à tout autre. Il convient d
388
lée quelques remarques dont on reconnaît qu’elles
sont
par nature discutables. Certains critiques américains déclarent que l
389
américains déclarent que la jeunesse de leur pays
est
sex-obsessed, mais il se peut qu’elle soit tout simplement sexy, et q
390
ur pays est sex-obsessed, mais il se peut qu’elle
soit
tout simplement sexy, et que l’obsession n’existe que chez lesdits cr
391
américaines, c’est qu’on y pressent un avenir qui
sera
sans doute celui de la Russie soviétique et d’une partie de la jeunes
392
moins, trop volontaire et rationnel pour que l’on
soit
en droit d’y voir une « révolte des instincts », ou d’y dénoncer je n
393
uelle « vague de barbarie nouvelle ». Le danger n’
est
sans doute pas là. Car il est très possible qu’au contraire de ce que
394
elle ». Le danger n’est sans doute pas là. Car il
est
très possible qu’au contraire de ce que pensent la jeunesse américain
395
, la violence primitive et la santé de l’instinct
soient
justement les vraies créatrices de tabous, et que la suppression de c
396
ue la morale bourgeoise, issue des puritains, ait
été
l’une des plus perverses qu’ait jamais sécrétée l’humanité, et que sa
397
t de faire « comme si » l’instinct sexuel pouvait
être
passé sous silence ou nié ; les sexologues qui tenteront follement de
398
e voie saine et quelques disciplines praticables,
sera
vraiment le génie du siècle et l’objet d’une grâce spéciale. Or c’est
399
’une grâce spéciale. Or c’est bien ce qu’il pense
être
, étant Américain. Je ne l’observe pas sans inquiétude ; non plus sans
400
râce spéciale. Or c’est bien ce qu’il pense être,
étant
Américain. Je ne l’observe pas sans inquiétude ; non plus sans beauco
401
rt un « milieu littéraire » dans ce pays. Et ce n’
était
pas une terrasse de café, ni l’antichambre d’une maison d’édition, ni
402
te en Amérique — mais une party. Et cette party n’
était
pas animée par la vivacité des discussions, la coquetterie des femmes
403
ucoup de sérieux professoral : car les poètes ici
sont
professeurs, tandis que les romanciers sont plutôt journalistes. Quan
404
s ici sont professeurs, tandis que les romanciers
sont
plutôt journalistes. Quant à leurs femmes et amies, elles m’ont paru
405
e genre des nihilistes russes d’antan. La plupart
sont
trotskistes, ont lu Freud, ou en parlent. À lire les revues ou littl
406
ous autres, Européens, vous écrivez comme si vous
étiez
déjà morts. Oh ! ce n’est pas un reproche aussi violent qu’il vous pa
407
écrivez comme si vous étiez déjà morts. Oh ! ce n’
est
pas un reproche aussi violent qu’il vous paraît. Je veux dire que l’o
408
éputés d’avant-garde. Leur vrai drame, c’est de s’
être
affranchis des tabous du puritanisme au prix d’une frustration de l’â
409
méchamment subversif, « réactionnaire », et tout
est
dit… 25 janvier 1941 Cinquième colonne. — Quelques fragments de mon
410
’un me répond au bout d’une semaine : votre livre
est
très bien, je voudrais le publier, mais il a le malheur de porter sur
411
r ce matin : — En tant que citoyen, me dit-il, il
serait
de mon devoir de publier ce livre. Mais en tant qu’éditeur, ce serait
412
de publier ce livre. Mais en tant qu’éditeur, ce
serait
un suicide. — Comment cela ? — Vous êtes trop objectif. On parlerait
413
ur, ce serait un suicide. — Comment cela ? — Vous
êtes
trop objectif. On parlerait de cinquième colonne à propos de ma maiso
414
aison et de vous-même. — Savez-vous que mon livre
est
sur la liste noire des Allemands et même de l’organisation vichyssois
415
restants ? — J’imagine très bien ! Mais le public
est
simpliste, il attend des jugements entiers. Quitte à ne pas savoir ce
416
érance brutale avec ceux qu’il croit condamner… N’
est
-ce pas cela, le vrai danger totalitaire, dans un pays où l’opinion go
417
us au mal, en Amérique. « C’est trop affreux pour
être
vrai », dit-on des récits de réfugiés. Il en résulte qu’on collabore
418
, au milieu de la petite ville de Cambridge qui n’
est
plus qu’un faubourg de Boston. Le premier soir en arrivant dans ce lo
419
t-il donc savoir ? Simplement si c’est vrai. S’il
est
vrai que j’ai vécu ce que j’écris. C’est la question que je préfère.
420
st une catégorie précise d’étudiants. « Génie » n’
est
pas un éloge excité, dans leur bouche : cela se mesure et cela se déf
421
un chiffre total supérieur à 135. Le génie, s’il
est
physicien par exemple, n’en sera pas moins un spécialiste de Kierkega
422
5. Le génie, s’il est physicien par exemple, n’en
sera
pas moins un spécialiste de Kierkegaard ou de Kafka, à l’analyse desq
423
es avant qu’il ait terminé ses études. La plupart
sont
des monstres modestes. J’en ai vu un qui mangeait un sandwich et c’ét
424
pure. Il portait une mouche au menton. Le second
était
ivre. Le troisième parlait peu, ce qui est le privilège des génies. N
425
cond était ivre. Le troisième parlait peu, ce qui
est
le privilège des génies. New York, 15 mai 1941 Recette pour vivre de
426
. Ici, la recette ne vaut rien. Le minimum requis
est
impérieux et difficile à obtenir parce que le dollar est très cher. O
427
érieux et difficile à obtenir parce que le dollar
est
très cher. On ne peut pas « se débrouiller » avec moins qu’il ne faut
428
un autant qu’à l’autre… ! Fin décembre 1941, 5 IV
est
16th Street Trouvé un petit atelier, près de Greenwich village6, au h
429
rmant terrasse, d’une maison de trois étages, qui
est
un couvent. Les nonnes, deux par deux, vont et viennent sur ce toit e
430
oindre prétexte. À deux heures aujourd’hui, je me
suis
enfermé sans plus bouger, entre mon fauteuil et ma table — les deux b
431
os Aires, des notes éparses. À sept heures, je me
suis
mis à écrire. Il est dix heures et j’ai devant moi les trois premiers
432
arses. À sept heures, je me suis mis à écrire. Il
est
dix heures et j’ai devant moi les trois premiers chapitres terminés.
433
ers chapitres terminés. J’ai faim, j’ai froid, je
suis
heureux, je cours dîner pour 50 cents à la cafétéria du coin. 2 mars
434
x signes m’ont prouvé que jusqu’à nouvel ordre je
suis
le prisonnier de mon livre et ferais bien de ne plus m’en échapper. J
435
La salle étroite et profonde paraît vide. Il doit
être
environ neuf heures et demie. J’hésite sur le seuil : va-t-on me serv
436
fui. Pas d’autre restaurant dans ce quartier. Je
suis
monté sans dîner chez mes amis. Je n’en ai pas de plus charmants dans
437
rien fait qui vaille de toute la nuit. Voilà qui
est
clair : ou écrire, ou sortir. 20 mars 1942 Pluie torrentielle et font
438
fonte des neiges. Les nonnes ne sortent plus, ou
sont
peut-être tombées dans la cour. Des gouttes chargées de suie s’écrase
439
suie s’écrasent sur mon papier, la verrière doit
être
fendue ou mal jointe. Raccommodé avec un ligament de ficelle verte le
440
ranquillement vidé mon compte en banque, et je ne
suis
pas plus avancé qu’au temps de mon île atlantique. 21 avril 1942 Comm
441
n ne voit pas les mêmes objets. Et comme le monde
est
une vitrine, en bonne partie, il doit être possible de déterminer le
442
e monde est une vitrine, en bonne partie, il doit
être
possible de déterminer le degré de fortune ou d’infortune d’un auteur
443
s descriptions du monde. 10 mai 1942 Un job. — J’
étais
allé voir mes enfants à Long Island, le samedi soir, et le dimanche m
444
n ami qui va quitter l’Office of War Information,
étant
appelé d’urgence à Washington. La place sera vacante demain après-mid
445
on, étant appelé d’urgence à Washington. La place
sera
vacante demain après-midi, et sans doute repourvue. Si j’y vais, j’ai
446
. Si j’y vais, j’ai les plus grandes chances. J’y
suis
allé et une demi-heure plus tard, je me mettais à ce travail, nouveau
447
ue le rôle de ministère de l’Information. Il peut
être
amusant de noter pour plus tard la composition de notre équipe en ter
448
sociologie, d’ Esprit , du Figaro , etc. Telles
sont
les petites surprises de l’exil. Fin juin 1942 Une journée à l’OWI.—
449
dans une atmosphère orageuse ! Mais l’Amérique n’
est
pas son fort. Il y tient le succès à distance, laissant à Salvador Da
450
de bureaux, de la censure à la polycopie, avant d’
être
remis aux speakers, nous trouvons un moment pour causer. Et souvent n
451
amènerait une personne inconnue des autres, tous
étant
costumés et masqués, les propos échangés dans un style rigoureusement
452
e compensation, si l’on voit dans quel cadre nous
sommes
en train de causer. Trente machines à écrire dans cette salle, en con
453
rme simple du GI. Ces messieurs les speakers, qui
sont
André Breton, le peintre Amédée Ozenfant et le jeune fils des Pitoëff
454
nq minutes, au fond d’une campagne française — ce
sera
déjà la nuit là-bas — des oreilles clandestines entendront : La Voix
