1
Théologie
et
littérature (1946)b 1. Il faut tenir la théologie chrétienne pour
2
rts. La musique est née dans le chœur des églises
et
des chapelles de couvents. La peinture et la sculpture se sont consti
3
églises et des chapelles de couvents. La peinture
et
la sculpture se sont constituées sur les autels, dans les nefs, et au
4
e sont constituées sur les autels, dans les nefs,
et
autour des architectures sacrées. Nos premiers rythmes poétiques ont
5
poétiques ont été propagés par le latin d’église.
Et
ce n’est point que tous ces arts classiques ne soient sortis de l’enc
6
u Moyen Âge, mais il n’en est aucun dont l’esprit
et
l’histoire ne manifestent à chaque instant l’influence de telles orig
7
lien de filiation entre nos disciplines de pensée
et
la théologie, pour être moins généralement reconnu, n’en est pas moin
8
ie, ses efforts d’émancipation les plus violents,
et
même couronnés de succès, n’ont pu que confirmer une dépendance qui n
9
lus de droit, mais n’en demeure pas moins de fait
et
de nature, autant que d’origine. Les grandes doctrines encore vivante
10
d’origine. Les grandes doctrines encore vivantes
et
agissantes au xxe siècle ont toutes pris le départ dans une polémiqu
11
comme Dewey. 3. Les rapports entre la théologie
et
la littérature ne sont pas aussi clairs, ni aussi facilement définiss
12
s aussi clairs, ni aussi facilement définissables
et
contrôlables. Il est vrai que certaines influences directes, attestée
13
de Calvin sur d’Aubigné, du jansénisme sur Pascal
et
Racine, de Swedenborg sur Balzac, de Newman sur Gerard Manley Hopkins
14
rs de l’Église, ni par les critiques littéraires.
Et
cependant comment en nier l’importance, dans un siècle où la littérat
15
L’ignorance réciproque dans laquelle théologiens
et
écrivains se sont installés pour la plupart, est-elle vraiment sans c
16
, est-elle vraiment sans conséquence pour les uns
et
les autres, et pour l’élite en général ? Il est clair que la théologi
17
ment sans conséquence pour les uns et les autres,
et
pour l’élite en général ? Il est clair que la théologie n’a pas besoi
18
que la théologie n’a pas besoin de la littérature
et
peut s’en désintéresser sans grand dommage. Si l’on admet qu’elle a p
19
admet qu’elle a pour objet principal de formuler
et
de critiquer le dogme chrétien dans l’Église, elle est en droit de la
20
ture puisse se passer impunément de la théologie.
Et
il est bien certain que lorsqu’elle s’en passe, les effets s’en font
21
’en font sentir dans l’Église même. Car le clergé
et
l’élite des fidèles ne sauraient échapper à l’influence de leurs lect
22
t de vue de leur foi : le vocabulaire de la piété
et
celui de la littérature, les atmosphères qu’elles créent, les problèm
23
ur allant de soi, tout est devenu trop différent,
et
presque sans commune mesure. À qui la faute ? 4. Certes, je suis le
24
chent à parler des livres « comme tout le monde »
et
à faire oublier leur « spécialité ». Mon idée serait bien plutôt d’ex
25
ques, dont ils se montrent cruellement dépourvus.
Et
de même, je suis le premier à protester contre ces citations d’auteur
26
ler d’un livre, j’attends, à la fois comme fidèle
et
comme écrivain, qu’il en parle en théologien, et non pas en homme cul
27
et comme écrivain, qu’il en parle en théologien,
et
non pas en homme cultivé, en moraliste ou en artiste. Nonobstant ces
28
entre eux se consacrent à l’examen, à la critique
et
même, cas échéant, à une sorte de direction spirituelle des tendances
29
it en tout cas l’avantage de donner aux fidèles —
et
à leur clergé — certains critères de jugement, un certain vocabulaire
30
ins critères de jugement, un certain vocabulaire,
et
par suite une certaine orientation de l’esprit propres à rétablir, pe
31
, des éléments de commune mesure entre le croyant
et
le lecteur dans un même homme. Ceci dit, j’en reviens à mon propos, q
32
à mon propos, qui était de soulever une question,
et
de suggérer pour son étude quelques hypothèses de travail. 5. L’igno
33
, en passant par les romantiques, les symbolistes
et
les surréalistes ? T. S. Eliot, dans un livre trop court (After Stran
34
romans, étaient nourris de l’hérésie manichéenne,
et
l’ont ainsi fait vivre jusqu’à nous et parmi nous, bien que vulgarisé
35
nichéenne, et l’ont ainsi fait vivre jusqu’à nous
et
parmi nous, bien que vulgarisée et déprimée au point d’en devenir méc
36
e jusqu’à nous et parmi nous, bien que vulgarisée
et
déprimée au point d’en devenir méconnaissable. Petit exemple que je m
37
que je mentionne faute de mieux pour l’entreprise
et
non pour le succès. Il y aurait tout et tant à dire sur la renaissanc
38
ntreprise et non pour le succès. Il y aurait tout
et
tant à dire sur la renaissance endémique, dans nos écoles d’avant-gar
39
ues du mysticisme, du gnosticisme, de l’arianisme
et
du libéralisme romantique. Qui voudra et pourra l’expliquer aux disci
40
rianisme et du libéralisme romantique. Qui voudra
et
pourra l’expliquer aux disciples de ces mouvements ? Il y faudrait un
41
rde, d’autant qu’ils jouent, aux yeux de beaucoup
et
des meilleurs de nos contemporains, le rôle d’une spiritualité ardent
42
contemporains, le rôle d’une spiritualité ardente
et
courageuse. Pourquoi faudrait-il qu’à l’obscurantisme théologique qui
43
de méfiance, d’incuriosité, de réprobation morale
et
de timidité bourgeoise, plutôt que de rigueur théologique ? Au nom de
44
r le dos parce qu’elle est tapageuse, scandaleuse
et
d’une conduite peu régulière, la confirmant ainsi dans sa persuasion
45
its bourgeois, n’a rien à dire aux esprits libres
et
« avancés », et ne tolère que le mauvais art du dernier siècle ? Au l
46
’a rien à dire aux esprits libres et « avancés »,
et
ne tolère que le mauvais art du dernier siècle ? Au lecteur convaincu
47
écessité de rétablir des ponts entre la théologie
et
les lettres vivantes, je soumets à titre d’exemples et sans nul ordre
48
s lettres vivantes, je soumets à titre d’exemples
et
sans nul ordre préconçu, les thèses suivantes. 6. C’est l’extrémisme
49
ait à se mettre à l’école de leurs complaisances,
et
par suite ne leur donnait rien. Exemple : Kierkegaard. Il ne fut pas
50
e une attitude théologique parfaitement cohérente
et
intransigeante, d’où son influence profonde et indéniable sur Ibsen,
51
te et intransigeante, d’où son influence profonde
et
indéniable sur Ibsen, sur Unamuno, sur Rilke, sur Kafka, et sur un tr
52
ble sur Ibsen, sur Unamuno, sur Rilke, sur Kafka,
et
sur un très grand nombre de poètes, de romanciers et d’essayistes des
53
sur un très grand nombre de poètes, de romanciers
et
d’essayistes des plus jeunes générations, en Europe, en Angleterre et
54
plus jeunes générations, en Europe, en Angleterre
et
dans les deux Amériques. Notons que si cette influence s’est montrée
55
incompatibilité inquiétante entre l’élite active
et
les « milieux d’Église » ? 7. Une théologie orthodoxe (je ne dis pas
56
doxe (je ne dis pas sclérosée) favorise, soutient
et
nourrit des œuvres de style classique, tandis qu’une théologie libéra
57
is que le classique y trouve à la fois des appuis
et
des gênes fécondes. Le premier, semblable à la colombe de Kant, s’ima
58
re, des repères solides, une résistance effective
et
valable aux incartades de l’imagination. Ainsi fait le fougueux d’Aub
59
d’avoir cherché dans la théologie de leur époque
et
sous le nom de liberté, de coûteuses licences intellectuelles, ou de
60
ctrine théologique régnante que dans l’atmosphère
et
l’ambiance de controverses théologiques mêlées à des questions politi
61
du xiie siècle, en plein conflit entre cathares
et
catholiques, féodaux du Nord et « démocrates » du Sud ; la poésie cal
62
it entre cathares et catholiques, féodaux du Nord
et
« démocrates » du Sud ; la poésie calviniste au xvie siècle ; le thé
63
la poésie calviniste au xvie siècle ; le théâtre
et
le lyrisme élisabéthains ; et parmi nous, la renaissance notable d’un
64
siècle ; le théâtre et le lyrisme élisabéthains ;
et
parmi nous, la renaissance notable d’une poésie d’inspiration religie
65
ration religieuse en France, pendant l’occupation
et
tôt après. 9. Une Église à tendance liturgique marquée offre le terr
66
ntente ou au conflit significatif des théologiens
et
des écrivains dans une nation donnée. Je me bornerai à citer ici l’e
67
langue des poètes depuis près de quatre siècles,
et
dont le rôle dans l’histoire des lettres anglaises s’avère capital, d
68
ift, l’évêque Berkeley, Coleridge, Lewis Carroll,
et
vingt autres noms du même ordre. Ce qui ne signifie rien, bien entend
69
s » ou « religieux » que ceux qui parlent de Dieu
et
traitent de sujets religieux. Ici encore, « ce ne sont pas ceux qui
70
écrivant, ce n’est pas simplement parler de Dieu
et
de sa volonté, ni même en parler avec cette simplicité trop aisément
71
ité trop aisément atteinte aux dépens du mystère,
et
pour laquelle les protestants anglo-saxons montrent un goût immodéré.
72
que le style d’un écrit transmet pour son compte
et
par lui-même un « message » souvent beaucoup plus réel et agissant qu
73
ui-même un « message » souvent beaucoup plus réel
et
agissant que celui qui fait l’objet déclaré du dit écrit. Parfois ces
74
dit écrit. Parfois ces deux messages s’accordent
et
se renforcent ; le plus souvent hélas ils se contredisent, et l’un ru
75
cent ; le plus souvent hélas ils se contredisent,
et
l’un ruine l’autre secrètement dans l’esprit du lecteur. Ce qu’il imp
76
ue une théologie (fût-ce à l’insu de son auteur),
et
qu’elle l’exprime par les mouvements mêmes du style, plus fidèlement
77
ar les mouvements mêmes du style, plus fidèlement
et
d’une manière plus contraignante que par son argumentation. Explicite
78
t désigner. b. Rougemont Denis de, « Théologie
et
littérature », Hommage et reconnaissance : recueil de travaux publiés
79
t Denis de, « Théologie et littérature », Hommage
et
reconnaissance : recueil de travaux publiés à l’occasion du soixantiè
80
anniversaire de Karl Barth, Neuchâtel, Delachaux
et
Niestlé, 1946, p. 162-167.
81
L’eau fuit ses lèvres, la branche fuit sa main,
et
le rocher qui surplombe sa tête va tomber mais ne tombe jamais. Pour
82
le suffisait à repousser les objets qu’il désire,
et
sa crainte l’objet qu’il redoute. Quand il se penche vers la surface
83
rojet, où il agit, les lois de la chute des corps
et
de leur inertie, qui sont celles mêmes de la mort, font place aux loi
84
aux lois des dieux, qui sont celles de l’esprit ;
et
des dieux irrités contre l’homme, c’est-à-dire d’un esprit coupable.
85
e composition simplifiée comme un arcane du Tarot
et
non moins chargée de symboles : un corps, une eau, une branche et un
86
rgée de symboles : un corps, une eau, une branche
et
un rocher. C’est l’homme coupable, environné des emblèmes de sa peur
87
homme coupable, environné des emblèmes de sa peur
et
de sa convoitise — emblèmes ou signes, car tout tient ici à des événe
88
à des événements intérieurs. Tout tient à l’homme
et
tout illustre une des structures fondamentales de son être. Tantale
89
es dieux, il avait dérobé à ses hôtes leur nectar
et
leur ambroisie, pour les faire goûter aux mortels. Puis, dans l’idée
90
aux mortels. Puis, dans l’idée de défier l’Olympe
et
d’éprouver son omniscience, il avait tué son propre fils Pélops, pour
91
louse les dieux, leur divination, leur puissance,
et
tous les plaisirs qu’ils en tirent. Quant à la mise à mort du fils, o
92
corps spirituel, un homme tue lui-même son fils,
et
donne sa chair aux dieux pour qu’ils en meurent, — s’ils perdent leur
93
eur divinité de s’être une fois laissé surprendre
et
abuser. À cette double infraction aux grâces de l’esprit (comme je vo
94
lousie se réfléchit dans la frustration du désir.
Et
son défi au Ciel, ayant failli, s’inverse en menace suspendue. Le mo
95
Le monde païen ne conçoit pas de pardon par amour
et
de salut gratuit, et c’est pourquoi les châtiments qu’infligent les d
96
çoit pas de pardon par amour et de salut gratuit,
et
c’est pourquoi les châtiments qu’infligent les dieux revêtent en géné
97
revêtent en général un caractère de revanche pure
et
simple, et comme automatique. C’est autant dire que dans le monde paï
98
général un caractère de revanche pure et simple,
et
comme automatique. C’est autant dire que dans le monde païen, l’homme
99
le monde païen, l’homme reste seul avec lui-même
et
se ferme aux interventions d’une transcendance, ou d’un appel venu d’
100
la rivière, le rocher soutenu sur sa tête, l’onde
et
la branche ne s’écartant de lui qu’à l’instant où il veut les atteind
101
t de lui qu’à l’instant où il veut les atteindre,
et
tout cela ne tient vraiment qu’à lui, qu’aux dispositions de son âme
102
es. Nourrissant avec obstination les mêmes désirs
et
le même orgueil, il nourrit la vengeance des « dieux » qui frustrent
103
vengeance des « dieux » qui frustrent ces désirs
et
qui retardent, ironiquement, d’écraser cet orgueil. Imaginons, mainte
104
ue Tantale renonce un instant, qu’il s’abandonne,
et
qu’il préfère soudain à son amour d’un moi coupable et torturé, l’exp
105
’il préfère soudain à son amour d’un moi coupable
et
torturé, l’expiation libératrice et son délire. À l’instant même, il
106
moi coupable et torturé, l’expiation libératrice
et
son délire. À l’instant même, il s’enfonce dans les eaux, il boit à m
107
même, il s’enfonce dans les eaux, il boit à mort,
et
le rocher l’écrase. Mais c’est précisément ce qui n’arrive jamais, et
108
e. Mais c’est précisément ce qui n’arrive jamais,
et
ne peut arriver dans le Tartare. Tantale, ne croyant pas à la résurre
109
e subir le supplice de Tantale. C’est son orgueil
et
sa dignité d’homme : il se révolte contre tout — sauf soi. C’est pour
110
ent réduit, dans la légende, à sa faim, à sa soif
et
à sa peur. Il est cet homme qui, dans chacun de nous, préfère le dési
111
éfère le désir, même douloureux d’avoir été mille
et
mille fois déçu — mais c’est encore son désir, donc lui-même — à la p
112
s que tout son être en fût devenu attente, espoir
et
nostalgie. Cet être-là mourrait nécessairement, et par définition, du
113
t nostalgie. Cet être-là mourrait nécessairement,
et
par définition, du don reçu. Ou encore : un être nouveau surgirait da
114
u don, pour le recevoir en son lieu. À la limite,
et
dans la logique d’un mythe où l’homme s’identifie à l’une de ses tend
115
nces, celui qui gagne est donc toujours un autre.
Et
celui qui désire ne gagnera jamais. C’est le sophisme de l’empereur :
116
pations. Changeons maintenant de plan spirituel,
et
transposons le mythe de Tantale dans un monde où l’instant d’abandon
117
nt d’abandon ne signifie plus la mort mais la vie
et
l’héritage de la vie éternelle. J’emprunte à Jean-Paul1, une histoire
118
Jean-Paul1, une histoire étrangement parabolique
et
qui, dans le registre de l’humour profond, reproduit notre fable grec
119
reuse fin. L’oncle van der Kabel vient de mourir,
et
devant ses sept héritiers naturels, un notaire ouvre et lit le testam
120
ant ses sept héritiers naturels, un notaire ouvre
et
lit le testament. La dernière clause se trouve ainsi conçue : « Tous
121
ainsi conçue : « Tous mes biens tels qu’ils sont
et
vont reviendront et appartiendront à celui des sept de MM. mes Neveux
122
us mes biens tels qu’ils sont et vont reviendront
et
appartiendront à celui des sept de MM. mes Neveux qui, durant la demi
123
une ou quelques larmes sur moi, son oncle défunt,
et
cela en présence d’un respectable magistrat qui en dressera le protoc
124
e sa montre sur la table, elle marque onze heures
et
demie, et il attend les larmes. Le marchand Neupeter se demande s’il
125
e sur la table, elle marque onze heures et demie,
et
il attend les larmes. Le marchand Neupeter se demande s’il ne s’agit
126
pleurer à force de rire, ce ne sera qu’un vol pur
et
simple, mais l’Alsacien proteste que s’il rit, « c’est par pure plais
127
este que s’il rit, « c’est par pure plaisanterie,
et
non pas dans une intention plus sérieuse. » L’inspecteur ouvre de gro
128
ses bienfaits, ses redingotes grises, puis Lazare
et
ses chiens, la tête de beaucoup d’êtres, les souffrances du jeune Wer
129
urmenter si pitoyablement à cause du testament, —
et
il s’en faut de bien peu qu’il ne pleure… Le conseiller continue son
130
t Flachs en se levant, je crois que je pleure ! »
Et
, en effet, il se rassoit en sanglotant brièvement. Son émotion dûment
131
entre tant d’autres, une seule pensée d’amour pur
et
gratuit. L’auteur du nouveau Testament n’en demande pas davantage à l
132
instant de foi. Un instant d’abandon de soi-même,
et
d’amour désintéressé. Toute autre tentative pour mériter la Vie et le
133
éressé. Toute autre tentative pour mériter la Vie
et
le Royaume, gratuitement offerts, déclenche irrésistiblement le mécan
134
he sera « bien trop réjouissante » pour son cœur,
et
le Royaume convoité s’éloignera tout aussitôt, comme la branche charg
135
, accepter de mourir d’abord à ses propres désirs
et
à soi-même. (Et c’est le symbole du Baptême.) Telle est la ruse de l’
136
urir d’abord à ses propres désirs et à soi-même. (
Et
c’est le symbole du Baptême.) Telle est la ruse de l’Amour insondable
137
ferts, l’amour de soi domine encore le pur Amour,
et
le plaisir anticipé suffit encore à refouler cette larme, qui pouvait
138
encore à refouler cette larme, qui pouvait seule,
et
dans un seul instant, mériter la joie éternelle. 1. Dans les Flegel
139
L’Esprit européen. On y a entendu des conférences
et
des discussions, des concerts, des récitals de poèmes, et assisté à d
140
iscussions, des concerts, des récitals de poèmes,
et
assisté à des spectacles lyriques, dramatiques et cinématographiques
141
et assisté à des spectacles lyriques, dramatiques
et
cinématographiques remarquables. Tous les journaux en ont abondamment
142
ns les mots en urne, ayant appelé un chat un chat
et
provoqué dans la salle des mouvements divers, comme on dit. C’est com
143
éen. L’Européen se retranche dans ses convictions
et
pense que l’adversaire est méchant, puisqu’il ne pense pas comme lui.
144
e invitation. Heureusement, nous avons eu Lukács,
et
je vois mieux maintenant quelles questions j’aurai à poser à la Russi
145
tendez, vous, Russie, être une démocratie réelle.
Et
vous avez des camps de concentration, et vous interdisez aux poètes d
146
réelle. Et vous avez des camps de concentration,
et
vous interdisez aux poètes de s’exprimer librement, et vous n’avez pa
147
us interdisez aux poètes de s’exprimer librement,
et
vous n’avez pas la liberté de la presse, et vous repoussez l’existent
148
ment, et vous n’avez pas la liberté de la presse,
et
vous repoussez l’existentialisme qui pose des questions, et vous refo
149
poussez l’existentialisme qui pose des questions,
et
vous refoulez les reporters étrangers et vous êtes le peuple le plus
150
estions, et vous refoulez les reporters étrangers
et
vous êtes le peuple le plus militariste du monde. Si vous vous dites
151
pour un homme de gauche dans les partis de droite
et
pour un homme de droite dans les partis de gauche. Je ne suis jamais
152
contre un parti. Je suis contre le totalitarisme
et
pour la démocratie réelle, qui est le fédéralisme. Un régime de tyran
153
l’esprit européen s’inspire d’une grande liberté
et
d’une parfaite franchise de paroles. Sinon, ce ne serait plus l’espri
154
ousiaste tous les participants ont fait de Genève
et
de la Suisse. Les Français, notamment, sont venus avec une grande cur
155
, notamment, sont venus avec une grande curiosité
et
un grand désir de tirer quelque chose de positif des entretiens de Ge
156
nous sommes une confédération, donc bien préparés
et
prédisposés pour une mission de ce genre. Denis de Rougemont souhaite
157
Passos situe plusieurs des scènes de ses romans,
et
c’est là qu’il y a bien six ans j’ai connu Carson McCullers. Elle ava
158
son long visage pâle, sa frange noire en désordre
et
sa contenance effarouchée. Ses mains tremblaient, et l’on pensait que
159
sa contenance effarouchée. Ses mains tremblaient,
et
l’on pensait que sans sa mère qui l’accompagnait ce jour-là, elle ne
160
ier roman qui venait de paraître — écrit entre 19
et
22 ans — et elle me dit merci, bien sérieusement selon la coutume des
161
i venait de paraître — écrit entre 19 et 22 ans —
et
elle me dit merci, bien sérieusement selon la coutume des femmes amér
162
mélange improbable de Kafka, d’Enfants terribles
et
de style vieux New York en définissait l’atmosphère. On écrivait, on
163
dans toutes les chambres aux portes entrouvertes,
et
l’on se réunissait pour les repas autour d’une très longue table que
164
tenait son rôle de propriétaire. Benjamin Britten
et
Paul Bowles représentaient la jeune musique, Gypsy Rose Lee la danse
165
ntaient la jeune musique, Gypsy Rose Lee la danse
et
le strip-tease, et tous les autres à quelque titre étaient des « crea
166
sique, Gypsy Rose Lee la danse et le strip-tease,
et
tous les autres à quelque titre étaient des « creative people », parl
167
é cette maison de Brooklyn, seul centre de pensée
et
d’art que j’aie trouvé dans une grande ville de ce pays. Et puis leur
168
ue j’aie trouvé dans une grande ville de ce pays.
