1 1951, Articles divers (1951-1956). Faire la propagande de la liberté, c’est sauver notre culture (décembre 1950-janvier 1951)
1 isation peut mourir demain et que ce n’est pas là une phrase1. Nous sommes ici parce que nous savons tous que le salut rest
2 e quel est le principe simple qui a pu rassembler des hommes aussi divers à tant d’égards que ceux que vous voyez sur cette
3 ’espère bien que vous êtes de ceux qui se méfient des grands mots du genre de paix et de liberté et qui demandent à voir ce
4 t notre rôle d’intellectuels libres que de monter une garde vigilante et continue autour du sens humain, concret de ces gra
5 umain, concret de ces grands mots et d’entretenir une saine méfiance critique à l’égard de ceux qui en abusent. Tel est peu
6 a lutte contre la tyrannie et pour la liberté est une phase idéologique et nous savons que, dans ce domaine, la guerre est
7 s bien. D’autres que nous et avant nous ont lancé des appels pour la paix, de Stockholm, de Prague, de Varsovie tout récemm
8 la paix, car nous pensons qu’ils aiment la paix, un peu comme le chat aime la souris et nous avons des raisons très préci
9 un peu comme le chat aime la souris et nous avons des raisons très précises de le penser. Nous publierons à ce sujet bientô
10 de le penser. Nous publierons à ce sujet bientôt des textes que les grands chefs totalitaires de divers pays ont pris soin
11 ses appels à la paix n’est pas du tout de servir une paix durable, mais de donner un répit à l’armée russe pour renforcer
12 u tout de servir une paix durable, mais de donner un répit à l’armée russe pour renforcer ses armements. Vous pourrez juge
13 rez juger alors vous-mêmes qu’on n’aura jamais vu des loups déclarer avec moins de pudeur leur amour passionné pour les bre
14  ; on nous le présente maintenant devant le front des troupes dans l’intention de nous désarmer. Si vous n’êtes pas dans le
15 « paix », vous êtes, nous dit-on, pour la guerre. Des millions de naïfs dans nos pays, 14 millions en Europe, paraît-il, on
16 rope, paraît-il, ont succombé à ce raisonnement d’ une écrasante simplicité dans le sophisme. Et puis, vous le savez tous, t
17 nous a pris en otage, ce n’est pas la paix, c’est un mot. Il est très facile, à mon avis, de distinguer entre le mot paix
18 stant, encore, dans nos pays démocratiques, reste une lutte idéologique et qui le restera en dernière analyse, même si la g
19 ntervenir entre-temps. Nous sommes soumis, depuis un an, à ce que l’on a nommé une offensive de paix — d’un terme militair
20 ommes soumis, depuis un an, à ce que l’on a nommé une offensive de paix — d’un terme militaire bien caractéristique. Il s’a
21 , à ce que l’on a nommé une offensive de paix — d’ un terme militaire bien caractéristique. Il s’agit de ce qu’on appelait
22 Il s’agit de ce qu’on appelait jadis — naguère — une préparation d’artillerie. Quelle peut être notre riposte ? Je n’hésit
23 de nos élites, peut-être même sans raison : c’est une mission de propagande qui nous incombe au premier chef. Je désire m’e
24 enrôler, pour ainsi dire, au service de la santé des hommes. Utilisons de cette manière la propagande pour vacciner contre
25 pas opposer aux campagnes massives et mécaniques des totalitaires, des procédés de même nature. Nous n’opposerons pas au f
26 ampagnes massives et mécaniques des totalitaires, des procédés de même nature. Nous n’opposerons pas au fanatisme un autre
27 e même nature. Nous n’opposerons pas au fanatisme un autre fanatisme qui dans notre cas, serait absolument artificiel. Not
28 veiller les consciences. Il n’est pas de répandre une mystique qui promet la lune pour demain, mais de rappeler les hommes
29 s loin d’être parfaites, mais si nous les perdons un jour, nous penserons dans les camps qu’elles méritaient pourtant qu’o
30 urtant qu’on les défende. La démocratie n’est pas une panacée. Elle ne résout aucun des grands problèmes humains et personn
31 ratie n’est pas une panacée. Elle ne résout aucun des grands problèmes humains et personnels, mais s’ils sont un jour résol
32 problèmes humains et personnels, mais s’ils sont un jour résolus sans équivoque derrière les barbelés, nous comprendrons
33 ent pas… Pour nous, la défense de la paix suppose des moyens de liberté, elle suppose la libre discussion. Nous voulons des
34 é, elle suppose la libre discussion. Nous voulons des moyens conformes à notre fin et nous voulons cette fin parce que la l
35 i pensent que la culture consiste en somme à lire des romans, à se tenir un peu au courant, à jeter parfois un regard distr
36 e consiste en somme à lire des romans, à se tenir un peu au courant, à jeter parfois un regard distrait sur un tableau qua
37 ns, à se tenir un peu au courant, à jeter parfois un regard distrait sur un tableau quand on passe à la salle à manger ou
38 u courant, à jeter parfois un regard distrait sur un tableau quand on passe à la salle à manger ou à se consacrer à d’autr
39 dites distinguées de ce genre, je voudrais poser une simple question très précise et concrète. D’où vient que l’Europe ait
40 péninsule Europe ne représente, en effet, que 5 % des terres du globe. Ni son étendue, ni le nombre de ses habitants, ni se
41 fois de ses conceptions religieuses et morales, d’ un pouvoir d’invention sans égal et d’un système de lois garantissant de
42 morales, d’un pouvoir d’invention sans égal et d’ un système de lois garantissant de mieux en mieux les libertés de la per
43 ts ou les échanges économiques, voire même le jeu des partis politiques. L’été dernier, à Strasbourg, un ancien ministre fr
44 s partis politiques. L’été dernier, à Strasbourg, un ancien ministre français, déplorant, à juste titre, que l’Assemblée e
45 mblée européenne fût privée du droit de s’occuper des choses militaires et des choses économiques, s’écriait avec une sorte
46 ée du droit de s’occuper des choses militaires et des choses économiques, s’écriait avec une sorte de désespoir ironique, e
47 itaires et des choses économiques, s’écriait avec une sorte de désespoir ironique, et très sûr de son effet : « Notre Assem
48 rche. » Eh bien ! Cette phrase typique échappée à un homme d’État, d’autre part fort intelligent, mais surtout et plus enc
49 se ait paru toute naturelle, qu’elle reflète donc un état d’esprit courant, voilà qui prouve que notre culture n’est pas m
50 a lutte historique où nous sommes engagés qui est une lutte d’idées, de croyances, de conceptions du monde. Les totalitaire
51 evant le défi… Lorsque Staline rédige lui-même un long article en forme d’encyclique sur la science linguistique dans s
52 e linguistique dans son empire ou lorsqu’il lance une offensive contre la conception chrétienne du monde — sur une base pur
53 ve contre la conception chrétienne du monde — sur une base purement scientifique, déclare-t-il — avec l’aide de 500 000 pro
54 r ces armées veulent occuper bien autre chose que des terrains, elles veulent occuper le cœur et les esprits de ceux-là mêm
55 rits de ceux-là mêmes qui pourraient être appelés un jour à défendre l’Europe et qui ne le feront pas si le point de vue d
56 ix digne de ce nom sans, à la base et avant tout, un esprit de liberté vigilant et militant… La tâche est très vaste, c’es
57 orénavant, me semble-t-il, peut rendre à beaucoup un espoir. Quelques-uns répondent, enfin, pour tous ceux qui se taisent
58 part bien définie dans cette bataille commune est un acte de propreté, un acte vital aussi pour notre pensée même ; car si
59 s cette bataille commune est un acte de propreté, un acte vital aussi pour notre pensée même ; car si nous reculions devan
60 pourrions-nous encore penser écrire ou dire sans une honte intime, sans une sorte de mépris pour nous-mêmes ? 1. Ce te
61 penser écrire ou dire sans une honte intime, sans une sorte de mépris pour nous-mêmes ? 1. Ce texte est extrait du disc
2 1951, Articles divers (1951-1956). Comment fabriquer un Européen ?
62 Comment fabriquer un Européen ?b C’est absolument impossible. Et je vais essayer de dir
63 Cet homme sera tout ce qu’on voudra, mais jamais un Européen. À l’appui de cette thèse absolue, j’invoquerai tout d’abord
64 emandons-nous comment on fait pour fabriquer soit un Yankee, soit un citoyen des Soviets (il faut toujours partir des cas
65 mment on fait pour fabriquer soit un Yankee, soit un citoyen des Soviets (il faut toujours partir des cas les plus faciles
66 it pour fabriquer soit un Yankee, soit un citoyen des Soviets (il faut toujours partir des cas les plus faciles). Pour réus
67 t un citoyen des Soviets (il faut toujours partir des cas les plus faciles). Pour réussir un bon Américain moyen, ne prenez
68 rs partir des cas les plus faciles). Pour réussir un bon Américain moyen, ne prenez pas un Mohican : ces premiers habitant
69 our réussir un bon Américain moyen, ne prenez pas un Mohican : ces premiers habitants du bois et du rocher, seuls vrais Am
70 avec la fille de deux autres Européens. Attendez une génération. Répétez le processus quatre ou cinq fois. Lorsque Schmidt
71 éalogique. Déclarez qu’il descend en droite ligne des émigrants venus d’Angleterre sur le fameux bateau nommé le Mayflower.
72 rté plusieurs centaines de milliers d’émigrants : un Smith de plus ne la fera pas couler. Apprenez maintenant au jeune hom
73 ts avec du chewing-gum. Psychanalysez, agitez sur un rythme nègre, emballez (moralement) dans de la cellophane, et servez
74 de la cellophane, et servez frais. Pour fabriquer un Soviétique, c’est plus rapide. Prenez un Russe, passez-le au MVD — so
75 abriquer un Soviétique, c’est plus rapide. Prenez un Russe, passez-le au MVD — sorte de DDT moral nettoyant les idées subv
76 versives, et tirez le rideau. Mais pour fabriquer un Européen, que prendrez-vous ? Si vous mélangez toutes nos nationalité
77 nationalités, au hasard, vous obtiendrez au mieux des Américains manqués. Les mélanges arbitraires de couleurs donnent du b
78 s donnent du brun sale. Vous pouvez alors essayer des combinaisons plus savantes, deux par deux ou trois par trois. Vous po
79 élanger, par exemple, de la culture germanique et des Espagnols, du socialisme plus ou moins marxiste et des chrétiens, des
80 spagnols, du socialisme plus ou moins marxiste et des chrétiens, des Juifs anglais et des conservateurs, et cela donnera pa
81 cialisme plus ou moins marxiste et des chrétiens, des Juifs anglais et des conservateurs, et cela donnera parfois des produ
82 s marxiste et des chrétiens, des Juifs anglais et des conservateurs, et cela donnera parfois des produits remarquables : Or
83 ais et des conservateurs, et cela donnera parfois des produits remarquables : Ortega, Sir Stafford Cripps, Disraeli. Mais b
84 Mais beaucoup de combinaisons resteront stériles. Un mélange de catholiques et de juifs ne donnera pas des protestants ; p
85 mélange de catholiques et de juifs ne donnera pas des protestants ; pas plus qu’un mélange de Marx et de Maurras ne donnera
86 uifs ne donnera pas des protestants ; pas plus qu’ un mélange de Marx et de Maurras ne donnera des libéraux ; ou qu’un méla
87 us qu’un mélange de Marx et de Maurras ne donnera des libéraux ; ou qu’un mélange de Français et d’Allemands, des Suisses.
88 arx et de Maurras ne donnera des libéraux ; ou qu’ un mélange de Français et d’Allemands, des Suisses. Je n’entrevois aucun
89 ux ; ou qu’un mélange de Français et d’Allemands, des Suisses. Je n’entrevois aucun espoir d’obtenir par de tels procédés l
90 is pris vitaux ne sauraient être additionnés dans un seul homme. Ils ne pourraient que se neutraliser et s’annuler récipro
91 le par définition. Car si l’Américain tend à être une moyenne, si le sujet des Soviets est le produit d’un plan, l’Européen
92 l’Américain tend à être une moyenne, si le sujet des Soviets est le produit d’un plan, l’Européen est par essence un être
93 moyenne, si le sujet des Soviets est le produit d’ un plan, l’Européen est par essence un être qui diffère et tient à diffé
94 le produit d’un plan, l’Européen est par essence un être qui diffère et tient à différer de son voisin et des modèles fou
95 qui diffère et tient à différer de son voisin et des modèles fournis. Il n’existe donc pas, il ne peut exister d’Européen
96 éfauts contradictoires du continent. Il n’y a que des Français, des Danois, des Croates, des parpaillots, des mécréants et
97 ictoires du continent. Il n’y a que des Français, des Danois, des Croates, des parpaillots, des mécréants et des papistes ;
98 continent. Il n’y a que des Français, des Danois, des Croates, des parpaillots, des mécréants et des papistes ; des sociali
99 n’y a que des Français, des Danois, des Croates, des parpaillots, des mécréants et des papistes ; des socialistes suédois
100 ançais, des Danois, des Croates, des parpaillots, des mécréants et des papistes ; des socialistes suédois et luthériens, de
101 s, des Croates, des parpaillots, des mécréants et des papistes ; des socialistes suédois et luthériens, des anarchistes esp
102 des parpaillots, des mécréants et des papistes ; des socialistes suédois et luthériens, des anarchistes espagnols et athée
103 papistes ; des socialistes suédois et luthériens, des anarchistes espagnols et athées, des conservateurs autrichiens et cat
104 luthériens, des anarchistes espagnols et athées, des conservateurs autrichiens et catholiques ; des Monégasques insouciant
105 s, des conservateurs autrichiens et catholiques ; des Monégasques insouciants et des partisans motorisés de la paix concent
106 s et catholiques ; des Monégasques insouciants et des partisans motorisés de la paix concentrée. Il n’y a que des hommes ha
107 ans motorisés de la paix concentrée. Il n’y a que des hommes habitués à différer les uns des autres, et c’est tout cela qu’
108 n’y a que des hommes habitués à différer les uns des autres, et c’est tout cela qu’on nomme l’Europe. Et c’est pourquoi fa
109 ela qu’on nomme l’Europe. Et c’est pourquoi faire un Européen, ce serait tenter de faire quelque chose qui ne ressemblerai
110 n. Après tout, pourquoi voudrait-on « fabriquer » des Européens ? C’est uniquement parce que l’on veut unir les 25 États so
111 vrai problème. Pour la faire, il nous faut partir des quelque 300 millions d’hommes réels qui peuplent la partie libre du c
112 me à sa façon. Voilà ce qui les distingue en bloc des Russes et des Américains, voilà le principe paradoxal de leur communa
113 Voilà ce qui les distingue en bloc des Russes et des Américains, voilà le principe paradoxal de leur communauté profonde.
114 umain chez tout homme, c’est l’idée qui lui vient un jour — angoissante pour l’adolescent — qu’il est le seul de son espèc
115 cent — qu’il est le seul de son espèce, qu’il est un cas absolument unique. Ce qu’il y a de plus européen chez les habitan
116 est l’idée qu’ils ont tous d’appartenir d’abord à une famille, à une région, à une patrie, à une coutume ou une langue, bie
117 ls ont tous d’appartenir d’abord à une famille, à une région, à une patrie, à une coutume ou une langue, bien distinctes, e
118 appartenir d’abord à une famille, à une région, à une patrie, à une coutume ou une langue, bien distinctes, et qu’ils perdr
119 bord à une famille, à une région, à une patrie, à une coutume ou une langue, bien distinctes, et qu’ils perdraient leurs li
120 lle, à une région, à une patrie, à une coutume ou une langue, bien distinctes, et qu’ils perdraient leurs libertés si on le
121 rs. Les conceptions de l’amour, de la révolution, des libertés publiques ou morales, pour ne citer que ces trois grands exe
122 ts, indissolublement liée pour nous à la pratique des libertés réelles et personnelles. C’est pour sauver ces différences q
123 si nous voulons rester nous-mêmes, il n’y a plus une minute à perdre : il nous faut combiner nos ressources. Faute de form
124 és. b. Rougemont Denis de, « Comment fabriquer un Européen ? », Notre Europe, Strasbourg, mars 1951, p. 41-44.
3 1951, Articles divers (1951-1956). Défense de nos libertés (octobre 1951)
125 passe en revue tous les arguments avancés depuis des siècles pour ou contre la liberté humaine en soi, on en vient vite à
126 égitime ou non comme idéal ou comme réalité. Mais un homme en prison, qu’il soit intellectuel ou paysan, sait très bien ce
127 Car si nous vivons aujourd’hui dans l’angoisse d’ une nouvelle guerre mondiale, c’est parce que le monde est divisé en deux
128 issent clairement que par rapport à la liberté. D’ un côté, les peuples qui se disent libres et entendent le rester ; de l’
129 être. Les passions nationalistes ne sont plus que des survivances, d’ailleurs également réparties entre les deux camps. Les
130 de discuter, ce qui est évident aux yeux de tous, des deux côtés, c’est que nous voulons la liberté, et que les autres veul
131  formelle », affirmant que leur dictature prépare une liberté « réelle ». Mais alors, s’il est clair que l’enjeu est en déf
132 la liberté, n’est-il pas urgent que nous prenions une conscience nette et forte des libertés concrètes que nous avons ? Si
133 t que nous prenions une conscience nette et forte des libertés concrètes que nous avons ? Si nous voulons gagner d’avance —
134 s avons ? Si nous voulons gagner d’avance — avant une guerre, qui serait perdue par tous — cette lutte où nous sommes engag
135 l’idéologie stalinienne, à cette grande espérance des prolétaires, à cette religion nouvelle ? », nous hésitons souvent ava
136 ez défendre l’Europe qu’en opposant à ses ennemis une idéologie plus puissante que la leur, mais hélas, vous n’avez aucun p
137 t cela, et que nous cherchons alors désespérément une réplique, ou que nous essayons d’improviser quelque « mystique » nouv
138 s soyons en état de répondre instantanément, avec une conviction totale. Il faut que nous répondions ceci : « Nous n’avons
139 ons ceci : « Nous n’avons pas besoin comme vous d’ une mystique qui masque les faits, nous n’avons pas besoin d’une idéologi
140 e qui masque les faits, nous n’avons pas besoin d’ une idéologie, car nous avons nos libertés. Et ce n’est pas notre passé q
141 sente de nos vies, bien plus : qui sont le gage d’ un avenir meilleur ! » Ce langage seul peut nous sauver. Encore faut-il
142 et leurs chefs doivent masquer cette absence par des slogans. Nous n’avons nul besoin d’une mystique « aussi puissante » o
143 bsence par des slogans. Nous n’avons nul besoin d’ une mystique « aussi puissante » ou « plus puissante » que les leurs. Car
144 le mal est d’ordre psychique ; c’est d’autre part une source de confiance en soi, quand les faits objectifs sont meilleurs
145 notre lassitude ne le pensait. Rendus conscients des forces véritables de l’Europe et de l’Occident, nous serons en mesure
146 faire rayonner, c’est de les faire passer du plan des faits à celui de nos consciences et de nos volontés ; c’est d’appeler
147 épendent de chacun de nous, — beaucoup plus que d’ un général américain. Chaque personne fait obstacle à la fatalité. Lévia
148 lenda Carthago que j’opposais il y a quinze ans à une autre « mystique millénaire », mais déjà morte : — Là où l’homme veut
149 re d’avoir bien voulu nous autoriser à reproduire un extrait de la brochure de Denis de Rougemont, Les Libertés que nous
4 1952, Articles divers (1951-1956). Robert de Traz, l’Européen (1952)
150 ux dépens de leurs découvertes ; ils rapportaient des états d’âme ; mais lui, de ses Dépaysements f, nous rapportait l’Euro
151 ée sur place, ou vue du Proche-Orient. Il avouait une curiosité « inextinguible », non celle du reporter mais celle du mora
152 is celle du moraliste : il la définissait comme «  une puissance d’adhésion, qui tantôt s’identifie à son objet, et tantôt,
153 itié démolie, et d’où montent, comme les fumées d’ un sol volcanique, la haine, la douleur et l’espérance. Europe, vaste sp
154 nent en creux ce qui sera le lit de l’hitlérisme, un peu plus tard : il a senti l’appel aux passions collectives, aux phil
155 ramener à la communauté européenne ». Il a, l’un des premiers, ravivé l’idéal de cette communauté indispensable au monde,
156 viens de relire cet ouvrage, paru en 1929 : c’est un classique. Seuls quelques chapitres médians, qui décrivent (et critiq
157 re hors de saison, s’il est vrai que le spectacle des Nations unies réduit à peu, sinon à rien, les espoirs que de Traz se
158 sinon à rien, les espoirs que de Traz se faisait une vertu et même une raison d’entretenir, malgré toutes ses méfiances et
159 espoirs que de Traz se faisait une vertu et même une raison d’entretenir, malgré toutes ses méfiances et toute la précisio
160 lgré toutes ses méfiances et toute la précision d’ un regard souvent railleur ou amusé. Mais l’ouverture et la longue concl
161 uverture et la longue conclusion forment ensemble un essai politique dont je ne vois pas encore l’égal dans notre époque.
