1 1946, Articles divers (1946-1948). Théologie et littérature (1946)
1 Théologie et littérature (1946)b 1. Il faut tenir la théologie chrétienne pour la mère de la pensée occidentale, de mêm
2 occidentale, de même que l’Église, par son culte, est la mère de presque tous nos arts. La musique est née dans le chœur de
3 est la mère de presque tous nos arts. La musique est née dans le chœur des églises et des chapelles de couvents. La peintu
4 elles de couvents. La peinture et la sculpture se sont constituées sur les autels, dans les nefs, et autour des architecture
5 tures sacrées. Nos premiers rythmes poétiques ont été propagés par le latin d’église. Et ce n’est point que tous ces arts c
6 s ont été propagés par le latin d’église. Et ce n’ est point que tous ces arts classiques ne soient sortis de l’enceinte ecc
7 Et ce n’est point que tous ces arts classiques ne soient sortis de l’enceinte ecclésiastique dès le déclin du Moyen Âge, mais
8 iastique dès le déclin du Moyen Âge, mais il n’en est aucun dont l’esprit et l’histoire ne manifestent à chaque instant l’i
9 e nos disciplines de pensée et la théologie, pour être moins généralement reconnu, n’en est pas moins étroit ni moins fécond
10 logie, pour être moins généralement reconnu, n’en est pas moins étroit ni moins fécond à observer. 2. Depuis les temps où
11 bserver. 2. Depuis les temps où la philosophie n’ était que la servante de la théologie, ses efforts d’émancipation les plus
12 ccès, n’ont pu que confirmer une dépendance qui n’ est certes plus de droit, mais n’en demeure pas moins de fait et de natur
13 élienne. De nos jours, le vocabulaire technique s’ est transformé, les références aux dogmes ont disparu, l’appareil logique
14 rapports entre la théologie et la littérature ne sont pas aussi clairs, ni aussi facilement définissables et contrôlables.
15 ussi facilement définissables et contrôlables. Il est vrai que certaines influences directes, attestées par les écrivains e
16 paraît pas que le problème dans son ensemble ait été clairement posé ou étudié, ni par les docteurs de l’Église, ni par le
17 iproque dans laquelle théologiens et écrivains se sont installés pour la plupart, est-elle vraiment sans conséquence pour le
18 s et écrivains se sont installés pour la plupart, est -elle vraiment sans conséquence pour les uns et les autres, et pour l’
19 ns et les autres, et pour l’élite en général ? Il est clair que la théologie n’a pas besoin de la littérature et peut s’en
20 e critiquer le dogme chrétien dans l’Église, elle est en droit de laisser à d’autres le soin d’appliquer ses critères hors
21 ’appliquer ses critères hors de l’Église. Mais il est beaucoup moins évident que la littérature puisse se passer impunément
22 uisse se passer impunément de la théologie. Et il est bien certain que lorsqu’elle s’en passe, les effets s’en font sentir
23 qu’elles envisagent, les valeurs morales qu’elles tiennent pour allant de soi, tout est devenu trop différent, et presque sans c
24 orales qu’elles tiennent pour allant de soi, tout est devenu trop différent, et presque sans commune mesure. À qui la faute
25 s commune mesure. À qui la faute ? 4. Certes, je suis le premier à redouter que les théologiens se mettent à faire de la cr
26 et à faire oublier leur « spécialité ». Mon idée serait bien plutôt d’exiger des critiques littéraires un minimum de connaiss
27 se montrent cruellement dépourvus. Et de même, je suis le premier à protester contre ces citations d’auteurs à la mode — ou
28 ernes ont coutume « d’orner » leurs sermons. Ce n’ est pas la littérature qui doit prêter secours à la Parole de Dieu, mais
29 e homme. Ceci dit, j’en reviens à mon propos, qui était de soulever une question, et de suggérer pour son étude quelques hypo
30 ypothèses de travail. 5. L’ignorance générale où sont les écrivains modernes des rudiments de la théologie a pour conséquen
31 de n’avoir point connu l’existence de traditions soit orthodoxes soit hérétiques, c’est le cas le plus fréquent, dont à gra
32 t connu l’existence de traditions soit orthodoxes soit hérétiques, c’est le cas le plus fréquent, dont à grands frais ils re
33 montrer comment les troubadours, dont la doctrine fut reprise par les auteurs du Tristan, d’où sont issus presque tous nos
34 rine fut reprise par les auteurs du Tristan, d’où sont issus presque tous nos romans, étaient nourris de l’hérésie manichéen
35 Tristan, d’où sont issus presque tous nos romans, étaient nourris de l’hérésie manichéenne, et l’ont ainsi fait vivre jusqu’à n
36 bras au ciel, ou pointer le doigt du moraliste, n’ est pas faire acte de charité à l’égard des efforts de l’avant-garde, d’a
37 ecours ? Va-t-on lui tourner le dos parce qu’elle est tapageuse, scandaleuse et d’une conduite peu régulière, la confirmant
38 confirmant ainsi dans sa persuasion que l’Église est bonne pour les petits bourgeois, n’a rien à dire aux esprits libres e
39 leur donnait rien. Exemple : Kierkegaard. Il ne fut pas un théologien au sens strict, mais toute son œuvre manifeste une
40 s deux Amériques. Notons que si cette influence s’ est montrée décisive dans beaucoup de conversions, elle n’a pas eu pour e
41 adhésion des convertis à une Église déterminée. N’ est -ce point là le signe d’une incompatibilité inquiétante entre l’élite
42 raitent de sujets religieux. Ici encore, « ce ne sont pas ceux qui disent : Seigneur ! Seigneur !… mais ceux qui font la vo
43 ieux. Faire la volonté de Dieu, en écrivant, ce n’ est pas simplement parler de Dieu et de sa volonté, ni même en parler ave
44 d’ouvrages religieux dont le style journalistique est incompatible avec aucune espèce de réalité spirituelle. L’auteur ne c
45 ’est que toute œuvre littéraire, si profane qu’en soit le sujet, implique une théologie (fût-ce à l’insu de son auteur), et
46 fane qu’en soit le sujet, implique une théologie ( fût -ce à l’insu de son auteur), et qu’elle l’exprime par les mouvements m
47 par son argumentation. Expliciter cette théologie serait rendre un service important aux auteurs non moins qu’au public. Ces b
2 1946, Articles divers (1946-1948). Le supplice de Tantale (octobre 1946)
48 n du Tartare, où la pesante logique de la matière est abolie pour peu que l’homme se manifeste. Serait-ce un pur lieu de l’
49 ère est abolie pour peu que l’homme se manifeste. Serait -ce un pur lieu de l’esprit ? Oui, car à l’instant même où Tantale est
50 e l’esprit ? Oui, car à l’instant même où Tantale est ému, où il forme un projet, où il agit, les lois de la chute des corp
51 ois de la chute des corps et de leur inertie, qui sont celles mêmes de la mort, font place aux lois des dieux, qui sont cell
52 es de la mort, font place aux lois des dieux, qui sont celles de l’esprit ; et des dieux irrités contre l’homme, c’est-à-dir
53 t de sa convoitise — emblèmes ou signes, car tout tient ici à des événements intérieurs. Tout tient à l’homme et tout illustr
54 tout tient ici à des événements intérieurs. Tout tient à l’homme et tout illustre une des structures fondamentales de son êt
55 illustre une des structures fondamentales de son être . Tantale avait commis deux crimes, dit la Fable. Admis à la table de
56 air à la table divine. Les liqueurs d’immortalité sont ici comme des signes de la Grâce, dont un homme chercherait à s’empar
57 philanthropie préside au vol de Tantale, quand il est assez clair qu’il jalouse les dieux, leur divination, leur puissance,
58 ensuite aux dieux comme nourriture meilleure, il est surprenant d’observer qu’elle invertit exactement le sacrifice du Fil
59 ls en meurent, — s’ils perdent leur divinité de s’ être une fois laissé surprendre et abuser. À cette double infraction aux g
60 répond un châtiment dont on croit deviner qu’il n’ est qu’une double réfraction du crime dans l’ordre humain. Parce qu’il a
61 , ou d’un appel venu d’ailleurs. (Les « dieux » n’ étant , en fait, que ses propres limites.) Dans l’histoire du supplice de Ta
62 ’histoire du supplice de Tantale, cet automatisme est si sûr qu’il autorise à des spéculations précises, encore que fantast
63 instant où il veut les atteindre, et tout cela ne tient vraiment qu’à lui, qu’aux dispositions de son âme : c’est que celles-
64 t un instant de pur abandon — payé de sa mort, il est vrai, pour quelle indescriptible renaissance ! — préfère subir le sup
65 la légende, à sa faim, à sa soif et à sa peur. Il est cet homme qui, dans chacun de nous, préfère le désir, même douloureux
66 e nous, préfère le désir, même douloureux d’avoir été mille et mille fois déçu — mais c’est encore son désir, donc lui-même
67 à la proie qu’il ne posséderait qu’en acceptant d’ être changé d’abord. Que lui servirait, pense-t-il, de gagner le monde s’i
68 l, de gagner le monde s’il y perdait son moi ? Il est certain qu’à sa manière il a raison. Car à gagner, l’on perd toujours
69 ividu qui aurait désiré si longtemps que tout son être en fût devenu attente, espoir et nostalgie. Cet être-là mourrait néce
70 i aurait désiré si longtemps que tout son être en fût devenu attente, espoir et nostalgie. Cet être-là mourrait nécessairem
71 e en fût devenu attente, espoir et nostalgie. Cet être -là mourrait nécessairement, et par définition, du don reçu. Ou encore
72 t, et par définition, du don reçu. Ou encore : un être nouveau surgirait dans l’instant du don, pour le recevoir en son lieu
73 entifie à l’une de ses tendances, celui qui gagne est donc toujours un autre. Et celui qui désire ne gagnera jamais. C’est
74 ais. C’est le sophisme de l’empereur : Napoléon n’ est pas un Bonaparte comblé, mais quelqu’un qui s’est substitué, sous le
75 est pas un Bonaparte comblé, mais quelqu’un qui s’ est substitué, sous le manteau d’hermine, à Bonaparte. Le romantique qui
76 ’hermine, à Bonaparte. Le romantique qui rêvait d’ être empereur est mort le jour du couronnement. Tous nos succès, tous nos
77 naparte. Le romantique qui rêvait d’être empereur est mort le jour du couronnement. Tous nos succès, tous nos actes sans do
78 ment. Tous nos succès, tous nos actes sans doute, sont ainsi à quelque degré des modifications de notre identité, des aliéna
79 , des aliénations de nous-mêmes. À la limite, ils sont autant d’usurpations. Changeons maintenant de plan spirituel, et tra
80 ouve ainsi conçue : « Tous mes biens tels qu’ils sont et vont reviendront et appartiendront à celui des sept de MM. mes Nev
81 essera le protocole. Si tout reste sec, mes biens seront donnés au légataire universel dont le nom va suivre. » À ce point, le
82 qu’il y a d’émouvant dans les livres. Klitte, qui est alsacien, jure que pour tout l’or du monde, une plaisanterie de ce ge
83 ue s’il parvient à pleurer à force de rire, ce ne sera qu’un vol pur et simple, mais l’Alsacien proteste que s’il rit, « c’e
84 rien ne vient. Le jeune prédicateur Flachs, lui, serait tout disposé à se lamenter ecclésiastiquement, mais la vision de la m
85 on de l’oncle, s’avançant vers lui sur ces flots, est bien trop réjouissante… Glanz, le conseiller d’église, se met à faire
86 puis Lazare et ses chiens, la tête de beaucoup d’ êtres , les souffrances du jeune Werther, un petit champ de bataille, lui-mê
87 ra pas : car la vision de la proie qui s’approche sera « bien trop réjouissante » pour son cœur, et le Royaume convoité s’él
88 ives fuiront ses lèvres ; car il faudrait, pour y être immergé, accepter de mourir d’abord à ses propres désirs et à soi-mêm
89 soi-même. (Et c’est le symbole du Baptême.) Telle est la ruse de l’Amour insondable. Admirons-en la précision miraculeuse !
3 1946, Articles divers (1946-1948). Genève, rose des vents de l’esprit (19 décembre 1946)
90 s dispense d’y revenir en détail. Mais nous avons tenu à recueillir les impressions de M. Denis de Rougemont, l’un de nos pl
91 mancier français Georges Bernanos, tous deux ne s’ étant pas trop égarés dans les mots en urne, ayant appelé un chat un chat e
92 onfie Denis de Rougemont. La liberté d’opposition est typiquement européenne. Même sans en tirer de conclusion, sans trouve
93 e solution pratique, autant que possible. Mais il est capable, après une conversation, de changer d’opinion. Pas l’Européen
94 he dans ses convictions et pense que l’adversaire est méchant, puisqu’il ne pense pas comme lui. Des entretiens, tels qu’il
95 ls qu’ils viennent d’avoir lieu à Genève, eussent été un four aux États-Unis. En Russie, ils auraient été interdits. Person
96 é un four aux États-Unis. En Russie, ils auraient été interdits. Personnellement, je regrette qu’aucun Russe n’ait répondu
97 . Je lui dirai : « Vous accusez les démocraties d’ être purement formelles, de n’être pas complètement réalisées ; vous préte
98 z les démocraties d’être purement formelles, de n’ être pas complètement réalisées ; vous prétendez, vous, Russie, être une d
99 ètement réalisées ; vous prétendez, vous, Russie, être une démocratie réelle. Et vous avez des camps de concentration, et vo
100 et vous refoulez les reporters étrangers et vous êtes le peuple le plus militariste du monde. Si vous vous dites un pays dé
101 démocratique, c’est simple mot. Votre démocratie est plus formelle que celles de nous tous. Nous, nous acceptons de n’être
102 ue celles de nous tous. Nous, nous acceptons de n’ être pas complètement démocratisés ; vous, vous ne l’acceptez pas. À vous
103 homme de droite dans les partis de gauche. Je ne suis jamais pour ou contre un parti. Je suis contre le totalitarisme et po
104 he. Je ne suis jamais pour ou contre un parti. Je suis contre le totalitarisme et pour la démocratie réelle, qui est le fédé
105 e totalitarisme et pour la démocratie réelle, qui est le fédéralisme. Un régime de tyrannie n’aboutit jamais à la liberté.
106 d’une parfaite franchise de paroles. Sinon, ce ne serait plus l’esprit européen, où la France donne le ton, la France qui est
107 uropéen, où la France donne le ton, la France qui est un pays de dialogue, comme aime à répéter André Gide. Quand cesse le
108 Genève et de la Suisse. Les Français, notamment, sont venus avec une grande curiosité et un grand désir de tirer quelque ch
109 le monde insiste pour cela ; parce que la Suisse est en dehors de l’ONU, parce qu’on y parle sans mandat, pas au nom d’un
110 n peuple, mais d’un réel esprit européen. Nous ne sommes pas une nation, nous sommes une confédération, donc bien préparés et
111 rit européen. Nous ne sommes pas une nation, nous sommes une confédération, donc bien préparés et prédisposés pour une mission
112 nférenciers américains, dont la voix ne peut plus être séparée des dialogues européens. Il souhaite encore que l’on organise
4 1947, Articles divers (1946-1948). Préface à Le Cœur est un chasseur solitaire de Carson McCullers (1947)
113 Préface à Le Cœur est un chasseur solitaire de Carson McCullers (1947)k Je ne connais da
114 table George Davis, rédacteur du Harper’s Bazaar, tenait son rôle de propriétaire. Benjamin Britten et Paul Bowles représentai
115 e strip-tease, et tous les autres à quelque titre étaient des « creative people », parlaient de Kierkegaard, de Jung, de ballet
116 me habituel les a repris. Un an plus tard, tous s’ étaient dispersés, au Mexique ou au Michigan, en Angleterre ou en Californie,
117 Angleterre ou en Californie, et Carson McCullers était dans une clinique. Un jour je la rencontre dans un train venant du Su
118 e de journal : son mari, le lieutenant McCullers, est signalé comme le premier Américain blessé lors du débarquement en Nor
119 rs du débarquement en Normandie. Aujourd’hui elle est à Paris, inaugurant avec Kay Boyle et Richard Wright — qui fut le pre
120 inaugurant avec Kay Boyle et Richard Wright — qui fut le premier à saluer son talent — la reprise de l’émigration tradition
121 k. C’est dire peut-être que les jeunes Américains sont moins anxieux de renouveler ou d’assouplir leurs procédés que de se c
122 aient le chaos avec une sorte de brutalité qui en était le reflet plus que l’explication. Mais cette recherche obscurément sp
123 sympathie plus fascinée que volontaire. Ainsi les êtres qui animent cet ouvrage se poursuivent, se rapprochent et se manquent
124 ent dans une espèce de tâtonnement aventureux qui est le mouvement même de la vie intérieure en quête d’explications, de ry
125 que je veux, je ne sais pas quoi. Je pense qu’on est en droit de parler ici d’une « expérience romanesque », comme nous pa
126 ais, quand ils discutent des idées, me paraissent être , en règle générale, tout juste aussi intelligents que leur auteur ; o
127 eprésentent, d’une tendance ou d’un vice dont ils sont les supports. Leurs dialogues sont de courts essais qui nous conduise
128 vice dont ils sont les supports. Leurs dialogues sont de courts essais qui nous conduisent par un léger détour aux conclusi
129 elle exprimait la pensée de Malraux, au lieu de n’ être qu’un accord isolé de la partition. Chez les jeunes écrivains américa
130 on un ivrogne et un docteur nègre (p. 307 et 308) sont ceux de Jake et du Dr Copeland, et leur maladresse pathétique éveille
131 r les questions qui tourmentent l’époque. ⁂ Je me suis demandé souvent : quel est le sujet de ce roman ? Point d’intrigue, e
132 ent l’époque. ⁂ Je me suis demandé souvent : quel est le sujet de ce roman ? Point d’intrigue, et pourtant une construction
133 ssent tous dans un geste mortel, coupant, atroce. Est -ce que le sujet serait la solitude, la frustration ? Ou bien l’enfanc
134 este mortel, coupant, atroce. Est-ce que le sujet serait la solitude, la frustration ? Ou bien l’enfance plus sérieuse et plus
135 e adulte ? (Les scènes et les dialogues d’enfants sont d’une justesse rarement atteinte, même chez les romanciers anglais.)
