1 1946, Articles divers (1946-1948). Théologie et littérature (1946)
1 itectures sacrées. Nos premiers rythmes poétiques ont été propagés par le latin d’église. Et ce n’est point que tous ces ar
2 les plus violents, et même couronnés de succès, n’ ont pu que confirmer une dépendance qui n’est certes plus de droit, mais
3 ines encore vivantes et agissantes au xxe siècle ont toutes pris le départ dans une polémique spécifiquement théologique.
4 nique s’est transformé, les références aux dogmes ont disparu, l’appareil logique emprunté aux sciences physico-mathématiqu
5 directes, attestées par les écrivains eux-mêmes, ont fait l’objet de travaux fameux : ainsi l’influence de saint Thomas su
6 e me paraît pas que le problème dans son ensemble ait été clairement posé ou étudié, ni par les docteurs de l’Église, ni pa
7 lite en général ? Il est clair que la théologie n’ a pas besoin de la littérature et peut s’en désintéresser sans grand do
8 éresser sans grand dommage. Si l’on admet qu’elle a pour objet principal de formuler et de critiquer le dogme chrétien da
9 a cinquante ans — dont les prédicateurs modernes ont coutume « d’orner » leurs sermons. Ce n’est pas la littérature qui do
10 en artiste. Nonobstant ces réserves préalables, j’ ai une requête précise à présenter aux jeunes théologiens qui me liront.
11 nce possible d’une intervention de ce genre, elle aurait en tout cas l’avantage de donner aux fidèles — et à leur clergé — cer
12 écrivains modernes des rudiments de la théologie a pour conséquence immédiate qu’ils se condamnent à découvrir, tous les
13 r époque, mais surtout comment ils pâtissent de n’ avoir point connu l’existence de traditions soit orthodoxes soit hérétiques
14 ot, dans un livre trop court (After Strange Gods) a donné l’esquisse d’une étude des hérésies dans la littérature moderne
15 sies dans la littérature moderne. Pour ma part, j’ ai tenté de montrer comment les troubadours, dont la doctrine fut repris
16 s, étaient nourris de l’hérésie manichéenne, et l’ ont ainsi fait vivre jusqu’à nous et parmi nous, bien que vulgarisée et d
17 e l’Église est bonne pour les petits bourgeois, n’ a rien à dire aux esprits libres et « avancés », et ne tolère que le ma
18 rée décisive dans beaucoup de conversions, elle n’ a pas eu pour effet (ou très rarement) l’adhésion des convertis à une É
19 cisive dans beaucoup de conversions, elle n’a pas eu pour effet (ou très rarement) l’adhésion des convertis à une Église d
20 lvin. À l’inverse, je soupçonne les romantiques d’ avoir cherché dans la théologie de leur époque et sous le nom de liberté, d
21 exemple de l’Église anglicane dont le Prayer Book a formé la langue des poètes depuis près de quatre siècles, et dont le
2 1946, Articles divers (1946-1948). Le supplice de Tantale (octobre 1946)
22 Le supplice de Tantale (octobre 1946) a L’eau fuit ses lèvres, la branche fuit sa main, et le rocher qui s
23 es structures fondamentales de son être. Tantale avait commis deux crimes, dit la Fable. Admis à la table des dieux, il avai
24 mes, dit la Fable. Admis à la table des dieux, il avait dérobé à ses hôtes leur nectar et leur ambroisie, pour les faire goût
25 défier l’Olympe et d’éprouver son omniscience, il avait tué son propre fils Pélops, pour faire servir sa chair à la table div
26 raction du crime dans l’ordre humain. Parce qu’il a convoité la nourriture des dieux, Tantale se voit refuser celle du co
27 ans la frustration du désir. Et son défi au Ciel, ayant failli, s’inverse en menace suspendue. Le monde païen ne conçoit pas
28 x dispositions de son âme : c’est que celles-ci n’ ont pas changé depuis ses crimes. Nourrissant avec obstination les mêmes
29 acun de nous, préfère le désir, même douloureux d’ avoir été mille et mille fois déçu — mais c’est encore son désir, donc lui-
30 rdait son moi ? Il est certain qu’à sa manière il a raison. Car à gagner, l’on perd toujours quelque chose : l’attente, l
31 , la nostalgie du gain. Supposons un individu qui aurait désiré si longtemps que tout son être en fût devenu attente, espoir e
32 ue cela le fait pleurer… Mais Flachs, maintenant, a fermé les yeux. Il évoque son oncle van der Kabel, ses bienfaits, ses
33 l héritera de tous les biens de l’oncle, pour lui avoir dédié, entre tant d’autres, une seule pensée d’amour pur et gratuit.
34 er la joie éternelle. 1. Dans les Flegeljahre. a . Rougemont Denis de, « Le supplice de Tantale », Fontaine, Paris, oc
3 1946, Articles divers (1946-1948). Genève, rose des vents de l’esprit (19 décembre 1946)
35 » placées sous l’égide de L’Esprit européen. On y a entendu des conférences et des discussions, des concerts, des récital
36 matographiques remarquables. Tous les journaux en ont abondamment parlé, ce qui nous dispense d’y revenir en détail. Mais n
37 ui nous dispense d’y revenir en détail. Mais nous avons tenu à recueillir les impressions de M. Denis de Rougemont, l’un de n
38 s, dont la conférence, en l’aula de l’Université, a obtenu le plus grand succès, comme celle, par ailleurs, du romancier
39 ne s’étant pas trop égarés dans les mots en urne, ayant appelé un chat un chat et provoqué dans la salle des mouvements diver
40 iens, tels qu’ils viennent d’avoir lieu à Genève, eussent été un four aux États-Unis. En Russie, ils auraient été interdits. Pe
41 ussent été un four aux États-Unis. En Russie, ils auraient été interdits. Personnellement, je regrette qu’aucun Russe n’ait répo
42 ts. Personnellement, je regrette qu’aucun Russe n’ ait répondu à notre invitation. Heureusement, nous avons eu Lukács, et je
43 it répondu à notre invitation. Heureusement, nous avons eu Lukács, et je vois mieux maintenant quelles questions j’aurai à po
44 ondu à notre invitation. Heureusement, nous avons eu Lukács, et je vois mieux maintenant quelles questions j’aurai à poser
45 , et je vois mieux maintenant quelles questions j’ aurai à poser à la Russie. Je lui dirai : « Vous accusez les démocraties d’
46 vous, Russie, être une démocratie réelle. Et vous avez des camps de concentration, et vous interdisez aux poètes de s’exprim
47 sez aux poètes de s’exprimer librement, et vous n’ avez pas la liberté de la presse, et vous repoussez l’existentialisme qui
48 chains entretiens de Genève. À condition que nous ayons plus de contacts personnels entre représentants des différents pays. 
