1 1946, Articles divers (1946-1948). Théologie et littérature (1946)
1 la pensée occidentale, de même que l’Église, par son culte, est la mère de presque tous nos arts. La musique est née dans
2 losophie n’était que la servante de la théologie, ses efforts d’émancipation les plus violents, et même couronnés de succès
3 non, qu’on l’admette comme Bergson vers la fin de sa carrière, qu’on cherche à le camoufler comme Heidegger, ou qu’on préf
4 ns. Mais il ne me paraît pas que le problème dans son ensemble ait été clairement posé ou étudié, ni par les docteurs de l’
5 n droit de laisser à d’autres le soin d’appliquer ses critères hors de l’Église. Mais il est beaucoup moins évident que la
6 ait de soulever une question, et de suggérer pour son étude quelques hypothèses de travail. 5. L’ignorance générale où son
7 conduite peu régulière, la confirmant ainsi dans sa persuasion que l’Église est bonne pour les petits bourgeois, n’a rien
8 fut pas un théologien au sens strict, mais toute son œuvre manifeste une attitude théologique parfaitement cohérente et in
9 ue parfaitement cohérente et intransigeante, d’où son influence profonde et indéniable sur Ibsen, sur Unamuno, sur Rilke, s
10 s le vide. Le second, mieux assuré de la force de ses ailes, cherche une atmosphère dense pour exercer en plein ses énergie
11 herche une atmosphère dense pour exercer en plein ses énergies. Dante demande à Thomas d’Aquin un cadre, des repères solide
12 éologique de la littérature devra mettre en garde son public contre l’illusion courante qui consiste à ne prendre en consid
13 ant, ce n’est pas simplement parler de Dieu et de sa volonté, ni même en parler avec cette simplicité trop aisément attein
14 ne certaine absence de l’Esprit dans la genèse de son œuvre. Il oublie que le style d’un écrit transmet pour son compte et
15 . Il oublie que le style d’un écrit transmet pour son compte et par lui-même un « message » souvent beaucoup plus réel et a
16 sujet, implique une théologie (fût-ce à l’insu de son auteur), et qu’elle l’exprime par les mouvements mêmes du style, plus
17 ement et d’une manière plus contraignante que par son argumentation. Expliciter cette théologie serait rendre un service im
2 1946, Articles divers (1946-1948). Le supplice de Tantale (octobre 1946)
18 supplice de Tantale (octobre 1946)a L’eau fuit ses lèvres, la branche fuit sa main, et le rocher qui surplombe sa tête v
19 1946)a L’eau fuit ses lèvres, la branche fuit sa main, et le rocher qui surplombe sa tête va tomber mais ne tombe jama
20 branche fuit sa main, et le rocher qui surplombe sa tête va tomber mais ne tombe jamais. Pour l’observateur non prévenu,
21 suffisait à repousser les objets qu’il désire, et sa crainte l’objet qu’il redoute. Quand il se penche vers la surface de
22 uits mûrs qui font ployer la branche au-dessus de son front, on dirait que son geste même déclenche un mécanisme qui l’annu
23 la branche au-dessus de son front, on dirait que son geste même déclenche un mécanisme qui l’annule. Mais on dirait aussi
24 mécanisme qui l’annule. Mais on dirait aussi que son regard, dès qu’il l’élève avec angoisse vers le rocher, retient le ro
25 C’est l’homme coupable, environné des emblèmes de sa peur et de sa convoitise — emblèmes ou signes, car tout tient ici à d
26 coupable, environné des emblèmes de sa peur et de sa convoitise — emblèmes ou signes, car tout tient ici à des événements
27 tout illustre une des structures fondamentales de son être. Tantale avait commis deux crimes, dit la Fable. Admis à la tab
28 le. Admis à la table des dieux, il avait dérobé à ses hôtes leur nectar et leur ambroisie, pour les faire goûter aux mortel
29 uis, dans l’idée de défier l’Olympe et d’éprouver son omniscience, il avait tué son propre fils Pélops, pour faire servir s
30 lympe et d’éprouver son omniscience, il avait tué son propre fils Pélops, pour faire servir sa chair à la table divine. Les
31 ait tué son propre fils Pélops, pour faire servir sa chair à la table divine. Les liqueurs d’immortalité sont ici comme de
32 acrifice du Fils de Dieu. Au lieu du Père livrant son Fils aux hommes pour qu’ils le tuent, mais aussi pour qu’ensuite ils
33 ur qu’ensuite ils revivent par la consommation de son corps spirituel, un homme tue lui-même son fils, et donne sa chair au
34 ion de son corps spirituel, un homme tue lui-même son fils, et donne sa chair aux dieux pour qu’ils en meurent, — s’ils per
35 irituel, un homme tue lui-même son fils, et donne sa chair aux dieux pour qu’ils en meurent, — s’ils perdent leur divinité
36 ntale se voit refuser celle du commun des hommes. Sa jalousie se réfléchit dans la frustration du désir. Et son défi au Ci
37 sie se réfléchit dans la frustration du désir. Et son défi au Ciel, ayant failli, s’inverse en menace suspendue. Le monde
38 d’ailleurs. (Les « dieux » n’étant, en fait, que ses propres limites.) Dans l’histoire du supplice de Tantale, cet automat
39 le soutenu dans la rivière, le rocher soutenu sur sa tête, l’onde et la branche ne s’écartant de lui qu’à l’instant où il
40 e tient vraiment qu’à lui, qu’aux dispositions de son âme : c’est que celles-ci n’ont pas changé depuis ses crimes. Nourris
41 âme : c’est que celles-ci n’ont pas changé depuis ses crimes. Nourrissant avec obstination les mêmes désirs et le même orgu
42 nt, qu’il s’abandonne, et qu’il préfère soudain à son amour d’un moi coupable et torturé, l’expiation libératrice et son dé
43 i coupable et torturé, l’expiation libératrice et son délire. À l’instant même, il s’enfonce dans les eaux, il boit à mort,
44 lui vaudrait un instant de pur abandon — payé de sa mort, il est vrai, pour quelle indescriptible renaissance ! — préfère
45 e ! — préfère subir le supplice de Tantale. C’est son orgueil et sa dignité d’homme : il se révolte contre tout — sauf soi.
