1 1946, Articles divers (1946-1948). Théologie et littérature (1946)
1 lésiastique dès le déclin du Moyen Âge, mais il n’ en est aucun dont l’esprit et l’histoire ne manifestent à chaque instant
2 héologie, pour être moins généralement reconnu, n’ en est pas moins étroit ni moins fécond à observer. 2. Depuis les temps
3 dépendance qui n’est certes plus de droit, mais n’ en demeure pas moins de fait et de nature, autant que d’origine. Les gra
4 e ne fait pas exception à cette règle, comme on s’ en convaincra par la lecture des écrits du jeune Marx sur la dialectique
5 r les critiques littéraires. Et cependant comment en nier l’importance, dans un siècle où la littérature exerce sur le pub
6 ologie n’a pas besoin de la littérature et peut s’ en désintéresser sans grand dommage. Si l’on admet qu’elle a pour objet
7 itiquer le dogme chrétien dans l’Église, elle est en droit de laisser à d’autres le soin d’appliquer ses critères hors de
8 éologie. Et il est bien certain que lorsqu’elle s’ en passe, les effets s’en font sentir dans l’Église même. Car le clergé
9 certain que lorsqu’elle s’en passe, les effets s’ en font sentir dans l’Église même. Car le clergé et l’élite des fidèles
10 de la critique littéraire, comme il arrive qu’on en lise sous leur nom dans les revues de pensée religieuse : il s’agit t
11 , à la fois comme fidèle et comme écrivain, qu’il en parle en théologien, et non pas en homme cultivé, en moraliste ou en
12 is comme fidèle et comme écrivain, qu’il en parle en théologien, et non pas en homme cultivé, en moraliste ou en artiste.
13 crivain, qu’il en parle en théologien, et non pas en homme cultivé, en moraliste ou en artiste. Nonobstant ces réserves pr
14 parle en théologien, et non pas en homme cultivé, en moraliste ou en artiste. Nonobstant ces réserves préalables, j’ai une
15 ien, et non pas en homme cultivé, en moraliste ou en artiste. Nonobstant ces réserves préalables, j’ai une requête précise
16 sible d’une intervention de ce genre, elle aurait en tout cas l’avantage de donner aux fidèles — et à leur clergé — certai
17 ant et le lecteur dans un même homme. Ceci dit, j’ en reviens à mon propos, qui était de soulever une question, et de suggé
18 nous, bien que vulgarisée et déprimée au point d’ en devenir méconnaissable. Petit exemple que je mentionne faute de mieux
19 iers et d’essayistes des plus jeunes générations, en Europe, en Angleterre et dans les deux Amériques. Notons que si cette
20 ssayistes des plus jeunes générations, en Europe, en Angleterre et dans les deux Amériques. Notons que si cette influence
21 nce notable d’une poésie d’inspiration religieuse en France, pendant l’occupation et tôt après. 9. Une Église à tendance
22 tre l’illusion courante qui consiste à ne prendre en considération comme auteurs « chrétiens » ou « religieux » que ceux q
23 ons prendre au sérieux. Faire la volonté de Dieu, en écrivant, ce n’est pas simplement parler de Dieu et de sa volonté, ni
24 mplement parler de Dieu et de sa volonté, ni même en parler avec cette simplicité trop aisément atteinte aux dépens du mys
25 auteur ne cesse de mentionner cette réalité, mais en fait il échoue à l’exprimer ; il se livre à des efforts visibles de p
26 , c’est que toute œuvre littéraire, si profane qu’ en soit le sujet, implique une théologie (fût-ce à l’insu de son auteur)
2 1946, Articles divers (1946-1948). Le supplice de Tantale (octobre 1946)
27 tion, leur puissance, et tous les plaisirs qu’ils en tirent. Quant à la mise à mort du fils, offert ensuite aux dieux comm
28 son fils, et donne sa chair aux dieux pour qu’ils en meurent, — s’ils perdent leur divinité de s’être une fois laissé surp
29 sir. Et son défi au Ciel, ayant failli, s’inverse en menace suspendue. Le monde païen ne conçoit pas de pardon par amour
30 un appel venu d’ailleurs. (Les « dieux » n’étant, en fait, que ses propres limites.) Dans l’histoire du supplice de Tantal
31 onc lui-même — à la proie qu’il ne posséderait qu’ en acceptant d’être changé d’abord. Que lui servirait, pense-t-il, de ga
32 qui aurait désiré si longtemps que tout son être en fût devenu attente, espoir et nostalgie. Cet être-là mourrait nécessa
33 surgirait dans l’instant du don, pour le recevoir en son lieu. À la limite, et dans la logique d’un mythe où l’homme s’ide
34 t cela en présence d’un respectable magistrat qui en dressera le protocole. Si tout reste sec, mes biens seront donnés au
35 si pitoyablement à cause du testament, — et il s’ en faut de bien peu qu’il ne pleure… Le conseiller continue son discours
36  : « Je crois, très honorés Messieurs, dit Flachs en se levant, je crois que je pleure ! » Et, en effet, il se rassoit en
37 ois que je pleure ! » Et, en effet, il se rassoit en sanglotant brièvement. Son émotion dûment enregistrée, il héritera de
38 r pur et gratuit. L’auteur du nouveau Testament n’ en demande pas davantage à l’homme pour le faire héritier de son royaume
39 Telle est la ruse de l’Amour insondable. Admirons- en la précision miraculeuse ! Pour si peu d’égoïsme qu’il subsiste dans
3 1946, Articles divers (1946-1948). Genève, rose des vents de l’esprit (19 décembre 1946)
40 inématographiques remarquables. Tous les journaux en ont abondamment parlé, ce qui nous dispense d’y revenir en détail. Ma
41 ondamment parlé, ce qui nous dispense d’y revenir en détail. Mais nous avons tenu à recueillir les impressions de M. Denis
42 os plus brillants essayistes, dont la conférence, en l’aula de l’Université, a obtenu le plus grand succès, comme celle, p
43 ous deux ne s’étant pas trop égarés dans les mots en urne, ayant appelé un chat un chat et provoqué dans la salle des mouv
44 ’opposition est typiquement européenne. Même sans en tirer de conclusion, sans trouver une solution. L’Européen veut prend
45 péen veut prendre conscience du drame qui se joue en lui, qui se joue en chaque homme. Mais l’Américain ?… L’Américain, l
46 nscience du drame qui se joue en lui, qui se joue en chaque homme. Mais l’Américain ?… L’Américain, lui, c’est ce qui le
47 ieu à Genève, eussent été un four aux États-Unis. En Russie, ils auraient été interdits. Personnellement, je regrette qu’a
4 1947, Articles divers (1946-1948). Préface à Le Cœur est un chasseur solitaire de Carson McCullers (1947)
48 . Elle avait l’air d’une toute jeune fille montée en graine, avec ses petits bas rouges au-dessous des genoux, son long vi
49 des genoux, son long visage pâle, sa frange noire en désordre et sa contenance effarouchée. Ses mains tremblaient, et l’on
50 a, d’Enfants terribles et de style vieux New York en définissait l’atmosphère. On écrivait, on composait, on sculptait, on
51 s s’étaient dispersés, au Mexique ou au Michigan, en Angleterre ou en Californie, et Carson McCullers était dans une clini
52 rsés, au Mexique ou au Michigan, en Angleterre ou en Californie, et Carson McCullers était dans une clinique. Un jour je l
53 jour je la rencontre dans un train venant du Sud, en route pour une maison de vacances d’écrivains, tout au Nord, près de
54 le premier Américain blessé lors du débarquement en Normandie. Aujourd’hui elle est à Paris, inaugurant avec Kay Boyle et
55 rivaient le chaos avec une sorte de brutalité qui en était le reflet plus que l’explication. Mais cette recherche obscurém
56 nages. C’est une recherche proprement romanesque, en images, et non pas illustrée après coup, sensible et non traduite en
57 as illustrée après coup, sensible et non traduite en adjectifs, conduite avec une sympathie plus fascinée que volontaire.