49 ore quel éloge enthousiaste tous les participants ont fait de Genève et de la Suisse. Les Français, notamment, sont venus a
4 1947, Articles divers (1946-1948). Préface à Le Cœur est un chasseur solitaire de Carson McCullers (1947)
50 ses romans, et c’est là qu’il y a bien six ans j’ ai connu Carson McCullers. Elle avait l’air d’une toute jeune fille mont
51 fait un compliment. Je suppose que mon étonnement eût atteint la stupéfaction si j’avais lu avant cette brève rencontre The
52 e mon étonnement eût atteint la stupéfaction si j’ avais lu avant cette brève rencontre The Heart is a lonely Hunter. Un peu p
53 avais lu avant cette brève rencontre The Heart is a lonely Hunter. Un peu plus tard je la revis à Brooklyn, dans une somb
54 lyn, dans une sombre maison de quatre étages où m’ avait amené Golo, le plus jeune fils de Thomas Mann. Un mélange improbable
55 jeune peinture, la jeune chorégraphie américaines ont traversé cette maison de Brooklyn, seul centre de pensée et d’art que
56 de Brooklyn, seul centre de pensée et d’art que j’ aie trouvé dans une grande ville de ce pays. Et puis leur nomadisme habit
57 e de ce pays. Et puis leur nomadisme habituel les a repris. Un an plus tard, tous s’étaient dispersés, au Mexique ou au M
58 un scénario, ni indiscret, ni même documentaire, ait eu tant de succès en Amérique ? Je ne vois pas de réponse satisfaisan
59 scénario, ni indiscret, ni même documentaire, ait eu tant de succès en Amérique ? Je ne vois pas de réponse satisfaisante
60 . Pour la première, je puis dire après coup que j’ aurais dû trouver une clé dans cette lettre d’un sourd-muet à son ami devenu
61 es, écrit-il, haïssent tous quelque chose. Et ils ont tous quelque chose qu’ils aiment plus que la nourriture ou le sommeil
62 Carson, avec la ruse d’un interviewer : — Il n’y a pas d’histoires d’amour, dans ce roman. Elle me regarde étonnée, pres
63 e me regarde étonnée, presque indignée : — Il n’y a que cela ! Elle voulait dire l’amour des êtres, l’amour réel, et non
5 1947, Articles divers (1946-1948). La lutte des classes (1947)
64 et d’océan de nuit où rien ne bouge. Comme il n’y a pas de place en Suisse pour un véritable voyage, on s’en tire en coup
65 taient vides. En troisième on retrouvait, comme j’ ai dit, les gens bien, gracieusement mêlés au peuple souverain de la rég
66 ier jour — car les plus belles histoires du monde ont une fin — la faiblesse fatale de notre État : cette habitude de nous
67 otre âme un cloaque de crimes potentiels, comme l’ ont dit Freud, Shakespeare et les Pères de l’Église. Ici pourtant la conf
68 veux dire trop méfiant et même intolérant. Qu’ils aient seulement l’air étonnés suppose déjà beaucoup de retenue… À propos de
69 e, laissez-moi recopier un « avis » imprimé que j’ ai pu lire l’été dernier, punaisé près de la porte du balcon dans une ch
70 des menus incidents du trajet. On sent bien qu’il a l’habitude. On dirait qu’il s’installe dans son bureau, et sa pensée
71 endent ne pas payer de supplément parce qu’il n’y avait plus de place dans les troisièmes : ils ont l’air trop contents d’êtr
72 l’air trop contents d’être là, on les refoule. J’ ai cru remarquer à ce propos que le peuple suisse paraît de plus en plus
73 especter le velours gris et dru des secondes : il a tort, c’est la classe vulgaire. Des jeunes femmes aux moues insolente
74 le. En face de lui, la beauté même, « ô toi que j’ eusse aimée », sa fille sans doute, fume en feuilletant un magazine. Je cro
75 aussi, et pour la même raison, des transparents. ( Avez -vous remarqué que les trains qui vous croisent sont transparents s’il
6 1947, Articles divers (1946-1948). Les maladies de l’Europe (1947)
76 Les maladies de l’Europe (1947)g On m’ a prié de vous parler ce soir d’une Europe à laquelle je reviens après
77 « Viens ici qu’on se voie un peu. Eh bien ! tu n’ as pas trop changé ! » Mais d’un coup d’œil, vous avez lu toute son hist
78 as pas trop changé ! » Mais d’un coup d’œil, vous avez lu toute son histoire. Ainsi j’ai retrouvé l’Europe. Sur son visage e
79 p d’œil, vous avez lu toute son histoire. Ainsi j’ ai retrouvé l’Europe. Sur son visage et dans son expression certains tra
80 rer sa situation nouvelle dans le monde. Enfin, j’ ai hâte de lui demander : « Et maintenant, qu’allons-nous faire ensemble
81 ant, qu’allons-nous faire ensemble ? » ⁂ L’Europe a mauvaise mine, il faut l’avouer. Avant même que l’on puisse détailler
82 irai par ces mots : on dirait, à la voir, qu’elle a perdu la guerre. Militairement, Hitler et ses séides ont été battus e
83 du la guerre. Militairement, Hitler et ses séides ont été battus et sont morts, mais dans la lutte, ils ont marqué leurs ad
84 été battus et sont morts, mais dans la lutte, ils ont marqué leurs adversaires d’une empreinte qui vaut une victoire. C’éta
85 les vêtements en désordre. Physiquement la brute a perdu, mais la brutalité a triomphé. La brute a donc imposé son point
86 Physiquement la brute a perdu, mais la brutalité a triomphé. La brute a donc imposé son point de vue. Ainsi d’Hitler et
87 e a perdu, mais la brutalité a triomphé. La brute a donc imposé son point de vue. Ainsi d’Hitler et de l’Europe démocrati
88 tte contre les forces qu’il incarnait devant nous a réveillé ces forces parmi nous. L’Europe a été façonnée par le judéo-
89 t nous a réveillé ces forces parmi nous. L’Europe a été façonnée par le judéo-christianisme, par la notion grecque d’indi
90 e moins avouée, non moins dangereuse. La guerre n’ a pas arrêté, loin de là, les progrès de la déchristianisation de l’Eur
91 des dogmes religieux, ces masses et ces élites n’ ont rien de plus pressé que de s’asservir aux dogmes d’un parti. Tout ce
92 e de s’asservir aux dogmes d’un parti. Tout ce qu’ a perdu la religion, c’est la politique qui le gagne. Admirable libérat
93 mais léniniste, mais fasciste. L’hypocrisie aussi a changé de camp. Tartuffe n’est plus dévot comme jadis, il n’est plus
94 t un nouveau succès de l’esprit totalitaire qui n’ a eu qu’à changer d’étiquette pour occuper, sans coup férir, d’importan
95 un nouveau succès de l’esprit totalitaire qui n’a eu qu’à changer d’étiquette pour occuper, sans coup férir, d’importantes
96 ue dans les provinces où, depuis le Moyen Âge, on avait oublié qu’il y eût un problème juif. Tout se passe comme si l’écrasem
97 i l’écrasement du foyer même de ce mal infernal n’ avait eu pour effet que d’en faire rejaillir de tous côtés les étincelles.
98 rasement du foyer même de ce mal infernal n’avait eu pour effet que d’en faire rejaillir de tous côtés les étincelles. Le
99 ment, au point que rien ne passe plus de ce qu’on avait à dire. Devant cette impuissance pratique à inscrire leurs pensées da
100 . Tous ces maux et tant d’impuissance à y parer n’ ont pas manqué de provoquer dans les élites demeurées libérales une crise
101 n de deux empires extraeuropéens. Ce sont eux qui ont gagné la guerre, et non pas nous. Ce sont eux qui ont repris en charg
102 gagné la guerre, et non pas nous. Ce sont eux qui ont repris en charge le progrès et la foi au progrès. Et nous restons ave
103 s de pessimisme, et que plusieurs des rides que j’ ai cru distinguer sur le visage spirituel du continent — je ne dis rien
104 le — j’y faisais allusion tout à l’heure — semble avoir évacué l’Europe pour émigrer vers l’Amérique et la Russie. C’est une
105 irrésistible, impérialiste ou généreuse, l’Europe a diffusé sur la planète, sans distinction, ses découvertes et ses utop
106 es plus fertiles, ou peut-être moins surveillées, a grandi hors de toutes proportions et nous apparaît aujourd’hui étrang
107 efusons d’y reconnaître nos enfants. Leur exil en a fait des monstres à nos yeux. Pourtant le capitalisme industriel et l
108 lisme industriel et le libéralisme politique, qui ont fait fortune en Amérique, venaient d’Europe ; comme en venaient le ma
109 , comment et pourquoi ces créations européennes n’ ont -elles pas connu en Europe leur plein succès ? Et comment et pourquoi,
110 n succès ? Et comment et pourquoi, hors d’Europe, ont -elles subi cette croissance gigantesque ? Pourquoi n’ont-elles produi
111 es subi cette croissance gigantesque ? Pourquoi n’ ont -elles produit chez nous ni tout leur bien, ni tout leur mal ? C’est q
112 rein ni contrepoids. Le capitalisme, chez nous, n’ a jamais pu donner son plein, parce qu’il était sans cesse bridé et con
113 ais en même temps, le capitalisme et l’étatisme n’ ont pas atteint chez nous leurs pires excès, parce qu’ils se trouvaient c
114 ances paraissent très faibles en vérité. L’Europe a dominé le monde pendant des siècles par sa culture d’abord, dès le Mo
115 ogrès collectiviste ou de progrès capitaliste qui ont quitté notre continent, mais à leur suite les espoirs et les rêves de