162 le moderne ». C’est de la nécessité, plutôt que d’ une mystique, qu’il attend « la refonte de l’Europe ». C’est par la civil
163 à la Russie « dont le système politique comporte une destruction du sien », mais encore « à elle-même… aux idées dissocian
164 ses traditions profondes », que l’Europe se fera, une et diverse. Je ne vois pas une phrase, dans cet essai final, animé pa
165 l’Europe se fera, une et diverse. Je ne vois pas une phrase, dans cet essai final, animé par un long mouvement d’éloquence
166 s pas une phrase, dans cet essai final, animé par un long mouvement d’éloquence lucide et sereine, qui ne porte encore mie
167 , je le répète. « Petite Europe, toute seule dans un monde en tumulte, il faudra bien qu’elle comprenne que ses rivalités
168 ues » et qu’au-delà de ses frontières resserrées, des civilisations rajeunies vont se dresser, qui voudront la réduire en s
169 nous mettre debout ? Avons-nous donc cessé d’être des mâles, qui formulent et dirigent, et, dans notre détresse complaisant
170 ment ? » Et je crois entendre de Traz ajouter sur un ton plus encore convaincu qu’indigné : « Tout de même !… » Mais aussi
171 mmun. La civilisation européenne est le produit d’ une collaboration séculaire et l’on ne saurait en supprimer l’apport d’au
172 r toujours s’adapter aux circonstances imprévues. Une égale passion de l’effort nous anime encore, de l’effort qui conquier
173 n et de courage, nos rêves ne se perdent pas dans une extase somnolente : ils sont actifs. » Enfin cette page dans le grand
174 oser silence à ses détracteurs, de se reconnaître une mission nouvelle ? En affirmant son unité conquise sur des différence
175 on nouvelle ? En affirmant son unité conquise sur des différences qu’elle ne détruirait pas pour autant, elle donnerait au
176 truirait pas pour autant, elle donnerait au monde un exemple à suivre. Contre les dangers du dedans, elle aurait conclu un
177 Contre les dangers du dedans, elle aurait conclu un pacte d’alliance entre ses fils : ce pacte, elle le proposerait ensui
178 petits États que divisent quelques collines, mais des continents que les océans séparent. » Pourquoi ne pas le dire ici ? C
179 st trop tard. Il m’était encore plus fraternel qu’ une longue amitié, dès mon adolescence, n’a pu me le faire concevoir de s
180 . Il suit le Mouvement européen de l’extérieur, d’ un œil amical et critique. Pourquoi ce précurseur n’a-t-il pas joint l’a
181 aperçu la nécessité ? Son style même nous suggère une réponse. Ses courtes phrases bien dessinées constatent, enferment la
182 en dessinées constatent, enferment la pensée dans une conclusion claire. Elles ne visaient point à entraîner, mais à cerner
183 , que de conseiller à l’Europe… de se reconnaître une mission ? » Non, ce n’était pas rêver, il le savait, mais ce n’est pl
184 conseiller. Ce convaincu n’était pas de l’espèce des militants d’une politique. Ce moraliste voulait d’abord comprendre :
185 convaincu n’était pas de l’espèce des militants d’ une politique. Ce moraliste voulait d’abord comprendre : pudeur ou foi da
186 attentive ; sa curiosité même se transformait en une attention passionnée. Il voulait être ouvert, plutôt qu’ouvrir. Tous
187 qu’ouvrir. Tous ses personnages romanesques sont des renfermés, et qui en souffrent : il les avait vécus, mais libérés en
188 vécus, mais libérés en lui. Modeste et probe avec une discrète élégance, je le vois lentement dépasser les baladins et les
189 n beau profil prend sa place parmi les effigies d’ une Europe renaissante. 2. Témoin, p. 119-129. e. Rougemont Denis de
5 1952, Articles divers (1951-1956). Prototype T.E.L. (janvier 1952)
190 1952)g Entouré de soins extravagants, soumis à des épreuves exceptionnelles, étudié dans le moindre détail de son compor
191 son intérêt n’en est pas amoindri. Car il fournit une connaissance nouvelle de certaines limites de vitesse, de résistance,
192 ? Tout cela servira finalement à mieux construire des appareils utiles. Je me proposer d’envisager Lawrence comme prototype
193 e proposer d’envisager Lawrence comme prototype d’ une race d’écrivains dont le siècle déjà nous donne plusieurs exemples, s
194 vent moins purs ou moins achevés. Lawrence ne fut un écrivain que par accident, semble-t-il. Mais cet accident fit sa gloi
195 le désir de parler de lui. Bien d’autres ont vécu des aventures semblables, mais lui « savait ce qu’il était en train de fa
196 e la Sagesse, et toutes ses lettres, témoignent d’ une volonté de conscience et d’expression qui justifie le point de départ
197 ès Napoléon, tout change. Paraît la race nouvelle des exilés sur place — Kierkegaard, Baudelaire et Nietzsche en sont les t
198 che en sont les types — exilés dans la négation d’ un ordre qui les cerne sans les incorporer, exilés dans le nihilisme, ex
199 omades et de vrais émigrés. Les uns voyagent vers des climats et des coutumes où l’isolement social, sans être surmonté, so
200 ais émigrés. Les uns voyagent vers des climats et des coutumes où l’isolement social, sans être surmonté, soit du moins com
201 es écrivains américains). D’autres s’exilent dans un métier d’errants (Joseph Conrad, Claudel et Saint-John Perse). Et bea
202 st européen). Certains, enfin, parlent en quête d’ une communauté à rejoindre où à recréer dans l’action, et là seulement le
203 tion, et là seulement les mots pourront reprendre un sens, et le langage un pouvoir authentique. Mais ceux-là pensent d’ab
204 es mots pourront reprendre un sens, et le langage un pouvoir authentique. Mais ceux-là pensent d’abord à l’action, et dans
205 ns l’action à se réaliser, à mesurer le pouvoir d’ un homme contre le monde et sur soi-même. Est-ce encore une compensation
206 me contre le monde et sur soi-même. Est-ce encore une compensation ? Le dépit amoureux peut rendre chaste ou au contraire j
207 Et de même, le dépit communautaire peut provoquer un individualisme exaspéré, ou au contraire la décision de servir sans b
208 e la décision de servir sans beaucoup d’illusions une cause dont la valeur importe moins que les épreuves qu’elle impose. N
209 lle impose. Nous voici tout près de Lawrence et d’ une classe d’écrivains qui restera sans doute la plus typique de notre si
210 engagés : ils ont payé de leur personne le prix d’ une signification. Que ces héros soient les nomades, on vient d’en voir l
211 r étrangers dans leur peuple. S’expatrier devient une mise au point, une traduction spatiale du conflit qu’ils constatent e
212 ur peuple. S’expatrier devient une mise au point, une traduction spatiale du conflit qu’ils constatent entre leurs exigence
213 t leur aventure hors de chez eux, à la fois comme des conquérants et comme des révolutionnaires. Ce trait mérite une attent
214 hez eux, à la fois comme des conquérants et comme des révolutionnaires. Ce trait mérite une attention spéciale. Peu sont de
215 ts et comme des révolutionnaires. Ce trait mérite une attention spéciale. Peu sont des partisans au premier chef, et peut-ê
216 Ce trait mérite une attention spéciale. Peu sont des partisans au premier chef, et peut-être plusieurs d’entre eux se fuss
217 t l’exemple extrême, qui meurt pour la libération des Grecs, mais n’eût rien fait contre les droits des lords ou des capita
218 des Grecs, mais n’eût rien fait contre les droits des lords ou des capitalistes en Angleterre. À vrai dire, c’est un goût d
219 is n’eût rien fait contre les droits des lords ou des capitalistes en Angleterre. À vrai dire, c’est un goût de la lutte co
220 es capitalistes en Angleterre. À vrai dire, c’est un goût de la lutte contre la vie, avec des camarades donnés par le hasa
221 re, c’est un goût de la lutte contre la vie, avec des camarades donnés par le hasard, qui les jette dans des entreprises où
222 amarades donnés par le hasard, qui les jette dans des entreprises où la technique de la conquête (même pacifique) se confon
223 u complot. On les voit engagés de préférence dans des conquêtes hasardeuses, que les gouvernements soutiennent à contrecœur
224 et parfois découragent en sous-main, ou bien dans des révolutions mais que d’autres ont déclenchées, qui n’en sont plus au
225 tres ont déclenchées, qui n’en sont plus au stade des revendications mais des coups de feu, et qui demandent bien moins de
226 i n’en sont plus au stade des revendications mais des coups de feu, et qui demandent bien moins de conviction politique que
227 urs convictions, tous ces hommes sont, ou furent, des individualistes à la recherche d’une action commune, action conduite
228 , ou furent, des individualistes à la recherche d’ une action commune, action conduite à l’étranger, et dont les fins derniè
229 homme. Ces anarchistes engagés se reconnaissent à un signe certain : entre eux et le rôle qu’ils jouent, souvent à grand p
230 ls jouent, souvent à grand péril, il y a toujours une marge de conscience. Et dans cette marge naît leur œuvre écrite. Souv
231 e marge naît leur œuvre écrite. Souvent l’homme d’ un seul livre, sous des titres divers, peu d’entre eux sont des écrivain
232 vre écrite. Souvent l’homme d’un seul livre, sous des titres divers, peu d’entre eux sont des écrivains nés, au sens couran
233 vre, sous des titres divers, peu d’entre eux sont des écrivains nés, au sens courant de l’expression, qui suppose non seule
234 expression, qui suppose non seulement le don mais une certaine facilité. C’est qu’ils se sont formés dans un monde où l’err
235 rtaine facilité. C’est qu’ils se sont formés dans un monde où l’erreur entraîne des sanctions immédiates, où l’exactitude
236 se sont formés dans un monde où l’erreur entraîne des sanctions immédiates, où l’exactitude est vitale, soit qu’il s’agisse
237 où l’exactitude est vitale, soit qu’il s’agisse d’ un ordre à rédiger ou d’une opération technique. Ces scrupules à plier l
238 le, soit qu’il s’agisse d’un ordre à rédiger ou d’ une opération technique. Ces scrupules à plier le sens précis au rythme o
239 upules à plier le sens précis au rythme ou au jeu des syllabes peuvent gâter l’allure d’un texte, ils n’en ont cure. Les me
240 e ou au jeu des syllabes peuvent gâter l’allure d’ un texte, ils n’en ont cure. Les meilleurs se rattrapent sur un plan plu
241 ls n’en ont cure. Les meilleurs se rattrapent sur un plan plus profond d’efficacité du langage : certaines recettes pour m
242 manier les esprits, et surtout pour leur imposer un angle de vision déterminé — c’est tout le secret du commandement — le
243 e leurs écrits, mais tout autant à l’efficacité d’ une syntaxe qui sait comment « saisir » (expression favorite de Saint-Exu
244 spendue, mais plutôt les efforts pour lui trouver un sens, et justifier l’auteur de l’avoir entreprise. Témoignages cepend
245 Ils n’avouent guère d’autre ambition que celle d’ un serviteur de la cause collective, et ne donnent de l’individu qu’un p
246 cause collective, et ne donnent de l’individu qu’ un portrait simplifié et dûment stylisé. Nés d’un besoin de s’expliquer,
247 qu’un portrait simplifié et dûment stylisé. Nés d’ un besoin de s’expliquer, ils restent obscurs sur un point décisif : cel
248 un besoin de s’expliquer, ils restent obscurs sur un point décisif : celui des fins dernières que poursuivait l’auteur qua
249 ils restent obscurs sur un point décisif : celui des fins dernières que poursuivait l’auteur quand il vivait ce qu’il raco
250 il vivait ce qu’il raconte. On se reporte alors à des écrits posthumes, à des lettres ou carnets intimes, et l’on s’aperçoi
251 te. On se reporte alors à des écrits posthumes, à des lettres ou carnets intimes, et l’on s’aperçoit que le problème, loin
252 n ; pourtant, ce qu’il nous laisse enfin n’est qu’ une question, l’exemple d’une « passion » dont l’enjeu n’est pas clair. E
253 s laisse enfin n’est qu’une question, l’exemple d’ une « passion » dont l’enjeu n’est pas clair. Et certes, les péripéties d
254 njeu n’est pas clair. Et certes, les péripéties d’ une telle passion peuvent bien suffire à l’intérêt de l’œuvre. Elles font
255 tions. Elles nous forcent à croire qu’ici, enfin, un homme nous parle avec l’autorité d’une expérience virile poussée jusq
256 ici, enfin, un homme nous parle avec l’autorité d’ une expérience virile poussée jusqu’aux extrêmes, dans la rigueur morale
257 es. Mais cédant à l’exigence extrême éveillée par un tel exemple, nous demandons : pourquoi ces épreuves inhumaines ? Quel
258 nous demandons alors : qui va revêtir cet homme d’ une vocation plus vraie que les causes qu’il a servies et qui se révèlent
259 II. T.E.L. et Saint-Exupéry « L’ambition est un motif méprisable ; l’amour de la liberté une illusion ; le patriotism
260 n est un motif méprisable ; l’amour de la liberté une illusion ; le patriotisme, difficile quand ceux — comme dit Lawrence
261 n finale. » C’est en ces termes que la plus sobre des biographies de Lawrence4 décrit l’état d’esprit du héros de 30 ans, à
262 s individuelles, ne fait qu’accentuer l’intérêt d’ un rapprochement entre les deux personnes. Relevons d’abord les différen
263 squ’au silence total, l’autre toujours en quête d’ une audience amicale. L’un petit et durci, l’autre grand et sérieux. On i
264 Voyons leur création, leur action, et leur drame. Une ultime structure de destinée semble gouverner ces deux vies. Leur voc
265 dolescence : à 20 ans les voilà partis, l’un pour des fouilles dans les pays arabes qu’il avait étudiés avec passion ; l’au
266 is tous deux inventeurs de machines, vont choisir des métiers où la technique s’allie à l’art du commandement, et le risque
267 iscipline. Le travail s’y poursuit en équipe avec des camarades frustes et durs. Bien plus, ce travail les entraîne loin de
268 ce travail les entraîne loin de leur patrie, dans des régions sauvages. Les voici doublement dépaysés, et par la plus curie
269 il s’agisse de négocier avec ceux-ci pour libérer un camarade pris en otage, ou de les inciter à la révolte, dans les deux
270 e secret d’influencer et de manier les hommes par des moyens qui ne sont pas ceux du règlement, et qui ne doivent rien aux
271 mais non Saint-Exupéry.) Tous les deux se moquent des grades, qu’on leur en donne ou non, et sont perpétuellement sur pied
272 ctions furent accomplies en dépit des pouvoirs et des incompétences supérieures. Parfois cependant, cet art de persuader (q
273 , cet art de persuader (qu’ils tiennent en partie des Arabes) leur vaut des appuis surprenants de la part d’un grand chef q
274 (qu’ils tiennent en partie des Arabes) leur vaut des appuis surprenants de la part d’un grand chef qu’ils savent séduire s
275 es) leur vaut des appuis surprenants de la part d’ un grand chef qu’ils savent séduire sans passer par la voie du service.
276 euls à connaître. Ils se retournent vers le monde des autres, et c’est le début de l’écœurement. Signe objectif d’une mésen
277 c’est le début de l’écœurement. Signe objectif d’ une mésentente profonde : ils entrent en conflit avec la politique des po
278 ofonde : ils entrent en conflit avec la politique des pouvoirs établis dans leur patrie (ou en son nom), ceux-là mêmes qu’i
279 courage physique, ils n’en parlent jamais qu’avec un scepticisme dénué de coquetterie.) Le seul désir bien déclaré est dés
280 sir bien déclaré est désormais de se retirer dans une maison de campagne, avec le livre qu’ils portent en eux, toujours le
281 ortent en eux, toujours le même, et qui doit être un commentaire de leur activité, visant à la sauver de l’anecdote histor
282 sauver de l’anecdote historique pour en extraire une sagesse commune, et pour élever un monument « durable » ou « intangib
283 r en extraire une sagesse commune, et pour élever un monument « durable » ou « intangible » à la mémoire d’un effort colle
284 ment « durable » ou « intangible » à la mémoire d’ un effort collectif. Ils n’écrivent pas plus facilement l’un que l’autre
285 scriptions exactes, et se meuvent en général dans une psychologie qui déconcerte la morale classique et son langage ; cepen
286 endant ils veulent être simples et n’employer que des mots éprouvés… C’est à ce stade que naissent Les Sept Piliers de la S
287 naissent Les Sept Piliers de la Sagesse et Terre des Hommes. L’aventure paraît consommée. Et cependant leur drame le plus
288 écis, devant la tentation de la « vie normale » d’ un écrivain chargé des honneurs du héros. Au lieu de se retirer dans une
289 tation de la « vie normale » d’un écrivain chargé des honneurs du héros. Au lieu de se retirer dans une maison de campagne,
290 des honneurs du héros. Au lieu de se retirer dans une maison de campagne, ou d’accepter quelque fonction publique, ils repr
291 voit l’un et l’autre expliquer cette conduite par des raisons variables et même contradictoires. Dans les deux cas, et nono
292 ant de prétextes qu’ils allèguent. S’agirait-il d’ une fuite devant leur « personnage », ou d’une réelle passion de servir ?
293 t-il d’une fuite devant leur « personnage », ou d’ une réelle passion de servir ? Ou serait-ce simplement qu’ils n’ont pas l
294 ien compris que je me suis engagé non pour écrire des livres mais parce que j’étais fauché ? », écrit Lawrence en 1923. L’a
295  », écrit Lawrence en 1923. L’argent n’est ici qu’ un symbole : il pouvait en gagner autrement.) Il va de soi que leurs sup
296 d’écrire, et bien qu’ils ne puissent ignorer qu’à des postes moins anonymes, ils seraient plus difficiles à remplacer. Inex
297 int-Exupéry, dans toutes ses dernières lettres, a des phrases qui rendent le même son.) S’approche le moment de la retraite
298 ches, plus secrètes et plus importantes5. III. Un « message » de modestie J’essaierai maintenant de répondre à la qu
299 la masse, qui les produit dans sa panique devant une liberté sans contenu. Il est des dictateurs de toutes sortes, il est
300 a panique devant une liberté sans contenu. Il est des dictateurs de toutes sortes, il est vrai, mais la prostitution leur e
301 type. Le dictateur n’est fort que de la faiblesse des autres, et sa grandeur est négative : il est le symbole des secrètes
302 , et sa grandeur est négative : il est le symbole des secrètes démissions que nous lui apportons pour faire nombre. Mais la
303 lui apportons pour faire nombre. Mais la force d’ un Lawrence a sa source dans les seules exigences qu’il s’impose. Le dic
304 nces qu’il s’impose. Le dictateur est le parasite des maux publics. Lawrence n’a jamais rien demandé que de lui-même. Son p
305 e retenir de dénoncer dans cet usage, même légal, un abus. Forcer autrui sera toujours un viol, et s’il condamne ce viol,
306 même légal, un abus. Forcer autrui sera toujours un viol, et s’il condamne ce viol, c’est qu’il se veut intègre, au prix
307 e ce viol, c’est qu’il se veut intègre, au prix d’ un sacrifice dont il reste le maître. Son héroïsme le plus réel est là :
308 : Révolution. On dirait qu’il a fait sur lui-même une étude de la résistance du matériel et du moral humain dans l’état où
309 lité moderne en tant que telle. Lawrence est dans un camp de la RAF quand il écrit cette lettre à Lionel Curtis, le 30 mai
310 té de ma peau, de la propreté de mes habits, et d’ une certaine exactitude dans les évolutions physiques à l’exercice. Depui
311 s que je suis ici, il ne s’est présenté à moi pas un seul choix : tout est prescrit — à l’exception de cette possibilité t
312  ; et la vie intellectuelle ; et la vie réceptive des sens ; et les assauts d’esprit. Autant d’échecs, et ma raison me dit
313 de l’effort commun. Pour moi, c’est la multitude des rudes chauffeurs de camion, couvrant chaque nuit toutes les routes de
314 Et ce que j’essayais, je crois, c’était de poser une superstructure d’idées sur tout ce que je faisais. Eh bien, en cela,
315 is engagé dans la RAF pour me mettre au service d’ une entreprise mécanique, non pas comme un chef, mais comme un rouage dan
316 service d’une entreprise mécanique, non pas comme un chef, mais comme un rouage dans la machine. Le mot-clé, je pense, c’e
317 rise mécanique, non pas comme un chef, mais comme un rouage dans la machine. Le mot-clé, je pense, c’est machine… Je laiss
318 le soin de dire si j’ai bien ou mal choisi : l’un des avantages d’être une pièce de la machine, c’est qu’on y apprend qu’on
319 ai bien ou mal choisi : l’un des avantages d’être une pièce de la machine, c’est qu’on y apprend qu’on n’a pas d’importance
320 vir de repères pour ceux qui, parmi nous, faute d’ un ordre acceptable, tentent de s’équilibrer dans le chaos. De repères,
321 de sa race, ne se situe dans nos problèmes que d’ une manière fragmentaire, en des occasions si concrètes que la technique
322 nos problèmes que d’une manière fragmentaire, en des occasions si concrètes que la technique vécue, gage de son honnêteté,
323 de vue de nos débats politiques, pour se borner à un problème brûlant, qu’est-il possible d’inférer de son exemple ? Les c
324 -t-il l’accuser d’inconséquence ? Le problème est un peu différent. Sans aucun doute, la morale qu’il professe, au terme d
325 n expérience de douze années dans l’aviation, est une morale collectiviste. (L’effort commun qui porte le progrès ; n’être
326 (L’effort commun qui porte le progrès ; n’être qu’ un rouage numéroté ; apprendre à se compter pour rien ; trouver la paix
327 itique collectiviste. Que reste-t-il à faire pour un tel homme ? Je le cite encore : « Les idéaux d’une politique sont de
328 un tel homme ? Je le cite encore : « Les idéaux d’ une politique sont de ces choses qui vous montent à la tête : leur traduc
329 omis avec la structure sociale qui en résulte est un travail de second ordre. Je n’ai rien rencontré de plus honnête et dé
330 s politiques — mais je me ferais plutôt balayeur. Un nihilisme décent, c’est ce que j’espère, en général. Je pense qu’un p
331 t, c’est ce que j’espère, en général. Je pense qu’ un pays bien constitué comme le nôtre, peut se permettre 1 % de monistes
332 ’hui. Je hais les meubles. » Qu’on ne voie pas là une dérobade devant le grand choix politique de ce siècle : démocratie ou
333 émocratie ou totalitarisme. Ces petites phrases d’ un humour cynique, bien que jetées dans une lettre hâtive, traduisent un
334 phrases d’un humour cynique, bien que jetées dans une lettre hâtive, traduisent une attitude mûrie. C’est la morale du Chât
335 ien que jetées dans une lettre hâtive, traduisent une attitude mûrie. C’est la morale du Château de Kafka, la ligne de repl
336 e de repli (devant les problèmes métaphysiques) d’ un homme qui a raté ses « sorties » et pour lequel il n’est plus d’autre
337 l il n’est plus d’autre solution que de s’assurer une petite place dans la cité, un rôle utile dans ce monde qu’il juge ass
338 n que de s’assurer une petite place dans la cité, un rôle utile dans ce monde qu’il juge assez absurde — par excès de cons
339 u’on nous montre où nous en sommes et ce que peut un homme sans la foi, Lawrence nous l’a montré avec un grand courage, et
340 homme sans la foi, Lawrence nous l’a montré avec un grand courage, et surtout sans le moindre souci d’être un exemple ou
341 courage, et surtout sans le moindre souci d’être un exemple ou d’enseigner : de là vient sa sincérité, à travers tant de
342 suivre. Le nihilisme, si « décent » soit-il, est une faible défense contre les monstres de ce temps. Bien plus : objective
343 i qu’il nous apprend au moins à n’en pas attendre des hommes. Nous demandons trop aux écrivains. En sommes, nous attendons
344 ance de ce parallèle pourraient être appuyées par des documents précis et par des citations fréquentes tirées des livres ou
345 ent être appuyées par des documents précis et par des citations fréquentes tirées des livres ou des lettres des deux hommes
346 nts précis et par des citations fréquentes tirées des livres ou des lettres des deux hommes. J’ai dû me borner à les paraph
347 par des citations fréquentes tirées des livres ou des lettres des deux hommes. J’ai dû me borner à les paraphraser, les let
348 tions fréquentes tirées des livres ou des lettres des deux hommes. J’ai dû me borner à les paraphraser, les lettres de Sain
349 ranquille dans son cottage, eût pu être tenté par une œuvre analogue, transposition lyrique et « littéraire » des expérienc
350 analogue, transposition lyrique et « littéraire » des expériences de l’homme d’action. Mais on sait que Churchill le destin
351 action. Mais on sait que Churchill le destinait à des fonctions militaires importantes, que la guerre l’eût sans doute cont
352 d’accepter. Au total, Saint-Exupéry fut davantage un écrivain, Lawrence un agent de l’Histoire. g. Rougemont Denis de,
353 Saint-Exupéry fut davantage un écrivain, Lawrence un agent de l’Histoire. g. Rougemont Denis de, « Prototype T.E.L. »,
6 1952, Articles divers (1951-1956). L’Heure de l’impatience (mars 1952)
354 eure de l’impatience (mars 1952)h Ce n’est pas un pamphlétaire irresponsable, c’est un homme politique avisé et mieux a
355 Ce n’est pas un pamphlétaire irresponsable, c’est un homme politique avisé et mieux averti que quiconque, Paul-Henri Spaak
356 ’hémicycle de Strasbourg : « L’Europe vit, depuis des années, de la peur des Russes et de la charité des Américains ! » Tra
357 g : « L’Europe vit, depuis des années, de la peur des Russes et de la charité des Américains ! » Traduisons, maintenant, ce
358 es années, de la peur des Russes et de la charité des Américains ! » Traduisons, maintenant, ce cri d’alarme en chiffres dû
359 ne, en millions d’habitants : « 320 vivent depuis des années dans la peur de 210 et de la charité de 150. » On souhaite qu’
360 de 210 et de la charité de 150. » On souhaite qu’ une telle constatation apparaisse plus choquante encore que surprenante.
