1 1946, Articles divers (1946-1948). Théologie et littérature (1946)
1 Théologie et littérature (1946)b 1. Il faut tenir la théologie chrétienne pour
2 rts. La musique est née dans le chœur des églises et des chapelles de couvents. La peinture et la sculpture se sont consti
3 églises et des chapelles de couvents. La peinture et la sculpture se sont constituées sur les autels, dans les nefs, et au
4 e sont constituées sur les autels, dans les nefs, et autour des architectures sacrées. Nos premiers rythmes poétiques ont
5 poétiques ont été propagés par le latin d’église. Et ce n’est point que tous ces arts classiques ne soient sortis de l’enc
6 u Moyen Âge, mais il n’en est aucun dont l’esprit et l’histoire ne manifestent à chaque instant l’influence de telles orig
7 lien de filiation entre nos disciplines de pensée et la théologie, pour être moins généralement reconnu, n’en est pas moin
8 ie, ses efforts d’émancipation les plus violents, et même couronnés de succès, n’ont pu que confirmer une dépendance qui n
9 lus de droit, mais n’en demeure pas moins de fait et de nature, autant que d’origine. Les grandes doctrines encore vivante
10 d’origine. Les grandes doctrines encore vivantes et agissantes au xxe siècle ont toutes pris le départ dans une polémiqu
11 comme Dewey. 3. Les rapports entre la théologie et la littérature ne sont pas aussi clairs, ni aussi facilement définiss
12 s aussi clairs, ni aussi facilement définissables et contrôlables. Il est vrai que certaines influences directes, attestée
13 de Calvin sur d’Aubigné, du jansénisme sur Pascal et Racine, de Swedenborg sur Balzac, de Newman sur Gerard Manley Hopkins
14 rs de l’Église, ni par les critiques littéraires. Et cependant comment en nier l’importance, dans un siècle où la littérat
15 L’ignorance réciproque dans laquelle théologiens et écrivains se sont installés pour la plupart, est-elle vraiment sans c
16 , est-elle vraiment sans conséquence pour les uns et les autres, et pour l’élite en général ? Il est clair que la théologi
17 ment sans conséquence pour les uns et les autres, et pour l’élite en général ? Il est clair que la théologie n’a pas besoi
18 que la théologie n’a pas besoin de la littérature et peut s’en désintéresser sans grand dommage. Si l’on admet qu’elle a p
19 admet qu’elle a pour objet principal de formuler et de critiquer le dogme chrétien dans l’Église, elle est en droit de la
20 ture puisse se passer impunément de la théologie. Et il est bien certain que lorsqu’elle s’en passe, les effets s’en font
21 ’en font sentir dans l’Église même. Car le clergé et l’élite des fidèles ne sauraient échapper à l’influence de leurs lect
22 t de vue de leur foi : le vocabulaire de la piété et celui de la littérature, les atmosphères qu’elles créent, les problèm
23 ur allant de soi, tout est devenu trop différent, et presque sans commune mesure. À qui la faute ? 4. Certes, je suis le
24 chent à parler des livres « comme tout le monde » et à faire oublier leur « spécialité ». Mon idée serait bien plutôt d’ex
25 ques, dont ils se montrent cruellement dépourvus. Et de même, je suis le premier à protester contre ces citations d’auteur
26 ler d’un livre, j’attends, à la fois comme fidèle et comme écrivain, qu’il en parle en théologien, et non pas en homme cul
27 et comme écrivain, qu’il en parle en théologien, et non pas en homme cultivé, en moraliste ou en artiste. Nonobstant ces
28 entre eux se consacrent à l’examen, à la critique et même, cas échéant, à une sorte de direction spirituelle des tendances
29 it en tout cas l’avantage de donner aux fidèles — et à leur clergé — certains critères de jugement, un certain vocabulaire
30 ins critères de jugement, un certain vocabulaire, et par suite une certaine orientation de l’esprit propres à rétablir, pe
31 , des éléments de commune mesure entre le croyant et le lecteur dans un même homme. Ceci dit, j’en reviens à mon propos, q
32 à mon propos, qui était de soulever une question, et de suggérer pour son étude quelques hypothèses de travail. 5. L’igno
33 , en passant par les romantiques, les symbolistes et les surréalistes ? T. S. Eliot, dans un livre trop court (After Stran
34 romans, étaient nourris de l’hérésie manichéenne, et l’ont ainsi fait vivre jusqu’à nous et parmi nous, bien que vulgarisé
35 nichéenne, et l’ont ainsi fait vivre jusqu’à nous et parmi nous, bien que vulgarisée et déprimée au point d’en devenir méc
36 e jusqu’à nous et parmi nous, bien que vulgarisée et déprimée au point d’en devenir méconnaissable. Petit exemple que je m
37 que je mentionne faute de mieux pour l’entreprise et non pour le succès. Il y aurait tout et tant à dire sur la renaissanc
38 ntreprise et non pour le succès. Il y aurait tout et tant à dire sur la renaissance endémique, dans nos écoles d’avant-gar
39 ues du mysticisme, du gnosticisme, de l’arianisme et du libéralisme romantique. Qui voudra et pourra l’expliquer aux disci
40 rianisme et du libéralisme romantique. Qui voudra et pourra l’expliquer aux disciples de ces mouvements ? Il y faudrait un
41 rde, d’autant qu’ils jouent, aux yeux de beaucoup et des meilleurs de nos contemporains, le rôle d’une spiritualité ardent
42 contemporains, le rôle d’une spiritualité ardente et courageuse. Pourquoi faudrait-il qu’à l’obscurantisme théologique qui
43 de méfiance, d’incuriosité, de réprobation morale et de timidité bourgeoise, plutôt que de rigueur théologique ? Au nom de
44 r le dos parce qu’elle est tapageuse, scandaleuse et d’une conduite peu régulière, la confirmant ainsi dans sa persuasion
45 its bourgeois, n’a rien à dire aux esprits libres et « avancés », et ne tolère que le mauvais art du dernier siècle ? Au l
46 ’a rien à dire aux esprits libres et « avancés », et ne tolère que le mauvais art du dernier siècle ? Au lecteur convaincu
47 écessité de rétablir des ponts entre la théologie et les lettres vivantes, je soumets à titre d’exemples et sans nul ordre
48 s lettres vivantes, je soumets à titre d’exemples et sans nul ordre préconçu, les thèses suivantes. 6. C’est l’extrémisme
49 ait à se mettre à l’école de leurs complaisances, et par suite ne leur donnait rien. Exemple : Kierkegaard. Il ne fut pas
50 e une attitude théologique parfaitement cohérente et intransigeante, d’où son influence profonde et indéniable sur Ibsen,
51 te et intransigeante, d’où son influence profonde et indéniable sur Ibsen, sur Unamuno, sur Rilke, sur Kafka, et sur un tr
52 ble sur Ibsen, sur Unamuno, sur Rilke, sur Kafka, et sur un très grand nombre de poètes, de romanciers et d’essayistes des
53 sur un très grand nombre de poètes, de romanciers et d’essayistes des plus jeunes générations, en Europe, en Angleterre et
54 plus jeunes générations, en Europe, en Angleterre et dans les deux Amériques. Notons que si cette influence s’est montrée
55 incompatibilité inquiétante entre l’élite active et les « milieux d’Église » ? 7. Une théologie orthodoxe (je ne dis pas
56 doxe (je ne dis pas sclérosée) favorise, soutient et nourrit des œuvres de style classique, tandis qu’une théologie libéra
57 is que le classique y trouve à la fois des appuis et des gênes fécondes. Le premier, semblable à la colombe de Kant, s’ima
58 re, des repères solides, une résistance effective et valable aux incartades de l’imagination. Ainsi fait le fougueux d’Aub
59 d’avoir cherché dans la théologie de leur époque et sous le nom de liberté, de coûteuses licences intellectuelles, ou de
60 ctrine théologique régnante que dans l’atmosphère et l’ambiance de controverses théologiques mêlées à des questions politi
61 du xiie siècle, en plein conflit entre cathares et catholiques, féodaux du Nord et « démocrates » du Sud ; la poésie cal
62 it entre cathares et catholiques, féodaux du Nord et « démocrates » du Sud ; la poésie calviniste au xvie siècle ; le thé
63 la poésie calviniste au xvie siècle ; le théâtre et le lyrisme élisabéthains ; et parmi nous, la renaissance notable d’un
64 siècle ; le théâtre et le lyrisme élisabéthains ; et parmi nous, la renaissance notable d’une poésie d’inspiration religie
65 ration religieuse en France, pendant l’occupation et tôt après. 9. Une Église à tendance liturgique marquée offre le terr
66 ntente ou au conflit significatif des théologiens et des écrivains dans une nation donnée. Je me bornerai à citer ici l’e
67 langue des poètes depuis près de quatre siècles, et dont le rôle dans l’histoire des lettres anglaises s’avère capital, d
68 ift, l’évêque Berkeley, Coleridge, Lewis Carroll, et vingt autres noms du même ordre. Ce qui ne signifie rien, bien entend
69 s » ou « religieux » que ceux qui parlent de Dieu et traitent de sujets religieux. Ici encore, « ce ne sont pas ceux qui
70 écrivant, ce n’est pas simplement parler de Dieu et de sa volonté, ni même en parler avec cette simplicité trop aisément
71 ité trop aisément atteinte aux dépens du mystère, et pour laquelle les protestants anglo-saxons montrent un goût immodéré.
72 que le style d’un écrit transmet pour son compte et par lui-même un « message » souvent beaucoup plus réel et agissant qu
73 ui-même un « message » souvent beaucoup plus réel et agissant que celui qui fait l’objet déclaré du dit écrit. Parfois ces
74 dit écrit. Parfois ces deux messages s’accordent et se renforcent ; le plus souvent hélas ils se contredisent, et l’un ru
75 cent ; le plus souvent hélas ils se contredisent, et l’un ruine l’autre secrètement dans l’esprit du lecteur. Ce qu’il imp
76 ue une théologie (fût-ce à l’insu de son auteur), et qu’elle l’exprime par les mouvements mêmes du style, plus fidèlement
77 ar les mouvements mêmes du style, plus fidèlement et d’une manière plus contraignante que par son argumentation. Explicite
78 t désigner. b. Rougemont Denis de, « Théologie et littérature », Hommage et reconnaissance : recueil de travaux publiés
79 t Denis de, « Théologie et littérature », Hommage et reconnaissance : recueil de travaux publiés à l’occasion du soixantiè
80 anniversaire de Karl Barth, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1946, p. 162-167.
2 1946, Articles divers (1946-1948). Le supplice de Tantale (octobre 1946)
81 L’eau fuit ses lèvres, la branche fuit sa main, et le rocher qui surplombe sa tête va tomber mais ne tombe jamais. Pour
82 le suffisait à repousser les objets qu’il désire, et sa crainte l’objet qu’il redoute. Quand il se penche vers la surface
83 rojet, où il agit, les lois de la chute des corps et de leur inertie, qui sont celles mêmes de la mort, font place aux loi
84 aux lois des dieux, qui sont celles de l’esprit ; et des dieux irrités contre l’homme, c’est-à-dire d’un esprit coupable.
85 e composition simplifiée comme un arcane du Tarot et non moins chargée de symboles : un corps, une eau, une branche et un
86 rgée de symboles : un corps, une eau, une branche et un rocher. C’est l’homme coupable, environné des emblèmes de sa peur
87 homme coupable, environné des emblèmes de sa peur et de sa convoitise — emblèmes ou signes, car tout tient ici à des événe
88 à des événements intérieurs. Tout tient à l’homme et tout illustre une des structures fondamentales de son être. Tantale
89 es dieux, il avait dérobé à ses hôtes leur nectar et leur ambroisie, pour les faire goûter aux mortels. Puis, dans l’idée
90 aux mortels. Puis, dans l’idée de défier l’Olympe et d’éprouver son omniscience, il avait tué son propre fils Pélops, pour
91 louse les dieux, leur divination, leur puissance, et tous les plaisirs qu’ils en tirent. Quant à la mise à mort du fils, o
92 corps spirituel, un homme tue lui-même son fils, et donne sa chair aux dieux pour qu’ils en meurent, — s’ils perdent leur
93 eur divinité de s’être une fois laissé surprendre et abuser. À cette double infraction aux grâces de l’esprit (comme je vo
94 lousie se réfléchit dans la frustration du désir. Et son défi au Ciel, ayant failli, s’inverse en menace suspendue. Le mo
95 Le monde païen ne conçoit pas de pardon par amour et de salut gratuit, et c’est pourquoi les châtiments qu’infligent les d
96 çoit pas de pardon par amour et de salut gratuit, et c’est pourquoi les châtiments qu’infligent les dieux revêtent en géné
97 revêtent en général un caractère de revanche pure et simple, et comme automatique. C’est autant dire que dans le monde paï
98 général un caractère de revanche pure et simple, et comme automatique. C’est autant dire que dans le monde païen, l’homme
99 le monde païen, l’homme reste seul avec lui-même et se ferme aux interventions d’une transcendance, ou d’un appel venu d’
100 la rivière, le rocher soutenu sur sa tête, l’onde et la branche ne s’écartant de lui qu’à l’instant où il veut les atteind
101 t de lui qu’à l’instant où il veut les atteindre, et tout cela ne tient vraiment qu’à lui, qu’aux dispositions de son âme 
102 es. Nourrissant avec obstination les mêmes désirs et le même orgueil, il nourrit la vengeance des « dieux » qui frustrent
103 vengeance des « dieux » qui frustrent ces désirs et qui retardent, ironiquement, d’écraser cet orgueil. Imaginons, mainte
104 ue Tantale renonce un instant, qu’il s’abandonne, et qu’il préfère soudain à son amour d’un moi coupable et torturé, l’exp
105 ’il préfère soudain à son amour d’un moi coupable et torturé, l’expiation libératrice et son délire. À l’instant même, il
106 moi coupable et torturé, l’expiation libératrice et son délire. À l’instant même, il s’enfonce dans les eaux, il boit à m
107 même, il s’enfonce dans les eaux, il boit à mort, et le rocher l’écrase. Mais c’est précisément ce qui n’arrive jamais, et
108 e. Mais c’est précisément ce qui n’arrive jamais, et ne peut arriver dans le Tartare. Tantale, ne croyant pas à la résurre
109 e subir le supplice de Tantale. C’est son orgueil et sa dignité d’homme : il se révolte contre tout — sauf soi. C’est pour
110 ent réduit, dans la légende, à sa faim, à sa soif et à sa peur. Il est cet homme qui, dans chacun de nous, préfère le dési
111 éfère le désir, même douloureux d’avoir été mille et mille fois déçu — mais c’est encore son désir, donc lui-même — à la p
112 s que tout son être en fût devenu attente, espoir et nostalgie. Cet être-là mourrait nécessairement, et par définition, du
113 t nostalgie. Cet être-là mourrait nécessairement, et par définition, du don reçu. Ou encore : un être nouveau surgirait da
114 u don, pour le recevoir en son lieu. À la limite, et dans la logique d’un mythe où l’homme s’identifie à l’une de ses tend
115 nces, celui qui gagne est donc toujours un autre. Et celui qui désire ne gagnera jamais. C’est le sophisme de l’empereur :
116 pations. Changeons maintenant de plan spirituel, et transposons le mythe de Tantale dans un monde où l’instant d’abandon
117 nt d’abandon ne signifie plus la mort mais la vie et l’héritage de la vie éternelle. J’emprunte à Jean-Paul1, une histoire
118 Jean-Paul1, une histoire étrangement parabolique et qui, dans le registre de l’humour profond, reproduit notre fable grec
119 reuse fin. L’oncle van der Kabel vient de mourir, et devant ses sept héritiers naturels, un notaire ouvre et lit le testam
120 ant ses sept héritiers naturels, un notaire ouvre et lit le testament. La dernière clause se trouve ainsi conçue : « Tous
121 ainsi conçue : « Tous mes biens tels qu’ils sont et vont reviendront et appartiendront à celui des sept de MM. mes Neveux
122 us mes biens tels qu’ils sont et vont reviendront et appartiendront à celui des sept de MM. mes Neveux qui, durant la demi
123 une ou quelques larmes sur moi, son oncle défunt, et cela en présence d’un respectable magistrat qui en dressera le protoc
124 e sa montre sur la table, elle marque onze heures et demie, et il attend les larmes. Le marchand Neupeter se demande s’il
125 e sur la table, elle marque onze heures et demie, et il attend les larmes. Le marchand Neupeter se demande s’il ne s’agit
126 pleurer à force de rire, ce ne sera qu’un vol pur et simple, mais l’Alsacien proteste que s’il rit, « c’est par pure plais
127 este que s’il rit, « c’est par pure plaisanterie, et non pas dans une intention plus sérieuse. » L’inspecteur ouvre de gro
128 ses bienfaits, ses redingotes grises, puis Lazare et ses chiens, la tête de beaucoup d’êtres, les souffrances du jeune Wer
129 urmenter si pitoyablement à cause du testament, —  et il s’en faut de bien peu qu’il ne pleure… Le conseiller continue son
130 t Flachs en se levant, je crois que je pleure ! » Et , en effet, il se rassoit en sanglotant brièvement. Son émotion dûment
131 entre tant d’autres, une seule pensée d’amour pur et gratuit. L’auteur du nouveau Testament n’en demande pas davantage à l
132 instant de foi. Un instant d’abandon de soi-même, et d’amour désintéressé. Toute autre tentative pour mériter la Vie et le
133 éressé. Toute autre tentative pour mériter la Vie et le Royaume, gratuitement offerts, déclenche irrésistiblement le mécan
134 he sera « bien trop réjouissante » pour son cœur, et le Royaume convoité s’éloignera tout aussitôt, comme la branche charg
135 , accepter de mourir d’abord à ses propres désirs et à soi-même. (Et c’est le symbole du Baptême.) Telle est la ruse de l’
136 urir d’abord à ses propres désirs et à soi-même. ( Et c’est le symbole du Baptême.) Telle est la ruse de l’Amour insondable
137 ferts, l’amour de soi domine encore le pur Amour, et le plaisir anticipé suffit encore à refouler cette larme, qui pouvait
138 encore à refouler cette larme, qui pouvait seule, et dans un seul instant, mériter la joie éternelle. 1. Dans les Flegel
3 1946, Articles divers (1946-1948). Genève, rose des vents de l’esprit (19 décembre 1946)
139 L’Esprit européen. On y a entendu des conférences et des discussions, des concerts, des récitals de poèmes, et assisté à d
140 iscussions, des concerts, des récitals de poèmes, et assisté à des spectacles lyriques, dramatiques et cinématographiques
141 et assisté à des spectacles lyriques, dramatiques et cinématographiques remarquables. Tous les journaux en ont abondamment
142 ns les mots en urne, ayant appelé un chat un chat et provoqué dans la salle des mouvements divers, comme on dit. C’est com
143 éen. L’Européen se retranche dans ses convictions et pense que l’adversaire est méchant, puisqu’il ne pense pas comme lui.