46 ubir le supplice de Tantale. C’est son orgueil et sa dignité d’homme : il se révolte contre tout — sauf soi. C’est pourquo
47 Tantale symboliquement réduit, dans la légende, à sa faim, à sa soif et à sa peur. Il est cet homme qui, dans chacun de no
48 boliquement réduit, dans la légende, à sa faim, à sa soif et à sa peur. Il est cet homme qui, dans chacun de nous, préfère
49 éduit, dans la légende, à sa faim, à sa soif et à sa peur. Il est cet homme qui, dans chacun de nous, préfère le désir, mê
50 été mille et mille fois déçu — mais c’est encore son désir, donc lui-même — à la proie qu’il ne posséderait qu’en acceptan
51 it, pense-t-il, de gagner le monde s’il y perdait son moi ? Il est certain qu’à sa manière il a raison. Car à gagner, l’on
52 onde s’il y perdait son moi ? Il est certain qu’à sa manière il a raison. Car à gagner, l’on perd toujours quelque chose :
53 individu qui aurait désiré si longtemps que tout son être en fût devenu attente, espoir et nostalgie. Cet être-là mourrait
54 girait dans l’instant du don, pour le recevoir en son lieu. À la limite, et dans la logique d’un mythe où l’homme s’identif
55 ique d’un mythe où l’homme s’identifie à l’une de ses tendances, celui qui gagne est donc toujours un autre. Et celui qui d
56 L’oncle van der Kabel vient de mourir, et devant ses sept héritiers naturels, un notaire ouvre et lit le testament. La der
57 tous les autres, une ou quelques larmes sur moi, son oncle défunt, et cela en présence d’un respectable magistrat qui en d
58 t le nom va suivre. » À ce point, le notaire pose sa montre sur la table, elle marque onze heures et demie, et il attend l
59 s Flachs, maintenant, a fermé les yeux. Il évoque son oncle van der Kabel, ses bienfaits, ses redingotes grises, puis Lazar
60 ermé les yeux. Il évoque son oncle van der Kabel, ses bienfaits, ses redingotes grises, puis Lazare et ses chiens, la tête
61 Il évoque son oncle van der Kabel, ses bienfaits, ses redingotes grises, puis Lazare et ses chiens, la tête de beaucoup d’ê
62 bienfaits, ses redingotes grises, puis Lazare et ses chiens, la tête de beaucoup d’êtres, les souffrances du jeune Werther
63 bien peu qu’il ne pleure… Le conseiller continue son discours… Soudain : « Je crois, très honorés Messieurs, dit Flachs en
64 en effet, il se rassoit en sanglotant brièvement. Son émotion dûment enregistrée, il héritera de tous les biens de l’oncle,
65 pas davantage à l’homme pour le faire héritier de son royaume : il demande un instant de foi. Un instant d’abandon de soi-m
66 i un homme croit pouvoir s’autoriser du mérite de ses œuvres, il ne pleurera pas : car la vision de la proie qui s’approche
67 i s’approche sera « bien trop réjouissante » pour son cœur, et le Royaume convoité s’éloignera tout aussitôt, comme la bran
68 ir à cette vie temporelle, les eaux vives fuiront ses lèvres ; car il faudrait, pour y être immergé, accepter de mourir d’a
69 pour y être immergé, accepter de mourir d’abord à ses propres désirs et à soi-même. (Et c’est le symbole du Baptême.) Telle
3 1946, Articles divers (1946-1948). Genève, rose des vents de l’esprit (19 décembre 1946)
70 ion. Pas l’Européen. L’Européen se retranche dans ses convictions et pense que l’adversaire est méchant, puisqu’il ne pense
71 e des vents de l’esprit, continuera ainsi à jouer son rôle de cité internationale, à condition, bien entendu, que l’esprit
4 1947, Articles divers (1946-1948). Préface à Le Cœur est un chasseur solitaire de Carson McCullers (1947)
72 t là que Dos Passos situe plusieurs des scènes de ses romans, et c’est là qu’il y a bien six ans j’ai connu Carson McCuller
73 ir d’une toute jeune fille montée en graine, avec ses petits bas rouges au-dessous des genoux, son long visage pâle, sa fra
74 avec ses petits bas rouges au-dessous des genoux, son long visage pâle, sa frange noire en désordre et sa contenance effaro
75 uges au-dessous des genoux, son long visage pâle, sa frange noire en désordre et sa contenance effarouchée. Ses mains trem
76 long visage pâle, sa frange noire en désordre et sa contenance effarouchée. Ses mains tremblaient, et l’on pensait que sa
77 e noire en désordre et sa contenance effarouchée. Ses mains tremblaient, et l’on pensait que sans sa mère qui l’accompagnai
78 . Ses mains tremblaient, et l’on pensait que sans sa mère qui l’accompagnait ce jour-là, elle ne ferait pas deux pas toute
79 ns la ville. Je la félicitai sur le beau titre de son premier roman qui venait de paraître — écrit entre 19 et 22 ans — et
80 eorge Davis, rédacteur du Harper’s Bazaar, tenait son rôle de propriétaire. Benjamin Britten et Paul Bowles représentaient
81 , tout au Nord, près de Saratoga. Elle me tend de ses mains tremblantes une petite coupure de journal : son mari, le lieute
82 mains tremblantes une petite coupure de journal : son mari, le lieutenant McCullers, est signalé comme le premier Américain
83 e et Richard Wright — qui fut le premier à saluer son talent — la reprise de l’émigration traditionnelle des écrivains amér
84 n McCullers par exemple, quand je l’interroge sur ses maîtres, me cite Dostoïevsky, Flaubert et Kierkegaard, là où un jeune
85 lle pauvre de 15 ans, qui cherche la musique dans sa petite ville, et repère une à une les maisons où la radio choisit les
86 s elle essaie de composer elle-même. Elle appelle sa première sonate : Cette chose que je veux, je ne sais pas quoi. Je p
87 ouver une clé dans cette lettre d’un sourd-muet à son ami devenu fou, qu’on va lire aux pages 219-220 : « Les autres, écrit
5 1947, Articles divers (1946-1948). La lutte des classes (1947)
88 rs sans angoisse, en ce temps-là. On était sûr de son affaire, on était parfaitement « en règle », il fallait simplement « 
89 le monde est une jungle atomique, l’humanité dans sa très grande majorité une espèce animale désordonnée, lubrique, rapace
90 en IIIe classe offrent l’image de l’homme sûr de son monde. D’où vient alors cette espèce de malaise qu’éprouvent les étra
91 tout bruit inutile, la direction de l’hôtel prie sa clientèle de ne pas donner à manger aux mouettes. C’était l’été des
92 ’il a l’habitude. On dirait qu’il s’installe dans son bureau, et sa pensée ne vagabonde pas, reste enfermée dans sa serviet
93 e. On dirait qu’il s’installe dans son bureau, et sa pensée ne vagabonde pas, reste enfermée dans sa serviette de cuir. Ri
94 t sa pensée ne vagabonde pas, reste enfermée dans sa serviette de cuir. Rien d’étonnant si le contrôleur distingue à premi
95 lui, la beauté même, « ô toi que j’eusse aimée », sa fille sans doute, fume en feuilletant un magazine. Je croyais autrefo
6 1947, Articles divers (1946-1948). Les maladies de l’Europe (1947)
96 angé ! » Mais d’un coup d’œil, vous avez lu toute son histoire. Ainsi j’ai retrouvé l’Europe. Sur son visage et dans son ex
97 e son histoire. Ainsi j’ai retrouvé l’Europe. Sur son visage et dans son expression certains traits accusés et tendus, mais
98 si j’ai retrouvé l’Europe. Sur son visage et dans son expression certains traits accusés et tendus, mais aussi une certaine
99 t se passe en public, puis j’essaierai de mesurer sa situation nouvelle dans le monde. Enfin, j’ai hâte de lui demander :
100 avouer. Avant même que l’on puisse détailler tous ses traits, on en reçoit une impression d’ensemble que je traduirai par c
101 ’elle a perdu la guerre. Militairement, Hitler et ses séides ont été battus et sont morts, mais dans la lutte, ils ont marq
102 hommes qui se disputent : l’un est une brute, et son point de vue, c’est que la brutalité doit toujours triompher ; l’autr
103 s la brutalité a triomphé. La brute a donc imposé son point de vue. Ainsi d’Hitler et de l’Europe démocratique. Ce ne sont