136 se satisfaisante à ma deuxième question : le fait est là. Pour la première, je puis dire après coup que j’aurais dû trouver
137 agnie d’un ami. C’est la raison pour laquelle ils sont toujours si occupés. » Dernièrement, à Paris, je disais à Carson, ave
138 Il n’y a que cela ! Elle voulait dire l’amour des êtres , l’amour réel, et non pas celui des romans. New York, le 15 avril 194
139 ers Carson, « [Préface] Carson McCullers, Le Cœur est un chasseur solitaire  », dans Le Cœur est un chasseur solitaire, Par
140 e Cœur est un chasseur solitaire  », dans Le Cœur est un chasseur solitaire, Paris, Stock, 1947, p. I-V.
5 1947, Articles divers (1946-1948). La lutte des classes (1947)
141 servent cependant qu’aux petits déplacements, qui sont des voyages concentrés et plus émouvants que les vrais, parce qu’entr
142 e l’espoir, quand les portes du cœur, un instant, sont à la fois ouvertes et fermées. Ainsi la Suisse est la patrie des roma
143 nt à la fois ouvertes et fermées. Ainsi la Suisse est la patrie des romantiques contraints par les dimensions mêmes de l’Ét
144 ue usage ignoré du commun. Presque toujours elles étaient vides. En troisième on retrouvait, comme j’ai dit, les gens bien, gra
145 peints en faux bois jaune clair. On s’attendait à être interrogé, dans les trois langues nationales. À mi-chemin entre l’ins
146 sait d’ailleurs sans angoisse, en ce temps-là. On était sûr de son affaire, on était parfaitement « en règle », il fallait si
147 , en ce temps-là. On était sûr de son affaire, on était parfaitement « en règle », il fallait simplement « ne pas faire atten
148 l. Revenant en Suisse après sept ans d’absence, l’ été dernier, et plus que jamais frappé par ce trait national — le seul sa
149 ctif —, je me disais : « C’est notre force, et ce sera peut-être un jour, au dernier jour — car les plus belles histoires du
150 nes et humaines, comme si le monde où nous vivons était fait à notre mesure, comme si l’humanité où nous plongeons se conform
151 orrection, la décence et la sécurité des citoyens sont de purs et simples miracles ; que le monde est une jungle atomique, l
152 s sont de purs et simples miracles ; que le monde est une jungle atomique, l’humanité dans sa très grande majorité une espè
153 Ici pourtant la confiance règne, mais ce miracle est si bien déguisé en exacte banalité que les Suisses le prennent pour b
154 normale du genre humain, l’anarchie et la guerre étant des exceptions. Ainsi pensent les Français du climat tempéré dont ils
155 En dépit du langage courant, c’est le normal qui est exceptionnel, ce sont les cas d’ordre, de paix et de raison qui doive
156 courant, c’est le normal qui est exceptionnel, ce sont les cas d’ordre, de paix et de raison qui doivent nous étonner quand
157 emment, comme si notre système de sécurité devait être à chaque instant vérifié, mis au point, méticuleusement nettoyé des m
158 lui qui renonce à comprendre… Ah ! mais il faut y être pour sentir et pour réagir comme je le dis. Dès que je m’éloigne un p
159 i recopier un « avis » imprimé que j’ai pu lire l’ été dernier, punaisé près de la porte du balcon dans une chambre d’hôtel
160 e ne pas donner à manger aux mouettes. C’était l’ été des expériences de Bikini. Dans les secondes règne la gravité du comm
161 industrie. L’authentique usager de cette classe n’ est pas curieux, comme les gens des troisièmes, des menus incidents du tr
162 ns les troisièmes : ils ont l’air trop contents d’ être là, on les refoule. J’ai cru remarquer à ce propos que le peuple suis
163 e voie venir le jour où la réaction la plus noire sera le dernier refuge des esprits libres. Je me décide à regagner les tro
164 nsieur en noir, au col rond, dur et haut, ce doit être un évêque anglican, somnole. En face de lui, la beauté même, « ô toi
165 magazine. Je croyais autrefois que les premières étaient vides. C’était vrai, les enfants voient juste. Ces gens traversent le
166 la sentence ésotérique : l’œil qui ne voit pas n’ est pas vu. Les passagers de première classe, en Suisse, je les nomme les
167 traversent et passent, et rien ne les touche. Ce sont aussi, et pour la même raison, des transparents. (Avez-vous remarqué
168 ez-vous remarqué que les trains qui vous croisent sont transparents s’ils vont très vite ? On ne cesse de voir le paysage au
6 1947, Articles divers (1946-1948). Les maladies de l’Europe (1947)
169 t si tu veux m’aimer, regarde bien d’abord qui je suis devenue ! » Ensuite on se promène, on dit : « Où en es-tu ? qui vois-
170 venue ! » Ensuite on se promène, on dit : « Où en es -tu ? qui vois-tu ? quels sont tes soucis ? » Et puis, après ce petit
171 ène, on dit : « Où en es-tu ? qui vois-tu ? quels sont tes soucis ? » Et puis, après ce petit tour d’horizon, on s’arrête et
172 n demande d’un autre ton : « Et maintenant, quels sont tes projets ? » Je ne saurais échapper ce soir à l’emprise de ce ritu
173 a guerre. Militairement, Hitler et ses séides ont été battus et sont morts, mais dans la lutte, ils ont marqué leurs advers
174 tairement, Hitler et ses séides ont été battus et sont morts, mais dans la lutte, ils ont marqué leurs adversaires d’une emp
175 al ! Imaginez deux hommes qui se disputent : l’un est une brute, et son point de vue, c’est que la brutalité doit toujours
176 ue la brutalité doit toujours triompher ; l’autre est un parfait gentleman qui croit que les bonnes manières viendront à bo
177 Ainsi d’Hitler et de l’Europe démocratique. Ce ne sont pas seulement les ruines et les désordres matériels qui marquent le p
178 nous a réveillé ces forces parmi nous. L’Europe a été façonnée par le judéo-christianisme, par la notion grecque d’individu
179 truction de tous ces éléments — l’anti-Europe. Qu’ était -il en effet pour ceux qui le combattaient ? La rage antichrétienne, l
180 près tout cela — moins Hitler. Mais tout cela qui était chez les « nazis », chez les méchants, en face de nous, ressurgit auj
181 ement sur ce trait : le fanatisme d’aujourd’hui n’ est plus religieux, mais politique. L’idée que « la fin justifie les moye
182 ique. L’idée que « la fin justifie les moyens » n’ est plus jésuite, mais léniniste, mais fasciste. L’hypocrisie aussi a cha
183 . L’hypocrisie aussi a changé de camp. Tartuffe n’ est plus dévot comme jadis, il n’est plus même de droite comme hier, il e
184 camp. Tartuffe n’est plus dévot comme jadis, il n’ est plus même de droite comme hier, il est de gauche, ou « dans la ligne 
185 adis, il n’est plus même de droite comme hier, il est de gauche, ou « dans la ligne », il se range au nouveau conformisme.
186 seil de prudence. Certes, le conformisme en soi n’ est pas nouveau, même chez les intellectuels. Ce qui est nouveau, c’est d
187 pas nouveau, même chez les intellectuels. Ce qui est nouveau, c’est de le voir pratiqué précisément par ceux de l’avant-ga
188 ou qui se donnent pour tels en politique. Ce qui est nouveau, c’est de le voir défendu par ceux-là mêmes dont la fonction
189 e voir défendu par ceux-là mêmes dont la fonction serait de l’attaquer, d’où qu’il vienne. Mais ces lâchetés intellectuelles s
190 n. Cette mauvaise foi brutale en service commandé est un nouveau succès de l’esprit totalitaire qui n’a eu qu’à changer d’é
191 res symptômes d’un mal profond, dont l’hitlérisme fut la première crise ou le premier abcès de fixation, se révèlent à l’ob
192 t, mais aussi d’un espoir exigeant qui attaquait, est en train d’avorter sous nos yeux, et pas un résistant ne me contredir
193 es habitudes prises dans la lutte clandestine, ce sont les pires qui se perpétuent, non les meilleures : le mensonge et non
194 les aliénés. Si l’on se bat en Europe demain, ce sera au nom de la démocratie contre le peuple, au nom du peuple contre les
195 es élites ? J’entends les hommes dont la fonction serait de dénoncer ces maux, d’en rechercher les causes, et d’en inventer le
196 trôlés par l’État ou par le parti au pouvoir, qui sont la radio et la presse. Seuls ces moyens sont à l’échelle des masses.
197 qui sont la radio et la presse. Seuls ces moyens sont à l’échelle des masses. Mais se faire écouter par ces moyens, c’est a
198 is se faire écouter par ces moyens, c’est aussi n’ être plus entendu, car il s’agit de s’adapter, de se « mettre au pas » spo
199 ission de la pensée, un alibi. Pour qu’une pensée soit efficace et douée d’une vertu agissante, il ne suffit pas que le pens
200 ne étiquette ou un insigne. Et cependant, s’il se tient seul dans l’intégrité de l’esprit, il fera figure de déserteur… Ainsi
201 de réussir n’importe quoi. Le « Führerprinzip » n’ est pas mort avec celui qui lui donna son nom. Il se cherche, il se trouv
202 aussi divers que Spengler, Valéry et Huizinga, se soit généralement substituée dans nos esprits à l’idée de progrès automati
203 pide élévation de deux empires extraeuropéens. Ce sont eux qui ont gagné la guerre, et non pas nous. Ce sont eux qui ont rep
204 eux qui ont gagné la guerre, et non pas nous. Ce sont eux qui ont repris en charge le progrès et la foi au progrès. Et nous
205 ritique. Je n’ignore pas que l’indignation morale est un genre littéraire, dont la rhétorique fort ancienne peut entraîner
206 traîner à l’injustice. Et qu’enfin, vis-à-vis des êtres que l’on aime, il arrive qu’on manque d’indulgence… Faisons la part d
207 ’est que la situation de l’Europe dans le monde s’ est modifiée, qu’elle s’est même totalement renversée depuis l’automne de
208 l’Europe dans le monde s’est modifiée, qu’elle s’ est même totalement renversée depuis l’automne de 1939. Avant cette guerr
209 L’Europe nous semblait donc plus grande qu’elle n’ était . D’où l’effet de choc que produisit dans nos esprits, au lendemain de
210 randit mieux ailleurs, chez les voisins où elle s’ est transplantée. Et tout se passe comme si l’excès où ils la portent et
211 refois religieuse. Tout vient d’Europe, tout cela fut nôtre à l’origine. Mais alors, comment et pourquoi ces créations euro
212 dis qu’ailleurs, pour le bien et le mal, elles se sont déployées sans frein ni contrepoids. Le capitalisme, chez nous, n’a j
213 nous, n’a jamais pu donner son plein, parce qu’il était sans cesse bridé et contrarié par le nationalisme, par les guerres, e
214 ue ne connaît pas. Et de même le progrès social s’ est vu bridé et contrarié par la tyrannie de l’argent, dont la Russie nou
215 a tyrannie de l’argent, dont la Russie nouvelle s’ est libérée. Mais en même temps, le capitalisme et l’étatisme n’ont pas a
216 s forces adverses, critiqués et remis en question soit au nom d’un passé encore vivant, soit au nom d’utopies plus virulente
217 en question soit au nom d’un passé encore vivant, soit au nom d’utopies plus virulentes. Cet état de complexité, d’intricati
218 nception européenne de l’homme. Toute la question est de savoir si nous saurons maintenir cet équilibre malgré l’attraction
219 é. Or, il s’en faut de beaucoup que les Européens soient unanimes à tenir activement le parti de cette Europe, de ses complexi
220 t de beaucoup que les Européens soient unanimes à tenir activement le parti de cette Europe, de ses complexités vitales, de s
221 u’ils attendent eux-mêmes de la vie. Ainsi, ce ne sont pas seulement les idéaux de progrès collectiviste ou de progrès capit
222 lore mais sans faire mieux. Je ne vois plus, pour tenir vitalement aux conceptions et aux coutumes européennes, que deux clas
223 s conservateurs par profession ou position. Telle est , en gros, notre situation. Une Europe démoralisée par sa victoire dou
224 , dans cette conjoncture plus que défavorable, il est bien légitime de s’obstiner, de parler d’une défense de l’Europe, de
225 t notre angoisse devant un héritage si compromis, sont -elles valables et sont-elles justifiables ? Ou bien ne sont-elles rie
226 un héritage si compromis, sont-elles valables et sont -elles justifiables ? Ou bien ne sont-elles rien de mieux que les sent
227 valables et sont-elles justifiables ? Ou bien ne sont -elles rien de mieux que les sentiments égoïstes d’un vieux propriétai
228 pays des pères, mais l’Amérique, ou la Russie, ne serait -ce pas ce « Kinderland » qu’appelait Nietzsche de ses vœux ? Ce n’est
229 erland » qu’appelait Nietzsche de ses vœux ? Ce n’ est pas assez de donner des ancêtres à ses enfants ; ils ont besoin d’un
230 rope réduite à l’état de musée plus ou moins bien tenu , ou au contraire la vision d’une Europe qui aurait cédé aux tentation
231 tranger à son génie, une Europe américanisée — ce serait par goût — soviétisée — ce serait par contrainte — dans les deux cas
232 éricanisée — ce serait par goût — soviétisée — ce serait par contrainte — dans les deux cas colonisée. Un musée ou une colonie
233 es questions une réponse évidente et simple. Elle tient dans un très petit mot, vague et poignant : c’est le mot « âme ». L’E
234 ce de l’humain, oui, l’âme d’une civilisation qui serait perdue, perdue pour tous et non seulement pour nous ! Ce n’est donc p
235 erdue pour tous et non seulement pour nous ! Ce n’ est donc pas au nom de je ne sais quel nationalisme européen qu’il nous f
236 re voir une très solide réalité spirituelle. S’il est vrai que l’Europe, jusqu’à ce siècle, ne s’est guère sentie et conçue
237 il est vrai que l’Europe, jusqu’à ce siècle, ne s’ est guère sentie et conçue comme un tout, comme un corps organisé, c’est
238 se comparer, de s’opposer et de se définir ; elle était seule et reine de la planète. Mais en 1946, elle se voit affrontée à
239 y a ce signe de contradiction par excellence qui est la croix. Au contraire, à l’origine des deux empires nouveaux, il y a
240 et sans drame. Il s’ensuit que le héros européen sera l’homme qui atteint, dramatiquement, le plus haut point de conscience
241 le martyr. Tandis que le héros américain ou russe sera l’homme le plus conforme au standard du bonheur, celui qui réussit, c
242 réussit, celui qui ne souffre plus parce qu’il s’ est parfaitement adapté. L’homme exemplaire pour nous, c’est l’homme exce
243 ns : production et consommation. Tout leur effort est donc de les équilibrer, de les faire jouer sans à-coup ; et le produi
244 ouer sans à-coup ; et le produit de cet équilibre sera le bonheur inévitable, obligatoire. Pour nous, la vie résulte d’un co
245 vie résulte d’un conflit permanent, et son but n’ est pas le bonheur, mais la conscience plus aiguë, la découverte d’un sen
246 uë, la découverte d’un sens, d’une signification, fût -ce dans le malheur de la passion, fût-ce dans l’échec. Ils visent à l
247 nification, fût-ce dans le malheur de la passion, fût -ce dans l’échec. Ils visent à l’inconscience heureuse, et nous à la c
248 même mortelles. Voilà pourquoi l’Européen typique sera tantôt un révolutionnaire ou un apôtre, un amant passionné ou un myst
249 un maniaque ou un inventeur. Son bien et son mal sont liés, inextricablement et vitalement. L’Européen connaît donc la vale
250 ble ici. En Amérique, je pense que ces rencontres seraient un four, ou un flop, comme ils disent. La diversité de nos points de
251 ment de la conscience. En Russie, je ne crois pas être injuste en affirmant que ces rencontres seraient simplement interdite
252 pas être injuste en affirmant que ces rencontres seraient simplement interdites, ou conduiraient leurs malheureux initiateurs s
253 rter ainsi, je dis seulement que leurs raisons ne sont pas celles de la culture ; que la culture suppose la libre discussion
