1 1946, Articles divers (1946-1948). Théologie et littérature (1946)
1 , de Newman sur Gerard Manley Hopkins. Mais il ne me paraît pas que le problème dans son ensemble ait été clairement posé
2 sans commune mesure. À qui la faute ? 4. Certes, je suis le premier à redouter que les théologiens se mettent à faire de
3 e monde » et à faire oublier leur « spécialité ». Mon idée serait bien plutôt d’exiger des critiques littéraires un minimum
4 ls se montrent cruellement dépourvus. Et de même, je suis le premier à protester contre ces citations d’auteurs à la mode
5 ou un prêtre juge opportun de parler d’un livre, j’ attends, à la fois comme fidèle et comme écrivain, qu’il en parle en t
6 u en artiste. Nonobstant ces réserves préalables, j’ ai une requête précise à présenter aux jeunes théologiens qui me liron
7 te précise à présenter aux jeunes théologiens qui me liront. Je voudrais que certains d’entre eux se consacrent à l’examen
8 à présenter aux jeunes théologiens qui me liront. Je voudrais que certains d’entre eux se consacrent à l’examen, à la crit
9 tendances littéraires de leur époque ; mais ceci, je le répète en tant que théologiens, non point en tant qu’écrivains-ama
10 oyant et le lecteur dans un même homme. Ceci dit, j’ en reviens à mon propos, qui était de soulever une question, et de sug
11 teur dans un même homme. Ceci dit, j’en reviens à mon propos, qui était de soulever une question, et de suggérer pour son é
12 résies dans la littérature moderne. Pour ma part, j’ ai tenté de montrer comment les troubadours, dont la doctrine fut repr
13 nt d’en devenir méconnaissable. Petit exemple que je mentionne faute de mieux pour l’entreprise et non pour le succès. Il
14 rt du dernier siècle ? Au lecteur convaincu comme moi de la nécessité de rétablir des ponts entre la théologie et les lettr
15 ponts entre la théologie et les lettres vivantes, je soumets à titre d’exemples et sans nul ordre préconçu, les thèses sui
16 milieux d’Église » ? 7. Une théologie orthodoxe ( je ne dis pas sclérosée) favorise, soutient et nourrit des œuvres de sty
17 é s’armant de la doctrine de Calvin. À l’inverse, je soupçonne les romantiques d’avoir cherché dans la théologie de leur é
18 logiens et des écrivains dans une nation donnée. Je me bornerai à citer ici l’exemple de l’Église anglicane dont le Praye
19 iens et des écrivains dans une nation donnée. Je me bornerai à citer ici l’exemple de l’Église anglicane dont le Prayer B
20 ur ! Seigneur !… mais ceux qui font la volonté de mon Père… » que nous devons prendre au sérieux. Faire la volonté de Dieu,
21 otestants anglo-saxons montrent un goût immodéré. Je connais un bon nombre d’ouvrages religieux dont le style journalistiq
22 ologiens à pousser plus avant dans un domaine que j’ espérais simplement désigner. b. Rougemont Denis de, « Théologie et
2 1946, Articles divers (1946-1948). Le supplice de Tantale (octobre 1946)
23 e double infraction aux grâces de l’esprit (comme je voudrais nommer les lois spirituelles), répond un châtiment dont on c
24 s précises, encore que fantastiques en apparence. Je vois Tantale soutenu dans la rivière, le rocher soutenu sur sa tête,
25 ndonne, et qu’il préfère soudain à son amour d’un moi coupable et torturé, l’expiation libératrice et son délire. À l’insta
26 pense-t-il, de gagner le monde s’il y perdait son moi  ? Il est certain qu’à sa manière il a raison. Car à gagner, l’on perd
27 rt mais la vie et l’héritage de la vie éternelle. J’ emprunte à Jean-Paul1, une histoire étrangement parabolique et qui, da
28 dernière clause se trouve ainsi conçue : « Tous mes biens tels qu’ils sont et vont reviendront et appartiendront à celui
29 endront et appartiendront à celui des sept de MM. mes Neveux qui, durant la demi-heure qui suivra la lecture de la présente
30 avant tous les autres, une ou quelques larmes sur moi , son oncle défunt, et cela en présence d’un respectable magistrat qui
31 qui en dressera le protocole. Si tout reste sec, mes biens seront donnés au légataire universel dont le nom va suivre. » À
32 Le conseiller continue son discours… Soudain : «  Je crois, très honorés Messieurs, dit Flachs en se levant, je crois que
33 très honorés Messieurs, dit Flachs en se levant, je crois que je pleure ! » Et, en effet, il se rassoit en sanglotant bri
34 Messieurs, dit Flachs en se levant, je crois que je pleure ! » Et, en effet, il se rassoit en sanglotant brièvement. Son
3 1946, Articles divers (1946-1948). Genève, rose des vents de l’esprit (19 décembre 1946)
35 sie, ils auraient été interdits. Personnellement, je regrette qu’aucun Russe n’ait répondu à notre invitation. Heureusemen
36 nvitation. Heureusement, nous avons eu Lukács, et je vois mieux maintenant quelles questions j’aurai à poser à la Russie.
37 cs, et je vois mieux maintenant quelles questions j’ aurai à poser à la Russie. Je lui dirai : « Vous accusez les démocrati
38 nt quelles questions j’aurai à poser à la Russie. Je lui dirai : « Vous accusez les démocraties d’être purement formelles,
39 … Notez, nous dit encore Denis de Rougemont, que je passe pour un homme de gauche dans les partis de droite et pour un ho
40 our un homme de droite dans les partis de gauche. Je ne suis jamais pour ou contre un parti. Je suis contre le totalitaris
41 auche. Je ne suis jamais pour ou contre un parti. Je suis contre le totalitarisme et pour la démocratie réelle, qui est le
4 1947, Articles divers (1946-1948). Préface à Le Cœur est un chasseur solitaire de Carson McCullers (1947)
42 chasseur solitaire de Carson McCullers (1947)k Je ne connais dans tout New York qu’une seule vraie terrasse de café, ce
43 de ses romans, et c’est là qu’il y a bien six ans j’ ai connu Carson McCullers. Elle avait l’air d’une toute jeune fille mo
44 ne ferait pas deux pas toute seule dans la ville. Je la félicitai sur le beau titre de son premier roman qui venait de par
45 de paraître — écrit entre 19 et 22 ans — et elle me dit merci, bien sérieusement selon la coutume des femmes américaines
46 es américaines lorsqu’on leur fait un compliment. Je suppose que mon étonnement eût atteint la stupéfaction si j’avais lu
47 lorsqu’on leur fait un compliment. Je suppose que mon étonnement eût atteint la stupéfaction si j’avais lu avant cette brèv
48 que mon étonnement eût atteint la stupéfaction si j’ avais lu avant cette brève rencontre The Heart is a lonely Hunter. Un
49 re The Heart is a lonely Hunter. Un peu plus tard je la revis à Brooklyn, dans une sombre maison de quatre étages où m’ava
50 oklyn, dans une sombre maison de quatre étages où m’ avait amené Golo, le plus jeune fils de Thomas Mann. Un mélange improb
51 de Jung, de ballet, de sculpture précolombienne. Je crois bien que toute la jeune littérature, la jeune musique, la jeune
52 n de Brooklyn, seul centre de pensée et d’art que j’ aie trouvé dans une grande ville de ce pays. Et puis leur nomadisme ha
53 Carson McCullers était dans une clinique. Un jour je la rencontre dans un train venant du Sud, en route pour une maison de
54 d’écrivains, tout au Nord, près de Saratoga. Elle me tend de ses mains tremblantes une petite coupure de journal : son mar
55 e la seconde. Carson McCullers par exemple, quand je l’interroge sur ses maîtres, me cite Dostoïevsky, Flaubert et Kierkeg
56 ar exemple, quand je l’interroge sur ses maîtres, me cite Dostoïevsky, Flaubert et Kierkegaard, là où un jeune Français ci
57 Elle appelle sa première sonate : Cette chose que je veux, je ne sais pas quoi. Je pense qu’on est en droit de parler ici
58 lle sa première sonate : Cette chose que je veux, je ne sais pas quoi. Je pense qu’on est en droit de parler ici d’une « 
59  : Cette chose que je veux, je ne sais pas quoi. Je pense qu’on est en droit de parler ici d’une « expérience romanesque 
60 omancier français, quand ils discutent des idées, me paraissent être, en règle générale, tout juste aussi intelligents que
61 opeland, et leur maladresse pathétique éveille en moi des réactions humaines — à propos du problème des Noirs en Amérique —
62 biliser les questions qui tourmentent l’époque. ⁂ Je me suis demandé souvent : quel est le sujet de ce roman ? Point d’int
63 iser les questions qui tourmentent l’époque. ⁂ Je me suis demandé souvent : quel est le sujet de ce roman ? Point d’intrig
64 re du Sud ? Ou bien toutes ces choses à la fois ? Je me demandais aussi : comment se peut-il que ce livre impossible à cla
65 du Sud ? Ou bien toutes ces choses à la fois ? Je me demandais aussi : comment se peut-il que ce livre impossible à classe
66 documentaire, ait eu tant de succès en Amérique ? Je ne vois pas de réponse satisfaisante à ma deuxième question : le fait
67 rique ? Je ne vois pas de réponse satisfaisante à ma deuxième question : le fait est là. Pour la première, je puis dire ap
68 ième question : le fait est là. Pour la première, je puis dire après coup que j’aurais dû trouver une clé dans cette lettr
69 là. Pour la première, je puis dire après coup que j’ aurais dû trouver une clé dans cette lettre d’un sourd-muet à son ami
70 ont toujours si occupés. » Dernièrement, à Paris, je disais à Carson, avec la ruse d’un interviewer : — Il n’y a pas d’his
71 ’y a pas d’histoires d’amour, dans ce roman. Elle me regarde étonnée, presque indignée : — Il n’y a que cela ! Elle voulai
5 1947, Articles divers (1946-1948). La lutte des classes (1947)
