1 1946, Articles divers (1946-1948). Théologie et littérature (1946)
1 Théologie et littérature (1946)b 1. Il faut tenir la théologie chrétienne pour la mère de la pensée occident
2 e ecclésiastique dès le déclin du Moyen Âge, mais il n’en est aucun dont l’esprit et l’histoire ne manifestent à chaque in
3 i aussi facilement définissables et contrôlables. Il est vrai que certaines influences directes, attestées par les écrivai
4 Balzac, de Newman sur Gerard Manley Hopkins. Mais il ne me paraît pas que le problème dans son ensemble ait été clairement
5 écrivains se sont installés pour la plupart, est- elle vraiment sans conséquence pour les uns et les autres, et pour l’élite
6 s uns et les autres, et pour l’élite en général ? Il est clair que la théologie n’a pas besoin de la littérature et peut s
7 ésintéresser sans grand dommage. Si l’on admet qu’ elle a pour objet principal de formuler et de critiquer le dogme chrétien
8 et de critiquer le dogme chrétien dans l’Église, elle est en droit de laisser à d’autres le soin d’appliquer ses critères h
9 n d’appliquer ses critères hors de l’Église. Mais il est beaucoup moins évident que la littérature puisse se passer impuné
10 e puisse se passer impunément de la théologie. Et il est bien certain que lorsqu’elle s’en passe, les effets s’en font sen
11 e la théologie. Et il est bien certain que lorsqu’ elle s’en passe, les effets s’en font sentir dans l’Église même. Car le cl
12 per à l’influence de leurs lectures, cependant qu’ ils éprouvent une difficulté croissante à juger celles-ci du point de vue
13 té et celui de la littérature, les atmosphères qu’ elles créent, les problèmes qu’elles envisagent, les valeurs morales qu’ell
14 les atmosphères qu’elles créent, les problèmes qu’ elles envisagent, les valeurs morales qu’elles tiennent pour allant de soi,
15 lèmes qu’elles envisagent, les valeurs morales qu’ elles tiennent pour allant de soi, tout est devenu trop différent, et presq
16 mettent à faire de la critique littéraire, comme il arrive qu’on en lise sous leur nom dans les revues de pensée religieu
17 s leur nom dans les revues de pensée religieuse : il s’agit trop souvent de comptes rendus d’amateurs qui cherchent à parl
18 es un minimum de connaissances théologiques, dont ils se montrent cruellement dépourvus. Et de même, je suis le premier à p
19 s à la Parole de Dieu, mais c’est le contraire. S’ il arrive qu’un pasteur ou un prêtre juge opportun de parler d’un livre,
20 nds, à la fois comme fidèle et comme écrivain, qu’ il en parle en théologien, et non pas en homme cultivé, en moraliste ou
21 nfluence possible d’une intervention de ce genre, elle aurait en tout cas l’avantage de donner aux fidèles — et à leur clerg
22 s de la théologie a pour conséquence immédiate qu’ ils se condamnent à découvrir, tous les vingt ans, des Amériques depuis l
23 e religieuse de leur époque, mais surtout comment ils pâtissent de n’avoir point connu l’existence de traditions soit ortho
24 ’est le cas le plus fréquent, dont à grands frais ils redécouvrent quelques bribes, des encyclopédistes aux existentialiste
25 rra l’expliquer aux disciples de ces mouvements ? Il y faudrait un théologien. Lever les bras au ciel, ou pointer le doigt
26 l’égard des efforts de l’avant-garde, d’autant qu’ ils jouent, aux yeux de beaucoup et des meilleurs de nos contemporains, l
27 itualité ardente et courageuse. Pourquoi faudrait- il qu’à l’obscurantisme théologique qui dénote la culture d’aujourd’hui,
28 nul secours ? Va-t-on lui tourner le dos parce qu’ elle est tapageuse, scandaleuse et d’une conduite peu régulière, la confir
29 ite ne leur donnait rien. Exemple : Kierkegaard. Il ne fut pas un théologien au sens strict, mais toute son œuvre manifes
30 st montrée décisive dans beaucoup de conversions, elle n’a pas eu pour effet (ou très rarement) l’adhésion des convertis à u
31 ier, semblable à la colombe de Kant, s’imagine qu’ il volerait mieux dans le vide. Le second, mieux assuré de la force de s
32 e cesse de mentionner cette réalité, mais en fait il échoue à l’exprimer ; il se livre à des efforts visibles de propagand
33 te réalité, mais en fait il échoue à l’exprimer ; il se livre à des efforts visibles de propagande en faveur des « valeurs
34 r des « valeurs spirituelles », mais par là même, il trahit peut-être une certaine absence de l’Esprit dans la genèse de s
35 absence de l’Esprit dans la genèse de son œuvre. Il oublie que le style d’un écrit transmet pour son compte et par lui-mê
36 ccordent et se renforcent ; le plus souvent hélas ils se contredisent, et l’un ruine l’autre secrètement dans l’esprit du l
37 autre secrètement dans l’esprit du lecteur. Ce qu’ il importe de rappeler ici, c’est que toute œuvre littéraire, si profane
38 théologie (fût-ce à l’insu de son auteur), et qu’ elle l’exprime par les mouvements mêmes du style, plus fidèlement et d’une
39 ndront leur objet, si par leur insuffisance même, elles incitent quelques jeunes théologiens à pousser plus avant dans un dom
2 1946, Articles divers (1946-1948). Le supplice de Tantale (octobre 1946)
40 ir de Tantale suffisait à repousser les objets qu’ il désire, et sa crainte l’objet qu’il redoute. Quand il se penche vers
41 les objets qu’il désire, et sa crainte l’objet qu’ il redoute. Quand il se penche vers la surface de la rivière où il baign
42 ésire, et sa crainte l’objet qu’il redoute. Quand il se penche vers la surface de la rivière où il baigne à mi-corps, quan
43 and il se penche vers la surface de la rivière où il baigne à mi-corps, quand il lève le bras vers ces fruits mûrs qui fon
44 face de la rivière où il baigne à mi-corps, quand il lève le bras vers ces fruits mûrs qui font ployer la branche au-dessu
45 nule. Mais on dirait aussi que son regard, dès qu’ il l’élève avec angoisse vers le rocher, retient le rocher. Étrange lieu
46 Oui, car à l’instant même où Tantale est ému, où il forme un projet, où il agit, les lois de la chute des corps et de leu
47 ême où Tantale est ému, où il forme un projet, où il agit, les lois de la chute des corps et de leur inertie, qui sont cel
48 crimes, dit la Fable. Admis à la table des dieux, il avait dérobé à ses hôtes leur nectar et leur ambroisie, pour les fair
49 de défier l’Olympe et d’éprouver son omniscience, il avait tué son propre fils Pélops, pour faire servir sa chair à la tab
50 la philanthropie préside au vol de Tantale, quand il est assez clair qu’il jalouse les dieux, leur divination, leur puissa
51 de au vol de Tantale, quand il est assez clair qu’ il jalouse les dieux, leur divination, leur puissance, et tous les plais
52 vination, leur puissance, et tous les plaisirs qu’ ils en tirent. Quant à la mise à mort du fils, offert ensuite aux dieux c
53 ert ensuite aux dieux comme nourriture meilleure, il est surprenant d’observer qu’elle invertit exactement le sacrifice du
54 riture meilleure, il est surprenant d’observer qu’ elle invertit exactement le sacrifice du Fils de Dieu. Au lieu du Père liv
55 lieu du Père livrant son Fils aux hommes pour qu’ ils le tuent, mais aussi pour qu’ensuite ils revivent par la consommation
56 pour qu’ils le tuent, mais aussi pour qu’ensuite ils revivent par la consommation de son corps spirituel, un homme tue lui
57 ême son fils, et donne sa chair aux dieux pour qu’ ils en meurent, — s’ils perdent leur divinité de s’être une fois laissé s
58 ne sa chair aux dieux pour qu’ils en meurent, — s’ ils perdent leur divinité de s’être une fois laissé surprendre et abuser.
59 es), répond un châtiment dont on croit deviner qu’ il n’est qu’une double réfraction du crime dans l’ordre humain. Parce qu
60 réfraction du crime dans l’ordre humain. Parce qu’ il a convoité la nourriture des dieux, Tantale se voit refuser celle du
61 upplice de Tantale, cet automatisme est si sûr qu’ il autorise à des spéculations précises, encore que fantastiques en appa
62 la branche ne s’écartant de lui qu’à l’instant où il veut les atteindre, et tout cela ne tient vraiment qu’à lui, qu’aux d
63 obstination les mêmes désirs et le même orgueil, il nourrit la vengeance des « dieux » qui frustrent ces désirs et qui re
64 ar impossible, que Tantale renonce un instant, qu’ il s’abandonne, et qu’il préfère soudain à son amour d’un moi coupable e
65 tale renonce un instant, qu’il s’abandonne, et qu’ il préfère soudain à son amour d’un moi coupable et torturé, l’expiation
66 tion libératrice et son délire. À l’instant même, il s’enfonce dans les eaux, il boit à mort, et le rocher l’écrase. Mais
67 re. À l’instant même, il s’enfonce dans les eaux, il boit à mort, et le rocher l’écrase. Mais c’est précisément ce qui n’a
68 rait un instant de pur abandon — payé de sa mort, il est vrai, pour quelle indescriptible renaissance ! — préfère subir le
69 antale. C’est son orgueil et sa dignité d’homme : il se révolte contre tout — sauf soi. C’est pourquoi rien ne change auto
70 ns la légende, à sa faim, à sa soif et à sa peur. Il est cet homme qui, dans chacun de nous, préfère le désir, même doulou
71 t encore son désir, donc lui-même — à la proie qu’ il ne posséderait qu’en acceptant d’être changé d’abord. Que lui servira
72 d’être changé d’abord. Que lui servirait, pense-t- il , de gagner le monde s’il y perdait son moi ? Il est certain qu’à sa m
73 e lui servirait, pense-t-il, de gagner le monde s’ il y perdait son moi ? Il est certain qu’à sa manière il a raison. Car à
74 t-il, de gagner le monde s’il y perdait son moi ? Il est certain qu’à sa manière il a raison. Car à gagner, l’on perd touj
75 perdait son moi ? Il est certain qu’à sa manière il a raison. Car à gagner, l’on perd toujours quelque chose : l’attente,
76 tité, des aliénations de nous-mêmes. À la limite, ils sont autant d’usurpations. Changeons maintenant de plan spirituel, e
77 e trouve ainsi conçue : « Tous mes biens tels qu’ ils sont et vont reviendront et appartiendront à celui des sept de MM. me
78 ce point, le notaire pose sa montre sur la table, elle marque onze heures et demie, et il attend les larmes. Le marchand Neu
79 ur la table, elle marque onze heures et demie, et il attend les larmes. Le marchand Neupeter se demande s’il ne s’agit que
80 end les larmes. Le marchand Neupeter se demande s’ il ne s’agit que d’une mauvaise farce, indigne d’un homme de sens. Le fi
81 cteur de police Harprecht lui fait observer que s’ il parvient à pleurer à force de rire, ce ne sera qu’un vol pur et simpl
82 vol pur et simple, mais l’Alsacien proteste que s’ il rit, « c’est par pure plaisanterie, et non pas dans une intention plu
83 ller d’église, se met à faire une allocution, car il sait que cela le fait pleurer… Mais Flachs, maintenant, a fermé les y
84 eurer… Mais Flachs, maintenant, a fermé les yeux. Il évoque son oncle van der Kabel, ses bienfaits, ses redingotes grises,
85 enter si pitoyablement à cause du testament, — et il s’en faut de bien peu qu’il ne pleure… Le conseiller continue son dis
86 se du testament, — et il s’en faut de bien peu qu’ il ne pleure… Le conseiller continue son discours… Soudain : « Je crois,
87 levant, je crois que je pleure ! » Et, en effet, il se rassoit en sanglotant brièvement. Son émotion dûment enregistrée,
88 otant brièvement. Son émotion dûment enregistrée, il héritera de tous les biens de l’oncle, pour lui avoir dédié, entre ta
89 à l’homme pour le faire héritier de son royaume : il demande un instant de foi. Un instant d’abandon de soi-même, et d’amo
90 mécanisme du supplice de Tantale, c’est-à-dire qu’ elle s’annule de soi-même. Si un homme croit pouvoir s’autoriser du mérite
91 roit pouvoir s’autoriser du mérite de ses œuvres, il ne pleurera pas : car la vision de la proie qui s’approche sera « bie
92 mporelle, les eaux vives fuiront ses lèvres ; car il faudrait, pour y être immergé, accepter de mourir d’abord à ses propr
93 précision miraculeuse ! Pour si peu d’égoïsme qu’ il subsiste dans l’acte de porter les lèvres ou la main vers cette eau,
3 1946, Articles divers (1946-1948). Genève, rose des vents de l’esprit (19 décembre 1946)
94 e distingue de l’Européen, court à la conclusion. Il veut une solution pratique, autant que possible. Mais il est capable,
95 une solution pratique, autant que possible. Mais il est capable, après une conversation, de changer d’opinion. Pas l’Euro
96 ons et pense que l’adversaire est méchant, puisqu’ il ne pense pas comme lui. Des entretiens, tels qu’ils viennent d’avoir
97 l ne pense pas comme lui. Des entretiens, tels qu’ ils viennent d’avoir lieu à Genève, eussent été un four aux États-Unis. E
98 e, eussent été un four aux États-Unis. En Russie, ils auraient été interdits. Personnellement, je regrette qu’aucun Russe n
99 uelque chose de positif des entretiens de Genève. Il faut que Genève devienne une sorte de Salzbourg intellectuel, ajoute
100 e peut plus être séparée des dialogues européens. Il souhaite encore que l’on organise à Genève un Café de Flore de l’Espr
101 endu, que l’esprit puisse y souffler librement où il veut. c. Rougemont Denis de, « [Entretien] Genève, rose des vents
4 1947, Articles divers (1946-1948). Préface à Le Cœur est un chasseur solitaire de Carson McCullers (1947)
102 ’il y a bien six ans j’ai connu Carson McCullers. Elle avait l’air d’une toute jeune fille montée en graine, avec ses petits
103 t que sans sa mère qui l’accompagnait ce jour-là, elle ne ferait pas deux pas toute seule dans la ville. Je la félicitai sur
104 enait de paraître — écrit entre 19 et 22 ans — et elle me dit merci, bien sérieusement selon la coutume des femmes américain
105 nces d’écrivains, tout au Nord, près de Saratoga. Elle me tend de ses mains tremblantes une petite coupure de journal : son
106 sé lors du débarquement en Normandie. Aujourd’hui elle est à Paris, inaugurant avec Kay Boyle et Richard Wright — qui fut le
107 tend jamais vers la formule ou le système, comme elle ferait irrésistiblement chez un Français. (« Trouver le lieu et la fo
108 Trouver le lieu et la formule », disait Rimbaud.) Elle ne se décante pas, reste immergée dans le symbolisme ambigu des carac
109 les maisons où la radio choisit les symphonies qu’ elle aime. Le soir, elle va s’asseoir dans une cour obscure et elle écoute
110 dio choisit les symphonies qu’elle aime. Le soir, elle va s’asseoir dans une cour obscure et elle écoute. Puis elle essaie d
111 soir, elle va s’asseoir dans une cour obscure et elle écoute. Puis elle essaie de composer elle-même. Elle appelle sa premi
112 sseoir dans une cour obscure et elle écoute. Puis elle essaie de composer elle-même. Elle appelle sa première sonate : Cette
113 e écoute. Puis elle essaie de composer elle-même. Elle appelle sa première sonate : Cette chose que je veux, je ne sais pas
114 r. Les personnages d’un romancier français, quand ils discutent des idées, me paraissent être, en règle générale, tout just
115 mépriser l’erreur ou la bassesse d’une classe qu’ ils représentent, d’une tendance ou d’un vice dont ils sont les supports.
