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Théologie et littérature (1946)b 1.
Il
faut tenir la théologie chrétienne pour la mère de la pensée occident
2
e ecclésiastique dès le déclin du Moyen Âge, mais
il
n’en est aucun dont l’esprit et l’histoire ne manifestent à chaque in
3
i aussi facilement définissables et contrôlables.
Il
est vrai que certaines influences directes, attestées par les écrivai
4
Balzac, de Newman sur Gerard Manley Hopkins. Mais
il
ne me paraît pas que le problème dans son ensemble ait été clairement
5
écrivains se sont installés pour la plupart, est-
elle
vraiment sans conséquence pour les uns et les autres, et pour l’élite
6
s uns et les autres, et pour l’élite en général ?
Il
est clair que la théologie n’a pas besoin de la littérature et peut s
7
ésintéresser sans grand dommage. Si l’on admet qu’
elle
a pour objet principal de formuler et de critiquer le dogme chrétien
8
et de critiquer le dogme chrétien dans l’Église,
elle
est en droit de laisser à d’autres le soin d’appliquer ses critères h
9
n d’appliquer ses critères hors de l’Église. Mais
il
est beaucoup moins évident que la littérature puisse se passer impuné
10
e puisse se passer impunément de la théologie. Et
il
est bien certain que lorsqu’elle s’en passe, les effets s’en font sen
11
e la théologie. Et il est bien certain que lorsqu’
elle
s’en passe, les effets s’en font sentir dans l’Église même. Car le cl
12
per à l’influence de leurs lectures, cependant qu’
ils
éprouvent une difficulté croissante à juger celles-ci du point de vue
13
té et celui de la littérature, les atmosphères qu’
elles
créent, les problèmes qu’elles envisagent, les valeurs morales qu’ell
14
les atmosphères qu’elles créent, les problèmes qu’
elles
envisagent, les valeurs morales qu’elles tiennent pour allant de soi,
15
lèmes qu’elles envisagent, les valeurs morales qu’
elles
tiennent pour allant de soi, tout est devenu trop différent, et presq
16
mettent à faire de la critique littéraire, comme
il
arrive qu’on en lise sous leur nom dans les revues de pensée religieu
17
s leur nom dans les revues de pensée religieuse :
il
s’agit trop souvent de comptes rendus d’amateurs qui cherchent à parl
18
es un minimum de connaissances théologiques, dont
ils
se montrent cruellement dépourvus. Et de même, je suis le premier à p
19
s à la Parole de Dieu, mais c’est le contraire. S’
il
arrive qu’un pasteur ou un prêtre juge opportun de parler d’un livre,
20
nds, à la fois comme fidèle et comme écrivain, qu’
il
en parle en théologien, et non pas en homme cultivé, en moraliste ou
21
nfluence possible d’une intervention de ce genre,
elle
aurait en tout cas l’avantage de donner aux fidèles — et à leur clerg
22
s de la théologie a pour conséquence immédiate qu’
ils
se condamnent à découvrir, tous les vingt ans, des Amériques depuis l
23
e religieuse de leur époque, mais surtout comment
ils
pâtissent de n’avoir point connu l’existence de traditions soit ortho
24
’est le cas le plus fréquent, dont à grands frais
ils
redécouvrent quelques bribes, des encyclopédistes aux existentialiste
25
rra l’expliquer aux disciples de ces mouvements ?
Il
y faudrait un théologien. Lever les bras au ciel, ou pointer le doigt
26
l’égard des efforts de l’avant-garde, d’autant qu’
ils
jouent, aux yeux de beaucoup et des meilleurs de nos contemporains, l
27
itualité ardente et courageuse. Pourquoi faudrait-
il
qu’à l’obscurantisme théologique qui dénote la culture d’aujourd’hui,
28
nul secours ? Va-t-on lui tourner le dos parce qu’
elle
est tapageuse, scandaleuse et d’une conduite peu régulière, la confir
29
ite ne leur donnait rien. Exemple : Kierkegaard.
Il
ne fut pas un théologien au sens strict, mais toute son œuvre manifes
30
st montrée décisive dans beaucoup de conversions,
elle
n’a pas eu pour effet (ou très rarement) l’adhésion des convertis à u
31
ier, semblable à la colombe de Kant, s’imagine qu’
il
volerait mieux dans le vide. Le second, mieux assuré de la force de s
32
e cesse de mentionner cette réalité, mais en fait
il
échoue à l’exprimer ; il se livre à des efforts visibles de propagand
33
te réalité, mais en fait il échoue à l’exprimer ;
il
se livre à des efforts visibles de propagande en faveur des « valeurs
34
r des « valeurs spirituelles », mais par là même,
il
trahit peut-être une certaine absence de l’Esprit dans la genèse de s
35
absence de l’Esprit dans la genèse de son œuvre.
Il
oublie que le style d’un écrit transmet pour son compte et par lui-mê
36
ccordent et se renforcent ; le plus souvent hélas
ils
se contredisent, et l’un ruine l’autre secrètement dans l’esprit du l
37
autre secrètement dans l’esprit du lecteur. Ce qu’
il
importe de rappeler ici, c’est que toute œuvre littéraire, si profane
38
théologie (fût-ce à l’insu de son auteur), et qu’
elle
l’exprime par les mouvements mêmes du style, plus fidèlement et d’une
39
ndront leur objet, si par leur insuffisance même,
elles
incitent quelques jeunes théologiens à pousser plus avant dans un dom
40
ir de Tantale suffisait à repousser les objets qu’
il
désire, et sa crainte l’objet qu’il redoute. Quand il se penche vers
41
les objets qu’il désire, et sa crainte l’objet qu’
il
redoute. Quand il se penche vers la surface de la rivière où il baign
42
ésire, et sa crainte l’objet qu’il redoute. Quand
il
se penche vers la surface de la rivière où il baigne à mi-corps, quan
43
and il se penche vers la surface de la rivière où
il
baigne à mi-corps, quand il lève le bras vers ces fruits mûrs qui fon
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face de la rivière où il baigne à mi-corps, quand
il
lève le bras vers ces fruits mûrs qui font ployer la branche au-dessu
45
nule. Mais on dirait aussi que son regard, dès qu’
il
l’élève avec angoisse vers le rocher, retient le rocher. Étrange lieu
46
Oui, car à l’instant même où Tantale est ému, où
il
forme un projet, où il agit, les lois de la chute des corps et de leu
47
ême où Tantale est ému, où il forme un projet, où
il
agit, les lois de la chute des corps et de leur inertie, qui sont cel
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crimes, dit la Fable. Admis à la table des dieux,
il
avait dérobé à ses hôtes leur nectar et leur ambroisie, pour les fair
49
de défier l’Olympe et d’éprouver son omniscience,
il
avait tué son propre fils Pélops, pour faire servir sa chair à la tab
50
la philanthropie préside au vol de Tantale, quand
il
est assez clair qu’il jalouse les dieux, leur divination, leur puissa
51
de au vol de Tantale, quand il est assez clair qu’
il
jalouse les dieux, leur divination, leur puissance, et tous les plais
52
vination, leur puissance, et tous les plaisirs qu’
ils
en tirent. Quant à la mise à mort du fils, offert ensuite aux dieux c
53
ert ensuite aux dieux comme nourriture meilleure,
il
est surprenant d’observer qu’elle invertit exactement le sacrifice du
54
riture meilleure, il est surprenant d’observer qu’
elle
invertit exactement le sacrifice du Fils de Dieu. Au lieu du Père liv
55
lieu du Père livrant son Fils aux hommes pour qu’
ils
le tuent, mais aussi pour qu’ensuite ils revivent par la consommation
56
pour qu’ils le tuent, mais aussi pour qu’ensuite
ils
revivent par la consommation de son corps spirituel, un homme tue lui
57
ême son fils, et donne sa chair aux dieux pour qu’
ils
en meurent, — s’ils perdent leur divinité de s’être une fois laissé s
58
ne sa chair aux dieux pour qu’ils en meurent, — s’
ils
perdent leur divinité de s’être une fois laissé surprendre et abuser.
59
es), répond un châtiment dont on croit deviner qu’
il
n’est qu’une double réfraction du crime dans l’ordre humain. Parce qu
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réfraction du crime dans l’ordre humain. Parce qu’
il
a convoité la nourriture des dieux, Tantale se voit refuser celle du
61
upplice de Tantale, cet automatisme est si sûr qu’
il
autorise à des spéculations précises, encore que fantastiques en appa
62
la branche ne s’écartant de lui qu’à l’instant où
il
veut les atteindre, et tout cela ne tient vraiment qu’à lui, qu’aux d
63
obstination les mêmes désirs et le même orgueil,
il
nourrit la vengeance des « dieux » qui frustrent ces désirs et qui re
64
ar impossible, que Tantale renonce un instant, qu’
il
s’abandonne, et qu’il préfère soudain à son amour d’un moi coupable e
65
tale renonce un instant, qu’il s’abandonne, et qu’
il
préfère soudain à son amour d’un moi coupable et torturé, l’expiation
66
tion libératrice et son délire. À l’instant même,
il
s’enfonce dans les eaux, il boit à mort, et le rocher l’écrase. Mais
67
re. À l’instant même, il s’enfonce dans les eaux,
il
boit à mort, et le rocher l’écrase. Mais c’est précisément ce qui n’a
68
rait un instant de pur abandon — payé de sa mort,
il
est vrai, pour quelle indescriptible renaissance ! — préfère subir le
69
antale. C’est son orgueil et sa dignité d’homme :
il
se révolte contre tout — sauf soi. C’est pourquoi rien ne change auto
70
ns la légende, à sa faim, à sa soif et à sa peur.
Il
est cet homme qui, dans chacun de nous, préfère le désir, même doulou
71
t encore son désir, donc lui-même — à la proie qu’
il
ne posséderait qu’en acceptant d’être changé d’abord. Que lui servira
72
d’être changé d’abord. Que lui servirait, pense-t-
il
, de gagner le monde s’il y perdait son moi ? Il est certain qu’à sa m
73
e lui servirait, pense-t-il, de gagner le monde s’
il
y perdait son moi ? Il est certain qu’à sa manière il a raison. Car à
74
t-il, de gagner le monde s’il y perdait son moi ?
Il
est certain qu’à sa manière il a raison. Car à gagner, l’on perd touj
75
perdait son moi ? Il est certain qu’à sa manière
il
a raison. Car à gagner, l’on perd toujours quelque chose : l’attente,
76
tité, des aliénations de nous-mêmes. À la limite,
ils
sont autant d’usurpations. Changeons maintenant de plan spirituel, e
77
e trouve ainsi conçue : « Tous mes biens tels qu’
ils
sont et vont reviendront et appartiendront à celui des sept de MM. me
78
ce point, le notaire pose sa montre sur la table,
elle
marque onze heures et demie, et il attend les larmes. Le marchand Neu
79
ur la table, elle marque onze heures et demie, et
il
attend les larmes. Le marchand Neupeter se demande s’il ne s’agit que
80
end les larmes. Le marchand Neupeter se demande s’
il
ne s’agit que d’une mauvaise farce, indigne d’un homme de sens. Le fi
81
cteur de police Harprecht lui fait observer que s’
il
parvient à pleurer à force de rire, ce ne sera qu’un vol pur et simpl
82
vol pur et simple, mais l’Alsacien proteste que s’
il
rit, « c’est par pure plaisanterie, et non pas dans une intention plu
83
ller d’église, se met à faire une allocution, car
il
sait que cela le fait pleurer… Mais Flachs, maintenant, a fermé les y
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eurer… Mais Flachs, maintenant, a fermé les yeux.
Il
évoque son oncle van der Kabel, ses bienfaits, ses redingotes grises,
85
enter si pitoyablement à cause du testament, — et
il
s’en faut de bien peu qu’il ne pleure… Le conseiller continue son dis
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se du testament, — et il s’en faut de bien peu qu’
il
ne pleure… Le conseiller continue son discours… Soudain : « Je crois,
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levant, je crois que je pleure ! » Et, en effet,
il
se rassoit en sanglotant brièvement. Son émotion dûment enregistrée,
88
otant brièvement. Son émotion dûment enregistrée,
il
héritera de tous les biens de l’oncle, pour lui avoir dédié, entre ta
89
à l’homme pour le faire héritier de son royaume :
il
demande un instant de foi. Un instant d’abandon de soi-même, et d’amo
90
mécanisme du supplice de Tantale, c’est-à-dire qu’
elle
s’annule de soi-même. Si un homme croit pouvoir s’autoriser du mérite
91
roit pouvoir s’autoriser du mérite de ses œuvres,
il
ne pleurera pas : car la vision de la proie qui s’approche sera « bie
92
mporelle, les eaux vives fuiront ses lèvres ; car
il
faudrait, pour y être immergé, accepter de mourir d’abord à ses propr
93
précision miraculeuse ! Pour si peu d’égoïsme qu’
il
subsiste dans l’acte de porter les lèvres ou la main vers cette eau,
94
e distingue de l’Européen, court à la conclusion.
Il
veut une solution pratique, autant que possible. Mais il est capable,
95
une solution pratique, autant que possible. Mais
il
est capable, après une conversation, de changer d’opinion. Pas l’Euro
96
ons et pense que l’adversaire est méchant, puisqu’
il
ne pense pas comme lui. Des entretiens, tels qu’ils viennent d’avoir
97
l ne pense pas comme lui. Des entretiens, tels qu’
ils
viennent d’avoir lieu à Genève, eussent été un four aux États-Unis. E
98
e, eussent été un four aux États-Unis. En Russie,
ils
auraient été interdits. Personnellement, je regrette qu’aucun Russe n
99
uelque chose de positif des entretiens de Genève.
Il
faut que Genève devienne une sorte de Salzbourg intellectuel, ajoute
100
e peut plus être séparée des dialogues européens.
Il
souhaite encore que l’on organise à Genève un Café de Flore de l’Espr
101
endu, que l’esprit puisse y souffler librement où
il
veut. c. Rougemont Denis de, « [Entretien] Genève, rose des vents
102
’il y a bien six ans j’ai connu Carson McCullers.
Elle
avait l’air d’une toute jeune fille montée en graine, avec ses petits
103
t que sans sa mère qui l’accompagnait ce jour-là,
elle
ne ferait pas deux pas toute seule dans la ville. Je la félicitai sur
104
enait de paraître — écrit entre 19 et 22 ans — et
elle
me dit merci, bien sérieusement selon la coutume des femmes américain
105
nces d’écrivains, tout au Nord, près de Saratoga.
Elle
me tend de ses mains tremblantes une petite coupure de journal : son
106
sé lors du débarquement en Normandie. Aujourd’hui
elle
est à Paris, inaugurant avec Kay Boyle et Richard Wright — qui fut le
107
tend jamais vers la formule ou le système, comme
elle
ferait irrésistiblement chez un Français. (« Trouver le lieu et la fo
108
Trouver le lieu et la formule », disait Rimbaud.)
Elle
ne se décante pas, reste immergée dans le symbolisme ambigu des carac
109
les maisons où la radio choisit les symphonies qu’
elle
aime. Le soir, elle va s’asseoir dans une cour obscure et elle écoute
110
dio choisit les symphonies qu’elle aime. Le soir,
elle
va s’asseoir dans une cour obscure et elle écoute. Puis elle essaie d
111
soir, elle va s’asseoir dans une cour obscure et
elle
écoute. Puis elle essaie de composer elle-même. Elle appelle sa premi
112
sseoir dans une cour obscure et elle écoute. Puis
elle
essaie de composer elle-même. Elle appelle sa première sonate : Cette
113
e écoute. Puis elle essaie de composer elle-même.
Elle
appelle sa première sonate : Cette chose que je veux, je ne sais pas
114
r. Les personnages d’un romancier français, quand
ils
discutent des idées, me paraissent être, en règle générale, tout just
115
mépriser l’erreur ou la bassesse d’une classe qu’
ils
représentent, d’une tendance ou d’un vice dont ils sont les supports.