254 ue au service d’une plus large vérité ; que telle est bien la vocation de l’Europe, et que l’Europe existe au plus haut poi
255 , la sécurité et le risque, les règles du jeu qui sont pour tous et la vocation qui est pour un seul. Crucifié, dis-je, car
256 gles du jeu qui sont pour tous et la vocation qui est pour un seul. Crucifié, dis-je, car l’homme européen en tant que tel
257 l’homme européen en tant que tel n’accepte pas d’ être réduit à l’un ou à l’autre de ces termes. Mais il entend les assumer
258 sions, l’effort principal de l’esprit. Européenne sera donc, typiquement, la volonté de rapporter à l’homme, de mesurer à l’
259 our illustrer les valeurs propres de l’Europe. Ce sera peut-être un bon moyen de les définir dans l’actuel. Sauver l’Europe
260 rairement à ce que pensent beaucoup de bourgeois, sont initiées et déclenchées par les élites, ou par quelques meneurs et ma
261 t de l’exercer. Les guerres ni les révolutions ne sont jamais initiées ni déclenchées par les masses, car les masses comme t
262 ’est donc sur les élites qu’il importe d’agir. Ce sont elles que l’on peut utilement éveiller à la claire conscience des cau
263 e agonie permanente dont on vient de voir qu’elle est la condition de l’homme européen, la source vive de sa grandeur et de
264 ment dans le Parti, d’oppression par l’État, ce n’ est pas du tout de prêcher ce qu’on appelle un « individualisme impéniten
265 ion collectiviste. Ce que je lui oppose ici, ce n’ est nullement l’excès inverse de l’anarchie et du capitalisme libéral, ma
266 testante. Si nous nous demandons, en effet, quels sont les pays de l’Europe qui « marchent le mieux », nous constatons que c
267 qui « marchent le mieux », nous constatons que ce sont sans contredit : la fédération suisse, et les royaumes démocratiques
268 devenir, en toute liberté, les plus sociaux, ils sont aussi les moins touchés, les moins tentés par le collectivisme autori
269 antes des guerres civiles, et par suite, quel que soit le vainqueur, aux dictatures. Or il n’en va pas autrement sur le plan
270 érialisme tout court. Un gouvernement totalitaire sera toujours impérialiste, c’est une loi que je signale en passant. La vo
271 s Napoléon, la naissance des nationalismes. Telle est la cause de presque toutes nos guerres. J’ai dit, et je ne le répéter
272 r d’une nation la riche diversité des groupes, il est prêt à s’ouvrir à des unions plus vastes. Il les appelle, il les espè
273 es amorcer, par la vertu de l’exemple vécu. Telle est la santé de l’Europe, et telles sont ses deux maladies, contradictoir
274 e vécu. Telle est la santé de l’Europe, et telles sont ses deux maladies, contradictoires en apparence, mais également provo
275 vidu sans devoirs ou vers le militant sans droits sont les vraies causes de nos malheurs sociaux. Et notre second office est
276 s de nos malheurs sociaux. Et notre second office est l’invention de structures politiques du type fédéraliste, seules créa
277 lisme, c’est à elle d’inventer son antidote. Elle est seule en mesure de le faire à cause de ses diversités ; et de le fair
278 riptions pessimistes de l’Europe auxquelles je me suis livré en débutant sont exactes, il peut paraître assez étrange de par
279 l’Europe auxquelles je me suis livré en débutant sont exactes, il peut paraître assez étrange de parler après cela d’une vo
280 urope. Pour exercer une vocation, il faut d’abord être vivant, il faut survivre. Or l’Europe démoralisée, coincée entre deux
281 e des chances de vivre encore assez pour qu’il ne soit pas utopique d’envisager sa fonction dans le monde, son avenir et le
282 mystique au sujet de la vocation. Je crois qu’un être est maintenu en vie par la vie même de sa vocation, et qu’il tombe bi
283 ique au sujet de la vocation. Je crois qu’un être est maintenu en vie par la vie même de sa vocation, et qu’il tombe bientô
284 e sa vocation, et qu’il tombe bientôt lorsqu’elle est accomplie. Or, notre vocation européenne me paraît encore loin d’être
285 notre vocation européenne me paraît encore loin d’ être accomplie… Mais cette raison irrationnelle, de croire à nos chances d
286 J’en indiquerai rapidement quelques autres, et ce sera ma conclusion. Une raison toute physique, géographique d’abord : l’Eu
287 aphique d’abord : l’Europe, cette Grèce agrandie, est un continent cloisonné, et par nature diversifié, impropre donc et mê
288 t se permettre d’expérimenter. Ma deuxième raison est d’ordre psychologique. Malgré tout, je veux dire malgré la contagion
289 « Vous croyez, leur disais-je, que le plus grand est nécessairement le meilleur. Et que l’on peut impunément multiplier n’
290 s fauteuils… » Ma troisième raison d’espérer, ce sont les crises qu’il faut prévoir dans les deux empires du succès. Leurs
291 es deux empires du succès. Leurs plans, en effet, sont fondés sur une méconnaissance voulue, systématique, de la complexité
292 atique, de la complexité de l’homme total. Ils ne sont que des expériences, et le propre d’une expérience est de rater neuf
293 ue des expériences, et le propre d’une expérience est de rater neuf fois sur dix. Je pense aux crises économiques qui menac
294 . Je pense surtout à l’avenir de l’URSS. Que l’on soit sympathique ou non à l’expérience de dictature si brillamment conduit
295 int qu’on se demande si ce qui les gêne le plus n’ est pas simplement l’homme, dans son humanité rebelle aux chiffres, l’hom
296 cela va compter — à la longue. Un beau jour, il n’ est pas impossible, il est même probable, et c’est là mon espoir, que les
297 longue. Un beau jour, il n’est pas impossible, il est même probable, et c’est là mon espoir, que les Russes, comme les Amér
298 nomme les deux empires sans précédent — l’Europe est la patrie de la mémoire. Elle est même, pratiquement, la mémoire du m
299 dent — l’Europe est la patrie de la mémoire. Elle est même, pratiquement, la mémoire du monde, le lieu du monde où l’on con
300 verre et en ciment armé, tandis que l’Amérique en est encore à bâtir des églises en gothique neuf. C’est parce que l’Europe
301 glises en gothique neuf. C’est parce que l’Europe est la mémoire du monde qu’elle ne cessera pas d’inventer. Elle restera l
302 s de la planète. Mais, riches d’avenir… oui, s’il est un avenir, non seulement pour l’Europe, mais pour le monde. Dans une
303 mais pour le monde. Dans une certaine mesure, qui est celle du réalisme politique, et il fallait tout de même que ce fût di
304 isme politique, et il fallait tout de même que ce fût dit ici, la question de l’avenir du monde se résume dans ce simple di
305 -tampon, ou un bloc opposé aux deux autres. Ce ne serait rien résoudre, et au contraire, ce serait exalter le nationalisme aux
306 . Ce ne serait rien résoudre, et au contraire, ce serait exalter le nationalisme aux dimensions continentales. Ce qu’il nous f
307 s invite à le dire avec moi : Je pense, donc j’en suis  ! g. Rougemont Denis de, « Les maladies de l’Europe », L’Esprit eu
7 1947, Articles divers (1946-1948). L’opportunité chrétienne (1947)
308 endre leurs pouvoirs spirituels, certains États s’ étant laissé aller à les revendiquer injustement. Les docteurs de l’Église
309 me même, du moins à cette véhémence flambante qui fut toujours signe et symbole de l’Esprit. Un fils soumis de Rome, le gra
310 lisme) qu’ils croyaient pouvoir tolérer ; qu’il a été abattu finalement, dans ses formes déclarées et spectaculaires tout a
311  ; et que son élévation brutale puis sa chute ont été pour toutes les Églises une épreuve de force, un challenge, une purif
312 e devant l’assaut de dictatures barbares : elle s’ est reconnue impuissante à donner des buts de vie, des idéaux, une morale
313 d’une puissante et purifiée Église orthodoxe à l’ Est . Mais dire que l’époque de la défensive est terminée pour elles, dans
314 e à l’Est. Mais dire que l’époque de la défensive est terminée pour elles, dans notre temps, c’est poser aux Églises chréti
315 es presque aussi grands que ceux qu’elles eussent été contraintes de subir en se rendant. (Dans ce « presque » est la diffé
316 ntes de subir en se rendant. (Dans ce « presque » est la différence entre honneur et honte, vie et mort.) Et que trouvent a
317 s, mais un vide doctrinal sans précédent. Ce vide est un appel, urgent et dramatique. Un appel à l’attaque, à l’offensive,
318 les sombres, avant la floraison du Moyen Âge, qui fut son œuvre. Il s’agit de restaurer le sens de la communauté vivante, q
319 ses réglementations, souvent utiles, mais qui ne sont jamais règles de vie. Je voudrais une sociologie chrétienne pour le s
320 t — musique, peinture, philosophie, littérature — est sortie des églises et des couvents. Hélas, elle en est bien sortie !
321 ortie des églises et des couvents. Hélas, elle en est bien sortie ! Il est temps que nous sortions à sa recherche pour la r
322 des couvents. Hélas, elle en est bien sortie ! Il est temps que nous sortions à sa recherche pour la ramener ! 3° Que l’Égl
323 ndement d’une morale spécifiquement chrétienne. «  Soyez bien sages » nous disaient les prédicateurs depuis deux siècles. « So
324 disaient les prédicateurs depuis deux siècles. «  Soyez fous ! », dit saint Paul aux Corinthiens. « Osez être l’invraisemblab
325 fous ! », dit saint Paul aux Corinthiens. « Osez être l’invraisemblable ! »2 dit Kierkegaard. Ce sont ces voix que les meil
326 z être l’invraisemblable ! »2 dit Kierkegaard. Ce sont ces voix que les meilleurs aujourd’hui, hors des Églises, me paraisse
327 s Américains, s’instaure sur notre planète, ce ne sera qu’au nom de ce qui transcende nos attachements nationaux, politiques
328 action chrétienne. Celle-ci se fera, comme elle s’ est toujours faite, par des personnes et par des petits groupes ; par que
329 cation précise », et il ajoute : « toute vocation est sans précédent, et paraît donc ‟invraisemblable” à celui qui la reçoi
8 1947, Articles divers (1946-1948). La guerre des sexes en Amérique (janvier 1947)
330 Le flirt en public (outdoor love-making) vient d’ être interdit à la station aéronavale de San Diego, Californie, tant pour
331 ction du genre communément appelé necking 4. S’il est vrai que tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il s’agit là d’un p
332 git là d’un passe-temps absorbant et plaisant, il est non moins généralement admis que ce n’est pas un sport public et diur
333 ant, il est non moins généralement admis que ce n’ est pas un sport public et diurne. Cette petite nouvelle, parue dans le
334 Amérique vis-à-vis du problème des sexes. Si vous tenez entre vos mains ce texte, comme un graphologue intuitif tient une let
335 vos mains ce texte, comme un graphologue intuitif tient une lettre à peine regardée, et que vous tentez de formuler ce qu’il
336 de civilisation, j’imagine que vos conclusions ne seront point trop différentes de celles que je voudrais dégager d’un séjour
337 Amérique. Les mœurs sexuelles de l’Europe peuvent être définies comme un jeu très complexe opposant un ensemble de règles so
338 es détruire. Les mœurs sexuelles de l’Amérique ne sont point si faciles à définir. Comment expliquer le contraste entre le p
339 vices et de vertus, comme chez nous, mais l’autre étant un « sport » d’une nature différente, — et c’est la seconde que j’ess
340 uée par la croyance en la valeur unique de chaque être . Il suppose un objet irremplaçable et comme prédestiné par un acte di
341 stres, et religieusement convaincu que le bonheur est le but de la vie : n’est-ce point écrit dans sa Constitution ? Son at
342 convaincu que le bonheur est le but de la vie : n’ est -ce point écrit dans sa Constitution ? Son attitude vis-à-vis de la pa
343 nstitution ? Son attitude vis-à-vis de la passion est peut-être plus saine que la nôtre. En bref, il n’aime point souffrir,
344 e la nôtre. En bref, il n’aime point souffrir, et tient pour perversion ce goût de la torture exaltante et intéressante qui f
345 spensables au développement d’une grande passion, sont à ses yeux autant de preuves que l’affaire est mal engagée et qu’il f
346 , sont à ses yeux autant de preuves que l’affaire est mal engagée et qu’il ferait bien d’y renoncer. Si quelque drame se no
347 lexe et qui menace de tirer à conséquence : telle est la grande maxime de sa morale nouvelle. Les difficultés sentimentales
348 l’avouer, lui font peur, et l’éloignent vite de l’ être ou des circonstances qui les causent. Il n’a pas le goût de la durée
349 . C’est tout de suite ou jamais. C’est OK ou ce n’ est rien. Si ce n’est pas vous ce soir, c’était donc une erreur. Ils ne c
350 ite ou jamais. C’est OK ou ce n’est rien. Si ce n’ est pas vous ce soir, c’était donc une erreur. Ils ne croient guère à la
351 eur. Ils ne croient guère à la valeur unique d’un être , — et il est vrai qu’il faut beaucoup de soins, de temps perdu, de co
352 oient guère à la valeur unique d’un être, — et il est vrai qu’il faut beaucoup de soins, de temps perdu, de complaisance et
353 de folies pour composer une telle croyance. Nul n’ est irremplaçable dans un monde aussi vaste, et où les déplacements sont
354 dans un monde aussi vaste, et où les déplacements sont si faciles. Au vrai, l’amour-passion ne saurait exister dans une civi
355 de à l’échec nulle dignité spirituelle, et qui ne tient pour vrai que ce qui réussit. Or, l’échec n’est pour eux qu’une perte
356 tient pour vrai que ce qui réussit. Or, l’échec n’ est pour eux qu’une perte sèche, et non la condition d’un approfondisseme
357 ess comme nous disons). Le mariage à l’américaine est une institution d’un type nouveau. Il se fonde sur l’égalité économiq
358 rgent, en règle générale, mais c’est la femme qui tient les cordons de la bourse, en l’occurrence, le carnet de chèques. Elle
359 tout simplement, dans toute la vie, et le foyer n’ est qu’une partie de ses domaines. Il s’agit de l’aménager pour qu’il fon
360 , point d’esclavage des routines domestiques : ce serait être esclave de ses machines. Si ces dernières se multiplient dans un
361 d’esclavage des routines domestiques : ce serait être esclave de ses machines. Si ces dernières se multiplient dans une cui
362 la femme des soucis qui l’absorbent chez nous. Il est étrange que nous parlions toujours de leur « matérialisme » à ce prop
363 e propos, puisque le but de ces perfectionnements est d’alléger les tâches matérielles, auxquelles notre littérature préten
364 ifeste qu’elle sait ce qu’on lui doit. Comme elle est installée dans la vie ! Elle s’y avance avec l’autorité, souvent poli
365 ssèdent le 75 % de la fortune privée en Amérique, soit que le système de l’héritage les favorise, soit qu’elles montrent en
366 , soit que le système de l’héritage les favorise, soit qu’elles montrent en affaires comme ailleurs une efficiency sans égal
367 es comme ailleurs une efficiency sans égale. Nous sommes donc en présence d’une civilisation qui tend vers le matriarcat, dans
368 es bases vraiment profondes. Et cette psychologie tient dans un mot, dans moins qu’un mot, dans l’abréviation familière pour
369 n du foyer, dans ces trois lettres fatidiques qui sont le secret de millions de drames matrimoniaux, sexuels et psychiques :
370  » comme la Gorgone du matriarcat américain. MOM est partout, elle est tout et dans tous, et d’elle dépend le reste des Ét
371 e du matriarcat américain. MOM est partout, elle est tout et dans tous, et d’elle dépend le reste des États-Unis. Déguisée
372 chère vieille mom, votre mom aimante, etc., elle est la fiancée à tous les enterrements, le cadavre à tous les mariages.