144 e invitation. Heureusement, nous avons eu Lukács, et je vois mieux maintenant quelles questions j’aurai à poser à la Russi
145 tendez, vous, Russie, être une démocratie réelle. Et vous avez des camps de concentration, et vous interdisez aux poètes d
146 réelle. Et vous avez des camps de concentration, et vous interdisez aux poètes de s’exprimer librement, et vous n’avez pa
147 us interdisez aux poètes de s’exprimer librement, et vous n’avez pas la liberté de la presse, et vous repoussez l’existent
148 ment, et vous n’avez pas la liberté de la presse, et vous repoussez l’existentialisme qui pose des questions, et vous refo
149 poussez l’existentialisme qui pose des questions, et vous refoulez les reporters étrangers et vous êtes le peuple le plus
150 estions, et vous refoulez les reporters étrangers et vous êtes le peuple le plus militariste du monde. Si vous vous dites
151 pour un homme de gauche dans les partis de droite et pour un homme de droite dans les partis de gauche. Je ne suis jamais
152 contre un parti. Je suis contre le totalitarisme et pour la démocratie réelle, qui est le fédéralisme. Un régime de tyran
153 l’esprit européen s’inspire d’une grande liberté et d’une parfaite franchise de paroles. Sinon, ce ne serait plus l’espri
154 ousiaste tous les participants ont fait de Genève et de la Suisse. Les Français, notamment, sont venus avec une grande cur
155 , notamment, sont venus avec une grande curiosité et un grand désir de tirer quelque chose de positif des entretiens de Ge
156 nous sommes une confédération, donc bien préparés et prédisposés pour une mission de ce genre. Denis de Rougemont souhaite
4 1947, Articles divers (1946-1948). Préface à Le Cœur est un chasseur solitaire de Carson McCullers (1947)
157 Passos situe plusieurs des scènes de ses romans, et c’est là qu’il y a bien six ans j’ai connu Carson McCullers. Elle ava
158 son long visage pâle, sa frange noire en désordre et sa contenance effarouchée. Ses mains tremblaient, et l’on pensait que
159 sa contenance effarouchée. Ses mains tremblaient, et l’on pensait que sans sa mère qui l’accompagnait ce jour-là, elle ne
160 ier roman qui venait de paraître — écrit entre 19 et 22 ans — et elle me dit merci, bien sérieusement selon la coutume des
161 i venait de paraître — écrit entre 19 et 22 ans — et elle me dit merci, bien sérieusement selon la coutume des femmes amér
162 mélange improbable de Kafka, d’Enfants terribles et de style vieux New York en définissait l’atmosphère. On écrivait, on
163 dans toutes les chambres aux portes entrouvertes, et l’on se réunissait pour les repas autour d’une très longue table que
164 tenait son rôle de propriétaire. Benjamin Britten et Paul Bowles représentaient la jeune musique, Gypsy Rose Lee la danse
165 ntaient la jeune musique, Gypsy Rose Lee la danse et le strip-tease, et tous les autres à quelque titre étaient des « crea
166 sique, Gypsy Rose Lee la danse et le strip-tease, et tous les autres à quelque titre étaient des « creative people », parl
167 é cette maison de Brooklyn, seul centre de pensée et d’art que j’aie trouvé dans une grande ville de ce pays. Et puis leur
168 ue j’aie trouvé dans une grande ville de ce pays. Et puis leur nomadisme habituel les a repris. Un an plus tard, tous s’ét
169 e ou au Michigan, en Angleterre ou en Californie, et Carson McCullers était dans une clinique. Un jour je la rencontre dan
170 d’hui elle est à Paris, inaugurant avec Kay Boyle et Richard Wright — qui fut le premier à saluer son talent — la reprise
171 différence entre la jeune littérature américaine et la française, c’est que la première ne professe pas du tout ce culte
172 ge sur ses maîtres, me cite Dostoïevsky, Flaubert et Kierkegaard, là où un jeune Français citerait sans doute Hemingway, D
173 rançais citerait sans doute Hemingway, Dos Passos et Steinbeck. C’est dire peut-être que les jeunes Américains sont moins
174 ir leurs procédés que de se créer un ordre intime et d’approcher par des moyens plus déliés ce monde dont leurs aînés décr
175 sistiblement chez un Français. (« Trouver le lieu et la formule », disait Rimbaud.) Elle ne se décante pas, reste immergée
176 t une recherche proprement romanesque, en images, et non pas illustrée après coup, sensible et non traduite en adjectifs,
177 images, et non pas illustrée après coup, sensible et non traduite en adjectifs, conduite avec une sympathie plus fascinée
178 niment cet ouvrage se poursuivent, se rapprochent et se manquent dans une espèce de tâtonnement aventureux qui est le mouv
179 ans, qui cherche la musique dans sa petite ville, et repère une à une les maisons où la radio choisit les symphonies qu’el
180 Le soir, elle va s’asseoir dans une cour obscure et elle écoute. Puis elle essaie de composer elle-même. Elle appelle sa
181 es arguments qu’échangent avec passion un ivrogne et un docteur nègre (p. 307 et 308) sont ceux de Jake et du Dr Copeland,
182 ec passion un ivrogne et un docteur nègre (p. 307 et 308) sont ceux de Jake et du Dr Copeland, et leur maladresse pathétiq
183 n docteur nègre (p. 307 et 308) sont ceux de Jake et du Dr Copeland, et leur maladresse pathétique éveille en moi des réac
184  307 et 308) sont ceux de Jake et du Dr Copeland, et leur maladresse pathétique éveille en moi des réactions humaines — à
185 même auteur ne ferait sans doute que circonscrire et limiter. Notons aussi que la nouvelle littérature américaine, au lieu
186 quel est le sujet de ce roman ? Point d’intrigue, et pourtant une construction serrée, comme celle d’un motet à cinq voix
187 mme celle d’un motet à cinq voix qui se signalent et se posent une à une, se cherchent, se rencontrent une seule fois, mai
188 dans une dissonance douloureuse, puis s’éloignent et l’une après l’autre se brisent ou se perdent inexorablement dans la r
189 la frustration ? Ou bien l’enfance plus sérieuse et plus métaphysique que l’âge adulte ? (Les scènes et les dialogues d’e
190 plus métaphysique que l’âge adulte ? (Les scènes et les dialogues d’enfants sont d’une justesse rarement atteinte, même c
191 es autres, écrit-il, haïssent tous quelque chose. Et ils ont tous quelque chose qu’ils aiment plus que la nourriture ou le
192 lle voulait dire l’amour des êtres, l’amour réel, et non pas celui des romans. New York, le 15 avril 1947. k. Rougemont
5 1947, Articles divers (1946-1948). La lutte des classes (1947)
193 its déplacements, qui sont des voyages concentrés et plus émouvants que les vrais, parce qu’entre le départ et l’arrivée n
194 émouvants que les vrais, parce qu’entre le départ et l’arrivée ne s’établit jamais cette monotonie des heures de plaine et
195 ablit jamais cette monotonie des heures de plaine et d’océan de nuit où rien ne bouge. Comme il n’y a pas de place en Suis
196 es, pour ne garder que le meilleur, le plus actif et le plus déchirant, la rupture et la découverte, l’évasion qui se mue
197 r, le plus actif et le plus déchirant, la rupture et la découverte, l’évasion qui se mue en invasion, ce début qui clôt un
198 ndent les extrêmes les plus touchants du souvenir et de l’espoir, quand les portes du cœur, un instant, sont à la fois ouv
199 rtes du cœur, un instant, sont à la fois ouvertes et fermées. Ainsi la Suisse est la patrie des romantiques contraints par
200 le, celui qui exprime le tout en disant le moins, et qui témoigne de l’inspiration par le signal d’un raccourci métaphoriq
201 t en troisième, les gens chic parfois en seconde, et je ne savais rien des premières sinon qu’un morceau de dentelle ornai
202 ngues nationales. À mi-chemin entre l’instituteur et le gendarme, un personnage vêtu d’un sévère uniforme au col bordé de
203 re bien rasée entrait, claquait la porte étroite, et annonçait avec une emphatique autorité des noms de villages que tout
204 n Suisse après sept ans d’absence, l’été dernier, et plus que jamais frappé par ce trait national — le seul sans doute, ch
205 l’adjectif —, je me disais : « C’est notre force, et ce sera peut-être un jour, au dernier jour — car les plus belles hist
206 nous croire protégés par toutes les lois divines et humaines, comme si le monde où nous vivons était fait à notre mesure,
207 nous faire oublier que la correction, la décence et la sécurité des citoyens sont de purs et simples miracles ; que le mo
208 décence et la sécurité des citoyens sont de purs et simples miracles ; que le monde est une jungle atomique, l’humanité d
209 male désordonnée, lubrique, rapace, irresponsable et affamée ; et notre âme un cloaque de crimes potentiels, comme l’ont d
210 née, lubrique, rapace, irresponsable et affamée ; et notre âme un cloaque de crimes potentiels, comme l’ont dit Freud, Sha
211 es potentiels, comme l’ont dit Freud, Shakespeare et les Pères de l’Église. Ici pourtant la confiance règne, mais ce mirac
212 mener la vie normale du genre humain, l’anarchie et la guerre étant des exceptions. Ainsi pensent les Français du climat
213 tandis que les déserts, les volcans, les ouragans et les températures extravagantes menacent quotidiennement depuis des mi
214 st exceptionnel, ce sont les cas d’ordre, de paix et de raison qui doivent nous étonner quand ils paraissent, phénomènes h
215 probables, très rarement observés sur la planète, et que la presse devrait mettre en vedette, au lieu de nous rebattre les
216 surprend à chacun de mes retours. Comment décrire et comment justifier l’espèce particulière d’irritation que provoquent c
217 des, vaguement bovins, mais directs, trop sérieux et choqués par on ne sait quoi… ? Vous les soutenez d’abord avec curiosi
218 ore un temps infini, en vertu de quelque inertie, et finalement ne se détournent qu’avec cet air exaspérant de celui qui r
219 comprendre… Ah ! mais il faut y être pour sentir et pour réagir comme je le dis. Dès que je m’éloigne un peu, l’indulgenc
220 montrer trop vigilant, je veux dire trop méfiant et même intolérant. Qu’ils aient seulement l’air étonnés suppose déjà be
221 i. Dans les secondes règne la gravité du commerce et de l’industrie. L’authentique usager de cette classe n’est pas curieu
222 tude. On dirait qu’il s’installe dans son bureau, et sa pensée ne vagabonde pas, reste enfermée dans sa serviette de cuir.
223 e plus en plus enclin à respecter le velours gris et dru des secondes : il a tort, c’est la classe vulgaire. Des jeunes fe
224 . Mais il faut traverser un couloir de premières. Et je m’arrête, fasciné. Un vieux monsieur en noir, au col rond, dur et
225 ciné. Un vieux monsieur en noir, au col rond, dur et haut, ce doit être un évêque anglican, somnole. En face de lui, la be
226 se, je les nomme les imperméables. Ils traversent et passent, et rien ne les touche. Ce sont aussi, et pour la même raison
227 omme les imperméables. Ils traversent et passent, et rien ne les touche. Ce sont aussi, et pour la même raison, des transp
228 et passent, et rien ne les touche. Ce sont aussi, et pour la même raison, des transparents. (Avez-vous remarqué que les tr
229 sement des traditions locales les plus touchantes et des express européens, petits trajets portés sur les axes du monde. Q
6 1947, Articles divers (1946-1948). Les maladies de l’Europe (1947)
230 pe à laquelle je reviens après six ans d’absence, et certains événements. L’émotion de pareils revoirs rend souvent malais
231 ire. Ainsi j’ai retrouvé l’Europe. Sur son visage et dans son expression certains traits accusés et tendus, mais aussi une
232 ge et dans son expression certains traits accusés et tendus, mais aussi une certaine anxiété, peut-être une lassitude, sem
233 ainsi, tu devais t’y attendre, compte mes rides, et si tu veux m’aimer, regarde bien d’abord qui je suis devenue ! » Ensu
234 n es-tu ? qui vois-tu ? quels sont tes soucis ? » Et puis, après ce petit tour d’horizon, on s’arrête et l’on demande d’un
235 puis, après ce petit tour d’horizon, on s’arrête et l’on demande d’un autre ton : « Et maintenant, quels sont tes projets
236 n, on s’arrête et l’on demande d’un autre ton : «  Et maintenant, quels sont tes projets ? » Je ne saurais échapper ce soir
237 pper ce soir à l’emprise de ce rituel des retours et de l’amitié, le moins variable et le plus naturel. Je vais donc regar
238 uel des retours et de l’amitié, le moins variable et le plus naturel. Je vais donc regarder notre Europe et j’éviterai de
239 plus naturel. Je vais donc regarder notre Europe et j’éviterai de faire du sentiment puisque aussi bien tout se passe en
240 ns le monde. Enfin, j’ai hâte de lui demander : «  Et maintenant, qu’allons-nous faire ensemble ? » ⁂ L’Europe a mauvaise m
241 qu’elle a perdu la guerre. Militairement, Hitler et ses séides ont été battus et sont morts, mais dans la lutte, ils ont
242 ilitairement, Hitler et ses séides ont été battus et sont morts, mais dans la lutte, ils ont marqué leurs adversaires d’un
243 eux hommes qui se disputent : l’un est une brute, et son point de vue, c’est que la brutalité doit toujours triompher ; l’
244 is seulement deux lutteurs étreints par une seule et même rage physique. Maintenant le gagnant se relève : il se trouve qu
245 te a donc imposé son point de vue. Ainsi d’Hitler et de l’Europe démocratique. Ce ne sont pas seulement les ruines et les
246 démocratique. Ce ne sont pas seulement les ruines et les désordres matériels qui marquent le passage du Führer. La lutte c
247 roit romain, par le culte de la vérité objective, et malgré le nationalisme. Hitler représentait exactement, et point par
248 le nationalisme. Hitler représentait exactement, et point par point, le refus et la destruction de tous ces éléments — l’
249 ésentait exactement, et point par point, le refus et la destruction de tous ces éléments — l’anti-Europe. Qu’était-il en e
250 étienne, la rage antisémite, la rage nationaliste et policière, la négation du droit et des droits de la personne, une con
251 e nationaliste et policière, la négation du droit et des droits de la personne, une conception de l’homme réduit au partis
252 mme réduit au partisan, une technique du mensonge et de la délation, les élites asservies à la louange du chef, la politis
253 en face de nous, ressurgit aujourd’hui chez nous et dans nos mœurs — avec moins de virulence, peut-être, c’est-à-dire d’u
254 ietzsche, pratiquement appuyée dans le même temps et dans des masses élargies par les effets du capitalisme et par l’espri
255 des masses élargies par les effets du capitalisme et par l’esprit bourgeois que tous ces philosophes, cependant, combattai
256 à peine libérées des dogmes religieux, ces masses et ces élites n’ont rien de plus pressé que de s’asservir aux dogmes d’u
257 grandes capitales d’Europe, on voit des écrivains et des savants donner des gages d’apparente loyauté au parti le plus men
258 prend l’air d’attaquer la cause des prolétaires, et tout essai de critique libre se voit taxer de réaction. Cette mauvais
259 attaquait, est en train d’avorter sous nos yeux, et pas un résistant ne me contredira. Des habitudes prises dans la lutte
260 i se perpétuent, non les meilleures : le mensonge et non pas le témoignage au risque de sa vie ; le marché noir et non l’e
261 e témoignage au risque de sa vie ; le marché noir et non l’entraide communautaire ; la dénonciation partisane, non pas le
262 parés du nom de tradition, en réalité villageois et naïvement machiavéliques, entretient parmi nous la méfiance, des ranc
263 fs douaniers, des censures plus ou moins avouées, et de ruineux budgets de défense nationale. Un pays qui ne peut pas vêti
264 tés trouve encore le moyen de faire des uniformes et discute la couleur des parements, cependant que la bombe atomique, à
265 hanger en une seconde la couleur même de l’océan. Et non seulement l’idée d’une guerre prochaine, mais l’idée d’une révolu
266 droite comme à gauche, avec cette minutie sourde et aveugle aux indications du réel qu’apportent à leurs petites occupati
267 de dénoncer ces maux, d’en rechercher les causes, et d’en inventer les remèdes ? Leur voix ne porte guère, tant qu’elle n’
268 tat ou par le parti au pouvoir, qui sont la radio et la presse. Seuls ces moyens sont à l’échelle des masses. Mais se fair
269 aucoup d’intellectuels s’inscrivent dans un parti et c’est là ce qu’ils appellent s’engager. Mais c’est en fait, pour la p
270 ensée, un alibi. Pour qu’une pensée soit efficace et douée d’une vertu agissante, il ne suffit pas que le penseur s’achète
271 le penseur s’achète une étiquette ou un insigne. Et cependant, s’il se tient seul dans l’intégrité de l’esprit, il fera f
272 de cherchent des chefs qui leur commandent d’agir et de réussir n’importe quoi. Le « Führerprinzip » n’est pas mort avec c
273 rche, il se trouve d’autres « chefs bien-aimés »… Et là encore, l’esprit totalitaire marque des points. Tous ces maux et t
274 prit totalitaire marque des points. Tous ces maux et tant d’impuissance à y parer n’ont pas manqué de provoquer dans les é
275 lites demeurées libérales une crise de pessimisme et de mauvaise conscience. Il semble que l’idée de décadence, acclimatée
276 ar des penseurs aussi divers que Spengler, Valéry et Huizinga, se soit généralement substituée dans nos esprits à l’idée d
277 s à l’idée de progrès automatique. Née d’analyses et de pressentiments de nos défaillances internes, elle se voit confirmé
278 nos défaillances internes, elle se voit confirmée et comme objectivée par la rapide élévation de deux empires extraeuropée
279 raeuropéens. Ce sont eux qui ont gagné la guerre, et non pas nous. Ce sont eux qui ont repris en charge le progrès et la f
280 . Ce sont eux qui ont repris en charge le progrès et la foi au progrès. Et nous restons avec l’héritage d’une défaite, not
281 repris en charge le progrès et la foi au progrès. Et nous restons avec l’héritage d’une défaite, notre conscience inquiète
282 héritage d’une défaite, notre conscience inquiète et fatiguée, notre scepticisme lucide… ⁂ Il se peut que le portrait de l
283 uisser devant vous pèche par excès de pessimisme, et que plusieurs des rides que j’ai cru distinguer sur le visage spiritu
284 rique fort ancienne peut entraîner à l’injustice. Et qu’enfin, vis-à-vis des êtres que l’on aime, il arrive qu’on manque d
285 de l’Asie ». Aujourd’hui l’Europe vue d’Amérique, et j’imagine aussi vue de Russie, paraît plus petite que nature : physiq
286 es immenses s’affrontent au-dessus d’elle, rongée et ruinée sur ses bords, moralement refermée sur elle-même. Il y a plus.
287 mpires, de certaines ambitions, de certains rêves et de certaines croyances apparus sur son sol, et qui semblaient parfois
288 es et de certaines croyances apparus sur son sol, et qui semblaient parfois définir son génie. Notre rêve du progrès par e
289 voir évacué l’Europe pour émigrer vers l’Amérique et la Russie. C’est une notion qui s’étiole chez nous d’autant plus vite
290 urs, chez les voisins où elle s’est transplantée. Et tout se passe comme si l’excès où ils la portent et l’abus qu’ils nou
291 tout se passe comme si l’excès où ils la portent et l’abus qu’ils nous semblent en faire nous dégoûtaient de son usage no
292 de nos techniques industrielles, de nos machines, et de nos armes. Pendant des siècles d’expansion irrésistible, impériali
293 sur la planète, sans distinction, ses découvertes et ses utopies, les secrets mêmes de sa puissance, et les germes de ses
294 t ses utopies, les secrets mêmes de sa puissance, et les germes de ses maladies. Et tout cela sur des terres plus fertiles
295 s de sa puissance, et les germes de ses maladies. Et tout cela sur des terres plus fertiles, ou peut-être moins surveillée
296 surveillées, a grandi hors de toutes proportions et nous apparaît aujourd’hui étrange, inhumain, menaçant. Ces notions et
297 ourd’hui étrange, inhumain, menaçant. Ces notions et ces mythes qui nous reviennent d’outre-Atlantique ou d’outre-Oder, no
298 es à nos yeux. Pourtant le capitalisme industriel et le libéralisme politique, qui ont fait fortune en Amérique, venaient
299 alisme dialectique, la technique révolutionnaire, et l’idée d’une justice sociale établie par la force aux dépens de la co
300 régit dans ces deux pays l’éducation de l’enfant et l’eugénique, l’alimentation, le logement, et jusqu’à la morale, autre
301 fant et l’eugénique, l’alimentation, le logement, et jusqu’à la morale, autrefois religieuse. Tout vient d’Europe, tout ce
302 t cela fut nôtre à l’origine. Mais alors, comment et pourquoi ces créations européennes n’ont-elles pas connu en Europe le
303 ont-elles pas connu en Europe leur plein succès ? Et comment et pourquoi, hors d’Europe, ont-elles subi cette croissance g
304 as connu en Europe leur plein succès ? Et comment et pourquoi, hors d’Europe, ont-elles subi cette croissance gigantesque 
305 de composition, tandis qu’ailleurs, pour le bien et le mal, elles se sont déployées sans frein ni contrepoids. Le capital
306 ner son plein, parce qu’il était sans cesse bridé et contrarié par le nationalisme, par les guerres, et par tous les barra
307 t contrarié par le nationalisme, par les guerres, et par tous les barrages de douanes ou de coutumes que l’Amérique ne con
308 nes ou de coutumes que l’Amérique ne connaît pas. Et de même le progrès social s’est vu bridé et contrarié par la tyrannie
309 pas. Et de même le progrès social s’est vu bridé et contrarié par la tyrannie de l’argent, dont la Russie nouvelle s’est
310 s’est libérée. Mais en même temps, le capitalisme et l’étatisme n’ont pas atteint chez nous leurs pires excès, parce qu’il
311 amment retenus par des forces adverses, critiqués et remis en question soit au nom d’un passé encore vivant, soit au nom d
312 irulentes. Cet état de complexité, d’intrications et de contradictions, définit l’équilibre humain qu’on nomme Europe. Il
313 nomme Europe. Il conditionne aussi notre culture. Et nous allons voir qu’il traduit, et parfois aussi qu’il trahit, la con
314 notre culture. Et nous allons voir qu’il traduit, et parfois aussi qu’il trahit, la conception européenne de l’homme. Tout
315 ercent sur nous, par leur masse, le colosse russe et le colosse américain, et malgré toutes les tentations que représenten
316 masse, le colosse russe et le colosse américain, et malgré toutes les tentations que représentent leurs succès littéralem
317 lture d’abord, dès le Moyen Âge, par sa curiosité et son commerce à l’époque des grandes découvertes, par ses armes et son
318 à l’époque des grandes découvertes, par ses armes et son art de la guerre mis au service tantôt de la rapacité de telle na
319 ntôt d’idéaux contagieux ; enfin par ses machines et par ses capitaux. Mais voici que l’Amérique et la Russie viennent de
320 s et par ses capitaux. Mais voici que l’Amérique et la Russie viennent de lui ravir coup sur coup les machines et les cap
321 viennent de lui ravir coup sur coup les machines et les capitaux, les idéaux contagieux et les armes, le grand commerce e
322 s machines et les capitaux, les idéaux contagieux et les armes, le grand commerce et jusqu’à la curiosité de la planète !