Et
puis leur nomadisme habituel les a repris. Un an plus tard, tous s’ét
169
e ou au Michigan, en Angleterre ou en Californie,
et
Carson McCullers était dans une clinique. Un jour je la rencontre dan
170
d’hui elle est à Paris, inaugurant avec Kay Boyle
et
Richard Wright — qui fut le premier à saluer son talent — la reprise
171
différence entre la jeune littérature américaine
et
la française, c’est que la première ne professe pas du tout ce culte
172
ge sur ses maîtres, me cite Dostoïevsky, Flaubert
et
Kierkegaard, là où un jeune Français citerait sans doute Hemingway, D
173
rançais citerait sans doute Hemingway, Dos Passos
et
Steinbeck. C’est dire peut-être que les jeunes Américains sont moins
174
ir leurs procédés que de se créer un ordre intime
et
d’approcher par des moyens plus déliés ce monde dont leurs aînés décr
175
sistiblement chez un Français. (« Trouver le lieu
et
la formule », disait Rimbaud.) Elle ne se décante pas, reste immergée
176
t une recherche proprement romanesque, en images,
et
non pas illustrée après coup, sensible et non traduite en adjectifs,
177
images, et non pas illustrée après coup, sensible
et
non traduite en adjectifs, conduite avec une sympathie plus fascinée
178
niment cet ouvrage se poursuivent, se rapprochent
et
se manquent dans une espèce de tâtonnement aventureux qui est le mouv
179
ans, qui cherche la musique dans sa petite ville,
et
repère une à une les maisons où la radio choisit les symphonies qu’el
180
Le soir, elle va s’asseoir dans une cour obscure
et
elle écoute. Puis elle essaie de composer elle-même. Elle appelle sa
181
es arguments qu’échangent avec passion un ivrogne
et
un docteur nègre (p. 307 et 308) sont ceux de Jake et du Dr Copeland,
182
ec passion un ivrogne et un docteur nègre (p. 307
et
308) sont ceux de Jake et du Dr Copeland, et leur maladresse pathétiq
183
n docteur nègre (p. 307 et 308) sont ceux de Jake
et
du Dr Copeland, et leur maladresse pathétique éveille en moi des réac
184
307 et 308) sont ceux de Jake et du Dr Copeland,
et
leur maladresse pathétique éveille en moi des réactions humaines — à
185
même auteur ne ferait sans doute que circonscrire
et
limiter. Notons aussi que la nouvelle littérature américaine, au lieu
186
quel est le sujet de ce roman ? Point d’intrigue,
et
pourtant une construction serrée, comme celle d’un motet à cinq voix
187
mme celle d’un motet à cinq voix qui se signalent
et
se posent une à une, se cherchent, se rencontrent une seule fois, mai
188
dans une dissonance douloureuse, puis s’éloignent
et
l’une après l’autre se brisent ou se perdent inexorablement dans la r
189
la frustration ? Ou bien l’enfance plus sérieuse
et
plus métaphysique que l’âge adulte ? (Les scènes et les dialogues d’e
190
plus métaphysique que l’âge adulte ? (Les scènes
et
les dialogues d’enfants sont d’une justesse rarement atteinte, même c
191
es autres, écrit-il, haïssent tous quelque chose.
Et
ils ont tous quelque chose qu’ils aiment plus que la nourriture ou le
192
lle voulait dire l’amour des êtres, l’amour réel,
et
non pas celui des romans. New York, le 15 avril 1947. k. Rougemont
193
its déplacements, qui sont des voyages concentrés
et
plus émouvants que les vrais, parce qu’entre le départ et l’arrivée n
194
émouvants que les vrais, parce qu’entre le départ
et
l’arrivée ne s’établit jamais cette monotonie des heures de plaine et
195
ablit jamais cette monotonie des heures de plaine
et
d’océan de nuit où rien ne bouge. Comme il n’y a pas de place en Suis
196
es, pour ne garder que le meilleur, le plus actif
et
le plus déchirant, la rupture et la découverte, l’évasion qui se mue
197
r, le plus actif et le plus déchirant, la rupture
et
la découverte, l’évasion qui se mue en invasion, ce début qui clôt un
198
ndent les extrêmes les plus touchants du souvenir
et
de l’espoir, quand les portes du cœur, un instant, sont à la fois ouv
199
rtes du cœur, un instant, sont à la fois ouvertes
et
fermées. Ainsi la Suisse est la patrie des romantiques contraints par
200
le, celui qui exprime le tout en disant le moins,
et
qui témoigne de l’inspiration par le signal d’un raccourci métaphoriq
201
t en troisième, les gens chic parfois en seconde,
et
je ne savais rien des premières sinon qu’un morceau de dentelle ornai
202
ngues nationales. À mi-chemin entre l’instituteur
et
le gendarme, un personnage vêtu d’un sévère uniforme au col bordé de
203
re bien rasée entrait, claquait la porte étroite,
et
annonçait avec une emphatique autorité des noms de villages que tout
204
n Suisse après sept ans d’absence, l’été dernier,
et
plus que jamais frappé par ce trait national — le seul sans doute, ch
205
l’adjectif —, je me disais : « C’est notre force,
et
ce sera peut-être un jour, au dernier jour — car les plus belles hist
206
nous croire protégés par toutes les lois divines
et
humaines, comme si le monde où nous vivons était fait à notre mesure,
207
nous faire oublier que la correction, la décence
et
la sécurité des citoyens sont de purs et simples miracles ; que le mo
208
décence et la sécurité des citoyens sont de purs
et
simples miracles ; que le monde est une jungle atomique, l’humanité d
209
male désordonnée, lubrique, rapace, irresponsable
et
affamée ; et notre âme un cloaque de crimes potentiels, comme l’ont d
210
née, lubrique, rapace, irresponsable et affamée ;
et
notre âme un cloaque de crimes potentiels, comme l’ont dit Freud, Sha
211
es potentiels, comme l’ont dit Freud, Shakespeare
et
les Pères de l’Église. Ici pourtant la confiance règne, mais ce mirac
212
mener la vie normale du genre humain, l’anarchie
et
la guerre étant des exceptions. Ainsi pensent les Français du climat
213
tandis que les déserts, les volcans, les ouragans
et
les températures extravagantes menacent quotidiennement depuis des mi
214
st exceptionnel, ce sont les cas d’ordre, de paix
et
de raison qui doivent nous étonner quand ils paraissent, phénomènes h
215
probables, très rarement observés sur la planète,
et
que la presse devrait mettre en vedette, au lieu de nous rebattre les
216
surprend à chacun de mes retours. Comment décrire
et
comment justifier l’espèce particulière d’irritation que provoquent c
217
des, vaguement bovins, mais directs, trop sérieux
et
choqués par on ne sait quoi… ? Vous les soutenez d’abord avec curiosi
218
ore un temps infini, en vertu de quelque inertie,
et
finalement ne se détournent qu’avec cet air exaspérant de celui qui r
219
comprendre… Ah ! mais il faut y être pour sentir
et
pour réagir comme je le dis. Dès que je m’éloigne un peu, l’indulgenc
220
montrer trop vigilant, je veux dire trop méfiant
et
même intolérant. Qu’ils aient seulement l’air étonnés suppose déjà be
221
i. Dans les secondes règne la gravité du commerce
et
de l’industrie. L’authentique usager de cette classe n’est pas curieu
222
tude. On dirait qu’il s’installe dans son bureau,
et
sa pensée ne vagabonde pas, reste enfermée dans sa serviette de cuir.
223
e plus en plus enclin à respecter le velours gris
et
dru des secondes : il a tort, c’est la classe vulgaire. Des jeunes fe
224
. Mais il faut traverser un couloir de premières.
Et
je m’arrête, fasciné. Un vieux monsieur en noir, au col rond, dur et
225
ciné. Un vieux monsieur en noir, au col rond, dur
et
haut, ce doit être un évêque anglican, somnole. En face de lui, la be
226
se, je les nomme les imperméables. Ils traversent
et
passent, et rien ne les touche. Ce sont aussi, et pour la même raison
227
omme les imperméables. Ils traversent et passent,
et
rien ne les touche. Ce sont aussi, et pour la même raison, des transp
228
et passent, et rien ne les touche. Ce sont aussi,
et
pour la même raison, des transparents. (Avez-vous remarqué que les tr
229
sement des traditions locales les plus touchantes
et
des express européens, petits trajets portés sur les axes du monde. Q
230
pe à laquelle je reviens après six ans d’absence,
et
certains événements. L’émotion de pareils revoirs rend souvent malais
231
ire. Ainsi j’ai retrouvé l’Europe. Sur son visage
et
dans son expression certains traits accusés et tendus, mais aussi une
232
ge et dans son expression certains traits accusés
et
tendus, mais aussi une certaine anxiété, peut-être une lassitude, sem
233
ainsi, tu devais t’y attendre, compte mes rides,
et
si tu veux m’aimer, regarde bien d’abord qui je suis devenue ! » Ensu
234
n es-tu ? qui vois-tu ? quels sont tes soucis ? »
Et
puis, après ce petit tour d’horizon, on s’arrête et l’on demande d’un
235
puis, après ce petit tour d’horizon, on s’arrête
et
l’on demande d’un autre ton : « Et maintenant, quels sont tes projets
236
n, on s’arrête et l’on demande d’un autre ton : «
Et
maintenant, quels sont tes projets ? » Je ne saurais échapper ce soir
237
pper ce soir à l’emprise de ce rituel des retours
et
de l’amitié, le moins variable et le plus naturel. Je vais donc regar
238
uel des retours et de l’amitié, le moins variable
et
le plus naturel. Je vais donc regarder notre Europe et j’éviterai de
239
plus naturel. Je vais donc regarder notre Europe
et
j’éviterai de faire du sentiment puisque aussi bien tout se passe en
240
ns le monde. Enfin, j’ai hâte de lui demander : «
Et
maintenant, qu’allons-nous faire ensemble ? » ⁂ L’Europe a mauvaise m
241
qu’elle a perdu la guerre. Militairement, Hitler
et
ses séides ont été battus et sont morts, mais dans la lutte, ils ont
242
ilitairement, Hitler et ses séides ont été battus
et
sont morts, mais dans la lutte, ils ont marqué leurs adversaires d’un
243
eux hommes qui se disputent : l’un est une brute,
et
son point de vue, c’est que la brutalité doit toujours triompher ; l’
244
is seulement deux lutteurs étreints par une seule
et
même rage physique. Maintenant le gagnant se relève : il se trouve qu
245
te a donc imposé son point de vue. Ainsi d’Hitler
et
de l’Europe démocratique. Ce ne sont pas seulement les ruines et les
246
démocratique. Ce ne sont pas seulement les ruines
et
les désordres matériels qui marquent le passage du Führer. La lutte c
247
roit romain, par le culte de la vérité objective,
et
malgré le nationalisme. Hitler représentait exactement, et point par
248
le nationalisme. Hitler représentait exactement,
et
point par point, le refus et la destruction de tous ces éléments — l’
249
ésentait exactement, et point par point, le refus
et
la destruction de tous ces éléments — l’anti-Europe. Qu’était-il en e
250
étienne, la rage antisémite, la rage nationaliste
et
policière, la négation du droit et des droits de la personne, une con
251
e nationaliste et policière, la négation du droit
et
des droits de la personne, une conception de l’homme réduit au partis
252
mme réduit au partisan, une technique du mensonge
et
de la délation, les élites asservies à la louange du chef, la politis
253
en face de nous, ressurgit aujourd’hui chez nous
et
dans nos mœurs — avec moins de virulence, peut-être, c’est-à-dire d’u
254
ietzsche, pratiquement appuyée dans le même temps
et
dans des masses élargies par les effets du capitalisme et par l’espri
255
des masses élargies par les effets du capitalisme
et
par l’esprit bourgeois que tous ces philosophes, cependant, combattai
256
à peine libérées des dogmes religieux, ces masses
et
ces élites n’ont rien de plus pressé que de s’asservir aux dogmes d’u
257
grandes capitales d’Europe, on voit des écrivains
et
des savants donner des gages d’apparente loyauté au parti le plus men
258
prend l’air d’attaquer la cause des prolétaires,
et
tout essai de critique libre se voit taxer de réaction. Cette mauvais
259
attaquait, est en train d’avorter sous nos yeux,
et
pas un résistant ne me contredira. Des habitudes prises dans la lutte
260
i se perpétuent, non les meilleures : le mensonge
et
non pas le témoignage au risque de sa vie ; le marché noir et non l’e
261
e témoignage au risque de sa vie ; le marché noir
et
non l’entraide communautaire ; la dénonciation partisane, non pas le
262
parés du nom de tradition, en réalité villageois
et
naïvement machiavéliques, entretient parmi nous la méfiance, des ranc
263
fs douaniers, des censures plus ou moins avouées,
et
de ruineux budgets de défense nationale. Un pays qui ne peut pas vêti
264
tés trouve encore le moyen de faire des uniformes
et
discute la couleur des parements, cependant que la bombe atomique, à
265
hanger en une seconde la couleur même de l’océan.
Et
non seulement l’idée d’une guerre prochaine, mais l’idée d’une révolu
266
droite comme à gauche, avec cette minutie sourde
et
aveugle aux indications du réel qu’apportent à leurs petites occupati
267
de dénoncer ces maux, d’en rechercher les causes,
et
d’en inventer les remèdes ? Leur voix ne porte guère, tant qu’elle n’
268
tat ou par le parti au pouvoir, qui sont la radio
et
la presse. Seuls ces moyens sont à l’échelle des masses. Mais se fair
269
aucoup d’intellectuels s’inscrivent dans un parti
et
c’est là ce qu’ils appellent s’engager. Mais c’est en fait, pour la p
270
ensée, un alibi. Pour qu’une pensée soit efficace
et
douée d’une vertu agissante, il ne suffit pas que le penseur s’achète
271
le penseur s’achète une étiquette ou un insigne.
Et
cependant, s’il se tient seul dans l’intégrité de l’esprit, il fera f
272
de cherchent des chefs qui leur commandent d’agir
et
de réussir n’importe quoi. Le « Führerprinzip » n’est pas mort avec c
273
rche, il se trouve d’autres « chefs bien-aimés »…
Et
là encore, l’esprit totalitaire marque des points. Tous ces maux et t
274
prit totalitaire marque des points. Tous ces maux
et
tant d’impuissance à y parer n’ont pas manqué de provoquer dans les é
275
lites demeurées libérales une crise de pessimisme
et
de mauvaise conscience. Il semble que l’idée de décadence, acclimatée
276
ar des penseurs aussi divers que Spengler, Valéry
et
Huizinga, se soit généralement substituée dans nos esprits à l’idée d
277
s à l’idée de progrès automatique. Née d’analyses
et
de pressentiments de nos défaillances internes, elle se voit confirmé
278
nos défaillances internes, elle se voit confirmée
et
comme objectivée par la rapide élévation de deux empires extraeuropée
279
raeuropéens. Ce sont eux qui ont gagné la guerre,
et
non pas nous. Ce sont eux qui ont repris en charge le progrès et la f
280
. Ce sont eux qui ont repris en charge le progrès
et
la foi au progrès. Et nous restons avec l’héritage d’une défaite, not
281
repris en charge le progrès et la foi au progrès.
Et
nous restons avec l’héritage d’une défaite, notre conscience inquiète
282
héritage d’une défaite, notre conscience inquiète
et
fatiguée, notre scepticisme lucide… ⁂ Il se peut que le portrait de l
283
uisser devant vous pèche par excès de pessimisme,
et
que plusieurs des rides que j’ai cru distinguer sur le visage spiritu
284
rique fort ancienne peut entraîner à l’injustice.
Et
qu’enfin, vis-à-vis des êtres que l’on aime, il arrive qu’on manque d
285
de l’Asie ». Aujourd’hui l’Europe vue d’Amérique,
et
j’imagine aussi vue de Russie, paraît plus petite que nature : physiq
286
es immenses s’affrontent au-dessus d’elle, rongée
et
ruinée sur ses bords, moralement refermée sur elle-même. Il y a plus.
287
mpires, de certaines ambitions, de certains rêves
et
de certaines croyances apparus sur son sol, et qui semblaient parfois
288
es et de certaines croyances apparus sur son sol,
et
qui semblaient parfois définir son génie. Notre rêve du progrès par e
289
voir évacué l’Europe pour émigrer vers l’Amérique
et
la Russie. C’est une notion qui s’étiole chez nous d’autant plus vite
290
urs, chez les voisins où elle s’est transplantée.
Et
tout se passe comme si l’excès où ils la portent et l’abus qu’ils nou
291
tout se passe comme si l’excès où ils la portent
et
l’abus qu’ils nous semblent en faire nous dégoûtaient de son usage no
292
de nos techniques industrielles, de nos machines,
et
de nos armes. Pendant des siècles d’expansion irrésistible, impériali
293
sur la planète, sans distinction, ses découvertes
et
ses utopies, les secrets mêmes de sa puissance, et les germes de ses
294
t ses utopies, les secrets mêmes de sa puissance,
et
les germes de ses maladies. Et tout cela sur des terres plus fertiles
295
s de sa puissance, et les germes de ses maladies.
Et
tout cela sur des terres plus fertiles, ou peut-être moins surveillée
296
surveillées, a grandi hors de toutes proportions
et
nous apparaît aujourd’hui étrange, inhumain, menaçant. Ces notions et
297
ourd’hui étrange, inhumain, menaçant. Ces notions
et
ces mythes qui nous reviennent d’outre-Atlantique ou d’outre-Oder, no
298
es à nos yeux. Pourtant le capitalisme industriel
et
le libéralisme politique, qui ont fait fortune en Amérique, venaient
299
alisme dialectique, la technique révolutionnaire,
et
l’idée d’une justice sociale établie par la force aux dépens de la co
300
régit dans ces deux pays l’éducation de l’enfant
et
l’eugénique, l’alimentation, le logement, et jusqu’à la morale, autre
301
fant et l’eugénique, l’alimentation, le logement,
et
jusqu’à la morale, autrefois religieuse. Tout vient d’Europe, tout ce
302
t cela fut nôtre à l’origine. Mais alors, comment
et
pourquoi ces créations européennes n’ont-elles pas connu en Europe le
303
ont-elles pas connu en Europe leur plein succès ?
Et
comment et pourquoi, hors d’Europe, ont-elles subi cette croissance g
304
as connu en Europe leur plein succès ? Et comment
et
pourquoi, hors d’Europe, ont-elles subi cette croissance gigantesque
305
de composition, tandis qu’ailleurs, pour le bien
et
le mal, elles se sont déployées sans frein ni contrepoids. Le capital
306
ner son plein, parce qu’il était sans cesse bridé
et
contrarié par le nationalisme, par les guerres, et par tous les barra
307
t contrarié par le nationalisme, par les guerres,
et
par tous les barrages de douanes ou de coutumes que l’Amérique ne con
308
nes ou de coutumes que l’Amérique ne connaît pas.
Et
de même le progrès social s’est vu bridé et contrarié par la tyrannie
309
pas. Et de même le progrès social s’est vu bridé
et
contrarié par la tyrannie de l’argent, dont la Russie nouvelle s’est
310
s’est libérée. Mais en même temps, le capitalisme
et
l’étatisme n’ont pas atteint chez nous leurs pires excès, parce qu’il
311
amment retenus par des forces adverses, critiqués
et
remis en question soit au nom d’un passé encore vivant, soit au nom d
312
irulentes. Cet état de complexité, d’intrications
et
de contradictions, définit l’équilibre humain qu’on nomme Europe. Il
313
nomme Europe. Il conditionne aussi notre culture.
Et
nous allons voir qu’il traduit, et parfois aussi qu’il trahit, la con
314
notre culture. Et nous allons voir qu’il traduit,
et
parfois aussi qu’il trahit, la conception européenne de l’homme. Tout
315
ercent sur nous, par leur masse, le colosse russe
et
le colosse américain, et malgré toutes les tentations que représenten
316
masse, le colosse russe et le colosse américain,
et
malgré toutes les tentations que représentent leurs succès littéralem
317
lture d’abord, dès le Moyen Âge, par sa curiosité
et
son commerce à l’époque des grandes découvertes, par ses armes et son
318
à l’époque des grandes découvertes, par ses armes
et
son art de la guerre mis au service tantôt de la rapacité de telle na
319
ntôt d’idéaux contagieux ; enfin par ses machines
et
par ses capitaux. Mais voici que l’Amérique et la Russie viennent de
320
s et par ses capitaux. Mais voici que l’Amérique
et
la Russie viennent de lui ravir coup sur coup les machines et les cap
321
viennent de lui ravir coup sur coup les machines
et
les capitaux, les idéaux contagieux et les armes, le grand commerce e
322
s machines et les capitaux, les idéaux contagieux
et
les armes, le grand commerce et jusqu’à la curiosité de la planète !
323
idéaux contagieux et les armes, le grand commerce
et
jusqu’à la curiosité de la planète ! Tout cela dans l’espace de trent
324
planète ! Tout cela dans l’espace de trente ans,
et
sans retour possible, à vues humaines. Que nous reste-t-il donc en pr
325
ons innombrables. Cela, on nous le laisse encore,
et
à vrai dire, c’est le plus difficile à prendre ! Mais c’est aussi le
326
véler dans tout le continent une sorte de clivage
et
un double tropisme. Les masses industrielles, dans leur partie active
327
ans leur partie active, regardent vers la Russie,
et
les grands hommes d’affaires regardent vers l’Amérique. À tort ou à r
328
té notre continent, mais à leur suite les espoirs
et
les rêves des plus actifs d’entre nous ont émigré. La bourgeoisie, da
329
emble, se contente d’un double refus de la Russie
et
de l’Amérique, se résigne à la décadence, ou la déplore mais sans fai
330
vois plus, pour tenir vitalement aux conceptions
et
aux coutumes européennes, que deux classes par ailleurs tout opposées
331
ctuels non embrigadés d’une part, les provinciaux
et
campagnards de l’autre. C’est-à-dire les esprits les plus libérés, et
332
autre. C’est-à-dire les esprits les plus libérés,
et
les plus attachés aux préjugés locaux ; les subversifs et les conserv
333
lus attachés aux préjugés locaux ; les subversifs
et
les conservateurs par profession ou position. Telle est, en gros, not
334
sée par sa victoire douteuse sur Hitler, rétrécie
et
coincée entre deux grands empires, dépossédée par eux de presque tous
335
dépossédée par eux de presque tous ses monopoles
et
moyens de puissance, vidée de rêves et divisée non seulement par l’es
336
monopoles et moyens de puissance, vidée de rêves
et
divisée non seulement par l’esprit de faction, mais parce que beaucou
337
que beaucoup de ses habitants espèrent ailleurs,
et
dans deux directions opposées. Je le répète, nos chances paraissent
338
es dans l’ensemble, malgré les illusions de santé
et
de durée que peuvent entretenir encore dans nos vies certains îlots d
339
os vies certains îlots d’inconscience routinière,
et
l’image rassurante de deux ou trois pays, petits pays épargnés par la
340
nse de l’Europe, de nous cramponner à ses restes,
et
même d’appeler à son secours des forces jeunes. Posons-nous donc sans
341
avec sang-froid cette question : Notre tristesse
et
notre angoisse devant un héritage si compromis, sont-elles valables e
342
ant un héritage si compromis, sont-elles valables
et
sont-elles justifiables ? Ou bien ne sont-elles rien de mieux que les
343
stes d’un vieux propriétaire dépossédé qui pleure
et
rage sur la perte d’un domaine, alors que ce domaine menace ruine par
344
, alors que ce domaine menace ruine par sa faute,
et
que les nouveaux acquéreurs vont en tirer un bien meilleur parti, pou
345
ns qui se la posent en termes tout à fait urgents
et
familiers, quand ils se demandent si c’est l’Europe ou l’Amérique qu’
346
à ses enfants ; ils ont besoin d’un avenir aussi.
