1 1951, Articles divers (1951-1956). Faire la propagande de la liberté, c’est sauver notre culture (décembre 1950-janvier 1951)
1 tous que le salut reste encore possible, mais qu’ il suppose deux conditions premières : la liberté et la paix. Si l’on no
2 ix et la liberté sont en réalité indivisibles, qu’ elles sont la condition l’une de l’autre et pratiquement synonymes. J’espèr
3 n premier lieu par la menace totalitaire, d’où qu’ elle vienne. Nous savons que la phase actuelle de la lutte contre la tyran
4 i nous inquiète pour la paix, car nous pensons qu’ ils aiment la paix, un peu comme le chat aime la souris et nous avons des
5 is longtemps et d’autres textes plus récents d’où il ressort, par exemple, que le but du Kominform, en lançant ses appels
6 aïfs dans nos pays, 14 millions en Europe, paraît- il , ont succombé à ce raisonnement d’une écrasante simplicité dans le so
7 ris en otage, ce n’est pas la paix, c’est un mot. Il est très facile, à mon avis, de distinguer entre le mot paix et la ré
8 inguer entre le mot paix et la réalité vivante qu’ il devrait désigner. Ceux qui prétendent défendre la paix sans vouloir e
9 uer entre le mot paix et la réalité vivante qu’il devrait désigner. Ceux qui prétendent défendre la paix sans vouloir en même t
10 ’est pas défendue quand la liberté ne l’est pas ; elle n’est donc nullement défendue par les « Partisans de la Paix ». À nou
11 Quelles sont nos armes ? Je pense que leur nature doit nous être indiquée par la nature même de la lutte en cours qui, pour
12 a en dernière analyse, même si la guerre physique doit intervenir entre-temps. Nous sommes soumis, depuis un an, à ce que l’
13 paix — d’un terme militaire bien caractéristique. Il s’agit de ce qu’on appelait jadis — naguère — une préparation d’artil
14 désire m’expliquer sur ce point. On peut et l’on doit détester la propagande, mais on ne veut pas nier qu’elle existe et qu
15 tester la propagande, mais on ne veut pas nier qu’ elle existe et qu’elle joue — avec quel succès ! — contre tout ce que nous
16 de, mais on ne veut pas nier qu’elle existe et qu’ elle joue — avec quel succès ! — contre tout ce que nous aimons. On peut a
17 e pas. Pasteur aussi détestait les microbes, mais il a su les employer, les enrôler, pour ainsi dire, au service de la san
18 cette manière la propagande pour vacciner contre elle les masses, qu’elle vise d’abord, et les élites aussi qui ne sont pas
19 opagande pour vacciner contre elle les masses, qu’ elle vise d’abord, et les élites aussi qui ne sont pas moins contaminées.
20 mais au contraire, de réveiller les consciences. Il n’est pas de répandre une mystique qui promet la lune pour demain, ma
21 perdons un jour, nous penserons dans les camps qu’ elles méritaient pourtant qu’on les défende. La démocratie n’est pas une pa
22 les défende. La démocratie n’est pas une panacée. Elle ne résout aucun des grands problèmes humains et personnels, mais s’il
23 es grands problèmes humains et personnels, mais s’ ils sont un jour résolus sans équivoque derrière les barbelés, nous compr
24 voque derrière les barbelés, nous comprendrons qu’ il eût peut-être mieux valu s’occuper de ces problèmes pendant qu’on le
25 r informer les peuples libres sur la liberté dont ils vivent, qu’ils ignorent, comme l’air qu’ils respirent et qu’ils perdr
26 peuples libres sur la liberté dont ils vivent, qu’ ils ignorent, comme l’air qu’ils respirent et qu’ils perdraient demain, s
27 dont ils vivent, qu’ils ignorent, comme l’air qu’ ils respirent et qu’ils perdraient demain, s’ils ne se réveillaient pas…
28 ’ils ignorent, comme l’air qu’ils respirent et qu’ ils perdraient demain, s’ils ne se réveillaient pas… Pour nous, la défens
29 r qu’ils respirent et qu’ils perdraient demain, s’ ils ne se réveillaient pas… Pour nous, la défense de la paix suppose des
30 défense de la paix suppose des moyens de liberté, elle suppose la libre discussion. Nous voulons des moyens conformes à notr
31 aturelles ne la destinaient fatalement au rôle qu’ elle a pourtant joué. D’autres facteurs sont donc intervenus. En fait le r
32 en mieux les libertés de la personne. C’est là qu’ il faut chercher les vrais secrets de notre puissance, même matérielle,
33 endante, donc de nos libertés les plus concrètes. Il s’en faut cependant, hélas ! de beaucoup, que la plupart de nos conte
34 secret de leur force. Ce qui est sérieux, croient- ils , ce sont les armements ou les échanges économiques, voire même le jeu
35 ait que cette phrase ait paru toute naturelle, qu’ elle reflète donc un état d’esprit courant, voilà qui prouve que notre cul
36 comparer la culture à de la broderie, accepter qu’ il en soit ainsi, le laisser croire, c’est renoncer d’avance à nos meill
37 la science linguistique dans son empire ou lorsqu’ il lance une offensive contre la conception chrétienne du monde — sur un
38 e — sur une base purement scientifique, déclare-t- il — avec l’aide de 500 000 propagandistes entraînés, munis de films, d’
39 ses campagnes culturelles, soyez bien certains qu’ il ne joue pas aux vieilles dames, qu’il ne fait pas de la broderie, et
40 certains qu’il ne joue pas aux vieilles dames, qu’ il ne fait pas de la broderie, et que les armées qu’il met en marche son
41 ne fait pas de la broderie, et que les armées qu’ il met en marche sont plus redoutables encore que celles qu’évoquait M.
42 eulent occuper bien autre chose que des terrains, elles veulent occuper le cœur et les esprits de ceux-là mêmes qui pourraien
43 ul fait que nous existons dorénavant, me semble-t- il , peut rendre à beaucoup un espoir. Quelques-uns répondent, enfin, pou
2 1951, Articles divers (1951-1956). Comment fabriquer un Européen ?
44 rquoi. On peut tout fabriquer, ou presque, paraît- il . L’homme synthétique n’a pas encore vu le jour, il est vrai, mais nou
45 l. L’homme synthétique n’a pas encore vu le jour, il est vrai, mais nous ne perdons rien pour l’attendre : il est déjà con
46 vrai, mais nous ne perdons rien pour l’attendre : il est déjà conçu, il naîtra donc. Cet homme sera tout ce qu’on voudra,
47 perdons rien pour l’attendre : il est déjà conçu, il naîtra donc. Cet homme sera tout ce qu’on voudra, mais jamais un Euro
48 eront mieux distinguer, par contraste, combien je dois avoir raison. Demandons-nous comment on fait pour fabriquer soit un Y
49 quer soit un Yankee, soit un citoyen des Soviets ( il faut toujours partir des cas les plus faciles). Pour réussir un bon A
50 mith, changez son arbre généalogique. Déclarez qu’ il descend en droite ligne des émigrants venus d’Angleterre sur le fameu
51 gleterre sur le fameux bateau nommé le Mayflower. Il semble bien que cette caravelle ait transporté plusieurs centaines de
52 ne sauraient être additionnés dans un seul homme. Ils ne pourraient que se neutraliser et s’annuler réciproquement. La véri
53 à différer de son voisin et des modèles fournis. Il n’existe donc pas, il ne peut exister d’Européen moyen, résumant les
54 sin et des modèles fournis. Il n’existe donc pas, il ne peut exister d’Européen moyen, résumant les vertus et les défauts
55 rtus et les défauts contradictoires du continent. Il n’y a que des Français, des Danois, des Croates, des parpaillots, des
56 et des partisans motorisés de la paix concentrée. Il n’y a que des hommes habitués à différer les uns des autres, et c’est
57 sent le continent. Mais nous venons de montrer qu’ il serait vain de rêver cette union sous forme de mélange. Il nous faut
58 vain de rêver cette union sous forme de mélange. Il nous faut faire l’Europe, voilà le vrai problème. Pour la faire, il n
59 l’Europe, voilà le vrai problème. Pour la faire, il nous faut partir des quelque 300 millions d’hommes réels qui peuplent
60 réels qui peuplent la partie libre du continent. Il faut les prendre comme ils sont, avec leurs vingt nations, leurs troi
61 tie libre du continent. Il faut les prendre comme ils sont, avec leurs vingt nations, leurs trois religions, leurs douze la
62 supérieures à celles du pays d’à côté. Et puisqu’ il faut baser l’union sur quelque chose qui soit commun à tous, le probl
63 ndre à ces 300 millions d’hommes et de femmes, qu’ ils ont tous en commun, précisément, leur volonté de rester chacun soi-mê
64 ient un jour — angoissante pour l’adolescent — qu’ il est le seul de son espèce, qu’il est un cas absolument unique. Ce qu’
65 ’adolescent — qu’il est le seul de son espèce, qu’ il est un cas absolument unique. Ce qu’il y a de plus européen chez les
66 chez les habitants de notre cap, c’est l’idée qu’ ils ont tous d’appartenir d’abord à une famille, à une région, à une patr
67 une coutume ou une langue, bien distinctes, et qu’ ils perdraient leurs libertés si on les empêchait de vivre à leur manière
68 sont à peu près les mêmes chez tous nos peuples. Elles sont tout autres, et parfois même absentes en Russie soviétique et en
69 ersonnelles. C’est pour sauver ces différences qu’ il faut maintenant nous fédérer. Si nous voulons rester Français, Vaudoi
70 ais ou Saxons, si nous voulons rester nous-mêmes, il n’y a plus une minute à perdre : il nous faut combiner nos ressources
71 r nous-mêmes, il n’y a plus une minute à perdre : il nous faut combiner nos ressources. Faute de former à temps cette libr
72 ir le moyen de les sauver. L’éducation européenne devra montrer que nos libertés dépendent en fait de notre droit de différer
73 t en fait de notre droit de différer, sans lequel il n’est point de dialogue créateur. Et que c’est cela qui fait la valeu
74 que c’est cela précisément qui est menacé. Et qu’ il n’est plus d’espoir que dans l’union, — celle qui veut surmonter nos
3 1951, Articles divers (1951-1956). Défense de nos libertés (octobre 1951)
75 aine en soi, on en vient vite à ne plus savoir si elle existe ou non, si elle est légitime ou non comme idéal ou comme réali
76 t vite à ne plus savoir si elle existe ou non, si elle est légitime ou non comme idéal ou comme réalité. Mais un homme en pr
77 éal ou comme réalité. Mais un homme en prison, qu’ il soit intellectuel ou paysan, sait très bien ce qu’il a perdu. Il n’en
78 soit intellectuel ou paysan, sait très bien ce qu’ il a perdu. Il n’en demande pas la définition. Il en exige la jouissance
79 ctuel ou paysan, sait très bien ce qu’il a perdu. Il n’en demande pas la définition. Il en exige la jouissance immédiate,
80 qu’il a perdu. Il n’en demande pas la définition. Il en exige la jouissance immédiate, à n’importe quel prix. En ce milieu
81 me totalitaire, et qui n’ont pas nos libertés, qu’ ils jugent trompeuses. Tous les autres motifs de conflit que l’on pourrai
82 t pas pour distinguer nettement les adversaires : il serait possible de discuter longtemps pour savoir de quel côté du rid
83 pratique, promise ou réalisée. Par contre, ce qu’ il est impossible de discuter, ce qui est évident aux yeux de tous, des
84 liberté, et que les autres veulent la dictature. Ils la préfèrent — provisoirement disent-ils — à notre liberté qu’ils nom
85 ctature. Ils la préfèrent — provisoirement disent- ils — à notre liberté qu’ils nomment purement « formelle », affirmant que
86 — provisoirement disent-ils — à notre liberté qu’ ils nomment purement « formelle », affirmant que leur dictature prépare u
87 ure prépare une liberté « réelle ». Mais alors, s’ il est clair que l’enjeu est en définitive la liberté, n’est-il pas urge
88 r que l’enjeu est en définitive la liberté, n’est- il pas urgent que nous prenions une conscience nette et forte des libert
89 nous défendons. Quelles sont nos libertés ? Sont- elles purement formelles ? Les voulons-nous vraiment ? Et sommes-nous prêts
90 déjà battus. Pour gagner, mais alors à coup sûr, il faut que nous soyons en état de répondre instantanément, avec une con
91 ondre instantanément, avec une conviction totale. Il faut que nous répondions ceci : « Nous n’avons pas besoin comme vous
92 ssé que nous défendons, mais bien les libertés qu’ il a conquises, et qui sont la réalité présente de nos vies, bien plus :
93 ! » Ce langage seul peut nous sauver. Encore faut- il que nous soyons en mesure de le tenir sans équivoque, et en pleine co
94 ues aux peuples qui en ont grand besoin, parce qu’ ils n’ont pas nos réalités — et leurs chefs doivent masquer cette absence
95 ce qu’ils n’ont pas nos réalités — et leurs chefs doivent masquer cette absence par des slogans. Nous n’avons nul besoin d’une
96 demandez : quelles sont nos chances ? Je dirai qu’ elles dépendent de chacun de nous, — beaucoup plus que d’un général américa
4 1952, Articles divers (1951-1956). Robert de Traz, l’Européen (1952)
97 ’écrivains ont si bien voyagé, et mieux dit ce qu’ ils avaient vu. La plupart se rendaient trop visibles ou trop sensibles,
98 trop sensibles, aux dépens de leurs découvertes ; ils rapportaient des états d’âme ; mais lui, de ses Dépaysements f, nous
99 e, interrogée sur place, ou vue du Proche-Orient. Il avouait une curiosité « inextinguible », non celle du reporter mais c
100 , non celle du reporter mais celle du moraliste : il la définissait comme « une puissance d’adhésion, qui tantôt s’identif
101 ce, le conçoit et le définit ». Et je constate qu’ il l’appliquait de préférence au phénomène unique par ses variétés mêmes
102 i sera le lit de l’hitlérisme, un peu plus tard : il a senti l’appel aux passions collectives, aux philosophies de combat,
103 ns collectives, aux philosophies de combat, et qu’ il ne fallait pas laisser ce peuple « dans les ténèbres du dehors, mais
104 rs, mais le ramener à la communauté européenne ». Il a, l’un des premiers, ravivé l’idéal de cette communauté indispensabl
105 e la SDN, peuvent nous paraître hors de saison, s’ il est vrai que le spectacle des Nations unies réduit à peu, sinon à rie
106 t je ne vois pas encore l’égal dans notre époque. Il en est de plus « efficaces », non de plus justes, et peu de plus actu
107 , naturel et concis. C’est dans le fédéralisme qu’ il voit « la base de l’internationale moderne ». C’est de la nécessité,
108 st de la nécessité, plutôt que d’une mystique, qu’ il attend « la refonte de l’Europe ». C’est par la civilisation « grecqu
109 ite Europe, toute seule dans un monde en tumulte, il faudra bien qu’elle comprenne que ses rivalités intérieures sont arch
110 seule dans un monde en tumulte, il faudra bien qu’ elle comprenne que ses rivalités intérieures sont archaïques » et qu’au-de
111 e. « L’Europe vassale ! Cette perspective ne va-t- elle pas nous mettre debout ? Avons-nous donc cessé d’être des mâles, qui
112 ue, le snobisme oriental, le snobisme nègre n’ont- ils pas assez duré, avec leur goût de veulerie et de reniement ? » Et je
113 de même !… » Mais aussitôt, rectifiant la tenue, il propose la formule conciliatrice et constructive : « Héritiers magnif
114 ont aucun motif de déserter leur propre cause. Qu’ ils se rapprochent donc pour mieux en délibérer. Qu’ils fassent, avec san