323 idéaux contagieux et les armes, le grand commerce et jusqu’à la curiosité de la planète ! Tout cela dans l’espace de trent
324 planète ! Tout cela dans l’espace de trente ans, et sans retour possible, à vues humaines. Que nous reste-t-il donc en pr
325 ons innombrables. Cela, on nous le laisse encore, et à vrai dire, c’est le plus difficile à prendre ! Mais c’est aussi le
326 véler dans tout le continent une sorte de clivage et un double tropisme. Les masses industrielles, dans leur partie active
327 ans leur partie active, regardent vers la Russie, et les grands hommes d’affaires regardent vers l’Amérique. À tort ou à r
328 té notre continent, mais à leur suite les espoirs et les rêves des plus actifs d’entre nous ont émigré. La bourgeoisie, da
329 emble, se contente d’un double refus de la Russie et de l’Amérique, se résigne à la décadence, ou la déplore mais sans fai
330 vois plus, pour tenir vitalement aux conceptions et aux coutumes européennes, que deux classes par ailleurs tout opposées
331 ctuels non embrigadés d’une part, les provinciaux et campagnards de l’autre. C’est-à-dire les esprits les plus libérés, et
332 autre. C’est-à-dire les esprits les plus libérés, et les plus attachés aux préjugés locaux ; les subversifs et les conserv
333 lus attachés aux préjugés locaux ; les subversifs et les conservateurs par profession ou position. Telle est, en gros, not
334 sée par sa victoire douteuse sur Hitler, rétrécie et coincée entre deux grands empires, dépossédée par eux de presque tous
335 dépossédée par eux de presque tous ses monopoles et moyens de puissance, vidée de rêves et divisée non seulement par l’es
336 monopoles et moyens de puissance, vidée de rêves et divisée non seulement par l’esprit de faction, mais parce que beaucou
337 que beaucoup de ses habitants espèrent ailleurs, et dans deux directions opposées. Je le répète, nos chances paraissent
338 es dans l’ensemble, malgré les illusions de santé et de durée que peuvent entretenir encore dans nos vies certains îlots d
339 os vies certains îlots d’inconscience routinière, et l’image rassurante de deux ou trois pays, petits pays épargnés par la
340 nse de l’Europe, de nous cramponner à ses restes, et même d’appeler à son secours des forces jeunes. Posons-nous donc sans
341 avec sang-froid cette question : Notre tristesse et notre angoisse devant un héritage si compromis, sont-elles valables e
342 ant un héritage si compromis, sont-elles valables et sont-elles justifiables ? Ou bien ne sont-elles rien de mieux que les
343 stes d’un vieux propriétaire dépossédé qui pleure et rage sur la perte d’un domaine, alors que ce domaine menace ruine par
344 , alors que ce domaine menace ruine par sa faute, et que les nouveaux acquéreurs vont en tirer un bien meilleur parti, pou
345 ns qui se la posent en termes tout à fait urgents et familiers, quand ils se demandent si c’est l’Europe ou l’Amérique qu’
346 à ses enfants ; ils ont besoin d’un avenir aussi. Et de quel droit sacrifierais-je leurs espoirs à mes souvenirs ? En défe
347 , il s’agit donc de savoir si nous défendons plus et mieux que de belles ruines, des préjugés sociaux, et des habitudes de
348 mieux que de belles ruines, des préjugés sociaux, et des habitudes de culture périmées, ou peut-être perverses, comme le p
349 érimées, ou peut-être perverses, comme le pensent et le disent nos voisins. Je songe à ces enfants, et j’essaie de mêler à
350 et le disent nos voisins. Je songe à ces enfants, et j’essaie de mêler à la vision de leur avenir la vision d’une Europe r
351 pe absente… Imaginons le monde heureux, prospère, et puissamment organisé autour de cette absence insensible au grand nomb
352 me dénudée par ces questions une réponse évidente et simple. Elle tient dans un très petit mot, vague et poignant : c’est
353 simple. Elle tient dans un très petit mot, vague et poignant : c’est le mot « âme ». L’Europe absente, démissionnaire, co
354 civilisation qui serait perdue, perdue pour tous et non seulement pour nous ! Ce n’est donc pas au nom de je ne sais quel
355 mais au seul nom de l’humanité la plus consciente et la plus créatrice de l’homme. On contestait l’autre jour, ici même, l
356 jour, ici même, l’existence d’un esprit européen, et c’était un appel, nous l’avions tous compris. C’est un point de vue q
357 ’Europe, jusqu’à ce siècle, ne s’est guère sentie et conçue comme un tout, comme un corps organisé, c’est surtout parce qu
358 avait pas l’occasion de se comparer, de s’opposer et de se définir ; elle était seule et reine de la planète. Mais en 1946
359 de s’opposer et de se définir ; elle était seule et reine de la planète. Mais en 1946, elle se voit affrontée à deux empi
360 deux empires. Du même coup elle ressent son unité et la définit par contraste comme celle d’une conception de l’homme. Esq
361 omme. Esquissons cette comparaison entre l’Europe et les nouveaux empires qui se désignent typiquement par des lettres et
362 ires qui se désignent typiquement par des lettres et presque les mêmes : US d’une part, URSS de l’autre. Nous distingueron
363 istinguerons d’abord deux conceptions divergentes et peut-être antagonistes de la nature ou de la condition de l’homme. À
364 ’homme. À l’origine de la religion, de la culture et de la morale européennes, il y a l’idée de la contradiction, du déchi
365 ’homme lui-même, de l’élimination des antithèses, et du triomphe de l’organisation bien huilée, sans histoire, et sans dra
366 phe de l’organisation bien huilée, sans histoire, et sans drame. Il s’ensuit que le héros européen sera l’homme qui attein
367 dramatiquement, le plus haut point de conscience et de signification : le saint, le mystique, le martyr. Tandis que le hé
368 la vie se résume en deux opérations : production et consommation. Tout leur effort est donc de les équilibrer, de les fai
369 les équilibrer, de les faire jouer sans à-coup ; et le produit de cet équilibre sera le bonheur inévitable, obligatoire.
370 Pour nous, la vie résulte d’un conflit permanent, et son but n’est pas le bonheur, mais la conscience plus aiguë, la décou
371 ns l’échec. Ils visent à l’inconscience heureuse, et nous à la conscience à n’importe quel prix. Ils veulent la vie, nous
372 n guerrier, un maniaque ou un inventeur. Son bien et son mal sont liés, inextricablement et vitalement. L’Européen connaît
373 . Son bien et son mal sont liés, inextricablement et vitalement. L’Européen connaît donc la valeur essentielle des antagon
374 de l’opposition créatrice, tandis que l’Américain et le Russe soviétique considèrent l’existence de l’opposition comme l’i
375 alement pour arriver à l’unanimité, à l’homogène. Et les uns l’obtiendront par la publicité, le cinéma, la production de s
376 la publicité, le cinéma, la production de série, et les autres par des moyens un peu moins souples, comme on sait, mais l
377 comme on sait, mais les résultats se ressemblent et se ressembleront de plus en plus. Pour illustrer le contraste que je
378 d’esquisser d’une manière un peu trop schématique et abstraite entre l’Européen, d’une part, l’Américain et le Soviétique,
379 straite entre l’Européen, d’une part, l’Américain et le Soviétique, de l’autre, je n’ai pas à chercher bien loin. Je prend
380 reux initiateurs sur le banc des aveux spontanés. Et je ne dis pas que l’Américain et le Russe n’aient quelques bonnes rai
381 aveux spontanés. Et je ne dis pas que l’Américain et le Russe n’aient quelques bonnes raisons de se comporter ainsi, je di
382 ité ; que telle est bien la vocation de l’Europe, et que l’Europe existe au plus haut point comme entité spirituelle, dans
383 ncontre. Ainsi donc, la confrontation de l’Europe et de ces deux filles parfois ingrates du plus grand Occident nous suggè
384 qu’il a d’ailleurs lui-même définis : l’immanence et la transcendance, le collectif et l’individuel, le service du groupe
385 s : l’immanence et la transcendance, le collectif et l’individuel, le service du groupe et l’anarchie libératrice, la sécu
386 e collectif et l’individuel, le service du groupe et l’anarchie libératrice, la sécurité et le risque, les règles du jeu q
387 du groupe et l’anarchie libératrice, la sécurité et le risque, les règles du jeu qui sont pour tous et la vocation qui es
388 t le risque, les règles du jeu qui sont pour tous et la vocation qui est pour un seul. Crucifié, dis-je, car l’homme europ
389 l’autre de ces termes. Mais il entend les assumer et consister dans leur tension, en équilibre toujours menacé, en agonie
390 nt : cette lutte, consomme des énergies immenses. Et c’est pour cette raison qu’elle prévient parmi nous les entreprises e
391 aison qu’elle prévient parmi nous les entreprises et les plans gigantesques que nous voyons proliférer ailleurs. D’autre p
392 création) c’est celui que j’appelle la personne. Et ces institutions à sa mesure, à hauteur d’homme, traduisant dans la v
393 es, je les nommerai : fédéralistes. Ici, Mesdames et Messieurs, s’ouvre béante devant moi, la tentation de me lancer dans
394 s philosophiques de ces deux termes : la personne et le fédéralisme. Cette manière d’apparence rigoureuse s’autoriserait t
395 s voisins américains leurs méthodes pragmatiques, et à nos voisins soviétiques leur sens aigu des implications politiques
396 ons-nous ce que nous avons à faire pour maintenir et pour illustrer les valeurs propres de l’Europe. Ce sera peut-être un
397 e vraiment — sauver l’Europe, c’est pratiquement, et aujourd’hui, empêcher à tout prix la guerre. Et c’est aussi rendre in
398 , et aujourd’hui, empêcher à tout prix la guerre. Et c’est aussi rendre inutiles les mitraillettes de la révolution et les
399 endre inutiles les mitraillettes de la révolution et les fusillades massives. (Je ne dis pas — notez-le bien — empêcher le
400 t pas s’offrir des destructions supplémentaires.) Et je sais trop bien ce que certains vont me dire : que je fais là le je
401 Empêcher les guerres à tout prix… Or, les guerres et les révolutions, contrairement à ce que pensent beaucoup de bourgeois
402 que pensent beaucoup de bourgeois, sont initiées et déclenchées par les élites, ou par quelques meneurs et malmeneurs qui
403 clenchées par les élites, ou par quelques meneurs et malmeneurs qui usurpent la charge des élites lorsque celles-ci néglig
404 claire conscience des causes des guerres civiles et nationales, et des moyens d’y remédier. Or ces causes, nous allons le
405 nce des causes des guerres civiles et nationales, et des moyens d’y remédier. Or ces causes, nous allons les retrouver, pr
406 e l’homme européen, la source vive de sa grandeur et de sa spiritualité. Voilà le drame. La personne, en effet, c’est en c
407 cun de nous le conflit permanent entre la liberté et la vocation d’une part, et d’autre part l’engagement dans les réalité
408 anent entre la liberté et la vocation d’une part, et d’autre part l’engagement dans les réalités sociales. C’est un combat
409 Qui veut faire l’ange, ou le démon, fait la bête et voici qu’on l’enferme aujourd’hui dans la cage du parti ou de l’État.
410 e prêcher l’engagement personnel, libre, efficace et constamment critique. Et je ne dis pas cela dans l’abstrait ; j’ai en
411 rsonnel, libre, efficace et constamment critique. Et je ne dis pas cela dans l’abstrait ; j’ai en vue des exemples précis.
412 ce n’est nullement l’excès inverse de l’anarchie et du capitalisme libéral, mais bien cette morale civique, cet équilibre
413 t équilibre, sans cesse rajusté, entre la liberté et l’engagement, dont s’honorent en Europe les pays dominés par l’influe
414 ue ce sont sans contredit : la fédération suisse, et les royaumes démocratiques et socialistes du Nord, Scandinavie, Holla
415 fédération suisse, et les royaumes démocratiques et socialistes du Nord, Scandinavie, Hollande et Grande-Bretagne. Parce
416 ues et socialistes du Nord, Scandinavie, Hollande et Grande-Bretagne. Parce qu’ils ont su devenir, en toute liberté, les p
417 ctivisme autoritaire. Sur le plan de la personne, et du civisme donc, la déviation vers l’anarchie d’une part, la déviatio
418 l’étatisme d’autre part, conduisent identiquement et fatalement aux réactions sanglantes des guerres civiles, et par suite
419 ent aux réactions sanglantes des guerres civiles, et par suite, quel que soit le vainqueur, aux dictatures. Or il n’en va
420 ’en va pas autrement sur le plan de la communauté et de la politique des nations. Ici, l’équilibre vivant doit s’établir e
421 re vivant doit s’établir entre les groupes divers et la nation unie, puis entre les nations diverses et l’Europe ; puis en
422 t la nation unie, puis entre les nations diverses et l’Europe ; puis entre l’Europe et le monde. À tous les degrés, nous r
423 ations diverses et l’Europe ; puis entre l’Europe et le monde. À tous les degrés, nous retrouvons les mêmes tentations opp
424 s, nous retrouvons les mêmes tentations opposées, et par suite les mêmes causes de guerre, dès que l’un des éléments en éq
425 éléments en équilibre faiblit, ou se voit écrasé et absorbé par l’autre. La volonté d’unification nationale à la manière
426 la cause de presque toutes nos guerres. J’ai dit, et je ne le répéterai jamais assez, qu’il faut voir dans le nationalisme
427 le qu’il s’agit de maintenir entre le particulier et le général. D’une part, en effet, le nationalisme écrase les diversit
428 diversités vivantes, sous prétexte d’unification, et alors on ne saurait plus parler d’union, puisqu’il n’y a plus rien à
429 ductible. Le fédéralisme, au contraire, veut unir et non pas unifier. Et justement parce qu’il respecte à l’intérieur d’un
430 isme, au contraire, veut unir et non pas unifier. Et justement parce qu’il respecte à l’intérieur d’une nation la riche di
431 e l’exemple vécu. Telle est la santé de l’Europe, et telles sont ses deux maladies, contradictoires en apparence, mais éga
432 is également provocatrices de guerre. Cette santé et ces maladies se définissent respectivement comme les états d’équilibr
433 s états d’équilibre ou de relâchement d’une seule et même tension fondamentale, d’une condition profondément et vitalement
434 ension fondamentale, d’une condition profondément et vitalement contradictoire de l’homme. Et c’est pourquoi la vocation d
435 ondément et vitalement contradictoire de l’homme. Et c’est pourquoi la vocation de l’Europe et des élites qui portent la c
436 ’homme. Et c’est pourquoi la vocation de l’Europe et des élites qui portent la conscience de cette Europe, m’apparaît, dan
437 e, m’apparaît, dans un double office de vigilance et d’invention. Le trésor de l’Europe, c’est son idée de l’homme. Mais c
438 s sont les vraies causes de nos malheurs sociaux. Et notre second office est l’invention de structures politiques du type
439 es du type fédéraliste, seules créatrices de paix et seules capables de sauvegarder la liberté dans l’ordre. Après tout, c
440 en mesure de le faire à cause de ses diversités ; et de le faire non seulement pour son salut, mais pour celui de la paix
441 pour celui de la paix du monde entier. ⁂ Mesdames et Messieurs, si les descriptions pessimistes de l’Europe auxquelles je
442 e deux grands empires, minée par son propre génie et par l’abus de ses vertus bien plus encore que par ses vices, l’Europe
443 d’envisager sa fonction dans le monde, son avenir et le nôtre en elle ? Pour ma part, j’entretiens une croyance toute myst
444 t maintenu en vie par la vie même de sa vocation, et qu’il tombe bientôt lorsqu’elle est accomplie. Or, notre vocation eur
445 fire. J’en indiquerai rapidement quelques autres, et ce sera ma conclusion. Une raison toute physique, géographique d’abor
446 cette Grèce agrandie, est un continent cloisonné, et par nature diversifié, impropre donc et même rebelle aux planificatio
447 loisonné, et par nature diversifié, impropre donc et même rebelle aux planifications sur table rase que l’Amérique, et sur
448 aux planifications sur table rase que l’Amérique, et surtout la Russie — ces deux grandes plaines d’un seul tenant — peuve
449 s, l’Europe garde encore l’apanage du scepticisme et de l’esprit critique. Les Églises, autrefois, les redoutaient ; je pe
450 e scepticisme, s’applique aux mystiques de l’État et du Parti divinisé, aux idéaux purement profanes et séculiers que nous
451 t du Parti divinisé, aux idéaux purement profanes et séculiers que nous proposent l’URSS et les US. Vis-à-vis de ces mysti
452 t profanes et séculiers que nous proposent l’URSS et les US. Vis-à-vis de ces mystiques et de ces idéaux, c’est notre sens
453 sent l’URSS et les US. Vis-à-vis de ces mystiques et de ces idéaux, c’est notre sens d’un absolu qui dépasse l’homme et so
454 c’est notre sens d’un absolu qui dépasse l’homme et son bonheur, c’est notre sens du transcendant, précisément, c’est not
455 st notre foi, qui doit faire de nous des douteurs et des objecteurs de conscience. Cependant que notre sens de l’équilibre
456 remettre à leur place ces prétentions divinisées, et à les taxer sobrement, non sans humour à l’occasion. J’ai souvent pro
457 que le plus grand est nécessairement le meilleur. Et que l’on peut impunément multiplier n’importe quoi par 10 ou 100. Vou
458 e l’homme total. Ils ne sont que des expériences, et le propre d’une expérience est de rater neuf fois sur dix. Je pense a
459 0 eut pour effet de la réveiller, de l’humaniser, et par là même de la rapprocher de l’Europe. Je pense surtout à l’avenir
460 érences individuelles les gênent, l’opinion libre et la presse les gênent, et les partis — surtout de gauche, et l’imprévu
461 gênent, l’opinion libre et la presse les gênent, et les partis — surtout de gauche, et l’imprévu de l’invention dans les
462 se les gênent, et les partis — surtout de gauche, et l’imprévu de l’invention dans les arts ou de la découverte dans les s
463 s les arts ou de la découverte dans les sciences, et l’insouciance et l’inquiétude, et l’humour et l’esprit de révolte, et
464 la découverte dans les sciences, et l’insouciance et l’inquiétude, et l’humour et l’esprit de révolte, et le scepticisme r
465 s les sciences, et l’insouciance et l’inquiétude, et l’humour et l’esprit de révolte, et le scepticisme rationnel autant q
466 es, et l’insouciance et l’inquiétude, et l’humour et l’esprit de révolte, et le scepticisme rationnel autant que la foi re
467 l’inquiétude, et l’humour et l’esprit de révolte, et le scepticisme rationnel autant que la foi religieuse — et c’est à te
468 pticisme rationnel autant que la foi religieuse — et c’est à tel point qu’on se demande si ce qui les gêne le plus n’est p
469 omme en soi — l’éternel résistant ! Or, l’Europe, et c’est là sa grandeur, a justement vécu de toutes ces choses gênantes,
470 r, il n’est pas impossible, il est même probable, et c’est là mon espoir, que les Russes, comme les Américains, viendront
471 érir auprès de nous des secrets de notre désordre et de nos ordres — sinon eux du moins leurs enfants. Un dernier trait :
472 si on la compare aux deux empires séparés d’elle, et que je nomme les deux empires sans précédent — l’Europe est la patrie
473 moire du monde, le lieu du monde où l’on conserve et reproduit les plus vieux documents des races humaines, et non seuleme
474 duit les plus vieux documents des races humaines, et non seulement dans les musées et bibliothèques mais dans les mœurs et
475 races humaines, et non seulement dans les musées et bibliothèques mais dans les mœurs et les coutumes aussi, dans les hab
476 s les musées et bibliothèques mais dans les mœurs et les coutumes aussi, dans les habitudes du langage et dans l’intimité
477 les coutumes aussi, dans les habitudes du langage et dans l’intimité des relations humaines. Voilà pourquoi l’Europe a tou
478 l’Europe construit des églises modernes, en verre et en ciment armé, tandis que l’Amérique en est encore à bâtir des églis
479 de lui-même les utopies les plus transformatrices et les plus riches d’avenir, pour tous les autres hommes de la planète.
480 aine mesure, qui est celle du réalisme politique, et il fallait tout de même que ce fût dit ici, la question de l’avenir d
481 ce simple dilemme : la Planète unie ou la Bombe. Et je veux dire : Si les États-Unis et la Russie ne s’entendent pas, si
482 ou la Bombe. Et je veux dire : Si les États-Unis et la Russie ne s’entendent pas, si la guerre atomique éclate, il n’y a
483 ue éclate, il n’y a plus de problème de l’Europe, et d’une façon plus générale, il n’y a peut-être plus de problème de l’i
484 e l’ici-bas, mais seulement du jugement dernier — et je n’en dirai rien, n’y pouvant rien. Mais dans une large mesure auss
485 avenir du monde dépend de l’attitude de l’Europe, et de son pouvoir d’invention. Ici, point de malentendu ! Ne demandons p
486 posé aux deux autres. Ce ne serait rien résoudre, et au contraire, ce serait exalter le nationalisme aux dimensions contin
487 sions continentales. Ce qu’il nous faut demander, et obtenir, nous tous, c’est que les nations européennes s’ouvrent d’abo
488 autres, suppriment sur tous les plans frontières et visas, renoncent au dogme meurtrier de la souveraineté absolue, créan
489 monde, du même coup. Ce qu’il nous faut demander et obtenir — obtenir de nous-mêmes tout d’abord — c’est que le génie de
490 ’abord — c’est que le génie de l’Europe découvre, et qu’il propage, les antitoxines des virus dont il a infesté le monde e
491 n vue d’une fédération mondiale. Il n’y a de paix et donc d’avenir imaginable que dans l’effort pour instaurer un vrai gou
492 fort pour instaurer un vrai gouvernement mondial. Et le monde, pour ce faire, a besoin de l’Europe, j’entends de son espri
493 ens inventif. La pensée du monde, c’est l’Europe. Et s’il s’agit vraiment de penser, que penser d’autre pour la paix, je v
494 n sans bonheur, je crois, l’attitude d’engagement et de solidarité qui doit ici nous inspirer, je dirai, songeant à l’Euro
495 ici nous inspirer, je dirai, songeant à l’Europe et à sa vocation mondiale, et je vous invite à le dire avec moi : Je pen
496 i, songeant à l’Europe et à sa vocation mondiale, et je vous invite à le dire avec moi : Je pense, donc j’en suis ! g.