Et
de quel droit sacrifierais-je leurs espoirs à mes souvenirs ? En défe
347
, il s’agit donc de savoir si nous défendons plus
et
mieux que de belles ruines, des préjugés sociaux, et des habitudes de
348
mieux que de belles ruines, des préjugés sociaux,
et
des habitudes de culture périmées, ou peut-être perverses, comme le p
349
érimées, ou peut-être perverses, comme le pensent
et
le disent nos voisins. Je songe à ces enfants, et j’essaie de mêler à
350
et le disent nos voisins. Je songe à ces enfants,
et
j’essaie de mêler à la vision de leur avenir la vision d’une Europe r
351
pe absente… Imaginons le monde heureux, prospère,
et
puissamment organisé autour de cette absence insensible au grand nomb
352
me dénudée par ces questions une réponse évidente
et
simple. Elle tient dans un très petit mot, vague et poignant : c’est
353
simple. Elle tient dans un très petit mot, vague
et
poignant : c’est le mot « âme ». L’Europe absente, démissionnaire, co
354
civilisation qui serait perdue, perdue pour tous
et
non seulement pour nous ! Ce n’est donc pas au nom de je ne sais quel
355
mais au seul nom de l’humanité la plus consciente
et
la plus créatrice de l’homme. On contestait l’autre jour, ici même, l
356
jour, ici même, l’existence d’un esprit européen,
et
c’était un appel, nous l’avions tous compris. C’est un point de vue q
357
’Europe, jusqu’à ce siècle, ne s’est guère sentie
et
conçue comme un tout, comme un corps organisé, c’est surtout parce qu
358
avait pas l’occasion de se comparer, de s’opposer
et
de se définir ; elle était seule et reine de la planète. Mais en 1946
359
de s’opposer et de se définir ; elle était seule
et
reine de la planète. Mais en 1946, elle se voit affrontée à deux empi
360
deux empires. Du même coup elle ressent son unité
et
la définit par contraste comme celle d’une conception de l’homme. Esq
361
omme. Esquissons cette comparaison entre l’Europe
et
les nouveaux empires qui se désignent typiquement par des lettres et
362
ires qui se désignent typiquement par des lettres
et
presque les mêmes : US d’une part, URSS de l’autre. Nous distingueron
363
istinguerons d’abord deux conceptions divergentes
et
peut-être antagonistes de la nature ou de la condition de l’homme. À
364
’homme. À l’origine de la religion, de la culture
et
de la morale européennes, il y a l’idée de la contradiction, du déchi
365
’homme lui-même, de l’élimination des antithèses,
et
du triomphe de l’organisation bien huilée, sans histoire, et sans dra
366
phe de l’organisation bien huilée, sans histoire,
et
sans drame. Il s’ensuit que le héros européen sera l’homme qui attein
367
dramatiquement, le plus haut point de conscience
et
de signification : le saint, le mystique, le martyr. Tandis que le hé
368
la vie se résume en deux opérations : production
et
consommation. Tout leur effort est donc de les équilibrer, de les fai
369
les équilibrer, de les faire jouer sans à-coup ;
et
le produit de cet équilibre sera le bonheur inévitable, obligatoire.
370
Pour nous, la vie résulte d’un conflit permanent,
et
son but n’est pas le bonheur, mais la conscience plus aiguë, la décou
371
ns l’échec. Ils visent à l’inconscience heureuse,
et
nous à la conscience à n’importe quel prix. Ils veulent la vie, nous
372
n guerrier, un maniaque ou un inventeur. Son bien
et
son mal sont liés, inextricablement et vitalement. L’Européen connaît
373
. Son bien et son mal sont liés, inextricablement
et
vitalement. L’Européen connaît donc la valeur essentielle des antagon
374
de l’opposition créatrice, tandis que l’Américain
et
le Russe soviétique considèrent l’existence de l’opposition comme l’i
375
alement pour arriver à l’unanimité, à l’homogène.
Et
les uns l’obtiendront par la publicité, le cinéma, la production de s
376
la publicité, le cinéma, la production de série,
et
les autres par des moyens un peu moins souples, comme on sait, mais l
377
comme on sait, mais les résultats se ressemblent
et
se ressembleront de plus en plus. Pour illustrer le contraste que je
378
d’esquisser d’une manière un peu trop schématique
et
abstraite entre l’Européen, d’une part, l’Américain et le Soviétique,
379
straite entre l’Européen, d’une part, l’Américain
et
le Soviétique, de l’autre, je n’ai pas à chercher bien loin. Je prend
380
reux initiateurs sur le banc des aveux spontanés.
Et
je ne dis pas que l’Américain et le Russe n’aient quelques bonnes rai
381
aveux spontanés. Et je ne dis pas que l’Américain
et
le Russe n’aient quelques bonnes raisons de se comporter ainsi, je di
382
ité ; que telle est bien la vocation de l’Europe,
et
que l’Europe existe au plus haut point comme entité spirituelle, dans
383
ncontre. Ainsi donc, la confrontation de l’Europe
et
de ces deux filles parfois ingrates du plus grand Occident nous suggè
384
qu’il a d’ailleurs lui-même définis : l’immanence
et
la transcendance, le collectif et l’individuel, le service du groupe
385
s : l’immanence et la transcendance, le collectif
et
l’individuel, le service du groupe et l’anarchie libératrice, la sécu
386
e collectif et l’individuel, le service du groupe
et
l’anarchie libératrice, la sécurité et le risque, les règles du jeu q
387
du groupe et l’anarchie libératrice, la sécurité
et
le risque, les règles du jeu qui sont pour tous et la vocation qui es
388
t le risque, les règles du jeu qui sont pour tous
et
la vocation qui est pour un seul. Crucifié, dis-je, car l’homme europ
389
l’autre de ces termes. Mais il entend les assumer
et
consister dans leur tension, en équilibre toujours menacé, en agonie
390
nt : cette lutte, consomme des énergies immenses.
Et
c’est pour cette raison qu’elle prévient parmi nous les entreprises e
391
aison qu’elle prévient parmi nous les entreprises
et
les plans gigantesques que nous voyons proliférer ailleurs. D’autre p
392
création) c’est celui que j’appelle la personne.
Et
ces institutions à sa mesure, à hauteur d’homme, traduisant dans la v
393
es, je les nommerai : fédéralistes. Ici, Mesdames
et
Messieurs, s’ouvre béante devant moi, la tentation de me lancer dans
394
s philosophiques de ces deux termes : la personne
et
le fédéralisme. Cette manière d’apparence rigoureuse s’autoriserait t
395
s voisins américains leurs méthodes pragmatiques,
et
à nos voisins soviétiques leur sens aigu des implications politiques
396
ons-nous ce que nous avons à faire pour maintenir
et
pour illustrer les valeurs propres de l’Europe. Ce sera peut-être un
397
e vraiment — sauver l’Europe, c’est pratiquement,
et
aujourd’hui, empêcher à tout prix la guerre. Et c’est aussi rendre in
398
, et aujourd’hui, empêcher à tout prix la guerre.
Et
c’est aussi rendre inutiles les mitraillettes de la révolution et les
399
endre inutiles les mitraillettes de la révolution
et
les fusillades massives. (Je ne dis pas — notez-le bien — empêcher le
400
t pas s’offrir des destructions supplémentaires.)
Et
je sais trop bien ce que certains vont me dire : que je fais là le je
401
Empêcher les guerres à tout prix… Or, les guerres
et
les révolutions, contrairement à ce que pensent beaucoup de bourgeois
402
que pensent beaucoup de bourgeois, sont initiées
et
déclenchées par les élites, ou par quelques meneurs et malmeneurs qui
403
clenchées par les élites, ou par quelques meneurs
et
malmeneurs qui usurpent la charge des élites lorsque celles-ci néglig
404
claire conscience des causes des guerres civiles
et
nationales, et des moyens d’y remédier. Or ces causes, nous allons le
405
nce des causes des guerres civiles et nationales,
et
des moyens d’y remédier. Or ces causes, nous allons les retrouver, pr
406
e l’homme européen, la source vive de sa grandeur
et
de sa spiritualité. Voilà le drame. La personne, en effet, c’est en c
407
cun de nous le conflit permanent entre la liberté
et
la vocation d’une part, et d’autre part l’engagement dans les réalité
408
anent entre la liberté et la vocation d’une part,
et
d’autre part l’engagement dans les réalités sociales. C’est un combat
409
Qui veut faire l’ange, ou le démon, fait la bête
et
voici qu’on l’enferme aujourd’hui dans la cage du parti ou de l’État.
410
e prêcher l’engagement personnel, libre, efficace
et
constamment critique. Et je ne dis pas cela dans l’abstrait ; j’ai en
411
rsonnel, libre, efficace et constamment critique.
Et
je ne dis pas cela dans l’abstrait ; j’ai en vue des exemples précis.
412
ce n’est nullement l’excès inverse de l’anarchie
et
du capitalisme libéral, mais bien cette morale civique, cet équilibre
413
t équilibre, sans cesse rajusté, entre la liberté
et
l’engagement, dont s’honorent en Europe les pays dominés par l’influe
414
ue ce sont sans contredit : la fédération suisse,
et
les royaumes démocratiques et socialistes du Nord, Scandinavie, Holla
415
fédération suisse, et les royaumes démocratiques
et
socialistes du Nord, Scandinavie, Hollande et Grande-Bretagne. Parce
416
ues et socialistes du Nord, Scandinavie, Hollande
et
Grande-Bretagne. Parce qu’ils ont su devenir, en toute liberté, les p
417
ctivisme autoritaire. Sur le plan de la personne,
et
du civisme donc, la déviation vers l’anarchie d’une part, la déviatio
418
l’étatisme d’autre part, conduisent identiquement
et
fatalement aux réactions sanglantes des guerres civiles, et par suite
419
ent aux réactions sanglantes des guerres civiles,
et
par suite, quel que soit le vainqueur, aux dictatures. Or il n’en va
420
’en va pas autrement sur le plan de la communauté
et
de la politique des nations. Ici, l’équilibre vivant doit s’établir e
421
re vivant doit s’établir entre les groupes divers
et
la nation unie, puis entre les nations diverses et l’Europe ; puis en
422
t la nation unie, puis entre les nations diverses
et
l’Europe ; puis entre l’Europe et le monde. À tous les degrés, nous r
423
ations diverses et l’Europe ; puis entre l’Europe
et
le monde. À tous les degrés, nous retrouvons les mêmes tentations opp
424
s, nous retrouvons les mêmes tentations opposées,
et
par suite les mêmes causes de guerre, dès que l’un des éléments en éq
425
éléments en équilibre faiblit, ou se voit écrasé
et
absorbé par l’autre. La volonté d’unification nationale à la manière
426
la cause de presque toutes nos guerres. J’ai dit,
et
je ne le répéterai jamais assez, qu’il faut voir dans le nationalisme
427
le qu’il s’agit de maintenir entre le particulier
et
le général. D’une part, en effet, le nationalisme écrase les diversit
428
diversités vivantes, sous prétexte d’unification,
et
alors on ne saurait plus parler d’union, puisqu’il n’y a plus rien à
429
ductible. Le fédéralisme, au contraire, veut unir
et
non pas unifier. Et justement parce qu’il respecte à l’intérieur d’un
430
isme, au contraire, veut unir et non pas unifier.
Et
justement parce qu’il respecte à l’intérieur d’une nation la riche di
431
e l’exemple vécu. Telle est la santé de l’Europe,
et
telles sont ses deux maladies, contradictoires en apparence, mais éga
432
is également provocatrices de guerre. Cette santé
et
ces maladies se définissent respectivement comme les états d’équilibr
433
s états d’équilibre ou de relâchement d’une seule
et
même tension fondamentale, d’une condition profondément et vitalement
434
ension fondamentale, d’une condition profondément
et
vitalement contradictoire de l’homme. Et c’est pourquoi la vocation d
435
ondément et vitalement contradictoire de l’homme.
Et
c’est pourquoi la vocation de l’Europe et des élites qui portent la c
436
’homme. Et c’est pourquoi la vocation de l’Europe
et
des élites qui portent la conscience de cette Europe, m’apparaît, dan
437
e, m’apparaît, dans un double office de vigilance
et
d’invention. Le trésor de l’Europe, c’est son idée de l’homme. Mais c
438
s sont les vraies causes de nos malheurs sociaux.
Et
notre second office est l’invention de structures politiques du type
439
es du type fédéraliste, seules créatrices de paix
et
seules capables de sauvegarder la liberté dans l’ordre. Après tout, c
440
en mesure de le faire à cause de ses diversités ;
et
de le faire non seulement pour son salut, mais pour celui de la paix
441
pour celui de la paix du monde entier. ⁂ Mesdames
et
Messieurs, si les descriptions pessimistes de l’Europe auxquelles je
442
e deux grands empires, minée par son propre génie
et
par l’abus de ses vertus bien plus encore que par ses vices, l’Europe
443
d’envisager sa fonction dans le monde, son avenir
et
le nôtre en elle ? Pour ma part, j’entretiens une croyance toute myst
444
t maintenu en vie par la vie même de sa vocation,
et
qu’il tombe bientôt lorsqu’elle est accomplie. Or, notre vocation eur
445
fire. J’en indiquerai rapidement quelques autres,
et
ce sera ma conclusion. Une raison toute physique, géographique d’abor
446
cette Grèce agrandie, est un continent cloisonné,
et
par nature diversifié, impropre donc et même rebelle aux planificatio
447
loisonné, et par nature diversifié, impropre donc
et
même rebelle aux planifications sur table rase que l’Amérique, et sur
448
aux planifications sur table rase que l’Amérique,
et
surtout la Russie — ces deux grandes plaines d’un seul tenant — peuve
449
s, l’Europe garde encore l’apanage du scepticisme
et
de l’esprit critique. Les Églises, autrefois, les redoutaient ; je pe
450
e scepticisme, s’applique aux mystiques de l’État
et
du Parti divinisé, aux idéaux purement profanes et séculiers que nous
451
t du Parti divinisé, aux idéaux purement profanes
et
séculiers que nous proposent l’URSS et les US. Vis-à-vis de ces mysti
452
t profanes et séculiers que nous proposent l’URSS
et
les US. Vis-à-vis de ces mystiques et de ces idéaux, c’est notre sens
453
sent l’URSS et les US. Vis-à-vis de ces mystiques
et
de ces idéaux, c’est notre sens d’un absolu qui dépasse l’homme et so
454
c’est notre sens d’un absolu qui dépasse l’homme
et
son bonheur, c’est notre sens du transcendant, précisément, c’est not
455
st notre foi, qui doit faire de nous des douteurs
et
des objecteurs de conscience. Cependant que notre sens de l’équilibre
456
remettre à leur place ces prétentions divinisées,
et
à les taxer sobrement, non sans humour à l’occasion. J’ai souvent pro
457
que le plus grand est nécessairement le meilleur.
Et
que l’on peut impunément multiplier n’importe quoi par 10 ou 100. Vou
458
e l’homme total. Ils ne sont que des expériences,
et
le propre d’une expérience est de rater neuf fois sur dix. Je pense a
459
0 eut pour effet de la réveiller, de l’humaniser,
et
par là même de la rapprocher de l’Europe. Je pense surtout à l’avenir
460
érences individuelles les gênent, l’opinion libre
et
la presse les gênent, et les partis — surtout de gauche, et l’imprévu
461
gênent, l’opinion libre et la presse les gênent,
et
les partis — surtout de gauche, et l’imprévu de l’invention dans les
462
se les gênent, et les partis — surtout de gauche,
et
l’imprévu de l’invention dans les arts ou de la découverte dans les s
463
s les arts ou de la découverte dans les sciences,
et
l’insouciance et l’inquiétude, et l’humour et l’esprit de révolte, et
464
la découverte dans les sciences, et l’insouciance
et
l’inquiétude, et l’humour et l’esprit de révolte, et le scepticisme r
465
s les sciences, et l’insouciance et l’inquiétude,
et
l’humour et l’esprit de révolte, et le scepticisme rationnel autant q
466
es, et l’insouciance et l’inquiétude, et l’humour
et
l’esprit de révolte, et le scepticisme rationnel autant que la foi re
467
l’inquiétude, et l’humour et l’esprit de révolte,
et
le scepticisme rationnel autant que la foi religieuse — et c’est à te
468
pticisme rationnel autant que la foi religieuse —
et
c’est à tel point qu’on se demande si ce qui les gêne le plus n’est p
469
omme en soi — l’éternel résistant ! Or, l’Europe,
et
c’est là sa grandeur, a justement vécu de toutes ces choses gênantes,
470
r, il n’est pas impossible, il est même probable,
et
c’est là mon espoir, que les Russes, comme les Américains, viendront
471
érir auprès de nous des secrets de notre désordre
et
de nos ordres — sinon eux du moins leurs enfants. Un dernier trait :
472
si on la compare aux deux empires séparés d’elle,
et
que je nomme les deux empires sans précédent — l’Europe est la patrie
473
moire du monde, le lieu du monde où l’on conserve
et
reproduit les plus vieux documents des races humaines, et non seuleme
474
duit les plus vieux documents des races humaines,
et
non seulement dans les musées et bibliothèques mais dans les mœurs et
475
races humaines, et non seulement dans les musées
et
bibliothèques mais dans les mœurs et les coutumes aussi, dans les hab
476
s les musées et bibliothèques mais dans les mœurs
et
les coutumes aussi, dans les habitudes du langage et dans l’intimité
477
les coutumes aussi, dans les habitudes du langage
et
dans l’intimité des relations humaines. Voilà pourquoi l’Europe a tou
478
l’Europe construit des églises modernes, en verre
et
en ciment armé, tandis que l’Amérique en est encore à bâtir des églis
479
de lui-même les utopies les plus transformatrices
et
les plus riches d’avenir, pour tous les autres hommes de la planète.
480
aine mesure, qui est celle du réalisme politique,
et
il fallait tout de même que ce fût dit ici, la question de l’avenir d
481
ce simple dilemme : la Planète unie ou la Bombe.
Et
je veux dire : Si les États-Unis et la Russie ne s’entendent pas, si
482
ou la Bombe. Et je veux dire : Si les États-Unis
et
la Russie ne s’entendent pas, si la guerre atomique éclate, il n’y a
483
ue éclate, il n’y a plus de problème de l’Europe,
et
d’une façon plus générale, il n’y a peut-être plus de problème de l’i
484
e l’ici-bas, mais seulement du jugement dernier —
et
je n’en dirai rien, n’y pouvant rien. Mais dans une large mesure auss
485
avenir du monde dépend de l’attitude de l’Europe,
et
de son pouvoir d’invention. Ici, point de malentendu ! Ne demandons p
486
posé aux deux autres. Ce ne serait rien résoudre,
et
au contraire, ce serait exalter le nationalisme aux dimensions contin
487
sions continentales. Ce qu’il nous faut demander,
et
obtenir, nous tous, c’est que les nations européennes s’ouvrent d’abo
488
autres, suppriment sur tous les plans frontières
et
visas, renoncent au dogme meurtrier de la souveraineté absolue, créan
489
monde, du même coup. Ce qu’il nous faut demander
et
obtenir — obtenir de nous-mêmes tout d’abord — c’est que le génie de
490
’abord — c’est que le génie de l’Europe découvre,
et
qu’il propage, les antitoxines des virus dont il a infesté le monde e
491
n vue d’une fédération mondiale. Il n’y a de paix
et
donc d’avenir imaginable que dans l’effort pour instaurer un vrai gou
492
fort pour instaurer un vrai gouvernement mondial.
Et
le monde, pour ce faire, a besoin de l’Europe, j’entends de son espri
493
ens inventif. La pensée du monde, c’est l’Europe.
Et
s’il s’agit vraiment de penser, que penser d’autre pour la paix, je v
494
n sans bonheur, je crois, l’attitude d’engagement
et
de solidarité qui doit ici nous inspirer, je dirai, songeant à l’Euro
495
ici nous inspirer, je dirai, songeant à l’Europe
et
à sa vocation mondiale, et je vous invite à le dire avec moi : Je pen
496
i, songeant à l’Europe et à sa vocation mondiale,
et
je vous invite à le dire avec moi : Je pense, donc j’en suis ! g.
497
de la philologie, puis des systèmes sociologiques
et
philosophiques qui se mirent à pulluler dès le xixe siècle, et qui s
498
ues qui se mirent à pulluler dès le xixe siècle,
et
qui se posaient en termes intraduisibles dans les catégories théologi
499
fendre contre la menace quotidienne, innombrable,
et
sans cesse accrue mais d’une manière imperceptible, d’habitudes de pe
500
’une manière imperceptible, d’habitudes de pensée
et
de vie de moins en moins conformes aux lois spirituelles : sans le sa
501
e persécution à coups d’épingle, de demi-sourires
et
d’ironies intellectuelles basées sur « les derniers progrès de la sci
502
it du bien. Partout, l’on vit au cours du xviiie
et
surtout du xixe siècle, s’exténuer les formes extrêmes, hardies et c
503
siècle, s’exténuer les formes extrêmes, hardies
et
créatrices des différentes confessions. On reculait sous la pression
504
oralisme centré sur l’homme. Tout tranquillement,
et
pour sauver leur corps, les Églises renonçaient sinon à leur âme même
505
cette véhémence flambante qui fut toujours signe
et
symbole de l’Esprit. Un fils soumis de Rome, le grand Paul Claudel, p
506
emarque hélas valable pour bien d’autres Églises,
et
qui résume toute une époque. Je pense qu’avec la guerre, cette époque
507
pense qu’avec la guerre, cette époque a pris fin.
