1 1946, Articles divers (1946-1948). Théologie et littérature (1946)
1 ues ont été propagés par le latin d’église. Et ce n’ est point que tous ces arts classiques ne soient sortis de l’enceinte
2 e. Et ce n’est point que tous ces arts classiques ne soient sortis de l’enceinte ecclésiastique dès le déclin du Moyen Âge
3 cclésiastique dès le déclin du Moyen Âge, mais il n’ en est aucun dont l’esprit et l’histoire ne manifestent à chaque insta
4 ais il n’en est aucun dont l’esprit et l’histoire ne manifestent à chaque instant l’influence de telles origines. Or le li
5 théologie, pour être moins généralement reconnu, n’ en est pas moins étroit ni moins fécond à observer. 2. Depuis les tem
6 observer. 2. Depuis les temps où la philosophie n’ était que la servante de la théologie, ses efforts d’émancipation les
7 n les plus violents, et même couronnés de succès, n’ ont pu que confirmer une dépendance qui n’est certes plus de droit, ma
8 succès, n’ont pu que confirmer une dépendance qui n’ est certes plus de droit, mais n’en demeure pas moins de fait et de na
9 e dépendance qui n’est certes plus de droit, mais n’ en demeure pas moins de fait et de nature, autant que d’origine. Les g
10 polémique spécifiquement théologique. Le marxisme ne fait pas exception à cette règle, comme on s’en convaincra par la lec
11 Les rapports entre la théologie et la littérature ne sont pas aussi clairs, ni aussi facilement définissables et contrôlab
12 zac, de Newman sur Gerard Manley Hopkins. Mais il ne me paraît pas que le problème dans son ensemble ait été clairement po
13 ’élite en général ? Il est clair que la théologie n’ a pas besoin de la littérature et peut s’en désintéresser sans grand d
14 Église même. Car le clergé et l’élite des fidèles ne sauraient échapper à l’influence de leurs lectures, cependant qu’ils
15 odernes ont coutume « d’orner » leurs sermons. Ce n’ est pas la littérature qui doit prêter secours à la Parole de Dieu, ma
16 eur époque, mais surtout comment ils pâtissent de n’ avoir point connu l’existence de traditions soit orthodoxes soit hérét
17 s bras au ciel, ou pointer le doigt du moraliste, n’ est pas faire acte de charité à l’égard des efforts de l’avant-garde,
18 que l’Église est bonne pour les petits bourgeois, n’ a rien à dire aux esprits libres et « avancés », et ne tolère que le m
19 rien à dire aux esprits libres et « avancés », et ne tolère que le mauvais art du dernier siècle ? Au lecteur convaincu co
20 re à l’école de leurs complaisances, et par suite ne leur donnait rien. Exemple : Kierkegaard. Il ne fut pas un théologie
21 ne leur donnait rien. Exemple : Kierkegaard. Il ne fut pas un théologien au sens strict, mais toute son œuvre manifeste
22 ntrée décisive dans beaucoup de conversions, elle n’ a pas eu pour effet (ou très rarement) l’adhésion des convertis à une
23 l’adhésion des convertis à une Église déterminée. N’ est-ce point là le signe d’une incompatibilité inquiétante entre l’éli
24 ieux d’Église » ? 7. Une théologie orthodoxe (je ne dis pas sclérosée) favorise, soutient et nourrit des œuvres de style
25 rroll, et vingt autres noms du même ordre. Ce qui ne signifie rien, bien entendu, pour ou contre le ritualisme, mais indiq
26 public contre l’illusion courante qui consiste à ne prendre en considération comme auteurs « chrétiens » ou « religieux »
27 t traitent de sujets religieux. Ici encore, « ce ne sont pas ceux qui disent : Seigneur ! Seigneur !… mais ceux qui font
28 érieux. Faire la volonté de Dieu, en écrivant, ce n’ est pas simplement parler de Dieu et de sa volonté, ni même en parler
29 ec aucune espèce de réalité spirituelle. L’auteur ne cesse de mentionner cette réalité, mais en fait il échoue à l’exprime
2 1946, Articles divers (1946-1948). Le supplice de Tantale (octobre 1946)
30 et le rocher qui surplombe sa tête va tomber mais ne tombe jamais. Pour l’observateur non prévenu, tout se passe comme si
31 , répond un châtiment dont on croit deviner qu’il n’ est qu’une double réfraction du crime dans l’ordre humain. Parce qu’il
32 i, s’inverse en menace suspendue. Le monde païen ne conçoit pas de pardon par amour et de salut gratuit, et c’est pourquo
33 ce, ou d’un appel venu d’ailleurs. (Les « dieux » n’ étant, en fait, que ses propres limites.) Dans l’histoire du supplice
34 rocher soutenu sur sa tête, l’onde et la branche ne s’écartant de lui qu’à l’instant où il veut les atteindre, et tout ce
35 l’instant où il veut les atteindre, et tout cela ne tient vraiment qu’à lui, qu’aux dispositions de son âme : c’est que c
36 aux dispositions de son âme : c’est que celles-ci n’ ont pas changé depuis ses crimes. Nourrissant avec obstination les mêm
37 le rocher l’écrase. Mais c’est précisément ce qui n’ arrive jamais, et ne peut arriver dans le Tartare. Tantale, ne croyant
38 Mais c’est précisément ce qui n’arrive jamais, et ne peut arriver dans le Tartare. Tantale, ne croyant pas à la résurrecti
39 ais, et ne peut arriver dans le Tartare. Tantale, ne croyant pas à la résurrection, ni au pardon, ni au salut que lui vaud
40 volte contre tout — sauf soi. C’est pourquoi rien ne change autour de lui. Considérons ici l’Homme du Désir, Tantale symb
41 ncore son désir, donc lui-même — à la proie qu’il ne posséderait qu’en acceptant d’être changé d’abord. Que lui servirait,
42 e est donc toujours un autre. Et celui qui désire ne gagnera jamais. C’est le sophisme de l’empereur : Napoléon n’est pas
43 amais. C’est le sophisme de l’empereur : Napoléon n’ est pas un Bonaparte comblé, mais quelqu’un qui s’est substitué, sous
44 e de Tantale dans un monde où l’instant d’abandon ne signifie plus la mort mais la vie et l’héritage de la vie éternelle.
45 les larmes. Le marchand Neupeter se demande s’il ne s’agit que d’une mauvaise farce, indigne d’un homme de sens. Le fisca
46 tout l’or du monde, une plaisanterie de ce genre ne le ferait pas pleurer. Sur quoi l’inspecteur de police Harprecht lui
47 r que s’il parvient à pleurer à force de rire, ce ne sera qu’un vol pur et simple, mais l’Alsacien proteste que s’il rit,
48  » L’inspecteur ouvre de gros yeux fixes, où rien ne vient. Le jeune prédicateur Flachs, lui, serait tout disposé à se lam
49 du testament, — et il s’en faut de bien peu qu’il ne pleure… Le conseiller continue son discours… Soudain : « Je crois, tr
50 our pur et gratuit. L’auteur du nouveau Testament n’ en demande pas davantage à l’homme pour le faire héritier de son royau
51 t pouvoir s’autoriser du mérite de ses œuvres, il ne pleurera pas : car la vision de la proie qui s’approche sera « bien t
3 1946, Articles divers (1946-1948). Genève, rose des vents de l’esprit (19 décembre 1946)
52 du romancier français Georges Bernanos, tous deux ne s’étant pas trop égarés dans les mots en urne, ayant appelé un chat u
53 et pense que l’adversaire est méchant, puisqu’il ne pense pas comme lui. Des entretiens, tels qu’ils viennent d’avoir lie
54 dits. Personnellement, je regrette qu’aucun Russe n’ ait répondu à notre invitation. Heureusement, nous avons eu Lukács, et
55 sez les démocraties d’être purement formelles, de n’ être pas complètement réalisées ; vous prétendez, vous, Russie, être u
56 disez aux poètes de s’exprimer librement, et vous n’ avez pas la liberté de la presse, et vous repoussez l’existentialisme
57 que celles de nous tous. Nous, nous acceptons de n’ être pas complètement démocratisés ; vous, vous ne l’acceptez pas. À v
58 n’être pas complètement démocratisés ; vous, vous ne l’acceptez pas. À vous de faire le premier pas. Ouvrez vos frontières
59 Vous pouvez venir chez nous. Vous refusez ? Nous ne demandons qu’à comprendre. C’est à quoi, d’ailleurs, nous espérons pa
60 un homme de droite dans les partis de gauche. Je ne suis jamais pour ou contre un parti. Je suis contre le totalitarisme
61 le, qui est le fédéralisme. Un régime de tyrannie n’ aboutit jamais à la liberté. On le voit, M. Denis de Rougemont nous pr
62 et d’une parfaite franchise de paroles. Sinon, ce ne serait plus l’esprit européen, où la France donne le ton, la France q
63 d’un peuple, mais d’un réel esprit européen. Nous ne sommes pas une nation, nous sommes une confédération, donc bien prépa
64 invite des conférenciers américains, dont la voix ne peut plus être séparée des dialogues européens. Il souhaite encore qu
4 1947, Articles divers (1946-1948). Préface à Le Cœur est un chasseur solitaire de Carson McCullers (1947)
65 sseur solitaire de Carson McCullers (1947)k Je ne connais dans tout New York qu’une seule vraie terrasse de café, celle
66 sans sa mère qui l’accompagnait ce jour-là, elle ne ferait pas deux pas toute seule dans la ville. Je la félicitai sur le
67 américaine et la française, c’est que la première ne professe pas du tout ce culte du roman américain qui caractérise la s
68 ion. Mais cette recherche obscurément spirituelle ne tend jamais vers la formule ou le système, comme elle ferait irrésist
69 er le lieu et la formule », disait Rimbaud.) Elle ne se décante pas, reste immergée dans le symbolisme ambigu des caractèr
70 sa première sonate : Cette chose que je veux, je ne sais pas quoi. Je pense qu’on est en droit de parler ici d’une « exp
71 i elle exprimait la pensée de Malraux, au lieu de n’ être qu’un accord isolé de la partition. Chez les jeunes écrivains amé
72 éricains, chez Carson McCullers en tout cas, vous ne pourrez tirer des dialogues qu’une connaissance plus intime des héros
73 Amérique — qu’un article documenté du même auteur ne ferait sans doute que circonscrire et limiter. Notons aussi que la no
74 umentaire, ait eu tant de succès en Amérique ? Je ne vois pas de réponse satisfaisante à ma deuxième question : le fait es
75 is à Carson, avec la ruse d’un interviewer : — Il n’ y a pas d’histoires d’amour, dans ce roman. Elle me regarde étonnée, p
76 Elle me regarde étonnée, presque indignée : — Il n’ y a que cela ! Elle voulait dire l’amour des êtres, l’amour réel, et n
5 1947, Articles divers (1946-1948). La lutte des classes (1947)
77 de à l’autre — de Neuchâtel à Berne par exemple — ne servent cependant qu’aux petits déplacements, qui sont des voyages co
78 les vrais, parce qu’entre le départ et l’arrivée ne s’établit jamais cette monotonie des heures de plaine et d’océan de n
79 e des heures de plaine et d’océan de nuit où rien ne bouge. Comme il n’y a pas de place en Suisse pour un véritable voyage
80 ine et d’océan de nuit où rien ne bouge. Comme il n’ y a pas de place en Suisse pour un véritable voyage, on s’en tire en c
81 ures de musique russe indéfiniment répétées, pour ne garder que le meilleur, le plus actif et le plus déchirant, la ruptur
82 roisième, les gens chic parfois en seconde, et je ne savais rien des premières sinon qu’un morceau de dentelle ornait le h
83 arfaitement « en règle », il fallait simplement «  ne pas faire attendre », en vertu de cette discipline spontanée, voire p
84 L’expérience de la vie new-yorkaise, où personne ne vous voit jamais, se propose par contraste une réponse. C’est qu’en S
85 ins, mais directs, trop sérieux et choqués par on ne sait quoi… ? Vous les soutenez d’abord avec curiosité, puis vous trou
86 nfini, en vertu de quelque inertie, et finalement ne se détournent qu’avec cet air exaspérant de celui qui renonce à compr
87 nne raison. Quand on possède la pax helvetica, on ne saurait se montrer trop vigilant, je veux dire trop méfiant et même i
88 ile, la direction de l’hôtel prie sa clientèle de ne pas donner à manger aux mouettes. C’était l’été des expériences de B
89 l’industrie. L’authentique usager de cette classe n’ est pas curieux, comme les gens des troisièmes, des menus incidents du
90 it qu’il s’installe dans son bureau, et sa pensée ne vagabonde pas, reste enfermée dans sa serviette de cuir. Rien d’étonn
91 quilleurs, ces jeunes gens excités qui prétendent ne pas payer de supplément parce qu’il n’y avait plus de place dans les
92 prétendent ne pas payer de supplément parce qu’il n’ y avait plus de place dans les troisièmes : ils ont l’air trop content
93 ent juste. Ces gens traversent le pays comme s’il n’ existait pas, ils vont plus loin. Confirmation de la sentence ésotériq
94 onfirmation de la sentence ésotérique : l’œil qui ne voit pas n’est pas vu. Les passagers de première classe, en Suisse, j
95 de la sentence ésotérique : l’œil qui ne voit pas n’ est pas vu. Les passagers de première classe, en Suisse, je les nomme
96 imperméables. Ils traversent et passent, et rien ne les touche. Ce sont aussi, et pour la même raison, des transparents.