7 1947, Articles divers (1946-1948). L’opportunité chrétienne (1947)
497 de la philologie, puis des systèmes sociologiques et philosophiques qui se mirent à pulluler dès le xixe siècle, et qui s
498 ues qui se mirent à pulluler dès le xixe siècle, et qui se posaient en termes intraduisibles dans les catégories théologi
499 fendre contre la menace quotidienne, innombrable, et sans cesse accrue mais d’une manière imperceptible, d’habitudes de pe
500 ’une manière imperceptible, d’habitudes de pensée et de vie de moins en moins conformes aux lois spirituelles : sans le sa
501 e persécution à coups d’épingle, de demi-sourires et d’ironies intellectuelles basées sur « les derniers progrès de la sci
502 it du bien. Partout, l’on vit au cours du xviiie et surtout du xixe siècle, s’exténuer les formes extrêmes, hardies et c
503 siècle, s’exténuer les formes extrêmes, hardies et créatrices des différentes confessions. On reculait sous la pression
504 oralisme centré sur l’homme. Tout tranquillement, et pour sauver leur corps, les Églises renonçaient sinon à leur âme même
505 cette véhémence flambante qui fut toujours signe et symbole de l’Esprit. Un fils soumis de Rome, le grand Paul Claudel, p
506 emarque hélas valable pour bien d’autres Églises, et qui résume toute une époque. Je pense qu’avec la guerre, cette époque
507 pense qu’avec la guerre, cette époque a pris fin. Et je fonde cette croyance sur quelques faits. C’est un fait que le tota
508 e qui semblait établie entre les sociétés laïques et les Églises ; qu’il a brusquement mis à nu l’État minoritaire des chr
509 été abattu finalement, dans ses formes déclarées et spectaculaires tout au moins ; et que son élévation brutale puis sa c
510 ormes déclarées et spectaculaires tout au moins ; et que son élévation brutale puis sa chute ont été pour toutes les Églis
511 ienne, qui prétendait se substituer à la religion et conduire le monde moderne vers un paradis sans Dieu, a démontré son i
512 ès de la Science » autorisent de moins en moins —  et non de plus en plus, comme au siècle passé — à mettre en doute la vér
513 mme au siècle passé — à mettre en doute la vérité et la validité des dogmes chrétiens. L’ère des argumentations « scientif
514 critiques de l’extérieur. Renaissance du thomisme et des études mystiques chez les catholiques ; restauration de la dogmat
515 ez les protestants ; réapparition d’une puissante et purifiée Église orthodoxe à l’Est. Mais dire que l’époque de la défen
516 ns ce « presque » est la différence entre honneur et honte, vie et mort.) Et que trouvent aujourd’hui les peuples devant e
517 e » est la différence entre honneur et honte, vie et mort.) Et que trouvent aujourd’hui les peuples devant eux ? Battus et
518 différence entre honneur et honte, vie et mort.) Et que trouvent aujourd’hui les peuples devant eux ? Battus et vainqueur
519 uvent aujourd’hui les peuples devant eux ? Battus et vainqueurs, épuisés, cherchent en vain une utopie nouvelle. Les uns s
520 e nouvelle. Les uns s’abandonnent aux vieilleries et tentent de restaurer le nationalisme, condamné par les catastrophes r
521 inoffensives. Devant cette démission de la pensée et de la morale, l’État se voit forcé d’étendre ses pouvoirs, à coups de
522 inal sans précédent. Ce vide est un appel, urgent et dramatique. Un appel à l’attaque, à l’offensive, à l’initiative, à du
523 ’initiative, à du plein. Ou encore : les Églises et leurs prédicateurs ont moins que jamais à se soucier, aujourd’hui, de
524 se noient. Comme laïque se tenant dans l’Église, et voyant au-dehors ses chances d’action, et la misère du temps qui appe
525 Église, et voyant au-dehors ses chances d’action, et la misère du temps qui appelle, j’attends ceci : 1° Que l’Église offr
526 s, le règne de l’argent, le nomadisme industriel, et les déportations en masse, ont presque tué, laissant le champ libre à
527 ont presque tué, laissant le champ libre à l’État et à ses réglementations, souvent utiles, mais qui ne sont jamais règles
528 urelles viables ; qu’elle ose de nouveau soutenir et guider une avant-garde intellectuelle, au lieu de garder sa position
529 lectuelle, au lieu de garder sa position méfiante et arriérée — académique — dans les arts sacrés comme vis-à-vis de la cu
530 héologiens adoptent une politique d’intervention, et non de vertueuse indignation, à l’égard des écoles nouvelles, dépourv
531 philosophie, littérature — est sortie des églises et des couvents. Hélas, elle en est bien sortie ! Il est temps que nous
532 ner ! 3° Que l’Église cesse de défendre la triste et inefficace moralité bourgeoise, avec laquelle trop de chrétiens confo
533 op de chrétiens confondent aujourd’hui la vertu ; et qu’elle restaure chez les fidèles le sens de la vocation personnelle,
534 e bourgeoise. Quelque chose qui entraîne en avant et au-delà, non pas ce qui retient en arrière des risques de la vie. 4°
535 transcende nos attachements nationaux, politiques et raciaux. Et c’est pourquoi le mouvement œcuménique revêt une importan
536 os attachements nationaux, politiques et raciaux. Et c’est pourquoi le mouvement œcuménique revêt une importance politique
537 tés nationales. Que dis-je, il peut ! Il le doit, et de toute urgence ! S’il y échoue, je ne vois aucune raison d’attendre
538 se, pour le monde, que des tyrans, leurs guerres, et les tyrannies qui en résultent… Un mot encore. Ce programme, qui rés
539 ses comme corps organisés ne peuvent que soutenir et encadrer l’action chrétienne. Celle-ci se fera, comme elle s’est touj
540 omme elle s’est toujours faite, par des personnes et par des petits groupes ; par quelques « fous de Dieu » comme saint Fr
541 celui qui a reçu de Dieu une vocation précise », et il ajoute : « toute vocation est sans précédent, et paraît donc ‟invr
542 il ajoute : « toute vocation est sans précédent, et paraît donc ‟invraisemblable” à celui qui la reçoit. Exemple : Abraha
8 1947, Articles divers (1946-1948). La guerre des sexes en Amérique (janvier 1947)
543 naître qu’il s’agit là d’un passe-temps absorbant et plaisant, il est non moins généralement admis que ce n’est pas un spo
544 néralement admis que ce n’est pas un sport public et diurne. Cette petite nouvelle, parue dans le respectable New York Ti
545 logue intuitif tient une lettre à peine regardée, et que vous tentez de formuler ce qu’il évoque dans votre esprit comme t
546 gles sociales communément respectées en principe, et un ensemble de pratiques traditionnelles permettant de tourner ces rè
547 nnsylvanie, de tel milieu méthodiste ou baptiste, et le laisser-aller naïf en apparence de la jeunesse qui vit au cinéma e
548 aïf en apparence de la jeunesse qui vit au cinéma et s’inspire des valeurs d’Hollywood, en dépit de toutes les censures ?
549 t de toutes les censures ? Car en Europe, le vice et la vertu restent fort étroitement liés, l’un vivant de l’autre, pour
550 nt liés, l’un vivant de l’autre, pour ainsi dire, et n’existant que par la négation de l’autre, si bien que le contraste e
551 ve en fin de compte d’une même estimation du rôle et de l’importance de la sexualité. Tandis qu’en Amérique nous trouvons
552 lement admises, semble-t-il, l’une faite de vices et de vertus, comme chez nous, mais l’autre étant un « sport » d’une nat
553 tre étant un « sport » d’une nature différente, —  et c’est la seconde que j’essaierai de décrire. ⁂ De la passion Je
554 des dispositions spirituelles à la fois délicates et profondes, mais qui n’ont pas trouvé leur véritable objet ; un pouvoi
555 e fidélité ; enfin le mépris des biens terrestres et du bonheur… L’amour-passion ne peut exister que dans une civilisation
556 de chaque être. Il suppose un objet irremplaçable et comme prédestiné par un acte divin. Ces lignes, écrites en Amérique,
557 ation, peu enclin au mépris des biens terrestres, et religieusement convaincu que le bonheur est le but de la vie : n’est-
558 que la nôtre. En bref, il n’aime point souffrir, et tient pour perversion ce goût de la torture exaltante et intéressante
559 t pour perversion ce goût de la torture exaltante et intéressante qui fait le sujet de nos plus beaux romans d’amour. Les
560 x autant de preuves que l’affaire est mal engagée et qu’il ferait bien d’y renoncer. Si quelque drame se noue dans sa vie,
561 z jamais prendre au piège d’une intrigue complexe et qui menace de tirer à conséquence : telle est la grande maxime de sa
562 Les difficultés sentimentales qui nous fascinent et que nous cultivons, sans nous l’avouer, lui font peur, et l’éloignent
563 ous cultivons, sans nous l’avouer, lui font peur, et l’éloignent vite de l’être ou des circonstances qui les causent. Il n
564 ne croient guère à la valeur unique d’un être, —  et il est vrai qu’il faut beaucoup de soins, de temps perdu, de complais
565 eaucoup de soins, de temps perdu, de complaisance et de folies pour composer une telle croyance. Nul n’est irremplaçable d
566 ul n’est irremplaçable dans un monde aussi vaste, et où les déplacements sont si faciles. Au vrai, l’amour-passion ne saur
567 ui n’accorde à l’échec nulle dignité spirituelle, et qui ne tient pour vrai que ce qui réussit. Or, l’échec n’est pour eux
568 t. Or, l’échec n’est pour eux qu’une perte sèche, et non la condition d’un approfondissement de la conscience et de la den
569 condition d’un approfondissement de la conscience et de la densité de la vie. Comme on demandait à une Américaine intellig
570 pas à rester seuls. Du matriarcat, du mariage et des « moms » Dans un tel monde, il ne subsiste que deux solutions
571 ype nouveau. Il se fonde sur l’égalité économique et légale des conjoints, donnant ainsi un avantage énorme aux femmes. C’
572 borne pas à choisir les rideaux, mais la maison, et même l’auto. Je vois la preuve qu’elle se sent responsable et autonom
573 to. Je vois la preuve qu’elle se sent responsable et autonome (ou un peu plus) dans cette ardeur inextinguible qui la poss
574 fectionner tout ce qui tombe à portée de sa main ( et un peu plus). On ne saurait dire d’elle, comme de l’Européenne, par,
575 r elle règne, tout simplement, dans toute la vie, et le foyer n’est qu’une partie de ses domaines. Il s’agit de l’aménager
576 au service de tout le reste : la carrière du mari et la sienne propre, l’hygiène des enfants, les relations sociales. Pour
577 Si ces dernières se multiplient dans une cuisine et un sous-sol américain, c’est justement pour libérer la femme des souc
578 ait, au labeur harcelant, physiquement déformant, et moralement aigrissant à l’extrême, dont la majorité des femmes d’Euro
579 C’est le mari qui peine pour payer le frigidaire et permettre à la femme de lire des romans, — ou d’en écrire. Regardez m
580 une calme indifférence. Chaque pas, chaque geste, et chaque moue de la femme manifeste qu’elle sait ce qu’on lui doit. Com
581 e à son mari d’intervenir, sinon elle va se lever et sortir d’un pas vif, le menton haut, les cheveux au vent. Et le mari
582 ’un pas vif, le menton haut, les cheveux au vent. Et le mari se hâte d’obtempérer pour éviter le pire. Cette domination de
583 Elle s’enracine profondément dans la psychologie et dans l’économie américaine. On assure que les femmes possèdent le 75 
584 royal de la femme a ses bases vraiment profondes. Et cette psychologie tient dans un mot, dans moins qu’un mot, dans l’abr
585 ecret de millions de drames matrimoniaux, sexuels et psychiques : MOM. Philip Wylie, dans un livre rageur intitulé Généra
586 iarcat américain. MOM est partout, elle est tout et dans tous, et d’elle dépend le reste des États-Unis. Déguisée en bonn
587 in. MOM est partout, elle est tout et dans tous, et d’elle dépend le reste des États-Unis. Déguisée en bonne vieille ; mo
588 de l’activité domestique, a créé le Women’s Club et cent-mille organisations analogues, devant lesquelles tremblent les d
589 osexuels, plus d’obsédés que l’on enferme ou non, et plus d’alcooliques qu’aucune autre. Dans la femme qu’il épouse, le je
590 mment, cherche la mère. Il la sert, elle l’endort et le semonce. Au culte qu’il est censé lui rendre, elle répond dans le
591 oyauté que le suzerain jadis accordait au vassal. Et ce n’est point qu’elle soit moins capable qu’une autre d’amour, de te
592 faite pour éveiller en elle le goût de la liberté et de l’autonomie, comme elle dira ; entendons bien : de la domination.
593 cessité vertu, prend en main les rênes de la vie, et se prépare à devenir à son tour une mom aussi redoutablement « perfec
594 une mom aussi redoutablement « perfectionniste » et activiste que sa belle-mère. Quant à l’homme, cause du mal et victime
595 que sa belle-mère. Quant à l’homme, cause du mal et victime peu consciente, il se réfugie dans son club ou parmi les copa
596 lle américaine, ménage peu de contacts entre mari et femme, et sans doute n’en souffrent-ils guère. Lui déjeune avec ses c
597 aine, ménage peu de contacts entre mari et femme, et sans doute n’en souffrent-ils guère. Lui déjeune avec ses collègues e
598 asses, à la caserne ou dans une réunion publique ( et les femmes s’approchent volontiers), mais il y a je ne sais quoi de r
599 iers), mais il y a je ne sais quoi de repoussant ( et pas seulement pour un Européen, je m’en assure) dans un rassemblement
600 s pour la chasse au taxi, s’ils sortent ensemble. Et le reste, souvent, se perd dans les alcools. Tout se passe comme si l
601 aisselle pendant que la femme couche les enfants, et tous les repas sont pris dans la petite cuisine blanche, parfois orné
602 pe avant tout du passé, d’un capital de souvenirs et d’habitudes communes, dont la rupture du couple entraînera la perte.
603 du divorce que par le temps de changer de salle, et c’est le même juge — passant par l’autre porte — qui légalisera les d
604 r à la maison un entrepreneur des pompes funèbres et des couronnes : divorce accordé. Il se frappait la tête contre les pa
605 accordé. Il se frappait la tête contre les parois et lui mordait souvent les jambes : divorce accordé. La loufoquerie amér
606 le amuse. Vous penserez que ce n’est pas sérieux, et peut-être aurez-vous raison. Si grave que soit un tel jugement, j’inc
607 divorce, révèle que ses mariages manquent de sens et de sérieux. Il n’y entre pas pour toute la vie, mais pour un bail de
608 re fois ! » Deux ans plus tard, elle était à Reno et se remariait, « elle pour la seconde fois, lui pour la quatrième ». C
609 e 1000 dollars, prix du voyage de Reno, du séjour et des avocats. L’hygiène morale de l’Amérique ne tolère pas dans un foy
610 un foyer les miasmes d’une situation irrégulière, et ne laisse pas le temps de les résorber. C’est une passion de la propr
611 te issue en Angleterre de la Réforme calvinienne, et transplantée dans toute sa virulence en Amérique, détermine de nos jo
612 être un Américain, c’est être un homme « décent » et comme je demandais à quelques étudiants ce qu’ils entendaient par là,
613 ux me dit : « Décent est l’homme qui tient parole et se tient propre, à tous égards. » Cette volonté de vivre une vie nett
614 quant aux « origines de la vie », que les parents et professeurs expliquent avec un certain pédantisme, craignant par-dess
615 ue les enfants n’aillent se former des complexes… Et pourtant, dans cette liberté, qui entraîne une grande licence des mœu
616 e. Ce qu’il ignore, c’est ce mélange de scrupules et de goût de les violer, de sentiment longuement macéré et de raffineme
617 oût de les violer, de sentiment longuement macéré et de raffinements casuistiques, de conscience dans le mal et de plaisir
618 finements casuistiques, de conscience dans le mal et de plaisir au drame qui, chez nous, pervertit la vie sexuelle et l’él
619 u drame qui, chez nous, pervertit la vie sexuelle et l’élève au niveau de la culture. Puritain ou émancipé, le jeune Améri
620 pensables en Amérique seraient sans doute Adolphe et les Liaisons dangereuses. Ajoutons-y la poésie d’un Baudelaire, sa sp
621 delaire, sa spiritualité sensuelle. Les avantages et les dangers de l’état des mœurs que l’on vient d’esquisser donneraien
622 ais il se peut qu’elle soit tout simplement sexy, et que l’obsession n’existe que chez lesdits critiques. Certains Europée
623 es tabous puritains, refoulés dans l’inconscient, et qui se vengent. Les statistiques de crimes sadiques, de délinquance j
624 aut pas oublier l’influence beaucoup plus directe et contrôlable du cinéma et des comics. À mon avis, l’aspect le plus int
625 ce beaucoup plus directe et contrôlable du cinéma et des comics. À mon avis, l’aspect le plus intéressant de l’évolution a
626 qui sera sans doute celui de la Russie soviétique et d’une partie de la jeunesse européenne. Essayons de le définir en que
627 sens tragique de l’amour ; réalisme scientifique et quelque peu pédant, substitué aux préjugés du moralisme, mais aussi d
628 u libertinage ; fuite générale devant l’intensité et les complexités sentimentales ; l’échange sexuel, par consentement co
629 firmation du droit au bonheur comme seule règle ; et peut-être, du fait de l’égalité complète, désaffection mutuelle des d
630 n la prophétie de Vigny, fatigués de leurs brèves et frustes pariades ?) Tout cela, au stade présent du moins, trop volont
631 cela, au stade présent du moins, trop volontaire et rationnel pour que l’on soit en droit d’y voir une « révolte des inst
632 ontraire de ce que pensent la jeunesse américaine et ses censeurs de plus en plus timides, la violence primitive et la san
633 rs de plus en plus timides, la violence primitive et la santé de l’instinct soient justement les vraies créatrices de tabo
634 soient justement les vraies créatrices de tabous, et que la suppression de ces derniers, loin de relever d’une dialectique
635 elever d’une dialectique normale entre contrainte et liberté, trahisse un fléchissement vital. Possible aussi, d’un tout a
636 plus perverses qu’ait jamais sécrétée l’humanité, et que sa disparition assainisse l’atmosphère tout en affadissant la vie
637 — le jeune Américain, s’il trouve une voie saine et quelques disciplines praticables, sera vraiment le génie du siècle et
638 nes praticables, sera vraiment le génie du siècle et l’objet d’une grâce spéciale. Or c’est bien ce qu’il pense être, étan
9 1947, Articles divers (1946-1948). Journal d’un intellectuel en exil (mars 1947)
639 découvert un « milieu littéraire » dans ce pays. Et ce n’était pas une terrasse de café, ni l’antichambre d’une maison d’
640 tout cela n’existe en Amérique — mais une party. Et cette party n’était pas animée par la vivacité des discussions, la co
641 uyante, mais un humour bonhomme, un peu loufoque, et beaucoup de sérieux professoral : car les poètes ici sont professeurs
642 rs sont plutôt journalistes. Quant à leurs femmes et amies, elles m’ont paru cultiver le genre des nihilistes russes d’ant
643 Cela tient sans doute à mille raisons matérielles et sociales d’abord, dont j’ai deviné quelques-unes en fréquentant les é
644 , compensant par la brusquerie de leurs jugements et un style tough (nous dirions « dur » ou « vache ») leur défaut de res
645 énéral trop formalistes ou rhétoriques nos poèmes et nos essais. Une jeune romancière me disait : « Vous autres, Européens
646 amisme, une certaine approche brute, instinctive, et parfois émue de la « vie »… On ne sait trop. Le savent-ils eux-mêmes 
647 enser, ils tournent aussitôt au pédant germanique et jugent mundane ou irresponsible celui qui évite dans ses écrits les m
648 celui qui évite dans ses écrits les mots en isme, et le langage technique des ismes réputés d’avant-garde. Leur vrai drame
649 r paraît méchamment subversif, « réactionnaire », et tout est dit… 25 janvier 1941 Cinquième colonne. — Quelques fragment
650 ais il a le malheur de porter sur les années 1935 et 1936. Or le public veut de l’actualité. Le second m’a fait venir ce m
651 lerait de cinquième colonne à propos de ma maison et de vous-même. — Savez-vous que mon livre est sur la liste noire des A
652 ue mon livre est sur la liste noire des Allemands et même de l’organisation vichyssoise des libraires ? Savez-vous que la
653 théologie, socialiste militant, polémiste sérieux et sarcastique, il mène campagne pour l’intervention de l’Amérique dans
654 rique dans le conflit. Une petite revue virulente et dense, Christianity and Crisis, qu’il vient de fonder, s’efforce de c
655 tisans sournois d’Hitler, de Mussolini, de Franco et de leurs régimes « d’avenir »… Celui qui ne veut pas croire au diable
656 é où l’on doit se munir d’un plateau, de services et d’assiettes pris sur la pile, puis défiler devant un comptoir où l’on
657 ats de son choix, — je déjeune avec des étudiants et leurs amies, des professeurs aussi, et quelques réfugiés. L’après-mid
658 étudiants et leurs amies, des professeurs aussi, et quelques réfugiés. L’après-midi, on m’emmène en auto dans la campagne
659 cord où j’ai vu la maison d’Emerson, ses chapeaux et ses cannes accrochés dans le hall, la chambre de Thoreau avec son lit
660 s de brique rose aux fenêtres encadrées de pierre et surmontés de clochers fins au bulbe d’or, devant le couvent luxueux d
661 , devant le couvent luxueux des moines anglicans, et plus loin, à travers un vaste terrain vague, des roseaux, des marais,
662 errain vague, des roseaux, des marais, des débris et les fumées des feux qui les détruisent, lieu de désolation voluptueus
663 e pays qui n’aime pas la mort comme les Germains, et n’en fait point de cérémonies grandiloquentes comme les Latins, a les
664 ouve une vraie place, au carrefour de trois rues, et des cafés où vers six heures du soir se groupent autour d’un verre et
665 six heures du soir se groupent autour d’un verre et d’un problème les écrivains, les jeunes professeurs, les logiciens et
666 écrivains, les jeunes professeurs, les logiciens et les théologiens. On m’y a présenté trois génies. Un génie aux États-U
667 n éloge excité, dans leur bouche : cela se mesure et cela se définit par des signes certains et scientifiques. Le test d’i
668 mesure et cela se définit par des signes certains et scientifiques. Le test d’intelligence d’un génie (examen portant sur
669 modestes. J’en ai vu un qui mangeait un sandwich et c’était un spectacle fascinant. Il l’avait découpé en rectangles égau
670 ascinant. Il l’avait découpé en rectangles égaux, et l’absorba sans le regarder, comme on résout un petit problème de logi
671 chômage . Je disais simplement : « Gagner peu ». Et cela pouvait suffire en France. Ici, la recette ne vaut rien. Le mini
672 tte ne vaut rien. Le minimum requis est impérieux et difficile à obtenir parce que le dollar est très cher. On ne peut pas
673 pas « se débrouiller » avec moins qu’il ne faut. Et je touche ici la limite des fameuses libertés américaines, non sans a
674 au bourgeois, celui que revendiquent les ouvriers et qu’ils atteignent presque tous ici, quand les Russes ne font qu’en pa