Et
je fonde cette croyance sur quelques faits. C’est un fait que le tota
508
e qui semblait établie entre les sociétés laïques
et
les Églises ; qu’il a brusquement mis à nu l’État minoritaire des chr
509
été abattu finalement, dans ses formes déclarées
et
spectaculaires tout au moins ; et que son élévation brutale puis sa c
510
ormes déclarées et spectaculaires tout au moins ;
et
que son élévation brutale puis sa chute ont été pour toutes les Églis
511
ienne, qui prétendait se substituer à la religion
et
conduire le monde moderne vers un paradis sans Dieu, a démontré son i
512
ès de la Science » autorisent de moins en moins —
et
non de plus en plus, comme au siècle passé — à mettre en doute la vér
513
mme au siècle passé — à mettre en doute la vérité
et
la validité des dogmes chrétiens. L’ère des argumentations « scientif
514
critiques de l’extérieur. Renaissance du thomisme
et
des études mystiques chez les catholiques ; restauration de la dogmat
515
ez les protestants ; réapparition d’une puissante
et
purifiée Église orthodoxe à l’Est. Mais dire que l’époque de la défen
516
ns ce « presque » est la différence entre honneur
et
honte, vie et mort.) Et que trouvent aujourd’hui les peuples devant e
517
e » est la différence entre honneur et honte, vie
et
mort.) Et que trouvent aujourd’hui les peuples devant eux ? Battus et
518
différence entre honneur et honte, vie et mort.)
Et
que trouvent aujourd’hui les peuples devant eux ? Battus et vainqueur
519
uvent aujourd’hui les peuples devant eux ? Battus
et
vainqueurs, épuisés, cherchent en vain une utopie nouvelle. Les uns s
520
e nouvelle. Les uns s’abandonnent aux vieilleries
et
tentent de restaurer le nationalisme, condamné par les catastrophes r
521
inoffensives. Devant cette démission de la pensée
et
de la morale, l’État se voit forcé d’étendre ses pouvoirs, à coups de
522
inal sans précédent. Ce vide est un appel, urgent
et
dramatique. Un appel à l’attaque, à l’offensive, à l’initiative, à du
523
’initiative, à du plein. Ou encore : les Églises
et
leurs prédicateurs ont moins que jamais à se soucier, aujourd’hui, de
524
se noient. Comme laïque se tenant dans l’Église,
et
voyant au-dehors ses chances d’action, et la misère du temps qui appe
525
Église, et voyant au-dehors ses chances d’action,
et
la misère du temps qui appelle, j’attends ceci : 1° Que l’Église offr
526
s, le règne de l’argent, le nomadisme industriel,
et
les déportations en masse, ont presque tué, laissant le champ libre à
527
ont presque tué, laissant le champ libre à l’État
et
à ses réglementations, souvent utiles, mais qui ne sont jamais règles
528
urelles viables ; qu’elle ose de nouveau soutenir
et
guider une avant-garde intellectuelle, au lieu de garder sa position
529
lectuelle, au lieu de garder sa position méfiante
et
arriérée — académique — dans les arts sacrés comme vis-à-vis de la cu
530
héologiens adoptent une politique d’intervention,
et
non de vertueuse indignation, à l’égard des écoles nouvelles, dépourv
531
philosophie, littérature — est sortie des églises
et
des couvents. Hélas, elle en est bien sortie ! Il est temps que nous
532
ner ! 3° Que l’Église cesse de défendre la triste
et
inefficace moralité bourgeoise, avec laquelle trop de chrétiens confo
533
op de chrétiens confondent aujourd’hui la vertu ;
et
qu’elle restaure chez les fidèles le sens de la vocation personnelle,
534
e bourgeoise. Quelque chose qui entraîne en avant
et
au-delà, non pas ce qui retient en arrière des risques de la vie. 4°
535
transcende nos attachements nationaux, politiques
et
raciaux. Et c’est pourquoi le mouvement œcuménique revêt une importan
536
os attachements nationaux, politiques et raciaux.
Et
c’est pourquoi le mouvement œcuménique revêt une importance politique
537
tés nationales. Que dis-je, il peut ! Il le doit,
et
de toute urgence ! S’il y échoue, je ne vois aucune raison d’attendre
538
se, pour le monde, que des tyrans, leurs guerres,
et
les tyrannies qui en résultent… Un mot encore. Ce programme, qui rés
539
ses comme corps organisés ne peuvent que soutenir
et
encadrer l’action chrétienne. Celle-ci se fera, comme elle s’est touj
540
omme elle s’est toujours faite, par des personnes
et
par des petits groupes ; par quelques « fous de Dieu » comme saint Fr
541
celui qui a reçu de Dieu une vocation précise »,
et
il ajoute : « toute vocation est sans précédent, et paraît donc ‟invr
542
il ajoute : « toute vocation est sans précédent,
et
paraît donc ‟invraisemblable” à celui qui la reçoit. Exemple : Abraha
543
naître qu’il s’agit là d’un passe-temps absorbant
et
plaisant, il est non moins généralement admis que ce n’est pas un spo
544
néralement admis que ce n’est pas un sport public
et
diurne. Cette petite nouvelle, parue dans le respectable New York Ti
545
logue intuitif tient une lettre à peine regardée,
et
que vous tentez de formuler ce qu’il évoque dans votre esprit comme t
546
gles sociales communément respectées en principe,
et
un ensemble de pratiques traditionnelles permettant de tourner ces rè
547
nnsylvanie, de tel milieu méthodiste ou baptiste,
et
le laisser-aller naïf en apparence de la jeunesse qui vit au cinéma e
548
aïf en apparence de la jeunesse qui vit au cinéma
et
s’inspire des valeurs d’Hollywood, en dépit de toutes les censures ?
549
t de toutes les censures ? Car en Europe, le vice
et
la vertu restent fort étroitement liés, l’un vivant de l’autre, pour
550
nt liés, l’un vivant de l’autre, pour ainsi dire,
et
n’existant que par la négation de l’autre, si bien que le contraste e
551
ve en fin de compte d’une même estimation du rôle
et
de l’importance de la sexualité. Tandis qu’en Amérique nous trouvons
552
lement admises, semble-t-il, l’une faite de vices
et
de vertus, comme chez nous, mais l’autre étant un « sport » d’une nat
553
tre étant un « sport » d’une nature différente, —
et
c’est la seconde que j’essaierai de décrire. ⁂ De la passion Je
554
des dispositions spirituelles à la fois délicates
et
profondes, mais qui n’ont pas trouvé leur véritable objet ; un pouvoi
555
e fidélité ; enfin le mépris des biens terrestres
et
du bonheur… L’amour-passion ne peut exister que dans une civilisation
556
de chaque être. Il suppose un objet irremplaçable
et
comme prédestiné par un acte divin. Ces lignes, écrites en Amérique,
557
ation, peu enclin au mépris des biens terrestres,
et
religieusement convaincu que le bonheur est le but de la vie : n’est-
558
que la nôtre. En bref, il n’aime point souffrir,
et
tient pour perversion ce goût de la torture exaltante et intéressante
559
t pour perversion ce goût de la torture exaltante
et
intéressante qui fait le sujet de nos plus beaux romans d’amour. Les
560
x autant de preuves que l’affaire est mal engagée
et
qu’il ferait bien d’y renoncer. Si quelque drame se noue dans sa vie,
561
z jamais prendre au piège d’une intrigue complexe
et
qui menace de tirer à conséquence : telle est la grande maxime de sa
562
Les difficultés sentimentales qui nous fascinent
et
que nous cultivons, sans nous l’avouer, lui font peur, et l’éloignent
563
ous cultivons, sans nous l’avouer, lui font peur,
et
l’éloignent vite de l’être ou des circonstances qui les causent. Il n
564
ne croient guère à la valeur unique d’un être, —
et
il est vrai qu’il faut beaucoup de soins, de temps perdu, de complais
565
eaucoup de soins, de temps perdu, de complaisance
et
de folies pour composer une telle croyance. Nul n’est irremplaçable d
566
ul n’est irremplaçable dans un monde aussi vaste,
et
où les déplacements sont si faciles. Au vrai, l’amour-passion ne saur
567
ui n’accorde à l’échec nulle dignité spirituelle,
et
qui ne tient pour vrai que ce qui réussit. Or, l’échec n’est pour eux
568
t. Or, l’échec n’est pour eux qu’une perte sèche,
et
non la condition d’un approfondissement de la conscience et de la den
569
condition d’un approfondissement de la conscience
et
de la densité de la vie. Comme on demandait à une Américaine intellig
570
pas à rester seuls. Du matriarcat, du mariage
et
des « moms » Dans un tel monde, il ne subsiste que deux solutions
571
ype nouveau. Il se fonde sur l’égalité économique
et
légale des conjoints, donnant ainsi un avantage énorme aux femmes. C’
572
borne pas à choisir les rideaux, mais la maison,
et
même l’auto. Je vois la preuve qu’elle se sent responsable et autonom
573
to. Je vois la preuve qu’elle se sent responsable
et
autonome (ou un peu plus) dans cette ardeur inextinguible qui la poss
574
fectionner tout ce qui tombe à portée de sa main (
et
un peu plus). On ne saurait dire d’elle, comme de l’Européenne, par,
575
r elle règne, tout simplement, dans toute la vie,
et
le foyer n’est qu’une partie de ses domaines. Il s’agit de l’aménager
576
au service de tout le reste : la carrière du mari
et
la sienne propre, l’hygiène des enfants, les relations sociales. Pour
577
Si ces dernières se multiplient dans une cuisine
et
un sous-sol américain, c’est justement pour libérer la femme des souc
578
ait, au labeur harcelant, physiquement déformant,
et
moralement aigrissant à l’extrême, dont la majorité des femmes d’Euro
579
C’est le mari qui peine pour payer le frigidaire
et
permettre à la femme de lire des romans, — ou d’en écrire. Regardez m
580
une calme indifférence. Chaque pas, chaque geste,
et
chaque moue de la femme manifeste qu’elle sait ce qu’on lui doit. Com
581
e à son mari d’intervenir, sinon elle va se lever
et
sortir d’un pas vif, le menton haut, les cheveux au vent. Et le mari
582
’un pas vif, le menton haut, les cheveux au vent.
Et
le mari se hâte d’obtempérer pour éviter le pire. Cette domination de
583
Elle s’enracine profondément dans la psychologie
et
dans l’économie américaine. On assure que les femmes possèdent le 75
584
royal de la femme a ses bases vraiment profondes.
Et
cette psychologie tient dans un mot, dans moins qu’un mot, dans l’abr
585
ecret de millions de drames matrimoniaux, sexuels
et
psychiques : MOM. Philip Wylie, dans un livre rageur intitulé Généra
586
iarcat américain. MOM est partout, elle est tout
et
dans tous, et d’elle dépend le reste des États-Unis. Déguisée en bonn
587
in. MOM est partout, elle est tout et dans tous,
et
d’elle dépend le reste des États-Unis. Déguisée en bonne vieille ; mo
588
de l’activité domestique, a créé le Women’s Club
et
cent-mille organisations analogues, devant lesquelles tremblent les d
589
osexuels, plus d’obsédés que l’on enferme ou non,
et
plus d’alcooliques qu’aucune autre. Dans la femme qu’il épouse, le je
590
mment, cherche la mère. Il la sert, elle l’endort
et
le semonce. Au culte qu’il est censé lui rendre, elle répond dans le
591
oyauté que le suzerain jadis accordait au vassal.
Et
ce n’est point qu’elle soit moins capable qu’une autre d’amour, de te
592
faite pour éveiller en elle le goût de la liberté
et
de l’autonomie, comme elle dira ; entendons bien : de la domination.
593
cessité vertu, prend en main les rênes de la vie,
et
se prépare à devenir à son tour une mom aussi redoutablement « perfec
594
une mom aussi redoutablement « perfectionniste »
et
activiste que sa belle-mère. Quant à l’homme, cause du mal et victime
595
que sa belle-mère. Quant à l’homme, cause du mal
et
victime peu consciente, il se réfugie dans son club ou parmi les copa
596
lle américaine, ménage peu de contacts entre mari
et
femme, et sans doute n’en souffrent-ils guère. Lui déjeune avec ses c
597
aine, ménage peu de contacts entre mari et femme,
et
sans doute n’en souffrent-ils guère. Lui déjeune avec ses collègues e
598
asses, à la caserne ou dans une réunion publique (
et
les femmes s’approchent volontiers), mais il y a je ne sais quoi de r
599
iers), mais il y a je ne sais quoi de repoussant (
et
pas seulement pour un Européen, je m’en assure) dans un rassemblement
600
s pour la chasse au taxi, s’ils sortent ensemble.
Et
le reste, souvent, se perd dans les alcools. Tout se passe comme si l
601
aisselle pendant que la femme couche les enfants,
et
tous les repas sont pris dans la petite cuisine blanche, parfois orné
602
pe avant tout du passé, d’un capital de souvenirs
et
d’habitudes communes, dont la rupture du couple entraînera la perte.
603
du divorce que par le temps de changer de salle,
et
c’est le même juge — passant par l’autre porte — qui légalisera les d
604
r à la maison un entrepreneur des pompes funèbres
et
des couronnes : divorce accordé. Il se frappait la tête contre les pa
605
accordé. Il se frappait la tête contre les parois
et
lui mordait souvent les jambes : divorce accordé. La loufoquerie amér
606
le amuse. Vous penserez que ce n’est pas sérieux,
et
peut-être aurez-vous raison. Si grave que soit un tel jugement, j’inc
607
divorce, révèle que ses mariages manquent de sens
et
de sérieux. Il n’y entre pas pour toute la vie, mais pour un bail de
608
re fois ! » Deux ans plus tard, elle était à Reno
et
se remariait, « elle pour la seconde fois, lui pour la quatrième ». C
609
e 1000 dollars, prix du voyage de Reno, du séjour
et
des avocats. L’hygiène morale de l’Amérique ne tolère pas dans un foy
610
un foyer les miasmes d’une situation irrégulière,
et
ne laisse pas le temps de les résorber. C’est une passion de la propr
611
te issue en Angleterre de la Réforme calvinienne,
et
transplantée dans toute sa virulence en Amérique, détermine de nos jo
612
être un Américain, c’est être un homme « décent »
et
comme je demandais à quelques étudiants ce qu’ils entendaient par là,
613
ux me dit : « Décent est l’homme qui tient parole
et
se tient propre, à tous égards. » Cette volonté de vivre une vie nett
614
quant aux « origines de la vie », que les parents
et
professeurs expliquent avec un certain pédantisme, craignant par-dess
615
ue les enfants n’aillent se former des complexes…
Et
pourtant, dans cette liberté, qui entraîne une grande licence des mœu
616
e. Ce qu’il ignore, c’est ce mélange de scrupules
et
de goût de les violer, de sentiment longuement macéré et de raffineme
617
oût de les violer, de sentiment longuement macéré
et
de raffinements casuistiques, de conscience dans le mal et de plaisir
618
finements casuistiques, de conscience dans le mal
et
de plaisir au drame qui, chez nous, pervertit la vie sexuelle et l’él
619
u drame qui, chez nous, pervertit la vie sexuelle
et
l’élève au niveau de la culture. Puritain ou émancipé, le jeune Améri
620
pensables en Amérique seraient sans doute Adolphe
et
les Liaisons dangereuses. Ajoutons-y la poésie d’un Baudelaire, sa sp
621
delaire, sa spiritualité sensuelle. Les avantages
et
les dangers de l’état des mœurs que l’on vient d’esquisser donneraien
622
ais il se peut qu’elle soit tout simplement sexy,
et
que l’obsession n’existe que chez lesdits critiques. Certains Europée
623
es tabous puritains, refoulés dans l’inconscient,
et
qui se vengent. Les statistiques de crimes sadiques, de délinquance j
624
aut pas oublier l’influence beaucoup plus directe
et
contrôlable du cinéma et des comics. À mon avis, l’aspect le plus int
625
ce beaucoup plus directe et contrôlable du cinéma
et
des comics. À mon avis, l’aspect le plus intéressant de l’évolution a
626
qui sera sans doute celui de la Russie soviétique
et
d’une partie de la jeunesse européenne. Essayons de le définir en que
627
sens tragique de l’amour ; réalisme scientifique
et
quelque peu pédant, substitué aux préjugés du moralisme, mais aussi d
628
u libertinage ; fuite générale devant l’intensité
et
les complexités sentimentales ; l’échange sexuel, par consentement co
629
firmation du droit au bonheur comme seule règle ;
et
peut-être, du fait de l’égalité complète, désaffection mutuelle des d
630
n la prophétie de Vigny, fatigués de leurs brèves
et
frustes pariades ?) Tout cela, au stade présent du moins, trop volont
631
cela, au stade présent du moins, trop volontaire
et
rationnel pour que l’on soit en droit d’y voir une « révolte des inst
632
ontraire de ce que pensent la jeunesse américaine
et
ses censeurs de plus en plus timides, la violence primitive et la san
633
rs de plus en plus timides, la violence primitive
et
la santé de l’instinct soient justement les vraies créatrices de tabo
634
soient justement les vraies créatrices de tabous,
et
que la suppression de ces derniers, loin de relever d’une dialectique
635
elever d’une dialectique normale entre contrainte
et
liberté, trahisse un fléchissement vital. Possible aussi, d’un tout a
636
plus perverses qu’ait jamais sécrétée l’humanité,
et
que sa disparition assainisse l’atmosphère tout en affadissant la vie
637
— le jeune Américain, s’il trouve une voie saine
et
quelques disciplines praticables, sera vraiment le génie du siècle et
638
nes praticables, sera vraiment le génie du siècle
et
l’objet d’une grâce spéciale. Or c’est bien ce qu’il pense être, étan
639
découvert un « milieu littéraire » dans ce pays.
Et
ce n’était pas une terrasse de café, ni l’antichambre d’une maison d’
640
tout cela n’existe en Amérique — mais une party.
Et
cette party n’était pas animée par la vivacité des discussions, la co
641
uyante, mais un humour bonhomme, un peu loufoque,
et
beaucoup de sérieux professoral : car les poètes ici sont professeurs
642
rs sont plutôt journalistes. Quant à leurs femmes
et
amies, elles m’ont paru cultiver le genre des nihilistes russes d’ant
643
Cela tient sans doute à mille raisons matérielles
et
sociales d’abord, dont j’ai deviné quelques-unes en fréquentant les é
644
, compensant par la brusquerie de leurs jugements
et
un style tough (nous dirions « dur » ou « vache ») leur défaut de res
645
énéral trop formalistes ou rhétoriques nos poèmes
et
nos essais. Une jeune romancière me disait : « Vous autres, Européens
646
amisme, une certaine approche brute, instinctive,
et
parfois émue de la « vie »… On ne sait trop. Le savent-ils eux-mêmes
647
enser, ils tournent aussitôt au pédant germanique
et
jugent mundane ou irresponsible celui qui évite dans ses écrits les m
648
celui qui évite dans ses écrits les mots en isme,
et
le langage technique des ismes réputés d’avant-garde. Leur vrai drame
649
r paraît méchamment subversif, « réactionnaire »,
et
tout est dit… 25 janvier 1941 Cinquième colonne. — Quelques fragment
650
ais il a le malheur de porter sur les années 1935
et
1936. Or le public veut de l’actualité. Le second m’a fait venir ce m
651
lerait de cinquième colonne à propos de ma maison
et
de vous-même. — Savez-vous que mon livre est sur la liste noire des A
652
ue mon livre est sur la liste noire des Allemands
et
même de l’organisation vichyssoise des libraires ? Savez-vous que la
653
théologie, socialiste militant, polémiste sérieux
et
sarcastique, il mène campagne pour l’intervention de l’Amérique dans
654
rique dans le conflit. Une petite revue virulente
et
dense, Christianity and Crisis, qu’il vient de fonder, s’efforce de c
655
tisans sournois d’Hitler, de Mussolini, de Franco
et
de leurs régimes « d’avenir »… Celui qui ne veut pas croire au diable
656
é où l’on doit se munir d’un plateau, de services
et
d’assiettes pris sur la pile, puis défiler devant un comptoir où l’on
657
ats de son choix, — je déjeune avec des étudiants
et
leurs amies, des professeurs aussi, et quelques réfugiés. L’après-mid
658
étudiants et leurs amies, des professeurs aussi,
et
quelques réfugiés. L’après-midi, on m’emmène en auto dans la campagne
659
cord où j’ai vu la maison d’Emerson, ses chapeaux
et
ses cannes accrochés dans le hall, la chambre de Thoreau avec son lit
660
s de brique rose aux fenêtres encadrées de pierre
et
surmontés de clochers fins au bulbe d’or, devant le couvent luxueux d
661
, devant le couvent luxueux des moines anglicans,
et
plus loin, à travers un vaste terrain vague, des roseaux, des marais,
662
errain vague, des roseaux, des marais, des débris
et
les fumées des feux qui les détruisent, lieu de désolation voluptueus
663
e pays qui n’aime pas la mort comme les Germains,
et
n’en fait point de cérémonies grandiloquentes comme les Latins, a les
664
ouve une vraie place, au carrefour de trois rues,
et
des cafés où vers six heures du soir se groupent autour d’un verre et
665
six heures du soir se groupent autour d’un verre
et
d’un problème les écrivains, les jeunes professeurs, les logiciens et
666
écrivains, les jeunes professeurs, les logiciens
et
les théologiens. On m’y a présenté trois génies. Un génie aux États-U
667
n éloge excité, dans leur bouche : cela se mesure
et
cela se définit par des signes certains et scientifiques. Le test d’i
668
mesure et cela se définit par des signes certains
et
scientifiques. Le test d’intelligence d’un génie (examen portant sur
669
modestes. J’en ai vu un qui mangeait un sandwich
et
c’était un spectacle fascinant. Il l’avait découpé en rectangles égau
670
ascinant. Il l’avait découpé en rectangles égaux,
et
l’absorba sans le regarder, comme on résout un petit problème de logi
671
chômage . Je disais simplement : « Gagner peu ».
Et
cela pouvait suffire en France. Ici, la recette ne vaut rien. Le mini
672
tte ne vaut rien. Le minimum requis est impérieux
et
difficile à obtenir parce que le dollar est très cher. On ne peut pas
673
pas « se débrouiller » avec moins qu’il ne faut.