116 ls représentent, d’une tendance ou d’un vice dont ils sont les supports. Leurs dialogues sont de courts essais qui nous con
117 uvent telle phrase d’un héros de Malraux comme si elle exprimait la pensée de Malraux, au lieu de n’être qu’un accord isolé
118 la fois ? Je me demandais aussi : comment se peut- il que ce livre impossible à classer, ni brutal, ni sexy, ni religieux,
119 n va lire aux pages 219-220 : « Les autres, écrit- il , haïssent tous quelque chose. Et ils ont tous quelque chose qu’ils ai
120 autres, écrit-il, haïssent tous quelque chose. Et ils ont tous quelque chose qu’ils aiment plus que la nourriture ou le som
121 s quelque chose. Et ils ont tous quelque chose qu’ ils aiment plus que la nourriture ou le sommeil ou le vin ou la compagnie
122 compagnie d’un ami. C’est la raison pour laquelle ils sont toujours si occupés. » Dernièrement, à Paris, je disais à Carson
123 isais à Carson, avec la ruse d’un interviewer : — Il n’y a pas d’histoires d’amour, dans ce roman. Elle me regarde étonnée
124 Il n’y a pas d’histoires d’amour, dans ce roman. Elle me regarde étonnée, presque indignée : — Il n’y a que cela ! Elle vou
125 an. Elle me regarde étonnée, presque indignée : — Il n’y a que cela ! Elle voulait dire l’amour des êtres, l’amour réel, e
126 étonnée, presque indignée : — Il n’y a que cela ! Elle voulait dire l’amour des êtres, l’amour réel, et non pas celui des ro
5 1947, Articles divers (1946-1948). La lutte des classes (1947)
127 es classes (1947)j Les trains suisses, bien qu’ ils vous conduisent en moins d’une heure d’un monde à l’autre — de Neuchâ
128 plaine et d’océan de nuit où rien ne bouge. Comme il n’y a pas de place en Suisse pour un véritable voyage, on s’en tire e
129 i métaphorique. J’idéalise, mais pourquoi pas ? S’ il me fallait décrire nos petits déplacements du point de vue de l’usage
130 quelque usage ignoré du commun. Presque toujours elles étaient vides. En troisième on retrouvait, comme j’ai dit, les gens b
131 son affaire, on était parfaitement « en règle », il fallait simplement « ne pas faire attendre », en vertu de cette disci
132 » L’aspect d’un wagon suisse de IIIe classe, tant il respire naturellement l’honnêteté, tendrait à nous faire oublier que
133 banalité que les Suisses le prennent pour banal. Ils pensent mener la vie normale du genre humain, l’anarchie et la guerre
134 Ainsi pensent les Français du climat tempéré dont ils jouissent à peu près seuls au monde, tandis que les déserts, les volc
135 paix et de raison qui doivent nous étonner quand ils paraissent, phénomènes hautement improbables, très rarement observés
136 laise qu’éprouvent les étrangers sensibles lorsqu’ ils prennent place dans nos trains locaux ? L’expérience de la vie new-yo
137 rant de celui qui renonce à comprendre… Ah ! mais il faut y être pour sentir et pour réagir comme je le dis. Dès que je m’
138 je veux dire trop méfiant et même intolérant. Qu’ ils aient seulement l’air étonnés suppose déjà beaucoup de retenue… À pro
139 s, des menus incidents du trajet. On sent bien qu’ il a l’habitude. On dirait qu’il s’installe dans son bureau, et sa pensé
140 et. On sent bien qu’il a l’habitude. On dirait qu’ il s’installe dans son bureau, et sa pensée ne vagabonde pas, reste enfe
141 ui prétendent ne pas payer de supplément parce qu’ il n’y avait plus de place dans les troisièmes : ils ont l’air trop cont
142 ’il n’y avait plus de place dans les troisièmes : ils ont l’air trop contents d’être là, on les refoule. J’ai cru remarquer
143 à respecter le velours gris et dru des secondes : il a tort, c’est la classe vulgaire. Des jeunes femmes aux moues insolen
144 ylons ou de cette « Cadillac » promise, affirment- elles , par le jeune mâle placide qui leur fait face, mi-flatté mi-gêné. Je
145 res. Je me décide à regagner les troisièmes. Mais il faut traverser un couloir de premières. Et je m’arrête, fasciné. Un v
146 voient juste. Ces gens traversent le pays comme s’ il n’existait pas, ils vont plus loin. Confirmation de la sentence ésoté
147 ens traversent le pays comme s’il n’existait pas, ils vont plus loin. Confirmation de la sentence ésotérique : l’œil qui ne
148 classe, en Suisse, je les nomme les imperméables. Ils traversent et passent, et rien ne les touche. Ce sont aussi, et pour
149 les trains qui vous croisent sont transparents s’ ils vont très vite ? On ne cesse de voir le paysage au travers.) Ils appa
150 ite ? On ne cesse de voir le paysage au travers.) Ils appartiennent au vaste monde dont je rêvais avec fièvre, à 12 ans, qu
6 1947, Articles divers (1946-1948). Les maladies de l’Europe (1947)
151 us faire ensemble ? » ⁂ L’Europe a mauvaise mine, il faut l’avouer. Avant même que l’on puisse détailler tous ses traits,
152 traduirai par ces mots : on dirait, à la voir, qu’ elle a perdu la guerre. Militairement, Hitler et ses séides ont été battus
153 ont été battus et sont morts, mais dans la lutte, ils ont marqué leurs adversaires d’une empreinte qui vaut une victoire. C
154 rage physique. Maintenant le gagnant se relève : il se trouve que c’est notre gentleman de tout à l’heure, mais le voilà
155 passage du Führer. La lutte contre les forces qu’ il incarnait devant nous a réveillé ces forces parmi nous. L’Europe a ét
156 on de tous ces éléments — l’anti-Europe. Qu’était- il en effet pour ceux qui le combattaient ? La rage antichrétienne, la r
157 ttu, son corps brûlé dans le pétrole, que reste-t- il  ? À peu près tout cela — moins Hitler. Mais tout cela qui était chez
158 révolution russe, puis sous le régime hitlérien, elle se révèle enfin dans toute son étendue réelle, sous nos yeux. On doit
159 es masses comme les élites échappent aux Églises. Elles ne croient plus qu’en l’ici-bas, qu’en cette vie-ci, qu’en un bonheur
160 é de camp. Tartuffe n’est plus dévot comme jadis, il n’est plus même de droite comme hier, il est de gauche, ou « dans la
161 e jadis, il n’est plus même de droite comme hier, il est de gauche, ou « dans la ligne », il se range au nouveau conformis
162 mme hier, il est de gauche, ou « dans la ligne », il se range au nouveau conformisme. Dans telles grandes capitales d’Euro
163 s en donnait à l’Église, afin de s’éviter, disent- ils , les pires ennuis. Si ces abus vous font élever la voix, partout l’on
164 es dont la fonction serait de l’attaquer, d’où qu’ il vienne. Mais ces lâchetés intellectuelles se parent des noms d’amour
165 r les remèdes ? Leur voix ne porte guère, tant qu’ elle n’emprunte pas les haut-parleurs contrôlés par l’État ou par le parti
166 ces moyens, c’est aussi n’être plus entendu, car il s’agit de s’adapter, de se « mettre au pas » spontanément, au point q
167 uels s’inscrivent dans un parti et c’est là ce qu’ ils appellent s’engager. Mais c’est en fait, pour la plupart d’entre eux,
168 sée soit efficace et douée d’une vertu agissante, il ne suffit pas que le penseur s’achète une étiquette ou un insigne. Et
169 hète une étiquette ou un insigne. Et cependant, s’ il se tient seul dans l’intégrité de l’esprit, il fera figure de déserte
170 s’il se tient seul dans l’intégrité de l’esprit, il fera figure de déserteur… Ainsi privés de guides spirituels, les jeun
171 n’est pas mort avec celui qui lui donna son nom. Il se cherche, il se trouve d’autres « chefs bien-aimés »… Et là encore,
172 avec celui qui lui donna son nom. Il se cherche, il se trouve d’autres « chefs bien-aimés »… Et là encore, l’esprit total
173 ne crise de pessimisme et de mauvaise conscience. Il semble que l’idée de décadence, acclimatée avant la guerre par des pe
174 t de pressentiments de nos défaillances internes, elle se voit confirmée et comme objectivée par la rapide élévation de deux
175 inquiète et fatiguée, notre scepticisme lucide… ⁂ Il se peut que le portrait de l’Europe que je viens d’esquisser devant v
176 . Et qu’enfin, vis-à-vis des êtres que l’on aime, il arrive qu’on manque d’indulgence… Faisons la part de ces travers ou d
177 ns la part de ces travers ou de ces exagérations. Il reste cependant un fait qui ne dépend à aucun degré de nos estimation
178 tion de l’Europe dans le monde s’est modifiée, qu’ elle s’est même totalement renversée depuis l’automne de 1939. Avant cette
179 nents. L’Europe nous semblait donc plus grande qu’ elle n’était. D’où l’effet de choc que produisit dans nos esprits, au lend
180 dont les ombres immenses s’affrontent au-dessus d’ elle , rongée et ruinée sur ses bords, moralement refermée sur elle-même. I
181 tion qui s’étiole chez nous d’autant plus vite qu’ elle grandit mieux ailleurs, chez les voisins où elle s’est transplantée.
182 ’elle grandit mieux ailleurs, chez les voisins où elle s’est transplantée. Et tout se passe comme si l’excès où ils la porte
183 ransplantée. Et tout se passe comme si l’excès où ils la portent et l’abus qu’ils nous semblent en faire nous dégoûtaient d
184 e comme si l’excès où ils la portent et l’abus qu’ ils nous semblent en faire nous dégoûtaient de son usage normal. Ainsi de
185 mment et pourquoi ces créations européennes n’ont- elles pas connu en Europe leur plein succès ? Et comment et pourquoi, hors
186 ccès ? Et comment et pourquoi, hors d’Europe, ont- elles subi cette croissance gigantesque ? Pourquoi n’ont-elles produit chez
187 ubi cette croissance gigantesque ? Pourquoi n’ont- elles produit chez nous ni tout leur bien, ni tout leur mal ? C’est qu’en E
188 leur bien, ni tout leur mal ? C’est qu’en Europe, elles se trouvaient toujours en état de composition, tandis qu’ailleurs, po
189 tion, tandis qu’ailleurs, pour le bien et le mal, elles se sont déployées sans frein ni contrepoids. Le capitalisme, chez nou
190 ez nous, n’a jamais pu donner son plein, parce qu’ il était sans cesse bridé et contrarié par le nationalisme, par les guer
191 pas atteint chez nous leurs pires excès, parce qu’ ils se trouvaient constamment retenus par des forces adverses, critiqués
192 s, définit l’équilibre humain qu’on nomme Europe. Il conditionne aussi notre culture. Et nous allons voir qu’il traduit, e
193 ionne aussi notre culture. Et nous allons voir qu’ il traduit, et parfois aussi qu’il trahit, la conception européenne de l
194 us allons voir qu’il traduit, et parfois aussi qu’ il trahit, la conception européenne de l’homme. Toute la question est de
195 etour possible, à vues humaines. Que nous reste-t- il donc en propre ? Un monopole unique : celui de la culture au sens le
196 s difficile à maintenir en état d’efficacité. Or, il s’en faut de beaucoup que les Européens soient unanimes à tenir activ
197 que. À tort ou à raison — je n’en juge pas ici —, ils s’imaginent que ces pays réalisent mieux que leur nation ce qu’ils at
198 ue ces pays réalisent mieux que leur nation ce qu’ ils attendent eux-mêmes de la vie. Ainsi, ce ne sont pas seulement les id
199 si, dans cette conjoncture plus que défavorable, il est bien légitime de s’obstiner, de parler d’une défense de l’Europe,
200 re angoisse devant un héritage si compromis, sont- elles valables et sont-elles justifiables ? Ou bien ne sont-elles rien de m
201 éritage si compromis, sont-elles valables et sont- elles justifiables ? Ou bien ne sont-elles rien de mieux que les sentiments
202 bles et sont-elles justifiables ? Ou bien ne sont- elles rien de mieux que les sentiments égoïstes d’un vieux propriétaire dép
203 en termes tout à fait urgents et familiers, quand ils se demandent si c’est l’Europe ou l’Amérique qu’il leur faut souhaite
204 s se demandent si c’est l’Europe ou l’Amérique qu’ il leur faut souhaiter pour leur enfant. Car nous pensons à notre Europe
205 pas assez de donner des ancêtres à ses enfants ; ils ont besoin d’un avenir aussi. Et de quel droit sacrifierais-je leurs
206 espoirs à mes souvenirs ? En défendant l’Europe, il s’agit donc de savoir si nous défendons plus et mieux que de belles r
207 par ces questions une réponse évidente et simple. Elle tient dans un très petit mot, vague et poignant : c’est le mot « âme 
208 u nom de je ne sais quel nationalisme européen qu’ il nous faut défendre l’Europe, mais au seul nom de l’humanité la plus c
209 faire voir une très solide réalité spirituelle. S’ il est vrai que l’Europe, jusqu’à ce siècle, ne s’est guère sentie et co
210 , comme un corps organisé, c’est surtout parce qu’ elle n’avait pas l’occasion de se comparer, de s’opposer et de se définir 
211 n de se comparer, de s’opposer et de se définir ; elle était seule et reine de la planète. Mais en 1946, elle se voit affron
212 était seule et reine de la planète. Mais en 1946, elle se voit affrontée à deux empires. Du même coup elle ressent son unité
213 le se voit affrontée à deux empires. Du même coup elle ressent son unité et la définit par contraste comme celle d’une conce
214 sation bien huilée, sans histoire, et sans drame. Il s’ensuit que le héros européen sera l’homme qui atteint, dramatiqueme
215 i qui réussit, celui qui ne souffre plus parce qu’ il s’est parfaitement adapté. L’homme exemplaire pour nous, c’est l’homm
216 ns le malheur de la passion, fût-ce dans l’échec. Ils visent à l’inconscience heureuse, et nous à la conscience à n’importe
217 e, et nous à la conscience à n’importe quel prix. Ils veulent la vie, nous des raisons de vivre, même mortelles. Voilà pour
218 on comme l’indice d’un mauvais fonctionnement, qu’ il faut éliminer doucement ou brutalement pour arriver à l’unanimité, à
219 es rencontres seraient un four, ou un flop, comme ils disent. La diversité de nos points de vue inquiéterait l’auditeur plu
220 nos points de vue inquiéterait l’auditeur plus qu’ elle ne l’intéresserait. L’Américain moyen demande une solution qu’il puis
221 serait. L’Américain moyen demande une solution qu’ il puisse appliquer en sortant, là où nous cherchons avant tout un appro
222 us purs modèles, crucifié entre ces contraires qu’ il a d’ailleurs lui-même définis : l’immanence et la transcendance, le c
223 re réduit à l’un ou à l’autre de ces termes. Mais il entend les assumer et consister dans leur tension, en équilibre toujo
224 énergies immenses. Et c’est pour cette raison qu’ elle prévient parmi nous les entreprises et les plans gigantesques que nou
225 ue nous voyons proliférer ailleurs. D’autre part, elle a pour effet de concentrer sur l’homme lui-même, créateur ou victime
226 es institutions. Cet homme de la contradiction (s’ il la domine en création) c’est celui que j’appelle la personne. Et ces
227 faculté de décision. C’est donc sur les élites qu’ il importe d’agir. Ce sont elles que l’on peut utilement éveiller à la c
228 donc sur les élites qu’il importe d’agir. Ce sont elles que l’on peut utilement éveiller à la claire conscience des causes de
229 e même agonie permanente dont on vient de voir qu’ elle est la condition de l’homme européen, la source vive de sa grandeur e
230 irent les requins capitalistes du dernier siècle, il crée dans la cité une anarchie. Cette anarchie ne tarde pas à provoqu
231 dans la cage du parti ou de l’État. À vrai dire, il ne l’a pas volé. Le bon moyen d’éviter ces excès d’engagement dans le
232 candinavie, Hollande et Grande-Bretagne. Parce qu’ ils ont su devenir, en toute liberté, les plus sociaux, ils sont aussi le
233 t su devenir, en toute liberté, les plus sociaux, ils sont aussi les moins touchés, les moins tentés par le collectivisme a
234 e, quel que soit le vainqueur, aux dictatures. Or il n’en va pas autrement sur le plan de la communauté et de la politique
235 ’unifier qui provoque leur refus de s’unir, c’est elle qui excite en eux la volonté morbide de s’enfermer dans leur différen
236 J’ai dit, et je ne le répéterai jamais assez, qu’ il faut voir dans le nationalisme la maladie européenne, l’anti-Europe p
237 spèce de court-circuit dans la tension normale qu’ il s’agit de maintenir entre le particulier et le général. D’une part, e
238 t alors on ne saurait plus parler d’union, puisqu’ il n’y a plus rien à unir. D’autre part, il déclare souveraine la nation
239 , puisqu’il n’y a plus rien à unir. D’autre part, il déclare souveraine la nation unifiée de la sorte, qui se conduit alor
240 ut unir et non pas unifier. Et justement parce qu’ il respecte à l’intérieur d’une nation la riche diversité des groupes, i
241 ieur d’une nation la riche diversité des groupes, il est prêt à s’ouvrir à des unions plus vastes. Il les appelle, il les
242 il est prêt à s’ouvrir à des unions plus vastes. Il les appelle, il les espère, il fait tout pour les amorcer, par la ver
243 ’ouvrir à des unions plus vastes. Il les appelle, il les espère, il fait tout pour les amorcer, par la vertu de l’exemple
244 nions plus vastes. Il les appelle, il les espère, il fait tout pour les amorcer, par la vertu de l’exemple vécu. Telle est
245 qui a sécrété ce contagieux nationalisme, c’est à elle d’inventer son antidote. Elle est seule en mesure de le faire à cause
246 tionalisme, c’est à elle d’inventer son antidote. Elle est seule en mesure de le faire à cause de ses diversités ; et de le
247 uelles je me suis livré en débutant sont exactes, il peut paraître assez étrange de parler après cela d’une vocation de l’
248 vocation de l’Europe. Pour exercer une vocation, il faut d’abord être vivant, il faut survivre. Or l’Europe démoralisée,
249 xercer une vocation, il faut d’abord être vivant, il faut survivre. Or l’Europe démoralisée, coincée entre deux grands emp
250 bien plus encore que par ses vices, l’Europe a-t- elle des chances de vivre encore assez pour qu’il ne soit pas utopique d’e
251 -t-elle des chances de vivre encore assez pour qu’ il ne soit pas utopique d’envisager sa fonction dans le monde, son aveni
252 fonction dans le monde, son avenir et le nôtre en elle  ? Pour ma part, j’entretiens une croyance toute mystique au sujet de
253 tenu en vie par la vie même de sa vocation, et qu’ il tombe bientôt lorsqu’elle est accomplie. Or, notre vocation européenn
254 ême de sa vocation, et qu’il tombe bientôt lorsqu’ elle est accomplie. Or, notre vocation européenne me paraît encore loin d’
255 Églises, autrefois, les redoutaient ; je pense qu’ elles doivent aujourd’hui les nourrir, si cet esprit critique, ce scepticis
256 troisième raison d’espérer, ce sont les crises qu’ il faut prévoir dans les deux empires du succès. Leurs plans, en effet,
257 systématique, de la complexité de l’homme total. Ils ne sont que des expériences, et le propre d’une expérience est de rat
258 duite, jusqu’ici, par les hiérarques soviétiques, il faut bien constater qu’ils ont contre eux beaucoup de réalités humain
259 hiérarques soviétiques, il faut bien constater qu’ ils ont contre eux beaucoup de réalités humaines, qui gênent l’exécution
260 qui gênent l’exécution de leurs plans rationnels. Il faut bien constater que presque tout les gêne : l’esprit critique les
261 , a justement vécu de toutes ces choses gênantes, elle s’arrange à merveille de leur complexité ; elle y voit même la saveur
262 , elle s’arrange à merveille de leur complexité ; elle y voit même la saveur de la vie ! Tout cela va compter — à la longue.