675 uels ? Ils n’ont de choix qu’entre le journalisme et le professorat. Or je répugne à l’un autant qu’à l’autre… ! Fin décem
676 e6, au haut d’une vieille maison de pierre brune, et quitté non sans soulagement mon hôtel. Un plancher bleu foncé, des mu
677 é, des murs blancs, un plafond vitré. Deux larges et basses fenêtres sur la cour. En face, le haut building d’une imprimer
678 i est un couvent. Les nonnes, deux par deux, vont et viennent sur ce toit en lisant. Comme il n’y a ni mur, ni barrière, i
679 re à chaque fois qu’elles fassent un pas de trop, et tombent dans le vide, pour peu que leur lecture les passionne. Mercre
680 suis enfermé sans plus bouger, entre mon fauteuil et ma table — les deux bras du fauteuil touchant le bord de la table — d
681 eures, je me suis mis à écrire. Il est dix heures et j’ai devant moi les trois premiers chapitres terminés. J’ai faim, j’a
682 s 1942 Ou écrire, ou sortir. — Après trois jours et nuits de travail acharné, j’ai tenté hier soir une sortie. Deux signe
683 à nouvel ordre je suis le prisonnier de mon livre et ferais bien de ne plus m’en échapper. Je devais aller chez des amis a
684 urant, au bas de Madison Avenue. La salle étroite et profonde paraît vide. Il doit être environ neuf heures et demie. J’hé
685 nde paraît vide. Il doit être environ neuf heures et demie. J’hésite sur le seuil : va-t-on me servir encore ? Au fond de
686 servir encore ? Au fond de la salle, deux hommes et une femme attablés causent et boivent. L’un des hommes m’ayant remarq
687 salle, deux hommes et une femme attablés causent et boivent. L’un des hommes m’ayant remarqué, je l’entends dire : « Voil
688  : « Voilà le diable ! » Ils se retournent à demi et rient. J’ai fui. Pas d’autre restaurant dans ce quartier. Je suis mon
689 ’en ai pas de plus charmants dans toute la ville, et je les ai vus presque chaque jour le mois dernier. Mais ce soir-là je
690 dernier. Mais ce soir-là je n’avais rien à dire, et me demandais non sans angoisse ce que l’on peut bien avoir à dire, en
691 crire, ou sortir. 20 mars 1942 Pluie torrentielle et fonte des neiges. Les nonnes ne sortent plus, ou sont peut-être tombé
692 ied cassé de mon petit fauteuil. Bonheur d’écrire et de me sentir libre nuit et jour. Fin mars 1942 Écrit finis à six heur
693 euil. Bonheur d’écrire et de me sentir libre nuit et jour. Fin mars 1942 Écrit finis à six heures du matin. Église Saint-M
694 aint-Marc à l’aube froide, quelques bonnes femmes et un jeune homme devant le vieux prêtre anglican, dans une crypte de pi
695 démolir mon étage. Je louais cet atelier au mois et n’ai donc plus qu’à déguerpir sans insister. 16 avril 1942, 11 West,
696 et Emménagé dans une belle chambre blanche, vaste et carrée. Je me sens rendu au monde et à la vie courante. Mais pendant
697 anche, vaste et carrée. Je me sens rendu au monde et à la vie courante. Mais pendant que je m’escrimais contre son image f
698 iable a tranquillement vidé mon compte en banque, et je ne suis pas plus avancé qu’au temps de mon île atlantique. 21 avri
699 Ou dans la même, on ne voit pas les mêmes objets. Et comme le monde est une vitrine, en bonne partie, il doit être possibl
700 é voir mes enfants à Long Island, le samedi soir, et le dimanche matin j’annonce subitement que je dois rentrer en ville p
701 e sentais qu’il fallait rentrer. J’ouvre ma porte et j’entends le téléphone. C’est un ami qui va quitter l’Office of War I
702 hington. La place sera vacante demain après-midi, et sans doute repourvue. Si j’y vais, j’ai les plus grandes chances. J’y
703 ais, j’ai les plus grandes chances. J’y suis allé et une demi-heure plus tard, je me mettais à ce travail, nouveau pour mo
704 ouveau pour moi : écrire des textes d’information et des commentaires politiques, diffusés par ondes courtes vers la Franc
705 tiques, diffusés par ondes courtes vers la France et retransmis de Londres par la BBC. Fin mai 1942 Échantillons. — Voici
706 nçaise d’un organisme américain qui tient le rang et joue le rôle de ministère de l’Information. Il peut être amusant de n
707 ncien secrétaire de la Nouvelle Revue française et l’ancien rédacteur en chef du Matin lui fournissent de la copie. Les
708 s anciens directeurs de La Révolution surréaliste et de L’Esprit nouveau parlent cette copie devant le micro. Cependant qu
709 fflement, mais il garde pour lui son port de tête et sa présence d’esprit indiscernablement ironique, admirante et solenne
710 ce d’esprit indiscernablement ironique, admirante et solennelle. Qu’on lui donne un royaume ! Ou plutôt non : qu’on lui do
711 plutôt non : qu’on lui donne une église à régir, et le beau nom du sacerdoce à restaurer dans une atmosphère orageuse ! M
712 ux speakers, nous trouvons un moment pour causer. Et souvent nous parlons des fêtes que nous rêvons d’organiser. Celle par
713 personne inconnue des autres, tous étant costumés et masqués, les propos échangés dans un style rigoureusement pSt. J. Per
714 mmédiates. Rendre un sens aux paroles, aux gestes et au costume, par cela même à la Surprise… Introduction à la vie hiérat
715 qui sont André Breton, le peintre Amédée Ozenfant et le jeune fils des Pitoëff, se voient priés de passer au studio 16 pou
716 parle aux Français. Il est temps que je recueille et dépouille les directives de Washington, de New York, de Londres, pour
717 , sort de sa cage vitrée, le crayon sur l’oreille et le front maculé d’encre à copier. Il me cherche du regard par-dessus
718 r vous là-dedans ! » Cela tient de la divination, et c’est juste neuf fois sur dix. Huit heures et demie. L’équipe de nuit
719 on, et c’est juste neuf fois sur dix. Huit heures et demie. L’équipe de nuit s’installe sans bruit dans les bureaux presqu
720 terai chez « Saint-Ex » faire une partie d’échecs et l’écouter parler des malheurs de sa France… Juin 1942 La guerre va ma
721 nce… Juin 1942 La guerre va mal, il faut le dire, et persuader l’Europe qu’elle ira bien demain. La campagne sous-marine b
722 annoncer le premier raid anglais de mille avions, et la promesse du général Marshall : « Nous débarquerons en France. » Ju
723 iteurs qui passent par cette ville de nulle part. Et j’ai songé à cette autre retraite, la maison rose de « La Muette », o
724 t les rumeurs de la planète. Mais l’un questionne et l’autre parle. Il parle de Briand qu’il a servi longtemps, et qui n’a
725 arle. Il parle de Briand qu’il a servi longtemps, et qui n’a jamais su qu’il y avait Saint-John Perse ; d’Hitler dont il a
726 rse ; d’Hitler dont il a regardé les yeux de près et qu’il décrit en termes médicaux ; de Reynaud qui l’a renvoyé sous la
727 renvoyé sous la pression du parti de l’armistice… Et je doute si personne aujourd’hui parle un français plus sûr de ses nu
728 s nourris de maintes connaissances des prestiges, et de la ruse et des métiers de plus d’une race… « Chemins du monde, l’u
729 aintes connaissances des prestiges, et de la ruse et des métiers de plus d’une race… « Chemins du monde, l’un vous suit. »
730 lerie, après le bain, à toutes les heures du jour et de la nuit. Profité de ce bref loisir pour reprendre mon diable aband
731 diable abandonné dans un tiroir depuis des mois, et pour en récrire deux chapitres (sur « l’amour tel qu’on le parle » et
732 eux chapitres (sur « l’amour tel qu’on le parle » et la passion réelle). Tonio rentre un soir de New York portant gaucheme
733 e peut être qu’une plage, un loisir sur la plage, et nous l’avons ici. New York, 2 septembre 1942 Quoi de plus sale qu’une
734 rer… Mais à l’Office, notre travail s’intensifie, et les échos nous en reviennent de France. Leur dire là-bas, dire à la R
735 la presse clandestine… Mais dire aussi les revers et les défaites : notre consigne de véracité est absolue. Washington par
736 inueuses qui s’avancent dans un paysage de forêts et d’îles tropicales. « Je voulais une cabane et c’est le Palais de Vers
737 êts et d’îles tropicales. « Je voulais une cabane et c’est le Palais de Versailles ! » s’est écrié Tonio bourru, en pénétr
738 il s’applique à manier de petits pinceaux puérils et tire la langue pour ne pas « dépasser ». Je pose pour le Petit Prince
739 Je pose pour le Petit Prince couché sur le ventre et relevant les jambes. Tonio rit comme un gosse : « Vous direz plus tar
740 énorme (« Je vais vous lire mon œuvre posthume ») et qui me paraît ce qu’il a fait de plus beau. Tard dans la nuit je me r
741 vient encore dans ma chambre fumer des cigarettes et discuter le coup avec une rigueur inflexible. Il me donne l’impressio
742 s’arrêter de penser… Fin octobre 1942 Propagande et style. — Depuis que je suis à l’OWI, rédigeant bon gré mal gré mes vi
743 je n’ai pu guère écrire que ces notes de journal, et deux essais pour des revues américaines. Mais ces essais-là m’ont suf
744 Dans les deux cas, les exigences sont les mêmes. Et elles impliquent le renoncement à toutes ces coquetteries de style im
745 on trouvait à chaque ligne chez Valéry, chez Gide et leurs disciples de la NRF , et qui en anglais retombent à plat, à la
746 Valéry, chez Gide et leurs disciples de la NRF , et qui en anglais retombent à plat, à la radio font parasites. Il faut s
747 le à Paris. Cependant nous vivons au xxe siècle, et je voudrais un style qui supporte le transport. Les choses que l’on p
748 beauté, vérité intrinsèque ou de leur opportunité et de leur pouvoir de signification commune. Une carrière de grand écriv
749 arrière de grand écrivain commence par la qualité et finit par la signification. À partir d’un certain moment, la gloire d
750 la moindre opinion qu’il exprime — par position. ( Et c’est le signe de la gloire moderne.) Il entre dans le domaine public
751 la vie d’un Tolstoï ou d’un Goethe ; d’un Valéry et d’un Gide, parmi nous. La gloire est devenue le droit d’énoncer des b
752 s banalités mais qui ne passent plus pour telles, et qui portent. Savoir ne point se limiter constamment à la qualité. Car
753 e monde actuel pressent qu’il a besoin de maîtres et de directeurs de conscience, plutôt que de monstres précieux. Cependa
754 s copies seules sont acceptables, à première vue, et seules font accepter l’original, qui fit scandale ou même ne fut pas
755 niste », Baudelaire condamné, Proust « mondain », et Bach inaperçu pendant cinquante ans.) Bevin House, fin octobre 1942 D
756 r est grise, le soir vient, les oiseaux sifflent, et l’automne atténue la sauvagerie de la verdure américaine. Que fais-je
757 e peut qu’on m’envoie bientôt en Afrique du Nord, et de là… Et j’éprouve un besoin presque panique de me rassembler, de me
758 on m’envoie bientôt en Afrique du Nord, et de là… Et j’éprouve un besoin presque panique de me rassembler, de me retrouver
759 mes. Vous étiez « occupés », nous étions en exil, et les uns comme les autres dans l’inaccepté, dans la dépossession profo
760 our de ce retour en France, — dans quelle France, et dans quelle Europe ? Nous étions soumis à l’érosion de l’exil, moins
761 terait-on ? C’est un ami. Il vous a reçus d’abord et vous a proposé ses façons et usages qu’il convenait d’aimer. Bientôt,
762 vous a reçus d’abord et vous a proposé ses façons et usages qu’il convenait d’aimer. Bientôt, s’il voit que vous restez là
763 n peu : vous n’êtes plus l’invité mais un client, et qui devrait s’arranger pour payer. Et quand vous n’avez plus d’argent
764 un client, et qui devrait s’arranger pour payer. Et quand vous n’avez plus d’argent, c’est tout d’un coup le monsieur qui
765 ce que vous causiez des ennuis. Débrouillez-vous. Et puis, vous êtes trop nombreux, on ne peut pas s’occuper de chacun de
766 reux, on ne peut pas s’occuper de chacun de vous. Et c’est bien vrai. Nous étions trop nombreux. En France, en Suisse auss
767 e, à juste titre. Les pires tourments de l’esprit et du cœur ont toujours paru préférables à la torture physique, ou même
768 bas de la ville où habitent beaucoup d’écrivains et surtout de peintres. 7. Il s’agit du livre intitulé La Part du diab
10 1947, Articles divers (1946-1948). La jeune littérature des États-Unis devant le roman américain (7 juin 1947)
769 Passos situe plusieurs des scènes de ses romans, et c’est là qu’il y a bien six ans j’ai connu Carson McCullers. Elle ava
770 son long visage pâle, sa frange noire en désordre et sa contenance effarouchée. Ses mains tremblaient, et l’on pensait que
771 sa contenance effarouchée. Ses mains tremblaient, et l’on pensait que sans sa mère qui l’accompagnait ce jour-là, elle ne
772 ier roman qui venait de paraître — écrit entre 19 et 22 ans — et elle me dit merci, bien sérieusement selon la coutume des
773 i venait de paraître — écrit entre 19 et 22 ans —  et elle me dit merci, bien sérieusement selon la coutume des femmes amér
774 mélange improbable de Kafka, d’Enfants terribles et de style vieux New York en définissait l’atmosphère. On écrivait, on
775 dans toutes les chambres aux portes entrouvertes, et l’on se réunissait pour les repas autour d’une très longue table que
776 tenait son rôle de propriétaire. Benjamin Britten et Paul Bowles représentaient la jeune musique, Gypsy Rose Lee la danse
777 ntaient la jeune musique, Gypsy Rose Lee la danse et le striptease, et tous les autres à quelque titre étaient des « creat
778 usique, Gypsy Rose Lee la danse et le striptease, et tous les autres à quelque titre étaient des « creative people », parl
779 é cette maison de Brooklyn, seul centre de pensée et d’art que j’aie trouvé dans une grande ville de ce pays. ⁂ Et puis le
780 j’aie trouvé dans une grande ville de ce pays. ⁂ Et puis leur nomadisme habituel les a repris. Un an plus tard, tous s’ét
781 e ou au Michigan, en Angleterre ou en Californie, et Carson McCullers était dans une clinique. Un jour je la rencontre dan
782 d’hui elle est à Paris, inaugurant avec Kay Boyle et Richard Wright — qui fut le premier à saluer son talent — la reprise
783 différence entre la jeune littérature américaine et la française, c’est que la première ne professe pas du tout ce culte
784 ge sur ses maîtres, me cite Dostoïevsky, Flaubert et Kierkegaard, là où un jeune Français citerait sans doute Hemingway, D
785 rançais citerait sans doute Hemingway, Dos Passos et Steinbeck. C’est dire peut-être que les jeunes Américains sont moins
786 ir leurs procédés que de se créer un ordre intime et d’approcher par des moyens plus déliés ce monde dont leurs aînés décr
787 sistiblement chez un Français. (« Trouver le lieu et la formule », disait Rimbaud.) Elle ne se décante pas, reste immergée
788 t une recherche proprement romanesque, en images, et non pas illustrée après coup, sensible et non traduite en adjectifs,
789 images, et non pas illustrée après coup, sensible et non traduite en adjectifs, conduite avec une sympathie plus fascinée
790 niment cet ouvrage se poursuivent, se rapprochent et se manquent dans une espèce de tâtonnement aventureux qui est le mouv
11 1947, Articles divers (1946-1948). Drôle de paix (7 juin 1947)
791 la juxtaposition des faits, des lieux, des plans et des valeurs humaines y dégage une espèce de lyrisme « global », mais
792 aux, se trouble. Le monde qui encadrait nos actes et pensées et suffisait à leur fournir des repères coutumiers et pratiqu
793 uble. Le monde qui encadrait nos actes et pensées et suffisait à leur fournir des repères coutumiers et pratiques s’est él
794 t suffisait à leur fournir des repères coutumiers et pratiques s’est élargi aux dimensions de la planète. Que faire de ces
795 iétique condamne les clowns, les existentialistes et l’adultère. Quelle est donc son idée de la liberté ? Aux Indes les mu
796 la liberté ? Aux Indes les musulmans, les hindous et les princes ne s’accordent que sur un point, qui est de refuser les p
797 nant à une guerre sans merci entre le Kouomintang et l’armée communiste, qui n’est même pas soutenue par Moscou. Quelle es
798 ’Anschluss économiques avec ses voisins immédiats et devient une puissance de premier plan. On croyait le fascisme abattu.
799 eux, qui ne modifie les conditions du jeu mondial et ne soit destiné à réagir, à plus ou moins longue échéance, sur le sor
800 e, sur le sort de chacune de nos nations d’Europe et sur nos vies individuelles. Il n’est pas un de ces faits qu’on puisse
801 sse analyser à l’aide de nos catégories de droite et de gauche sans glisser vers l’insanité ou révéler son ignorance. Il n
802 derniers sont centrés sur des questions de partis et de partis pris locaux et ancestraux nommés « doctrines », qui ont à p
803 des questions de partis et de partis pris locaux et ancestraux nommés « doctrines », qui ont à peu près les mêmes rapport
804 u’un combat de coqs avec le problème de la bombe. Et tout cela n’est que trop naturel. Il est parfaitement naturel que nou
805 rassembler ; car c’est la passion que nous aimons et l’affirmation de nos points de vue, et s’il fallait d’abord savoir le
806 ous aimons et l’affirmation de nos points de vue, et s’il fallait d’abord savoir les faits il n’y aurait plus moyen de cau
807 proprement parler de politique pratique, sérieuse et efficace, sinon dans le cadre planétaire. Hitler et le Japon l’ont dé
808 efficace, sinon dans le cadre planétaire. Hitler et le Japon l’ont démontré par leur échec, qui fut celui d’une dernière
809 d’une dernière tentative d’impérialisme national et autarcique niant la solidarité globale. Désormais nous savons qu’il y
810 globale. Désormais nous savons qu’il y a le monde et qu’il est un. Nous le savons théoriquement. Mais il nous faut encore
811 faut encore apprendre à le voir, puis à le sentir et à le penser naturellement. C’est ainsi que se formera cette opinion p
812 s de quatre ou cinq foyers continentaux de crises et de profondes contradictions internes. Leur lien n’est pas facile à di
813 ayons tout d’abord de les décrire. Voici l’URSS, et cette patrie de la révolution moderne est aussi celle qui manque le p
814 e est aussi celle qui manque le plus de liberté ; et cette puissance la plus redoutée est aussi celle qu’un rien enraye :
815 té à intégrer l’opposition. Voici les États-Unis, et cette patrie de la démocratie, c’est-à-dire de l’éducation et du civi
816 rie de la démocratie, c’est-à-dire de l’éducation et du civisme, découvre que ce sont précisément quelques-unes de ses bas
817 ues-unes de ses bases morales, son esprit civique et son système d’éducation qui sont en crise. Le divorce y devient une m
818 les instituteurs désertent leurs postes mal payés et sans avenir, l’État de Géorgie se donne deux gouverneurs rivaux, déma
819 erneurs rivaux, démasquant la faiblesse de la loi et la violence des préjugés de races… Et tout cela au moment précis où l
820 e de la loi et la violence des préjugés de races… Et tout cela au moment précis où l’Amérique du Nord se voit chargée de l
821 voit chargée de la conduite des affaires du monde et se dispose à exporter les principes de son way of life, qui se confon
822 t avec la santé même du genre humain, le bon sens et la démocratie… Voici l’Asie, les Indes et la Chine. Ces deux énormes
823 on sens et la démocratie… Voici l’Asie, les Indes et la Chine. Ces deux énormes blocs de 400 et de 450 millions d’habitant
824 Indes et la Chine. Ces deux énormes blocs de 400 et de 450 millions d’habitants se voient enfin libérés de la tutelle et
825 d’habitants se voient enfin libérés de la tutelle et de l’exploitation occidentales : c’est pour inaugurer la guerre civil
826 en Chine entre l’armée des provinces communistes et Tchang Kaï-chek, cependant que l’inflation augmente et que le pays ma
827 hang Kaï-chek, cependant que l’inflation augmente et que le pays manque à peu près de tout après seize ans de guerre et d’
828 nque à peu près de tout après seize ans de guerre et d’invasion. À peine les Anglais ont-ils annoncé leur décision de se r
829 détiennent la majorité. Cependant que l’Indochine et que l’Indonésie en sont encore au stade préliminaire de la lutte pour
830 naguère était le plus orgueilleux des continents, et qui fait une grande crise de scepticisme et de manque de confiance en
831 ents, et qui fait une grande crise de scepticisme et de manque de confiance en soi, tandis que ses intellectuels découvren
832 uvrent subitement les sombres joies de l’humilité et les plaisirs plus lucides de l’angoisse. L’Europe patrie de l’inventi
833 L’Europe patrie de l’invention, du « système D » et de la réplique rapide, dont les ministres annoncent que c’est le froi
834 st le froid qui les oblige à rationner le charbon et l’électricité. L’Europe qui, à peine délivrée des tyrans et des dicta
835 ricité. L’Europe qui, à peine délivrée des tyrans et des dictatures, cesse de croire à la démocratie. L’Europe qui se donn
836 eule elle totalise plus d’habitants que la Russie et les États-Unis additionnés ! Ainsi la « drôle de paix » que nous vivo
837 , manque d’ordre politique en Asie, manque de foi et d’espoir en Europe. Je dis bien que notre paix repose sur ces manques
838 ces manques, qu’elle y trouve ses bases actuelles et ses garanties les plus sûres. Car ce sont les richesses d’autrui et n
839 es plus sûres. Car ce sont les richesses d’autrui et non ses maladies que l’on jalouse. Si l’un de ces quatre grands malad
840 la santé, il deviendrait impérialiste malgré lui et susciterait probablement la coalition des trois autres. Si la Russie
841 monde par la seule force de son utopie de justice et d’ordre social. Si l’Asie était moins anarchique elle dominerait un j
842 serait tentée d’abuser de ses avantages actuels. Et si l’Europe était moins abîmée, qui sait quelle arrogance elle ne ret
843 s de la pauvreté que montent les appels à l’union et que surgit l’utopie agissante. L’Organisation des Nations unies ne s’
844 ormée que pour répondre à l’appel de nos anxiétés et de nos manques. C’est grâce à eux et en eux seuls qu’elle a pris quel
845 nos anxiétés et de nos manques. C’est grâce à eux et en eux seuls qu’elle a pris quelque consistance. Elle se maintient pa
846 cerait encore plus dans sa névrose de scepticisme et de retrait. Elle se renforcera au cours des mois prochains parce que
847 ide (les deux parties des Indes l’annoncent déjà) et parce qu’elle représente pour les Américains ce symbole d’un avenir p
848 rôle. Ce sont nos quatre pauvretés qui nous lient et qui assurent notre paix provisoire. C’est d’elles que naît l’appel à
849 . C’est d’elles que naît l’appel à la fédération. Et si les hommes d’État qui se trouvent chargés d’administrer l’ONU ne l
850 n d’autres organes plus capables de l’enregistrer et de lui donner une forme et de le satisfaire. l. Rougemont Denis d
851 ables de l’enregistrer et de lui donner une forme et de le satisfaire. l. Rougemont Denis de, « Drôle de paix », Une S
852 e Semaine dans le monde, Paris, 7 juin 1947, p. 1 et 6.