116 espoirs et les rêves des plus actifs d’entre nous ont émigré. La bourgeoisie, dans son ensemble, se contente d’un double re
117 plus grand nombre ? Que valent nos craintes ? Qu’ avons -nous peur de perdre en vérité ? Cette même question, je sais plusieur
118 assez de donner des ancêtres à ses enfants ; ils ont besoin d’un avenir aussi. Et de quel droit sacrifierais-je leurs espo
119 tenu, ou au contraire la vision d’une Europe qui aurait cédé aux tentations d’un bonheur étranger à son génie, une Europe amé
120 d’un esprit européen, et c’était un appel, nous l’ avions tous compris. C’est un point de vue qui se définit comme une position
121 un corps organisé, c’est surtout parce qu’elle n’ avait pas l’occasion de se comparer, de s’opposer et de se définir ; elle é
122 t, l’Américain et le Soviétique, de l’autre, je n’ ai pas à chercher bien loin. Je prendrai simplement l’exemple de l’entre
123 s. Et je ne dis pas que l’Américain et le Russe n’ aient quelques bonnes raisons de se comporter ainsi, je dis seulement que l
124 purs modèles, crucifié entre ces contraires qu’il a d’ailleurs lui-même définis : l’immanence et la transcendance, le col
125 us voyons proliférer ailleurs. D’autre part, elle a pour effet de concentrer sur l’homme lui-même, créateur ou victime de
126 gratuite d’apparence. Demandons-nous ce que nous avons à faire pour maintenir et pour illustrer les valeurs propres de l’Eur
127 re cette mauvaise foi en service commandé, dont j’ ai déjà parlé, qui fait le jeu de la réaction en écœurant par sa tactiqu
128 ées par les masses, car les masses comme telles n’ ont cerveau ni main, ni, par suite, faculté de décision. C’est donc sur l
129 bat se relâche à l’intérieur de la personne, nous avons la guerre au-dehors. Je m’explique. Quand l’homme se considère seulem
130 cage du parti ou de l’État. À vrai dire, il ne l’ a pas volé. Le bon moyen d’éviter ces excès d’engagement dans le Parti,
131 itique. Et je ne dis pas cela dans l’abstrait ; j’ ai en vue des exemples précis. Appelons totalitaire, ou soviétique, la d
132 inavie, Hollande et Grande-Bretagne. Parce qu’ils ont su devenir, en toute liberté, les plus sociaux, ils sont aussi les mo
133 lle est la cause de presque toutes nos guerres. J’ ai dit, et je ne le répéterai jamais assez, qu’il faut voir dans le nati
134 on ne saurait plus parler d’union, puisqu’il n’y a plus rien à unir. D’autre part, il déclare souveraine la nation unifi
135 erté dans l’ordre. Après tout, c’est l’Europe qui a sécrété ce contagieux nationalisme, c’est à elle d’inventer son antid
136 rtus bien plus encore que par ses vices, l’Europe a-t -elle des chances de vivre encore assez pour qu’il ne soit pas utopiqu
137 taxer sobrement, non sans humour à l’occasion. J’ ai souvent proposé cette petite parabole à mes amis américains : « Vous
138 ui menacent constamment l’Amérique. Celle de 1930 eut pour effet de la réveiller, de l’humaniser, et par là même de la rapp
139 arques soviétiques, il faut bien constater qu’ils ont contre eux beaucoup de réalités humaines, qui gênent l’exécution de l
140 ésistant ! Or, l’Europe, et c’est là sa grandeur, a justement vécu de toutes ces choses gênantes, elle s’arrange à mervei
141 é des relations humaines. Voilà pourquoi l’Europe a toutes les chances de rester la patrie de l’invention — alors que les
142 création spirituelle, ce coin du monde où l’homme a su tirer de lui-même les utopies les plus transformatrices et les plu
143 tendent pas, si la guerre atomique éclate, il n’y a plus de problème de l’Europe, et d’une façon plus générale, il n’y a
144 de l’Europe, et d’une façon plus générale, il n’y a peut-être plus de problème de l’ici-bas, mais seulement du jugement d
145 qu’il propage, les antitoxines des virus dont il a infesté le monde entier. Il n’y a de fédération européenne imaginable
146 s virus dont il a infesté le monde entier. Il n’y a de fédération européenne imaginable qu’en vue d’une fédération mondia
147 nable qu’en vue d’une fédération mondiale. Il n’y a de paix et donc d’avenir imaginable que dans l’effort pour instaurer
148 gouvernement mondial. Et le monde, pour ce faire, a besoin de l’Europe, j’entends de son esprit critique autant que de so
7 1947, Articles divers (1946-1948). L’opportunité chrétienne (1947)
149 siècles, depuis la Renaissance, le christianisme a vécu sur la défensive. Les hiérarchies ecclésiastiques défendaient le
150 orels, justement contestés par l’État. Puis elles eurent à défendre leurs pouvoirs spirituels, certains États s’étant laissé a
151 ologiques traditionnelles. Quant aux fidèles, ils avaient à se défendre contre la menace quotidienne, innombrable, et sans cess
152 les persécutions romaines aux premiers temps leur avaient fait du bien. Partout, l’on vit au cours du xviiie et surtout du xix
153 époque. Je pense qu’avec la guerre, cette époque a pris fin. Et je fonde cette croyance sur quelques faits. C’est un fai
154 uelques faits. C’est un fait que le totalitarisme a rompu la paix fausse qui semblait établie entre les sociétés laïques
155 entre les sociétés laïques et les Églises ; qu’il a brusquement mis à nu l’État minoritaire des chrétiens ; qu’il les a a
156 à nu l’État minoritaire des chrétiens ; qu’il les a attaqués de front au nom des principes non chrétiens (comme le nation
157 nalisme) qu’ils croyaient pouvoir tolérer ; qu’il a été abattu finalement, dans ses formes déclarées et spectaculaires to
158 oins ; et que son élévation brutale puis sa chute ont été pour toutes les Églises une épreuve de force, un challenge, une p
159 duire le monde moderne vers un paradis sans Dieu, a démontré son impuis­sance réelle devant l’assaut de dictatures barbar
160 ait que les trois grandes confessions chrétiennes ont retrouvé depuis une ou deux décades le courage de réaffirmer leurs po
161 e victoire, il faut bien le dire. Les nations qui ont perdu la guerre ont tout perdu ; mais celles qui l’ont gagnée n’ont r
162 bien le dire. Les nations qui ont perdu la guerre ont tout perdu ; mais celles qui l’ont gagnée n’ont rien gagné : elles on
163 erdu la guerre ont tout perdu ; mais celles qui l’ ont gagnée n’ont rien gagné : elles ont seulement repoussé une menace, au
164 e ont tout perdu ; mais celles qui l’ont gagnée n’ ont rien gagné : elles ont seulement repoussé une menace, au prix de sacr
165 celles qui l’ont gagnée n’ont rien gagné : elles ont seulement repoussé une menace, au prix de sacrifices presque aussi gr
166 sacrifices presque aussi grands que ceux qu’elles eussent été contraintes de subir en se rendant. (Dans ce « presque » est la d
167 n. Ou encore : les Églises et leurs prédicateurs ont moins que jamais à se soucier, aujourd’hui, de réfuter les arguments
168 de réfuter les arguments de l’incroyance : elles ont , tout simplement à donner leurs croyances, avec une agressive naïveté
169 madisme industriel, et les déportations en masse, ont presque tué, laissant le champ libre à l’État et à ses réglementation
170 on dira qu’ils exagèrent, qu’ils rêvent, qu’ils n’ ont pas le sens commun, qu’ils voient trop grand… Peut-être même par des
171 re par là : « l’incomparable, l’unique, celui qui a reçu de Dieu une vocation précise », et il ajoute : « toute vocation
8 1947, Articles divers (1946-1948). La guerre des sexes en Amérique (janvier 1947)
172 lles à la fois délicates et profondes, mais qui n’ ont pas trouvé leur véritable objet ; un pouvoir exceptionnel de concentr
173 elque drame se noue dans sa vie, malgré lui, il n’ a de cesse qu’il n’en sorte au plus vite, par une dépêche d’adieu, un v
174 l’être ou des circonstances qui les causent. Il n’ a pas le goût de la durée intense. C’est tout de suite ou jamais. C’est
175 plus grande satisfaction des hommes. L’Américaine a renversé le rapport des forces. C’est le mari qui peine pour payer le
176 amille américaine que le statut royal de la femme a ses bases vraiment profondes. Et cette psychologie tient dans un mot,
177 s un livre rageur intitulé Génération de Vipères, a seul osé dénoncer le « momisme » comme la Gorgone du matriarcat améri
178 lleurs dans les limites de l’activité domestique, a créé le Women’s Club et cent-mille organisations analogues, devant le
179 ools. Tout se passe comme si l’homme d’Amérique n’ avait qu’un goût modéré pour la femme, dont il ne serait que la conquête pl
180 e. Certains ménages moins riches, ou campagnards, ont une vie beaucoup plus normale : c’est là qu’on verra l’homme faire la
181 s penserez que ce n’est pas sérieux, et peut-être aurez -vous raison. Si grave que soit un tel jugement, j’incline à croire qu