104 politisation totale de l’existence. Hitler battu, son corps brûlé dans le pétrole, que reste-t-il ? À peu près tout cela —
105 régime hitlérien, elle se révèle enfin dans toute son étendue réelle, sous nos yeux. On doit considérer comme liquidée, au
106 le mensonge et non pas le témoignage au risque de sa vie ; le marché noir et non l’entraide communautaire ; la dénonciatio
107 défense nationale. Un pays qui ne peut pas vêtir ses déportés trouve encore le moyen de faire des uniformes et discute la
108 prinzip » n’est pas mort avec celui qui lui donna son nom. Il se cherche, il se trouve d’autres « chefs bien-aimés »… Et là
109 visage spirituel du continent — je ne dis rien de son visage physique — ne trahissent qu’une fatigue temporaire. Je n’ignor
110 affrontent au-dessus d’elle, rongée et ruinée sur ses bords, moralement refermée sur elle-même. Il y a plus. Nous voyons l’
111 tains rêves et de certaines croyances apparus sur son sol, et qui semblaient parfois définir son génie. Notre rêve du progr
112 us sur son sol, et qui semblaient parfois définir son génie. Notre rêve du progrès par exemple — j’y faisais allusion tout
113 qu’ils nous semblent en faire nous dégoûtaient de son usage normal. Ainsi de bien d’autres notions ou de bien d’autres myth
114 urope a diffusé sur la planète, sans distinction, ses découvertes et ses utopies, les secrets mêmes de sa puissance, et les
115 la planète, sans distinction, ses découvertes et ses utopies, les secrets mêmes de sa puissance, et les germes de ses mala
116 découvertes et ses utopies, les secrets mêmes de sa puissance, et les germes de ses maladies. Et tout cela sur des terres
117 s secrets mêmes de sa puissance, et les germes de ses maladies. Et tout cela sur des terres plus fertiles, ou peut-être moi
118 . Le capitalisme, chez nous, n’a jamais pu donner son plein, parce qu’il était sans cesse bridé et contrarié par le nationa
119 ’Europe a dominé le monde pendant des siècles par sa culture d’abord, dès le Moyen Âge, par sa curiosité et son commerce à
120 les par sa culture d’abord, dès le Moyen Âge, par sa curiosité et son commerce à l’époque des grandes découvertes, par ses
121 re d’abord, dès le Moyen Âge, par sa curiosité et son commerce à l’époque des grandes découvertes, par ses armes et son art
122 commerce à l’époque des grandes découvertes, par ses armes et son art de la guerre mis au service tantôt de la rapacité de
123 ’époque des grandes découvertes, par ses armes et son art de la guerre mis au service tantôt de la rapacité de telle nation
124 el prince, tantôt d’idéaux contagieux ; enfin par ses machines et par ses capitaux. Mais voici que l’Amérique et la Russie
125 idéaux contagieux ; enfin par ses machines et par ses capitaux. Mais voici que l’Amérique et la Russie viennent de lui rav
126 s à tenir activement le parti de cette Europe, de ses complexités vitales, de sa culture. Une analyse sociologique assez gr
127 i de cette Europe, de ses complexités vitales, de sa culture. Une analyse sociologique assez grossière suffit à révéler da
128 ifs d’entre nous ont émigré. La bourgeoisie, dans son ensemble, se contente d’un double refus de la Russie et de l’Amérique
129 gros, notre situation. Une Europe démoralisée par sa victoire douteuse sur Hitler, rétrécie et coincée entre deux grands e
130 rands empires, dépossédée par eux de presque tous ses monopoles et moyens de puissance, vidée de rêves et divisée non seule
131 r l’esprit de faction, mais parce que beaucoup de ses habitants espèrent ailleurs, et dans deux directions opposées. Je le
132 r d’une défense de l’Europe, de nous cramponner à ses restes, et même d’appeler à son secours des forces jeunes. Posons-nou
133 nous cramponner à ses restes, et même d’appeler à son secours des forces jeunes. Posons-nous donc sans nul cynisme, mais av
134 un domaine, alors que ce domaine menace ruine par sa faute, et que les nouveaux acquéreurs vont en tirer un bien meilleur
135 ce pas ce « Kinderland » qu’appelait Nietzsche de ses vœux ? Ce n’est pas assez de donner des ancêtres à ses enfants ; ils
136 œux ? Ce n’est pas assez de donner des ancêtres à ses enfants ; ils ont besoin d’un avenir aussi. Et de quel droit sacrifie
137 urait cédé aux tentations d’un bonheur étranger à son génie, une Europe américanisée — ce serait par goût — soviétisée — ce
138 frontée à deux empires. Du même coup elle ressent son unité et la définit par contraste comme celle d’une conception de l’h
139 r nous, la vie résulte d’un conflit permanent, et son but n’est pas le bonheur, mais la conscience plus aiguë, la découvert
140 iste ou un guerrier, un maniaque ou un inventeur. Son bien et son mal sont liés, inextricablement et vitalement. L’Européen
141 uerrier, un maniaque ou un inventeur. Son bien et son mal sont liés, inextricablement et vitalement. L’Européen connaît don
142 e dialectique par excellence. Nous le voyons dans ses plus purs modèles, crucifié entre ces contraires qu’il a d’ailleurs l
143 que j’appelle la personne. Et ces institutions à sa mesure, à hauteur d’homme, traduisant dans la vie de la culture, comm
144 é, qui fait le jeu de la réaction en écœurant par sa tactique ceux qui se dévouent à la cause de la justice économique. Em
145 condition de l’homme européen, la source vive de sa grandeur et de sa spiritualité. Voilà le drame. La personne, en effet
146 mme européen, la source vive de sa grandeur et de sa spiritualité. Voilà le drame. La personne, en effet, c’est en chacun
147 d l’homme se considère seulement sous l’aspect de ses libertés, ou de ses droits individuels, comme le firent les requins c
148 re seulement sous l’aspect de ses libertés, ou de ses droits individuels, comme le firent les requins capitalistes du derni
149 ialisme intérieur ne manque jamais de s’exalter à son tour en impérialisme tout court. Un gouvernement totalitaire sera tou
150 u. Telle est la santé de l’Europe, et telles sont ses deux maladies, contradictoires en apparence, mais également provocatr
151 ance et d’invention. Le trésor de l’Europe, c’est son idée de l’homme. Mais c’est un trésor explosif, d’où la nécessité d’u
152 tour de cette notion centrale de la personne, car ses déviations perpétuelles vers l’individu sans devoirs ou vers le milit
153 contagieux nationalisme, c’est à elle d’inventer son antidote. Elle est seule en mesure de le faire à cause de ses diversi
154 . Elle est seule en mesure de le faire à cause de ses diversités ; et de le faire non seulement pour son salut, mais pour c
155 es diversités ; et de le faire non seulement pour son salut, mais pour celui de la paix du monde entier. ⁂ Mesdames et Mess
156 sée, coincée entre deux grands empires, minée par son propre génie et par l’abus de ses vertus bien plus encore que par ses
157 ires, minée par son propre génie et par l’abus de ses vertus bien plus encore que par ses vices, l’Europe a-t-elle des chan
158 par l’abus de ses vertus bien plus encore que par ses vices, l’Europe a-t-elle des chances de vivre encore assez pour qu’il
159 assez pour qu’il ne soit pas utopique d’envisager sa fonction dans le monde, son avenir et le nôtre en elle ? Pour ma part
160 s utopique d’envisager sa fonction dans le monde, son avenir et le nôtre en elle ? Pour ma part, j’entretiens une croyance
161 qu’un être est maintenu en vie par la vie même de sa vocation, et qu’il tombe bientôt lorsqu’elle est accomplie. Or, notre
162 est notre sens d’un absolu qui dépasse l’homme et son bonheur, c’est notre sens du transcendant, précisément, c’est notre f
163 s gêne le plus n’est pas simplement l’homme, dans son humanité rebelle aux chiffres, l’homme en soi — l’éternel résistant !