58 ux qui est le mouvement même de la vie intérieure en quête d’explications, de rythmes, de certitudes à embrasser. Comme ce
59 je veux, je ne sais pas quoi. Je pense qu’on est en droit de parler ici d’une « expérience romanesque », comme nous parlo
60 uand ils discutent des idées, me paraissent être, en règle générale, tout juste aussi intelligents que leur auteur ; ou si
61 eunes écrivains américains, chez Carson McCullers en tout cas, vous ne pourrez tirer des dialogues qu’une connaissance plu
62 r Copeland, et leur maladresse pathétique éveille en moi des réactions humaines — à propos du problème des Noirs en Amériq
63 actions humaines — à propos du problème des Noirs en Amérique — qu’un article documenté du même auteur ne ferait sans dout
64 ouvelle littérature américaine, au lieu de mettre en scène des intellectuels, recourt plutôt à des enfants, à des autodida
65 cret, ni même documentaire, ait eu tant de succès en Amérique ? Je ne vois pas de réponse satisfaisante à ma deuxième ques
5 1947, Articles divers (1946-1948). La lutte des classes (1947)
66 Les trains suisses, bien qu’ils vous conduisent en moins d’une heure d’un monde à l’autre — de Neuchâtel à Berne par exe
67 uit où rien ne bouge. Comme il n’y a pas de place en Suisse pour un véritable voyage, on s’en tire en coupant le milieu, c
68 de place en Suisse pour un véritable voyage, on s’ en tire en coupant le milieu, ce remplissage de kilomètres, ces deux mes
69 en Suisse pour un véritable voyage, on s’en tire en coupant le milieu, ce remplissage de kilomètres, ces deux mesures de
70 la rupture et la découverte, l’évasion qui se mue en invasion, ce début qui clôt une vie, cette conclusion qui en ouvre un
71 , ce début qui clôt une vie, cette conclusion qui en ouvre une autre, tandis qu’entre les deux s’opère en un clin d’œil la
72 ouvre une autre, tandis qu’entre les deux s’opère en un clin d’œil la silencieuse révolution du centre où se confondent le
73 classicisme véritable, celui qui exprime le tout en disant le moins, et qui témoigne de l’inspiration par le signal d’un
74 usager moyen, je dirais que je les trouve divisés en trois classes, pour la commodité de l’exposé. De mon temps, les gens
75 l’exposé. De mon temps, les gens bien voyageaient en troisième, les gens chic parfois en seconde, et je ne savais rien des
76 n voyageaient en troisième, les gens chic parfois en seconde, et je ne savais rien des premières sinon qu’un morceau de de
77 du commun. Presque toujours elles étaient vides. En troisième on retrouvait, comme j’ai dit, les gens bien, gracieusement
78 la région, dans cette égalité scolaire que créent en Suisse les bancs de bois peints en faux bois jaune clair. On s’attend
79 ire que créent en Suisse les bancs de bois peints en faux bois jaune clair. On s’attendait à être interrogé, dans les troi
80 nde connaissait, mais cela faisait partie du jeu. En bons élèves, les voyageurs préparaient leurs billets pour l’inspectio
81 ection. Tout se passait d’ailleurs sans angoisse, en ce temps-là. On était sûr de son affaire, on était parfaitement « en
82 était sûr de son affaire, on était parfaitement «  en règle », il fallait simplement « ne pas faire attendre », en vertu de
83 orce principale de notre régime fédéral. Revenant en Suisse après sept ans d’absence, l’été dernier, et plus que jamais fr
84 ale de notre État : cette habitude de nous sentir en règle, donc de nous croire protégés par toutes les lois divines et hu
85 fiance règne, mais ce miracle est si bien déguisé en exacte banalité que les Suisses le prennent pour banal. Ils pensent m
86 s sur la planète, et que la presse devrait mettre en vedette, au lieu de nous rebattre les oreilles du train-train de nos
87 de nos corruptions. Donc les Suisses que je vois en IIIe classe offrent l’image de l’homme sûr de son monde. D’où vient a
88 s, se propose par contraste une réponse. C’est qu’ en Suisse on se sent regardé, examiné, jugé, jaugé, plus que nulle part
89 ières. Et je m’arrête, fasciné. Un vieux monsieur en noir, au col rond, dur et haut, ce doit être un évêque anglican, somn
90 oi que j’eusse aimée », sa fille sans doute, fume en feuilletant un magazine. Je croyais autrefois que les premières étaie
91 s n’est pas vu. Les passagers de première classe, en Suisse, je les nomme les imperméables. Ils traversent et passent, et
92 rdam-Köln-Olten-Zagreb-Bucuresti. Voilà la Suisse en raccourci, telle que je l’aime : croisement des traditions locales le
6 1947, Articles divers (1946-1948). Les maladies de l’Europe (1947)
93 devenue ! » Ensuite on se promène, on dit : « Où en es-tu ? qui vois-tu ? quels sont tes soucis ? » Et puis, après ce pet
94 ire du sentiment puisque aussi bien tout se passe en public, puis j’essaierai de mesurer sa situation nouvelle dans le mon
95 ême que l’on puisse détailler tous ses traits, on en reçoit une impression d’ensemble que je traduirai par ces mots : on d
96 méconnaissable, le visage tuméfié, les vêtements en désordre. Physiquement la brute a perdu, mais la brutalité a triomphé
97 s échappent aux Églises. Elles ne croient plus qu’ en l’ici-bas, qu’en cette vie-ci, qu’en un bonheur cinématographique, ou
98 glises. Elles ne croient plus qu’en l’ici-bas, qu’ en cette vie-ci, qu’en un bonheur cinématographique, ou qu’en une justic
99 ient plus qu’en l’ici-bas, qu’en cette vie-ci, qu’ en un bonheur cinématographique, ou qu’en une justice instaurée par l’in
100 vie-ci, qu’en un bonheur cinématographique, ou qu’ en une justice instaurée par l’inquisition policière, la dictature d’éti
101 parti le plus menaçant, comme autrefois Descartes en donnait à l’Église, afin de s’éviter, disent-ils, les pires ennuis. S
102 ceux de l’avant-garde ou qui se donnent pour tels en politique. Ce qui est nouveau, c’est de le voir défendu par ceux-là m
103 oit taxer de réaction. Cette mauvaise foi brutale en service commandé est un nouveau succès de l’esprit totalitaire qui n’
104 ent à l’observateur de l’Europe d’après-guerre. J’ en mentionnerai quelques-uns rapidement. La Résistance européenne, admir
105 me de ce mal infernal n’avait eu pour effet que d’ en faire rejaillir de tous côtés les étincelles. Le nationalisme fait ra
106 que la bombe atomique, à Bikini, vient de changer en une seconde la couleur même de l’océan. Et non seulement l’idée d’une
107 s petites occupations les aliénés. Si l’on se bat en Europe demain, ce sera au nom de la démocratie contre le peuple, au n
108 s dont la fonction serait de dénoncer ces maux, d’ en rechercher les causes, et d’en inventer les remèdes ? Leur voix ne po
109 noncer ces maux, d’en rechercher les causes, et d’ en inventer les remèdes ? Leur voix ne porte guère, tant qu’elle n’empru
110 ’est là ce qu’ils appellent s’engager. Mais c’est en fait, pour la plupart d’entre eux, une démission de la pensée, un ali
111 erre, et non pas nous. Ce sont eux qui ont repris en charge le progrès et la foi au progrès. Et nous restons avec l’hérita
112 où ils la portent et l’abus qu’ils nous semblent en faire nous dégoûtaient de son usage normal. Ainsi de bien d’autres no
113 s refusons d’y reconnaître nos enfants. Leur exil en a fait des monstres à nos yeux. Pourtant le capitalisme industriel et
114 et le libéralisme politique, qui ont fait fortune en Amérique, venaient d’Europe ; comme en venaient le matérialisme diale
115 it fortune en Amérique, venaient d’Europe ; comme en venaient le matérialisme dialectique, la technique révolutionnaire, e
116 i ces créations européennes n’ont-elles pas connu en Europe leur plein succès ? Et comment et pourquoi, hors d’Europe, ont
117 us ni tout leur bien, ni tout leur mal ? C’est qu’ en Europe, elles se trouvaient toujours en état de composition, tandis q
118 C’est qu’en Europe, elles se trouvaient toujours en état de composition, tandis qu’ailleurs, pour le bien et le mal, elle
119 ssible, à vues humaines. Que nous reste-t-il donc en propre ? Un monopole unique : celui de la culture au sens le plus lar
120  ! Mais c’est aussi le plus difficile à maintenir en état d’efficacité. Or, il s’en faut de beaucoup que les Européens soi
121 ficile à maintenir en état d’efficacité. Or, il s’ en faut de beaucoup que les Européens soient unanimes à tenir activement
122 ardent vers l’Amérique. À tort ou à raison — je n’ en juge pas ici —, ils s’imaginent que ces pays réalisent mieux que leur
123 servateurs par profession ou position. Telle est, en gros, notre situation. Une Europe démoralisée par sa victoire douteus
124 par sa faute, et que les nouveaux acquéreurs vont en tirer un bien meilleur parti, pour l’avantage du plus grand nombre ?