373 sert, elle l’endort et le semonce. Au culte qu’il est censé lui rendre, elle répond dans le meilleur des cas par cette espè
374 ue le suzerain jadis accordait au vassal. Et ce n’ est point qu’elle soit moins capable qu’une autre d’amour, de tendresse o
375 is accordait au vassal. Et ce n’est point qu’elle soit moins capable qu’une autre d’amour, de tendresse ou même d’aveugle dé
376 évouement. Mais l’attitude de l’homme à son égard est faite pour éveiller en elle le goût de la liberté et de l’autonomie,
377 le le plus inquiétant du Nouveau Monde : car nous sommes habitués à voir des hommes en masses, à la caserne ou dans une réunio
378 avait qu’un goût modéré pour la femme, dont il ne serait que la conquête plus ou moins résignée ou satisfaite. Certains ménage
379 ue la femme couche les enfants, et tous les repas sont pris dans la petite cuisine blanche, parfois ornée d’un bar, toujours
380 le rôle de la machine numéro un dans la maison — soient ceux qui offrent le plus de garanties contre le divorce américain.
381 x des intéressés, le divorce américain ne saurait être , comme chez nous, la douloureuse rupture d’une longue intimité, celle
382 toujours, à conserver5, eux à ouvrir. Le divorce est pour nous l’enterrement d’un bonheur, pour eux l’acte de naissance d’
383 se remarier. Il arrive que le nouveau mariage ne soit séparé du divorce que par le temps de changer de salle, et c’est le m
384 utre porte — qui légalisera les deux actes. Telle est du moins la coutume de Reno. Reno n’est pas une légende pittoresque,
385 es. Telle est du moins la coutume de Reno. Reno n’ est pas une légende pittoresque, mais une nécessité pratique créée par le
386 tat de New York, la seule cause admise de divorce est le flagrant délit d’adultère. Autant dire que le divorce est impossib
387 rant délit d’adultère. Autant dire que le divorce est impossible, à moins que l’on accepte d’en passer par une odieuse mise
388 tatée » dans une chambre d’hôtel. Le seul recours est donc le voyage de Reno, comédie fort coûteuse basée sur un mensonge :
389 ns le Nevada. Il y reste six semaines, à l’hôtel, est alors déclaré résident, obtient son divorce en un quart d’heure, se r
390 seconde fois. Cette éventualité, d’ailleurs, doit être envisagée très sérieusement. Chaque jour dans les courriers mondains
391 tout parce qu’elle amuse. Vous penserez que ce n’ est pas sérieux, et peut-être aurez-vous raison. Si grave que soit un tel
392 eux, et peut-être aurez-vous raison. Si grave que soit un tel jugement, j’incline à croire que la facilité avec laquelle l’A
393 our la première fois ! » Deux ans plus tard, elle était à Reno et se remariait, « elle pour la seconde fois, lui pour la quat
394 ma première définition, le divorce à l’américaine est considéré avant tout comme la mise en ordre de deux vies. Derrière to
395 infime minorité. Boston, leur ancienne citadelle, est aujourd’hui en majorité catholique. Les Juifs, les Noirs, les Irlanda
396 ois quarts au moins de la population de New York, sont indemnes de toute trace directe d’éducation puritaine au foyer. Mais
397 es standards moraux créés par les Pionniers leurs sont transmis sous la forme atténuée de l’American way of life, à l’école,
398 récemment naturalisés. On leur inculque à tous qu’ être un Américain, c’est être un homme « décent » et comme je demandais à
399 leur inculque à tous qu’être un Américain, c’est être un homme « décent » et comme je demandais à quelques étudiants ce qu’
400 entendaient par là, l’un d’eux me dit : « Décent est l’homme qui tient parole et se tient propre, à tous égards. » Cette v
401 là, l’un d’eux me dit : « Décent est l’homme qui tient parole et se tient propre, à tous égards. » Cette volonté de vivre un
402 dit : « Décent est l’homme qui tient parole et se tient propre, à tous égards. » Cette volonté de vivre une vie nette se comb
403 ous ses tabous. On ne pense plus que la « chair » soit le Mal, ni ses désirs des signes de malédiction divine. Peu ou point
404 mmait libertinage. L’Américain, me semble-t-il, n’ est pas vicieux. Il est moral ou sans morale, mais bien rarement immorali
405 ’Américain, me semble-t-il, n’est pas vicieux. Il est moral ou sans morale, mais bien rarement immoraliste. Ce qu’il ignore
406 romans européens les moins pensables en Amérique seraient sans doute Adolphe et les Liaisons dangereuses. Ajoutons-y la poésie
407 ais il me paraît vain de l’écrire, car l’Amérique est en pleine transition, à cet égard plus qu’à tout autre. Il convient d
408 lée quelques remarques dont on reconnaît qu’elles sont par nature discutables. Certains critiques américains déclarent que l
409 américains déclarent que la jeunesse de leur pays est sex-obsessed, mais il se peut qu’elle soit tout simplement sexy, et q
410 ur pays est sex-obsessed, mais il se peut qu’elle soit tout simplement sexy, et que l’obsession n’existe que chez lesdits cr
411 américaines, c’est qu’on y pressent un avenir qui sera sans doute celui de la Russie soviétique et d’une partie de la jeunes
412 moins, trop volontaire et rationnel pour que l’on soit en droit d’y voir une « révolte des instincts », ou d’y dénoncer je n
413 uelle « vague de barbarie nouvelle ». Le danger n’ est sans doute pas là. Car il est très possible qu’au contraire de ce que
414 elle ». Le danger n’est sans doute pas là. Car il est très possible qu’au contraire de ce que pensent la jeunesse américain
415 , la violence primitive et la santé de l’instinct soient justement les vraies créatrices de tabous, et que la suppression de c
416 ue la morale bourgeoise, issue des puritains, ait été l’une des plus perverses qu’ait jamais sécrétée l’humanité, et que sa
417 t de faire « comme si » l’instinct sexuel pouvait être passé sous silence ou nié ; les sexologues qui tenteront follement de
418 e voie saine et quelques disciplines praticables, sera vraiment le génie du siècle et l’objet d’une grâce spéciale. Or c’est
419 ’une grâce spéciale. Or c’est bien ce qu’il pense être , étant Américain. Je ne l’observe pas sans inquiétude ; non plus sans
420 râce spéciale. Or c’est bien ce qu’il pense être, étant Américain. Je ne l’observe pas sans inquiétude ; non plus sans beauco
9 1947, Articles divers (1946-1948). Journal d’un intellectuel en exil (mars 1947)
421 rt un « milieu littéraire » dans ce pays. Et ce n’ était pas une terrasse de café, ni l’antichambre d’une maison d’édition, ni
422 te en Amérique — mais une party. Et cette party n’ était pas animée par la vivacité des discussions, la coquetterie des femmes
423 ucoup de sérieux professoral : car les poètes ici sont professeurs, tandis que les romanciers sont plutôt journalistes. Quan
424 s ici sont professeurs, tandis que les romanciers sont plutôt journalistes. Quant à leurs femmes et amies, elles m’ont paru
425 e genre des nihilistes russes d’antan. La plupart sont trotskistes, ont lu Freud, ou en parlent. À lire les revues ou littl
426 es européens à la vie de leur propre nation. Cela tient sans doute à mille raisons matérielles et sociales d’abord, dont j’ai
427 ous autres, Européens, vous écrivez comme si vous étiez déjà morts. Oh ! ce n’est pas un reproche aussi violent qu’il vous pa
428 écrivez comme si vous étiez déjà morts. Oh ! ce n’ est pas un reproche aussi violent qu’il vous paraît. Je veux dire que l’o
429 éputés d’avant-garde. Leur vrai drame, c’est de s’ être affranchis des tabous du puritanisme au prix d’une frustration de l’â
430 méchamment subversif, « réactionnaire », et tout est dit… 25 janvier 1941 Cinquième colonne. — Quelques fragments de mon
431 ’un me répond au bout d’une semaine : votre livre est très bien, je voudrais le publier, mais il a le malheur de porter sur
432 r ce matin : — En tant que citoyen, me dit-il, il serait de mon devoir de publier ce livre. Mais en tant qu’éditeur, ce serait
433 de publier ce livre. Mais en tant qu’éditeur, ce serait un suicide. — Comment cela ? — Vous êtes trop objectif. On parlerait
434 ur, ce serait un suicide. — Comment cela ? — Vous êtes trop objectif. On parlerait de cinquième colonne à propos de ma maiso
435 aison et de vous-même. — Savez-vous que mon livre est sur la liste noire des Allemands et même de l’organisation vichyssois
436 restants ? — J’imagine très bien ! Mais le public est simpliste, il attend des jugements entiers. Quitte à ne pas savoir ce
437 érance brutale avec ceux qu’il croit condamner… N’ est -ce pas cela, le vrai danger totalitaire, dans un pays où l’opinion go
438 us au mal, en Amérique. « C’est trop affreux pour être vrai », dit-on des récits de réfugiés. Il en résulte qu’on collabore
439 , au milieu de la petite ville de Cambridge qui n’ est plus qu’un faubourg de Boston. Le premier soir en arrivant dans ce lo
440 t-il donc savoir ? Simplement si c’est vrai. S’il est vrai que j’ai vécu ce que j’écris. C’est la question que je préfère.
441 st une catégorie précise d’étudiants. « Génie » n’ est pas un éloge excité, dans leur bouche : cela se mesure et cela se déf
442 un chiffre total supérieur à 135. Le génie, s’il est physicien par exemple, n’en sera pas moins un spécialiste de Kierkega
443 5. Le génie, s’il est physicien par exemple, n’en sera pas moins un spécialiste de Kierkegaard ou de Kafka, à l’analyse desq
444 es avant qu’il ait terminé ses études. La plupart sont des monstres modestes. J’en ai vu un qui mangeait un sandwich et c’ét
445 pure. Il portait une mouche au menton. Le second était ivre. Le troisième parlait peu, ce qui est le privilège des génies. N
446 cond était ivre. Le troisième parlait peu, ce qui est le privilège des génies. New York, 15 mai 1941 Recette pour vivre de
447 . Ici, la recette ne vaut rien. Le minimum requis est impérieux et difficile à obtenir parce que le dollar est très cher. O
448 érieux et difficile à obtenir parce que le dollar est très cher. On ne peut pas « se débrouiller » avec moins qu’il ne faut
449 un autant qu’à l’autre… ! Fin décembre 1941, 5 IV est 16th Street Trouvé un petit atelier, près de Greenwich village6, au h
450 rmant terrasse, d’une maison de trois étages, qui est un couvent. Les nonnes, deux par deux, vont et viennent sur ce toit e
451 oindre prétexte. À deux heures aujourd’hui, je me suis enfermé sans plus bouger, entre mon fauteuil et ma table — les deux b
452 os Aires, des notes éparses. À sept heures, je me suis mis à écrire. Il est dix heures et j’ai devant moi les trois premiers
453 arses. À sept heures, je me suis mis à écrire. Il est dix heures et j’ai devant moi les trois premiers chapitres terminés.
454 ers chapitres terminés. J’ai faim, j’ai froid, je suis heureux, je cours dîner pour 50 cents à la cafétéria du coin. 2 mars
455 x signes m’ont prouvé que jusqu’à nouvel ordre je suis le prisonnier de mon livre et ferais bien de ne plus m’en échapper. J
456 La salle étroite et profonde paraît vide. Il doit être environ neuf heures et demie. J’hésite sur le seuil : va-t-on me serv
457 fui. Pas d’autre restaurant dans ce quartier. Je suis monté sans dîner chez mes amis. Je n’en ai pas de plus charmants dans
458 rien fait qui vaille de toute la nuit. Voilà qui est clair : ou écrire, ou sortir. 20 mars 1942 Pluie torrentielle et font
459 fonte des neiges. Les nonnes ne sortent plus, ou sont peut-être tombées dans la cour. Des gouttes chargées de suie s’écrase
460 suie s’écrasent sur mon papier, la verrière doit être fendue ou mal jointe. Raccommodé avec un ligament de ficelle verte le
461 ranquillement vidé mon compte en banque, et je ne suis pas plus avancé qu’au temps de mon île atlantique. 21 avril 1942 Comm
462 n ne voit pas les mêmes objets. Et comme le monde est une vitrine, en bonne partie, il doit être possible de déterminer le
463 e monde est une vitrine, en bonne partie, il doit être possible de déterminer le degré de fortune ou d’infortune d’un auteur
464 s descriptions du monde. 10 mai 1942 Un job. — J’ étais allé voir mes enfants à Long Island, le samedi soir, et le dimanche m
465 n ami qui va quitter l’Office of War Information, étant appelé d’urgence à Washington. La place sera vacante demain après-mid
466 on, étant appelé d’urgence à Washington. La place sera vacante demain après-midi, et sans doute repourvue. Si j’y vais, j’ai
467 . Si j’y vais, j’ai les plus grandes chances. J’y suis allé et une demi-heure plus tard, je me mettais à ce travail, nouveau
468 de langue française d’un organisme américain qui tient le rang et joue le rôle de ministère de l’Information. Il peut être a
469 ue le rôle de ministère de l’Information. Il peut être amusant de noter pour plus tard la composition de notre équipe en ter
470 sociologie, d’ Esprit , du Figaro , etc. Telles sont les petites surprises de l’exil. Fin juin 1942 Une journée à l’OWI.—
471 dans une atmosphère orageuse ! Mais l’Amérique n’ est pas son fort. Il y tient le succès à distance, laissant à Salvador Da
472 ageuse ! Mais l’Amérique n’est pas son fort. Il y tient le succès à distance, laissant à Salvador Dali, qu’il appelle Avida D
473 de bureaux, de la censure à la polycopie, avant d’ être remis aux speakers, nous trouvons un moment pour causer. Et souvent n
474 amènerait une personne inconnue des autres, tous étant costumés et masqués, les propos échangés dans un style rigoureusement
475 e compensation, si l’on voit dans quel cadre nous sommes en train de causer. Trente machines à écrire dans cette salle, en con
476 rme simple du GI. Ces messieurs les speakers, qui sont André Breton, le peintre Amédée Ozenfant et le jeune fils des Pitoëff
477 nq minutes, au fond d’une campagne française — ce sera déjà la nuit là-bas — des oreilles clandestines entendront : La Voix
478 nt : La Voix de l’Amérique parle aux Français. Il est temps que je recueille et dépouille les directives de Washington, de
479 me cherche du regard par-dessus ses lunettes. Il tient une liasse de documents, les feuillette rapidement, comme sans regard
480 cher. Une bonne idée pour vous là-dedans ! » Cela tient de la divination, et c’est juste neuf fois sur dix. Huit heures et de
481 voudrait bien savoir un peu ce qui se passe… « N’ êtes -vous pas l’auteur du Secret ? Souffrez que j’en sois la victime. » Su
482 s-vous pas l’auteur du Secret ? Souffrez que j’en sois la victime. » Sur quoi, peut-être, il serait temps d’aller à ce dîner
483 e j’en sois la victime. » Sur quoi, peut-être, il serait temps d’aller à ce dîner, n’était-ce pas pour huit heures ? Quitte à
484 peut-être, il serait temps d’aller à ce dîner, n’ était -ce pas pour huit heures ? Quitte à revenir terminer dans la nuit. À d
485 ce. » Juillet 1942 Saint-John Perse. — Lorsqu’il est arrivé en Amérique, il n’a paru de lui qu’une seule photo, encore éta
486 ue, il n’a paru de lui qu’une seule photo, encore était -elle prise de dos. (Mais ce trait justement le révélait.) Penché à un
487 sse, sur la plage. 18 août 1942 Peut-être qu’il n’ est pas de bonheur plus conscient que celui de l’enfance retrouvée dans u
488 retrouvée dans une vacance où le travail lui-même est jeu. Tous les prétextes que les hommes se donnent pour en sortir, un
489 ière », mais vues d’ici, toutes les « carrières » sont des échecs humains. « Contribuer au progrès collectif », mais la fin
490 ogrès collectif », mais la fin du progrès ne peut être qu’une plage, un loisir sur la plage, et nous l’avons ici. New York,
491 le qu’une ville dont la foule transpire ? Il faut être fou pour rentrer… Mais à l’Office, notre travail s’intensifie, et les
492 ctoire inévitable. Leur répéter chaque jour quels sont les plans d’Hitler pour dépouiller la France de sa main-d’œuvre quali
493 sonniers » ; donner des recettes de sabotage, qui seront reprises par la presse clandestine… Mais dire aussi les revers et les
494 vers et les défaites : notre consigne de véracité est absolue. Washington part de l’idée juste qu’il n’est pas de mensonge,
495 absolue. Washington part de l’idée juste qu’il n’ est pas de mensonge, si pieux mensonge soit-il, qui ne serve Hitler en fi
496 te qu’il n’est pas de mensonge, si pieux mensonge soit -il, qui ne serve Hitler en fin de compte. J’écris vingt à trente page