455
nt : La Voix de l’Amérique parle aux Français. Il
est
temps que je recueille et dépouille les directives de Washington, de
456
voudrait bien savoir un peu ce qui se passe… « N’
êtes
-vous pas l’auteur du Secret ? Souffrez que j’en sois la victime. » Su
457
s-vous pas l’auteur du Secret ? Souffrez que j’en
sois
la victime. » Sur quoi, peut-être, il serait temps d’aller à ce dîner
458
e j’en sois la victime. » Sur quoi, peut-être, il
serait
temps d’aller à ce dîner, n’était-ce pas pour huit heures ? Quitte à
459
peut-être, il serait temps d’aller à ce dîner, n’
était
-ce pas pour huit heures ? Quitte à revenir terminer dans la nuit. À d
460
ce. » Juillet 1942 Saint-John Perse. — Lorsqu’il
est
arrivé en Amérique, il n’a paru de lui qu’une seule photo, encore éta
461
ue, il n’a paru de lui qu’une seule photo, encore
était
-elle prise de dos. (Mais ce trait justement le révélait.) Penché à un
462
sse, sur la plage. 18 août 1942 Peut-être qu’il n’
est
pas de bonheur plus conscient que celui de l’enfance retrouvée dans u
463
retrouvée dans une vacance où le travail lui-même
est
jeu. Tous les prétextes que les hommes se donnent pour en sortir, un
464
ière », mais vues d’ici, toutes les « carrières »
sont
des échecs humains. « Contribuer au progrès collectif », mais la fin
465
ogrès collectif », mais la fin du progrès ne peut
être
qu’une plage, un loisir sur la plage, et nous l’avons ici. New York,
466
le qu’une ville dont la foule transpire ? Il faut
être
fou pour rentrer… Mais à l’Office, notre travail s’intensifie, et les
467
ctoire inévitable. Leur répéter chaque jour quels
sont
les plans d’Hitler pour dépouiller la France de sa main-d’œuvre quali
468
sonniers » ; donner des recettes de sabotage, qui
seront
reprises par la presse clandestine… Mais dire aussi les revers et les
469
vers et les défaites : notre consigne de véracité
est
absolue. Washington part de l’idée juste qu’il n’est pas de mensonge,
470
absolue. Washington part de l’idée juste qu’il n’
est
pas de mensonge, si pieux mensonge soit-il, qui ne serve Hitler en fi
471
te qu’il n’est pas de mensonge, si pieux mensonge
soit
-il, qui ne serve Hitler en fin de compte. J’écris vingt à trente page
472
une cabane et c’est le Palais de Versailles ! » s’
est
écrié Tonio bourru, en pénétrant le premier soir dans le hall. Mainte
473
saurait plus le faire sortir de Bevin House. Il s’
est
remis à écrire un conte d’enfants qu’il illustre lui-même à l’aquarel
474
ctobre 1942 Propagande et style. — Depuis que je
suis
à l’OWI, rédigeant bon gré mal gré mes vingt-cinq pages quotidiennes,
475
ur mon style de ce travail de propagande. Ou bien
serait
-ce l’influence de l’Amérique en général ? Mais elles convergent ou mê
476
ecte à la radio. Dans les deux cas, les exigences
sont
les mêmes. Et elles impliquent le renoncement à toutes ces coquetteri
477
trop « écrite » ; ou l’exiger, selon les cas. Que
serait
-ce d’être un grand écrivain dans une langue morte ? Ou dans une langu
478
e » ; ou l’exiger, selon les cas. Que serait-ce d’
être
un grand écrivain dans une langue morte ? Ou dans une langue parlée s
479
ture française moderne, la meilleure justement, s’
est
mise dans ce cas. Défaut commun à presque tous nos bons auteurs franç
480
eurs élégances restent cousues de fil blanc. On y
est
fort sensible à Paris. Cependant nous vivons au xxe siècle, et je vo
481
e transport. Les choses que l’on publie, si elles
sont
importantes, le sont soit par nature, soit par position. Elles le son
482
es que l’on publie, si elles sont importantes, le
sont
soit par nature, soit par position. Elles le sont en vertu de leur qu
483
e l’on publie, si elles sont importantes, le sont
soit
par nature, soit par position. Elles le sont en vertu de leur qualité
484
elles sont importantes, le sont soit par nature,
soit
par position. Elles le sont en vertu de leur qualité, originalité, be
485
sont soit par nature, soit par position. Elles le
sont
en vertu de leur qualité, originalité, beauté, vérité intrinsèque ou
486
dans la banalité au sens propre du terme (ce qui
est
à tous, comme on le dit d’un cœur, d’un taureau ou d’un four « banal
487
; d’un Valéry et d’un Gide, parmi nous. La gloire
est
devenue le droit d’énoncer des banalités mais qui ne passent plus pou
488
nstres précieux. Cependant, il faut commencer par
être
un monstre, si l’on veut mériter quelque maîtrise. Toute création est
489
’on veut mériter quelque maîtrise. Toute création
est
en soi monstrueuse, qu’il s’agisse de l’automobile, du sourire de la
490
de, ou des Variations Goldberg. Les copies seules
sont
acceptables, à première vue, et seules font accepter l’original, qui
491
accepter l’original, qui fit scandale ou même ne
fut
pas remarqué. (Balzac « journaliste », Beethoven « cacophoniste », Ba
492
i vécu des journées soustraites au Destin. La mer
est
grise, le soir vient, les oiseaux sifflent, et l’automne atténue la s
493
es de violente dérive. … mais sachez-le : Nous n’
étions
pas absents de vous plus que de nous-mêmes. Vous étiez « occupés », n
494
pas absents de vous plus que de nous-mêmes. Vous
étiez
« occupés », nous étions en exil, et les uns comme les autres dans l’
495
s que de nous-mêmes. Vous étiez « occupés », nous
étions
en exil, et les uns comme les autres dans l’inaccepté, dans la déposs
496
, à l’heure de moindre résistance. Notre angoisse
était
de penser : parlerons-nous encore le même langage au jour de ce retou
497
dans quelle France, et dans quelle Europe ? Nous
étions
soumis à l’érosion de l’exil, moins brutale, certes, mais plus intime
498
xtérieur, mais l’étranger s’infiltre au cœur de l’
être
. Comment lui résisterait-on ? C’est un ami. Il vous a reçus d’abord e
499
oit que vous restez là, il change un peu : vous n’
êtes
plus l’invité mais un client, et qui devrait s’arranger pour payer. E
500
usiez des ennuis. Débrouillez-vous. Et puis, vous
êtes
trop nombreux, on ne peut pas s’occuper de chacun de vous. Et c’est b
501
cuper de chacun de vous. Et c’est bien vrai. Nous
étions
trop nombreux. En France, en Suisse aussi, avant la guerre, nous trou
502
ugiés. Des gens frappés par le malheur, où que ce
soit
, il y en a toujours trop. Cependant notre sort vous paraissait enviab
503
ant dire qu’on les tient pour moins sérieux. Nous
étions
mal placés pour discuter cela, donc en somme pour défendre l’esprit,
504
cela, donc en somme pour défendre l’esprit, — qui
était
pourtant tout ce qu’il restait à défendre par nous, dans l’exil… 6
505
e rencontre The Heart is a lonely Hunter (Le Cœur
est
un chasseur solitaire). Un peu plus tard je la revis à Brooklyn, dans
506
le striptease, et tous les autres à quelque titre
étaient
des « creative people », parlaient de Kierkegaard, de Jung, de ballet
507
me habituel les a repris. Un an plus tard, tous s’
étaient
dispersés, au Mexique ou au Michigan, en Angleterre ou en Californie,
508
Angleterre ou en Californie, et Carson McCullers
était
dans une clinique. Un jour je la rencontre dans un train venant du Su
509
e de journal : son mari, le lieutenant McCullers,
est
signalé comme le premier Américain blessé lors du débarquement en Nor
510
rs du débarquement en Normandie. Aujourd’hui elle
est
à Paris, inaugurant avec Kay Boyle et Richard Wright — qui fut le pre
511
inaugurant avec Kay Boyle et Richard Wright — qui
fut
le premier à saluer son talent — la reprise de l’émigration tradition
512
k. C’est dire peut-être que les jeunes Américains
sont
moins anxieux de renouveler ou d’assouplir leurs procédés que de se c
513
aient le chaos avec une sorte de brutalité qui en
était
le reflet plus que l’explication. Mais cette recherche obscurément sp
514
sympathie plus fascinée que volontaire. Ainsi les
êtres
qui animent cet ouvrage se poursuivent, se rapprochent et se manquent
515
ent dans une espèce de tâtonnement aventureux qui
est
le mouvement même de la vie intérieure en quête d’explications, de ry
516
, mais elle augmente aussi l’incertitude. Or ce n’
est
pas l’angoisse, comme on le répète complaisamment, ce n’est pas même
517
angoisse, comme on le répète complaisamment, ce n’
est
pas même l’anxiété, c’est simplement l’incertitude qui domine l’état
518
eur fournir des repères coutumiers et pratiques s’
est
élargi aux dimensions de la planète. Que faire de ces informations en
519
omesse qui peut nous concerner, mais dont il nous
est
impossible d’évaluer la portée concrète ? Savoir d’abord les faits
520
lowns, les existentialistes et l’adultère. Quelle
est
donc son idée de la liberté ? Aux Indes les musulmans, les hindous et
521
les princes ne s’accordent que sur un point, qui
est
de refuser les plans de retraite obstinément offerts par les Anglais.