164 — l’éternel résistant ! Or, l’Europe, et c’est là sa grandeur, a justement vécu de toutes ces choses gênantes, elle s’arra
165 du monde dépend de l’attitude de l’Europe, et de son pouvoir d’invention. Ici, point de malentendu ! Ne demandons pas l’in
166 pour ce faire, a besoin de l’Europe, j’entends de son esprit critique autant que de son sens inventif. La pensée du monde,
167 e, j’entends de son esprit critique autant que de son sens inventif. La pensée du monde, c’est l’Europe. Et s’il s’agit vra
168 nous inspirer, je dirai, songeant à l’Europe et à sa vocation mondiale, et je vous invite à le dire avec moi : Je pense, d
7 1947, Articles divers (1946-1948). L’opportunité chrétienne (1947)
169 cette période qu’à la question : « Si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? » ; les catholiques modernes r
170 oir tolérer ; qu’il a été abattu finalement, dans ses formes déclarées et spectaculaires tout au moins ; et que son élévati
171 éclarées et spectaculaires tout au moins ; et que son élévation brutale puis sa chute ont été pour toutes les Églises une é
172 tout au moins ; et que son élévation brutale puis sa chute ont été pour toutes les Églises une épreuve de force, un challe
173 nde moderne vers un paradis sans Dieu, a démontré son impuis­sance réelle devant l’assaut de dictatures barbares : elle s’e
174 contre la Genèse, la Création du monde par Dieu, sa Fin, l’existence de l’esprit, etc., paraît close pour longtemps. C’es
175 e et de la morale, l’État se voit forcé d’étendre ses pouvoirs, à coups de décrets si généraux que chaque vocation personne
176 ïque se tenant dans l’Église, et voyant au-dehors ses chances d’action, et la misère du temps qui appelle, j’attends ceci :
177 sombres, avant la floraison du Moyen Âge, qui fut son œuvre. Il s’agit de restaurer le sens de la communauté vivante, que l
178 resque tué, laissant le champ libre à l’État et à ses réglementations, souvent utiles, mais qui ne sont jamais règles de vi
179 une avant-garde intellectuelle, au lieu de garder sa position méfiante et arriérée — académique — dans les arts sacrés com
180 st bien sortie ! Il est temps que nous sortions à sa recherche pour la ramener ! 3° Que l’Église cesse de défendre la tris
181 e, dans le domaine politique, la Transcendance de son chef, contre tous les absolutismes nationaux, étatiques, partisans. S
8 1947, Articles divers (1946-1948). La guerre des sexes en Amérique (janvier 1947)
182 est le but de la vie : n’est-ce point écrit dans sa Constitution ? Son attitude vis-à-vis de la passion est peut-être plu
183 vie : n’est-ce point écrit dans sa Constitution ? Son attitude vis-à-vis de la passion est peut-être plus saine que la nôtr
184 les au développement d’une grande passion, sont à ses yeux autant de preuves que l’affaire est mal engagée et qu’il ferait
185 bien d’y renoncer. Si quelque drame se noue dans sa vie, malgré lui, il n’a de cesse qu’il n’en sorte au plus vite, par u
186 rer à conséquence : telle est la grande maxime de sa morale nouvelle. Les difficultés sentimentales qui nous fascinent et
187 de de perfectionner tout ce qui tombe à portée de sa main (et un peu plus). On ne saurait dire d’elle, comme de l’Européen
188 ar, métaphore idéaliste, qu’elle règne au sein de son foyer ; car elle règne, tout simplement, dans toute la vie, et le foy
189 toute la vie, et le foyer n’est qu’une partie de ses domaines. Il s’agit de l’aménager pour qu’il fonctionne au service de
190 routines domestiques : ce serait être esclave de ses machines. Si ces dernières se multiplient dans une cuisine et un sous
191 ns un train. Vous verrez une femme très soignée —  son ménage simplifié lui en laisse le temps —, ornée de quelques gros bij
192 ari moins galant que stylé, toujours prêt à subir ses impérieux caprices avec une calme indifférence. Chaque pas, chaque ge
193 mais affichera un silence offensé qui signifie à son mari d’intervenir, sinon elle va se lever et sortir d’un pas vif, le
194 ille américaine que le statut royal de la femme a ses bases vraiment profondes. Et cette psychologie tient dans un mot, dan
195 du fils qui devait devenir l’amour d’une femme de son âge ». Mom le transmute en sentimentalité fixée sur la mère dévorante
196 ’aveugle dévouement. Mais l’attitude de l’homme à son égard est faite pour éveiller en elle le goût de la liberté et de l’a
197 homme attend d’elle. Frustrée sans le savoir dans sa féminité, elle se révolte contre sa condition, fait de nécessité vert
198 e savoir dans sa féminité, elle se révolte contre sa condition, fait de nécessité vertu, prend en main les rênes de la vie
199 in les rênes de la vie, et se prépare à devenir à son tour une mom aussi redoutablement « perfectionniste » et activiste qu
200 doutablement « perfectionniste » et activiste que sa belle-mère. Quant à l’homme, cause du mal et victime peu consciente,
201 mal et victime peu consciente, il se réfugie dans son club ou parmi les copains du bar voisin. La journée d’un couple bourg
202 doute n’en souffrent-ils guère. Lui déjeune avec ses collègues en vingt minutes, près de son bureau ; elle, dans un restau
203 eune avec ses collègues en vingt minutes, près de son bureau ; elle, dans un restaurant où des centaines de femmes, par tab
204 l’intéressé doit en effet déclarer devant la cour son intention bien arrêtée de vivre désormais dans le Nevada. Il y reste
205 s, à l’hôtel, est alors déclaré résident, obtient son divorce en un quart d’heure, se remarie en dix minutes, quitte les li
206 ité avec laquelle l’Américain divorce, révèle que ses mariages manquent de sens et de sérieux. Il n’y entre pas pour toute
207 un groupe de journalistes qui la félicitaient sur ses fiançailles, à 19 ans : « C’est merveilleux de se marier pour la prem
208 a Réforme calvinienne, et transplantée dans toute sa virulence en Amérique, détermine de nos jours encore les mœurs sexuel
209 le contre le puritanisme sexuel. On a rejeté tous ses tabous. On ne pense plus que la « chair » soit le Mal, ni ses désirs
210 On ne pense plus que la « chair » soit le Mal, ni ses désirs des signes de malédiction divine. Peu ou point de pudeur, la n