97 isent sont transparents s’ils vont très vite ? On ne cesse de voir le paysage au travers.) Ils appartiennent au vaste mond
6 1947, Articles divers (1946-1948). Les maladies de l’Europe (1947)
98 cours. Vous prenez cette amie dans vos bras, vous ne trouvez à dire que des phrases banales : « Viens ici qu’on se voie un
99  : « Viens ici qu’on se voie un peu. Eh bien ! tu n’ as pas trop changé ! » Mais d’un coup d’œil, vous avez lu toute son hi
100  : « Et maintenant, quels sont tes projets ? » Je ne saurais échapper ce soir à l’emprise de ce rituel des retours et de l
101 sur lui, dans le corps à corps qui s’ensuit, vous ne distinguez plus deux points de vue, mais seulement deux lutteurs étre
102 e. Ainsi d’Hitler et de l’Europe démocratique. Ce ne sont pas seulement les ruines et les désordres matériels qui marquent
103 ère moins avouée, non moins dangereuse. La guerre n’ a pas arrêté, loin de là, les progrès de la déchristianisation de l’Eu
104 ses comme les élites échappent aux Églises. Elles ne croient plus qu’en l’ici-bas, qu’en cette vie-ci, qu’en un bonheur ci
105 es des dogmes religieux, ces masses et ces élites n’ ont rien de plus pressé que de s’asservir aux dogmes d’un parti. Tout
106 rtement sur ce trait : le fanatisme d’aujourd’hui n’ est plus religieux, mais politique. L’idée que « la fin justifie les m
107 itique. L’idée que « la fin justifie les moyens » n’ est plus jésuite, mais léniniste, mais fasciste. L’hypocrisie aussi a
108 te. L’hypocrisie aussi a changé de camp. Tartuffe n’ est plus dévot comme jadis, il n’est plus même de droite comme hier, i
109 e camp. Tartuffe n’est plus dévot comme jadis, il n’ est plus même de droite comme hier, il est de gauche, ou « dans la lig
110 onseil de prudence. Certes, le conformisme en soi n’ est pas nouveau, même chez les intellectuels. Ce qui est nouveau, c’es
111 est un nouveau succès de l’esprit totalitaire qui n’ a eu qu’à changer d’étiquette pour occuper, sans coup férir, d’importa
112 rain d’avorter sous nos yeux, et pas un résistant ne me contredira. Des habitudes prises dans la lutte clandestine, ce son
113 si l’écrasement du foyer même de ce mal infernal n’ avait eu pour effet que d’en faire rejaillir de tous côtés les étincel
114 ique de l’Europe. Lui seul, sous le couvert de je ne sais quels prétextes parés du nom de tradition, en réalité villageois
115 ruineux budgets de défense nationale. Un pays qui ne peut pas vêtir ses déportés trouve encore le moyen de faire des unifo
116 causes, et d’en inventer les remèdes ? Leur voix ne porte guère, tant qu’elle n’emprunte pas les haut-parleurs contrôlés
117 remèdes ? Leur voix ne porte guère, tant qu’elle n’ emprunte pas les haut-parleurs contrôlés par l’État ou par le parti au
118 Mais se faire écouter par ces moyens, c’est aussi n’ être plus entendu, car il s’agit de s’adapter, de se « mettre au pas »
119 « mettre au pas » spontanément, au point que rien ne passe plus de ce qu’on avait à dire. Devant cette impuissance pratiqu
120 soit efficace et douée d’une vertu agissante, il ne suffit pas que le penseur s’achète une étiquette ou un insigne. Et ce
121 privés de guides spirituels, les jeunes gens qui ne se contentent pas de cultiver le sens de l’absurde cherchent des chef
122 es chefs qui leur commandent d’agir et de réussir n’ importe quoi. Le « Führerprinzip » n’est pas mort avec celui qui lui d
123 t de réussir n’importe quoi. Le « Führerprinzip » n’ est pas mort avec celui qui lui donna son nom. Il se cherche, il se tr
124 ts. Tous ces maux et tant d’impuissance à y parer n’ ont pas manqué de provoquer dans les élites demeurées libérales une cr
125 tinguer sur le visage spirituel du continent — je ne dis rien de son visage physique — ne trahissent qu’une fatigue tempor
126 ntinent — je ne dis rien de son visage physique — ne trahissent qu’une fatigue temporaire. Je n’ignore pas que l’autodénig
127 que — ne trahissent qu’une fatigue temporaire. Je n’ ignore pas que l’autodénigrement, chez nous autres Européens, se confo
128 se confond trop souvent avec le sens critique. Je n’ ignore pas que l’indignation morale est un genre littéraire, dont la r
129 ces exagérations. Il reste cependant un fait qui ne dépend à aucun degré de nos estimations ou jugements subjectifs : c’e
130 . L’Europe nous semblait donc plus grande qu’elle n’ était. D’où l’effet de choc que produisit dans nos esprits, au lendema
131 rs, comment et pourquoi ces créations européennes n’ ont-elles pas connu en Europe leur plein succès ? Et comment et pourqu
132 lles subi cette croissance gigantesque ? Pourquoi n’ ont-elles produit chez nous ni tout leur bien, ni tout leur mal ? C’es
133 frein ni contrepoids. Le capitalisme, chez nous, n’ a jamais pu donner son plein, parce qu’il était sans cesse bridé et co
134 barrages de douanes ou de coutumes que l’Amérique ne connaît pas. Et de même le progrès social s’est vu bridé et contrarié
135 Mais en même temps, le capitalisme et l’étatisme n’ ont pas atteint chez nous leurs pires excès, parce qu’ils se trouvaien
136 egardent vers l’Amérique. À tort ou à raison — je n’ en juge pas ici —, ils s’imaginent que ces pays réalisent mieux que le
137 e qu’ils attendent eux-mêmes de la vie. Ainsi, ce ne sont pas seulement les idéaux de progrès collectiviste ou de progrès
138 écadence, ou la déplore mais sans faire mieux. Je ne vois plus, pour tenir vitalement aux conceptions et aux coutumes euro
139 les valables et sont-elles justifiables ? Ou bien ne sont-elles rien de mieux que les sentiments égoïstes d’un vieux propr
140 », pays des pères, mais l’Amérique, ou la Russie, ne serait-ce pas ce « Kinderland » qu’appelait Nietzsche de ses vœux ? C
141 nderland » qu’appelait Nietzsche de ses vœux ? Ce n’ est pas assez de donner des ancêtres à ses enfants ; ils ont besoin d’
142 perdue pour tous et non seulement pour nous ! Ce n’ est donc pas au nom de je ne sais quel nationalisme européen qu’il nou
143 lement pour nous ! Ce n’est donc pas au nom de je ne sais quel nationalisme européen qu’il nous faut défendre l’Europe, ma
144 e. S’il est vrai que l’Europe, jusqu’à ce siècle, ne s’est guère sentie et conçue comme un tout, comme un corps organisé,
145 me un corps organisé, c’est surtout parce qu’elle n’ avait pas l’occasion de se comparer, de s’opposer et de se définir ; e
146 standard du bonheur, celui qui réussit, celui qui ne souffre plus parce qu’il s’est parfaitement adapté. L’homme exemplair
147 la vie résulte d’un conflit permanent, et son but n’ est pas le bonheur, mais la conscience plus aiguë, la découverte d’un
148 ’inconscience heureuse, et nous à la conscience à n’ importe quel prix. Ils veulent la vie, nous des raisons de vivre, même
149 art, l’Américain et le Soviétique, de l’autre, je n’ ai pas à chercher bien loin. Je prendrai simplement l’exemple de l’ent
150 oints de vue inquiéterait l’auditeur plus qu’elle ne l’intéresserait. L’Américain moyen demande une solution qu’il puisse
151 approfondissement de la conscience. En Russie, je ne crois pas être injuste en affirmant que ces rencontres seraient simpl
152 nitiateurs sur le banc des aveux spontanés. Et je ne dis pas que l’Américain et le Russe n’aient quelques bonnes raisons d
153 nés. Et je ne dis pas que l’Américain et le Russe n’ aient quelques bonnes raisons de se comporter ainsi, je dis seulement
154 mporter ainsi, je dis seulement que leurs raisons ne sont pas celles de la culture ; que la culture suppose la libre discu
155 fié, dis-je, car l’homme européen en tant que tel n’ accepte pas d’être réduit à l’un ou à l’autre de ces termes. Mais il e
156 de la révolution et les fusillades massives. (Je ne dis pas — notez-le bien — empêcher les révolutions que l’on constate
157 s faire d’une manière non sanglante, car l’Europe ne peut pas s’offrir des destructions supplémentaires.) Et je sais trop
158 gent de l’exercer. Les guerres ni les révolutions ne sont jamais initiées ni déclenchées par les masses, car les masses co
159 chées par les masses, car les masses comme telles n’ ont cerveau ni main, ni, par suite, faculté de décision. C’est donc su
160 il crée dans la cité une anarchie. Cette anarchie ne tarde pas à provoquer une réaction collectiviste. À l’excès de libert
161 ns la cage du parti ou de l’État. À vrai dire, il ne l’a pas volé. Le bon moyen d’éviter ces excès d’engagement dans le Pa
162 gement dans le Parti, d’oppression par l’État, ce n’ est pas du tout de prêcher ce qu’on appelle un « individualisme impéni
163 l, libre, efficace et constamment critique. Et je ne dis pas cela dans l’abstrait ; j’ai en vue des exemples précis. Appel
164 ation collectiviste. Ce que je lui oppose ici, ce n’ est nullement l’excès inverse de l’anarchie et du capitalisme libéral,
165 quel que soit le vainqueur, aux dictatures. Or il n’ en va pas autrement sur le plan de la communauté et de la politique de
166 ifférence essentielle. Cet impérialisme intérieur ne manque jamais de s’exalter à son tour en impérialisme tout court. Un
167 se de presque toutes nos guerres. J’ai dit, et je ne le répéterai jamais assez, qu’il faut voir dans le nationalisme la ma