Et
je touche ici la limite des fameuses libertés américaines, non sans a
674
au bourgeois, celui que revendiquent les ouvriers
et
qu’ils atteignent presque tous ici, quand les Russes ne font qu’en pa
675
uels ? Ils n’ont de choix qu’entre le journalisme
et
le professorat. Or je répugne à l’un autant qu’à l’autre… ! Fin décem
676
e6, au haut d’une vieille maison de pierre brune,
et
quitté non sans soulagement mon hôtel. Un plancher bleu foncé, des mu
677
é, des murs blancs, un plafond vitré. Deux larges
et
basses fenêtres sur la cour. En face, le haut building d’une imprimer
678
i est un couvent. Les nonnes, deux par deux, vont
et
viennent sur ce toit en lisant. Comme il n’y a ni mur, ni barrière, i
679
re à chaque fois qu’elles fassent un pas de trop,
et
tombent dans le vide, pour peu que leur lecture les passionne. Mercre
680
suis enfermé sans plus bouger, entre mon fauteuil
et
ma table — les deux bras du fauteuil touchant le bord de la table — d
681
eures, je me suis mis à écrire. Il est dix heures
et
j’ai devant moi les trois premiers chapitres terminés. J’ai faim, j’a
682
s 1942 Ou écrire, ou sortir. — Après trois jours
et
nuits de travail acharné, j’ai tenté hier soir une sortie. Deux signe
683
à nouvel ordre je suis le prisonnier de mon livre
et
ferais bien de ne plus m’en échapper. Je devais aller chez des amis a
684
urant, au bas de Madison Avenue. La salle étroite
et
profonde paraît vide. Il doit être environ neuf heures et demie. J’hé
685
nde paraît vide. Il doit être environ neuf heures
et
demie. J’hésite sur le seuil : va-t-on me servir encore ? Au fond de
686
servir encore ? Au fond de la salle, deux hommes
et
une femme attablés causent et boivent. L’un des hommes m’ayant remarq
687
salle, deux hommes et une femme attablés causent
et
boivent. L’un des hommes m’ayant remarqué, je l’entends dire : « Voil
688
: « Voilà le diable ! » Ils se retournent à demi
et
rient. J’ai fui. Pas d’autre restaurant dans ce quartier. Je suis mon
689
’en ai pas de plus charmants dans toute la ville,
et
je les ai vus presque chaque jour le mois dernier. Mais ce soir-là je
690
dernier. Mais ce soir-là je n’avais rien à dire,
et
me demandais non sans angoisse ce que l’on peut bien avoir à dire, en
691
crire, ou sortir. 20 mars 1942 Pluie torrentielle
et
fonte des neiges. Les nonnes ne sortent plus, ou sont peut-être tombé
692
ied cassé de mon petit fauteuil. Bonheur d’écrire
et
de me sentir libre nuit et jour. Fin mars 1942 Écrit finis à six heur
693
euil. Bonheur d’écrire et de me sentir libre nuit
et
jour. Fin mars 1942 Écrit finis à six heures du matin. Église Saint-M
694
aint-Marc à l’aube froide, quelques bonnes femmes
et
un jeune homme devant le vieux prêtre anglican, dans une crypte de pi
695
démolir mon étage. Je louais cet atelier au mois
et
n’ai donc plus qu’à déguerpir sans insister. 16 avril 1942, 11 West,
696
et Emménagé dans une belle chambre blanche, vaste
et
carrée. Je me sens rendu au monde et à la vie courante. Mais pendant
697
anche, vaste et carrée. Je me sens rendu au monde
et
à la vie courante. Mais pendant que je m’escrimais contre son image f
698
iable a tranquillement vidé mon compte en banque,
et
je ne suis pas plus avancé qu’au temps de mon île atlantique. 21 avri
699
Ou dans la même, on ne voit pas les mêmes objets.
Et
comme le monde est une vitrine, en bonne partie, il doit être possibl
700
é voir mes enfants à Long Island, le samedi soir,
et
le dimanche matin j’annonce subitement que je dois rentrer en ville p
701
e sentais qu’il fallait rentrer. J’ouvre ma porte
et
j’entends le téléphone. C’est un ami qui va quitter l’Office of War I
702
hington. La place sera vacante demain après-midi,
et
sans doute repourvue. Si j’y vais, j’ai les plus grandes chances. J’y
703
ais, j’ai les plus grandes chances. J’y suis allé
et
une demi-heure plus tard, je me mettais à ce travail, nouveau pour mo
704
ouveau pour moi : écrire des textes d’information
et
des commentaires politiques, diffusés par ondes courtes vers la Franc
705
tiques, diffusés par ondes courtes vers la France
et
retransmis de Londres par la BBC. Fin mai 1942 Échantillons. — Voici
706
nçaise d’un organisme américain qui tient le rang
et
joue le rôle de ministère de l’Information. Il peut être amusant de n
707
ncien secrétaire de la Nouvelle Revue française
et
l’ancien rédacteur en chef du Matin lui fournissent de la copie. Les
708
s anciens directeurs de La Révolution surréaliste
et
de L’Esprit nouveau parlent cette copie devant le micro. Cependant qu
709
fflement, mais il garde pour lui son port de tête
et
sa présence d’esprit indiscernablement ironique, admirante et solenne
710
ce d’esprit indiscernablement ironique, admirante
et
solennelle. Qu’on lui donne un royaume ! Ou plutôt non : qu’on lui do
711
plutôt non : qu’on lui donne une église à régir,
et
le beau nom du sacerdoce à restaurer dans une atmosphère orageuse ! M
712
ux speakers, nous trouvons un moment pour causer.
Et
souvent nous parlons des fêtes que nous rêvons d’organiser. Celle par
713
personne inconnue des autres, tous étant costumés
et
masqués, les propos échangés dans un style rigoureusement pSt. J. Per
714
mmédiates. Rendre un sens aux paroles, aux gestes
et
au costume, par cela même à la Surprise… Introduction à la vie hiérat
715
qui sont André Breton, le peintre Amédée Ozenfant
et
le jeune fils des Pitoëff, se voient priés de passer au studio 16 pou
716
parle aux Français. Il est temps que je recueille
et
dépouille les directives de Washington, de New York, de Londres, pour
717
, sort de sa cage vitrée, le crayon sur l’oreille
et
le front maculé d’encre à copier. Il me cherche du regard par-dessus
718
r vous là-dedans ! » Cela tient de la divination,
et
c’est juste neuf fois sur dix. Huit heures et demie. L’équipe de nuit
719
on, et c’est juste neuf fois sur dix. Huit heures
et
demie. L’équipe de nuit s’installe sans bruit dans les bureaux presqu
720
terai chez « Saint-Ex » faire une partie d’échecs
et
l’écouter parler des malheurs de sa France… Juin 1942 La guerre va ma
721
nce… Juin 1942 La guerre va mal, il faut le dire,
et
persuader l’Europe qu’elle ira bien demain. La campagne sous-marine b
722
annoncer le premier raid anglais de mille avions,
et
la promesse du général Marshall : « Nous débarquerons en France. » Ju
723
iteurs qui passent par cette ville de nulle part.
Et
j’ai songé à cette autre retraite, la maison rose de « La Muette », o
724
t les rumeurs de la planète. Mais l’un questionne
et
l’autre parle. Il parle de Briand qu’il a servi longtemps, et qui n’a
725
arle. Il parle de Briand qu’il a servi longtemps,
et
qui n’a jamais su qu’il y avait Saint-John Perse ; d’Hitler dont il a
726
rse ; d’Hitler dont il a regardé les yeux de près
et
qu’il décrit en termes médicaux ; de Reynaud qui l’a renvoyé sous la
727
renvoyé sous la pression du parti de l’armistice…
Et
je doute si personne aujourd’hui parle un français plus sûr de ses nu
728
s nourris de maintes connaissances des prestiges,
et
de la ruse et des métiers de plus d’une race… « Chemins du monde, l’u
729
aintes connaissances des prestiges, et de la ruse
et
des métiers de plus d’une race… « Chemins du monde, l’un vous suit. »
730
lerie, après le bain, à toutes les heures du jour
et
de la nuit. Profité de ce bref loisir pour reprendre mon diable aband
731
diable abandonné dans un tiroir depuis des mois,
et
pour en récrire deux chapitres (sur « l’amour tel qu’on le parle » et
732
eux chapitres (sur « l’amour tel qu’on le parle »
et
la passion réelle). Tonio rentre un soir de New York portant gaucheme
733
e peut être qu’une plage, un loisir sur la plage,
et
nous l’avons ici. New York, 2 septembre 1942 Quoi de plus sale qu’une
734
rer… Mais à l’Office, notre travail s’intensifie,
et
les échos nous en reviennent de France. Leur dire là-bas, dire à la R
735
la presse clandestine… Mais dire aussi les revers
et
les défaites : notre consigne de véracité est absolue. Washington par
736
inueuses qui s’avancent dans un paysage de forêts
et
d’îles tropicales. « Je voulais une cabane et c’est le Palais de Vers
737
êts et d’îles tropicales. « Je voulais une cabane
et
c’est le Palais de Versailles ! » s’est écrié Tonio bourru, en pénétr
738
il s’applique à manier de petits pinceaux puérils
et
tire la langue pour ne pas « dépasser ». Je pose pour le Petit Prince
739
Je pose pour le Petit Prince couché sur le ventre
et
relevant les jambes. Tonio rit comme un gosse : « Vous direz plus tar
740
énorme (« Je vais vous lire mon œuvre posthume »)
et
qui me paraît ce qu’il a fait de plus beau. Tard dans la nuit je me r
741
vient encore dans ma chambre fumer des cigarettes
et
discuter le coup avec une rigueur inflexible. Il me donne l’impressio
742
s’arrêter de penser… Fin octobre 1942 Propagande
et
style. — Depuis que je suis à l’OWI, rédigeant bon gré mal gré mes vi
743
je n’ai pu guère écrire que ces notes de journal,
et
deux essais pour des revues américaines. Mais ces essais-là m’ont suf
744
Dans les deux cas, les exigences sont les mêmes.
Et
elles impliquent le renoncement à toutes ces coquetteries de style im
745
on trouvait à chaque ligne chez Valéry, chez Gide
et
leurs disciples de la NRF , et qui en anglais retombent à plat, à la
746
Valéry, chez Gide et leurs disciples de la NRF ,
et
qui en anglais retombent à plat, à la radio font parasites. Il faut s
747
le à Paris. Cependant nous vivons au xxe siècle,
et
je voudrais un style qui supporte le transport. Les choses que l’on p
748
beauté, vérité intrinsèque ou de leur opportunité
et
de leur pouvoir de signification commune. Une carrière de grand écriv
749
arrière de grand écrivain commence par la qualité
et
finit par la signification. À partir d’un certain moment, la gloire d
750
la moindre opinion qu’il exprime — par position. (
Et
c’est le signe de la gloire moderne.) Il entre dans le domaine public
751
la vie d’un Tolstoï ou d’un Goethe ; d’un Valéry
et
d’un Gide, parmi nous. La gloire est devenue le droit d’énoncer des b
752
s banalités mais qui ne passent plus pour telles,
et
qui portent. Savoir ne point se limiter constamment à la qualité. Car
753
e monde actuel pressent qu’il a besoin de maîtres
et
de directeurs de conscience, plutôt que de monstres précieux. Cependa
754
s copies seules sont acceptables, à première vue,
et
seules font accepter l’original, qui fit scandale ou même ne fut pas
755
niste », Baudelaire condamné, Proust « mondain »,
et
Bach inaperçu pendant cinquante ans.) Bevin House, fin octobre 1942 D
756
r est grise, le soir vient, les oiseaux sifflent,
et
l’automne atténue la sauvagerie de la verdure américaine. Que fais-je
757
e peut qu’on m’envoie bientôt en Afrique du Nord,
et
de là… Et j’éprouve un besoin presque panique de me rassembler, de me
758
on m’envoie bientôt en Afrique du Nord, et de là…
Et
j’éprouve un besoin presque panique de me rassembler, de me retrouver
759
mes. Vous étiez « occupés », nous étions en exil,
et
les uns comme les autres dans l’inaccepté, dans la dépossession profo
760
our de ce retour en France, — dans quelle France,
et
dans quelle Europe ? Nous étions soumis à l’érosion de l’exil, moins
761
terait-on ? C’est un ami. Il vous a reçus d’abord
et
vous a proposé ses façons et usages qu’il convenait d’aimer. Bientôt,
762
vous a reçus d’abord et vous a proposé ses façons
et
usages qu’il convenait d’aimer. Bientôt, s’il voit que vous restez là
763
n peu : vous n’êtes plus l’invité mais un client,
et
qui devrait s’arranger pour payer. Et quand vous n’avez plus d’argent
764
un client, et qui devrait s’arranger pour payer.
Et
quand vous n’avez plus d’argent, c’est tout d’un coup le monsieur qui
765
ce que vous causiez des ennuis. Débrouillez-vous.
Et
puis, vous êtes trop nombreux, on ne peut pas s’occuper de chacun de
766
reux, on ne peut pas s’occuper de chacun de vous.
Et
c’est bien vrai. Nous étions trop nombreux. En France, en Suisse auss
767
e, à juste titre. Les pires tourments de l’esprit
et
du cœur ont toujours paru préférables à la torture physique, ou même
768
bas de la ville où habitent beaucoup d’écrivains
et
surtout de peintres. 7. Il s’agit du livre intitulé La Part du diab
769
Passos situe plusieurs des scènes de ses romans,
et
c’est là qu’il y a bien six ans j’ai connu Carson McCullers. Elle ava
770
son long visage pâle, sa frange noire en désordre
et
sa contenance effarouchée. Ses mains tremblaient, et l’on pensait que
771
sa contenance effarouchée. Ses mains tremblaient,
et
l’on pensait que sans sa mère qui l’accompagnait ce jour-là, elle ne
772
ier roman qui venait de paraître — écrit entre 19
et
22 ans — et elle me dit merci, bien sérieusement selon la coutume des
773
i venait de paraître — écrit entre 19 et 22 ans —
et
elle me dit merci, bien sérieusement selon la coutume des femmes amér
774
mélange improbable de Kafka, d’Enfants terribles
et
de style vieux New York en définissait l’atmosphère. On écrivait, on
775
dans toutes les chambres aux portes entrouvertes,
et
l’on se réunissait pour les repas autour d’une très longue table que
776
tenait son rôle de propriétaire. Benjamin Britten
et
Paul Bowles représentaient la jeune musique, Gypsy Rose Lee la danse
777
ntaient la jeune musique, Gypsy Rose Lee la danse
et
le striptease, et tous les autres à quelque titre étaient des « creat
778
usique, Gypsy Rose Lee la danse et le striptease,
et
tous les autres à quelque titre étaient des « creative people », parl
779
é cette maison de Brooklyn, seul centre de pensée
et
d’art que j’aie trouvé dans une grande ville de ce pays. ⁂ Et puis le
780
j’aie trouvé dans une grande ville de ce pays. ⁂
Et
puis leur nomadisme habituel les a repris. Un an plus tard, tous s’ét
781
e ou au Michigan, en Angleterre ou en Californie,
et
Carson McCullers était dans une clinique. Un jour je la rencontre dan
782
d’hui elle est à Paris, inaugurant avec Kay Boyle
et
Richard Wright — qui fut le premier à saluer son talent — la reprise
783
différence entre la jeune littérature américaine
et
la française, c’est que la première ne professe pas du tout ce culte
784
ge sur ses maîtres, me cite Dostoïevsky, Flaubert
et
Kierkegaard, là où un jeune Français citerait sans doute Hemingway, D
785
rançais citerait sans doute Hemingway, Dos Passos
et
Steinbeck. C’est dire peut-être que les jeunes Américains sont moins
786
ir leurs procédés que de se créer un ordre intime
et
d’approcher par des moyens plus déliés ce monde dont leurs aînés décr
787
sistiblement chez un Français. (« Trouver le lieu
et
la formule », disait Rimbaud.) Elle ne se décante pas, reste immergée
788
t une recherche proprement romanesque, en images,
et
non pas illustrée après coup, sensible et non traduite en adjectifs,
789
images, et non pas illustrée après coup, sensible
et
non traduite en adjectifs, conduite avec une sympathie plus fascinée
790
niment cet ouvrage se poursuivent, se rapprochent
et
se manquent dans une espèce de tâtonnement aventureux qui est le mouv
791
la juxtaposition des faits, des lieux, des plans
et
des valeurs humaines y dégage une espèce de lyrisme « global », mais
792
aux, se trouble. Le monde qui encadrait nos actes
et
pensées et suffisait à leur fournir des repères coutumiers et pratiqu
793
uble. Le monde qui encadrait nos actes et pensées
et
suffisait à leur fournir des repères coutumiers et pratiques s’est él
794
t suffisait à leur fournir des repères coutumiers
et
pratiques s’est élargi aux dimensions de la planète. Que faire de ces
795
iétique condamne les clowns, les existentialistes
et
l’adultère. Quelle est donc son idée de la liberté ? Aux Indes les mu
796
la liberté ? Aux Indes les musulmans, les hindous
et
les princes ne s’accordent que sur un point, qui est de refuser les p
797
nant à une guerre sans merci entre le Kouomintang
et
l’armée communiste, qui n’est même pas soutenue par Moscou. Quelle es
798
’Anschluss économiques avec ses voisins immédiats
et
devient une puissance de premier plan. On croyait le fascisme abattu.
799
eux, qui ne modifie les conditions du jeu mondial
et
ne soit destiné à réagir, à plus ou moins longue échéance, sur le sor
800
e, sur le sort de chacune de nos nations d’Europe
et
sur nos vies individuelles. Il n’est pas un de ces faits qu’on puisse
801
sse analyser à l’aide de nos catégories de droite
et
de gauche sans glisser vers l’insanité ou révéler son ignorance. Il n
802
derniers sont centrés sur des questions de partis
et
de partis pris locaux et ancestraux nommés « doctrines », qui ont à p
803
des questions de partis et de partis pris locaux
et
ancestraux nommés « doctrines », qui ont à peu près les mêmes rapport
804
u’un combat de coqs avec le problème de la bombe.
Et
tout cela n’est que trop naturel. Il est parfaitement naturel que nou
805
rassembler ; car c’est la passion que nous aimons
et
l’affirmation de nos points de vue, et s’il fallait d’abord savoir le
806
ous aimons et l’affirmation de nos points de vue,
et
s’il fallait d’abord savoir les faits il n’y aurait plus moyen de cau
807
proprement parler de politique pratique, sérieuse
et
efficace, sinon dans le cadre planétaire. Hitler et le Japon l’ont dé
808
efficace, sinon dans le cadre planétaire. Hitler
et
le Japon l’ont démontré par leur échec, qui fut celui d’une dernière
809
d’une dernière tentative d’impérialisme national
et
autarcique niant la solidarité globale. Désormais nous savons qu’il y
810
globale. Désormais nous savons qu’il y a le monde
et
qu’il est un. Nous le savons théoriquement. Mais il nous faut encore
811
faut encore apprendre à le voir, puis à le sentir
et
à le penser naturellement. C’est ainsi que se formera cette opinion p
812
s de quatre ou cinq foyers continentaux de crises
et
de profondes contradictions internes. Leur lien n’est pas facile à di
813
ayons tout d’abord de les décrire. Voici l’URSS,
et
cette patrie de la révolution moderne est aussi celle qui manque le p
814
e est aussi celle qui manque le plus de liberté ;
et
cette puissance la plus redoutée est aussi celle qu’un rien enraye :
815
té à intégrer l’opposition. Voici les États-Unis,
et
cette patrie de la démocratie, c’est-à-dire de l’éducation et du civi
816
rie de la démocratie, c’est-à-dire de l’éducation
et
du civisme, découvre que ce sont précisément quelques-unes de ses bas
817
ues-unes de ses bases morales, son esprit civique
et
son système d’éducation qui sont en crise. Le divorce y devient une m
818
les instituteurs désertent leurs postes mal payés
et
sans avenir, l’État de Géorgie se donne deux gouverneurs rivaux, déma
819
erneurs rivaux, démasquant la faiblesse de la loi
et
la violence des préjugés de races… Et tout cela au moment précis où l
820
e de la loi et la violence des préjugés de races…
Et
tout cela au moment précis où l’Amérique du Nord se voit chargée de l
821
voit chargée de la conduite des affaires du monde
et
se dispose à exporter les principes de son way of life, qui se confon
822
t avec la santé même du genre humain, le bon sens
et
la démocratie… Voici l’Asie, les Indes et la Chine. Ces deux énormes
823
on sens et la démocratie… Voici l’Asie, les Indes
et
la Chine. Ces deux énormes blocs de 400 et de 450 millions d’habitant
824
Indes et la Chine. Ces deux énormes blocs de 400
et
de 450 millions d’habitants se voient enfin libérés de la tutelle et
825
d’habitants se voient enfin libérés de la tutelle
et
de l’exploitation occidentales : c’est pour inaugurer la guerre civil
826
en Chine entre l’armée des provinces communistes
et
Tchang Kaï-chek, cependant que l’inflation augmente et que le pays ma
827
hang Kaï-chek, cependant que l’inflation augmente
et
que le pays manque à peu près de tout après seize ans de guerre et d’
828
nque à peu près de tout après seize ans de guerre
et
d’invasion. À peine les Anglais ont-ils annoncé leur décision de se r
829
détiennent la majorité. Cependant que l’Indochine
et
que l’Indonésie en sont encore au stade préliminaire de la lutte pour
830
naguère était le plus orgueilleux des continents,
et
qui fait une grande crise de scepticisme et de manque de confiance en
831
ents, et qui fait une grande crise de scepticisme
et
de manque de confiance en soi, tandis que ses intellectuels découvren
832
uvrent subitement les sombres joies de l’humilité
et
les plaisirs plus lucides de l’angoisse. L’Europe patrie de l’inventi
833
L’Europe patrie de l’invention, du « système D »
et
de la réplique rapide, dont les ministres annoncent que c’est le froi
834
st le froid qui les oblige à rationner le charbon
et
l’électricité. L’Europe qui, à peine délivrée des tyrans et des dicta
835
ricité. L’Europe qui, à peine délivrée des tyrans
et
des dictatures, cesse de croire à la démocratie. L’Europe qui se donn
836
eule elle totalise plus d’habitants que la Russie
et
les États-Unis additionnés ! Ainsi la « drôle de paix » que nous vivo
837
, manque d’ordre politique en Asie, manque de foi
et
d’espoir en Europe. Je dis bien que notre paix repose sur ces manques
838
ces manques, qu’elle y trouve ses bases actuelles
et
ses garanties les plus sûres. Car ce sont les richesses d’autrui et n
839
es plus sûres. Car ce sont les richesses d’autrui
et
non ses maladies que l’on jalouse. Si l’un de ces quatre grands malad
840
la santé, il deviendrait impérialiste malgré lui
et
susciterait probablement la coalition des trois autres. Si la Russie
841
monde par la seule force de son utopie de justice
et
d’ordre social. Si l’Asie était moins anarchique elle dominerait un j
842
serait tentée d’abuser de ses avantages actuels.