125 ion, je sais plusieurs Européens qui se la posent en termes tout à fait urgents et familiers, quand ils se demandent si c’
126 t sacrifierais-je leurs espoirs à mes souvenirs ? En défendant l’Europe, il s’agit donc de savoir si nous défendons plus e
127 r ; elle était seule et reine de la planète. Mais en 1946, elle se voit affrontée à deux empires. Du même coup elle ressen
128 rais vous faire sentir. Pour eux la vie se résume en deux opérations : production et consommation. Tout leur effort est do
129 l’exemple de l’entreprise qui nous rassemble ici. En Amérique, je pense que ces rencontres seraient un four, ou un flop, c
130 moyen demande une solution qu’il puisse appliquer en sortant, là où nous cherchons avant tout un approfondissement de la c
131 avant tout un approfondissement de la conscience. En Russie, je ne crois pas être injuste en affirmant que ces rencontres
132 nscience. En Russie, je ne crois pas être injuste en affirmant que ces rencontres seraient simplement interdites, ou condu
133 ure ; que la culture suppose la libre discussion, en vue d’un engagement plus authentique au service d’une plus large véri
134 ntend les assumer et consister dans leur tension, en équilibre toujours menacé, en agonie perpétuelle. Cette agonie, litté
135 dans leur tension, en équilibre toujours menacé, en agonie perpétuelle. Cette agonie, littéralement : cette lutte, consom
136 ns. Cet homme de la contradiction (s’il la domine en création) c’est celui que j’appelle la personne. Et ces institutions
137 ’est faux ! C’est au contraire cette mauvaise foi en service commandé, dont j’ai déjà parlé, qui fait le jeu de la réactio
138 t j’ai déjà parlé, qui fait le jeu de la réaction en écœurant par sa tactique ceux qui se dévouent à la cause de la justic
139 ité. Voilà le drame. La personne, en effet, c’est en chacun de nous le conflit permanent entre la liberté et la vocation d
140 que. Et je ne dis pas cela dans l’abstrait ; j’ai en vue des exemples précis. Appelons totalitaire, ou soviétique, la dévi
141 entre la liberté et l’engagement, dont s’honorent en Europe les pays dominés par l’influence protestante. Si nous nous dem
142 et Grande-Bretagne. Parce qu’ils ont su devenir, en toute liberté, les plus sociaux, ils sont aussi les moins touchés, le
143 el que soit le vainqueur, aux dictatures. Or il n’ en va pas autrement sur le plan de la communauté et de la politique des
144 mêmes causes de guerre, dès que l’un des éléments en équilibre faiblit, ou se voit écrasé et absorbé par l’autre. La volon
145 voque leur refus de s’unir, c’est elle qui excite en eux la volonté morbide de s’enfermer dans leur différence essentielle
146 ntérieur ne manque jamais de s’exalter à son tour en impérialisme tout court. Un gouvernement totalitaire sera toujours im
147 st à elle d’inventer son antidote. Elle est seule en mesure de le faire à cause de ses diversités ; et de le faire non seu
148 ssimistes de l’Europe auxquelles je me suis livré en débutant sont exactes, il peut paraître assez étrange de parler après
149 sa fonction dans le monde, son avenir et le nôtre en elle ? Pour ma part, j’entretiens une croyance toute mystique au suje
150 de la vocation. Je crois qu’un être est maintenu en vie par la vie même de sa vocation, et qu’il tombe bientôt lorsqu’ell
151 nces de durée, ne peut ni ne doit vous suffire. J’ en indiquerai rapidement quelques autres, et ce sera ma conclusion. Une
152 n. Ainsi l’Europe construit des églises modernes, en verre et en ciment armé, tandis que l’Amérique en est encore à bâtir
153 urope construit des églises modernes, en verre et en ciment armé, tandis que l’Amérique en est encore à bâtir des églises
154 en verre et en ciment armé, tandis que l’Amérique en est encore à bâtir des églises en gothique neuf. C’est parce que l’Eu
155 que l’Amérique en est encore à bâtir des églises en gothique neuf. C’est parce que l’Europe est la mémoire du monde qu’el
156 bas, mais seulement du jugement dernier — et je n’ en dirai rien, n’y pouvant rien. Mais dans une large mesure aussi, l’ave
157 . Il n’y a de fédération européenne imaginable qu’ en vue d’une fédération mondiale. Il n’y a de paix et donc d’avenir imag
158 vous invite à le dire avec moi : Je pense, donc j’ en suis ! g. Rougemont Denis de, « Les maladies de l’Europe », L’Espr
7 1947, Articles divers (1946-1948). L’opportunité chrétienne (1947)
159 pulluler dès le xixe siècle, et qui se posaient en termes intraduisibles dans les catégories théologiques traditionnelle
160 eptible, d’habitudes de pensée et de vie de moins en moins conformes aux lois spirituelles : sans le savoir, sans oser se
161 sans oser se l’avouer, les chrétiens devenaient, en Europe comme ailleurs, une minorité doucement persécutée. Cette persé
162 niers progrès de la Science » autorisent de moins en moins — et non de plus en plus, comme au siècle passé — à mettre en d
163 ue ceux qu’elles eussent été contraintes de subir en se rendant. (Dans ce « presque » est la différence entre honneur et h
164 les catastrophes récentes. Les autres pensent qu’ en déplaçant quelques objets — les richesses par exemple — on arrangera
165 ets si généraux que chaque vocation personnelle s’ en trouve nécessairement lésée. En d’autres termes, les Églises ne trouv
166 ent, le nomadisme industriel, et les déportations en masse, ont presque tué, laissant le champ libre à l’État et à ses rég
167 t sortie des églises et des couvents. Hélas, elle en est bien sortie ! Il est temps que nous sortions à sa recherche pour
168 la sagesse bourgeoise. Quelque chose qui entraîne en avant et au-delà, non pas ce qui retient en arrière des risques de la
169 e des tyrans, leurs guerres, et les tyrannies qui en résultent… Un mot encore. Ce programme, qui résume à mes yeux les pl
170 cle, resterait une pure utopie si les chrétiens s’ en remettaient aux Églises pour le réaliser. Les Églises comme corps org
8 1947, Articles divers (1946-1948). La guerre des sexes en Amérique (janvier 1947)
171 La guerre des sexes en Amérique (janvier 1947)h Le flirt en public (outdoor love-making)
172 es sexes en Amérique (janvier 1947)h Le flirt en public (outdoor love-making) vient d’être interdit à la station aéron
173 quelque temps, on assiste à un croissant étalage en public de marques d’affection du genre communément appelé necking 4.
174 es que je voudrais dégager d’un séjour de six ans en Amérique. Les mœurs sexuelles de l’Europe peuvent être définies comme
175 nsemble de règles sociales communément respectées en principe, et un ensemble de pratiques traditionnelles permettant de t
176 ’Hollywood, en dépit de toutes les censures ? Car en Europe, le vice et la vertu restent fort étroitement liés, l’un vivan
177 ôle et de l’importance de la sexualité. Tandis qu’ en Amérique nous trouvons deux morales également admises, semble-t-il, l
178 que dans une civilisation marquée par la croyance en la valeur unique de chaque être. Il suppose un objet irremplaçable et
179 rédestiné par un acte divin. Ces lignes, écrites en Amérique, trahissent une critique inconsciente de l’atmosphère du Nou
180 nsciente de l’atmosphère du Nouveau Monde : elles en peignent le négatif. L’Américain me paraît peu doué pour les raffinem
181 la passion est peut-être plus saine que la nôtre. En bref, il n’aime point souffrir, et tient pour perversion ce goût de l
182 dans sa vie, malgré lui, il n’a de cesse qu’il n’ en sorte au plus vite, par une dépêche d’adieu, un voyage, un divorce. N
183 rme aux femmes. C’est l’homme qui amène l’argent, en règle générale, mais c’est la femme qui tient les cordons de la bours
184 ’est la femme qui tient les cordons de la bourse, en l’occurrence, le carnet de chèques. Elle ne se borne pas à choisir le
185 ésie des travaux ménagers » ne correspondait pas, en fait, au labeur harcelant, physiquement déformant, et moralement aigr
186 t permettre à la femme de lire des romans, — ou d’ en écrire. Regardez maintenant le couple américain au restaurant, ou dan
187 une femme très soignée — son ménage simplifié lui en laisse le temps —, ornée de quelques gros bijoux de quatre sous, mais