522
entre le Kouomintang et l’armée communiste, qui n’
est
même pas soutenue par Moscou. Quelle est la stratégie yankee à l’égar
523
e, qui n’est même pas soutenue par Moscou. Quelle
est
la stratégie yankee à l’égard de ce marché gigantesque ? En Amérique
524
era pas sans conséquences, mais lesquelles ? Il n’
est
pas un de ces faits, grands ou petits, moral, économique, culturel, r
525
ui ne modifie les conditions du jeu mondial et ne
soit
destiné à réagir, à plus ou moins longue échéance, sur le sort de cha
526
ions d’Europe et sur nos vies individuelles. Il n’
est
pas un de ces faits qu’on puisse analyser à l’aide de nos catégories
527
er vers l’insanité ou révéler son ignorance. Il n’
est
pas un de ces faits, par conséquent, dont tiennent compte nos débats
528
ennent compte nos débats politiques. Ces derniers
sont
centrés sur des questions de partis et de partis pris locaux et ances
529
coqs avec le problème de la bombe. Et tout cela n’
est
que trop naturel. Il est parfaitement naturel que nous aimions parler
530
la bombe. Et tout cela n’est que trop naturel. Il
est
parfaitement naturel que nous aimions parler de politique. Il est par
531
naturel que nous aimions parler de politique. Il
est
parfaitement naturel que nos discussions se passionnent dans la mesur
532
qui demain disposeront de nos vies : s’en occuper
serait
s’occuper vraiment de politique. Car il n’y a plus à proprement parle
533
er et le Japon l’ont démontré par leur échec, qui
fut
celui d’une dernière tentative d’impérialisme national et autarcique
534
Désormais nous savons qu’il y a le monde et qu’il
est
un. Nous le savons théoriquement. Mais il nous faut encore apprendre
535
de profondes contradictions internes. Leur lien n’
est
pas facile à distinguer. Essayons tout d’abord de les décrire. Voici
536
l’URSS, et cette patrie de la révolution moderne
est
aussi celle qui manque le plus de liberté ; et cette puissance la plu
537
de liberté ; et cette puissance la plus redoutée
est
aussi celle qu’un rien enraye : un écrivain comique, un journal libre
538
ire de l’éducation et du civisme, découvre que ce
sont
précisément quelques-unes de ses bases morales, son esprit civique et
539
son esprit civique et son système d’éducation qui
sont
en crise. Le divorce y devient une maladie sociale, les instituteurs
540
. Cependant que l’Indochine et que l’Indonésie en
sont
encore au stade préliminaire de la lutte pour l’autonomie. Voici l’Eu
541
e. Voici l’Europe enfin, cette Europe qui naguère
était
le plus orgueilleux des continents, et qui fait une grande crise de s
542
actuelles et ses garanties les plus sûres. Car ce
sont
les richesses d’autrui et non ses maladies que l’on jalouse. Si l’un
543
on utopie de justice et d’ordre social. Si l’Asie
était
moins anarchique elle dominerait un jour par la force du nombre. Si l
544
n idéal mieux assuré dans ses propres foyers elle
serait
tentée d’abuser de ses avantages actuels. Et si l’Europe était moins
545
d’abuser de ses avantages actuels. Et si l’Europe
était
moins abîmée, qui sait quelle arrogance elle ne retrouverait pas. J’i
546
bien entendu. Si c’est le cas, ces hommes d’État
sont
en pleine réalité. Jamais les peuples ou les individus ne se sont uni
547
éalité. Jamais les peuples ou les individus ne se
sont
unis à cause des richesses qu’ils avaient, tout au contraire. C’est t
548
agissante. L’Organisation des Nations unies ne s’
est
formée que pour répondre à l’appel de nos anxiétés et de nos manques.
549
défi de se redresser pour tenir un grand rôle. Ce
sont
nos quatre pauvretés qui nous lient et qui assurent notre paix provis
550
’entoure de secret… » (9 août 1947)n Princeton
est
une petite cité américaine dont la moitié des habitants se préparent
551
le patriarche du nouvel âge, Albert Einstein. Je
suis
allé lui rendre visite dans une maison de bois jaune entourée de gazo
552
nt Roosevelt, par laquelle Einstein demandait que
fussent
organisées d’urgence des recherches sur l’arme atomique. Dans cette p
553
ien. Et nous parlons de l’Amérique, dont Einstein
est
devenu citoyen. Il me dit : — Écoutez-moi bien, c’est la seule démocr
554
est la seule démocratie véritable. Les gens d’ici
sont
cordiaux, serviables et surtout ils sont dépourvus de toute espèce d’
555
ns d’ici sont cordiaux, serviables et surtout ils
sont
dépourvus de toute espèce d’inhibition sociale. Je vous en donnerai u
556
vivez-vous en Amérique ? — Depuis 1934. Mais j’y
étais
venu une première fois en 1922, pour parler d’un projet d’université
557
as entendu répéter ces derniers temps qu’Einstein
serait
« très communiste », expression qu’on réserve d’ailleurs aux personne
558
s aux personnes dont on ne peut affirmer qu’elles
sont
communistes, simplement. N’a-t-il pas proposé, en 1945, de livrer le
559
s nette de ce qu’il nomme l’hystérie antirusse, n’
est
autre que l’attitude des Russes sur le plan international. Einstein r
560
international. Einstein réfléchit un moment. — Il
est
évident, dit-il enfin, que l’obstacle majeur à l’établissement d’un g
561
rien à faire pour la surmonter. Car la cause n’en
est
que trop claire. La Russie sait que, dans le jeu actuel, elle est le
562
ire. La Russie sait que, dans le jeu actuel, elle
est
le partenaire le plus faible. Elle s’oppose donc à tout ce que les au
563
e nous croira les plus forts. — Tant que la bombe
sera
de notre côté… Que pensez-vous de ce délai de cinq ans qu’on cite par
564
e ce délai de cinq ans qu’on cite partout, et qui
serait
nécessaire à la Russie pour fabriquer ses propres bombes ? — La Russi
565
deux ans au moins. D’ici dix ans au plus. Ce qui
est
sûr, c’est qu’elle y travaille. — Croyez-vous que le « rideau de fer
566
tion plus simple du « rideau de fer ». Les Russes
sont
très pauvres. C’est pour cela qu’ils ont si peur des étrangers. Et no
567
n sans raison. Car, au cours actuel du dollar, il
serait
vraiment trop facile d’acheter des espions en Russie. L’indicateur y
568
e d’acheter des espions en Russie. L’indicateur y
serait
trop bon marché. — Selon vous, ils redoutent des fuites au sujet de l
569
? — Mieux que cela : cette organisation mondiale
sera
bientôt si forte, une fois éliminés les résistances ou le sabotage so
570
laira, officiels ou non. Et à la fin — car ils ne
sont
pas fous comme les nazis —, ils verront bien que leur avantage est d’
571
e les nazis —, ils verront bien que leur avantage
est
d’y rentrer. La « bombe » et le monde… La nuit est venue. Nous
572
rentrer. La « bombe » et le monde… La nuit
est
venue. Nous passons dans un petit salon bien bourgeois, bien en ordre
573
dans tous les grands pays, les plans de ce genre
seront
sans efficacité. Cependant, la proposition Baruch a cela d’excellent
574
rtiel à la souveraineté absolue des nations. — Ce
serait
, lui dis-je en me levant, le premier pas vers un gouvernement mondial
575
fin de la féodalité des États-nations. — La route
est
longue, bien longue encore ! dit-il soucieux en me reconduisant. Sur
576
x grands esprits et cette parfaite courtoisie qui
est
la marque de l’homme bien né, M. de Rougemont nous a fait l’honneur d
577
ger a écrit la musique. Surpris par la guerre, je
suis
resté aux États-Unis. Je suis rentré en Suisse il y a quelques mois s
578
s par la guerre, je suis resté aux États-Unis. Je
suis
rentré en Suisse il y a quelques mois seulement, et je compte m’insta
579
xercée aux États-Unis en faveur de notre pays. Il
est
trop modeste pour vouloir nous l’avouer, mais il s’est fait l’ardent
580
rop modeste pour vouloir nous l’avouer, mais il s’
est
fait l’ardent défenseur de nos institutions. Ce rôle a été d’autant p
581
l’ardent défenseur de nos institutions. Ce rôle a
été
d’autant plus utile pour nous que notre neutralité n’a pas toujours é
582
e pour nous que notre neutralité n’a pas toujours
été
bien comprise et que la presse n’a pas toujours été très tendre à not
583
é bien comprise et que la presse n’a pas toujours
été
très tendre à notre égard. De cette influence, nous ne donnerons qu’u
584
d’éminentes personnalités américaines, qui avait
été
chargé d’établir un rapport sur la conscription. Or, dans ses conclus
585
nscription. Or, dans ses conclusions, ce comité s’
est
prononcé pour la conscription, parce que, se référant à l’ouvrage sur
586
n le plus favorable. Ce mouvement personnaliste a
été
créé vers 1932 à Paris, Denis de Rougemont représentant l’élément pro
587
s et incroyances. Les membres de ce mouvement ont
été
dispersés par la guerre, certains étant morts, mais les idées — et c’
588
uvement ont été dispersés par la guerre, certains
étant
morts, mais les idées — et c’est là l’essentiel — se sont répandues.