115 s se rapprochent donc pour mieux en délibérer. Qu’ ils fassent, avec sang-froid, l’inventaire de leur patrimoine commun. La
116 ie d’invention est intact. Nos méthodes critiques doivent à leurs principes mêmes de pouvoir toujours s’adapter aux circonstanc
117 es ne se perdent pas dans une extase somnolente : ils sont actifs. » Enfin cette page dans le grand style du libéralisme vi
118 firmant son unité conquise sur des différences qu’ elle ne détruirait pas pour autant, elle donnerait au monde un exemple à s
119 ifférences qu’elle ne détruirait pas pour autant, elle donnerait au monde un exemple à suivre. Contre les dangers du dedans,
120 n exemple à suivre. Contre les dangers du dedans, elle aurait conclu un pacte d’alliance entre ses fils : ce pacte, elle le
121 lu un pacte d’alliance entre ses fils : ce pacte, elle le proposerait ensuite à l’univers. Les grands conflits du siècle fut
122 à l’univers. Les grands conflits du siècle futur, elle les désarmerait en harmonisant non plus de petits États que divisent
123 écrire à de Traz sur toutes ces choses, ce soir : il est trop tard. Il m’était encore plus fraternel qu’une longue amitié,
124 ur toutes ces choses, ce soir : il est trop tard. Il m’était encore plus fraternel qu’une longue amitié, dès mon adolescen
125 et de Bruxelles, sur l’idée de culture en Europe. Il suit le Mouvement européen de l’extérieur, d’un œil amical et critiqu
126 amical et critique. Pourquoi ce précurseur n’a-t- il pas joint l’action dont il avait, bien avant nous, aperçu la nécessit
127 oi ce précurseur n’a-t-il pas joint l’action dont il avait, bien avant nous, aperçu la nécessité ? Son style même nous sug
128 , enferment la pensée dans une conclusion claire. Elles ne visaient point à entraîner, mais à cerner, à définir, à dire le vr
129 raîner, mais à cerner, à définir, à dire le vrai. Elles font confiance à la lucidité. « Est-ce rêver, se demandait-il, que de
130 iance à la lucidité. « Est-ce rêver, se demandait- il , que de conseiller à l’Europe… de se reconnaître une mission ? » Non,
131 naître une mission ? » Non, ce n’était pas rêver, il le savait, mais ce n’est plus assez de conseiller. Ce convaincu n’éta
132 même se transformait en une attention passionnée. Il voulait être ouvert, plutôt qu’ouvrir. Tous ses personnages romanesqu
133 nesques sont des renfermés, et qui en souffrent : il les avait vécus, mais libérés en lui. Modeste et probe avec une discr
5 1952, Articles divers (1951-1956). Prototype T.E.L. (janvier 1952)
134 de série : son intérêt n’en est pas amoindri. Car il fournit une connaissance nouvelle de certaines limites de vitesse, de
135 de résistance, ou de maniabilité. Que se passe-t- il quand on les atteint ? Jusqu’où peut-on les reculer ? Et à quel prix 
136 nce ne fut un écrivain que par accident, semble-t- il . Mais cet accident fit sa gloire, et nous donne seul la possibilité e
137 des aventures semblables, mais lui « savait ce qu’ il était en train de faire, tandis que les autres travaillaient d’instin
138 n’est pas à la seule analyse de l’œuvre en soi qu’ il faut recourir, mais d’abord il convient de chercher le rôle qu’a joué
139 l’œuvre en soi qu’il faut recourir, mais d’abord il convient de chercher le rôle qu’a joué cette œuvre dans le conflit en
140 n du xviiie siècle ne l’est guère moins, bien qu’ il mette en question, ou raille agressivement, mais de l’intérieur où il
141 , ou raille agressivement, mais de l’intérieur où il est installé, les principes de l’ordre existant (Rousseau, à peu près
142 dans le nihilisme, exilés dans la transcendance. Il n’y a plus de commune mesure entre celui qui pense et ceux qui agisse
143 sure entre celui qui pense et ceux qui agissent ; il n’y a donc plus de communauté réelle. Et c’est pourquoi le xxe siècl
144 dont la valeur importe moins que les épreuves qu’ elle impose. Nous voici tout près de Lawrence et d’une classe d’écrivains
145 tera sans doute la plus typique de notre siècle. Ils sont héros par autre chose que par leur œuvre : par l’action dont cet
146 : par l’action dont cette œuvre témoigne, et dont elle tire son efficacité particulière. Car l’action sert de gage aux mots,
147 dans ce sens technique ces hommes sont engagés : ils ont payé de leur personne le prix d’une signification. Que ces héros
148 aventure hors de chez eux, sourdement irrités qu’ ils sont de se sentir étrangers dans leur peuple. S’expatrier devient une
149 e au point, une traduction spatiale du conflit qu’ ils constatent entre leurs exigences intimes et l’insipidité de la vie dé
150 és au sol », écrit Lawrence, à propos de la RAF.) Ils courent leur aventure hors de chez eux, à la fois comme des conquéran
151 ef, et peut-être plusieurs d’entre eux se fussent- ils résignés, dans leur pays, à l’état politique existant. Byron, à cet é
152 es générales et les nuancent d’ailleurs autant qu’ il faut. Si divers que nous les jugions par la valeur morale ou littérai
153 sent à un signe certain : entre eux et le rôle qu’ ils jouent, souvent à grand péril, il y a toujours une marge de conscienc
154 ement le don mais une certaine facilité. C’est qu’ ils se sont formés dans un monde où l’erreur entraîne des sanctions imméd
155 s immédiates, où l’exactitude est vitale, soit qu’ il s’agisse d’un ordre à rédiger ou d’une opération technique. Ces scrup
156 u des syllabes peuvent gâter l’allure d’un texte, ils n’en ont cure. Les meilleurs se rattrapent sur un plan plus profond d
157 turiers, de révolutionnaires ou d’aviateur qu’est le prestige particulier de leurs écrits, mais tout autant à l’efficac
158 cependant ambigus : autobiographiques par nature, ils livrent peu de confidences. Ils n’avouent guère d’autre ambition que
159 iques par nature, ils livrent peu de confidences. Ils n’avouent guère d’autre ambition que celle d’un serviteur de la cause
160 t dûment stylisé. Nés d’un besoin de s’expliquer, ils restent obscurs sur un point décisif : celui des fins dernières que p
161 des fins dernières que poursuivait l’auteur quand il vivait ce qu’il raconte. On se reporte alors à des écrits posthumes,
162 es que poursuivait l’auteur quand il vivait ce qu’ il raconte. On se reporte alors à des écrits posthumes, à des lettres ou
163 de le résoudre que l’homme écrit, et que parfois il retourne à l’action ; pourtant, ce qu’il nous laisse enfin n’est qu’u
164 parfois il retourne à l’action ; pourtant, ce qu’ il nous laisse enfin n’est qu’une question, l’exemple d’une « passion »
165 sion peuvent bien suffire à l’intérêt de l’œuvre. Elles font pâlir presque toutes nos fictions. Elles nous forcent à croire q
166 re. Elles font pâlir presque toutes nos fictions. Elles nous forcent à croire qu’ici, enfin, un homme nous parle avec l’autor
167 buts souverains les justifier ? Si l’on répond qu’ elles dénudent l’homme dans sa plus sobre vérité, nous demandons alors : qu
168 homme d’une vocation plus vraie que les causes qu’ il a servies et qui se révèlent toujours, au bout du compte, décevantes 
169 aiment le moins les Anglais ; quant à l’honneur, il est plus facile de mourir pour lui que d’en vivre ; mieux vaut mourir
170 Le parallèle s’impose entre ces deux figures. Qu’ elles aient été si différentes à tant d’égards, si contrastées dans leurs d
171 parfaits représentants de leur nation, dans ce qu’ elle a justement de plus différent de l’autre. L’un protestant et l’autre
172 ussi extrêmes dans leur domaine qu’hostiles entre elles  : la puritaine et la jésuite. L’un ascète, l’autre bon vivant. L’un c
173 e scrupules dans l’action et plein d’humour quand il parlait de son œuvre écrite, l’autre contant ses aventures avec brio
174 voyons maintenant leur personne, j’entends ce qu’ ils ont fait de ces données natives, et les tensions qu’ils ont instituée
175 t fait de ces données natives, et les tensions qu’ ils ont instituées entre ce qu’ils étaient et ce qu’ils se voulaient. Voy
176 et les tensions qu’ils ont instituées entre ce qu’ ils étaient et ce qu’ils se voulaient. Voyons leur création, leur action,
177 s ont instituées entre ce qu’ils étaient et ce qu’ ils se voulaient. Voyons leur création, leur action, et leur drame. Une u
178 s, l’un pour des fouilles dans les pays arabes qu’ il avait étudiés avec passion ; l’autre sur ces avions qu’il essayait dé
179 étudiés avec passion ; l’autre sur ces avions qu’ il essayait déjà de manœuvrer en cachette à 16 ans. Les deux intellectue
180 ses dans le désert avec les mêmes Arabes. Soit qu’ il s’agisse de négocier avec ceux-ci pour libérer un camarade pris en ot
181 ou de les inciter à la révolte, dans les deux cas il faut parler leur langue, pénétrer leurs modes de penser, s’assimiler
182 yens qui ne sont pas ceux du règlement, et qui ne doivent rien aux titres officiels : goût de l’autorité, non du pouvoir. (Lawr
183 leux pour les fonctions sans risques de ceux dont ils reçoivent les ordres, donne la mesure de leur sens du service : ils s
184 ordres, donne la mesure de leur sens du service : ils se soumettent, non pas au fonctionnaire, mais à la vertu mystérieuse
185 au fonctionnaire, mais à la vertu mystérieuse qu’ ils attendent de la règle, même injuste. Au reste, leurs plus grandes act
186 ures. Parfois cependant, cet art de persuader (qu’ ils tiennent en partie des Arabes) leur vaut des appuis surprenants de la
187 appuis surprenants de la part d’un grand chef qu’ ils savent séduire sans passer par la voie du service. Les voici maintena
188 rades d’équipe sont restés les seuls à connaître. Ils se retournent vers le monde des autres, et c’est le début de l’écœure
189 ement. Signe objectif d’une mésentente profonde : ils entrent en conflit avec la politique des pouvoirs établis dans leur p
190 ans leur patrie (ou en son nom), ceux-là mêmes qu’ ils viennent de servir, mais dont les buts ou les méthodes soudain se rév
191 révèlent incompatibles avec l’esprit dans lequel ils ont servi. Signe plus personnel : ils avouent dans leurs lettres les
192 dans lequel ils ont servi. Signe plus personnel : ils avouent dans leurs lettres les doutes les plus profonds, et les mieux
193 tivés, quant à la valeur de l’action par laquelle ils se sont illustrés. (Pour le courage physique, ils n’en parlent jamais
194 ils se sont illustrés. (Pour le courage physique, ils n’en parlent jamais qu’avec un scepticisme dénué de coquetterie.) Le
195 rer dans une maison de campagne, avec le livre qu’ ils portent en eux, toujours le même, et qui doit être un commentaire de
196 e qu’ils portent en eux, toujours le même, et qui doit être un commentaire de leur activité, visant à la sauver de l’anecdot
197  intangible » à la mémoire d’un effort collectif. Ils n’écrivent pas plus facilement l’un que l’autre ; se vantent parfois,
198 excessive et de leurs ratures infinies. C’est qu’ ils se refusent aux entraînements de l’idéologie ou du lyrisme, s’appliqu
199 te la morale classique et son langage ; cependant ils veulent être simples et n’employer que des mots éprouvés… C’est à ce
200 ampagne, ou d’accepter quelque fonction publique, ils reprennent subitement du service. Ils se confondent volontairement da
201 n publique, ils reprennent subitement du service. Ils se confondent volontairement dans le rang, pour y subir les disciplin
202 bstant les circonstances historiques différentes, il paraît difficile de distinguer leurs vrais motifs, parmi tant de prét
203 er leurs vrais motifs, parmi tant de prétextes qu’ ils allèguent. S’agirait-il d’une fuite devant leur « personnage », ou d’
204 rmi tant de prétextes qu’ils allèguent. S’agirait- il d’une fuite devant leur « personnage », ou d’une réelle passion de se
205 le passion de servir ? Ou serait-ce simplement qu’ ils n’ont pas le choix, et que la vie parmi les autres, les civils, s’est
206 rence en 1923. L’argent n’est ici qu’un symbole : il pouvait en gagner autrement.) Il va de soi que leurs supérieurs, gêné
207 qu’un symbole : il pouvait en gagner autrement.) Il va de soi que leurs supérieurs, gênés par ces gloires encombrantes (c
208 n que hantés par leur besoin d’écrire, et bien qu’ ils ne puissent ignorer qu’à des postes moins anonymes, ils seraient plus
209 puissent ignorer qu’à des postes moins anonymes, ils seraient plus difficiles à remplacer. Inextricable nœud d’orgueil et
210 la fin de la foi en eux-mêmes ou dans le rôle qu’ ils peuvent encore jouer parmi les hommes tels qu’ils les jugent. « J’en
211 ils peuvent encore jouer parmi les hommes tels qu’ ils les jugent. « J’en suis à désirer sans cesse que le rideau tombe pour
212 erre pour l’autre. Et survient l’accident mortel. Ils sont tués par la machine qui avait été la passion de leur vie. Mais l
213 ndant longtemps on refusera de les croire morts : ils sont revenus de tant d’autres dangers, et peut-être n’ont-ils disparu
214 enus de tant d’autres dangers, et peut-être n’ont- ils disparu que pour assumer d’autres tâches, plus secrètes et plus impor
215 dans sa panique devant une liberté sans contenu. Il est des dictateurs de toutes sortes, il est vrai, mais la prostitutio
216 contenu. Il est des dictateurs de toutes sortes, il est vrai, mais la prostitution leur est commune : ils se prêtent aux
217 est vrai, mais la prostitution leur est commune : ils se prêtent aux plus basses luxures, comme par exemple au narcissisme
218 iblesse des autres, et sa grandeur est négative : il est le symbole des secrètes démissions que nous lui apportons pour fa
219 Lawrence a sa source dans les seules exigences qu’ il s’impose. Le dictateur est le parasite des maux publics. Lawrence n’a
220 ui-même. Son pouvoir sur autrui lui fait horreur, il l’avoue à plusieurs reprises. Il n’en use qu’avec répugnance (pour en
221 ui fait horreur, il l’avoue à plusieurs reprises. Il n’en use qu’avec répugnance (pour en garder longtemps le remords) si
222 omme ce fut le cas dans sa campagne d’Arabie ; et il ne peut se retenir de dénoncer dans cet usage, même légal, un abus. F
223 n abus. Forcer autrui sera toujours un viol, et s’ il condamne ce viol, c’est qu’il se veut intègre, au prix d’un sacrifice
224 jours un viol, et s’il condamne ce viol, c’est qu’ il se veut intègre, au prix d’un sacrifice dont il reste le maître. Son
225 u’il se veut intègre, au prix d’un sacrifice dont il reste le maître. Son héroïsme le plus réel est là : s’il faut que que
226 e le maître. Son héroïsme le plus réel est là : s’ il faut que quelqu’un paye, que ce soit lui, aux dépens de son propre in
227 opre individu et pour l’éducation de sa personne. Il dépasse tous les autres dans ce sens. Et je ne lui vois d’égal, dans
228 a, — cet autre prototype. Voici précisément ce qu’ il eut d’exemplaire : il a soumis la condition de l’homme moderne aux ép