168 ivantes, sous prétexte d’unification, et alors on ne saurait plus parler d’union, puisqu’il n’y a plus rien à unir. D’autr
169 lors on ne saurait plus parler d’union, puisqu’il n’ y a plus rien à unir. D’autre part, il déclare souveraine la nation un
170 me un vulgaire individu dont la prétendue liberté ne connaît plus aucun scrupule. De même, on vit Hitler, on voit Staline,
171 elle des chances de vivre encore assez pour qu’il ne soit pas utopique d’envisager sa fonction dans le monde, son avenir e
172 irrationnelle, de croire à nos chances de durée, ne peut ni ne doit vous suffire. J’en indiquerai rapidement quelques aut
173 lle, de croire à nos chances de durée, ne peut ni ne doit vous suffire. J’en indiquerai rapidement quelques autres, et ce
174 meilleur. Et que l’on peut impunément multiplier n’ importe quoi par 10 ou 100. Vous oubliez la mesure de l’homme. Si, par
175 z par 10 toutes les dimensions d’une maison, vous ne pourrez plus gravir les escaliers ni vous asseoir dans les fauteuils…
176 tématique, de la complexité de l’homme total. Ils ne sont que des expériences, et le propre d’une expérience est de rater
177 point qu’on se demande si ce qui les gêne le plus n’ est pas simplement l’homme, dans son humanité rebelle aux chiffres, l’
178 t cela va compter — à la longue. Un beau jour, il n’ est pas impossible, il est même probable, et c’est là mon espoir, que
179 arce que l’Europe est la mémoire du monde qu’elle ne cessera pas d’inventer. Elle restera le point de virulence extrême de
180 Et je veux dire : Si les États-Unis et la Russie ne s’entendent pas, si la guerre atomique éclate, il n’y a plus de probl
181 s’entendent pas, si la guerre atomique éclate, il n’ y a plus de problème de l’Europe, et d’une façon plus générale, il n’y
182 ème de l’Europe, et d’une façon plus générale, il n’ y a peut-être plus de problème de l’ici-bas, mais seulement du jugemen
183 i-bas, mais seulement du jugement dernier — et je n’ en dirai rien, n’y pouvant rien. Mais dans une large mesure aussi, l’a
184 ment du jugement dernier — et je n’en dirai rien, n’ y pouvant rien. Mais dans une large mesure aussi, l’avenir du monde dé
185 n pouvoir d’invention. Ici, point de malentendu ! Ne demandons pas l’instauration d’une fédération européenne pour que se
186 loc-tampon, ou un bloc opposé aux deux autres. Ce ne serait rien résoudre, et au contraire, ce serait exalter le nationali
187 s des virus dont il a infesté le monde entier. Il n’ y a de fédération européenne imaginable qu’en vue d’une fédération mon
188 maginable qu’en vue d’une fédération mondiale. Il n’ y a de paix et donc d’avenir imaginable que dans l’effort pour instaur
7 1947, Articles divers (1946-1948). L’opportunité chrétienne (1947)
189 positions trop menacées par le scepticisme. Pour ne donner que deux exemples : on vit le mouvement mystique s’éteindre au
190 aux Églises chrétiennes un dilemme très net : il ne leur reste plus qu’à s’endormir, ou bien à passer à l’attaque. ⁂ Ce l
191 ttaque. ⁂ Ce lendemain d’une guerre de Trente Ans ne ressemble guère à une victoire, il faut bien le dire. Les nations qui
192 rre ont tout perdu ; mais celles qui l’ont gagnée n’ ont rien gagné : elles ont seulement repoussé une menace, au prix de s
193 ssairement lésée. En d’autres termes, les Églises ne trouvent plus dans le monde des doctrines hostiles, mais un vide doct
194 t à ses réglementations, souvent utiles, mais qui ne sont jamais règles de vie. Je voudrais une sociologie chrétienne pour
195 les Américains, s’instaure sur notre planète, ce ne sera qu’au nom de ce qui transcende nos attachements nationaux, polit
196 le doit, et de toute urgence ! S’il y échoue, je ne vois aucune raison d’attendre autre chose, pour le monde, que des tyr
197 ur le réaliser. Les Églises comme corps organisés ne peuvent que soutenir et encadrer l’action chrétienne. Celle-ci se fer
198 u réunis dans une chambre ; par des mystiques qui n’ auront l’air de rien ; par des hommes dont on dira qu’ils exagèrent, q
199 t on dira qu’ils exagèrent, qu’ils rêvent, qu’ils n’ ont pas le sens commun, qu’ils voient trop grand… Peut-être même par d
8 1947, Articles divers (1946-1948). La guerre des sexes en Amérique (janvier 1947)
200 isant, il est non moins généralement admis que ce n’ est pas un sport public et diurne. Cette petite nouvelle, parue dans
201 pe de civilisation, j’imagine que vos conclusions ne seront point trop différentes de celles que je voudrais dégager d’un
202 s les détruire. Les mœurs sexuelles de l’Amérique ne sont point si faciles à définir. Comment expliquer le contraste entre
203 liés, l’un vivant de l’autre, pour ainsi dire, et n’ existant que par la négation de l’autre, si bien que le contraste entr
204 uelles à la fois délicates et profondes, mais qui n’ ont pas trouvé leur véritable objet ; un pouvoir exceptionnel de conce
205 s biens terrestres et du bonheur… L’amour-passion ne peut exister que dans une civilisation marquée par la croyance en la
206 t convaincu que le bonheur est le but de la vie : n’ est-ce point écrit dans sa Constitution ? Son attitude vis-à-vis de la
207 st peut-être plus saine que la nôtre. En bref, il n’ aime point souffrir, et tient pour perversion ce goût de la torture ex
208 quelque drame se noue dans sa vie, malgré lui, il n’ a de cesse qu’il n’en sorte au plus vite, par une dépêche d’adieu, un
209 ue dans sa vie, malgré lui, il n’a de cesse qu’il n’ en sorte au plus vite, par une dépêche d’adieu, un voyage, un divorce.
210 adieu, un voyage, un divorce. Never get involved, ne vous laissez jamais prendre au piège d’une intrigue complexe et qui m
211 e l’être ou des circonstances qui les causent. Il n’ a pas le goût de la durée intense. C’est tout de suite ou jamais. C’es
212 se. C’est tout de suite ou jamais. C’est OK ou ce n’ est rien. Si ce n’est pas vous ce soir, c’était donc une erreur. Ils n
213 suite ou jamais. C’est OK ou ce n’est rien. Si ce n’ est pas vous ce soir, c’était donc une erreur. Ils ne croient guère à
214 st pas vous ce soir, c’était donc une erreur. Ils ne croient guère à la valeur unique d’un être, — et il est vrai qu’il fa
215 t de folies pour composer une telle croyance. Nul n’ est irremplaçable dans un monde aussi vaste, et où les déplacements so
216 cements sont si faciles. Au vrai, l’amour-passion ne saurait exister dans une civilisation qui n’accorde à l’échec nulle d
217 sion ne saurait exister dans une civilisation qui n’ accorde à l’échec nulle dignité spirituelle, et qui ne tient pour vrai
218 corde à l’échec nulle dignité spirituelle, et qui ne tient pour vrai que ce qui réussit. Or, l’échec n’est pour eux qu’une
219 e tient pour vrai que ce qui réussit. Or, l’échec n’ est pour eux qu’une perte sèche, et non la condition d’un approfondiss
220 ture ou d’une trahison, c’est simplement que nous n’ aimons pas à rester seuls. Du matriarcat, du mariage et des « moms 
221 mariage et des « moms » Dans un tel monde, il ne subsiste que deux solutions praticables : le mariage, ou l’affair d’u
222 urse, en l’occurrence, le carnet de chèques. Elle ne se borne pas à choisir les rideaux, mais la maison, et même l’auto. J
223 ui tombe à portée de sa main (et un peu plus). On ne saurait dire d’elle, comme de l’Européenne, par, métaphore idéaliste,
224 , tout simplement, dans toute la vie, et le foyer n’ est qu’une partie de ses domaines. Il s’agit de l’aménager pour qu’il
225 tal : comme si la « poésie des travaux ménagers » ne correspondait pas, en fait, au labeur harcelant, physiquement déforma
226 mécontente pour quelque raison mystérieuse, elle ne fera pas de scène criarde, mais affichera un silence offensé qui sign
227 pour éviter le pire. Cette domination de la femme ne s’observe pas seulement dans la vie quotidienne d’un ménage ou d’une
228 que le suzerain jadis accordait au vassal. Et ce n’ est point qu’elle soit moins capable qu’une autre d’amour, de tendress
229 eu de contacts entre mari et femme, et sans doute n’ en souffrent-ils guère. Lui déjeune avec ses collègues en vingt minute
230 s femmes s’approchent volontiers), mais il y a je ne sais quoi de repoussant (et pas seulement pour un Européen, je m’en a
231 lcools. Tout se passe comme si l’homme d’Amérique n’ avait qu’un goût modéré pour la femme, dont il ne serait que la conquê
232 n’avait qu’un goût modéré pour la femme, dont il ne serait que la conquête plus ou moins résignée ou satisfaite. Certains
233 te. Aux yeux des intéressés, le divorce américain ne saurait être, comme chez nous, la douloureuse rupture d’une longue in
234 uloureuse rupture d’une longue intimité, celle-ci n’ existant pas, en règle générale. Aux yeux de la morale courante, il ap
235 de se remarier. Il arrive que le nouveau mariage ne soit séparé du divorce que par le temps de changer de salle, et c’est
236 ctes. Telle est du moins la coutume de Reno. Reno n’ est pas une légende pittoresque, mais une nécessité pratique créée par
237 x minutes, quitte les lieux l’instant d’après. Il n’ y reviendra jamais, bien entendu, sauf s’il divorce une seconde fois.