12 1947, Articles divers (1946-1948). Einstein, patriarche de l’âge atomique, m’a dit : « C’est pour dissimuler sa pauvreté et sa faiblesse que l’URSS méfiante, s’entoure de secret… » (9 août 1947)
853 ue, m’a dit : « C’est pour dissimuler sa pauvreté et sa faiblesse que l’URSS méfiante, s’entoure de secret… » (9 août 1947
854 bitants se préparent à porter le titre de docteur et vivent dans des châteaux néo-gothiques pleins de salles de bains : c’
855 maison de bois jaune entourée de gazon, de fleurs et d’arbres pleins d’oiseaux. C’est d’ici que partit, en 1939, la fameus
856 e, des joues grises creusées de profondes ravines et deux touffes de cheveux blancs en auréole. À le voir de tout près, je
857 bleu très ample, un pantalon de flanelle sans pli et des sandales. C’est le costume habituel des étudiants. Il m’apporte u
858 Il m’apporte un fauteuil de jardin près du sien. Et nous parlons de l’Amérique, dont Einstein est devenu citoyen. Il me d
859 ritable. Les gens d’ici sont cordiaux, serviables et surtout ils sont dépourvus de toute espèce d’inhibition sociale. Je v
860 le. En vingt-cinq ans, à travers la crise de 1929 et la guerre, ils ont fait des progrès immenses vers le sérieux et vers
861 ils ont fait des progrès immenses vers le sérieux et vers la vraie culture. Toutefois, je m’étonne de la manière dont ils
862 sorte d’hystérie antirusse ? Méfiance russe Et je pense à part moi : nous y voici. N’ai-je pas entendu répéter ces d
863 enace dans chacun de nos mouvements. C’est fatal. Et cela durera tant qu’elle nous croira les plus forts. — Tant que la bo
864 -vous de ce délai de cinq ans qu’on cite partout, et qui serait nécessaire à la Russie pour fabriquer ses propres bombes ?
865 C’est pour cela qu’ils ont si peur des étrangers. Et non sans raison. Car, au cours actuel du dollar, il serait vraiment t
866 s préparatifs militaires proprement dits ? — Oui… et au sujet de n’importe quoi qui se passe aujourd’hui dans leurs fronti
867 tuation présente, c’est que les Russes se sentent et se savent les plus faibles, surtout par rapport aux États-Unis. Tout
868 ats-Unis. Tout ce qui vient de nous les inquiète, et ils se croient forcés de tout refuser. — Alors que faire ? — Je ne vo
869 observateurs qu’il leur plaira, officiels ou non. Et à la fin — car ils ne sont pas fous comme les nazis —, ils verront bi
870 ue leur avantage est d’y rentrer. La « bombe » et le monde… La nuit est venue. Nous passons dans un petit salon bien
871 la question. Mais soudain, Einstein m’interrompt et , de son air malicieux et bonhomme : « La bombe, dit-il, n’a pas chang
872 n, Einstein m’interrompt et, de son air malicieux et bonhomme : « La bombe, dit-il, n’a pas changé les conditions de la gu
873 devant sa résidence une arbre d’une espèce rare ; et comme le jardinier lui objectait que ces arbres-là prennent plus d’un
874 ’a dit… », Paris Presse, Paris, 9 août 1947, p. 1 et 3.
13 1947, Articles divers (1946-1948). Conversation à bâtons rompus avec M. Denis de Rougemont (30-31 août 1947)
875 . Avec cette simplicité propre aux grands esprits et cette parfaite courtoisie qui est la marque de l’homme bien né, M. de
876 rentré en Suisse il y a quelques mois seulement, et je compte m’installer à Ferney dans quelques jours. Avez-vous beaucou
877 vre en Amérique , j’ai publié La Part du diable et m’en vais sortir très prochainement Journal des deux mondes , dont l
878 age sur la Suisse, intitulé Le Cœur de l’Europe et dont il n’existe qu’une édition anglaise. Ce qu’on sait moins chez no
879 tre neutralité n’a pas toujours été bien comprise et que la presse n’a pas toujours été très tendre à notre égard. De cett
880 personnaliste a tiré sa doctrine de ses ouvrages et de ceux de quelques autres penseurs. Au Danemark, cette doctrine pers
881 demment en France, qu’elle a eu le plus de succès et qu’elle a trouvé peut-être le terrain le plus favorable. Ce mouvement
882 in, l’élément catholique, Berdiaef les orthodoxes et Aron les agnostiques. Comme dirait Péguy, c’était un rassemblement de
883 c’était un rassemblement de toutes les croyances et incroyances. Les membres de ce mouvement ont été dispersés par la gue
884 la guerre, certains étant morts, mais les idées — et c’est là l’essentiel — se sont répandues. En écoutant parler mardi so
885 ler une philosophie du fédéralisme aussi profonde et aussi originale. Nous avons posé la question à M. de Rougemont, qui n
886 simplement : De tout temps, j’ai été fédéraliste, et je me suis fait une philosophie qui cadre avec les institutions de no
887 ation européenne. Mais ce qui me paraît important et encourageant tout à la fois, c’est qu’on assiste au même phénomène qu
888 onstitution de 1848 fut proposée, écrite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle était encore une utopie. Trois ans pl
889 dans les années précédant 1848, était informulé, et qu’il a fallu la campagne de la Société helvétique et les écrits du d
890 u’il a fallu la campagne de la Société helvétique et les écrits du doyen Bridel pour que l’opinion publique prît enfin con
891 leurrer, il y a une crise du fédéralisme suisse. Et cette crise vient de ce que nous sommes entourés d’États-nations, qui
14 1947, Articles divers (1946-1948). L’attitude fédéraliste (octobre 1947)
892 ssence même du fédéralisme que l’esprit théorique et les généralisations. D’autre part, j’ai toujours éprouvé de la répugn
893 la répugnance à séparer les valeurs spirituelles et leur incarnation dans les réalités humaines. J’essaierai donc de défi
894 raliste d’une manière indirecte, par implication, et je m’en tiendrai le plus possible à ses manifestations historiques, t
895 historiques, telles que nous pouvons les observer et les contrôler de très près dans une expérience bien connue : celle de
896 politique implique une certaine idée de l’homme, et contribue à promouvoir un certain type d’humanité, qu’on le veuille o
897 ent responsable : vis-à-vis de sa vocation propre et unique, d’une part, et d’autre part vis-à-vis de la communauté au sei
898 -vis de sa vocation propre et unique, d’une part, et d’autre part vis-à-vis de la communauté au sein de laquelle sa vocati
899 uver engagé du même coup dans le complexe social. Et aux collectivistes, nous rappelons que les conquêtes sociales ne sont
900 de sa vocation. L’homme est donc à la fois libre et engagé, à la fois autonome et solidaire. Il vit dans la tension entre
901 onc à la fois libre et engagé, à la fois autonome et solidaire. Il vit dans la tension entre ces deux pôles : le particuli
902 la tension entre ces deux pôles : le particulier et le général ; entre ces deux responsabilités : sa vocation et la cité 
903 al ; entre ces deux responsabilités : sa vocation et la cité ; entre ces deux amours : celui qu’il se doit à lui-même et c
904 ces deux amours : celui qu’il se doit à lui-même et celui qu’il doit à son prochain — indissolubles. Cet homme qui vit da
905 ent trois types différents de régimes politiques, et sont en retour favorisés par eux. À l’homme considéré comme pur indiv
906 d un régime démocratique tendant vers l’anarchie, et débouchant dans le désordre, lequel prépare toujours la tyrannie. À l
907 Enfin, à l’homme comme personne, à la fois libre et engagé, et vivant dans la tension entre l’autonomie et la solidarité,
908 ’homme comme personne, à la fois libre et engagé, et vivant dans la tension entre l’autonomie et la solidarité, correspond
909 gagé, et vivant dans la tension entre l’autonomie et la solidarité, correspond le régime fédéraliste. J’ajouterai une rema
910 juste milieu entre l’individu sans responsabilité et le soldat politique sans liberté. Car la personne, c’est l’homme réel
911 ans liberté. Car la personne, c’est l’homme réel, et les deux autres ne sont que des déviations morbides, des démissions d
912 La personne n’est pas à mi-chemin entre la peste et le choléra, mais elle représente la santé civique. Un homme qui boit
913 ente la santé civique. Un homme qui boit de l’eau et qui se lave n’est pas à mi-chemin entre celui qui meurt de soif et ce
914 est pas à mi-chemin entre celui qui meurt de soif et celui qui se noie. Et de même, le fédéralisme ne naîtra jamais d’un
915 re celui qui meurt de soif et celui qui se noie. Et de même, le fédéralisme ne naîtra jamais d’un habile dosage d’anarchi
916 me ne naîtra jamais d’un habile dosage d’anarchie et de dictature, de particularisme borné et de centralisation oppressive
917 anarchie et de dictature, de particularisme borné et de centralisation oppressive. Le fédéralisme est sur un autre plan qu
918 es, eux, sont dans le même plan, se conditionnent et s’appellent l’un et l’autre. C’est avec la poussière des individus ci
919 e même plan, se conditionnent et s’appellent l’un et l’autre. C’est avec la poussière des individus civiquement irresponsa
920 responsables que les dictateurs font leur ciment. Et nous avons pu voir, pendant la dernière guerre, que les résistances q
921 ’homme sur laquelle nos travaux doivent se fonder et qu’ils ont pour but ultime de promouvoir, nous pouvons passer mainten
922 ant à une description plus concrète de l’attitude et des méthodes fédéralistes. ⁂ L’an dernier, aux Rencontres internation
923 urope n’a plus de choix qu’entre la balkanisation et l’helvétisation. Je suppose que Jaspers entendait par balkanisation l
924 sintégration de l’Europe en nationalismes rivaux, et par helvétisation au contraire, l’intégration fédérale des nations, r
925 renonçant au dogme de leur souveraineté absolue, et acceptant sous une forme ou sous une autre, une constitution commune.
926 urgissent aussitôt : « Tout cela, dit-on, est bel et bon pour un petit pays, mais n’est pas applicable aux grands. De plus
927 a fallu des siècles aux Suisses pour se fédérer, et nous avons besoin de solutions rapides. » À la deuxième objection, je
928 1848, au terme d’une crise d’assez courte durée, et en dépit d’une opposition très importante dans la population, doublée
929 onstitution de 1848 fut proposée, écrite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle était encore une utopie. Trois ans pl
930 ce que l’on répète sur la petitesse de la Suisse et sur l’impossibilité de transposer ses institutions à l’échelle contin
931 e vue cette expérience-témoin, concrète, typique, et particulièrement concluante. ⁂ Comme toutes les grandes idées, l’idée
932 lle est d’un type organique plutôt que rationnel, et dialectique plutôt que simplement logique. Elle échappe aux catégorie
933 ration, à l’alternance perpétuelle de la diastole et de la systole. La pensée fédéraliste ne projette pas devant elle une
934 rche au contraire le secret d’un équilibre souple et constamment mouvant entre des groupes qu’il s’agit de composer en les
935 oupes qu’il s’agit de composer en les respectant, et non point de soumettre les uns aux autres, ou d’écraser l’un après l’
936 re très clairement. En effet, les mots fédération et fédéralisme sont compris de deux manières très différentes par les Su
937 ères très différentes par les Suisses alémaniques et par les Suisses romands. En allemand, confédération se dit Bund, qui
938 d, confédération se dit Bund, qui signifie union, et qui évoque avant tout l’idée de centralisation. En Suisse romande, au
939 re simplement : rester libre chez soi. Or les uns et les autres ont tort, parce qu’ils n’ont qu’à moitié raison. Le vérita
940 inuellement rajusté entre l’autonomie des régions et leur union. Il consiste dans la composition perpétuelle de ces deux f
941 t, « Un pour tous » signifie l’élan des personnes et des régions vers l’union, tandis que « tous pour un » signifie l’aide
942 l’aide que l’union doit apporter à chaque région et à chaque personne. Il est infiniment probable que sur le plan europée
943 fédéralistes qui ne penseront qu’à faire l’union et à la renforcer, et nous aurons des fédéralistes préoccupés avant tout
944 e penseront qu’à faire l’union et à la renforcer, et nous aurons des fédéralistes préoccupés avant tout de sauvegarder les
945 ation contre les empiètements du pouvoir central. Et nous devrons constamment rappeler aux deux partis que le fédéralisme
946 amais le terme de fédéralisme, qu’ils l’ignorent, et qu’ils ne touchent que très rarement, et très vaguement, à l’idée féd
947 gnorent, et qu’ils ne touchent que très rarement, et très vaguement, à l’idée fédéraliste en soi. C’est peut-être parce qu
948 ais tout à l’heure, est à la fois simple à sentir et très délicate à formuler. Mais c’est peut-être aussi, et plus probabl
949 délicate à formuler. Mais c’est peut-être aussi, et plus probablement, parce qu’un sûr instinct les prévenait de rational
950 , que l’idée fédéraliste n’a pas cessé d’inspirer et de guider les démarches des meilleurs hommes d’État suisses, pendant
951 s certain que cette idée est demeurée informulée, et même soigneusement informulée, jusqu’à ce que la crise d’une guerre c
952 rre civile, en 1847, l’ait forcée à prendre forme et force de loi. Et ce n’est guère qu’au xxe siècle que les penseurs et
953 47, l’ait forcée à prendre forme et force de loi. Et ce n’est guère qu’au xxe siècle que les penseurs et sociologues se s
954 ce n’est guère qu’au xxe siècle que les penseurs et sociologues se sont mis à la commenter et à philosopher à son sujet.
955 enseurs et sociologues se sont mis à la commenter et à philosopher à son sujet. Jusqu’en 1848, elle allait sans dire, comm
956 comme la vie même ; elle était la vie du civisme et de la pratique politique des Suisses. C’est le défi que représente l’
957 à faire aujourd’hui la théorie de cette pratique, et qui la transforme en une sorte de programme, ou de manifeste vivant.
958 ns, de quatre langues, de vingt-deux républiques, et de je ne sais combien de « races » en un État qui les respecte, cette
959 prend l’allure à la fois d’un antiracisme déclaré et d’un antinationalisme. L’instinct contrecarré devient conscience ; la
960 formuler. Elle doit dire ce qui allait sans dire et qui alors n’en allait que mieux. Elle s’expose à son risque maximum :
961 Toutefois ce sentiment ne cessait pas de croître et de se renforcer dans la plupart des peuples. La guerre dont nous sort
962 le risque de ne susciter que des plans rationnels et des systèmes. C’est pour éviter ce piège autant que possible que je v
963 e tout empirique, ont formé la fédération suisse. Et je vais les choisir parmi ceux qui me paraissent applicables, immédia
964 contre lui, l’ont obligé à rentrer dans le rang, et l’union fédérale a marqué un progrès. Lors de la dernière crise grave
965 ve, la guerre civile de 1847 opposant catholiques et protestants, les vainqueurs n’ont eu rien de plus pressé que de rendr
966 rendre aux vaincus leur pleine égalité de droit. Et de cet acte de renoncement à l’hégémonie conquise, est résulté la con
967 ir l’attitude fédéraliste comme un refus constant et instinctif de recourir aux solutions systématiques, aux plans simples
968 ystématiques, aux plans simples de lignes, clairs et satisfaisant pour la logique, mais par là même infidèles au réel, vex
969 composer tant bien que mal ces réalités concrètes et hétéroclites que sont les nations, les régions économiques, les tradi
970 régions économiques, les traditions politiques ; et c’est les arranger selon leurs caractères particuliers, qu’il s’agit
971 articuliers, qu’il s’agit à la fois de respecter, et d’articuler dans un tout. Troisième principe. — Le fédéralisme ne co
972 ses yeux la minorité ne représente qu’un chiffre, et le plus petit. Pour le fédéraliste, il va de soi qu’une minorité puis
973 de d’élection du Conseil des États, mais surtout, et d’une manière beaucoup plus efficace, dans les coutumes de la vie pol
974 s efficace, dans les coutumes de la vie politique et culturelle, où l’on voit la Suisse romande et la Suisse italienne jou
975 que et culturelle, où l’on voit la Suisse romande et la Suisse italienne jouer un rôle sans proportion avec le chiffre de
976 ération n’a pas pour but d’effacer les diversités et de fondre toutes les nations en un seul bloc, mais au contraire, de s
977 réside dans ses diversités jalousement défendues et maintenues. De même, la richesse de l’Europe et l’essence même de sa
978 s et maintenues. De même, la richesse de l’Europe et l’essence même de sa culture seraient perdues si l’on tentait d’unifi
979 tentait d’unifier le continent, de tout mélanger, et d’obtenir une sorte de nation européenne, où Latins et Germains, Slav
980 obtenir une sorte de nation européenne, où Latins et Germains, Slaves et Anglo-Saxons, Scandinaves et Grecs, se verraient
981 nation européenne, où Latins et Germains, Slaves et Anglo-Saxons, Scandinaves et Grecs, se verraient soumis aux mêmes loi
982 et Germains, Slaves et Anglo-Saxons, Scandinaves et Grecs, se verraient soumis aux mêmes lois et coutumes, qui ne pourrai
983 aves et Grecs, se verraient soumis aux mêmes lois et coutumes, qui ne pourrait satisfaire aucun de ces groupes, et qui les
984 qui ne pourrait satisfaire aucun de ces groupes, et qui les brimerait tous. Si l’Europe doit se fédérer, c’est pour que c
985 s membres bénéficie de l’aide de tous les autres, et réussisse ainsi à conserver ses particularités et son autonomie, qu’i
986 et réussisse ainsi à conserver ses particularités et son autonomie, qu’il serait hors d’état de défendre seul contre la pr
987 aient que leur harmonie est une nécessité vitale, et non pas une concession qu’on leur demande, ou une diminution de leur
988 ne question de tolérance, vertu purement négative et qui naît le plus souvent du scepticisme. Chaque nation serait mise au
989 i de donner le meilleur d’elle-même, à sa manière et selon son génie. Après tout, le poumon n’a pas à « tolérer » le cœur.
990 un vrai poumon, d’être aussi poumon que possible, et dans cette mesure même, il aidera le cœur à être un bon cœur. Cinqui
991 térise l’esprit totalitaire. Je dis bien l’amour, et non pas le respect ou la tolérance. L’amour des complexités culturell
992 mour des complexités culturelles, psychologiques, et même économiques, telle est la santé du régime fédéraliste. Et ses pi
993 miques, telle est la santé du régime fédéraliste. Et ses pires ennemis sont ceux dont le grand Jakob Burckhardt annonçait
994 ctionnaires sont constamment rappelés au concret, et que nos législateurs sont obligés de garder un contact attentif avec
995 er un contact attentif avec les réalités humaines et naturelles du pays. La Suisse est formée d’une multitude de groupes e
996 . La Suisse est formée d’une multitude de groupes et d’organismes politiques, administratifs, culturels, linguistiques, re
997 s, religieux, qui n’ont pas les mêmes frontières, et qui se recoupent de cent manières différentes. Il est clair que des l
998 e ces groupes, tendraient à réduire leur variété, et mutileraient ainsi dans plusieurs de ses dimensions la personne même
999 e, de tirer des plans à la règle, dans un bureau, et de forcer ensuite leur exécution en écrasant tout ce qui résiste, ou
1000 nfiniment plus de soins, d’ingéniosité technique, et de compréhension des peuples qu’elle gouverne. Elle exige beaucoup pl
1001 r incapacité de les composer en un tout organique et vivant. Enfin, sixième principe : Une fédération se forme de proche e
1002 e de proche en proche, par le moyen des personnes et des groupes, et non point à partir d’un centre ou par le moyen des go
1003 roche, par le moyen des personnes et des groupes, et non point à partir d’un centre ou par le moyen des gouvernements. Je
1004 européenne se composer lentement, un peu partout, et de toutes sortes de manières. Ici, c’est une entente économique, là c
1005 nfessions voisines qui s’ouvrent l’une à l’autre, et là c’est un groupe de petits pays qui forment une union douanière. Et
1006 e de petits pays qui forment une union douanière. Et surtout, ce sont des personnes qui créent peu à peu des réseaux varié
1007 anges européens. Rien de tout cela n’est inutile. Et tout cela, qui paraît si dispersé, si peu efficace souvent, forme peu
1008 complexes, dessine les linéaments d’une ossature et le système des vaisseaux sanguins de ce qui deviendra un jour le corp
1009 jour le corps des États-Unis d’Europe. Au-dessous et au-dessus des gouvernements, l’Europe est beaucoup plus près de s’org
1010 n de l’action gouvernementale que les oppositions et les rivalités éclatent, et là seulement, elles sont irréductibles. Je
1011 le que les oppositions et les rivalités éclatent, et là seulement, elles sont irréductibles. Je ne pense pas que les gouve
1012 qu’avait tenté de faire la SDN, qui en est morte, et ce que tente à nouveau l’ONU, que cela empêche de vivre. La fédératio
1013 e du monde. La fédération sera l’œuvre de groupes et de personnes qui prendront l’initiative de se fédérer en dehors des g
1014 se fédérer en dehors des gouvernements nationaux. Et ce sont ces groupes et ces personnes qui formeront le gouvernement de
1015 s gouvernements nationaux. Et ce sont ces groupes et ces personnes qui formeront le gouvernement de l’Europe. Il n’y a pas
1016 t de l’Europe. Il n’y a pas d’autre voie possible et praticable. Les USA ne sont pas dirigés par une assemblée des gouvern
1017 ations sont gouvernées, au-dessus de leurs États, et en dehors d’eux, par un exécutif et un législatif issus des peuples.