361 elle éclaire si crûment s’explique d’ailleurs par des raisons connues de chacun. Tout d’abord, les Européens refusent de se
362 pris l’habitude de se sentir Européens. Au lieu d’ un bloc à peu près aussi grand que les deux autres additionnés, voici do
363 ditionnés, voici donc vingt petits pays, dont pas un seul n’est à l’échelle du siècle. Il semble évident que leur union re
364 . Il semble évident que leur union renverserait d’ un coup la situation. Tout les y pousse : la logique de l’Histoire comme
365 ison comme les rêves. Qu’est-ce qui les retient ? Une sorte de myopie de la mémoire et du jugement. Ils tirent prétexte de
366 er, et qu’ils ont deux-mille ans d’usage commun d’ un héritage que le reste de la Terre jalouse. Ils tirent prétexte des in
367 le reste de la Terre jalouse. Ils tirent prétexte des intérêts à court terme de leurs États, mais ils oublient qu’ils forme
368 de leurs États, mais ils oublient qu’ils forment un seul corps, et qu’il est fou d’essayer de sauver un seul organe au dé
369 seul corps, et qu’il est fou d’essayer de sauver un seul organe au détriment des autres. Le cœur ni le poumon ne vivraien
370 u d’essayer de sauver un seul organe au détriment des autres. Le cœur ni le poumon ne vivraient isolés, et leur santé dépen
371 oumon ne vivraient isolés, et leur santé dépend d’ une bonne circulation. Enfin, rien n’est plus clair au monde que la néces
372 rovoquer. Europe, jadis, fut enlevée à l’Asie par une fougueuse divinité de l’Occident : Jupiter changé en Taureau. On nous
373 isque à nouveau d’être séduite, cette fois-ci par un Ours, ou par un Aigle. Craignons plutôt le prudent idéal de certains
374 d’être séduite, cette fois-ci par un Ours, ou par un Aigle. Craignons plutôt le prudent idéal de certains députés de Stras
375 députés de Strasbourg : l’enlèvement d’Europe par un escargot ! La prudence a montré ce qu’elle savait faire. Si l’on veut
376 ce. Je n’imagine pas de meilleur mot d’ordre pour une Campagne européenne de la jeunesse. h. Rougemont Denis de, « L’heu
7 1952, Articles divers (1951-1956). Les foyers de culture et l’Europe (octobre 1952)
377 e (octobre 1952)i Je vais limiter mon exposé à un seul thème, un thème-cathédrale : l’Europe. La thèse que je vais déve
378 )i Je vais limiter mon exposé à un seul thème, un thème-cathédrale : l’Europe. La thèse que je vais développer rapideme
379 i ont fait l’Europe jouaient, à d’autres époques, un rôle différent de celui qu’ils auraient maintenant. Je ne ferai pas d
380 avant le Moyen Âge, l’Europe s’est faite à partir des seuls foyers de culture existants : les couvents. Comment la culture
381 hommes publics : princes, magistrats, légistes. À un stade nouveau, l’éducation du peuple était faite par ces institutions
382 tutions, les sermons entendus à l’Église, et tout un courant de connaissances orales, car les textes écrits n’avaient pas
383 foyer de culture à la masse de la population par une série de maillons successifs que je vous rappelle : la méditation se
384 on se formulant en écrits, l’enseignement formant des clercs, ceux-ci créant les institutions et répandant la sagesse commu
385 lture entre toutes les classes de la population ; une commune mesure existait entre les riches, les clercs et le peuple. To
386 . Tout est changé aujourd’hui. Nous sommes devant une situation complètement différente. La culture actuelle est élaborée p
387 différente. La culture actuelle est élaborée par des individus — plus rarement par de petites équipes de chercheurs ; puis
388 petites équipes de chercheurs ; puis coulée dans des moules uniformes : [par]j l’école, le livre, la revue, le journal, el
389 diffusion la rendent abstraite. Elle se heurte à des obstacles qui sont : la division de la population en classes sociales
390 angage, la division en nations, qui existe depuis une centaine d’années, la division en langues, qui joue un rôle beaucoup
391 e. Il n’existe guère aujourd’hui dans nos pays qu’ une seule forme de culture commune à tout le monde, sans distinction de c
392 l’image : cinéma, télévision, « comics” illustrés des journaux. C’est une forme de diffusion facile, qui ne connaît pas de
393 lévision, « comics” illustrés des journaux. C’est une forme de diffusion facile, qui ne connaît pas de frontières et ne néc
394 ations et langues est de faire perdre le bénéfice des moyens de diffusion de la culture et d’empêcher son unité. Des concep
395 diffusion de la culture et d’empêcher son unité. Des conceptions différentes se forment ; le même terme change de sens en
396 rment ; le même terme change de sens en passant d’ une classe sociale à l’autre. Finalement, la culture humaniste, née comme
397 utre. Finalement, la culture humaniste, née comme une création commune de l’Europe, se fragmente en toutes sortes de petits
398 morceaux. On ne peut plus dire : l’Europe, c’est une forme de culture, la substance de la culture est ignorée de la masse
399 a substance de la culture est ignorée de la masse des populations, comme l’est le sens de l’Europe. Pourtant, cette culture
400 ouver aujourd’hui sa fonction éducatrice : former des hommes et des communautés ? Comment faire renaître « L’Europe-Culture
401 hui sa fonction éducatrice : former des hommes et des communautés ? Comment faire renaître « L’Europe-Culture ». Là, se pos
402 e pose le vrai problème de vos foyers de culture. Un foyer constitue le lieu de rencontre entre l’essence de la culture et
403 ieu de rencontre entre l’essence de la culture et une situation locale bien définie, les problèmes d’urbanisme, d’éducation
404 pulaire, de questions sociales y sont évoqués par des hommes de classes différentes et de niveaux intellectuels divers, mai
405 de niveaux intellectuels divers, mais réunis par des préoccupations communes. Ainsi je vois l’activité des foyers de cultu
406 préoccupations communes. Ainsi je vois l’activité des foyers de culture s’insérer dans ce grand phénomène historique, capab
407 ouve inséré. Faire l’Europe, c’est d’abord former des hommes. Tout le reste est affaire d’ingénieurs ou d’hommes politiques
408 pas ici. ⁂ Je voudrais maintenant vous présenter un certain nombre de thèmes : 1° Il n’est pas possible que la culture pu
409 former ou modifier la réalité — en se limitant à un groupe local. La culture est par essence internationale, universelle
410 e et non pas nationale ni régionale. Elle suppose des échanges multiples entre les classes sociales et les peuples. Née his
411 les. Née historiquement de ces échanges, fruits d’ une grande circulation commune à toute l’Europe, elle est destinée, sans
412 ef délai. 2° Il n’y a pas de culture vivante sans une incarnation, une implantation locale. Un foyer local ne peut être app
413 ’y a pas de culture vivante sans une incarnation, une implantation locale. Un foyer local ne peut être appelé foyer de cult
414 te sans une incarnation, une implantation locale. Un foyer local ne peut être appelé foyer de culture que s’il réalise à l
415 ération active. Eux, et eux seuls, peuvent donner un contenu humain à la construction de l’idée européenne ; vie et chaleu
416 3° Il ne faut pas que l’Europe se fabrique comme un immense trust super-étatique, construction sans âme, bureaucratie, in
417 préhensible aux masses, qui prépare pour l’avenir une sorte d’uniformité du cadre de la vie matérielle. Cela risque d’arriv
418 déralisme, au sens doctrinal ; le fédéralisme est une tension permanente — pour ne pas dire une contradiction — entre le mo
419 sme est une tension permanente — pour ne pas dire une contradiction — entre le mouvement vers l’union et les autonomies loc
420 evons être en garde constamment d’une part contre une espèce de mystique régionaliste, d’autre part contre une tentation d’
421 èce de mystique régionaliste, d’autre part contre une tentation d’internationalisme qui voudrait supprimer toutes diversité
422 s lutterons contre ces déviations de l’esprit par une pratique de la circulation des idées et des personnes entre les commu
423 ns de l’esprit par une pratique de la circulation des idées et des personnes entre les communautés locales et l’ensemble de
424 t par une pratique de la circulation des idées et des personnes entre les communautés locales et l’ensemble de l’Europe. Vo
425 ture ne s’est jamais faite par les nations, c’est une plaisanterie, une thèse sans fondement racontée dans les livres d’éco
426 is faite par les nations, c’est une plaisanterie, une thèse sans fondement racontée dans les livres d’école depuis cent ans
427 yer local directement à l’Europe. Pour en venir à des propositions plus pratiques, je proposerai que s’établisse un réseau
428 ons plus pratiques, je proposerai que s’établisse un réseau européen de distribution de livres, de brochures, de revues, d
429 stamment alimenté par cette Communauté européenne des foyers de culture, dont nous avons adopté le nom avant-hier. Je verra
430 — et je voudrais qu’il le fasse expressément par un vœu formulé si possible ici — de devenir un centre de diffusion local
431 t par un vœu formulé si possible ici — de devenir un centre de diffusion locale de ce matériel européen, si vous permettez
432 s permettez cette expression. Chaque foyer serait une sorte de haut-parleur diffusant l’idée de l’Europe, et, en même temps
433 diffusant l’idée de l’Europe, et, en même temps, un champ d’expérience pour des réalisations concrètes. Pour être valable
434 pe, et, en même temps, un champ d’expérience pour des réalisations concrètes. Pour être valables, celles-ci ont besoin d’êt
435 rganisations au niveau européen, comme le Conseil des communes d’Europe, par exemple ; le Centre européen de la culture peu
436 e à la disposition de cette Communauté européenne des foyers de culture tout d’abord ses plans de causeries — je crois qu’o
437 e sont de petits plans de 5 ou 6 pages, englobant une vingtaine de sujets différents concernant la vie européenne et conten
438 concernant la vie européenne et contenant chacun un thème, quelques arguments, quelques chiffres, quelques rappels histor
439 iffres, quelques rappels historiques permettant à une personne de faire, sans préparation, une causerie suffisamment docume
440 ettant à une personne de faire, sans préparation, une causerie suffisamment documentée, d’une heure ou d’une demi-heure. En
441 paration, une causerie suffisamment documentée, d’ une heure ou d’une demi-heure. En collaboration avec la Campagne européen
442 auserie suffisamment documentée, d’une heure ou d’ une demi-heure. En collaboration avec la Campagne européenne de la jeunes
443 . Ensuite, nous pourrions mettre en circulation d’ une manière périodique une sorte de fiche bibliographique comportant des
444 ns mettre en circulation d’une manière périodique une sorte de fiche bibliographique comportant des listes d’ouvrages récem
445 que une sorte de fiche bibliographique comportant des listes d’ouvrages récemment parus, avec les moyens de se les procurer
446 s offrons aussi de faire circuler dans vos foyers des listes de conférenciers, choisis dans tous les pays européens, avec l
447 nt déjà prévus. Ces conférenciers ne seraient pas des professeurs d’éloquence ni des hommes politiques, mais des écrivains,
448 rs ne seraient pas des professeurs d’éloquence ni des hommes politiques, mais des écrivains, des explorateurs, des cinéaste
449 sseurs d’éloquence ni des hommes politiques, mais des écrivains, des explorateurs, des cinéastes, des pédagogues, des médec
450 nce ni des hommes politiques, mais des écrivains, des explorateurs, des cinéastes, des pédagogues, des médecins, des psycho
451 politiques, mais des écrivains, des explorateurs, des cinéastes, des pédagogues, des médecins, des psychologues, des ingéni
452 s des écrivains, des explorateurs, des cinéastes, des pédagogues, des médecins, des psychologues, des ingénieurs et, pourqu
453 des explorateurs, des cinéastes, des pédagogues, des médecins, des psychologues, des ingénieurs et, pourquoi pas, des spor
454 urs, des cinéastes, des pédagogues, des médecins, des psychologues, des ingénieurs et, pourquoi pas, des sportifs. Au Centr
455 , des pédagogues, des médecins, des psychologues, des ingénieurs et, pourquoi pas, des sportifs. Au Centre de la culture, n
456 es psychologues, des ingénieurs et, pourquoi pas, des sportifs. Au Centre de la culture, nous avons en préparation une Comm
457 u Centre de la culture, nous avons en préparation une Commission d’hygiène et de psychologie sportive. Quelques personnes c
458 champions du monde — sont prêtes à faire le tour des foyers de culture, si on les y invite, pour parler de leurs expérienc
459 nvite, pour parler de leurs expériences et lancer des groupes intéressés par ces questions passionnantes d’hygiène et de ps
460  : nous pourrions faire circuler parmi les foyers une sorte de lettre circulaire d’information sur l’état actuel de l’organ
461 ibilités d’action à mener. Nous offrons d’établir des contacts entre la Communauté européenne des foyers de culture et notr
462 ablir des contacts entre la Communauté européenne des foyers de culture et notre organisation, qui comprend des association
463 rs de culture et notre organisation, qui comprend des associations des guildes du livre, des clubs européens, et des festiv
464 notre organisation, qui comprend des associations des guildes du livre, des clubs européens, et des festivals de musique. C
465 i comprend des associations des guildes du livre, des clubs européens, et des festivals de musique. Ceux-ci groupent, à l’h
466 ons des guildes du livre, des clubs européens, et des festivals de musique. Ceux-ci groupent, à l’heure actuelle, 15 des pl
467 musique. Ceux-ci groupent, à l’heure actuelle, 15 des plus grands festivals de musique européenne. En nouant des liens avec
468 grands festivals de musique européenne. En nouant des liens avec eux, il serait possible de monter des représentations grat
469 des liens avec eux, il serait possible de monter des représentations gratuites pour jeunes ou membres de nos foyers. Je si
470 os foyers. Je signale également notre Association des instituts d’études européennes, dont les résultats sont remarquables.