Et
si l’Europe était moins abîmée, qui sait quelle arrogance elle ne ret
843
s de la pauvreté que montent les appels à l’union
et
que surgit l’utopie agissante. L’Organisation des Nations unies ne s’
844
ormée que pour répondre à l’appel de nos anxiétés
et
de nos manques. C’est grâce à eux et en eux seuls qu’elle a pris quel
845
nos anxiétés et de nos manques. C’est grâce à eux
et
en eux seuls qu’elle a pris quelque consistance. Elle se maintient pa
846
cerait encore plus dans sa névrose de scepticisme
et
de retrait. Elle se renforcera au cours des mois prochains parce que
847
ide (les deux parties des Indes l’annoncent déjà)
et
parce qu’elle représente pour les Américains ce symbole d’un avenir p
848
rôle. Ce sont nos quatre pauvretés qui nous lient
et
qui assurent notre paix provisoire. C’est d’elles que naît l’appel à
849
. C’est d’elles que naît l’appel à la fédération.
Et
si les hommes d’État qui se trouvent chargés d’administrer l’ONU ne l
850
n d’autres organes plus capables de l’enregistrer
et
de lui donner une forme et de le satisfaire. l. Rougemont Denis d
851
ables de l’enregistrer et de lui donner une forme
et
de le satisfaire. l. Rougemont Denis de, « Drôle de paix », Une S
852
e Semaine dans le monde, Paris, 7 juin 1947, p. 1
et
6.
853
ue, m’a dit : « C’est pour dissimuler sa pauvreté
et
sa faiblesse que l’URSS méfiante, s’entoure de secret… » (9 août 1947
854
bitants se préparent à porter le titre de docteur
et
vivent dans des châteaux néo-gothiques pleins de salles de bains : c’
855
maison de bois jaune entourée de gazon, de fleurs
et
d’arbres pleins d’oiseaux. C’est d’ici que partit, en 1939, la fameus
856
e, des joues grises creusées de profondes ravines
et
deux touffes de cheveux blancs en auréole. À le voir de tout près, je
857
bleu très ample, un pantalon de flanelle sans pli
et
des sandales. C’est le costume habituel des étudiants. Il m’apporte u
858
Il m’apporte un fauteuil de jardin près du sien.
Et
nous parlons de l’Amérique, dont Einstein est devenu citoyen. Il me d
859
ritable. Les gens d’ici sont cordiaux, serviables
et
surtout ils sont dépourvus de toute espèce d’inhibition sociale. Je v
860
le. En vingt-cinq ans, à travers la crise de 1929
et
la guerre, ils ont fait des progrès immenses vers le sérieux et vers
861
ils ont fait des progrès immenses vers le sérieux
et
vers la vraie culture. Toutefois, je m’étonne de la manière dont ils
862
sorte d’hystérie antirusse ? Méfiance russe
Et
je pense à part moi : nous y voici. N’ai-je pas entendu répéter ces d
863
enace dans chacun de nos mouvements. C’est fatal.
Et
cela durera tant qu’elle nous croira les plus forts. — Tant que la bo
864
-vous de ce délai de cinq ans qu’on cite partout,
et
qui serait nécessaire à la Russie pour fabriquer ses propres bombes ?
865
C’est pour cela qu’ils ont si peur des étrangers.
Et
non sans raison. Car, au cours actuel du dollar, il serait vraiment t
866
s préparatifs militaires proprement dits ? — Oui…
et
au sujet de n’importe quoi qui se passe aujourd’hui dans leurs fronti
867
tuation présente, c’est que les Russes se sentent
et
se savent les plus faibles, surtout par rapport aux États-Unis. Tout
868
ats-Unis. Tout ce qui vient de nous les inquiète,
et
ils se croient forcés de tout refuser. — Alors que faire ? — Je ne vo
869
observateurs qu’il leur plaira, officiels ou non.
Et
à la fin — car ils ne sont pas fous comme les nazis —, ils verront bi
870
ue leur avantage est d’y rentrer. La « bombe »
et
le monde… La nuit est venue. Nous passons dans un petit salon bien
871
la question. Mais soudain, Einstein m’interrompt
et
, de son air malicieux et bonhomme : « La bombe, dit-il, n’a pas chang
872
n, Einstein m’interrompt et, de son air malicieux
et
bonhomme : « La bombe, dit-il, n’a pas changé les conditions de la gu
873
devant sa résidence une arbre d’une espèce rare ;
et
comme le jardinier lui objectait que ces arbres-là prennent plus d’un
874
’a dit… », Paris Presse, Paris, 9 août 1947, p. 1
et
3.
875
. Avec cette simplicité propre aux grands esprits
et
cette parfaite courtoisie qui est la marque de l’homme bien né, M. de
876
rentré en Suisse il y a quelques mois seulement,
et
je compte m’installer à Ferney dans quelques jours. Avez-vous beaucou
877
vre en Amérique , j’ai publié La Part du diable
et
m’en vais sortir très prochainement Journal des deux mondes , dont l
878
age sur la Suisse, intitulé Le Cœur de l’Europe
et
dont il n’existe qu’une édition anglaise. Ce qu’on sait moins chez no
879
tre neutralité n’a pas toujours été bien comprise
et
que la presse n’a pas toujours été très tendre à notre égard. De cett
880
personnaliste a tiré sa doctrine de ses ouvrages
et
de ceux de quelques autres penseurs. Au Danemark, cette doctrine pers
881
demment en France, qu’elle a eu le plus de succès
et
qu’elle a trouvé peut-être le terrain le plus favorable. Ce mouvement
882
in, l’élément catholique, Berdiaef les orthodoxes
et
Aron les agnostiques. Comme dirait Péguy, c’était un rassemblement de
883
c’était un rassemblement de toutes les croyances
et
incroyances. Les membres de ce mouvement ont été dispersés par la gue
884
la guerre, certains étant morts, mais les idées —
et
c’est là l’essentiel — se sont répandues. En écoutant parler mardi so
885
ler une philosophie du fédéralisme aussi profonde
et
aussi originale. Nous avons posé la question à M. de Rougemont, qui n
886
simplement : De tout temps, j’ai été fédéraliste,
et
je me suis fait une philosophie qui cadre avec les institutions de no
887
ation européenne. Mais ce qui me paraît important
et
encourageant tout à la fois, c’est qu’on assiste au même phénomène qu
888
onstitution de 1848 fut proposée, écrite, adoptée
et
mise en pratique. En 1846, elle était encore une utopie. Trois ans pl
889
dans les années précédant 1848, était informulé,
et
qu’il a fallu la campagne de la Société helvétique et les écrits du d
890
u’il a fallu la campagne de la Société helvétique
et
les écrits du doyen Bridel pour que l’opinion publique prît enfin con
891
leurrer, il y a une crise du fédéralisme suisse.
Et
cette crise vient de ce que nous sommes entourés d’États-nations, qui
892
ssence même du fédéralisme que l’esprit théorique
et
les généralisations. D’autre part, j’ai toujours éprouvé de la répugn
893
la répugnance à séparer les valeurs spirituelles
et
leur incarnation dans les réalités humaines. J’essaierai donc de défi
894
raliste d’une manière indirecte, par implication,
et
je m’en tiendrai le plus possible à ses manifestations historiques, t
895
historiques, telles que nous pouvons les observer
et
les contrôler de très près dans une expérience bien connue : celle de
896
politique implique une certaine idée de l’homme,
et
contribue à promouvoir un certain type d’humanité, qu’on le veuille o
897
ent responsable : vis-à-vis de sa vocation propre
et
unique, d’une part, et d’autre part vis-à-vis de la communauté au sei
898
-vis de sa vocation propre et unique, d’une part,
et
d’autre part vis-à-vis de la communauté au sein de laquelle sa vocati
899
uver engagé du même coup dans le complexe social.
Et
aux collectivistes, nous rappelons que les conquêtes sociales ne sont
900
de sa vocation. L’homme est donc à la fois libre
et
engagé, à la fois autonome et solidaire. Il vit dans la tension entre
901
onc à la fois libre et engagé, à la fois autonome
et
solidaire. Il vit dans la tension entre ces deux pôles : le particuli
902
la tension entre ces deux pôles : le particulier
et
le général ; entre ces deux responsabilités : sa vocation et la cité
903
al ; entre ces deux responsabilités : sa vocation
et
la cité ; entre ces deux amours : celui qu’il se doit à lui-même et c
904
ces deux amours : celui qu’il se doit à lui-même
et
celui qu’il doit à son prochain — indissolubles. Cet homme qui vit da
905
ent trois types différents de régimes politiques,
et
sont en retour favorisés par eux. À l’homme considéré comme pur indiv
906
d un régime démocratique tendant vers l’anarchie,
et
débouchant dans le désordre, lequel prépare toujours la tyrannie. À l
907
Enfin, à l’homme comme personne, à la fois libre
et
engagé, et vivant dans la tension entre l’autonomie et la solidarité,
908
’homme comme personne, à la fois libre et engagé,
et
vivant dans la tension entre l’autonomie et la solidarité, correspond
909
gagé, et vivant dans la tension entre l’autonomie
et
la solidarité, correspond le régime fédéraliste. J’ajouterai une rema
910
juste milieu entre l’individu sans responsabilité
et
le soldat politique sans liberté. Car la personne, c’est l’homme réel
911
ans liberté. Car la personne, c’est l’homme réel,
et
les deux autres ne sont que des déviations morbides, des démissions d
912
La personne n’est pas à mi-chemin entre la peste
et
le choléra, mais elle représente la santé civique. Un homme qui boit
913
ente la santé civique. Un homme qui boit de l’eau
et
qui se lave n’est pas à mi-chemin entre celui qui meurt de soif et ce
914
est pas à mi-chemin entre celui qui meurt de soif
et
celui qui se noie. Et de même, le fédéralisme ne naîtra jamais d’un
915
re celui qui meurt de soif et celui qui se noie.
Et
de même, le fédéralisme ne naîtra jamais d’un habile dosage d’anarchi
916
me ne naîtra jamais d’un habile dosage d’anarchie
et
de dictature, de particularisme borné et de centralisation oppressive
917
anarchie et de dictature, de particularisme borné
et
de centralisation oppressive. Le fédéralisme est sur un autre plan qu
918
es, eux, sont dans le même plan, se conditionnent
et
s’appellent l’un et l’autre. C’est avec la poussière des individus ci
919
e même plan, se conditionnent et s’appellent l’un
et
l’autre. C’est avec la poussière des individus civiquement irresponsa
920
responsables que les dictateurs font leur ciment.
Et
nous avons pu voir, pendant la dernière guerre, que les résistances q
921
’homme sur laquelle nos travaux doivent se fonder
et
qu’ils ont pour but ultime de promouvoir, nous pouvons passer mainten
922
ant à une description plus concrète de l’attitude
et
des méthodes fédéralistes. ⁂ L’an dernier, aux Rencontres internation
923
urope n’a plus de choix qu’entre la balkanisation
et
l’helvétisation. Je suppose que Jaspers entendait par balkanisation l
924
sintégration de l’Europe en nationalismes rivaux,
et
par helvétisation au contraire, l’intégration fédérale des nations, r
925
renonçant au dogme de leur souveraineté absolue,
et
acceptant sous une forme ou sous une autre, une constitution commune.
926
urgissent aussitôt : « Tout cela, dit-on, est bel
et
bon pour un petit pays, mais n’est pas applicable aux grands. De plus
927
a fallu des siècles aux Suisses pour se fédérer,
et
nous avons besoin de solutions rapides. » À la deuxième objection, je
928
1848, au terme d’une crise d’assez courte durée,
et
en dépit d’une opposition très importante dans la population, doublée
929
onstitution de 1848 fut proposée, écrite, adoptée
et
mise en pratique. En 1846, elle était encore une utopie. Trois ans pl
930
ce que l’on répète sur la petitesse de la Suisse
et
sur l’impossibilité de transposer ses institutions à l’échelle contin
931
e vue cette expérience-témoin, concrète, typique,
et
particulièrement concluante. ⁂ Comme toutes les grandes idées, l’idée
932
lle est d’un type organique plutôt que rationnel,
et
dialectique plutôt que simplement logique. Elle échappe aux catégorie
933
ration, à l’alternance perpétuelle de la diastole
et
de la systole. La pensée fédéraliste ne projette pas devant elle une
934
rche au contraire le secret d’un équilibre souple
et
constamment mouvant entre des groupes qu’il s’agit de composer en les
935
oupes qu’il s’agit de composer en les respectant,
et
non point de soumettre les uns aux autres, ou d’écraser l’un après l’
936
re très clairement. En effet, les mots fédération
et
fédéralisme sont compris de deux manières très différentes par les Su
937
ères très différentes par les Suisses alémaniques
et
par les Suisses romands. En allemand, confédération se dit Bund, qui
938
d, confédération se dit Bund, qui signifie union,
et
qui évoque avant tout l’idée de centralisation. En Suisse romande, au
939
re simplement : rester libre chez soi. Or les uns
et
les autres ont tort, parce qu’ils n’ont qu’à moitié raison. Le vérita
940
inuellement rajusté entre l’autonomie des régions
et
leur union. Il consiste dans la composition perpétuelle de ces deux f
941
t, « Un pour tous » signifie l’élan des personnes
et
des régions vers l’union, tandis que « tous pour un » signifie l’aide
942
l’aide que l’union doit apporter à chaque région
et
à chaque personne. Il est infiniment probable que sur le plan europée
943
fédéralistes qui ne penseront qu’à faire l’union
et
à la renforcer, et nous aurons des fédéralistes préoccupés avant tout
944
e penseront qu’à faire l’union et à la renforcer,
et
nous aurons des fédéralistes préoccupés avant tout de sauvegarder les
945
ation contre les empiètements du pouvoir central.
Et
nous devrons constamment rappeler aux deux partis que le fédéralisme
946
amais le terme de fédéralisme, qu’ils l’ignorent,
et
qu’ils ne touchent que très rarement, et très vaguement, à l’idée féd
947
gnorent, et qu’ils ne touchent que très rarement,
et
très vaguement, à l’idée fédéraliste en soi. C’est peut-être parce qu
948
ais tout à l’heure, est à la fois simple à sentir
et
très délicate à formuler. Mais c’est peut-être aussi, et plus probabl
949
délicate à formuler. Mais c’est peut-être aussi,
et
plus probablement, parce qu’un sûr instinct les prévenait de rational
950
, que l’idée fédéraliste n’a pas cessé d’inspirer
et
de guider les démarches des meilleurs hommes d’État suisses, pendant
951
s certain que cette idée est demeurée informulée,
et
même soigneusement informulée, jusqu’à ce que la crise d’une guerre c
952
rre civile, en 1847, l’ait forcée à prendre forme
et
force de loi. Et ce n’est guère qu’au xxe siècle que les penseurs et
953
47, l’ait forcée à prendre forme et force de loi.
Et
ce n’est guère qu’au xxe siècle que les penseurs et sociologues se s
954
ce n’est guère qu’au xxe siècle que les penseurs
et
sociologues se sont mis à la commenter et à philosopher à son sujet.
955
enseurs et sociologues se sont mis à la commenter
et
à philosopher à son sujet. Jusqu’en 1848, elle allait sans dire, comm
956
comme la vie même ; elle était la vie du civisme
et
de la pratique politique des Suisses. C’est le défi que représente l’
957
à faire aujourd’hui la théorie de cette pratique,
et
qui la transforme en une sorte de programme, ou de manifeste vivant.
958
ns, de quatre langues, de vingt-deux républiques,
et
de je ne sais combien de « races » en un État qui les respecte, cette
959
prend l’allure à la fois d’un antiracisme déclaré
et
d’un antinationalisme. L’instinct contrecarré devient conscience ; la
960
formuler. Elle doit dire ce qui allait sans dire
et
qui alors n’en allait que mieux. Elle s’expose à son risque maximum :
961
Toutefois ce sentiment ne cessait pas de croître
et
de se renforcer dans la plupart des peuples. La guerre dont nous sort
962
le risque de ne susciter que des plans rationnels
et
des systèmes. C’est pour éviter ce piège autant que possible que je v
963
e tout empirique, ont formé la fédération suisse.
Et
je vais les choisir parmi ceux qui me paraissent applicables, immédia
964
contre lui, l’ont obligé à rentrer dans le rang,
et
l’union fédérale a marqué un progrès. Lors de la dernière crise grave
965
ve, la guerre civile de 1847 opposant catholiques
et
protestants, les vainqueurs n’ont eu rien de plus pressé que de rendr
966
rendre aux vaincus leur pleine égalité de droit.
Et
de cet acte de renoncement à l’hégémonie conquise, est résulté la con
967
ir l’attitude fédéraliste comme un refus constant
et
instinctif de recourir aux solutions systématiques, aux plans simples
968
ystématiques, aux plans simples de lignes, clairs
et
satisfaisant pour la logique, mais par là même infidèles au réel, vex
969
composer tant bien que mal ces réalités concrètes
et
hétéroclites que sont les nations, les régions économiques, les tradi
970
régions économiques, les traditions politiques ;
et
c’est les arranger selon leurs caractères particuliers, qu’il s’agit
971
articuliers, qu’il s’agit à la fois de respecter,
et
d’articuler dans un tout. Troisième principe. — Le fédéralisme ne co
972
ses yeux la minorité ne représente qu’un chiffre,
et
le plus petit. Pour le fédéraliste, il va de soi qu’une minorité puis
973
de d’élection du Conseil des États, mais surtout,
et
d’une manière beaucoup plus efficace, dans les coutumes de la vie pol
974
s efficace, dans les coutumes de la vie politique
et
culturelle, où l’on voit la Suisse romande et la Suisse italienne jou
975
que et culturelle, où l’on voit la Suisse romande
et
la Suisse italienne jouer un rôle sans proportion avec le chiffre de
976
ération n’a pas pour but d’effacer les diversités
et
de fondre toutes les nations en un seul bloc, mais au contraire, de s
977
réside dans ses diversités jalousement défendues
et
maintenues. De même, la richesse de l’Europe et l’essence même de sa
978
s et maintenues. De même, la richesse de l’Europe
et
l’essence même de sa culture seraient perdues si l’on tentait d’unifi
979
tentait d’unifier le continent, de tout mélanger,
et
d’obtenir une sorte de nation européenne, où Latins et Germains, Slav
980
obtenir une sorte de nation européenne, où Latins
et
Germains, Slaves et Anglo-Saxons, Scandinaves et Grecs, se verraient
981
nation européenne, où Latins et Germains, Slaves
et
Anglo-Saxons, Scandinaves et Grecs, se verraient soumis aux mêmes loi
982
et Germains, Slaves et Anglo-Saxons, Scandinaves
et
Grecs, se verraient soumis aux mêmes lois et coutumes, qui ne pourrai
983
aves et Grecs, se verraient soumis aux mêmes lois
et
coutumes, qui ne pourrait satisfaire aucun de ces groupes, et qui les
984
qui ne pourrait satisfaire aucun de ces groupes,
et
qui les brimerait tous. Si l’Europe doit se fédérer, c’est pour que c
985
s membres bénéficie de l’aide de tous les autres,
et
réussisse ainsi à conserver ses particularités et son autonomie, qu’i
986
et réussisse ainsi à conserver ses particularités
et
son autonomie, qu’il serait hors d’état de défendre seul contre la pr
987
aient que leur harmonie est une nécessité vitale,
et
non pas une concession qu’on leur demande, ou une diminution de leur
988
ne question de tolérance, vertu purement négative
et
qui naît le plus souvent du scepticisme. Chaque nation serait mise au
989
i de donner le meilleur d’elle-même, à sa manière
et
selon son génie. Après tout, le poumon n’a pas à « tolérer » le cœur.
990
un vrai poumon, d’être aussi poumon que possible,
et
dans cette mesure même, il aidera le cœur à être un bon cœur. Cinqui
991
térise l’esprit totalitaire. Je dis bien l’amour,
et
non pas le respect ou la tolérance. L’amour des complexités culturell
992
mour des complexités culturelles, psychologiques,
et
même économiques, telle est la santé du régime fédéraliste. Et ses pi
993
miques, telle est la santé du régime fédéraliste.
Et
ses pires ennemis sont ceux dont le grand Jakob Burckhardt annonçait
994
ctionnaires sont constamment rappelés au concret,
et
que nos législateurs sont obligés de garder un contact attentif avec
995
er un contact attentif avec les réalités humaines
et
naturelles du pays. La Suisse est formée d’une multitude de groupes e
996
. La Suisse est formée d’une multitude de groupes
et
d’organismes politiques, administratifs, culturels, linguistiques, re
997
s, religieux, qui n’ont pas les mêmes frontières,
et
qui se recoupent de cent manières différentes. Il est clair que des l
998
e ces groupes, tendraient à réduire leur variété,
et
mutileraient ainsi dans plusieurs de ses dimensions la personne même
999
e, de tirer des plans à la règle, dans un bureau,
et
de forcer ensuite leur exécution en écrasant tout ce qui résiste, ou
1000
nfiniment plus de soins, d’ingéniosité technique,
et
de compréhension des peuples qu’elle gouverne. Elle exige beaucoup pl
1001
r incapacité de les composer en un tout organique
et
vivant. Enfin, sixième principe : Une fédération se forme de proche e
1002
e de proche en proche, par le moyen des personnes
et
des groupes, et non point à partir d’un centre ou par le moyen des go
1003
roche, par le moyen des personnes et des groupes,
et
non point à partir d’un centre ou par le moyen des gouvernements. Je
1004
européenne se composer lentement, un peu partout,
et
de toutes sortes de manières. Ici, c’est une entente économique, là c
1005
nfessions voisines qui s’ouvrent l’une à l’autre,
et
là c’est un groupe de petits pays qui forment une union douanière. Et
1006
e de petits pays qui forment une union douanière.
Et
surtout, ce sont des personnes qui créent peu à peu des réseaux varié
1007
anges européens. Rien de tout cela n’est inutile.
Et
tout cela, qui paraît si dispersé, si peu efficace souvent, forme peu
1008
complexes, dessine les linéaments d’une ossature
et
le système des vaisseaux sanguins de ce qui deviendra un jour le corp
1009
jour le corps des États-Unis d’Europe. Au-dessous
et
au-dessus des gouvernements, l’Europe est beaucoup plus près de s’org
1010
n de l’action gouvernementale que les oppositions
et
les rivalités éclatent, et là seulement, elles sont irréductibles. Je
1011
le que les oppositions et les rivalités éclatent,
et
là seulement, elles sont irréductibles. Je ne pense pas que les gouve
1012
qu’avait tenté de faire la SDN, qui en est morte,
et
ce que tente à nouveau l’ONU, que cela empêche de vivre. La fédératio
1013
e du monde. La fédération sera l’œuvre de groupes
et
de personnes qui prendront l’initiative de se fédérer en dehors des g
1014
se fédérer en dehors des gouvernements nationaux.