72 ration par le signal d’un raccourci métaphorique. J’ idéalise, mais pourquoi pas ? S’il me fallait décrire nos petits dépla
73 étaphorique. J’idéalise, mais pourquoi pas ? S’il me fallait décrire nos petits déplacements du point de vue de l’usager m
74 s déplacements du point de vue de l’usager moyen, je dirais que je les trouve divisés en trois classes, pour la commodité
75 du point de vue de l’usager moyen, je dirais que je les trouve divisés en trois classes, pour la commodité de l’exposé. D
76 trois classes, pour la commodité de l’exposé. De mon temps, les gens bien voyageaient en troisième, les gens chic parfois
77 n troisième, les gens chic parfois en seconde, et je ne savais rien des premières sinon qu’un morceau de dentelle ornait l
78 étaient vides. En troisième on retrouvait, comme j’ ai dit, les gens bien, gracieusement mêlés au peuple souverain de la r
79 l sans doute, chez nous, qui mérite l’adjectif —, je me disais : « C’est notre force, et ce sera peut-être un jour, au der
80 ans doute, chez nous, qui mérite l’adjectif —, je me disais : « C’est notre force, et ce sera peut-être un jour, au dernie
81 n-train de nos corruptions. Donc les Suisses que je vois en IIIe classe offrent l’image de l’homme sûr de son monde. D’où
82 , un rien. L’indiscrétion sévère du regard suisse me surprend à chacun de mes retours. Comment décrire et comment justifie
83 n sévère du regard suisse me surprend à chacun de mes retours. Comment décrire et comment justifier l’espèce particulière d
84 s il faut y être pour sentir et pour réagir comme je le dis. Dès que je m’éloigne un peu, l’indulgence me reprend. Tout co
85 ur sentir et pour réagir comme je le dis. Dès que je m’éloigne un peu, l’indulgence me reprend. Tout compte fait, je leur
86 sentir et pour réagir comme je le dis. Dès que je m’ éloigne un peu, l’indulgence me reprend. Tout compte fait, je leur don
87 le dis. Dès que je m’éloigne un peu, l’indulgence me reprend. Tout compte fait, je leur donne raison. Quand on possède la
88 n peu, l’indulgence me reprend. Tout compte fait, je leur donne raison. Quand on possède la pax helvetica, on ne saurait s
89 elvetica, on ne saurait se montrer trop vigilant, je veux dire trop méfiant et même intolérant. Qu’ils aient seulement l’a
90 propos de cette pax helvetica, si vous pensez que j’ exagère, laissez-moi recopier un « avis » imprimé que j’ai pu lire l’é
91 helvetica, si vous pensez que j’exagère, laissez- moi recopier un « avis » imprimé que j’ai pu lire l’été dernier, punaisé
92 ère, laissez-moi recopier un « avis » imprimé que j’ ai pu lire l’été dernier, punaisé près de la porte du balcon dans une
93 nt l’air trop contents d’être là, on les refoule. J’ ai cru remarquer à ce propos que le peuple suisse paraît de plus en pl
94 le placide qui leur fait face, mi-flatté mi-gêné. Je me sens devenir réactionnaire, ce qui m’effraye encore un peu, bien q
95 placide qui leur fait face, mi-flatté mi-gêné. Je me sens devenir réactionnaire, ce qui m’effraye encore un peu, bien que
96 mi-gêné. Je me sens devenir réactionnaire, ce qui m’ effraye encore un peu, bien que je voie venir le jour où la réaction l
97 onnaire, ce qui m’effraye encore un peu, bien que je voie venir le jour où la réaction la plus noire sera le dernier refug
98 noire sera le dernier refuge des esprits libres. Je me décide à regagner les troisièmes. Mais il faut traverser un couloi
99 ire sera le dernier refuge des esprits libres. Je me décide à regagner les troisièmes. Mais il faut traverser un couloir d
100 ais il faut traverser un couloir de premières. Et je m’arrête, fasciné. Un vieux monsieur en noir, au col rond, dur et hau
101 il faut traverser un couloir de premières. Et je m’ arrête, fasciné. Un vieux monsieur en noir, au col rond, dur et haut,
102 nole. En face de lui, la beauté même, « ô toi que j’ eusse aimée », sa fille sans doute, fume en feuilletant un magazine. J
103 ille sans doute, fume en feuilletant un magazine. Je croyais autrefois que les premières étaient vides. C’était vrai, les
104 vu. Les passagers de première classe, en Suisse, je les nomme les imperméables. Ils traversent et passent, et rien ne les
105 u travers.) Ils appartiennent au vaste monde dont je rêvais avec fièvre, à 12 ans, quand je lisais sur les longs wagons br
106 monde dont je rêvais avec fièvre, à 12 ans, quand je lisais sur les longs wagons bruns qui s’engouffraient au tunnel du Go
107 ucuresti. Voilà la Suisse en raccourci, telle que je l’aime : croisement des traditions locales les plus touchantes et des
6 1947, Articles divers (1946-1948). Les maladies de l’Europe (1947)
108 Les maladies de l’Europe (1947)g On m’ a prié de vous parler ce soir d’une Europe à laquelle je reviens après
109 ié de vous parler ce soir d’une Europe à laquelle je reviens après six ans d’absence, et certains événements. L’émotion de
110 oup d’œil, vous avez lu toute son histoire. Ainsi j’ ai retrouvé l’Europe. Sur son visage et dans son expression certains t
111 été, peut-être une lassitude, semblaient dire : «  Me voilà, c’est ainsi, tu devais t’y attendre, compte mes rides, et si t
112 oilà, c’est ainsi, tu devais t’y attendre, compte mes rides, et si tu veux m’aimer, regarde bien d’abord qui je suis devenu
113 ais t’y attendre, compte mes rides, et si tu veux m’ aimer, regarde bien d’abord qui je suis devenue ! » Ensuite on se prom
114 , et si tu veux m’aimer, regarde bien d’abord qui je suis devenue ! » Ensuite on se promène, on dit : « Où en es-tu ? qui
115 ton : « Et maintenant, quels sont tes projets ? » Je ne saurais échapper ce soir à l’emprise de ce rituel des retours et d
116 e l’amitié, le moins variable et le plus naturel. Je vais donc regarder notre Europe et j’éviterai de faire du sentiment p
117 us naturel. Je vais donc regarder notre Europe et j’ éviterai de faire du sentiment puisque aussi bien tout se passe en pub
118 puisque aussi bien tout se passe en public, puis j’ essaierai de mesurer sa situation nouvelle dans le monde. Enfin, j’ai
119 surer sa situation nouvelle dans le monde. Enfin, j’ ai hâte de lui demander : « Et maintenant, qu’allons-nous faire ensemb
120 raits, on en reçoit une impression d’ensemble que je traduirai par ces mots : on dirait, à la voir, qu’elle a perdu la gue
121 èlent à l’observateur de l’Europe d’après-guerre. J’ en mentionnerai quelques-uns rapidement. La Résistance européenne, adm
122 n d’avorter sous nos yeux, et pas un résistant ne me contredira. Des habitudes prises dans la lutte clandestine, ce sont l
123 antique de l’Europe. Lui seul, sous le couvert de je ne sais quels prétextes parés du nom de tradition, en réalité village
124 le peuple, au nom du peuple contre les libertés, j’ entends au nom de la dictature du prolétariat contre la liberté du cap
125 volonté ! Pendant ce temps que font les élites ? J’ entends les hommes dont la fonction serait de dénoncer ces maux, d’en
126 ide… ⁂ Il se peut que le portrait de l’Europe que je viens d’esquisser devant vous pèche par excès de pessimisme, et que p
127 cès de pessimisme, et que plusieurs des rides que j’ ai cru distinguer sur le visage spirituel du continent — je ne dis rie
128 distinguer sur le visage spirituel du continent — je ne dis rien de son visage physique — ne trahissent qu’une fatigue tem
129 ysique — ne trahissent qu’une fatigue temporaire. Je n’ignore pas que l’autodénigrement, chez nous autres Européens, se co
130 s, se confond trop souvent avec le sens critique. Je n’ignore pas que l’indignation morale est un genre littéraire, dont l
131 l’Asie ». Aujourd’hui l’Europe vue d’Amérique, et j’ imagine aussi vue de Russie, paraît plus petite que nature : physiquem
132 ir son génie. Notre rêve du progrès par exemple — j’ y faisais allusion tout à l’heure — semble avoir évacué l’Europe pour
133 s regardent vers l’Amérique. À tort ou à raison — je n’en juge pas ici —, ils s’imaginent que ces pays réalisent mieux que
134 a décadence, ou la déplore mais sans faire mieux. Je ne vois plus, pour tenir vitalement aux conceptions et aux coutumes e
135 rent ailleurs, et dans deux directions opposées. Je le répète, nos chances paraissent très faibles dans l’ensemble, malgr
136 s peur de perdre en vérité ? Cette même question, je sais plusieurs Européens qui se la posent en termes tout à fait urgen
137 d’un avenir aussi. Et de quel droit sacrifierais- je leurs espoirs à mes souvenirs ? En défendant l’Europe, il s’agit donc
138 Et de quel droit sacrifierais-je leurs espoirs à mes souvenirs ? En défendant l’Europe, il s’agit donc de savoir si nous d
139 erses, comme le pensent et le disent nos voisins. Je songe à ces enfants, et j’essaie de mêler à la vision de leur avenir
140 le disent nos voisins. Je songe à ces enfants, et j’ essaie de mêler à la vision de leur avenir la vision d’une Europe rédu
141 seulement pour nous ! Ce n’est donc pas au nom de je ne sais quel nationalisme européen qu’il nous faut défendre l’Europe,
142 aire » nous livrent le secret de l’opposition que je voudrais vous faire sentir. Pour eux la vie se résume en deux opérati
143 de plus en plus. Pour illustrer le contraste que je viens d’esquisser d’une manière un peu trop schématique et abstraite
144 e part, l’Américain et le Soviétique, de l’autre, je n’ai pas à chercher bien loin. Je prendrai simplement l’exemple de l’
145 ue, de l’autre, je n’ai pas à chercher bien loin. Je prendrai simplement l’exemple de l’entreprise qui nous rassemble ici.