471 nfin, il y aurait lieu d’étudier, me semble-t-il, une sorte d’organisation de voyages et d’échanges, comme celle établie pa
472 lle par exemple du Chantier européen, qui établit des sentiers allant du nord de l’Écosse au sud de l’Italie ; il serait in
473 yers où les voyageurs pourraient s’arrêter. Voici une belle idée de circulation à travers l’Europe — et pas seulement pour
474 t pas seulement pour les jeunes, car il y a aussi des vieillards qui marchent —, avec comme relais les foyers de culture. V
475 ous prenne l’habitude de lui écrire pour suggérer des actions pratiques ou formuler des critiques fécondes. On risque toujo
476 e pour suggérer des actions pratiques ou formuler des critiques fécondes. On risque toujours de tomber dans l’abstrait ; et
477 re la plaque tournante de vos foyers, leur forum. Un dernier mot : on a parlé tout à l’heure de culture populaire. Je ne c
478 de culture populaire. Je ne crois pas qu’il y ait une culture populaire, comme je ne crois pas aux cultures nationales. Il
479 Il y a la culture, qu’il s’agit d’implanter dans des sols différents avec des méthodes qui peuvent différer, être populair
480 s’agit d’implanter dans des sols différents avec des méthodes qui peuvent différer, être populaires ou universitaires. C’e
481 ifférer, être populaires ou universitaires. C’est une grande tâche des foyers de contribuer à effacer cette distinction, à
482 ulaires ou universitaires. C’est une grande tâche des foyers de contribuer à effacer cette distinction, à faire que le mot
483 luxe intellectuel. Il faut qu’ils coopèrent dans un effort général pour donner au mot culture un contenu de vitalité huma
484 dans un effort général pour donner au mot culture un contenu de vitalité humaine, de création, d’ouverture vers l’avenir,
485 erture vers l’avenir, de liberté. Hier, j’ai reçu une lettre parlant des foyers où l’on disait : « j’espère que dans un foy
486 r, de liberté. Hier, j’ai reçu une lettre parlant des foyers où l’on disait : « j’espère que dans un foyer la maison seule
487 t des foyers où l’on disait : « j’espère que dans un foyer la maison seule ne compte pas, ni la mystique locale, c’est la
488 ser les tournois de ping-pong. Elles sont là pour des activités récréatives, bien entendu, mais surtout pour des activités
489 ités récréatives, bien entendu, mais surtout pour des activités créatrices, créatrices de quoi ? d’hommes à la fois libres
490 lliers de Foyers de Culture dont vous représentez un grand nombre. Je dirai, en terminant, que j’ai grande confiance depui
8 1952, Articles divers (1951-1956). La Suisse et l’Europe : M. Denis de Rougemont réagit (14 novembre 1952)
491 M. René-Henri Wüst a relaté ici, le 1er novembre, un entretien qu’il eut avec le professeur William Rappard. Les vues pers
492 rlocuteur de notre confrère ont ouvert la porte à un vaste débat sur ce sujet de la constitution de l’Europe et de la posi
493 i les propos que nous avons recueillis au cours d’ un entretien avec M. de Rougemont. Laissez-moi commencer par dire que je
494 Rappard. Ce que je préconise, ce n’est certes pas une européanisation de la Suisse, mais bien au contraire une helvétisatio
495 opéanisation de la Suisse, mais bien au contraire une helvétisation de l’Europe, c’est-à-dire d’une Europe qui s’inspirerai
496 ire une helvétisation de l’Europe, c’est-à-dire d’ une Europe qui s’inspirerait de l’expérience fédéraliste suisse. Or, ce q
497 plan Schuman a été installée à Luxembourg : c’est un fait, elle existe, et Anglais et Scandinaves — qui furent ses adversa
498 les plus absolus — n’ont pas tardé à lui envoyer des ambassadeurs comme à tout autre gouvernement souverain, et le Danemar
499 it le professeur Rappard, qui ajoutait : L’idée d’ une fédération européenne est maintenant une idée américaine, qui aurait
500 L’idée d’une fédération européenne est maintenant une idée américaine, qui aurait trouvé son expression dans le discours pr
501 ’administrateur du plan Marshall. C’est peut-être une idée américaine pour les Américains, mais pour nous ? C’est un peu vi
502 caine pour les Américains, mais pour nous ? C’est un peu vite oublier la Pan-Europe du comte Coudenhove-Kalergi, et le pro
503 it prononcé son discours, donc avant que l’idée d’ une fédération européenne soit devenue américaine, M. Rappard avait encor
504 t devenue américaine, M. Rappard avait encore été un des délégués suisses à la conférence de Londres, en 1949. Ainsi donc,
505 evenue américaine, M. Rappard avait encore été un des délégués suisses à la conférence de Londres, en 1949. Ainsi donc, et
506 t dans l’activité même du directeur de l’Institut des hautes études, pour démontrer que l’idée de l’Europe n’a pas attendu
507 la Suisse moderne. Ah ! oui ? Vous voulez parler des traditions communes des Vaudois et des Bernois, je pense ? Longue tra
508 oui ? Vous voulez parler des traditions communes des Vaudois et des Bernois, je pense ? Longue tradition en effet… comme c
509 lez parler des traditions communes des Vaudois et des Bernois, je pense ? Longue tradition en effet… comme celle qui « unis
510 ux-là, la France et l’Allemagne en ont également. Des traditions communes ? Entre les cantons-villes et les cantons-campagn
511 urquoi pas l’Europe ? Les Européens n’ont-ils pas des traditions communes que les Suisses n’avaient pas ? L’Europe est tout
512 deux-mille ans d’existence quand les montagnards des trois pays firent alliance en 1291. Non plus des projets… Oui,
513 s trois pays firent alliance en 1291. Non plus des projets… Oui, mais malgré cette antiquité, et pour reprendre une d
514 i, mais malgré cette antiquité, et pour reprendre une des affirmations du professeur Rappard, « cette Europe ne connaît mêm
515 ais malgré cette antiquité, et pour reprendre une des affirmations du professeur Rappard, « cette Europe ne connaît même pa
516 appard, « cette Europe ne connaît même pas encore un début de véritable réalisation ». Mais c’est nier l’évidence même, et
517 n Marshall ! Quant au plan Schuman, ce n’est plus un projet mais une réalisation en cours… Non, voyez-vous, ces arguments
518 ant au plan Schuman, ce n’est plus un projet mais une réalisation en cours… Non, voyez-vous, ces arguments ne sont pas séri
519 ous, ces arguments ne sont pas sérieux. … mais des réalités économiques Il en est d’autres cependant qui ne peuvent n
520 ger de la viabilité de l’Europe d’après le volume des échanges de la Suisse ! Mais à notre point de vue, ce 40 % est-il vra
521 et l’argument de cette finis Helvetiae me semble un rien démagogique. Non, rien ne sera fait contre nous si nous gardons
522 on, rien ne sera fait contre nous si nous gardons un contact actif au lieu de nous contenter de traiter de chimère ce plan
523 plus. Je ne sache pas que le Royaume-Uni ait joué un grand rôle dans la constitution de la Suisse, ou que l’Amérique du No
524 on de la Suisse, ou que l’Amérique du Nord ait eu une grande influence sur le cours de notre histoire. Et si cela était, et
525 Rappard l’idée de cette fédération européenne est une idée américaine, notre adhésion à l’Europe unie ne pourrait que combl
526 même sur le plan économique ? Et sa comparaison d’ un Sonderbund européen me semble tout aussi erronée. Cette fédération n’
527 le tout aussi erronée. Cette fédération n’est pas une ligue séparée, elle n’est pas en révolte contre une ligue plus vaste 
528 e ligue séparée, elle n’est pas en révolte contre une ligue plus vaste : elle est un début, et non seulement elle ne s’oppo
529 en révolte contre une ligue plus vaste : elle est un début, et non seulement elle ne s’oppose pas à ce que d’autres pays l
530 s elle le souhaite. Elle n’est pas plus opposée à une fédération plus vaste que la Confédération des huit ou des treize can
531 à une fédération plus vaste que la Confédération des huit ou des treize cantons ne pouvait être opposée à celle des vingt-
532 ation plus vaste que la Confédération des huit ou des treize cantons ne pouvait être opposée à celle des vingt-deux cantons
533 es treize cantons ne pouvait être opposée à celle des vingt-deux cantons. Et pourquoi pas l’Europe ? La France, l’All
534 t de se méfier… que de s’aimer et de se fondre en une seule patrie commune, constate M. Rappard. Eh ! oui. Un grand économi
535 le patrie commune, constate M. Rappard. Eh ! oui. Un grand économiste anglais, Josiah Tucker, doyen de Gloucester, n’écriv
536 ah Tucker, doyen de Gloucester, n’écrivait-il pas un an avant l’adoption par les États-Unis de leur constitution fédérale
537 rme républicaine, soit sous la forme monarchiste, une grande puissance, constitue une rêverie extrêmement ingénieuse, mais
538 orme monarchiste, une grande puissance, constitue une rêverie extrêmement ingénieuse, mais beaucoup plus illusoire que tout
539 aucoup plus illusoire que toutes les inventions d’ un romancier. Les antipathies réciproques et les intérêts contradictoire
540 thies réciproques et les intérêts contradictoires des Américains, les différences qui existent entre leurs gouvernements, l
541 ments, leurs usages, leurs habitudes nous donnent une certitude, c’est qu’ils ne pourront jamais trouver un centre d’union
542 ertitude, c’est qu’ils ne pourront jamais trouver un centre d’union et un seul intérêt commun » ! Et dans un de ses ouvrag
543 s ne pourront jamais trouver un centre d’union et un seul intérêt commun » ! Et dans un de ses ouvrages, M. Rappard ne man
544 tre d’union et un seul intérêt commun » ! Et dans un de ses ouvrages, M. Rappard ne manque pas de relever, avec l’ironie q
545 é ? Reste le problème de notre neutralité dans une fédération européenne ? Reconnaissons qu’à suivre les suggestions de
546 ivre les suggestions de M. Rappard, elle courrait un grave danger. Ne dit-il pas en effet : « Au lieu d’isoler quelques pa
547 re-Manche et d’outre-mer, en cherchant à en faire une seule et même patrie, ne vaudrait-il pas mille fois mieux les unir to
548 udrait-il pas mille fois mieux les unir tous dans une seule et même alliance ? » Alors quoi : est-ce à dire que nous devion
549 aborer sur le plan européen. À nous de rechercher une adaptation. Mais ce que je trouve le plus étonnant dans ces déclarati
550 La Suisse, Genève, 14 novembre 1952, p. 1-2. l. Une erreur s’est manifestement glissée ici, le projet Briand d’union euro
9 1952, Articles divers (1951-1956). Grandeur de la Petite Europe (5 décembre 1952)
551 e. On me demande : laquelle ? — Eh bien, l’Europe des Six, l’Europe de Luxembourg, la Haute Autorité, que certains nomment
552 les ! De cette Europe, vous commencez par laisser une moitié derrière le rideau de fer. De la moitié restante, le Conseil d
553 ction et je m’explique. Tout d’abord, vous faites une erreur en répétant que le rideau de fer coupe notre Europe par le mil
554 , contre 332 millions à l’ouest. Ce n’est donc qu’ un peu plus d’un cinquième des Européens que nous perdons, provisoiremen
555 uest. Ce n’est donc qu’un peu plus d’un cinquième des Européens que nous perdons, provisoirement, du côté est. Et le meille
556 e les ramener parmi nous sera sans doute de créer un noyau dense et riche d’Europe unie, qui exercera sur eux une puissant
557 ense et riche d’Europe unie, qui exercera sur eux une puissante attraction. Ensuite, avez-vous bien compté que les six pays
558 six pays de la Haute Autorité font tous ensemble un peu plus de 155 millions d’habitants ? Si vous appelez ce groupe la «
559  », disait l’autre jour Jean Monnet, parlez aussi des petits États-Unis qui ont tout juste autant d’habitants, ou de la pet
560 Valéry faisait remarquer que si l’on mettait dans un plateau de la balance l’Empire des Indes, dans l’autre le Royaume-Uni
561 on mettait dans un plateau de la balance l’Empire des Indes, dans l’autre le Royaume-Uni, le plateau chargé du plus petit n
562 d’habitants pencherait. Il faut donc tenir compte des richesses naturelles et de la production matérielle. Or, on peut véri
563 charbon, de l’acier et de l’électricité, l’Europe des Six est la deuxième puissance du monde : elle vient tout de suite apr
564 Les six pays que groupe la Haute Autorité forment une unité de civilisation et culture inégalée dans le monde moderne. Ils
565 monde moderne. Ils ont fait à eux seuls, au cours des siècles et grâce à leurs échanges continuels d’idées de procédés, de
566 l’architecture européennes. Et la majeure partie des sciences. Et les plus grandes philosophies. Le rayonnement de leurs é
567 que les Six aient décidé de vivre désormais dans un vase clos. La « Petite Europe » a cherché son salut dans l’union. Ell
568 le fait accompli, ont envoyé dès le premier jour, une ambassade auprès de la Haute Autorité. Les Suédois et peut-être demai
569 intérêts. Quant à ceux qui s’en vont répétant qu’ un noyau fédéral fait obstacle à une fédération plus étendue, ils ont co
570 vont répétant qu’un noyau fédéral fait obstacle à une fédération plus étendue, ils ont contre eux les leçons de l’Histoire
571 Grandeur de la Petite Europe », La IVe République des Pyrénées, Pau, 5 décembre 1952, p. 1-2.
10 1953, Articles divers (1951-1956). Préface à Photo + scène (1953)
572 issement de cette initiative. Si la musique reste une création spécifique de l’Europe, le théâtre est un langage mondial, m
573 e création spécifique de l’Europe, le théâtre est un langage mondial, mais qui exprime mieux que tout autre le rythme inti
574 i exprime mieux que tout autre le rythme intime d’ une civilisation. Le décor a pris en Europe, depuis la Renaissance italie
575 pe, depuis la Renaissance italienne et française, une importance que le drame sacré japonais ou hindou ne pouvait lui accor
576 ues mais de cinq siècles de peinture occidentale. Une exposition de photos de scène accomplissant le pèlerinage de nos fest
577 pèlerinage de nos festivals de musique offre donc un instantané saisissant de l’état présent des arts en Occident. Une diz
578 e donc un instantané saisissant de l’état présent des arts en Occident. Une dizaine de pays prennent part à ce concours. Be
579 aisissant de l’état présent des arts en Occident. Une dizaine de pays prennent part à ce concours. Belle occasion pour les
580 ience de ce fait que l’art n’est pas le produit d’ une nation mais de toute une culture, — ici l’européenne. Quelques grands
581 t n’est pas le produit d’une nation mais de toute une culture, — ici l’européenne. Quelques grands thèmes ou archétypes exp
582 me on peut comparer dans nos musées l’évolution d’ un grand sujet au cours des âges, de l’Italie aux Pays-Bas, puis à la Fr
583 nos musées l’évolution d’un grand sujet au cours des âges, de l’Italie aux Pays-Bas, puis à la France, puis à l’Allemagne
584 e Europe : celle qui se réalise dans la diversité des langages, des écoles, des sensibilités. Et c’est cela que notre union
585 le qui se réalise dans la diversité des langages, des écoles, des sensibilités. Et c’est cela que notre union doit préserve
586 alise dans la diversité des langages, des écoles, des sensibilités. Et c’est cela que notre union doit préserver, pour les
587 mp; Federmann, 1953, p. 1-3. o. Non paginé, avec des traductions italienne, allemande, anglaise et hollandaise.
11 1953, Articles divers (1951-1956). Rudolf Kassner (1953)
588 premiers textes de Kassner, lus en français dans une précieuse et simple traduction (de Jean Paulhan et Bernard Groethuyse
589 émorer l’espèce de choc que j’en reçus, à 25 ans, un seul mot me vient à l’esprit : autorité. Avant d’avoir compris ce qui
590 s ce qui était dit, j’avais reconnu la grandeur d’ un ton, d’un style, d’une impatience rigoureuse. Une manière « d’occuper
591 tait dit, j’avais reconnu la grandeur d’un ton, d’ un style, d’une impatience rigoureuse. Une manière « d’occuper la scène 
592 avais reconnu la grandeur d’un ton, d’un style, d’ une impatience rigoureuse. Une manière « d’occuper la scène » en trois ré
593 ’un ton, d’un style, d’une impatience rigoureuse. Une manière « d’occuper la scène » en trois répliques, d’imposer une allu
594 ’occuper la scène » en trois répliques, d’imposer une allure à la fois calme et circonspecte, n’admettant que des gestes pr
595 à la fois calme et circonspecte, n’admettant que des gestes précis et maîtrisés, puis de la briser soudain par une cascade
596 récis et maîtrisés, puis de la briser soudain par une cascade d’ellipses saisissantes qui laissaient le lecteur pantois, co
597 injonction du Sphinx : devine, ou je te dévore ! Une constante énergie de l’énoncé. Et une grande force d’exclusion. Seuls
598 te dévore ! Une constante énergie de l’énoncé. Et une grande force d’exclusion. Seuls les mondains, pensais-je, savent enco
599 ette parfaite assurance, mais par manie, au nom d’ une mode ; ici, tout au contraire, la force simplificatrice, l’intoléranc
600 te faible, de l’adjectif incertain, et en général des complaisances « artistes » ou des clichés philosophiques, s’exerçaien
601 , et en général des complaisances « artistes » ou des clichés philosophiques, s’exerçaient en vertu d’une réflexion passion
602 s clichés philosophiques, s’exerçaient en vertu d’ une réflexion passionnément originale. Et je tentais de décrire — dans le
603 on. Vingt ans plus tard, je la vois confirmée par un commerce rarement interrompu avec une œuvre dont la difficulté, préci
604 onfirmée par un commerce rarement interrompu avec une œuvre dont la difficulté, précisément, n’a pas cessé de me séduire et
605 se qu’il est devenu banal de déplorer l’obscurité des essais et dialogues de Kassner. Elle est pourtant la garantie de leur
606 r pouvoir, et ne saurait traduire, à mon avis, qu’ une intention profondément délibérée. Car il s’agit ici d’une maïeutique,
607 ntion profondément délibérée. Car il s’agit ici d’ une maïeutique, s’exerçant sur les mythes de l’âme. Je parlais tout à l’h
608 ’ellipse de pensée n’est nullement, chez Kassner, un procédé de rhétorique, une manière de sauter les évidences ou platitu
609 ullement, chez Kassner, un procédé de rhétorique, une manière de sauter les évidences ou platitudes intermédiaires. Elle es
610 évidences ou platitudes intermédiaires. Elle est un acte de vision. Nous montrant d’un seul coup, sans transition, plusie
611 me sépare, non seulement elle oblige à les voir d’ un œil neuf, mais encore elle excite à découvrir l’angle particulier sou
612 i « message ».) Elle propose donc à l’imagination un exercice spirituel, assez analogue, il me semble, à ceux qu’imposent
613 quieu, et il ajoute : « Ce qui fait ordinairement une grande pensée, c’est lorsqu’on dit une chose qui en fait voir un gran
614 inairement une grande pensée, c’est lorsqu’on dit une chose qui en fait voir un grand nombre d’autres, et qu’on nous fait d
615 e, c’est lorsqu’on dit une chose qui en fait voir un grand nombre d’autres, et qu’on nous fait découvrir tout d’un coup ce
616 bre d’autres, et qu’on nous fait découvrir tout d’ un coup ce que nous ne pouvions espérer qu’après une grande lecture. » A
617 ’un coup ce que nous ne pouvions espérer qu’après une grande lecture. » Ainsi Kassner, dans ses dialogues. Chaque interlocu
618 s’oriente vers le mystère crucial. S’agirait-il d’ une théologie ? Certainement non. Kassner veut voir. D’une gnose alors ?
619 héologie ? Certainement non. Kassner veut voir. D’ une gnose alors ? On pourrait le penser. Mais ceux qui se font de la poés
620 ait le penser. Mais ceux qui se font de la poésie une idée finalement plus favorable au « Livre de Job » et aux proverbes z
621 t Commerce erschienenen Werke Rudolf Kassners : «  Des éléments de la grandeur humaine », « La chimère », « Le lépreux », « 
12 1953, Articles divers (1951-1956). Des conciles à la bombe atomique ou la fin dans le commencement (janvier 1953)
622 Des conciles à la bombe atomique ou la fin dans le commencement (janvier
623 s le commencement (janvier 1953)q r Les fins d’ une civilisation ne sont pas visibles à son terme, et rien ne se passe ja
624 finissait par les atteindre : au contraire, quand une civilisation meurt, c’est justement qu’elle a perdu le sens de ses fi
625 lle renonce à les saisir. De même, les origines d’ une civilisation ne doivent pas être recherchées dans son passé le plus r
626 nverse est aussi vrai. Ainsi de l’Europe, qui est une culture, foyer de toute la civilisation occidentale : ni dans le temp
627 Europe ne saurait être interprétée ni définie par un ensemble de mesures sacrées, encore moins par quelque système rendant
628 vie siècle. Ces options tracent les résultantes des apports grecs, romains, juifs et chrétiens, bi- et multilatéralement
629 ntagonismes, convergeant au carrefour hasardeux d’ une Histoire née comme telle de trois mots du Credo : « sous Ponce Pilate
630 — fondait toute la logique antinomique, dont l’un des points d’éclatement naturel (ou diabolique) serait un jour Hiroshima 
631 oints d’éclatement naturel (ou diabolique) serait un jour Hiroshima ; ni que le dogme de la Trinité — trois fonctions pers
632 e de la Trinité — trois fonctions personnelles en un seul Créateur — fondait ou refondait la dialectique et tout l’ensembl
633 it ou refondait la dialectique et tout l’ensemble des institutions juridiques, éthiques et sociales qui découlent de l’idée
634 , la sémantique la plus follement précise (puisqu’ un iota bouleversait tout) se trouva définir, aux grands jours de Nicée,
635 aux grands jours de Nicée, le type de réalité que des siècles d’Europe entreprendraient de « vérifier » ou de reconnaître,
636 ie de leur archétype. La réalité se définit, pour une civilisation donnée, par le champ de recherches qu’instituent certain
637 vivant, intuitivement perçue par les aventuriers des arts, explique l’incertitude de leur vocabulaire. Adonnés à la même r
638 nt contradictoires et notoirement insuffisantes d’ un acte de l’esprit qui est pourtant bien le même, mais qu’il nous reste
639 à définir. (Concevoir a deux sens aussi, mais en un mot.) 2) L’éclatement d’une bombe H vérifie cette harmonie préétablie
640 ux sens aussi, mais en un mot.) 2) L’éclatement d’ une bombe H vérifie cette harmonie préétablie, ou ce mariage de notre esp
641 e se trouve justifier, par ailleurs, l’ambition d’ une peinture dite abstraite, ambition qui n’est point ou ne doit pas être
642 ou ne doit pas être celle de coïncider, soit avec des structures préformées de notre esprit, soit avec quelque loi formatri
643 pelé. Mais il est en train de franchir le seuil d’ une connaissance nouvelle. La découverte (ou l’invention ?) de l’antimati
644 ument et dont il vit. q. Rougemont Denis de, «  Des conciles à la bombe atomique ou la fin dans le commencement », The Al
645 1953, p. 1. r. Le texte français est publié avec une traduction anglaise en regard. Introduit par la note suivante : « C’e
646 s la mesure où le christianisme a signifié la fin des religions et des magies, nées de la peur, qu’il a permis le développe
647 christianisme a signifié la fin des religions et des magies, nées de la peur, qu’il a permis le développement de la scienc
13 1953, Articles divers (1951-1956). Suisse, Europe et neutralité (6 mars 1953)
648 s défendre devant vous tient en deux phrases : 1. Une discussion sur l’abandon volontaire de notre neutralité serait aujour