263 Tout cela va compter — à la longue. Un beau jour, il n’est pas impossible, il est même probable, et c’est là mon espoir, q
264 la longue. Un beau jour, il n’est pas impossible, il est même probable, et c’est là mon espoir, que les Russes, comme les
265 rtout si on la compare aux deux empires séparés d’ elle , et que je nomme les deux empires sans précédent — l’Europe est la pa
266 précédent — l’Europe est la patrie de la mémoire. Elle est même, pratiquement, la mémoire du monde, le lieu du monde où l’on
267 est parce que l’Europe est la mémoire du monde qu’ elle ne cessera pas d’inventer. Elle restera le point de virulence extrême
268 moire du monde qu’elle ne cessera pas d’inventer. Elle restera le point de virulence extrême de la création spirituelle, ce
269 mmes de la planète. Mais, riches d’avenir… oui, s’ il est un avenir, non seulement pour l’Europe, mais pour le monde. Dans
270 e mesure, qui est celle du réalisme politique, et il fallait tout de même que ce fût dit ici, la question de l’avenir du m
271 ne s’entendent pas, si la guerre atomique éclate, il n’y a plus de problème de l’Europe, et d’une façon plus générale, il
272 oblème de l’Europe, et d’une façon plus générale, il n’y a peut-être plus de problème de l’ici-bas, mais seulement du juge
273 nationalisme aux dimensions continentales. Ce qu’ il nous faut demander, et obtenir, nous tous, c’est que les nations euro
274 — ouvrant l’Europe au monde, du même coup. Ce qu’ il nous faut demander et obtenir — obtenir de nous-mêmes tout d’abord —
275 — c’est que le génie de l’Europe découvre, et qu’ il propage, les antitoxines des virus dont il a infesté le monde entier.
276 et qu’il propage, les antitoxines des virus dont il a infesté le monde entier. Il n’y a de fédération européenne imaginab
277 ines des virus dont il a infesté le monde entier. Il n’y a de fédération européenne imaginable qu’en vue d’une fédération
278 e imaginable qu’en vue d’une fédération mondiale. Il n’y a de paix et donc d’avenir imaginable que dans l’effort pour inst
279 nventif. La pensée du monde, c’est l’Europe. Et s’ il s’agit vraiment de penser, que penser d’autre pour la paix, je vous l
7 1947, Articles divers (1946-1948). L’opportunité chrétienne (1947)
280 s temporels, justement contestés par l’État. Puis elles eurent à défendre leurs pouvoirs spirituels, certains États s’étant l
281 théologiques traditionnelles. Quant aux fidèles, ils avaient à se défendre contre la menace quotidienne, innombrable, et s
282 ie entre les sociétés laïques et les Églises ; qu’ il a brusquement mis à nu l’État minoritaire des chrétiens ; qu’il les a
283 nt mis à nu l’État minoritaire des chrétiens ; qu’ il les a attaqués de front au nom des principes non chrétiens (comme le
284 rincipes non chrétiens (comme le nationalisme) qu’ ils croyaient pouvoir tolérer ; qu’il a été abattu finalement, dans ses f
285 tionalisme) qu’ils croyaient pouvoir tolérer ; qu’ il a été abattu finalement, dans ses formes déclarées et spectaculaires
286 e réelle devant l’assaut de dictatures barbares : elle s’est reconnue impuissante à donner des buts de vie, des idéaux, une
287 re que l’époque de la défensive est terminée pour elles , dans notre temps, c’est poser aux Églises chrétiennes un dilemme trè
288 ser aux Églises chrétiennes un dilemme très net : il ne leur reste plus qu’à s’endormir, ou bien à passer à l’attaque. ⁂ C
289 de Trente Ans ne ressemble guère à une victoire, il faut bien le dire. Les nations qui ont perdu la guerre ont tout perdu
290 ; mais celles qui l’ont gagnée n’ont rien gagné : elles ont seulement repoussé une menace, au prix de sacrifices presque auss
291 ix de sacrifices presque aussi grands que ceux qu’ elles eussent été contraintes de subir en se rendant. (Dans ce « presque »
292 d’hui, de réfuter les arguments de l’incroyance : elles ont, tout simplement à donner leurs croyances, avec une agressive naï
293 ffre un type de relations humaines viables, comme elle le fit aux siècles sombres, avant la floraison du Moyen Âge, qui fut
294 ant la floraison du Moyen Âge, qui fut son œuvre. Il s’agit de restaurer le sens de la communauté vivante, que le gigantis
295 fre un type de relations culturelles viables ; qu’ elle ose de nouveau soutenir et guider une avant-garde intellectuelle, au
296 a culture vivante, laissant celle-ci désorientée. Il s’agit que nos théologiens adoptent une politique d’intervention, et
297 — est sortie des églises et des couvents. Hélas, elle en est bien sortie ! Il est temps que nous sortions à sa recherche po
298 et des couvents. Hélas, elle en est bien sortie ! Il est temps que nous sortions à sa recherche pour la ramener ! 3° Que l
299 chrétiens confondent aujourd’hui la vertu ; et qu’ elle restaure chez les fidèles le sens de la vocation personnelle, seul fo
300 importance politique capitale dans notre siècle : il peut offrir le modèle même d’une union mondiale dans le respect des d
301 le respect des diversités nationales. Que dis-je, il peut ! Il le doit, et de toute urgence ! S’il y échoue, je ne vois au
302 des diversités nationales. Que dis-je, il peut ! Il le doit, et de toute urgence ! S’il y échoue, je ne vois aucune raiso
303 je, il peut ! Il le doit, et de toute urgence ! S’ il y échoue, je ne vois aucune raison d’attendre autre chose, pour le mo
304 drer l’action chrétienne. Celle-ci se fera, comme elle s’est toujours faite, par des personnes et par des petits groupes ; p
305 nt l’air de rien ; par des hommes dont on dira qu’ ils exagèrent, qu’ils rêvent, qu’ils n’ont pas le sens commun, qu’ils voi
306 par des hommes dont on dira qu’ils exagèrent, qu’ ils rêvent, qu’ils n’ont pas le sens commun, qu’ils voient trop grand… Pe
307 dont on dira qu’ils exagèrent, qu’ils rêvent, qu’ ils n’ont pas le sens commun, qu’ils voient trop grand… Peut-être même pa
308 u’ils rêvent, qu’ils n’ont pas le sens commun, qu’ ils voient trop grand… Peut-être même par des petites revues comme celle-
309 lui qui a reçu de Dieu une vocation précise », et il ajoute : « toute vocation est sans précédent, et paraît donc ‟invrais
8 1947, Articles divers (1946-1948). La guerre des sexes en Amérique (janvier 1947)
310 ffection du genre communément appelé necking 4. S’ il est vrai que tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il s’agit là d’
311 vrai que tout le monde s’accorde à reconnaître qu’ il s’agit là d’un passe-temps absorbant et plaisant, il est non moins gé
312 s’agit là d’un passe-temps absorbant et plaisant, il est non moins généralement admis que ce n’est pas un sport public et
313 ne regardée, et que vous tentez de formuler ce qu’ il évoque dans votre esprit comme type de civilisation, j’imagine que vo
314 trouvons deux morales également admises, semble-t- il , l’une faite de vices et de vertus, comme chez nous, mais l’autre éta
315 Rien de plus rare qu’une passion véritable, car elle suppose une très grande force d’imagination créatrice ; des dispositi
316 r la croyance en la valeur unique de chaque être. Il suppose un objet irremplaçable et comme prédestiné par un acte divin.
317 e inconsciente de l’atmosphère du Nouveau Monde : elles en peignent le négatif. L’Américain me paraît peu doué pour les raffi
318 n est peut-être plus saine que la nôtre. En bref, il n’aime point souffrir, et tient pour perversion ce goût de la torture
319 nt de preuves que l’affaire est mal engagée et qu’ il ferait bien d’y renoncer. Si quelque drame se noue dans sa vie, malgr
320 Si quelque drame se noue dans sa vie, malgré lui, il n’a de cesse qu’il n’en sorte au plus vite, par une dépêche d’adieu,
321 noue dans sa vie, malgré lui, il n’a de cesse qu’ il n’en sorte au plus vite, par une dépêche d’adieu, un voyage, un divor
322 e de l’être ou des circonstances qui les causent. Il n’a pas le goût de la durée intense. C’est tout de suite ou jamais. C
323 n’est pas vous ce soir, c’était donc une erreur. Ils ne croient guère à la valeur unique d’un être, — et il est vrai qu’il
324 croient guère à la valeur unique d’un être, — et il est vrai qu’il faut beaucoup de soins, de temps perdu, de complaisanc
325 à la valeur unique d’un être, — et il est vrai qu’ il faut beaucoup de soins, de temps perdu, de complaisance et de folies
326 cide par amour existait aux États-Unis : non, dit- elle , si nous nous suicidons au lendemain d’une rupture ou d’une trahison,
327 du mariage et des « moms » Dans un tel monde, il ne subsiste que deux solutions praticables : le mariage, ou l’affair
328 ticables : le mariage, ou l’affair d’un soir (car ils appellent affair tout autre chose que le business comme nous disons).