116
ls représentent, d’une tendance ou d’un vice dont
ils
sont les supports. Leurs dialogues sont de courts essais qui nous con
117
uvent telle phrase d’un héros de Malraux comme si
elle
exprimait la pensée de Malraux, au lieu de n’être qu’un accord isolé
118
la fois ? Je me demandais aussi : comment se peut-
il
que ce livre impossible à classer, ni brutal, ni sexy, ni religieux,
119
n va lire aux pages 219-220 : « Les autres, écrit-
il
, haïssent tous quelque chose. Et ils ont tous quelque chose qu’ils ai
120
autres, écrit-il, haïssent tous quelque chose. Et
ils
ont tous quelque chose qu’ils aiment plus que la nourriture ou le som
121
s quelque chose. Et ils ont tous quelque chose qu’
ils
aiment plus que la nourriture ou le sommeil ou le vin ou la compagnie
122
compagnie d’un ami. C’est la raison pour laquelle
ils
sont toujours si occupés. » Dernièrement, à Paris, je disais à Carson
123
isais à Carson, avec la ruse d’un interviewer : —
Il
n’y a pas d’histoires d’amour, dans ce roman. Elle me regarde étonnée
124
Il n’y a pas d’histoires d’amour, dans ce roman.
Elle
me regarde étonnée, presque indignée : — Il n’y a que cela ! Elle vou
125
an. Elle me regarde étonnée, presque indignée : —
Il
n’y a que cela ! Elle voulait dire l’amour des êtres, l’amour réel, e
126
étonnée, presque indignée : — Il n’y a que cela !
Elle
voulait dire l’amour des êtres, l’amour réel, et non pas celui des ro
127
es classes (1947)j Les trains suisses, bien qu’
ils
vous conduisent en moins d’une heure d’un monde à l’autre — de Neuchâ
128
plaine et d’océan de nuit où rien ne bouge. Comme
il
n’y a pas de place en Suisse pour un véritable voyage, on s’en tire e
129
i métaphorique. J’idéalise, mais pourquoi pas ? S’
il
me fallait décrire nos petits déplacements du point de vue de l’usage
130
quelque usage ignoré du commun. Presque toujours
elles
étaient vides. En troisième on retrouvait, comme j’ai dit, les gens b
131
son affaire, on était parfaitement « en règle »,
il
fallait simplement « ne pas faire attendre », en vertu de cette disci
132
» L’aspect d’un wagon suisse de IIIe classe, tant
il
respire naturellement l’honnêteté, tendrait à nous faire oublier que
133
banalité que les Suisses le prennent pour banal.
Ils
pensent mener la vie normale du genre humain, l’anarchie et la guerre
134
Ainsi pensent les Français du climat tempéré dont
ils
jouissent à peu près seuls au monde, tandis que les déserts, les volc
135
paix et de raison qui doivent nous étonner quand
ils
paraissent, phénomènes hautement improbables, très rarement observés
136
laise qu’éprouvent les étrangers sensibles lorsqu’
ils
prennent place dans nos trains locaux ? L’expérience de la vie new-yo
137
rant de celui qui renonce à comprendre… Ah ! mais
il
faut y être pour sentir et pour réagir comme je le dis. Dès que je m’
138
je veux dire trop méfiant et même intolérant. Qu’
ils
aient seulement l’air étonnés suppose déjà beaucoup de retenue… À pro
139
s, des menus incidents du trajet. On sent bien qu’
il
a l’habitude. On dirait qu’il s’installe dans son bureau, et sa pensé
140
et. On sent bien qu’il a l’habitude. On dirait qu’
il
s’installe dans son bureau, et sa pensée ne vagabonde pas, reste enfe
141
ui prétendent ne pas payer de supplément parce qu’
il
n’y avait plus de place dans les troisièmes : ils ont l’air trop cont
142
’il n’y avait plus de place dans les troisièmes :
ils
ont l’air trop contents d’être là, on les refoule. J’ai cru remarquer
143
à respecter le velours gris et dru des secondes :
il
a tort, c’est la classe vulgaire. Des jeunes femmes aux moues insolen
144
ylons ou de cette « Cadillac » promise, affirment-
elles
, par le jeune mâle placide qui leur fait face, mi-flatté mi-gêné. Je
145
res. Je me décide à regagner les troisièmes. Mais
il
faut traverser un couloir de premières. Et je m’arrête, fasciné. Un v
146
voient juste. Ces gens traversent le pays comme s’
il
n’existait pas, ils vont plus loin. Confirmation de la sentence ésoté
147
ens traversent le pays comme s’il n’existait pas,
ils
vont plus loin. Confirmation de la sentence ésotérique : l’œil qui ne
148
classe, en Suisse, je les nomme les imperméables.
Ils
traversent et passent, et rien ne les touche. Ce sont aussi, et pour
149
les trains qui vous croisent sont transparents s’
ils
vont très vite ? On ne cesse de voir le paysage au travers.) Ils appa
150
ite ? On ne cesse de voir le paysage au travers.)
Ils
appartiennent au vaste monde dont je rêvais avec fièvre, à 12 ans, qu
151
us faire ensemble ? » ⁂ L’Europe a mauvaise mine,
il
faut l’avouer. Avant même que l’on puisse détailler tous ses traits,
152
traduirai par ces mots : on dirait, à la voir, qu’
elle
a perdu la guerre. Militairement, Hitler et ses séides ont été battus
153
ont été battus et sont morts, mais dans la lutte,
ils
ont marqué leurs adversaires d’une empreinte qui vaut une victoire. C
154
rage physique. Maintenant le gagnant se relève :
il
se trouve que c’est notre gentleman de tout à l’heure, mais le voilà
155
passage du Führer. La lutte contre les forces qu’
il
incarnait devant nous a réveillé ces forces parmi nous. L’Europe a ét
156
on de tous ces éléments — l’anti-Europe. Qu’était-
il
en effet pour ceux qui le combattaient ? La rage antichrétienne, la r
157
ttu, son corps brûlé dans le pétrole, que reste-t-
il
? À peu près tout cela — moins Hitler. Mais tout cela qui était chez
158
révolution russe, puis sous le régime hitlérien,
elle
se révèle enfin dans toute son étendue réelle, sous nos yeux. On doit
159
es masses comme les élites échappent aux Églises.
Elles
ne croient plus qu’en l’ici-bas, qu’en cette vie-ci, qu’en un bonheur
160
é de camp. Tartuffe n’est plus dévot comme jadis,
il
n’est plus même de droite comme hier, il est de gauche, ou « dans la
161
e jadis, il n’est plus même de droite comme hier,
il
est de gauche, ou « dans la ligne », il se range au nouveau conformis
162
mme hier, il est de gauche, ou « dans la ligne »,
il
se range au nouveau conformisme. Dans telles grandes capitales d’Euro
163
s en donnait à l’Église, afin de s’éviter, disent-
ils
, les pires ennuis. Si ces abus vous font élever la voix, partout l’on
164
es dont la fonction serait de l’attaquer, d’où qu’
il
vienne. Mais ces lâchetés intellectuelles se parent des noms d’amour
165
r les remèdes ? Leur voix ne porte guère, tant qu’
elle
n’emprunte pas les haut-parleurs contrôlés par l’État ou par le parti
166
ces moyens, c’est aussi n’être plus entendu, car
il
s’agit de s’adapter, de se « mettre au pas » spontanément, au point q
167
uels s’inscrivent dans un parti et c’est là ce qu’
ils
appellent s’engager. Mais c’est en fait, pour la plupart d’entre eux,
168
sée soit efficace et douée d’une vertu agissante,
il
ne suffit pas que le penseur s’achète une étiquette ou un insigne. Et
169
hète une étiquette ou un insigne. Et cependant, s’
il
se tient seul dans l’intégrité de l’esprit, il fera figure de déserte
170
s’il se tient seul dans l’intégrité de l’esprit,
il
fera figure de déserteur… Ainsi privés de guides spirituels, les jeun
171
n’est pas mort avec celui qui lui donna son nom.
Il
se cherche, il se trouve d’autres « chefs bien-aimés »… Et là encore,
172
avec celui qui lui donna son nom. Il se cherche,
il
se trouve d’autres « chefs bien-aimés »… Et là encore, l’esprit total
173
ne crise de pessimisme et de mauvaise conscience.
Il
semble que l’idée de décadence, acclimatée avant la guerre par des pe
174
t de pressentiments de nos défaillances internes,
elle
se voit confirmée et comme objectivée par la rapide élévation de deux
175
inquiète et fatiguée, notre scepticisme lucide… ⁂
Il
se peut que le portrait de l’Europe que je viens d’esquisser devant v
176
. Et qu’enfin, vis-à-vis des êtres que l’on aime,
il
arrive qu’on manque d’indulgence… Faisons la part de ces travers ou d
177
ns la part de ces travers ou de ces exagérations.
Il
reste cependant un fait qui ne dépend à aucun degré de nos estimation
178
tion de l’Europe dans le monde s’est modifiée, qu’
elle
s’est même totalement renversée depuis l’automne de 1939. Avant cette
179
nents. L’Europe nous semblait donc plus grande qu’
elle
n’était. D’où l’effet de choc que produisit dans nos esprits, au lend
180
dont les ombres immenses s’affrontent au-dessus d’
elle
, rongée et ruinée sur ses bords, moralement refermée sur elle-même. I
181
tion qui s’étiole chez nous d’autant plus vite qu’
elle
grandit mieux ailleurs, chez les voisins où elle s’est transplantée.
182
’elle grandit mieux ailleurs, chez les voisins où
elle
s’est transplantée. Et tout se passe comme si l’excès où ils la porte
183
ransplantée. Et tout se passe comme si l’excès où
ils
la portent et l’abus qu’ils nous semblent en faire nous dégoûtaient d
184
e comme si l’excès où ils la portent et l’abus qu’
ils
nous semblent en faire nous dégoûtaient de son usage normal. Ainsi de
185
mment et pourquoi ces créations européennes n’ont-
elles
pas connu en Europe leur plein succès ? Et comment et pourquoi, hors
186
ccès ? Et comment et pourquoi, hors d’Europe, ont-
elles
subi cette croissance gigantesque ? Pourquoi n’ont-elles produit chez
187
ubi cette croissance gigantesque ? Pourquoi n’ont-
elles
produit chez nous ni tout leur bien, ni tout leur mal ? C’est qu’en E
188
leur bien, ni tout leur mal ? C’est qu’en Europe,
elles
se trouvaient toujours en état de composition, tandis qu’ailleurs, po
189
tion, tandis qu’ailleurs, pour le bien et le mal,
elles
se sont déployées sans frein ni contrepoids. Le capitalisme, chez nou
190
ez nous, n’a jamais pu donner son plein, parce qu’
il
était sans cesse bridé et contrarié par le nationalisme, par les guer
191
pas atteint chez nous leurs pires excès, parce qu’
ils
se trouvaient constamment retenus par des forces adverses, critiqués
192
s, définit l’équilibre humain qu’on nomme Europe.
Il
conditionne aussi notre culture. Et nous allons voir qu’il traduit, e
193
ionne aussi notre culture. Et nous allons voir qu’
il
traduit, et parfois aussi qu’il trahit, la conception européenne de l
194
us allons voir qu’il traduit, et parfois aussi qu’
il
trahit, la conception européenne de l’homme. Toute la question est de
195
etour possible, à vues humaines. Que nous reste-t-
il
donc en propre ? Un monopole unique : celui de la culture au sens le
196
s difficile à maintenir en état d’efficacité. Or,
il
s’en faut de beaucoup que les Européens soient unanimes à tenir activ
197
que. À tort ou à raison — je n’en juge pas ici —,
ils
s’imaginent que ces pays réalisent mieux que leur nation ce qu’ils at
198
ue ces pays réalisent mieux que leur nation ce qu’
ils
attendent eux-mêmes de la vie. Ainsi, ce ne sont pas seulement les id
199
si, dans cette conjoncture plus que défavorable,
il
est bien légitime de s’obstiner, de parler d’une défense de l’Europe,
200
re angoisse devant un héritage si compromis, sont-
elles
valables et sont-elles justifiables ? Ou bien ne sont-elles rien de m
201
éritage si compromis, sont-elles valables et sont-
elles
justifiables ? Ou bien ne sont-elles rien de mieux que les sentiments
202
bles et sont-elles justifiables ? Ou bien ne sont-
elles
rien de mieux que les sentiments égoïstes d’un vieux propriétaire dép
203
en termes tout à fait urgents et familiers, quand
ils
se demandent si c’est l’Europe ou l’Amérique qu’il leur faut souhaite
204
s se demandent si c’est l’Europe ou l’Amérique qu’
il
leur faut souhaiter pour leur enfant. Car nous pensons à notre Europe
205
pas assez de donner des ancêtres à ses enfants ;
ils
ont besoin d’un avenir aussi. Et de quel droit sacrifierais-je leurs
206
espoirs à mes souvenirs ? En défendant l’Europe,
il
s’agit donc de savoir si nous défendons plus et mieux que de belles r
207
par ces questions une réponse évidente et simple.
Elle
tient dans un très petit mot, vague et poignant : c’est le mot « âme
208
u nom de je ne sais quel nationalisme européen qu’
il
nous faut défendre l’Europe, mais au seul nom de l’humanité la plus c
209
faire voir une très solide réalité spirituelle. S’
il
est vrai que l’Europe, jusqu’à ce siècle, ne s’est guère sentie et co
210
, comme un corps organisé, c’est surtout parce qu’
elle
n’avait pas l’occasion de se comparer, de s’opposer et de se définir
211
n de se comparer, de s’opposer et de se définir ;
elle
était seule et reine de la planète. Mais en 1946, elle se voit affron
212
était seule et reine de la planète. Mais en 1946,
elle
se voit affrontée à deux empires. Du même coup elle ressent son unité
213
le se voit affrontée à deux empires. Du même coup
elle
ressent son unité et la définit par contraste comme celle d’une conce
214
sation bien huilée, sans histoire, et sans drame.
Il
s’ensuit que le héros européen sera l’homme qui atteint, dramatiqueme
215
i qui réussit, celui qui ne souffre plus parce qu’
il
s’est parfaitement adapté. L’homme exemplaire pour nous, c’est l’homm
216
ns le malheur de la passion, fût-ce dans l’échec.
Ils
visent à l’inconscience heureuse, et nous à la conscience à n’importe
217
e, et nous à la conscience à n’importe quel prix.
Ils
veulent la vie, nous des raisons de vivre, même mortelles. Voilà pour
218
on comme l’indice d’un mauvais fonctionnement, qu’
il
faut éliminer doucement ou brutalement pour arriver à l’unanimité, à
219
es rencontres seraient un four, ou un flop, comme
ils
disent. La diversité de nos points de vue inquiéterait l’auditeur plu
220
nos points de vue inquiéterait l’auditeur plus qu’
elle
ne l’intéresserait. L’Américain moyen demande une solution qu’il puis
221
serait. L’Américain moyen demande une solution qu’
il
puisse appliquer en sortant, là où nous cherchons avant tout un appro
222
us purs modèles, crucifié entre ces contraires qu’
il
a d’ailleurs lui-même définis : l’immanence et la transcendance, le c
223
re réduit à l’un ou à l’autre de ces termes. Mais
il
entend les assumer et consister dans leur tension, en équilibre toujo
224
énergies immenses. Et c’est pour cette raison qu’
elle
prévient parmi nous les entreprises et les plans gigantesques que nou
225
ue nous voyons proliférer ailleurs. D’autre part,
elle
a pour effet de concentrer sur l’homme lui-même, créateur ou victime
226
es institutions. Cet homme de la contradiction (s’
il
la domine en création) c’est celui que j’appelle la personne. Et ces
227
faculté de décision. C’est donc sur les élites qu’
il
importe d’agir. Ce sont elles que l’on peut utilement éveiller à la c
228
donc sur les élites qu’il importe d’agir. Ce sont
elles
que l’on peut utilement éveiller à la claire conscience des causes de
229
e même agonie permanente dont on vient de voir qu’
elle
est la condition de l’homme européen, la source vive de sa grandeur e
230
irent les requins capitalistes du dernier siècle,
il
crée dans la cité une anarchie. Cette anarchie ne tarde pas à provoqu
231
dans la cage du parti ou de l’État. À vrai dire,
il
ne l’a pas volé. Le bon moyen d’éviter ces excès d’engagement dans le
232
candinavie, Hollande et Grande-Bretagne. Parce qu’
ils
ont su devenir, en toute liberté, les plus sociaux, ils sont aussi le
233
t su devenir, en toute liberté, les plus sociaux,
ils
sont aussi les moins touchés, les moins tentés par le collectivisme a
234
e, quel que soit le vainqueur, aux dictatures. Or
il
n’en va pas autrement sur le plan de la communauté et de la politique
235
’unifier qui provoque leur refus de s’unir, c’est
elle
qui excite en eux la volonté morbide de s’enfermer dans leur différen
236
J’ai dit, et je ne le répéterai jamais assez, qu’
il
faut voir dans le nationalisme la maladie européenne, l’anti-Europe p
237
spèce de court-circuit dans la tension normale qu’
il
s’agit de maintenir entre le particulier et le général. D’une part, e
238
t alors on ne saurait plus parler d’union, puisqu’
il
n’y a plus rien à unir. D’autre part, il déclare souveraine la nation
239
, puisqu’il n’y a plus rien à unir. D’autre part,
il
déclare souveraine la nation unifiée de la sorte, qui se conduit alor
240
ut unir et non pas unifier. Et justement parce qu’
il
respecte à l’intérieur d’une nation la riche diversité des groupes, i
241
ieur d’une nation la riche diversité des groupes,
il
est prêt à s’ouvrir à des unions plus vastes. Il les appelle, il les
242
il est prêt à s’ouvrir à des unions plus vastes.