649 traditionnelle, il faudrait que l’une ou l’autre des conditions suivantes soit donnée : — soit une attaque militaire contr
650 tre des conditions suivantes soit donnée : — soit une attaque militaire contre la Suisse, — soit une autorité fédérale de l
651 it une attaque militaire contre la Suisse, — soit une autorité fédérale de l’Europe à laquelle nous puissions adhérer. L’un
652 dans le premier cas, et dans le second cas, comme une conséquence accessoire de notre entrée dans un corps politique plus l
653 e une conséquence accessoire de notre entrée dans un corps politique plus large, entrée qui aurait été le véritable objet
654 raient les effets pratiques ? Dans l’état présent des choses et de l’opinion publique, chez nous et dans les pays voisins,
655 ion publique, chez nous et dans les pays voisins, un tel geste paraîtrait à la fois dénué de sagesse et d’efficacité. Il r
656 e ce terme. On ne voit donc pas d’objet concret à une discussion, aujourd’hui, sur l’abandon de notre neutralité. Dans ces
657 depuis le fin de la guerre, et menace de devenir un sujet de discorde entre les Confédérés ? Cela tient à deux causes bie
658 ure celle-là, qui est la manière dont la majorité des Suisses considèrent la neutralité : comme un tabou, non comme une mes
659 ité des Suisses considèrent la neutralité : comme un tabou, non comme une mesure politique. On nous dit : comment pouvez-v
660 idèrent la neutralité : comme un tabou, non comme une mesure politique. On nous dit : comment pouvez-vous rester neutres en
661 visés comme les autres peuples. Le stalinisme est une doctrine et une pratique expressément anti-européennes, or vous êtes
662 autres peuples. Le stalinisme est une doctrine et une pratique expressément anti-européennes, or vous êtes des Européens, d
663 tique expressément anti-européennes, or vous êtes des Européens, donc vous ne pouvez pas rester neutres entre l’Europe et s
664 arti stalinien ne peut réunir chez nous que 2,5 % des voix électorales. Le Conseil fédéral a pris des mesures de défense co
665 % des voix électorales. Le Conseil fédéral a pris des mesures de défense contre les staliniens (exclusions de fonctionnaire
666 e solide du continent, et que nous lui consacrons une proportion de notre budget national beaucoup plus forte que tous les
667 réelle ? Certes non. Notre neutralité est devenue un objet de discussions par la seule faute de ceux qui s’en réclament à
668 sse, c’est eux. Et dès lors la neutralité devient un problème épineux. J’aborde ici la seconde partie de ma thèse. II
669 e, en Suisse, à notre action. Je vous en donnerai un exemple. Le Centre européen de la culture, à Genève, s’est vu refuser
670 xtes allégués sont vagues, et leur sincérité pose des problèmes. Les vraies raisons de ces deux refus, je le sais, sont d’u
671 ies raisons de ces deux refus, je le sais, sont d’ un ordre psychologique bien plus encore que politique : toute personne p
672 ans le domaine du « sacré », selon le vocabulaire des sociologues. La raison et le bon sens éclairé restent sans prises sur
673 éjugés. J’ai cité cet exemple précis pour définir une situation psychologique. Comment pourrons-nous la redresser ? Je vous
674 la redresser ? Je vous propose, pour aujourd’hui, une série de dix arguments, qui peuvent fournir les thèmes d’une campagne
675 e dix arguments, qui peuvent fournir les thèmes d’ une campagne efficace : Les fédéralistes ne demandent pas l’abandon de
676 t. Ils laissent aux communistes le soin de verser des larmes de crocodile sur cet abandon prétendu. Ils estiment que la neu
677 s estiment que la neutralité reste pour la Suisse un atout, qu’elle ne doit pas jouer sans d’impérieuses raisons. Les féd
678 au centre de l’Europe ; qu’elle a pris naissance un peu après le milieu de l’histoire de l’Europe ; que son sort dépend d
679 e rien ne s’oppose dans notre statut de neutres à des conversations avec la Haute-Autorité de Luxembourg, conversations que
680 ricains pour proclamer depuis 1933 la nécessité d’ une Europe unie. Ils sont seuls à entretenir en Suisse des contacts étroi
681 urope unie. Ils sont seuls à entretenir en Suisse des contacts étroits avec les mouvements qui ont obtenu la création du no
682 ments qui ont obtenu la création du noyau fédéral des six pays du pool charbon-acier. Concernant la défense de l’Europe, le
683 ution fédérale peut et doit servir de modèle pour une Europe fédérée, dans le respect des diversités nationales, traditionn
684 e modèle pour une Europe fédérée, dans le respect des diversités nationales, traditionnelles ou récemment acquises. De plus
685 sont convaincus que notre neutralité peut rester un statut politique utile à la Suisse et non nuisible à l’Europe, jusqu’
686 mpatriotes, de cette vérité fondamentale, mais qu’ une opinion somnolente et des magistrats aux vues courtes s’efforcent enc
687 é fondamentale, mais qu’une opinion somnolente et des magistrats aux vues courtes s’efforcent encore de ne pas regarder en
14 1953, Articles divers (1951-1956). Unité et diversité de l’Europe (juin 1953)
688 n Âge et elle avait atteint au début de ce siècle une espèce d’unité matérielle : le voyageur pouvait la traverser de Madri
689 enirs de deux guerres : où trouver dans tout cela un dénominateur commun, et que venez-vous parler d’union, quand l’unité
690 nalités, de partis politiques et d’intérêts, dans une espèce d’espéranto totalitaire… Cette vision pessimiste de notre sort
691 a fait croire que l’unité et la diversité étaient des réalités contradictoires ; que nos divisions nationales étaient sacré
692 de nos pays, sauvegardant leurs diversités, était une rêverie condamnable doublée d’une erreur de logique. Il est aisé de r
693 versités, était une rêverie condamnable doublée d’ une erreur de logique. Il est aisé de répondre à ces sophismes par un exe
694 ique. Il est aisé de répondre à ces sophismes par un exemple bien connu, et par un rappel à l’histoire. Logique ou non, la
695 à ces sophismes par un exemple bien connu, et par un rappel à l’histoire. Logique ou non, la Suisse existe, réfutation viv
696 précis et néfaste du terme, n’a sévi que pendant un siècle et demi sur les deux-mille ans de notre ère. Le phénomène de l
697 énomène de la nation fermée, imposant la limite d’ une langue à des réalités toutes différentes, comme l’économie, les échan
698 nation fermée, imposant la limite d’une langue à des réalités toutes différentes, comme l’économie, les échanges, la défen
699 échanges, la défense, la géographie, se réduit à une tranche très mince de l’immense aventure humaine. Ce manque d’épaisse
700 nous rendre méfiants, lorsqu’il s’agit de porter un jugement sur l’avenir, comme dans le cas de l’union de l’Europe. Mais
701 ue la nation, au sens dix-neuviémiste du mot, est une forme d’association périmée à bien des égards. Il n’est pas une natio
702 u mot, est une forme d’association périmée à bien des égards. Il n’est pas une nation de l’Europe d’aujourd’hui qui puisse
703 sociation périmée à bien des égards. Il n’est pas une nation de l’Europe d’aujourd’hui qui puisse se dire indépendante, soi
704 nationales. Pour peu que l’on compare l’ensemble des pays de l’Europe à d’autres continents, comme l’Asie, l’Afrique ou l’
705 fférenciations récentes. Nous voyons tout d’abord une religion commune, avec toutes ses subdivisions qui portent un air de
706 commune, avec toutes ses subdivisions qui portent un air de famille. (Les textes des liturgies de communion romaine, angli
707 isions qui portent un air de famille. (Les textes des liturgies de communion romaine, anglicane, luthérienne et même calvin
708 peu de phrases près. Nous l’ignorons, mais c’est un fait.) Les réactions parfois violentes au christianisme (athéisme, an
709 a, du concerto, de la symphonie ou de la façade d’ un palais. Nos modèles d’organisation de la vie sociale ou politique dér
710 « nationaux » par la science démodée de Herder et des romantiques mais dont la science actuelle tire au contraire ses meill
711 urope, n’ont jamais été nationales : elles furent des œuvres collectives, passant de foyers en écoles, du sud au nord, à l’
712 du sud au nord, à l’ouest puis à l’est, au cours des âges sans frontières. Et enfin, et surtout, ce que nous avons de comm
713 n, et surtout, ce que nous avons de commun, c’est une certaine passion de différer, une certaine manière de dire « moi », e
714 e commun, c’est une certaine passion de différer, une certaine manière de dire « moi », et de nous distinguer ainsi de la t
715 sance, et le rend différent de l’Hindou qui est d’ une caste, de l’Africain qui est d’une tribu, non moins que du Soviétique
716 ndou qui est d’une caste, de l’Africain qui est d’ une tribu, non moins que du Soviétique conditionné par les décrets du « d
717 . Au contraire, nos diversités redeviennent alors un trait fondamental du mode de vivre européen : chez nous seulement ell
718 nuels d’histoire, le journal par son exploitation des préjugés reçus de l’école, certaine littérature aussi pour laquelle t
719 tout ce qui est national est sacré, entretiennent un esprit nationaliste qui n’est plus gagé sur les faits, sur les divers
720 és vivantes, et qui freine l’union nécessaire. Qu’ un tel nationalisme survive à ses raisons, en perdant ses racines dans l
721 austrophobie du cosmopolitisme, il y a place pour un réalisme. t. Rougemont Denis de, « Unité et diversité de l’Europe 
15 1953, Articles divers (1951-1956). Pourquoi je suis Européen (20 juin 1953)
722 raisons toutes personnelles qui ont fait de vous un partisan de l’Europe unie ? Je suis né à Neuchâtel, c’est-à-dire dans
723 isse en 1848. Jusqu’à cette date, Neuchâtel était une principauté dont le souverain se trouvait être, en même temps, le roi
724 , en Allemagne, en Italie, en France — retrouvant des cousins un peu partout, je ne me suis jamais senti étranger dans aucu
725 ne, en Italie, en France — retrouvant des cousins un peu partout, je ne me suis jamais senti étranger dans aucun de nos pa
726 t de mes livres, tous centrés sur la définition d’ une doctrine personnaliste dont la traduction politique est, à mes yeux,
727 yeux, le fédéralisme. J’ai participé au lancement des revues L’Ordre nouveau et Esprit et des groupes personnalistes do
728 ement des revues L’Ordre nouveau et Esprit et des groupes personnalistes dont elles étaient les deux foyers. C’était au
729 ropéen parce qu’antifédéraliste. Mobilisé pendant un an en Suisse, et dans un pays entièrement cerné par les nazis et les
730 aliste. Mobilisé pendant un an en Suisse, et dans un pays entièrement cerné par les nazis et les fascistes, j’ai publié un
731 cerné par les nazis et les fascistes, j’ai publié un ouvrage intitulé Mission ou démission de la Suisse , dans lequel j’e
732 x dire, l’attitude fédéraliste, et la nécessité d’ une union européenne. C’est donc bien en tant que fédéraliste que je réag
733 ment aux hitlériens, que je décrivais alors comme des « jacobins en chemise brune ». Étant lecteur à l’Université de Francf
734 1935 à 1936, j’avais eu l’insolence de professer un cours sur le parallélisme entre les doctrines jacobines et hitlérienn
735 nes jacobines et hitlériennes, cours qui provoqua des mouvements divers parmi les étudiants, dont plusieurs étaient en unif
736 oir et brun. Du jacobinisme est sorti Napoléon et des guerres de Napoléon le nationalisme de tout un siècle. Napoléon voula
737 t des guerres de Napoléon le nationalisme de tout un siècle. Napoléon voulait faire l’Europe, oui, mais comme Hitler : il
738 ire l’Europe, oui, mais comme Hitler : il voulait un État européen et non l’Europe réelle. Il voulait nommer des préfets…
739 uropéen et non l’Europe réelle. Il voulait nommer des préfets… L’état d’esprit jacobin, centralisateur, unificateur et néce
740 écisément, dans notre passion de différer les uns des autres : c’est ce que nous avons tous en commun. J’écris en ce moment
741 e nous avons tous en commun. J’écris en ce moment un livre qui sera intitulé : Le Sens de nos vies x, et dans lequel j’esq
742 Le Sens de nos vies x, et dans lequel j’esquisse une histoire de l’homme européen, ou plutôt de sa manière de dire « je »
743 de sa manière de dire « je » ou « moi ». C’est là une notion essentiellement européenne, et que nous avons eu tort de tenir
744 , et moi-même, bien autre chose que l’entrée dans un parti !) D’où notre critique de l’individualisme irresponsable qui, d
745 taire que nous subissons. C’est avec la poussière des individus que l’État fait son ciment. Les Grecs ont inventé l’individ
746 sme lui a ajouté la vocation. L’individu chargé d’ une vocation qui, à la fois, le distingue de la tribu et le relie à son p
747 sonne. On l’a dit : pour l’individu, il n’y a que des voisins inévitables, pour la personne il y a des prochains… Mais nous
748 des voisins inévitables, pour la personne il y a des prochains… Mais nous nous éloignons de notre sujet… Tout ce que je vi
749 tte année-là, j’ai été envoyé aux États-Unis pour une série de conférences. De là, j’ai été en Argentine et, à mon retour à
750 moyen de revenir en Suisse. À New York, j’ai fait une nouvelle découverte de l’Europe. Aux yeux des Américains il n’y a pas
751 ait une nouvelle découverte de l’Europe. Aux yeux des Américains il n’y a pas des Français, des Suisses, des Allemands, mai
752 de l’Europe. Aux yeux des Américains il n’y a pas des Français, des Suisses, des Allemands, mais seulement des Européens. M
753 ux yeux des Américains il n’y a pas des Français, des Suisses, des Allemands, mais seulement des Européens. Ma position féd
754 méricains il n’y a pas des Français, des Suisses, des Allemands, mais seulement des Européens. Ma position fédéraliste euro
755 nçais, des Suisses, des Allemands, mais seulement des Européens. Ma position fédéraliste européenne était par essence antih
756 erre contre Hitler se présentait, pour moi, comme une guerre pour l’Europe unie. Je ne me doutais pas, alors, qu’Hitler s’é
757 nationales de Genève… En juillet 1947, rentrant d’ un nouveau séjour à New York, je reçus la visite de Raymond Silva, que j
758 , et qui, sans préambule, me demanda d’ouvrir par un discours le premier congrès fédéraliste qui allait se tenir à Montreu
759 ir à Montreux. Comme j’hésitais à intervenir dans une situation politique que je n’avais pu suivre que de très loin, il me
760 ilitants du nouveau mouvement, l’Union européenne des fédéralistes. J’étais embarqué. Résumons : j’ai été conduit à l’idée
761 tion philosophique et même théologique, enfin par une double prise de conscience historique, provoquée d’une part par le na
762 ulture. Faut-il comprendre que vous êtes partisan des efforts pour l’union politique qui se poursuivent à Strasbourg et à L
763 ? Naturellement. Je suis aussi pour la fédération des Six. Il est conforme à la doctrine et surtout à la pratique fédéralis
764 urtout à la pratique fédéraliste de commencer par des petites réalisations, par quelques-uns, ceux qui veulent. Le fédérali
765 e regrettez-vous pas que votre pays ne prenne pas une part plus active à la construction européenne ? Je crains que la Suis
766 ns qui résument parfaitement notre isolationnisme un peu mesquin et la grandeur de l’idée fédéraliste que nous avons réali
767 e de Rougemont n’a été publié sous ce titre, mais un essai paru dans la revue Preuves en juin 1952. L’Aventure occidental
16 1953, Articles divers (1951-1956). Une fausse nouvelle : « Dieu est mort » (juin-juillet 1953)
768 Une fausse nouvelle : « Dieu est mort » (juin-juillet 1953)u Le thème
769 constitué depuis la fin de la guerre la hantise d’ une partie assez importante de la littérature contemporaine. Repris de Ni
770 contemporaine. Repris de Nietzsche vers 1944 par des écrivains que les circonstances rendaient influents, il est quotidien
771 pensants s’indignent, comme si l’on avait proféré un propos d’une extrême gravité : attitude incompréhensible de la part d
772 ndignent, comme si l’on avait proféré un propos d’ une extrême gravité : attitude incompréhensible de la part des chrétiens,
773 ir que l’existence de Dieu n’est pas affectée par une polémique locale dans le temps et dans l’espace. Mais l’inconséquence
774 ’est pas moindre dans le camp, d’ailleurs divisé, des agnostiques. Déjà l’on parle de mystiques sans Dieu, des saints sans
775 ostiques. Déjà l’on parle de mystiques sans Dieu, des saints sans Dieu. Malraux se demande si la mort de Dieu n’entraîne pa
776 our s’abandonner au plaisir masochiste de décrire un monde « absurde », etc. Cependant, je ne vois pas que ce thème, parto
777 ils imaginent ou de celui que beaucoup prient ? D’ une caricature commode ou de la première Personne de la Trinité ? Du Dieu
778 u de la première Personne de la Trinité ? Du Dieu des philosophes ou du Dieu des Prophètes ? D’une attitude psychologique o
779 e la Trinité ? Du Dieu des philosophes ou du Dieu des Prophètes ? D’une attitude psychologique ou d’une réalité ontologique
780 Dieu des philosophes ou du Dieu des Prophètes ? D’ une attitude psychologique ou d’une réalité ontologique ? Ou seulement du
781 des Prophètes ? D’une attitude psychologique ou d’ une réalité ontologique ? Ou seulement du mot de passe d’un nouveau confo
782 lité ontologique ? Ou seulement du mot de passe d’ un nouveau conformisme ? Exiger sur tout cela un peu d’honnête clarté, c
783 e d’un nouveau conformisme ? Exiger sur tout cela un peu d’honnête clarté, ce serait le moyen de faire entrevoir quelques
784 , et sur son objectivité. Ils prétendent annoncer une nouvelle, la mauvaise nouvelle de la mort récente de Dieu, c’est-à-di
785 nouvelle de la mort récente de Dieu, c’est-à-dire un anti-évangile (evangelos : la bonne nouvelle). Nous voici donc contra
786 erai pas l’inventeur de la phrase : Nietzsche est un cas suffisamment connu7. Et, d’ailleurs, il a partiellement démenti s
787 l a partiellement démenti son message en écrivant un jour ceci : « La réfutation de Dieu : ce n’est que le Dieu moral qui
788 te que tout, puisqu’en son nom l’on peut trancher une question d’existence réelle. Il ne faut pas que Dieu et le diable exi
789 homme en pâtirait. Nous sommes donc en présence d’ une morale fanatique, c’est-à-dire d’une morale prête à nier telle ou tel
790 n présence d’une morale fanatique, c’est-à-dire d’ une morale prête à nier telle ou telle réalité8, pour peu que celle-ci fa
791 lui venir cette passion de la responsabilité ? D’ une volonté d’affirmer l’homme et ses pouvoirs, répondrait-il. Et c’est d
792 ’homme et ses pouvoirs, répondrait-il. Et c’est d’ une manière analogue que Malraux et Jaspers interprètent ici le cri de Ni
793 pers interprètent ici le cri de Nietzsche : comme une proclamation de l’avènement de l’homme. Ceci couvre une étrange équiv
794 oclamation de l’avènement de l’homme. Ceci couvre une étrange équivoque. En effet, Sartre ne prend pas le mot « responsable
795 mais bien à celui de démiurge ; non pas au sens d’ un homme, mais bien d’un dieu. Ce dernier trait est capital. On sent qu’
796 émiurge ; non pas au sens d’un homme, mais bien d’ un dieu. Ce dernier trait est capital. On sent qu’il trahit un refus de
797 e dernier trait est capital. On sent qu’il trahit un refus de la réalité donnée, la sienne d’abord (« Je vais me faire à m
798 e l’arrogance intellectuelle, le terme délirant d’ un individualisme de surcompensation, qui ne pourra plus que se nier lui
799 guère encore on le traitait de rat visqueux, ou d’ une manière plus précise, d’individualiste petit-bourgeois. Ce rapide exa
800 ’individualiste petit-bourgeois. Ce rapide examen des sources nous ramène à des prises de position peu compliquées. Sartre
801 geois. Ce rapide examen des sources nous ramène à des prises de position peu compliquées. Sartre annonçant que Dieu est mor
802 tistiques du christianisme, de l’islam et de bien des religions que nous nommons païennes.) Voyons maintenant la crédibilit
803 clair qu’elle ne peut être estimée sur le fait qu’ une majorité la récuse.) ⁂ Hors du plan de la polémique, soit nietzschéen
804 t et logiquement, la phrase « Dieu est mort » est un non-sens. Car où bien « Dieu » ne signifie rien — et dans ce cas il n
805 n tant que personne, il se serait donc produit, à un certain moment précis, dans le temps et dans l’espace (mais où et qua
806 s le temps et dans l’espace (mais où et quand ?), un événement cosmique sans précédent, « un événement concernant l’être »
807 quand ?), un événement cosmique sans précédent, «  un événement concernant l’être », précise Jaspers. Comment croire que Ni
808 grandes et petites épreuves, le Dieu personnel en un mot, omniscient et omniprésent apparaît à beaucoup de nos contemporai
809 t pas surprenant. C’est même aisément explicable. Un Dieu personnel est incroyable et absurde, en effet, dans une vue stat
810 rsonnel est incroyable et absurde, en effet, dans une vue statistique du monde et pour l’imagination aujourd’hui courante d
811 tive que représente l’homme sur la terre, atome d’ un système solaire, atome lui-même d’une galaxie, atome à son tour de l’
812 rre, atome d’un système solaire, atome lui-même d’ une galaxie, atome à son tour de l’espace-temps d’un univers à l’expansio
813 une galaxie, atome à son tour de l’espace-temps d’ un univers à l’expansion indéfinie… Et compter les cheveux de sa tête !
814 e, dès que le regard se tourne vers l’homme, vers un homme bien déterminé, vers « moi », et le voit de plus en plus près,
815 que. Si nos savants s’étaient bornés à considérer des paysages, des villes, la mer, le ciel, des autos, des livres d’économ
816 vants s’étaient bornés à considérer des paysages, des villes, la mer, le ciel, des autos, des livres d’économie politique o
817 idérer des paysages, des villes, la mer, le ciel, des autos, des livres d’économie politique ou le sort des masses, l’énerg
818 paysages, des villes, la mer, le ciel, des autos, des livres d’économie politique ou le sort des masses, l’énergie nucléair
819 autos, des livres d’économie politique ou le sort des masses, l’énergie nucléaire non seulement n’eût jamais été visible ou
820 ensible qu’au cœur, c’est-à-dire au plus intime d’ une personne bien réelle et distincte. Il est donc normal que le Dieu per
821 ue le Dieu personnel reste l’Absurde, en dehors d’ une rencontre qui ne peut avoir lieu que dans l’intime, comme la transfor
822 me, et comme l’amour nulle part ailleurs que dans un cœur. 7. Voir le bref et admirable ouvrage de Karl Jaspers : Nietzs
823 uelqu’un croit qu’il n’est pas, reste en tout cas une réalité pour l’écrasante majorité des hommes vivants. u. Rougemont
824 en tout cas une réalité pour l’écrasante majorité des hommes vivants. u. Rougemont Denis de, « Une fausse nouvelle : “Die
825 té des hommes vivants. u. Rougemont Denis de, «  Une fausse nouvelle : “Dieu est mort” », Liberté de l’esprit, Paris, juin
17 1954, Articles divers (1951-1956). Ce petit cap de l’Asie (1er juin 1954)
826 vraie qu’on ne le croit. Ce ne sont pas seulement des palaces et quelques belles villas qu’« occupent » les Asiatiques. C’e
827 écisions, nous détournant ainsi du vrai problème, des vrais périls urgents et de leur solution pour le salut de l’Occident.