329 américaine est une institution d’un type nouveau. Il se fonde sur l’égalité économique et légale des conjoints, donnant ai
330 la bourse, en l’occurrence, le carnet de chèques. Elle ne se borne pas à choisir les rideaux, mais la maison, et même l’auto
331 s la maison, et même l’auto. Je vois la preuve qu’ elle se sent responsable et autonome (ou un peu plus) dans cette ardeur in
332 de sa main (et un peu plus). On ne saurait dire d’ elle , comme de l’Européenne, par, métaphore idéaliste, qu’elle règne au se
333 mme de l’Européenne, par, métaphore idéaliste, qu’ elle règne au sein de son foyer ; car elle règne, tout simplement, dans to
334 éaliste, qu’elle règne au sein de son foyer ; car elle règne, tout simplement, dans toute la vie, et le foyer n’est qu’une p
335 et le foyer n’est qu’une partie de ses domaines. Il s’agit de l’aménager pour qu’il fonctionne au service de tout le rest
336 de ses domaines. Il s’agit de l’aménager pour qu’ il fonctionne au service de tout le reste : la carrière du mari et la si
337 hygiène des enfants, les relations sociales. Pour elle , point d’esclavage des routines domestiques : ce serait être esclave
338 er la femme des soucis qui l’absorbent chez nous. Il est étrange que nous parlions toujours de leur « matérialisme » à ce
339 ue geste, et chaque moue de la femme manifeste qu’ elle sait ce qu’on lui doit. Comme elle est installée dans la vie ! Elle s
340 e manifeste qu’elle sait ce qu’on lui doit. Comme elle est installée dans la vie ! Elle s’y avance avec l’autorité, souvent
341 lui doit. Comme elle est installée dans la vie ! Elle s’y avance avec l’autorité, souvent polie, mais parfois un peu plus q
342 ce la mécontente pour quelque raison mystérieuse, elle ne fera pas de scène criarde, mais affichera un silence offensé qui s
343 fensé qui signifie à son mari d’intervenir, sinon elle va se lever et sortir d’un pas vif, le menton haut, les cheveux au ve
344 ie quotidienne d’un ménage ou d’une rue citadine. Elle s’enracine profondément dans la psychologie et dans l’économie améric
345 ue le système de l’héritage les favorise, soit qu’ elles montrent en affaires comme ailleurs une efficiency sans égale. Nous s
346 orgone du matriarcat américain. MOM est partout, elle est tout et dans tous, et d’elle dépend le reste des États-Unis. Dégu
347 MOM est partout, elle est tout et dans tous, et d’ elle dépend le reste des États-Unis. Déguisée en bonne vieille ; mom, chèr
348 mom, chère vieille mom, votre mom aimante, etc., elle est la fiancée à tous les enterrements, le cadavre à tous les mariage
349 fixée sur la mère dévorante. Sans nul doute faut- il voir dans ce mythe de la Mère la tragédie secrète d’une civilisation
350 s d’alcooliques qu’aucune autre. Dans la femme qu’ il épouse, le jeune Américain, inconsciemment, cherche la mère. Il la se
351 jeune Américain, inconsciemment, cherche la mère. Il la sert, elle l’endort et le semonce. Au culte qu’il est censé lui re
352 ain, inconsciemment, cherche la mère. Il la sert, elle l’endort et le semonce. Au culte qu’il est censé lui rendre, elle rép
353 la sert, elle l’endort et le semonce. Au culte qu’ il est censé lui rendre, elle répond dans le meilleur des cas par cette
354 le semonce. Au culte qu’il est censé lui rendre, elle répond dans le meilleur des cas par cette espèce de loyauté que le su
355 n jadis accordait au vassal. Et ce n’est point qu’ elle soit moins capable qu’une autre d’amour, de tendresse ou même d’aveug
356 de l’homme à son égard est faite pour éveiller en elle le goût de la liberté et de l’autonomie, comme elle dira ; entendons
357 le le goût de la liberté et de l’autonomie, comme elle dira ; entendons bien : de la domination. Ainsi la femme se virilise
358 e virilise à la mesure de ce que l’homme attend d’ elle . Frustrée sans le savoir dans sa féminité, elle se révolte contre sa
359 d’elle. Frustrée sans le savoir dans sa féminité, elle se révolte contre sa condition, fait de nécessité vertu, prend en mai
360 l’homme, cause du mal et victime peu consciente, il se réfugie dans son club ou parmi les copains du bar voisin. La journ
361 entre mari et femme, et sans doute n’en souffrent- ils guère. Lui déjeune avec ses collègues en vingt minutes, près de son b
362 collègues en vingt minutes, près de son bureau ; elle , dans un restaurant où des centaines de femmes, par tablées, composen
363 ouple quelques instants pour la chasse au taxi, s’ ils sortent ensemble. Et le reste, souvent, se perd dans les alcools. Tou
364 que n’avait qu’un goût modéré pour la femme, dont il ne serait que la conquête plus ou moins résignée ou satisfaite. Certa
365 idaire. Mais alors le mari perd en autorité ce qu’ il gagne en intimité. Il se peut que les mariages de ce type — où l’homm
366 mari perd en autorité ce qu’il gagne en intimité. Il se peut que les mariages de ce type — où l’homme joue le rôle de la m
367 n règle générale. Aux yeux de la morale courante, il apparaît bien moins sous l’aspect d’un désordre social que sous l’asp
368 te, — ou simplement la permission de se remarier. Il arrive que le nouveau mariage ne soit séparé du divorce que par le te
369 n bien arrêtée de vivre désormais dans le Nevada. Il y reste six semaines, à l’hôtel, est alors déclaré résident, obtient
370 dix minutes, quitte les lieux l’instant d’après. Il n’y reviendra jamais, bien entendu, sauf s’il divorce une seconde foi
371 ès. Il n’y reviendra jamais, bien entendu, sauf s’ il divorce une seconde fois. Cette éventualité, d’ailleurs, doit être en
372 qui n’étonne plus : « lui pour la troisième fois, elle pour la quatrième. » Motif : mental cruelty (nous disons : « incompat
373 ur »). Mais on en trouvera d’autres, plus précis. Il n’aimait que la cuisine du Nord, elle lui servait des ratatouilles à
374 plus précis. Il n’aimait que la cuisine du Nord, elle lui servait des ratatouilles à la mode de la Louisiane : divorce acco
375 la mode de la Louisiane : divorce accordé. Dès qu’ elle tombait malade, il faisait venir à la maison un entrepreneur des pomp
376 ne : divorce accordé. Dès qu’elle tombait malade, il faisait venir à la maison un entrepreneur des pompes funèbres et des
377 mpes funèbres et des couronnes : divorce accordé. Il se frappait la tête contre les parois et lui mordait souvent les jamb
378 se donne libre carrière dans ce domaine, comme si elle excusait tout parce qu’elle amuse. Vous penserez que ce n’est pas sér
379 ce domaine, comme si elle excusait tout parce qu’ elle amuse. Vous penserez que ce n’est pas sérieux, et peut-être aurez-vou
380 que ses mariages manquent de sens et de sérieux. Il n’y entre pas pour toute la vie, mais pour un bail de « trois-six-neu
381 ier pour la première fois ! » Deux ans plus tard, elle était à Reno et se remariait, « elle pour la seconde fois, lui pour l
382 s plus tard, elle était à Reno et se remariait, «  elle pour la seconde fois, lui pour la quatrième ». Cependant, j’en revien
383 ère recoller tant bien que mal le ménage, afin qu’ il puisse encore offrir à l’opinion une façade de normalité. En Amérique
384 mœurs sexuelles du Nouveau Monde. J’ajouterai qu’ elle les détermine principalement par les réactions qu’elle provoque une f
385 les détermine principalement par les réactions qu’ elle provoque une fois refoulée dans l’inconscient de la plus composite de
386 et comme je demandais à quelques étudiants ce qu’ ils entendaient par là, l’un d’eux me dit : « Décent est l’homme qui tien
387 opéen s’étonne de ne point trouver trace de ce qu’ il nommait libertinage. L’Américain, me semble-t-il, n’est pas vicieux.
388 ’il nommait libertinage. L’Américain, me semble-t- il , n’est pas vicieux. Il est moral ou sans morale, mais bien rarement i
389 . L’Américain, me semble-t-il, n’est pas vicieux. Il est moral ou sans morale, mais bien rarement immoraliste. Ce qu’il ig
390 ans morale, mais bien rarement immoraliste. Ce qu’ il ignore, c’est ce mélange de scrupules et de goût de les violer, de se
391 mblerait un peu fade à nos romanciers de l’amour. Il reste chaste ou se comporte en animal irresponsable, mimant une sorte
392 quisser donneraient matière à tout un livre. Mais il me paraît vain de l’écrire, car l’Amérique est en pleine transition,
393 ine transition, à cet égard plus qu’à tout autre. Il convient donc de n’indiquer qu’à la volée quelques remarques dont on
394 la volée quelques remarques dont on reconnaît qu’ elles sont par nature discutables. Certains critiques américains déclarent
395 e la jeunesse de leur pays est sex-obsessed, mais il se peut qu’elle soit tout simplement sexy, et que l’obsession n’exist
396 de leur pays est sex-obsessed, mais il se peut qu’ elle soit tout simplement sexy, et que l’obsession n’existe que chez lesdi
397 ropéens penseraient plutôt de la même jeunesse qu’ elle manque de vraie sensualité. Ils croient sentir entre les sexes une so
398 même jeunesse qu’elle manque de vraie sensualité. Ils croient sentir entre les sexes une sourde hostilité, qu’ils attribuen
399 t sentir entre les sexes une sourde hostilité, qu’ ils attribuent naturellement à l’action des tabous puritains, refoulés da
400 olie, viendraient à l’appui de cette thèse ; mais il ne faut pas oublier l’influence beaucoup plus directe et contrôlable
401 lète, désaffection mutuelle des deux sexes. (Vont- ils mourir chacun de leur côté, selon la prophétie de Vigny, fatigués de
402 ouvelle ». Le danger n’est sans doute pas là. Car il est très possible qu’au contraire de ce que pensent la jeunesse améri
403 ixées par le Comité Hays, — le jeune Américain, s’ il trouve une voie saine et quelques disciplines praticables, sera vraim
404 l’objet d’une grâce spéciale. Or c’est bien ce qu’ il pense être, étant Américain. Je ne l’observe pas sans inquiétude ; no
9 1947, Articles divers (1946-1948). Journal d’un intellectuel en exil (mars 1947)
405 utôt journalistes. Quant à leurs femmes et amies, elles m’ont paru cultiver le genre des nihilistes russes d’antan. La plupar
406 en parlent. À lire les revues ou little mags où ils écrivent, à les voir chez eux ou ensemble, j’éprouve une sorte de tri
407 ux ou ensemble, j’éprouve une sorte de tristesse. Ils paraissent encore moins intégrés que leurs confrères européens à la v
408 crits, avec une sorte de nostalgie à la Lawrence. Ils jugent en général trop formalistes ou rhétoriques nos poèmes et nos e
409 s. Oh ! ce n’est pas un reproche aussi violent qu’ il vous paraît. Je veux dire que l’on sent chez vous un tel souci de la
410 is émue de la « vie »… On ne sait trop. Le savent- ils eux-mêmes ? L’exigence que nous gardons encore de dégager, d’explicit
411 n des mots qui leur fait le plus peur. Mais quand ils décident de penser, ils tournent aussitôt au pédant germanique et jug
412 le plus peur. Mais quand ils décident de penser, ils tournent aussitôt au pédant germanique et jugent mundane ou irrespons
413 livre est très bien, je voudrais le publier, mais il a le malheur de porter sur les années 1935 et 1936. Or le public veut
414 it venir ce matin : — En tant que citoyen, me dit- il , il serait de mon devoir de publier ce livre. Mais en tant qu’éditeur
415 enir ce matin : — En tant que citoyen, me dit-il, il serait de mon devoir de publier ce livre. Mais en tant qu’éditeur, ce
416 imagine très bien ! Mais le public est simpliste, il attend des jugements entiers. Quitte à ne pas savoir ce qu’il juge, n
417 s jugements entiers. Quitte à ne pas savoir ce qu’ il juge, ni pourquoi… Quitte à rivaliser d’intolérance brutale avec ceux
418 te à rivaliser d’intolérance brutale avec ceux qu’ il croit condamner… N’est-ce pas cela, le vrai danger totalitaire, dans
419 liste militant, polémiste sérieux et sarcastique, il mène campagne pour l’intervention de l’Amérique dans le conflit. Une
420 e virulente et dense, Christianity and Crisis, qu’ il vient de fonder, s’efforce de combattre l’inertie des Églises, demeur
421 pour être vrai », dit-on des récits de réfugiés. Il en résulte qu’on collabore avec les partisans sournois d’Hitler, de M
422 trouve un grand jeune homme assis sur l’escalier. Il m’attendait. Il m’entraîne au café. Il avait des questions à me poser
423 jeune homme assis sur l’escalier. Il m’attendait. Il m’entraîne au café. Il avait des questions à me poser au sujet d’un d
424 ’escalier. Il m’attendait. Il m’entraîne au café. Il avait des questions à me poser au sujet d’un de mes livres dont il de
425 tions à me poser au sujet d’un de mes livres dont il devra parler au séminaire de littérature. Que veut-il donc savoir ? S
426 evra parler au séminaire de littérature. Que veut- il donc savoir ? Simplement si c’est vrai. S’il est vrai que j’ai vécu c
427 veut-il donc savoir ? Simplement si c’est vrai. S’ il est vrai que j’ai vécu ce que j’écris. C’est la question que je préfè
428 ns le hall, la chambre de Thoreau avec son lit qu’ il avait fabriqué lui-même. Au crépuscule, j’aime errer sur les quais, l
429 ner un chiffre total supérieur à 135. Le génie, s’ il est physicien par exemple, n’en sera pas moins un spécialiste de Kier
430 de Kierkegaard ou de Kafka, à l’analyse desquels il appliquera les théories de la logistique de Vienne, à moins qu’il ne
431 s théories de la logistique de Vienne, à moins qu’ il ne préfère les aborder en sociologue postmarxiste ou en freudien hété
432 ou en freudien hétérodoxe. Une fois sacré génie, il a sa carrière faite. Les jeunes professeurs le vénèrent, on lui décer
433 ne des bourses, on lui offre des chaires avant qu’ il ait terminé ses études. La plupart sont des monstres modestes. J’en a
434 it un sandwich et c’était un spectacle fascinant. Il l’avait découpé en rectangles égaux, et l’absorba sans le regarder, c
435 omme on résout un petit problème de logique pure. Il portait une mouche au menton. Le second était ivre. Le troisième parl
436 . On ne peut pas « se débrouiller » avec moins qu’ il ne faut. Et je touche ici la limite des fameuses libertés américaines
437 rgeois, celui que revendiquent les ouvriers et qu’ ils atteignent presque tous ici, quand les Russes ne font qu’en parler. M
438 es ne font qu’en parler. Mais les intellectuels ? Ils n’ont de choix qu’entre le journalisme et le professorat. Or je répug
439 ux, vont et viennent sur ce toit en lisant. Comme il n’y a ni mur, ni barrière, il faut craindre à chaque fois qu’elles fa
440 it en lisant. Comme il n’y a ni mur, ni barrière, il faut craindre à chaque fois qu’elles fassent un pas de trop, et tombe
441 r, ni barrière, il faut craindre à chaque fois qu’ elles fassent un pas de trop, et tombent dans le vide, pour peu que leur le
442 éparses. À sept heures, je me suis mis à écrire. Il est dix heures et j’ai devant moi les trois premiers chapitres termin
443 Avenue. La salle étroite et profonde paraît vide. Il doit être environ neuf heures et demie. J’hésite sur le seuil : va-t-
444 marqué, je l’entends dire : « Voilà le diable ! » Ils se retournent à demi et rient. J’ai fui. Pas d’autre restaurant dans
445 nue. Exorciser en moi la part du diable, celle qu’ il a sans doute prise à mon ouvrage. Idée bizarre : si j’ai si vite bouc
446 comme le monde est une vitrine, en bonne partie, il doit être possible de déterminer le degré de fortune ou d’infortune d
447 té, j’ignorais quelle affaire, mais je sentais qu’ il fallait rentrer. J’ouvre ma porte et j’entends le téléphone. C’est un
448 ng et joue le rôle de ministère de l’Information. Il peut être amusant de noter pour plus tard la composition de notre équ
449 raît vers cinq heures au fond de la grande salle. Il vient nous prêter sa voix noble, agrémentée d’un léger sifflement, ma
450 oix noble, agrémentée d’un léger sifflement, mais il garde pour lui son port de tête et sa présence d’esprit indiscernable
451 re orageuse ! Mais l’Amérique n’est pas son fort. Il y tient le succès à distance, laissant à Salvador Dali, qu’il appelle
452 e succès à distance, laissant à Salvador Dali, qu’ il appelle Avida Dollars, le soin de faire monnaie d’une étiquette plus
453 re des groupes qui bavardent… Passe Julien Green, il apporte son texte sur la vie dans les camps d’entraînement. Il a trou
454 n texte sur la vie dans les camps d’entraînement. Il a trouvé le moyen de se rendre plus invisible encore à force de discr
455 dront : La Voix de l’Amérique parle aux Français. Il est temps que je recueille et dépouille les directives de Washington,
456 ur l’oreille et le front maculé d’encre à copier. Il me cherche du regard par-dessus ses lunettes. Il tient une liasse de