146 l’entreprise qui nous rassemble ici. En Amérique, je pense que ces rencontres seraient un four, ou un flop, comme ils dise
147 un approfondissement de la conscience. En Russie, je ne crois pas être injuste en affirmant que ces rencontres seraient si
148 x initiateurs sur le banc des aveux spontanés. Et je ne dis pas que l’Américain et le Russe n’aient quelques bonnes raison
149 nt quelques bonnes raisons de se comporter ainsi, je dis seulement que leurs raisons ne sont pas celles de la culture ; qu
150 t la vocation qui est pour un seul. Crucifié, dis- je , car l’homme européen en tant que tel n’accepte pas d’être réduit à l
151 tion (s’il la domine en création) c’est celui que j’ appelle la personne. Et ces institutions à sa mesure, à hauteur d’homm
152 res politiques, les mêmes tensions fondamentales, je les nommerai : fédéralistes. Ici, Mesdames et Messieurs, s’ouvre béan
153 Ici, Mesdames et Messieurs, s’ouvre béante devant moi , la tentation de me lancer dans une série de définitions philosophiqu
154 ieurs, s’ouvre béante devant moi, la tentation de me lancer dans une série de définitions philosophiques de ces deux terme
155 certaine tradition européenne, non la meilleure. Je préfère emprunter, pour un moment, à nos voisins américains leurs mét
156 tes de la révolution et les fusillades massives. ( Je ne dis pas — notez-le bien — empêcher les révolutions que l’on consta
157 as s’offrir des destructions supplémentaires.) Et je sais trop bien ce que certains vont me dire : que je fais là le jeu d
158 aires.) Et je sais trop bien ce que certains vont me dire : que je fais là le jeu de la réaction, selon l’expression consa
159 sais trop bien ce que certains vont me dire : que je fais là le jeu de la réaction, selon l’expression consacrée, — mais c
160 aire cette mauvaise foi en service commandé, dont j’ ai déjà parlé, qui fait le jeu de la réaction en écœurant par sa tacti
161 r de la personne, nous avons la guerre au-dehors. Je m’explique. Quand l’homme se considère seulement sous l’aspect de ses
162 e la personne, nous avons la guerre au-dehors. Je m’ explique. Quand l’homme se considère seulement sous l’aspect de ses li
163 nnel, libre, efficace et constamment critique. Et je ne dis pas cela dans l’abstrait ; j’ai en vue des exemples précis. Ap
164 critique. Et je ne dis pas cela dans l’abstrait ; j’ ai en vue des exemples précis. Appelons totalitaire, ou soviétique, la
165 ou soviétique, la déviation collectiviste. Ce que je lui oppose ici, ce n’est nullement l’excès inverse de l’anarchie et d
166 ire sera toujours impérialiste, c’est une loi que je signale en passant. La volonté qui possède Bonaparte d’unifier l’Euro
167 Telle est la cause de presque toutes nos guerres. J’ ai dit, et je ne le répéterai jamais assez, qu’il faut voir dans le na
168 cause de presque toutes nos guerres. J’ai dit, et je ne le répéterai jamais assez, qu’il faut voir dans le nationalisme la
169 maladie européenne, l’anti-Europe par excellence. Je compare le nationalisme à une espèce de court-circuit dans la tension
170 élites qui portent la conscience de cette Europe, m’ apparaît, dans un double office de vigilance et d’invention. Le trésor
171 s descriptions pessimistes de l’Europe auxquelles je me suis livré en débutant sont exactes, il peut paraître assez étrang
172 escriptions pessimistes de l’Europe auxquelles je me suis livré en débutant sont exactes, il peut paraître assez étrange d
173 e, son avenir et le nôtre en elle ? Pour ma part, j’ entretiens une croyance toute mystique au sujet de la vocation. Je cro
174 croyance toute mystique au sujet de la vocation. Je crois qu’un être est maintenu en vie par la vie même de sa vocation,
175 elle est accomplie. Or, notre vocation européenne me paraît encore loin d’être accomplie… Mais cette raison irrationnelle,
176 hances de durée, ne peut ni ne doit vous suffire. J’ en indiquerai rapidement quelques autres, et ce sera ma conclusion. Un
177 indiquerai rapidement quelques autres, et ce sera ma conclusion. Une raison toute physique, géographique d’abord : l’Europ
178 eul tenant — peuvent se permettre d’expérimenter. Ma deuxième raison est d’ordre psychologique. Malgré tout, je veux dire
179 me raison est d’ordre psychologique. Malgré tout, je veux dire malgré la contagion des mystiques totalitaires, qui affecte
180 itique. Les Églises, autrefois, les redoutaient ; je pense qu’elles doivent aujourd’hui les nourrir, si cet esprit critiqu
181 es taxer sobrement, non sans humour à l’occasion. J’ ai souvent proposé cette petite parabole à mes amis américains : « Vou
182 ion. J’ai souvent proposé cette petite parabole à mes amis américains : « Vous croyez, leur disais-je, que le plus grand es
183 mes amis américains : « Vous croyez, leur disais- je , que le plus grand est nécessairement le meilleur. Et que l’on peut i
184 escaliers ni vous asseoir dans les fauteuils… » Ma troisième raison d’espérer, ce sont les crises qu’il faut prévoir dan
185 d’une expérience est de rater neuf fois sur dix. Je pense aux crises économiques qui menacent constamment l’Amérique. Cel
186 ser, et par là même de la rapprocher de l’Europe. Je pense surtout à l’avenir de l’URSS. Que l’on soit sympathique ou non
187 pas impossible, il est même probable, et c’est là mon espoir, que les Russes, comme les Américains, viendront s’enquérir au
188 a compare aux deux empires séparés d’elle, et que je nomme les deux empires sans précédent — l’Europe est la patrie de la
189 simple dilemme : la Planète unie ou la Bombe. Et je veux dire : Si les États-Unis et la Russie ne s’entendent pas, si la
190 ’ici-bas, mais seulement du jugement dernier — et je n’en dirai rien, n’y pouvant rien. Mais dans une large mesure aussi,
191 Et le monde, pour ce faire, a besoin de l’Europe, j’ entends de son esprit critique autant que de son sens inventif. La pen
192 iment de penser, que penser d’autre pour la paix, je vous le demande, qu’un idéal fédératif mondial ? C’est pourquoi, sans
193 ’un calembour, mais qui formule non sans bonheur, je crois, l’attitude d’engagement et de solidarité qui doit ici nous ins
194 ment et de solidarité qui doit ici nous inspirer, je dirai, songeant à l’Europe et à sa vocation mondiale, et je vous invi
195 songeant à l’Europe et à sa vocation mondiale, et je vous invite à le dire avec moi : Je pense, donc j’en suis ! g. Rou
196 cation mondiale, et je vous invite à le dire avec moi  : Je pense, donc j’en suis ! g. Rougemont Denis de, « Les maladies
197 mondiale, et je vous invite à le dire avec moi : Je pense, donc j’en suis ! g. Rougemont Denis de, « Les maladies de l
198 e vous invite à le dire avec moi : Je pense, donc j’ en suis ! g. Rougemont Denis de, « Les maladies de l’Europe », L’Es
7 1947, Articles divers (1946-1948). L’opportunité chrétienne (1947)
199 d’autres Églises, et qui résume toute une époque. Je pense qu’avec la guerre, cette époque a pris fin. Et je fonde cette c
200 se qu’avec la guerre, cette époque a pris fin. Et je fonde cette croyance sur quelques faits. C’est un fait que le totalit
201 nces d’action, et la misère du temps qui appelle, j’ attends ceci : 1° Que l’Église offre un type de relations humaines via
202 nt utiles, mais qui ne sont jamais règles de vie. Je voudrais une sociologie chrétienne pour le siècle. 2° Que l’Église of
203 que les meilleurs aujourd’hui, hors des Églises, me paraissent avides d’entendre. La « folie de la Croix » non la sagesse
204 ans le respect des diversités nationales. Que dis- je , il peut ! Il le doit, et de toute urgence ! S’il y échoue, je ne voi
205 Il le doit, et de toute urgence ! S’il y échoue, je ne vois aucune raison d’attendre autre chose, pour le monde, que des
206 ltent… Un mot encore. Ce programme, qui résume à mes yeux les plus grandes chances d’action du christianisme au xxe siècl
8 1947, Articles divers (1946-1948). La guerre des sexes en Amérique (janvier 1947)
207 que dans votre esprit comme type de civilisation, j’ imagine que vos conclusions ne seront point trop différentes de celles
208 ns ne seront point trop différentes de celles que je voudrais dégager d’un séjour de six ans en Amérique. Les mœurs sexuel
209 ’une nature différente, — et c’est la seconde que j’ essaierai de décrire. ⁂ De la passion Je pense que l’Amérique en
210 que j’essaierai de décrire. ⁂ De la passion Je pense que l’Amérique en tant qu’américaine, ignore le phénomène que n
211 ne, ignore le phénomène que nous nommons passion. J’ écrivais dans un livre récent : Rien de plus rare qu’une passion véri
212 Monde : elles en peignent le négatif. L’Américain me paraît peu doué pour les raffinements spirituels, peu capable de conc
213 isir les rideaux, mais la maison, et même l’auto. Je vois la preuve qu’elle se sent responsable et autonome (ou un peu plu
214 les femmes s’approchent volontiers), mais il y a je ne sais quoi de repoussant (et pas seulement pour un Européen, je m’e
215 de repoussant (et pas seulement pour un Européen, je m’en assure) dans un rassemblement de femmes d’âge moyen, non dépourv
216 repoussant (et pas seulement pour un Européen, je m’ en assure) dans un rassemblement de femmes d’âge moyen, non dépourvues
217 z-vous raison. Si grave que soit un tel jugement, j’ incline à croire que la facilité avec laquelle l’Américain divorce, ré
218 seconde fois, lui pour la quatrième ». Cependant, j’ en reviens à ma première définition, le divorce à l’américaine est con
219 ui pour la quatrième ». Cependant, j’en reviens à ma première définition, le divorce à l’américaine est considéré avant to
220 omène du divorce américain. De la sexualité Je mets en fait que le puritanisme, hérésie moraliste issue en Angleterr
221 ours encore les mœurs sexuelles du Nouveau Monde. J’ ajouterai qu’elle les détermine principalement par les réactions qu’el
222 méricain, c’est être un homme « décent » et comme je demandais à quelques étudiants ce qu’ils entendaient par là, l’un d’e
223 tudiants ce qu’ils entendaient par là, l’un d’eux me dit : « Décent est l’homme qui tient parole et se tient propre, à tou
224 ace de ce qu’il nommait libertinage. L’Américain, me semble-t-il, n’est pas vicieux. Il est moral ou sans morale, mais bie
225 sser donneraient matière à tout un livre. Mais il me paraît vain de l’écrire, car l’Amérique est en pleine transition, à c
226 directe et contrôlable du cinéma et des comics. À mon avis, l’aspect le plus intéressant de l’évolution actuelle des mœurs
227 ir une « révolte des instincts », ou d’y dénoncer je ne sais quelle « vague de barbarie nouvelle ». Le danger n’est sans d
228 c’est bien ce qu’il pense être, étant Américain. Je ne l’observe pas sans inquiétude ; non plus sans beaucoup d’amitié.