1018 leurs États, et en dehors d’eux, par un exécutif et un législatif issus des peuples. Le jour où les peuples d’Europe auro
1019 s qu’ils sont en réalité beaucoup plus solidaires et plus unis que leurs gouvernements ne pourront jamais l’être, ils s’ap
1020 t non seulement possible, mais facile à réaliser, et rapidement, comme le fut celle des cantons suisses en 1848. La nécess
1021 ’une charte fédérale, des organes représentatifs, et un dernier élan, une poussée populaire forçant la main aux gouverneme
1022 vernements. Souhaitons que cet élan soit spontané et non pas provoqué avant terme par une nouvelle menace extérieure. C’es
1023 udes humaines possibles. Ce ne sont pas la gauche et la droite, devenues presque indiscernables dans leurs manifestations.
1024 eurs manifestations. Ce ne sont pas le socialisme et le capitalisme, l’un tendant à se faire national et l’autre étatique.
1025 le capitalisme, l’un tendant à se faire national et l’autre étatique. Ce ne sont pas la Tradition et le Progrès, qui prét
1026 et l’autre étatique. Ce ne sont pas la Tradition et le Progrès, qui prétendent également défendre la liberté. Et ce ne so
1027 ès, qui prétendent également défendre la liberté. Et ce ne sont pas non plus la Justice et la Liberté, qu’il est aussi imp
1028 la liberté. Et ce ne sont pas non plus la Justice et la Liberté, qu’il est aussi impossible d’opposer en réalité qu’en pri
1029 débats à l’arrière-plan, il y a le totalitarisme, et il y a le fédéralisme. Une menace et une espérance. Cette antithèse d
1030 talitarisme, et il y a le fédéralisme. Une menace et une espérance. Cette antithèse domine le siècle. Elle est son véritab
1031 viens de les rappeler, s’opposent diamétralement et point par point, avec une étonnante précision, aux dogmes des totalit
1032 esprit de système, sur l’écrasement des minorités et des oppositions, sur l’unification forcée des diversités, sur la hain
1033 lexités vivantes, sur la destruction des groupes, et sur le mépris des vocations remplacées par une fiche de mobilisation
1034 fiche de mobilisation professionnelle, politique, et finalement militaire. Le totalitarisme est simple et rigide, comme la
1035 finalement militaire. Le totalitarisme est simple et rigide, comme la guerre, comme la mort. Le fédéralisme est complexe e
1036 uerre, comme la mort. Le fédéralisme est complexe et souple, comme la paix comme la vie… Et parce qu’il est simple et rigi
1037 t complexe et souple, comme la paix comme la vie… Et parce qu’il est simple et rigide, le totalitarisme est une tentation
1038 e la paix comme la vie… Et parce qu’il est simple et rigide, le totalitarisme est une tentation permanente pour notre fati
1039 pour notre fatigue, notre inquiétude, nos doutes et nos vertiges de démission spirituelle. L’esprit totalitaire n’est pas
1040 ’il triomphe aujourd’hui dans une dizaine de pays et progresse plus ou moins rapidement dans tous les autres ; mais surtou
1041 Nous n’arriverons à rien de bon, dans nos efforts et nos débats pour promouvoir l’Europe unie, si nous ne restons pas en g
1042 talitaires qui peuvent affecter nos esprits, même et surtout quand nous parlons de fédéralisme. Si au contraire, à la fave
1043 t durer, c’est aux fédéralistes qu’elle le devra, et à eux seuls. Sur qui d’autre peut-elle compter ? Elle ne doit pas com
1044 peu qui aient l’intention de le laisser limiter, et c’est pourtant ce que nous leur demandons. Tous les gouvernements ont
1045 t un penchant marqué à persévérer dans leur être, et même à lui survivre aussi longtemps que possible avec l’appui de la p
1046 un penchant irrésistible à devenir totalitaires. Et ce n’est point que leurs hommes d’État soient particulièrement bêtes
1047 is leur fonction leur interdit de céder un pouce, et dans l’état présent de l’opinion et des rivalités des partis, ils cou
1048 der un pouce, et dans l’état présent de l’opinion et des rivalités des partis, ils courraient le risque d’être accusés de
1049 même de leur nation, mais à son caractère absolu. Et c’est l’agitation de l’opinion et des peuples dans toute l’Europe qui
1050 ractère absolu. Et c’est l’agitation de l’opinion et des peuples dans toute l’Europe qui les poussera. De cette agitation,
1051 t tous les fédéralistes, dans la conviction sobre et ferme que, cette fois-ci, on ne nous laisserait plus le temps de rate
15 1947, Articles divers (1946-1948). La liberté dans l’amour [Réponse à une enquête] (novembre 1947)
1052 ale déliquescente » des romans français modernes, et l’accusent de « saper les fondements du mariage et de la famille ». M
1053 t l’accusent de « saper les fondements du mariage et de la famille ». Mais il est hasardeux de parler de la « conception c
1054 tienne de l’amour » comme d’une chose bien connue et qui va de soi. Avant de la déclarer périmée, il serait normal d’en pr
1055 ce, de la distinguer des conceptions bourgeoises, et plus profondément des conceptions manichéennes introduites au xiie s
1056 s introduites au xiie siècle par les troubadours et le roman de Tristan. Il faudrait au moins distinguer amour et sexuali
1057 de Tristan. Il faudrait au moins distinguer amour et sexualité. Il n’est pas exact de dire, par exemple, que « l’homme pri
1058 xact de dire, par exemple, que « l’homme primitif et l’homme civilisé (maintiennent) l’amour sous la tutelle d’une éthique
1059 ’était jamais l’amour au sens où nous l’entendons et qu’ils ignoraient totalement, mais les rapports sexuels. Maintenant,
1060 cela ne repose sur la confusion des termes amour et sexualité. En fait, je ne connais pas une seule loi, dans un seul pay
1061 oute libération humaine. Il est la liberté même. ( Et quant à ceux qui croient que c’est la haine qui libère, ils croient a
1062 anxiété de l’orgueil tournée en méfiance d’autrui et mépris de soi-même. Pour libérer l’amour, aimez ! C’est le seul moyen
1063 our libérer l’amour, aimez ! C’est le seul moyen, et cela suffira. Les sages et les saints de tous les temps sont avec vou
1064 ! C’est le seul moyen, et cela suffira. Les sages et les saints de tous les temps sont avec vous pour affirmer la Liberté
1065 t avec vous pour affirmer la Liberté dans l’Amour et par l’Amour. Cet idéal n’est pas seulement « souhaitable » comme le s
1066 ellence de tout ce qui mérite le nom d’homme. Ama et fac quod vis, dit saint Augustin. « C’est l’amour qui nous rendra la
1067 é », dit la chanson. Mais il arrive que les voies et moyens que nous imaginons pour le réaliser — religions, éthiques, pol
1068 peut s’enflammer sur des slogans d’émancipation, et justifier après quelques années et au nom de ces mêmes slogans, la di
1069 ’émancipation, et justifier après quelques années et au nom de ces mêmes slogans, la dictature policière. Cela s’est vu. C
1070 ns pas capable de le résoudre en quelques lignes, et je ne vois pas très bien, je l’avoue, quel sens aurait ici une « pris
1071 s pour en esquisser une, partielle, dans L’Amour et l’Occident .) Quant au problème sexuel, c’est une tout autre affaire.
1072 . La liberté dans la sexualité, nous en jouissons et nous en souffrons plus que toute autre civilisation connue. C’est la
1073 leur guise, jouissent des mêmes droits politiques et économiques que les autres. D’une manière générale, les sanctions dan
1074 déflorer les vierges par des personnages sacrés, et d’une manière générale ne toléraient aucune fantaisie individuelle da
1075 dans ce domaine. C’est précisément l’existence — et non l’absence de la liberté sexuelle parmi nous qui pose un problème
1076 uant d’une tricherie que toutes nos modes, romans et films favorisentf. Si l’on estime au contraire, comme je le fais, que
1077 e fais, que nous vivons dans le chaos, l’amertume et la contradiction, il nous faut rétablir une éthique, c’est-à-dire rec
1078 t-à-dire recréer des tensions entre la « nature » et un ordre, ou plus exactement : entre nos instincts déréglés et les rè
1079 ou plus exactement : entre nos instincts déréglés et les règles d’un jeu nouveau. Quel jeu ? Quelles règles ? Sujet d’autr
16 1947, Articles divers (1946-1948). La balance n’est pas égale entre les États-Unis et l’URSS (8 novembre 1947)
1080 La balance n’est pas égale entre les États-Unis et l’URSS (8 novembre 1947)q L’anecdote circulait à New York ce print
1081 les stations flambant neuves du métro de Moscou, et son guide soviétique l’invite à admirer. « Très beau, dit notre Améri
1082 man impose à l’Europe la lecture de Henry Miller, et ce dernier qui est « le plus rusé de tous » écrit ce qu’il faut pour
1083 Qu’on ne rie pas : il s’agit de « dialectique ». Et qu’on ne hausse pas les épaules : il s’agit d’un retour en force de l
1084 eine si les termes ont changé depuis que Goebbels et Gaida insultaient les Yankees barbares.) Tout le raisonnement de L’Hu
1085 re que ce qu’on publie dans un pays donné ne peut et ne doit servir que le parti au pouvoir. Ainsi, Faulkner, Hemingway et
1086 e le parti au pouvoir. Ainsi, Faulkner, Hemingway et Miller, nolens volens, servent Truman (même s’ils ont écrit sous Roos
1087 même s’ils ont écrit sous Roosevelt). Mais alors, et pour les mêmes raisons, le succès en Europe occidentale de Tolstoï et
1088 isons, le succès en Europe occidentale de Tolstoï et Dostoïevsky devrait être mis au crédit des sombres desseins du tsaris
1089 mis au crédit des sombres desseins du tsarisme ? Et , de même, l’insuccès notoire de la littérature soviétique serait le f
1090 dacteurs de L’Humanité s’imaginent servir la paix et la justice en embrouillant tout, au nom de fleur dialectique. Pour ma
1091 res que décrivent ses Tropiques, publiés à Paris, et interdits en Amérique. Ensuite, il est notoirement faux et ridicule d
1092 its en Amérique. Ensuite, il est notoirement faux et ridicule d’accuser les éditeurs américains de « tirer parti » du pess
1093 nt de l’argent aux US sont les romans historiques et les romans religieux, qui tirent souvent à un million et plus ; 4° Le
1094 romans religieux, qui tirent souvent à un million et plus ; 4° Les droits de traduction d’un de ces romans ne représentent
1095 rique ; 5° Les œuvres « pessimistes » de Faulkner et surtout de Miller, loin d’être des best-sellers, tirent à 5 ou 20 000
1096 Lewis Douglas, de Betty Smith, de Betty McDonald, et d’une trentaine de romanciers dont l’Europe ne connaît même pas les n
1097 , mais non pas Truman qui s’occupe d’autre chose, et dont la politique a autant de rapports avec les vomissements décrits
1098 caine avec ce qu’en écrit un stalinien. Ceci dit, et les arguments de L’Humanité proprement balayés dans le ruisseau, auqu
1099 cièrement déplaisants : la dictature de l’argent, et celle du grand public, c’est-à-dire du simplisme qu’on baptise opinio
1100 la dictature de l’argent aux USA, tout a été dit, et les cent anecdotes personnelles que je pourrais verser au dossier n’a
1101 hypocrite dans ce domaine, les éditeurs de livres et de revues demandent avant tout d’un écrit qu’il se vende. On m’assure
1102 ssure que l’éditeur d’Ambre fit savoir à la jeune et jolie femme qui en est l’auteur qu’il jugeait l’ouvrage très mauvais,
1103 c l’éduquer, concluent les moralistes américains. Et pour cela, donnons-lui des Digests où, sous une forme assimilable et
1104 ns-lui des Digests où, sous une forme assimilable et simplifiée, il trouvera le meilleur de ce qui s’écrit chez nous. Et q
1105 trouvera le meilleur de ce qui s’écrit chez nous. Et que lui donne-t-on, dans le fait ? D’excellents articles sur l’hygièn
1106 upéry, de John Gunther ; des anecdotes frappantes et loufoques à souhait ; de l’optimisme, encore de l’optimisme, et une c
1107 souhait ; de l’optimisme, encore de l’optimisme, et une confiance sérieusement motivée dans les destins de l’Amérique. No
1108 de l’Amérique. Nous voici loin des « turpitudes » et de la résignation morbide dénoncées par L’Humanité. Mais dans la mesu
1109 our éduquer le grand public, cherche à le séduire et lui fait trop de concessions, ce qui rapporte une quantité de dollars
1110 marquer les points, les mauvaises notes à droite et à gauche, d’un air sceptique. Nous dénonçons l’abus flagrant des méth
1111 its malins qui refusent de choisir entre la peste et le choléra, entre les blocs. Nous tenons la balance égale… ⁂ Eh bien 
1112 , hélas ! réelles, peuvent encore être dénoncées, et le sont chaque jour avec une force, une pertinence, une cruauté qu’au
1113 liberté d’esprit que l’Europe ne peut qu’envier, et qui épouvanterait les staliniens. La balance n’est pas égale. Car ce
1114 it, ce sont bien moins les tentations de l’argent et du succès vulgaire que les habitudes de mensonge en service commandé
1115 occasions plus marquantes, je veux parler de 1917 et de 1942, et alors elle fut bien le fait de la volonté du peuple améri
1116 us marquantes, je veux parler de 1917 et de 1942, et alors elle fut bien le fait de la volonté du peuple américain et de l
1117 ut bien le fait de la volonté du peuple américain et de la politique de ses chefs. q. Rougemont Denis de, « La balance
1118 « La balance n’est pas égale entre les États-Unis et l’URSS », Le Figaro littéraire, Paris, 8 novembre 1947, p. 1-2.
17 1947, Articles divers (1946-1948). Une Europe fédérée (20 décembre 1947)
1119 ffit de grouper pour qu’elles parlent clairement, et d’ordonner pour qu’un mot d’ordre s’en dégage. Quelques faits La
1120 rd sur le milieu nouveau, sur les périls certains et les bienfaits possibles instaurés par sa propre science. L’homme mode
1121 quand le jeu des forces réelles est international et opère à l’échelle des continents. Il pense encore en kilomètres, sépa
1122 monde. En 1939 il y avait en présence l’Allemagne et les démocraties : tout se passait entre nous, Européens, nous sention
1123 asse en dehors de nous, tout nous menace ensemble et nous pousse à l’union. Séparés, isolés, nous serons colonisés. Ensemb
1124 s deux Grands additionnés. Ils baisseront le ton, et l’on pourra parler. Notre vocation Qu’aurons-nous donc à dire d
1125 , de discipline d’acier (c’est le nom de Staline) et de diplomatie à coups de marteau (c’est le nom choisi par Molotov). N
1126 s électoral dans les pays où il est le plus fort, et qui ne peut faire notre unité que sur nos ruines, par l’occupation ru
1127 unité que sur nos ruines, par l’occupation russe, et dans les camps. À l’égard de l’Amérique notre refus, pour être beauco
1128 iellement, elle a besoin de nous spirituellement, et si son aide économique nous trouvait complaisants ou serviles dans le
1129 omplaisants ou serviles dans le domaine des mœurs et de la culture elle y perdrait autant que nous. L’Europe a dépassé le
1130 n rôle est d’inventer un régime neuf, plus souple et plus humain que la dictature russe, mais guéri de l’obsession de l’ar
1131 régime qui traduise en politique, dans l’économie et les mœurs, l’idée de l’homme commune aux peuples de l’Europe : ni l’i
1132 que sans droits, mais la personne à la fois libre et engagée, l’homme qui sait ce qu’il se doit et ce qu’il doit aux autre
1133 bre et engagée, l’homme qui sait ce qu’il se doit et ce qu’il doit aux autres. Voilà ce que cherchent dans tous nos pays l
1134 s meilleures têtes, j’entends les moins sectaires et les plus réalistes : cet équilibre souple et sans cesse rajusté entre
1135 ires et les plus réalistes : cet équilibre souple et sans cesse rajusté entre deux exigences contradictoires mais égalemen
1136 nt essentielles à la vie, qui s’appellent l’unité et la diversité, la sécurité et le risque, la vie privée et le service p
1137 s’appellent l’unité et la diversité, la sécurité et le risque, la vie privée et le service public, la centralisation et l
1138 iversité, la sécurité et le risque, la vie privée et le service public, la centralisation et la libre entreprise, l’un pou
1139 ie privée et le service public, la centralisation et la libre entreprise, l’un pour tous et le tous pour un. Voilà la voca
1140 ralisation et la libre entreprise, l’un pour tous et le tous pour un. Voilà la vocation de l’Europe. Or il est clair qu’au
1141 est en mesure de la réaliser pour son seul compte et sans échanges. Aucune n’est assez riche et assez forte pour réussir s
1142 compte et sans échanges. Aucune n’est assez riche et assez forte pour réussir sans ses voisins, ou pour résister seule aux
1143 ou pour résister seule aux pressions impériales. Et l’idée de coopération qui serait au cœur de ce régime social, et qui
1144 opération qui serait au cœur de ce régime social, et qui inspire partout sa recherche, ne saurait s’arrêter aux frontières
1145 si clairement inscrit dans les données du siècle et si lisible aux meilleures volontés qu’il ne puisse provoquer d’opposi
1146 se cantonnent dans le double refus de l’Amérique et de la Russie, qu’ils y ajoutent un troisième refus, celui de l’Europe
1147 ire cela, ou comme cela. Mais certains le pensent et finissent par le dire, d’une manière un peu différente : « Vous y cro
1148 gens ont une peur bleue de passer pour utopistes et d’avoir l’air de croire un peu à quelque chose) se cachent en réalité
1149 ois formes de sabotage : nationalisme, défaitisme et stalinisme. Le nationalisme n’est en fait qu’une crispation de névros
1150 st fatale ; inutile de rien faire en l’attendant, et surtout pas quelque chose qui l’empêche ! Enfin le stalinisme a décré
1151 répondent en tirant le rideau de fer, s’enferment et crient qu’on les empêche d’entrer, qu’on les exclut, qu’on fait un bl
1152 r, les défaitistes auront perdu comme il se doit, et les nationalistes feront l’opposition indispensable à tout régime dém
1153 discipline aveugle à ceux qui cherchent un ordre, et le camp de concentration à ceux qui rêvent encore de restaurer le sen
1154 is la guerre qu’ils avaient eux-mêmes déclenchée. Et nous savons pourtant que nous sommes plus libres qu’eux, et plus sage
1155 vons pourtant que nous sommes plus libres qu’eux, et plus sages que les Américains. Mais nous restons les bras ballants, r
1156 ous restons les bras ballants, regardant à droite et à gauche comme s’il n’y avait rien devant nous. Quand le monde attend
1157 nd le monde attend de nous l’invention pacifiante et la formule d’un ordre neuf… Où irons-nous ? Seul le fédéralisme ouvre
1158 Suisse — les vieux conflits de races, de langues et de religions sclérosés dans le nationalisme et le problème des minori
1159 es et de religions sclérosés dans le nationalisme et le problème des minorités. Et surtout il peut dépasser l’opposition
1160 ns le nationalisme et le problème des minorités. Et surtout il peut dépasser l’opposition chaque jour moins convaincante
1161 onvaincante d’une gauche qui défend la contrainte et d’une droite qui revendique les libertés : le but, l’essence de la pe
1162 s je ne sais quel groupement de doubles négations et de demi-mesures — c’est l’Europe fédérée devant les deux empires. C’e
1163 joignant le xixe siècle, pour en prendre la tête et inventer l’avenir. C’est le fédéralisme, qui veut que la Terre promis
18 1948, Articles divers (1946-1948). Notes sur la voie clandestine (hiver 1948)
1164 de ta chance ou la cadence de ta grâce. Le risque et l’isolement nous rendent à l’enfance, parce qu’ils nous livrent aux m
1165 entir unique, c’est la superstition fondamentale. Et les autres s’ensuivent aisément, comme le corps quand la tête a passé
1166 est une voie qui n’est tracée que pour moi seul, et que seul je pourrai deviner comme on fait un poème, ou plutôt : comme
1167 es pas qui la suivent. (Par toute autre voie sûre et connue, où que j’arrive, je me perdrais en route.) Dans l’insignifia
1168 ute.) Dans l’insignifiance d’une vie où l’argent et la guerre sont seuls à organiser la cohue, le superstitieux simplemen
1169 elle est un peu moins apparence que tout le reste et un peu plus apparition. Certains soirs, il descend lentement son esca
1170 son escalier, passe le seuil, s’arrête un moment, et commence à longer la rue. Son allure ne saurait tromper. C’est la pui
1171 deux rues, c’est New York, dont la somme donne 6 et le produit 9 — le démoniaque et le divin, pour lui — et ce sont la Si
1172 la somme donne 6 et le produit 9 — le démoniaque et le divin, pour lui — et ce sont la Sixième Avenue et la Neuvième Rue,
1173 produit 9 — le démoniaque et le divin, pour lui — et ce sont la Sixième Avenue et la Neuvième Rue, justement — s’il y pens
1174 le divin, pour lui — et ce sont la Sixième Avenue et la Neuvième Rue, justement — s’il y pense, il est dans le jeu. Dans u
1175 ense, il est dans le jeu. Dans un état signifiant et rythmé. Il ne voit plus l’échelle ni le chat noir à gauche, les cheva
1176 ntendre parce qu’elle résout sa dissonance intime et l’introduit dans l’harmonie de son destin. Cherchant ce qui ne vibre
1177 n destin. Cherchant ce qui ne vibre qu’à lui-même et révèle un accord instant, il marche au son, comme les grands appareil
1178 hauteurs. ⁂ Que chacun donc découvre ses symboles et la voie que lui seul peut frayer pour s’approcher des mystères commun
1179 nouveau ! Dans les jeux, rêves de la conscience, et dans les rêves, jeux de l’inconscient, on a vite fait d’en dresser le
1180 : tout se ramène à quelques personnages constants et à des formes géométriques — rois et reines, châteaux et enceintes, so
1181 ges constants et à des formes géométriques — rois et reines, châteaux et enceintes, soldats ou pions ; cercles, quadrilatè
1182 es formes géométriques — rois et reines, châteaux et enceintes, soldats ou pions ; cercles, quadrilatères, spirales et cro
1183 ldats ou pions ; cercles, quadrilatères, spirales et croix ; l’Anima femme sauvage, désirable et fuyante, et le Vieillard
1184 rales et croix ; l’Anima femme sauvage, désirable et fuyante, et le Vieillard qui juge, tous les deux sans visage… Il semb
1185 ix ; l’Anima femme sauvage, désirable et fuyante, et le Vieillard qui juge, tous les deux sans visage… Il semble que ces f
1186 us les deux sans visage… Il semble que ces formes et figures soient presque seules à définir le pouvoir d’illustrer les me
1187 ils règlent la circulation entre les profondeurs et la surface manifeste. ⁂ Je ne parlais que des Grands Rêves et des vra
1188 e manifeste. ⁂ Je ne parlais que des Grands Rêves et des vrais jeux. Bien entendu, pour l’usage quotidien, comme pour le t
1189 ens des signes. ⁂ Quand tout se ferme devant moi, et que rien ne m’indique plus comment agir et comment sortir de l’impass
1190 t moi, et que rien ne m’indique plus comment agir et comment sortir de l’impasse, je tire les cartes, j’accepte le clin d’
1191 ur mes assises inconscientes, si la raison hésite et là où elle se tait. Car d’une part les signes que j’accueille ont bie
1192 mythe, à quoi s’ordonnent les hasards apparents, et des structures de laquelle ils me permettent de repérer certains liné
1193  : signes enregistrés de l’inconscient collectif, et tenant lieu de raisons lorsque la raison cale. ⁂ Le superstitieux exp
1194 ous ne retenez que les coïncidences, prémonitions et prédictions heureuses, une sur dix, comme la loi du hasard nous autor
1195 dix, comme toutes vos expériences de laboratoire. Et comme vous, je ne retiens que le dixième, qui donne un sens. Mais les
1196 de toute nécessité par le Destin ? Erreur commune et dont il faut rougir. Il n’y a pas de hasard, mais pourtant nous somme
1197 plus ou moins clairement ; des portes se ferment et se rouvrent ; mon oreille est plus ou moins fine ; je m’oriente ou me
1198 ins de limaille, nous sommes aimés par un destin. Et parfois il nous traite avec indifférence, parfois nous blesse, parfoi
1199 ’une dictature anonyme. J’imagine un destin actif et joueur. Arrêtez-vous un moment, je vous prie, devant cette nouveauté
1200 ance que reposent les vœux, incantations, magie — et la prière ? « Croire », disait Kierkegaard, « que Dieu peut à tout in
1201 e superstitieux, parce que tout amour est unique, et doit donc inventer ses signaux, indices, repères et mesures. La scien
1202 doit donc inventer ses signaux, indices, repères et mesures. La science se tait, ou dit avec tout le monde, depuis trois-
1203 depuis trois-cent-mille ans qu’il y a des hommes et qui aiment : « Question de peaux. » Nous en sommes là. On avancerait
1204 mme un souvenir perdu, comme un rêve qui sombrait et que je ramène sur la berge du réveil par une touffe de cheveux, par l
1205 une touffe de cheveux, par la main… Il se débat, et pour un peu, m’entraînait dans sa mort naissante. » Poésie et superst
1206 eu, m’entraînait dans sa mort naissante. » Poésie et superstition : elles ont mêmes lois, mêmes incertitudes, mêmes échecs
1207 ont mêmes lois, mêmes incertitudes, mêmes échecs et mêmes réussites. Et les mêmes trucs aussi, souvent vulgaires. Le poèt
1208 es incertitudes, mêmes échecs et mêmes réussites. Et les mêmes trucs aussi, souvent vulgaires. Le poète croit que 12 sylla
1209 n beau soir le beau vers accourt sur douze pieds, et la femme est au rendez-vous. (Allez répéter cela devant un jury ! All
1210 xige leur coutume. Pourtant, c’est vrai.) ⁂ Bonne et mauvaise superstition, comme il y a bonne et mauvaise poésie. Ajouton
1211 onne et mauvaise superstition, comme il y a bonne et mauvaise poésie. Ajoutons que le vrai superstitieux se moque des supe
1212 des superstitions comme le vrai poète des sujets et des mots poétiques : ni plus ni moins. L’un et l’autre en joue, et s’
1213 ts et des mots poétiques : ni plus ni moins. L’un et l’autre en joue, et s’en jouent. t. Rougemont Denis de, « Notes su
1214 ques : ni plus ni moins. L’un et l’autre en joue, et s’en jouent. t. Rougemont Denis de, « Notes sur la voie clandestin
19 1948, Articles divers (1946-1948). Rencontre avec Denis de Rougemont (janvier 1948)
1215 là, au dernier étage, dans un petit bureau étroit et blanc comme une cellule de moine, tout embrumé par la fumée des pipes
1216 s, que je rencontre, conversant avec Brice Parain et le Père Bruckberger, Denis de Rougemont. Il laisse ses interlocuteurs
1217 nchés sur les bonnes feuilles du Cheval de Troie, et m’entraîne dans un bar voisin. Musique en sourdine, lumières tamisées
1218 Dans un coin ombreux, Jean-Paul Sartre, Koestler et Simone de Beauvoir s’entretiennent fiévreusement du sort de l’Europe.