589
ts, mais les idées — et c’est là l’essentiel — se
sont
répandues. En écoutant parler mardi soir l’auteur du Journal d’un int
590
u Journal d’un intellectuel en chômage, nous nous
étions
demandé à la suite de quelles expériences personnelles il avait été a
591
uite de quelles expériences personnelles il avait
été
amené à formuler une philosophie du fédéralisme aussi profonde et aus
592
i nous a répondu simplement : De tout temps, j’ai
été
fédéraliste, et je me suis fait une philosophie qui cadre avec les in
593
t : De tout temps, j’ai été fédéraliste, et je me
suis
fait une philosophie qui cadre avec les institutions de notre pays, c
594
que l’expérience suisse, malgré son petit cadre,
est
valable pour l’Europe. Voyez-vous, on ne se rend pas compte, en Suiss
595
, un sentiment européen, ce qui n’empêche pas, il
est
vrai, bon nombre d’entre nous de douter de la naissance d’une fédérat
596
me rapidité avec laquelle la Constitution de 1848
fut
proposée, écrite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle était en
597
crite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle
était
encore une utopie. Trois ans plus tard, elle fonctionnait si bien que
598
sentiment suisse, dans les années précédant 1848,
était
informulé, et qu’il a fallu la campagne de la Société helvétique et l
599
lisme suisse. Et cette crise vient de ce que nous
sommes
entourés d’États-nations, qui menacent notre fédéralisme. Cela expliq
600
it chez nous des progrès aussi terrifiants. Aussi
suis
-je convaincu que le salut de notre fédéralisme ne peut venir que d’un
601
ner à des généralisations théoriques ; or, rien n’
est
plus contraire à l’essence même du fédéralisme que l’esprit théorique
602
viter de poser au départ quelques définitions. Il
est
vain de parler des problèmes politiques, si l’on ne s’est pas entendu
603
de parler des problèmes politiques, si l’on ne s’
est
pas entendu d’abord sur une certaine idée de l’homme. Car toute polit
604
le veuille ou non, qu’on le sache ou non. Quelle
est
donc la définition de l’homme sur laquelle nous pouvons tomber d’acco
605
r d’accord, ou pour mieux dire, sur laquelle nous
sommes
d’accord, tacitement, si nous souhaitons un régime fédéraliste ? Nous
606
pensions que le type d’homme le plus souhaitable
est
l’individu isolé, dégagé de toute responsabilité vis-à-vis de la comm
607
n plus si nous pensions avec Hitler que l’homme n’
est
qu’un soldat politique totalement absorbé par le service de la commun
608
ous le voulons, c’est que nous savons que l’homme
est
un être doublement responsable : vis-à-vis de sa vocation propre et u
609
voulons, c’est que nous savons que l’homme est un
être
doublement responsable : vis-à-vis de sa vocation propre et unique, d
610
tes, nous rappelons que les conquêtes sociales ne
sont
rien, si elles n’aboutissent pas à rendre chaque individu plus libre
611
lus libre dans l’exercice de sa vocation. L’homme
est
donc à la fois libre et engagé, à la fois autonome et solidaire. Il v
612
trois types différents de régimes politiques, et
sont
en retour favorisés par eux. À l’homme considéré comme pur individu,
613
ispensable. Il ne faut pas penser que la personne
soit
un moyen terme ou un juste milieu entre l’individu sans responsabilit
614
rsonne, c’est l’homme réel, et les deux autres ne
sont
que des déviations morbides, des démissions de l’humanité complète. L
615
démissions de l’humanité complète. La personne n’
est
pas à mi-chemin entre la peste et le choléra, mais elle représente la
616
ique. Un homme qui boit de l’eau et qui se lave n’
est
pas à mi-chemin entre celui qui meurt de soif et celui qui se noie.
617
é et de centralisation oppressive. Le fédéralisme
est
sur un autre plan que ces deux erreurs complémentaires. Chacun sait q
618
le lit du collectivisme : ces deux extrêmes, eux,
sont
dans le même plan, se conditionnent et s’appellent l’un et l’autre. C
619
e les résistances que rencontrent les dictateurs,
sont
au contraire le fait des groupes de citoyens responsables, c’est-à-di
620
tution commune. Dans cette vue, la Suisse moderne
serait
une sorte de « bon exemple » à suivre. Rien de plus banal, que cette
621
banal, que cette référence à la Suisse, dès qu’il
est
question d’États-Unis d’Europe ou d’un gouvernement mondial. Rien de
622
gouvernement mondial. Rien de plus banal, si ce n’
est
les objections qui surgissent aussitôt : « Tout cela, dit-on, est bel
623
ns qui surgissent aussitôt : « Tout cela, dit-on,
est
bel et bon pour un petit pays, mais n’est pas applicable aux grands.
624
dit-on, est bel et bon pour un petit pays, mais n’
est
pas applicable aux grands. De plus, il a fallu des siècles aux Suisse
625
me rapidité avec laquelle la Constitution de 1848
fut
proposée, écrite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle était en
626
crite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle
était
encore une utopie. Trois ans plus tard, elle fonctionnait si bien que
627
chelle continentale, je répondrai que l’objection
est
valable si l’on ne s’attache qu’aux détails de la mise en pratique du
628
e qu’elle illustre. Une expérience de laboratoire
est
nécessairement plus réduite de dimensions que ses applications, mais
629
omme toutes les grandes idées, l’idée fédéraliste
est
très simple, mais non pas simple à définir en quelques mots, en une f
630
r en quelques mots, en une formule. C’est qu’elle
est
d’un type organique plutôt que rationnel, et dialectique plutôt que s
631
vement intime de la pensée fédéraliste ne saurait
être
mieux comparé qu’à un rythme, à une respiration, à l’alternance perpé
632
alectique, cette bipolarité, comme on voudra, qui
est
le battement même du cœur de tout régime fédéraliste. L’oublier serai
633
ême du cœur de tout régime fédéraliste. L’oublier
serait
se condamner à retomber sans cesse dans un malentendu fondamental, qu
634
ent. En effet, les mots fédération et fédéralisme
sont
compris de deux manières très différentes par les Suisses alémaniques
635
au contraire, ceux qui se proclament fédéralistes
sont
en réalité les défenseurs jaloux de l’autonomie des cantons contre la
636
r veut dire simplement : s’unir. Pour les autres,
être
fédéraliste veut dire simplement : rester libre chez soi. Or les uns
637
vue de leur renforcement mutuel. Ce dernier point
est
parfaitement exprimé par la devise de la Suisse, devise paradoxale ou
638
apporter à chaque région et à chaque personne. Il
est
infiniment probable que sur le plan européen, nous allons voir se des
639
er aux deux partis que le fédéralisme véritable n’
est
ni dans l’une ni dans l’autre de ces tendances, mais bien dans leur c
640
storiens suisses, j’entends ceux d’avant 1848, on
est
frappé de constater qu’ils n’emploient jamais le terme de fédéralisme
641
ue cette idée, comme je le disais tout à l’heure,
est
à la fois simple à sentir et très délicate à formuler. Mais c’est peu
642
ionaliser les principes de leur vie politique. Il
est
incontestable, en effet, que l’idée fédéraliste n’a pas cessé d’inspi
643
mmes d’État suisses, pendant des siècles. Mais il
est
non moins certain que cette idée est demeurée informulée, et même soi
644
les. Mais il est non moins certain que cette idée
est
demeurée informulée, et même soigneusement informulée, jusqu’à ce que
645
t forcée à prendre forme et force de loi. Et ce n’
est
guère qu’au xxe siècle que les penseurs et sociologues se sont mis à
646
au xxe siècle que les penseurs et sociologues se
sont
mis à la commenter et à philosopher à son sujet. Jusqu’en 1848, elle
647
, elle allait sans dire, comme la vie même ; elle
était
la vie du civisme et de la pratique politique des Suisses. C’est le d
648
urer, doit devenir à son tour missionnaire. Telle
est
sa crise : ou se nier, ou triompher, mais sur le plan de l’Europe ent
649
peu à peu, depuis la guerre de 1914-1918. La SDN
fut
l’un de ses symptômes, bien faible encore. L’idée d’un réseau de pact
650
ncore. L’idée d’un réseau de pactes bilatéraux en
fut
un autre. Dans les deux cas, le sentiment fédéraliste fut promptement
651
utre. Dans les deux cas, le sentiment fédéraliste
fut
promptement détourné au profit de politiques d’hégémonie. Toutefois c
652
des peuples. La guerre dont nous sortons à peine
est
venue le fouetter. Brusquement, la question se pose de fédérer l’Euro
653
elle se pose brusquement, cette question risque d’
être
mal posée. J’entends qu’elle risque de ne susciter que des plans rati
654
a cru pouvoir imposer sa primauté, les autres se
sont
ligués contre lui, l’ont obligé à rentrer dans le rang, et l’union fé
655
e cet acte de renoncement à l’hégémonie conquise,
est
résulté la constitution de 1848, véritable base de l’État fédératif m
656
leurs tentatives pour faire l’unité de l’Europe,
sont
des avertissements utiles, ils nous confirment dans l’idée qu’on ne p
657
ns l’idée qu’on ne peut pas atteindre la fin, qui
est
l’union, par des moyens impérialistes. Ceux-ci ne peuvent conduire qu
658
ur les minorités, destructeurs des diversités qui
sont
la condition de toute vie organique. Rappelons-nous toujours que fédé
659
anique. Rappelons-nous toujours que fédérer, ce n’
est
pas mettre en ordre d’après un plan géométrique à partir d’un centre
660
ue mal ces réalités concrètes et hétéroclites que
sont
les nations, les régions économiques, les traditions politiques ; et
661
hesse de l’Europe et l’essence même de sa culture
seraient
perdues si l’on tentait d’unifier le continent, de tout mélanger, et
662
server ses particularités et son autonomie, qu’il
serait
hors d’état de défendre seul contre la pression des grands empires qu
663
ême corps, elles comprendraient que leur harmonie
est