229 ’on pourrait fort bien soutenir la thèse inverse. Je l’ai fait ailleurs. h. Rougemont Denis de, « La guerre des sexes en
9 1947, Articles divers (1946-1948). Journal d’un intellectuel en exil (mars 1947)
230 47)i Janvier 1941 L’avant-garde à New York. —  J’ ai enfin découvert un « milieu littéraire » dans ce pays. Et ce n’étai
231 es « intellectuels » de vingt à quarante ans dont je retrouve les noms dans les petites revues de l’avant-garde américaine
232 ournalistes. Quant à leurs femmes et amies, elles m’ ont paru cultiver le genre des nihilistes russes d’antan. La plupart s
233 où ils écrivent, à les voir chez eux ou ensemble, j’ éprouve une sorte de tristesse. Ils paraissent encore moins intégrés q
234 lle raisons matérielles et sociales d’abord, dont j’ ai deviné quelques-unes en fréquentant les éditeurs d’ici. Atteindre l
235 es nos poèmes et nos essais. Une jeune romancière me disait : « Vous autres, Européens, vous écrivez comme si vous étiez d
236 pas un reproche aussi violent qu’il vous paraît. Je veux dire que l’on sent chez vous un tel souci de la forme durable… »
237 1941 Cinquième colonne. — Quelques fragments de mon Journal d’Allemagne ayant paru dans une revue de New York, Upton Si
238 sujet deux éditeurs. Sur leur demande pressante, je leur envoie le livre. L’un me répond au bout d’une semaine : votre li
239 demande pressante, je leur envoie le livre. L’un me répond au bout d’une semaine : votre livre est très bien, je voudrais
240 u bout d’une semaine : votre livre est très bien, je voudrais le publier, mais il a le malheur de porter sur les années 19
241 1936. Or le public veut de l’actualité. Le second m’ a fait venir ce matin : — En tant que citoyen, me dit-il, il serait de
242 m’a fait venir ce matin : — En tant que citoyen, me dit-il, il serait de mon devoir de publier ce livre. Mais en tant qu’
243  : — En tant que citoyen, me dit-il, il serait de mon devoir de publier ce livre. Mais en tant qu’éditeur, ce serait un sui
244 if. On parlerait de cinquième colonne à propos de ma maison et de vous-même. — Savez-vous que mon livre est sur la liste n
245 os de ma maison et de vous-même. — Savez-vous que mon livre est sur la liste noire des Allemands et même de l’organisation
246 é, mis au pilon tous les exemplaires restants ? — J’ imagine très bien ! Mais le public est simpliste, il attend des jugeme
247 La vraie Cinquième Colonne, dans nos démocraties, je vous le dis, c’est la paresse d’esprit ! 27 janvier 1941 Soirée, hier
248 nistes dans leur grande majorité. La situation ne m’ apparaît pas simple. Si les Églises s’opposent à l’intervention, c’est
249 n arrivant dans ce logis pour étudiants où un ami me prêtait sa chambrette, je trouve un grand jeune homme assis sur l’esc
250 our étudiants où un ami me prêtait sa chambrette, je trouve un grand jeune homme assis sur l’escalier. Il m’attendait. Il
251 uve un grand jeune homme assis sur l’escalier. Il m’ attendait. Il m’entraîne au café. Il avait des questions à me poser au
252 ne homme assis sur l’escalier. Il m’attendait. Il m’ entraîne au café. Il avait des questions à me poser au sujet d’un de m
253 . Il m’entraîne au café. Il avait des questions à me poser au sujet d’un de mes livres dont il devra parler au séminaire d
254 l avait des questions à me poser au sujet d’un de mes livres dont il devra parler au séminaire de littérature. Que veut-il
255 oir ? Simplement si c’est vrai. S’il est vrai que j’ ai vécu ce que j’écris. C’est la question que je préfère. Leur familia
256 si c’est vrai. S’il est vrai que j’ai vécu ce que j’ écris. C’est la question que je préfère. Leur familiarité réchauffe. C
257 e j’ai vécu ce que j’écris. C’est la question que je préfère. Leur familiarité réchauffe. Chaque soir, à la cafétéria, — u
258 omptoir où l’on désigne les plats de son choix, —  je déjeune avec des étudiants et leurs amies, des professeurs aussi, et
259 urs aussi, et quelques réfugiés. L’après-midi, on m’ emmène en auto dans la campagne, vers les petits lacs secrets de New H
260 perdus dans les forêts de bouleaux ; à Concord où j’ ai vu la maison d’Emerson, ses chapeaux et ses cannes accrochés dans l
261 lit qu’il avait fabriqué lui-même. Au crépuscule, j’ aime errer sur les quais, le long des bâtiments de brique rose aux fen
262 t, lieu de désolation voluptueuse où T. S. Eliot, me dit-on, conçut l’idée de son Waste Land… Un grand cimetière le domine
263 de son Waste Land… Un grand cimetière le domine, je n’en ai jamais vu de plus serein. Point de barrières ni d’allées. De
264 professeurs, les logiciens et les théologiens. On m’ y a présenté trois génies. Un génie aux États-Unis, c’est une catégori
265 es études. La plupart sont des monstres modestes. J’ en ai vu un qui mangeait un sandwich et c’était un spectacle fascinant
266 w York, 15 mai 1941 Recette pour vivre de peu. —  Je me souviens de ce sous-titre de mon Journal d’un intellectuel en chô
267 ork, 15 mai 1941 Recette pour vivre de peu. — Je me souviens de ce sous-titre de mon Journal d’un intellectuel en chômag
268 ivre de peu. — Je me souviens de ce sous-titre de mon Journal d’un intellectuel en chômage . Je disais simplement : « Gagn
269 re de mon Journal d’un intellectuel en chômage . Je disais simplement : « Gagner peu ». Et cela pouvait suffire en France
270 s « se débrouiller » avec moins qu’il ne faut. Et je touche ici la limite des fameuses libertés américaines, non sans ango
271 oix qu’entre le journalisme et le professorat. Or je répugne à l’un autant qu’à l’autre… ! Fin décembre 1941, 5 IV est 16t
272 n de pierre brune, et quitté non sans soulagement mon hôtel. Un plancher bleu foncé, des murs blancs, un plafond vitré. Deu
273 ace, le haut building d’une imprimerie. À droite, je domine le toit plat, formant terrasse, d’une maison de trois étages,
274 rcredi des Cendres, février 1942 Depuis des mois, j’ essayais de m’y mettre7. Mais je fuyais partout, dans la rue, dans le
275 dres, février 1942 Depuis des mois, j’essayais de m’ y mettre7. Mais je fuyais partout, dans la rue, dans le monde, au ciné
276 Depuis des mois, j’essayais de m’y mettre7. Mais je fuyais partout, dans la rue, dans le monde, au cinéma, sous le moindr
277 s le moindre prétexte. À deux heures aujourd’hui, je me suis enfermé sans plus bouger, entre mon fauteuil et ma table — le
278 e moindre prétexte. À deux heures aujourd’hui, je me suis enfermé sans plus bouger, entre mon fauteuil et ma table — les d
279 d’hui, je me suis enfermé sans plus bouger, entre mon fauteuil et ma table — les deux bras du fauteuil touchant le bord de
280 s enfermé sans plus bouger, entre mon fauteuil et ma table — les deux bras du fauteuil touchant le bord de la table — deva
281 les. Le téléphone a sonné plusieurs fois, près de mon lit, sans que je bouge. J’ai lentement relu ma conférence de Buenos A
282 a sonné plusieurs fois, près de mon lit, sans que je bouge. J’ai lentement relu ma conférence de Buenos Aires, des notes é
283 usieurs fois, près de mon lit, sans que je bouge. J’ ai lentement relu ma conférence de Buenos Aires, des notes éparses. À
284 e mon lit, sans que je bouge. J’ai lentement relu ma conférence de Buenos Aires, des notes éparses. À sept heures, je me s
285 e Buenos Aires, des notes éparses. À sept heures, je me suis mis à écrire. Il est dix heures et j’ai devant moi les trois
286 uenos Aires, des notes éparses. À sept heures, je me suis mis à écrire. Il est dix heures et j’ai devant moi les trois pre
287 es, je me suis mis à écrire. Il est dix heures et j’ ai devant moi les trois premiers chapitres terminés. J’ai faim, j’ai f
288 is mis à écrire. Il est dix heures et j’ai devant moi les trois premiers chapitres terminés. J’ai faim, j’ai froid, je suis
289 devant moi les trois premiers chapitres terminés. J’ ai faim, j’ai froid, je suis heureux, je cours dîner pour 50 cents à l
290 les trois premiers chapitres terminés. J’ai faim, j’ ai froid, je suis heureux, je cours dîner pour 50 cents à la cafétéria
291 emiers chapitres terminés. J’ai faim, j’ai froid, je suis heureux, je cours dîner pour 50 cents à la cafétéria du coin. 2
292 terminés. J’ai faim, j’ai froid, je suis heureux, je cours dîner pour 50 cents à la cafétéria du coin. 2 mars 1942 Ou écr
293 — Après trois jours et nuits de travail acharné, j’ ai tenté hier soir une sortie. Deux signes m’ont prouvé que jusqu’à no
294 rné, j’ai tenté hier soir une sortie. Deux signes m’ ont prouvé que jusqu’à nouvel ordre je suis le prisonnier de mon livre
295 Deux signes m’ont prouvé que jusqu’à nouvel ordre je suis le prisonnier de mon livre et ferais bien de ne plus m’en échapp
296 que jusqu’à nouvel ordre je suis le prisonnier de mon livre et ferais bien de ne plus m’en échapper. Je devais aller chez d
297 prisonnier de mon livre et ferais bien de ne plus m’ en échapper. Je devais aller chez des amis après le dîner. J’entre au
298 on livre et ferais bien de ne plus m’en échapper. Je devais aller chez des amis après le dîner. J’entre au hasard dans un
299 er. Je devais aller chez des amis après le dîner. J’ entre au hasard dans un petit restaurant, au bas de Madison Avenue. La
300 vide. Il doit être environ neuf heures et demie. J’ hésite sur le seuil : va-t-on me servir encore ? Au fond de la salle,
301 heures et demie. J’hésite sur le seuil : va-t-on me servir encore ? Au fond de la salle, deux hommes et une femme attablé
302 emme attablés causent et boivent. L’un des hommes m’ ayant remarqué, je l’entends dire : « Voilà le diable ! » Ils se retou
303 ent et boivent. L’un des hommes m’ayant remarqué, je l’entends dire : « Voilà le diable ! » Ils se retournent à demi et ri
304 le diable ! » Ils se retournent à demi et rient. J’ ai fui. Pas d’autre restaurant dans ce quartier. Je suis monté sans dî
305 ’ai fui. Pas d’autre restaurant dans ce quartier. Je suis monté sans dîner chez mes amis. Je n’en ai pas de plus charmants
306 t dans ce quartier. Je suis monté sans dîner chez mes amis. Je n’en ai pas de plus charmants dans toute la ville, et je les
307 quartier. Je suis monté sans dîner chez mes amis. Je n’en ai pas de plus charmants dans toute la ville, et je les ai vus p
308 ai pas de plus charmants dans toute la ville, et je les ai vus presque chaque jour le mois dernier. Mais ce soir-là je n’
309 sque chaque jour le mois dernier. Mais ce soir-là je n’avais rien à dire, et me demandais non sans angoisse ce que l’on pe
310 rnier. Mais ce soir-là je n’avais rien à dire, et me demandais non sans angoisse ce que l’on peut bien avoir à dire, en gé
311 cour. Des gouttes chargées de suie s’écrasent sur mon papier, la verrière doit être fendue ou mal jointe. Raccommodé avec u
312 vec un ligament de ficelle verte le pied cassé de mon petit fauteuil. Bonheur d’écrire et de me sentir libre nuit et jour.