229 pe. Voici précisément ce qu’il eut d’exemplaire : il a soumis la condition de l’homme moderne aux épreuves les plus dures
230 plus équivoque de tous : Révolution. On dirait qu’ il a fait sur lui-même une étude de la résistance du matériel et du mora
231 telle. Lawrence est dans un camp de la RAF quand il écrit cette lettre à Lionel Curtis, le 30 mai 1923 : Et puis il y a
232 s physiques à l’exercice. Depuis que je suis ici, il ne s’est présenté à moi pas un seul choix : tout est prescrit — à l’e
233 ront aussi, puisque les racines de l’échec commun doivent être en moi, — et pourtant, en dépit de la raison, je m’y essaie. Do
234 ns plus tard, et très peu de temps avant sa mort, il tire de ses « essais » les conclusions suivantes : le Règlement du Pr
235 ’avait soutenu dans son effort d’artiste alors qu’ il écrivait les Sept Piliers, il la renie ; car « toute création est tan
236 d’artiste alors qu’il écrivait les Sept Piliers, il la renie ; car « toute création est tangible. Et ce que j’essayais, j
237 ues, pour se borner à un problème brûlant, qu’est- il possible d’inférer de son exemple ? Les citations que je viens de tra
238 inisme et les mouvements totalitaires en général. Il fut pourtant leur adversaire et il se fût battu contre eux. Faudra-t-
239 es en général. Il fut pourtant leur adversaire et il se fût battu contre eux. Faudra-t-il l’accuser d’inconséquence ? Le p
240 dversaire et il se fût battu contre eux. Faudra-t- il l’accuser d’inconséquence ? Le problème est un peu différent. Sans au
241 un peu différent. Sans aucun doute, la morale qu’ il professe, au terme de son expérience de douze années dans l’aviation,
242 utes ses formes, surtout morales, l’écœurement qu’ il ressent devant la nécessité d’imposer son pouvoir et d’user d’autorit
243 ture et à la politique collectiviste. Que reste-t- il à faire pour un tel homme ? Je le cite encore : « Les idéaux d’une po
244 ce pour moi. L’ennui avec le communisme, c’est qu’ il accepte trop du mobilier d’aujourd’hui. Je hais les meubles. » Qu’on
245 n homme qui a raté ses « sorties » et pour lequel il n’est plus d’autre solution que de s’assurer une petite place dans la
246 lace dans la cité, un rôle utile dans ce monde qu’ il juge assez absurde — par excès de conscience éthique — mais qu’il fau
247 surde — par excès de conscience éthique — mais qu’ il faut pourtant bien accepter, lorsqu’on n’a pas connu, ou que l’on ref
248 sformer. Attitude exemplaire par son honnêteté. S’ il fallait qu’on nous montre où nous en sommes et ce que peut un homme s
249 uisements. On ne peut s’empêcher de l’aimer. Mais il n’est pas question de le suivre. Le nihilisme, si « décent » soit-il,
250 on de le suivre. Le nihilisme, si « décent » soit- il , est une faible défense contre les monstres de ce temps. Bien plus :
251 monstres de ce temps. Bien plus : objectivement, il en est le fourrier. Les fausses fois totalitaires n’ont d’ennemi séri
252 eux qui disent que Lawrence est décevant parce qu’ il n’a pas laissé de « message », je répondrai qu’il nous apprend au moi
253 il n’a pas laissé de « message », je répondrai qu’ il nous apprend au moins à n’en pas attendre des hommes. Nous demandons
254 trop aux écrivains. En sommes, nous attendons qu’ ils remplacent la religion. Le plus honnête, s’il est privé de foi, s’avo
255 qu’ils remplacent la religion. Le plus honnête, s’ il est privé de foi, s’avoue sans rien à révéler, mais par là même il dé
256 oi, s’avoue sans rien à révéler, mais par là même il décrit mieux l’état véritable de l’homme. Rien ne tient, à l’épreuve,
257 s des livres ou des lettres des deux hommes. J’ai me borner à les paraphraser, les lettres de Saint-Exupéry n’étant pas
258 core publiées. Quant à La Citadelle, on notera qu’ elle n’a point son équivalent chez Lawrence. Et certes, rien n’empêche d’i
259 rtes, rien n’empêche d’imaginer que ce dernier, s’ il eût vécu tranquille dans son cottage, eût pu être tenté par une œuvre
6 1952, Articles divers (1951-1956). L’Heure de l’impatience (mars 1952)
260 choquante encore que surprenante. Le paradoxe qu’ elle éclaire si crûment s’explique d’ailleurs par des raisons connues de c
261 Européens refusent de se croire aussi nombreux qu’ ils sont, parce qu’ils n’ont pas encore pris l’habitude de se sentir Euro
262 de se croire aussi nombreux qu’ils sont, parce qu’ ils n’ont pas encore pris l’habitude de se sentir Européens. Au lieu d’un
263 ys, dont pas un seul n’est à l’échelle du siècle. Il semble évident que leur union renverserait d’un coup la situation. To
264 Une sorte de myopie de la mémoire et du jugement. Ils tirent prétexte de leurs traditions, parlent d’ennemis héréditaires,
265 traditions, parlent d’ennemis héréditaires, mais ils oublient que leurs nationalismes ne remontent qu’au siècle dernier, e
266 nalismes ne remontent qu’au siècle dernier, et qu’ ils ont deux-mille ans d’usage commun d’un héritage que le reste de la Te
267 n d’un héritage que le reste de la Terre jalouse. Ils tirent prétexte des intérêts à court terme de leurs États, mais ils o
268 e des intérêts à court terme de leurs États, mais ils oublient qu’ils forment un seul corps, et qu’il est fou d’essayer de
269 court terme de leurs États, mais ils oublient qu’ ils forment un seul corps, et qu’il est fou d’essayer de sauver un seul o
270 ils oublient qu’ils forment un seul corps, et qu’ il est fou d’essayer de sauver un seul organe au détriment des autres. L
271 on, rien n’est moins contesté et cependant, comme il arrive parfois dans les cauchemars, rien ne peut avancer, tout s’entr
272 insensée, angoissante, durera jusqu’au réveil qu’ il s’agit de provoquer. Europe, jadis, fut enlevée à l’Asie par une foug
273 rope par un escargot ! La prudence a montré ce qu’ elle savait faire. Si l’on veut que l’Europe survive, l’heure est venue de
7 1952, Articles divers (1951-1956). Les foyers de culture et l’Europe (octobre 1952)
274 à d’autres époques, un rôle différent de celui qu’ ils auraient maintenant. Je ne ferai pas de longues incursions dans le pa
275 tants : les couvents. Comment la culture devenait- elle vivante ? D’abord elle naissait dans la méditation, puis cette médita
276 omment la culture devenait-elle vivante ? D’abord elle naissait dans la méditation, puis cette méditation était transcrite,
277 on était transcrite, formulée en œuvres écrites ; elle circulait ensuite, enseignée dans les écoles et plus tard dans les un
278 : [par]j l’école, le livre, la revue, le journal, elle est transmise à la masse et ces moyens mêmes de diffusion la rendent
279 s moyens mêmes de diffusion la rendent abstraite. Elle se heurte à des obstacles qui sont : la division de la population en
280 joue un rôle beaucoup plus vaste qu’au Moyen Âge. Il n’existe guère aujourd’hui dans nos pays qu’une seule forme de cultur
281 sens de l’Europe. Pourtant, cette culture existe, elle se poursuit. Comment pourra-t-elle retrouver aujourd’hui sa fonction
282 ulture existe, elle se poursuit. Comment pourra-t- elle retrouver aujourd’hui sa fonction éducatrice : former des hommes et d
283 dictatures et contre l’anarchie. L’homme européen doit pouvoir réaliser sa vocation particulière dans le groupe humain où il
284 sa vocation particulière dans le groupe humain où il se retrouve inséré. Faire l’Europe, c’est d’abord former des hommes.
285 t vous présenter un certain nombre de thèmes : 1° Il n’est pas possible que la culture puisse agir — c’est-à-dire former o
286 e, universelle et non pas nationale ni régionale. Elle suppose des échanges multiples entre les classes sociales et les peup
287 ’une grande circulation commune à toute l’Europe, elle est destinée, sans eux, à mourir à bref délai. 2° Il n’y a pas de cul
288 est destinée, sans eux, à mourir à bref délai. 2° Il n’y a pas de culture vivante sans une incarnation, une implantation l
289 local ne peut être appelé foyer de culture que s’ il réalise à la fois cette possibilité d’incarnation de la culture et ce
290 lture et cette ouverture aux échanges universels. Il n’y a pas d’Europe vivante sans ces deux courants. Je reviens toujour
291 ns toujours à ces réalités : pour faire l’Europe, il faut que les foyers par centaines et par milliers, si possible, appor
292 aleur lui viendront de la réalité quotidienne. 3° Il ne faut pas que l’Europe se fabrique comme un immense trust super-éta
293 ut devenir tyrannique et stérilisante, les foyers doivent défendre les droits de leurs diversités locales. J’insiste sur ce dou
294 sités locales. J’insiste sur ce double mouvement, il faut que les foyers collaborent à la constitution de l’Europe, mais a
295 rent à la constitution de l’Europe, mais aussi qu’ ils défendent la diversité européenne contre le germe de tyrannie que peu
296 on nécessaire à la construction de l’Europe. Nous devons être en garde constamment d’une part contre une espèce de mystique ré
297 racontée dans les livres d’école depuis cent ans. Il n’existe pas de culture nationale, aucun historien sérieux ne peut dé
298 e idée. La culture a toujours été internationale. Il s’agit de passer de l’ensemble européen aux implantations locales, et
299 ture, se donnerait pour tâche — et je voudrais qu’ il le fasse expressément par un vœu formulé si possible ici — de devenir
300 crois qu’on vous les a remis. J’explique en quoi ils consistent : ce sont de petits plans de 5 ou 6 pages, englobant une v
301 dans tous les pays européens, avec le temps dont ils disposent, les horaires qu’ils ont déjà prévus. Ces conférenciers ne
302 avec le temps dont ils disposent, les horaires qu’ ils ont déjà prévus. Ces conférenciers ne seraient pas des professeurs d’
303 musique européenne. En nouant des liens avec eux, il serait possible de monter des représentations gratuites pour jeunes o
304 s. Enfin, il y aurait lieu d’étudier, me semble-t- il , une sorte d’organisation de voyages et d’échanges, comme celle établ
305 s allant du nord de l’Écosse au sud de l’Italie ; il serait intéressant de jalonner ces sentiers de foyers où les voyageur
306 propose de mettre à votre disposition. En retour, il voudrait bien que chacun de vous prenne l’habitude de lui écrire pour
307 as aux cultures nationales. Il y a la culture, qu’ il s’agit d’implanter dans des sols différents avec des méthodes qui peu
308 e, de propriété bourgeoise, de luxe intellectuel. Il faut qu’ils coopèrent dans un effort général pour donner au mot cultu
309 iété bourgeoise, de luxe intellectuel. Il faut qu’ ils coopèrent dans un effort général pour donner au mot culture un conten
310 pas, ni la mystique locale, c’est la culture qui doit être le principal locataire… » J’ai beaucoup aimé cette formule et me
311  », non pour organiser les tournois de ping-pong. Elles sont là pour des activités récréatives, bien entendu, mais surtout po
8 1952, Articles divers (1951-1956). La Suisse et l’Europe : M. Denis de Rougemont réagit (14 novembre 1952)
312 st a relaté ici, le 1er novembre, un entretien qu’ il eut avec le professeur William Rappard. Les vues personnelles qu’y ex
313 s livres, je m’en suis beaucoup servi et voici qu’ il paraît renier les conclusions de la plupart de ses ouvrages ; c’est p
314 c’est pourquoi après cette interview, je pense qu’ il est nécessaire de montrer nettement le point de vue de ceux qui croie
315 de l’argumentation de M. Rappard, dans l’ordre où il les a énumérés lui-même. « Je ne crois pas, dit-il, que la petite Eur
316 l les a énumérés lui-même. « Je ne crois pas, dit- il , que la petite Europe puisse se faire et durer »… L’Europe est fait
317 faire et durer »… L’Europe est faite ! Mais elle est faite ! Ses adversaires les plus acharnés ont reconnu qu’il n’éta
318 Ses adversaires les plus acharnés ont reconnu qu’ il n’était plus temps de s’interroger sur son opportunité, mais bien de
319 er sur son opportunité, mais bien de traiter avec elle . La petite Europe est faite depuis que le 13 septembre la Haute Autor
320 man a été installée à Luxembourg : c’est un fait, elle existe, et Anglais et Scandinaves — qui furent ses adversaires les pl
321 qui me surprend le plus chez M. Rappard, c’est qu’ il semble avoir oublié qu’il présidait la commission économique du Congr
322 ez M. Rappard, c’est qu’il semble avoir oublié qu’ il présidait la commission économique du Congrès de l’Europe tenu à La H
323 Oui, mais… le rideau de fer ? Mais hélas ! il est de fait que le rideau de fer l’a séparée en deux… N’allez pas plu
324 deau, nous sommes quelque 320 millions, tandis qu’ il n’y en a pas quatre-vingt-dix-millions de l’autre… Soit. Mais ces 320
325 antons-villes et les cantons-campagnes : qu’y a-t- il de commun entre Genève et Glaris ? Et ne parle-t-on pas du « miracle
326 lors, pourquoi pas l’Europe ? Les Européens n’ont- ils pas des traditions communes que les Suisses n’avaient pas ? L’Europe
327 grecque, puis à l’Empire de Rome, on constate qu’ elle avait déjà deux-mille ans d’existence quand les montagnards des trois
328 as sérieux. … mais des réalités économiques Il en est d’autres cependant qui ne peuvent nous laisser indifférents, e
329 a Suisse ! Mais à notre point de vue, ce 40 % est- il vraiment si négligeable ? Est-il proportionnellement inférieur à notr
330 vue, ce 40 % est-il vraiment si négligeable ? Est- il proportionnellement inférieur à notre commerce avec d’autres fédérati
331 enclavée. Sur quoi, le professeur Rappard fonde-t- il cette déclaration, je ne le comprends pas, et l’argument de cette fin
332 ée. Cette fédération n’est pas une ligue séparée, elle n’est pas en révolte contre une ligue plus vaste : elle est un début,
333 ’est pas en révolte contre une ligue plus vaste : elle est un début, et non seulement elle ne s’oppose pas à ce que d’autres
334 plus vaste : elle est un début, et non seulement elle ne s’oppose pas à ce que d’autres pays lui donnent leur adhésion, mai
335 que d’autres pays lui donnent leur adhésion, mais elle le souhaite. Elle n’est pas plus opposée à une fédération plus vaste
336 lui donnent leur adhésion, mais elle le souhaite. Elle n’est pas plus opposée à une fédération plus vaste que la Confédérati
337 s, Josiah Tucker, doyen de Gloucester, n’écrivait- il pas un an avant l’adoption par les États-Unis de leur constitution fé
338 rs habitudes nous donnent une certitude, c’est qu’ ils ne pourront jamais trouver un centre d’union et un seul intérêt commu
339 appard ne manque pas de relever, avec l’ironie qu’ il faut, quelques prédictions identiques de Cherbuliez ou de Pyrame de C
340 issons qu’à suivre les suggestions de M. Rappard, elle courrait un grave danger. Ne dit-il pas en effet : « Au lieu d’isoler
341 M. Rappard, elle courrait un grave danger. Ne dit- il pas en effet : « Au lieu d’isoler quelques pays de l’Europe continent
342 à en faire une seule et même patrie, ne vaudrait- il pas mille fois mieux les unir tous dans une seule et même alliance ? 