une nécessité vitale, et non pas une concession qu’on leur demande, o
664
nner de concert, chacune selon sa vocation. Ce ne
serait
pas même une question de tolérance, vertu purement négative et qui na
665
aît le plus souvent du scepticisme. Chaque nation
serait
mise au défi de donner le meilleur d’elle-même, à sa manière et selon
666
rer » le cœur. Tout ce qu’on lui demande, c’est d’
être
un vrai poumon, d’être aussi poumon que possible, et dans cette mesur
667
qu’on lui demande, c’est d’être un vrai poumon, d’
être
aussi poumon que possible, et dans cette mesure même, il aidera le cœ
668
e, et dans cette mesure même, il aidera le cœur à
être
un bon cœur. Cinquième principe. — Le fédéralisme repose sur l’amour
669
elles, psychologiques, et même économiques, telle
est
la santé du régime fédéraliste. Et ses pires ennemis sont ceux dont l
670
santé du régime fédéraliste. Et ses pires ennemis
sont
ceux dont le grand Jakob Burckhardt annonçait la venue dès 1880, dans
671
il convient de leur montrer que cette complexité
est
la condition même de nos libertés. C’est grâce à elle que nos fonctio
672
bertés. C’est grâce à elle que nos fonctionnaires
sont
constamment rappelés au concret, et que nos législateurs sont obligés
673
ment rappelés au concret, et que nos législateurs
sont
obligés de garder un contact attentif avec les réalités humaines et n
674
éalités humaines et naturelles du pays. La Suisse
est
formée d’une multitude de groupes et d’organismes politiques, adminis
675
qui se recoupent de cent manières différentes. Il
est
clair que des lois ou des institutions conçues dans un esprit unitair
676
sonne même de ceux qui s’y rattachent. Certes, il
est
plus facile de décréter sur table rase, de simplifier les réalités d’
677
hit, on s’aperçoit que la politique fédéraliste n’
est
rien d’autre que la politique tout court, la politique par excellence
678
es citoyens. Tandis que les méthodes totalitaires
sont
antipolitiques par définition, puisqu’elles consistent simplement à s
679
’est une parenté culturelle qui s’affirme. Ici ce
sont
deux églises de confessions voisines qui s’ouvrent l’une à l’autre, e
680
s qui forment une union douanière. Et surtout, ce
sont
des personnes qui créent peu à peu des réseaux variés d’échanges euro
681
variés d’échanges européens. Rien de tout cela n’
est
inutile. Et tout cela, qui paraît si dispersé, si peu efficace souven
682
-dessous et au-dessus des gouvernements, l’Europe
est
beaucoup plus près de s’organiser qu’il ne le semble. Elle est déjà b
683
plus près de s’organiser qu’il ne le semble. Elle
est
déjà beaucoup plus unie, en réalité, qu’elle ne le croit. C’est sur l
684
et les rivalités éclatent, et là seulement, elles
sont
irréductibles. Je ne pense pas que les gouvernements puissent jamais
685
is réaliser une union viable. Leurs dirigeants ne
sont
pas qualifiés pour arbitrer le jeu des nations. Chacun sait qu’il ser
686
ur arbitrer le jeu des nations. Chacun sait qu’il
serait
déraisonnable de choisir comme arbitres d’un match les capitaines des
687
nt bien ce qu’avait tenté de faire la SDN, qui en
est
morte, et ce que tente à nouveau l’ONU, que cela empêche de vivre. La
688
ela empêche de vivre. La fédération européenne ne
sera
pas l’œuvre des gouvernants chargés de défendre les intérêts de leur
689
ur nation contre le reste du monde. La fédération
sera
l’œuvre de groupes et de personnes qui prendront l’initiative de se f
690
érer en dehors des gouvernements nationaux. Et ce
sont
ces groupes et ces personnes qui formeront le gouvernement de l’Europ
691
s d’autre voie possible et praticable. Les USA ne
sont
pas dirigés par une assemblée des gouverneurs des 48 États, ni la Sui
692
ni la Suisse par les délégués des 22 cantons. Ce
serait
impraticable. Ces deux fédérations sont gouvernées, au-dessus de leur
693
ons. Ce serait impraticable. Ces deux fédérations
sont
gouvernées, au-dessus de leurs États, et en dehors d’eux, par un exéc
694
our où les peuples d’Europe auront compris qu’ils
sont
en réalité beaucoup plus solidaires et plus unis que leurs gouverneme
695
unis que leurs gouvernements ne pourront jamais l’
être
, ils s’apercevront que la fédération est non seulement possible, mais
696
amais l’être, ils s’apercevront que la fédération
est
non seulement possible, mais facile à réaliser, et rapidement, comme
697
, mais facile à réaliser, et rapidement, comme le
fut
celle des cantons suisses en 1848. La nécessité en est évidente, la m
698
elle des cantons suisses en 1848. La nécessité en
est
évidente, la maturation historique en est fort avancée, les structure
699
sité en est évidente, la maturation historique en
est
fort avancée, les structures en sont déjà esquissées. Il n’y manque p
700
historique en est fort avancée, les structures en
sont
déjà esquissées. Il n’y manque plus qu’une charte fédérale, des organ
701
a main aux gouvernements. Souhaitons que cet élan
soit
spontané et non pas provoqué avant terme par une nouvelle menace exté
702
itiques, deux attitudes humaines possibles. Ce ne
sont
pas la gauche et la droite, devenues presque indiscernables dans leur
703
e indiscernables dans leurs manifestations. Ce ne
sont
pas le socialisme et le capitalisme, l’un tendant à se faire national
704
nt à se faire national et l’autre étatique. Ce ne
sont
pas la Tradition et le Progrès, qui prétendent également défendre la
705
rétendent également défendre la liberté. Et ce ne
sont
pas non plus la Justice et la Liberté, qu’il est aussi impossible d’o
706
sont pas non plus la Justice et la Liberté, qu’il
est
aussi impossible d’opposer en réalité qu’en principe. Aujourd’hui, re
707
espérance. Cette antithèse domine le siècle. Elle
est
son véritable drame. Toutes les autres pâlissent devant elle, sont se
708
e drame. Toutes les autres pâlissent devant elle,
sont
secondaires ou illusoires, ou dans le meilleur des cas lui sont subor
709
es ou illusoires, ou dans le meilleur des cas lui
sont
subordonnées. Les principes du fédéralisme, tels que je viens de les
710
taires. Tous les systèmes totalitaires, en effet,
sont
fondés sur l’hégémonie d’un parti ou d’une nation, sur l’esprit de sy
711
itique, et finalement militaire. Le totalitarisme
est
simple et rigide, comme la guerre, comme la mort. Le fédéralisme est
712
e, comme la guerre, comme la mort. Le fédéralisme
est
complexe et souple, comme la paix comme la vie… Et parce qu’il est si
713
ouple, comme la paix comme la vie… Et parce qu’il
est
simple et rigide, le totalitarisme est une tentation permanente pour
714
arce qu’il est simple et rigide, le totalitarisme
est
une tentation permanente pour notre fatigue, notre inquiétude, nos do
715
de démission spirituelle. L’esprit totalitaire n’
est
pas dangereux seulement parce qu’il triomphe aujourd’hui dans une diz
716
istes — fédéralistes comme on respire — la partie
sera
déjà plus qu’à moitié gagnée. Car si l’Europe doit durer, c’est aux f
717
nts ont un penchant marqué à persévérer dans leur
être
, et même à lui survivre aussi longtemps que possible avec l’appui de
718
emps que possible avec l’appui de la police. Or l’
être
des gouvernements, dans le monde actuel, c’est la souveraineté absolu
719
uveraineté absolue. Tous les États-nations qui se
sont
arrogé ces droits absolus sans devoirs, ont un penchant irrésistible
720
hant irrésistible à devenir totalitaires. Et ce n’
est
point que leurs hommes d’État soient particulièrement bêtes ou méchan
721
taires. Et ce n’est point que leurs hommes d’État
soient
particulièrement bêtes ou méchants, mais leur fonction leur interdit
722
rivalités des partis, ils courraient le risque d’
être
accusés de trahison s’ils transigeaient un seul instant avec le dogme
723
e la plupart d’entre eux désirent, ne peuvent pas
être
leur affaire, pour des raisons absurdes mais techniques. Il faut donc
724
. Il faut donc les pousser dans le dos, voilà qui
est
clair, pour qu’ils acceptent un jour de renoncer non pas à la souvera
725
iser la Nouvelle Résistance européenne, nous nous
sommes
déclarés responsables au récent congrès de Montreux, qui fédérait tou
726
fondements du mariage et de la famille ». Mais il
est
hasardeux de parler de la « conception chrétienne de l’amour » comme
727
t qui va de soi. Avant de la déclarer périmée, il
serait
normal d’en prendre connaissance, de la distinguer des conceptions bo
728
rait au moins distinguer amour et sexualité. Il n’
est
pas exact de dire, par exemple, que « l’homme primitif et l’homme civ
729
ique… » Car ce que les primitifs réglementaient n’
était
jamais l’amour au sens où nous l’entendons et qu’ils ignoraient total
730
, auxquelles l’amour ce « prisonnier » semblerait
être
soumis « depuis toujours ». Je crains bien que tout cela ne repose su
731
donc voudrait-on le libérer ? L’amour a toujours
été
libre. Bien plus, l’amour est le principe actif de toute libération h
732
L’amour a toujours été libre. Bien plus, l’amour
est
le principe actif de toute libération humaine. Il est la liberté même
733
le principe actif de toute libération humaine. Il
est
la liberté même. (Et quant à ceux qui croient que c’est la haine qui
734
doute que la police crée l’ordre, quand elle n’en
est
que le déchet.) Les seuls obstacles réels à l’amour sont en nous : sé
735
e le déchet.) Les seuls obstacles réels à l’amour
sont
en nous : sécheresse, blessures spirituelles, anxiété de l’orgueil to
736
uffira. Les sages et les saints de tous les temps
sont
avec vous pour affirmer la Liberté dans l’Amour et par l’Amour. Cet i
737
Liberté dans l’Amour et par l’Amour. Cet idéal n’
est
pas seulement « souhaitable » comme le suggère modestement votre ques
738
me le suggère modestement votre questionnaire, il
est