313 ssé de mon petit fauteuil. Bonheur d’écrire et de me sentir libre nuit et jour. Fin mars 1942 Écrit finis à six heures du
314 ican, dans une crypte de pierre nue. Exorciser en moi la part du diable, celle qu’il a sans doute prise à mon ouvrage. Idée
315 part du diable, celle qu’il a sans doute prise à mon ouvrage. Idée bizarre : si j’ai si vite bouclé ce livre, c’était pour
316 sans doute prise à mon ouvrage. Idée bizarre : si j’ ai si vite bouclé ce livre, c’était pour essayer de le prendre de vite
317 itesse. 1er avril 1942 Une lettre du propriétaire m’ apprend qu’on va démolir mon étage. Je louais cet atelier au mois et n
318 lettre du propriétaire m’apprend qu’on va démolir mon étage. Je louais cet atelier au mois et n’ai donc plus qu’à déguerpir
319 ropriétaire m’apprend qu’on va démolir mon étage. Je louais cet atelier au mois et n’ai donc plus qu’à déguerpir sans insi
320 dans une belle chambre blanche, vaste et carrée. Je me sens rendu au monde et à la vie courante. Mais pendant que je m’es
321 ns une belle chambre blanche, vaste et carrée. Je me sens rendu au monde et à la vie courante. Mais pendant que je m’escri
322 u au monde et à la vie courante. Mais pendant que je m’escrimais contre son image fuyante, le diable a tranquillement vidé
323 u monde et à la vie courante. Mais pendant que je m’ escrimais contre son image fuyante, le diable a tranquillement vidé mo
324 on image fuyante, le diable a tranquillement vidé mon compte en banque, et je ne suis pas plus avancé qu’au temps de mon îl
325 le a tranquillement vidé mon compte en banque, et je ne suis pas plus avancé qu’au temps de mon île atlantique. 21 avril 1
326 que, et je ne suis pas plus avancé qu’au temps de mon île atlantique. 21 avril 1942 Comme on regarde les vitrines différemm
327 ses descriptions du monde. 10 mai 1942 Un job. —  J’ étais allé voir mes enfants à Long Island, le samedi soir, et le diman
328 u monde. 10 mai 1942 Un job. — J’étais allé voir mes enfants à Long Island, le samedi soir, et le dimanche matin j’annonce
329 Long Island, le samedi soir, et le dimanche matin j’ annonce subitement que je dois rentrer en ville pour une affaire press
330 ir, et le dimanche matin j’annonce subitement que je dois rentrer en ville pour une affaire pressante. En vérité, j’ignora
331 r en ville pour une affaire pressante. En vérité, j’ ignorais quelle affaire, mais je sentais qu’il fallait rentrer. J’ouvr
332 sante. En vérité, j’ignorais quelle affaire, mais je sentais qu’il fallait rentrer. J’ouvre ma porte et j’entends le télép
333 e affaire, mais je sentais qu’il fallait rentrer. J’ ouvre ma porte et j’entends le téléphone. C’est un ami qui va quitter
334 e, mais je sentais qu’il fallait rentrer. J’ouvre ma porte et j’entends le téléphone. C’est un ami qui va quitter l’Office
335 entais qu’il fallait rentrer. J’ouvre ma porte et j’ entends le téléphone. C’est un ami qui va quitter l’Office of War Info
336 te demain après-midi, et sans doute repourvue. Si j’ y vais, j’ai les plus grandes chances. J’y suis allé et une demi-heure
337 après-midi, et sans doute repourvue. Si j’y vais, j’ ai les plus grandes chances. J’y suis allé et une demi-heure plus tard
338 rvue. Si j’y vais, j’ai les plus grandes chances. J’ y suis allé et une demi-heure plus tard, je me mettais à ce travail, n
339 ances. J’y suis allé et une demi-heure plus tard, je me mettais à ce travail, nouveau pour moi : écrire des textes d’infor
340 es. J’y suis allé et une demi-heure plus tard, je me mettais à ce travail, nouveau pour moi : écrire des textes d’informat
341 us tard, je me mettais à ce travail, nouveau pour moi  : écrire des textes d’information et des commentaires politiques, dif
342 aris même : surréalisme. Chaque soir, pendant que mon texte terminé sous pression passe par une série de bureaux, de la cen
343 e l’Amérique parle aux Français. Il est temps que je recueille et dépouille les directives de Washington, de New York, de
344 ives de Washington, de New York, de Londres, pour ma seconde émission, celle de la nuit. Pierre Lazareff, en bras de chemi
345 l’oreille et le front maculé d’encre à copier. Il me cherche du regard par-dessus ses lunettes. Il tient une liasse de doc
346 it geste nerveux : « Voilà ce que vous cherchiez, mon cher. Une bonne idée pour vous là-dedans ! » Cela tient de la divinat
347 N’êtes-vous pas l’auteur du Secret ? Souffrez que j’ en sois la victime. » Sur quoi, peut-être, il serait temps d’aller à c
348 t. À deux heures du matin, si tout a bien marché, je monterai chez « Saint-Ex » faire une partie d’échecs et l’écouter par
349 sses reculent, les Japonais avancent encore. Mais j’ ai pu annoncer le premier raid anglais de mille avions, et la promesse
350 urs qui passent par cette ville de nulle part. Et j’ ai songé à cette autre retraite, la maison rose de « La Muette », où R
351 voyé sous la pression du parti de l’armistice… Et je doute si personne aujourd’hui parle un français plus sûr de ses nuanc
352 t), 15 août 1942 Huit jours de vacances à la mer. Je partage cette maison de bois, au bord du Sound, avec les Saint-Exupér
353 la nuit. Profité de ce bref loisir pour reprendre mon diable abandonné dans un tiroir depuis des mois, et pour en récrire d
354 tremblant. C’est un boxer qu’il baptise Annibal. Je lui apprends à marcher en laisse, sur la plage. 18 août 1942 Peut-êtr
355 es se donnent pour en sortir, un jour ou l’autre, me paraissent hypocrites ou faciles à réduire. « Gagner sa vie », dit-on
356 ge soit-il, qui ne serve Hitler en fin de compte. J’ écris vingt à trente pages par jour après des heures de recherches pré
357 à deux heures à New York, avec les Saint-Exupéry. J’ y passe mes trente-six heures de congé, chaque semaine. C’est immense,
358 res à New York, avec les Saint-Exupéry. J’y passe mes trente-six heures de congé, chaque semaine. C’est immense, sur un pro
359 dans un paysage de forêts et d’îles tropicales. «  Je voulais une cabane et c’est le Palais de Versailles ! » s’est écrié T
360 érils et tire la langue pour ne pas « dépasser ». Je pose pour le Petit Prince couché sur le ventre et relevant les jambes
361 ous direz plus tard en montrant ce dessin : c’est moi  ! » Le soir, il nous lit les fragments d’un livre énorme (« Je vais v
362 r, il nous lit les fragments d’un livre énorme («  Je vais vous lire mon œuvre posthume ») et qui me paraît ce qu’il a fait
363 fragments d’un livre énorme (« Je vais vous lire mon œuvre posthume ») et qui me paraît ce qu’il a fait de plus beau. Tard
364 (« Je vais vous lire mon œuvre posthume ») et qui me paraît ce qu’il a fait de plus beau. Tard dans la nuit je me retire é
365 t ce qu’il a fait de plus beau. Tard dans la nuit je me retire épuisé (je dois rentrer pour neuf heures à New York), mais
366 e qu’il a fait de plus beau. Tard dans la nuit je me retire épuisé (je dois rentrer pour neuf heures à New York), mais il
367 plus beau. Tard dans la nuit je me retire épuisé ( je dois rentrer pour neuf heures à New York), mais il vient encore dans
368 euf heures à New York), mais il vient encore dans ma chambre fumer des cigarettes et discuter le coup avec une rigueur inf
369 discuter le coup avec une rigueur inflexible. Il me donne l’impression d’un cerveau qui ne peut plus s’arrêter de penser…
370 n octobre 1942 Propagande et style. — Depuis que je suis à l’OWI, rédigeant bon gré mal gré mes vingt-cinq pages quotidie
371 is que je suis à l’OWI, rédigeant bon gré mal gré mes vingt-cinq pages quotidiennes, je n’ai pu guère écrire que ces notes
372 on gré mal gré mes vingt-cinq pages quotidiennes, je n’ai pu guère écrire que ces notes de journal, et deux essais pour de
373 s pour des revues américaines. Mais ces essais-là m’ ont suffi pour déceler l’influence sur mon style de ce travail de prop
374 ssais-là m’ont suffi pour déceler l’influence sur mon style de ce travail de propagande. Ou bien serait-ce l’influence de l
375 al ? Mais elles convergent ou même s’identifient. Je constate que j’hésite ou répugne aujourd’hui à écrire certaines phras
376 convergent ou même s’identifient. Je constate que j’ hésite ou répugne aujourd’hui à écrire certaines phrases, à user de ce
377 e certaines phrases, à user de certains tours que je pressens intraduisibles, au sens le plus large du terme. Car il ne s’
378 ge du terme. Car il ne s’agit pas seulement, pour moi , d’écrire en vue d’une traduction américaine, mais également en vue d
379 à Paris. Cependant nous vivons au xxe siècle, et je voudrais un style qui supporte le transport. Les choses que l’on publ
380 maison d’il y a longtemps, semblable à celles de mon enfance, en marge du temps de la guerre, j’ai vécu des journées soust
381 s de mon enfance, en marge du temps de la guerre, j’ ai vécu des journées soustraites au Destin. La mer est grise, le soir
382 la sauvagerie de la verdure américaine. Que fais- je ici, que rejoindre ma vie, pas à pas dans les bois solitaires ? Il se
383 erdure américaine. Que fais-je ici, que rejoindre ma vie, pas à pas dans les bois solitaires ? Il se peut qu’on m’envoie b
384 à pas dans les bois solitaires ? Il se peut qu’on m’ envoie bientôt en Afrique du Nord, et de là… Et j’éprouve un besoin pr
385 m’envoie bientôt en Afrique du Nord, et de là… Et j’ éprouve un besoin presque panique de me rassembler, de me retrouver, p
386 de là… Et j’éprouve un besoin presque panique de me rassembler, de me retrouver, pour rentrer tout entier en Europe après
387 ve un besoin presque panique de me rassembler, de me retrouver, pour rentrer tout entier en Europe après ces deux années d
10 1947, Articles divers (1946-1948). La jeune littérature des États-Unis devant le roman américain (7 juin 1947)
388 -Unis devant le roman américain (7 juin 1947)m Je ne connais dans tout New York qu’une seule vraie terrasse de café, ce
389 de ses romans, et c’est là qu’il y a bien six ans j’ ai connu Carson McCullers. Elle avait l’air d’une toute jeune fille mo
390 ne ferait pas deux pas toute seule dans la ville. Je la félicitai sur le beau titre de son premier roman qui venait de par
391 de paraître — écrit entre 19 et 22 ans — et elle me dit merci, bien sérieusement selon la coutume des femmes américaines
392 es américaines lorsqu’on leur fait un compliment. Je suppose que mon étonnement eût atteint la stupéfaction si j’avais lu
393 lorsqu’on leur fait un compliment. Je suppose que mon étonnement eût atteint la stupéfaction si j’avais lu avant cette brèv
394 que mon étonnement eût atteint la stupéfaction si j’ avais lu avant cette brève rencontre The Heart is a lonely Hunter (Le
395 Cœur est un chasseur solitaire). Un peu plus tard je la revis à Brooklyn, dans une sombre maison de quatre étages où m’ava
396 oklyn, dans une sombre maison de quatre étages où m’ avait amené Golo, le plus jeune fils de Thomas Mann. Un mélange improb
397 de Jung, de ballet, de sculpture précolombienne. Je crois bien que toute la jeune littérature, la jeune musique, la jeune
398 n de Brooklyn, seul centre de pensée et d’art que j’ aie trouvé dans une grande ville de ce pays. ⁂ Et puis leur nomadisme
399 Carson McCullers était dans une clinique. Un jour je la rencontre dans un train venant du Sud, en route pour une maison de
400 d’écrivains, tout au Nord, près de Saratoga. Elle me tend de ses mains tremblantes une petite coupure de journal : son mar
401 e la seconde. Carson McCullers par exemple, quand je l’interroge sur ses maîtres, me cite Dostoïevsky, Flaubert et Kierkeg
402 ar exemple, quand je l’interroge sur ses maîtres, me cite Dostoïevsky, Flaubert et Kierkegaard, là où un jeune Français ci
11 1947, Articles divers (1946-1948). Drôle de paix (7 juin 1947)
403 que en Asie, manque de foi et d’espoir en Europe. Je dis bien que notre paix repose sur ces manques, qu’elle y trouve ses
404 i sait quelle arrogance elle ne retrouverait pas. J’ imagine que les hommes d’État se préoccupent essentiellement de la rép
12 1947, Articles divers (1946-1948). Einstein, patriarche de l’âge atomique, m’a dit : « C’est pour dissimuler sa pauvreté et sa faiblesse que l’URSS méfiante, s’entoure de secret… » (9 août 1947)