343 alliance ? » Alors quoi : est-ce à dire que nous devions entrer dans l’Alliance atlantique, avec ceux qui « furent toujours à
344 renoncer à notre neutralité. Or, la neutralité ne doit pas nous empêcher de collaborer ; mais pourquoi renoncerions-nous à c
345 quoi, je vous le demande ? Encore une fois, non. Il ne s’agit pas de renoncer à cette neutralité, mais il ne faut pas non
346 e s’agit pas de renoncer à cette neutralité, mais il ne faut pas non plus qu’elle nous empêche de collaborer sur le plan e
347 cette neutralité, mais il ne faut pas non plus qu’ elle nous empêche de collaborer sur le plan européen. À nous de rechercher
348 contradiction avec tout ce qui a précédé, puisqu’ il ne craint pas d’inclure l’alliance militaire. Mais il a raison d’insi
349 e craint pas d’inclure l’alliance militaire. Mais il a raison d’insister sur le fait que ces problèmes sont vitaux pour no
9 1952, Articles divers (1951-1956). Grandeur de la Petite Europe (5 décembre 1952)
350 orité, que certains nomment la Schumanie, bien qu’ elle soit présidée par Jean Monnet. On lève les bras au ciel : — Quoi ! me
351 argé du plus petit nombre d’habitants pencherait. Il faut donc tenir compte des richesses naturelles et de la production m
352 rope des Six est la deuxième puissance du monde : elle vient tout de suite après les USA, bien avant l’URSS même augmentée d
353 sation et culture inégalée dans le monde moderne. Ils ont fait à eux seuls, au cours des siècles et grâce à leurs échanges
354 te Europe ? » La Sibérie, certes, est plus vaste… Il n’en résulte pas que la Grande-Bretagne, les Pays scandinaves, l’Espa
355 Petite Europe » a cherché son salut dans l’union. Elle l’a trouvé malgré l’hostilité, la méfiance ou l’indifférence de ses v
356 Les autres en sont encore à se frotter les yeux. Ils savent pourtant que les portes leur sont ouvertes à Luxembourg. La « 
357 éral fait obstacle à une fédération plus étendue, ils ont contre eux les leçons de l’Histoire entière et tous les exemples
10 1953, Articles divers (1951-1956). Préface à Photo + scène (1953)
358 ès le départ son patronage et son appui pratique. Il salue cette année l’épanouissement de cette initiative. Si la musique
359 nie, Faust, Hamlet, Don Juan… À qui appartiennent- ils  ? À ceux qui les recréent, puisant chacun au fonds commun, selon leur
360 , des sensibilités. Et c’est cela que notre union doit préserver, pour les nouveaux départs que le monde attend de nous. n
11 1953, Articles divers (1951-1956). Rudolf Kassner (1953)
361 pas cessé de me séduire et inciter. Je suppose qu’ il est devenu banal de déplorer l’obscurité des essais et dialogues de K
362 r l’obscurité des essais et dialogues de Kassner. Elle est pourtant la garantie de leur pouvoir, et ne saurait traduire, à m
363 vis, qu’une intention profondément délibérée. Car il s’agit ici d’une maïeutique, s’exerçant sur les mythes de l’âme. Je p
364 auter les évidences ou platitudes intermédiaires. Elle est un acte de vision. Nous montrant d’un seul coup, sans transition,
365 ieurs objets que la coutume sépare, non seulement elle oblige à les voir d’un œil neuf, mais encore elle excite à découvrir
366 elle oblige à les voir d’un œil neuf, mais encore elle excite à découvrir l’angle particulier sous lequel a pu les voir, pro
367 (Cet angle de vision étant son vrai « message ».) Elle propose donc à l’imagination un exercice spirituel, assez analogue, i
368 magination un exercice spirituel, assez analogue, il me semble, à ceux qu’imposent aux néophytes les moines bouddhistes de
369 onne, générateur de l’Occident. Problème ambigu s’ il en fût, et qui échappe par définition à la pensée systématique et dis
370 l’âme est de comparer » remarque Montesquieu, et il ajoute : « Ce qui fait ordinairement une grande pensée, c’est lorsqu’
371 ent, s’oriente vers le mystère crucial. S’agirait- il d’une théologie ? Certainement non. Kassner veut voir. D’une gnose al
12 1953, Articles divers (1951-1956). Des conciles à la bombe atomique ou la fin dans le commencement (janvier 1953)
372 à son terme, et rien ne se passe jamais comme si elle finissait par les atteindre : au contraire, quand une civilisation me
373 quand une civilisation meurt, c’est justement qu’ elle a perdu le sens de ses fins ou qu’elle renonce à les saisir. De même,
374 stement qu’elle a perdu le sens de ses fins ou qu’ elle renonce à les saisir. De même, les origines d’une civilisation ne doi
375 isir. De même, les origines d’une civilisation ne doivent pas être recherchées dans son passé le plus reculé : elles ne sont sa
376 être recherchées dans son passé le plus reculé : elles ne sont saisissables que dans la dialectique de ses succès et de ses
377 ent de « vérifier » ou de reconnaître, même quand ils essaieraient de l’éliminer. Tant il est vrai que les polémiques sur l
378 , même quand ils essaieraient de l’éliminer. Tant il est vrai que les polémiques sur le principe de contradiction et le ti
379 ritualisme ou matérialisme, le réel vivant — faut- il dire le réalisant — apparaît ainsi comme la frontière (au sens Far We
380 de leur vocabulaire. Adonnés à la même recherche, ils nous parlent tantôt de musique concrète ou de peinture abstraite, et
381 ple. Et de même les savants nous disent tantôt qu’ ils découvrent ou qu’ils inventent ; deux descriptions apparem­ment contr
382 avants nous disent tantôt qu’ils découvrent ou qu’ ils inventent ; deux descriptions apparem­ment contradictoires et notoire
383 e l’esprit qui est pourtant bien le même, mais qu’ il nous reste à définir. (Concevoir a deux sens aussi, mais en un mot.)
384 re dite abstraite, ambition qui n’est point ou ne doit pas être celle de coïncider, soit avec des structures préformées de n
385 eaucoup le redoutent ou l’espèrent. Car, intégré, il ne le fut jamais, je l’ai rappelé. Mais il est en train de franchir l
386 tégré, il ne le fut jamais, je l’ai rappelé. Mais il est en train de franchir le seuil d’une connaissance nouvelle. La déc
387 ne l’apaiseront jamais, qui le consument et dont il vit. q. Rougemont Denis de, « Des conciles à la bombe atomique ou
388 des religions et des magies, nées de la peur, qu’ il a permis le développement de la science, recherche impitoyable de la
13 1953, Articles divers (1951-1956). Suisse, Europe et neutralité (6 mars 1953)
389 neutralité serait aujourd’hui sans objet, et nous devons donc l’éviter ; 2. La neutralité ne doit pas servir de prétexte à la
390 t nous devons donc l’éviter ; 2. La neutralité ne doit pas servir de prétexte à la Suisse pour refuser de collaborer à l’uni
391 effet, pour que la Suisse en vienne à décider qu’ elle abandonne sa neutralité traditionnelle, il faudrait que l’une ou l’au
392 r qu’elle abandonne sa neutralité traditionnelle, il faudrait que l’une ou l’autre des conditions suivantes soit donnée :
393 rd’hui renoncer à la neutralité, que se passerait- il  ? On ne le voit pas. À qui irions-nous offrir cette renonciation ? Qu
394 trait à la fois dénué de sagesse et d’efficacité. Il resterait gratuit, au pire sens de ce terme. On ne voit donc pas d’ob
395 neutralité. Dans ces conditions, comment se fait- il que la question de la neutralité soit sans cesse reposée depuis le fi
396 aient les premiers à ne pas nous croire. En fait, ils ne cessent de répéter que la Suisse a cessé d’être neutre : si nous d
397 que nous pour lutter contre le stalinisme. Mais s’ il en est ainsi, nous dira-t-on, pourquoi refusez-vous de participer à l
398 ourrait changer à la situation. Tout ceci revient- il à dire que la neutralité de la Suisse ne pose aucune question réelle 
399 enève (sans même prononcer le mot de neutralité). Il n’en a pas fallu davantage pour que le Conseil fédéral, puis le Conse
400 alité, mesure qui serait actuellement sans effet. Ils laissent aux communistes le soin de verser des larmes de crocodile su
401 des larmes de crocodile sur cet abandon prétendu. Ils estiment que la neutralité reste pour la Suisse un atout, qu’elle ne
402 e la neutralité reste pour la Suisse un atout, qu’ elle ne doit pas jouer sans d’impérieuses raisons. Les fédéralistes rappe
403 tralité reste pour la Suisse un atout, qu’elle ne doit pas jouer sans d’impérieuses raisons. Les fédéralistes rappellent qu
404 uée, géographiquement, au centre de l’Europe ; qu’ elle a pris naissance un peu après le milieu de l’histoire de l’Europe ; q
405 oir réalisé sans eux. Cette bonne leçon de choses doit porter. Les fédéralistes constatent que rien ne s’oppose dans notre s
406 lamer depuis 1933 la nécessité d’une Europe unie. Ils sont seuls à entretenir en Suisse des contacts étroits avec les mouve
407 estiment que notre constitution fédérale peut et doit servir de modèle pour une Europe fédérée, dans le respect des diversi
408 , traditionnelles ou récemment acquises. De plus, ils pensent que l’expérience suisse du fédéralisme n’est pas sans valeur
14 1953, Articles divers (1951-1956). Unité et diversité de l’Europe (juin 1953)
409 Europe est trop diverse pour qu’on puisse l’unir. Elle eut, disent-ils, son unité spirituelle au Moyen Âge et elle avait att
410 iverse pour qu’on puisse l’unir. Elle eut, disent- ils , son unité spirituelle au Moyen Âge et elle avait atteint au début de
411 disent-ils, son unité spirituelle au Moyen Âge et elle avait atteint au début de ce siècle une espèce d’unité matérielle : l
412 arler d’union, quand l’unité foncière a disparu ? Il serait fou, et il est impossible de fondre nos diversités de langues,
413 nd l’unité foncière a disparu ? Il serait fou, et il est impossible de fondre nos diversités de langues, de religions, de
414 té millénaire de l’Europe n’existe plus. Ensuite, il faudrait distinguer entre nos divisions présentes et nos diversités t
415 ionnelles. Les premières causent notre misère, et doivent être à tout prix surmontées ; les secondes ont produit nos vraies ric
416 erie condamnable doublée d’une erreur de logique. Il est aisé de répondre à ces sophismes par un exemple bien connu, et pa
417 onalisme suffirait à nous rendre méfiants, lorsqu’ il s’agit de porter un jugement sur l’avenir, comme dans le cas de l’uni
418 le cas de l’union de l’Europe. Mais il y a plus. Il est parfaitement clair que la nation, au sens dix-neuviémiste du mot,
419 ne forme d’association périmée à bien des égards. Il n’est pas une nation de l’Europe d’aujourd’hui qui puisse se dire ind
420 on, soit du point de vue de sa défense. Qu’en est- il du point de vue de la culture, qui fut l’élément décisif pour la form
421 anticléricalisme) ou bien imitent à rebours ce qu’ elles combattent, ou bien prétendent faire mieux mais dans le même sens éth
422 dans l’un et l’autre cas, le langage est le même, il dérive de la théologie, fût-ce à travers Hegel et Marx. De Kierkegaar
423 pent. Nos formes d’expression sont identiques, qu’ il s’agisse du sonnet, dans toutes les langues d’Europe, du roman (dériv
424 piques de l’Europe, n’ont jamais été nationales : elles furent des œuvres collectives, passant de foyers en écoles, du sud au
425 tique n’a plus le droit de dire « je » que lorsqu’ il s’avoue criminel. L’Européen seul a placé la personne au-dessus de la
426 l du mode de vivre européen : chez nous seulement elles ont été admises (« Il y a plusieurs demeures… »), protégées et aimées
427 ialogue, parfois à leurs conflits, que l’Occident doit ses plus belles créations. Certes, l’école par ses manuels d’histoire
428 racines dans la réalité, cela ne signifie pas qu’ il ait cessé de nuire. Les écrivains — poètes et philosophes — qui ont t
15 1953, Articles divers (1951-1956). Pourquoi je suis Européen (20 juin 1953)
429 z, l’aspect « cosmopolite » de mon européanisme : il m’est instinctif, comme d’ailleurs beaucoup de Suisses. Dès la fin de
430 u et Esprit et des groupes personnalistes dont elles étaient les deux foyers. C’était aussi le moment où Kierkegaard comme
431 voulait faire l’Europe, oui, mais comme Hitler : il voulait un État européen et non l’Europe réelle. Il voulait nommer de
432 voulait un État européen et non l’Europe réelle. Il voulait nommer des préfets… L’état d’esprit jacobin, centralisateur,
433 otion de l’individuel, les Russes font tout ce qu’ ils peuvent pour l’interdire et la détruire, et peut-être commence-t-elle
434 interdire et la détruire, et peut-être commence-t- elle à se déprimer en Amérique. Elle reste la source de nos grandeurs comm
435 t-être commence-t-elle à se déprimer en Amérique. Elle reste la source de nos grandeurs comme de nos faiblesses : notre risq
436 risque créateur. Mais quand je parle d’individu, il faut s’entendre. Le véritable Européen, c’est l’individu à la fois li
437 voilà la personne. On l’a dit : pour l’individu, il n’y a que des voisins inévitables, pour la personne il y a des procha
438 e découverte de l’Europe. Aux yeux des Américains il n’y a pas des Français, des Suisses, des Allemands, mais seulement de
439 itique que je n’avais pu suivre que de très loin, il me dit : « Vous n’avez qu’à reprendre vos textes de 1939 et 1940 : c’
440 tique de la France, mais aussi aux difficultés qu’ elle éprouve à liquider le passé récent, la peur de l’Allemagne. La France
441 tre jour, l’Amérique, l’URSS, la Chine et l’Inde. Il oubliait simplement l’Europe ! Cette Europe qui voit se retourner con
442 urope ! Cette Europe qui voit se retourner contre elle le nationalisme qu’elle a inventé et dont elle a infecté les autres c
443 voit se retourner contre elle le nationalisme qu’ elle a inventé et dont elle a infecté les autres continents. C’est à nous
444 re elle le nationalisme qu’elle a inventé et dont elle a infecté les autres continents. C’est à nous de trouver le contrepoi