497 une cabane et c’est le Palais de Versailles ! » s’ est écrié Tonio bourru, en pénétrant le premier soir dans le hall. Mainte
498 saurait plus le faire sortir de Bevin House. Il s’ est remis à écrire un conte d’enfants qu’il illustre lui-même à l’aquarel
499 ctobre 1942 Propagande et style. — Depuis que je suis à l’OWI, rédigeant bon gré mal gré mes vingt-cinq pages quotidiennes,
500 ur mon style de ce travail de propagande. Ou bien serait -ce l’influence de l’Amérique en général ? Mais elles convergent ou mê
501 ecte à la radio. Dans les deux cas, les exigences sont les mêmes. Et elles impliquent le renoncement à toutes ces coquetteri
502 trop « écrite » ; ou l’exiger, selon les cas. Que serait -ce d’être un grand écrivain dans une langue morte ? Ou dans une langu
503 e » ; ou l’exiger, selon les cas. Que serait-ce d’ être un grand écrivain dans une langue morte ? Ou dans une langue parlée s
504 ture française moderne, la meilleure justement, s’ est mise dans ce cas. Défaut commun à presque tous nos bons auteurs franç
505 eurs élégances restent cousues de fil blanc. On y est fort sensible à Paris. Cependant nous vivons au xxe siècle, et je vo
506 e transport. Les choses que l’on publie, si elles sont importantes, le sont soit par nature, soit par position. Elles le son
507 es que l’on publie, si elles sont importantes, le sont soit par nature, soit par position. Elles le sont en vertu de leur qu
508 e l’on publie, si elles sont importantes, le sont soit par nature, soit par position. Elles le sont en vertu de leur qualité
509 elles sont importantes, le sont soit par nature, soit par position. Elles le sont en vertu de leur qualité, originalité, be
510 sont soit par nature, soit par position. Elles le sont en vertu de leur qualité, originalité, beauté, vérité intrinsèque ou
511 dans la banalité au sens propre du terme (ce qui est à tous, comme on le dit d’un cœur, d’un taureau ou d’un four « banal 
512 ; d’un Valéry et d’un Gide, parmi nous. La gloire est devenue le droit d’énoncer des banalités mais qui ne passent plus pou
513 nstres précieux. Cependant, il faut commencer par être un monstre, si l’on veut mériter quelque maîtrise. Toute création est
514 ’on veut mériter quelque maîtrise. Toute création est en soi monstrueuse, qu’il s’agisse de l’automobile, du sourire de la
515 de, ou des Variations Goldberg. Les copies seules sont acceptables, à première vue, et seules font accepter l’original, qui
516 accepter l’original, qui fit scandale ou même ne fut pas remarqué. (Balzac « journaliste », Beethoven « cacophoniste », Ba
517 i vécu des journées soustraites au Destin. La mer est grise, le soir vient, les oiseaux sifflent, et l’automne atténue la s
518 es de violente dérive. … mais sachez-le : Nous n’ étions pas absents de vous plus que de nous-mêmes. Vous étiez « occupés », n
519 pas absents de vous plus que de nous-mêmes. Vous étiez « occupés », nous étions en exil, et les uns comme les autres dans l’
520 s que de nous-mêmes. Vous étiez « occupés », nous étions en exil, et les uns comme les autres dans l’inaccepté, dans la déposs
521 , à l’heure de moindre résistance. Notre angoisse était de penser : parlerons-nous encore le même langage au jour de ce retou
522  dans quelle France, et dans quelle Europe ? Nous étions soumis à l’érosion de l’exil, moins brutale, certes, mais plus intime
523 xtérieur, mais l’étranger s’infiltre au cœur de l’ être . Comment lui résisterait-on ? C’est un ami. Il vous a reçus d’abord e
524 oit que vous restez là, il change un peu : vous n’ êtes plus l’invité mais un client, et qui devrait s’arranger pour payer. E
525 d’argent, c’est tout d’un coup le monsieur qui ne tient pas à ce que vous causiez des ennuis. Débrouillez-vous. Et puis, vous
526 usiez des ennuis. Débrouillez-vous. Et puis, vous êtes trop nombreux, on ne peut pas s’occuper de chacun de vous. Et c’est b
527 cuper de chacun de vous. Et c’est bien vrai. Nous étions trop nombreux. En France, en Suisse aussi, avant la guerre, nous trou
528 ugiés. Des gens frappés par le malheur, où que ce soit , il y en a toujours trop. Cependant notre sort vous paraissait enviab
529 sique, ou même à sa menace. Autant dire qu’on les tient pour moins sérieux. Nous étions mal placés pour discuter cela, donc e
530 ant dire qu’on les tient pour moins sérieux. Nous étions mal placés pour discuter cela, donc en somme pour défendre l’esprit,
531 cela, donc en somme pour défendre l’esprit, — qui était pourtant tout ce qu’il restait à défendre par nous, dans l’exil… 6
10 1947, Articles divers (1946-1948). La jeune littérature des États-Unis devant le roman américain (7 juin 1947)
532 e rencontre The Heart is a lonely Hunter (Le Cœur est un chasseur solitaire). Un peu plus tard je la revis à Brooklyn, dans
533 table George Davis, rédacteur du Harper’s Bazaar, tenait son rôle de propriétaire. Benjamin Britten et Paul Bowles représentai
534 le striptease, et tous les autres à quelque titre étaient des « creative people », parlaient de Kierkegaard, de Jung, de ballet
535 me habituel les a repris. Un an plus tard, tous s’ étaient dispersés, au Mexique ou au Michigan, en Angleterre ou en Californie,
536 Angleterre ou en Californie, et Carson McCullers était dans une clinique. Un jour je la rencontre dans un train venant du Su
537 e de journal : son mari, le lieutenant McCullers, est signalé comme le premier Américain blessé lors du débarquement en Nor
538 rs du débarquement en Normandie. Aujourd’hui elle est à Paris, inaugurant avec Kay Boyle et Richard Wright — qui fut le pre
539 inaugurant avec Kay Boyle et Richard Wright — qui fut le premier à saluer son talent — la reprise de l’émigration tradition
540 k. C’est dire peut-être que les jeunes Américains sont moins anxieux de renouveler ou d’assouplir leurs procédés que de se c
541 aient le chaos avec une sorte de brutalité qui en était le reflet plus que l’explication. Mais cette recherche obscurément sp
542 sympathie plus fascinée que volontaire. Ainsi les êtres qui animent cet ouvrage se poursuivent, se rapprochent et se manquent
543 ent dans une espèce de tâtonnement aventureux qui est le mouvement même de la vie intérieure en quête d’explications, de ry
11 1947, Articles divers (1946-1948). Drôle de paix (7 juin 1947)
544 , mais elle augmente aussi l’incertitude. Or ce n’ est pas l’angoisse, comme on le répète complaisamment, ce n’est pas même
545 angoisse, comme on le répète complaisamment, ce n’ est pas même l’anxiété, c’est simplement l’incertitude qui domine l’état
546 eur fournir des repères coutumiers et pratiques s’ est élargi aux dimensions de la planète. Que faire de ces informations en
547 omesse qui peut nous concerner, mais dont il nous est impossible d’évaluer la portée concrète ? Savoir d’abord les faits
548 lowns, les existentialistes et l’adultère. Quelle est donc son idée de la liberté ? Aux Indes les musulmans, les hindous et
549 les princes ne s’accordent que sur un point, qui est de refuser les plans de retraite obstinément offerts par les Anglais.
550 entre le Kouomintang et l’armée communiste, qui n’ est même pas soutenue par Moscou. Quelle est la stratégie yankee à l’égar
551 e, qui n’est même pas soutenue par Moscou. Quelle est la stratégie yankee à l’égard de ce marché gigantesque ? En Amérique
552 era pas sans conséquences, mais lesquelles ? Il n’ est pas un de ces faits, grands ou petits, moral, économique, culturel, r
553 ui ne modifie les conditions du jeu mondial et ne soit destiné à réagir, à plus ou moins longue échéance, sur le sort de cha
554 ions d’Europe et sur nos vies individuelles. Il n’ est pas un de ces faits qu’on puisse analyser à l’aide de nos catégories
555 er vers l’insanité ou révéler son ignorance. Il n’ est pas un de ces faits, par conséquent, dont tiennent compte nos débats
556 ennent compte nos débats politiques. Ces derniers sont centrés sur des questions de partis et de partis pris locaux et ances
557 coqs avec le problème de la bombe. Et tout cela n’ est que trop naturel. Il est parfaitement naturel que nous aimions parler
558 la bombe. Et tout cela n’est que trop naturel. Il est parfaitement naturel que nous aimions parler de politique. Il est par
559 naturel que nous aimions parler de politique. Il est parfaitement naturel que nos discussions se passionnent dans la mesur
560 qui demain disposeront de nos vies : s’en occuper serait s’occuper vraiment de politique. Car il n’y a plus à proprement parle
561 er et le Japon l’ont démontré par leur échec, qui fut celui d’une dernière tentative d’impérialisme national et autarcique
562 Désormais nous savons qu’il y a le monde et qu’il est un. Nous le savons théoriquement. Mais il nous faut encore apprendre
563 de profondes contradictions internes. Leur lien n’ est pas facile à distinguer. Essayons tout d’abord de les décrire. Voici
564 l’URSS, et cette patrie de la révolution moderne est aussi celle qui manque le plus de liberté ; et cette puissance la plu
565 de liberté ; et cette puissance la plus redoutée est aussi celle qu’un rien enraye : un écrivain comique, un journal libre
566 ire de l’éducation et du civisme, découvre que ce sont précisément quelques-unes de ses bases morales, son esprit civique et
567 son esprit civique et son système d’éducation qui sont en crise. Le divorce y devient une maladie sociale, les instituteurs
568 . Cependant que l’Indochine et que l’Indonésie en sont encore au stade préliminaire de la lutte pour l’autonomie. Voici l’Eu
569 e. Voici l’Europe enfin, cette Europe qui naguère était le plus orgueilleux des continents, et qui fait une grande crise de s
570 actuelles et ses garanties les plus sûres. Car ce sont les richesses d’autrui et non ses maladies que l’on jalouse. Si l’un
571 on utopie de justice et d’ordre social. Si l’Asie était moins anarchique elle dominerait un jour par la force du nombre. Si l
572 n idéal mieux assuré dans ses propres foyers elle serait tentée d’abuser de ses avantages actuels. Et si l’Europe était moins
573 d’abuser de ses avantages actuels. Et si l’Europe était moins abîmée, qui sait quelle arrogance elle ne retrouverait pas. J’i
574 bien entendu. Si c’est le cas, ces hommes d’État sont en pleine réalité. Jamais les peuples ou les individus ne se sont uni
575 éalité. Jamais les peuples ou les individus ne se sont unis à cause des richesses qu’ils avaient, tout au contraire. C’est t
576 agissante. L’Organisation des Nations unies ne s’ est formée que pour répondre à l’appel de nos anxiétés et de nos manques.
577 peut seul les mettre au défi de se redresser pour tenir un grand rôle. Ce sont nos quatre pauvretés qui nous lient et qui ass
578 défi de se redresser pour tenir un grand rôle. Ce sont nos quatre pauvretés qui nous lient et qui assurent notre paix provis
12 1947, Articles divers (1946-1948). Einstein, patriarche de l’âge atomique, m’a dit : « C’est pour dissimuler sa pauvreté et sa faiblesse que l’URSS méfiante, s’entoure de secret… » (9 août 1947)
579 ’entoure de secret… » (9 août 1947)n Princeton est une petite cité américaine dont la moitié des habitants se préparent
580 le patriarche du nouvel âge, Albert Einstein. Je suis allé lui rendre visite dans une maison de bois jaune entourée de gazo
581 nt Roosevelt, par laquelle Einstein demandait que fussent organisées d’urgence des recherches sur l’arme atomique. Dans cette p
582 ien. Et nous parlons de l’Amérique, dont Einstein est devenu citoyen. Il me dit : — Écoutez-moi bien, c’est la seule démocr
583 est la seule démocratie véritable. Les gens d’ici sont cordiaux, serviables et surtout ils sont dépourvus de toute espèce d’
584 ns d’ici sont cordiaux, serviables et surtout ils sont dépourvus de toute espèce d’inhibition sociale. Je vous en donnerai u
585 vivez-vous en Amérique ? — Depuis 1934. Mais j’y étais venu une première fois en 1922, pour parler d’un projet d’université
586 as entendu répéter ces derniers temps qu’Einstein serait « très communiste », expression qu’on réserve d’ailleurs aux personne
587 s aux personnes dont on ne peut affirmer qu’elles sont communistes, simplement. N’a-t-il pas proposé, en 1945, de livrer le
588 s nette de ce qu’il nomme l’hystérie antirusse, n’ est autre que l’attitude des Russes sur le plan international. Einstein r
589 international. Einstein réfléchit un moment. — Il est évident, dit-il enfin, que l’obstacle majeur à l’établissement d’un g
590 rien à faire pour la surmonter. Car la cause n’en est que trop claire. La Russie sait que, dans le jeu actuel, elle est le
591 ire. La Russie sait que, dans le jeu actuel, elle est le partenaire le plus faible. Elle s’oppose donc à tout ce que les au
592 e nous croira les plus forts. — Tant que la bombe sera de notre côté… Que pensez-vous de ce délai de cinq ans qu’on cite par
593 e ce délai de cinq ans qu’on cite partout, et qui serait nécessaire à la Russie pour fabriquer ses propres bombes ? — La Russi
594 deux ans au moins. D’ici dix ans au plus. Ce qui est sûr, c’est qu’elle y travaille. — Croyez-vous que le « rideau de fer 
595 tion plus simple du « rideau de fer ». Les Russes sont très pauvres. C’est pour cela qu’ils ont si peur des étrangers. Et no
596 n sans raison. Car, au cours actuel du dollar, il serait vraiment trop facile d’acheter des espions en Russie. L’indicateur y
597 e d’acheter des espions en Russie. L’indicateur y serait trop bon marché. — Selon vous, ils redoutent des fuites au sujet de l
598  ? — Mieux que cela : cette organisation mondiale sera bientôt si forte, une fois éliminés les résistances ou le sabotage so
599 laira, officiels ou non. Et à la fin — car ils ne sont pas fous comme les nazis —, ils verront bien que leur avantage est d’
600 e les nazis —, ils verront bien que leur avantage est d’y rentrer. La « bombe » et le monde… La nuit est venue. Nous
601 rentrer. La « bombe » et le monde… La nuit est venue. Nous passons dans un petit salon bien bourgeois, bien en ordre
602 dans tous les grands pays, les plans de ce genre seront sans efficacité. Cependant, la proposition Baruch a cela d’excellent
603 rtiel à la souveraineté absolue des nations. — Ce serait , lui dis-je en me levant, le premier pas vers un gouvernement mondial
604 fin de la féodalité des États-nations. — La route est longue, bien longue encore ! dit-il soucieux en me reconduisant. Sur
13 1947, Articles divers (1946-1948). Conversation à bâtons rompus avec M. Denis de Rougemont (30-31 août 1947)
605 x grands esprits et cette parfaite courtoisie qui est la marque de l’homme bien né, M. de Rougemont nous a fait l’honneur d
606 ger a écrit la musique. Surpris par la guerre, je suis resté aux États-Unis. Je suis rentré en Suisse il y a quelques mois s
607 s par la guerre, je suis resté aux États-Unis. Je suis rentré en Suisse il y a quelques mois seulement, et je compte m’insta
608 xercée aux États-Unis en faveur de notre pays. Il est trop modeste pour vouloir nous l’avouer, mais il s’est fait l’ardent
609 rop modeste pour vouloir nous l’avouer, mais il s’ est fait l’ardent défenseur de nos institutions. Ce rôle a été d’autant p
610 l’ardent défenseur de nos institutions. Ce rôle a été d’autant plus utile pour nous que notre neutralité n’a pas toujours é
611 e pour nous que notre neutralité n’a pas toujours été bien comprise et que la presse n’a pas toujours été très tendre à not
612 é bien comprise et que la presse n’a pas toujours été très tendre à notre égard. De cette influence, nous ne donnerons qu’u
613 d’éminentes personnalités américaines, qui avait été chargé d’établir un rapport sur la conscription. Or, dans ses conclus
614 nscription. Or, dans ses conclusions, ce comité s’ est prononcé pour la conscription, parce que, se référant à l’ouvrage sur
615 n le plus favorable. Ce mouvement personnaliste a été créé vers 1932 à Paris, Denis de Rougemont représentant l’élément pro
616 s et incroyances. Les membres de ce mouvement ont été dispersés par la guerre, certains étant morts, mais les idées — et c’
617 uvement ont été dispersés par la guerre, certains étant morts, mais les idées — et c’est là l’essentiel — se sont répandues.