405 Einstein, patriarche de l’âge atomique, m’ a dit : « C’est pour dissimuler sa pauvreté et sa faiblesse que l’URSS
406 des universités du continent. Depuis deux ans que j’ y vis, je vois passer chaque jour sous mes fenêtres, à onze heures du
407 rsités du continent. Depuis deux ans que j’y vis, je vois passer chaque jour sous mes fenêtres, à onze heures du matin, qu
408 ans que j’y vis, je vois passer chaque jour sous mes fenêtres, à onze heures du matin, quelque temps qu’il fasse, le patri
409 se, le patriarche du nouvel âge, Albert Einstein. Je suis allé lui rendre visite dans une maison de bois jaune entourée de
410 son naquit le nouvel âge. Le voici soudain devant moi . Souriant de ses gros yeux très vifs sous des arcades sourcilières ét
411 heveux blancs en auréole. À le voir de tout près, je le trouve plutôt petit, massif, la tête rentrée dans des épaules épai
412 ales. C’est le costume habituel des étudiants. Il m’ apporte un fauteuil de jardin près du sien. Et nous parlons de l’Améri
413 l’Amérique, dont Einstein est devenu citoyen. Il me dit : — Écoutez-moi bien, c’est la seule démocratie véritable. Les ge
414 instein est devenu citoyen. Il me dit : — Écoutez- moi bien, c’est la seule démocratie véritable. Les gens d’ici sont cordia
415 t dépourvus de toute espèce d’inhibition sociale. Je vous en donnerai un bon exemple. Il y a quelques mois, une de mes voi
416 erai un bon exemple. Il y a quelques mois, une de mes voisines, que je ne connais pas, envoie sa petite fille sonner à ma p
417 e. Il y a quelques mois, une de mes voisines, que je ne connais pas, envoie sa petite fille sonner à ma porte. La petite f
418 e ne connais pas, envoie sa petite fille sonner à ma porte. La petite fille me dit : « Maman pense que vous pourrez m’aide
419 a petite fille sonner à ma porte. La petite fille me dit : « Maman pense que vous pourrez m’aider pour mes devoirs d’arith
420 ite fille me dit : « Maman pense que vous pourrez m’ aider pour mes devoirs d’arithmétique. » Je l’ai aidée de mon mieux. C
421 dit : « Maman pense que vous pourrez m’aider pour mes devoirs d’arithmétique. » Je l’ai aidée de mon mieux. C’est une charm
422 ourrez m’aider pour mes devoirs d’arithmétique. » Je l’ai aidée de mon mieux. C’est une charmante enfant. — Depuis quand v
423 ur mes devoirs d’arithmétique. » Je l’ai aidée de mon mieux. C’est une charmante enfant. — Depuis quand vivez-vous en Améri
424 uand vivez-vous en Amérique ? — Depuis 1934. Mais j’ y étais venu une première fois en 1922, pour parler d’un projet d’univ
425 er d’un projet d’université juive à Jérusalem. On m’ a donné beaucoup de banquets, j’ai entendu beaucoup de speechs. Vous n
426 e à Jérusalem. On m’a donné beaucoup de banquets, j’ ai entendu beaucoup de speechs. Vous ne pouvez imaginer à quel point c
427 s le sérieux et vers la vraie culture. Toutefois, je m’étonne de la manière dont ils réagissent, ou plutôt ne réagissent p
428 e sérieux et vers la vraie culture. Toutefois, je m’ étonne de la manière dont ils réagissent, ou plutôt ne réagissent pas
429 rte d’hystérie antirusse ? Méfiance russe Et je pense à part moi : nous y voici. N’ai-je pas entendu répéter ces dern
430 ntirusse ? Méfiance russe Et je pense à part moi  : nous y voici. N’ai-je pas entendu répéter ces derniers temps qu’Ein
431 se Et je pense à part moi : nous y voici. N’ai- je pas entendu répéter ces derniers temps qu’Einstein serait « très comm
432 S ? Au risque de passer pour fasciste à ses yeux, je suggère que la cause la plus nette de ce qu’il nomme l’hystérie antir
433 l, c’est la méfiance systématique des Soviets. Or je crains qu’il n’y ait rien à faire pour la surmonter. Car la cause n’e
434 nseigne sur l’état de leurs travaux atomiques ? — J’ ai une explication plus simple du « rideau de fer ». Les Russes sont t
435 i qui se passe aujourd’hui dans leurs frontières. Je vous le répète, ce qui domine la situation présente, c’est que les Ru
436 ent forcés de tout refuser. — Alors que faire ? — Je ne vois qu’une solution possible. C’est que tous les autres pays form
437 accompagne parfois Einstein, qui joue du violon. Je me rappelle l’anecdote qui circule ici. Schnabel s’interrompant, impa
438 compagne parfois Einstein, qui joue du violon. Je me rappelle l’anecdote qui circule ici. Schnabel s’interrompant, impatie
439 , Albert, c’est que vous ne savez pas compter ! » Je pense à l’Institut qu’Einstein a fondé avec quelques collègues, ici m
440 plus que nul autre à susciter dans notre siècle ? Je tourne autour de la question. Mais soudain, Einstein m’interrompt et,
441 rne autour de la question. Mais soudain, Einstein m’ interrompt et, de son air malicieux et bonhomme : « La bombe, dit-il,
442 lus conscientes du danger de la guerre moderne. » Je lui demande s’il approuve le plan Baruch, au terme duquel les États-U
443 raineté absolue des nations. — Ce serait, lui dis- je en me levant, le premier pas vers un gouvernement mondial, c’est-à-di
444 é absolue des nations. — Ce serait, lui dis-je en me levant, le premier pas vers un gouvernement mondial, c’est-à-dire ver
445 t longue, bien longue encore ! dit-il soucieux en me reconduisant. Sur quoi je lui cite la parole de Lyautey qui avait dem
446 re ! dit-il soucieux en me reconduisant. Sur quoi je lui cite la parole de Lyautey qui avait demandé qu’on plante devant s
447 nis de, « Einstein, patriarche de l’âge atomique, m’ a dit… », Paris Presse, Paris, 9 août 1947, p. 1 et 3.
13 1947, Articles divers (1946-1948). Conversation à bâtons rompus avec M. Denis de Rougemont (30-31 août 1947)
448 ait l’honneur de nous recevoir quelques instants. Je viens de passer sept ans aux États-Unis, nous confie-t-il. J’étais pa
449 passer sept ans aux États-Unis, nous confie-t-il. J’ étais parti pour l’Amérique afin de faire une tournée de conférences s
450 e faire une tournée de conférences sur la Suisse. J’ y allais aussi dans l’intention de faire jouer mon oratorio Nicolas d
451 J’y allais aussi dans l’intention de faire jouer mon oratorio Nicolas de Flue , dont Honegger a écrit la musique. Surpris
452 negger a écrit la musique. Surpris par la guerre, je suis resté aux États-Unis. Je suis rentré en Suisse il y a quelques m
453 pris par la guerre, je suis resté aux États-Unis. Je suis rentré en Suisse il y a quelques mois seulement, et je compte m’
454 ntré en Suisse il y a quelques mois seulement, et je compte m’installer à Ferney dans quelques jours. Avez-vous beaucoup é
455 isse il y a quelques mois seulement, et je compte m’ installer à Ferney dans quelques jours. Avez-vous beaucoup écrit penda
456 nt ce « temps de pénitence » ? Oui, passablement. J’ ai écrit Vivre en Amérique , j’ai publié La Part du diable et m’en
457 ui, passablement. J’ai écrit Vivre en Amérique , j’ ai publié La Part du diable et m’en vais sortir très prochainement
458 en Amérique , j’ai publié La Part du diable et m’ en vais sortir très prochainement Journal des deux mondes , dont la G
459 é une édition. À l’intention du public américain, j’ ai fait, enfin, un ouvrage sur la Suisse, intitulé Le Cœur de l’Europ
460 t, qui nous a répondu simplement : De tout temps, j’ ai été fédéraliste, et je me suis fait une philosophie qui cadre avec
461 plement : De tout temps, j’ai été fédéraliste, et je me suis fait une philosophie qui cadre avec les institutions de notre
462 ment : De tout temps, j’ai été fédéraliste, et je me suis fait une philosophie qui cadre avec les institutions de notre pa
463 , contrairement à ce que l’on pense généralement, je m’assure que l’expérience suisse, malgré son petit cadre, est valable
464 ontrairement à ce que l’on pense généralement, je m’ assure que l’expérience suisse, malgré son petit cadre, est valable po
465 aissance d’une fédération européenne. Mais ce qui me paraît important et encourageant tout à la fois, c’est qu’on assiste
466 de la possibilité de créer un État fédéral. Comme je l’ai dit dans ma conférence de mardi soir, ce qui étonne tous les his
467 de créer un État fédéral. Comme je l’ai dit dans ma conférence de mardi soir, ce qui étonne tous les historiens de notre
468 ez nous des progrès aussi terrifiants. Aussi suis- je convaincu que le salut de notre fédéralisme ne peut venir que d’une E
14 1947, Articles divers (1946-1948). L’attitude fédéraliste (octobre 1947)
469 t théorique et les généralisations. D’autre part, j’ ai toujours éprouvé de la répugnance à séparer les valeurs spirituelle
470 s et leur incarnation dans les réalités humaines. J’ essaierai donc de définir l’esprit fédéraliste d’une manière indirecte
471 iste d’une manière indirecte, par implication, et je m’en tiendrai le plus possible à ses manifestations historiques, tell
472 e d’une manière indirecte, par implication, et je m’ en tiendrai le plus possible à ses manifestations historiques, telles
473 celle de la Confédération helvétique. Toutefois, je ne puis éviter de poser au départ quelques définitions. Il est vain d
474 la solidarité, correspond le régime fédéraliste. J’ ajouterai une remarque encore, pour compléter ce schéma trop rapide ma
475 re, pour compléter ce schéma trop rapide mais qui me paraît indispensable. Il ne faut pas penser que la personne soit un m
476 oix qu’entre la balkanisation et l’helvétisation. Je suppose que Jaspers entendait par balkanisation la désintégration de
477 de solutions rapides. » À la deuxième objection, je répondrai que les cantons suisses n’ont adopté une constitution commu
478 sposer ses institutions à l’échelle continentale, je répondrai que l’objection est valable si l’on ne s’attache qu’aux dét
479 pensée introduites par la science relativiste. À mon sens, le mouvement intime de la pensée fédéraliste ne saurait être mi
480 ner deux tendances toutes semblables à celles que je viens de signaler en Suisse. Nous aurons des fédéralistes qui ne pens
481 . ⁂ Lorsqu’on lit les anciens historiens suisses, j’ entends ceux d’avant 1848, on est frappé de constater qu’ils n’emploie
482 soi. C’est peut-être parce que cette idée, comme je le disais tout à l’heure, est à la fois simple à sentir et très délic
483 quatre langues, de vingt-deux républiques, et de je ne sais combien de « races » en un État qui les respecte, cette union
484 grand danger de l’heure présente, pour la Suisse, je le vois dans ce fait qu’elle doit se formuler. Elle doit dire ce qui
485 squement, cette question risque d’être mal posée. J’ entends qu’elle risque de ne susciter que des plans rationnels et des
486 ’est pour éviter ce piège autant que possible que je vais me borner à dégager ici, après coup, quelques-uns des principes
487 r éviter ce piège autant que possible que je vais me borner à dégager ici, après coup, quelques-uns des principes directeu
488 out empirique, ont formé la fédération suisse. Et je vais les choisir parmi ceux qui me paraissent applicables, immédiatem
489 ion suisse. Et je vais les choisir parmi ceux qui me paraissent applicables, immédiatement, dans l’état présent de l’Europ
490 e du renoncement à tout esprit de système. Ce que je viens de dire au sujet de l’impérialisme ou de l’hégémonie d’une nati
491 isme brutal qui caractérise l’esprit totalitaire. Je dis bien l’amour, et non pas le respect ou la tolérance. L’amour des
492 ir d’un centre ou par le moyen des gouvernements. Je vois la fédération européenne se composer lentement, un peu partout,
493 atent, et là seulement, elles sont irréductibles. Je ne pense pas que les gouvernements puissent jamais réaliser une union
494 ordonnées. Les principes du fédéralisme, tels que je viens de les rappeler, s’opposent diamétralement et point par point,
495 Elle ne doit pas compter sur les gens au pouvoir. J’ en connais peu qui aient l’intention de le laisser limiter, et c’est p
496 ’Europe qui les poussera. De cette agitation, que je voudrais baptiser la Nouvelle Résistance européenne, nous nous sommes
15 1947, Articles divers (1946-1948). La liberté dans l’amour [Réponse à une enquête] (novembre 1947)
497 se à une enquête] (novembre 1947)e Le problème me paraît capital, mais son énoncé sur plus d’un point critiquable ou ob
498 énoncé sur plus d’un point critiquable ou obscur. Je me propose donc de serrer de près les termes de votre questionnaire.