445 Mais d’autre part il y a nos forces réelles, dont il faut prendre conscience. Vous savez que c’est à ce réveil de la consc
446 es efforts du Centre européen de la culture. Faut- il comprendre que vous êtes partisan des efforts pour l’union politique
447 lement. Je suis aussi pour la fédération des Six. Il est conforme à la doctrine et surtout à la pratique fédéraliste de co
16 1953, Articles divers (1951-1956). Une fausse nouvelle : « Dieu est mort » (juin-juillet 1953)
448 ivains que les circonstances rendaient influents, il est quotidiennement répété par leurs disciples et cité comme allant d
449 de incompréhensible de la part des chrétiens, qui devraient savoir que l’existence de Dieu n’est pas affectée par une polémique l
450 emandé à ceux qui disent que Dieu est mort, ce qu’ ils entendent exactement par là ? De quel Dieu s’agit-il, en somme ? De c
451 entendent exactement par là ? De quel Dieu s’agit- il , en somme ? De celui qu’ils imaginent ou de celui que beaucoup prient
452  ? De quel Dieu s’agit-il, en somme ? De celui qu’ ils imaginent ou de celui que beaucoup prient ? D’une caricature commode
453 ous d’admettre — ce serait leur faire injure — qu’ ils aient voulu dire simplement : « Pour ce qui me concerne, Dieu n’exist
454 our ce qui me concerne, Dieu n’existe plus », car il n’y aurait là rien de nouveau : on retomberait au spleen métaphysique
455 itudes rationalistes de l’athéisme occidental, qu’ ils ont largement reniés. Ils insistent, au contraire, par ce tour dramat
456 athéisme occidental, qu’ils ont largement reniés. Ils insistent, au contraire, par ce tour dramatique au goût de l’immédiat
457 la nouveauté du message, et sur son objectivité. Ils prétendent annoncer une nouvelle, la mauvaise nouvelle de la mort réc
458 e est un cas suffisamment connu7. Et, d’ailleurs, il a partiellement démenti son message en écrivant un jour ceci : « La r
459 on peut trancher une question d’existence réelle. Il ne faut pas que Dieu et le diable existent, car alors la responsabili
460 « La vérité est peut-être triste », disait Renan. Il était loin de s’en réjouir, mais pour autant, n’allait pas jusqu’à ni
461 a responsabilité — cependant réelle — de l’homme. Il suffit pour que Sartre décrète que Dieu n’existe pas, et bien plus, q
462 e décrète que Dieu n’existe pas, et bien plus, qu’ il est mort. D’où peut lui venir cette passion de la responsabilité ? D’
463 té d’affirmer l’homme et ses pouvoirs, répondrait- il . Et c’est d’une manière analogue que Malraux et Jaspers interprètent
464 un dieu. Ce dernier trait est capital. On sent qu’ il trahit un refus de la réalité donnée, la sienne d’abord (« Je vais me
465 e celle d’autrui (« L’enfer, c’est les autres »). Il n’en marque pas moins la limite de l’arrogance intellectuelle, le ter
466 sation, qui ne pourra plus que se nier lui-même s’ il veut rejoindre la morale. Il se niera donc au profit de quelque dicta
467 e se nier lui-même s’il veut rejoindre la morale. Il se niera donc au profit de quelque dictature collectiviste, car là se
468 quelque dictature collectiviste, car là seulement il croira retrouver « l’engagement » que sa doctrine prônait, mais renda
469 que Dieu est mort nous dit seulement que l’homme doit refuser Dieu tel que Sartre l’imagine : gênant pour l’homme. Il n’en
470 u tel que Sartre l’imagine : gênant pour l’homme. Il n’en résulte pas que Dieu ait cessé d’exister, d’aider l’homme ou de
471 e ou de le juger. Et dans le fait, numériquement, il n’y a jamais eu dans l’Histoire autant d’hommes qu’aujourd’hui pour a
472 e autant d’hommes qu’aujourd’hui pour affirmer qu’ ils croient leur Dieu vivant. (Cf. les statistiques du christianisme, de
473 Voyons maintenant la crédibilité de la nouvelle. ( Il est clair qu’elle ne peut être estimée sur le fait qu’une majorité la
474 t la crédibilité de la nouvelle. (Il est clair qu’ elle ne peut être estimée sur le fait qu’une majorité la récuse.) ⁂ Hors d
475 ù bien « Dieu » ne signifie rien — et dans ce cas il ne peut pas mourir ; ou bien il signifie la Vie, l’Éternité, le Total
476 — et dans ce cas il ne peut pas mourir ; ou bien il signifie la Vie, l’Éternité, le Total, l’Être en soi, l’Inconnaissabl
477 n soi, l’Inconnaissable, et, dans ce cas, dire qu’ il est mort, revient à faire du bruit avec la bouche. Car si Dieu l’Éter
478 Dieu l’Éternel avait été vivant, puis était mort, il n’eût jamais été Dieu l’Éternel, en sorte qu’il faudrait dire que s’i
479 , il n’eût jamais été Dieu l’Éternel, en sorte qu’ il faudrait dire que s’il est mort, c’est qu’il n’a pas vécu : ce qui es
480 ieu l’Éternel, en sorte qu’il faudrait dire que s’ il est mort, c’est qu’il n’a pas vécu : ce qui est absurde. Si Dieu l’In
481 e qu’il faudrait dire que s’il est mort, c’est qu’ il n’a pas vécu : ce qui est absurde. Si Dieu l’Inconnaissable était mor
482 tait mort, après avoir vécu en tant que personne, il se serait donc produit, à un certain moment précis, dans le temps et
483 de s’en tirer, ont prié et prient encore pour qu’ il les assiste individuellement dans leurs grandes et petites épreuves,
484 n’eût jamais été visible ou sensible, mais encore elle fût demeurée inimaginable. De même, il est absurde de « chercher Dieu
485 s encore elle fût demeurée inimaginable. De même, il est absurde de « chercher Dieu dans la nature » ou dans l’Histoire, o
486 tions politiques, économiques et sociales. Puisqu’ il n’est sensible qu’au cœur, c’est-à-dire au plus intime d’une personne
487 s intime d’une personne bien réelle et distincte. Il est donc normal que le Dieu personnel reste l’Absurde, en dehors d’un
488 ianisme. 8. Car Dieu, même si quelqu’un croit qu’ il n’est pas, reste en tout cas une réalité pour l’écrasante majorité de
17 1954, Articles divers (1951-1956). Ce petit cap de l’Asie (1er juin 1954)
489 les Asiatiques. C’est de l’attention mondiale qu’ ils se sont emparés, et du jeu politique, et de l’initiative, et du calen
490 un échec sur tous les points de l’ordre du jour, elles n’en ont pas moins apporté un élément de pittoresque au débat sur l’u
491 ue, cela saute aux yeux. Après tout, l’Europe est- elle autre chose qu’un cap de l’Asie ? Elle retrouverait ainsi sa juste pl
492 Europe est-elle autre chose qu’un cap de l’Asie ? Elle retrouverait ainsi sa juste place, dans une conception sainement géog
493 ope ne fera plus rien pour son union ; bien plus, elle va laisser pourrir la CED, seule capable — à tort ou à raison — d’ins
494 sme soviétique, lui, nous menace à bout portant : il a déjà conquis nos six nations de l’Est, et quatre nations en Asie. I
495 six nations de l’Est, et quatre nations en Asie. Il baptise « paix » cette conquête par la force et « provocation bellici
496 oviétique, une Europe persistant à rester désunie doit rapidement périr par asphyxie à la fois physique et morale. Marchés p
497 s tienne en respect. Et tout le Sud-Est de l’Asie devrait comprendre que son élan irrépressible vers l’indépendance nationale n
498 eut bien être détourné de ses fins par la Russie. Ils voient encore notre colonialisme. Ne sauront-ils pas voir aussi, M. N
499 Ils voient encore notre colonialisme. Ne sauront- ils pas voir aussi, M. Nehru le premier, que nous nous en allons, mais qu
500 ons, mais que les autres arrivent ! L’Asie, donc, doit vouloir autant que nous, et autant que l’Amérique, l’Europe unie. Mai
501 arlement français repousse demain la CED, et avec elle ses suites et ses implications, la Communauté politique et son élargi
502 ui se décideront à la dernière minute. Entendront- ils cet Hannibal ante portas qu’on voudrait leur crier de Genève ? y.
18 1954, Articles divers (1951-1956). La CED, ses mythes et sa réalité (12 août 1954)
503 sondages discrets opérés à la Chambre française : il semble qu’un peu moins d’un député sur dix ait pris la peine de lire
504 oins compliqué qu’un roman policier ordinaire. Or il se trouve que le sort du traité, et par suite le sort de l’Europe, dé
505 lourde et coûteuse la tâche de protéger l’Europe. Ils souhaitaient que nous les aidions à nous aider. Et pourquoi, disaient
506 s les aidions à nous aider. Et pourquoi, disaient- ils , les Allemands, qui sont les premiers menacés, n’auraient-ils pas le
507 emands, qui sont les premiers menacés, n’auraient- ils pas le droit et le devoir de reconstituer une armée ? — Les Hollandai
508 emiers menacés, n’auraient-ils pas le droit et le devoir de reconstituer une armée ? — Les Hollandais, les Belges, et surtout
509 e. Son nom seul leur rappelait de durs souvenirs. Elle pouvait aussi bien les attaquer que les protéger. Elle pouvait même s
510 pouvait aussi bien les attaquer que les protéger. Elle pouvait même s’allier un jour aux Russes. Il fallait donc empêcher ce
511 r. Elle pouvait même s’allier un jour aux Russes. Il fallait donc empêcher cela. Mais, d’autre part, comment défendre séri
512 eu. La France hésite encore, mais tout indique qu’ elle doit se prononcer dans un délai très court. Son choix sera donc décis
513 a France hésite encore, mais tout indique qu’elle doit se prononcer dans un délai très court. Son choix sera donc décisif. A
514 f. Après deux ans de débats passionnés, ne serait- il pas grand temps de voir d’un peu plus près de quoi l’on parle ? Quel
515 communes, des forces armées et un budget commun. Ils prévoient aussi qu’aucun État membre ne recrutera plus de forces armé
516 n des ressources militaires des six pays ? S’agit- il de mélanger les soldats allemands et français dans des compagnies com
517 dit et imprimé ont simplement donné la preuve qu’ ils n’avaient jamais lu le traité. En vérité, il s’agit simplement d’un p
518 qu’ils n’avaient jamais lu le traité. En vérité, il s’agit simplement d’un plan de mise sur pied de contingents nationaux
519 . Si la CED est acceptée demain, que se passera-t- il donc, pratiquement ? Trois choses, dont la première seulement sera vi
520 militaires, et une efficacité technique accrue.) Il s’agit donc, en fin de compte, de l’organisation dès le temps de paix
521 ment les arguments anticédistes, on s’aperçoit qu’ ils sont rarement motivés par le texte réel du traité. Le plus souvent, i
522 vés par le texte réel du traité. Le plus souvent, ils combattent un projet fantôme que personne n’a jamais défendu. Je vais
523 « Quoi ! s’écrie-t-on, nos soldats français vont- ils être commandés en allemand par d’anciens feldweibel hitlériens ? » Ce
524 d’entretenir sa propre armée, comment défendra-t- elle ses colonies ? » poursuit l’opposant. Or, le cas est dûment prévu par
525 notre glorieuse armée française, en même temps qu’ il réarmera l’Allemagne ! » Ici, le sentiment oblitère la logique. Il es
526 emagne ! » Ici, le sentiment oblitère la logique. Il est clair, en effet, que les unités allemandes et les unités français
527 ité signifie la disparition de l’armée française, il empêche pour les mêmes raisons la réapparition d’une armée allemande.
528 les moyens d’assurer sa défense, c’est-à-dire si elle refuse la CED, alors et dans ce cas précisément, elle tombera sous la
529 refuse la CED, alors et dans ce cas précisément, elle tombera sous la dépendance des USA ; et cela malgré elle et malgré eu
530 mbera sous la dépendance des USA ; et cela malgré elle et malgré eux, par une nécessité inéluctable. Qui est pour ? qui e
531 logie des interlocuteurs. La CED a coalisé contre elle les forces par ailleurs contradictoires du communisme, du nationalism
532 . L’Europe unie serait forte et leur résisterait. Ils veulent donc une Europe divisée. Or, ce qui nous divise, c’est le nat
533 . Or, ce qui nous divise, c’est le nationalisme : il faut donc le flatter et raviver les haines provoquées par les guerres
534 raviver les haines provoquées par les guerres qu’ il a lui-même causées. D’autre part, les personnes âgées qui vivent enco
535 ur nation pourrait se défendre seule, pour peu qu’ elle soit « bien gouvernée ». Enfin certains se disent : périsse l’Europe,
536 ns d’une manière générale ceux qui ont compris qu’ ils vivent au xxe siècle, que le rêve d’une souveraineté nationale sans
537 és, et la jeunesse. Certes, on peut se demander s’ il est bien sûr que la CED telle qu’elle est, si prudente et respectueus
538 se demander s’il est bien sûr que la CED telle qu’ elle est, si prudente et respectueuse des droits de chacun des États membr
539 Et même en admettant qu’un Molotov se trompe, qu’ il surestime la CED, comment ne pas voir qu’au-delà de sa valeur militai
540 de sa valeur militaire — dont chacun souhaite qu’ elle n’ait jamais à faire les preuves — la CED ouvre toutes grandes les pe
19 1954, Articles divers (1951-1956). Fédéralisme et nationalisme (septembre-octobre 1954)
541 é sur tout le front des troupes, que les Français durent la victoire. Remarquez que ce cri, à ce moment-là, ne signifie point 
542 ne signifiera sous Lénine : « Vive la Russie ! » Il proclame un nouveau mythe. Il est comme une invocation à un dieu nouv
543  Vive la Russie ! » Il proclame un nouveau mythe. Il est comme une invocation à un dieu nouveau, une sorte de « Gott mit u
544 ment de l’idéologie, le tout au nom de la nation. Il confond dans une même répression la réaction qui veut le renverser, e
545 n est sa réponse à tout. Que personne ne diffère, il deviendrait mon juge ! pense l’État idéologique, né d’une révolution
546 ression et de guerre civile larvée, à l’extérieur elle va devenir un instrument de guerre déclarée. Pourquoi la nation doit-
547 ologie de la nation est par essence conquérante : elle veut apporter la Liberté aux autres peuples, par la force au besoin.