211 angereuses. Ajoutons-y la poésie d’un Baudelaire, sa spiritualité sensuelle. Les avantages et les dangers de l’état des mœ
212 raire de ce que pensent la jeunesse américaine et ses censeurs de plus en plus timides, la violence primitive et la santé d
213 rverses qu’ait jamais sécrétée l’humanité, et que sa disparition assainisse l’atmosphère tout en affadissant la vie, provi
9 1947, Articles divers (1946-1948). Journal d’un intellectuel en exil (mars 1947)
214 ent mundane ou irresponsible celui qui évite dans ses écrits les mots en isme, et le langage technique des ismes réputés d’
215 dans ce logis pour étudiants où un ami me prêtait sa chambrette, je trouve un grand jeune homme assis sur l’escalier. Il m
216 r devant un comptoir où l’on désigne les plats de son choix, — je déjeune avec des étudiants et leurs amies, des professeur
217 leaux ; à Concord où j’ai vu la maison d’Emerson, ses chapeaux et ses cannes accrochés dans le hall, la chambre de Thoreau
218 d où j’ai vu la maison d’Emerson, ses chapeaux et ses cannes accrochés dans le hall, la chambre de Thoreau avec son lit qu’
219 ccrochés dans le hall, la chambre de Thoreau avec son lit qu’il avait fabriqué lui-même. Au crépuscule, j’aime errer sur le
220 ueuse où T. S. Eliot, me dit-on, conçut l’idée de son Waste Land… Un grand cimetière le domine, je n’en ai jamais vu de plu
221 n freudien hétérodoxe. Une fois sacré génie, il a sa carrière faite. Les jeunes professeurs le vénèrent, on lui décerne de
222 on lui offre des chaires avant qu’il ait terminé ses études. La plupart sont des monstres modestes. J’en ai vu un qui mang
223 courante. Mais pendant que je m’escrimais contre son image fuyante, le diable a tranquillement vidé mon compte en banque,
224 rines différemment selon qu’on a de l’argent dans sa poche ou non ! D’abord, on ne regarde pas les mêmes. Ou dans la même,
225 gré de fortune ou d’infortune d’un auteur d’après ses descriptions du monde. 10 mai 1942 Un job. — J’étais allé voir mes e
226 mme un lion bien décidé à ignorer les barreaux de sa cage, apparaît vers cinq heures au fond de la grande salle. Il vient
227 au fond de la grande salle. Il vient nous prêter sa voix noble, agrémentée d’un léger sifflement, mais il garde pour lui
228 tée d’un léger sifflement, mais il garde pour lui son port de tête et sa présence d’esprit indiscernablement ironique, admi
229 ement, mais il garde pour lui son port de tête et sa présence d’esprit indiscernablement ironique, admirante et solennelle
230 e atmosphère orageuse ! Mais l’Amérique n’est pas son fort. Il y tient le succès à distance, laissant à Salvador Dali, qu’i
231 pes qui bavardent… Passe Julien Green, il apporte son texte sur la vie dans les camps d’entraînement. Il a trouvé le moyen
232 uit. Pierre Lazareff, en bras de chemise, sort de sa cage vitrée, le crayon sur l’oreille et le front maculé d’encre à cop
233 ncre à copier. Il me cherche du regard par-dessus ses lunettes. Il tient une liasse de documents, les feuillette rapidement
234 rtie d’échecs et l’écouter parler des malheurs de sa France… Juin 1942 La guerre va mal, il faut le dire, et persuader l’E
235 elle ira bien demain. La campagne sous-marine bat son plein, Tobrouk tombe, les Russes reculent, les Japonais avancent enco
236 ersonne aujourd’hui parle un français plus sûr de ses nuances, plus naturellement mémorable. Quand il vient à New York pour
237 aissent hypocrites ou faciles à réduire. « Gagner sa vie », dit-on, mais en vivant ainsi on aurait beaucoup moins à la gag
238 r une tartarinade8, mais que lorsqu’on la voit de ses yeux, elle donne une sensation directe de la victoire inévitable. Leu
239 t les plans d’Hitler pour dépouiller la France de sa main-d’œuvre qualifiée — opération que Laval diaboliquement baptise «
240 nos lettres modernes !) Bien écrire, c’est régler ses moyens sur la fin que vise un écrit. Cette fin peut condamner la phra
241 un ami. Il vous a reçus d’abord et vous a proposé ses façons et usages qu’il convenait d’aimer. Bientôt, s’il voit que vous
242 paru préférables à la torture physique, ou même à sa menace. Autant dire qu’on les tient pour moins sérieux. Nous étions m
10 1947, Articles divers (1946-1948). La jeune littérature des États-Unis devant le roman américain (7 juin 1947)
243 t là que Dos Passos situe plusieurs des scènes de ses romans, et c’est là qu’il y a bien six ans j’ai connu Carson McCuller
244 ir d’une toute jeune fille montée en graine, avec ses petits bas rouges au-dessous des genoux, son long visage pâle, sa fra
245 avec ses petits bas rouges au-dessous des genoux, son long visage pâle, sa frange noire en désordre et sa contenance effaro
246 uges au-dessous des genoux, son long visage pâle, sa frange noire en désordre et sa contenance effarouchée. Ses mains trem
247 long visage pâle, sa frange noire en désordre et sa contenance effarouchée. Ses mains tremblaient, et l’on pensait que sa
248 e noire en désordre et sa contenance effarouchée. Ses mains tremblaient, et l’on pensait que sans sa mère qui l’accompagnai
249 . Ses mains tremblaient, et l’on pensait que sans sa mère qui l’accompagnait ce jour-là, elle ne ferait pas deux pas toute
250 ns la ville. Je la félicitai sur le beau titre de son premier roman qui venait de paraître — écrit entre 19 et 22 ans — et
251 eorge Davis, rédacteur du Harper’s Bazaar, tenait son rôle de propriétaire. Benjamin Britten et Paul Bowles représentaient
252 , tout au Nord, près de Saratoga. Elle me tend de ses mains tremblantes une petite coupure de journal : son mari, le lieute
253 mains tremblantes une petite coupure de journal : son mari, le lieutenant McCullers, est signalé comme le premier Américain
254 e et Richard Wright — qui fut le premier à saluer son talent — la reprise de l’émigration traditionnelle des écrivains amér
255 n McCullers par exemple, quand je l’interroge sur ses maîtres, me cite Dostoïevsky, Flaubert et Kierkegaard, là où un jeune
11 1947, Articles divers (1946-1948). Drôle de paix (7 juin 1947)
256 s existentialistes et l’adultère. Quelle est donc son idée de la liberté ? Aux Indes les musulmans, les hindous et les prin