499 ncé sur plus d’un point critiquable ou obscur. Je me propose donc de serrer de près les termes de votre questionnaire. La
500 stionnaire. La conception chrétienne de l’amour ? Je demande à voir ce qu’on entend par là. Si on la confond, comme il arr
501 e, avec le légalisme institué par la bourgeoisie, je pense qu’elle a encore un bel avenir — en URSS. Voyez dans quels term
502 ier » semblerait être soumis « depuis toujours ». Je crains bien que tout cela ne repose sur la confusion des termes amour
503 confusion des termes amour et sexualité. En fait, je ne connais pas une seule loi, dans un seul pays ou un seul temps, qui
504 ide la lourde réalité du problème que vous posez. Je ne me sens pas capable de le résoudre en quelques lignes, et je ne vo
505 lourde réalité du problème que vous posez. Je ne me sens pas capable de le résoudre en quelques lignes, et je ne vois pas
506 pas capable de le résoudre en quelques lignes, et je ne vois pas très bien, je l’avoue, quel sens aurait ici une « prise d
507 en quelques lignes, et je ne vois pas très bien, je l’avoue, quel sens aurait ici une « prise de position ». (Avec toutes
508 tion ». (Avec toutes les imprudences du monde, il m’ a fallu 350 pages serrées pour en esquisser une, partielle, dans L’Am
509 s favorisentf. Si l’on estime au contraire, comme je le fais, que nous vivons dans le chaos, l’amertume et la contradictio
16 1947, Articles divers (1946-1948). La balance n’est pas égale entre les États-Unis et l’URSS (8 novembre 1947)
510 à admirer. « Très beau, dit notre Américain, mais je ne vois pas de trains circuler ? » — « En effet, réplique le guide, i
511 tout, au nom de fleur dialectique. Pour ma part, j’ essaierai de débrouiller quelques faits, au nom de la simple vérité. ⁂
512 a été dit, et les cent anecdotes personnelles que je pourrais verser au dossier n’ajouteraient rien que l’on ne sache. Com
513 emandent avant tout d’un écrit qu’il se vende. On m’ assure que l’éditeur d’Ambre fit savoir à la jeune et jolie femme qui
514 able. Qu’il y ait là une dégradation de l’esprit, je pense que tout le monde l’admettra, sans chicaner sur le sens exact d
515 l’URSS, l’un des meilleurs producers de Broadway me dit en riant : « Il n’y a qu’une réponse possible. Je vais faire joue
516 it en riant : « Il n’y a qu’une réponse possible. Je vais faire jouer cette pièce ici, ce sera le succès de fou rire de la
517 ume dans le pessimisme de Miller, dont le succès, je l’ai montré, loin d’être le fait des éditeurs américains, est celui d
518 s’est exercée en deux occasions plus marquantes, je veux parler de 1917 et de 1942, et alors elle fut bien le fait de la
17 1947, Articles divers (1946-1948). Une Europe fédérée (20 décembre 1947)
519 Une Europe fédérée (20 décembre 1947)r J’ entends dire tous les jours depuis le congrès de Montreux9 : « Vous y
520  Vous y croyez à cette fédération de l’Europe ? » Je réponds qu’il s’agit plutôt de la vouloir. « Mais pourquoi, me dit-on
521 ’il s’agit plutôt de la vouloir. « Mais pourquoi, me dit-on, faudrait-il la vouloir ? » Je réponds qu’il n’y a qu’à regard
522 s pourquoi, me dit-on, faudrait-il la vouloir ? » Je réponds qu’il n’y a qu’à regarder l’Europe, qu’à faire son bilan de m
523 nt déjà plus dans le monde actuel… Mais puisqu’on m’ invite aujourd’hui à développer ce qui me paraît une évidence, je sais
524 uisqu’on m’invite aujourd’hui à développer ce qui me paraît une évidence, je saisirai cette occasion pour formuler quelque
525 d’hui à développer ce qui me paraît une évidence, je saisirai cette occasion pour formuler quelques observations très simp
526 herchent dans tous nos pays les meilleures têtes, j’ entends les moins sectaires et les plus réalistes : cet équilibre soup
527 oquer d’opposition foncière. Qui oserait dire : «  Je veux une Europe désunie ! Je veux que nos rivalités se perpétuent ! J
528 Qui oserait dire : « Je veux une Europe désunie ! Je veux que nos rivalités se perpétuent ! Je veux que nos pays s’effondr
529 sunie ! Je veux que nos rivalités se perpétuent ! Je veux que nos pays s’effondrent un à un en toute souveraineté national
530 bords. La véritable troisième force, ce n’est pas je ne sais quel groupement de doubles négations et de demi-mesures — c’e
18 1948, Articles divers (1946-1948). Notes sur la voie clandestine (hiver 1948)
531 arçonnant : qu’est-ce que le destin d’un homme, —  mon destin ? C’est ici que la voie prend naissance. Tu as un destin si tu
532 ent, comme le corps quand la tête a passé. Car si je suis unique, il est une voie qui n’est tracée que pour moi seul, et q
533 unique, il est une voie qui n’est tracée que pour moi seul, et que seul je pourrai deviner comme on fait un poème, ou plutô
534 e qui n’est tracée que pour moi seul, et que seul je pourrai deviner comme on fait un poème, ou plutôt : comme on le rejoi
535 l’invente en épousant un rythme errant. Désormais j’ entre dans l’incomparable, où la piste se crée sous les pas qui la sui
536 ent. (Par toute autre voie sûre et connue, où que j’ arrive, je me perdrais en route.) Dans l’insignifiance d’une vie où l
537 toute autre voie sûre et connue, où que j’arrive, je me perdrais en route.) Dans l’insignifiance d’une vie où l’argent et
538 te autre voie sûre et connue, où que j’arrive, je me perdrais en route.) Dans l’insignifiance d’une vie où l’argent et la
539 messages émis par quelque au-delà (ou en deçà) du moi qui veille. Canaux, écluses, ou signaux éprouvés, jalonnant la voie c
540 entre les profondeurs et la surface manifeste. ⁂ Je ne parlais que des Grands Rêves et des vrais jeux. Bien entendu, pour
541 du sens des signes. ⁂ Quand tout se ferme devant moi , et que rien ne m’indique plus comment agir et comment sortir de l’im
542 ⁂ Quand tout se ferme devant moi, et que rien ne m’ indique plus comment agir et comment sortir de l’impasse, je tire les
543 plus comment agir et comment sortir de l’impasse, je tire les cartes, j’accepte le clin d’œil de mes superstitions improvi
544 comment sortir de l’impasse, je tire les cartes, j’ accepte le clin d’œil de mes superstitions improvisées. Qu’est-ce donc
545 e, je tire les cartes, j’accepte le clin d’œil de mes superstitions improvisées. Qu’est-ce donc que cela ? Un moyen de me r
546 mprovisées. Qu’est-ce donc que cela ? Un moyen de me refonder sur mes assises inconscientes, si la raison hésite et là où
547 st-ce donc que cela ? Un moyen de me refonder sur mes assises inconscientes, si la raison hésite et là où elle se tait. Car
548 là où elle se tait. Car d’une part les signes que j’ accueille ont bien des chances d’être dans la complicité de mon exigen
549 ont bien des chances d’être dans la complicité de mon exigence secrète. C’est elle, au vrai, qui les choisit, en vertu d’un
550 agissent donc comme des révélateurs de moi-même à mes propres yeux. D’autre part, il se peut que ces signes baignent dans u
551 ards apparents, et des structures de laquelle ils me permettent de repérer certains linéaments ou certains affleurements.
552 es vos expériences de laboratoire. Et comme vous, je ne retiens que le dixième, qui donne un sens. Mais les neuf autres n’
553 utres n’ont pas été vaines, ni muettes. Car elles m’ ont dit : tu n’es pas toi, ou pas ici, tu n’y es plus ou pas encore. E
554 , ou pas ici, tu n’y es plus ou pas encore. Elles m’ ont ramené… » Le superstitieux va loin, s’il est grand : dans la voie
555 pas de hasard, mais pourtant nous sommes libres. Je ne sais qui dispose de moi, mais la contrainte, si c’en est une, cert
556 ant nous sommes libres. Je ne sais qui dispose de moi , mais la contrainte, si c’en est une, certainement n’est pas mécaniqu
557 airement ; des portes se ferment et se rouvrent ; mon oreille est plus ou moins fine ; je m’oriente ou me désoriente… C’est
558 e rouvrent ; mon oreille est plus ou moins fine ; je m’oriente ou me désoriente… C’est une immense affaire d’amour ! Nous
559 ouvrent ; mon oreille est plus ou moins fine ; je m’ oriente ou me désoriente… C’est une immense affaire d’amour ! Nous ne
560 oreille est plus ou moins fine ; je m’oriente ou me désoriente… C’est une immense affaire d’amour ! Nous ne sommes pas ai
561 l. Il pense au règlement d’une dictature anonyme. J’ imagine un destin actif et joueur. Arrêtez-vous un moment, je vous pr
562 destin actif et joueur. Arrêtez-vous un moment, je vous prie, devant cette nouveauté proprement dramatique. Quel coup po
563 amatique. Quel coup pour nos philosophies ! Qu’on m’ en cite une qui s’en relèverait. Une seule ! ⁂ Une idée me retient, me
564 e une qui s’en relèverait. Une seule ! ⁂ Une idée me retient, me tient probablement plus que jamais encore je ne me l’étai
565 en relèverait. Une seule ! ⁂ Une idée me retient, me tient probablement plus que jamais encore je ne me l’étais avoué : ce
566 ent, me tient probablement plus que jamais encore je ne me l’étais avoué : celle du changement instantané de tout, en sort
567 e tient probablement plus que jamais encore je ne me l’étais avoué : celle du changement instantané de tout, en sorte que
568 e un poème, un destin, un amour, une vocation ? «  Je n’ai jamais su, dit le poète, si j’inventais un vers ou si je le retr
569 vocation ? « Je n’ai jamais su, dit le poète, si j’ inventais un vers ou si je le retrouvais, comme un souvenir perdu, com
570 is su, dit le poète, si j’inventais un vers ou si je le retrouvais, comme un souvenir perdu, comme un rêve qui sombrait et
571 souvenir perdu, comme un rêve qui sombrait et que je ramène sur la berge du réveil par une touffe de cheveux, par la main…
572 heveux, par la main… Il se débat, et pour un peu, m’ entraînait dans sa mort naissante. » Poésie et superstition : elles on
19 1948, Articles divers (1946-1948). Rencontre avec Denis de Rougemont (janvier 1948)
573 e moine, tout embrumé par la fumée des pipes, que je rencontre, conversant avec Brice Parain et le Père Bruckberger, Denis
574 és sur les bonnes feuilles du Cheval de Troie, et m’ entraîne dans un bar voisin. Musique en sourdine, lumières tamisées, r
575 u sort de l’Europe. L’auteur de La Part du diable m’ en parlera lui aussi, tout à l’heure. Mais, d’abord, il faut faire le
576 rte, peut-être, le croisant dans la rue, l’aurais- je pris pour un homme dur et violent. Mais, à l’entendre parler, comment
577 a générosité, son sens de l’humain pourraient-ils m’ échapper ? Sa voix est douce, mais nette ; il s’exprime avec gravité.