457 Il me cherche du regard par-dessus ses lunettes. Il tient une liasse de documents, les feuillette rapidement, comme sans
458 bureaux presque déserts. Téléphone de Bernstein, il voudrait bien savoir un peu ce qui se passe… « N’êtes-vous pas l’aute
459 que j’en sois la victime. » Sur quoi, peut-être, il serait temps d’aller à ce dîner, n’était-ce pas pour huit heures ? Qu
460 alheurs de sa France… Juin 1942 La guerre va mal, il faut le dire, et persuader l’Europe qu’elle ira bien demain. La campa
461 va mal, il faut le dire, et persuader l’Europe qu’ elle ira bien demain. La campagne sous-marine bat son plein, Tobrouk tombe
462 rance. » Juillet 1942 Saint-John Perse. — Lorsqu’ il est arrivé en Amérique, il n’a paru de lui qu’une seule photo, encore
463 t-John Perse. — Lorsqu’il est arrivé en Amérique, il n’a paru de lui qu’une seule photo, encore était-elle prise de dos. (
464 n’a paru de lui qu’une seule photo, encore était- elle prise de dos. (Mais ce trait justement le révélait.) Penché à un balc
465 ne tour, dominant le paysage épique de Manhattan, il se refusait à l’interview. À Washington, il vit dans deux petites piè
466 ttan, il se refusait à l’interview. À Washington, il vit dans deux petites pièces banales, accueillant un à un, mais longu
467 a planète. Mais l’un questionne et l’autre parle. Il parle de Briand qu’il a servi longtemps, et qui n’a jamais su qu’il y
468 uestionne et l’autre parle. Il parle de Briand qu’ il a servi longtemps, et qui n’a jamais su qu’il y avait Saint-John Pers
469 su qu’il y avait Saint-John Perse ; d’Hitler dont il a regardé les yeux de près et qu’il décrit en termes médicaux ; de Re
470 d’Hitler dont il a regardé les yeux de près et qu’ il décrit en termes médicaux ; de Reynaud qui l’a renvoyé sous la pressi
471 ses nuances, plus naturellement mémorable. Quand il vient à New York pour quelques jours, il se promène interminablement,
472 e. Quand il vient à New York pour quelques jours, il se promène interminablement, suivant au long d’avenues anonymes des c
473 un très jeune chien tremblant. C’est un boxer qu’ il baptise Annibal. Je lui apprends à marcher en laisse, sur la plage. 1
474 n laisse, sur la plage. 18 août 1942 Peut-être qu’ il n’est pas de bonheur plus conscient que celui de l’enfance retrouvée
475 plus sale qu’une ville dont la foule transpire ? Il faut être fou pour rentrer… Mais à l’Office, notre travail s’intensif
476 arinade8, mais que lorsqu’on la voit de ses yeux, elle donne une sensation directe de la victoire inévitable. Leur répéter c
477 é est absolue. Washington part de l’idée juste qu’ il n’est pas de mensonge, si pieux mensonge soit-il, qui ne serve Hitler
478 ’il n’est pas de mensonge, si pieux mensonge soit- il , qui ne serve Hitler en fin de compte. J’écris vingt à trente pages p
479 n ne saurait plus le faire sortir de Bevin House. Il s’est remis à écrire un conte d’enfants qu’il illustre lui-même à l’a
480 se. Il s’est remis à écrire un conte d’enfants qu’ il illustre lui-même à l’aquarelle. Géant chauve, aux yeux ronds d’oisea
481 s hauts parages, aux doigts précis de mécanicien, il s’applique à manier de petits pinceaux puérils et tire la langue pour
482 rd en montrant ce dessin : c’est moi ! » Le soir, il nous lit les fragments d’un livre énorme (« Je vais vous lire mon œuv
483 lire mon œuvre posthume ») et qui me paraît ce qu’ il a fait de plus beau. Tard dans la nuit je me retire épuisé (je dois r
484 e dois rentrer pour neuf heures à New York), mais il vient encore dans ma chambre fumer des cigarettes et discuter le coup
485 et discuter le coup avec une rigueur inflexible. Il me donne l’impression d’un cerveau qui ne peut plus s’arrêter de pens
486 it-ce l’influence de l’Amérique en général ? Mais elles convergent ou même s’identifient. Je constate que j’hésite ou répugne
487 traduisibles, au sens le plus large du terme. Car il ne s’agit pas seulement, pour moi, d’écrire en vue d’une traduction a
488 ns les deux cas, les exigences sont les mêmes. Et elles impliquent le renoncement à toutes ces coquetteries de style imitées
489 lais retombent à plat, à la radio font parasites. Il faut sauter dans le vif d’un sujet, sans précautions de langage ni fa
490 rs français contemporains : n’importe qui dira qu’ ils « écrivent bien », parce que leurs élégances restent cousues de fil b
491 orte le transport. Les choses que l’on publie, si elles sont importantes, le sont soit par nature, soit par position. Elles l
492 ntes, le sont soit par nature, soit par position. Elles le sont en vertu de leur qualité, originalité, beauté, vérité intrins
493 e confère de l’importance à la moindre opinion qu’ il exprime — par position. (Et c’est le signe de la gloire moderne.) Il
494 sition. (Et c’est le signe de la gloire moderne.) Il entre dans le domaine public, dans la banalité au sens propre du term
495 s valeurs encore inéchangeables cette année. Mais il convient de les maquiller un peu, pour qu’elles circulent, précisémen
496 Mais il convient de les maquiller un peu, pour qu’ elles circulent, précisément.) Le monde actuel pressent qu’il a besoin de m
497 culent, précisément.) Le monde actuel pressent qu’ il a besoin de maîtres et de directeurs de conscience, plutôt que de mon
498 ence, plutôt que de monstres précieux. Cependant, il faut commencer par être un monstre, si l’on veut mériter quelque maît
499 îtrise. Toute création est en soi monstrueuse, qu’ il s’agisse de l’automobile, du sourire de la Joconde, ou des Variations
500 ndre ma vie, pas à pas dans les bois solitaires ? Il se peut qu’on m’envoie bientôt en Afrique du Nord, et de là… Et j’épr
501 ’être. Comment lui résisterait-on ? C’est un ami. Il vous a reçus d’abord et vous a proposé ses façons et usages qu’il con
502 d’abord et vous a proposé ses façons et usages qu’ il convenait d’aimer. Bientôt, s’il voit que vous restez là, il change u
503 ons et usages qu’il convenait d’aimer. Bientôt, s’ il voit que vous restez là, il change un peu : vous n’êtes plus l’invité
504 t d’aimer. Bientôt, s’il voit que vous restez là, il change un peu : vous n’êtes plus l’invité mais un client, et qui devr
505 Des gens frappés par le malheur, où que ce soit, il y en a toujours trop. Cependant notre sort vous paraissait enviable,
506 éfendre l’esprit, — qui était pourtant tout ce qu’ il restait à défendre par nous, dans l’exil… 6. Quartier du bas de la
507 beaucoup d’écrivains et surtout de peintres. 7. Il s’agit du livre intitulé La Part du diable , qui devait paraître à N
508 ris par les chantiers maritimes de Henry Kaiser : il se proposait de réduire le temps de construction d’un cargo Liberty d
509 rty de trente-six jours à quatorze, puis à cinq ! Il y parvint. i. Rougemont Denis de, « Journal d’un intellectuel en ex
10 1947, Articles divers (1946-1948). La jeune littérature des États-Unis devant le roman américain (7 juin 1947)
510 ’il y a bien six ans j’ai connu Carson McCullers. Elle avait l’air d’une toute jeune fille montée en graine, avec ses petits
511 t que sans sa mère qui l’accompagnait ce jour-là, elle ne ferait pas deux pas toute seule dans la ville. Je la félicitai sur
512 enait de paraître — écrit entre 19 et 22 ans — et elle me dit merci, bien sérieusement selon la coutume des femmes américain
513 nces d’écrivains, tout au Nord, près de Saratoga. Elle me tend de ses mains tremblantes une petite coupure de journal : son
514 sé lors du débarquement en Normandie. Aujourd’hui elle est à Paris, inaugurant avec Kay Boyle et Richard Wright — qui fut le
515 tend jamais vers la formule ou le système, comme elle ferait irrésistiblement chez un Français. (« Trouver le lieu et la fo
516 Trouver le lieu et la formule », disait Rimbaud.) Elle ne se décante pas, reste immergée dans le symbolisme ambigu des carac
11 1947, Articles divers (1946-1948). Drôle de paix (7 juin 1947)
517 s y dégage une espèce de lyrisme « global », mais elle augmente aussi l’incertitude. Or ce n’est pas l’angoisse, comme on le
518 u une promesse qui peut nous concerner, mais dont il nous est impossible d’évaluer la portée concrète ? Savoir d’abord l
519 restera pas sans conséquences, mais lesquelles ? Il n’est pas un de ces faits, grands ou petits, moral, économique, cultu
520 s nations d’Europe et sur nos vies individuelles. Il n’est pas un de ces faits qu’on puisse analyser à l’aide de nos catég
521 glisser vers l’insanité ou révéler son ignorance. Il n’est pas un de ces faits, par conséquent, dont tiennent compte nos d
522 de la bombe. Et tout cela n’est que trop naturel. Il est parfaitement naturel que nous aimions parler de politique. Il est
523 ent naturel que nous aimions parler de politique. Il est parfaitement naturel que nos discussions se passionnent dans la m
524 nos discussions se passionnent dans la mesure où elles s’allègent d’une quantité d’informations encore plus difficiles à ret
525 imons et l’affirmation de nos points de vue, et s’ il fallait d’abord savoir les faits il n’y aurait plus moyen de causer.
526 de vue, et s’il fallait d’abord savoir les faits il n’y aurait plus moyen de causer. La bêtise triomphante Cependan
527 cuper serait s’occuper vraiment de politique. Car il n’y a plus à proprement parler de politique pratique, sérieuse et eff
528 e. Désormais nous savons qu’il y a le monde et qu’ il est un. Nous le savons théoriquement. Mais il nous faut encore appren
529 qu’il est un. Nous le savons théoriquement. Mais il nous faut encore apprendre à le voir, puis à le sentir et à le penser
530 . Jamais gouvernement si sûr de ses calculs quand il s’agit de la vie de millions de ses sujets n’avait trahi tant d’inséc
531 de guerre et d’invasion. À peine les Anglais ont- ils annoncé leur décision de se retirer des Indes en juin 1948 que la Lig
532 ratie. L’Europe qui se donne pour battue, quand à elle seule elle totalise plus d’habitants que la Russie et les États-Unis
533 rope qui se donne pour battue, quand à elle seule elle totalise plus d’habitants que la Russie et les États-Unis additionnés
534 is bien que notre paix repose sur ces manques, qu’ elle y trouve ses bases actuelles et ses garanties les plus sûres. Car ce
535 re grands malades recouvrait subitement la santé, il deviendrait impérialiste malgré lui et susciterait probablement la co
536 e autant de libertés que la démocratie américaine elle dominerait bientôt le monde par la seule force de son utopie de justi
537 d’ordre social. Si l’Asie était moins anarchique elle dominerait un jour par la force du nombre. Si l’Amérique sentait son
538 it son idéal mieux assuré dans ses propres foyers elle serait tentée d’abuser de ses avantages actuels. Et si l’Europe était
539 ope était moins abîmée, qui sait quelle arrogance elle ne retrouverait pas. J’imagine que les hommes d’État se préoccupent e
540 ndividus ne se sont unis à cause des richesses qu’ ils avaient, tout au contraire. C’est toujours de la pauvreté que montent
541 nos manques. C’est grâce à eux et en eux seuls qu’ elle a pris quelque consistance. Elle se maintient parce que les Russes sa
542 en eux seuls qu’elle a pris quelque consistance. Elle se maintient parce que les Russes sans elle resteraient enfermés dans
543 ance. Elle se maintient parce que les Russes sans elle resteraient enfermés dans les cloisons étanches de leur autarcie poli
544 leur autarcie politique ; parce que l’Europe sans elle s’enfoncerait encore plus dans sa névrose de scepticisme et de retrai
545 lus dans sa névrose de scepticisme et de retrait. Elle se renforcera au cours des mois prochains parce que l’Asie va lui dem
546 x parties des Indes l’annoncent déjà) et parce qu’ elle représente pour les Américains ce symbole d’un avenir plus vaste qui
547 nt et qui assurent notre paix provisoire. C’est d’ elles que naît l’appel à la fédération. Et si les hommes d’État qui se trou
548 chargés d’administrer l’ONU ne le comprennent pas il faut prévoir que cet appel créera demain d’autres organes plus capabl
12 1947, Articles divers (1946-1948). Einstein, patriarche de l’âge atomique, m’a dit : « C’est pour dissimuler sa pauvreté et sa faiblesse que l’URSS méfiante, s’entoure de secret… » (9 août 1947)
549 enêtres, à onze heures du matin, quelque temps qu’ il fasse, le patriarche du nouvel âge, Albert Einstein. Je suis allé lui
550 assif, la tête rentrée dans des épaules épaisses. Il porte un chandail bleu très ample, un pantalon de flanelle sans pli e
551 andales. C’est le costume habituel des étudiants. Il m’apporte un fauteuil de jardin près du sien. Et nous parlons de l’Am
552 de l’Amérique, dont Einstein est devenu citoyen. Il me dit : — Écoutez-moi bien, c’est la seule démocratie véritable. Les
553 s gens d’ici sont cordiaux, serviables et surtout ils sont dépourvus de toute espèce d’inhibition sociale. Je vous en donne
554 inq ans, à travers la crise de 1929 et la guerre, ils ont fait des progrès immenses vers le sérieux et vers la vraie cultur
555 ulture. Toutefois, je m’étonne de la manière dont ils réagissent, ou plutôt ne réagissent pas à la menace atomique. Ils sem
556 ou plutôt ne réagissent pas à la menace atomique. Ils semblent n’avoir qu’une idée en tête : leur sécurité personnelle, leu
557 méricains, c’est la Russie. Avez-vous remarqué qu’ il se développe ici une sorte d’hystérie antirusse ? Méfiance russe
558 illeurs aux personnes dont on ne peut affirmer qu’ elles sont communistes, simplement. N’a-t-il pas proposé, en 1945, de livre
559 rmer qu’elles sont communistes, simplement. N’a-t- il pas proposé, en 1945, de livrer le secret de la bombe aux quatre Gran
560 x, je suggère que la cause la plus nette de ce qu’ il nomme l’hystérie antirusse, n’est autre que l’attitude des Russes sur
561 an international. Einstein réfléchit un moment. — Il est évident, dit-il enfin, que l’obstacle majeur à l’établissement d’
562 nstein réfléchit un moment. — Il est évident, dit- il enfin, que l’obstacle majeur à l’établissement d’un gouvernement mond
563 éfiance systématique des Soviets. Or je crains qu’ il n’y ait rien à faire pour la surmonter. Car la cause n’en est que tro
564 p claire. La Russie sait que, dans le jeu actuel, elle est le partenaire le plus faible. Elle s’oppose donc à tout ce que le
565 eu actuel, elle est le partenaire le plus faible. Elle s’oppose donc à tout ce que les autres proposent. Elle soupçonne une
566 s’oppose donc à tout ce que les autres proposent. Elle soupçonne une menace dans chacun de nos mouvements. C’est fatal. Et c
567 s mouvements. C’est fatal. Et cela durera tant qu’ elle nous croira les plus forts. — Tant que la bombe sera de notre côté… Q
568 . D’ici dix ans au plus. Ce qui est sûr, c’est qu’ elle y travaille. — Croyez-vous que le « rideau de fer » s’explique par la
569 Les Russes sont très pauvres. C’est pour cela qu’ ils ont si peur des étrangers. Et non sans raison. Car, au cours actuel d
570 non sans raison. Car, au cours actuel du dollar, il serait vraiment trop facile d’acheter des espions en Russie. L’indica
571 ndicateur y serait trop bon marché. — Selon vous, ils redoutent des fuites au sujet de leurs préparatifs militaires proprem
572 -Unis. Tout ce qui vient de nous les inquiète, et ils se croient forcés de tout refuser. — Alors que faire ? — Je ne vois q
573 ets. Les Russes pourront bien entretenir auprès d’ elle autant d’observateurs qu’il leur plaira, officiels ou non. Et à la fi
574 entretenir auprès d’elle autant d’observateurs qu’ il leur plaira, officiels ou non. Et à la fin — car ils ne sont pas fous
575 leur plaira, officiels ou non. Et à la fin — car ils ne sont pas fous comme les nazis —, ils verront bien que leur avantag
576 fin — car ils ne sont pas fous comme les nazis —, ils verront bien que leur avantage est d’y rentrer. La « bombe » et le
577 es problèmes que pose la bombe. Cet homme se sent- il responsable de la menace d’Apocalypse qu’il a contribué plus que nul
578 sent-il responsable de la menace d’Apocalypse qu’ il a contribué plus que nul autre à susciter dans notre siècle ? Je tour
579 e son air malicieux et bonhomme : « La bombe, dit- il , n’a pas changé les conditions de la guerre beaucoup plus que ne l’av
580 u danger de la guerre moderne. » Je lui demande s’ il approuve le plan Baruch, au terme duquel les États-Unis proposent de
581 rnational doté de pouvoirs de contrôle illimités. Il répond : — Tant que la machine militaire restera prête à fonctionner
582 dant, la proposition Baruch a cela d’excellent qu’ elle impliquerait un renoncement partiel à la souveraineté absolue des nat