182 tion universelle contre le puritanisme sexuel. On a rejeté tous ses tabous. On ne pense plus que la « chair » soit le Mal
183 e, que la morale bourgeoise, issue des puritains, ait été l’une des plus perverses qu’ait jamais sécrétée l’humanité, et qu
184 es puritains, ait été l’une des plus perverses qu’ ait jamais sécrétée l’humanité, et que sa disparition assainisse l’atmosp
185 ourrait fort bien soutenir la thèse inverse. Je l’ ai fait ailleurs. h. Rougemont Denis de, « La guerre des sexes en Amér
9 1947, Articles divers (1946-1948). Journal d’un intellectuel en exil (mars 1947)
186 )i Janvier 1941 L’avant-garde à New York. — J’ ai enfin découvert un « milieu littéraire » dans ce pays. Et ce n’était
187 rnalistes. Quant à leurs femmes et amies, elles m’ ont paru cultiver le genre des nihilistes russes d’antan. La plupart sont
188 stes russes d’antan. La plupart sont trotskistes, ont lu Freud, ou en parlent. À lire les revues ou little mags où ils écr
189 e raisons matérielles et sociales d’abord, dont j’ ai deviné quelques-unes en fréquentant les éditeurs d’ici. Atteindre le
190 — Quelques fragments de mon Journal d’Allemagne ayant paru dans une revue de New York, Upton Sinclair du fond de la Califor
191 re est très bien, je voudrais le publier, mais il a le malheur de porter sur les années 1935 et 1936. Or le public veut d
192 36. Or le public veut de l’actualité. Le second m’ a fait venir ce matin : — En tant que citoyen, me dit-il, il serait de
193 oise des libraires ? Savez-vous que la Gestapo en a saisi, brûlé, mis au pilon tous les exemplaires restants ? — J’imagin
194 calier. Il m’attendait. Il m’entraîne au café. Il avait des questions à me poser au sujet d’un de mes livres dont il devra pa
195 r ? Simplement si c’est vrai. S’il est vrai que j’ ai vécu ce que j’écris. C’est la question que je préfère. Leur familiari
196 rdus dans les forêts de bouleaux ; à Concord où j’ ai vu la maison d’Emerson, ses chapeaux et ses cannes accrochés dans le
197 le hall, la chambre de Thoreau avec son lit qu’il avait fabriqué lui-même. Au crépuscule, j’aime errer sur les quais, le long
198 Waste Land… Un grand cimetière le domine, je n’en ai jamais vu de plus serein. Point de barrières ni d’allées. De simples
199 t de cérémonies grandiloquentes comme les Latins, a les cimetières les plus heureux du monde. ⁂ Cambridge retient l’Europ
200 esseurs, les logiciens et les théologiens. On m’y a présenté trois génies. Un génie aux États-Unis, c’est une catégorie p
201 en freudien hétérodoxe. Une fois sacré génie, il a sa carrière faite. Les jeunes professeurs le vénèrent, on lui décerne
202 des bourses, on lui offre des chaires avant qu’il ait terminé ses études. La plupart sont des monstres modestes. J’en ai vu
203 udes. La plupart sont des monstres modestes. J’en ai vu un qui mangeait un sandwich et c’était un spectacle fascinant. Il
204 sandwich et c’était un spectacle fascinant. Il l’ avait découpé en rectangles égaux, et l’absorba sans le regarder, comme on
205 font qu’en parler. Mais les intellectuels ? Ils n’ ont de choix qu’entre le journalisme et le professorat. Or je répugne à l
206 t et viennent sur ce toit en lisant. Comme il n’y a ni mur, ni barrière, il faut craindre à chaque fois qu’elles fassent
207 able — devant un bloc de papier blanc. Des heures ont passé, immobiles. Le téléphone a sonné plusieurs fois, près de mon li
208 nc. Des heures ont passé, immobiles. Le téléphone a sonné plusieurs fois, près de mon lit, sans que je bouge. J’ai lentem
209 ieurs fois, près de mon lit, sans que je bouge. J’ ai lentement relu ma conférence de Buenos Aires, des notes éparses. À se
210 , je me suis mis à écrire. Il est dix heures et j’ ai devant moi les trois premiers chapitres terminés. J’ai faim, j’ai fro
211 vant moi les trois premiers chapitres terminés. J’ ai faim, j’ai froid, je suis heureux, je cours dîner pour 50 cents à la
212 s trois premiers chapitres terminés. J’ai faim, j’ ai froid, je suis heureux, je cours dîner pour 50 cents à la cafétéria d
213  Après trois jours et nuits de travail acharné, j’ ai tenté hier soir une sortie. Deux signes m’ont prouvé que jusqu’à nouv
214 é, j’ai tenté hier soir une sortie. Deux signes m’ ont prouvé que jusqu’à nouvel ordre je suis le prisonnier de mon livre et
215 me attablés causent et boivent. L’un des hommes m’ ayant remarqué, je l’entends dire : « Voilà le diable ! » Ils se retournent
216 e diable ! » Ils se retournent à demi et rient. J’ ai fui. Pas d’autre restaurant dans ce quartier. Je suis monté sans dîne
217 . Je suis monté sans dîner chez mes amis. Je n’en ai pas de plus charmants dans toute la ville, et je les ai vus presque c
218 de plus charmants dans toute la ville, et je les ai vus presque chaque jour le mois dernier. Mais ce soir-là je n’avais r
219 chaque jour le mois dernier. Mais ce soir-là je n’ avais rien à dire, et me demandais non sans angoisse ce que l’on peut bien
220 demandais non sans angoisse ce que l’on peut bien avoir à dire, en général, quand on se trouve à six ou huit dans un salon. R
221 e à six ou huit dans un salon. Rentré tôt, mais n’ ai rien fait qui vaille de toute la nuit. Voilà qui est clair : ou écrir
222 . Exorciser en moi la part du diable, celle qu’il a sans doute prise à mon ouvrage. Idée bizarre : si j’ai si vite bouclé
223 ns doute prise à mon ouvrage. Idée bizarre : si j’ ai si vite bouclé ce livre, c’était pour essayer de le prendre de vitess
224 lir mon étage. Je louais cet atelier au mois et n’ ai donc plus qu’à déguerpir sans insister. 16 avril 1942, 11 West, 52 t
225 e m’escrimais contre son image fuyante, le diable a tranquillement vidé mon compte en banque, et je ne suis pas plus avan
226 on regarde les vitrines différemment selon qu’on a de l’argent dans sa poche ou non ! D’abord, on ne regarde pas les mêm
227 rès-midi, et sans doute repourvue. Si j’y vais, j’ ai les plus grandes chances. J’y suis allé et une demi-heure plus tard,
228 exte sur la vie dans les camps d’entraînement. Il a trouvé le moyen de se rendre plus invisible encore à force de discrét
229 ner dans la nuit. À deux heures du matin, si tout a bien marché, je monterai chez « Saint-Ex » faire une partie d’échecs
230 es reculent, les Japonais avancent encore. Mais j’ ai pu annoncer le premier raid anglais de mille avions, et la promesse d
231 j’ai pu annoncer le premier raid anglais de mille avions , et la promesse du général Marshall : « Nous débarquerons en France. 
232 n Perse. — Lorsqu’il est arrivé en Amérique, il n’ a paru de lui qu’une seule photo, encore était-elle prise de dos. (Mais
233 s qui passent par cette ville de nulle part. Et j’ ai songé à cette autre retraite, la maison rose de « La Muette », où Ram
234 tionne et l’autre parle. Il parle de Briand qu’il a servi longtemps, et qui n’a jamais su qu’il y avait Saint-John Perse 
235 parle de Briand qu’il a servi longtemps, et qui n’ a jamais su qu’il y avait Saint-John Perse ; d’Hitler dont il a regardé
236 qu’il y avait Saint-John Perse ; d’Hitler dont il a regardé les yeux de près et qu’il décrit en termes médicaux ; de Reyn
237 u’il décrit en termes médicaux ; de Reynaud qui l’ a renvoyé sous la pression du parti de l’armistice… Et je doute si pers
238  Gagner sa vie », dit-on, mais en vivant ainsi on aurait beaucoup moins à la gagner. « Faire une carrière », mais vues d’ici,
239 e qu’une plage, un loisir sur la plage, et nous l’ avons ici. New York, 2 septembre 1942 Quoi de plus sale qu’une ville dont l
240 e mon œuvre posthume ») et qui me paraît ce qu’il a fait de plus beau. Tard dans la nuit je me retire épuisé (je dois ren
241 é mal gré mes vingt-cinq pages quotidiennes, je n’ ai pu guère écrire que ces notes de journal, et deux essais pour des rev
242 pour des revues américaines. Mais ces essais-là m’ ont suffi pour déceler l’influence sur mon style de ce travail de propaga
243 ent, précisément.) Le monde actuel pressent qu’il a besoin de maîtres et de directeurs de conscience, plutôt que de monst
244 de mon enfance, en marge du temps de la guerre, j’ ai vécu des journées soustraites au Destin. La mer est grise, le soir vi
245 omment lui résisterait-on ? C’est un ami. Il vous a reçus d’abord et vous a proposé ses façons et usages qu’il convenait
246 n ? C’est un ami. Il vous a reçus d’abord et vous a proposé ses façons et usages qu’il convenait d’aimer. Bientôt, s’il v
247 ui devrait s’arranger pour payer. Et quand vous n’ avez plus d’argent, c’est tout d’un coup le monsieur qui ne tient pas à ce
248 s frappés par le malheur, où que ce soit, il y en a toujours trop. Cependant notre sort vous paraissait enviable, à juste
249 titre. Les pires tourments de l’esprit et du cœur ont toujours paru préférables à la torture physique, ou même à sa menace.