188 les femmes possèdent le 75 % de la fortune privée en Amérique, soit que le système de l’héritage les favorise, soit qu’ell
189 e l’héritage les favorise, soit qu’elles montrent en affaires comme ailleurs une efficiency sans égale. Nous sommes donc e
190 t d’elle dépend le reste des États-Unis. Déguisée en bonne vieille ; mom, chère vieille mom, votre mom aimante, etc., elle
191 ’amour d’une femme de son âge ». Mom le transmute en sentimentalité fixée sur la mère dévorante. Sans nul doute faut-il vo
192 de de l’homme à son égard est faite pour éveiller en elle le goût de la liberté et de l’autonomie, comme elle dira ; enten
193 ntre sa condition, fait de nécessité vertu, prend en main les rênes de la vie, et se prépare à devenir à son tour une mom
194 de contacts entre mari et femme, et sans doute n’ en souffrent-ils guère. Lui déjeune avec ses collègues en vingt minutes,
195 uffrent-ils guère. Lui déjeune avec ses collègues en vingt minutes, près de son bureau ; elle, dans un restaurant où des c
196 onde : car nous sommes habitués à voir des hommes en masses, à la caserne ou dans une réunion publique (et les femmes s’ap
197 poussant (et pas seulement pour un Européen, je m’ en assure) dans un rassemblement de femmes d’âge moyen, non dépourvues d
198 toujours d’un frigidaire. Mais alors le mari perd en autorité ce qu’il gagne en intimité. Il se peut que les mariages de c
199 ais alors le mari perd en autorité ce qu’il gagne en intimité. Il se peut que les mariages de ce type — où l’homme joue le
200 e d’une longue intimité, celle-ci n’existant pas, en règle générale. Aux yeux de la morale courante, il apparaît bien moin
201 d’un désordre social que sous l’aspect d’une mise en ordre de deux vies individuelles. C’est qu’en Europe, l’on se préoccu
202 ise en ordre de deux vies individuelles. C’est qu’ en Europe, l’on se préoccupe avant tout du passé, d’un capital de souven
203 s, dont la rupture du couple entraînera la perte. En Amérique, tout cela pèse bien peu au regard des chances de repartir à
204 ivorce est impossible, à moins que l’on accepte d’ en passer par une odieuse mise en scène « légalement constatée » dans un
205 que l’on accepte d’en passer par une odieuse mise en scène « légalement constatée » dans une chambre d’hôtel. Le seul reco
206 , est alors déclaré résident, obtient son divorce en un quart d’heure, se remarie en dix minutes, quitte les lieux l’insta
207 tient son divorce en un quart d’heure, se remarie en dix minutes, quitte les lieux l’instant d’après. Il n’y reviendra jam
208 s disons : « incompatibilité d’humeur »). Mais on en trouvera d’autres, plus précis. Il n’aimait que la cuisine du Nord, e
209 conde fois, lui pour la quatrième ». Cependant, j’ en reviens à ma première définition, le divorce à l’américaine est consi
210 américaine est considéré avant tout comme la mise en ordre de deux vies. Derrière tous les motifs allégués, il y a comme p
211 motifs allégués, il y a comme partout l’adultère. En Europe, où l’on croit au mariage-sacrement, à la continuité de la fam
212 ncore offrir à l’opinion une façade de normalité. En Amérique, on se refuse à cette hypocrisie sociale. Le premier accroc
213 divorce américain. De la sexualité Je mets en fait que le puritanisme, hérésie moraliste issue en Angleterre de la
214 fait que le puritanisme, hérésie moraliste issue en Angleterre de la Réforme calvinienne, et transplantée dans toute sa v
215 vinienne, et transplantée dans toute sa virulence en Amérique, détermine de nos jours encore les mœurs sexuelles du Nouvea
216 tain ou d’ascendance puritaine ne représente plus en Amérique qu’une infime minorité. Boston, leur ancienne citadelle, est
217 Boston, leur ancienne citadelle, est aujourd’hui en majorité catholique. Les Juifs, les Noirs, les Irlandais, les Polonai
218 nciers de l’amour. Il reste chaste ou se comporte en animal irresponsable, mimant une sorte d’innocence. Disons, pour fixe
219 que les deux romans européens les moins pensables en Amérique seraient sans doute Adolphe et les Liaisons dangereuses. Ajo
220 de la jeunesse européenne. Essayons de le définir en quelques traits. Perte du sens tragique de l’amour ; réalisme scienti
221 , trop volontaire et rationnel pour que l’on soit en droit d’y voir une « révolte des instincts », ou d’y dénoncer je ne s
222 t que sa disparition assainisse l’atmosphère tout en affadissant la vie, provisoirement. Entre les moralistes puritains qu
223 Hollywood qui tentent follement de l’exciter tout en le contenant dans de « justes » limites, fixées par le Comité Hays, —
224 ser » traduirait trop faiblement ce terme courant en Amérique, même dans la bouche des prédicateurs qui le dénoncent. 5.
225 s. h. Rougemont Denis de, « La guerre des sexes en Amérique », La NEF, Paris, janvier 1947, p. 3-12.
9 1947, Articles divers (1946-1948). Journal d’un intellectuel en exil (mars 1947)
226 Journal d’un intellectuel en exil (mars 1947)i Janvier 1941 L’avant-garde à New York. — J’ai e
227 édition, ni un salon — rien de tout cela n’existe en Amérique — mais une party. Et cette party n’était pas animée par la v
228 an. La plupart sont trotskistes, ont lu Freud, ou en parlent. À lire les revues ou little mags où ils écrivent, à les voi
229 sociales d’abord, dont j’ai deviné quelques-unes en fréquentant les éditeurs d’ici. Atteindre le public d’un si vaste pay
230 ponsible celui qui évite dans ses écrits les mots en isme, et le langage technique des ismes réputés d’avant-garde. Leur v
231 yssoise des libraires ? Savez-vous que la Gestapo en a saisi, brûlé, mis au pilon tous les exemplaires restants ? — J’imag
232 ais c’est aussi parce qu’on ne croit plus au mal, en Amérique. « C’est trop affreux pour être vrai », dit-on des récits de
233 ur être vrai », dit-on des récits de réfugiés. Il en résulte qu’on collabore avec les partisans sournois d’Hitler, de Muss
234 st plus qu’un faubourg de Boston. Le premier soir en arrivant dans ce logis pour étudiants où un ami me prêtait sa chambre
235 , et quelques réfugiés. L’après-midi, on m’emmène en auto dans la campagne, vers les petits lacs secrets de New Hampshire,
236 on Waste Land… Un grand cimetière le domine, je n’ en ai jamais vu de plus serein. Point de barrières ni d’allées. De simpl
237 s qui n’aime pas la mort comme les Germains, et n’ en fait point de cérémonies grandiloquentes comme les Latins, a les cime
238 135. Le génie, s’il est physicien par exemple, n’ en sera pas moins un spécialiste de Kierkegaard ou de Kafka, à l’analyse
239 e de Vienne, à moins qu’il ne préfère les aborder en sociologue postmarxiste ou en freudien hétérodoxe. Une fois sacré gén
240 préfère les aborder en sociologue postmarxiste ou en freudien hétérodoxe. Une fois sacré génie, il a sa carrière faite. Le
241 études. La plupart sont des monstres modestes. J’ en ai vu un qui mangeait un sandwich et c’était un spectacle fascinant.
242 ’était un spectacle fascinant. Il l’avait découpé en rectangles égaux, et l’absorba sans le regarder, comme on résout un p
243 e ce sous-titre de mon Journal d’un intellectuel en chômage . Je disais simplement : « Gagner peu ». Et cela pouvait suff
244 plement : « Gagner peu ». Et cela pouvait suffire en France. Ici, la recette ne vaut rien. Le minimum requis est impérieux
245 s américaines, non sans angoisse. Point de bohème en Amérique. C’est la misère totale ou le niveau bourgeois, celui que re
246 ent presque tous ici, quand les Russes ne font qu’ en parler. Mais les intellectuels ? Ils n’ont de choix qu’entre le journ
247 nnes, deux par deux, vont et viennent sur ce toit en lisant. Comme il n’y a ni mur, ni barrière, il faut craindre à chaque
248 isonnier de mon livre et ferais bien de ne plus m’ en échapper. Je devais aller chez des amis après le dîner. J’entre au ha
249 ier. Je suis monté sans dîner chez mes amis. Je n’ en ai pas de plus charmants dans toute la ville, et je les ai vus presqu
250 nglican, dans une crypte de pierre nue. Exorciser en moi la part du diable, celle qu’il a sans doute prise à mon ouvrage.