548 l’instinct patriotique est mis en jeu et bientôt il se voit réquisitionné et mobilisé par l’État : nous assistons à la pr
549 smes locaux ! Notons au passage que la guerre, qu’ elle soit civile ou étrangère, froide ou déclarée, justifie toujours le sa
550 acrifice « temporaire » de certaines libertés. Or il n’est presque aucune de ces mesures d’urgence, prises par l’État, qu’
551 non seulement conduit à la guerre, mais trouve en elle les conditions du renforcement continuel de son pouvoir. Mais voici q
552 national est « un dans la marche de l’Histoire ». Il se fait par sa propre activité, s’épanouit, atteint sa pleine vigueur
553 ipe, non à en jouir… Chacun a son principe auquel il tend comme à sa fin. Une fois cette fin atteinte, il n’a plus rien à
554 tend comme à sa fin. Une fois cette fin atteinte, il n’a plus rien à faire dans le monde. » Et encore : « À chaque époque
555 tion, une fois doué de toute la personnalité dont il tend à priver les hommes réels, comment va-t-il se comporter dans le
556 t il tend à priver les hommes réels, comment va-t- il se comporter dans le monde ? L’idéal primitif de la nation, confisqué
557 ur leurs sujets. À cette fin, chacun prétendra qu’ il incarne « le plus haut concept de l’esprit ». Pour la Prusse, l’idée
558 n’en tirera la conclusion, une fois vaincue, « qu’ elle n’a plus rien à faire au monde », comme le disait Hegel. Les guerres
559 avaient de comptes à rendre qu’à Dieu seul — mais il n’y a plus de Dieu au-dessus des nations. Le droit divin se traduit d
560 alliances ou traités de commerce révoqués dès qu’ ils ne payent plus. C’est ainsi qu’une demi-douzaine d’« États-gangsters 
561 es nations », et de « droit international », mais il est clair que ces États-nations-Individus rendent tout ordre internat
562 impossible en principe et par définition, puisqu’ ils n’acceptent aucune instance supérieure à leurs « droits » et limitant
563 vivra sur cette absurdité fondamentale. En 1914, elle en mourra. Mais comment cette absurdité a-t-elle pu triompher pendant
564 elle en mourra. Mais comment cette absurdité a-t- elle pu triompher pendant un siècle et plus ? En singeant la religion et s
565 hintoïsme, n’attaquera même pas le christianisme, elle se contentera de l’annexer dans les occasions décisives. Lorsqu’un Ma
566 nts et agnostiques « oubliant ce qui les divise » doivent se sentir « Français d’abord », nulle Église ne proteste contre cette
567 ieu bien réel, et que l’on croit vraiment, puisqu’ il peut exiger le sacrifice de la vie même du citoyen. Mais que nous off
568 de la vie même du citoyen. Mais que nous offre-t- il en échange de nos vies ? Une certaine communion vague et puissante, q
569 té dans une espèce de transcendance. À vrai dire, il s’agit encore d’un égoïsme, mais tellement élargi qu’il en devient ve
570 git encore d’un égoïsme, mais tellement élargi qu’ il en devient vertu. On l’enseigne dans les écoles sous le nom de « patr
571 e dans les écoles sous le nom de « patriotisme ». Il est admis que tout orgueil, toute vanité, et jusqu’aux vantardises le
572 de naître. Ce que nul n’oserait dire de son moi, il a le devoir sacré de le dire de son nous. Pourtant, cette religion na
573 re. Ce que nul n’oserait dire de son moi, il a le devoir sacré de le dire de son nous. Pourtant, cette religion nationale deme
574 st un dieu lointain, qui demande beaucoup plus qu’ il ne donne, infiniment plus, à l’absurde. Principe de haine, plus que d
575 ue d’amour, la nation revendique des absolus dont il est manifeste qu’elle est spirituellement indigne et matériellement i
576 n revendique des absolus dont il est manifeste qu’ elle est spirituellement indigne et matériellement incapable : celui de la
577 depuis lors se trouve devant ce choix, dont nous devons la rendre consciente : ou bien aller vers la formule fédéraliste, qui
578 oirs locaux, dévaloriser les frontières ; ou bien il faut aller jusqu’au bout de la logique instituée par les jacobins, et
579 alité un fanatique de la religion de la nation. S’ il n’était pas aveuglé par la superstition jacobine, il verrait comme no
580 n’était pas aveuglé par la superstition jacobine, il verrait comme nous tous que la souveraineté absolue n’est qu’un mythe
581 es par le droit applicable à chaque domaine ». Or il n’est pas un seul État européen qui, de nos jours, ait conservé la fa
582 servé la faculté d’agir à sa guise à l’extérieur. Il n’en est pas un seul qui soit capable de déclarer la guerre ou de con
583 e déclarer la guerre ou de conclure la paix comme il l’entend, d’assurer seul sa prospérité, de se défendre seul pendant p
584 du siècle, techniques, économiques et politiques. Il en résulte que la souveraineté nationale, vis-à-vis de l’extérieur, n
585 aine des forces réelles et des pouvoirs concrets, elle est devenue le réceptacle où se recueillent pêle-mêle nostalgies de g
586 trée, et surtout angoisse de perdre son identité. Elle a donc pris les caractères cliniques d’un complexe. D’où la difficult
587 ècle, et même de les apercevoir. D’où la prise qu’ ils offrent aux manœuvres les plus grossières du communisme, jouant sur l
588 e perdre une puissance magique qui n’existe pas ! Il s’agit beaucoup moins de le réfuter que d’éviter d’exciter sa névrose
589 oncrète, encore moins par ses limites naturelles. Il suffit de constater que la forme de l’État est à peu près la même de
590 ion que j’indiquais plus haut. Quant à la Langue, elle ne correspond historiquement et géographiquement ni à la Patrie, ni à
591 anon et Saint-Germain, pour ne citer que ceux-là. Elle sert de prétexte au premier nigaud venu pour mettre en doute la possi
592 ministratives, patries locales, nation et langue, il a voulu imposer ce carcan aux réalités économiques. C’est ainsi que l
593 charbon est devenu français ou allemand selon qu’ il se trouvait d’un côté ou de l’autre de la frontière linguistique, idé
594 urs libertés concrètes à sa liberté abstraite, qu’ il nomme indépendance nationale. Le nationalisme a réussi à faire croire
595 même en URSS. Tout comme la souveraineté absolue, elle ne représente rien d’autre qu’une tendance psychologique morbide, un
596 sous Staline, d’une biologie marxiste. Ces excès doivent nous rendre attentifs à l’usage courant qu’ils prolongent. Si nous cr
597 oivent nous rendre attentifs à l’usage courant qu’ ils prolongent. Si nous croyons qu’il est une « culture nationale », fran
598 age courant qu’ils prolongent. Si nous croyons qu’ il est une « culture nationale », française ou danoise, par exemple, com
599 , les arts et la philosophie, pourquoi n’y aurait- il pas une biologie soviétique et une algèbre allemande ? Ce que l’on do
600 moyen du colonialisme. Mais dans le même temps qu’ il portait à son apogée la puissance mondiale des Européens, le national
601 adence. D’une part, chez les peuples lointains qu’ il venait de coloniser et d’humilier, il suscitait un esprit de révolte
602 ointains qu’il venait de coloniser et d’humilier, il suscitait un esprit de révolte et d’« indépendance nationale » qui al
603 ssée contre la France impérialiste. D’autre part, il épuisait l’Europe en y provoquant des guerres de plus en plus totales
604 des guerres de plus en plus totales, à mesure qu’ il se faisait lui-même de plus en plus totalitaire. Si l’Europe, entre 1
605 ute de potentiel, le recul mondial que l’on sait, elle le doit, à un double titre, au nationalisme : à celui qu’elle a susci
606 otentiel, le recul mondial que l’on sait, elle le doit , à un double titre, au nationalisme : à celui qu’elle a suscité contr
607 , à un double titre, au nationalisme : à celui qu’ elle a suscité contre elle au-dehors, à celui qu’elle a pratiqué au-dedans
608 u nationalisme : à celui qu’elle a suscité contre elle au-dehors, à celui qu’elle a pratiqué au-dedans. En revanche, le fédé
609 ’elle a suscité contre elle au-dehors, à celui qu’ elle a pratiqué au-dedans. En revanche, le fédéralisme a produit deux témo
610 ospères et les plus pacifiques de l’ère moderne : ils n’ont provoqué aucune guerre. Toutes les dernières guerres, sans aucu
611 x de l’Histoire, la cause paraît jugée. Qu’en est- il au regard de l’avenir ? Le nationalisme apparaît en pleine contradict
612 ture indispensable d’un grand marché continental, il entretient dans les pays protectionnistes une économie malsaine, de p
613 ique mal compris opposent à l’union de l’Europe ; il est devenu au surplus une forme de pensée réactionnaire, un système d
614 ces rigides et définies d’abord par leur contour. Elle conçoit les rapports humains et politiques comme un complexe de tensi
615 comme autant de contradictions insupportables, qu’ il faut tenter de réduire à l’uniformité si l’on ne peut les isoler par
616 en interaction, non par entités statiques, et qu’ elle a substitué au principe de non-contradiction qui bloquait le progrès
617 ces physiques, le principe de complémentarité. Qu’ il s’agisse de la théorie des jeux appliquée par von Neumann à la politi
618 cette méthode est typiquement fédéraliste, puisqu’ elle consiste à rechercher le meilleur équilibre « en tension » de deux gr
619 is leur individualité et leur relation créatrice. Il serait bien utile de prolonger ce parallèle dans le domaine de la bio
620 sément celle que la science moderne a conçue ; et il suppose un monde de relations libres et décentralisées qui est précis
621 eulement en prise avec l’époque, si je puis dire, il est aussi dans le droit fil des traditions les plus fécondes de l’Occ
622 e n’y voit qu’une dispersion qui l’angoisse et où il craint de perdre son identité. Le fédéraliste au contraire y voit une
623 tégie et tactique du fédéralisme Et cependant, il nous faut bien admettre que ces nationalistes condamnés en principe,
624 même, en fait, plus nombreux que nous en Europe. Il nous faut faire l’Europe en dépit d’eux, mais nous ne pouvons la fair
625 avantages du nombre, d’une routine centenaire (qu’ ils prennent à tort pour la tradition), du sentimentalisme cocardier, enc
626 e l’appui d’intérêts privés décidés à payer ce qu’ il faut. Mais nous avons sur eux l’avantage important de défendre une ca
627 eux l’avantage important de défendre une cause qu’ ils n’osent pas attaquer : celle de l’union européenne. Il est clair que
628 osent pas attaquer : celle de l’union européenne. Il est clair que tous les obstacles à cette union viennent de l’esprit n
629 it nationaliste, jacobin et paratotalitaire. Mais il est clair aussi que les nationalistes n’osent pas se déclarer contre
630 onalistes n’osent pas se déclarer contre l’union. Ils la sabotent, en fait, sous différents prétextes, mais ils lui rendent
631 abotent, en fait, sous différents prétextes, mais ils lui rendent l’hommage d’une adhésion de principe. M. Herriot est l’un
632 nt la stratégie fédéraliste. Quant à la tactique, elle doit tenir compte du fait que nous ne sommes pas seuls en Europe, et
633 stratégie fédéraliste. Quant à la tactique, elle doit tenir compte du fait que nous ne sommes pas seuls en Europe, et que l
634 meuse querelle de la souveraineté nationale. Faut- il la sacrifier ? Suffit-il de la limiter ? Ou bien peut-on la conserver
635 eraineté nationale. Faut-il la sacrifier ? Suffit- il de la limiter ? Ou bien peut-on la conserver tout en faisant l’Europe
636 s nationalistes, comme M. Herriot, nous disent qu’ ils veulent bien d’une Europe unie, à condition qu’elle respecte les souv
637 ls veulent bien d’une Europe unie, à condition qu’ elle respecte les souverainetés nationales. Ce qui revient à dire : « Je v
638 ement, cette attitude est absurde ; pratiquement, elle conduit à refuser toute proposition concrète d’union — on vient de le
639 ar le rejet de la CED. Ceci dit, les fédéralistes doivent -ils engager la bataille sur le thème de « l’abandon des souverainetés
640 jet de la CED. Ceci dit, les fédéralistes doivent- ils engager la bataille sur le thème de « l’abandon des souverainetés » ?
641 ut à l’heure. J’estime donc que les fédéralistes doivent refuser le faux dilemme : souveraineté ou fédération. Et sur la base
642 ntre les cantons souverains étaient trop lâches : elles ne permettaient pas une défense commune efficace. Tout le monde admet
643 expressément cette souveraineté, en même temps qu’ elle en délègue partiellement l’exercice au pouvoir fédéral. Voici les tex
644 itée par la constitution fédérale, et comme tels, ils exercent tous les droits qui ne sont pas délégués au pouvoir fédéral.
645 ent pragmatique ou doctrinaire. Un fait demeure : il n’est pas de constitution plus fédéraliste que celle de la Suisse, et
646 s fédéraliste que celle de la Suisse, et pourtant elle garantit la souveraineté de ses membres ! Souveraineté plus ou moins
647 vide, la Constitution suisse a gardé le concret : elle a créé une souveraineté nouvelle et bien réelle au niveau de la fédér
648 jourd’hui. Tout cela nous indique une voie : nous devons désormais concentrer nos efforts sur la mise en discussion et sur la
649 comment vont réagir les nationalistes. Là encore, ils vont soulever une controverse purement verbale. Ils vont réclamer, au
650 s vont soulever une controverse purement verbale. Ils vont réclamer, au lieu de la fédération, une simple confédération, cr
651 isme n’est pas plus libéral que planificateur, et il doit refuser ce faux dilemme, pour la même raison qu’il refuse de cho
652 e n’est pas plus libéral que planificateur, et il doit refuser ce faux dilemme, pour la même raison qu’il refuse de choisir
653 t refuser ce faux dilemme, pour la même raison qu’ il refuse de choisir entre les autonomies régionales absolues et l’unifi
654 t sans cesse réajustée de distinguer entre ce qui doit être mis en commun pour mieux fonctionner, et ce qui doit rester auto
655 e mis en commun pour mieux fonctionner, et ce qui doit rester autonome pour mieux vivre et créer. Économiquement, cela se tr
656 — Deux mots enfin sur le problème de la culture. Il est une phrase que je retrouve dans tous les plans et projets « cultu
657 les États, par l’Unesco, et même par Strasbourg : il s’agit, nous dit-on, « d’organiser des échanges culturels entre natio
658 eur des plus dangereux réflexes nationalistes. S’ il existait vraiment des cultures nationales, il y aurait intérêt à favo
659 de nos États actuels, pour l’excellente raison qu’ elle existait bien avant eux. Elle a précédé de mille à deux-mille ans la
660 xcellente raison qu’elle existait bien avant eux. Elle a précédé de mille à deux-mille ans la tentative de morceler notre hé
661 hanges contrôlés et officiels de nation à nation. Elle est née dans des foyers locaux qui ne correspondent à aucun de nos Ét
662 exemple, puis Florence ou Paris, Bâle ou Oxford. Elle s’est propagée librement de l’un à l’autre de ces foyers. Et grâce à
663 étuelle, toutes ses formes nous sont communes, qu’ il s’agisse de la symphonie ou du concerto, du roman ou du sonnet, de l’
664 tant qu’Anglais. Et je ne suis pas du tout sûr qu’ il faille « apprendre à nos peuples à se mieux connaître » par le truche
665 enfance la méfiance et la haine de leurs voisins. Il résulte de ces brèves remarques que préconiser comme on fait des écha
666 est par essence un phénomène d’échanges libres ; elle meurt d’être enfermée dans des cadres administratifs ou nationaux ; e
667 rveillée des échanges de prison à prison que nous devons exiger mais l’élargissement immédiat et sans condition du prévenu — j
668 dirons : qu’est-ce que votre « génie national » s’ il a besoin d’être entouré par des douaniers pour ne pas se perdre ?