Il
les appelle, il les espère, il fait tout pour les amorcer, par la ver
243
’ouvrir à des unions plus vastes. Il les appelle,
il
les espère, il fait tout pour les amorcer, par la vertu de l’exemple
244
nions plus vastes. Il les appelle, il les espère,
il
fait tout pour les amorcer, par la vertu de l’exemple vécu. Telle est
245
qui a sécrété ce contagieux nationalisme, c’est à
elle
d’inventer son antidote. Elle est seule en mesure de le faire à cause
246
tionalisme, c’est à elle d’inventer son antidote.
Elle
est seule en mesure de le faire à cause de ses diversités ; et de le
247
uelles je me suis livré en débutant sont exactes,
il
peut paraître assez étrange de parler après cela d’une vocation de l’
248
vocation de l’Europe. Pour exercer une vocation,
il
faut d’abord être vivant, il faut survivre. Or l’Europe démoralisée,
249
xercer une vocation, il faut d’abord être vivant,
il
faut survivre. Or l’Europe démoralisée, coincée entre deux grands emp
250
bien plus encore que par ses vices, l’Europe a-t-
elle
des chances de vivre encore assez pour qu’il ne soit pas utopique d’e
251
-t-elle des chances de vivre encore assez pour qu’
il
ne soit pas utopique d’envisager sa fonction dans le monde, son aveni
252
fonction dans le monde, son avenir et le nôtre en
elle
? Pour ma part, j’entretiens une croyance toute mystique au sujet de
253
tenu en vie par la vie même de sa vocation, et qu’
il
tombe bientôt lorsqu’elle est accomplie. Or, notre vocation européenn
254
ême de sa vocation, et qu’il tombe bientôt lorsqu’
elle
est accomplie. Or, notre vocation européenne me paraît encore loin d’
255
Églises, autrefois, les redoutaient ; je pense qu’
elles
doivent aujourd’hui les nourrir, si cet esprit critique, ce scepticis
256
troisième raison d’espérer, ce sont les crises qu’
il
faut prévoir dans les deux empires du succès. Leurs plans, en effet,
257
systématique, de la complexité de l’homme total.
Ils
ne sont que des expériences, et le propre d’une expérience est de rat
258
duite, jusqu’ici, par les hiérarques soviétiques,
il
faut bien constater qu’ils ont contre eux beaucoup de réalités humain
259
hiérarques soviétiques, il faut bien constater qu’
ils
ont contre eux beaucoup de réalités humaines, qui gênent l’exécution
260
qui gênent l’exécution de leurs plans rationnels.
Il
faut bien constater que presque tout les gêne : l’esprit critique les
261
, a justement vécu de toutes ces choses gênantes,
elle
s’arrange à merveille de leur complexité ; elle y voit même la saveur
262
, elle s’arrange à merveille de leur complexité ;
elle
y voit même la saveur de la vie ! Tout cela va compter — à la longue.
263
Tout cela va compter — à la longue. Un beau jour,
il
n’est pas impossible, il est même probable, et c’est là mon espoir, q
264
la longue. Un beau jour, il n’est pas impossible,
il
est même probable, et c’est là mon espoir, que les Russes, comme les
265
rtout si on la compare aux deux empires séparés d’
elle
, et que je nomme les deux empires sans précédent — l’Europe est la pa
266
précédent — l’Europe est la patrie de la mémoire.
Elle
est même, pratiquement, la mémoire du monde, le lieu du monde où l’on
267
est parce que l’Europe est la mémoire du monde qu’
elle
ne cessera pas d’inventer. Elle restera le point de virulence extrême
268
moire du monde qu’elle ne cessera pas d’inventer.
Elle
restera le point de virulence extrême de la création spirituelle, ce
269
mmes de la planète. Mais, riches d’avenir… oui, s’
il
est un avenir, non seulement pour l’Europe, mais pour le monde. Dans
270
e mesure, qui est celle du réalisme politique, et
il
fallait tout de même que ce fût dit ici, la question de l’avenir du m
271
ne s’entendent pas, si la guerre atomique éclate,
il
n’y a plus de problème de l’Europe, et d’une façon plus générale, il
272
oblème de l’Europe, et d’une façon plus générale,
il
n’y a peut-être plus de problème de l’ici-bas, mais seulement du juge
273
nationalisme aux dimensions continentales. Ce qu’
il
nous faut demander, et obtenir, nous tous, c’est que les nations euro
274
— ouvrant l’Europe au monde, du même coup. Ce qu’
il
nous faut demander et obtenir — obtenir de nous-mêmes tout d’abord —
275
— c’est que le génie de l’Europe découvre, et qu’
il
propage, les antitoxines des virus dont il a infesté le monde entier.
276
et qu’il propage, les antitoxines des virus dont
il
a infesté le monde entier. Il n’y a de fédération européenne imaginab
277
ines des virus dont il a infesté le monde entier.
Il
n’y a de fédération européenne imaginable qu’en vue d’une fédération
278
e imaginable qu’en vue d’une fédération mondiale.
Il
n’y a de paix et donc d’avenir imaginable que dans l’effort pour inst
279
nventif. La pensée du monde, c’est l’Europe. Et s’
il
s’agit vraiment de penser, que penser d’autre pour la paix, je vous l
280
s temporels, justement contestés par l’État. Puis
elles
eurent à défendre leurs pouvoirs spirituels, certains États s’étant l
281
théologiques traditionnelles. Quant aux fidèles,
ils
avaient à se défendre contre la menace quotidienne, innombrable, et s
282
ie entre les sociétés laïques et les Églises ; qu’
il
a brusquement mis à nu l’État minoritaire des chrétiens ; qu’il les a
283
nt mis à nu l’État minoritaire des chrétiens ; qu’
il
les a attaqués de front au nom des principes non chrétiens (comme le
284
rincipes non chrétiens (comme le nationalisme) qu’
ils
croyaient pouvoir tolérer ; qu’il a été abattu finalement, dans ses f
285
tionalisme) qu’ils croyaient pouvoir tolérer ; qu’
il
a été abattu finalement, dans ses formes déclarées et spectaculaires
286
e réelle devant l’assaut de dictatures barbares :
elle
s’est reconnue impuissante à donner des buts de vie, des idéaux, une
287
re que l’époque de la défensive est terminée pour
elles
, dans notre temps, c’est poser aux Églises chrétiennes un dilemme trè
288
ser aux Églises chrétiennes un dilemme très net :
il
ne leur reste plus qu’à s’endormir, ou bien à passer à l’attaque. ⁂ C
289
de Trente Ans ne ressemble guère à une victoire,
il
faut bien le dire. Les nations qui ont perdu la guerre ont tout perdu
290
; mais celles qui l’ont gagnée n’ont rien gagné :
elles
ont seulement repoussé une menace, au prix de sacrifices presque auss
291
ix de sacrifices presque aussi grands que ceux qu’
elles
eussent été contraintes de subir en se rendant. (Dans ce « presque »
292
d’hui, de réfuter les arguments de l’incroyance :
elles
ont, tout simplement à donner leurs croyances, avec une agressive naï
293
ffre un type de relations humaines viables, comme
elle
le fit aux siècles sombres, avant la floraison du Moyen Âge, qui fut
294
ant la floraison du Moyen Âge, qui fut son œuvre.
Il
s’agit de restaurer le sens de la communauté vivante, que le gigantis
295
fre un type de relations culturelles viables ; qu’
elle
ose de nouveau soutenir et guider une avant-garde intellectuelle, au
296
a culture vivante, laissant celle-ci désorientée.
Il
s’agit que nos théologiens adoptent une politique d’intervention, et
297
— est sortie des églises et des couvents. Hélas,
elle
en est bien sortie ! Il est temps que nous sortions à sa recherche po
298
et des couvents. Hélas, elle en est bien sortie !
Il
est temps que nous sortions à sa recherche pour la ramener ! 3° Que l
299
chrétiens confondent aujourd’hui la vertu ; et qu’
elle
restaure chez les fidèles le sens de la vocation personnelle, seul fo
300
importance politique capitale dans notre siècle :
il
peut offrir le modèle même d’une union mondiale dans le respect des d
301
le respect des diversités nationales. Que dis-je,
il
peut ! Il le doit, et de toute urgence ! S’il y échoue, je ne vois au
302
des diversités nationales. Que dis-je, il peut !
Il
le doit, et de toute urgence ! S’il y échoue, je ne vois aucune raiso
303
je, il peut ! Il le doit, et de toute urgence ! S’
il
y échoue, je ne vois aucune raison d’attendre autre chose, pour le mo
304
drer l’action chrétienne. Celle-ci se fera, comme
elle
s’est toujours faite, par des personnes et par des petits groupes ; p
305
nt l’air de rien ; par des hommes dont on dira qu’
ils
exagèrent, qu’ils rêvent, qu’ils n’ont pas le sens commun, qu’ils voi
306
par des hommes dont on dira qu’ils exagèrent, qu’
ils
rêvent, qu’ils n’ont pas le sens commun, qu’ils voient trop grand… Pe
307
dont on dira qu’ils exagèrent, qu’ils rêvent, qu’
ils
n’ont pas le sens commun, qu’ils voient trop grand… Peut-être même pa
308
u’ils rêvent, qu’ils n’ont pas le sens commun, qu’
ils
voient trop grand… Peut-être même par des petites revues comme celle-
309
lui qui a reçu de Dieu une vocation précise », et
il
ajoute : « toute vocation est sans précédent, et paraît donc ‟invrais
310
ffection du genre communément appelé necking 4. S’
il
est vrai que tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il s’agit là d’
311
vrai que tout le monde s’accorde à reconnaître qu’
il
s’agit là d’un passe-temps absorbant et plaisant, il est non moins gé
312
s’agit là d’un passe-temps absorbant et plaisant,
il
est non moins généralement admis que ce n’est pas un sport public et
313
ne regardée, et que vous tentez de formuler ce qu’
il
évoque dans votre esprit comme type de civilisation, j’imagine que vo
314
trouvons deux morales également admises, semble-t-
il
, l’une faite de vices et de vertus, comme chez nous, mais l’autre éta
315
Rien de plus rare qu’une passion véritable, car
elle
suppose une très grande force d’imagination créatrice ; des dispositi
316
r la croyance en la valeur unique de chaque être.
Il
suppose un objet irremplaçable et comme prédestiné par un acte divin.
317
e inconsciente de l’atmosphère du Nouveau Monde :
elles
en peignent le négatif. L’Américain me paraît peu doué pour les raffi
318
n est peut-être plus saine que la nôtre. En bref,
il
n’aime point souffrir, et tient pour perversion ce goût de la torture
319
nt de preuves que l’affaire est mal engagée et qu’
il
ferait bien d’y renoncer. Si quelque drame se noue dans sa vie, malgr
320
Si quelque drame se noue dans sa vie, malgré lui,
il
n’a de cesse qu’il n’en sorte au plus vite, par une dépêche d’adieu,
321
noue dans sa vie, malgré lui, il n’a de cesse qu’
il
n’en sorte au plus vite, par une dépêche d’adieu, un voyage, un divor
322
e de l’être ou des circonstances qui les causent.
Il
n’a pas le goût de la durée intense. C’est tout de suite ou jamais. C
323
n’est pas vous ce soir, c’était donc une erreur.
Ils
ne croient guère à la valeur unique d’un être, — et il est vrai qu’il
324
croient guère à la valeur unique d’un être, — et
il
est vrai qu’il faut beaucoup de soins, de temps perdu, de complaisanc
325
à la valeur unique d’un être, — et il est vrai qu’
il
faut beaucoup de soins, de temps perdu, de complaisance et de folies
326
cide par amour existait aux États-Unis : non, dit-
elle
, si nous nous suicidons au lendemain d’une rupture ou d’une trahison,
327
du mariage et des « moms » Dans un tel monde,
il
ne subsiste que deux solutions praticables : le mariage, ou l’affair
328
ticables : le mariage, ou l’affair d’un soir (car
ils
appellent affair tout autre chose que le business comme nous disons).
329
américaine est une institution d’un type nouveau.
Il
se fonde sur l’égalité économique et légale des conjoints, donnant ai
330
la bourse, en l’occurrence, le carnet de chèques.
Elle
ne se borne pas à choisir les rideaux, mais la maison, et même l’auto
331
s la maison, et même l’auto. Je vois la preuve qu’
elle
se sent responsable et autonome (ou un peu plus) dans cette ardeur in
332
de sa main (et un peu plus). On ne saurait dire d’
elle
, comme de l’Européenne, par, métaphore idéaliste, qu’elle règne au se
333
mme de l’Européenne, par, métaphore idéaliste, qu’
elle
règne au sein de son foyer ; car elle règne, tout simplement, dans to
334
éaliste, qu’elle règne au sein de son foyer ; car
elle
règne, tout simplement, dans toute la vie, et le foyer n’est qu’une p
335
et le foyer n’est qu’une partie de ses domaines.
Il
s’agit de l’aménager pour qu’il fonctionne au service de tout le rest
336
de ses domaines. Il s’agit de l’aménager pour qu’
il
fonctionne au service de tout le reste : la carrière du mari et la si
337
hygiène des enfants, les relations sociales. Pour
elle
, point d’esclavage des routines domestiques : ce serait être esclave
338
er la femme des soucis qui l’absorbent chez nous.
Il
est étrange que nous parlions toujours de leur « matérialisme » à ce
339
ue geste, et chaque moue de la femme manifeste qu’
elle
sait ce qu’on lui doit. Comme elle est installée dans la vie ! Elle s
340
e manifeste qu’elle sait ce qu’on lui doit. Comme
elle
est installée dans la vie ! Elle s’y avance avec l’autorité, souvent
341
lui doit. Comme elle est installée dans la vie !
Elle
s’y avance avec l’autorité, souvent polie, mais parfois un peu plus q
342
ce la mécontente pour quelque raison mystérieuse,
elle
ne fera pas de scène criarde, mais affichera un silence offensé qui s
343
fensé qui signifie à son mari d’intervenir, sinon
elle
va se lever et sortir d’un pas vif, le menton haut, les cheveux au ve
344
ie quotidienne d’un ménage ou d’une rue citadine.