828 ccidental, beaucoup plus que la paix, qui demande un sens à sa vie, une direction à son espoir… Et cependant, si les renco
829 p plus que la paix, qui demande un sens à sa vie, une direction à son espoir… Et cependant, si les rencontres de Berlin se
830 , si les rencontres de Berlin se sont soldées par un échec sur tous les points de l’ordre du jour, elles n’en ont pas moin
831 l’ordre du jour, elles n’en ont pas moins apporté un élément de pittoresque au débat sur l’union de l’Europe : M. Molotov,
832 olotov, qui voit grand, jugeant mesquine l’Europe des Six, a promis une Europe des Trente-Deux. (J’avoue que le compte n’es
833 rand, jugeant mesquine l’Europe des Six, a promis une Europe des Trente-Deux. (J’avoue que le compte n’est pas facile à éta
834 nt mesquine l’Europe des Six, a promis une Europe des Trente-Deux. (J’avoue que le compte n’est pas facile à établir. Mais
835 s, qui dénonçaient à grands cris la disproportion des forces au sein des Six, entre la France et l’Allemagne de l’Ouest c’e
836 à grands cris la disproportion des forces au sein des Six, entre la France et l’Allemagne de l’Ouest c’est-à-dire entre 43
837 ’habitants, seront sans doute rassurés à l’idée d’ un bloc russe de 200 millions établissant d’un seul coup la balance. Les
838 eux. Après tout, l’Europe est-elle autre chose qu’ un cap de l’Asie ? Elle retrouverait ainsi sa juste place, dans une conc
839 ie ? Elle retrouverait ainsi sa juste place, dans une conception sainement géographique et matérialiste du monde, Retenons,
840 érialiste du monde, Retenons, de ces divagations, un fait curieux : l’idée européenne a fait de tel progrès que M. Molotov
841 ccepter d’abord. Quitte à tenter de l’écraser par une surenchère insensée. Et surtout soulignons d’autant plus fortement qu
842 e d’Europe unie a constitué le plus sérieux atout des peuples libres dans leur confrontation avec Moscou. Non point que le
843 qui ont mis l’Occident en mesure de discuter sur un fondement solide : nous avions quelque chose à défendre, qui n’était
844 rande-Bretagne et les États-Unis, sur l’imbroglio des guerres locales d’Extrême-Orient, afin de nous détourner du problème
845 ention du monde va se concentrer sur le théâtre d’ une bataille où l’Occident désormais joue perdant. Le monde entier verra
846 ier verra nos défaites militaires, et l’insolence des envoyés de l’Asie rouge distribuant à nos hommes d’État des camouflet
847 s de l’Asie rouge distribuant à nos hommes d’État des camouflets très peu « diplomatiques ». Pendant des mois, l’Europe ne
848 es camouflets très peu « diplomatiques ». Pendant des mois, l’Europe ne fera plus rien pour son union ; bien plus, elle va
849 Annexer l’Indochine à l’empire communiste serait un moyen de rétablir la « paix » dans le Sud-Est de l’Asie, puisque cell
850 révolte asiatique et du colonialisme soviétique, une Europe persistant à rester désunie doit rapidement périr par asphyxie
851 intellectuel et spirituel déprimé, repliement sur une misère et des rancunes croissantes ; par suite, l’invasion irrésistib
852 t spirituel déprimé, repliement sur une misère et des rancunes croissantes ; par suite, l’invasion irrésistible de la propa
853 otalitaire, et démission finale entre les mains d’ une petit groupe d’« apaiseurs », formule Bénès : on sait la suite. Seule
854 l’union européenne, capable d’opposer aux Russes une puissance qui les tienne en respect. Et tout le Sud-Est de l’Asie dev
855 temps utile si les efforts présents de fédération des Six échouent. (Début modeste, si l’on veut, mais seul concret.) Ces e
856 isse peu de jeu à l’imagination et aux surprises. Une remarque finale résumera ma pensée : Si la CED était votée demain, la
857  » et de garanties à obtenir sur le papier contre une Allemagne d’après-demain — que l’Histoire va juger le vote français s
858 e CED. Le sort de l’Europe dans le monde dépend d’ une poignée de députés dont on ne saura jamais les noms : ceux qui se déc
18 1954, Articles divers (1951-1956). La CED, ses mythes et sa réalité (12 août 1954)
859 uté européenne de défense n’est pour le moment qu’ un traité, ou mieux, un projet de traité, dont tout le monde parle depui
860 ense n’est pour le moment qu’un traité, ou mieux, un projet de traité, dont tout le monde parle depuis deux ans, sur leque
861 rets opérés à la Chambre française : il semble qu’ un peu moins d’un député sur dix ait pris la peine de lire ce texte de 9
862 a Chambre française : il semble qu’un peu moins d’ un député sur dix ait pris la peine de lire ce texte de 96 pages, plus a
863 96 pages, plus aride mais bien moins compliqué qu’ un roman policier ordinaire. Or il se trouve que le sort du traité, et p
864 et par suite le sort de l’Europe, dépend en fait des députés français, appelés par M. Mendès France à le ratifier — ou non
865 ent-ils pas le droit et le devoir de reconstituer une armée ? — Les Hollandais, les Belges, et surtout les Français, pensai
866 ais, pensaient différemment, et cela se comprend. Une Wehrmacht autonome, renaissant de ses cendres, leur paraissait plus m
867 quer que les protéger. Elle pouvait même s’allier un jour aux Russes. Il fallait donc empêcher cela. Mais, d’autre part, c
868 défendre sérieusement l’Europe sans le concours d’ un de ses plus grands pays, et de celui qui se trouvait en première lign
869 ut conçue la CED. — Contre l’opinion (à l’époque) des dirigeants américains — afin d’empêcher le réarmement autonome des Al
870 éricains — afin d’empêcher le réarmement autonome des Allemands, tout en assurant la défense de l’Europe — et enfin pour hâ
871 le union de nos pays, la France imagina le plan d’ une « communauté de défense », c’est-à-dire d’une armée européenne, rempl
872 n d’une « communauté de défense », c’est-à-dire d’ une armée européenne, remplaçant les armées nationales. Après des mois de
873 ropéenne, remplaçant les armées nationales. Après des mois de discussions d’experts, un projet de traité fut signé le 27 ma
874 ionales. Après des mois de discussions d’experts, un projet de traité fut signé le 27 mai 1952 par les ministres des Affai
875 traité fut signé le 27 mai 1952 par les ministres des Affaires étrangères des six pays déjà liés par la Communauté du charb
876 ai 1952 par les ministres des Affaires étrangères des six pays déjà liés par la Communauté du charbon et de l’acier, plus c
877 mais tout indique qu’elle doit se prononcer dans un délai très court. Son choix sera donc décisif. Après deux ans de déba
878 assionnés, ne serait-il pas grand temps de voir d’ un peu plus près de quoi l’on parle ? Quel est donc le contenu du projet
879 ropéennes Les 132 articles du traité prévoient des institutions communes, des forces armées et un budget commun. Ils pré
880 es du traité prévoient des institutions communes, des forces armées et un budget commun. Ils prévoient aussi qu’aucun État
881 t des institutions communes, des forces armées et un budget commun. Ils prévoient aussi qu’aucun État membre ne recrutera
882 nécessitent la police intérieure et la protection des colonies. — Mais jusqu’où s’étend, pratiquement, cette mise en commun
883 qu’où s’étend, pratiquement, cette mise en commun des ressources militaires des six pays ? S’agit-il de mélanger les soldat
884 t, cette mise en commun des ressources militaires des six pays ? S’agit-il de mélanger les soldats allemands et français da
885 e mélanger les soldats allemands et français dans des compagnies commandées par des caporaux belges et des officiers italie
886 ds et français dans des compagnies commandées par des caporaux belges et des officiers italiens ? Ceux qui l’ont dit et imp
887 compagnies commandées par des caporaux belges et des officiers italiens ? Ceux qui l’ont dit et imprimé ont simplement don
888 s lu le traité. En vérité, il s’agit simplement d’ un plan de mise sur pied de contingents nationaux, commandés par leurs p
889 es en corps d’armée et placées à la disposition d’ un état-major général, qui, lui, sera européen par sa composition et sa
890 visible et sensible au grand public. Les troupes des six pays porteront le même uniforme. (Mais n’est-ce pas déjà le cas,
891 armée pourront être choisis dans n’importe lequel des pays membres. (C’est ce qui s’est passé déjà pendant les deux dernièr
892 nfin, les méthodes d’instruction et la production des armements seront standardisées. (D’où un considérable allègement des
893 duction des armements seront standardisées. (D’où un considérable allègement des budgets militaires, et une efficacité tec
894 t standardisées. (D’où un considérable allègement des budgets militaires, et une efficacité technique accrue.) Il s’agit do
895 onsidérable allègement des budgets militaires, et une efficacité technique accrue.) Il s’agit donc, en fin de compte, de l’
896 compte, de l’organisation dès le temps de paix d’ un commandement suprême européen. — Mais quel sera le pouvoir disposant
897 voir disposant de cette armée ? Le traité prévoit un Conseil des ministres nationaux (représentant le point de vue de chac
898 ant de cette armée ? Le traité prévoit un Conseil des ministres nationaux (représentant le point de vue de chacun des six É
899 nationaux (représentant le point de vue de chacun des six États considérés comme égaux), un Commissariat de 9 membres, sort
900 de chacun des six États considérés comme égaux), un Commissariat de 9 membres, sorte de ministère européen de la Défense 
901 bres, sorte de ministère européen de la Défense ; une Cour de justice et une Assemblée parlementaire, qui existent déjà : c
902 e européen de la Défense ; une Cour de justice et une Assemblée parlementaire, qui existent déjà : ce seraient en effet la
903 ation et l’entrée en campagne est telle (majorité des deux tiers ou unanimité des États, selon les cas) que l’on ne saurait
904 e est telle (majorité des deux tiers ou unanimité des États, selon les cas) que l’on ne saurait imaginer d’autre emploi de
905 de l’armée qu’en cas d’agression qualifiée contre un ou plusieurs des États membres. Par sa structure interne autant que p
906 cas d’agression qualifiée contre un ou plusieurs des États membres. Par sa structure interne autant que par la nature des
907 Par sa structure interne autant que par la nature des pouvoirs politiques qui la contrôlent, l’Armée européenne ne pourra d
908 nt, l’Armée européenne ne pourra donc servir qu’à des tâches strictement et purement défensives — en cela comparable à l’ar
909 mment expliquer, dans ces conditions, la violence des polémiques soulevées, en France surtout, par ce projet ? Si l’on cher
910 e réel du traité. Le plus souvent, ils combattent un projet fantôme que personne n’a jamais défendu. Je vais le montrer pa
911 it en effet scandaleux pour le sentiment national des résistants de la dernière guerre. Mais c’est absolument exclu par les
912 prévu par les articles 10 et suivants, autorisant un État membre à détacher de son contingent les forces nécessaires à la
913 ritoires associés ou colonies hors de l’Europe. —  Un procédé polémique des plus courants consiste à parler de la CED comme
914 colonies hors de l’Europe. — Un procédé polémique des plus courants consiste à parler de la CED comme d’un « traité de réar
915 plus courants consiste à parler de la CED comme d’ un « traité de réarmement de l’Allemagne ». Cette confusion égare beauco
916 de ce qui est. Nous avons vu que le premier souci des auteurs français du traité fut justement d’éliminer toute renaissance
917 justement d’éliminer toute renaissance possible d’ une Wehrmacht autonome. C’est au contraire si l’on refuse la CED que cett
918 rs sans contrôle possible. J’entends et lis aussi des phrases de ce genre : « Ce traité désastreux va supprimer d’un trait
919 ce genre : « Ce traité désastreux va supprimer d’ un trait de plume notre glorieuse armée française, en même temps qu’il r
920 empêche pour les mêmes raisons la réapparition d’ une armée allemande. C’est en vertu d’une erreur semblable que d’excellen
921 pparition d’une armée allemande. C’est en vertu d’ une erreur semblable que d’excellents patriotes redoutent « la perte de l
922 magne ». En fait, le traité ne rend à l’Allemagne une souveraineté toute théorique que pour mieux lui permettre de la sacri
923 cas précisément, elle tombera sous la dépendance des USA ; et cela malgré elle et malgré eux, par une nécessité inéluctabl
924 des USA ; et cela malgré elle et malgré eux, par une nécessité inéluctable. Qui est pour ? qui est contre ? Après de
925 ? Après deux ans de discussions et à la veille des décisions finales, la répartition des adversaires et des partisans de
926 à la veille des décisions finales, la répartition des adversaires et des partisans de la CED apparaît facile à décrire. On
927 isions finales, la répartition des adversaires et des partisans de la CED apparaît facile à décrire. On peut même la prévoi
928 selon l’âge, le parti, et surtout la psychologie des interlocuteurs. La CED a coalisé contre elle les forces par ailleurs
929 calculant à court terme. Les communistes veulent une Europe soviétisée. L’Europe unie serait forte et leur résisterait. Il
930 erait forte et leur résisterait. Ils veulent donc une Europe divisée. Or, ce qui nous divise, c’est le nationalisme : il fa
931 nt que moi ! En faveur de la CED, nous trouvons d’ une manière générale ceux qui ont compris qu’ils vivent au xxe siècle, q
932 mpris qu’ils vivent au xxe siècle, que le rêve d’ une souveraineté nationale sans limites n’est plus qu’un rêve, que l’Euro
933 souveraineté nationale sans limites n’est plus qu’ un rêve, que l’Europe n’est pas menacée par une armée allemande inexista
934 us qu’un rêve, que l’Europe n’est pas menacée par une armée allemande inexistante, mais par une expansion soviétique bien r
935 cée par une armée allemande inexistante, mais par une expansion soviétique bien réelle, pour ne rien dire des révoltes mont
936 pansion soviétique bien réelle, pour ne rien dire des révoltes montantes de l’Asie, de l’Afrique, du Proche-Orient… En fave
937 ED telle qu’elle est, si prudente et respectueuse des droits de chacun des États membres, suffira pour notre défense. Je me
938 si prudente et respectueuse des droits de chacun des États membres, suffira pour notre défense. Je me pose moi-même la que
939 se. Je me pose moi-même la question. Mais je vois un pays réaliste qui, lui, ne doute pas de l’efficacité de la CED : c’es
940 er la décision française. Et même en admettant qu’ un Molotov se trompe, qu’il surestime la CED, comment ne pas voir qu’au-
941 uvre toutes grandes les perspectives prochaines d’ une Europe fédérée, gage de paix pour le monde et de prospérité pour tout
942 de paix pour le monde et de prospérité pour tout un continent — dont la Suisse est le cœur. z. Rougemont Denis de, « 
19 1954, Articles divers (1951-1956). Fédéralisme et nationalisme (septembre-octobre 1954)
943 ptembre-octobre 1954)aa Parler fédéralisme sur un plan théorique serait contraire à l’attitude fédéraliste. En revanche
944 ri de « Vive la Nation », clamé sur tout le front des troupes, que les Français durent la victoire. Remarquez que ce cri, à
945 ra sous Lénine : « Vive la Russie ! » Il proclame un nouveau mythe. Il est comme une invocation à un dieu nouveau, une sor
946 ie ! » Il proclame un nouveau mythe. Il est comme une invocation à un dieu nouveau, une sorte de « Gott mit uns ! » aussitô
947 e un nouveau mythe. Il est comme une invocation à un dieu nouveau, une sorte de « Gott mit uns ! » aussitôt exaucé, puisqu
948 e. Il est comme une invocation à un dieu nouveau, une sorte de « Gott mit uns ! » aussitôt exaucé, puisque par ce seul cri
949 ssant, comme nous la trouvons à Valmy, c’est donc un idéal, une idéologie, le principe d’une nouvelle communauté non de na
950 me nous la trouvons à Valmy, c’est donc un idéal, une idéologie, le principe d’une nouvelle communauté non de naissance mai
951 c’est donc un idéal, une idéologie, le principe d’ une nouvelle communauté non de naissance mais d’avenir et de volonté. Tou
952 e n’est pas le fait du peuple tout entier, mais d’ un parti ; et ce parti agit par le moyen de l’État. À l’intérieur du pay
953 gie, le tout au nom de la nation. Il confond dans une même répression la réaction qui veut le renverser, et les diversités
954 cales ou spirituelles qui demanderaient seulement des lois plus souples. L’uniformisation est sa réponse à tout. Que person
955 endrait mon juge ! pense l’État idéologique, né d’ une révolution sanglante, et qui se sait illégitime dans sa prétention à
956 dans sa prétention à régner au nom de tous contre une moitié du peuple. Mais si, à l’intérieur, l’idée de nation devient e
957 ’idée de nation devient entre les mains de l’État un instrument d’oppression et de guerre civile larvée, à l’extérieur ell
958 erre civile larvée, à l’extérieur elle va devenir un instrument de guerre déclarée. Pourquoi la nation doit-elle faire la
959 de ces guerres que l’État présente toujours comme une « défense de nos foyers », l’instinct patriotique est mis en jeu et b
960 en date de toutes les « nationalisations », celle des patriotismes locaux ! Notons au passage que la guerre, qu’elle soit c
961 riompher dans toute l’Europe l’idéologie unitaire des jacobins, va susciter des nationalismes rivaux. Et c’est dans le pays
962 pe l’idéologie unitaire des jacobins, va susciter des nationalismes rivaux. Et c’est dans le pays qui aura subi le plus dur
963 l’esprit de Valmy, se représente la nation comme une croisade pour l’idée. « Ce ne sont pas les déterminations naturelles
964 omme esprit et nature.) Cet esprit national est «  un dans la marche de l’Histoire ». Il se fait par sa propre activité, s’
965 atalement décline et meurt. « Chaque peuple mûrit un fruit ; son activité consiste à accomplir son principe, non à en joui
966 transfert décisif de l’idée de vocation, passant des personnes aux nations. ⁂ Mais cet État-nation, une fois doué de toute
967 isqué par l’État français, lui-même confisqué par un Corse — patriote humilié et récemment conquis —, a conduit à des guer
968 riote humilié et récemment conquis —, a conduit à des guerres d’agression. Celles-ci ont fait surgir d’autres nationalismes
969 r Hegel et Fichte. Pour l’Angleterre, la maîtrise des mers. Pour la Russie, un messianisme despotique. Les petits pays se b
970 Angleterre, la maîtrise des mers. Pour la Russie, un messianisme despotique. Les petits pays se borneront à invoquer leurs
971 mais tout aussi jaloux et même hargneux que celui des grands voisins. Aucun de ces « concepts de l’esprit » ne parvenant à
972 de l’esprit » plus redoutables : encore la « race des maîtres », le « Herrenvolk », le « prolétariat » et sa dictature… Heg
973 n, les nations de l’Europe vont se conduire comme des « individus » sans foi ni loi, au détriment de la grande communauté d
974 pe. Chacune se dira « souveraine », à l’imitation des rois absolus qui n’avaient de comptes à rendre qu’à Dieu seul — mais
975 Dieu seul — mais il n’y a plus de Dieu au-dessus des nations. Le droit divin se traduit donc par le droit de l’État le plu
976 évoqués dès qu’ils ne payent plus. C’est ainsi qu’ une demi-douzaine d’« États-gangsters », follement susceptibles, dépourvu
977 a loi en Europe. On parlera beaucoup de « concert des nations », et de « droit international », mais il est clair que ces É
978 ent cette absurdité a-t-elle pu triompher pendant un siècle et plus ? En singeant la religion et son enseignement, en deve
979 ligion et son enseignement, en devenant elle-même une source de « sacré ». L’Aigle, les Trois Couleurs et le Petit Chapeau
980 de l’annexer dans les occasions décisives. Lorsqu’ un Maurice Barrès célèbre l’union « sacrée » de la nation dans laquelle
981 nte de sa foi à l’esprit national. On n’y voit qu’ une manière de parler… Et cependant cet esprit national est un dieu bien
982 e de parler… Et cependant cet esprit national est un dieu bien réel, et que l’on croit vraiment, puisqu’il peut exiger le
983 Mais que nous offre-t-il en échange de nos vies ? Une certaine communion vague et puissante, qui permet à l’individu de dép
984 de guerre) et de se sentir comme transporté dans une espèce de transcendance. À vrai dire, il s’agit encore d’un égoïsme,
985 de transcendance. À vrai dire, il s’agit encore d’ un égoïsme, mais tellement élargi qu’il en devient vertu. On l’enseigne
986 Weil. Cette petite phrase dit tout. La nation est un dieu lointain, qui demande beaucoup plus qu’il ne donne, infiniment p
987 de haine, plus que d’amour, la nation revendique des absolus dont il est manifeste qu’elle est spirituellement indigne et
988 a souveraineté sans limites, par exemple, qui est un des attributs de Dieu ; ou celui de l’éternité, au mépris de toute vr
989 ouveraineté sans limites, par exemple, qui est un des attributs de Dieu ; ou celui de l’éternité, au mépris de toute vraise
990 ance éternelle », « l’Allemagne immortelle » sont des expressions courantes en temps de guerre. Cette rhétorique émeut des
991 rantes en temps de guerre. Cette rhétorique émeut des millions d’hommes, qui en oublient du même coup leurs rudiments d’His
992 mule fédéraliste, qui traduit seule notre réalité une et diverse, et cela suppose briser le carcan de l’État-nation, recrée
993 uppose briser le carcan de l’État-nation, recréer des pouvoirs locaux, dévaloriser les frontières ; ou bien il faut aller j
994 les jacobins, et soumettre alors toute l’Europe à une nation unique, totalitaire, assumant au mépris des personnes ses prét
995 ne nation unique, totalitaire, assumant au mépris des personnes ses prétentions d’Église sans Dieu, et réclamant non seulem
996 ement la mort en masse mais la totalité de la vie des hommes. Voilà le grand dilemme de notre temps. II. Critique fédéra
997 intenant notre analyse fédéraliste à quelques-uns des éléments du nationalisme choisis parmi les plus typiques et les plus
998 neté nationale, tout d’abord. On a remarqué, lors des débats sur la CED, que les adversaires du traité confondaient sincère
999 ’État dans le domaine militaire. À ses yeux donc, une France non absolument et totalement souveraine n’était plus la France
1000 aine n’était plus la France. La seule évocation d’ une atteinte possible à la souveraineté absolue lui paraissait suffisante
1001 u Sacré. Le très laïque M. Herriot est en réalité un fanatique de la religion de la nation. S’il n’était pas aveuglé par l
1002 me nous tous que la souveraineté absolue n’est qu’ un mythe, inventé par les prêtres de la nation dans le dessein d’asservi
1003 a défini la souveraineté comme « la faculté pour un État d’agir à sa guise, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, dans les
1004 it applicable à chaque domaine ». Or il n’est pas un seul État européen qui, de nos jours, ait conservé la faculté d’agir
1005 d’agir à sa guise à l’extérieur. Il n’en est pas un seul qui soit capable de déclarer la guerre ou de conclure la paix co
1006 endre seul pendant plus de quelques heures contre une attaque des Russes ou des Américains, bref de vivre en vase clos ou d
1007 endant plus de quelques heures contre une attaque des Russes ou des Américains, bref de vivre en vase clos ou de jouer au p
1008 quelques heures contre une attaque des Russes ou des Américains, bref de vivre en vase clos ou de jouer au pirate. Ces lim
1009 extérieur, n’a plus d’autre existence que celle d’ une illusion pseudo-religieuse et obsessive. Où la voit-on à l’œuvre ? No
1010 dans les faits, mais seulement dans les discours des adversaires de la CED ou de toute autre forme d’organisation de l’Eur
1011 e forme d’organisation de l’Europe. Non pas comme une réalité, mais bien comme un prétexte à refuser les évidences. Refoulé
1012 urope. Non pas comme une réalité, mais bien comme un prétexte à refuser les évidences. Refoulée du domaine des forces réel
1013 exte à refuser les évidences. Refoulée du domaine des forces réelles et des pouvoirs concrets, elle est devenue le réceptac
1014 dences. Refoulée du domaine des forces réelles et des pouvoirs concrets, elle est devenue le réceptacle où se recueillent p
1015 s, orgueils déçus, rancunes et préjugés hérités d’ une Histoire faussée par l’école, agressivité frustrée, et surtout angois
1016 tité. Elle a donc pris les caractères cliniques d’ un complexe. D’où la difficulté, pour ceux qui en sont victimes, de s’ad
1017 croyance à la souveraineté nationale absolue, qu’ une attitude de scepticisme intégral, tempérée par un souci de clinicien 
1018 ne attitude de scepticisme intégral, tempérée par un souci de clinicien : le nationaliste, en effet, n’est pas simplement
1019 : le nationaliste, en effet, n’est pas simplement un homme qui a tort, ou qui persiste méchamment dans son erreur. C’est b
1020 ste méchamment dans son erreur. C’est bien plutôt un homme qui souffre de la crainte morbide de perdre une puissance magiq
1021 homme qui souffre de la crainte morbide de perdre une puissance magique qui n’existe pas ! Il s’agit beaucoup moins de le r
1022 sur les conséquences à tirer de ce diagnostic. ⁂ Un autre élément du nationalisme profondément induré dans les esprits, d
1023 « Langue ». La Patrie, pour le fédéraliste, est une réalité d’instinct et de sentiment, un fait de naissance, comme le mo
1024 iste, est une réalité d’instinct et de sentiment, un fait de naissance, comme le mot l’indique, une implantation géophysiq
1025 nt, un fait de naissance, comme le mot l’indique, une implantation géophysique, locale et peu extensible. La Nation, au con
1026 e et peu extensible. La Nation, au contraire, est une réalité idéale ou idéologique. D’où la différence foncière que voici 
1027 a différence foncière que voici : on peut annexer des peuples à une nation, des territoires à un État, mais on ne peut rien
1028 oncière que voici : on peut annexer des peuples à une nation, des territoires à un État, mais on ne peut rien annexer à une
1029 voici : on peut annexer des peuples à une nation, des territoires à un État, mais on ne peut rien annexer à une Patrie. Ens
1030 nexer des peuples à une nation, des territoires à un État, mais on ne peut rien annexer à une Patrie. Ensuite, l’État est
1031 itoires à un État, mais on ne peut rien annexer à une Patrie. Ensuite, l’État est une structure administrative et politique
1032 ut rien annexer à une Patrie. Ensuite, l’État est une structure administrative et politique, artificielle par définition, r
1033 sa langue, quand celle-ci se trouve être celle d’ une majorité dans les frontières actuelles de l’État en question. La conf
1034 a confusion Patrie-État-nation-Langue, résultat d’ une ignorance crasse, sévit dans plusieurs chapitres des traités de Versa
1035 ignorance crasse, sévit dans plusieurs chapitres des traités de Versailles, Trianon et Saint-Germain, pour ne citer que ce
1036 nigaud venu pour mettre en doute la possibilité d’ une Europe unie. Dissocier ce conglomérat monstrueux, réfuter cette confu
1037 rper de l’enseignement, voilà qui me paraît l’une des toutes premières tâches du fédéralisme appliqué à l’Europe. Mais le n
1038 ntent de prétendre forcer dans le lit de Procuste des mêmes frontières administratives, patries locales, nation et langue,
1039 nu français ou allemand selon qu’il se trouvait d’ un côté ou de l’autre de la frontière linguistique, idéalement prolongée
1040 uet. La tendance à l’autarcie économique n’est qu’ une transposition particulièrement insensée de la volonté d’isolement à l
1041 ahit mieux que dans ce domaine son mépris foncier des hommes. Car l’autarcie implique que le bien-être des hommes soit sacr
1042 hommes. Car l’autarcie implique que le bien-être des hommes soit sacrifié à la puissance de l’État, et leurs libertés conc
1043 umaine, puisqu’en fait on lui sacrifie la santé d’ un pays et son niveau de vie, la liberté économique et la justice elle-m
1044 uy british ! », « Achetez français ! ». Cela rend un son patriotique et vertueux (au sens jacobin). C’est pratiquement idi
1045 t, mais on ne s’en aperçoit que si c’est dit dans une langue étrangère, ou par un lointain Mossadegh, ruinant son peuple au
1046 ue si c’est dit dans une langue étrangère, ou par un lointain Mossadegh, ruinant son peuple au nom de l’indépendance. Ajou
1047 ineté absolue, elle ne représente rien d’autre qu’ une tendance psychologique morbide, un prétexte à refuser toute mesure ré
1048 en d’autre qu’une tendance psychologique morbide, un prétexte à refuser toute mesure réaliste de coopération et à autorise
1049 res, industries parasites protégées, cours forcés des devises, inflations et dévaluations, et autres formes légalisées mais
1050 t de mathématiques allemandes, et sous Staline, d’ une biologie marxiste. Ces excès doivent nous rendre attentifs à l’usage
1051 rant qu’ils prolongent. Si nous croyons qu’il est une « culture nationale », française ou danoise, par exemple, comme la cu
1052 rts et la philosophie, pourquoi n’y aurait-il pas une biologie soviétique et une algèbre allemande ? Ce que l’on donne au n
1053 quoi n’y aurait-il pas une biologie soviétique et une algèbre allemande ? Ce que l’on donne au nationalisme, chez nous, au
1054 nous, au nom de quoi le refuserait-on ailleurs à des systèmes qui ne s’en distinguent nullement par les principes, mais un
1055 nullement par les principes, mais uniquement par une plus grande rigueur ? La volonté fondamentale de l’État-nation : impo
1056 ontraste, de décrire l’attitude fédéraliste comme un simple retour au respect des libertés et des réalités, comme une réfé
1057 ude fédéraliste comme un simple retour au respect des libertés et des réalités, comme une référence au bon sens. III. De
1058 comme un simple retour au respect des libertés et des réalités, comme une référence au bon sens. III. Deux modes de pens
1059 ur au respect des libertés et des réalités, comme une référence au bon sens. III. Deux modes de penser Il y a dans no
1060 et non pas l’Europe comme telle, qui ont conquis des débouchés à nos produits matériels et culturels, en Asie et en Afriqu
1061 qu’il portait à son apogée la puissance mondiale des Européens, le nationalisme développait les germes de notre décadence.