669 r comment l’analyse fédéraliste, en même temps qu’ elle rend compte des causes nationalistes de la décadence de l’Europe, dég
670 s chaque cas, mes conclusions ont été pareilles : elles tendent toutes à nous persuader que, désormais, le fédéralisme europé
671 persuader que, désormais, le fédéralisme européen doit concentrer tout son effort sur un seul objectif décisif : la Constitu
672 le en théorie avec une tactique fédéraliste. Mais elle a conduit à l’échec. Elle a servi de prétexte à trop de marchandages
673 tique fédéraliste. Mais elle a conduit à l’échec. Elle a servi de prétexte à trop de marchandages entre les vraies forces d’
674 phé, lors du refus de la CED. Nous voyons donc qu’ il n’est pas plus facile de faire l’Europe par pièces et morceaux, que d
20 1955, Articles divers (1951-1956). Une présence (1955)
675 ctuels occidentaux et asiatiques nous répètent qu’ il est impossible de résister au fanatisme politique sans devenir soi-mê
676 s ce n’est qu’un risque. Et pourtant, à certains, il apparaît si grand que par crainte de le courir ils choisissent de ne
677 il apparaît si grand que par crainte de le courir ils choisissent de ne point résister du tout, et de s’inscrire par exempl
678 ait : celui de notre Rassemblement. Peut-être a-t- il contribué plus qu’on ne le croit à changer l’atmosphère de l’après-gu
679 re déifiée. Les hommes libres se sentaient seuls. Ils ont trouvé le lieu où l’on peut se fédérer sans renoncer à sa vocatio
21 1955, Articles divers (1951-1956). Reynold et l’Europe (1955)
680 d’une menace totale à laquelle, pour faire face, il fallait d’abord croire. Ce fut là son mérite historique. Et si les fa
681 ’homme, parce que Reynold a eu raison et parce qu’ il a su se faire entendre. Cités et pays suisses et Conscience de la Sui
682 s toutes nos réalités se moquent de ces excuses : il n’est que de regarder la carte. Tout nous rattache dans le passé, com
683 e, comme se trouve être la seule Suisse, et comme elle encore travaillée dans les profondeurs du passé, dans cet inconscient
684 de l’étude d’une Europe romano-germanique, n’est- il pas frappant de constater qu’elles résument l’expérience fédérale et
685 germanique, n’est-il pas frappant de constater qu’ elles résument l’expérience fédérale et fédéraliste de la Suisse ? De l’Eur
22 1955, Articles divers (1951-1956). Rien n’est perdu, tout reste à faire (janvier 1955)
686 qu’on la rejetait, sous prétexte de rejeter ce qu’ elle seule pouvait empêcher. Le moyen de décrire plus simplement ce vertig
687 re plus simplement ce vertige de contradictions ? Il y faudrait une parabole. En voici une. Il y avait une fois des député
688 e. En voici une. Il y avait une fois des députés. Ils étaient très effrayés par une maladie dont ils craignaient la contagi
689 s. Ils étaient très effrayés par une maladie dont ils craignaient la contagion, et qu’ils nommaient réarmement allemand. On
690 maladie dont ils craignaient la contagion, et qu’ ils nommaient réarmement allemand. On leur proposa un vaccin. Ayant remar
691 de ce vaccin évoquait le nom de la maladie, comme il arrive en général, ils votèrent contre le remède. Aussitôt le mal se
692 le nom de la maladie, comme il arrive en général, ils votèrent contre le remède. Aussitôt le mal se déclara. Mais pour quel
693 se déclara. Mais pour quelque raison mystérieuse, ils en parurent soulagés. Laissant aux historiens futurs le soin de tirer
694 ion européenne, comme on l’a répété bien à tort : il montre simplement qu’une partie d’un parlement (devenue majorité grâc
695 i demeure intacte après leur vote. — En revanche, il est douteux que les accords de Londres représentent « un premier pas
696 ropéenne », comme on l’a dit à Washington, puisqu’ ils renoncent à affirmer le principe supranational. En résumé : rien n’es
697 la CED — par complaisance à une double illusion : ils ont cru que le travail éducatif en profondeur, lent par nature, repré
698 ar nature, représenterait une perte de temps ; et ils ont cru que la propagande pour l’idée européenne était faite. Examino
699 ont pas hésité un instant à agiter les passions : ils ont gagné contre la CED. Où était l’illusion dans tout cela ? Nous po
700 ns tout cela ? Nous pouvons le voir aujourd’hui : elle consistait à croire qu’il est plus facile de faire l’Europe par pièce
701 le voir aujourd’hui : elle consistait à croire qu’ il est plus facile de faire l’Europe par pièces et morceaux que de la fa
702 que de la faire dans un seul élan fédérateur : qu’ il est plus facile de tourner les obstacles que de les attaquer là où il
703 e tourner les obstacles que de les attaquer là où ils sont : dans les routines de l’esprit nationaliste, autant et plus que
704 n ne se ferait. L’Europe unie est une révolution. Elle doit passer par tous les stades préparatoires des révolutions réussie
705 se ferait. L’Europe unie est une révolution. Elle doit passer par tous les stades préparatoires des révolutions réussies.
23 1956, Articles divers (1951-1956). Réponse à l’enquête « Pour une bibliothèque idéale » (1956)
706 « Pour une bibliothèque idéale » (1956)ae af S’ il s’agissait de nommer les cent grands livres de l’humanité (ceux que l
707 ’écrits de ces trois ordres que dans la mesure où ils ont fixé la rhétorique de l’une de nos langues nationales. (Il faudra
708 a rhétorique de l’une de nos langues nationales. ( Il faudrait ajouter les traductions de la Bible en Angleterre et en Alle
709 cette notice : « Né en 1906. Brillant essayiste, il s’est fait l’ardent défenseur du mouvement fédéraliste : Le Paysan d
24 1956, Articles divers (1951-1956). L’Association européenne des festivals de musique a cinq ans (1956)
710 nir, une diminution du nombre des festivals. Mais il faut sauvegarder à tout prix la qualité et le prestige des meilleurs.
711 rt de la routine des programmes de l’hiver et qui doit créer une atmosphère spéciale, à laquelle contribuent non seulement l
712 e a présidé à la formation de notre association : il s’agissait de présenter l’ensemble des meilleurs festivals comme une
713 au public un guide unique en son genre, parce qu’ il permet à l’amateur de s’orienter vers la qualité, de se composer selo
714 eux de la musique européenne, et d’être assuré qu’ il ne sera pas déçu, et qu’il ira vraiment d’une fête à l’autre. L’échan
715 e, et d’être assuré qu’il ne sera pas déçu, et qu’ il ira vraiment d’une fête à l’autre. L’échange de « créations », de spe
716 ion, favorise le renouvellement des programmes et doit stimuler l’esprit créateur des artistes contemporains. La création d’
717 re dix-sept des meilleurs festivals de huit pays. Elle fournit ainsi un exemple, encore modeste, mais convaincant, de cette
718 , mais convaincant, de cette union européenne qui doit s’opérer dans les cœurs avant de pouvoir s’établir dans les faits, po
719 ue, création la plus typique de l’Europe, n’était- elle pas faite pour manifester la première cette communauté profonde des r
25 1956, Articles divers (1951-1956). « Je vivais en ce temps-là… » (janvier 1956)
720 ine très savamment discrète de la rue de l’Odéon. Il n’était pas lieu de Paris que j’avais l’impression de mieux connaître
721 idée commerciale…) Bien des années plus tard, je devais découvrir que le culte des Lettres chez Adrienne Monnier était à la f
722 ’ancêtre Claudel aux jeunes d’alors, tous ceux qu’ elle estimait défilèrent un à un devant l’objectif — bien nommé — de Gisèl
723 ienne, qu’on pourrait publier en album, ne ferait- il pas un bel hommage à sa mémoire ? Il faudrait y ajouter les descripti
724 m, ne ferait-il pas un bel hommage à sa mémoire ? Il faudrait y ajouter les descriptions vivaces, incisives et toujours am
725 ptions vivaces, incisives et toujours amicales qu’ elle donna de plusieurs des modèles dans son Navire d’argent et sa Gazette
726 quel savoureux naturel ! Aurions-nous perdu avec elle ce qu’elle a servi mieux qu’elle-même, et plus gracieusement que pers
727 reux naturel ! Aurions-nous perdu avec elle ce qu’ elle a servi mieux qu’elle-même, et plus gracieusement que personne ? ag
26 1956, Articles divers (1951-1956). Tableau du phénomène courtois (janvier 1956)
728 d’observations nouvelles. Le lecteur va juger si elles infirment ou si au contraire elles élargissent pour mieux l’asseoir m
729 ur va juger si elles infirment ou si au contraire elles élargissent pour mieux l’asseoir ma thèse originelle, que je réitère,
730 raire approfondir, tout en la précisant autant qu’ il est possible, la problématique de l’amour courtois — parce que je la
731 mpes sacrales de l’Église un spiritualisme épuré, ils aboutissent parfois, plus ou moins consciemment, à des doctrines natu
732 issent et souffrent la passion au moins autant qu’ ils ne parviennent à la transmuer en vertus et en vérités théologiques. S
733 professent que l’homme étant divin, rien de ce qu’ il fait avec son corps — cette part du diable — ne saurait engager le sa
734 naît dans le Midi de la France, patrie cathare : elle célèbre la Dame des pensées, l’idée platonicienne du principe féminin
735 a comtesse de Tripoli, « princesse lointaine » qu’ il aime sans l’avoir jamais vue. Et Joachim de Flore annonce que l’Espri
736 au même désir profond, surgi de l’âme collective. Il fallait « convertir » ce désir, tout en se laissant porter par lui, m
737 s précise : « Si Marie eût été conçue sans péché, elle n’aurait pas eu besoin d’être rachetée par Jésus-Christ. » Le culte d
738 . Enfin, voici un dernier trait dont on verra qu’ il est tout impossible de le rattacher latéralement aux précédents. C’es
739 ur pour la femme se trouve partiellement libéré : il peut s’avouer sous la forme d’un culte rendu à l’archétype divin de l
740 tte Déesse-Mère ne cesse pas d’être virginale, qu’ elle échappe donc à l’interdit maintenu sur la femme de chair. L’union mys
741 ’homme en ce temps-là, nous constatons d’abord qu’ il se trouve impliqué bon gré mal gré dans la lutte qui divise profondém
742 le mariage est tenu pour sacrement, cependant qu’ il repose en fait sur des bases d’intérêt matériel et social, et se voit
743 el et social, et se voit imposé aux époux sans qu’ il soit tenu compte de leurs sentiments. En même temps, le relâchement d
744 st comme une résultante de tant de confusions qui devaient s’y nouer, qu’apparaît la cortezia, « religion » littéraire de l’Amou
745 me poète un adorateur enthousiaste de la Dame, qu’ il exalte, et un contempteur de la femme, qu’il rabaisse : qu’on se rapp
746 , qu’il exalte, et un contempteur de la femme, qu’ il rabaisse : qu’on se rappelle seulement les vers d’un Marcabru ou d’un
747 ntradiction, ne s’en plaignent pas ! On dirait qu’ ils ont trouvé le secret d’une conciliation vivante des inconciliables. I
748 et d’une conciliation vivante des inconciliables. Ils semblent refléter, mais en la surmontant, la division des consciences
749 geois étaient « croyantes » et savaient — bien qu’ elles fussent mariées — que le mariage était condamné par leur Église. Beau
750 s l’air depuis deux-cents ans. Dans tous les cas, ils chantaient pour des châtelaines dont il fallait apaiser par des chans
751 les cas, ils chantaient pour des châtelaines dont il fallait apaiser par des chansons la mauvaise conscience, et qui leur
752 ur sincère qu’un antipode spirituel au mariage où elles avaient été contraintes. Le même auteur ajoute qu’à son avis, « il n
753 traintes. Le même auteur ajoute qu’à son avis, «  il n’est pas question de voir dans la chasteté, ainsi feinte, une habitu
754 s modernes, en effet, depuis Rousseau, croient qu’ il existe une sorte de nature normale, à laquelle la culture et la relig
755 de ce fait, aisément confondues avec l’instinct. Elles furent tantôt des artifices cruels, tantôt des rites sacrés ou des ge
756 cellence une technique, bien que fondamentalement il soit une métaphysique et une mystique… La méditation éveille certaine
757 forment le corps humain en un corps mystique.16 Il s’agit, par le cérémonial du yoga tantrique, de transcender la condit
758 vajroli mudra) qui détruit la Ténèbre du monde et doit être tenu pour le secret des secrets. » Les précisions données par le
759 (ou reprend) sa semence dans son corps, qu’aurait- il à craindre de la mort ? » comme le dit un upanishad. Dans le tantrism
760 quel débauché. » Mais la femme, dans tout cela ? Elle reste objet d’un culte. Considérée comme « source unique de joie et d
761 os, l’amante synthétise toute la nature féminine, elle est mère, sœur, épouse, fille… elle est le chemin du salut »20. Ainsi
762 ure féminine, elle est mère, sœur, épouse, fille… elle est le chemin du salut »20. Ainsi le tantrisme apporte cette nouveaut
763 et difficile apprentissage ascétique… Le néophyte doit servir la « femme dévote » pendant les quatre premiers mois, comme un
764 mme un domestique, dormir dans la même chambre qu’ elle , puis à ses pieds. Pendant les quatre mois suivants et tout en contin
765 ts et tout en continuant à la servir comme avant, il dort dans le même lit, du côté gauche. Pendant encore quatre mois, il
766 lit, du côté gauche. Pendant encore quatre mois, il dormira du côté droit, après ils dormiront enlacés, etc. Tous ces pré
767 core quatre mois, il dormira du côté droit, après ils dormiront enlacés, etc. Tous ces préliminaires ont pour but « l’auton
768 exaltation mystique et la béatitude à travers une Elle qu’il s’agit de « servir » en posture humiliée, mais en gardant cette
769 on mystique et la béatitude à travers une Elle qu’ il s’agit de « servir » en posture humiliée, mais en gardant cette maîtr
770 de purs « rhétoriqueurs23 ». D’Amour, je sais qu’ il donne aisément grande joie à celui qui observe ses lois, dit le premi
771 fasse longtemps attendre et que je n’aie point d’ elle ce qu’elle m’a promis. (Marcabru.) Voici le Service de la Dame : Pr
772 temps attendre et que je n’aie point d’elle ce qu’ elle m’a promis. (Marcabru.) Voici le Service de la Dame : Prenez ma vie
773 oigné de l’amour coupable et de son « angoisse ». Il va plus loin dans la libération : la présence physique de l’objet aim
774 ndifférente : J’ai une amie, mais je ne sais qui elle est, car jamais de par ma foi je ne la vis… et je l’aime fort… Nulle
775 bératrice du désir dominé par Mesure et Prouesse, elle est aussi fontaine de Jouvence : Je veux garder (ma dame) pour me ra
776 Dame. Et Guiraut de Calenson : Dans le palais où elle siège (la Dame) sont cinq portes : celui qui peut ouvrir les deux pre
777 x premières passe aisément les trois autres, mais il lui est difficile d’en sortir. Il vit dans la joie, celui qui peut y
778 is autres, mais il lui est difficile d’en sortir. Il vit dans la joie, celui qui peut y rester. On y accède par quatre deg
779 vir, patiemment attendre.25 Quant à Faux Amour, il se voit vertement dénoncé par Marcabru et ses successeurs, en des ter
780 de ses aspects. Et tout d’abord, dit Marcabru, «  Il lie partie avec le diable, celui qui couve Faux Amour ». (Et en effet
781 couve Faux Amour ». (Et en effet, le diable n’est- il pas le père de la création matérielle… et de la procréation, selon le
782 faux abbés, fausses recluses et faux reclus »26. Ils seront détruits « soumis à toute ruine », et tourmentés en enfer. No
783 et tourmentés en enfer. Noble Amour a promis qu’ il en serait ainsi, là sera la lamentation des désespérés. Ah ! noble Am
784 , corrompent les amants, les femmes et les époux. Ils vous disent qu’Amour va de travers, et c’est pourquoi les maris devie
785 louanges et d’interdits, demeure un fait patent : il suffit de lire. Elle va servir aux romanciers du Nord, ceux du cycle
786 dits, demeure un fait patent : il suffit de lire. Elle va servir aux romanciers du Nord, ceux du cycle d’Arthur, du Graal, e
787 Que cette hypothèse soit un jour vérifiée ou non, il n’en reste pas moins que l’origine manichéenne du Roman est attestée
788 hoisi ces deux cas, solidement attestés, parce qu’ ils réfutent le préjugé moderne en vertu duquel toute communication entre
789 e manichéisme bouddhiste, et les hérésies du Midi doit apparaître « hautement fantaisiste et improbable ». 7. En lieu et
790 autant plus brûlant — de la première adolescence. Il ressemble aussi à l’amour chanté par les poètes arabes, homosexuels p
791 a plupart, comme le furent plusieurs troubadours. Il s’exprime dans des termes qui seront repris par presque tous les gran
792 presque tous les grands mystiques de l’Occident. Il nous semble parfois se réduire à des fadaises sophistiquées, dans le
793 ées, dans le goût des petites cours du Moyen Âge. Il peut être purement rêvé, et beaucoup se refusent à y voir autre chose
794 fusent à y voir autre chose qu’un tournoi verbal. Il peut traduire aussi les réalités précises, mais non moins ambiguës, d
795 e, en pleine révolution de la psyché occidentale. Il a surgi du même mouvement qui fit remonter au demi-jour de la conscie
796 , le culte de la Femme, de la Mère, de la Vierge. Il participe de cette épiphanie de l’Anima, qui figure à mes yeux, dans
797 mme occidental, le retour d’un Orient symbolique. Il nous devient intelligible par certaines de ses marques historiques :
798 ou déclarée au concept chrétien du mariage. Mais il nous resterait indifférent s’il n’avait gardé dans nos vies, au trave
799 du mariage. Mais il nous resterait indifférent s’ il n’avait gardé dans nos vies, au travers des nombreux avatars dont nou
800 ur et l’Occident . (Nouv. édit. Plon. 1956). 12. Il faut avouer que les réfutations les plus virulentes qui aient été pub
801 t de certaines imprudences d’expression. (Ce sont elles , par malheur, qui ont le plus fait pour assurer le succès de l’ouvrag
802 s de l’ouvrage dans un large public pressé, comme il arrive.) 13. Comme Amor s’oppose à Roma. Les hérétiques reprochaient
803 étique et rythmique par cette double trahison. Qu’ il soit bien entendu que je n’épingle ici que des dépouilles de sens… 2
27 1956, Articles divers (1951-1956). Denis de Rougemont et l’amour-passion, phénomène historique (4 février 1956)
804 r l’origine de l’amour-passion et je m’aperçus qu’ il apparaissait pour la première fois clairement dans le mythe de Trista
805 stan. Dès lors je dépassais largement mon sujet : il ne s’agissait plus d’exposer ce que j’appelle la crise contemporaine
806 rmes, les autres aussi, jusqu’à la dégradation qu’ il subit de nos jours. J’ai tenté de le décrire comme un phénomène histo
807 est un sentiment historique, qui a une histoire. Il a des causes, des raisons. Peut-être eût-il pu ne pas exister. En tou
808 oire. Il a des causes, des raisons. Peut-être eût- il pu ne pas exister. En tout cas, il n’apparaît pas avant le xiie sièc
809 Peut-être eût-il pu ne pas exister. En tout cas, il n’apparaît pas avant le xiie siècle. Mais Ovide, Properce, Tibulle ?