Elle
s’enracine profondément dans la psychologie et dans l’économie améric
345
ue le système de l’héritage les favorise, soit qu’
elles
montrent en affaires comme ailleurs une efficiency sans égale. Nous s
346
orgone du matriarcat américain. MOM est partout,
elle
est tout et dans tous, et d’elle dépend le reste des États-Unis. Dégu
347
MOM est partout, elle est tout et dans tous, et d’
elle
dépend le reste des États-Unis. Déguisée en bonne vieille ; mom, chèr
348
mom, chère vieille mom, votre mom aimante, etc.,
elle
est la fiancée à tous les enterrements, le cadavre à tous les mariage
349
fixée sur la mère dévorante. Sans nul doute faut-
il
voir dans ce mythe de la Mère la tragédie secrète d’une civilisation
350
s d’alcooliques qu’aucune autre. Dans la femme qu’
il
épouse, le jeune Américain, inconsciemment, cherche la mère. Il la se
351
jeune Américain, inconsciemment, cherche la mère.
Il
la sert, elle l’endort et le semonce. Au culte qu’il est censé lui re
352
ain, inconsciemment, cherche la mère. Il la sert,
elle
l’endort et le semonce. Au culte qu’il est censé lui rendre, elle rép
353
la sert, elle l’endort et le semonce. Au culte qu’
il
est censé lui rendre, elle répond dans le meilleur des cas par cette
354
le semonce. Au culte qu’il est censé lui rendre,
elle
répond dans le meilleur des cas par cette espèce de loyauté que le su
355
n jadis accordait au vassal. Et ce n’est point qu’
elle
soit moins capable qu’une autre d’amour, de tendresse ou même d’aveug
356
de l’homme à son égard est faite pour éveiller en
elle
le goût de la liberté et de l’autonomie, comme elle dira ; entendons
357
le le goût de la liberté et de l’autonomie, comme
elle
dira ; entendons bien : de la domination. Ainsi la femme se virilise
358
e virilise à la mesure de ce que l’homme attend d’
elle
. Frustrée sans le savoir dans sa féminité, elle se révolte contre sa
359
d’elle. Frustrée sans le savoir dans sa féminité,
elle
se révolte contre sa condition, fait de nécessité vertu, prend en mai
360
l’homme, cause du mal et victime peu consciente,
il
se réfugie dans son club ou parmi les copains du bar voisin. La journ
361
entre mari et femme, et sans doute n’en souffrent-
ils
guère. Lui déjeune avec ses collègues en vingt minutes, près de son b
362
collègues en vingt minutes, près de son bureau ;
elle
, dans un restaurant où des centaines de femmes, par tablées, composen
363
ouple quelques instants pour la chasse au taxi, s’
ils
sortent ensemble. Et le reste, souvent, se perd dans les alcools. Tou
364
que n’avait qu’un goût modéré pour la femme, dont
il
ne serait que la conquête plus ou moins résignée ou satisfaite. Certa
365
idaire. Mais alors le mari perd en autorité ce qu’
il
gagne en intimité. Il se peut que les mariages de ce type — où l’homm
366
mari perd en autorité ce qu’il gagne en intimité.
Il
se peut que les mariages de ce type — où l’homme joue le rôle de la m
367
n règle générale. Aux yeux de la morale courante,
il
apparaît bien moins sous l’aspect d’un désordre social que sous l’asp
368
te, — ou simplement la permission de se remarier.
Il
arrive que le nouveau mariage ne soit séparé du divorce que par le te
369
n bien arrêtée de vivre désormais dans le Nevada.
Il
y reste six semaines, à l’hôtel, est alors déclaré résident, obtient
370
dix minutes, quitte les lieux l’instant d’après.
Il
n’y reviendra jamais, bien entendu, sauf s’il divorce une seconde foi
371
ès. Il n’y reviendra jamais, bien entendu, sauf s’
il
divorce une seconde fois. Cette éventualité, d’ailleurs, doit être en
372
qui n’étonne plus : « lui pour la troisième fois,
elle
pour la quatrième. » Motif : mental cruelty (nous disons : « incompat
373
ur »). Mais on en trouvera d’autres, plus précis.
Il
n’aimait que la cuisine du Nord, elle lui servait des ratatouilles à
374
plus précis. Il n’aimait que la cuisine du Nord,
elle
lui servait des ratatouilles à la mode de la Louisiane : divorce acco
375
la mode de la Louisiane : divorce accordé. Dès qu’
elle
tombait malade, il faisait venir à la maison un entrepreneur des pomp
376
ne : divorce accordé. Dès qu’elle tombait malade,
il
faisait venir à la maison un entrepreneur des pompes funèbres et des
377
mpes funèbres et des couronnes : divorce accordé.
Il
se frappait la tête contre les parois et lui mordait souvent les jamb
378
se donne libre carrière dans ce domaine, comme si
elle
excusait tout parce qu’elle amuse. Vous penserez que ce n’est pas sér
379
ce domaine, comme si elle excusait tout parce qu’
elle
amuse. Vous penserez que ce n’est pas sérieux, et peut-être aurez-vou
380
que ses mariages manquent de sens et de sérieux.
Il
n’y entre pas pour toute la vie, mais pour un bail de « trois-six-neu
381
ier pour la première fois ! » Deux ans plus tard,
elle
était à Reno et se remariait, « elle pour la seconde fois, lui pour l
382
s plus tard, elle était à Reno et se remariait, «
elle
pour la seconde fois, lui pour la quatrième ». Cependant, j’en revien
383
ère recoller tant bien que mal le ménage, afin qu’
il
puisse encore offrir à l’opinion une façade de normalité. En Amérique
384
mœurs sexuelles du Nouveau Monde. J’ajouterai qu’
elle
les détermine principalement par les réactions qu’elle provoque une f
385
les détermine principalement par les réactions qu’
elle
provoque une fois refoulée dans l’inconscient de la plus composite de
386
et comme je demandais à quelques étudiants ce qu’
ils
entendaient par là, l’un d’eux me dit : « Décent est l’homme qui tien
387
opéen s’étonne de ne point trouver trace de ce qu’
il
nommait libertinage. L’Américain, me semble-t-il, n’est pas vicieux.
388
’il nommait libertinage. L’Américain, me semble-t-
il
, n’est pas vicieux. Il est moral ou sans morale, mais bien rarement i
389
. L’Américain, me semble-t-il, n’est pas vicieux.
Il
est moral ou sans morale, mais bien rarement immoraliste. Ce qu’il ig
390
ans morale, mais bien rarement immoraliste. Ce qu’
il
ignore, c’est ce mélange de scrupules et de goût de les violer, de se
391
mblerait un peu fade à nos romanciers de l’amour.
Il
reste chaste ou se comporte en animal irresponsable, mimant une sorte
392
quisser donneraient matière à tout un livre. Mais
il
me paraît vain de l’écrire, car l’Amérique est en pleine transition,
393
ine transition, à cet égard plus qu’à tout autre.
Il
convient donc de n’indiquer qu’à la volée quelques remarques dont on
394
la volée quelques remarques dont on reconnaît qu’
elles
sont par nature discutables. Certains critiques américains déclarent
395
e la jeunesse de leur pays est sex-obsessed, mais
il
se peut qu’elle soit tout simplement sexy, et que l’obsession n’exist
396
de leur pays est sex-obsessed, mais il se peut qu’
elle
soit tout simplement sexy, et que l’obsession n’existe que chez lesdi
397
ropéens penseraient plutôt de la même jeunesse qu’
elle
manque de vraie sensualité. Ils croient sentir entre les sexes une so
398
même jeunesse qu’elle manque de vraie sensualité.
Ils
croient sentir entre les sexes une sourde hostilité, qu’ils attribuen
399
t sentir entre les sexes une sourde hostilité, qu’
ils
attribuent naturellement à l’action des tabous puritains, refoulés da
400
olie, viendraient à l’appui de cette thèse ; mais
il
ne faut pas oublier l’influence beaucoup plus directe et contrôlable
401
lète, désaffection mutuelle des deux sexes. (Vont-
ils
mourir chacun de leur côté, selon la prophétie de Vigny, fatigués de
402
ouvelle ». Le danger n’est sans doute pas là. Car
il
est très possible qu’au contraire de ce que pensent la jeunesse améri
403
ixées par le Comité Hays, — le jeune Américain, s’
il
trouve une voie saine et quelques disciplines praticables, sera vraim
404
l’objet d’une grâce spéciale. Or c’est bien ce qu’
il
pense être, étant Américain. Je ne l’observe pas sans inquiétude ; no
405
utôt journalistes. Quant à leurs femmes et amies,
elles
m’ont paru cultiver le genre des nihilistes russes d’antan. La plupar
406
en parlent. À lire les revues ou little mags où
ils
écrivent, à les voir chez eux ou ensemble, j’éprouve une sorte de tri
407
ux ou ensemble, j’éprouve une sorte de tristesse.
Ils
paraissent encore moins intégrés que leurs confrères européens à la v
408
crits, avec une sorte de nostalgie à la Lawrence.
Ils
jugent en général trop formalistes ou rhétoriques nos poèmes et nos e
409
s. Oh ! ce n’est pas un reproche aussi violent qu’
il
vous paraît. Je veux dire que l’on sent chez vous un tel souci de la
410
is émue de la « vie »… On ne sait trop. Le savent-
ils
eux-mêmes ? L’exigence que nous gardons encore de dégager, d’explicit
411
n des mots qui leur fait le plus peur. Mais quand
ils
décident de penser, ils tournent aussitôt au pédant germanique et jug
412
le plus peur. Mais quand ils décident de penser,
ils
tournent aussitôt au pédant germanique et jugent mundane ou irrespons
413
livre est très bien, je voudrais le publier, mais
il
a le malheur de porter sur les années 1935 et 1936. Or le public veut
414
it venir ce matin : — En tant que citoyen, me dit-
il
, il serait de mon devoir de publier ce livre. Mais en tant qu’éditeur
415
enir ce matin : — En tant que citoyen, me dit-il,
il
serait de mon devoir de publier ce livre. Mais en tant qu’éditeur, ce
416
imagine très bien ! Mais le public est simpliste,
il
attend des jugements entiers. Quitte à ne pas savoir ce qu’il juge, n
417
s jugements entiers. Quitte à ne pas savoir ce qu’
il
juge, ni pourquoi… Quitte à rivaliser d’intolérance brutale avec ceux
418
te à rivaliser d’intolérance brutale avec ceux qu’
il
croit condamner… N’est-ce pas cela, le vrai danger totalitaire, dans
419
liste militant, polémiste sérieux et sarcastique,
il
mène campagne pour l’intervention de l’Amérique dans le conflit. Une
420
e virulente et dense, Christianity and Crisis, qu’
il
vient de fonder, s’efforce de combattre l’inertie des Églises, demeur
421
pour être vrai », dit-on des récits de réfugiés.
Il
en résulte qu’on collabore avec les partisans sournois d’Hitler, de M
422
trouve un grand jeune homme assis sur l’escalier.
Il
m’attendait. Il m’entraîne au café. Il avait des questions à me poser
423
jeune homme assis sur l’escalier. Il m’attendait.
Il
m’entraîne au café. Il avait des questions à me poser au sujet d’un d
424
’escalier. Il m’attendait. Il m’entraîne au café.
Il
avait des questions à me poser au sujet d’un de mes livres dont il de
425
tions à me poser au sujet d’un de mes livres dont
il
devra parler au séminaire de littérature. Que veut-il donc savoir ? S
426
evra parler au séminaire de littérature. Que veut-
il
donc savoir ? Simplement si c’est vrai. S’il est vrai que j’ai vécu c
427
veut-il donc savoir ? Simplement si c’est vrai. S’
il
est vrai que j’ai vécu ce que j’écris. C’est la question que je préfè
428
ns le hall, la chambre de Thoreau avec son lit qu’
il
avait fabriqué lui-même. Au crépuscule, j’aime errer sur les quais, l
429
ner un chiffre total supérieur à 135. Le génie, s’
il
est physicien par exemple, n’en sera pas moins un spécialiste de Kier
430
de Kierkegaard ou de Kafka, à l’analyse desquels
il
appliquera les théories de la logistique de Vienne, à moins qu’il ne
431
s théories de la logistique de Vienne, à moins qu’
il
ne préfère les aborder en sociologue postmarxiste ou en freudien hété
432
ou en freudien hétérodoxe. Une fois sacré génie,
il
a sa carrière faite. Les jeunes professeurs le vénèrent, on lui décer
433
ne des bourses, on lui offre des chaires avant qu’
il
ait terminé ses études. La plupart sont des monstres modestes. J’en a
434
it un sandwich et c’était un spectacle fascinant.
Il
l’avait découpé en rectangles égaux, et l’absorba sans le regarder, c
435
omme on résout un petit problème de logique pure.
Il
portait une mouche au menton. Le second était ivre. Le troisième parl
436
. On ne peut pas « se débrouiller » avec moins qu’
il
ne faut. Et je touche ici la limite des fameuses libertés américaines
437
rgeois, celui que revendiquent les ouvriers et qu’
ils
atteignent presque tous ici, quand les Russes ne font qu’en parler. M
438
es ne font qu’en parler. Mais les intellectuels ?
Ils
n’ont de choix qu’entre le journalisme et le professorat. Or je répug
439
ux, vont et viennent sur ce toit en lisant. Comme
il
n’y a ni mur, ni barrière, il faut craindre à chaque fois qu’elles fa
440
it en lisant. Comme il n’y a ni mur, ni barrière,
il
faut craindre à chaque fois qu’elles fassent un pas de trop, et tombe
441
r, ni barrière, il faut craindre à chaque fois qu’
elles
fassent un pas de trop, et tombent dans le vide, pour peu que leur le
442
éparses. À sept heures, je me suis mis à écrire.
Il
est dix heures et j’ai devant moi les trois premiers chapitres termin
443
Avenue. La salle étroite et profonde paraît vide.
Il
doit être environ neuf heures et demie. J’hésite sur le seuil : va-t-
444
marqué, je l’entends dire : « Voilà le diable ! »
Ils
se retournent à demi et rient. J’ai fui. Pas d’autre restaurant dans
445
nue. Exorciser en moi la part du diable, celle qu’
il
a sans doute prise à mon ouvrage. Idée bizarre : si j’ai si vite bouc
446
comme le monde est une vitrine, en bonne partie,
il
doit être possible de déterminer le degré de fortune ou d’infortune d
447
té, j’ignorais quelle affaire, mais je sentais qu’
il
fallait rentrer. J’ouvre ma porte et j’entends le téléphone. C’est un
448
ng et joue le rôle de ministère de l’Information.
Il
peut être amusant de noter pour plus tard la composition de notre équ
449
raît vers cinq heures au fond de la grande salle.
Il
vient nous prêter sa voix noble, agrémentée d’un léger sifflement, ma
450
oix noble, agrémentée d’un léger sifflement, mais
il
garde pour lui son port de tête et sa présence d’esprit indiscernable
451
re orageuse ! Mais l’Amérique n’est pas son fort.
Il
y tient le succès à distance, laissant à Salvador Dali, qu’il appelle
452
e succès à distance, laissant à Salvador Dali, qu’
il
appelle Avida Dollars, le soin de faire monnaie d’une étiquette plus
453
re des groupes qui bavardent… Passe Julien Green,
il
apporte son texte sur la vie dans les camps d’entraînement. Il a trou
454
n texte sur la vie dans les camps d’entraînement.
Il
a trouvé le moyen de se rendre plus invisible encore à force de discr
455
dront : La Voix de l’Amérique parle aux Français.
Il
est temps que je recueille et dépouille les directives de Washington,
456
ur l’oreille et le front maculé d’encre à copier.
Il
me cherche du regard par-dessus ses lunettes. Il tient une liasse de
457
Il me cherche du regard par-dessus ses lunettes.