10 1947, Articles divers (1946-1948). La jeune littérature des États-Unis devant le roman américain (7 juin 1947)
250 ses romans, et c’est là qu’il y a bien six ans j’ ai connu Carson McCullers. Elle avait l’air d’une toute jeune fille mont
251 fait un compliment. Je suppose que mon étonnement eût atteint la stupéfaction si j’avais lu avant cette brève rencontre The
252 e mon étonnement eût atteint la stupéfaction si j’ avais lu avant cette brève rencontre The Heart is a lonely Hunter (Le Cœur
253 avais lu avant cette brève rencontre The Heart is a lonely Hunter (Le Cœur est un chasseur solitaire). Un peu plus tard j
254 lyn, dans une sombre maison de quatre étages où m’ avait amené Golo, le plus jeune fils de Thomas Mann. Un mélange improbable
255 jeune peinture, la jeune chorégraphie américaines ont traversé cette maison de Brooklyn, seul centre de pensée et d’art que
256 de Brooklyn, seul centre de pensée et d’art que j’ aie trouvé dans une grande ville de ce pays. ⁂ Et puis leur nomadisme hab
257 de ce pays. ⁂ Et puis leur nomadisme habituel les a repris. Un an plus tard, tous s’étaient dispersés, au Mexique ou au M
11 1947, Articles divers (1946-1948). Drôle de paix (7 juin 1947)
258 t d’esprit général de l’époque, depuis que Hitler a disparu. Notre vision du monde, naguère limitée aux dimensions de la
259 is locaux et ancestraux nommés « doctrines », qui ont à peu près les mêmes rapports avec l’état des forces dans le monde qu
260 , et s’il fallait d’abord savoir les faits il n’y aurait plus moyen de causer. La bêtise triomphante Cependant nous soup
261 erait s’occuper vraiment de politique. Car il n’y a plus à proprement parler de politique pratique, sérieuse et efficace,
262 on dans le cadre planétaire. Hitler et le Japon l’ ont démontré par leur échec, qui fut celui d’une dernière tentative d’imp
263 d il s’agit de la vie de millions de ses sujets n’ avait trahi tant d’insécurité dans ses réactions extérieures, tant de nervo
264 ans de guerre et d’invasion. À peine les Anglais ont -ils annoncé leur décision de se retirer des Indes en juin 1948 que la
265 idus ne se sont unis à cause des richesses qu’ils avaient , tout au contraire. C’est toujours de la pauvreté que montent les app
266 anques. C’est grâce à eux et en eux seuls qu’elle a pris quelque consistance. Elle se maintient parce que les Russes sans
12 1947, Articles divers (1946-1948). Einstein, patriarche de l’âge atomique, m’a dit : « C’est pour dissimuler sa pauvreté et sa faiblesse que l’URSS méfiante, s’entoure de secret… » (9 août 1947)
267 Einstein, patriarche de l’âge atomique, m’ a dit : « C’est pour dissimuler sa pauvreté et sa faiblesse que l’URSS
268 z m’aider pour mes devoirs d’arithmétique. » Je l’ ai aidée de mon mieux. C’est une charmante enfant. — Depuis quand vivez-
269 d’un projet d’université juive à Jérusalem. On m’ a donné beaucoup de banquets, j’ai entendu beaucoup de speechs. Vous ne
270 à Jérusalem. On m’a donné beaucoup de banquets, j’ ai entendu beaucoup de speechs. Vous ne pouvez imaginer à quel point ce
271 chs. Vous ne pouvez imaginer à quel point ce pays a changé depuis lors. Le niveau des discours, les plaisanteries qui fai
272 ans, à travers la crise de 1929 et la guerre, ils ont fait des progrès immenses vers le sérieux et vers la vraie culture. T
273 agissent pas à la menace atomique. Ils semblent n’ avoir qu’une idée en tête : leur sécurité personnelle, leur prospérité immé
274 ose qui inquiète les Américains, c’est la Russie. Avez -vous remarqué qu’il se développe ici une sorte d’hystérie antirusse ?
275 russe Et je pense à part moi : nous y voici. N’ ai -je pas entendu répéter ces derniers temps qu’Einstein serait « très c
276 affirmer qu’elles sont communistes, simplement. N’ a-t -il pas proposé, en 1945, de livrer le secret de la bombe aux quatre G
277 systématique des Soviets. Or je crains qu’il n’y ait rien à faire pour la surmonter. Car la cause n’en est que trop claire
278 r fabriquer ses propres bombes ? — La Russie peut avoir la bombe d’ici deux ans au moins. D’ici dix ans au plus. Ce qui est s
279 ue le « rideau de fer » s’explique par la peur qu’ ont les Russes que l’on se renseigne sur l’état de leurs travaux atomique
280 eigne sur l’état de leurs travaux atomiques ? — J’ ai une explication plus simple du « rideau de fer ». Les Russes sont trè
281 Russes sont très pauvres. C’est pour cela qu’ils ont si peur des étrangers. Et non sans raison. Car, au cours actuel du do
282 es résistances ou le sabotage soviétique, qu’on n’ aura plus besoin d’y garder des secrets. Les Russes pourront bien entreten
283 pas compter ! » Je pense à l’Institut qu’Einstein a fondé avec quelques collègues, ici même, pour éclairer l’opinion publ
284 nt-il responsable de la menace d’Apocalypse qu’il a contribué plus que nul autre à susciter dans notre siècle ? Je tourne
285 air malicieux et bonhomme : « La bombe, dit-il, n’ a pas changé les conditions de la guerre beaucoup plus que ne l’avaient
286 es conditions de la guerre beaucoup plus que ne l’ avaient déjà fait les raids massifs d’avions. Mais la bombe a du moins l’avan
287 us que ne l’avaient déjà fait les raids massifs d’ avions . Mais la bombe a du moins l’avantage de rendre les masses plus consci
288 jà fait les raids massifs d’avions. Mais la bombe a du moins l’avantage de rendre les masses plus conscientes du danger d
289 sans efficacité. Cependant, la proposition Baruch a cela d’excellent qu’elle impliquerait un renoncement partiel à la sou
290 nt. Sur quoi je lui cite la parole de Lyautey qui avait demandé qu’on plante devant sa résidence une arbre d’une espèce rare 
291 opper : « Vous voyez, riposta le maréchal, il n’y a pas une seconde à perdre ! » n. Rougemont Denis de, « Einstein, p
292 s de, « Einstein, patriarche de l’âge atomique, m’ a dit… », Paris Presse, Paris, 9 août 1947, p. 1 et 3.