583 . — La route est longue, bien longue encore ! dit- il soucieux en me reconduisant. Sur quoi je lui cite la parole de Lyaute
584 e développer : « Vous voyez, riposta le maréchal, il n’y a pas une seconde à perdre ! » n. Rougemont Denis de, « Einst
13 1947, Articles divers (1946-1948). Conversation à bâtons rompus avec M. Denis de Rougemont (30-31 août 1947)
585 de passer sept ans aux États-Unis, nous confie-t- il . J’étais parti pour l’Amérique afin de faire une tournée de conférenc
586 la Suisse, intitulé Le Cœur de l’Europe et dont il n’existe qu’une édition anglaise. Ce qu’on sait moins chez nous, c’es
587 a exercée aux États-Unis en faveur de notre pays. Il est trop modeste pour vouloir nous l’avouer, mais il s’est fait l’ard
588 est trop modeste pour vouloir nous l’avouer, mais il s’est fait l’ardent défenseur de nos institutions. Ce rôle a été d’au
589 l’ouvrage sur la Suisse de M. Denis de Rougemont, il a donné comme argument principal le cas de notre propre armée. En Eur
590 des adeptes, mais c’est évidemment en France, qu’ elle a eu le plus de succès et qu’elle a trouvé peut-être le terrain le pl
591 t en France, qu’elle a eu le plus de succès et qu’ elle a trouvé peut-être le terrain le plus favorable. Ce mouvement personn
592 dé à la suite de quelles expériences personnelles il avait été amené à formuler une philosophie du fédéralisme aussi profo
593 yez-vous, on ne se rend pas compte, en Suisse, qu’ il existe en nous, aujourd’hui, un sentiment européen, ce qui n’empêche
594 hui, un sentiment européen, ce qui n’empêche pas, il est vrai, bon nombre d’entre nous de douter de la naissance d’une féd
595 te au même phénomène qu’il y a cent ans. En 1846, il existait un sentiment suisse, mais l’on doutait de la possibilité de
596 ée, écrite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle était encore une utopie. Trois ans plus tard, elle fonctionnait si bi
597 lle était encore une utopie. Trois ans plus tard, elle fonctionnait si bien que l’on eût dit qu’elle allait de soi. Notez bi
598 rd, elle fonctionnait si bien que l’on eût dit qu’ elle allait de soi. Notez bien que ce sentiment suisse, dans les années pr
599 les années précédant 1848, était informulé, et qu’ il a fallu la campagne de la Société helvétique et les écrits du doyen B
600 n conscience de ce sentiment suisse. Aujourd’hui, il ne faut pas se leurrer, il y a une crise du fédéralisme suisse. Et ce
14 1947, Articles divers (1946-1948). L’attitude fédéraliste (octobre 1947)
601 Le danger que présente un tel sujet, c’est qu’ il risque d’entraîner à des généralisations théoriques ; or, rien n’est
602 s éviter de poser au départ quelques définitions. Il est vain de parler des problèmes politiques, si l’on ne s’est pas ent
603 elons que les conquêtes sociales ne sont rien, si elles n’aboutissent pas à rendre chaque individu plus libre dans l’exercice
604 libre et engagé, à la fois autonome et solidaire. Il vit dans la tension entre ces deux pôles : le particulier et le génér
605 ion et la cité ; entre ces deux amours : celui qu’ il se doit à lui-même et celui qu’il doit à son prochain — indissolubles
606 ours : celui qu’il se doit à lui-même et celui qu’ il doit à son prochain — indissolubles. Cet homme qui vit dans la tensio
607 éma trop rapide mais qui me paraît indispensable. Il ne faut pas penser que la personne soit un moyen terme ou un juste mi
608 as à mi-chemin entre la peste et le choléra, mais elle représente la santé civique. Un homme qui boit de l’eau et qui se lav
609 sur laquelle nos travaux doivent se fonder et qu’ ils ont pour but ultime de promouvoir, nous pouvons passer maintenant à u
610 us banal, que cette référence à la Suisse, dès qu’ il est question d’États-Unis d’Europe ou d’un gouvernement mondial. Rien
611 s, mais n’est pas applicable aux grands. De plus, il a fallu des siècles aux Suisses pour se fédérer, et nous avons besoin
612 ée, écrite, adoptée et mise en pratique. En 1846, elle était encore une utopie. Trois ans plus tard, elle fonctionnait si bi
613 lle était encore une utopie. Trois ans plus tard, elle fonctionnait si bien que l’on eût dit qu’elle allait de soi. Quant à
614 rd, elle fonctionnait si bien que l’on eût dit qu’ elle allait de soi. Quant à ce que l’on répète sur la petitesse de la Sui
615 dégager de cette expérience l’idée fédéraliste qu’ elle illustre. Une expérience de laboratoire est nécessairement plus rédui
616 éfinir en quelques mots, en une formule. C’est qu’ elle est d’un type organique plutôt que rationnel, et dialectique plutôt q
617 el, et dialectique plutôt que simplement logique. Elle échappe aux catégories géométriques du rationalisme vulgaire, mais co
618 ole. La pensée fédéraliste ne projette pas devant elle une utopie européenne qu’il s’agirait simplement de rejoindre, ou des
619 projette pas devant elle une utopie européenne qu’ il s’agirait simplement de rejoindre, ou des plans statiques qu’il faudr
620 implement de rejoindre, ou des plans statiques qu’ il faudrait réaliser en quatre ou cinq ans, par la réduction impitoyable
621 toyable des réalités vivantes qui gênent le plan. Elle cherche au contraire le secret d’un équilibre souple et constamment m
622 ouple et constamment mouvant entre des groupes qu’ il s’agit de composer en les respectant, et non point de soumettre les u
623 soi. Or les uns et les autres ont tort, parce qu’ ils n’ont qu’à moitié raison. Le véritable fédéralisme ne consiste ni dan
624 union des cantons, ni dans leur seule autonomie. Il consiste dans l’équilibre continuellement rajusté entre l’autonomie d
625 usté entre l’autonomie des régions et leur union. Il consiste dans la composition perpétuelle de ces deux forces de sens c
626 it apporter à chaque région et à chaque personne. Il est infiniment probable que sur le plan européen, nous allons voir se
627 ceux d’avant 1848, on est frappé de constater qu’ ils n’emploient jamais le terme de fédéralisme, qu’ils l’ignorent, et qu’
628 ls n’emploient jamais le terme de fédéralisme, qu’ ils l’ignorent, et qu’ils ne touchent que très rarement, et très vaguemen
629 le terme de fédéralisme, qu’ils l’ignorent, et qu’ ils ne touchent que très rarement, et très vaguement, à l’idée fédéralist
630 rationaliser les principes de leur vie politique. Il est incontestable, en effet, que l’idée fédéraliste n’a pas cessé d’i
631 hommes d’État suisses, pendant des siècles. Mais il est non moins certain que cette idée est demeurée informulée, et même
632 nter et à philosopher à son sujet. Jusqu’en 1848, elle allait sans dire, comme la vie même ; elle était la vie du civisme et
633 1848, elle allait sans dire, comme la vie même ; elle était la vie du civisme et de la pratique politique des Suisses. C’es
634 moment de l’histoire où le fédéralisme suisse, s’ il veut durer, doit devenir à son tour missionnaire. Telle est sa crise 
635 sente, pour la Suisse, je le vois dans ce fait qu’ elle doit se formuler. Elle doit dire ce qui allait sans dire et qui alors
636 je le vois dans ce fait qu’elle doit se formuler. Elle doit dire ce qui allait sans dire et qui alors n’en allait que mieux.
637 ait sans dire et qui alors n’en allait que mieux. Elle s’expose à son risque maximum : celui de décoller de ses bases concrè
638 oncrètes, perdant ainsi en force originelle ce qu’ elle pourrait gagner en conscience de ses fins. De même pour le fédéralism
639 érer l’Europe dès la paix rétablie. Mais parce qu’ elle se pose brusquement, cette question risque d’être mal posée. J’entend
640 te question risque d’être mal posée. J’entends qu’ elle risque de ne susciter que des plans rationnels et des systèmes. C’est
641 nité de l’Europe, sont des avertissements utiles, ils nous confirment dans l’idée qu’on ne peut pas atteindre la fin, qui e
642 arranger selon leurs caractères particuliers, qu’ il s’agit à la fois de respecter, et d’articuler dans un tout. Troisièm
643 n chiffre, et le plus petit. Pour le fédéraliste, il va de soi qu’une minorité puisse compter pour autant, voire pour plus
644 e majorité dans certains cas, parce qu’à ses yeux elle représente une qualité irremplaçable. (On pourrait ainsi dire : une f
645 conserver ses particularités et son autonomie, qu’ il serait hors d’état de défendre seul contre la pression des grands emp
646 ir dans ce rôle d’organes divers d’un même corps, elles comprendraient que leur harmonie est une nécessité vitale, et non pas
647 demande, ou une diminution de leur valeur propre. Elles comprendraient aussi que dans une fédération, elles n’auraient pas à
648 les comprendraient aussi que dans une fédération, elles n’auraient pas à se mélanger, mais au contraire à fonctionner de conc
649 i poumon que possible, et dans cette mesure même, il aidera le cœur à être un bon cœur. Cinquième principe. — Le fédérali
650 ue dès 1880, dans une lettre prophétique, ceux qu’ il appelait les « terribles simplificateurs ». Lorsque les étrangers s’é
651 ux, cantonaux, fédéraux, si diversement engrenés, il convient de leur montrer que cette complexité est la condition même d
652 la condition même de nos libertés. C’est grâce à elle que nos fonctionnaires sont constamment rappelés au concret, et que n
653 et qui se recoupent de cent manières différentes. Il est clair que des lois ou des institutions conçues dans un esprit uni
654 personne même de ceux qui s’y rattachent. Certes, il est plus facile de décréter sur table rase, de simplifier les réalité
655 ité technique, et de compréhension des peuples qu’ elle gouverne. Elle exige beaucoup plus de vrai sens politique. Finalement
656 et de compréhension des peuples qu’elle gouverne. Elle exige beaucoup plus de vrai sens politique. Finalement, si l’on y réf
657 taires sont antipolitiques par définition, puisqu’ elles consistent simplement à supprimer les diversités, par incapacité de l
658 l’Europe est beaucoup plus près de s’organiser qu’ il ne le semble. Elle est déjà beaucoup plus unie, en réalité, qu’elle n
659 coup plus près de s’organiser qu’il ne le semble. Elle est déjà beaucoup plus unie, en réalité, qu’elle ne le croit. C’est s
660 Elle est déjà beaucoup plus unie, en réalité, qu’ elle ne le croit. C’est sur le plan de l’action gouvernementale que les op
661 tions et les rivalités éclatent, et là seulement, elles sont irréductibles. Je ne pense pas que les gouvernements puissent ja
662 pour arbitrer le jeu des nations. Chacun sait qu’ il serait déraisonnable de choisir comme arbitres d’un match les capitai
663 sonnes qui formeront le gouvernement de l’Europe. Il n’y a pas d’autre voie possible et praticable. Les USA ne sont pas di
664 Le jour où les peuples d’Europe auront compris qu’ ils sont en réalité beaucoup plus solidaires et plus unis que leurs gouve
665 ue leurs gouvernements ne pourront jamais l’être, ils s’apercevront que la fédération est non seulement possible, mais faci
666 avancée, les structures en sont déjà esquissées. Il n’y manque plus qu’une charte fédérale, des organes représentatifs, e
667 par une nouvelle menace extérieure. C’est dire qu’ il nous faut aller vite. ⁂ Il n’y a, dans le monde du xxe siècle, que d
668 érieure. C’est dire qu’il nous faut aller vite. ⁂ Il n’y a, dans le monde du xxe siècle, que deux camps, deux politiques,
669 ne sont pas non plus la Justice et la Liberté, qu’ il est aussi impossible d’opposer en réalité qu’en principe. Aujourd’hui
670 une espérance. Cette antithèse domine le siècle. Elle est son véritable drame. Toutes les autres pâlissent devant elle, son
671 ritable drame. Toutes les autres pâlissent devant elle , sont secondaires ou illusoires, ou dans le meilleur des cas lui sont
672 t souple, comme la paix comme la vie… Et parce qu’ il est simple et rigide, le totalitarisme est une tentation permanente p
673 otalitaire n’est pas dangereux seulement parce qu’ il triomphe aujourd’hui dans une dizaine de pays et progresse plus ou mo
674 ment dans tous les autres ; mais surtout parce qu’ il nous guette tous, à l’intérieur de nos pensées, au moindre fléchissem
675 si l’Europe doit durer, c’est aux fédéralistes qu’ elle le devra, et à eux seuls. Sur qui d’autre peut-elle compter ? Elle ne
676 le le devra, et à eux seuls. Sur qui d’autre peut- elle compter ? Elle ne doit pas compter sur les gens au pouvoir. J’en conn
677 à eux seuls. Sur qui d’autre peut-elle compter ? Elle ne doit pas compter sur les gens au pouvoir. J’en connais peu qui aie
678 présent de l’opinion et des rivalités des partis, ils courraient le risque d’être accusés de trahison s’ils transigeaient u
679 courraient le risque d’être accusés de trahison s’ ils transigeaient un seul instant avec le dogme de la souveraineté absolu
680 faire, pour des raisons absurdes mais techniques. Il faut donc les pousser dans le dos, voilà qui est clair, pour qu’ils a
681 pousser dans le dos, voilà qui est clair, pour qu’ ils acceptent un jour de renoncer non pas à la souveraineté même de leur
15 1947, Articles divers (1946-1948). La liberté dans l’amour [Réponse à une enquête] (novembre 1947)
682 r ce qu’on entend par là. Si on la confond, comme il arrive, avec le légalisme institué par la bourgeoisie, je pense qu’el
683 égalisme institué par la bourgeoisie, je pense qu’ elle a encore un bel avenir — en URSS. Voyez dans quels termes les Soviets
684 es fondements du mariage et de la famille ». Mais il est hasardeux de parler de la « conception chrétienne de l’amour » co
685 e et qui va de soi. Avant de la déclarer périmée, il serait normal d’en prendre connaissance, de la distinguer des concept
686 iècle par les troubadours et le roman de Tristan. Il faudrait au moins distinguer amour et sexualité. Il n’est pas exact d
687 faudrait au moins distinguer amour et sexualité. Il n’est pas exact de dire, par exemple, que « l’homme primitif et l’hom
688 jamais l’amour au sens où nous l’entendons et qu’ ils ignoraient totalement, mais les rapports sexuels. Maintenant, le text
689 st le principe actif de toute libération humaine. Il est la liberté même. (Et quant à ceux qui croient que c’est la haine
690 à ceux qui croient que c’est la haine qui libère, ils croient aussi sans doute que la police crée l’ordre, quand elle n’en
691 ussi sans doute que la police crée l’ordre, quand elle n’en est que le déchet.) Les seuls obstacles réels à l’amour sont en
692 comme le suggère modestement votre questionnaire, il est l’idéal par excellence de tout ce qui mérite le nom d’homme. Ama
693 ui nous rendra la liberté », dit la chanson. Mais il arrive que les voies et moyens que nous imaginons pour le réaliser —
694 osition ». (Avec toutes les imprudences du monde, il m’a fallu 350 pages serrées pour en esquisser une, partielle, dans L
695 n sentirait à peine la différence. Si par exemple elles admettaient comme naturelle l’homosexualité, cela n’augmenterait pas
696 terait pas notablement le nombre des homosexuels. Ils ont en fait toute liberté de vivre à leur guise, jouissent des mêmes
697 que l’état présent de nos mœurs est satisfaisant, il en résulte qu’une « éthique de l’amour » (entendons de la sexualité)
698 ns dans le chaos, l’amertume et la contradiction, il nous faut rétablir une éthique, c’est-à-dire recréer des tensions ent
16 1947, Articles divers (1946-1948). La balance n’est pas égale entre les États-Unis et l’URSS (8 novembre 1947)
699 ins circuler ? » — « En effet, réplique le guide, ils ne circulent pas encore, mais vous, qu’est-ce que vous dites de la qu
700 nier qui est « le plus rusé de tous » écrit ce qu’ il faut pour servir « l’expansionnisme » du dollar. Qu’on ne rie pas : i
701  l’expansionnisme » du dollar. Qu’on ne rie pas : il s’agit de « dialectique ». Et qu’on ne hausse pas les épaules : il s’
702 alectique ». Et qu’on ne hausse pas les épaules : il s’agit d’un retour en force de l’hitléro-fascisme culturel. (C’est à
703 et Miller, nolens volens, servent Truman (même s’ ils ont écrit sous Roosevelt). Mais alors, et pour les mêmes raisons, le
704 oviétique serait le fait d’un calcul de Staline ? Il se peut que les rédacteurs de L’Humanité s’imaginent servir la paix e
705 aits, au nom de la simple vérité. ⁂ Tout d’abord, il est notoirement faux d’écrire que Henry Miller a puisé son désespoir
706 bliés à Paris, et interdits en Amérique. Ensuite, il est notoirement faux et ridicule d’accuser les éditeurs américains de
707 s et de revues demandent avant tout d’un écrit qu’ il se vende. On m’assure que l’éditeur d’Ambre fit savoir à la jeune et
708 à la jeune et jolie femme qui en est l’auteur qu’ il jugeait l’ouvrage très mauvais, mais l’acceptait comme très vendable.