1062 l venait de coloniser et d’humilier, il suscitait un esprit de révolte et d’« indépendance nationale » qui allait se dress
1063 ’autre part, il épuisait l’Europe en y provoquant des guerres de plus en plus totales, à mesure qu’il se faisait lui-même d
1064 , le recul mondial que l’on sait, elle le doit, à un double titre, au nationalisme : à celui qu’elle a suscité contre elle
1065 iels. En s’opposant à l’ouverture indispensable d’ un grand marché continental, il entretient dans les pays protectionniste
1066 tal, il entretient dans les pays protectionnistes une économie malsaine, de plus en plus inapte à soutenir la concurrence d
1067 de plus en plus inapte à soutenir la concurrence des voisins et des autres continents. Les conquêtes techniques du siècle,
1068 s inapte à soutenir la concurrence des voisins et des autres continents. Les conquêtes techniques du siècle, l’énergie élec
1069 dans la plus parfaite indifférence aux frontières des États-nations. Le nationalisme n’est donc pas seulement une dernière
1070 nations. Le nationalisme n’est donc pas seulement une dernière résistance que le sentiment patriotique dénaturé et l’égoïsm
1071 à l’union de l’Europe ; il est devenu au surplus une forme de pensée réactionnaire, un système de références démodé et rét
1072 enu au surplus une forme de pensée réactionnaire, un système de références démodé et rétrograde, et cela un siècle et demi
1073 stème de références démodé et rétrograde, et cela un siècle et demi seulement après son apparition révolutionnaire dans no
1074 effet, se représente la société européenne comme une constellation de foyers créateurs, non comme un puzzle formé de pièce
1075 une constellation de foyers créateurs, non comme un puzzle formé de pièces rigides et définies d’abord par leur contour.
1076 conçoit les rapports humains et politiques comme un complexe de tensions normales entre des pôles opposés mais valables,
1077 ques comme un complexe de tensions normales entre des pôles opposés mais valables, non comme la juxtaposition de monades ou
1078 ire à l’uniformité si l’on ne peut les isoler par des cloisons étanches, mais comme autant de valeurs « complémentaires »,
1079 cipe de non-contradiction qui bloquait le progrès des sciences physiques, le principe de complémentarité. Qu’il s’agisse de
1080 de complémentarité. Qu’il s’agisse de la théorie des jeux appliquée par von Neumann à la politique et à l’économie, ou de
1081 e et à l’économie, ou de l’organisation technique des entreprises, la science actuelle dépasse la logique des incompatibles
1082 treprises, la science actuelle dépasse la logique des incompatibles en s’appliquant à la recherche des optima. Or cette mét
1083 des incompatibles en s’appliquant à la recherche des optima. Or cette méthode est typiquement fédéraliste, puisqu’elle con
1084 a biologie et de la psychologie : je le suggère à des esprits plus compétents. J’entendais simplement marquer cette converg
1085 r cette convergence : le fédéralisme correspond à une vision du monde qui est précisément celle que la science moderne a co
1086 e que la science moderne a conçue ; et il suppose un monde de relations libres et décentralisées qui est précisément celui
1087 , si je puis dire, il est aussi dans le droit fil des traditions les plus fécondes de l’Occident. On sait que l’Orient et l
1088 comme le monisme et le pluralisme. Le pluralisme des allégeances politiques et spirituelles a toujours été la condition de
1089 iques et spirituelles a toujours été la condition des libertés personnelles en Europe. Mais c’est aussi le principe vivant
1090 t aussi le principe vivant du fédéralisme. Être d’ une patrie locale en tant qu’on y est né, mais d’une religion universelle
1091 ’une patrie locale en tant qu’on y est né, mais d’ une religion universelle en tant qu’on y croit ; se rattacher par la lang
1092 tant qu’on y croit ; se rattacher par la langue à une communauté plus vaste que l’État dont on est le citoyen ; pouvoir au
1093 est le citoyen ; pouvoir au surplus s’affilier à une telle école de pensée, d’art ou de doctrine politique, proche ou loin
1094 liberté fédéralistes. Le nationaliste n’y voit qu’ une dispersion qui l’angoisse et où il craint de perdre son identité. Le
1095 son identité. Le fédéraliste au contraire y voit une possibilité d’enrichissement de la personne. (J’ai souvent défini la
1096 liste, interdit par le totalitaire, est le secret des pouvoirs créateurs et de la santé mentale de l’Occident. Enfin, je ra
1097 foi chrétienne. Le Christ est mort pour le salut des hommes personnels, non pour le salut des nations ou des collectivités
1098 le salut des hommes personnels, non pour le salut des nations ou des collectivités. Les plus grands penseurs politiques du
1099 mmes personnels, non pour le salut des nations ou des collectivités. Les plus grands penseurs politiques du catholicisme et
1100 e au nom de leur foi, et à préconiser en revanche une organisation personnaliste et fédéraliste de la société et de la comm
1101 et fédéraliste de la société et de la communauté des peuples. Là encore, la cause est jugée. L’Histoire, la science et la
1102 onalistes ont sur nous les avantages du nombre, d’ une routine centenaire (qu’ils prennent à tort pour la tradition), du sen
1103 us avons sur eux l’avantage important de défendre une cause qu’ils n’osent pas attaquer : celle de l’union européenne. Il e
1104 rents prétextes, mais ils lui rendent l’hommage d’ une adhésion de principe. M. Herriot est l’un de ces hommages que le nati
1105 d à l’Europe unie. Et M. Molotov lui-même propose un plan… Certes, on ne peut espérer faire l’Europe qu’en appliquant le f
1106 chaque pas de cette double nécessité : instituer une union réelle, sauvegarder nos diversités. Sans union, l’Europe dispar
1107 mme M. Herriot, nous disent qu’ils veulent bien d’ une Europe unie, à condition qu’elle respecte les souverainetés nationale
1108 s engager la bataille sur le thème de « l’abandon des souverainetés » ? Je ne le crois pas, pour deux raisons. La première,
1109 e, c’est que la souveraineté nationale est encore un mythe puissamment agissant sur les primaires de la presse, des parlem
1110 ssamment agissant sur les primaires de la presse, des parlements, et de tous les degrés de l’enseignement. Dès qu’on y touc
1111 e l’enseignement. Dès qu’on y touche, on provoque une opposition passionnelle qui met fin à tout dialogue raisonnable. La s
1112 me : souveraineté ou fédération. Et sur la base d’ une expérience historique probante, je leur propose une solution pratique
1113 e expérience historique probante, je leur propose une solution pratique. Parmi les fédérations réussies, on peut citer la S
1114 ns. Chacun sait que son régime politique est l’un des plus stables du monde, depuis un siècle. Ce que l’on sait moins, c’es
1115 itique est l’un des plus stables du monde, depuis un siècle. Ce que l’on sait moins, c’est la manière dont ce régime fédér
1116 22 cantons qui étaient encore, au début de 1848, des États parfaitement souverains. Tout le monde admettait, à ce moment,
1117 e moment, que les alliances qui existaient depuis des siècles entre les cantons souverains étaient trop lâches : elles ne p
1118 s étaient trop lâches : elles ne permettaient pas une défense commune efficace. Tout le monde admettait que les cordons dou
1119 de pacte fédéral plus étroit se heurtait au veto des cantons, jaloux de leur souveraineté sacrée. La solution qui s’imposa
1120 onderbund (1847), fut la suivante : loin d’exiger des cantons une renonciation à leur souveraineté, la Constitution suisse
1121 847), fut la suivante : loin d’exiger des cantons une renonciation à leur souveraineté, la Constitution suisse de 1848 gara
1122 ici les textes : Article premier. — Les peuples des vingt-deux cantons souverains de la Suisse, unis par la présente alli
1123 le… (etc.) Ratifiés par la majorité du peuple et des cantons, ces articles ont résolu le problème à la satisfaction généra
1124 u’on a le tempérament pragmatique ou doctrinaire. Un fait demeure : il n’est pas de constitution plus fédéraliste que cell
1125 puiser à la combattre. Laissant aux nationalistes un terme vide, la Constitution suisse a gardé le concret : elle a créé u
1126 stitution suisse a gardé le concret : elle a créé une souveraineté nouvelle et bien réelle au niveau de la fédération. Tout
1127 ur l’Europe d’aujourd’hui. Tout cela nous indique une voie : nous devons désormais concentrer nos efforts sur la mise en di
1128 ur la mise en discussion et sur la ratification d’ une Constitution fédérale de l’Europe, afin que l’Europe recouvre, entre
1129 que l’Europe recouvre, entre les grands empires, une souveraineté qui échappe de toute manière à ses nations. Nous savons
1130 r les nationalistes. Là encore, ils vont soulever une controverse purement verbale. Ils vont réclamer, au lieu de la fédéra
1131 ale. Ils vont réclamer, au lieu de la fédération, une simple confédération, croyant dissimuler derrière ce petit préfixe le
1132 e que les fédéralistes refusent de se battre pour des mots trompeurs. C’est le contenu et la visée fédéraliste du traité, n
1133 titule Confédération ! Eh bien, si l’on nous fait une Europe aussi réellement fédéraliste que la Suisse, on pourra la nomme
1134 ation, Alliance, ou même Ligue pour la protection des nationalismes intégraux, — je serai content. 2° — Dans le domaine éco
1135 ication forcée. Politiquement, le fédéralisme est une manière souple et sans cesse réajustée de distinguer entre ce qui doi
1136 à distinguer dans les activités humaines la part des automatismes nécessaires et celle de l’invention libre, la part des f
1137 écessaires et celle de l’invention libre, la part des fonctions étatiques collectivisées et celle des risques personnels. L
1138 t des fonctions étatiques collectivisées et celle des risques personnels. Les nationalistes, incapables de nier la nécessit
1139 nationalistes, incapables de nier la nécessité d’ une coopération continentale, ne proposent que des marchandages entre aut
1140 d’une coopération continentale, ne proposent que des marchandages entre autarcies nationales un peu améliorées et assoupli
1141 t que des marchandages entre autarcies nationales un peu améliorées et assouplies. Nous demandons au contraire des service
1142 iorées et assouplies. Nous demandons au contraire des services fédéraux organisant toutes les activités de production, d’in
1143 ransport qui, par nature, débordent la capacité d’ un seul pays ; et nous demandons la libération correspondante ou complém
1144 ns la libération correspondante ou complémentaire des entreprises dont l’optimum de production reste local ou régional. Ici
1145 n reste local ou régional. Ici, comme sur le plan des structures politiques, le fédéralisme va du local à l’européen, non p
1146 mots enfin sur le problème de la culture. Il est une phrase que je retrouve dans tous les plans et projets « culturels » é
1147 trasbourg : il s’agit, nous dit-on, « d’organiser des échanges culturels entre nations ». Une sensibilité fédéraliste s’irr
1148 organiser des échanges culturels entre nations ». Une sensibilité fédéraliste s’irrite immédiatement à ce langage, révélate
1149 e s’irrite immédiatement à ce langage, révélateur des plus dangereux réflexes nationalistes. S’il existait vraiment des cu
1150 x réflexes nationalistes. S’il existait vraiment des cultures nationales, il y aurait intérêt à favoriser leurs échanges.
1151 e barbare et d’ailleurs avortée, qui n’a guère qu’ un siècle et demi d’âge en France, moins d’un demi-siècle en Norvège, qu
1152 ère qu’un siècle et demi d’âge en France, moins d’ un demi-siècle en Norvège, quelques dizaines d’années en Turquie et en I
1153 mais la culture en Europe ne s’est développée par des échanges contrôlés et officiels de nation à nation. Elle est née dans
1154 t officiels de nation à nation. Elle est née dans des foyers locaux qui ne correspondent à aucun de nos États-nations — la
1155 oman ou du sonnet, de l’équation ou de la théorie des groupes, de la fresque ou du tableau de chevalet, du vocabulaire ou d
1156 sque ou du tableau de chevalet, du vocabulaire ou des catégories philosophiques, et en général de toutes les théories et pr
1157 agne, par exemple ? Faire connaître aux Espagnols des œuvres d’art en tant que suédoises ne présente qu’un médiocre intérêt
1158 œuvres d’art en tant que suédoises ne présente qu’ un médiocre intérêt. Ce n’est pas en tant qu’Italien que Raphaël m’intér
1159 artistes les plus typiques de l’esprit national d’ un peuple sont en général les plus mauvais. Ce n’est pas Mallarmé, ni Re
1160 ces brèves remarques que préconiser comme on fait des échanges culturels de nation à nation, c’est essayer de consolider le
1161 nnaître aux États le droit d’élever ou d’abaisser des obstacles arbitraires à la circulation des idées et des œuvres, c’est
1162 aisser des obstacles arbitraires à la circulation des idées et des œuvres, c’est donc aller diamétralement à l’encontre du
1163 stacles arbitraires à la circulation des idées et des œuvres, c’est donc aller diamétralement à l’encontre du but allégué.
1164 diamétralement à l’encontre du but allégué. Seule une Europe fédéraliste peut résoudre, en le supprimant, le problème mal p
1165 résoudre, en le supprimant, le problème mal posé des échanges culturels. La culture est par essence un phénomène d’échange
1166 es échanges culturels. La culture est par essence un phénomène d’échanges libres ; elle meurt d’être enfermée dans des cad
1167 échanges libres ; elle meurt d’être enfermée dans des cadres administratifs ou nationaux ; et ce n’est pas une libération s
1168 res administratifs ou nationaux ; et ce n’est pas une libération surveillée des échanges de prison à prison que nous devons
1169 onaux ; et ce n’est pas une libération surveillée des échanges de prison à prison que nous devons exiger mais l’élargisseme
1170 on du prévenu — j’entends : la suppression totale des mesures de discrimination nationales et des barrières douanières impo
1171 otale des mesures de discrimination nationales et des barrières douanières imposées à la vie culturelle de l’Europe et à se
1172 et demain le Pouvoir fédéral européen — n’ont qu’ un moyen d’aider la culture : c’est d’offrir à ceux qui la créent et la
1173 ceux qui feignent de redouter que la suppression des frontières « culturelles » entraîne un affreux mélange de nos vertus
1174 ppression des frontières « culturelles » entraîne un affreux mélange de nos vertus et caractères nationaux, nous leur diro
1175 génie national » s’il a besoin d’être entouré par des douaniers pour ne pas se perdre ? Conclusions J’ai tenté par ce
1176 se fédéraliste, en même temps qu’elle rend compte des causes nationalistes de la décadence de l’Europe, dégage les principe
1177 la décadence de l’Europe, dégage les principes d’ une méthode et les maximes d’une action seules susceptibles de conduire à
1178 gage les principes d’une méthode et les maximes d’ une action seules susceptibles de conduire à une union vivante de nos peu
1179 es d’une action seules susceptibles de conduire à une union vivante de nos peuples. Dans chaque cas, mes conclusions ont ét
1180 isme européen doit concentrer tout son effort sur un seul objectif décisif : la Constitution fédérale de l’Europe. La méth
1181 nnelle » n’était pas incompatible en théorie avec une tactique fédéraliste. Mais elle a conduit à l’échec. Elle a servi de
1182 rope par pièces et morceaux, que de la faire dans un seul élan. Tourner un à un les obstacles multipliés par les sceptique
1183 ceaux, que de la faire dans un seul élan. Tourner un à un les obstacles multipliés par les sceptiques, les méfiants, et le
1184 , que de la faire dans un seul élan. Tourner un à un les obstacles multipliés par les sceptiques, les méfiants, et les sab
20 1955, Articles divers (1951-1956). Une présence (1955)
1185 Une présence (1955)ab Depuis le début de l’ère des dictatures, nombre
1186 Une présence (1955)ab Depuis le début de l’ère des dictatures, nombre d’intellectuels occidentaux et asiatiques nous rép
1187 tes. Le risque est là, bien sûr, mais ce n’est qu’ un risque. Et pourtant, à certains, il apparaît si grand que par crainte
1188 ple aux « partisans de la paix », qui sont ceux d’ une armée et de sa politique. L’action du Congrès pour la liberté de la c
1189 tyrannie, et de surmonter le défaitisme anxieux d’ une intelligentsia trop facilement dupée par les prétextes humanitaires d
1190 Terreur. Nous n’avons pas opposé à la propagande des Bons Tyrans je ne sais quel « front uni » exigeant farouchement le sa
1191 uchement le sacrifice « temporaire » mais concret des libertés de la personne et des impératifs de la justice. Mais nous av
1192 ire » mais concret des libertés de la personne et des impératifs de la justice. Mais nous avons créé un point de ralliement
1193 es impératifs de la justice. Mais nous avons créé un point de ralliement pour des esprits venus d’horizons différents, et
1194 Mais nous avons créé un point de ralliement pour des esprits venus d’horizons différents, et visant des buts très divers.