13 1947, Articles divers (1946-1948). Conversation à bâtons rompus avec M. Denis de Rougemont (30-31 août 1947)
293 o L’émouvante profession de foi fédéraliste qu’ a entendue le congrès des fédéralistes européens de la bouche de M. Den
294 s européens de la bouche de M. Denis de Rougemont a eu un retentissement considérable. Avec cette simplicité propre aux g
295 européens de la bouche de M. Denis de Rougemont a eu un retentissement considérable. Avec cette simplicité propre aux gran
296 a marque de l’homme bien né, M. de Rougemont nous a fait l’honneur de nous recevoir quelques instants. Je viens de passer
297 uer mon oratorio Nicolas de Flue , dont Honegger a écrit la musique. Surpris par la guerre, je suis resté aux États-Unis
298 compte m’installer à Ferney dans quelques jours. Avez -vous beaucoup écrit pendant ce « temps de pénitence » ? Oui, passable
299 ce « temps de pénitence » ? Oui, passablement. J’ ai écrit Vivre en Amérique , j’ai publié La Part du diable et m’en va
300 , passablement. J’ai écrit Vivre en Amérique , j’ ai publié La Part du diable et m’en vais sortir très prochainement Jo
301 Journal des deux mondes , dont la Guilde du Livre a déjà donné une édition. À l’intention du public américain, j’ai fait,
302 une édition. À l’intention du public américain, j’ ai fait, enfin, un ouvrage sur la Suisse, intitulé Le Cœur de l’Europe
303 ’influence considérable que M. Denis de Rougemont a exercée aux États-Unis en faveur de notre pays. Il est trop modeste p
304 t l’ardent défenseur de nos institutions. Ce rôle a été d’autant plus utile pour nous que notre neutralité n’a pas toujou
305 utant plus utile pour nous que notre neutralité n’ a pas toujours été bien comprise et que la presse n’a pas toujours été
306 pas toujours été bien comprise et que la presse n’ a pas toujours été très tendre à notre égard. De cette influence, nous
307 n ce que nous venons de dire. Le président Truman avait constitué un comité civil, composé d’éminentes personnalités américai
308 omposé d’éminentes personnalités américaines, qui avait été chargé d’établir un rapport sur la conscription. Or, dans ses con
309 uvrage sur la Suisse de M. Denis de Rougemont, il a donné comme argument principal le cas de notre propre armée. En Europ
310 e. En Europe même, les écrits de M. de Rougemont, ont marqué de leur influence une partie de l’élite intellectuelle de l’Oc
311 e, par exemple, le parti socialiste personnaliste a tiré sa doctrine de ses ouvrages et de ceux de quelques autres penseu
312 nseurs. Au Danemark, cette doctrine personnaliste a trouvé aussi des adeptes, mais c’est évidemment en France, qu’elle a
313 adeptes, mais c’est évidemment en France, qu’elle a eu le plus de succès et qu’elle a trouvé peut-être le terrain le plus
314 eptes, mais c’est évidemment en France, qu’elle a eu le plus de succès et qu’elle a trouvé peut-être le terrain le plus fa
315 France, qu’elle a eu le plus de succès et qu’elle a trouvé peut-être le terrain le plus favorable. Ce mouvement personnal
316 ain le plus favorable. Ce mouvement personnaliste a été créé vers 1932 à Paris, Denis de Rougemont représentant l’élément
317 ances et incroyances. Les membres de ce mouvement ont été dispersés par la guerre, certains étant morts, mais les idées — e
318 à la suite de quelles expériences personnelles il avait été amené à formuler une philosophie du fédéralisme aussi profonde et
319 déralisme aussi profonde et aussi originale. Nous avons posé la question à M. de Rougemont, qui nous a répondu simplement : D
320 vons posé la question à M. de Rougemont, qui nous a répondu simplement : De tout temps, j’ai été fédéraliste, et je me su
321 qui nous a répondu simplement : De tout temps, j’ ai été fédéraliste, et je me suis fait une philosophie qui cadre avec le
322 possibilité de créer un État fédéral. Comme je l’ ai dit dans ma conférence de mardi soir, ce qui étonne tous les historie
323 ans plus tard, elle fonctionnait si bien que l’on eût dit qu’elle allait de soi. Notez bien que ce sentiment suisse, dans l
324 années précédant 1848, était informulé, et qu’il a fallu la campagne de la Société helvétique et les écrits du doyen Bri
14 1947, Articles divers (1946-1948). L’attitude fédéraliste (octobre 1947)
325 théorique et les généralisations. D’autre part, j’ ai toujours éprouvé de la répugnance à séparer les valeurs spirituelles
326 bles que les dictateurs font leur ciment. Et nous avons pu voir, pendant la dernière guerre, que les résistances que rencontr
327 esponsables, c’est-à-dire des personnes fédérées. Ayant ainsi esquissé à grands traits la conception de l’homme sur laquelle
328 laquelle nos travaux doivent se fonder et qu’ils ont pour but ultime de promouvoir, nous pouvons passer maintenant à une d
329 he allemand Karl Jaspers déclarait que l’Europe n’ a plus de choix qu’entre la balkanisation et l’helvétisation. Je suppos
330 mais n’est pas applicable aux grands. De plus, il a fallu des siècles aux Suisses pour se fédérer, et nous avons besoin d
331 des siècles aux Suisses pour se fédérer, et nous avons besoin de solutions rapides. » À la deuxième objection, je répondrai
332 objection, je répondrai que les cantons suisses n’ ont adopté une constitution commune qu’en 1848, au terme d’une crise d’as
333 ans plus tard, elle fonctionnait si bien que l’on eût dit qu’elle allait de soi. Quant à ce que l’on répète sur la petites
334 : rester libre chez soi. Or les uns et les autres ont tort, parce qu’ils n’ont qu’à moitié raison. Le véritable fédéralisme
335 Or les uns et les autres ont tort, parce qu’ils n’ ont qu’à moitié raison. Le véritable fédéralisme ne consiste ni dans la s
336 à celles que je viens de signaler en Suisse. Nous aurons des fédéralistes qui ne penseront qu’à faire l’union et à la renforce
337 ont qu’à faire l’union et à la renforcer, et nous aurons des fédéralistes préoccupés avant tout de sauvegarder les droits de c
338 incontestable, en effet, que l’idée fédéraliste n’ a pas cessé d’inspirer et de guider les démarches des meilleurs hommes
339 à ce que la crise d’une guerre civile, en 1847, l’ ait forcée à prendre forme et force de loi. Et ce n’est guère qu’au xxe
340 pes directeurs qui, d’une manière tout empirique, ont formé la fédération suisse. Et je vais les choisir parmi ceux qui me
341 tadins, plus riche ou plus peuplé que les autres, a cru pouvoir imposer sa primauté, les autres se sont ligués contre lui
342 primauté, les autres se sont ligués contre lui, l’ ont obligé à rentrer dans le rang, et l’union fédérale a marqué un progrè
343 bligé à rentrer dans le rang, et l’union fédérale a marqué un progrès. Lors de la dernière crise grave, la guerre civile
344 sant catholiques et protestants, les vainqueurs n’ ont eu rien de plus pressé que de rendre aux vaincus leur pleine égalité
345 catholiques et protestants, les vainqueurs n’ont eu rien de plus pressé que de rendre aux vaincus leur pleine égalité de
346 ustice ou une erreur dans le fait qu’une minorité ait les mêmes droits qu’une majorité. C’est qu’à ses yeux la minorité ne
347 es carrés. Quatrième principe. — La fédération n’ a pas pour but d’effacer les diversités et de fondre toutes les nations
348 rendraient aussi que dans une fédération, elles n’ auraient pas à se mélanger, mais au contraire à fonctionner de concert, chacun
349 nière et selon son génie. Après tout, le poumon n’ a pas à « tolérer » le cœur. Tout ce qu’on lui demande, c’est d’être un
350 atifs, culturels, linguistiques, religieux, qui n’ ont pas les mêmes frontières, et qui se recoupent de cent manières différ
351 es équipes en présence. C’est pourtant bien ce qu’ avait tenté de faire la SDN, qui en est morte, et ce que tente à nouveau l’
352 qui formeront le gouvernement de l’Europe. Il n’y a pas d’autre voie possible et praticable. Les USA ne sont pas dirigés
353 ssus des peuples. Le jour où les peuples d’Europe auront compris qu’ils sont en réalité beaucoup plus solidaires et plus unis
354 . C’est dire qu’il nous faut aller vite. ⁂ Il n’y a , dans le monde du xxe siècle, que deux camps, deux politiques, deux
355 ter sur les gens au pouvoir. J’en connais peu qui aient l’intention de le laisser limiter, et c’est pourtant ce que nous leur
356 e que nous leur demandons. Tous les gouvernements ont un penchant marqué à persévérer dans leur être, et même à lui survivr
357 i se sont arrogé ces droits absolus sans devoirs, ont un penchant irrésistible à devenir totalitaires. Et ce n’est point qu
15 1947, Articles divers (1946-1948). La liberté dans l’amour [Réponse à une enquête] (novembre 1947)
358 sme institué par la bourgeoisie, je pense qu’elle a encore un bel avenir — en URSS. Voyez dans quels termes les Soviets d
359 eule loi, dans un seul pays ou un seul temps, qui ait jamais condamné l’amour comme tel, ou l’ait même nommé dans un code.