251 yante, le diable a tranquillement vidé mon compte en banque, et je ne suis pas plus avancé qu’au temps de mon île atlantiq
252 mêmes objets. Et comme le monde est une vitrine, en bonne partie, il doit être possible de déterminer le degré de fortune
253 he matin j’annonce subitement que je dois rentrer en ville pour une affaire pressante. En vérité, j’ignorais quelle affair
254 auser. Trente machines à écrire dans cette salle, en contrepoint avec deux télétypes, visières vertes aux fronts sous les
255 ndre plus invisible encore à force de discrétion, en revêtant l’uniforme simple du GI. Ces messieurs les speakers, qui son
256 onde émission, celle de la nuit. Pierre Lazareff, en bras de chemise, sort de sa cage vitrée, le crayon sur l’oreille et l
257 êtes-vous pas l’auteur du Secret ? Souffrez que j’ en sois la victime. » Sur quoi, peut-être, il serait temps d’aller à ce
258 romesse du général Marshall : « Nous débarquerons en France. » Juillet 1942 Saint-John Perse. — Lorsqu’il est arrivé en A
259 et 1942 Saint-John Perse. — Lorsqu’il est arrivé en Amérique, il n’a paru de lui qu’une seule photo, encore était-elle pr
260 ont il a regardé les yeux de près et qu’il décrit en termes médicaux ; de Reynaud qui l’a renvoyé sous la pression du part
261 abandonné dans un tiroir depuis des mois, et pour en récrire deux chapitres (sur « l’amour tel qu’on le parle » et la pass
262 qu’il baptise Annibal. Je lui apprends à marcher en laisse, sur la plage. 18 août 1942 Peut-être qu’il n’est pas de bonhe
263 Tous les prétextes que les hommes se donnent pour en sortir, un jour ou l’autre, me paraissent hypocrites ou faciles à réd
264 aciles à réduire. « Gagner sa vie », dit-on, mais en vivant ainsi on aurait beaucoup moins à la gagner. « Faire une carriè
265 ce, notre travail s’intensifie, et les échos nous en reviennent de France. Leur dire là-bas, dire à la Résistance que la s
266 alais de Versailles ! » s’est écrié Tonio bourru, en pénétrant le premier soir dans le hall. Maintenant, on ne saurait plu
267 Tonio rit comme un gosse : « Vous direz plus tard en montrant ce dessin : c’est moi ! » Le soir, il nous lit les fragments
268 ar il ne s’agit pas seulement, pour moi, d’écrire en vue d’une traduction américaine, mais également en vue d’une transmis
269 n vue d’une traduction américaine, mais également en vue d’une transmission directe à la radio. Dans les deux cas, les exi
270 chez Gide et leurs disciples de la NRF , et qui en anglais retombent à plat, à la radio font parasites. Il faut sauter d
271 nt. Or le but reste bien d’élever le niveau banal en dégageant des significations communes. (Quitte à mettre en circulatio
272 ant des significations communes. (Quitte à mettre en circulation quelques valeurs encore inéchangeables cette année. Mais
273 is solitaires ? Il se peut qu’on m’envoie bientôt en Afrique du Nord, et de là… Et j’éprouve un besoin presque panique de
274 embler, de me retrouver, pour rentrer tout entier en Europe après ces deux années de violente dérive. … mais sachez-le :
275 e nous-mêmes. Vous étiez « occupés », nous étions en exil, et les uns comme les autres dans l’inaccepté, dans la dépossess
276 -nous encore le même langage au jour de ce retour en France, — dans quelle France, et dans quelle Europe ? Nous étions sou
277 s. Et c’est bien vrai. Nous étions trop nombreux. En France, en Suisse aussi, avant la guerre, nous trouvions qu’il y avai
278 bien vrai. Nous étions trop nombreux. En France, en Suisse aussi, avant la guerre, nous trouvions qu’il y avait trop de j
279 gens frappés par le malheur, où que ce soit, il y en a toujours trop. Cependant notre sort vous paraissait enviable, à jus
280 Rougemont Denis de, « Journal d’un intellectuel en exil », Fontaine, Paris, mars 1947, p. 899-916.
10 1947, Articles divers (1946-1948). La jeune littérature des États-Unis devant le roman américain (7 juin 1947)
281 . Elle avait l’air d’une toute jeune fille montée en graine, avec ses petits bas rouges au-dessous des genoux, son long vi
282 des genoux, son long visage pâle, sa frange noire en désordre et sa contenance effarouchée. Ses mains tremblaient, et l’on
283 a, d’Enfants terribles et de style vieux New York en définissait l’atmosphère. On écrivait, on composait, on sculptait, on
284 s s’étaient dispersés, au Mexique ou au Michigan, en Angleterre ou en Californie, et Carson McCullers était dans une clini
285 rsés, au Mexique ou au Michigan, en Angleterre ou en Californie, et Carson McCullers était dans une clinique. Un jour je l
286 jour je la rencontre dans un train venant du Sud, en route pour une maison de vacances d’écrivains, tout au Nord, près de
287 le premier Américain blessé lors du débarquement en Normandie. Aujourd’hui elle est à Paris, inaugurant avec Kay Boyle et
288 rivaient le chaos avec une sorte de brutalité qui en était le reflet plus que l’explication. Mais cette recherche obscurém
289 nages. C’est une recherche proprement romanesque, en images, et non pas illustrée après coup, sensible et non traduite en
290 as illustrée après coup, sensible et non traduite en adjectifs, conduite avec une sympathie plus fascinée que volontaire.
291 ux qui est le mouvement même de la vie intérieure en quête d’explications, de rythmes, de certitudes à embrasser. La nouve
292 ouvelle littérature américaine, au lieu de mettre en scène des intellectuels, recourt plutôt à des enfants, à des autodida
11 1947, Articles divers (1946-1948). Drôle de paix (7 juin 1947)
293 ions de la planète. Que faire de ces informations en vrac, dont chacune signale une menace ou une promesse qui peut nous c
294 tégie yankee à l’égard de ce marché gigantesque ? En Amérique du Sud le dictateur Perón signe une série de traités d’Ansch
295 tinentales qui demain disposeront de nos vies : s’ en occuper serait s’occuper vraiment de politique. Car il n’y a plus à p
296 sprit civique et son système d’éducation qui sont en crise. Le divorce y devient une maladie sociale, les instituteurs dés
297 niers 12 000 Américains évacués, la lutte reprend en Chine entre l’armée des provinces communistes et Tchang Kaï-chek, cep
298 ils annoncé leur décision de se retirer des Indes en juin 1948 que la Ligue musulmane se déclare prête à la guerre contre
299 ité. Cependant que l’Indochine et que l’Indonésie en sont encore au stade préliminaire de la lutte pour l’autonomie. Voici
300 Ainsi la « drôle de paix » que nous vivons repose en fait sur quatre crises, sur quatre pauvretés continentales : manque d
301 uatre pauvretés continentales : manque de liberté en Russie, manque de bases spirituelles aux États-Unis, manque d’ordre p
302 ituelles aux États-Unis, manque d’ordre politique en Asie, manque de foi et d’espoir en Europe. Je dis bien que notre paix
303 rdre politique en Asie, manque de foi et d’espoir en Europe. Je dis bien que notre paix repose sur ces manques, qu’elle y
304 anxiétés et de nos manques. C’est grâce à eux et en eux seuls qu’elle a pris quelque consistance. Elle se maintient parce
12 1947, Articles divers (1946-1948). Einstein, patriarche de l’âge atomique, m’a dit : « C’est pour dissimuler sa pauvreté et sa faiblesse que l’URSS méfiante, s’entoure de secret… » (9 août 1947)
305 ’arbres pleins d’oiseaux. C’est d’ici que partit, en 1939, la fameuse lettre au président Roosevelt, par laquelle Einstein
306 ofondes ravines et deux touffes de cheveux blancs en auréole. À le voir de tout près, je le trouve plutôt petit, massif, l
307 vus de toute espèce d’inhibition sociale. Je vous en donnerai un bon exemple. Il y a quelques mois, une de mes voisines, q
308 t une charmante enfant. — Depuis quand vivez-vous en Amérique ? — Depuis 1934. Mais j’y étais venu une première fois en 19
309 epuis 1934. Mais j’y étais venu une première fois en 1922, pour parler d’un projet d’université juive à Jérusalem. On m’a
310 es discours, les plaisanteries qui faisaient rire en ce temps-là, c’était d’une sottise incroyable. En vingt-cinq ans, à t
311 en ce temps-là, c’était d’une sottise incroyable. En vingt-cinq ans, à travers la crise de 1929 et la guerre, ils ont fait
312 menace atomique. Ils semblent n’avoir qu’une idée en tête : leur sécurité personnelle, leur prospérité immédiate. C’est un
313 nt communistes, simplement. N’a-t-il pas proposé, en 1945, de livrer le secret de la bombe aux quatre Grands, donc pratiqu
314 it rien à faire pour la surmonter. Car la cause n’ en est que trop claire. La Russie sait que, dans le jeu actuel, elle est
315 serait vraiment trop facile d’acheter des espions en Russie. L’indicateur y serait trop bon marché. — Selon vous, ils redo
316 n mondiale solide, sans l’URSS. — Vous entendez : en offrant aux Russes une invitation permanente à les rejoindre ? — Mieu