238 es noms des conjoints suivis de cette mention qui n’ étonne plus : « lui pour la troisième fois, elle pour la quatrième. »
239 »). Mais on en trouvera d’autres, plus précis. Il n’ aimait que la cuisine du Nord, elle lui servait des ratatouilles à la
240 it tout parce qu’elle amuse. Vous penserez que ce n’ est pas sérieux, et peut-être aurez-vous raison. Si grave que soit un
241 e ses mariages manquent de sens et de sérieux. Il n’ y entre pas pour toute la vie, mais pour un bail de « trois-six-neuf »
242 ur et des avocats. L’hygiène morale de l’Amérique ne tolère pas dans un foyer les miasmes d’une situation irrégulière, et
243 foyer les miasmes d’une situation irrégulière, et ne laisse pas le temps de les résorber. C’est une passion de la propreté
244 tés. L’élément puritain ou d’ascendance puritaine ne représente plus en Amérique qu’une infime minorité. Boston, leur anci
245 ritanisme sexuel. On a rejeté tous ses tabous. On ne pense plus que la « chair » soit le Mal, ni ses désirs des signes de
246 ntisme, craignant par-dessus tout que les enfants n’ aillent se former des complexes… Et pourtant, dans cette liberté, qui
247 œurs chez les jeunes gens, l’Européen s’étonne de ne point trouver trace de ce qu’il nommait libertinage. L’Américain, me
248 nommait libertinage. L’Américain, me semble-t-il, n’ est pas vicieux. Il est moral ou sans morale, mais bien rarement immor
249 t égard plus qu’à tout autre. Il convient donc de n’ indiquer qu’à la volée quelques remarques dont on reconnaît qu’elles s
250 lle soit tout simplement sexy, et que l’obsession n’ existe que chez lesdits critiques. Certains Européens penseraient plut
251 e, viendraient à l’appui de cette thèse ; mais il ne faut pas oublier l’influence beaucoup plus directe et contrôlable du
252 ales ; l’échange sexuel, par consentement commun, n’ engage à rien, ni à l’amour ni au mariage ; affirmation du droit au bo
253 une « révolte des instincts », ou d’y dénoncer je ne sais quelle « vague de barbarie nouvelle ». Le danger n’est sans dout
254 quelle « vague de barbarie nouvelle ». Le danger n’ est sans doute pas là. Car il est très possible qu’au contraire de ce
255 est bien ce qu’il pense être, étant Américain. Je ne l’observe pas sans inquiétude ; non plus sans beaucoup d’amitié. 4
9 1947, Articles divers (1946-1948). Journal d’un intellectuel en exil (mars 1947)
256 vert un « milieu littéraire » dans ce pays. Et ce n’ était pas une terrasse de café, ni l’antichambre d’une maison d’éditio
257 maison d’édition, ni un salon — rien de tout cela n’ existe en Amérique — mais une party. Et cette party n’était pas animée
258 iste en Amérique — mais une party. Et cette party n’ était pas animée par la vivacité des discussions, la coquetterie des f
259 vache ») leur défaut de responsabilité. Tout cela ne les empêche pas, bien au contraire, de rechercher surtout la « vie »
260 s écrivez comme si vous étiez déjà morts. Oh ! ce n’ est pas un reproche aussi violent qu’il vous paraît. Je veux dire que
261 e, instinctive, et parfois émue de la « vie »… On ne sait trop. Le savent-ils eux-mêmes ? L’exigence que nous gardons enco
262 pliste, il attend des jugements entiers. Quitte à ne pas savoir ce qu’il juge, ni pourquoi… Quitte à rivaliser d’intoléran
263 olérance brutale avec ceux qu’il croit condamner… N’ est-ce pas cela, le vrai danger totalitaire, dans un pays où l’opinion
264 ionnistes dans leur grande majorité. La situation ne m’apparaît pas simple. Si les Églises s’opposent à l’intervention, c’
265 risque d’instaurer. Mais c’est aussi parce qu’on ne croit plus au mal, en Amérique. « C’est trop affreux pour être vrai »
266 ranco et de leurs régimes « d’avenir »… Celui qui ne veut pas croire au diable travaille fatalement pour lui. Cambridge (M
267 rd, au milieu de la petite ville de Cambridge qui n’ est plus qu’un faubourg de Boston. Le premier soir en arrivant dans ce
268 son Waste Land… Un grand cimetière le domine, je n’ en ai jamais vu de plus serein. Point de barrières ni d’allées. De sim
269 r le gazon, irrégulièrement espacées. Ce pays qui n’ aime pas la mort comme les Germains, et n’en fait point de cérémonies
270 ays qui n’aime pas la mort comme les Germains, et n’ en fait point de cérémonies grandiloquentes comme les Latins, a les ci
271 ’est une catégorie précise d’étudiants. « Génie » n’ est pas un éloge excité, dans leur bouche : cela se mesure et cela se
272 à 135. Le génie, s’il est physicien par exemple, n’ en sera pas moins un spécialiste de Kierkegaard ou de Kafka, à l’analy
273 héories de la logistique de Vienne, à moins qu’il ne préfère les aborder en sociologue postmarxiste ou en freudien hétérod
274 t cela pouvait suffire en France. Ici, la recette ne vaut rien. Le minimum requis est impérieux et difficile à obtenir par
275 e à obtenir parce que le dollar est très cher. On ne peut pas « se débrouiller » avec moins qu’il ne faut. Et je touche ic
276 n ne peut pas « se débrouiller » avec moins qu’il ne faut. Et je touche ici la limite des fameuses libertés américaines, n
277 ils atteignent presque tous ici, quand les Russes ne font qu’en parler. Mais les intellectuels ? Ils n’ont de choix qu’ent
278 e font qu’en parler. Mais les intellectuels ? Ils n’ ont de choix qu’entre le journalisme et le professorat. Or je répugne
279 vont et viennent sur ce toit en lisant. Comme il n’ y a ni mur, ni barrière, il faut craindre à chaque fois qu’elles fasse
280 suis le prisonnier de mon livre et ferais bien de ne plus m’en échapper. Je devais aller chez des amis après le dîner. J’e
281 rtier. Je suis monté sans dîner chez mes amis. Je n’ en ai pas de plus charmants dans toute la ville, et je les ai vus pres
282 e chaque jour le mois dernier. Mais ce soir-là je n’ avais rien à dire, et me demandais non sans angoisse ce que l’on peut
283 uve à six ou huit dans un salon. Rentré tôt, mais n’ ai rien fait qui vaille de toute la nuit. Voilà qui est clair : ou écr
284 luie torrentielle et fonte des neiges. Les nonnes ne sortent plus, ou sont peut-être tombées dans la cour. Des gouttes cha
285 molir mon étage. Je louais cet atelier au mois et n’ ai donc plus qu’à déguerpir sans insister. 16 avril 1942, 11 West, 52
286 a tranquillement vidé mon compte en banque, et je ne suis pas plus avancé qu’au temps de mon île atlantique. 21 avril 1942
287 a de l’argent dans sa poche ou non ! D’abord, on ne regarde pas les mêmes. Ou dans la même, on ne voit pas les mêmes obje
288 on ne regarde pas les mêmes. Ou dans la même, on ne voit pas les mêmes objets. Et comme le monde est une vitrine, en bonn
289 er dans une atmosphère orageuse ! Mais l’Amérique n’ est pas son fort. Il y tient le succès à distance, laissant à Salvador
290 il voudrait bien savoir un peu ce qui se passe… «  N’ êtes-vous pas l’auteur du Secret ? Souffrez que j’en sois la victime. 
291 i, peut-être, il serait temps d’aller à ce dîner, n’ était-ce pas pour huit heures ? Quitte à revenir terminer dans la nuit
292 ohn Perse. — Lorsqu’il est arrivé en Amérique, il n’ a paru de lui qu’une seule photo, encore était-elle prise de dos. (Mai
293 l parle de Briand qu’il a servi longtemps, et qui n’ a jamais su qu’il y avait Saint-John Perse ; d’Hitler dont il a regard
294 aisse, sur la plage. 18 août 1942 Peut-être qu’il n’ est pas de bonheur plus conscient que celui de l’enfance retrouvée dan
295 er au progrès collectif », mais la fin du progrès ne peut être qu’une plage, un loisir sur la plage, et nous l’avons ici.
296 st absolue. Washington part de l’idée juste qu’il n’ est pas de mensonge, si pieux mensonge soit-il, qui ne serve Hitler en
297 t pas de mensonge, si pieux mensonge soit-il, qui ne serve Hitler en fin de compte. J’écris vingt à trente pages par jour
298 rant le premier soir dans le hall. Maintenant, on ne saurait plus le faire sortir de Bevin House. Il s’est remis à écrire
299 de petits pinceaux puérils et tire la langue pour ne pas « dépasser ». Je pose pour le Petit Prince couché sur le ventre e
300 exible. Il me donne l’impression d’un cerveau qui ne peut plus s’arrêter de penser… Fin octobre 1942 Propagande et style.