360 , qui ait jamais condamné l’amour comme tel, ou l’ ait même nommé dans un code. De quoi donc voudrait-on le libérer ? L’amou
361 de. De quoi donc voudrait-on le libérer ? L’amour a toujours été libre. Bien plus, l’amour est le principe actif de toute
362 t je ne vois pas très bien, je l’avoue, quel sens aurait ici une « prise de position ». (Avec toutes les imprudences du monde,
363 on ». (Avec toutes les imprudences du monde, il m’ a fallu 350 pages serrées pour en esquisser une, partielle, dans L’Amo
364 it pas notablement le nombre des homosexuels. Ils ont en fait toute liberté de vivre à leur guise, jouissent des mêmes droi
365 ité) n’est pas nécessaire ; car en fait nous n’en avons plus, ou juste assez pour que le piquant d’une tricherie que toutes n
16 1947, Articles divers (1946-1948). La balance n’est pas égale entre les États-Unis et l’URSS (8 novembre 1947)
366 ’idée du monde la plus désespérée qu’un Américain ait encore puisée dans son pays » ; 2° Truman veut asservir l’Europe au d
367 o-fascisme culturel. (C’est à peine si les termes ont changé depuis que Goebbels et Gaida insultaient les Yankees barbares.
368 Miller, nolens volens, servent Truman (même s’ils ont écrit sous Roosevelt). Mais alors, et pour les mêmes raisons, le succ
369 il est notoirement faux d’écrire que Henry Miller a puisé son désespoir « dans son pays » : c’est la vie de Montparnasse
370 qui s’occupe d’autre chose, et dont la politique a autant de rapports avec les vomissements décrits par un Miller, que l
371 les communistes. Les intellectuels européens qui ont connu de près la vie américaine ont coutume d’insister sur deux trait
372 européens qui ont connu de près la vie américaine ont coutume d’insister sur deux traits de cette culture qui leur paraisse
373 yenne. Sur la dictature de l’argent aux USA, tout a été dit, et les cent anecdotes personnelles que je pourrais verser au
374 e en Amérique. Un communiste moins que tout autre a le droit d’ironiser sur ce sujet. L’éditeur américain, pour éduquer
375 ers, il n’est pas une des tares américaines qui n’ ait été décrite, avouée, analysée par les Américains eux-mêmes, avec une
376 mauvais romans encombrent l’étalage, mais qu’on n’ ait plus le droit de les juger mauvais si le Parti les déclare orthodoxes
377 reporter américain persécuté par ses patrons pour avoir « bien parlé » de l’URSS, l’un des meilleurs producers de Broadway me
378 producers de Broadway me dit en riant : « Il n’y a qu’une réponse possible. Je vais faire jouer cette pièce ici, ce sera
379 ans le pessimisme de Miller, dont le succès, je l’ ai montré, loin d’être le fait des éditeurs américains, est celui de not
17 1947, Articles divers (1946-1948). Une Europe fédérée (20 décembre 1947)
380 , faudrait-il la vouloir ? » Je réponds qu’il n’y a qu’à regarder l’Europe, qu’à faire son bilan de misères, qu’à voir la
381 c’est que « l’homme moderne est démodé », comme l’ a dit un Américain : sa conscience est en retard sur le milieu nouveau,
382 and. Nos descendants s’étonneront bien que Valéry ait pu nous étonner en notant que l’Europe n’est qu’un cap de l’Asie. À c
383 ter le grand fait politique des deux empires, qui ont un air de vouloir se partager le monde. En 1939 il y avait en présenc
384 urtout nos divisions. Aujourd’hui les deux Grands ont paru dans leur force : tout se passe en dehors de nous, tout nous men
385 n, et l’on pourra parler. Notre vocation Qu’ aurons -nous donc à dire dans cette conversation une fois les pistolets dépos
386 eaucoup moins brutal, n’est pas moins franc. Nous avons besoin d’elle matériellement, elle a besoin de nous spirituellement,
387 nc. Nous avons besoin d’elle matériellement, elle a besoin de nous spirituellement, et si son aide économique nous trouva
388 culture elle y perdrait autant que nous. L’Europe a dépassé le stade de l’individualisme économique. Son rôle est d’inven
389 quête d’un sourire complice ou gêné (tant de gens ont une peur bleue de passer pour utopistes et d’avoir l’air de croire un
390 quelque chose qui l’empêche ! Enfin le stalinisme a décrété que l’union de l’Europe est antirusse, ce qui est la manière
391 les exclut, qu’on fait un bloc contre eux… Il n’y a donc plus qu’à faire l’Europe sans eux. Les sceptiques rejoindront un
392 s sceptiques rejoindront un jour, les défaitistes auront perdu comme il se doit, et les nationalistes feront l’opposition indi
393 il ne peut mener qu’à accepter par force ce qu’on a combattu dans la faiblesse au nom de rien. Mais où est la grande affi
394 rer le sens communautaire. En dehors d’eux rien n’ a paru depuis la guerre qu’ils avaient eux-mêmes déclenchée. Et nous sa
395 ehors d’eux rien n’a paru depuis la guerre qu’ils avaient eux-mêmes déclenchée. Et nous savons pourtant que nous sommes plus li
396 ts, regardant à droite et à gauche comme s’il n’y avait rien devant nous. Quand le monde attend de nous l’invention pacifiant
18 1948, Articles divers (1946-1948). Notes sur la voie clandestine (hiver 1948)
397 estin ? C’est ici que la voie prend naissance. Tu as un destin si tu es distinct. Tout homme, dès qu’il se voit isolé par
398 ’ensuivent aisément, comme le corps quand la tête a passé. Car si je suis unique, il est une voie qui n’est tracée que po
399 ’on voit. C’est le seul optimiste parmi nous, qui ait causé de l’être sans niaiserie. S’il s’arrête à telle apparence curie
400 nce, et dans les rêves, jeux de l’inconscient, on a vite fait d’en dresser le catalogue : tout se ramène à quelques perso
401 urs de cette « rhétorique du rêve » que Jean-Paul a nommée le premier, ils règlent la circulation entre les profondeurs e
402 e tait. Car d’une part les signes que j’accueille ont bien des chances d’être dans la complicité de mon exigence secrète. C
403 ixième, qui donne un sens. Mais les neuf autres n’ ont pas été vaines, ni muettes. Car elles m’ont dit : tu n’es pas toi, ou
404 res n’ont pas été vaines, ni muettes. Car elles m’ ont dit : tu n’es pas toi, ou pas ici, tu n’y es plus ou pas encore. Elle
405 ou pas ici, tu n’y es plus ou pas encore. Elles m’ ont ramené… » Le superstitieux va loin, s’il est grand : dans la voie de
406 ’au bout de lui-même. ⁂ Erreur commune : s’il n’y a pas de hasard, tout serait donc déterminé ? Nous n’aurions plus qu’à
407 as de hasard, tout serait donc déterminé ? Nous n’ aurions plus qu’à suivre une voie rigide, fixée de toute nécessité par le Des
408 n ? Erreur commune et dont il faut rougir. Il n’y a pas de hasard, mais pourtant nous sommes libres. Je ne sais qui dispo
409 poème, un destin, un amour, une vocation ? « Je n’ ai jamais su, dit le poète, si j’inventais un vers ou si je le retrouvai
410 mort naissante. » Poésie et superstition : elles ont mêmes lois, mêmes incertitudes, mêmes échecs et mêmes réussites. Et l
19 1948, Articles divers (1946-1948). Rencontre avec Denis de Rougemont (janvier 1948)
411 abord, il faut faire le point. Denis de Rougemont a 41 ans. Petit, trapu, l’œil sombre, le poil noir, le sourcil épais, l
412 oire forte, peut-être, le croisant dans la rue, l’ aurais -je pris pour un homme dur et violent. Mais, à l’entendre parler, comm
413 e « mystique ». Demandez-lui ce qu’il fait : Je n’ ai d’autre spécialité, vous répondra-t-il, que de réfléchir aux conséque
414 nt. C’est un intellectuel. Un intellectuel qui n’ a pas mauvaise conscience de sa vocation, qui ne s’en cache pas. Il int
415 suis né à Neuchâtel, me dit Denis de Rougemont. J’ ai fait des études de lettres en Suisse et en Autriche, à Vienne. J’ai v
416 de lettres en Suisse et en Autriche, à Vienne. J’ ai voyagé en Allemagne et en Hongrie. Pendant un temps, je fus lecteur d
417 sité de Francfort. En 1931, je vins en France ; j’ ai vécu en province et à Paris, collaborant à Esprit , à L’Ordre nouve
418 Roger Breuil, Albert-Marie Schmitt. C’est moi qui ai signé l’un des trois premiers articles consacrés, en France, à Kafka.