618 ts, mais les idées — et c’est là l’essentiel — se sont répandues. En écoutant parler mardi soir l’auteur du Journal d’un int
619 u Journal d’un intellectuel en chômage, nous nous étions demandé à la suite de quelles expériences personnelles il avait été a
620 uite de quelles expériences personnelles il avait été amené à formuler une philosophie du fédéralisme aussi profonde et aus
621 i nous a répondu simplement : De tout temps, j’ai été fédéraliste, et je me suis fait une philosophie qui cadre avec les in
622 t : De tout temps, j’ai été fédéraliste, et je me suis fait une philosophie qui cadre avec les institutions de notre pays, c
623 que l’expérience suisse, malgré son petit cadre, est valable pour l’Europe. Voyez-vous, on ne se rend pas compte, en Suiss
624 , un sentiment européen, ce qui n’empêche pas, il est vrai, bon nombre d’entre nous de douter de la naissance d’une fédérat
625 me rapidité avec laquelle la Constitution de 1848 fut proposée, écrite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle était en
626 crite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle était encore une utopie. Trois ans plus tard, elle fonctionnait si bien que
627 sentiment suisse, dans les années précédant 1848, était informulé, et qu’il a fallu la campagne de la Société helvétique et l
628 lisme suisse. Et cette crise vient de ce que nous sommes entourés d’États-nations, qui menacent notre fédéralisme. Cela expliq
629 it chez nous des progrès aussi terrifiants. Aussi suis -je convaincu que le salut de notre fédéralisme ne peut venir que d’un
14 1947, Articles divers (1946-1948). L’attitude fédéraliste (octobre 1947)
630 ner à des généralisations théoriques ; or, rien n’ est plus contraire à l’essence même du fédéralisme que l’esprit théorique
631 ne manière indirecte, par implication, et je m’en tiendrai le plus possible à ses manifestations historiques, telles que nous po
632 viter de poser au départ quelques définitions. Il est vain de parler des problèmes politiques, si l’on ne s’est pas entendu
633 de parler des problèmes politiques, si l’on ne s’ est pas entendu d’abord sur une certaine idée de l’homme. Car toute polit
634 le veuille ou non, qu’on le sache ou non. Quelle est donc la définition de l’homme sur laquelle nous pouvons tomber d’acco
635 r d’accord, ou pour mieux dire, sur laquelle nous sommes d’accord, tacitement, si nous souhaitons un régime fédéraliste ? Nous
636 pensions que le type d’homme le plus souhaitable est l’individu isolé, dégagé de toute responsabilité vis-à-vis de la comm
637 n plus si nous pensions avec Hitler que l’homme n’ est qu’un soldat politique totalement absorbé par le service de la commun
638 ous le voulons, c’est que nous savons que l’homme est un être doublement responsable : vis-à-vis de sa vocation propre et u
639 voulons, c’est que nous savons que l’homme est un être doublement responsable : vis-à-vis de sa vocation propre et unique, d
640 tes, nous rappelons que les conquêtes sociales ne sont rien, si elles n’aboutissent pas à rendre chaque individu plus libre
641 lus libre dans l’exercice de sa vocation. L’homme est donc à la fois libre et engagé, à la fois autonome et solidaire. Il v
642 trois types différents de régimes politiques, et sont en retour favorisés par eux. À l’homme considéré comme pur individu,
643 ispensable. Il ne faut pas penser que la personne soit un moyen terme ou un juste milieu entre l’individu sans responsabilit
644 rsonne, c’est l’homme réel, et les deux autres ne sont que des déviations morbides, des démissions de l’humanité complète. L
645 démissions de l’humanité complète. La personne n’ est pas à mi-chemin entre la peste et le choléra, mais elle représente la
646 ique. Un homme qui boit de l’eau et qui se lave n’ est pas à mi-chemin entre celui qui meurt de soif et celui qui se noie.
647 é et de centralisation oppressive. Le fédéralisme est sur un autre plan que ces deux erreurs complémentaires. Chacun sait q
648 le lit du collectivisme : ces deux extrêmes, eux, sont dans le même plan, se conditionnent et s’appellent l’un et l’autre. C
649 e les résistances que rencontrent les dictateurs, sont au contraire le fait des groupes de citoyens responsables, c’est-à-di
650 tution commune. Dans cette vue, la Suisse moderne serait une sorte de « bon exemple » à suivre. Rien de plus banal, que cette
651 banal, que cette référence à la Suisse, dès qu’il est question d’États-Unis d’Europe ou d’un gouvernement mondial. Rien de
652 gouvernement mondial. Rien de plus banal, si ce n’ est les objections qui surgissent aussitôt : « Tout cela, dit-on, est bel
653 ns qui surgissent aussitôt : « Tout cela, dit-on, est bel et bon pour un petit pays, mais n’est pas applicable aux grands.
654 dit-on, est bel et bon pour un petit pays, mais n’ est pas applicable aux grands. De plus, il a fallu des siècles aux Suisse
655 me rapidité avec laquelle la Constitution de 1848 fut proposée, écrite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle était en
656 crite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle était encore une utopie. Trois ans plus tard, elle fonctionnait si bien que
657 chelle continentale, je répondrai que l’objection est valable si l’on ne s’attache qu’aux détails de la mise en pratique du
658 e qu’elle illustre. Une expérience de laboratoire est nécessairement plus réduite de dimensions que ses applications, mais
659 omme toutes les grandes idées, l’idée fédéraliste est très simple, mais non pas simple à définir en quelques mots, en une f
660 r en quelques mots, en une formule. C’est qu’elle est d’un type organique plutôt que rationnel, et dialectique plutôt que s
661 vement intime de la pensée fédéraliste ne saurait être mieux comparé qu’à un rythme, à une respiration, à l’alternance perpé
662 alectique, cette bipolarité, comme on voudra, qui est le battement même du cœur de tout régime fédéraliste. L’oublier serai
663 ême du cœur de tout régime fédéraliste. L’oublier serait se condamner à retomber sans cesse dans un malentendu fondamental, qu
664 ent. En effet, les mots fédération et fédéralisme sont compris de deux manières très différentes par les Suisses alémaniques
665 au contraire, ceux qui se proclament fédéralistes sont en réalité les défenseurs jaloux de l’autonomie des cantons contre la
666 r veut dire simplement : s’unir. Pour les autres, être fédéraliste veut dire simplement : rester libre chez soi. Or les uns
667 vue de leur renforcement mutuel. Ce dernier point est parfaitement exprimé par la devise de la Suisse, devise paradoxale ou
668 apporter à chaque région et à chaque personne. Il est infiniment probable que sur le plan européen, nous allons voir se des
669 er aux deux partis que le fédéralisme véritable n’ est ni dans l’une ni dans l’autre de ces tendances, mais bien dans leur c
670 storiens suisses, j’entends ceux d’avant 1848, on est frappé de constater qu’ils n’emploient jamais le terme de fédéralisme
671 ue cette idée, comme je le disais tout à l’heure, est à la fois simple à sentir et très délicate à formuler. Mais c’est peu
672 ionaliser les principes de leur vie politique. Il est incontestable, en effet, que l’idée fédéraliste n’a pas cessé d’inspi
673 mmes d’État suisses, pendant des siècles. Mais il est non moins certain que cette idée est demeurée informulée, et même soi
674 les. Mais il est non moins certain que cette idée est demeurée informulée, et même soigneusement informulée, jusqu’à ce que
675 t forcée à prendre forme et force de loi. Et ce n’ est guère qu’au xxe siècle que les penseurs et sociologues se sont mis à
676 au xxe siècle que les penseurs et sociologues se sont mis à la commenter et à philosopher à son sujet. Jusqu’en 1848, elle
677 , elle allait sans dire, comme la vie même ; elle était la vie du civisme et de la pratique politique des Suisses. C’est le d
678 urer, doit devenir à son tour missionnaire. Telle est sa crise : ou se nier, ou triompher, mais sur le plan de l’Europe ent
679 peu à peu, depuis la guerre de 1914-1918. La SDN fut l’un de ses symptômes, bien faible encore. L’idée d’un réseau de pact
680 ncore. L’idée d’un réseau de pactes bilatéraux en fut un autre. Dans les deux cas, le sentiment fédéraliste fut promptement
681 utre. Dans les deux cas, le sentiment fédéraliste fut promptement détourné au profit de politiques d’hégémonie. Toutefois c
682 des peuples. La guerre dont nous sortons à peine est venue le fouetter. Brusquement, la question se pose de fédérer l’Euro
683 elle se pose brusquement, cette question risque d’ être mal posée. J’entends qu’elle risque de ne susciter que des plans rati
684 a cru pouvoir imposer sa primauté, les autres se sont ligués contre lui, l’ont obligé à rentrer dans le rang, et l’union fé
685 e cet acte de renoncement à l’hégémonie conquise, est résulté la constitution de 1848, véritable base de l’État fédératif m
686 leurs tentatives pour faire l’unité de l’Europe, sont des avertissements utiles, ils nous confirment dans l’idée qu’on ne p
687 ns l’idée qu’on ne peut pas atteindre la fin, qui est l’union, par des moyens impérialistes. Ceux-ci ne peuvent conduire qu
688 ur les minorités, destructeurs des diversités qui sont la condition de toute vie organique. Rappelons-nous toujours que fédé
689 anique. Rappelons-nous toujours que fédérer, ce n’ est pas mettre en ordre d’après un plan géométrique à partir d’un centre
690 ue mal ces réalités concrètes et hétéroclites que sont les nations, les régions économiques, les traditions politiques ; et
691 hesse de l’Europe et l’essence même de sa culture seraient perdues si l’on tentait d’unifier le continent, de tout mélanger, et
692 server ses particularités et son autonomie, qu’il serait hors d’état de défendre seul contre la pression des grands empires qu
693 ême corps, elles comprendraient que leur harmonie est une nécessité vitale, et non pas une concession qu’on leur demande, o
694 nner de concert, chacune selon sa vocation. Ce ne serait pas même une question de tolérance, vertu purement négative et qui na
695 aît le plus souvent du scepticisme. Chaque nation serait mise au défi de donner le meilleur d’elle-même, à sa manière et selon
696 rer » le cœur. Tout ce qu’on lui demande, c’est d’ être un vrai poumon, d’être aussi poumon que possible, et dans cette mesur
697 qu’on lui demande, c’est d’être un vrai poumon, d’ être aussi poumon que possible, et dans cette mesure même, il aidera le cœ
698 e, et dans cette mesure même, il aidera le cœur à être un bon cœur. Cinquième principe. — Le fédéralisme repose sur l’amour
699 elles, psychologiques, et même économiques, telle est la santé du régime fédéraliste. Et ses pires ennemis sont ceux dont l
700 santé du régime fédéraliste. Et ses pires ennemis sont ceux dont le grand Jakob Burckhardt annonçait la venue dès 1880, dans
701 il convient de leur montrer que cette complexité est la condition même de nos libertés. C’est grâce à elle que nos fonctio
702 bertés. C’est grâce à elle que nos fonctionnaires sont constamment rappelés au concret, et que nos législateurs sont obligés
703 ment rappelés au concret, et que nos législateurs sont obligés de garder un contact attentif avec les réalités humaines et n
704 éalités humaines et naturelles du pays. La Suisse est formée d’une multitude de groupes et d’organismes politiques, adminis
705 qui se recoupent de cent manières différentes. Il est clair que des lois ou des institutions conçues dans un esprit unitair
706 sonne même de ceux qui s’y rattachent. Certes, il est plus facile de décréter sur table rase, de simplifier les réalités d’
707 hit, on s’aperçoit que la politique fédéraliste n’ est rien d’autre que la politique tout court, la politique par excellence
708 es citoyens. Tandis que les méthodes totalitaires sont antipolitiques par définition, puisqu’elles consistent simplement à s
709 ’est une parenté culturelle qui s’affirme. Ici ce sont deux églises de confessions voisines qui s’ouvrent l’une à l’autre, e
710 s qui forment une union douanière. Et surtout, ce sont des personnes qui créent peu à peu des réseaux variés d’échanges euro
711 variés d’échanges européens. Rien de tout cela n’ est inutile. Et tout cela, qui paraît si dispersé, si peu efficace souven
712 -dessous et au-dessus des gouvernements, l’Europe est beaucoup plus près de s’organiser qu’il ne le semble. Elle est déjà b
713 plus près de s’organiser qu’il ne le semble. Elle est déjà beaucoup plus unie, en réalité, qu’elle ne le croit. C’est sur l
714 et les rivalités éclatent, et là seulement, elles sont irréductibles. Je ne pense pas que les gouvernements puissent jamais
715 is réaliser une union viable. Leurs dirigeants ne sont pas qualifiés pour arbitrer le jeu des nations. Chacun sait qu’il ser
716 ur arbitrer le jeu des nations. Chacun sait qu’il serait déraisonnable de choisir comme arbitres d’un match les capitaines des
717 nt bien ce qu’avait tenté de faire la SDN, qui en est morte, et ce que tente à nouveau l’ONU, que cela empêche de vivre. La
718 ela empêche de vivre. La fédération européenne ne sera pas l’œuvre des gouvernants chargés de défendre les intérêts de leur
719 ur nation contre le reste du monde. La fédération sera l’œuvre de groupes et de personnes qui prendront l’initiative de se f
720 érer en dehors des gouvernements nationaux. Et ce sont ces groupes et ces personnes qui formeront le gouvernement de l’Europ
721 s d’autre voie possible et praticable. Les USA ne sont pas dirigés par une assemblée des gouverneurs des 48 États, ni la Sui
722 ni la Suisse par les délégués des 22 cantons. Ce serait impraticable. Ces deux fédérations sont gouvernées, au-dessus de leur
723 ons. Ce serait impraticable. Ces deux fédérations sont gouvernées, au-dessus de leurs États, et en dehors d’eux, par un exéc
724 our où les peuples d’Europe auront compris qu’ils sont en réalité beaucoup plus solidaires et plus unis que leurs gouverneme
725 unis que leurs gouvernements ne pourront jamais l’ être , ils s’apercevront que la fédération est non seulement possible, mais
726 amais l’être, ils s’apercevront que la fédération est non seulement possible, mais facile à réaliser, et rapidement, comme
727 , mais facile à réaliser, et rapidement, comme le fut celle des cantons suisses en 1848. La nécessité en est évidente, la m
728 elle des cantons suisses en 1848. La nécessité en est évidente, la maturation historique en est fort avancée, les structure
729 sité en est évidente, la maturation historique en est fort avancée, les structures en sont déjà esquissées. Il n’y manque p
730 historique en est fort avancée, les structures en sont déjà esquissées. Il n’y manque plus qu’une charte fédérale, des organ
731 a main aux gouvernements. Souhaitons que cet élan soit spontané et non pas provoqué avant terme par une nouvelle menace exté
732 itiques, deux attitudes humaines possibles. Ce ne sont pas la gauche et la droite, devenues presque indiscernables dans leur