l’idéal par excellence de tout ce qui mérite le nom d’homme. Ama et f
739
ces mêmes slogans, la dictature policière. Cela s’
est
vu. C’est dans cette dégradation « dialectique » apparemment inévitab
740
ême pour laquelle une enquête comme la vôtre peut
être
conduite sans que mort s’en suive, ni même une amende. Si nos lois dé
741
u jour en tous termes que dans ce domaine-là tout
est
permis, on sentirait à peine la différence. Si par exemple elles adme
742
re générale, les sanctions dans le domaine sexuel
sont
négligeables parmi nous, si on les compare à celles qu’entraîne la si
743
politiques même non déclarées publiquement. Nous
sommes
loin des sociétés qui lapidaient les adultères, prescrivaient dans le
744
x. Si l’on estime que l’état présent de nos mœurs
est
satisfaisant, il en résulte qu’une « éthique de l’amour » (entendons
745
thique de l’amour » (entendons de la sexualité) n’
est
pas nécessaire ; car en fait nous n’en avons plus, ou juste assez pou
746
La balance n’
est
pas égale entre les États-Unis et l’URSS (8 novembre 1947)q L’anec
747
guide, ils ne circulent pas encore, mais vous, qu’
est
-ce que vous dites de la question des Noirs aux États-Unis, hein ? » C
748
rs aux États-Unis, hein ? » Ce dialogue de fous n’
est
pas celui des peuples, mais de certains journalistes qui parlent en l
749
l’esprit ! » Le raisonnement, sur huit colonnes,
est
le suivant : 1° « Henry Miller propage l’idée du monde la plus désesp
750
ope la lecture de Henry Miller, et ce dernier qui
est
« le plus rusé de tous » écrit ce qu’il faut pour servir « l’expansio
751
ope occidentale de Tolstoï et Dostoïevsky devrait
être
mis au crédit des sombres desseins du tsarisme ? Et, de même, l’insuc
752
, l’insuccès notoire de la littérature soviétique
serait
le fait d’un calcul de Staline ? Il se peut que les rédacteurs de L’H
753
s, au nom de la simple vérité. ⁂ Tout d’abord, il
est
notoirement faux d’écrire que Henry Miller a puisé son désespoir « da
754
és à Paris, et interdits en Amérique. Ensuite, il
est
notoirement faux et ridicule d’accuser les éditeurs américains de « t
755
ue de ce reproche : 1° Les éditeurs américains ne
sont
pas aux ordres de Truman, comme ceux de l’URSS sont aux ordres de Sta
756
nt pas aux ordres de Truman, comme ceux de l’URSS
sont
aux ordres de Staline ; 2° Les éditeurs américains cherchent à faire
757
en ; 3° Or les livres qui font de l’argent aux US
sont
les romans historiques et les romans religieux, qui tirent souvent à
758
mistes » de Faulkner et surtout de Miller, loin d’
être
des best-sellers, tirent à 5 ou 20 000 exemplaires, tandis que les œu
759
nne. Sur la dictature de l’argent aux USA, tout a
été
dit, et les cent anecdotes personnelles que je pourrais verser au dos
760
e sache. Comme dans tous les pays où l’entreprise
est
libre, mais plus que chez nous, parce que l’Américain n’est pas hypoc
761
mais plus que chez nous, parce que l’Américain n’
est
pas hypocrite dans ce domaine, les éditeurs de livres et de revues de
762
Ambre fit savoir à la jeune et jolie femme qui en
est
l’auteur qu’il jugeait l’ouvrage très mauvais, mais l’acceptait comme
763
u mot esprit dans ce contexte. Mais la question n’
est
pas si simple. Car après tout, c’est le goût du public qui fait le su
764
gain chez l’éditeur. En d’autres termes, si Ambre
est
un triomphe mondial qui réduit à néant ceux de Miller à Paris, c’est
765
er à Paris, c’est que la majorité du grand public
est
imbécile. Il faut donc l’éduquer, concluent les moralistes américains
766
Humanité. Mais dans la mesure même où ces digests
sont
des écoles de simplisme béat au service de l’idéologie majoritaire, n
767
ricaines, au lieu d’en faire meilleur usage. Nous
sommes
de petits malins qui refusent de choisir entre la peste et le choléra
768
s la balance égale… ⁂ Eh bien ! non, la balance n’
est
pas égale ! L’Amérique est tout de même un pays où les dégradations d
769
en ! non, la balance n’est pas égale ! L’Amérique
est
tout de même un pays où les dégradations de l’esprit, hélas ! réelles
770
ions de l’esprit, hélas ! réelles, peuvent encore
être
dénoncées, et le sont chaque jour avec une force, une pertinence, une
771
s ! réelles, peuvent encore être dénoncées, et le
sont
chaque jour avec une force, une pertinence, une cruauté qu’aucun crit
772
d Niehbur, pour ne rien dire des romanciers, il n’
est
pas une des tares américaines qui n’ait été décrite, avouée, analysée
773
il n’est pas une des tares américaines qui n’ait
été
décrite, avouée, analysée par les Américains eux-mêmes, avec une libe
774
et qui épouvanterait les staliniens. La balance n’
est
pas égale. Car ce qui dégrade l’esprit, ce sont bien moins les tentat
775
n’est pas égale. Car ce qui dégrade l’esprit, ce
sont
bien moins les tentations de l’argent et du succès vulgaire que les h
776
ommandé par l’État. Ce qui dégrade l’esprit, ce n’
est
pas le fait que les mauvais romans encombrent l’étalage, mais qu’on n
777
si le Parti les déclare orthodoxes. La balance n’
est
pas égale. Car d’un côté l’on se moque encore de la bêtise, de l’autr
778
possible. Je vais faire jouer cette pièce ici, ce
sera
le succès de fou rire de la rentrée. » ⁂ Quant à l’influence américai
779
de Miller, dont le succès, je l’ai montré, loin d’
être
le fait des éditeurs américains, est celui de notre public. Mais sur
780
tré, loin d’être le fait des éditeurs américains,
est
celui de notre public. Mais sur l’Europe, en général, l’influence amé
781
ur l’Europe, en général, l’influence américaine s’
est
exercée en deux occasions plus marquantes, je veux parler de 1917 et
782
je veux parler de 1917 et de 1942, et alors elle
fut
bien le fait de la volonté du peuple américain et de la politique de
783
s chefs. q. Rougemont Denis de, « La balance n’
est
pas égale entre les États-Unis et l’URSS », Le Figaro littéraire, Par
784
ge. Quelques faits La fédération de l’Europe
est
inscrite dans les faits les plus neufs de ce siècle, les uns techniqu
785
pas d’un coup d’œil, c’est que « l’homme moderne
est
démodé », comme l’a dit un Américain : sa conscience est en retard su
786
odé », comme l’a dit un Américain : sa conscience
est
en retard sur le milieu nouveau, sur les périls certains et les bienf
787
adre des nations, quand le jeu des forces réelles
est
international et opère à l’échelle des continents. Il pense encore en
788
nt des points immobiles, quand la mesure pratique
est
l’heure de vol. Il médite sur la carte des frontières, dont les résea
789
temps qu’elles les rendent plus étroits. L’Europe
est
plus petite que nous ne pensions, le monde plus grand. Nos descendant
790
léry ait pu nous étonner en notant que l’Europe n’
est
qu’un cap de l’Asie. À ces faits matériels vient s’ajouter le grand f
791
e et nous pousse à l’union. Séparés, isolés, nous
serons
colonisés. Ensemble, nous serons aussi nombreux que les deux Grands a
792
és, isolés, nous serons colonisés. Ensemble, nous
serons
aussi nombreux que les deux Grands additionnés. Ils baisseront le ton
793
les pistolets déposés sur la table ? Deux mondes
sont
en présence, que nous n’approuvons pas, pour des raisons d’ailleurs t
794
, pour des raisons d’ailleurs très inégales. L’un
est
collectiviste, l’autre individualiste. Dans notre immense majorité no
795
s nous méfions du second. Notre idée de l’homme n’
est
pas celle du Kremlin ni celle du businessman américain. Nous ne voulo
796
u’un quart du corps électoral dans les pays où il
est
le plus fort, et qui ne peut faire notre unité que sur nos ruines, pa
797
camps. À l’égard de l’Amérique notre refus, pour
être
beaucoup moins brutal, n’est pas moins franc. Nous avons besoin d’ell
798
e notre refus, pour être beaucoup moins brutal, n’
est
pas moins franc. Nous avons besoin d’elle matériellement, elle a beso
799
le stade de l’individualisme économique. Son rôle
est
d’inventer un régime neuf, plus souple et plus humain que la dictatur
800
ous pour un. Voilà la vocation de l’Europe. Or il
est
clair qu’aucune de nos nations n’est en mesure de la réaliser pour so
801
urope. Or il est clair qu’aucune de nos nations n’
est
en mesure de la réaliser pour son seul compte et sans échanges. Aucun
802
r pour son seul compte et sans échanges. Aucune n’
est
assez riche et assez forte pour réussir sans ses voisins, ou pour rés
803
ressions impériales. Et l’idée de coopération qui
serait
au cœur de ce régime social, et qui inspire partout sa recherche, ne
804
n Il semble à première vue qu’un tel programme
soit
si clairement inscrit dans les données du siècle et si lisible aux me
805
sième refus, celui de l’Europe, jusqu’à ce qu’ils
soient
dûment colonisés ! » Personne n’ose dire cela, ou comme cela. Mais ce
806
isme, défaitisme et stalinisme. Le nationalisme n’
est
en fait qu’une crispation de névrose féodale, un complexe de repli de
807
consiste à déclarer que la guerre des deux blocs
est
fatale ; inutile de rien faire en l’attendant, et surtout pas quelque
808
n le stalinisme a décrété que l’union de l’Europe
est
antirusse, ce qui est la manière stalinienne de dire que la Russie ne
809
été que l’union de l’Europe est antirusse, ce qui
est
la manière stalinienne de dire que la Russie ne veut pas la paix de l
810
t régime démocratique. Le refus sur deux fronts n’
est
pas une politique. Quand il est autre chose que l’effet naturel d’une
811
sur deux fronts n’est pas une politique. Quand il
est
autre chose que l’effet naturel d’une grande affirmation centrale, il
812
t naturel d’une grande affirmation centrale, il n’
est
même pas un vrai refus : il ne peut mener qu’à accepter par force ce
813
ombattu dans la faiblesse au nom de rien. Mais où
est
la grande affirmation centrale, le grand but de cette drôle de paix ?