Et
ce sont ces groupes et ces personnes qui formeront le gouvernement de
1015
s gouvernements nationaux. Et ce sont ces groupes
et
ces personnes qui formeront le gouvernement de l’Europe. Il n’y a pas
1016
t de l’Europe. Il n’y a pas d’autre voie possible
et
praticable. Les USA ne sont pas dirigés par une assemblée des gouvern
1017
ations sont gouvernées, au-dessus de leurs États,
et
en dehors d’eux, par un exécutif et un législatif issus des peuples.
1018
leurs États, et en dehors d’eux, par un exécutif
et
un législatif issus des peuples. Le jour où les peuples d’Europe auro
1019
s qu’ils sont en réalité beaucoup plus solidaires
et
plus unis que leurs gouvernements ne pourront jamais l’être, ils s’ap
1020
t non seulement possible, mais facile à réaliser,
et
rapidement, comme le fut celle des cantons suisses en 1848. La nécess
1021
’une charte fédérale, des organes représentatifs,
et
un dernier élan, une poussée populaire forçant la main aux gouverneme
1022
vernements. Souhaitons que cet élan soit spontané
et
non pas provoqué avant terme par une nouvelle menace extérieure. C’es
1023
udes humaines possibles. Ce ne sont pas la gauche
et
la droite, devenues presque indiscernables dans leurs manifestations.
1024
eurs manifestations. Ce ne sont pas le socialisme
et
le capitalisme, l’un tendant à se faire national et l’autre étatique.
1025
le capitalisme, l’un tendant à se faire national
et
l’autre étatique. Ce ne sont pas la Tradition et le Progrès, qui prét
1026
et l’autre étatique. Ce ne sont pas la Tradition
et
le Progrès, qui prétendent également défendre la liberté. Et ce ne so
1027
ès, qui prétendent également défendre la liberté.
Et
ce ne sont pas non plus la Justice et la Liberté, qu’il est aussi imp
1028
la liberté. Et ce ne sont pas non plus la Justice
et
la Liberté, qu’il est aussi impossible d’opposer en réalité qu’en pri
1029
débats à l’arrière-plan, il y a le totalitarisme,
et
il y a le fédéralisme. Une menace et une espérance. Cette antithèse d
1030
talitarisme, et il y a le fédéralisme. Une menace
et
une espérance. Cette antithèse domine le siècle. Elle est son véritab
1031
viens de les rappeler, s’opposent diamétralement
et
point par point, avec une étonnante précision, aux dogmes des totalit
1032
esprit de système, sur l’écrasement des minorités
et
des oppositions, sur l’unification forcée des diversités, sur la hain
1033
lexités vivantes, sur la destruction des groupes,
et
sur le mépris des vocations remplacées par une fiche de mobilisation
1034
fiche de mobilisation professionnelle, politique,
et
finalement militaire. Le totalitarisme est simple et rigide, comme la
1035
finalement militaire. Le totalitarisme est simple
et
rigide, comme la guerre, comme la mort. Le fédéralisme est complexe e
1036
uerre, comme la mort. Le fédéralisme est complexe
et
souple, comme la paix comme la vie… Et parce qu’il est simple et rigi
1037
t complexe et souple, comme la paix comme la vie…
Et
parce qu’il est simple et rigide, le totalitarisme est une tentation
1038
e la paix comme la vie… Et parce qu’il est simple
et
rigide, le totalitarisme est une tentation permanente pour notre fati
1039
pour notre fatigue, notre inquiétude, nos doutes
et
nos vertiges de démission spirituelle. L’esprit totalitaire n’est pas
1040
’il triomphe aujourd’hui dans une dizaine de pays
et
progresse plus ou moins rapidement dans tous les autres ; mais surtou
1041
Nous n’arriverons à rien de bon, dans nos efforts
et
nos débats pour promouvoir l’Europe unie, si nous ne restons pas en g
1042
talitaires qui peuvent affecter nos esprits, même
et
surtout quand nous parlons de fédéralisme. Si au contraire, à la fave
1043
t durer, c’est aux fédéralistes qu’elle le devra,
et
à eux seuls. Sur qui d’autre peut-elle compter ? Elle ne doit pas com
1044
peu qui aient l’intention de le laisser limiter,
et
c’est pourtant ce que nous leur demandons. Tous les gouvernements ont
1045
t un penchant marqué à persévérer dans leur être,
et
même à lui survivre aussi longtemps que possible avec l’appui de la p
1046
un penchant irrésistible à devenir totalitaires.
Et
ce n’est point que leurs hommes d’État soient particulièrement bêtes
1047
is leur fonction leur interdit de céder un pouce,
et
dans l’état présent de l’opinion et des rivalités des partis, ils cou
1048
der un pouce, et dans l’état présent de l’opinion
et
des rivalités des partis, ils courraient le risque d’être accusés de
1049
même de leur nation, mais à son caractère absolu.
Et
c’est l’agitation de l’opinion et des peuples dans toute l’Europe qui
1050
ractère absolu. Et c’est l’agitation de l’opinion
et
des peuples dans toute l’Europe qui les poussera. De cette agitation,
1051
t tous les fédéralistes, dans la conviction sobre
et
ferme que, cette fois-ci, on ne nous laisserait plus le temps de rate
1052
ale déliquescente » des romans français modernes,
et
l’accusent de « saper les fondements du mariage et de la famille ». M
1053
t l’accusent de « saper les fondements du mariage
et
de la famille ». Mais il est hasardeux de parler de la « conception c
1054
tienne de l’amour » comme d’une chose bien connue
et
qui va de soi. Avant de la déclarer périmée, il serait normal d’en pr
1055
ce, de la distinguer des conceptions bourgeoises,
et
plus profondément des conceptions manichéennes introduites au xiie s
1056
s introduites au xiie siècle par les troubadours
et
le roman de Tristan. Il faudrait au moins distinguer amour et sexuali
1057
de Tristan. Il faudrait au moins distinguer amour
et
sexualité. Il n’est pas exact de dire, par exemple, que « l’homme pri
1058
xact de dire, par exemple, que « l’homme primitif
et
l’homme civilisé (maintiennent) l’amour sous la tutelle d’une éthique
1059
’était jamais l’amour au sens où nous l’entendons
et
qu’ils ignoraient totalement, mais les rapports sexuels. Maintenant,
1060
cela ne repose sur la confusion des termes amour
et
sexualité. En fait, je ne connais pas une seule loi, dans un seul pay
1061
oute libération humaine. Il est la liberté même. (
Et
quant à ceux qui croient que c’est la haine qui libère, ils croient a
1062
anxiété de l’orgueil tournée en méfiance d’autrui
et
mépris de soi-même. Pour libérer l’amour, aimez ! C’est le seul moyen
1063
our libérer l’amour, aimez ! C’est le seul moyen,
et
cela suffira. Les sages et les saints de tous les temps sont avec vou
1064
! C’est le seul moyen, et cela suffira. Les sages
et
les saints de tous les temps sont avec vous pour affirmer la Liberté
1065
t avec vous pour affirmer la Liberté dans l’Amour
et
par l’Amour. Cet idéal n’est pas seulement « souhaitable » comme le s
1066
ellence de tout ce qui mérite le nom d’homme. Ama
et
fac quod vis, dit saint Augustin. « C’est l’amour qui nous rendra la
1067
é », dit la chanson. Mais il arrive que les voies
et
moyens que nous imaginons pour le réaliser — religions, éthiques, pol
1068
peut s’enflammer sur des slogans d’émancipation,
et
justifier après quelques années et au nom de ces mêmes slogans, la di
1069
’émancipation, et justifier après quelques années
et
au nom de ces mêmes slogans, la dictature policière. Cela s’est vu. C
1070
ns pas capable de le résoudre en quelques lignes,
et
je ne vois pas très bien, je l’avoue, quel sens aurait ici une « pris
1071
s pour en esquisser une, partielle, dans L’Amour
et
l’Occident .) Quant au problème sexuel, c’est une tout autre affaire.
1072
. La liberté dans la sexualité, nous en jouissons
et
nous en souffrons plus que toute autre civilisation connue. C’est la
1073
leur guise, jouissent des mêmes droits politiques
et
économiques que les autres. D’une manière générale, les sanctions dan
1074
déflorer les vierges par des personnages sacrés,
et
d’une manière générale ne toléraient aucune fantaisie individuelle da
1075
dans ce domaine. C’est précisément l’existence —
et
non l’absence de la liberté sexuelle parmi nous qui pose un problème
1076
uant d’une tricherie que toutes nos modes, romans
et
films favorisentf. Si l’on estime au contraire, comme je le fais, que
1077
e fais, que nous vivons dans le chaos, l’amertume
et
la contradiction, il nous faut rétablir une éthique, c’est-à-dire rec
1078
t-à-dire recréer des tensions entre la « nature »
et
un ordre, ou plus exactement : entre nos instincts déréglés et les rè
1079
ou plus exactement : entre nos instincts déréglés
et
les règles d’un jeu nouveau. Quel jeu ? Quelles règles ? Sujet d’autr
1080
La balance n’est pas égale entre les États-Unis
et
l’URSS (8 novembre 1947)q L’anecdote circulait à New York ce print
1081
les stations flambant neuves du métro de Moscou,
et
son guide soviétique l’invite à admirer. « Très beau, dit notre Améri
1082
man impose à l’Europe la lecture de Henry Miller,
et
ce dernier qui est « le plus rusé de tous » écrit ce qu’il faut pour
1083
Qu’on ne rie pas : il s’agit de « dialectique ».
Et
qu’on ne hausse pas les épaules : il s’agit d’un retour en force de l
1084
eine si les termes ont changé depuis que Goebbels
et
Gaida insultaient les Yankees barbares.) Tout le raisonnement de L’Hu
1085
re que ce qu’on publie dans un pays donné ne peut
et
ne doit servir que le parti au pouvoir. Ainsi, Faulkner, Hemingway et
1086
e le parti au pouvoir. Ainsi, Faulkner, Hemingway
et
Miller, nolens volens, servent Truman (même s’ils ont écrit sous Roos
1087
même s’ils ont écrit sous Roosevelt). Mais alors,
et
pour les mêmes raisons, le succès en Europe occidentale de Tolstoï et
1088
isons, le succès en Europe occidentale de Tolstoï
et
Dostoïevsky devrait être mis au crédit des sombres desseins du tsaris
1089
mis au crédit des sombres desseins du tsarisme ?
Et
, de même, l’insuccès notoire de la littérature soviétique serait le f
1090
dacteurs de L’Humanité s’imaginent servir la paix
et
la justice en embrouillant tout, au nom de fleur dialectique. Pour ma
1091
res que décrivent ses Tropiques, publiés à Paris,
et
interdits en Amérique. Ensuite, il est notoirement faux et ridicule d
1092
its en Amérique. Ensuite, il est notoirement faux
et
ridicule d’accuser les éditeurs américains de « tirer parti » du pess
1093
nt de l’argent aux US sont les romans historiques
et
les romans religieux, qui tirent souvent à un million et plus ; 4° Le
1094
romans religieux, qui tirent souvent à un million
et
plus ; 4° Les droits de traduction d’un de ces romans ne représentent
1095
rique ; 5° Les œuvres « pessimistes » de Faulkner
et
surtout de Miller, loin d’être des best-sellers, tirent à 5 ou 20 000
1096
Lewis Douglas, de Betty Smith, de Betty McDonald,
et
d’une trentaine de romanciers dont l’Europe ne connaît même pas les n
1097
, mais non pas Truman qui s’occupe d’autre chose,
et
dont la politique a autant de rapports avec les vomissements décrits
1098
caine avec ce qu’en écrit un stalinien. Ceci dit,
et
les arguments de L’Humanité proprement balayés dans le ruisseau, auqu
1099
cièrement déplaisants : la dictature de l’argent,
et
celle du grand public, c’est-à-dire du simplisme qu’on baptise opinio
1100
la dictature de l’argent aux USA, tout a été dit,
et
les cent anecdotes personnelles que je pourrais verser au dossier n’a
1101
hypocrite dans ce domaine, les éditeurs de livres
et
de revues demandent avant tout d’un écrit qu’il se vende. On m’assure
1102
ssure que l’éditeur d’Ambre fit savoir à la jeune
et
jolie femme qui en est l’auteur qu’il jugeait l’ouvrage très mauvais,
1103
c l’éduquer, concluent les moralistes américains.
Et
pour cela, donnons-lui des Digests où, sous une forme assimilable et
1104
ns-lui des Digests où, sous une forme assimilable
et
simplifiée, il trouvera le meilleur de ce qui s’écrit chez nous. Et q
1105
trouvera le meilleur de ce qui s’écrit chez nous.
Et
que lui donne-t-on, dans le fait ? D’excellents articles sur l’hygièn
1106
upéry, de John Gunther ; des anecdotes frappantes
et
loufoques à souhait ; de l’optimisme, encore de l’optimisme, et une c
1107
souhait ; de l’optimisme, encore de l’optimisme,
et
une confiance sérieusement motivée dans les destins de l’Amérique. No
1108
de l’Amérique. Nous voici loin des « turpitudes »
et
de la résignation morbide dénoncées par L’Humanité. Mais dans la mesu
1109
our éduquer le grand public, cherche à le séduire
et
lui fait trop de concessions, ce qui rapporte une quantité de dollars
1110
marquer les points, les mauvaises notes à droite
et
à gauche, d’un air sceptique. Nous dénonçons l’abus flagrant des méth
1111
its malins qui refusent de choisir entre la peste
et
le choléra, entre les blocs. Nous tenons la balance égale… ⁂ Eh bien
1112
, hélas ! réelles, peuvent encore être dénoncées,
et
le sont chaque jour avec une force, une pertinence, une cruauté qu’au
1113
liberté d’esprit que l’Europe ne peut qu’envier,
et
qui épouvanterait les staliniens. La balance n’est pas égale. Car ce
1114
it, ce sont bien moins les tentations de l’argent
et
du succès vulgaire que les habitudes de mensonge en service commandé
1115
occasions plus marquantes, je veux parler de 1917
et
de 1942, et alors elle fut bien le fait de la volonté du peuple améri
1116
us marquantes, je veux parler de 1917 et de 1942,
et
alors elle fut bien le fait de la volonté du peuple américain et de l
1117
ut bien le fait de la volonté du peuple américain
et
de la politique de ses chefs. q. Rougemont Denis de, « La balance
1118
« La balance n’est pas égale entre les États-Unis
et
l’URSS », Le Figaro littéraire, Paris, 8 novembre 1947, p. 1-2.
1119
ffit de grouper pour qu’elles parlent clairement,
et
d’ordonner pour qu’un mot d’ordre s’en dégage. Quelques faits La
1120
rd sur le milieu nouveau, sur les périls certains
et
les bienfaits possibles instaurés par sa propre science. L’homme mode
1121
quand le jeu des forces réelles est international
et
opère à l’échelle des continents. Il pense encore en kilomètres, sépa
1122
monde. En 1939 il y avait en présence l’Allemagne
et
les démocraties : tout se passait entre nous, Européens, nous sention
1123
asse en dehors de nous, tout nous menace ensemble
et
nous pousse à l’union. Séparés, isolés, nous serons colonisés. Ensemb
1124
s deux Grands additionnés. Ils baisseront le ton,
et
l’on pourra parler. Notre vocation Qu’aurons-nous donc à dire d
1125
, de discipline d’acier (c’est le nom de Staline)
et
de diplomatie à coups de marteau (c’est le nom choisi par Molotov). N
1126
s électoral dans les pays où il est le plus fort,
et
qui ne peut faire notre unité que sur nos ruines, par l’occupation ru
1127
unité que sur nos ruines, par l’occupation russe,
et
dans les camps. À l’égard de l’Amérique notre refus, pour être beauco
1128
iellement, elle a besoin de nous spirituellement,
et
si son aide économique nous trouvait complaisants ou serviles dans le
1129
omplaisants ou serviles dans le domaine des mœurs
et
de la culture elle y perdrait autant que nous. L’Europe a dépassé le
1130
n rôle est d’inventer un régime neuf, plus souple
et
plus humain que la dictature russe, mais guéri de l’obsession de l’ar
1131
régime qui traduise en politique, dans l’économie
et
les mœurs, l’idée de l’homme commune aux peuples de l’Europe : ni l’i
1132
que sans droits, mais la personne à la fois libre
et
engagée, l’homme qui sait ce qu’il se doit et ce qu’il doit aux autre
1133
bre et engagée, l’homme qui sait ce qu’il se doit
et
ce qu’il doit aux autres. Voilà ce que cherchent dans tous nos pays l
1134
s meilleures têtes, j’entends les moins sectaires
et
les plus réalistes : cet équilibre souple et sans cesse rajusté entre
1135
ires et les plus réalistes : cet équilibre souple
et
sans cesse rajusté entre deux exigences contradictoires mais égalemen
1136
nt essentielles à la vie, qui s’appellent l’unité
et
la diversité, la sécurité et le risque, la vie privée et le service p
1137
s’appellent l’unité et la diversité, la sécurité
et
le risque, la vie privée et le service public, la centralisation et l
1138
iversité, la sécurité et le risque, la vie privée
et
le service public, la centralisation et la libre entreprise, l’un pou
1139
ie privée et le service public, la centralisation
et
la libre entreprise, l’un pour tous et le tous pour un. Voilà la voca
1140
ralisation et la libre entreprise, l’un pour tous
et
le tous pour un. Voilà la vocation de l’Europe. Or il est clair qu’au
1141
est en mesure de la réaliser pour son seul compte
et
sans échanges. Aucune n’est assez riche et assez forte pour réussir s
1142
compte et sans échanges. Aucune n’est assez riche
et
assez forte pour réussir sans ses voisins, ou pour résister seule aux
1143
ou pour résister seule aux pressions impériales.
Et
l’idée de coopération qui serait au cœur de ce régime social, et qui
1144
opération qui serait au cœur de ce régime social,
et
qui inspire partout sa recherche, ne saurait s’arrêter aux frontières
1145
si clairement inscrit dans les données du siècle
et
si lisible aux meilleures volontés qu’il ne puisse provoquer d’opposi
1146
se cantonnent dans le double refus de l’Amérique
et
de la Russie, qu’ils y ajoutent un troisième refus, celui de l’Europe
1147
ire cela, ou comme cela. Mais certains le pensent
et
finissent par le dire, d’une manière un peu différente : « Vous y cro
1148
gens ont une peur bleue de passer pour utopistes
et
d’avoir l’air de croire un peu à quelque chose) se cachent en réalité
1149
ois formes de sabotage : nationalisme, défaitisme
et
stalinisme. Le nationalisme n’est en fait qu’une crispation de névros
1150
st fatale ; inutile de rien faire en l’attendant,
et
surtout pas quelque chose qui l’empêche ! Enfin le stalinisme a décré
1151
répondent en tirant le rideau de fer, s’enferment
et
crient qu’on les empêche d’entrer, qu’on les exclut, qu’on fait un bl
1152
r, les défaitistes auront perdu comme il se doit,
et
les nationalistes feront l’opposition indispensable à tout régime dém
1153
discipline aveugle à ceux qui cherchent un ordre,
et
le camp de concentration à ceux qui rêvent encore de restaurer le sen
1154
is la guerre qu’ils avaient eux-mêmes déclenchée.
Et
nous savons pourtant que nous sommes plus libres qu’eux, et plus sage
1155
vons pourtant que nous sommes plus libres qu’eux,
et
plus sages que les Américains. Mais nous restons les bras ballants, r
1156
ous restons les bras ballants, regardant à droite
et
à gauche comme s’il n’y avait rien devant nous. Quand le monde attend
1157
nd le monde attend de nous l’invention pacifiante
et
la formule d’un ordre neuf… Où irons-nous ? Seul le fédéralisme ouvre
1158
Suisse — les vieux conflits de races, de langues
et
de religions sclérosés dans le nationalisme et le problème des minori
1159
es et de religions sclérosés dans le nationalisme
et
le problème des minorités. Et surtout il peut dépasser l’opposition
1160
ns le nationalisme et le problème des minorités.
Et
surtout il peut dépasser l’opposition chaque jour moins convaincante
1161
onvaincante d’une gauche qui défend la contrainte
et
d’une droite qui revendique les libertés : le but, l’essence de la pe
1162
s je ne sais quel groupement de doubles négations
et
de demi-mesures — c’est l’Europe fédérée devant les deux empires. C’e
1163
joignant le xixe siècle, pour en prendre la tête
et
inventer l’avenir. C’est le fédéralisme, qui veut que la Terre promis
1164
de ta chance ou la cadence de ta grâce. Le risque
et
l’isolement nous rendent à l’enfance, parce qu’ils nous livrent aux m
1165
entir unique, c’est la superstition fondamentale.