317 passons dans un petit salon bien bourgeois, bien en ordre. Voici le piano sur lequel Schnabel, le meilleur exécutant de B
318 neté absolue des nations. — Ce serait, lui dis-je en me levant, le premier pas vers un gouvernement mondial, c’est-à-dire
319 est longue, bien longue encore ! dit-il soucieux en me reconduisant. Sur quoi je lui cite la parole de Lyautey qui avait
13 1947, Articles divers (1946-1948). Conversation à bâtons rompus avec M. Denis de Rougemont (30-31 août 1947)
320 rre, je suis resté aux États-Unis. Je suis rentré en Suisse il y a quelques mois seulement, et je compte m’installer à Fer
321 énitence » ? Oui, passablement. J’ai écrit Vivre en Amérique , j’ai publié La Part du diable et m’en vais sortir très p
322 n Amérique , j’ai publié La Part du diable et m’ en vais sortir très prochainement Journal des deux mondes , dont la Gui
323 argument principal le cas de notre propre armée. En Europe même, les écrits de M. de Rougemont, ont marqué de leur influe
324 e partie de l’élite intellectuelle de l’Occident. En Hollande, par exemple, le parti socialiste personnaliste a tiré sa do
325 a trouvé aussi des adeptes, mais c’est évidemment en France, qu’elle a eu le plus de succès et qu’elle a trouvé peut-être
326 es — et c’est là l’essentiel — se sont répandues. En écoutant parler mardi soir l’auteur du Journal d’un intellectuel en c
327 mardi soir l’auteur du Journal d’un intellectuel en chômage, nous nous étions demandé à la suite de quelles expériences p
328 r l’Europe. Voyez-vous, on ne se rend pas compte, en Suisse, qu’il existe en nous, aujourd’hui, un sentiment européen, ce
329 on ne se rend pas compte, en Suisse, qu’il existe en nous, aujourd’hui, un sentiment européen, ce qui n’empêche pas, il es
330 ’on assiste au même phénomène qu’il y a cent ans. En 1846, il existait un sentiment suisse, mais l’on doutait de la possib
331 ion de 1848 fut proposée, écrite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle était encore une utopie. Trois ans plus tard,
332 ut proposée, écrite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle était encore une utopie. Trois ans plus tard, elle fonctio
14 1947, Articles divers (1946-1948). L’attitude fédéraliste (octobre 1947)
333 d’une manière indirecte, par implication, et je m’ en tiendrai le plus possible à ses manifestations historiques, telles qu
334 si nous souhaitons un régime fédéraliste ? Nous n’ en parlerions pas si nous pensions que le type d’homme le plus souhaitab
335 ce cas, notre jardin nous suffirait. Mais nous n’ en parlerions pas non plus si nous pensions avec Hitler que l’homme n’es
336 rs, nous irions de l’autre côté du rideau de fer, en esprit tout au moins. Si nous en parlons, si nous le voulons, c’est q
337 u rideau de fer, en esprit tout au moins. Si nous en parlons, si nous le voulons, c’est que nous savons que l’homme est un
338 t par balkanisation la désintégration de l’Europe en nationalismes rivaux, et par helvétisation au contraire, l’intégratio
339 suisses n’ont adopté une constitution commune qu’ en 1848, au terme d’une crise d’assez courte durée, et en dépit d’une op
340 ion de 1848 fut proposée, écrite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle était encore une utopie. Trois ans plus tard,
341 ut proposée, écrite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle était encore une utopie. Trois ans plus tard, elle fonctio
342 le si l’on ne s’attache qu’aux détails de la mise en pratique du fédéralisme en Suisse, mais non pas si l’on cherche à dég
343 aux détails de la mise en pratique du fédéralisme en Suisse, mais non pas si l’on cherche à dégager de cette expérience l’
344 te est très simple, mais non pas simple à définir en quelques mots, en une formule. C’est qu’elle est d’un type organique
345 , mais non pas simple à définir en quelques mots, en une formule. C’est qu’elle est d’un type organique plutôt que rationn
346 e, ou des plans statiques qu’il faudrait réaliser en quatre ou cinq ans, par la réduction impitoyable des réalités vivante
347 ouvant entre des groupes qu’il s’agit de composer en les respectant, et non point de soumettre les uns aux autres, ou d’éc
348 s Suisses alémaniques et par les Suisses romands. En allemand, confédération se dit Bund, qui signifie union, et qui évoqu
349 t qui évoque avant tout l’idée de centralisation. En Suisse romande, au contraire, ceux qui se proclament fédéralistes son
350 utes semblables à celles que je viens de signaler en Suisse. Nous aurons des fédéralistes qui ne penseront qu’à faire l’un
351 lée, jusqu’à ce que la crise d’une guerre civile, en 1847, l’ait forcée à prendre forme et force de loi. Et ce n’est guère
352 la commenter et à philosopher à son sujet. Jusqu’ en 1848, elle allait sans dire, comme la vie même ; elle était la vie du
353 a théorie de cette pratique, et qui la transforme en une sorte de programme, ou de manifeste vivant. Par la force des chos
354 épubliques, et de je ne sais combien de « races » en un État qui les respecte, cette union prend l’allure à la fois d’un a
355 doit dire ce qui allait sans dire et qui alors n’ en allait que mieux. Elle s’expose à son risque maximum : celui de décol
356 de décoller de ses bases concrètes, perdant ainsi en force originelle ce qu’elle pourrait gagner en conscience de ses fins
357 si en force originelle ce qu’elle pourrait gagner en conscience de ses fins. De même pour le fédéralisme européen. Un inst
358 e encore. L’idée d’un réseau de pactes bilatéraux en fut un autre. Dans les deux cas, le sentiment fédéraliste fut prompte
359 ns-nous toujours que fédérer, ce n’est pas mettre en ordre d’après un plan géométrique à partir d’un centre ou d’un axe ;
360 sme, lui aussi, supprime ce problème : mais c’est en supprimant les minorités qui le posaient. Il y a totalitarisme (au mo
361 s qui le posaient. Il y a totalitarisme (au moins en germe) dans tout système quantitatif ; il y a fédéralisme partout où
362 laçable. (On pourrait ainsi dire : une fonction.) En Suisse, ce respect des qualités ne se traduit pas seulement dans le m
363 er les diversités et de fondre toutes les nations en un seul bloc, mais au contraire, de sauvegarder leurs qualités propre
364 ns un bureau, et de forcer ensuite leur exécution en écrasant tout ce qui résiste, ou simplement tout ce qui dépasse. Mais
365 er les diversités, par incapacité de les composer en un tout organique et vivant. Enfin, sixième principe : Une fédération
366 ième principe : Une fédération se forme de proche en proche, par le moyen des personnes et des groupes, et non point à par
367 rtant bien ce qu’avait tenté de faire la SDN, qui en est morte, et ce que tente à nouveau l’ONU, que cela empêche de vivre
368 apidement, comme le fut celle des cantons suisses en 1848. La nécessité en est évidente, la maturation historique en est f
369 t celle des cantons suisses en 1848. La nécessité en est évidente, la maturation historique en est fort avancée, les struc
370 cessité en est évidente, la maturation historique en est fort avancée, les structures en sont déjà esquissées. Il n’y manq
371 on historique en est fort avancée, les structures en sont déjà esquissées. Il n’y manque plus qu’une charte fédérale, des
372 u’il est aussi impossible d’opposer en réalité qu’ en principe. Aujourd’hui, repoussant tous ces anciens débats à l’arrière
373 promouvoir l’Europe unie, si nous ne restons pas en garde vigilante contre les réflexes totalitaires qui peuvent affecter
374 le ne doit pas compter sur les gens au pouvoir. J’ en connais peu qui aient l’intention de le laisser limiter, et c’est pou
15 1947, Articles divers (1946-1948). La liberté dans l’amour [Réponse à une enquête] (novembre 1947)
375 eoisie, je pense qu’elle a encore un bel avenir — en URSS. Voyez dans quels termes les Soviets dénoncent la « morale déliq
376 Avant de la déclarer périmée, il serait normal d’ en prendre connaissance, de la distinguer des conceptions bourgeoises, e
377 e sur la confusion des termes amour et sexualité. En fait, je ne connais pas une seule loi, dans un seul pays ou un seul t
378 ns doute que la police crée l’ordre, quand elle n’ en est que le déchet.) Les seuls obstacles réels à l’amour sont en nous 
379 déchet.) Les seuls obstacles réels à l’amour sont en nous : sécheresse, blessures spirituelles, anxiété de l’orgueil tourn
380 ssures spirituelles, anxiété de l’orgueil tournée en méfiance d’autrui et mépris de soi-même. Pour libérer l’amour, aimez 
381 s posez. Je ne me sens pas capable de le résoudre en quelques lignes, et je ne vois pas très bien, je l’avoue, quel sens a