257 une série de traités d’Anschluss économiques avec ses voisins immédiats et devient une puissance de premier plan. On croyai
258 de gauche sans glisser vers l’insanité ou révéler son ignorance. Il n’est pas un de ces faits, par conséquent, dont tiennen
259 quelque Américain, un diplomate qui prend l’air à sa fenêtre, un homme qui pense, à sa manière imprévisible. Jamais gouver
260 i prend l’air à sa fenêtre, un homme qui pense, à sa manière imprévisible. Jamais gouvernement si sûr de ses calculs quand
261 nière imprévisible. Jamais gouvernement si sûr de ses calculs quand il s’agit de la vie de millions de ses sujets n’avait t
262 calculs quand il s’agit de la vie de millions de ses sujets n’avait trahi tant d’insécurité dans ses réactions extérieures
263 e ses sujets n’avait trahi tant d’insécurité dans ses réactions extérieures, tant de nervosité à l’égard de la critique, un
264 découvre que ce sont précisément quelques-unes de ses bases morales, son esprit civique et son système d’éducation qui sont
265 t précisément quelques-unes de ses bases morales, son esprit civique et son système d’éducation qui sont en crise. Le divor
266 -unes de ses bases morales, son esprit civique et son système d’éducation qui sont en crise. Le divorce y devient une malad
267 u monde et se dispose à exporter les principes de son way of life, qui se confondent dans son esprit avec la santé même du
268 ncipes de son way of life, qui se confondent dans son esprit avec la santé même du genre humain, le bon sens et la démocrat
269 isme et de manque de confiance en soi, tandis que ses intellectuels découvrent subitement les sombres joies de l’humilité e
270 tre paix repose sur ces manques, qu’elle y trouve ses bases actuelles et ses garanties les plus sûres. Car ce sont les rich
271 manques, qu’elle y trouve ses bases actuelles et ses garanties les plus sûres. Car ce sont les richesses d’autrui et non s
272 sûres. Car ce sont les richesses d’autrui et non ses maladies que l’on jalouse. Si l’un de ces quatre grands malades recou
273 es trois autres. Si la Russie pouvait prouver que son régime ménage autant de libertés que la démocratie américaine elle do
274 dominerait bientôt le monde par la seule force de son utopie de justice et d’ordre social. Si l’Asie était moins anarchique
275 our par la force du nombre. Si l’Amérique sentait son idéal mieux assuré dans ses propres foyers elle serait tentée d’abuse
276 Si l’Amérique sentait son idéal mieux assuré dans ses propres foyers elle serait tentée d’abuser de ses avantages actuels.
277 ses propres foyers elle serait tentée d’abuser de ses avantages actuels. Et si l’Europe était moins abîmée, qui sait quelle
278 l’Europe sans elle s’enfoncerait encore plus dans sa névrose de scepticisme et de retrait. Elle se renforcera au cours des
279 s mois prochains parce que l’Asie va lui demander son aide (les deux parties des Indes l’annoncent déjà) et parce qu’elle r
12 1947, Articles divers (1946-1948). Einstein, patriarche de l’âge atomique, m’a dit : « C’est pour dissimuler sa pauvreté et sa faiblesse que l’URSS méfiante, s’entoure de secret… » (9 août 1947)
280 l’âge atomique, m’a dit : « C’est pour dissimuler sa pauvreté et sa faiblesse que l’URSS méfiante, s’entoure de secret… »
281 m’a dit : « C’est pour dissimuler sa pauvreté et sa faiblesse que l’URSS méfiante, s’entoure de secret… » (9 août 1947)n
282 vel âge. Le voici soudain devant moi. Souriant de ses gros yeux très vifs sous des arcades sourcilières étrangement élevées
283 ne de mes voisines, que je ne connais pas, envoie sa petite fille sonner à ma porte. La petite fille me dit : « Maman pens
284 nt à l’URSS ? Au risque de passer pour fasciste à ses yeux, je suggère que la cause la plus nette de ce qu’il nomme l’hysté
285 qui serait nécessaire à la Russie pour fabriquer ses propres bombes ? — La Russie peut avoir la bombe d’ici deux ans au mo
286 stion. Mais soudain, Einstein m’interrompt et, de son air malicieux et bonhomme : « La bombe, dit-il, n’a pas changé les co
287 de Lyautey qui avait demandé qu’on plante devant sa résidence une arbre d’une espèce rare ; et comme le jardinier lui obj
13 1947, Articles divers (1946-1948). Conversation à bâtons rompus avec M. Denis de Rougemont (30-31 août 1947)
288 ’établir un rapport sur la conscription. Or, dans ses conclusions, ce comité s’est prononcé pour la conscription, parce que
289 exemple, le parti socialiste personnaliste a tiré sa doctrine de ses ouvrages et de ceux de quelques autres penseurs. Au D
290 ti socialiste personnaliste a tiré sa doctrine de ses ouvrages et de ceux de quelques autres penseurs. Au Danemark, cette d
291 ment, je m’assure que l’expérience suisse, malgré son petit cadre, est valable pour l’Europe. Voyez-vous, on ne se rend pas
14 1947, Articles divers (1946-1948). L’attitude fédéraliste (octobre 1947)
292 plication, et je m’en tiendrai le plus possible à ses manifestations historiques, telles que nous pouvons les observer et l
293 est un être doublement responsable : vis-à-vis de sa vocation propre et unique, d’une part, et d’autre part vis-à-vis de l
294 rt vis-à-vis de la communauté au sein de laquelle sa vocation s’exerce. Aux individualistes nous rappelons donc que l’homm
295 dre chaque individu plus libre dans l’exercice de sa vocation. L’homme est donc à la fois libre et engagé, à la fois auton
296 et le général ; entre ces deux responsabilités : sa vocation et la cité ; entre ces deux amours : celui qu’il se doit à l
297 ui qu’il se doit à lui-même et celui qu’il doit à son prochain — indissolubles. Cet homme qui vit dans la tension, le débat
298 de la Suisse et sur l’impossibilité de transposer ses institutions à l’échelle continentale, je répondrai que l’objection e
299 est nécessairement plus réduite de dimensions que ses applications, mais pourtant celles-ci n’existeraient pas sans celle-l
300 Suisse, devise paradoxale ou « dialectique » dans sa forme : « Un pour tous, tous pour un. » En effet, « Un pour tous » si
301 ues se sont mis à la commenter et à philosopher à son sujet. Jusqu’en 1848, elle allait sans dire, comme la vie même ; elle