733 e indiscernables dans leurs manifestations. Ce ne sont pas le socialisme et le capitalisme, l’un tendant à se faire national
734 nt à se faire national et l’autre étatique. Ce ne sont pas la Tradition et le Progrès, qui prétendent également défendre la
735 rétendent également défendre la liberté. Et ce ne sont pas non plus la Justice et la Liberté, qu’il est aussi impossible d’o
736 sont pas non plus la Justice et la Liberté, qu’il est aussi impossible d’opposer en réalité qu’en principe. Aujourd’hui, re
737 espérance. Cette antithèse domine le siècle. Elle est son véritable drame. Toutes les autres pâlissent devant elle, sont se
738 e drame. Toutes les autres pâlissent devant elle, sont secondaires ou illusoires, ou dans le meilleur des cas lui sont subor
739 es ou illusoires, ou dans le meilleur des cas lui sont subordonnées. Les principes du fédéralisme, tels que je viens de les
740 taires. Tous les systèmes totalitaires, en effet, sont fondés sur l’hégémonie d’un parti ou d’une nation, sur l’esprit de sy
741 itique, et finalement militaire. Le totalitarisme est simple et rigide, comme la guerre, comme la mort. Le fédéralisme est
742 e, comme la guerre, comme la mort. Le fédéralisme est complexe et souple, comme la paix comme la vie… Et parce qu’il est si
743 ouple, comme la paix comme la vie… Et parce qu’il est simple et rigide, le totalitarisme est une tentation permanente pour
744 arce qu’il est simple et rigide, le totalitarisme est une tentation permanente pour notre fatigue, notre inquiétude, nos do
745 de démission spirituelle. L’esprit totalitaire n’ est pas dangereux seulement parce qu’il triomphe aujourd’hui dans une diz
746 istes — fédéralistes comme on respire — la partie sera déjà plus qu’à moitié gagnée. Car si l’Europe doit durer, c’est aux f
747 nts ont un penchant marqué à persévérer dans leur être , et même à lui survivre aussi longtemps que possible avec l’appui de
748 emps que possible avec l’appui de la police. Or l’ être des gouvernements, dans le monde actuel, c’est la souveraineté absolu
749 uveraineté absolue. Tous les États-nations qui se sont arrogé ces droits absolus sans devoirs, ont un penchant irrésistible
750 hant irrésistible à devenir totalitaires. Et ce n’ est point que leurs hommes d’État soient particulièrement bêtes ou méchan
751 taires. Et ce n’est point que leurs hommes d’État soient particulièrement bêtes ou méchants, mais leur fonction leur interdit
752 rivalités des partis, ils courraient le risque d’ être accusés de trahison s’ils transigeaient un seul instant avec le dogme
753 e la plupart d’entre eux désirent, ne peuvent pas être leur affaire, pour des raisons absurdes mais techniques. Il faut donc
754 . Il faut donc les pousser dans le dos, voilà qui est clair, pour qu’ils acceptent un jour de renoncer non pas à la souvera
755 iser la Nouvelle Résistance européenne, nous nous sommes déclarés responsables au récent congrès de Montreux, qui fédérait tou
15 1947, Articles divers (1946-1948). La liberté dans l’amour [Réponse à une enquête] (novembre 1947)
756 fondements du mariage et de la famille ». Mais il est hasardeux de parler de la « conception chrétienne de l’amour » comme
757 t qui va de soi. Avant de la déclarer périmée, il serait normal d’en prendre connaissance, de la distinguer des conceptions bo
758 rait au moins distinguer amour et sexualité. Il n’ est pas exact de dire, par exemple, que « l’homme primitif et l’homme civ
759 ique… » Car ce que les primitifs réglementaient n’ était jamais l’amour au sens où nous l’entendons et qu’ils ignoraient total
760 , auxquelles l’amour ce « prisonnier » semblerait être soumis « depuis toujours ». Je crains bien que tout cela ne repose su
761 donc voudrait-on le libérer ? L’amour a toujours été libre. Bien plus, l’amour est le principe actif de toute libération h
762 L’amour a toujours été libre. Bien plus, l’amour est le principe actif de toute libération humaine. Il est la liberté même
763 le principe actif de toute libération humaine. Il est la liberté même. (Et quant à ceux qui croient que c’est la haine qui
764 doute que la police crée l’ordre, quand elle n’en est que le déchet.) Les seuls obstacles réels à l’amour sont en nous : sé
765 e le déchet.) Les seuls obstacles réels à l’amour sont en nous : sécheresse, blessures spirituelles, anxiété de l’orgueil to
766 uffira. Les sages et les saints de tous les temps sont avec vous pour affirmer la Liberté dans l’Amour et par l’Amour. Cet i
767 Liberté dans l’Amour et par l’Amour. Cet idéal n’ est pas seulement « souhaitable » comme le suggère modestement votre ques
768 me le suggère modestement votre questionnaire, il est l’idéal par excellence de tout ce qui mérite le nom d’homme. Ama et f
769 ces mêmes slogans, la dictature policière. Cela s’ est vu. C’est dans cette dégradation « dialectique » apparemment inévitab
770 ême pour laquelle une enquête comme la vôtre peut être conduite sans que mort s’en suive, ni même une amende. Si nos lois dé
771 u jour en tous termes que dans ce domaine-là tout est permis, on sentirait à peine la différence. Si par exemple elles adme
772 re générale, les sanctions dans le domaine sexuel sont négligeables parmi nous, si on les compare à celles qu’entraîne la si
773 politiques même non déclarées publiquement. Nous sommes loin des sociétés qui lapidaient les adultères, prescrivaient dans le
774 x. Si l’on estime que l’état présent de nos mœurs est satisfaisant, il en résulte qu’une « éthique de l’amour » (entendons
775 thique de l’amour » (entendons de la sexualité) n’ est pas nécessaire ; car en fait nous n’en avons plus, ou juste assez pou
16 1947, Articles divers (1946-1948). La balance n’est pas égale entre les États-Unis et l’URSS (8 novembre 1947)
776 La balance n’ est pas égale entre les États-Unis et l’URSS (8 novembre 1947)q L’anec
777 guide, ils ne circulent pas encore, mais vous, qu’ est -ce que vous dites de la question des Noirs aux États-Unis, hein ? » C
778 rs aux États-Unis, hein ? » Ce dialogue de fous n’ est pas celui des peuples, mais de certains journalistes qui parlent en l
779 l’esprit ! » Le raisonnement, sur huit colonnes, est le suivant : 1° « Henry Miller propage l’idée du monde la plus désesp
780 ope la lecture de Henry Miller, et ce dernier qui est « le plus rusé de tous » écrit ce qu’il faut pour servir « l’expansio
781 ope occidentale de Tolstoï et Dostoïevsky devrait être mis au crédit des sombres desseins du tsarisme ? Et, de même, l’insuc
782 , l’insuccès notoire de la littérature soviétique serait le fait d’un calcul de Staline ? Il se peut que les rédacteurs de L’H
783 s, au nom de la simple vérité. ⁂ Tout d’abord, il est notoirement faux d’écrire que Henry Miller a puisé son désespoir « da
784 és à Paris, et interdits en Amérique. Ensuite, il est notoirement faux et ridicule d’accuser les éditeurs américains de « t
785 ue de ce reproche : 1° Les éditeurs américains ne sont pas aux ordres de Truman, comme ceux de l’URSS sont aux ordres de Sta
786 nt pas aux ordres de Truman, comme ceux de l’URSS sont aux ordres de Staline ; 2° Les éditeurs américains cherchent à faire
787 en ; 3° Or les livres qui font de l’argent aux US sont les romans historiques et les romans religieux, qui tirent souvent à
788 mistes » de Faulkner et surtout de Miller, loin d’ être des best-sellers, tirent à 5 ou 20 000 exemplaires, tandis que les œu
789 nne. Sur la dictature de l’argent aux USA, tout a été dit, et les cent anecdotes personnelles que je pourrais verser au dos
790 e sache. Comme dans tous les pays où l’entreprise est libre, mais plus que chez nous, parce que l’Américain n’est pas hypoc
791 mais plus que chez nous, parce que l’Américain n’ est pas hypocrite dans ce domaine, les éditeurs de livres et de revues de
792 Ambre fit savoir à la jeune et jolie femme qui en est l’auteur qu’il jugeait l’ouvrage très mauvais, mais l’acceptait comme
793 u mot esprit dans ce contexte. Mais la question n’ est pas si simple. Car après tout, c’est le goût du public qui fait le su
794 gain chez l’éditeur. En d’autres termes, si Ambre est un triomphe mondial qui réduit à néant ceux de Miller à Paris, c’est
795 er à Paris, c’est que la majorité du grand public est imbécile. Il faut donc l’éduquer, concluent les moralistes américains
796 Humanité. Mais dans la mesure même où ces digests sont des écoles de simplisme béat au service de l’idéologie majoritaire, n
797 ricaines, au lieu d’en faire meilleur usage. Nous sommes de petits malins qui refusent de choisir entre la peste et le choléra
798 tre la peste et le choléra, entre les blocs. Nous tenons la balance égale… ⁂ Eh bien ! non, la balance n’est pas égale ! L’Amé
799 s la balance égale… ⁂ Eh bien ! non, la balance n’ est pas égale ! L’Amérique est tout de même un pays où les dégradations d
800 en ! non, la balance n’est pas égale ! L’Amérique est tout de même un pays où les dégradations de l’esprit, hélas ! réelles
801 ions de l’esprit, hélas ! réelles, peuvent encore être dénoncées, et le sont chaque jour avec une force, une pertinence, une
802 s ! réelles, peuvent encore être dénoncées, et le sont chaque jour avec une force, une pertinence, une cruauté qu’aucun crit
803 d Niehbur, pour ne rien dire des romanciers, il n’ est pas une des tares américaines qui n’ait été décrite, avouée, analysée
804 il n’est pas une des tares américaines qui n’ait été décrite, avouée, analysée par les Américains eux-mêmes, avec une libe
805 et qui épouvanterait les staliniens. La balance n’ est pas égale. Car ce qui dégrade l’esprit, ce sont bien moins les tentat
806 n’est pas égale. Car ce qui dégrade l’esprit, ce sont bien moins les tentations de l’argent et du succès vulgaire que les h
807 ommandé par l’État. Ce qui dégrade l’esprit, ce n’ est pas le fait que les mauvais romans encombrent l’étalage, mais qu’on n
808 si le Parti les déclare orthodoxes. La balance n’ est pas égale. Car d’un côté l’on se moque encore de la bêtise, de l’autr
809 possible. Je vais faire jouer cette pièce ici, ce sera le succès de fou rire de la rentrée. » ⁂ Quant à l’influence américai
810 de Miller, dont le succès, je l’ai montré, loin d’ être le fait des éditeurs américains, est celui de notre public. Mais sur
811 tré, loin d’être le fait des éditeurs américains, est celui de notre public. Mais sur l’Europe, en général, l’influence amé
812 ur l’Europe, en général, l’influence américaine s’ est exercée en deux occasions plus marquantes, je veux parler de 1917 et
813 je veux parler de 1917 et de 1942, et alors elle fut bien le fait de la volonté du peuple américain et de la politique de
814 s chefs. q. Rougemont Denis de, « La balance n’ est pas égale entre les États-Unis et l’URSS », Le Figaro littéraire, Par
17 1947, Articles divers (1946-1948). Une Europe fédérée (20 décembre 1947)
815 son bilan de misères, qu’à voir la place qu’elle tient encore ou ne tient déjà plus dans le monde actuel… Mais puisqu’on m’i
816 es, qu’à voir la place qu’elle tient encore ou ne tient déjà plus dans le monde actuel… Mais puisqu’on m’invite aujourd’hui à
817 ge. Quelques faits La fédération de l’Europe est inscrite dans les faits les plus neufs de ce siècle, les uns techniqu
818 pas d’un coup d’œil, c’est que « l’homme moderne est démodé », comme l’a dit un Américain : sa conscience est en retard su
819 odé », comme l’a dit un Américain : sa conscience est en retard sur le milieu nouveau, sur les périls certains et les bienf
820 adre des nations, quand le jeu des forces réelles est international et opère à l’échelle des continents. Il pense encore en
821 nt des points immobiles, quand la mesure pratique est l’heure de vol. Il médite sur la carte des frontières, dont les résea
822 temps qu’elles les rendent plus étroits. L’Europe est plus petite que nous ne pensions, le monde plus grand. Nos descendant
823 léry ait pu nous étonner en notant que l’Europe n’ est qu’un cap de l’Asie. À ces faits matériels vient s’ajouter le grand f
824 e et nous pousse à l’union. Séparés, isolés, nous serons colonisés. Ensemble, nous serons aussi nombreux que les deux Grands a
825 és, isolés, nous serons colonisés. Ensemble, nous serons aussi nombreux que les deux Grands additionnés. Ils baisseront le ton
826 les pistolets déposés sur la table ? Deux mondes sont en présence, que nous n’approuvons pas, pour des raisons d’ailleurs t
827 , pour des raisons d’ailleurs très inégales. L’un est collectiviste, l’autre individualiste. Dans notre immense majorité no
828 s nous méfions du second. Notre idée de l’homme n’ est pas celle du Kremlin ni celle du businessman américain. Nous ne voulo
829 u’un quart du corps électoral dans les pays où il est le plus fort, et qui ne peut faire notre unité que sur nos ruines, pa
830 camps. À l’égard de l’Amérique notre refus, pour être beaucoup moins brutal, n’est pas moins franc. Nous avons besoin d’ell
831 e notre refus, pour être beaucoup moins brutal, n’ est pas moins franc. Nous avons besoin d’elle matériellement, elle a beso
832 le stade de l’individualisme économique. Son rôle est d’inventer un régime neuf, plus souple et plus humain que la dictatur
833 ous pour un. Voilà la vocation de l’Europe. Or il est clair qu’aucune de nos nations n’est en mesure de la réaliser pour so
834 urope. Or il est clair qu’aucune de nos nations n’ est en mesure de la réaliser pour son seul compte et sans échanges. Aucun
835 r pour son seul compte et sans échanges. Aucune n’ est assez riche et assez forte pour réussir sans ses voisins, ou pour rés
836 ressions impériales. Et l’idée de coopération qui serait au cœur de ce régime social, et qui inspire partout sa recherche, ne
837 n Il semble à première vue qu’un tel programme soit si clairement inscrit dans les données du siècle et si lisible aux me
838 sième refus, celui de l’Europe, jusqu’à ce qu’ils soient dûment colonisés ! » Personne n’ose dire cela, ou comme cela. Mais ce
839 isme, défaitisme et stalinisme. Le nationalisme n’ est en fait qu’une crispation de névrose féodale, un complexe de repli de
840 consiste à déclarer que la guerre des deux blocs est fatale ; inutile de rien faire en l’attendant, et surtout pas quelque
841 n le stalinisme a décrété que l’union de l’Europe est antirusse, ce qui est la manière stalinienne de dire que la Russie ne
842 été que l’union de l’Europe est antirusse, ce qui est la manière stalinienne de dire que la Russie ne veut pas la paix de l
843 t régime démocratique. Le refus sur deux fronts n’ est pas une politique. Quand il est autre chose que l’effet naturel d’une
844 sur deux fronts n’est pas une politique. Quand il est autre chose que l’effet naturel d’une grande affirmation centrale, il
845 t naturel d’une grande affirmation centrale, il n’ est même pas un vrai refus : il ne peut mener qu’à accepter par force ce
846 ombattu dans la faiblesse au nom de rien. Mais où est la grande affirmation centrale, le grand but de cette drôle de paix ?