709 est que la majorité du grand public est imbécile. Il faut donc l’éduquer, concluent les moralistes américains. Et pour cel
710 sts où, sous une forme assimilable et simplifiée, il trouvera le meilleur de ce qui s’écrit chez nous. Et que lui donne-t-
711 inhold Niehbur, pour ne rien dire des romanciers, il n’est pas une des tares américaines qui n’ait été décrite, avouée, an
712 illeurs producers de Broadway me dit en riant : «  Il n’y a qu’une réponse possible. Je vais faire jouer cette pièce ici, c
713 ntes, je veux parler de 1917 et de 1942, et alors elle fut bien le fait de la volonté du peuple américain et de la politique
17 1947, Articles divers (1946-1948). Une Europe fédérée (20 décembre 1947)
714 à cette fédération de l’Europe ? » Je réponds qu’ il s’agit plutôt de la vouloir. « Mais pourquoi, me dit-on, faudrait-il
715 la vouloir. « Mais pourquoi, me dit-on, faudrait- il la vouloir ? » Je réponds qu’il n’y a qu’à regarder l’Europe, qu’à fa
716 dit-on, faudrait-il la vouloir ? » Je réponds qu’ il n’y a qu’à regarder l’Europe, qu’à faire son bilan de misères, qu’à v
717 faire son bilan de misères, qu’à voir la place qu’ elle tient encore ou ne tient déjà plus dans le monde actuel… Mais puisqu’
718 ur formuler quelques observations très simples qu’ il suffit de grouper pour qu’elles parlent clairement, et d’ordonner pou
719 ions très simples qu’il suffit de grouper pour qu’ elles parlent clairement, et d’ordonner pour qu’un mot d’ordre s’en dégage.
720 nternational et opère à l’échelle des continents. Il pense encore en kilomètres, séparant des points immobiles, quand la m
721 les, quand la mesure pratique est l’heure de vol. Il médite sur la carte des frontières, dont les réseaux de l’air ne tien
722 nt les réseaux de l’air ne tiennent pas compte. S’ il posait son atlas pour faire tourner un globe il verrait que le plus c
723 S’il posait son atlas pour faire tourner un globe il verrait que le plus court chemin de l’Amérique à la Russie ne passe p
724 mie redistribuent nos voisinages en même temps qu’ elles les rendent plus étroits. L’Europe est plus petite que nous ne pensio
725 s aussi nombreux que les deux Grands additionnés. Ils baisseront le ton, et l’on pourra parler. Notre vocation Qu’aur
726 e qu’un quart du corps électoral dans les pays où il est le plus fort, et qui ne peut faire notre unité que sur nos ruines
727 rutal, n’est pas moins franc. Nous avons besoin d’ elle matériellement, elle a besoin de nous spirituellement, et si son aide
728 s franc. Nous avons besoin d’elle matériellement, elle a besoin de nous spirituellement, et si son aide économique nous trou
729 rviles dans le domaine des mœurs et de la culture elle y perdrait autant que nous. L’Europe a dépassé le stade de l’individu
730 la fois libre et engagée, l’homme qui sait ce qu’ il se doit et ce qu’il doit aux autres. Voilà ce que cherchent dans tous
731 gagée, l’homme qui sait ce qu’il se doit et ce qu’ il doit aux autres. Voilà ce que cherchent dans tous nos pays les meille
732 e tous pour un. Voilà la vocation de l’Europe. Or il est clair qu’aucune de nos nations n’est en mesure de la réaliser pou
733 ys. Voilà donc le fédéralisme. L’opposition Il semble à première vue qu’un tel programme soit si clairement inscrit
734 u siècle et si lisible aux meilleures volontés qu’ il ne puisse provoquer d’opposition foncière. Qui oserait dire : « Je ve
735 drent un à un en toute souveraineté nationale, qu’ ils se cantonnent dans le double refus de l’Amérique et de la Russie, qu’
736 le double refus de l’Amérique et de la Russie, qu’ ils y ajoutent un troisième refus, celui de l’Europe, jusqu’à ce qu’ils s
737 troisième refus, celui de l’Europe, jusqu’à ce qu’ ils soient dûment colonisés ! » Personne n’ose dire cela, ou comme cela.
738 qu’on les exclut, qu’on fait un bloc contre eux… Il n’y a donc plus qu’à faire l’Europe sans eux. Les sceptiques rejoindr
739 dront un jour, les défaitistes auront perdu comme il se doit, et les nationalistes feront l’opposition indispensable à tou
740 us sur deux fronts n’est pas une politique. Quand il est autre chose que l’effet naturel d’une grande affirmation centrale
741 ’effet naturel d’une grande affirmation centrale, il n’est même pas un vrai refus : il ne peut mener qu’à accepter par for
742 ation centrale, il n’est même pas un vrai refus : il ne peut mener qu’à accepter par force ce qu’on a combattu dans la fai
743 que les totalitaires ne demandent qu’à tromper ? Ils donnent des mitraillettes à ceux qui veulent du pain, une discipline
744 En dehors d’eux rien n’a paru depuis la guerre qu’ ils avaient eux-mêmes déclenchée. Et nous savons pourtant que nous sommes
745 ballants, regardant à droite et à gauche comme s’ il n’y avait rien devant nous. Quand le monde attend de nous l’invention
746 ul le fédéralisme ouvre des voies nouvelles. Seul il peut surmonter — voyez la Suisse — les vieux conflits de races, de la
747 nalisme et le problème des minorités. Et surtout il peut dépasser l’opposition chaque jour moins convaincante d’une gauch
18 1948, Articles divers (1946-1948). Notes sur la voie clandestine (hiver 1948)
748 Notes sur la voie clandestine (hiver 1948)t Il faut être aussi rationnel que possible. Pas davantage. On verra bien
749 s un destin si tu es distinct. Tout homme, dès qu’ il se voit isolé par le sort, entre en superstition : c’est sa voie clan
750 et l’isolement nous rendent à l’enfance, parce qu’ ils nous livrent aux magies intimes. Se croire ou se sentir unique, c’est
751 rps quand la tête a passé. Car si je suis unique, il est une voie qui n’est tracée que pour moi seul, et que seul je pourr
752 i nous, qui ait causé de l’être sans niaiserie. S’ il s’arrête à telle apparence curieusement précise à ses yeux, c’est par
753 e curieusement précise à ses yeux, c’est parce qu’ elle semble donner tort au néant des rues évidentes, parce qu’elle fait al
754 donner tort au néant des rues évidentes, parce qu’ elle fait allusion à ce qui va venir, ou parce qu’elle est un peu moins ap
755 elle fait allusion à ce qui va venir, ou parce qu’ elle est un peu moins apparence que tout le reste et un peu plus apparitio
756 reste et un peu plus apparition. Certains soirs, il descend lentement son escalier, passe le seuil, s’arrête un moment, e
757 Sixième Avenue et la Neuvième Rue, justement — s’ il y pense, il est dans le jeu. Dans un état signifiant et rythmé. Il ne
758 nue et la Neuvième Rue, justement — s’il y pense, il est dans le jeu. Dans un état signifiant et rythmé. Il ne voit plus l
759 t dans le jeu. Dans un état signifiant et rythmé. Il ne voit plus l’échelle ni le chat noir à gauche, les chevaux blancs n
760 à gauche, les chevaux blancs ni les curés barbus. Il n’attend rien qui ressemble aux dictons de l’occulte, attendant cela
761 nt cela seulement qui ne ressemble à rien mais qu’ il reconnaîtra du premier coup : un repère à la craie sur le seuil de sa
762 vie, une note que lui seul peut entendre parce qu’ elle résout sa dissonance intime et l’introduit dans l’harmonie de son des
763 vibre qu’à lui-même et révèle un accord instant, il marche au son, comme les grands appareils suivent une route en do diè
764 le Vieillard qui juge, tous les deux sans visage… Il semble que ces formes et figures soient presque seules à définir le p
765 ique du rêve » que Jean-Paul a nommée le premier, ils règlent la circulation entre les profondeurs et la surface manifeste.
766 sises inconscientes, si la raison hésite et là où elle se tait. Car d’une part les signes que j’accueille ont bien des chanc
767 dans la complicité de mon exigence secrète. C’est elle , au vrai, qui les choisit, en vertu d’une préalable inclination, comp
768 able inclination, complaisance ou interprétation. Ils agissent donc comme des révélateurs de moi-même à mes propres yeux. D
769 urs de moi-même à mes propres yeux. D’autre part, il se peut que ces signes baignent dans une réalité profonde, celle du m
770 hasards apparents, et des structures de laquelle ils me permettent de repérer certains linéaments ou certains affleurement
771 neuf autres n’ont pas été vaines, ni muettes. Car elles m’ont dit : tu n’es pas toi, ou pas ici, tu n’y es plus ou pas encore
772 as toi, ou pas ici, tu n’y es plus ou pas encore. Elles m’ont ramené… » Le superstitieux va loin, s’il est grand : dans la vo
773 Elles m’ont ramené… » Le superstitieux va loin, s’ il est grand : dans la voie de l’incomparable, il va jusqu’au bout de lu
774 s’il est grand : dans la voie de l’incomparable, il va jusqu’au bout de lui-même. ⁂ Erreur commune : s’il n’y a pas de ha
775 a jusqu’au bout de lui-même. ⁂ Erreur commune : s’ il n’y a pas de hasard, tout serait donc déterminé ? Nous n’aurions plus
776 nécessité par le Destin ? Erreur commune et dont il faut rougir. Il n’y a pas de hasard, mais pourtant nous sommes libres
777 e Destin ? Erreur commune et dont il faut rougir. Il n’y a pas de hasard, mais pourtant nous sommes libres. Je ne sais qui
778 canique. La voix insiste ou bien n’insiste plus ; elle parle plus ou moins clairement ; des portes se ferment et se rouvrent
779 ille, nous sommes aimés par un destin. Et parfois il nous traite avec indifférence, parfois nous blesse, parfois nous tyra
780 nnise… ⁂ Le rationaliste articule : déterminisme. Il voit un rail. Il pense au règlement d’une dictature anonyme. J’imagin
781 naliste articule : déterminisme. Il voit un rail. Il pense au règlement d’une dictature anonyme. J’imagine un destin actif
782 d’astres. » ⁂ Poète égale superstitieux, parce qu’ ils se sentent accompagnés à chaque instant, en tapinois, par la même que
783 tapinois, par la même question : c’est à savoir s’ ils suivent leur voie ou s’ils l’inventent ? S’ils ne l’inventent qu’en l
784 ion : c’est à savoir s’ils suivent leur voie ou s’ ils l’inventent ? S’ils ne l’inventent qu’en la suivant telle qu’elle éta
785 s’ils suivent leur voie ou s’ils l’inventent ? S’ ils ne l’inventent qu’en la suivant telle qu’elle était, ou ne la suivent
786  ? S’ils ne l’inventent qu’en la suivant telle qu’ elle était, ou ne la suivent qu’en l’inventant telle qu’elle devient ? Cr
787 tait, ou ne la suivent qu’en l’inventant telle qu’ elle devient ? Créer ou rejoindre un poème, un destin, un amour, une voca
788 du réveil par une touffe de cheveux, par la main… Il se débat, et pour un peu, m’entraînait dans sa mort naissante. » Poés
789 ans sa mort naissante. » Poésie et superstition : elles ont mêmes lois, mêmes incertitudes, mêmes échecs et mêmes réussites.
19 1948, Articles divers (1946-1948). Rencontre avec Denis de Rougemont (janvier 1948)
790 arain et le Père Bruckberger, Denis de Rougemont. Il laisse ses interlocuteurs penchés sur les bonnes feuilles du Cheval d
791 parlera lui aussi, tout à l’heure. Mais, d’abord, il faut faire le point. Denis de Rougemont a 41 ans. Petit, trapu, l’œil
792 n, sa générosité, son sens de l’humain pourraient- ils m’échapper ? Sa voix est douce, mais nette ; il s’exprime avec gravit
793 -ils m’échapper ? Sa voix est douce, mais nette ; il s’exprime avec gravité. Souvent un sourire accompagne son propos, et
794 on propos, et son regard s’éclaire d’une lueur qu’ il me faut bien qualifier de « mystique ». Demandez-lui ce qu’il fait :
795 ien qualifier de « mystique ». Demandez-lui ce qu’ il fait : Je n’ai d’autre spécialité, vous répondra-t-il, que de réfléch
796 ait : Je n’ai d’autre spécialité, vous répondra-t- il , que de réfléchir aux conséquences générales des découvertes particul
797 vertes particulières, et aux liaisons humaines qu’ elles affectent. C’est un intellectuel. Un intellectuel qui n’a pas mauvai
798 conscience de sa vocation, qui ne s’en cache pas. Il intitula même un de ses livres les plus remarquables : Journal d’un i
799 pations, se tient la personne humaine ; ne voulut- il pas instaurer une Politique de la personne  ? Et, pour mieux précise
800 eux préciser encore sa position, ne nous invita-t- il pas, reprenant le précepte du vieil Anaxagore, à penser avec les main
801 La guerre rappela Denis de Rougemont en Suisse ; il fut mobilisé à l’état-major de Berne. Lors de l’entrée de Hitler à Pa
802 à quinze jours de forteresse ! En septembre 1940, il était envoyé en Amérique pour y faire des conférences. Il n’en revint
803 envoyé en Amérique pour y faire des conférences. Il n’en revint qu’au mois de juillet dernier. Il vécut à New York, à Pri
804 es. Il n’en revint qu’au mois de juillet dernier. Il vécut à New York, à Princeton, où il respira une « paix claustrale ».