419 , comme les étudiants de l’Université. Un soir (j’ avais publié depuis peu mes Lettres sur la bombe atomique , le téléphone r
420 royais pas mes oreilles ; c’est un peu comme si j’ avais entendu : « Ici, Newton »… Pourtant, c’était bien Einstein. Il avait
421 ci, Newton »… Pourtant, c’était bien Einstein. Il avait lu mon livre et désirait me connaître. Je me rendis chez lui, dans un
422 l’Amérique, de la Russie et de la bombe atomique. Avez -vous eu l’impression qu’Einstein se sentait responsable de sa découve
423 , de la Russie et de la bombe atomique. Avez-vous eu l’impression qu’Einstein se sentait responsable de sa découverte ? Ei
424 s doute, pense-t-il que, même sans lui, le secret aurait été découvert, et que par conséquent… « La bombe, m’a-t-il dit, n’a p
425 é découvert, et que par conséquent… « La bombe, m’ a-t -il dit, n’a pas changé les conditions de la guerre beaucoup plus que
426 t que par conséquent… « La bombe, m’a-t-il dit, n’ a pas changé les conditions de la guerre beaucoup plus que ne l’avaient
427 es conditions de la guerre beaucoup plus que ne l’ avaient déjà fait les raids massifs d’avions. Mais la bombe a du moins l’avan
428 us que ne l’avaient déjà fait les raids massifs d’ avions . Mais la bombe a du moins l’avantage de rendre les masses plus consci
429 jà fait les raids massifs d’avions. Mais la bombe a du moins l’avantage de rendre les masses plus conscientes du danger d
430 as Denis de Rougemont sur les États-Unis. Il leur a consacré de nombreux articles dans des journaux et des revues de Fran
431 es revues de France et de Suisse — articles qu’il a d’ailleurs rassemblés en un volume sous le titre : Vivre en Amérique
432 toujours en marge de la société, parce qu’il n’y avait plus de communauté réelle entre l’écrivain d’une part, la bourgeoisie
433 main et l’entretient d’un petit restaurant où ils avaient l’habitude de se rencontrer naguère, mais où, maintenant, « on ne peu
434 z, dit Sartre, la voix pleine d’indignation, l’on a tout transformé, l’on a mis des cretonnes partout. Vous voyez ça : de
435 leine d’indignation, l’on a tout transformé, l’on a mis des cretonnes partout. Vous voyez ça : des cretonnes !… » À New Y
436 es !… » À New York, reprend Denis de Rougemont, j’ ai eu la visite de Sartre. Il m’a dit : « Les deux plus grands écrivains
437 !… » À New York, reprend Denis de Rougemont, j’ai eu la visite de Sartre. Il m’a dit : « Les deux plus grands écrivains fr
438 s de Rougemont, j’ai eu la visite de Sartre. Il m’ a dit : « Les deux plus grands écrivains français contemporains, c’est
439 terposée ? Denis de Rougemont poursuit : Ce qui m’ a le plus étonné, ici, dans la littérature, c’est qu’elle soit aujourd’
440 tre, Bataille, Breton… Après l’autre guerre, ce n’ avait pas été ainsi. C’est, me semble-t-il, dis-je à mon tour, que le fossé
441 a guerre de 1914 était moins profond que celui qu’ a creusé cette guerre-ci. Pour les jeunes hommes d’aujourd’hui, il ne s
442 veau et de l’organiser. Tout est à recréer. Ils n’ ont encore rien à dire, ou ce qu’ils voudraient exprimer est encore impré
443 t demeurés fidèles. La guerre, la défaite, l’exil ont pu les dérouter ; leurs idées n’en ont pas été transformées pour auta
444 te, l’exil ont pu les dérouter ; leurs idées n’en ont pas été transformées pour autant. Voilà pourquoi ce sont eux et eux s
445 nne des fédéralistes, qui se tenait à Montreux, j’ ai prononcé une conférence où je développais les principes du fédéralism
446 non la quantité comme dans le totalitarisme) ; il a pour base la sauvegarde des qualités propres à chaque nation, à chaqu
447 ouple comme la paix, comme la vie. Il ne faut pas avoir peur de ces complexités, de ces complications. Elles seules préserven
448 ut, me répond-il. C’est un objet. Les objets ne m’ ont jamais fait peur, non plus que les machines. Ce qui est dangereux, ho
20 1948, Articles divers (1946-1948). Les deux blocs ? Il n’en existe qu’un (9 janvier 1948)
449 us coloniser, donc également dangereux pour nous. Avons -nous bien regardé les faits ? Existe-t-il vraiment deux blocs ? ⁂ Une
450 des États-Unis dans notre monde : c’est que nous avons chez nous un parti stalinien, qui prend ses ordres à Moscou, mais auc
451 Europe aux élections et dans les parlements, elle a ses troupes disciplinées, elle fait sa politique jusque dans nos comm
452 e jusque dans nos communes : tandis que les USA n’ ont que des sympathies, point de propagande organisée, aucun moyen de don
453 scientifique : le marxisme ; tandis que les USA n’ ont pas de doctrine, et n’ont rien d’autre à proposer qu’un genre de vie,
454  ; tandis que les USA n’ont pas de doctrine, et n’ ont rien d’autre à proposer qu’un genre de vie, leur way of life qui n’es
455 x empires ne sont pas davantage comparables. On l’ a bien vu lors de la Conférence des Seize. L’URSS s’oppose à toute tent
456 la dialectique marxiste : c’est ainsi que Staline a justifié la liquidation des koulaks et le pacte germano-soviétique. T
457 ces nous conduisent à la même conclusion : il n’y a pas de commune mesure entre le danger soviétique pour l’Europe et le
458 es déclarent noblement décliner ? En fait, il n’y a plus de choix possible. Car la Russie, en refusant de collaborer, en
459 le plan Marshall, en devenant bloc, précisément, a choisi pour nous, malgré nous. Si nous n’acceptons pas d’être ses sat
460 mmunistes contre un prétendu « bloc américain » n’ a d’autre but que de masquer ce fait brutal : la Russie ne veut pas d’u
461 s c’est pratiquement impossible. Car l’Amérique n’ a nullement l’intention de nous entretenir à grands frais comme des mal
21 1948, Articles divers (1946-1948). Ce sont les Français qui ont commencé (La querelle des « condensés… ») (14 février 1948)
462 Ce sont les Français qui ont commencé (La querelle des « condensés… ») (14 février 1948)v Mme d
463 e, et l’arrêtait au bout de cinq minutes, pensant avoir assez compris. Dira-t-on qu’elle était Américaine ? À l’époque, on vi
464 tif condensed (from…), il semble que nos éditeurs aient voulu souligner le caractère américain de leur entreprise, et donner
465 comme résumé ou adaptation, la polémique actuelle eût pris un autre cours. Il suffit, en effet, de dire résumé au lieu de c
466 ourir à d’autres sources qu’un vieux Lanson que j’ ai sous la main. ⁂ En 1714, Houdar de La Motte condense L’Iliade en douz
467 a vie. Dès 1768, Ducis condense Shakespeare. « Il a rogné ses drames avec d’impitoyables ciseaux… il y a retaillé des tra
468 e notre enfance. Il est vrai qu’en tout cela je n’ ai cité que des traductions, et que ni Goethe, ni Swift, ni Cervantès n’
469 tions, et que ni Goethe, ni Swift, ni Cervantès n’ ont jamais reçu le prix Goncourt, ce qui doit apaiser bien des scrupules.
470 du procédé. Il est probable que le « condensé » n’ aurait pas provoqué pareille indignation chez les critiques, ni rencontré pa
471 contré pareil succès dans le grand public, s’il n’ eût pas été présenté comme américain d’origine. (Américain signifiant pou
472 daptation en général, les exemples français que j’ ai cités suffisent à faire voir qu’elle est infiniment variable. La Mott
473 s ouvrages d’une honnête moyenne. Les critiques n’ ont pas protesté tant qu’on nous a servi Shakespeare et Goethe, Cervantès
474 Les critiques n’ont pas protesté tant qu’on nous a servi Shakespeare et Goethe, Cervantès et Dostoïevski dans des versio
475 ser » un lauréat quelconque de la saison. Je dois avoir l’esprit mal fait : j’ai peine à partager cette répulsion. C’est que
476 de la saison. Je dois avoir l’esprit mal fait : j’ ai peine à partager cette répulsion. C’est que le style de Goethe m’impo
477 ’est-il pas un enfant devant la vraie culture ? N’ a-t -il pas droit aux mêmes égards que la jeunesse de la part de ceux qui
478 indre enfin la vaste audience que nos critiques n’ avaient pas su lui procurer ? Pour ma part, je salue de mes vœux toute entrep
479 vain de s’indigner des « condensés » tant qu’on n’ aura rien fait pour la culture des masses ; car nous sommes en démocratie,
480 . Rougemont Denis de, « Ce sont les Français qui ont commencé (La querelle des « condensés… ») », Le Figaro littéraire, Pa