578 propos, et son regard s’éclaire d’une lueur qu’il me faut bien qualifier de « mystique ». Demandez-lui ce qu’il fait : Je
579 ier de « mystique ». Demandez-lui ce qu’il fait : Je n’ai d’autre spécialité, vous répondra-t-il, que de réfléchir aux con
580 pte du vieil Anaxagore, à penser avec les mains ? Je suis né à Neuchâtel, me dit Denis de Rougemont. J’ai fait des études
581 à penser avec les mains ? Je suis né à Neuchâtel, me dit Denis de Rougemont. J’ai fait des études de lettres en Suisse et
582 e suis né à Neuchâtel, me dit Denis de Rougemont. J’ ai fait des études de lettres en Suisse et en Autriche, à Vienne. J’ai
583 es de lettres en Suisse et en Autriche, à Vienne. J’ ai voyagé en Allemagne et en Hongrie. Pendant un temps, je fus lecteur
584 agé en Allemagne et en Hongrie. Pendant un temps, je fus lecteur de français à l’Université de Francfort. En 1931, je vins
585 de français à l’Université de Francfort. En 1931, je vins en France ; j’ai vécu en province et à Paris, collaborant à Esp
586 ersité de Francfort. En 1931, je vins en France ; j’ ai vécu en province et à Paris, collaborant à Esprit , à L’Ordre nou
587 L’Ordre nouveau , fondant la maison d’édition «  Je sers », créant une petite revue au ton d’avant-garde — Hic et Nunc
588 Corbin, Roger Breuil, Albert-Marie Schmitt. C’est moi qui ai signé l’un des trois premiers articles consacrés, en France, à
589 jor de Berne. Lors de l’entrée de Hitler à Paris, je fis paraître dans la Gazette de Lausanne un article qui me valut d’
590 ître dans la Gazette de Lausanne un article qui me valut d’être condamné à quinze jours de forteresse ! En septembre 194
591 enteur de la bombe atomique. Nous étions voisins, me raconte Denis de Rougemont. Chaque jour, vers onze heures du matin, c
592 l âge, ce Moïse de la terre atomique passait sous mes fenêtres. Il portait un sweater bleu et un pantalon de flanelle, comm
593 le, comme les étudiants de l’Université. Un soir ( j’ avais publié depuis peu mes Lettres sur la bombe atomique , le téléph
594 l’Université. Un soir (j’avais publié depuis peu mes Lettres sur la bombe atomique , le téléphone retentit. J’entendis un
595 es sur la bombe atomique , le téléphone retentit. J’ entendis une voix qui me dit : « Allô ! Ici Einstein ». Je n’en croyai
596 , le téléphone retentit. J’entendis une voix qui me dit : « Allô ! Ici Einstein ». Je n’en croyais pas mes oreilles ; c’e
597 is une voix qui me dit : « Allô ! Ici Einstein ». Je n’en croyais pas mes oreilles ; c’est un peu comme si j’avais entendu
598 it : « Allô ! Ici Einstein ». Je n’en croyais pas mes oreilles ; c’est un peu comme si j’avais entendu : « Ici, Newton »… P
599 croyais pas mes oreilles ; c’est un peu comme si j’ avais entendu : « Ici, Newton »… Pourtant, c’était bien Einstein. Il a
600 n »… Pourtant, c’était bien Einstein. Il avait lu mon livre et désirait me connaître. Je me rendis chez lui, dans une maiso
601 bien Einstein. Il avait lu mon livre et désirait me connaître. Je me rendis chez lui, dans une maison de bois jaune entou
602 . Il avait lu mon livre et désirait me connaître. Je me rendis chez lui, dans une maison de bois jaune entourée de gazon,
603 l avait lu mon livre et désirait me connaître. Je me rendis chez lui, dans une maison de bois jaune entourée de gazon, de
604 rs et d’arbres pleins d’oiseaux. Il s’avança vers moi , souriant de ses gros yeux bleus très vifs sous des arcades sourciliè
605 et deux touffes de cheveux blancs en auréole. Il me fit asseoir près de lui dans un fauteuil de jardin, et nous nous mîme
606 été découvert, et que par conséquent… « La bombe, m’ a-t-il dit, n’a pas changé les conditions de la guerre beaucoup plus q
607 oser perpétuellement et en vain, mais d’y entrer. Je n’interrogerai pas Denis de Rougemont sur les États-Unis. Il leur a c
608 en un volume sous le titre : Vivre en Amérique . Je hasarde pourtant une question sur la littérature d’outre-Atlantique.
609 uestion sur la littérature d’outre-Atlantique. Il me répond : La littérature américaine est dans un certain sens plus sain
610 in comme alors on le concevait. Et c’est cela qui me semble essentiel. Ils n’étaient pas des inadaptés comme, au contraire
611 nnes !… » À New York, reprend Denis de Rougemont, j’ ai eu la visite de Sartre. Il m’a dit : « Les deux plus grands écrivai
612 nis de Rougemont, j’ai eu la visite de Sartre. Il m’ a dit : « Les deux plus grands écrivains français contemporains, c’est
613 interposée ? Denis de Rougemont poursuit : Ce qui m’ a le plus étonné, ici, dans la littérature, c’est qu’elle soit aujourd
614 ntée par la génération des hommes de 40 à 50 ans. Je pensais que de plus jeunes nous relèveraient, s’imposeraient. Eh bien
615 l’autre guerre, ce n’avait pas été ainsi. C’est, me semble-t-il, dis-je à mon tour, que le fossé creusé par la guerre de
616 n’avait pas été ainsi. C’est, me semble-t-il, dis- je à mon tour, que le fossé creusé par la guerre de 1914 était moins pro
617 it pas été ainsi. C’est, me semble-t-il, dis-je à mon tour, que le fossé creusé par la guerre de 1914 était moins profond q
618 uable chez les plus grands écrivains d’à présent, me dit Denis de Rougemont, c’est leur internationalisme. Il leur faut dé
619 Mais, en conséquence, ils deviennent des errants. Je crois, quant à moi, que cette transformation de leur existence ne peu
620 ce, ils deviennent des errants. Je crois, quant à moi , que cette transformation de leur existence ne peut pas être sans inf
621 uvre. Enfin, nous en venons à parler de l’Europe. Je suis profondément européen, me déclare Denis de Rougemont. Mais je pe
622 arler de l’Europe. Je suis profondément européen, me déclare Denis de Rougemont. Mais je pense que notre continent ne peut
623 ent européen, me déclare Denis de Rougemont. Mais je pense que notre continent ne peut être sauvé que par une organisation
624 éenne des fédéralistes, qui se tenait à Montreux, j’ ai prononcé une conférence où je développais les principes du fédérali
625 enait à Montreux, j’ai prononcé une conférence où je développais les principes du fédéralisme. Il ne peut naître, disais-j
626 incipes du fédéralisme. Il ne peut naître, disais- je , que d’un renoncement à toute idée d’hégémonie organisatrice, d’abord
627 me de plus en plus menaçant. Or, ce totalitarisme m’ apparaît comme le pire danger auquel nous sommes exposés. Son importan
628 is, encore une fois, il convient de se hâter, car je vois venir le temps des terribles simplificateurs. Je demande à Deni
629 is venir le temps des terribles simplificateurs. Je demande à Denis de Rougemont quels hommes prendraient part aux états
630 t aux états généraux de l’Europe dont il vient de me parler. Il faut, me répond-il, que toutes les professions, toutes les
631 de l’Europe dont il vient de me parler. Il faut, me répond-il, que toutes les professions, toutes les classes soient repr
632 fessions, toutes les classes soient représentées. Je vous le répète ; c’est dans la mesure où toutes les aspirations pourr
633 deviennent eux-mêmes intégralement fédéralistes, je vous l’assure, la partie sera plus qu’à moitié gagnée. Voici venue l’
634 re qu’il doit publier : Les Personnes du drame . J’ y traite de Goethe, de Kafka, de Kierkegaard, de Luther, de Gide, de C
635 s travaux… La bombe n’est pas dangereuse du tout, me répond-il. C’est un objet. Les objets ne m’ont jamais fait peur, non
636 tout, me répond-il. C’est un objet. Les objets ne m’ ont jamais fait peur, non plus que les machines. Ce qui est dangereux,
20 1948, Articles divers (1946-1948). Les deux blocs ? Il n’en existe qu’un (9 janvier 1948)
637 sont tenues aux USA, non pas en URSS. Enfin, l’on me dira qu’il y a dans les deux camps des opprimés, de la misère et des
21 1948, Articles divers (1946-1948). Ce sont les Français qui ont commencé (La querelle des « condensés… ») (14 février 1948)
638 s la suite d’une longue tradition bien française. J’ en marquerai quelques étapes, au hasard de mes souvenirs, et sans reco
639 ise. J’en marquerai quelques étapes, au hasard de mes souvenirs, et sans recourir à d’autres sources qu’un vieux Lanson que
640 ecourir à d’autres sources qu’un vieux Lanson que j’ ai sous la main. ⁂ En 1714, Houdar de La Motte condense L’Iliade en do
641 lume à trois francs cinquante broché en jaune. Et j’ allais oublier les Mille et Une Nuits de Galland, qui sont pourtant le
642 toute notre enfance. Il est vrai qu’en tout cela je n’ai cité que des traductions, et que ni Goethe, ni Swift, ni Cervant
643 s Lamb, des comédies et tragédies de Shakespeare. Je ne saurais leur comparer chez nous, sous le double rapport du succès
644 ’adaptation en général, les exemples français que j’ ai cités suffisent à faire voir qu’elle est infiniment variable. La Mo
645 « condenser » un lauréat quelconque de la saison. Je dois avoir l’esprit mal fait : j’ai peine à partager cette répulsion.
646 e de la saison. Je dois avoir l’esprit mal fait : j’ ai peine à partager cette répulsion. C’est que le style de Goethe m’im
647 ger cette répulsion. C’est que le style de Goethe m’ importe davantage que celui du dernier prix Tartempion. J’avouerai mêm
648 e davantage que celui du dernier prix Tartempion. J’ avouerai même, pendant que j’y suis, que ce qui me choque dans l’entre
649 ier prix Tartempion. J’avouerai même, pendant que j’ y suis, que ce qui me choque dans l’entreprise des éditeurs français d
650 J’avouerai même, pendant que j’y suis, que ce qui me choque dans l’entreprise des éditeurs français de « condensés », c’es
651 nt. Trois remarques encore sur ce vaste sujet que je ne puis traiter ici qu’en « condensé ». L’on admet sans mauvaise hume
652 progressif aux chefs-d’œuvre ? Autre question que je poserai sans la trancher : si l’on reproche aux « condensés » d’évacu
653 ues n’avaient pas su lui procurer ? Pour ma part, je salue de mes vœux toute entreprise qui tend à populariser la connaiss
654 t pas su lui procurer ? Pour ma part, je salue de mes vœux toute entreprise qui tend à populariser la connaissance des chef
655 populariser la connaissance des chefs-d’œuvre. Et je crois vain de s’indigner des « condensés » tant qu’on n’aura rien fai