301 gré mal gré mes vingt-cinq pages quotidiennes, je n’ ai pu guère écrire que ces notes de journal, et deux essais pour des r
302 duisibles, au sens le plus large du terme. Car il ne s’agit pas seulement, pour moi, d’écrire en vue d’une traduction amér
303 ans la moindre bavure savante pour l’élégance. On ne savait plus juger du « bien écrire » sinon par référence à des modèle
304 ue tous nos bons auteurs français contemporains : n’ importe qui dira qu’ils « écrivent bien », parce que leurs élégances r
305 devenue le droit d’énoncer des banalités mais qui ne passent plus pour telles, et qui portent. Savoir ne point se limiter
306 passent plus pour telles, et qui portent. Savoir ne point se limiter constamment à la qualité. Car cela irait à préférer
307 ont accepter l’original, qui fit scandale ou même ne fut pas remarqué. (Balzac « journaliste », Beethoven « cacophoniste »
308 nées de violente dérive. … mais sachez-le : Nous n’ étions pas absents de vous plus que de nous-mêmes. Vous étiez « occupé
309 s intime que celle de l’occupation. Un conquérant n’ occupe jamais que l’extérieur, mais l’étranger s’infiltre au cœur de l
310 voit que vous restez là, il change un peu : vous n’ êtes plus l’invité mais un client, et qui devrait s’arranger pour paye
311 qui devrait s’arranger pour payer. Et quand vous n’ avez plus d’argent, c’est tout d’un coup le monsieur qui ne tient pas
312 us d’argent, c’est tout d’un coup le monsieur qui ne tient pas à ce que vous causiez des ennuis. Débrouillez-vous. Et puis
313 uillez-vous. Et puis, vous êtes trop nombreux, on ne peut pas s’occuper de chacun de vous. Et c’est bien vrai. Nous étions
10 1947, Articles divers (1946-1948). La jeune littérature des États-Unis devant le roman américain (7 juin 1947)
314 is devant le roman américain (7 juin 1947)m Je ne connais dans tout New York qu’une seule vraie terrasse de café, celle
315 sans sa mère qui l’accompagnait ce jour-là, elle ne ferait pas deux pas toute seule dans la ville. Je la félicitai sur le
316 américaine et la française, c’est que la première ne professe pas du tout ce culte du roman américain qui caractérise la s
317 ion. Mais cette recherche obscurément spirituelle ne tend jamais vers la formule ou le système, comme elle ferait irrésist
318 er le lieu et la formule », disait Rimbaud.) Elle ne se décante pas, reste immergée dans le symbolisme ambigu des caractèr
11 1947, Articles divers (1946-1948). Drôle de paix (7 juin 1947)
319  », mais elle augmente aussi l’incertitude. Or ce n’ est pas l’angoisse, comme on le répète complaisamment, ce n’est pas mê
320 l’angoisse, comme on le répète complaisamment, ce n’ est pas même l’anxiété, c’est simplement l’incertitude qui domine l’ét
321 x Indes les musulmans, les hindous et les princes ne s’accordent que sur un point, qui est de refuser les plans de retrait
322 i entre le Kouomintang et l’armée communiste, qui n’ est même pas soutenue par Moscou. Quelle est la stratégie yankee à l’é
323 nis un divorce pour trois mariages. Cela non plus ne restera pas sans conséquences, mais lesquelles ? Il n’est pas un de c
324 stera pas sans conséquences, mais lesquelles ? Il n’ est pas un de ces faits, grands ou petits, moral, économique, culturel
325 tits, moral, économique, culturel, religieux, qui ne modifie les conditions du jeu mondial et ne soit destiné à réagir, à
326 , qui ne modifie les conditions du jeu mondial et ne soit destiné à réagir, à plus ou moins longue échéance, sur le sort d
327 ations d’Europe et sur nos vies individuelles. Il n’ est pas un de ces faits qu’on puisse analyser à l’aide de nos catégori
328 sser vers l’insanité ou révéler son ignorance. Il n’ est pas un de ces faits, par conséquent, dont tiennent compte nos déba
329 e coqs avec le problème de la bombe. Et tout cela n’ est que trop naturel. Il est parfaitement naturel que nous aimions par
330 vue, et s’il fallait d’abord savoir les faits il n’ y aurait plus moyen de causer. La bêtise triomphante Cependant n
331 er serait s’occuper vraiment de politique. Car il n’ y a plus à proprement parler de politique pratique, sérieuse et effica
332 t de profondes contradictions internes. Leur lien n’ est pas facile à distinguer. Essayons tout d’abord de les décrire. Vo
333 and il s’agit de la vie de millions de ses sujets n’ avait trahi tant d’insécurité dans ses réactions extérieures, tant de
334 tait moins abîmée, qui sait quelle arrogance elle ne retrouverait pas. J’imagine que les hommes d’État se préoccupent esse
335 eine réalité. Jamais les peuples ou les individus ne se sont unis à cause des richesses qu’ils avaient, tout au contraire.
336 topie agissante. L’Organisation des Nations unies ne s’est formée que pour répondre à l’appel de nos anxiétés et de nos ma
337 ’État qui se trouvent chargés d’administrer l’ONU ne le comprennent pas il faut prévoir que cet appel créera demain d’autr
12 1947, Articles divers (1946-1948). Einstein, patriarche de l’âge atomique, m’a dit : « C’est pour dissimuler sa pauvreté et sa faiblesse que l’URSS méfiante, s’entoure de secret… » (9 août 1947)
338 Il y a quelques mois, une de mes voisines, que je ne connais pas, envoie sa petite fille sonner à ma porte. La petite fill
339 banquets, j’ai entendu beaucoup de speechs. Vous ne pouvez imaginer à quel point ce pays a changé depuis lors. Le niveau
340 onne de la manière dont ils réagissent, ou plutôt ne réagissent pas à la menace atomique. Ils semblent n’avoir qu’une idée
341 réagissent pas à la menace atomique. Ils semblent n’ avoir qu’une idée en tête : leur sécurité personnelle, leur prospérité
342 e russe Et je pense à part moi : nous y voici. N’ ai-je pas entendu répéter ces derniers temps qu’Einstein serait « très
343 on qu’on réserve d’ailleurs aux personnes dont on ne peut affirmer qu’elles sont communistes, simplement. N’a-t-il pas pro
344 t affirmer qu’elles sont communistes, simplement. N’ a-t-il pas proposé, en 1945, de livrer le secret de la bombe aux quatr
345 lus nette de ce qu’il nomme l’hystérie antirusse, n’ est autre que l’attitude des Russes sur le plan international. Einstei
346 ance systématique des Soviets. Or je crains qu’il n’ y ait rien à faire pour la surmonter. Car la cause n’en est que trop c
347 ait rien à faire pour la surmonter. Car la cause n’ en est que trop claire. La Russie sait que, dans le jeu actuel, elle e
348 ilitaires proprement dits ? — Oui… et au sujet de n’ importe quoi qui se passe aujourd’hui dans leurs frontières. Je vous l
349 forcés de tout refuser. — Alors que faire ? — Je ne vois qu’une solution possible. C’est que tous les autres pays forment
350 les résistances ou le sabotage soviétique, qu’on n’ aura plus besoin d’y garder des secrets. Les Russes pourront bien entr
351 r plaira, officiels ou non. Et à la fin — car ils ne sont pas fous comme les nazis —, ils verront bien que leur avantage e
352 y a d’ennuyeux avec vous, Albert, c’est que vous ne savez pas compter ! » Je pense à l’Institut qu’Einstein a fondé avec
353 n air malicieux et bonhomme : « La bombe, dit-il, n’ a pas changé les conditions de la guerre beaucoup plus que ne l’avaien
354 ngé les conditions de la guerre beaucoup plus que ne l’avaient déjà fait les raids massifs d’avions. Mais la bombe a du mo
355 évelopper : « Vous voyez, riposta le maréchal, il n’ y a pas une seconde à perdre ! » n. Rougemont Denis de, « Einstein
13 1947, Articles divers (1946-1948). Conversation à bâtons rompus avec M. Denis de Rougemont (30-31 août 1947)
356 Suisse, intitulé Le Cœur de l’Europe et dont il n’ existe qu’une édition anglaise. Ce qu’on sait moins chez nous, c’est l
357 ’autant plus utile pour nous que notre neutralité n’ a pas toujours été bien comprise et que la presse n’a pas toujours été
358 a pas toujours été bien comprise et que la presse n’ a pas toujours été très tendre à notre égard. De cette influence, nous
359 ès tendre à notre égard. De cette influence, nous ne donnerons qu’un exemple, mais qui illustre bien ce que nous venons de
360 cadre, est valable pour l’Europe. Voyez-vous, on ne se rend pas compte, en Suisse, qu’il existe en nous, aujourd’hui, un
361 nous, aujourd’hui, un sentiment européen, ce qui n’ empêche pas, il est vrai, bon nombre d’entre nous de douter de la nais
362 onscience de ce sentiment suisse. Aujourd’hui, il ne faut pas se leurrer, il y a une crise du fédéralisme suisse. Et cette
363 is-je convaincu que le salut de notre fédéralisme ne peut venir que d’une Europe fédérée. o. Rougemont Denis de, « [Ent
14 1947, Articles divers (1946-1948). L’attitude fédéraliste (octobre 1947)
364 aîner à des généralisations théoriques ; or, rien n’ est plus contraire à l’essence même du fédéralisme que l’esprit théori
365 lle de la Confédération helvétique. Toutefois, je ne puis éviter de poser au départ quelques définitions. Il est vain de p
366 vain de parler des problèmes politiques, si l’on ne s’est pas entendu d’abord sur une certaine idée de l’homme. Car toute
367 , si nous souhaitons un régime fédéraliste ? Nous n’ en parlerions pas si nous pensions que le type d’homme le plus souhait
368 ns ce cas, notre jardin nous suffirait. Mais nous n’ en parlerions pas non plus si nous pensions avec Hitler que l’homme n’
369 non plus si nous pensions avec Hitler que l’homme n’ est qu’un soldat politique totalement absorbé par le service de la com
370 x individualistes nous rappelons donc que l’homme ne peut se réaliser intégralement sans se trouver engagé du même coup da
371 vistes, nous rappelons que les conquêtes sociales ne sont rien, si elles n’aboutissent pas à rendre chaque individu plus l
372 que les conquêtes sociales ne sont rien, si elles n’ aboutissent pas à rendre chaque individu plus libre dans l’exercice de
373 trop rapide mais qui me paraît indispensable. Il ne faut pas penser que la personne soit un moyen terme ou un juste milie
374 personne, c’est l’homme réel, et les deux autres ne sont que des déviations morbides, des démissions de l’humanité complè
375 es démissions de l’humanité complète. La personne n’ est pas à mi-chemin entre la peste et le choléra, mais elle représente
376 ivique. Un homme qui boit de l’eau et qui se lave n’ est pas à mi-chemin entre celui qui meurt de soif et celui qui se noie
377 et celui qui se noie. Et de même, le fédéralisme ne naîtra jamais d’un habile dosage d’anarchie et de dictature, de parti
378 ophe allemand Karl Jaspers déclarait que l’Europe n’ a plus de choix qu’entre la balkanisation et l’helvétisation. Je suppo
379 n gouvernement mondial. Rien de plus banal, si ce n’ est les objections qui surgissent aussitôt : « Tout cela, dit-on, est
380 , dit-on, est bel et bon pour un petit pays, mais n’ est pas applicable aux grands. De plus, il a fallu des siècles aux Sui
381 e objection, je répondrai que les cantons suisses n’ ont adopté une constitution commune qu’en 1848, au terme d’une crise d
382 je répondrai que l’objection est valable si l’on ne s’attache qu’aux détails de la mise en pratique du fédéralisme en Sui
383 ons que ses applications, mais pourtant celles-ci n’ existeraient pas sans celle-là. C’est pourquoi, dans notre tentative d
384 ir l’idée fédéraliste en soi, nous ferons bien de ne pas perdre de vue cette expérience-témoin, concrète, typique, et part
385 ens, le mouvement intime de la pensée fédéraliste ne saurait être mieux comparé qu’à un rythme, à une respiration, à l’alt
386 diastole et de la systole. La pensée fédéraliste ne projette pas devant elle une utopie européenne qu’il s’agirait simple
387 s aux autres, ou d’écraser l’un après l’autre. On ne saurait trop insister sur ce double mouvement qui caractérise la pens
388 . Or les uns et les autres ont tort, parce qu’ils n’ ont qu’à moitié raison. Le véritable fédéralisme ne consiste ni dans l
389 ’ont qu’à moitié raison. Le véritable fédéralisme ne consiste ni dans la seule union des cantons, ni dans leur seule auton
390 naler en Suisse. Nous aurons des fédéralistes qui ne penseront qu’à faire l’union et à la renforcer, et nous aurons des fé
391 eler aux deux partis que le fédéralisme véritable n’ est ni dans l’une ni dans l’autre de ces tendances, mais bien dans leu
392 x d’avant 1848, on est frappé de constater qu’ils n’ emploient jamais le terme de fédéralisme, qu’ils l’ignorent, et qu’ils
393 erme de fédéralisme, qu’ils l’ignorent, et qu’ils ne touchent que très rarement, et très vaguement, à l’idée fédéraliste e
394 t incontestable, en effet, que l’idée fédéraliste n’ a pas cessé d’inspirer et de guider les démarches des meilleurs hommes
395 ait forcée à prendre forme et force de loi. Et ce n’ est guère qu’au xxe siècle que les penseurs et sociologues se sont mi
396 atre langues, de vingt-deux républiques, et de je ne sais combien de « races » en un État qui les respecte, cette union pr
397 le doit dire ce qui allait sans dire et qui alors n’ en allait que mieux. Elle s’expose à son risque maximum : celui de déc
398 de politiques d’hégémonie. Toutefois ce sentiment ne cessait pas de croître et de se renforcer dans la plupart des peuples
399 que d’être mal posée. J’entends qu’elle risque de ne susciter que des plans rationnels et des systèmes. C’est pour éviter
400 t de l’Europe. Premier principe. — La fédération ne peut naître que du renoncement à toute idée d’hégémonie organisatrice
401 posant catholiques et protestants, les vainqueurs n’ ont eu rien de plus pressé que de rendre aux vaincus leur pleine égali
402 ’État fédératif moderne. C’est pourquoi la Suisse ne verra jamais sans une certaine méfiance certains « grands » s’arroger
403 nts utiles, ils nous confirment dans l’idée qu’on ne peut pas atteindre la fin, qui est l’union, par des moyens impérialis
404 st l’union, par des moyens impérialistes. Ceux-ci ne peuvent conduire qu’à l’unification forcée, caricature de l’union vér
405 n véritable. Deuxième principe. — Le fédéralisme ne peut naître que du renoncement à tout esprit de système. Ce que je vi
406 rganique. Rappelons-nous toujours que fédérer, ce n’ est pas mettre en ordre d’après un plan géométrique à partir d’un cent
407 ns un tout. Troisième principe. — Le fédéralisme ne connaît pas de problème des minorités. On objectera que le totalitar
408 qu’une majorité. C’est qu’à ses yeux la minorité ne représente qu’un chiffre, et le plus petit. Pour le fédéraliste, il v
409 une fonction.) En Suisse, ce respect des qualités ne se traduit pas seulement dans le mode d’élection du Conseil des États
410 tres carrés. Quatrième principe. — La fédération n’ a pas pour but d’effacer les diversités et de fondre toutes les nation
411 verraient soumis aux mêmes lois et coutumes, qui ne pourrait satisfaire aucun de ces groupes, et qui les brimerait tous.