Il
tient une liasse de documents, les feuillette rapidement, comme sans
458
bureaux presque déserts. Téléphone de Bernstein,
il
voudrait bien savoir un peu ce qui se passe… « N’êtes-vous pas l’aute
459
que j’en sois la victime. » Sur quoi, peut-être,
il
serait temps d’aller à ce dîner, n’était-ce pas pour huit heures ? Qu
460
alheurs de sa France… Juin 1942 La guerre va mal,
il
faut le dire, et persuader l’Europe qu’elle ira bien demain. La campa
461
va mal, il faut le dire, et persuader l’Europe qu’
elle
ira bien demain. La campagne sous-marine bat son plein, Tobrouk tombe
462
rance. » Juillet 1942 Saint-John Perse. — Lorsqu’
il
est arrivé en Amérique, il n’a paru de lui qu’une seule photo, encore
463
t-John Perse. — Lorsqu’il est arrivé en Amérique,
il
n’a paru de lui qu’une seule photo, encore était-elle prise de dos. (
464
n’a paru de lui qu’une seule photo, encore était-
elle
prise de dos. (Mais ce trait justement le révélait.) Penché à un balc
465
ne tour, dominant le paysage épique de Manhattan,
il
se refusait à l’interview. À Washington, il vit dans deux petites piè
466
ttan, il se refusait à l’interview. À Washington,
il
vit dans deux petites pièces banales, accueillant un à un, mais longu
467
a planète. Mais l’un questionne et l’autre parle.
Il
parle de Briand qu’il a servi longtemps, et qui n’a jamais su qu’il y
468
uestionne et l’autre parle. Il parle de Briand qu’
il
a servi longtemps, et qui n’a jamais su qu’il y avait Saint-John Pers
469
su qu’il y avait Saint-John Perse ; d’Hitler dont
il
a regardé les yeux de près et qu’il décrit en termes médicaux ; de Re
470
d’Hitler dont il a regardé les yeux de près et qu’
il
décrit en termes médicaux ; de Reynaud qui l’a renvoyé sous la pressi
471
ses nuances, plus naturellement mémorable. Quand
il
vient à New York pour quelques jours, il se promène interminablement,
472
e. Quand il vient à New York pour quelques jours,
il
se promène interminablement, suivant au long d’avenues anonymes des c
473
un très jeune chien tremblant. C’est un boxer qu’
il
baptise Annibal. Je lui apprends à marcher en laisse, sur la plage. 1
474
n laisse, sur la plage. 18 août 1942 Peut-être qu’
il
n’est pas de bonheur plus conscient que celui de l’enfance retrouvée
475
plus sale qu’une ville dont la foule transpire ?
Il
faut être fou pour rentrer… Mais à l’Office, notre travail s’intensif
476
arinade8, mais que lorsqu’on la voit de ses yeux,
elle
donne une sensation directe de la victoire inévitable. Leur répéter c
477
é est absolue. Washington part de l’idée juste qu’
il
n’est pas de mensonge, si pieux mensonge soit-il, qui ne serve Hitler
478
’il n’est pas de mensonge, si pieux mensonge soit-
il
, qui ne serve Hitler en fin de compte. J’écris vingt à trente pages p
479
n ne saurait plus le faire sortir de Bevin House.
Il
s’est remis à écrire un conte d’enfants qu’il illustre lui-même à l’a
480
se. Il s’est remis à écrire un conte d’enfants qu’
il
illustre lui-même à l’aquarelle. Géant chauve, aux yeux ronds d’oisea
481
s hauts parages, aux doigts précis de mécanicien,
il
s’applique à manier de petits pinceaux puérils et tire la langue pour
482
rd en montrant ce dessin : c’est moi ! » Le soir,
il
nous lit les fragments d’un livre énorme (« Je vais vous lire mon œuv
483
lire mon œuvre posthume ») et qui me paraît ce qu’
il
a fait de plus beau. Tard dans la nuit je me retire épuisé (je dois r
484
e dois rentrer pour neuf heures à New York), mais
il
vient encore dans ma chambre fumer des cigarettes et discuter le coup
485
et discuter le coup avec une rigueur inflexible.
Il
me donne l’impression d’un cerveau qui ne peut plus s’arrêter de pens
486
it-ce l’influence de l’Amérique en général ? Mais
elles
convergent ou même s’identifient. Je constate que j’hésite ou répugne
487
traduisibles, au sens le plus large du terme. Car
il
ne s’agit pas seulement, pour moi, d’écrire en vue d’une traduction a
488
ns les deux cas, les exigences sont les mêmes. Et
elles
impliquent le renoncement à toutes ces coquetteries de style imitées
489
lais retombent à plat, à la radio font parasites.
Il
faut sauter dans le vif d’un sujet, sans précautions de langage ni fa
490
rs français contemporains : n’importe qui dira qu’
ils
« écrivent bien », parce que leurs élégances restent cousues de fil b
491
orte le transport. Les choses que l’on publie, si
elles
sont importantes, le sont soit par nature, soit par position. Elles l
492
ntes, le sont soit par nature, soit par position.
Elles
le sont en vertu de leur qualité, originalité, beauté, vérité intrins
493
e confère de l’importance à la moindre opinion qu’
il
exprime — par position. (Et c’est le signe de la gloire moderne.) Il
494
sition. (Et c’est le signe de la gloire moderne.)
Il
entre dans le domaine public, dans la banalité au sens propre du term
495
s valeurs encore inéchangeables cette année. Mais
il
convient de les maquiller un peu, pour qu’elles circulent, précisémen
496
Mais il convient de les maquiller un peu, pour qu’
elles
circulent, précisément.) Le monde actuel pressent qu’il a besoin de m
497
culent, précisément.) Le monde actuel pressent qu’
il
a besoin de maîtres et de directeurs de conscience, plutôt que de mon
498
ence, plutôt que de monstres précieux. Cependant,
il
faut commencer par être un monstre, si l’on veut mériter quelque maît
499
îtrise. Toute création est en soi monstrueuse, qu’
il
s’agisse de l’automobile, du sourire de la Joconde, ou des Variations
500
ndre ma vie, pas à pas dans les bois solitaires ?
Il
se peut qu’on m’envoie bientôt en Afrique du Nord, et de là… Et j’épr
501
’être. Comment lui résisterait-on ? C’est un ami.
Il
vous a reçus d’abord et vous a proposé ses façons et usages qu’il con
502
d’abord et vous a proposé ses façons et usages qu’
il
convenait d’aimer. Bientôt, s’il voit que vous restez là, il change u
503
ons et usages qu’il convenait d’aimer. Bientôt, s’
il
voit que vous restez là, il change un peu : vous n’êtes plus l’invité
504
t d’aimer. Bientôt, s’il voit que vous restez là,
il
change un peu : vous n’êtes plus l’invité mais un client, et qui devr
505
Des gens frappés par le malheur, où que ce soit,
il
y en a toujours trop. Cependant notre sort vous paraissait enviable,
506
éfendre l’esprit, — qui était pourtant tout ce qu’
il
restait à défendre par nous, dans l’exil… 6. Quartier du bas de la
507
beaucoup d’écrivains et surtout de peintres. 7.
Il
s’agit du livre intitulé La Part du diable , qui devait paraître à N
508
ris par les chantiers maritimes de Henry Kaiser :
il
se proposait de réduire le temps de construction d’un cargo Liberty d
509
rty de trente-six jours à quatorze, puis à cinq !
Il
y parvint. i. Rougemont Denis de, « Journal d’un intellectuel en ex
510
’il y a bien six ans j’ai connu Carson McCullers.
Elle
avait l’air d’une toute jeune fille montée en graine, avec ses petits
511
t que sans sa mère qui l’accompagnait ce jour-là,
elle
ne ferait pas deux pas toute seule dans la ville. Je la félicitai sur
512
enait de paraître — écrit entre 19 et 22 ans — et
elle
me dit merci, bien sérieusement selon la coutume des femmes américain
513
nces d’écrivains, tout au Nord, près de Saratoga.
Elle
me tend de ses mains tremblantes une petite coupure de journal : son
514
sé lors du débarquement en Normandie. Aujourd’hui
elle
est à Paris, inaugurant avec Kay Boyle et Richard Wright — qui fut le
515
tend jamais vers la formule ou le système, comme
elle
ferait irrésistiblement chez un Français. (« Trouver le lieu et la fo
516
Trouver le lieu et la formule », disait Rimbaud.)
Elle
ne se décante pas, reste immergée dans le symbolisme ambigu des carac
517
s y dégage une espèce de lyrisme « global », mais
elle
augmente aussi l’incertitude. Or ce n’est pas l’angoisse, comme on le
518
u une promesse qui peut nous concerner, mais dont
il
nous est impossible d’évaluer la portée concrète ? Savoir d’abord l
519
restera pas sans conséquences, mais lesquelles ?
Il
n’est pas un de ces faits, grands ou petits, moral, économique, cultu
520
s nations d’Europe et sur nos vies individuelles.
Il
n’est pas un de ces faits qu’on puisse analyser à l’aide de nos catég
521
glisser vers l’insanité ou révéler son ignorance.
Il
n’est pas un de ces faits, par conséquent, dont tiennent compte nos d
522
de la bombe. Et tout cela n’est que trop naturel.
Il
est parfaitement naturel que nous aimions parler de politique. Il est
523
ent naturel que nous aimions parler de politique.
Il
est parfaitement naturel que nos discussions se passionnent dans la m
524
nos discussions se passionnent dans la mesure où
elles
s’allègent d’une quantité d’informations encore plus difficiles à ret
525
imons et l’affirmation de nos points de vue, et s’
il
fallait d’abord savoir les faits il n’y aurait plus moyen de causer.
526
de vue, et s’il fallait d’abord savoir les faits
il
n’y aurait plus moyen de causer. La bêtise triomphante Cependan
527
cuper serait s’occuper vraiment de politique. Car
il
n’y a plus à proprement parler de politique pratique, sérieuse et eff
528
e. Désormais nous savons qu’il y a le monde et qu’
il
est un. Nous le savons théoriquement. Mais il nous faut encore appren
529
qu’il est un. Nous le savons théoriquement. Mais
il
nous faut encore apprendre à le voir, puis à le sentir et à le penser
530
. Jamais gouvernement si sûr de ses calculs quand
il
s’agit de la vie de millions de ses sujets n’avait trahi tant d’inséc
531
de guerre et d’invasion. À peine les Anglais ont-
ils
annoncé leur décision de se retirer des Indes en juin 1948 que la Lig
532
ratie. L’Europe qui se donne pour battue, quand à
elle
seule elle totalise plus d’habitants que la Russie et les États-Unis
533
rope qui se donne pour battue, quand à elle seule
elle
totalise plus d’habitants que la Russie et les États-Unis additionnés
534
is bien que notre paix repose sur ces manques, qu’
elle
y trouve ses bases actuelles et ses garanties les plus sûres. Car ce
535
re grands malades recouvrait subitement la santé,
il
deviendrait impérialiste malgré lui et susciterait probablement la co
536
e autant de libertés que la démocratie américaine
elle
dominerait bientôt le monde par la seule force de son utopie de justi
537
d’ordre social. Si l’Asie était moins anarchique
elle
dominerait un jour par la force du nombre. Si l’Amérique sentait son
538
it son idéal mieux assuré dans ses propres foyers
elle
serait tentée d’abuser de ses avantages actuels. Et si l’Europe était
539
ope était moins abîmée, qui sait quelle arrogance
elle
ne retrouverait pas. J’imagine que les hommes d’État se préoccupent e
540
ndividus ne se sont unis à cause des richesses qu’
ils
avaient, tout au contraire. C’est toujours de la pauvreté que montent
541
nos manques. C’est grâce à eux et en eux seuls qu’
elle
a pris quelque consistance. Elle se maintient parce que les Russes sa
542
en eux seuls qu’elle a pris quelque consistance.
Elle
se maintient parce que les Russes sans elle resteraient enfermés dans
543
ance. Elle se maintient parce que les Russes sans
elle
resteraient enfermés dans les cloisons étanches de leur autarcie poli
544
leur autarcie politique ; parce que l’Europe sans
elle
s’enfoncerait encore plus dans sa névrose de scepticisme et de retrai
545
lus dans sa névrose de scepticisme et de retrait.
Elle
se renforcera au cours des mois prochains parce que l’Asie va lui dem
546
x parties des Indes l’annoncent déjà) et parce qu’
elle
représente pour les Américains ce symbole d’un avenir plus vaste qui
547
nt et qui assurent notre paix provisoire. C’est d’
elles
que naît l’appel à la fédération. Et si les hommes d’État qui se trou
548
chargés d’administrer l’ONU ne le comprennent pas
il
faut prévoir que cet appel créera demain d’autres organes plus capabl
549
enêtres, à onze heures du matin, quelque temps qu’
il
fasse, le patriarche du nouvel âge, Albert Einstein. Je suis allé lui
550
assif, la tête rentrée dans des épaules épaisses.
Il
porte un chandail bleu très ample, un pantalon de flanelle sans pli e
551
andales. C’est le costume habituel des étudiants.
Il
m’apporte un fauteuil de jardin près du sien. Et nous parlons de l’Am
552
de l’Amérique, dont Einstein est devenu citoyen.
Il
me dit : — Écoutez-moi bien, c’est la seule démocratie véritable. Les
553
s gens d’ici sont cordiaux, serviables et surtout
ils
sont dépourvus de toute espèce d’inhibition sociale. Je vous en donne
554
inq ans, à travers la crise de 1929 et la guerre,
ils
ont fait des progrès immenses vers le sérieux et vers la vraie cultur
555
ulture. Toutefois, je m’étonne de la manière dont
ils
réagissent, ou plutôt ne réagissent pas à la menace atomique. Ils sem
556
ou plutôt ne réagissent pas à la menace atomique.
Ils
semblent n’avoir qu’une idée en tête : leur sécurité personnelle, leu
557
méricains, c’est la Russie. Avez-vous remarqué qu’
il
se développe ici une sorte d’hystérie antirusse ? Méfiance russe
558
illeurs aux personnes dont on ne peut affirmer qu’
elles
sont communistes, simplement. N’a-t-il pas proposé, en 1945, de livre
559
rmer qu’elles sont communistes, simplement. N’a-t-
il
pas proposé, en 1945, de livrer le secret de la bombe aux quatre Gran
560
x, je suggère que la cause la plus nette de ce qu’
il
nomme l’hystérie antirusse, n’est autre que l’attitude des Russes sur
561
an international. Einstein réfléchit un moment. —
Il
est évident, dit-il enfin, que l’obstacle majeur à l’établissement d’
562
nstein réfléchit un moment. — Il est évident, dit-
il
enfin, que l’obstacle majeur à l’établissement d’un gouvernement mond
563
éfiance systématique des Soviets. Or je crains qu’
il
n’y ait rien à faire pour la surmonter. Car la cause n’en est que tro
564
p claire. La Russie sait que, dans le jeu actuel,
elle
est le partenaire le plus faible. Elle s’oppose donc à tout ce que le
565
eu actuel, elle est le partenaire le plus faible.
Elle
s’oppose donc à tout ce que les autres proposent. Elle soupçonne une
566
s’oppose donc à tout ce que les autres proposent.
Elle
soupçonne une menace dans chacun de nos mouvements. C’est fatal. Et c
567
s mouvements. C’est fatal. Et cela durera tant qu’
elle
nous croira les plus forts. — Tant que la bombe sera de notre côté… Q
568
. D’ici dix ans au plus. Ce qui est sûr, c’est qu’
elle
y travaille. — Croyez-vous que le « rideau de fer » s’explique par la
569
Les Russes sont très pauvres. C’est pour cela qu’
ils
ont si peur des étrangers. Et non sans raison. Car, au cours actuel d
570
non sans raison. Car, au cours actuel du dollar,
il
serait vraiment trop facile d’acheter des espions en Russie. L’indica
571
ndicateur y serait trop bon marché. — Selon vous,
ils
redoutent des fuites au sujet de leurs préparatifs militaires proprem
572
-Unis. Tout ce qui vient de nous les inquiète, et
ils
se croient forcés de tout refuser. — Alors que faire ? — Je ne vois q
573
ets. Les Russes pourront bien entretenir auprès d’
elle
autant d’observateurs qu’il leur plaira, officiels ou non. Et à la fi
574
entretenir auprès d’elle autant d’observateurs qu’
il
leur plaira, officiels ou non. Et à la fin — car ils ne sont pas fous
575
leur plaira, officiels ou non. Et à la fin — car
ils
ne sont pas fous comme les nazis —, ils verront bien que leur avantag
576
fin — car ils ne sont pas fous comme les nazis —,
ils
verront bien que leur avantage est d’y rentrer. La « bombe » et le
577
es problèmes que pose la bombe. Cet homme se sent-
il
responsable de la menace d’Apocalypse qu’il a contribué plus que nul
578
sent-il responsable de la menace d’Apocalypse qu’
il
a contribué plus que nul autre à susciter dans notre siècle ? Je tour
579
e son air malicieux et bonhomme : « La bombe, dit-
il
, n’a pas changé les conditions de la guerre beaucoup plus que ne l’av
580
u danger de la guerre moderne. » Je lui demande s’
il
approuve le plan Baruch, au terme duquel les États-Unis proposent de
581
rnational doté de pouvoirs de contrôle illimités.