810 bie ? Faites attention aux textes. Vous verrez qu’ il ne s’agit que d’amour charnel. Aucun texte de l’antiquité ne nous pré
811 e la passion est glorifiée dans la mesure même où elle est déraisonnable, où elle fait souffrir, où elle exerce ses ravages
812 dans la mesure même où elle est déraisonnable, où elle fait souffrir, où elle exerce ses ravages aux dépens du monde et de s
813 elle est déraisonnable, où elle fait souffrir, où elle exerce ses ravages aux dépens du monde et de soi. Pourquoi cette révo
814 uoi l’amour de l’amour et l’amour de la mort sont- ils apparus à ce moment-là ? Il faut relier l’amour courtois à l’hérésie
815 mour de la mort sont-ils apparus à ce moment-là ? Il faut relier l’amour courtois à l’hérésie néo-manichéenne. Ma thèse a
816 en notre possession. J’eus le bonheur de voir qu’ il confirmait ce que j’avais avancé. C’est pourquoi je propose aujourd’h
817 livre est celui d’un moraliste dans la mesure où il cherche à faire prendre conscience aux gens des motifs de leurs actes
818 à l’état inconscient habite toujours les esprits. Il n’est pas une femme qui ne rêve de connaître le grand amour, la passi
819 r-passion, les êtres sont dominés par leur amour. Ils ne peuvent pas ne pas s’aimer : un philtre, la beauté diabolique de l
820 a fatalité les contraint à s’aimer. Mais alors, s’ ils s’aiment malgré eux, poussés par une force extérieure qu’ils peuvent
821 t malgré eux, poussés par une force extérieure qu’ ils peuvent arriver à haïr, ils ne s’aiment pas vraiment ! J’aimerais que
822 e force extérieure qu’ils peuvent arriver à haïr, ils ne s’aiment pas vraiment ! J’aimerais que l’amour fût moins fatal et
823 isît davantage les gens qu’on aime : par volonté. Il faut unir Éros et Agapè. Et plus prosaïquement, rendre le mariage plu
824 -Unis, où ses livres ont un grand retentissement, il s’est maintenant fixé à Genève et s’occupe essentiellement d’économie
825 lement d’économie politique. La semaine dernière, il a toutefois retrouvé Paris pour quelques jours mais avec un emploi du
28 1956, Articles divers (1951-1956). Petits trajets sur les axes du monde (août 1956)
826 en une demi-heure, parfois en deux minutes comme il arrive quand on traverse le tunnel de Chexbres : il se ferme sur un p
827 arrive quand on traverse le tunnel de Chexbres : il se ferme sur un paysage de plateaux nordiques et rhénans — collines o
828 i bien que l’homme de poids y sera surtout local. Il sera le grand homme d’une vallée, d’une cité, plus rarement celui d’u
829 ens moyens, oui, disait Lucien Febvre, mais quand ils réussissent à se dégager de leur canton — alors, pas de milieu, ils a
830 se dégager de leur canton — alors, pas de milieu, ils atteignent à l’universel. Au fond de son trou, l’homme de Disentis, d
831 ge — entre les hautes parois de sa prison. Mais s’ il monte sur la montagne… Alors, cette ivresse des sommets. L’intuition
832 e ses trains locaux. Les trains suisses, bien qu’ ils vous conduisent en moins d’une heure d’un monde à l’autre, ne servent
833 plaine et d’océan de nuit où rien ne bouge. Comme il n’y a pas de place en Suisse pour un véritable voyage, on s’en tire e
834 i métaphorique. J’idéalise, mais pourquoi pas ? S’ il me fallait décrire nos petits déplacements du point de vue de l’usage
835 quelque usage ignoré du commun. Presque toujours elles étaient vides. En troisième, on retrouvait, comme je l’ai dit, les ge
836 son affaire, on était parfaitement « en règle », il fallait simplement « ne pas faire attendre », en vertu de cette disci
837 spect d’un wagon suisse de troisième classe, tant il respire naturellement l’honnêteté, tendrait à nous faire oublier que
838 lise… Dix années ont passé, et plus que jamais, s’ il faut que j’en croie mes yeux, la confiance règne. Mais ce miracle est
839 banalité que les Suisses le prennent pour banal. Ils pensent mener la vie normale du genre humain, l’anarchie et la guerre
840 Ainsi pensent les Français du climat tempéré dont ils jouissent à peu près seuls au monde, tandis que les déserts, les volc
841 Ce sont les cas d’ordre, de paix et de raison qui doivent nous étonner lorsqu’ils paraissent, phénomènes hautement improbables,
842 paix et de raison qui doivent nous étonner lorsqu’ ils paraissent, phénomènes hautement improbables, très rarement observés
843 arement observés sur la planète, et que la presse devrait mettre en vedette, au lieu de nous rebattre les oreilles du train-tra
844 laise qu’éprouvent les étrangers sensibles lorsqu’ ils prennent place dans nos trains locaux ? L’expérience de la vie new-yo
845 nconsciemment, comme si notre système de sécurité devait être à chaque instant vérifié, mis au point, méticuleusement nettoyé
846 rant de celui qui renonce à comprendre… Ah ! mais il faut y être pour sentir et pour réagir comme je le dis. Dès que je m’
847 je veux dire trop méfiant et même intolérant. Qu’ ils aient seulement l’air étonnés suppose déjà beaucoup de retenue… À pro
848 e, des menus incidents du trajet. On sent bien qu’ il a l’habitude. On dirait qu’il s’installe dans son bureau, et sa pensé
849 et. On sent bien qu’il a l’habitude. On dirait qu’ il s’installe dans son bureau, et sa pensée ne vagabonde pas, reste enfe
850 ui prétendent ne pas payer de supplément parce qu’ il n’y avait plus de place dans les troisièmes : ils ont l’air trop cont
851 ’il n’y avait plus de place dans les troisièmes : ils ont l’air trop contents d’être là, on les refoule. J’ai cru remarquer
852 à respecter le velours gris et dru des secondes : il a tort, c’est la classe vulgaire. Des jeunes femmes aux moues insolen
853 ylons ou de cette « Cadillac » promise, affirment- elles , par le jeune mâle placide qui leur fait face, mi-flatté, mi-gêné. Je
854 res. Je me décide à regagner les troisièmes. Mais il faut traverser un couloir de premières. Et je m’arrête, fasciné. Un v
855 ux monsieur en noir, au col rond, dur et haut, ce doit être un évêque anglican, somnole. En face de lui, la beauté même, « ô
856 voient juste. Ces gens traversent le pays comme s’ il n’existait pas, ils vont plus loin. Confirmation de la sentence ésoté
857 ens traversent le pays comme s’il n’existait pas, ils vont plus loin. Confirmation de la sentence ésotérique : l’œil qui ne
858 classe, en Suisse, je les nomme les imperméables. Ils traversent et passent, rien ne les touche. Ce sont aussi, et pour la
859 les trains qui vous croisent sont transparents s’ ils vont très vite ? On ne cesse de voir le paysage au travers.) Ils appa
860 ite ? On ne cesse de voir le paysage au travers.) Ils appartiennent au vaste monde dont je rêvais avec fièvre, à 12 ans, qu
861 sion, remaniée, de « La lutte des classes ». am. Il s’agit d’un extrait de la préface à la Confédération helvétique , que
29 1956, Articles divers (1951-1956). Un exemple pour l’Europe (octobre 1956)
862 t d’emprise sur les cantons que dans la mesure où elle se conformait à leurs volontés »27. La division des petits États, leu
863 tempérament pragmatique ou doctrinaire. En fait, elle a tranquillement supprimé le problème de la souveraineté cantonale (o
864 expressément cette souveraineté, en même temps qu’ elle la limite, ou plutôt qu’elle en délègue partiellement l’exercice au p
865 té, en même temps qu’elle la limite, ou plutôt qu’ elle en délègue partiellement l’exercice au pouvoir fédéral. Voici les tex
866 itée par la constitution fédérale et, comme tels, ils exercent tous les droits qui ne sont pas délégués au pouvoir fédéral.
867 re notre souveraineté ? Non : la recouvrer Est- il vrai que nos souverainetés doivent être abandonnées, si l’on veut fai
868 la recouvrer Est-il vrai que nos souverainetés doivent être abandonnées, si l’on veut faire l’Europe ? Est-il vrai qu’il y a
869 re abandonnées, si l’on veut faire l’Europe ? Est- il vrai qu’il y ait là un obstacle à l’Union ? Ces souverainetés ont-ell
870 là un obstacle à l’Union ? Ces souverainetés ont- elles quelques réalité et consistance, en dehors des débats où elles figure
871 s réalité et consistance, en dehors des débats où elles figurent comme prétexte à refuser les évidences européennes ? Voyons
872 e déclarer la guerre ou de conclure la paix comme il l’entend, d’assurer sa prospérité sans plus dépendre de l’étranger, d
873 constances techniques, économiques et politiques. Il en résulte que la souveraineté nationale n’a plus guère d’autre exist
874 omaine des forces réelles et de pouvoirs concrets elle est devenue le réceptacle où se recueillent pêle-mêle nostalgies de g
875 trée, et surtout angoisse de perdre son identité. Elle a donc pris les caractères cliniques d’un complexe. D’où la difficult
876 ècle, et même de les apercevoir. D’où la prise qu’ ils offrent aux manœuvres les plus grossières du communisme, jouant sur l
877 premier fut apporté par M. Ernst Friedlaender : «  Il faut dire franchement à nos nations qu’elles ne pourront sauver leur
878 der : « Il faut dire franchement à nos nations qu’ elles ne pourront sauver leur individualité qu’en sacrifiant leur souverain
879 l’accent porte sur fictive.) C’est ainsi que l’on doit rassurer ceux qui tremblent, disent-ils, de voir leur patrie « se per
880 que l’on doit rassurer ceux qui tremblent, disent- ils , de voir leur patrie « se perdre dans la masse informe d’une Europe u
881 forme d’une Europe unie ». Le second argument est à M. Cotsaridas, publiciste grec : « Dans les domaines militaires, éc
882 ui les décisions principales et le peuple n’a sur elles aucun contrôle. Au contraire, les organisations supranationales, les
883 peuple car le peuple sera associé à leur gestion. Il importe d’expliquer cela aux masses, car ainsi sera dissipée la crain
884 suscite la perte de la souveraineté nationale. » Il n’est donc pas exact que nos nations, en vue de s’unir, doivent sacri
885 donc pas exact que nos nations, en vue de s’unir, doivent sacrifier ce qui subsiste de leur souveraineté nominale. Quant à l’es
886 inale. Quant à l’essentiel de cette souveraineté, elles l’ont perdu, et sans retour. À la question : pourquoi l’Europe unie ?
887 retour. À la question : pourquoi l’Europe unie ? il nous faut donc répondre maintenant : pour que l’Europe recouvre, entr
30 1956, Articles divers (1951-1956). Serrer la main d’un communiste, désormais… (10 novembre 1956)
888 du monde entier, nous demandons aide et secours. Il reste peu de temps. Vous connaissez les faits. Inutile de rappeler ce
889 étudiants et par les écrivains du cercle Petöfi, il n’a pas été répondu. Nous ne pouvions pas répondre, ils le savaient.
890 a pas été répondu. Nous ne pouvions pas répondre, ils le savaient. S’ils nous ont appelés, cependant, comprenons la consign
891 Nous ne pouvions pas répondre, ils le savaient. S’ ils nous ont appelés, cependant, comprenons la consigne ainsi transmise.
892 ependant, comprenons la consigne ainsi transmise. Ils voulaient que leur combat survive à leur défaite. Ce message doit êtr
893 ue leur combat survive à leur défaite. Ce message doit être entendu, cet appel propagé dans le monde entier. Chacun de nous
894 ppel propagé dans le monde entier. Chacun de nous doit maintenant y répondre. Chacun de nous peut faire quelque chose. Le mo
895 udapest a mis le communisme au ban de l’humanité. Il fallait tout d’abord le déclarer. Mais il faut en tirer les conséquen
896 manité. Il fallait tout d’abord le déclarer. Mais il faut en tirer les conséquences pratiques. Pour notre part, nous penso
897 Budapest. Discuter ses raisons, c’est oublier qu’ elles « justifient » nécessairement les massacres de Budapest. Continuer le
898 un s’interroge et décide librement de l’action qu’ il entend mener, dans sa sphère d’influence personnelle ou civique, cont
899 Congrès pour la liberté de la culture sachent qu’ ils trouveront ici des hommes qui n’oublient pas l’appel des écrivains de