412 mprendraient aussi que dans une fédération, elles n’ auraient pas à se mélanger, mais au contraire à fonctionner de concert
413 tionner de concert, chacune selon sa vocation. Ce ne serait pas même une question de tolérance, vertu purement négative et
414 manière et selon son génie. Après tout, le poumon n’ a pas à « tolérer » le cœur. Tout ce qu’on lui demande, c’est d’être u
415 tratifs, culturels, linguistiques, religieux, qui n’ ont pas les mêmes frontières, et qui se recoupent de cent manières dif
416 échit, on s’aperçoit que la politique fédéraliste n’ est rien d’autre que la politique tout court, la politique par excelle
417 ux variés d’échanges européens. Rien de tout cela n’ est inutile. Et tout cela, qui paraît si dispersé, si peu efficace sou
418 urope est beaucoup plus près de s’organiser qu’il ne le semble. Elle est déjà beaucoup plus unie, en réalité, qu’elle ne l
419 est déjà beaucoup plus unie, en réalité, qu’elle ne le croit. C’est sur le plan de l’action gouvernementale que les oppos
420 nt, et là seulement, elles sont irréductibles. Je ne pense pas que les gouvernements puissent jamais réaliser une union vi
421 amais réaliser une union viable. Leurs dirigeants ne sont pas qualifiés pour arbitrer le jeu des nations. Chacun sait qu’i
422 e cela empêche de vivre. La fédération européenne ne sera pas l’œuvre des gouvernants chargés de défendre les intérêts de
423 nes qui formeront le gouvernement de l’Europe. Il n’ y a pas d’autre voie possible et praticable. Les USA ne sont pas dirig
424 pas d’autre voie possible et praticable. Les USA ne sont pas dirigés par une assemblée des gouverneurs des 48 États, ni l
425 s solidaires et plus unis que leurs gouvernements ne pourront jamais l’être, ils s’apercevront que la fédération est non s
426 ancée, les structures en sont déjà esquissées. Il n’ y manque plus qu’une charte fédérale, des organes représentatifs, et u
427 eure. C’est dire qu’il nous faut aller vite. ⁂ Il n’ y a, dans le monde du xxe siècle, que deux camps, deux politiques, de
428 politiques, deux attitudes humaines possibles. Ce ne sont pas la gauche et la droite, devenues presque indiscernables dans
429 sque indiscernables dans leurs manifestations. Ce ne sont pas le socialisme et le capitalisme, l’un tendant à se faire nat
430 ndant à se faire national et l’autre étatique. Ce ne sont pas la Tradition et le Progrès, qui prétendent également défendr
431 i prétendent également défendre la liberté. Et ce ne sont pas non plus la Justice et la Liberté, qu’il est aussi impossibl
432 es de démission spirituelle. L’esprit totalitaire n’ est pas dangereux seulement parce qu’il triomphe aujourd’hui dans une
433 de notre courage, du sens de notre vocation. Nous n’ arriverons à rien de bon, dans nos efforts et nos débats pour promouvo
434 nos débats pour promouvoir l’Europe unie, si nous ne restons pas en garde vigilante contre les réflexes totalitaires qui p
435 x seuls. Sur qui d’autre peut-elle compter ? Elle ne doit pas compter sur les gens au pouvoir. J’en connais peu qui aient
436 nchant irrésistible à devenir totalitaires. Et ce n’ est point que leurs hommes d’État soient particulièrement bêtes ou méc
437 on, la paix, que la plupart d’entre eux désirent, ne peuvent pas être leur affaire, pour des raisons absurdes mais techniq
438 conviction sobre et ferme que, cette fois-ci, on ne nous laisserait plus le temps de rater. p. Rougemont Denis de, « L
15 1947, Articles divers (1946-1948). La liberté dans l’amour [Réponse à une enquête] (novembre 1947)
439 udrait au moins distinguer amour et sexualité. Il n’ est pas exact de dire, par exemple, que « l’homme primitif et l’homme
440 thique… » Car ce que les primitifs réglementaient n’ était jamais l’amour au sens où nous l’entendons et qu’ils ignoraient
441 « depuis toujours ». Je crains bien que tout cela ne repose sur la confusion des termes amour et sexualité. En fait, je ne
442 fusion des termes amour et sexualité. En fait, je ne connais pas une seule loi, dans un seul pays ou un seul temps, qui ai
443 sans doute que la police crée l’ordre, quand elle n’ en est que le déchet.) Les seuls obstacles réels à l’amour sont en nou
444 la Liberté dans l’Amour et par l’Amour. Cet idéal n’ est pas seulement « souhaitable » comme le suggère modestement votre q
445 la lourde réalité du problème que vous posez. Je ne me sens pas capable de le résoudre en quelques lignes, et je ne vois
446 capable de le résoudre en quelques lignes, et je ne vois pas très bien, je l’avoue, quel sens aurait ici une « prise de p
447 admettaient comme naturelle l’homosexualité, cela n’ augmenterait pas notablement le nombre des homosexuels. Ils ont en fai
448 des personnages sacrés, et d’une manière générale ne toléraient aucune fantaisie individuelle dans ce domaine. C’est préci
449  éthique de l’amour » (entendons de la sexualité) n’ est pas nécessaire ; car en fait nous n’en avons plus, ou juste assez
450 exualité) n’est pas nécessaire ; car en fait nous n’ en avons plus, ou juste assez pour que le piquant d’une tricherie que
16 1947, Articles divers (1946-1948). La balance n’est pas égale entre les États-Unis et l’URSS (8 novembre 1947)
451 La balance n’ est pas égale entre les États-Unis et l’URSS (8 novembre 1947)q L’a
452 dmirer. « Très beau, dit notre Américain, mais je ne vois pas de trains circuler ? » — « En effet, réplique le guide, ils
453 circuler ? » — « En effet, réplique le guide, ils ne circulent pas encore, mais vous, qu’est-ce que vous dites de la quest
454 oirs aux États-Unis, hein ? » Ce dialogue de fous n’ est pas celui des peuples, mais de certains journalistes qui parlent e
455 pour servir « l’expansionnisme » du dollar. Qu’on ne rie pas : il s’agit de « dialectique ». Et qu’on ne hausse pas les ép
456 rie pas : il s’agit de « dialectique ». Et qu’on ne hausse pas les épaules : il s’agit d’un retour en force de l’hitléro-
457 otalitaire que ce qu’on publie dans un pays donné ne peut et ne doit servir que le parti au pouvoir. Ainsi, Faulkner, Hemi
458 que ce qu’on publie dans un pays donné ne peut et ne doit servir que le parti au pouvoir. Ainsi, Faulkner, Hemingway et Mi
459 nique de ce reproche : 1° Les éditeurs américains ne sont pas aux ordres de Truman, comme ceux de l’URSS sont aux ordres d
460 tout en publiant parfois une œuvre de qualité qui ne rapporte rien ; 3° Or les livres qui font de l’argent aux US sont les
461  ; 4° Les droits de traduction d’un de ces romans ne représentent au mieux qu’une fraction négligeable des bénéfices sur l
462 d, et d’une trentaine de romanciers dont l’Europe ne connaît même pas les noms, tirent à 800 000 avant la mise en vente, p
463 es personnelles que je pourrais verser au dossier n’ ajouteraient rien que l’on ne sache. Comme dans tous les pays où l’ent
464 is verser au dossier n’ajouteraient rien que l’on ne sache. Comme dans tous les pays où l’entreprise est libre, mais plus
465 e, mais plus que chez nous, parce que l’Américain n’ est pas hypocrite dans ce domaine, les éditeurs de livres et de revues
466 du mot esprit dans ce contexte. Mais la question n’ est pas si simple. Car après tout, c’est le goût du public qui fait le
467 ons la balance égale… ⁂ Eh bien ! non, la balance n’ est pas égale ! L’Amérique est tout de même un pays où les dégradation
468 ertinence, une cruauté qu’aucun critique européen n’ égale. De Mencken à Philip Wylic, de Thorsten Veblen à Reinhold Niehbu
469 ylic, de Thorsten Veblen à Reinhold Niehbur, pour ne rien dire des romanciers, il n’est pas une des tares américaines qui
470 old Niehbur, pour ne rien dire des romanciers, il n’ est pas une des tares américaines qui n’ait été décrite, avouée, analy
471 ciers, il n’est pas une des tares américaines qui n’ ait été décrite, avouée, analysée par les Américains eux-mêmes, avec u
472 eux-mêmes, avec une liberté d’esprit que l’Europe ne peut qu’envier, et qui épouvanterait les staliniens. La balance n’est
473 , et qui épouvanterait les staliniens. La balance n’ est pas égale. Car ce qui dégrade l’esprit, ce sont bien moins les ten
474 commandé par l’État. Ce qui dégrade l’esprit, ce n’ est pas le fait que les mauvais romans encombrent l’étalage, mais qu’o
475 s mauvais romans encombrent l’étalage, mais qu’on n’ ait plus le droit de les juger mauvais si le Parti les déclare orthodo
476 is si le Parti les déclare orthodoxes. La balance n’ est pas égale. Car d’un côté l’on se moque encore de la bêtise, de l’a
477 eurs producers de Broadway me dit en riant : « Il n’ y a qu’une réponse possible. Je vais faire jouer cette pièce ici, ce s
478 ses chefs. q. Rougemont Denis de, « La balance n’ est pas égale entre les États-Unis et l’URSS », Le Figaro littéraire,
17 1947, Articles divers (1946-1948). Une Europe fédérée (20 décembre 1947)
479 t-on, faudrait-il la vouloir ? » Je réponds qu’il n’ y a qu’à regarder l’Europe, qu’à faire son bilan de misères, qu’à voir
480 sères, qu’à voir la place qu’elle tient encore ou ne tient déjà plus dans le monde actuel… Mais puisqu’on m’invite aujourd
481 chniques, les autres politiques. Si tout le monde ne le voit pas d’un coup d’œil, c’est que « l’homme moderne est démodé »