Il
répond : — Tant que la machine militaire restera prête à fonctionner
582
dant, la proposition Baruch a cela d’excellent qu’
elle
impliquerait un renoncement partiel à la souveraineté absolue des nat
583
. — La route est longue, bien longue encore ! dit-
il
soucieux en me reconduisant. Sur quoi je lui cite la parole de Lyaute
584
e développer : « Vous voyez, riposta le maréchal,
il
n’y a pas une seconde à perdre ! » n. Rougemont Denis de, « Einst
585
de passer sept ans aux États-Unis, nous confie-t-
il
. J’étais parti pour l’Amérique afin de faire une tournée de conférenc
586
la Suisse, intitulé Le Cœur de l’Europe et dont
il
n’existe qu’une édition anglaise. Ce qu’on sait moins chez nous, c’es
587
a exercée aux États-Unis en faveur de notre pays.
Il
est trop modeste pour vouloir nous l’avouer, mais il s’est fait l’ard
588
est trop modeste pour vouloir nous l’avouer, mais
il
s’est fait l’ardent défenseur de nos institutions. Ce rôle a été d’au
589
l’ouvrage sur la Suisse de M. Denis de Rougemont,
il
a donné comme argument principal le cas de notre propre armée. En Eur
590
des adeptes, mais c’est évidemment en France, qu’
elle
a eu le plus de succès et qu’elle a trouvé peut-être le terrain le pl
591
t en France, qu’elle a eu le plus de succès et qu’
elle
a trouvé peut-être le terrain le plus favorable. Ce mouvement personn
592
dé à la suite de quelles expériences personnelles
il
avait été amené à formuler une philosophie du fédéralisme aussi profo
593
yez-vous, on ne se rend pas compte, en Suisse, qu’
il
existe en nous, aujourd’hui, un sentiment européen, ce qui n’empêche
594
hui, un sentiment européen, ce qui n’empêche pas,
il
est vrai, bon nombre d’entre nous de douter de la naissance d’une féd
595
te au même phénomène qu’il y a cent ans. En 1846,
il
existait un sentiment suisse, mais l’on doutait de la possibilité de
596
ée, écrite, adoptée et mise en pratique. En 1846,
elle
était encore une utopie. Trois ans plus tard, elle fonctionnait si bi
597
lle était encore une utopie. Trois ans plus tard,
elle
fonctionnait si bien que l’on eût dit qu’elle allait de soi. Notez bi
598
rd, elle fonctionnait si bien que l’on eût dit qu’
elle
allait de soi. Notez bien que ce sentiment suisse, dans les années pr
599
les années précédant 1848, était informulé, et qu’
il
a fallu la campagne de la Société helvétique et les écrits du doyen B
600
n conscience de ce sentiment suisse. Aujourd’hui,
il
ne faut pas se leurrer, il y a une crise du fédéralisme suisse. Et ce
601
Le danger que présente un tel sujet, c’est qu’
il
risque d’entraîner à des généralisations théoriques ; or, rien n’est
602
s éviter de poser au départ quelques définitions.
Il
est vain de parler des problèmes politiques, si l’on ne s’est pas ent
603
elons que les conquêtes sociales ne sont rien, si
elles
n’aboutissent pas à rendre chaque individu plus libre dans l’exercice
604
libre et engagé, à la fois autonome et solidaire.
Il
vit dans la tension entre ces deux pôles : le particulier et le génér
605
ion et la cité ; entre ces deux amours : celui qu’
il
se doit à lui-même et celui qu’il doit à son prochain — indissolubles
606
ours : celui qu’il se doit à lui-même et celui qu’
il
doit à son prochain — indissolubles. Cet homme qui vit dans la tensio
607
éma trop rapide mais qui me paraît indispensable.
Il
ne faut pas penser que la personne soit un moyen terme ou un juste mi
608
as à mi-chemin entre la peste et le choléra, mais
elle
représente la santé civique. Un homme qui boit de l’eau et qui se lav
609
sur laquelle nos travaux doivent se fonder et qu’
ils
ont pour but ultime de promouvoir, nous pouvons passer maintenant à u
610
us banal, que cette référence à la Suisse, dès qu’
il
est question d’États-Unis d’Europe ou d’un gouvernement mondial. Rien
611
s, mais n’est pas applicable aux grands. De plus,
il
a fallu des siècles aux Suisses pour se fédérer, et nous avons besoin
612
ée, écrite, adoptée et mise en pratique. En 1846,
elle
était encore une utopie. Trois ans plus tard, elle fonctionnait si bi
613
lle était encore une utopie. Trois ans plus tard,
elle
fonctionnait si bien que l’on eût dit qu’elle allait de soi. Quant à
614
rd, elle fonctionnait si bien que l’on eût dit qu’
elle
allait de soi. Quant à ce que l’on répète sur la petitesse de la Sui
615
dégager de cette expérience l’idée fédéraliste qu’
elle
illustre. Une expérience de laboratoire est nécessairement plus rédui
616
éfinir en quelques mots, en une formule. C’est qu’
elle
est d’un type organique plutôt que rationnel, et dialectique plutôt q
617
el, et dialectique plutôt que simplement logique.
Elle
échappe aux catégories géométriques du rationalisme vulgaire, mais co
618
ole. La pensée fédéraliste ne projette pas devant
elle
une utopie européenne qu’il s’agirait simplement de rejoindre, ou des
619
projette pas devant elle une utopie européenne qu’
il
s’agirait simplement de rejoindre, ou des plans statiques qu’il faudr
620
implement de rejoindre, ou des plans statiques qu’
il
faudrait réaliser en quatre ou cinq ans, par la réduction impitoyable
621
toyable des réalités vivantes qui gênent le plan.
Elle
cherche au contraire le secret d’un équilibre souple et constamment m
622
ouple et constamment mouvant entre des groupes qu’
il
s’agit de composer en les respectant, et non point de soumettre les u
623
soi. Or les uns et les autres ont tort, parce qu’
ils
n’ont qu’à moitié raison. Le véritable fédéralisme ne consiste ni dan
624
union des cantons, ni dans leur seule autonomie.
Il
consiste dans l’équilibre continuellement rajusté entre l’autonomie d
625
usté entre l’autonomie des régions et leur union.
Il
consiste dans la composition perpétuelle de ces deux forces de sens c
626
it apporter à chaque région et à chaque personne.
Il
est infiniment probable que sur le plan européen, nous allons voir se
627
ceux d’avant 1848, on est frappé de constater qu’
ils
n’emploient jamais le terme de fédéralisme, qu’ils l’ignorent, et qu’
628
ls n’emploient jamais le terme de fédéralisme, qu’
ils
l’ignorent, et qu’ils ne touchent que très rarement, et très vaguemen
629
le terme de fédéralisme, qu’ils l’ignorent, et qu’
ils
ne touchent que très rarement, et très vaguement, à l’idée fédéralist
630
rationaliser les principes de leur vie politique.
Il
est incontestable, en effet, que l’idée fédéraliste n’a pas cessé d’i
631
hommes d’État suisses, pendant des siècles. Mais
il
est non moins certain que cette idée est demeurée informulée, et même
632
nter et à philosopher à son sujet. Jusqu’en 1848,
elle
allait sans dire, comme la vie même ; elle était la vie du civisme et
633
1848, elle allait sans dire, comme la vie même ;
elle
était la vie du civisme et de la pratique politique des Suisses. C’es
634
moment de l’histoire où le fédéralisme suisse, s’
il
veut durer, doit devenir à son tour missionnaire. Telle est sa crise
635
sente, pour la Suisse, je le vois dans ce fait qu’
elle
doit se formuler. Elle doit dire ce qui allait sans dire et qui alors
636
je le vois dans ce fait qu’elle doit se formuler.
Elle
doit dire ce qui allait sans dire et qui alors n’en allait que mieux.
637
ait sans dire et qui alors n’en allait que mieux.
Elle
s’expose à son risque maximum : celui de décoller de ses bases concrè
638
oncrètes, perdant ainsi en force originelle ce qu’
elle
pourrait gagner en conscience de ses fins. De même pour le fédéralism
639
érer l’Europe dès la paix rétablie. Mais parce qu’
elle
se pose brusquement, cette question risque d’être mal posée. J’entend
640
te question risque d’être mal posée. J’entends qu’
elle
risque de ne susciter que des plans rationnels et des systèmes. C’est
641
nité de l’Europe, sont des avertissements utiles,
ils
nous confirment dans l’idée qu’on ne peut pas atteindre la fin, qui e
642
arranger selon leurs caractères particuliers, qu’
il
s’agit à la fois de respecter, et d’articuler dans un tout. Troisièm
643
n chiffre, et le plus petit. Pour le fédéraliste,
il
va de soi qu’une minorité puisse compter pour autant, voire pour plus
644
e majorité dans certains cas, parce qu’à ses yeux
elle
représente une qualité irremplaçable. (On pourrait ainsi dire : une f
645
conserver ses particularités et son autonomie, qu’
il
serait hors d’état de défendre seul contre la pression des grands emp
646
ir dans ce rôle d’organes divers d’un même corps,
elles
comprendraient que leur harmonie est une nécessité vitale, et non pas
647
demande, ou une diminution de leur valeur propre.
Elles
comprendraient aussi que dans une fédération, elles n’auraient pas à
648
les comprendraient aussi que dans une fédération,
elles
n’auraient pas à se mélanger, mais au contraire à fonctionner de conc
649
i poumon que possible, et dans cette mesure même,
il
aidera le cœur à être un bon cœur. Cinquième principe. — Le fédérali
650
ue dès 1880, dans une lettre prophétique, ceux qu’
il
appelait les « terribles simplificateurs ». Lorsque les étrangers s’é
651
ux, cantonaux, fédéraux, si diversement engrenés,
il
convient de leur montrer que cette complexité est la condition même d
652
la condition même de nos libertés. C’est grâce à
elle
que nos fonctionnaires sont constamment rappelés au concret, et que n
653
et qui se recoupent de cent manières différentes.
Il
est clair que des lois ou des institutions conçues dans un esprit uni
654
personne même de ceux qui s’y rattachent. Certes,
il
est plus facile de décréter sur table rase, de simplifier les réalité
655
ité technique, et de compréhension des peuples qu’
elle
gouverne. Elle exige beaucoup plus de vrai sens politique. Finalement
656
et de compréhension des peuples qu’elle gouverne.
Elle
exige beaucoup plus de vrai sens politique. Finalement, si l’on y réf
657
taires sont antipolitiques par définition, puisqu’
elles
consistent simplement à supprimer les diversités, par incapacité de l
658
l’Europe est beaucoup plus près de s’organiser qu’
il
ne le semble. Elle est déjà beaucoup plus unie, en réalité, qu’elle n
659
coup plus près de s’organiser qu’il ne le semble.
Elle
est déjà beaucoup plus unie, en réalité, qu’elle ne le croit. C’est s
660
Elle est déjà beaucoup plus unie, en réalité, qu’
elle
ne le croit. C’est sur le plan de l’action gouvernementale que les op
661
tions et les rivalités éclatent, et là seulement,
elles
sont irréductibles. Je ne pense pas que les gouvernements puissent ja
662
pour arbitrer le jeu des nations. Chacun sait qu’
il
serait déraisonnable de choisir comme arbitres d’un match les capitai
663
sonnes qui formeront le gouvernement de l’Europe.
Il
n’y a pas d’autre voie possible et praticable. Les USA ne sont pas di
664
Le jour où les peuples d’Europe auront compris qu’
ils
sont en réalité beaucoup plus solidaires et plus unis que leurs gouve
665
ue leurs gouvernements ne pourront jamais l’être,
ils
s’apercevront que la fédération est non seulement possible, mais faci
666
avancée, les structures en sont déjà esquissées.
Il
n’y manque plus qu’une charte fédérale, des organes représentatifs, e
667
par une nouvelle menace extérieure. C’est dire qu’
il
nous faut aller vite. ⁂ Il n’y a, dans le monde du xxe siècle, que d
668
érieure. C’est dire qu’il nous faut aller vite. ⁂
Il
n’y a, dans le monde du xxe siècle, que deux camps, deux politiques,
669
ne sont pas non plus la Justice et la Liberté, qu’
il
est aussi impossible d’opposer en réalité qu’en principe. Aujourd’hui
670
une espérance. Cette antithèse domine le siècle.
Elle
est son véritable drame. Toutes les autres pâlissent devant elle, son
671
ritable drame. Toutes les autres pâlissent devant
elle
, sont secondaires ou illusoires, ou dans le meilleur des cas lui sont
672
t souple, comme la paix comme la vie… Et parce qu’
il
est simple et rigide, le totalitarisme est une tentation permanente p
673
otalitaire n’est pas dangereux seulement parce qu’
il
triomphe aujourd’hui dans une dizaine de pays et progresse plus ou mo
674
ment dans tous les autres ; mais surtout parce qu’
il
nous guette tous, à l’intérieur de nos pensées, au moindre fléchissem
675
si l’Europe doit durer, c’est aux fédéralistes qu’
elle
le devra, et à eux seuls. Sur qui d’autre peut-elle compter ? Elle ne
676
le le devra, et à eux seuls. Sur qui d’autre peut-
elle
compter ? Elle ne doit pas compter sur les gens au pouvoir. J’en conn
677
à eux seuls. Sur qui d’autre peut-elle compter ?
Elle
ne doit pas compter sur les gens au pouvoir. J’en connais peu qui aie
678
présent de l’opinion et des rivalités des partis,
ils
courraient le risque d’être accusés de trahison s’ils transigeaient u
679
courraient le risque d’être accusés de trahison s’
ils
transigeaient un seul instant avec le dogme de la souveraineté absolu
680
faire, pour des raisons absurdes mais techniques.
Il
faut donc les pousser dans le dos, voilà qui est clair, pour qu’ils a
681
pousser dans le dos, voilà qui est clair, pour qu’
ils
acceptent un jour de renoncer non pas à la souveraineté même de leur
682
r ce qu’on entend par là. Si on la confond, comme
il
arrive, avec le légalisme institué par la bourgeoisie, je pense qu’el
683
égalisme institué par la bourgeoisie, je pense qu’
elle
a encore un bel avenir — en URSS. Voyez dans quels termes les Soviets
684
es fondements du mariage et de la famille ». Mais
il
est hasardeux de parler de la « conception chrétienne de l’amour » co
685
e et qui va de soi. Avant de la déclarer périmée,
il
serait normal d’en prendre connaissance, de la distinguer des concept
686
iècle par les troubadours et le roman de Tristan.
Il
faudrait au moins distinguer amour et sexualité. Il n’est pas exact d
687
faudrait au moins distinguer amour et sexualité.
Il
n’est pas exact de dire, par exemple, que « l’homme primitif et l’hom
688
jamais l’amour au sens où nous l’entendons et qu’
ils
ignoraient totalement, mais les rapports sexuels. Maintenant, le text
689
st le principe actif de toute libération humaine.