382 ces du monde, il m’a fallu 350 pages serrées pour en esquisser une, partielle, dans L’Amour et l’Occident .) Quant au pro
383 autre affaire. La liberté dans la sexualité, nous en jouissons et nous en souffrons plus que toute autre civilisation conn
384 erté dans la sexualité, nous en jouissons et nous en souffrons plus que toute autre civilisation connue. C’est la raison m
385 comme la vôtre peut être conduite sans que mort s’ en suive, ni même une amende. Si nos lois démocratiques déclaraient un b
386 i nos lois démocratiques déclaraient un beau jour en tous termes que dans ce domaine-là tout est permis, on sentirait à pe
387 as notablement le nombre des homosexuels. Ils ont en fait toute liberté de vivre à leur guise, jouissent des mêmes droits
388 l’état présent de nos mœurs est satisfaisant, il en résulte qu’une « éthique de l’amour » (entendons de la sexualité) n’e
389 ndons de la sexualité) n’est pas nécessaire ; car en fait nous n’en avons plus, ou juste assez pour que le piquant d’une t
390 ualité) n’est pas nécessaire ; car en fait nous n’ en avons plus, ou juste assez pour que le piquant d’une tricherie que to
16 1947, Articles divers (1946-1948). La balance n’est pas égale entre les États-Unis et l’URSS (8 novembre 1947)
391 euples, mais de certains journalistes qui parlent en leur nom. C’est ainsi que L’Humanité, comme pour détourner l’attentio
392 pas mensuelles de la culture décrétées par Jdanov en Russie, proclame que « l’Amérique dégrade l’esprit ! » Le raisonnemen
393 ne hausse pas les épaules : il s’agit d’un retour en force de l’hitléro-fascisme culturel. (C’est à peine si les termes on
394 Mais alors, et pour les mêmes raisons, le succès en Europe occidentale de Tolstoï et Dostoïevsky devrait être mis au créd
395 Humanité s’imaginent servir la paix et la justice en embrouillant tout, au nom de fleur dialectique. Pour ma part, j’essai
396 vent ses Tropiques, publiés à Paris, et interdits en Amérique. Ensuite, il est notoirement faux et ridicule d’accuser les
397 chent à faire de l’argent, comme les nôtres, tout en publiant parfois une œuvre de qualité qui ne rapporte rien ; 3° Or le
398 e fraction négligeable des bénéfices sur la vente en Amérique ; 5° Les œuvres « pessimistes » de Faulkner et surtout de Mi
399 même pas les noms, tirent à 800 000 avant la mise en vente, pour peu qu’un book club s’y intéresse ; 6° Le succès à l’étra
400 Henry Miller stupéfie les éditeurs américains qui en entendent parler, mais non pas Truman qui s’occupe d’autre chose, et
401 r un Miller, que la réalité américaine avec ce qu’ en écrit un stalinien. Ceci dit, et les arguments de L’Humanité propreme
402 d’Ambre fit savoir à la jeune et jolie femme qui en est l’auteur qu’il jugeait l’ouvrage très mauvais, mais l’acceptait c
403 des problèmes que pose la « culture des masses » en Russie comme en Amérique. Un communiste moins que tout autre a le dro
404 ue pose la « culture des masses » en Russie comme en Amérique. Un communiste moins que tout autre a le droit d’ironiser su
405 abus flagrant des méthodes américaines, au lieu d’ en faire meilleur usage. Nous sommes de petits malins qui refusent de ch
406 du succès vulgaire que les habitudes de mensonge en service commandé par l’État. Ce qui dégrade l’esprit, ce n’est pas le
407 , l’un des meilleurs producers de Broadway me dit en riant : « Il n’y a qu’une réponse possible. Je vais faire jouer cette
408 en général, l’influence américaine s’est exercée en deux occasions plus marquantes, je veux parler de 1917 et de 1942, et
17 1947, Articles divers (1946-1948). Une Europe fédérée (20 décembre 1947)
409 lairement, et d’ordonner pour qu’un mot d’ordre s’ en dégage. Quelques faits La fédération de l’Europe est inscrite da
410 », comme l’a dit un Américain : sa conscience est en retard sur le milieu nouveau, sur les périls certains et les bienfait
411 opère à l’échelle des continents. Il pense encore en kilomètres, séparant des points immobiles, quand la mesure pratique e
412 s’étonneront bien que Valéry ait pu nous étonner en notant que l’Europe n’est qu’un cap de l’Asie. À ces faits matériels
413 , qui ont un air de vouloir se partager le monde. En 1939 il y avait en présence l’Allemagne et les démocraties : tout se
414 les libertés américaines. Un régime qui traduise en politique, dans l’économie et les mœurs, l’idée de l’homme commune au
415 e. Or il est clair qu’aucune de nos nations n’est en mesure de la réaliser pour son seul compte et sans échanges. Aucune n
416 tuent ! Je veux que nos pays s’effondrent un à un en toute souveraineté nationale, qu’ils se cantonnent dans le double ref
417 dération de l’Europe ?… » Derrière ce scepticisme en quête d’un sourire complice ou gêné (tant de gens ont une peur bleue
418 , défaitisme et stalinisme. Le nationalisme n’est en fait qu’une crispation de névrose féodale, un complexe de repli devan
419 des deux blocs est fatale ; inutile de rien faire en l’attendant, et surtout pas quelque chose qui l’empêche ! Enfin le st
420 x congrès fédéralistes, les communistes répondent en tirant le rideau de fer, s’enferment et crient qu’on les empêche d’en
421 carcan. Ce qui est la politique par excellence, n’ en déplaise aux sectaires de tous bords. La véritable troisième force, c
422 . C’est l’Europe rejoignant le xixe siècle, pour en prendre la tête et inventer l’avenir. C’est le fédéralisme, qui veut
18 1948, Articles divers (1946-1948). Notes sur la voie clandestine (hiver 1948)
423 homme, dès qu’il se voit isolé par le sort, entre en superstition : c’est sa voie clandestine. L’explorateur va découvrir
424 ses propres amulettes. Le pilote fait une marque en secret sur l’hélice. Avant l’heure H, ou dans l’attente d’un amour, q
425 u plutôt : comme on le rejoint quand on l’invente en épousant un rythme errant. Désormais j’entre dans l’incomparable, où
426 e sûre et connue, où que j’arrive, je me perdrais en route.) Dans l’insignifiance d’une vie où l’argent et la guerre sont
427 son, comme les grands appareils suivent une route en do dièse dans la nuit des hauteurs. ⁂ Que chacun donc découvre ses sy
428 ez curieusement restreint, les symboles efficaces en nombre limité. Très grand génie, celui qui pourrait en créer un seul
429 mbre limité. Très grand génie, celui qui pourrait en créer un seul nouveau ! Dans les jeux, rêves de la conscience, et dan
430 es rêves, jeux de l’inconscient, on a vite fait d’ en dresser le catalogue : tout se ramène à quelques personnages constant
431 atique. Quel coup pour nos philosophies ! Qu’on m’ en cite une qui s’en relèverait. Une seule ! ⁂ Une idée me retient, me t
432 pour nos philosophies ! Qu’on m’en cite une qui s’ en relèverait. Une seule ! ⁂ Une idée me retient, me tient probablement
433 ngement instantané de tout, en sorte que nul ne s’ en doute. Ne serait-ce pas sur cette croyance que reposent les vœux, inc
434 ommes et qui aiment : « Question de peaux. » Nous en sommes là. On avancerait un peu en disant : « Question d’astres. » ⁂
435 peaux. » Nous en sommes là. On avancerait un peu en disant : « Question d’astres. » ⁂ Poète égale superstitieux, parce qu
436 ie ou s’ils l’inventent ? S’ils ne l’inventent qu’ en la suivant telle qu’elle était, ou ne la suivent qu’en l’inventant te
437 suivant telle qu’elle était, ou ne la suivent qu’ en l’inventant telle qu’elle devient ? Créer ou rejoindre un poème, un
438 ots poétiques : ni plus ni moins. L’un et l’autre en joue, et s’en jouent. t. Rougemont Denis de, « Notes sur la voie c
439 : ni plus ni moins. L’un et l’autre en joue, et s’ en jouent. t. Rougemont Denis de, « Notes sur la voie clandestine »,
19 1948, Articles divers (1946-1948). Rencontre avec Denis de Rougemont (janvier 1948)
440 Troie, et m’entraîne dans un bar voisin. Musique en sourdine, lumières tamisées, ronronnement des conversations. Dans un
441 sort de l’Europe. L’auteur de La Part du diable m’ en parlera lui aussi, tout à l’heure. Mais, d’abord, il faut faire le po
442 pas mauvaise conscience de sa vocation, qui ne s’ en cache pas. Il intitula même un de ses livres les plus remarquables :
443 les plus remarquables : Journal d’un intellectuel en chômage. Mais, au centre de ses préoccupations, se tient la personne
444 nis de Rougemont. J’ai fait des études de lettres en Suisse et en Autriche, à Vienne. J’ai voyagé en Allemagne et en Hongr
445 ont. J’ai fait des études de lettres en Suisse et en Autriche, à Vienne. J’ai voyagé en Allemagne et en Hongrie. Pendant u
446 s en Suisse et en Autriche, à Vienne. J’ai voyagé en Allemagne et en Hongrie. Pendant un temps, je fus lecteur de français
447 n Autriche, à Vienne. J’ai voyagé en Allemagne et en Hongrie. Pendant un temps, je fus lecteur de français à l’Université