482 a carte des frontières, dont les réseaux de l’air ne tiennent pas compte. S’il posait son atlas pour faire tourner un glob
483 ue le plus court chemin de l’Amérique à la Russie ne passe plus par l’Europe, mais par le pôle. La radio, l’aviation, l’éc
484 t plus étroits. L’Europe est plus petite que nous ne pensions, le monde plus grand. Nos descendants s’étonneront bien que
485 Valéry ait pu nous étonner en notant que l’Europe n’ est qu’un cap de l’Asie. À ces faits matériels vient s’ajouter le gran
486 la table ? Deux mondes sont en présence, que nous n’ approuvons pas, pour des raisons d’ailleurs très inégales. L’un est co
487 ous nous méfions du second. Notre idée de l’homme n’ est pas celle du Kremlin ni celle du businessman américain. Nous ne vo
488 u Kremlin ni celle du businessman américain. Nous ne voulons pas d’un régime de terreur, de parole asservie, d’épuration à
489 e marteau (c’est le nom choisi par Molotov). Nous ne voulons pas de la dictature d’un seul parti ; qui ne représente qu’un
490 voulons pas de la dictature d’un seul parti ; qui ne représente qu’un quart du corps électoral dans les pays où il est le
491 oral dans les pays où il est le plus fort, et qui ne peut faire notre unité que sur nos ruines, par l’occupation russe, et
492 que notre refus, pour être beaucoup moins brutal, n’ est pas moins franc. Nous avons besoin d’elle matériellement, elle a b
493 ’Europe. Or il est clair qu’aucune de nos nations n’ est en mesure de la réaliser pour son seul compte et sans échanges. Au
494 ser pour son seul compte et sans échanges. Aucune n’ est assez riche et assez forte pour réussir sans ses voisins, ou pour
495 gime social, et qui inspire partout sa recherche, ne saurait s’arrêter aux frontières d’un pays. Voilà donc le fédéralisme
496 iècle et si lisible aux meilleures volontés qu’il ne puisse provoquer d’opposition foncière. Qui oserait dire : « Je veux
497 ’à ce qu’ils soient dûment colonisés ! » Personne n’ ose dire cela, ou comme cela. Mais certains le pensent et finissent pa
498 alisme, défaitisme et stalinisme. Le nationalisme n’ est en fait qu’une crispation de névrose féodale, un complexe de repli
499 est la manière stalinienne de dire que la Russie ne veut pas la paix de l’Europe. Invités aux congrès fédéralistes, les c
500 ’on les exclut, qu’on fait un bloc contre eux… Il n’ y a donc plus qu’à faire l’Europe sans eux. Les sceptiques rejoindront
501 out régime démocratique. Le refus sur deux fronts n’ est pas une politique. Quand il est autre chose que l’effet naturel d’
502 fet naturel d’une grande affirmation centrale, il n’ est même pas un vrai refus : il ne peut mener qu’à accepter par force
503 on centrale, il n’est même pas un vrai refus : il ne peut mener qu’à accepter par force ce qu’on a combattu dans la faible
504 acrer ce besoin d’engagement que les totalitaires ne demandent qu’à tromper ? Ils donnent des mitraillettes à ceux qui veu
505 aurer le sens communautaire. En dehors d’eux rien n’ a paru depuis la guerre qu’ils avaient eux-mêmes déclenchée. Et nous s
506 llants, regardant à droite et à gauche comme s’il n’ y avait rien devant nous. Quand le monde attend de nous l’invention pa
507 n carcan. Ce qui est la politique par excellence, n’ en déplaise aux sectaires de tous bords. La véritable troisième force,
508 s de tous bords. La véritable troisième force, ce n’ est pas je ne sais quel groupement de doubles négations et de demi-mes
509 ds. La véritable troisième force, ce n’est pas je ne sais quel groupement de doubles négations et de demi-mesures — c’est
510 est le fédéralisme, qui veut que la Terre promise ne soit pour nous ni l’Amérique ni la Russie, mais cette vieille terre à
18 1948, Articles divers (1946-1948). Notes sur la voie clandestine (hiver 1948)
511 a. Ensuite on verra mieux ce qui va plus loin. Ce n’ est pas une erreur qui doit ouvrir la voie. Mais essayons de ramener l
512 passé. Car si je suis unique, il est une voie qui n’ est tracée que pour moi seul, et que seul je pourrai deviner comme on
513 cohue, le superstitieux simplement sera celui qui ne désespère pas de trouver quelque sens acceptable sous l’uniforme absu
514 n moment, et commence à longer la rue. Son allure ne saurait tromper. C’est la puissante circonspection de celui qui s’eng
515 ans le jeu. Dans un état signifiant et rythmé. Il ne voit plus l’échelle ni le chat noir à gauche, les chevaux blancs ni l
516 auche, les chevaux blancs ni les curés barbus. Il n’ attend rien qui ressemble aux dictons de l’occulte, attendant cela seu
517 ictons de l’occulte, attendant cela seulement qui ne ressemble à rien mais qu’il reconnaîtra du premier coup : un repère à
518 t dans l’harmonie de son destin. Cherchant ce qui ne vibre qu’à lui-même et révèle un accord instant, il marche au son, co
519 tre les profondeurs et la surface manifeste. ⁂ Je ne parlais que des Grands Rêves et des vrais jeux. Bien entendu, pour l’
520 comme pour le tout-venant du rêve qui le reflète, n’ importe quel objet pourra servir ; vieux clou tordu, statuette à quatr
521 hasard. Mais nous touchons ici au fétichisme, qui n’ est qu’une obsession morbide du sens des signes. ⁂ Quand tout se ferme
522 es. ⁂ Quand tout se ferme devant moi, et que rien ne m’indique plus comment agir et comment sortir de l’impasse, je tire l
523 son destin. Survient alors celui qui dit : « Vous ne retenez que les coïncidences, prémonitions et prédictions heureuses,
524 vos expériences de laboratoire. Et comme vous, je ne retiens que le dixième, qui donne un sens. Mais les neuf autres n’ont
525 dixième, qui donne un sens. Mais les neuf autres n’ ont pas été vaines, ni muettes. Car elles m’ont dit : tu n’es pas toi,
526 été vaines, ni muettes. Car elles m’ont dit : tu n’ es pas toi, ou pas ici, tu n’y es plus ou pas encore. Elles m’ont rame
527 elles m’ont dit : tu n’es pas toi, ou pas ici, tu n’ y es plus ou pas encore. Elles m’ont ramené… » Le superstitieux va loi
528 usqu’au bout de lui-même. ⁂ Erreur commune : s’il n’ y a pas de hasard, tout serait donc déterminé ? Nous n’aurions plus qu
529 pas de hasard, tout serait donc déterminé ? Nous n’ aurions plus qu’à suivre une voie rigide, fixée de toute nécessité par
530 estin ? Erreur commune et dont il faut rougir. Il n’ y a pas de hasard, mais pourtant nous sommes libres. Je ne sais qui di
531 s de hasard, mais pourtant nous sommes libres. Je ne sais qui dispose de moi, mais la contrainte, si c’en est une, certain
532 mais la contrainte, si c’en est une, certainement n’ est pas mécanique. La voix insiste ou bien n’insiste plus ; elle parle
533 ment n’est pas mécanique. La voix insiste ou bien n’ insiste plus ; elle parle plus ou moins clairement ; des portes se fer
534 oriente… C’est une immense affaire d’amour ! Nous ne sommes pas aimantés comme des grains de limaille, nous sommes aimés p
535 , me tient probablement plus que jamais encore je ne me l’étais avoué : celle du changement instantané de tout, en sorte q
536 u changement instantané de tout, en sorte que nul ne s’en doute. Ne serait-ce pas sur cette croyance que reposent les vœux
537 stantané de tout, en sorte que nul ne s’en doute. Ne serait-ce pas sur cette croyance que reposent les vœux, incantations,
538 ls suivent leur voie ou s’ils l’inventent ? S’ils ne l’inventent qu’en la suivant telle qu’elle était, ou ne la suivent qu
539 nventent qu’en la suivant telle qu’elle était, ou ne la suivent qu’en l’inventant telle qu’elle devient ? Créer ou rejoin
540 n poème, un destin, un amour, une vocation ? « Je n’ ai jamais su, dit le poète, si j’inventais un vers ou si je le retrouv
19 1948, Articles divers (1946-1948). Rencontre avec Denis de Rougemont (janvier 1948)
541 de « mystique ». Demandez-lui ce qu’il fait : Je n’ ai d’autre spécialité, vous répondra-t-il, que de réfléchir aux conséq
542 tent. C’est un intellectuel. Un intellectuel qui n’ a pas mauvaise conscience de sa vocation, qui ne s’en cache pas. Il in
543 i n’a pas mauvaise conscience de sa vocation, qui ne s’en cache pas. Il intitula même un de ses livres les plus remarquabl
544 es préoccupations, se tient la personne humaine ; ne voulut-il pas instaurer une Politique de la personne  ? Et, pour mie
545 ne  ? Et, pour mieux préciser encore sa position, ne nous invita-t-il pas, reprenant le précepte du vieil Anaxagore, à pen
546 voyé en Amérique pour y faire des conférences. Il n’ en revint qu’au mois de juillet dernier. Il vécut à New York, à Prince
547 une voix qui me dit : « Allô ! Ici Einstein ». Je n’ en croyais pas mes oreilles ; c’est un peu comme si j’avais entendu :
548 ’effrayent, c’est certain. Mais sa responsabilité ne se sent pas engagée. Sans doute, pense-t-il que, même sans lui, le se
549 et que par conséquent… « La bombe, m’a-t-il dit, n’ a pas changé les conditions de la guerre beaucoup plus que ne l’avaien
550 ngé les conditions de la guerre beaucoup plus que ne l’avaient déjà fait les raids massifs d’avions. Mais la bombe a du mo
551 re un rideau de fer, c’est pour que leur pauvreté ne soit pas découverte. Einstein souhaite que tous les autres pays forme