805 let dernier. Il vécut à New York, à Princeton, où il respira une « paix claustrale ». C’est là, dans « ce cadre trop parfa
806 e de la terre atomique passait sous mes fenêtres. Il portait un sweater bleu et un pantalon de flanelle, comme les étudian
807 « Ici, Newton »… Pourtant, c’était bien Einstein. Il avait lu mon livre et désirait me connaître. Je me rendis chez lui, d
808 de gazon, de fleurs et d’arbres pleins d’oiseaux. Il s’avança vers moi, souriant de ses gros yeux bleus très vifs sous des
809 nes et deux touffes de cheveux blancs en auréole. Il me fit asseoir près de lui dans un fauteuil de jardin, et nous nous m
810 nsable de sa découverte ? Einstein est pacifiste, il est antimilitariste. Que les conséquences de sa découverte l’effrayen
811 ilité ne se sent pas engagée. Sans doute, pense-t- il que, même sans lui, le secret aurait été découvert, et que par conséq
812 couvert, et que par conséquent… « La bombe, m’a-t- il dit, n’a pas changé les conditions de la guerre beaucoup plus que ne
813 ui se trouve posée. » Et de la Russie que pense-t- il  ? Pour lui, les Russes se savent et se sentent les plus faibles, surt
814 es plus faibles, surtout en face de l’Amérique. S’ ils se cachent derrière un rideau de fer, c’est pour que leur pauvreté ne
815 ogerai pas Denis de Rougemont sur les États-Unis. Il leur a consacré de nombreux articles dans des journaux et des revues
816 t des revues de France et de Suisse — articles qu’ il a d’ailleurs rassemblés en un volume sous le titre : Vivre en Amériq
817 e question sur la littérature d’outre-Atlantique. Il me répond : La littérature américaine est dans un certain sens plus s
818 lvin ! Mais La Fontaine, Racine ?… À leur époque, ils accomplirent leur métier d’écrivain comme alors on le concevait. Et c
819 concevait. Et c’est cela qui me semble essentiel. Ils n’étaient pas des inadaptés comme, au contraire, le furent les hommes
820 mort — oui, littéralement — qui est mort de cela. Ils demeurèrent toujours en marge de la société, parce qu’il n’y avait pl
821 urèrent toujours en marge de la société, parce qu’ il n’y avait plus de communauté réelle entre l’écrivain d’une part, la b
822 intenable… Sartre vient de se lever pour sortir. Il passe près de Denis de Rougemont, lui serre la main et l’entretient d
823 la main et l’entretient d’un petit restaurant où ils avaient l’habitude de se rencontrer naguère, mais où, maintenant, « o
824 Denis de Rougemont, j’ai eu la visite de Sartre. Il m’a dit : « Les deux plus grands écrivains français contemporains, c’
825 e plus étonné, ici, dans la littérature, c’est qu’ elle soit aujourd’hui encore représentée par la génération des hommes de 4
826 rre, ce n’avait pas été ainsi. C’est, me semble-t- il , dis-je à mon tour, que le fossé creusé par la guerre de 1914 était m
827 guerre-ci. Pour les jeunes hommes d’aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de relever des ruines, mais de découvrir un m
828 de nouveau et de l’organiser. Tout est à recréer. Ils n’ont encore rien à dire, ou ce qu’ils voudraient exprimer est encore
829 à recréer. Ils n’ont encore rien à dire, ou ce qu’ ils voudraient exprimer est encore imprécis. Ceux qui élèvent la voix, le
830 es discours commencés avant 1939. À cette époque, ils portaient déjà en eux une vision du monde, un message auxquels ils so
831 à en eux une vision du monde, un message auxquels ils sont demeurés fidèles. La guerre, la défaite, l’exil ont pu les dérou
832 Denis de Rougemont, c’est leur internationalisme. Il leur faut dépasser leurs frontières. Bien souvent, ce n’est pas dans
833 souvent, ce n’est pas dans leur pays d’origine qu’ ils rencontrent le plus large accueil. Ils sont tentés d’aller là où ils
834 origine qu’ils rencontrent le plus large accueil. Ils sont tentés d’aller là où ils se sentent le mieux compris, où leurs p
835 plus large accueil. Ils sont tentés d’aller là où ils se sentent le mieux compris, où leurs paroles acquièrent le plus d’ef
836 èrent le plus d’efficacité. Mais, en conséquence, ils deviennent des errants. Je crois, quant à moi, que cette transformati
837 e où je développais les principes du fédéralisme. Il ne peut naître, disais-je, que d’un renoncement à toute idée d’hégémo
838 trice, d’abord, à tout esprit de système ensuite. Il ignore le problème des minorités (car ce qui compte pour lui, c’est l
839 et non la quantité comme dans le totalitarisme) ; il a pour base la sauvegarde des qualités propres à chaque nation, à cha
840 lités propres à chaque nation, à chaque province. Il repose sur l’amour de la complexité. Et, ce qui est non moins importa
841 a complexité. Et, ce qui est non moins important, il se forme de proche en proche, par le moyen des personnes et des group
842 -être, que l’organisation fédérative doit naître. Il faut provoquer les états généraux de l’Europe. C’est le seul moyen d’
843 ésence au monde. Tout comme la guerre et la mort, il est simple et rigide. Le fédéralisme, au contraire, est complexe et s
844 t complexe et souple comme la paix, comme la vie. Il ne faut pas avoir peur de ces complexités, de ces complications. Elle
845 ir peur de ces complexités, de ces complications. Elles seules préservent notre liberté. Chaque jour, la Suisse en reconnaît
846 en reconnaît les bienfaits. Pourquoi n’en serait- il pas de même pour l’Europe ? Mais, encore une fois, il convient de se
847 as de même pour l’Europe ? Mais, encore une fois, il convient de se hâter, car je vois venir le temps des terribles simpli
848 ndraient part aux états généraux de l’Europe dont il vient de me parler. Il faut, me répond-il, que toutes les professions
849 généraux de l’Europe dont il vient de me parler. Il faut, me répond-il, que toutes les professions, toutes les classes so
850 pe dont il vient de me parler. Il faut, me répond- il , que toutes les professions, toutes les classes soient représentées.
851 a s’imposer. Mais sa réalisation ne vous semble-t- elle pas chimérique ? Nullement. Si nous parvenons à développer des réflex
852 îtres. Là, avant d’entreprendre d’autres travaux, il achèvera de mettre au point le prochain livre qu’il doit publier : L
853 achèvera de mettre au point le prochain livre qu’ il doit publier : Les Personnes du drame . J’y traite de Goethe, de Kaf
854 Luther, de Gide, de Claudel et de Ramuz. Ensuite, il publiera son Journal des deux mondes , des essais sur des mythes, te
855 L’Ombre perdue », « Le nœud gordien » — textes qu’ il écrivit entre 20 et 40 ans. Mais son plus important projet est de com
856 us important projet est de composer une morale qu’ il intitulera : La Règle du jeu. Espérons que la bombe atomique n’interr
857 La bombe n’est pas dangereuse du tout, me répond- il . C’est un objet. Les objets ne m’ont jamais fait peur, non plus que l
858 rriblement dangereux, c’est l’homme. C’est lui qu’ il faut contrôler. Adieu ! s. Rougemont Denis de, « [Entretien] Renco
20 1948, Articles divers (1946-1948). Les deux blocs ? Il n’en existe qu’un (9 janvier 1948)
859 Les deux blocs ? Il n’en existe qu’un (9 janvier 1948)u Les uns nous disent que le cho
860 les USA, et les autres refusent le choix parce qu’ il mènerait fatalement à la guerre. Pour les premiers, l’Europe n’est pl
861 dollar américain. Mais les seconds proclament qu’ ils ne choisiront pas entre la peste et le choléra et qu’ils tiennent la
862 choisiront pas entre la peste et le choléra et qu’ ils tiennent la balance égale entre le refus du stalinisme et le refus de
863 ous. Avons-nous bien regardé les faits ? Existe-t- il vraiment deux blocs ? ⁂ Une première différence saute aux yeux, quand
864 te l’Europe aux élections et dans les parlements, elle a ses troupes disciplinées, elle fait sa politique jusque dans nos co
865 les parlements, elle a ses troupes disciplinées, elle fait sa politique jusque dans nos communes : tandis que les USA n’ont
866 és. L’URSS possède une doctrine très précise dont elle se sert comme d’un instrument de conquête et qui dicte une tactique s
867 ntative d’unir les nations de l’Europe : c’est qu’ elle veut diviser pour régner. Les États-Unis, au contraire, poussent à la
868 on européenne, et surtout sur le plan économique. Ils nous veulent forts, donc autonomes. Les communistes, dans chaque pays
869 onstruction, les Américains la financent. Où faut- il donc chercher l’impérialisme ? Avouons qu’il n’est pas le même des de
870 faut-il donc chercher l’impérialisme ? Avouons qu’ il n’est pas le même des deux côtés. Un contraste frappant Et si l’
871 . En Russie, on liquide l’opposition, en Amérique elle est entièrement libre, et mieux que cela : on en tient compte. En Rus
872 ent à peu près à chaque fois les améliorations qu’ ils revendiquent, sur un niveau de vie d’ailleurs bien plus élevé que cel
873 rs bien plus élevé que celui des ouvriers russes. Il faut vraiment se boucher les yeux pour ne pas voir de quel côté les p
874 e le sort des noirs — on lutte ouvertement contre elle , l’opinion et l’État s’unissent pour la réduire, et cela au nom d’un
875 un idéal qui ne change pas tous les six mois, car il est la morale commune, et non pas une simple tactique. Et ainsi de su
876 puissances nous conduisent à la même conclusion : il n’y a pas de commune mesure entre le danger soviétique pour l’Europe
877 s sens du terme. Mais l’Amérique n’en est pas un, elle qui vise aux libres échanges, tolère les pires indiscrétions, multipl
878 d’autres déclarent noblement décliner ? En fait, il n’y a plus de choix possible. Car la Russie, en refusant de collabore
879 s. Si nous n’acceptons pas d’être ses satellites, elle nous déclare et nous croit ses ennemis et les esclaves de l’Amérique.
880 rte, c’est-à-dire d’une Europe unie et autonome ; elle ne veut qu’une Europe livrée à sa merci par les rivalités nationalist
881 mme des malades de luxe, ingrats et susceptibles. Elle cherche à nous aider pour que nous ne tombions pas dans le piège gros
882 oint de vue stratégique autant que culturel. Mais elle ne pourra nous aider que si nous existons d’abord. Le seul choix qui
883 ns. u. Rougemont Denis de, « Les deux blocs ? Il n’en existe qu’un », L’Intransigeant, Paris, 9 janvier 1948, p. 4.
21 1948, Articles divers (1946-1948). Ce sont les Français qui ont commencé (La querelle des « condensés… ») (14 février 1948)
884 inutes, pensant avoir assez compris. Dira-t-on qu’ elle était Américaine ? À l’époque, on vit dans ce trait une exagération d
885 feignant de donner du lait en poudre aux enfants. Il faut avouer que le nom même de « condensé » nous vient de l’anglais,
886 néologique tiré de l’adjectif condensed (from…), il semble que nos éditeurs aient voulu souligner le caractère américain
887 e qui s’attache aux audaces d’outre-Atlantique. S’ ils s’étaient contentés de mots français bien connus, comme résumé ou ada
888 n, la polémique actuelle eût pris un autre cours. Il suffit, en effet, de dire résumé au lieu de condensé pour que l’on s’
889 querelle aussi vieille que celle des manuels. Et il suffit de parler d’adaptations (ou d’abrégés) pour que l’on soit cont
890 r sa vie. Dès 1768, Ducis condense Shakespeare. «  Il a rogné ses drames avec d’impitoyables ciseaux… il y a retaillé des t
891 à la française », dit encore Lanson. Dans Hamlet, il supprime le fameux monologue, les comédiens, la pantomime, les fossoy
892 s qui blessent inutilement le goût. Dans Othello, il supprime Jago, et l’action « s’expédie en vingt-quatre heures ». (Il
893 t l’action « s’expédie en vingt-quatre heures ». ( Il y ajoute un happy ending, à la manière de Hollywood, déjà.) Au début
894 critures, dont s’est nourrie toute notre enfance. Il est vrai qu’en tout cela je n’ai cité que des traductions, et que ni
895 quoi tripler le nombre de pareils exemples. Mais il suffit. Le résumé, l’adaptation d’une œuvre au goût réel ou supposé d
896 ues remarques touchant la valeur même du procédé. Il est probable que le « condensé » n’aurait pas provoqué pareille indig
897 i rencontré pareil succès dans le grand public, s’ il n’eût pas été présenté comme américain d’origine. (Américain signifia
898 e rôle exorbitant que nous leur attribuons, et qu’ ils semblent en passe de prendre ici. Quant à la légitimité de l’adaptati
899 français que j’ai cités suffisent à faire voir qu’ elle est infiniment variable. La Motte et Ducis appauvrissent, défigurent,
900 le (ou la victime) que l’on choisit. À ce propos, il est curieux de relever que tout se passe comme si les grands chefs-d’
901 s des versions réduites, émondées, aplaties. Mais ils sursautent dès qu’on se risque à « condenser » un lauréat quelconque
902 des éditeurs français de « condensés », c’est qu’ ils accordent à des ouvrages moyens ou faibles un honneur qui convient au
903 fameux grand public, si cher aux éditeurs, n’est- il pas un enfant devant la vraie culture ? N’a-t-il pas droit aux mêmes
904 -il pas un enfant devant la vraie culture ? N’a-t- il pas droit aux mêmes égards que la jeunesse de la part de ceux qui l’é
905 nesse de la part de ceux qui l’éduquent ? Ne faut- il pas lui ménager avec prudence un accès progressif aux chefs-d’œuvre ?
906 rminé, et que l’auteur voulait détruire, ne court- il pas les mêmes dangers que s’il était « condensé » en cinquante pages 
907 détruire, ne court-il pas les mêmes dangers que s’ il était « condensé » en cinquante pages ? Faut-il crier à l’américanism
908 s’il était « condensé » en cinquante pages ? Faut- il crier à l’américanisme ? Ou plutôt se féliciter de voir cette œuvre a
909 en démocratie, et les masses y sont le despote qu’ il s’agit avant tout d’éclairer. Mais il n’est pas vain d’exiger que les
910 despote qu’il s’agit avant tout d’éclairer. Mais il n’est pas vain d’exiger que les fabricants de condensés se donnent de
911 sés se donnent des règles et jouent franc jeu. Qu’ ils résument sans jamais récrire, c’est-à-dire qu’ils se bornent à des co
912 ils résument sans jamais récrire, c’est-à-dire qu’ ils se bornent à des coupures, et s’il faut un raccord ici ou là, qu’ils
913 est-à-dire qu’ils se bornent à des coupures, et s’ il faut un raccord ici ou là, qu’ils l’impriment dans un autre caractère
914 s coupures, et s’il faut un raccord ici ou là, qu’ ils l’impriment dans un autre caractère ; qu’ils avertissent bien clairem
915 , qu’ils l’impriment dans un autre caractère ; qu’ ils avertissent bien clairement le lecteur qu’on ne lui vend qu’un résumé
916 le lecteur qu’on ne lui vend qu’un résumé, et qu’ ils rappellent les dimensions de l’original ; enfin qu’ils prennent le so
917 appellent les dimensions de l’original ; enfin qu’ ils prennent le soin de renvoyer aux éditions complètes de l’œuvre, dans
918 itions complètes de l’œuvre, dans tous les cas où il est possible de se les procurer chez le libraire. Tous les critiques
919 ibraire. Tous les critiques français ne devraient- ils pas se liguer pour qu’un code de ce genre soit adopté ? v. Rougemo