448 lecteur de français à l’Université de Francfort. En 1931, je vins en France ; j’ai vécu en province et à Paris, collabora
449 ais à l’Université de Francfort. En 1931, je vins en France ; j’ai vécu en province et à Paris, collaborant à Esprit , à
450 Francfort. En 1931, je vins en France ; j’ai vécu en province et à Paris, collaborant à Esprit , à L’Ordre nouveau , fon
451 signé l’un des trois premiers articles consacrés, en France, à Kafka. La guerre rappela Denis de Rougemont en Suisse ; il
452 ce, à Kafka. La guerre rappela Denis de Rougemont en Suisse ; il fut mobilisé à l’état-major de Berne. Lors de l’entrée de
453 ut d’être condamné à quinze jours de forteresse ! En septembre 1940, il était envoyé en Amérique pour y faire des conféren
454 e forteresse ! En septembre 1940, il était envoyé en Amérique pour y faire des conférences. Il n’en revint qu’au mois de j
455 yé en Amérique pour y faire des conférences. Il n’ en revint qu’au mois de juillet dernier. Il vécut à New York, à Princeto
456 e voix qui me dit : « Allô ! Ici Einstein ». Je n’ en croyais pas mes oreilles ; c’est un peu comme si j’avais entendu : « 
457 ofondes ravines et deux touffes de cheveux blancs en auréole. Il me fit asseoir près de lui dans un fauteuil de jardin, et
458 e Suisse — articles qu’il a d’ailleurs rassemblés en un volume sous le titre : Vivre en Amérique . Je hasarde pourtant un
459 rs rassemblés en un volume sous le titre : Vivre en Amérique . Je hasarde pourtant une question sur la littérature d’outr
460 omme hier la prohibition. Voilà qui allait de soi en Europe aussi, avant le xixe siècle. Que faisaient Dante, Cervantès,
461 écrivain d’une part, la bourgeoisie et les masses en formation de l’autre. Aujourd’hui, c’est le besoin vital de recréer u
462 és avant 1939. À cette époque, ils portaient déjà en eux une vision du monde, un message auxquels ils sont demeurés fidèle
463 faite, l’exil ont pu les dérouter ; leurs idées n’ en ont pas été transformées pour autant. Voilà pourquoi ce sont eux et e
464 on entend, ou du moins qu’on écoute. Les autres n’ en sont encore qu’aux balbutiements. La musique s’est tue. Les tables se
465 donne à notre colloque une apparente gratuité qui en trahit l’objet. Ce qu’il y a de remarquable chez les plus grands écri
466 rs paroles acquièrent le plus d’efficacité. Mais, en conséquence, ils deviennent des errants. Je crois, quant à moi, que c
467 onde sur leurs pensées et leur œuvre. Enfin, nous en venons à parler de l’Europe. Je suis profondément européen, me déclar
468 vé que par une organisation fédérative. Le modèle en est fourni par la Suisse dont tout le système est fondé sur une diale
469 ui est non moins important, il se forme de proche en proche, par le moyen des personnes et des groupes, et non point à par
470 préservent notre liberté. Chaque jour, la Suisse en reconnaît les bienfaits. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour l’E
471 la Suisse en reconnaît les bienfaits. Pourquoi n’ en serait-il pas de même pour l’Europe ? Mais, encore une fois, il convi
20 1948, Articles divers (1946-1948). Les deux blocs ? Il n’en existe qu’un (9 janvier 1948)
472 Les deux blocs ? Il n’ en existe qu’un (9 janvier 1948)u Les uns nous disent que le choix es
473 x empires, le contraste est encore plus frappant. En Russie, on liquide l’opposition, en Amérique elle est entièrement lib
474 lus frappant. En Russie, on liquide l’opposition, en Amérique elle est entièrement libre, et mieux que cela : on en tient
475 lle est entièrement libre, et mieux que cela : on en tient compte. En Russie, on promet la lune aux ouvriers, mais en fait
476 nt libre, et mieux que cela : on en tient compte. En Russie, on promet la lune aux ouvriers, mais en fait on leur ôte le d
477 . En Russie, on promet la lune aux ouvriers, mais en fait on leur ôte le droit de grève et le droit de se plaindre d’une i
478 laires sans précédent dans les pays capitalistes. En Amérique, les ouvriers se mettent en grève et gagnent à peu près à ch
479 apitalistes. En Amérique, les ouvriers se mettent en grève et gagnent à peu près à chaque fois les améliorations qu’ils re
480 es faites aux masses sont tenues aux USA, non pas en URSS. Enfin, l’on me dira qu’il y a dans les deux camps des opprimés,
481 es. Certes, mais là s’arrête la ressemblance. Car en Russie, l’État justifie ces scandales au nom de la dialectique marxis
482 t le pacte germano-soviétique. Tout au contraire, en Amérique, on dénonce l’injustice commise ou établie — par exemple le
483 s opposants, annexe ses voisins ou les transforme en satellites, enfin tire devant le tout un rideau de fer, la Russie est
484 oc dans tous les sens du terme. Mais l’Amérique n’ en est pas un, elle qui vise aux libres échanges, tolère les pires indis
485 nt ou que d’autres déclarent noblement décliner ? En fait, il n’y a plus de choix possible. Car la Russie, en refusant de
486 , il n’y a plus de choix possible. Car la Russie, en refusant de collaborer, en essayant de saboter le plan Marshall, en d
487 ssible. Car la Russie, en refusant de collaborer, en essayant de saboter le plan Marshall, en devenant bloc, précisément,
488 laborer, en essayant de saboter le plan Marshall, en devenant bloc, précisément, a choisi pour nous, malgré nous. Si nous
489 a misère. À ce défi, nous ne pouvons pas répondre en nous jetant simplement dans les bras de l’Amérique. Non seulement nou
490 u. Rougemont Denis de, « Les deux blocs ? Il n’ en existe qu’un », L’Intransigeant, Paris, 9 janvier 1948, p. 4.
21 1948, Articles divers (1946-1948). Ce sont les Français qui ont commencé (La querelle des « condensés… ») (14 février 1948)
491 ël priait Schelling de lui exposer sa philosophie en un quart d’heure, et l’arrêtait au bout de cinq minutes, pensant avoi
492 sts et Wall Street, acharnés à nous asservir tout en feignant de donner du lait en poudre aux enfants. Il faut avouer que
493 nous asservir tout en feignant de donner du lait en poudre aux enfants. Il faut avouer que le nom même de « condensé » no
494 ous vient de l’anglais, ou mieux, de l’américain. En introduisant par surprise ce substantif néologique tiré de l’adjectif
495 la suite d’une longue tradition bien française. J’ en marquerai quelques étapes, au hasard de mes souvenirs, et sans recour
496 urces qu’un vieux Lanson que j’ai sous la main. ⁂ En 1714, Houdar de La Motte condense L’Iliade en douze chants, « et ce q
497 . ⁂ En 1714, Houdar de La Motte condense L’Iliade en douze chants, « et ce qui tombe », écrit Lanson, « c’est tout ce qui
498 thello, il supprime Jago, et l’action « s’expédie en vingt-quatre heures ». (Il y ajoute un happy ending, à la manière de
499 he se déclare ravi du résultat, préfère se relire en français. Vers la fin du siècle, le vicomte de Vogüé et d’autres cond
500 ilisées du volume à trois francs cinquante broché en jaune. Et j’allais oublier les Mille et Une Nuits de Galland, qui son
501 s’est nourrie toute notre enfance. Il est vrai qu’ en tout cela je n’ai cité que des traductions, et que ni Goethe, ni Swif
502 la fortune des Lamb’s Tales qui sont des résumés en prose, par Charles Lamb, des comédies et tragédies de Shakespeare. Je
503 , dans la version de Joseph Bédier : condensation en prose et en un volume des cinq versions originales de la légende, et
504 rsion de Joseph Bédier : condensation en prose et en un volume des cinq versions originales de la légende, et en particuli
505 e procédé est fort ancien, mais encore l’Amérique en abuse moins que nous. Au reste, ces « condensés » sont très loin de j
506 tant que nous leur attribuons, et qu’ils semblent en passe de prendre ici. Quant à la légitimité de l’adaptation en généra
507 figurent, saccagent leur modèle, et ne peuvent qu’ en écarter le lecteur. Vogüé résume, croit condenser, mais perd en densi
508 lecteur. Vogüé résume, croit condenser, mais perd en densité, précisément. Pour Galland et Nerval, cela se discute : on pe
509 pire à l’excellent. Le procédé lui-même n’est pas en cause, mais bien le talent de celui qui l’applique, et peut-être auss
510 sur ce vaste sujet que je ne puis traiter ici qu’ en « condensé ». L’on admet sans mauvaise humeur que Don Quichotte ou Ro
511 et de priver son message d’une partie de sa vertu en le dépouillant des mille détails mûrement choisis qui l’illustraient
512 écran ? Le Procès de Kafka, quand Barrault le met en scène dans la version dialoguée d’André Gide, tirée d’une traduction
513 pas les mêmes dangers que s’il était « condensé » en cinquante pages ? Faut-il crier à l’américanisme ? Ou plutôt se félic
514 fait pour la culture des masses ; car nous sommes en démocratie, et les masses y sont le despote qu’il s’agit avant tout d