552 RSS finisse par se rendre compte que son avantage n’ est pas de s’y opposer perpétuellement et en vain, mais d’y entrer. Je
553 r perpétuellement et en vain, mais d’y entrer. Je n’ interrogerai pas Denis de Rougemont sur les États-Unis. Il leur a cons
554 Les disputes autour de l’engagement de l’écrivain n’ existent pas là-bas. Écrire, aux États-Unis, c’est entretenir les lect
555 evait. Et c’est cela qui me semble essentiel. Ils n’ étaient pas des inadaptés comme, au contraire, le furent les hommes de
556 ez Baudelaire, et Kierkegaard, dont toute l’œuvre n’ est qu’immense effort pour atteindre les gens et qui est mort — oui, l
557 rent toujours en marge de la société, parce qu’il n’ y avait plus de communauté réelle entre l’écrivain d’une part, la bour
558 se rencontrer naguère, mais où, maintenant, « on ne peut plus mettre les pieds ». « Pensez, dit Sartre, la voix pleine d’
559 ntemporains, c’est Camus et Simone de Beauvoir. » N’ était-ce pas là façon de se désigner soi-même… par personne interposée
560 artre, Bataille, Breton… Après l’autre guerre, ce n’ avait pas été ainsi. C’est, me semble-t-il, dis-je à mon tour, que le
561 erre-ci. Pour les jeunes hommes d’aujourd’hui, il ne s’agit pas seulement de relever des ruines, mais de découvrir un mond
562 ouveau et de l’organiser. Tout est à recréer. Ils n’ ont encore rien à dire, ou ce qu’ils voudraient exprimer est encore im
563 voix, les hommes de 40 ans comme vous les nommez, ne font que poursuivre les discours commencés avant 1939. À cette époque
564 défaite, l’exil ont pu les dérouter ; leurs idées n’ en ont pas été transformées pour autant. Voilà pourquoi ce sont eux et
565 u’on entend, ou du moins qu’on écoute. Les autres n’ en sont encore qu’aux balbutiements. La musique s’est tue. Les tables
566 crépusculaire. Nul mouvement, nul bruit de la rue n’ est perceptible ici. L’on dirait qu’on est en marge du temps. Cela don
567 faut dépasser leurs frontières. Bien souvent, ce n’ est pas dans leur pays d’origine qu’ils rencontrent le plus large accu
568 à moi, que cette transformation de leur existence ne peut pas être sans influence profonde sur leurs pensées et leur œuvre
569 s de Rougemont. Mais je pense que notre continent ne peut être sauvé que par une organisation fédérative. Le modèle en est
570 ù je développais les principes du fédéralisme. Il ne peut naître, disais-je, que d’un renoncement à toute idée d’hégémonie
571 omplexe et souple comme la paix, comme la vie. Il ne faut pas avoir peur de ces complexités, de ces complications. Elles s
572 r, la Suisse en reconnaît les bienfaits. Pourquoi n’ en serait-il pas de même pour l’Europe ? Mais, encore une fois, il con
573 me européen pourra s’imposer. Mais sa réalisation ne vous semble-t-elle pas chimérique ? Nullement. Si nous parvenons à dé
574 : La Règle du jeu. Espérons que la bombe atomique n’ interrompra pas vos travaux… La bombe n’est pas dangereuse du tout, me
575 atomique n’interrompra pas vos travaux… La bombe n’ est pas dangereuse du tout, me répond-il. C’est un objet. Les objets n
576 du tout, me répond-il. C’est un objet. Les objets ne m’ont jamais fait peur, non plus que les machines. Ce qui est dangere
20 1948, Articles divers (1946-1948). Les deux blocs ? Il n’en existe qu’un (9 janvier 1948)
577 Les deux blocs ? Il n’ en existe qu’un (9 janvier 1948)u Les uns nous disent que le choix
578 talement à la guerre. Pour les premiers, l’Europe n’ est plus rien par elle-même et devrait s’attacher au plus vite soit au
579 lar américain. Mais les seconds proclament qu’ils ne choisiront pas entre la peste et le choléra et qu’ils tiennent la bal
580 que jusque dans nos communes : tandis que les USA n’ ont que des sympathies, point de propagande organisée, aucun moyen de
581 e scientifique : le marxisme ; tandis que les USA n’ ont pas de doctrine, et n’ont rien d’autre à proposer qu’un genre de v
582 me ; tandis que les USA n’ont pas de doctrine, et n’ ont rien d’autre à proposer qu’un genre de vie, leur way of life qui n
583 proposer qu’un genre de vie, leur way of life qui n’ est nullement une arme de combat. Par rapport à l’Europe, les intentio
584 pport à l’Europe, les intentions des deux empires ne sont pas davantage comparables. On l’a bien vu lors de la Conférence
585 t-il donc chercher l’impérialisme ? Avouons qu’il n’ est pas le même des deux côtés. Un contraste frappant Et si l’on
586 russes. Il faut vraiment se boucher les yeux pour ne pas voir de quel côté les promesses faites aux masses sont tenues aux
587 nt pour la réduire, et cela au nom d’un idéal qui ne change pas tous les six mois, car il est la morale commune, et non pa
588 ssances nous conduisent à la même conclusion : il n’ y a pas de commune mesure entre le danger soviétique pour l’Europe et
589 bloc dans tous les sens du terme. Mais l’Amérique n’ en est pas un, elle qui vise aux libres échanges, tolère les pires ind
590 que est une démocratie, et une démocratie vivante n’ est pas un bloc. Un seul remède : nous fédérer Que devient alors
591 autres déclarent noblement décliner ? En fait, il n’ y a plus de choix possible. Car la Russie, en refusant de collaborer,
592 isément, a choisi pour nous, malgré nous. Si nous n’ acceptons pas d’être ses satellites, elle nous déclare et nous croit s
593 communistes contre un prétendu « bloc américain » n’ a d’autre but que de masquer ce fait brutal : la Russie ne veut pas d’
594 tre but que de masquer ce fait brutal : la Russie ne veut pas d’une Europe forte, c’est-à-dire d’une Europe unie et autono
595 c’est-à-dire d’une Europe unie et autonome ; elle ne veut qu’une Europe livrée à sa merci par les rivalités nationalistes
596 lités nationalistes et la misère. À ce défi, nous ne pouvons pas répondre en nous jetant simplement dans les bras de l’Amé
597 t dans les bras de l’Amérique. Non seulement nous ne le devons pas, mais c’est pratiquement impossible. Car l’Amérique n’a
598 ais c’est pratiquement impossible. Car l’Amérique n’ a nullement l’intention de nous entretenir à grands frais comme des ma
599 eptibles. Elle cherche à nous aider pour que nous ne tombions pas dans le piège grossier que nous tendent les Russes : c’e
600 de vue stratégique autant que culturel. Mais elle ne pourra nous aider que si nous existons d’abord. Le seul choix qui nou
601 u. Rougemont Denis de, « Les deux blocs ? Il n’ en existe qu’un », L’Intransigeant, Paris, 9 janvier 1948, p. 4.
21 1948, Articles divers (1946-1948). Ce sont les Français qui ont commencé (La querelle des « condensés… ») (14 février 1948)
602 ce qui tombe », écrit Lanson, « c’est tout ce qui n’ est pas la notation sèche du fait », c’est la poésie, c’est le style d
603 ute notre enfance. Il est vrai qu’en tout cela je n’ ai cité que des traductions, et que ni Goethe, ni Swift, ni Cervantès
604 uctions, et que ni Goethe, ni Swift, ni Cervantès n’ ont jamais reçu le prix Goncourt, ce qui doit apaiser bien des scrupul
605 amb, des comédies et tragédies de Shakespeare. Je ne saurais leur comparer chez nous, sous le double rapport du succès et
606 oul (4485 vers). Vous trouverez sans peine, dans n’ importe quelle histoire de la littérature française, de quoi tripler l
607 u supposé du public d’une époque et d’un pays, ce n’ est pas une invention américaine, mais une ancienne coutume européenne
608 e du procédé. Il est probable que le « condensé » n’ aurait pas provoqué pareille indignation chez les critiques, ni rencon
609 encontré pareil succès dans le grand public, s’il n’ eût pas été présenté comme américain d’origine. (Américain signifiant
610 auvrissent, défigurent, saccagent leur modèle, et ne peuvent qu’en écarter le lecteur. Vogüé résume, croit condenser, mais
611 ’on va du pire à l’excellent. Le procédé lui-même n’ est pas en cause, mais bien le talent de celui qui l’applique, et peut
612 les ouvrages d’une honnête moyenne. Les critiques n’ ont pas protesté tant qu’on nous a servi Shakespeare et Goethe, Cervan
613 Trois remarques encore sur ce vaste sujet que je ne puis traiter ici qu’en « condensé ». L’on admet sans mauvaise humeur
614 ais le fameux grand public, si cher aux éditeurs, n’ est-il pas un enfant devant la vraie culture ? N’a-t-il pas droit aux
615 n’est-il pas un enfant devant la vraie culture ? N’ a-t-il pas droit aux mêmes égards que la jeunesse de la part de ceux q
616 e la jeunesse de la part de ceux qui l’éduquent ? Ne faut-il pas lui ménager avec prudence un accès progressif aux chefs-d
617 an non terminé, et que l’auteur voulait détruire, ne court-il pas les mêmes dangers que s’il était « condensé » en cinquan
618 teindre enfin la vaste audience que nos critiques n’ avaient pas su lui procurer ? Pour ma part, je salue de mes vœux toute
619 s vain de s’indigner des « condensés » tant qu’on n’ aura rien fait pour la culture des masses ; car nous sommes en démocra
620 spote qu’il s’agit avant tout d’éclairer. Mais il n’ est pas vain d’exiger que les fabricants de condensés se donnent des r
621 ’ils avertissent bien clairement le lecteur qu’on ne lui vend qu’un résumé, et qu’ils rappellent les dimensions de l’origi
622 rer chez le libraire. Tous les critiques français ne devraient-ils pas se liguer pour qu’un code de ce genre soit adopté ?