814
êmes déclenchée. Et nous savons pourtant que nous
sommes
plus libres qu’eux, et plus sages que les Américains. Mais nous resto
815
rtés : le but, l’essence de la pensée fédéraliste
étant
précisément de trouver les moyens d’articuler, d’arranger sans les tu
816
miques) dans un corps, non dans un carcan. Ce qui
est
la politique par excellence, n’en déplaise aux sectaires de tous bord
817
de tous bords. La véritable troisième force, ce n’
est
pas je ne sais quel groupement de doubles négations et de demi-mesure
818
le fédéralisme, qui veut que la Terre promise ne
soit
pour nous ni l’Amérique ni la Russie, mais cette vieille terre à raje
819
rès de l’Union européenne des fédéralistes, qui s’
est
tenu à Montreux à la fin du mois d’août. r. Rougemont Denis de, « U
820
sur la voie clandestine (hiver 1948)t Il faut
être
aussi rationnel que possible. Pas davantage. On verra bien jusqu’où c
821
Ensuite on verra mieux ce qui va plus loin. Ce n’
est
pas une erreur qui doit ouvrir la voie. Mais essayons de ramener l’at
822
nt de fois refusé dans un écart désarçonnant : qu’
est
-ce que le destin d’un homme, — mon destin ? C’est ici que la voie pre
823
ue la voie prend naissance. Tu as un destin si tu
es
distinct. Tout homme, dès qu’il se voit isolé par le sort, entre en s
824
, comme le corps quand la tête a passé. Car si je
suis
unique, il est une voie qui n’est tracée que pour moi seul, et que se
825
quand la tête a passé. Car si je suis unique, il
est
une voie qui n’est tracée que pour moi seul, et que seul je pourrai d
826
ssé. Car si je suis unique, il est une voie qui n’
est
tracée que pour moi seul, et que seul je pourrai deviner comme on fai
827
’insignifiance d’une vie où l’argent et la guerre
sont
seuls à organiser la cohue, le superstitieux simplement sera celui qu
828
à organiser la cohue, le superstitieux simplement
sera
celui qui ne désespère pas de trouver quelque sens acceptable sous l’
829
le seul optimiste parmi nous, qui ait causé de l’
être
sans niaiserie. S’il s’arrête à telle apparence curieusement précise
830
fait allusion à ce qui va venir, ou parce qu’elle
est
un peu moins apparence que tout le reste et un peu plus apparition. C
831
t 9 — le démoniaque et le divin, pour lui — et ce
sont
la Sixième Avenue et la Neuvième Rue, justement — s’il y pense, il es
832
et la Neuvième Rue, justement — s’il y pense, il
est
dans le jeu. Dans un état signifiant et rythmé. Il ne voit plus l’éch
833
des mystères communs. Mais le matériel symbolique
est
assez curieusement restreint, les symboles efficaces en nombre limité
834
sans visage… Il semble que ces formes et figures
soient
presque seules à définir le pouvoir d’illustrer les messages émis par
835
sard. Mais nous touchons ici au fétichisme, qui n’
est
qu’une obsession morbide du sens des signes. ⁂ Quand tout se ferme de
836
e clin d’œil de mes superstitions improvisées. Qu’
est
-ce donc que cela ? Un moyen de me refonder sur mes assises inconscien
837
les signes que j’accueille ont bien des chances d’
être
dans la complicité de mon exigence secrète. C’est elle, au vrai, qui
838
qui donne un sens. Mais les neuf autres n’ont pas
été
vaines, ni muettes. Car elles m’ont dit : tu n’es pas toi, ou pas ici
839
té vaines, ni muettes. Car elles m’ont dit : tu n’
es
pas toi, ou pas ici, tu n’y es plus ou pas encore. Elles m’ont ramené
840
s m’ont dit : tu n’es pas toi, ou pas ici, tu n’y
es
plus ou pas encore. Elles m’ont ramené… » Le superstitieux va loin, s
841
es m’ont ramené… » Le superstitieux va loin, s’il
est
grand : dans la voie de l’incomparable, il va jusqu’au bout de lui-mê
842
⁂ Erreur commune : s’il n’y a pas de hasard, tout
serait
donc déterminé ? Nous n’aurions plus qu’à suivre une voie rigide, fix
843
ougir. Il n’y a pas de hasard, mais pourtant nous
sommes
libres. Je ne sais qui dispose de moi, mais la contrainte, si c’en es
844
s qui dispose de moi, mais la contrainte, si c’en
est
une, certainement n’est pas mécanique. La voix insiste ou bien n’insi
845
is la contrainte, si c’en est une, certainement n’
est
pas mécanique. La voix insiste ou bien n’insiste plus ; elle parle pl
846
es portes se ferment et se rouvrent ; mon oreille
est
plus ou moins fine ; je m’oriente ou me désoriente… C’est une immense
847
ente… C’est une immense affaire d’amour ! Nous ne
sommes
pas aimantés comme des grains de limaille, nous sommes aimés par un d
848
s pas aimantés comme des grains de limaille, nous
sommes
aimés par un destin. Et parfois il nous traite avec indifférence, par
849
nt probablement plus que jamais encore je ne me l’
étais
avoué : celle du changement instantané de tout, en sorte que nul ne s
850
ntané de tout, en sorte que nul ne s’en doute. Ne
serait
-ce pas sur cette croyance que reposent les vœux, incantations, magie
851
moureux égale superstitieux, parce que tout amour
est
unique, et doit donc inventer ses signaux, indices, repères et mesure
852
es et qui aiment : « Question de peaux. » Nous en
sommes
là. On avancerait un peu en disant : « Question d’astres. » ⁂ Poète é
853
ils ne l’inventent qu’en la suivant telle qu’elle
était
, ou ne la suivent qu’en l’inventant telle qu’elle devient ? Créer ou
854
le beau vers accourt sur douze pieds, et la femme
est
au rendez-vous. (Allez répéter cela devant un jury ! Allez donc refai
855
in sacrilège, l’un des murs de cette citadelle qu’
est
, pour la république des Lettres, l’immeuble des Éditions Gallimard. C
856
s de l’humain pourraient-ils m’échapper ? Sa voix
est
douce, mais nette ; il s’exprime avec gravité. Souvent un sourire acc
857
du vieil Anaxagore, à penser avec les mains ? Je
suis
né à Neuchâtel, me dit Denis de Rougemont. J’ai fait des études de le
858
en Allemagne et en Hongrie. Pendant un temps, je
fus
lecteur de français à l’Université de Francfort. En 1931, je vins en
859
guerre rappela Denis de Rougemont en Suisse ; il
fut
mobilisé à l’état-major de Berne. Lors de l’entrée de Hitler à Paris,
860
a Gazette de Lausanne un article qui me valut d’
être
condamné à quinze jours de forteresse ! En septembre 1940, il était e
861
uinze jours de forteresse ! En septembre 1940, il
était
envoyé en Amérique pour y faire des conférences. Il n’en revint qu’au
862
Einstein, l’inventeur de la bombe atomique. Nous
étions
voisins, me raconte Denis de Rougemont. Chaque jour, vers onze heures
863
e sentait responsable de sa découverte ? Einstein
est
pacifiste, il est antimilitariste. Que les conséquences de sa découve
864
ble de sa découverte ? Einstein est pacifiste, il
est
antimilitariste. Que les conséquences de sa découverte l’effrayent, c
865
, pense-t-il que, même sans lui, le secret aurait
été
découvert, et que par conséquent… « La bombe, m’a-t-il dit, n’a pas c
866
un rideau de fer, c’est pour que leur pauvreté ne
soit
pas découverte. Einstein souhaite que tous les autres pays forment un
867
S finisse par se rendre compte que son avantage n’
est
pas de s’y opposer perpétuellement et en vain, mais d’y entrer. Je n’
868
antique. Il me répond : La littérature américaine
est
dans un certain sens plus saine que la nôtre. Les disputes autour de
869
ait. Et c’est cela qui me semble essentiel. Ils n’
étaient
pas des inadaptés comme, au contraire, le furent les hommes de lettre
870
étaient pas des inadaptés comme, au contraire, le
furent
les hommes de lettres du xixe siècle, par exemple. Voyez Nietzsche,
871
Baudelaire, et Kierkegaard, dont toute l’œuvre n’
est
qu’immense effort pour atteindre les gens et qui est mort — oui, litt
872
qu’immense effort pour atteindre les gens et qui
est
mort — oui, littéralement — qui est mort de cela. Ils demeurèrent tou
873
s gens et qui est mort — oui, littéralement — qui
est
mort de cela. Ils demeurèrent toujours en marge de la société, parce
874
emporains, c’est Camus et Simone de Beauvoir. » N’
était
-ce pas là façon de se désigner soi-même… par personne interposée ? De
875
s étonné, ici, dans la littérature, c’est qu’elle
soit
aujourd’hui encore représentée par la génération des hommes de 40 à 5
876
lle, Breton… Après l’autre guerre, ce n’avait pas
été
ainsi. C’est, me semble-t-il, dis-je à mon tour, que le fossé creusé
877
n tour, que le fossé creusé par la guerre de 1914
était
moins profond que celui qu’a creusé cette guerre-ci. Pour les jeunes
878
écouvrir un monde nouveau et de l’organiser. Tout
est
à recréer. Ils n’ont encore rien à dire, ou ce qu’ils voudraient expr
879
ore rien à dire, ou ce qu’ils voudraient exprimer
est
encore imprécis. Ceux qui élèvent la voix, les hommes de 40 ans comme
880
eux une vision du monde, un message auxquels ils
sont
demeurés fidèles. La guerre, la défaite, l’exil ont pu les dérouter ;
881
il ont pu les dérouter ; leurs idées n’en ont pas
été
transformées pour autant. Voilà pourquoi ce sont eux et eux seuls qu’
882
s été transformées pour autant. Voilà pourquoi ce
sont
eux et eux seuls qu’on entend, ou du moins qu’on écoute. Les autres n
883
entend, ou du moins qu’on écoute. Les autres n’en
sont
encore qu’aux balbutiements. La musique s’est tue. Les tables se vide
884
en sont encore qu’aux balbutiements. La musique s’
est
tue. Les tables se vident. Dans ce bar souterrain règne toujours la m
885
épusculaire. Nul mouvement, nul bruit de la rue n’
est
perceptible ici. L’on dirait qu’on est en marge du temps. Cela donne
886