Il
est la liberté même. (Et quant à ceux qui croient que c’est la haine
690
à ceux qui croient que c’est la haine qui libère,
ils
croient aussi sans doute que la police crée l’ordre, quand elle n’en
691
ussi sans doute que la police crée l’ordre, quand
elle
n’en est que le déchet.) Les seuls obstacles réels à l’amour sont en
692
comme le suggère modestement votre questionnaire,
il
est l’idéal par excellence de tout ce qui mérite le nom d’homme. Ama
693
ui nous rendra la liberté », dit la chanson. Mais
il
arrive que les voies et moyens que nous imaginons pour le réaliser —
694
osition ». (Avec toutes les imprudences du monde,
il
m’a fallu 350 pages serrées pour en esquisser une, partielle, dans L
695
n sentirait à peine la différence. Si par exemple
elles
admettaient comme naturelle l’homosexualité, cela n’augmenterait pas
696
terait pas notablement le nombre des homosexuels.
Ils
ont en fait toute liberté de vivre à leur guise, jouissent des mêmes
697
que l’état présent de nos mœurs est satisfaisant,
il
en résulte qu’une « éthique de l’amour » (entendons de la sexualité)
698
ns dans le chaos, l’amertume et la contradiction,
il
nous faut rétablir une éthique, c’est-à-dire recréer des tensions ent
699
ins circuler ? » — « En effet, réplique le guide,
ils
ne circulent pas encore, mais vous, qu’est-ce que vous dites de la qu
700
nier qui est « le plus rusé de tous » écrit ce qu’
il
faut pour servir « l’expansionnisme » du dollar. Qu’on ne rie pas : i
701
l’expansionnisme » du dollar. Qu’on ne rie pas :
il
s’agit de « dialectique ». Et qu’on ne hausse pas les épaules : il s’
702
alectique ». Et qu’on ne hausse pas les épaules :
il
s’agit d’un retour en force de l’hitléro-fascisme culturel. (C’est à
703
et Miller, nolens volens, servent Truman (même s’
ils
ont écrit sous Roosevelt). Mais alors, et pour les mêmes raisons, le
704
oviétique serait le fait d’un calcul de Staline ?
Il
se peut que les rédacteurs de L’Humanité s’imaginent servir la paix e
705
aits, au nom de la simple vérité. ⁂ Tout d’abord,
il
est notoirement faux d’écrire que Henry Miller a puisé son désespoir
706
bliés à Paris, et interdits en Amérique. Ensuite,
il
est notoirement faux et ridicule d’accuser les éditeurs américains de
707
s et de revues demandent avant tout d’un écrit qu’
il
se vende. On m’assure que l’éditeur d’Ambre fit savoir à la jeune et
708
à la jeune et jolie femme qui en est l’auteur qu’
il
jugeait l’ouvrage très mauvais, mais l’acceptait comme très vendable.
709
est que la majorité du grand public est imbécile.
Il
faut donc l’éduquer, concluent les moralistes américains. Et pour cel
710
sts où, sous une forme assimilable et simplifiée,
il
trouvera le meilleur de ce qui s’écrit chez nous. Et que lui donne-t-
711
inhold Niehbur, pour ne rien dire des romanciers,
il
n’est pas une des tares américaines qui n’ait été décrite, avouée, an
712
illeurs producers de Broadway me dit en riant : «
Il
n’y a qu’une réponse possible. Je vais faire jouer cette pièce ici, c
713
ntes, je veux parler de 1917 et de 1942, et alors
elle
fut bien le fait de la volonté du peuple américain et de la politique
714
à cette fédération de l’Europe ? » Je réponds qu’
il
s’agit plutôt de la vouloir. « Mais pourquoi, me dit-on, faudrait-il
715
la vouloir. « Mais pourquoi, me dit-on, faudrait-
il
la vouloir ? » Je réponds qu’il n’y a qu’à regarder l’Europe, qu’à fa
716
dit-on, faudrait-il la vouloir ? » Je réponds qu’
il
n’y a qu’à regarder l’Europe, qu’à faire son bilan de misères, qu’à v
717
faire son bilan de misères, qu’à voir la place qu’
elle
tient encore ou ne tient déjà plus dans le monde actuel… Mais puisqu’
718
ur formuler quelques observations très simples qu’
il
suffit de grouper pour qu’elles parlent clairement, et d’ordonner pou
719
ions très simples qu’il suffit de grouper pour qu’
elles
parlent clairement, et d’ordonner pour qu’un mot d’ordre s’en dégage.
720
nternational et opère à l’échelle des continents.
Il
pense encore en kilomètres, séparant des points immobiles, quand la m
721
les, quand la mesure pratique est l’heure de vol.
Il
médite sur la carte des frontières, dont les réseaux de l’air ne tien
722
nt les réseaux de l’air ne tiennent pas compte. S’
il
posait son atlas pour faire tourner un globe il verrait que le plus c
723
S’il posait son atlas pour faire tourner un globe
il
verrait que le plus court chemin de l’Amérique à la Russie ne passe p
724
mie redistribuent nos voisinages en même temps qu’
elles
les rendent plus étroits. L’Europe est plus petite que nous ne pensio
725
s aussi nombreux que les deux Grands additionnés.
Ils
baisseront le ton, et l’on pourra parler. Notre vocation Qu’aur
726
e qu’un quart du corps électoral dans les pays où
il
est le plus fort, et qui ne peut faire notre unité que sur nos ruines
727
rutal, n’est pas moins franc. Nous avons besoin d’
elle
matériellement, elle a besoin de nous spirituellement, et si son aide
728
s franc. Nous avons besoin d’elle matériellement,
elle
a besoin de nous spirituellement, et si son aide économique nous trou
729
rviles dans le domaine des mœurs et de la culture
elle
y perdrait autant que nous. L’Europe a dépassé le stade de l’individu
730
la fois libre et engagée, l’homme qui sait ce qu’
il
se doit et ce qu’il doit aux autres. Voilà ce que cherchent dans tous
731
gagée, l’homme qui sait ce qu’il se doit et ce qu’
il
doit aux autres. Voilà ce que cherchent dans tous nos pays les meille
732
e tous pour un. Voilà la vocation de l’Europe. Or
il
est clair qu’aucune de nos nations n’est en mesure de la réaliser pou
733
ys. Voilà donc le fédéralisme. L’opposition
Il
semble à première vue qu’un tel programme soit si clairement inscrit
734
u siècle et si lisible aux meilleures volontés qu’
il
ne puisse provoquer d’opposition foncière. Qui oserait dire : « Je ve
735
drent un à un en toute souveraineté nationale, qu’
ils
se cantonnent dans le double refus de l’Amérique et de la Russie, qu’
736
le double refus de l’Amérique et de la Russie, qu’
ils
y ajoutent un troisième refus, celui de l’Europe, jusqu’à ce qu’ils s
737
troisième refus, celui de l’Europe, jusqu’à ce qu’
ils
soient dûment colonisés ! » Personne n’ose dire cela, ou comme cela.
738
qu’on les exclut, qu’on fait un bloc contre eux…
Il
n’y a donc plus qu’à faire l’Europe sans eux. Les sceptiques rejoindr
739
dront un jour, les défaitistes auront perdu comme
il
se doit, et les nationalistes feront l’opposition indispensable à tou
740
us sur deux fronts n’est pas une politique. Quand
il
est autre chose que l’effet naturel d’une grande affirmation centrale
741
’effet naturel d’une grande affirmation centrale,
il
n’est même pas un vrai refus : il ne peut mener qu’à accepter par for
742
ation centrale, il n’est même pas un vrai refus :
il
ne peut mener qu’à accepter par force ce qu’on a combattu dans la fai
743
que les totalitaires ne demandent qu’à tromper ?
Ils
donnent des mitraillettes à ceux qui veulent du pain, une discipline
744
En dehors d’eux rien n’a paru depuis la guerre qu’
ils
avaient eux-mêmes déclenchée. Et nous savons pourtant que nous sommes
745
ballants, regardant à droite et à gauche comme s’
il
n’y avait rien devant nous. Quand le monde attend de nous l’invention
746
ul le fédéralisme ouvre des voies nouvelles. Seul
il
peut surmonter — voyez la Suisse — les vieux conflits de races, de la
747
nalisme et le problème des minorités. Et surtout
il
peut dépasser l’opposition chaque jour moins convaincante d’une gauch
748
Notes sur la voie clandestine (hiver 1948)t
Il
faut être aussi rationnel que possible. Pas davantage. On verra bien
749
s un destin si tu es distinct. Tout homme, dès qu’
il
se voit isolé par le sort, entre en superstition : c’est sa voie clan
750
et l’isolement nous rendent à l’enfance, parce qu’
ils
nous livrent aux magies intimes. Se croire ou se sentir unique, c’est
751
rps quand la tête a passé. Car si je suis unique,
il
est une voie qui n’est tracée que pour moi seul, et que seul je pourr
752
i nous, qui ait causé de l’être sans niaiserie. S’
il
s’arrête à telle apparence curieusement précise à ses yeux, c’est par
753
e curieusement précise à ses yeux, c’est parce qu’
elle
semble donner tort au néant des rues évidentes, parce qu’elle fait al
754
donner tort au néant des rues évidentes, parce qu’
elle
fait allusion à ce qui va venir, ou parce qu’elle est un peu moins ap
755
elle fait allusion à ce qui va venir, ou parce qu’
elle
est un peu moins apparence que tout le reste et un peu plus apparitio
756
reste et un peu plus apparition. Certains soirs,
il
descend lentement son escalier, passe le seuil, s’arrête un moment, e
757
Sixième Avenue et la Neuvième Rue, justement — s’
il
y pense, il est dans le jeu. Dans un état signifiant et rythmé. Il ne
758
nue et la Neuvième Rue, justement — s’il y pense,
il
est dans le jeu. Dans un état signifiant et rythmé. Il ne voit plus l
759
t dans le jeu. Dans un état signifiant et rythmé.
Il
ne voit plus l’échelle ni le chat noir à gauche, les chevaux blancs n
760
à gauche, les chevaux blancs ni les curés barbus.
Il
n’attend rien qui ressemble aux dictons de l’occulte, attendant cela
761
nt cela seulement qui ne ressemble à rien mais qu’
il
reconnaîtra du premier coup : un repère à la craie sur le seuil de sa
762
vie, une note que lui seul peut entendre parce qu’
elle
résout sa dissonance intime et l’introduit dans l’harmonie de son des
763
vibre qu’à lui-même et révèle un accord instant,
il
marche au son, comme les grands appareils suivent une route en do diè
764
le Vieillard qui juge, tous les deux sans visage…
Il
semble que ces formes et figures soient presque seules à définir le p
765
ique du rêve » que Jean-Paul a nommée le premier,
ils
règlent la circulation entre les profondeurs et la surface manifeste.
766
sises inconscientes, si la raison hésite et là où
elle
se tait. Car d’une part les signes que j’accueille ont bien des chanc
767
dans la complicité de mon exigence secrète. C’est
elle
, au vrai, qui les choisit, en vertu d’une préalable inclination, comp
768
able inclination, complaisance ou interprétation.
Ils
agissent donc comme des révélateurs de moi-même à mes propres yeux. D
769
urs de moi-même à mes propres yeux. D’autre part,
il
se peut que ces signes baignent dans une réalité profonde, celle du m
770
hasards apparents, et des structures de laquelle
ils
me permettent de repérer certains linéaments ou certains affleurement
771
neuf autres n’ont pas été vaines, ni muettes. Car
elles
m’ont dit : tu n’es pas toi, ou pas ici, tu n’y es plus ou pas encore
772
as toi, ou pas ici, tu n’y es plus ou pas encore.
Elles
m’ont ramené… » Le superstitieux va loin, s’il est grand : dans la vo
773
Elles m’ont ramené… » Le superstitieux va loin, s’
il
est grand : dans la voie de l’incomparable, il va jusqu’au bout de lu
774
s’il est grand : dans la voie de l’incomparable,
il
va jusqu’au bout de lui-même. ⁂ Erreur commune : s’il n’y a pas de ha
775
a jusqu’au bout de lui-même. ⁂ Erreur commune : s’
il
n’y a pas de hasard, tout serait donc déterminé ? Nous n’aurions plus
776
nécessité par le Destin ? Erreur commune et dont
il
faut rougir. Il n’y a pas de hasard, mais pourtant nous sommes libres
777
e Destin ? Erreur commune et dont il faut rougir.
Il
n’y a pas de hasard, mais pourtant nous sommes libres. Je ne sais qui
778
canique. La voix insiste ou bien n’insiste plus ;
elle
parle plus ou moins clairement ; des portes se ferment et se rouvrent
779
ille, nous sommes aimés par un destin. Et parfois
il
nous traite avec indifférence, parfois nous blesse, parfois nous tyra
780
nnise… ⁂ Le rationaliste articule : déterminisme.
Il
voit un rail. Il pense au règlement d’une dictature anonyme. J’imagin
781
naliste articule : déterminisme. Il voit un rail.
Il
pense au règlement d’une dictature anonyme. J’imagine un destin actif
782
d’astres. » ⁂ Poète égale superstitieux, parce qu’
ils
se sentent accompagnés à chaque instant, en tapinois, par la même que
783
tapinois, par la même question : c’est à savoir s’
ils
suivent leur voie ou s’ils l’inventent ? S’ils ne l’inventent qu’en l
784
ion : c’est à savoir s’ils suivent leur voie ou s’
ils
l’inventent ? S’ils ne l’inventent qu’en la suivant telle qu’elle éta
785
s’ils suivent leur voie ou s’ils l’inventent ? S’
ils
ne l’inventent qu’en la suivant telle qu’elle était, ou ne la suivent
786
? S’ils ne l’inventent qu’en la suivant telle qu’
elle
était, ou ne la suivent qu’en l’inventant telle qu’elle devient ? Cr
787
tait, ou ne la suivent qu’en l’inventant telle qu’
elle
devient ? Créer ou rejoindre un poème, un destin, un amour, une voca
788
du réveil par une touffe de cheveux, par la main…
Il
se débat, et pour un peu, m’entraînait dans sa mort naissante. » Poés
789
ans sa mort naissante. » Poésie et superstition :
elles
ont mêmes lois, mêmes incertitudes, mêmes échecs et mêmes réussites.
790
arain et le Père Bruckberger, Denis de Rougemont.
Il
laisse ses interlocuteurs penchés sur les bonnes feuilles du Cheval d
791
parlera lui aussi, tout à l’heure. Mais, d’abord,
il
faut faire le point. Denis de Rougemont a 41 ans. Petit, trapu, l’œil
792
n, sa générosité, son sens de l’humain pourraient-
ils
m’échapper ? Sa voix est douce, mais nette ; il s’exprime avec gravit
793
-ils m’échapper ? Sa voix est douce, mais nette ;
il
s’exprime avec gravité. Souvent un sourire accompagne son propos, et
794
on propos, et son regard s’éclaire d’une lueur qu’
il
me faut bien qualifier de « mystique ». Demandez-lui ce qu’il fait :
795
ien qualifier de « mystique ». Demandez-lui ce qu’
il
fait : Je n’ai d’autre spécialité, vous répondra-t-il, que de réfléch
796
ait : Je n’ai d’autre spécialité, vous répondra-t-
il
, que de réfléchir aux conséquences générales des découvertes particul
797
vertes particulières, et aux liaisons humaines qu’
elles
affectent. C’est un intellectuel. Un intellectuel qui n’a pas mauvai
798
conscience de sa vocation, qui ne s’en cache pas.
Il
intitula même un de ses livres les plus remarquables : Journal d’un i
799
pations, se tient la personne humaine ; ne voulut-
il
pas instaurer une Politique de la personne ? Et, pour mieux précise
800
eux préciser encore sa position, ne nous invita-t-
il
pas, reprenant le précepte du vieil Anaxagore, à penser avec les main
801
La guerre rappela Denis de Rougemont en Suisse ;
il
fut mobilisé à l’état-major de Berne. Lors de l’entrée de Hitler à Pa
802
à quinze jours de forteresse ! En septembre 1940,
il
était envoyé en Amérique pour y faire des conférences. Il n’en revint
803
envoyé en Amérique pour y faire des conférences.
Il
n’en revint qu’au mois de juillet dernier. Il vécut à New York, à Pri
804
es. Il n’en revint qu’au mois de juillet dernier.