Et
les autres s’ensuivent aisément, comme le corps quand la tête a passé
1166
est une voie qui n’est tracée que pour moi seul,
et
que seul je pourrai deviner comme on fait un poème, ou plutôt : comme
1167
es pas qui la suivent. (Par toute autre voie sûre
et
connue, où que j’arrive, je me perdrais en route.) Dans l’insignifia
1168
ute.) Dans l’insignifiance d’une vie où l’argent
et
la guerre sont seuls à organiser la cohue, le superstitieux simplemen
1169
elle est un peu moins apparence que tout le reste
et
un peu plus apparition. Certains soirs, il descend lentement son esca
1170
son escalier, passe le seuil, s’arrête un moment,
et
commence à longer la rue. Son allure ne saurait tromper. C’est la pui
1171
deux rues, c’est New York, dont la somme donne 6
et
le produit 9 — le démoniaque et le divin, pour lui — et ce sont la Si
1172
la somme donne 6 et le produit 9 — le démoniaque
et
le divin, pour lui — et ce sont la Sixième Avenue et la Neuvième Rue,
1173
produit 9 — le démoniaque et le divin, pour lui —
et
ce sont la Sixième Avenue et la Neuvième Rue, justement — s’il y pens
1174
le divin, pour lui — et ce sont la Sixième Avenue
et
la Neuvième Rue, justement — s’il y pense, il est dans le jeu. Dans u
1175
ense, il est dans le jeu. Dans un état signifiant
et
rythmé. Il ne voit plus l’échelle ni le chat noir à gauche, les cheva
1176
ntendre parce qu’elle résout sa dissonance intime
et
l’introduit dans l’harmonie de son destin. Cherchant ce qui ne vibre
1177
n destin. Cherchant ce qui ne vibre qu’à lui-même
et
révèle un accord instant, il marche au son, comme les grands appareil
1178
hauteurs. ⁂ Que chacun donc découvre ses symboles
et
la voie que lui seul peut frayer pour s’approcher des mystères commun
1179
nouveau ! Dans les jeux, rêves de la conscience,
et
dans les rêves, jeux de l’inconscient, on a vite fait d’en dresser le
1180
: tout se ramène à quelques personnages constants
et
à des formes géométriques — rois et reines, châteaux et enceintes, so
1181
ges constants et à des formes géométriques — rois
et
reines, châteaux et enceintes, soldats ou pions ; cercles, quadrilatè
1182
es formes géométriques — rois et reines, châteaux
et
enceintes, soldats ou pions ; cercles, quadrilatères, spirales et cro
1183
ldats ou pions ; cercles, quadrilatères, spirales
et
croix ; l’Anima femme sauvage, désirable et fuyante, et le Vieillard
1184
rales et croix ; l’Anima femme sauvage, désirable
et
fuyante, et le Vieillard qui juge, tous les deux sans visage… Il semb
1185
ix ; l’Anima femme sauvage, désirable et fuyante,
et
le Vieillard qui juge, tous les deux sans visage… Il semble que ces f
1186
us les deux sans visage… Il semble que ces formes
et
figures soient presque seules à définir le pouvoir d’illustrer les me
1187
ils règlent la circulation entre les profondeurs
et
la surface manifeste. ⁂ Je ne parlais que des Grands Rêves et des vra
1188
e manifeste. ⁂ Je ne parlais que des Grands Rêves
et
des vrais jeux. Bien entendu, pour l’usage quotidien, comme pour le t
1189
ens des signes. ⁂ Quand tout se ferme devant moi,
et
que rien ne m’indique plus comment agir et comment sortir de l’impass
1190
t moi, et que rien ne m’indique plus comment agir
et
comment sortir de l’impasse, je tire les cartes, j’accepte le clin d’
1191
ur mes assises inconscientes, si la raison hésite
et
là où elle se tait. Car d’une part les signes que j’accueille ont bie
1192
mythe, à quoi s’ordonnent les hasards apparents,
et
des structures de laquelle ils me permettent de repérer certains liné
1193
: signes enregistrés de l’inconscient collectif,
et
tenant lieu de raisons lorsque la raison cale. ⁂ Le superstitieux exp
1194
ous ne retenez que les coïncidences, prémonitions
et
prédictions heureuses, une sur dix, comme la loi du hasard nous autor
1195
dix, comme toutes vos expériences de laboratoire.
Et
comme vous, je ne retiens que le dixième, qui donne un sens. Mais les
1196
de toute nécessité par le Destin ? Erreur commune
et
dont il faut rougir. Il n’y a pas de hasard, mais pourtant nous somme
1197
plus ou moins clairement ; des portes se ferment
et
se rouvrent ; mon oreille est plus ou moins fine ; je m’oriente ou me
1198
ins de limaille, nous sommes aimés par un destin.
Et
parfois il nous traite avec indifférence, parfois nous blesse, parfoi
1199
’une dictature anonyme. J’imagine un destin actif
et
joueur. Arrêtez-vous un moment, je vous prie, devant cette nouveauté
1200
ance que reposent les vœux, incantations, magie —
et
la prière ? « Croire », disait Kierkegaard, « que Dieu peut à tout in
1201
e superstitieux, parce que tout amour est unique,
et
doit donc inventer ses signaux, indices, repères et mesures. La scien
1202
doit donc inventer ses signaux, indices, repères
et
mesures. La science se tait, ou dit avec tout le monde, depuis trois-
1203
depuis trois-cent-mille ans qu’il y a des hommes
et
qui aiment : « Question de peaux. » Nous en sommes là. On avancerait
1204
mme un souvenir perdu, comme un rêve qui sombrait
et
que je ramène sur la berge du réveil par une touffe de cheveux, par l
1205
une touffe de cheveux, par la main… Il se débat,
et
pour un peu, m’entraînait dans sa mort naissante. » Poésie et superst
1206
eu, m’entraînait dans sa mort naissante. » Poésie
et
superstition : elles ont mêmes lois, mêmes incertitudes, mêmes échecs
1207
ont mêmes lois, mêmes incertitudes, mêmes échecs
et
mêmes réussites. Et les mêmes trucs aussi, souvent vulgaires. Le poèt
1208
es incertitudes, mêmes échecs et mêmes réussites.
Et
les mêmes trucs aussi, souvent vulgaires. Le poète croit que 12 sylla
1209
n beau soir le beau vers accourt sur douze pieds,
et
la femme est au rendez-vous. (Allez répéter cela devant un jury ! All
1210
xige leur coutume. Pourtant, c’est vrai.) ⁂ Bonne
et
mauvaise superstition, comme il y a bonne et mauvaise poésie. Ajouton
1211
onne et mauvaise superstition, comme il y a bonne
et
mauvaise poésie. Ajoutons que le vrai superstitieux se moque des supe
1212
des superstitions comme le vrai poète des sujets
et
des mots poétiques : ni plus ni moins. L’un et l’autre en joue, et s’
1213
ts et des mots poétiques : ni plus ni moins. L’un
et
l’autre en joue, et s’en jouent. t. Rougemont Denis de, « Notes su
1214
ques : ni plus ni moins. L’un et l’autre en joue,
et
s’en jouent. t. Rougemont Denis de, « Notes sur la voie clandestin
1215
là, au dernier étage, dans un petit bureau étroit
et
blanc comme une cellule de moine, tout embrumé par la fumée des pipes
1216
s, que je rencontre, conversant avec Brice Parain
et
le Père Bruckberger, Denis de Rougemont. Il laisse ses interlocuteurs
1217
nchés sur les bonnes feuilles du Cheval de Troie,
et
m’entraîne dans un bar voisin. Musique en sourdine, lumières tamisées
1218
Dans un coin ombreux, Jean-Paul Sartre, Koestler
et
Simone de Beauvoir s’entretiennent fiévreusement du sort de l’Europe.
1219
t dans la rue, l’aurais-je pris pour un homme dur
et
violent. Mais, à l’entendre parler, comment sa pondération, sa généro
1220
ravité. Souvent un sourire accompagne son propos,
et
son regard s’éclaire d’une lueur qu’il me faut bien qualifier de « my
1221
équences générales des découvertes particulières,
et
aux liaisons humaines qu’elles affectent. C’est un intellectuel. Un
1222
il pas instaurer une Politique de la personne ?
Et
, pour mieux préciser encore sa position, ne nous invita-t-il pas, rep
1223
gemont. J’ai fait des études de lettres en Suisse
et
en Autriche, à Vienne. J’ai voyagé en Allemagne et en Hongrie. Pendan
1224
t en Autriche, à Vienne. J’ai voyagé en Allemagne
et
en Hongrie. Pendant un temps, je fus lecteur de français à l’Universi
1225
n 1931, je vins en France ; j’ai vécu en province
et
à Paris, collaborant à Esprit , à L’Ordre nouveau , fondant la mais
1226
os. Nous y défendions la théologie existentielle,
et
les noms de Heidegger, de Kierkegaard, revenaient souvent sous notre
1227
op parfait, cette ambiance d’innocence, de sports
et
d’ombres vertes », que demeurait Albert Einstein, l’inventeur de la b
1228
ait sous mes fenêtres. Il portait un sweater bleu
et
un pantalon de flanelle, comme les étudiants de l’Université. Un soir
1229
ant, c’était bien Einstein. Il avait lu mon livre
et
désirait me connaître. Je me rendis chez lui, dans une maison de bois
1230
maison de bois jaune entourée de gazon, de fleurs
et
d’arbres pleins d’oiseaux. Il s’avança vers moi, souriant de ses gros
1231
e, des joues grises creusées de profondes ravines
et
deux touffes de cheveux blancs en auréole. Il me fit asseoir près de
1232
t asseoir près de lui dans un fauteuil de jardin,
et
nous nous mîmes à parler de l’Amérique, de la Russie et de la bombe a
1233
s nous mîmes à parler de l’Amérique, de la Russie
et
de la bombe atomique. Avez-vous eu l’impression qu’Einstein se sentai
1234
e, même sans lui, le secret aurait été découvert,
et
que par conséquent… « La bombe, m’a-t-il dit, n’a pas changé les cond
1235
question même de la guerre qui se trouve posée. »
Et
de la Russie que pense-t-il ? Pour lui, les Russes se savent et se se
1236
e que pense-t-il ? Pour lui, les Russes se savent
et
se sentent les plus faibles, surtout en face de l’Amérique. S’ils se
1237
avantage n’est pas de s’y opposer perpétuellement
et
en vain, mais d’y entrer. Je n’interrogerai pas Denis de Rougemont su
1238
a consacré de nombreux articles dans des journaux
et
des revues de France et de Suisse — articles qu’il a d’ailleurs rasse
1239
rticles dans des journaux et des revues de France
et
de Suisse — articles qu’il a d’ailleurs rassemblés en un volume sous
1240
nte, Cervantès, Swift, Voltaire, Rousseau, etc. ?
Et
Calvin ! Mais La Fontaine, Racine ?… À leur époque, ils accomplirent
1241
ur métier d’écrivain comme alors on le concevait.
Et
c’est cela qui me semble essentiel. Ils n’étaient pas des inadaptés c
1242
, par exemple. Voyez Nietzsche, voyez Baudelaire,
et
Kierkegaard, dont toute l’œuvre n’est qu’immense effort pour atteindr
1243
e n’est qu’immense effort pour atteindre les gens
et
qui est mort — oui, littéralement — qui est mort de cela. Ils demeurè
1244
éelle entre l’écrivain d’une part, la bourgeoisie
et
les masses en formation de l’autre. Aujourd’hui, c’est le besoin vita
1245
sse près de Denis de Rougemont, lui serre la main
et
l’entretient d’un petit restaurant où ils avaient l’habitude de se re
1246
nds écrivains français contemporains, c’est Camus
et
Simone de Beauvoir. » N’était-ce pas là façon de se désigner soi-même
1247
er des ruines, mais de découvrir un monde nouveau
et
de l’organiser. Tout est à recréer. Ils n’ont encore rien à dire, ou
1248
nsformées pour autant. Voilà pourquoi ce sont eux
et
eux seuls qu’on entend, ou du moins qu’on écoute. Les autres n’en son
1249
as être sans influence profonde sur leurs pensées
et
leur œuvre. Enfin, nous en venons à parler de l’Europe. Je suis profo
1250
un. Cela signifie d’une part l’élan des personnes
et
des régions vers l’union, et, d’autre part, l’aide que l’union doit a
1251
l’élan des personnes et des régions vers l’union,
et
, d’autre part, l’aide que l’union doit apporter à chaque région et à
1252
l’aide que l’union doit apporter à chaque région
et
à chaque personne. Au mois d’août dernier, au congrès de l’Union euro
1253
és (car ce qui compte pour lui, c’est la qualité,
et
non la quantité comme dans le totalitarisme) ; il a pour base la sauv
1254
province. Il repose sur l’amour de la complexité.
Et
, ce qui est non moins important, il se forme de proche en proche, par
1255
e de proche en proche, par le moyen des personnes
et
des groupes, et non point à partir d’un centre ou par le moyen des go
1256
roche, par le moyen des personnes et des groupes,
et
non point à partir d’un centre ou par le moyen des gouvernements. C’e
1257
bsence de présence au monde. Tout comme la guerre
et
la mort, il est simple et rigide. Le fédéralisme, au contraire, est c
1258
e. Tout comme la guerre et la mort, il est simple
et
rigide. Le fédéralisme, au contraire, est complexe et souple comme la
1259
igide. Le fédéralisme, au contraire, est complexe
et
souple comme la paix, comme la vie. Il ne faut pas avoir peur de ces
1260
ntrer. Bientôt, Denis de Rougemont quittera Paris
et
s’installera à Ferney, à l’ombre de Voltaire, l’un de ses maîtres. Là
1261
a, de Kierkegaard, de Luther, de Gide, de Claudel
et
de Ramuz. Ensuite, il publiera son Journal des deux mondes , des ess
1262
Le nœud gordien » — textes qu’il écrivit entre 20
et
40 ans. Mais son plus important projet est de composer une morale qu’
1263
s nous disent que le choix est fatal entre l’URSS
et
les USA, et les autres refusent le choix parce qu’il mènerait fatalem
1264
t que le choix est fatal entre l’URSS et les USA,
et
les autres refusent le choix parce qu’il mènerait fatalement à la gue
1265
premiers, l’Europe n’est plus rien par elle-même
et
devrait s’attacher au plus vite soit au bloc russe soit au dollar amé
1266
roclament qu’ils ne choisiront pas entre la peste
et
le choléra et qu’ils tiennent la balance égale entre le refus du stal
1267
ls ne choisiront pas entre la peste et le choléra
et
qu’ils tiennent la balance égale entre le refus du stalinisme et le r
1268
ent la balance égale entre le refus du stalinisme
et
le refus de l’américanisme. Tel est le dialogue qui se poursuit depui
1269
aute aux yeux, quand on compare le rôle de l’URSS
et
celui des États-Unis dans notre monde : c’est que nous avons chez nou
1270
SS est présente dans toute l’Europe aux élections
et
dans les parlements, elle a ses troupes disciplinées, elle fait sa po
1271
nt elle se sert comme d’un instrument de conquête
et
qui dicte une tactique scientifique : le marxisme ; tandis que les US
1272
xisme ; tandis que les USA n’ont pas de doctrine,
et
n’ont rien d’autre à proposer qu’un genre de vie, leur way of life qu
1273
ontraire, poussent à la collaboration européenne,
et
surtout sur le plan économique. Ils nous veulent forts, donc autonome
1274
e même des deux côtés. Un contraste frappant
Et
si l’on regarde ce qui se passe en réalité à l’intérieur des deux emp
1275
position, en Amérique elle est entièrement libre,
et
mieux que cela : on en tient compte. En Russie, on promet la lune aux
1276
riers, mais en fait on leur ôte le droit de grève
et
le droit de se plaindre d’une inégalité de salaires sans précédent da
1277
es. En Amérique, les ouvriers se mettent en grève
et
gagnent à peu près à chaque fois les améliorations qu’ils revendiquen
1278
a dans les deux camps des opprimés, de la misère
et
des scandales. Certes, mais là s’arrête la ressemblance. Car en Russi
1279
que Staline a justifié la liquidation des koulaks
et
le pacte germano-soviétique. Tout au contraire, en Amérique, on dénon
1280
irs — on lutte ouvertement contre elle, l’opinion
et
l’État s’unissent pour la réduire, et cela au nom d’un idéal qui ne c
1281
, l’opinion et l’État s’unissent pour la réduire,
et
cela au nom d’un idéal qui ne change pas tous les six mois, car il es
1282
tous les six mois, car il est la morale commune,
et
non pas une simple tactique. Et ainsi de suite. Toutes les comparaiso
1283
a morale commune, et non pas une simple tactique.
Et
ainsi de suite. Toutes les comparaisons précises et objectives que l’
1284
ainsi de suite. Toutes les comparaisons précises
et
objectives que l’on peut établir entre les deux puissances nous condu
1285
e mesure entre le danger soviétique pour l’Europe
et
le prétendu danger yankee. La Russie, qui vise à l’autarcie totalitai
1286
s qu’aucun pays à toutes les influences du monde,
et
sait très bien que sa propre santé dépend de celle des autres, et non
1287
n que sa propre santé dépend de celle des autres,
et
non de leur misère. L’Amérique est une démocratie, et une démocratie
1288
on de leur misère. L’Amérique est une démocratie,
et
une démocratie vivante n’est pas un bloc. Un seul remède : nous fé
1289
tons pas d’être ses satellites, elle nous déclare
et
nous croit ses ennemis et les esclaves de l’Amérique. Et tout le verb
1290
ites, elle nous déclare et nous croit ses ennemis
et
les esclaves de l’Amérique. Et tout le verbiage des communistes contr
1291
croit ses ennemis et les esclaves de l’Amérique.
Et
tout le verbiage des communistes contre un prétendu « bloc américain
1292
’une Europe forte, c’est-à-dire d’une Europe unie
et
autonome ; elle ne veut qu’une Europe livrée à sa merci par les rival
1293
livrée à sa merci par les rivalités nationalistes
et
la misère. À ce défi, nous ne pouvons pas répondre en nous jetant sim
1294
à grands frais comme des malades de luxe, ingrats
et
susceptibles. Elle cherche à nous aider pour que nous ne tombions pas
1295
la faire, donc de nous fédérer. Malgré les Russes
et
avec l’appui probable des démocrates américains. u. Rougemont Den
1296
e lui exposer sa philosophie en un quart d’heure,
et
l’arrêtait au bout de cinq minutes, pensant avoir assez compris. Dira
1297
ire que ces produits sont d’invention américaine,
et
que leur soudaine diffusion provient d’une clause secrète du plan Mar
1298
ombres desseins que nourrissent les grands trusts
et
Wall Street, acharnés à nous asservir tout en feignant de donner du l
1299
ligner le caractère américain de leur entreprise,
et
donner à celle-ci le prestige populaire qui s’attache aux audaces d’o
1300
une querelle aussi vieille que celle des manuels.
Et
il suffit de parler d’adaptations (ou d’abrégés) pour que l’on soit c
1301
erai quelques étapes, au hasard de mes souvenirs,
et
sans recourir à d’autres sources qu’un vieux Lanson que j’ai sous la
1302
de La Motte condense L’Iliade en douze chants, «
et
ce qui tombe », écrit Lanson, « c’est tout ce qui n’est pas la notati
1303
ntomime, les fossoyeurs, les crânes, le parricide
et
autres détails qui blessent inutilement le goût. Dans Othello, il sup
1304
tilement le goût. Dans Othello, il supprime Jago,
et
l’action « s’expédie en vingt-quatre heures ». (Il y ajoute un happy
1305
rard de Nerval condense les deux Faust de Goethe,
et
Goethe se déclare ravi du résultat, préfère se relire en français. Ve
1306
nçais. Vers la fin du siècle, le vicomte de Vogüé
et
d’autres condensent le roman russe, l’adaptent sans réplique au goût
1307
russe, l’adaptent sans réplique au goût français,
et
le réduisent aux dimensions civilisées du volume à trois francs cinqu
1308
volume à trois francs cinquante broché en jaune.
Et
j’allais oublier les Mille et Une Nuits de Galland, qui sont pourtant
1309
te broché en jaune. Et j’allais oublier les Mille
et
Une Nuits de Galland, qui sont pourtant le record du genre, comme on
1310
uichotte, de Gulliver, de Robinson, de L’Odyssée,
et
même des Saintes Écritures, dont s’est nourrie toute notre enfance. I
1311
qu’en tout cela je n’ai cité que des traductions,
et
que ni Goethe, ni Swift, ni Cervantès n’ont jamais reçu le prix Gonco
1312
résumés en prose, par Charles Lamb, des comédies
et
tragédies de Shakespeare. Je ne saurais leur comparer chez nous, sous
1313
parer chez nous, sous le double rapport du succès
et
de la valeur littéraire intrinsèque, que le Roman de Tristan et Yseul
1314
r littéraire intrinsèque, que le Roman de Tristan
et
Yseult, dans la version de Joseph Bédier : condensation en prose et e
1315
version de Joseph Bédier : condensation en prose
et
en un volume des cinq versions originales de la légende, et en partic
1316
olume des cinq versions originales de la légende,
et
en particulier du poème de Thomas (3144 vers) et de celui de Béroul (
1317
et en particulier du poème de Thomas (3144 vers)
et
de celui de Béroul (4485 vers). Vous trouverez sans peine, dans n’im
1318
re au goût réel ou supposé du public d’une époque
et
d’un pays, ce n’est pas une invention américaine, mais une ancienne c
1319
américaine, mais une ancienne coutume européenne,
et
plus spécifiquement française. Insistons un peu sur le fait, avant de
1320
pour les uns : dépourvu de scrupules littéraires
et
de style, pour les autres : excitant et moderne.) Or non seulement le
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ttéraires et de style, pour les autres : excitant
et
moderne.) Or non seulement le procédé est fort ancien, mais encore l’
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aine le rôle exorbitant que nous leur attribuons,
et
qu’ils semblent en passe de prendre ici. Quant à la légitimité de l’a
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re voir qu’elle est infiniment variable. La Motte
et
Ducis appauvrissent, défigurent, saccagent leur modèle, et ne peuvent
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appauvrissent, défigurent, saccagent leur modèle,
et
ne peuvent qu’en écarter le lecteur. Vogüé résume, croit condenser, m
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, mais perd en densité, précisément. Pour Galland
et
Nerval, cela se discute : on peut considérer leurs raccourcis comme d
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ier, enfin, restitue un chef-d’œuvre, le continue
et
le parfait. Ainsi, selon l’auteur et sa méthode, l’on va du pire à l’
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le continue et le parfait. Ainsi, selon l’auteur
et
sa méthode, l’on va du pire à l’excellent. Le procédé lui-même n’est
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use, mais bien le talent de celui qui l’applique,
et
peut-être aussi le modèle (ou la victime) que l’on choisit. À ce prop
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pas protesté tant qu’on nous a servi Shakespeare
et
Goethe, Cervantès et Dostoïevski dans des versions réduites, émondées
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’on nous a servi Shakespeare et Goethe, Cervantès
et
Dostoïevski dans des versions réduites, émondées, aplaties. Mais ils
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faibles un honneur qui convient aux plus grands,
et
que seuls les plus grands soutiennent. Trois remarques encore sur ce
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ou Robinson soient résumés à l’usage des enfants
et
des adolescents. Mais le fameux grand public, si cher aux éditeurs, n
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aux « condensés » d’évacuer le style d’un auteur,
et
de priver son message d’une partie de sa vertu en le dépouillant des
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mille détails mûrement choisis qui l’illustraient
et
le nuançaient, que doit-on dire de presque toutes les traductions ? E
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doit-on dire de presque toutes les traductions ?
Et
surtout des adaptations destinées à la scène ou à l’écran ? Le Procès
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tion de Vialatte, faite sur un roman non terminé,
et
que l’auteur voulait détruire, ne court-il pas les mêmes dangers que
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à populariser la connaissance des chefs-d’œuvre.
Et
je crois vain de s’indigner des « condensés » tant qu’on n’aura rien
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lture des masses ; car nous sommes en démocratie,
et
les masses y sont le despote qu’il s’agit avant tout d’éclairer. Mais
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les fabricants de condensés se donnent des règles
et
jouent franc jeu. Qu’ils résument sans jamais récrire, c’est-à-dire q
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e, c’est-à-dire qu’ils se bornent à des coupures,
et
s’il faut un raccord ici ou là, qu’ils l’impriment dans un autre cara
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rement le lecteur qu’on ne lui vend qu’un résumé,
et
qu’ils rappellent les dimensions de l’original ; enfin qu’ils prennen
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e Figaro littéraire, Paris, 14 février 1948, p. 1
et
3.