e la rue n’est perceptible ici. L’on dirait qu’on
est
en marge du temps. Cela donne à notre colloque une apparente gratuité
887
aut dépasser leurs frontières. Bien souvent, ce n’
est
pas dans leur pays d’origine qu’ils rencontrent le plus large accueil
888
ine qu’ils rencontrent le plus large accueil. Ils
sont
tentés d’aller là où ils se sentent le mieux compris, où leurs parole
889
ette transformation de leur existence ne peut pas
être
sans influence profonde sur leurs pensées et leur œuvre. Enfin, nous
890
e. Enfin, nous en venons à parler de l’Europe. Je
suis
profondément européen, me déclare Denis de Rougemont. Mais je pense q
891
gemont. Mais je pense que notre continent ne peut
être
sauvé que par une organisation fédérative. Le modèle en est fourni pa
892
que par une organisation fédérative. Le modèle en
est
fourni par la Suisse dont tout le système est fondé sur une dialectiq
893
en est fourni par la Suisse dont tout le système
est
fondé sur une dialectique : un pour tous, tous pour un. Cela signifie
894
l repose sur l’amour de la complexité. Et, ce qui
est
non moins important, il se forme de proche en proche, par le moyen de
895
risme m’apparaît comme le pire danger auquel nous
sommes
exposés. Son importance donne la mesure de notre absence de présence
896
nce au monde. Tout comme la guerre et la mort, il
est
simple et rigide. Le fédéralisme, au contraire, est complexe et soupl
897
t simple et rigide. Le fédéralisme, au contraire,
est
complexe et souple comme la paix, comme la vie. Il ne faut pas avoir
898
Suisse en reconnaît les bienfaits. Pourquoi n’en
serait
-il pas de même pour l’Europe ? Mais, encore une fois, il convient de
899
l, que toutes les professions, toutes les classes
soient
représentées. Je vous le répète ; c’est dans la mesure où toutes les
900
alement fédéralistes, je vous l’assure, la partie
sera
plus qu’à moitié gagnée. Voici venue l’heure de nous séparer. Nous fa
901
e, côte à côte, quelques pas dans la rue. La nuit
est
tombée ; les passants se hâtent de rentrer. Bientôt, Denis de Rougemo
902
ntre 20 et 40 ans. Mais son plus important projet
est
de composer une morale qu’il intitulera : La Règle du jeu. Espérons q
903
tomique n’interrompra pas vos travaux… La bombe n’
est
pas dangereuse du tout, me répond-il. C’est un objet. Les objets ne m
904
mais fait peur, non plus que les machines. Ce qui
est
dangereux, horriblement dangereux, c’est l’homme. C’est lui qu’il fau
905
anvier 1948)u Les uns nous disent que le choix
est
fatal entre l’URSS et les USA, et les autres refusent le choix parce
906
lement à la guerre. Pour les premiers, l’Europe n’
est
plus rien par elle-même et devrait s’attacher au plus vite soit au bl
907
par elle-même et devrait s’attacher au plus vite
soit
au bloc russe soit au dollar américain. Mais les seconds proclament q
908
evrait s’attacher au plus vite soit au bloc russe
soit
au dollar américain. Mais les seconds proclament qu’ils ne choisiront
909
du stalinisme et le refus de l’américanisme. Tel
est
le dialogue qui se poursuit depuis des mois : choisir ou non entre le
910
locs. Tout cela repose sur l’idée simple que nous
sommes
pris entre deux grands empires également impérialistes, également avi
911
yées par la Maison-Blanche. Autrement dit, l’URSS
est
présente dans toute l’Europe aux élections et dans les parlements, el
912
oposer qu’un genre de vie, leur way of life qui n’
est
nullement une arme de combat. Par rapport à l’Europe, les intentions
913
rt à l’Europe, les intentions des deux empires ne
sont
pas davantage comparables. On l’a bien vu lors de la Conférence des S
914
il donc chercher l’impérialisme ? Avouons qu’il n’
est
pas le même des deux côtés. Un contraste frappant Et si l’on reg
915
lité à l’intérieur des deux empires, le contraste
est
encore plus frappant. En Russie, on liquide l’opposition, en Amérique
916
Russie, on liquide l’opposition, en Amérique elle
est
entièrement libre, et mieux que cela : on en tient compte. En Russie,
917
idéal qui ne change pas tous les six mois, car il
est
la morale commune, et non pas une simple tactique. Et ainsi de suite.
918
n tire devant le tout un rideau de fer, la Russie
est
un bloc dans tous les sens du terme. Mais l’Amérique n’en est pas un,
919
dans tous les sens du terme. Mais l’Amérique n’en
est
pas un, elle qui vise aux libres échanges, tolère les pires indiscrét
920
lle des autres, et non de leur misère. L’Amérique
est
une démocratie, et une démocratie vivante n’est pas un bloc. Un se
921
e est une démocratie, et une démocratie vivante n’
est
pas un bloc. Un seul remède : nous fédérer Que devient alors ce
922
pour nous, malgré nous. Si nous n’acceptons pas d’
être
ses satellites, elle nous déclare et nous croit ses ennemis et les es
923
Ce
sont
les Français qui ont commencé (La querelle des « condensés… ») (14 fé
924
s, pensant avoir assez compris. Dira-t-on qu’elle
était
Américaine ? À l’époque, on vit dans ce trait une exagération de l’es
925
lques semaines l’apparition des « condensés », on
serait
tenté de croire que ces produits sont d’invention américaine, et que
926
sés », on serait tenté de croire que ces produits
sont
d’invention américaine, et que leur soudaine diffusion provient d’une
927
s’attache aux audaces d’outre-Atlantique. S’ils s’
étaient
contentés de mots français bien connus, comme résumé ou adaptation, l
928
eu de condensé pour que l’on s’aperçoive que nous
sommes
en présence d’une querelle aussi vieille que celle des manuels. Et il
929
parler d’adaptations (ou d’abrégés) pour que l’on
soit
contraint de reconnaître dans l’entreprise des éditeurs modernes la s
930
qui tombe », écrit Lanson, « c’est tout ce qui n’
est
pas la notation sèche du fait », c’est la poésie, c’est le style d’Ho
931
is oublier les Mille et Une Nuits de Galland, qui
sont
pourtant le record du genre, comme on peut le vérifier d’un coup d’œi
932
L’Odyssée, et même des Saintes Écritures, dont s’
est
nourrie toute notre enfance. Il est vrai qu’en tout cela je n’ai cité
933
tures, dont s’est nourrie toute notre enfance. Il
est
vrai qu’en tout cela je n’ai cité que des traductions, et que ni Goet
934
angue. On connaît la fortune des Lamb’s Tales qui
sont
des résumés en prose, par Charles Lamb, des comédies et tragédies de
935
supposé du public d’une époque et d’un pays, ce n’
est
pas une invention américaine, mais une ancienne coutume européenne, e
936
remarques touchant la valeur même du procédé. Il
est
probable que le « condensé » n’aurait pas provoqué pareille indignati
937
areil succès dans le grand public, s’il n’eût pas
été
présenté comme américain d’origine. (Américain signifiant pour les un
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excitant et moderne.) Or non seulement le procédé
est
fort ancien, mais encore l’Amérique en abuse moins que nous. Au reste
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abuse moins que nous. Au reste, ces « condensés »
sont
très loin de jouer dans l’édition américaine le rôle exorbitant que n
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ais que j’ai cités suffisent à faire voir qu’elle
est
infiniment variable. La Motte et Ducis appauvrissent, défigurent, sac
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n va du pire à l’excellent. Le procédé lui-même n’
est
pas en cause, mais bien le talent de celui qui l’applique, et peut-êt
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(ou la victime) que l’on choisit. À ce propos, il
est
curieux de relever que tout se passe comme si les grands chefs-d’œuvr
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prix Tartempion. J’avouerai même, pendant que j’y
suis
, que ce qui me choque dans l’entreprise des éditeurs français de « co
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ans mauvaise humeur que Don Quichotte ou Robinson
soient
résumés à l’usage des enfants et des adolescents. Mais le fameux gran
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s le fameux grand public, si cher aux éditeurs, n’
est
-il pas un enfant devant la vraie culture ? N’a-t-il pas droit aux mêm
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ruire, ne court-il pas les mêmes dangers que s’il
était
« condensé » en cinquante pages ? Faut-il crier à l’américanisme ? Ou
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a rien fait pour la culture des masses ; car nous
sommes
en démocratie, et les masses y sont le despote qu’il s’agit avant tou
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; car nous sommes en démocratie, et les masses y
sont
le despote qu’il s’agit avant tout d’éclairer. Mais il n’est pas vain
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ote qu’il s’agit avant tout d’éclairer. Mais il n’
est
pas vain d’exiger que les fabricants de condensés se donnent des règl
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ons complètes de l’œuvre, dans tous les cas où il
est
possible de se les procurer chez le libraire. Tous les critiques fran
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ent-ils pas se liguer pour qu’un code de ce genre
soit
adopté ? v. Rougemont Denis de, « Ce sont les Français qui ont com
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enre soit adopté ? v. Rougemont Denis de, « Ce
sont
les Français qui ont commencé (La querelle des « condensés… ») », Le