302 e agressive se voit contrainte de développer pour sa défense une théorie. Nous vivons ce moment de l’histoire où le fédéra
303 déralisme suisse, s’il veut durer, doit devenir à son tour missionnaire. Telle est sa crise : ou se nier, ou triompher, mai
304 , doit devenir à son tour missionnaire. Telle est sa crise : ou se nier, ou triompher, mais sur le plan de l’Europe entièr
305 qui alors n’en allait que mieux. Elle s’expose à son risque maximum : celui de décoller de ses bases concrètes, perdant ai
306 xpose à son risque maximum : celui de décoller de ses bases concrètes, perdant ainsi en force originelle ce qu’elle pourrai
307 nelle ce qu’elle pourrait gagner en conscience de ses fins. De même pour le fédéralisme européen. Un instinct commun se for
308 depuis la guerre de 1914-1918. La SDN fut l’un de ses symptômes, bien faible encore. L’idée d’un réseau de pactes bilatérau
309 plus peuplé que les autres, a cru pouvoir imposer sa primauté, les autres se sont ligués contre lui, l’ont obligé à rentre
310 ait les mêmes droits qu’une majorité. C’est qu’à ses yeux la minorité ne représente qu’un chiffre, et le plus petit. Pour
311 lus qu’une majorité dans certains cas, parce qu’à ses yeux elle représente une qualité irremplaçable. (On pourrait ainsi di
312 La richesse de la Suisse par exemple, réside dans ses diversités jalousement défendues et maintenues. De même, la richesse
313 ême, la richesse de l’Europe et l’essence même de sa culture seraient perdues si l’on tentait d’unifier le continent, de t
314 ’Europe doit se fédérer, c’est pour que chacun de ses membres bénéficie de l’aide de tous les autres, et réussisse ainsi à
315 e tous les autres, et réussisse ainsi à conserver ses particularités et son autonomie, qu’il serait hors d’état de défendre
316 réussisse ainsi à conserver ses particularités et son autonomie, qu’il serait hors d’état de défendre seul contre la pressi
317 rmale du corps dépend de la vitalité de chacun de ses organes, de même que la vie d’un organe dépend de son harmonie avec t
318 organes, de même que la vie d’un organe dépend de son harmonie avec tous les autres. Si les nations de l’Europe arrivaient
319 contraire à fonctionner de concert, chacune selon sa vocation. Ce ne serait pas même une question de tolérance, vertu pure
320 mise au défi de donner le meilleur d’elle-même, à sa manière et selon son génie. Après tout, le poumon n’a pas à « tolérer
321 er le meilleur d’elle-même, à sa manière et selon son génie. Après tout, le poumon n’a pas à « tolérer » le cœur. Tout ce q
322 ues, telle est la santé du régime fédéraliste. Et ses pires ennemis sont ceux dont le grand Jakob Burckhardt annonçait la v
323 variété, et mutileraient ainsi dans plusieurs de ses dimensions la personne même de ceux qui s’y rattachent. Certes, il es
324 rance. Cette antithèse domine le siècle. Elle est son véritable drame. Toutes les autres pâlissent devant elle, sont second
325 pas à la souveraineté même de leur nation, mais à son caractère absolu. Et c’est l’agitation de l’opinion et des peuples da
15 1947, Articles divers (1946-1948). La liberté dans l’amour [Réponse à une enquête] (novembre 1947)
326 bre 1947)e Le problème me paraît capital, mais son énoncé sur plus d’un point critiquable ou obscur. Je me propose donc
16 1947, Articles divers (1946-1948). La balance n’est pas égale entre les États-Unis et l’URSS (8 novembre 1947)
327 s stations flambant neuves du métro de Moscou, et son guide soviétique l’invite à admirer. « Très beau, dit notre Américain
328 désespérée qu’un Américain ait encore puisée dans son pays » ; 2° Truman veut asservir l’Europe au dollar ; 3° Donc Truman
329 otoirement faux d’écrire que Henry Miller a puisé son désespoir « dans son pays » : c’est la vie de Montparnasse entre les
330 ire que Henry Miller a puisé son désespoir « dans son pays » : c’est la vie de Montparnasse entre les deux guerres que décr
331 Montparnasse entre les deux guerres que décrivent ses Tropiques, publiés à Paris, et interdits en Amérique. Ensuite, il est
332 e toute la question de la culture américaine dans ses rapports avec « l’esprit », pour parler comme les communistes. Les in
333 où l’on voit un reporter américain persécuté par ses patrons pour avoir « bien parlé » de l’URSS, l’un des meilleurs produ
334 volonté du peuple américain et de la politique de ses chefs. q. Rougemont Denis de, « La balance n’est pas égale entre l
17 1947, Articles divers (1946-1948). Une Europe fédérée (20 décembre 1947)
335 ds qu’il n’y a qu’à regarder l’Europe, qu’à faire son bilan de misères, qu’à voir la place qu’elle tient encore ou ne tient
336 oderne est démodé », comme l’a dit un Américain : sa conscience est en retard sur le milieu nouveau, sur les périls certai
337 certains et les bienfaits possibles instaurés par sa propre science. L’homme moderne pense encore dans le cadre des nation
338 eaux de l’air ne tiennent pas compte. S’il posait son atlas pour faire tourner un globe il verrait que le plus court chemin
339 ent, elle a besoin de nous spirituellement, et si son aide économique nous trouvait complaisants ou serviles dans le domain
340 dépassé le stade de l’individualisme économique. Son rôle est d’inventer un régime neuf, plus souple et plus humain que la
341 e nos nations n’est en mesure de la réaliser pour son seul compte et sans échanges. Aucune n’est assez riche et assez forte
342 ’est assez riche et assez forte pour réussir sans ses voisins, ou pour résister seule aux pressions impériales. Et l’idée d
343 cœur de ce régime social, et qui inspire partout sa recherche, ne saurait s’arrêter aux frontières d’un pays. Voilà donc
344 mais cette vieille terre à rajeunir, à libérer de ses cloisons, à reconquérir : notre Europe. 9. Le congrès de l’Union e
18 1948, Articles divers (1946-1948). Notes sur la voie clandestine (hiver 1948)
345 isolé par le sort, entre en superstition : c’est sa voie clandestine. L’explorateur va découvrir au loin ses propres amul
346 e clandestine. L’explorateur va découvrir au loin ses propres amulettes. Le pilote fait une marque en secret sur l’hélice.