1219 t dans la rue, l’aurais-je pris pour un homme dur et violent. Mais, à l’entendre parler, comment sa pondération, sa généro
1220 ravité. Souvent un sourire accompagne son propos, et son regard s’éclaire d’une lueur qu’il me faut bien qualifier de « my
1221 équences générales des découvertes particulières, et aux liaisons humaines qu’elles affectent. C’est un intellectuel. Un
1222 il pas instaurer une Politique de la personne  ? Et , pour mieux préciser encore sa position, ne nous invita-t-il pas, rep
1223 gemont. J’ai fait des études de lettres en Suisse et en Autriche, à Vienne. J’ai voyagé en Allemagne et en Hongrie. Pendan
1224 t en Autriche, à Vienne. J’ai voyagé en Allemagne et en Hongrie. Pendant un temps, je fus lecteur de français à l’Universi
1225 n 1931, je vins en France ; j’ai vécu en province et à Paris, collaborant à Esprit , à L’Ordre nouveau , fondant la mais
1226 os. Nous y défendions la théologie existentielle, et les noms de Heidegger, de Kierkegaard, revenaient souvent sous notre
1227 op parfait, cette ambiance d’innocence, de sports et d’ombres vertes », que demeurait Albert Einstein, l’inventeur de la b
1228 ait sous mes fenêtres. Il portait un sweater bleu et un pantalon de flanelle, comme les étudiants de l’Université. Un soir
1229 ant, c’était bien Einstein. Il avait lu mon livre et désirait me connaître. Je me rendis chez lui, dans une maison de bois
1230 maison de bois jaune entourée de gazon, de fleurs et d’arbres pleins d’oiseaux. Il s’avança vers moi, souriant de ses gros
1231 e, des joues grises creusées de profondes ravines et deux touffes de cheveux blancs en auréole. Il me fit asseoir près de
1232 t asseoir près de lui dans un fauteuil de jardin, et nous nous mîmes à parler de l’Amérique, de la Russie et de la bombe a
1233 s nous mîmes à parler de l’Amérique, de la Russie et de la bombe atomique. Avez-vous eu l’impression qu’Einstein se sentai
1234 e, même sans lui, le secret aurait été découvert, et que par conséquent… « La bombe, m’a-t-il dit, n’a pas changé les cond
1235 question même de la guerre qui se trouve posée. » Et de la Russie que pense-t-il ? Pour lui, les Russes se savent et se se
1236 e que pense-t-il ? Pour lui, les Russes se savent et se sentent les plus faibles, surtout en face de l’Amérique. S’ils se
1237 avantage n’est pas de s’y opposer perpétuellement et en vain, mais d’y entrer. Je n’interrogerai pas Denis de Rougemont su
1238 a consacré de nombreux articles dans des journaux et des revues de France et de Suisse — articles qu’il a d’ailleurs rasse
1239 rticles dans des journaux et des revues de France et de Suisse — articles qu’il a d’ailleurs rassemblés en un volume sous
1240 nte, Cervantès, Swift, Voltaire, Rousseau, etc. ? Et Calvin ! Mais La Fontaine, Racine ?… À leur époque, ils accomplirent
1241 ur métier d’écrivain comme alors on le concevait. Et c’est cela qui me semble essentiel. Ils n’étaient pas des inadaptés c
1242 , par exemple. Voyez Nietzsche, voyez Baudelaire, et Kierkegaard, dont toute l’œuvre n’est qu’immense effort pour atteindr
1243 e n’est qu’immense effort pour atteindre les gens et qui est mort — oui, littéralement — qui est mort de cela. Ils demeurè
1244 éelle entre l’écrivain d’une part, la bourgeoisie et les masses en formation de l’autre. Aujourd’hui, c’est le besoin vita
1245 sse près de Denis de Rougemont, lui serre la main et l’entretient d’un petit restaurant où ils avaient l’habitude de se re
1246 nds écrivains français contemporains, c’est Camus et Simone de Beauvoir. » N’était-ce pas là façon de se désigner soi-même
1247 er des ruines, mais de découvrir un monde nouveau et de l’organiser. Tout est à recréer. Ils n’ont encore rien à dire, ou
1248 nsformées pour autant. Voilà pourquoi ce sont eux et eux seuls qu’on entend, ou du moins qu’on écoute. Les autres n’en son
1249 as être sans influence profonde sur leurs pensées et leur œuvre. Enfin, nous en venons à parler de l’Europe. Je suis profo
1250 un. Cela signifie d’une part l’élan des personnes et des régions vers l’union, et, d’autre part, l’aide que l’union doit a
1251 l’élan des personnes et des régions vers l’union, et , d’autre part, l’aide que l’union doit apporter à chaque région et à
1252 l’aide que l’union doit apporter à chaque région et à chaque personne. Au mois d’août dernier, au congrès de l’Union euro
1253 és (car ce qui compte pour lui, c’est la qualité, et non la quantité comme dans le totalitarisme) ; il a pour base la sauv
1254 province. Il repose sur l’amour de la complexité. Et , ce qui est non moins important, il se forme de proche en proche, par
1255 e de proche en proche, par le moyen des personnes et des groupes, et non point à partir d’un centre ou par le moyen des go
1256 roche, par le moyen des personnes et des groupes, et non point à partir d’un centre ou par le moyen des gouvernements. C’e
1257 bsence de présence au monde. Tout comme la guerre et la mort, il est simple et rigide. Le fédéralisme, au contraire, est c
1258 e. Tout comme la guerre et la mort, il est simple et rigide. Le fédéralisme, au contraire, est complexe et souple comme la
1259 igide. Le fédéralisme, au contraire, est complexe et souple comme la paix, comme la vie. Il ne faut pas avoir peur de ces
1260 ntrer. Bientôt, Denis de Rougemont quittera Paris et s’installera à Ferney, à l’ombre de Voltaire, l’un de ses maîtres. Là
1261 a, de Kierkegaard, de Luther, de Gide, de Claudel et de Ramuz. Ensuite, il publiera son Journal des deux mondes , des ess
1262 Le nœud gordien » — textes qu’il écrivit entre 20 et 40 ans. Mais son plus important projet est de composer une morale qu’
20 1948, Articles divers (1946-1948). Les deux blocs ? Il n’en existe qu’un (9 janvier 1948)
1263 s nous disent que le choix est fatal entre l’URSS et les USA, et les autres refusent le choix parce qu’il mènerait fatalem
1264 t que le choix est fatal entre l’URSS et les USA, et les autres refusent le choix parce qu’il mènerait fatalement à la gue
1265 premiers, l’Europe n’est plus rien par elle-même et devrait s’attacher au plus vite soit au bloc russe soit au dollar amé
1266 roclament qu’ils ne choisiront pas entre la peste et le choléra et qu’ils tiennent la balance égale entre le refus du stal
1267 ls ne choisiront pas entre la peste et le choléra et qu’ils tiennent la balance égale entre le refus du stalinisme et le r
1268 ent la balance égale entre le refus du stalinisme et le refus de l’américanisme. Tel est le dialogue qui se poursuit depui
1269 aute aux yeux, quand on compare le rôle de l’URSS et celui des États-Unis dans notre monde : c’est que nous avons chez nou
1270 SS est présente dans toute l’Europe aux élections et dans les parlements, elle a ses troupes disciplinées, elle fait sa po
1271 nt elle se sert comme d’un instrument de conquête et qui dicte une tactique scientifique : le marxisme ; tandis que les US
1272 xisme ; tandis que les USA n’ont pas de doctrine, et n’ont rien d’autre à proposer qu’un genre de vie, leur way of life qu
1273 ontraire, poussent à la collaboration européenne, et surtout sur le plan économique. Ils nous veulent forts, donc autonome
1274 e même des deux côtés. Un contraste frappant Et si l’on regarde ce qui se passe en réalité à l’intérieur des deux emp
1275 position, en Amérique elle est entièrement libre, et mieux que cela : on en tient compte. En Russie, on promet la lune aux
1276 riers, mais en fait on leur ôte le droit de grève et le droit de se plaindre d’une inégalité de salaires sans précédent da
1277 es. En Amérique, les ouvriers se mettent en grève et gagnent à peu près à chaque fois les améliorations qu’ils revendiquen
1278 a dans les deux camps des opprimés, de la misère et des scandales. Certes, mais là s’arrête la ressemblance. Car en Russi
1279 que Staline a justifié la liquidation des koulaks et le pacte germano-soviétique. Tout au contraire, en Amérique, on dénon
1280 irs — on lutte ouvertement contre elle, l’opinion et l’État s’unissent pour la réduire, et cela au nom d’un idéal qui ne c
1281 , l’opinion et l’État s’unissent pour la réduire, et cela au nom d’un idéal qui ne change pas tous les six mois, car il es
1282 tous les six mois, car il est la morale commune, et non pas une simple tactique. Et ainsi de suite. Toutes les comparaiso
1283 a morale commune, et non pas une simple tactique. Et ainsi de suite. Toutes les comparaisons précises et objectives que l’
1284 ainsi de suite. Toutes les comparaisons précises et objectives que l’on peut établir entre les deux puissances nous condu
1285 e mesure entre le danger soviétique pour l’Europe et le prétendu danger yankee. La Russie, qui vise à l’autarcie totalitai
1286 s qu’aucun pays à toutes les influences du monde, et sait très bien que sa propre santé dépend de celle des autres, et non
1287 n que sa propre santé dépend de celle des autres, et non de leur misère. L’Amérique est une démocratie, et une démocratie
1288 on de leur misère. L’Amérique est une démocratie, et une démocratie vivante n’est pas un bloc. Un seul remède : nous fé
1289 tons pas d’être ses satellites, elle nous déclare et nous croit ses ennemis et les esclaves de l’Amérique. Et tout le verb
1290 ites, elle nous déclare et nous croit ses ennemis et les esclaves de l’Amérique. Et tout le verbiage des communistes contr
1291 croit ses ennemis et les esclaves de l’Amérique. Et tout le verbiage des communistes contre un prétendu « bloc américain 
1292 ’une Europe forte, c’est-à-dire d’une Europe unie et autonome ; elle ne veut qu’une Europe livrée à sa merci par les rival
1293 livrée à sa merci par les rivalités nationalistes et la misère. À ce défi, nous ne pouvons pas répondre en nous jetant sim
1294 à grands frais comme des malades de luxe, ingrats et susceptibles. Elle cherche à nous aider pour que nous ne tombions pas
1295 la faire, donc de nous fédérer. Malgré les Russes et avec l’appui probable des démocrates américains. u. Rougemont Den
21 1948, Articles divers (1946-1948). Ce sont les Français qui ont commencé (La querelle des « condensés… ») (14 février 1948)
1296 e lui exposer sa philosophie en un quart d’heure, et l’arrêtait au bout de cinq minutes, pensant avoir assez compris. Dira
1297 ire que ces produits sont d’invention américaine, et que leur soudaine diffusion provient d’une clause secrète du plan Mar
1298 ombres desseins que nourrissent les grands trusts et Wall Street, acharnés à nous asservir tout en feignant de donner du l
1299 ligner le caractère américain de leur entreprise, et donner à celle-ci le prestige populaire qui s’attache aux audaces d’o
1300 une querelle aussi vieille que celle des manuels. Et il suffit de parler d’adaptations (ou d’abrégés) pour que l’on soit c
1301 erai quelques étapes, au hasard de mes souvenirs, et sans recourir à d’autres sources qu’un vieux Lanson que j’ai sous la
1302 de La Motte condense L’Iliade en douze chants, «  et ce qui tombe », écrit Lanson, « c’est tout ce qui n’est pas la notati
1303 ntomime, les fossoyeurs, les crânes, le parricide et autres détails qui blessent inutilement le goût. Dans Othello, il sup
1304 tilement le goût. Dans Othello, il supprime Jago, et l’action « s’expédie en vingt-quatre heures ». (Il y ajoute un happy
1305 rard de Nerval condense les deux Faust de Goethe, et Goethe se déclare ravi du résultat, préfère se relire en français. Ve
1306 nçais. Vers la fin du siècle, le vicomte de Vogüé et d’autres condensent le roman russe, l’adaptent sans réplique au goût
1307 russe, l’adaptent sans réplique au goût français, et le réduisent aux dimensions civilisées du volume à trois francs cinqu
1308 volume à trois francs cinquante broché en jaune. Et j’allais oublier les Mille et Une Nuits de Galland, qui sont pourtant
1309 te broché en jaune. Et j’allais oublier les Mille et Une Nuits de Galland, qui sont pourtant le record du genre, comme on
1310 uichotte, de Gulliver, de Robinson, de L’Odyssée, et même des Saintes Écritures, dont s’est nourrie toute notre enfance. I
1311 qu’en tout cela je n’ai cité que des traductions, et que ni Goethe, ni Swift, ni Cervantès n’ont jamais reçu le prix Gonco
1312 résumés en prose, par Charles Lamb, des comédies et tragédies de Shakespeare. Je ne saurais leur comparer chez nous, sous
1313 parer chez nous, sous le double rapport du succès et de la valeur littéraire intrinsèque, que le Roman de Tristan et Yseul
1314 r littéraire intrinsèque, que le Roman de Tristan et Yseult, dans la version de Joseph Bédier : condensation en prose et e
1315 version de Joseph Bédier : condensation en prose et en un volume des cinq versions originales de la légende, et en partic
1316 olume des cinq versions originales de la légende, et en particulier du poème de Thomas (3144 vers) et de celui de Béroul (
1317 et en particulier du poème de Thomas (3144 vers) et de celui de Béroul (4485 vers). Vous trouverez sans peine, dans n’im
1318 re au goût réel ou supposé du public d’une époque et d’un pays, ce n’est pas une invention américaine, mais une ancienne c
1319 américaine, mais une ancienne coutume européenne, et plus spécifiquement française. Insistons un peu sur le fait, avant de
1320 pour les uns : dépourvu de scrupules littéraires et de style, pour les autres : excitant et moderne.) Or non seulement le
1321 ttéraires et de style, pour les autres : excitant et moderne.) Or non seulement le procédé est fort ancien, mais encore l’
1322 aine le rôle exorbitant que nous leur attribuons, et qu’ils semblent en passe de prendre ici. Quant à la légitimité de l’a
1323 re voir qu’elle est infiniment variable. La Motte et Ducis appauvrissent, défigurent, saccagent leur modèle, et ne peuvent
1324 appauvrissent, défigurent, saccagent leur modèle, et ne peuvent qu’en écarter le lecteur. Vogüé résume, croit condenser, m
1325 , mais perd en densité, précisément. Pour Galland et Nerval, cela se discute : on peut considérer leurs raccourcis comme d
1326 ier, enfin, restitue un chef-d’œuvre, le continue et le parfait. Ainsi, selon l’auteur et sa méthode, l’on va du pire à l’
1327 le continue et le parfait. Ainsi, selon l’auteur et sa méthode, l’on va du pire à l’excellent. Le procédé lui-même n’est
1328 use, mais bien le talent de celui qui l’applique, et peut-être aussi le modèle (ou la victime) que l’on choisit. À ce prop
1329 pas protesté tant qu’on nous a servi Shakespeare et Goethe, Cervantès et Dostoïevski dans des versions réduites, émondées
1330 ’on nous a servi Shakespeare et Goethe, Cervantès et Dostoïevski dans des versions réduites, émondées, aplaties. Mais ils
1331 faibles un honneur qui convient aux plus grands, et que seuls les plus grands soutiennent. Trois remarques encore sur ce
1332 ou Robinson soient résumés à l’usage des enfants et des adolescents. Mais le fameux grand public, si cher aux éditeurs, n
1333 aux « condensés » d’évacuer le style d’un auteur, et de priver son message d’une partie de sa vertu en le dépouillant des
1334 mille détails mûrement choisis qui l’illustraient et le nuançaient, que doit-on dire de presque toutes les traductions ? E
1335 doit-on dire de presque toutes les traductions ? Et surtout des adaptations destinées à la scène ou à l’écran ? Le Procès
1336 tion de Vialatte, faite sur un roman non terminé, et que l’auteur voulait détruire, ne court-il pas les mêmes dangers que
1337 à populariser la connaissance des chefs-d’œuvre. Et je crois vain de s’indigner des « condensés » tant qu’on n’aura rien
1338 lture des masses ; car nous sommes en démocratie, et les masses y sont le despote qu’il s’agit avant tout d’éclairer. Mais
1339 les fabricants de condensés se donnent des règles et jouent franc jeu. Qu’ils résument sans jamais récrire, c’est-à-dire q
1340 e, c’est-à-dire qu’ils se bornent à des coupures, et s’il faut un raccord ici ou là, qu’ils l’impriment dans un autre cara
1341 rement le lecteur qu’on ne lui vend qu’un résumé, et qu’ils rappellent les dimensions de l’original ; enfin qu’ils prennen
1342 e Figaro littéraire, Paris, 14 février 1948, p. 1 et 3.