Il
vécut à New York, à Princeton, où il respira une « paix claustrale ».
805
let dernier. Il vécut à New York, à Princeton, où
il
respira une « paix claustrale ». C’est là, dans « ce cadre trop parfa
806
e de la terre atomique passait sous mes fenêtres.
Il
portait un sweater bleu et un pantalon de flanelle, comme les étudian
807
« Ici, Newton »… Pourtant, c’était bien Einstein.
Il
avait lu mon livre et désirait me connaître. Je me rendis chez lui, d
808
de gazon, de fleurs et d’arbres pleins d’oiseaux.
Il
s’avança vers moi, souriant de ses gros yeux bleus très vifs sous des
809
nes et deux touffes de cheveux blancs en auréole.
Il
me fit asseoir près de lui dans un fauteuil de jardin, et nous nous m
810
nsable de sa découverte ? Einstein est pacifiste,
il
est antimilitariste. Que les conséquences de sa découverte l’effrayen
811
ilité ne se sent pas engagée. Sans doute, pense-t-
il
que, même sans lui, le secret aurait été découvert, et que par conséq
812
couvert, et que par conséquent… « La bombe, m’a-t-
il
dit, n’a pas changé les conditions de la guerre beaucoup plus que ne
813
ui se trouve posée. » Et de la Russie que pense-t-
il
? Pour lui, les Russes se savent et se sentent les plus faibles, surt
814
es plus faibles, surtout en face de l’Amérique. S’
ils
se cachent derrière un rideau de fer, c’est pour que leur pauvreté ne
815
ogerai pas Denis de Rougemont sur les États-Unis.
Il
leur a consacré de nombreux articles dans des journaux et des revues
816
t des revues de France et de Suisse — articles qu’
il
a d’ailleurs rassemblés en un volume sous le titre : Vivre en Amériq
817
e question sur la littérature d’outre-Atlantique.
Il
me répond : La littérature américaine est dans un certain sens plus s
818
lvin ! Mais La Fontaine, Racine ?… À leur époque,
ils
accomplirent leur métier d’écrivain comme alors on le concevait. Et c
819
concevait. Et c’est cela qui me semble essentiel.
Ils
n’étaient pas des inadaptés comme, au contraire, le furent les hommes
820
mort — oui, littéralement — qui est mort de cela.
Ils
demeurèrent toujours en marge de la société, parce qu’il n’y avait pl
821
urèrent toujours en marge de la société, parce qu’
il
n’y avait plus de communauté réelle entre l’écrivain d’une part, la b
822
intenable… Sartre vient de se lever pour sortir.
Il
passe près de Denis de Rougemont, lui serre la main et l’entretient d
823
la main et l’entretient d’un petit restaurant où
ils
avaient l’habitude de se rencontrer naguère, mais où, maintenant, « o
824
Denis de Rougemont, j’ai eu la visite de Sartre.
Il
m’a dit : « Les deux plus grands écrivains français contemporains, c’
825
e plus étonné, ici, dans la littérature, c’est qu’
elle
soit aujourd’hui encore représentée par la génération des hommes de 4
826
rre, ce n’avait pas été ainsi. C’est, me semble-t-
il
, dis-je à mon tour, que le fossé creusé par la guerre de 1914 était m
827
guerre-ci. Pour les jeunes hommes d’aujourd’hui,
il
ne s’agit pas seulement de relever des ruines, mais de découvrir un m
828
de nouveau et de l’organiser. Tout est à recréer.
Ils
n’ont encore rien à dire, ou ce qu’ils voudraient exprimer est encore
829
à recréer. Ils n’ont encore rien à dire, ou ce qu’
ils
voudraient exprimer est encore imprécis. Ceux qui élèvent la voix, le
830
es discours commencés avant 1939. À cette époque,
ils
portaient déjà en eux une vision du monde, un message auxquels ils so
831
à en eux une vision du monde, un message auxquels
ils
sont demeurés fidèles. La guerre, la défaite, l’exil ont pu les dérou
832
Denis de Rougemont, c’est leur internationalisme.
Il
leur faut dépasser leurs frontières. Bien souvent, ce n’est pas dans
833
souvent, ce n’est pas dans leur pays d’origine qu’
ils
rencontrent le plus large accueil. Ils sont tentés d’aller là où ils
834
origine qu’ils rencontrent le plus large accueil.
Ils
sont tentés d’aller là où ils se sentent le mieux compris, où leurs p
835
plus large accueil. Ils sont tentés d’aller là où
ils
se sentent le mieux compris, où leurs paroles acquièrent le plus d’ef
836
èrent le plus d’efficacité. Mais, en conséquence,
ils
deviennent des errants. Je crois, quant à moi, que cette transformati
837
e où je développais les principes du fédéralisme.
Il
ne peut naître, disais-je, que d’un renoncement à toute idée d’hégémo
838
trice, d’abord, à tout esprit de système ensuite.
Il
ignore le problème des minorités (car ce qui compte pour lui, c’est l
839
et non la quantité comme dans le totalitarisme) ;
il
a pour base la sauvegarde des qualités propres à chaque nation, à cha
840
lités propres à chaque nation, à chaque province.
Il
repose sur l’amour de la complexité. Et, ce qui est non moins importa
841
a complexité. Et, ce qui est non moins important,
il
se forme de proche en proche, par le moyen des personnes et des group
842
-être, que l’organisation fédérative doit naître.
Il
faut provoquer les états généraux de l’Europe. C’est le seul moyen d’
843
ésence au monde. Tout comme la guerre et la mort,
il
est simple et rigide. Le fédéralisme, au contraire, est complexe et s
844
t complexe et souple comme la paix, comme la vie.
Il
ne faut pas avoir peur de ces complexités, de ces complications. Elle
845
ir peur de ces complexités, de ces complications.
Elles
seules préservent notre liberté. Chaque jour, la Suisse en reconnaît
846
en reconnaît les bienfaits. Pourquoi n’en serait-
il
pas de même pour l’Europe ? Mais, encore une fois, il convient de se
847
as de même pour l’Europe ? Mais, encore une fois,
il
convient de se hâter, car je vois venir le temps des terribles simpli
848
ndraient part aux états généraux de l’Europe dont
il
vient de me parler. Il faut, me répond-il, que toutes les professions
849
généraux de l’Europe dont il vient de me parler.
Il
faut, me répond-il, que toutes les professions, toutes les classes so
850
pe dont il vient de me parler. Il faut, me répond-
il
, que toutes les professions, toutes les classes soient représentées.
851
a s’imposer. Mais sa réalisation ne vous semble-t-
elle
pas chimérique ? Nullement. Si nous parvenons à développer des réflex
852
îtres. Là, avant d’entreprendre d’autres travaux,
il
achèvera de mettre au point le prochain livre qu’il doit publier : L
853
achèvera de mettre au point le prochain livre qu’
il
doit publier : Les Personnes du drame . J’y traite de Goethe, de Kaf
854
Luther, de Gide, de Claudel et de Ramuz. Ensuite,
il
publiera son Journal des deux mondes , des essais sur des mythes, te
855
L’Ombre perdue », « Le nœud gordien » — textes qu’
il
écrivit entre 20 et 40 ans. Mais son plus important projet est de com
856
us important projet est de composer une morale qu’
il
intitulera : La Règle du jeu. Espérons que la bombe atomique n’interr
857
La bombe n’est pas dangereuse du tout, me répond-
il
. C’est un objet. Les objets ne m’ont jamais fait peur, non plus que l
858
rriblement dangereux, c’est l’homme. C’est lui qu’
il
faut contrôler. Adieu ! s. Rougemont Denis de, « [Entretien] Renco
859
Les deux blocs ?
Il
n’en existe qu’un (9 janvier 1948)u Les uns nous disent que le cho
860
les USA, et les autres refusent le choix parce qu’
il
mènerait fatalement à la guerre. Pour les premiers, l’Europe n’est pl
861
dollar américain. Mais les seconds proclament qu’
ils
ne choisiront pas entre la peste et le choléra et qu’ils tiennent la
862
choisiront pas entre la peste et le choléra et qu’
ils
tiennent la balance égale entre le refus du stalinisme et le refus de
863
ous. Avons-nous bien regardé les faits ? Existe-t-
il
vraiment deux blocs ? ⁂ Une première différence saute aux yeux, quand
864
te l’Europe aux élections et dans les parlements,
elle
a ses troupes disciplinées, elle fait sa politique jusque dans nos co
865
les parlements, elle a ses troupes disciplinées,
elle
fait sa politique jusque dans nos communes : tandis que les USA n’ont
866
és. L’URSS possède une doctrine très précise dont
elle
se sert comme d’un instrument de conquête et qui dicte une tactique s
867
ntative d’unir les nations de l’Europe : c’est qu’
elle
veut diviser pour régner. Les États-Unis, au contraire, poussent à la
868
on européenne, et surtout sur le plan économique.
Ils
nous veulent forts, donc autonomes. Les communistes, dans chaque pays
869
onstruction, les Américains la financent. Où faut-
il
donc chercher l’impérialisme ? Avouons qu’il n’est pas le même des de
870
faut-il donc chercher l’impérialisme ? Avouons qu’
il
n’est pas le même des deux côtés. Un contraste frappant Et si l’
871
. En Russie, on liquide l’opposition, en Amérique
elle
est entièrement libre, et mieux que cela : on en tient compte. En Rus
872
ent à peu près à chaque fois les améliorations qu’
ils
revendiquent, sur un niveau de vie d’ailleurs bien plus élevé que cel
873
rs bien plus élevé que celui des ouvriers russes.
Il
faut vraiment se boucher les yeux pour ne pas voir de quel côté les p
874
e le sort des noirs — on lutte ouvertement contre
elle
, l’opinion et l’État s’unissent pour la réduire, et cela au nom d’un
875
un idéal qui ne change pas tous les six mois, car
il
est la morale commune, et non pas une simple tactique. Et ainsi de su
876
puissances nous conduisent à la même conclusion :
il
n’y a pas de commune mesure entre le danger soviétique pour l’Europe
877
s sens du terme. Mais l’Amérique n’en est pas un,
elle
qui vise aux libres échanges, tolère les pires indiscrétions, multipl
878
d’autres déclarent noblement décliner ? En fait,
il
n’y a plus de choix possible. Car la Russie, en refusant de collabore
879
s. Si nous n’acceptons pas d’être ses satellites,
elle
nous déclare et nous croit ses ennemis et les esclaves de l’Amérique.
880
rte, c’est-à-dire d’une Europe unie et autonome ;
elle
ne veut qu’une Europe livrée à sa merci par les rivalités nationalist
881
mme des malades de luxe, ingrats et susceptibles.
Elle
cherche à nous aider pour que nous ne tombions pas dans le piège gros
882
oint de vue stratégique autant que culturel. Mais
elle
ne pourra nous aider que si nous existons d’abord. Le seul choix qui
883
ns. u. Rougemont Denis de, « Les deux blocs ?
Il
n’en existe qu’un », L’Intransigeant, Paris, 9 janvier 1948, p. 4.
884
inutes, pensant avoir assez compris. Dira-t-on qu’
elle
était Américaine ? À l’époque, on vit dans ce trait une exagération d
885
feignant de donner du lait en poudre aux enfants.
Il
faut avouer que le nom même de « condensé » nous vient de l’anglais,
886
néologique tiré de l’adjectif condensed (from…),
il
semble que nos éditeurs aient voulu souligner le caractère américain
887
e qui s’attache aux audaces d’outre-Atlantique. S’
ils
s’étaient contentés de mots français bien connus, comme résumé ou ada
888
n, la polémique actuelle eût pris un autre cours.
Il
suffit, en effet, de dire résumé au lieu de condensé pour que l’on s’
889
querelle aussi vieille que celle des manuels. Et
il
suffit de parler d’adaptations (ou d’abrégés) pour que l’on soit cont
890
r sa vie. Dès 1768, Ducis condense Shakespeare. «
Il
a rogné ses drames avec d’impitoyables ciseaux… il y a retaillé des t
891
à la française », dit encore Lanson. Dans Hamlet,
il
supprime le fameux monologue, les comédiens, la pantomime, les fossoy
892
s qui blessent inutilement le goût. Dans Othello,
il
supprime Jago, et l’action « s’expédie en vingt-quatre heures ». (Il
893
t l’action « s’expédie en vingt-quatre heures ». (
Il
y ajoute un happy ending, à la manière de Hollywood, déjà.) Au début
894
critures, dont s’est nourrie toute notre enfance.
Il
est vrai qu’en tout cela je n’ai cité que des traductions, et que ni
895
quoi tripler le nombre de pareils exemples. Mais
il
suffit. Le résumé, l’adaptation d’une œuvre au goût réel ou supposé d
896
ues remarques touchant la valeur même du procédé.
Il
est probable que le « condensé » n’aurait pas provoqué pareille indig
897
i rencontré pareil succès dans le grand public, s’
il
n’eût pas été présenté comme américain d’origine. (Américain signifia
898
e rôle exorbitant que nous leur attribuons, et qu’
ils
semblent en passe de prendre ici. Quant à la légitimité de l’adaptati
899
français que j’ai cités suffisent à faire voir qu’
elle
est infiniment variable. La Motte et Ducis appauvrissent, défigurent,
900
le (ou la victime) que l’on choisit. À ce propos,
il
est curieux de relever que tout se passe comme si les grands chefs-d’
901
s des versions réduites, émondées, aplaties. Mais
ils
sursautent dès qu’on se risque à « condenser » un lauréat quelconque
902
des éditeurs français de « condensés », c’est qu’
ils
accordent à des ouvrages moyens ou faibles un honneur qui convient au
903
fameux grand public, si cher aux éditeurs, n’est-
il
pas un enfant devant la vraie culture ? N’a-t-il pas droit aux mêmes
904
-il pas un enfant devant la vraie culture ? N’a-t-
il
pas droit aux mêmes égards que la jeunesse de la part de ceux qui l’é
905
nesse de la part de ceux qui l’éduquent ? Ne faut-
il
pas lui ménager avec prudence un accès progressif aux chefs-d’œuvre ?
906
rminé, et que l’auteur voulait détruire, ne court-
il
pas les mêmes dangers que s’il était « condensé » en cinquante pages
907
détruire, ne court-il pas les mêmes dangers que s’
il
était « condensé » en cinquante pages ? Faut-il crier à l’américanism
908
s’il était « condensé » en cinquante pages ? Faut-
il
crier à l’américanisme ? Ou plutôt se féliciter de voir cette œuvre a
909
en démocratie, et les masses y sont le despote qu’
il
s’agit avant tout d’éclairer. Mais il n’est pas vain d’exiger que les
910
despote qu’il s’agit avant tout d’éclairer. Mais
il
n’est pas vain d’exiger que les fabricants de condensés se donnent de
911
sés se donnent des règles et jouent franc jeu. Qu’
ils
résument sans jamais récrire, c’est-à-dire qu’ils se bornent à des co
912
ils résument sans jamais récrire, c’est-à-dire qu’
ils
se bornent à des coupures, et s’il faut un raccord ici ou là, qu’ils
913
est-à-dire qu’ils se bornent à des coupures, et s’
il
faut un raccord ici ou là, qu’ils l’impriment dans un autre caractère
914
s coupures, et s’il faut un raccord ici ou là, qu’
ils
l’impriment dans un autre caractère ; qu’ils avertissent bien clairem
915
, qu’ils l’impriment dans un autre caractère ; qu’
ils
avertissent bien clairement le lecteur qu’on ne lui vend qu’un résumé
916
le lecteur qu’on ne lui vend qu’un résumé, et qu’
ils
rappellent les dimensions de l’original ; enfin qu’ils prennent le so
917
appellent les dimensions de l’original ; enfin qu’
ils
prennent le soin de renvoyer aux éditions complètes de l’œuvre, dans
918
itions complètes de l’œuvre, dans tous les cas où
il
est possible de se les procurer chez le libraire. Tous les critiques
919
ibraire. Tous les critiques français ne devraient-
ils
pas se liguer pour qu’un code de ce genre soit adopté ? v. Rougemo