347 s’arrête à telle apparence curieusement précise à ses yeux, c’est parce qu’elle semble donner tort au néant des rues éviden
348 apparition. Certains soirs, il descend lentement son escalier, passe le seuil, s’arrête un moment, et commence à longer la
349 s’arrête un moment, et commence à longer la rue. Son allure ne saurait tromper. C’est la puissante circonspection de celui
350 emier coup : un repère à la craie sur le seuil de sa vie, une note que lui seul peut entendre parce qu’elle résout sa diss
351 e que lui seul peut entendre parce qu’elle résout sa dissonance intime et l’introduit dans l’harmonie de son destin. Cherc
352 ssonance intime et l’introduit dans l’harmonie de son destin. Cherchant ce qui ne vibre qu’à lui-même et révèle un accord i
353 ui-même et révèle un accord instant, il marche au son , comme les grands appareils suivent une route en do dièse dans la nui
354 la nuit des hauteurs. ⁂ Que chacun donc découvre ses symboles et la voie que lui seul peut frayer pour s’approcher des mys
355 e. ⁂ Le superstitieux expérimente quotidiennement son destin. Survient alors celui qui dit : « Vous ne retenez que les coïn
356 que tout amour est unique, et doit donc inventer ses signaux, indices, repères et mesures. La science se tait, ou dit avec
357 n… Il se débat, et pour un peu, m’entraînait dans sa mort naissante. » Poésie et superstition : elles ont mêmes lois, même
19 1948, Articles divers (1946-1948). Rencontre avec Denis de Rougemont (janvier 1948)
358 e Père Bruckberger, Denis de Rougemont. Il laisse ses interlocuteurs penchés sur les bonnes feuilles du Cheval de Troie, et
359 ur et violent. Mais, à l’entendre parler, comment sa pondération, sa générosité, son sens de l’humain pourraient-ils m’éch
360 ais, à l’entendre parler, comment sa pondération, sa générosité, son sens de l’humain pourraient-ils m’échapper ? Sa voix
361 re parler, comment sa pondération, sa générosité, son sens de l’humain pourraient-ils m’échapper ? Sa voix est douce, mais
362 son sens de l’humain pourraient-ils m’échapper ? Sa voix est douce, mais nette ; il s’exprime avec gravité. Souvent un so
363 prime avec gravité. Souvent un sourire accompagne son propos, et son regard s’éclaire d’une lueur qu’il me faut bien qualif
364 ité. Souvent un sourire accompagne son propos, et son regard s’éclaire d’une lueur qu’il me faut bien qualifier de « mystiq
365 n intellectuel qui n’a pas mauvaise conscience de sa vocation, qui ne s’en cache pas. Il intitula même un de ses livres le
366 on, qui ne s’en cache pas. Il intitula même un de ses livres les plus remarquables : Journal d’un intellectuel en chômage.
367 d’un intellectuel en chômage. Mais, au centre de ses préoccupations, se tient la personne humaine ; ne voulut-il pas insta
368 de la personne  ? Et, pour mieux préciser encore sa position, ne nous invita-t-il pas, reprenant le précepte du vieil Ana
369 eins d’oiseaux. Il s’avança vers moi, souriant de ses gros yeux bleus très vifs sous des arcades sourcilières étrangement é
370 ’impression qu’Einstein se sentait responsable de sa découverte ? Einstein est pacifiste, il est antimilitariste. Que les
371 , il est antimilitariste. Que les conséquences de sa découverte l’effrayent, c’est certain. Mais sa responsabilité ne se s
372 de sa découverte l’effrayent, c’est certain. Mais sa responsabilité ne se sent pas engagée. Sans doute, pense-t-il que, mê
373 pour que l’URSS finisse par se rendre compte que son avantage n’est pas de s’y opposer perpétuellement et en vain, mais d’
374 comme le pire danger auquel nous sommes exposés. Son importance donne la mesure de notre absence de présence au monde. Tou
375 ue le fédéralisme européen pourra s’imposer. Mais sa réalisation ne vous semble-t-elle pas chimérique ? Nullement. Si nous
376 stallera à Ferney, à l’ombre de Voltaire, l’un de ses maîtres. Là, avant d’entreprendre d’autres travaux, il achèvera de me
377 ide, de Claudel et de Ramuz. Ensuite, il publiera son Journal des deux mondes , des essais sur des mythes, tels que « Le s
378 » — textes qu’il écrivit entre 20 et 40 ans. Mais son plus important projet est de composer une morale qu’il intitulera : L
20 1948, Articles divers (1946-1948). Les deux blocs ? Il n’en existe qu’un (9 janvier 1948)
379 ous avons chez nous un parti stalinien, qui prend ses ordres à Moscou, mais aucun parti trumanien qui voterait selon les di
380 rope aux élections et dans les parlements, elle a ses troupes disciplinées, elle fait sa politique jusque dans nos communes
381 ments, elle a ses troupes disciplinées, elle fait sa politique jusque dans nos communes : tandis que les USA n’ont que des
382 redoute les curieux, épure les opposants, annexe ses voisins ou les transforme en satellites, enfin tire devant le tout un
383 es les influences du monde, et sait très bien que sa propre santé dépend de celle des autres, et non de leur misère. L’Amé
384 nous, malgré nous. Si nous n’acceptons pas d’être ses satellites, elle nous déclare et nous croit ses ennemis et les esclav
385 e ses satellites, elle nous déclare et nous croit ses ennemis et les esclaves de l’Amérique. Et tout le verbiage des commun
386 et autonome ; elle ne veut qu’une Europe livrée à sa merci par les rivalités nationalistes et la misère. À ce défi, nous n
387 e grossier que nous tendent les Russes : c’est là son intérêt le mieux compris, d’un point de vue stratégique autant que cu
21 1948, Articles divers (1946-1948). Ce sont les Français qui ont commencé (La querelle des « condensés… ») (14 février 1948)
388 v Mme de Staël priait Schelling de lui exposer sa philosophie en un quart d’heure, et l’arrêtait au bout de cinq minute
389 emment) quantité de romans espagnols, pour gagner sa vie. Dès 1768, Ducis condense Shakespeare. « Il a rogné ses drames av
390 ès 1768, Ducis condense Shakespeare. « Il a rogné ses drames avec d’impitoyables ciseaux… il y a retaillé des tragédies à l
391 continue et le parfait. Ainsi, selon l’auteur et sa méthode, l’on va du pire à l’excellent. Le procédé lui-même n’est pas
392 és » d’évacuer le style d’un auteur, et de priver son message d’une partie de sa vertu en le dépouillant des mille détails
393 auteur, et de priver son message d’une partie de sa vertu en le dépouillant des mille détails mûrement choisis qui l’illu