847 êmes déclenchée. Et nous savons pourtant que nous sommes plus libres qu’eux, et plus sages que les Américains. Mais nous resto
848 rtés : le but, l’essence de la pensée fédéraliste étant précisément de trouver les moyens d’articuler, d’arranger sans les tu
849 miques) dans un corps, non dans un carcan. Ce qui est la politique par excellence, n’en déplaise aux sectaires de tous bord
850 de tous bords. La véritable troisième force, ce n’ est pas je ne sais quel groupement de doubles négations et de demi-mesure
851 le fédéralisme, qui veut que la Terre promise ne soit pour nous ni l’Amérique ni la Russie, mais cette vieille terre à raje
852 rès de l’Union européenne des fédéralistes, qui s’ est tenu à Montreux à la fin du mois d’août. r. Rougemont Denis de, « U
853 de l’Union européenne des fédéralistes, qui s’est tenu à Montreux à la fin du mois d’août. r. Rougemont Denis de, « Une Eu
18 1948, Articles divers (1946-1948). Notes sur la voie clandestine (hiver 1948)
854 sur la voie clandestine (hiver 1948)t Il faut être aussi rationnel que possible. Pas davantage. On verra bien jusqu’où c
855 Ensuite on verra mieux ce qui va plus loin. Ce n’ est pas une erreur qui doit ouvrir la voie. Mais essayons de ramener l’at
856 nt de fois refusé dans un écart désarçonnant : qu’ est -ce que le destin d’un homme, — mon destin ? C’est ici que la voie pre
857 ue la voie prend naissance. Tu as un destin si tu es distinct. Tout homme, dès qu’il se voit isolé par le sort, entre en s
858 , comme le corps quand la tête a passé. Car si je suis unique, il est une voie qui n’est tracée que pour moi seul, et que se
859 quand la tête a passé. Car si je suis unique, il est une voie qui n’est tracée que pour moi seul, et que seul je pourrai d
860 ssé. Car si je suis unique, il est une voie qui n’ est tracée que pour moi seul, et que seul je pourrai deviner comme on fai
861 ’insignifiance d’une vie où l’argent et la guerre sont seuls à organiser la cohue, le superstitieux simplement sera celui qu
862 à organiser la cohue, le superstitieux simplement sera celui qui ne désespère pas de trouver quelque sens acceptable sous l’
863 le seul optimiste parmi nous, qui ait causé de l’ être sans niaiserie. S’il s’arrête à telle apparence curieusement précise
864 fait allusion à ce qui va venir, ou parce qu’elle est un peu moins apparence que tout le reste et un peu plus apparition. C
865 t 9 — le démoniaque et le divin, pour lui — et ce sont la Sixième Avenue et la Neuvième Rue, justement — s’il y pense, il es
866 et la Neuvième Rue, justement — s’il y pense, il est dans le jeu. Dans un état signifiant et rythmé. Il ne voit plus l’éch
867 des mystères communs. Mais le matériel symbolique est assez curieusement restreint, les symboles efficaces en nombre limité
868 sans visage… Il semble que ces formes et figures soient presque seules à définir le pouvoir d’illustrer les messages émis par
869 sard. Mais nous touchons ici au fétichisme, qui n’ est qu’une obsession morbide du sens des signes. ⁂ Quand tout se ferme de
870 e clin d’œil de mes superstitions improvisées. Qu’ est -ce donc que cela ? Un moyen de me refonder sur mes assises inconscien
871 les signes que j’accueille ont bien des chances d’ être dans la complicité de mon exigence secrète. C’est elle, au vrai, qui
872 qui donne un sens. Mais les neuf autres n’ont pas été vaines, ni muettes. Car elles m’ont dit : tu n’es pas toi, ou pas ici
873 té vaines, ni muettes. Car elles m’ont dit : tu n’ es pas toi, ou pas ici, tu n’y es plus ou pas encore. Elles m’ont ramené
874 s m’ont dit : tu n’es pas toi, ou pas ici, tu n’y es plus ou pas encore. Elles m’ont ramené… » Le superstitieux va loin, s
875 es m’ont ramené… » Le superstitieux va loin, s’il est grand : dans la voie de l’incomparable, il va jusqu’au bout de lui-mê
876 ⁂ Erreur commune : s’il n’y a pas de hasard, tout serait donc déterminé ? Nous n’aurions plus qu’à suivre une voie rigide, fix
877 ougir. Il n’y a pas de hasard, mais pourtant nous sommes libres. Je ne sais qui dispose de moi, mais la contrainte, si c’en es
878 s qui dispose de moi, mais la contrainte, si c’en est une, certainement n’est pas mécanique. La voix insiste ou bien n’insi
879 is la contrainte, si c’en est une, certainement n’ est pas mécanique. La voix insiste ou bien n’insiste plus ; elle parle pl
880 es portes se ferment et se rouvrent ; mon oreille est plus ou moins fine ; je m’oriente ou me désoriente… C’est une immense
881 ente… C’est une immense affaire d’amour ! Nous ne sommes pas aimantés comme des grains de limaille, nous sommes aimés par un d
882 s pas aimantés comme des grains de limaille, nous sommes aimés par un destin. Et parfois il nous traite avec indifférence, par
883 relèverait. Une seule ! ⁂ Une idée me retient, me tient probablement plus que jamais encore je ne me l’étais avoué : celle du
884 nt probablement plus que jamais encore je ne me l’ étais avoué : celle du changement instantané de tout, en sorte que nul ne s
885 ntané de tout, en sorte que nul ne s’en doute. Ne serait -ce pas sur cette croyance que reposent les vœux, incantations, magie
886 moureux égale superstitieux, parce que tout amour est unique, et doit donc inventer ses signaux, indices, repères et mesure
887 es et qui aiment : « Question de peaux. » Nous en sommes là. On avancerait un peu en disant : « Question d’astres. » ⁂ Poète é
888 ils ne l’inventent qu’en la suivant telle qu’elle était , ou ne la suivent qu’en l’inventant telle qu’elle devient ? Créer ou
889 le beau vers accourt sur douze pieds, et la femme est au rendez-vous. (Allez répéter cela devant un jury ! Allez donc refai
19 1948, Articles divers (1946-1948). Rencontre avec Denis de Rougemont (janvier 1948)
890 in sacrilège, l’un des murs de cette citadelle qu’ est , pour la république des Lettres, l’immeuble des Éditions Gallimard. C
891 s de l’humain pourraient-ils m’échapper ? Sa voix est douce, mais nette ; il s’exprime avec gravité. Souvent un sourire acc
892 hômage. Mais, au centre de ses préoccupations, se tient la personne humaine ; ne voulut-il pas instaurer une Politique de la
893 du vieil Anaxagore, à penser avec les mains ? Je suis né à Neuchâtel, me dit Denis de Rougemont. J’ai fait des études de le
894 en Allemagne et en Hongrie. Pendant un temps, je fus lecteur de français à l’Université de Francfort. En 1931, je vins en
895 guerre rappela Denis de Rougemont en Suisse ; il fut mobilisé à l’état-major de Berne. Lors de l’entrée de Hitler à Paris,
896 a Gazette de Lausanne un article qui me valut d’ être condamné à quinze jours de forteresse ! En septembre 1940, il était e
897 uinze jours de forteresse ! En septembre 1940, il était envoyé en Amérique pour y faire des conférences. Il n’en revint qu’au
898 Einstein, l’inventeur de la bombe atomique. Nous étions voisins, me raconte Denis de Rougemont. Chaque jour, vers onze heures
899 e sentait responsable de sa découverte ? Einstein est pacifiste, il est antimilitariste. Que les conséquences de sa découve
900 ble de sa découverte ? Einstein est pacifiste, il est antimilitariste. Que les conséquences de sa découverte l’effrayent, c
901 , pense-t-il que, même sans lui, le secret aurait été découvert, et que par conséquent… « La bombe, m’a-t-il dit, n’a pas c
902 un rideau de fer, c’est pour que leur pauvreté ne soit pas découverte. Einstein souhaite que tous les autres pays forment un
903 S finisse par se rendre compte que son avantage n’ est pas de s’y opposer perpétuellement et en vain, mais d’y entrer. Je n’
904 antique. Il me répond : La littérature américaine est dans un certain sens plus saine que la nôtre. Les disputes autour de
905 ait. Et c’est cela qui me semble essentiel. Ils n’ étaient pas des inadaptés comme, au contraire, le furent les hommes de lettre
906 étaient pas des inadaptés comme, au contraire, le furent les hommes de lettres du xixe siècle, par exemple. Voyez Nietzsche,
907 Baudelaire, et Kierkegaard, dont toute l’œuvre n’ est qu’immense effort pour atteindre les gens et qui est mort — oui, litt
908 qu’immense effort pour atteindre les gens et qui est mort — oui, littéralement — qui est mort de cela. Ils demeurèrent tou
909 s gens et qui est mort — oui, littéralement — qui est mort de cela. Ils demeurèrent toujours en marge de la société, parce
910 emporains, c’est Camus et Simone de Beauvoir. » N’ était -ce pas là façon de se désigner soi-même… par personne interposée ? De
911 s étonné, ici, dans la littérature, c’est qu’elle soit aujourd’hui encore représentée par la génération des hommes de 40 à 5
912 aient, s’imposeraient. Eh bien ! non. Ceux qui se tiennent à la pointe du combat se nomment Sartre, Bataille, Breton… Après l’au
913 lle, Breton… Après l’autre guerre, ce n’avait pas été ainsi. C’est, me semble-t-il, dis-je à mon tour, que le fossé creusé
914 n tour, que le fossé creusé par la guerre de 1914 était moins profond que celui qu’a creusé cette guerre-ci. Pour les jeunes
915 écouvrir un monde nouveau et de l’organiser. Tout est à recréer. Ils n’ont encore rien à dire, ou ce qu’ils voudraient expr
916 ore rien à dire, ou ce qu’ils voudraient exprimer est encore imprécis. Ceux qui élèvent la voix, les hommes de 40 ans comme
917 eux une vision du monde, un message auxquels ils sont demeurés fidèles. La guerre, la défaite, l’exil ont pu les dérouter ;
918 il ont pu les dérouter ; leurs idées n’en ont pas été transformées pour autant. Voilà pourquoi ce sont eux et eux seuls qu’
919 s été transformées pour autant. Voilà pourquoi ce sont eux et eux seuls qu’on entend, ou du moins qu’on écoute. Les autres n
920 entend, ou du moins qu’on écoute. Les autres n’en sont encore qu’aux balbutiements. La musique s’est tue. Les tables se vide
921 en sont encore qu’aux balbutiements. La musique s’ est tue. Les tables se vident. Dans ce bar souterrain règne toujours la m
922 épusculaire. Nul mouvement, nul bruit de la rue n’ est perceptible ici. L’on dirait qu’on est en marge du temps. Cela donne
923 e la rue n’est perceptible ici. L’on dirait qu’on est en marge du temps. Cela donne à notre colloque une apparente gratuité
924 aut dépasser leurs frontières. Bien souvent, ce n’ est pas dans leur pays d’origine qu’ils rencontrent le plus large accueil
925 ine qu’ils rencontrent le plus large accueil. Ils sont tentés d’aller là où ils se sentent le mieux compris, où leurs parole
926 ette transformation de leur existence ne peut pas être sans influence profonde sur leurs pensées et leur œuvre. Enfin, nous
927 e. Enfin, nous en venons à parler de l’Europe. Je suis profondément européen, me déclare Denis de Rougemont. Mais je pense q
928 gemont. Mais je pense que notre continent ne peut être sauvé que par une organisation fédérative. Le modèle en est fourni pa
929 que par une organisation fédérative. Le modèle en est fourni par la Suisse dont tout le système est fondé sur une dialectiq
930 en est fourni par la Suisse dont tout le système est fondé sur une dialectique : un pour tous, tous pour un. Cela signifie
931 ès de l’Union européenne des fédéralistes, qui se tenait à Montreux, j’ai prononcé une conférence où je développais les princi
932 l repose sur l’amour de la complexité. Et, ce qui est non moins important, il se forme de proche en proche, par le moyen de
933 risme m’apparaît comme le pire danger auquel nous sommes exposés. Son importance donne la mesure de notre absence de présence
934 nce au monde. Tout comme la guerre et la mort, il est simple et rigide. Le fédéralisme, au contraire, est complexe et soupl
935 t simple et rigide. Le fédéralisme, au contraire, est complexe et souple comme la paix, comme la vie. Il ne faut pas avoir
936 Suisse en reconnaît les bienfaits. Pourquoi n’en serait -il pas de même pour l’Europe ? Mais, encore une fois, il convient de
937 l, que toutes les professions, toutes les classes soient représentées. Je vous le répète ; c’est dans la mesure où toutes les
938 alement fédéralistes, je vous l’assure, la partie sera plus qu’à moitié gagnée. Voici venue l’heure de nous séparer. Nous fa
939 e, côte à côte, quelques pas dans la rue. La nuit est tombée ; les passants se hâtent de rentrer. Bientôt, Denis de Rougemo
940 ntre 20 et 40 ans. Mais son plus important projet est de composer une morale qu’il intitulera : La Règle du jeu. Espérons q
941 tomique n’interrompra pas vos travaux… La bombe n’ est pas dangereuse du tout, me répond-il. C’est un objet. Les objets ne m
942 mais fait peur, non plus que les machines. Ce qui est dangereux, horriblement dangereux, c’est l’homme. C’est lui qu’il fau
20 1948, Articles divers (1946-1948). Les deux blocs ? Il n’en existe qu’un (9 janvier 1948)
943 anvier 1948)u Les uns nous disent que le choix est fatal entre l’URSS et les USA, et les autres refusent le choix parce
944 lement à la guerre. Pour les premiers, l’Europe n’ est plus rien par elle-même et devrait s’attacher au plus vite soit au bl
945 par elle-même et devrait s’attacher au plus vite soit au bloc russe soit au dollar américain. Mais les seconds proclament q
946 evrait s’attacher au plus vite soit au bloc russe soit au dollar américain. Mais les seconds proclament qu’ils ne choisiront
947 siront pas entre la peste et le choléra et qu’ils tiennent la balance égale entre le refus du stalinisme et le refus de l’améric
948 du stalinisme et le refus de l’américanisme. Tel est le dialogue qui se poursuit depuis des mois : choisir ou non entre le
949 locs. Tout cela repose sur l’idée simple que nous sommes pris entre deux grands empires également impérialistes, également avi
950 yées par la Maison-Blanche. Autrement dit, l’URSS est présente dans toute l’Europe aux élections et dans les parlements, el
951 oposer qu’un genre de vie, leur way of life qui n’ est nullement une arme de combat. Par rapport à l’Europe, les intentions
952 rt à l’Europe, les intentions des deux empires ne sont pas davantage comparables. On l’a bien vu lors de la Conférence des S
953 il donc chercher l’impérialisme ? Avouons qu’il n’ est pas le même des deux côtés. Un contraste frappant Et si l’on reg
954 lité à l’intérieur des deux empires, le contraste est encore plus frappant. En Russie, on liquide l’opposition, en Amérique
955 Russie, on liquide l’opposition, en Amérique elle est entièrement libre, et mieux que cela : on en tient compte. En Russie,
956 idéal qui ne change pas tous les six mois, car il est la morale commune, et non pas une simple tactique. Et ainsi de suite.
957 n tire devant le tout un rideau de fer, la Russie est un bloc dans tous les sens du terme. Mais l’Amérique n’en est pas un,
958 dans tous les sens du terme. Mais l’Amérique n’en est pas un, elle qui vise aux libres échanges, tolère les pires indiscrét
959 lle des autres, et non de leur misère. L’Amérique est une démocratie, et une démocratie vivante n’est pas un bloc. Un se
960 e est une démocratie, et une démocratie vivante n’ est pas un bloc. Un seul remède : nous fédérer Que devient alors ce
961 pour nous, malgré nous. Si nous n’acceptons pas d’ être ses satellites, elle nous déclare et nous croit ses ennemis et les es
21 1948, Articles divers (1946-1948). Ce sont les Français qui ont commencé (La querelle des « condensés… ») (14 février 1948)
962 Ce sont les Français qui ont commencé (La querelle des « condensés… ») (14 fé
963 s, pensant avoir assez compris. Dira-t-on qu’elle était Américaine ? À l’époque, on vit dans ce trait une exagération de l’es
964 lques semaines l’apparition des « condensés », on serait tenté de croire que ces produits sont d’invention américaine, et que
965 sés », on serait tenté de croire que ces produits sont d’invention américaine, et que leur soudaine diffusion provient d’une
966 s’attache aux audaces d’outre-Atlantique. S’ils s’ étaient contentés de mots français bien connus, comme résumé ou adaptation, l
967 eu de condensé pour que l’on s’aperçoive que nous sommes en présence d’une querelle aussi vieille que celle des manuels. Et il
968 parler d’adaptations (ou d’abrégés) pour que l’on soit contraint de reconnaître dans l’entreprise des éditeurs modernes la s
969 qui tombe », écrit Lanson, « c’est tout ce qui n’ est pas la notation sèche du fait », c’est la poésie, c’est le style d’Ho
970 is oublier les Mille et Une Nuits de Galland, qui sont pourtant le record du genre, comme on peut le vérifier d’un coup d’œi
971 L’Odyssée, et même des Saintes Écritures, dont s’ est nourrie toute notre enfance. Il est vrai qu’en tout cela je n’ai cité
972 tures, dont s’est nourrie toute notre enfance. Il est vrai qu’en tout cela je n’ai cité que des traductions, et que ni Goet
973 angue. On connaît la fortune des Lamb’s Tales qui sont des résumés en prose, par Charles Lamb, des comédies et tragédies de
974 supposé du public d’une époque et d’un pays, ce n’ est pas une invention américaine, mais une ancienne coutume européenne, e
975 remarques touchant la valeur même du procédé. Il est probable que le « condensé » n’aurait pas provoqué pareille indignati
976 areil succès dans le grand public, s’il n’eût pas été présenté comme américain d’origine. (Américain signifiant pour les un
977 excitant et moderne.) Or non seulement le procédé est fort ancien, mais encore l’Amérique en abuse moins que nous. Au reste
978 abuse moins que nous. Au reste, ces « condensés » sont très loin de jouer dans l’édition américaine le rôle exorbitant que n
979 ais que j’ai cités suffisent à faire voir qu’elle est infiniment variable. La Motte et Ducis appauvrissent, défigurent, sac
980 n va du pire à l’excellent. Le procédé lui-même n’ est pas en cause, mais bien le talent de celui qui l’applique, et peut-êt
981 (ou la victime) que l’on choisit. À ce propos, il est curieux de relever que tout se passe comme si les grands chefs-d’œuvr
982 prix Tartempion. J’avouerai même, pendant que j’y suis , que ce qui me choque dans l’entreprise des éditeurs français de « co
983 ans mauvaise humeur que Don Quichotte ou Robinson soient résumés à l’usage des enfants et des adolescents. Mais le fameux gran
984 s le fameux grand public, si cher aux éditeurs, n’ est -il pas un enfant devant la vraie culture ? N’a-t-il pas droit aux mêm
985 ruire, ne court-il pas les mêmes dangers que s’il était « condensé » en cinquante pages ? Faut-il crier à l’américanisme ? Ou
986 a rien fait pour la culture des masses ; car nous sommes en démocratie, et les masses y sont le despote qu’il s’agit avant tou
987  ; car nous sommes en démocratie, et les masses y sont le despote qu’il s’agit avant tout d’éclairer. Mais il n’est pas vain
988 ote qu’il s’agit avant tout d’éclairer. Mais il n’ est pas vain d’exiger que les fabricants de condensés se donnent des règl
989 ons complètes de l’œuvre, dans tous les cas où il est possible de se les procurer chez le libraire. Tous les critiques fran
990 ent-ils pas se liguer pour qu’un code de ce genre soit adopté ? v. Rougemont Denis de, « Ce sont les Français qui ont com
991 enre soit adopté ? v. Rougemont Denis de, « Ce sont les Français qui ont commencé (La querelle des « condensés… ») », Le