1195 es esprits venus d’horizons différents, et visant des buts très divers. Quoi de commun, pourrait-on demander, entre nos pré
1196 Croce ? Rien de facile à définir, sans doute. Pas un slogan. Mais ce fait et ce mode d’expérience — comme l’eût dit John D
1197 de Milan. Je voudrais simplement mettre en relief un fait : celui de notre Rassemblement. Peut-être a-t-il contribué plus
1198 était aux démissions de l’esprit devant l’autel d’ une Histoire déifiée. Les hommes libres se sentaient seuls. Ils ont trouv
1199 fédérer sans renoncer à sa vocation. Ce n’est pas un ersatz d’église, ce n’est pas un parti jaloux, ce n’est pas un bastio
1200 on. Ce n’est pas un ersatz d’église, ce n’est pas un parti jaloux, ce n’est pas un bastion de défense. C’est plutôt un rés
1201 glise, ce n’est pas un parti jaloux, ce n’est pas un bastion de défense. C’est plutôt un réseau d’amitiés agissantes de Pa
1202 ce n’est pas un bastion de défense. C’est plutôt un réseau d’amitiés agissantes de Paris à Tokyo, de New York à Bombay, d
1203 mbay, de Berlin-Ouest à Santiago et Mexico. C’est une volonté de justice qui se moque des opportunismes et c’est une action
1204 Mexico. C’est une volonté de justice qui se moque des opportunismes et c’est une action permanente. Quelle que soit la vale
1205 e justice qui se moque des opportunismes et c’est une action permanente. Quelle que soit la valeur des sourires que prodigu
1206 une action permanente. Quelle que soit la valeur des sourires que prodiguent désormais les césariens, le Congrès va mener
1207 is l’offensive de la liberté, sa vraie lutte pour une paix vivante. ab. Rougemont Denis de, « Une présence », Cinq ans d
1208 ur une paix vivante. ab. Rougemont Denis de, «  Une présence », Cinq ans de présence (juin 1950-septembre 1955). Le Congr
21 1955, Articles divers (1951-1956). Reynold et l’Europe (1955)
1209 ais louer Reynold de n’avoir pas craint de porter un jugement pessimiste sur l’avenir immédiat de la Suisse, sauvant ainsi
1210 ainsi chez nous le sens du pire, la conscience d’ une menace totale à laquelle, pour faire face, il fallait d’abord croire.
1211 otre Suisse prospère, modèle européen, c’est pour une part minime mais qui est la part de l’homme, parce que Reynold a eu r
1212 périls. Et Reynold ne s’est pas arrêté à l’éloge des vertus qui tiennent un peuple ensemble. Dans la liste de ses ouvrages
1213 ’est pas arrêté à l’éloge des vertus qui tiennent un peuple ensemble. Dans la liste de ses ouvrages, je trouve un tournant
1214 nsemble. Dans la liste de ses ouvrages, je trouve un tournant symbolique, vers 1940 précisément : succédant à Grandeur de
1215 se, voici Qu’est-ce que l’Europe ? et l’annonce d’ un grand œuvre consacré à la formation du plus vaste ensemble historique
1216 de l’Europe : voilà qui nous éloigne de la Suisse des manuels, et de la Suisse « concrète » (comme on dit bien à tort), cel
1217 t ; mais voilà qui, en même temps, nous rapproche des réalités essentielles, hors de quoi notre Suisse n’eût jamais existé 
1218 montre d’où nous venons. Ces repères définissent un axe. Cet axe part de l’Europe des Romains et des Francs, traverse not
1219 ères définissent un axe. Cet axe part de l’Europe des Romains et des Francs, traverse notre histoire et pointe vers un aven
1220 t un axe. Cet axe part de l’Europe des Romains et des Francs, traverse notre histoire et pointe vers un avenir qui ne peut
1221 es Francs, traverse notre histoire et pointe vers un avenir qui ne peut être distinct de celui d’une Europe soit fédérée p
1222 rs un avenir qui ne peut être distinct de celui d’ une Europe soit fédérée par la libre invention, soit unifiée par une forc
1223 fédérée par la libre invention, soit unifiée par une force étrangère. Je ne vois pas un seul peuple européen qui ait autan
1224 t unifiée par une force étrangère. Je ne vois pas un seul peuple européen qui ait autant besoin que le nôtre d’exercer ce
1225 us rattache dans le passé, comme pour l’avenir, à des entités spirituelles, historiques et géographiques qui nous dépassent
1226 ble. Prendre conscience de l’être suisse, au-delà des apparences souvent médiocres, c’est prendre conscience de l’Europe. C
1227 l’Europe. Car l’Europe est faite dans l’ensemble des mêmes éléments que la Suisse : à la fois catholique et protestante, l
1228 topies directrices du Saint-Empire et de l’esprit des communes. Toutefois ces éléments, séparés en Europe, voisinent dans n
1229  : ces formules que Reynold a tirées de l’étude d’ une Europe romano-germanique, n’est-il pas frappant de constater qu’elles
22 1955, Articles divers (1951-1956). Rien n’est perdu, tout reste à faire (janvier 1955)
1230 eux événements politiques ont absorbé l’attention des Européens et des militants de l’Europe unie depuis l’été dernier : l’
1231 litiques ont absorbé l’attention des Européens et des militants de l’Europe unie depuis l’été dernier : l’abandon du projet
1232 ment ce vertige de contradictions ? Il y faudrait une parabole. En voici une. Il y avait une fois des députés. Ils étaient
1233 radictions ? Il y faudrait une parabole. En voici une . Il y avait une fois des députés. Ils étaient très effrayés par une m
1234 t une parabole. En voici une. Il y avait une fois des députés. Ils étaient très effrayés par une maladie dont ils craignaie
1235 e fois des députés. Ils étaient très effrayés par une maladie dont ils craignaient la contagion, et qu’ils nommaient réarme
1236 ls nommaient réarmement allemand. On leur proposa un vaccin. Ayant remarqué que le nom de ce vaccin évoquait le nom de la
1237 l’a répété bien à tort : il montre simplement qu’ une partie d’un parlement (devenue majorité grâce à l’appui des communist
1238 ien à tort : il montre simplement qu’une partie d’ un parlement (devenue majorité grâce à l’appui des communistes) n’a pas
1239 d’un parlement (devenue majorité grâce à l’appui des communistes) n’a pas encore senti la nécessité historique de cette co
1240 rouve une fois de plus que l’éducation européenne des peuples, de leurs cadres et de leurs élites, reste à faire. Les parti
1241 ent dans l’affaire de la CED — par complaisance à une double illusion : ils ont cru que le travail éducatif en profondeur,
1242 if en profondeur, lent par nature, représenterait une perte de temps ; et ils ont cru que la propagande pour l’idée europée
1243 réalités que cachaient ces deux illusions. I. — À un moment ou à un autre, nous avons tous été tentés de penser qu’on ne p
1244 chaient ces deux illusions. I. — À un moment ou à un autre, nous avons tous été tentés de penser qu’on ne pouvait réussir
1245 e penser qu’on ne pouvait réussir l’union que par une série de mesures « concrètes », telles que l’OECE, la CECA, la CED, q
1246 ionnaire qu’eût représenté l’exigence immédiate d’ une fédération politique. C’était pratiquement se rallier à la méthode br
1247 ché leur propagande massive. Eux n’ont pas hésité un instant à agiter les passions : ils ont gagné contre la CED. Où était
1248 urope par pièces et morceaux que de la faire dans un seul élan fédérateur : qu’il est plus facile de tourner les obstacles
1249 rêts particuliers. Or, cette attaque eût impliqué une campagne éducative en profondeur, que l’on a négligée de mener — ou q
1250 ans l’ignorance de la vraie situation européenne, des vrais buts du traité, du traité lui-même, et des conséquences de son
1251 des vrais buts du traité, du traité lui-même, et des conséquences de son rejet. Or, les militants européens croyaient avoi
1252 ofonde, comme on va le voir, mais qui s’explique. Une enquête menée par le CEC10 au mois de septembre a donné les résultats
1253 tembre a donné les résultats suivants : le nombre des brochures, tracts, petits livres de propagande ou d’information europ
1254 rable quand on est assis dans le bureau central d’ un mouvement, devant près de cinq-cents brochures de titres différents.
1255 s de chaque brochure distribuée dans chaque pays. Une goutte d’eau dans la mer. Comment s’étonner après cela de l’ignorance
1256 oblème européen ? Avant toute propagande massive, une préparation des esprits en profondeur reste indispensable. Du côté na
1257 ? Avant toute propagande massive, une préparation des esprits en profondeur reste indispensable. Du côté nationaliste, cett
1258 aliste, cette préparation se trouve faite, depuis un siècle, et notamment par les manuels d’histoire : l’anti-Europe a jou
1259 s. De notre côté, tout reste à faire, ou presque. Une révolution est l’aboutissement d’une série d’actions d’abord morales,
1260 ou presque. Une révolution est l’aboutissement d’ une série d’actions d’abord morales, intellectuelles et spirituelles, pui
1261 ciales, qui par nature restent invisibles à l’œil des agences de presse, mais sans lesquelles rien ne se ferait. L’Europe u
1262 s lesquelles rien ne se ferait. L’Europe unie est une révolution. Elle doit passer par tous les stades préparatoires des ré
1263 lle doit passer par tous les stades préparatoires des révolutions réussies. 9. Proverbe qui repose sur l’ignorance des mœ
1264 éussies. 9. Proverbe qui repose sur l’ignorance des mœurs des oiseaux : ceux-ci construisent leur nid en un jour, toutes
1265 9. Proverbe qui repose sur l’ignorance des mœurs des oiseaux : ceux-ci construisent leur nid en un jour, toutes affaires c
1266 rs des oiseaux : ceux-ci construisent leur nid en un jour, toutes affaires cessantes. 10. « Centre européen de la culture
23 1956, Articles divers (1951-1956). Réponse à l’enquête « Pour une bibliothèque idéale » (1956)
1267 Réponse à l’enquête « Pour une bibliothèque idéale » (1956)ae af S’il s’agissait de nommer les ce
1268 vres de l’humanité (ceux que l’on prend pour base des études dans certaines universités américaines), je me bornerais aux é
1269 ose les distinctions suivantes, que j’indique par un chiffre romain derrière les titres marqués d’une croix : I. — Livres
1270 r un chiffre romain derrière les titres marqués d’ une croix : I. — Livres ayant formé nos cultures et notre conscience col
1271 les Perrault : Contes. 17. Montesquieu : L’Esprit des lois. 18. J.-J. Rousseau : Les Confessions. 19. Proudhon : Du Princip
1272 obinson Crusoé. 25. Lewis Carroll : Alice au pays des merveilles. 26. — À travers le miroir. 27. William James : L’Expérien
1273 : Philosophie de l’esprit. 32. Freud : La Science des rêves. 33. Saint Jean de la Croix : La Nuit obscure de l’âme. 34. Cer
1274 Stéphane Mallarmé : Poésies. 50. Arthur Rimbaud : Une saison en enfer. 51. Charles Péguy : L’Argent. 52. G. Apollinaire : A
1275 . Andersen : Contes. 77. G. Bernanos : Journal d’ un curé de campagne. 78. Valery Larbaud : Amants, heureux Amants. 79. Ra
1276 Déjà cités (I) Lewis Carroll : Alice au pays des merveilles. — À travers le miroir. III. — Livres qui excitent auj
1277 yages de Gulliver. Lewis Carroll : Alice au pays des merveilles. — À travers le miroir. Kierkegaard : Post-scriptum aux r
1278 hiques. ae. Rougemont Denis de, « [Réponse à une enquête] Pour une bibliothèque idéale », Pour une bibliothèque idéale
1279 ougemont Denis de, « [Réponse à une enquête] Pour une bibliothèque idéale », Pour une bibliothèque idéale, Paris, Gallimard
1280 une enquête] Pour une bibliothèque idéale », Pour une bibliothèque idéale, Paris, Gallimard, 1956, p. 279‑284. af. Introdu
1281 1934), Penser avec les mains (1936), Journal d’ un intellectuel en chômage (1937), L’Amour et l’Occident (1939), etc.
24 1956, Articles divers (1951-1956). L’Association européenne des festivals de musique a cinq ans (1956)
1282 L’Association européenne des festivals de musique a cinq ans (1956)ap À la fin de 1951, réponda
1283 inq ans (1956)ap À la fin de 1951, répondant à une invitation lancée par le Centre européen de la culture, sur une propo
1284 lancée par le Centre européen de la culture, sur une proposition de son conseiller musical, Igor Markevitch, les directeur
1285 estivals se réunissaient à Genève. Jamais encore, une telle rencontre n’avait eu lieu dans les annales de l’Europe. Une seu
1286 tre n’avait eu lieu dans les annales de l’Europe. Une seule journée de délibérations suffit à dégager un accord unanime. Le
1287 e seule journée de délibérations suffit à dégager un accord unanime. Les quinze directeurs décidèrent avec enthousiasme de
1288 directeurs décidèrent avec enthousiasme de créer une organisation commune. Un secrétariat fut établi à Genève, au CEC, et
1289 c enthousiasme de créer une organisation commune. Un secrétariat fut établi à Genève, au CEC, et quelques mois plus tard p
1290 ve, au CEC, et quelques mois plus tard paraissait une brochure contenant les programmes de tous les festivals-membres pour
1291 la saison suivante. Premier témoignage tangible d’ un esprit de collaboration se substituant à l’esprit de rivalité, et d’u
1292 ation se substituant à l’esprit de rivalité, et d’ une vision européenne dépassant les intérêts locaux tout en les servant.
1293 es servant. ⁂ L’association nouvelle répondait à un besoin très général. En effet, la multiplication rapide des festivals
1294 très général. En effet, la multiplication rapide des festivals de musique dans tous nos pays et presque dans toutes nos vi
1295 os pays et presque dans toutes nos villes, posait des problèmes tout nouveaux. Plus on joue de musique, et mieux cela vaut,
1296 ertains dangers pratiques et certaines confusions des valeurs. Le public, sollicité de tous côtés, ne sait plus où aller et
1297 devenir uniformes ou routiniers, et à répondre à des exigences plus commerciales qu’artistiques. Certes, on ne peut pas so
1298 , on ne peut pas souhaiter, encore moins obtenir, une diminution du nombre des festivals. Mais il faut sauvegarder à tout p
1299 r, encore moins obtenir, une diminution du nombre des festivals. Mais il faut sauvegarder à tout prix la qualité et le pres
1300 sauvegarder à tout prix la qualité et le prestige des meilleurs. ⁂ Qu’est-ce qu’un bon festival de musique ? Telle est la
1301 ité et le prestige des meilleurs. ⁂ Qu’est-ce qu’ un bon festival de musique ? Telle est la première question que s’est po
1302 mière question que s’est posée notre association. Un festival est d’abord une fête, donc quelque chose d’exceptionnel, qui
1303 posée notre association. Un festival est d’abord une fête, donc quelque chose d’exceptionnel, qui sort de la routine des p
1304 lque chose d’exceptionnel, qui sort de la routine des programmes de l’hiver et qui doit créer une atmosphère spéciale, à la
1305 utine des programmes de l’hiver et qui doit créer une atmosphère spéciale, à laquelle contribuent non seulement la qualité
1306 , à laquelle contribuent non seulement la qualité des œuvres et de leur exécution, mais le paysage, l’ambiance d’une cité,
1307 de leur exécution, mais le paysage, l’ambiance d’ une cité, et la tradition musicale d’une région. Voilà pourquoi l’associ
1308 l’ambiance d’une cité, et la tradition musicale d’ une région. Voilà pourquoi l’association n’admet comme membres que ceux
1309 quoi l’association n’admet comme membres que ceux des festivals européens qui réunissent ces conditions : — ceux qui ont un
1310 ns qui réunissent ces conditions : — ceux qui ont un caractère particulier, une tradition bien définie, des racines locale
1311 itions : — ceux qui ont un caractère particulier, une tradition bien définie, des racines locales ou régionales, et un pres
1312 aractère particulier, une tradition bien définie, des racines locales ou régionales, et un prestige international bien étab
1313 en définie, des racines locales ou régionales, et un prestige international bien établi. Pour un festival européen, faire
1314 s, et un prestige international bien établi. Pour un festival européen, faire partie de l’association devient ainsi une ga
1315 péen, faire partie de l’association devient ainsi une garantie de qualité et d’authenticité. ⁂ Une idée simple a présidé à
1316 insi une garantie de qualité et d’authenticité. ⁂ Une idée simple a présidé à la formation de notre association : il s’agis
1317 sociation : il s’agissait de présenter l’ensemble des meilleurs festivals comme une seule et grandiose manifestation de la
1318 résenter l’ensemble des meilleurs festivals comme une seule et grandiose manifestation de la musique européenne, dans son u
1319 est donc à la fois d’harmoniser les efforts dans un esprit de collaboration européenne, tout en développant toujours plus
1320 lle de la brochure Saison, donnant les programmes des festivals membres plusieurs mois avant que la première note d’un conc
1321 mbres plusieurs mois avant que la première note d’ un concert d’ouverture retentisse en Allemagne, en France ou en Italie,
1322 llemagne, en France ou en Italie, offre au public un guide unique en son genre, parce qu’il permet à l’amateur de s’orient
1323 r vers la qualité, de se composer selon ses goûts un itinéraire des hauts lieux de la musique européenne, et d’être assuré
1324 ité, de se composer selon ses goûts un itinéraire des hauts lieux de la musique européenne, et d’être assuré qu’il ne sera
1325 é qu’il ne sera pas déçu, et qu’il ira vraiment d’ une fête à l’autre. L’échange de « créations », de spectacles nouveaux mo
1326 ainsi bénéficier, diminue les risques matériels d’ une création, favorise le renouvellement des programmes et doit stimuler
1327 ériels d’une création, favorise le renouvellement des programmes et doit stimuler l’esprit créateur des artistes contempora
1328 des programmes et doit stimuler l’esprit créateur des artistes contemporains. La création d’archives musicales — uniques en
1329 Enfin, l’étude d’entreprises communes, telles qu’ une revue musicale européenne ou certaines manifestations artistiques de
1330 toute l’Europe et en Amérique, donne la preuve d’ une coopération étroite entre dix-sept des meilleurs festivals de huit pa
1331 a preuve d’une coopération étroite entre dix-sept des meilleurs festivals de huit pays. Elle fournit ainsi un exemple, enco
1332 lleurs festivals de huit pays. Elle fournit ainsi un exemple, encore modeste, mais convaincant, de cette union européenne
1333 manifester la première cette communauté profonde des réactions de la sensibilité et de l’esprit qui définit une civilisati
1334 ions de la sensibilité et de l’esprit qui définit une civilisation ? ap. Rougemont Denis de, « L’Association des festiva
1335 tion ? ap. Rougemont Denis de, « L’Association des festivals de musique a cinq ans », Saison, AEFM, 1956, p. 12-13.
25 1956, Articles divers (1951-1956). « Je vivais en ce temps-là… » (janvier 1956)
1336 Action française, ou encore anarcho-gidiens, avec un sérieux redoutable, — pensant au fond tout autre chose que ceux de Pa
1337 règle de vie, mais subversive bien entendu. L’un des deux temples de ce culte (l’autre étant comme on pense la NRF ) se c
1338 tant comme on pense la NRF ) se cachait derrière une vitrine très savamment discrète de la rue de l’Odéon. Il n’était pas
1339 ’improbable nom venait de s’inscrire au fronton d’ un considérable poème. (Nous en avions appris par cœur de longs fragment
1340 là sans façon ni vergogne pour acheter banalement un livre : alors que l’on risquait de se trouver tout d’un coup devant G
1341 re : alors que l’on risquait de se trouver tout d’ un coup devant Gide, Claudel, ou James Joyce conversant comme de simples
1342 esservante du sanctuaire, en robe de bure nouée d’ une cordelette. Tels étaient à nos yeux les prestiges de l’enseigne « à j
1343 e l’enseigne « à jamais littéraire » de la Maison des amis des livres. (Commerce en éloignait toute idée commerciale…) Bien
1344 gne « à jamais littéraire » de la Maison des amis des livres. (Commerce en éloignait toute idée commerciale…) Bien des anné
1345 mmerce en éloignait toute idée commerciale…) Bien des années plus tard, je devais découvrir que le culte des Lettres chez A
1346 nnées plus tard, je devais découvrir que le culte des Lettres chez Adrienne Monnier était à la fois plus sérieux et plus ai
1347 cuisine, en train de peler de fines patates pour un dîner improvisé. Je rentrais d’Amérique, je voulais tout savoir sur n
1348 es d’alors, tous ceux qu’elle estimait défilèrent un à un devant l’objectif — bien nommé — de Gisèle Freund. Ce choix des
1349 alors, tous ceux qu’elle estimait défilèrent un à un devant l’objectif — bien nommé — de Gisèle Freund. Ce choix des élus
1350 bjectif — bien nommé — de Gisèle Freund. Ce choix des élus d’Adrienne, qu’on pourrait publier en album, ne ferait-il pas un
1351 qu’on pourrait publier en album, ne ferait-il pas un bel hommage à sa mémoire ? Il faudrait y ajouter les descriptions viv
1352 s et toujours amicales qu’elle donna de plusieurs des modèles dans son Navire d’argent et sa Gazette des amis des livres :
1353 es modèles dans son Navire d’argent et sa Gazette des amis des livres : autant de petits chefs-d’œuvre d’intelligence du cœ
1354 s dans son Navire d’argent et sa Gazette des amis des livres : autant de petits chefs-d’œuvre d’intelligence du cœur. Quel
26 1956, Articles divers (1951-1956). Tableau du phénomène courtois (janvier 1956)
1355 t 11, j’éprouve le besoin de rassembler ici tout un faisceau d’observations nouvelles. Le lecteur va juger si elles infir
1356 risme. Je n’indiquais que par analogies la nature des relations possibles entre une mystique, une conception religieuse, ou
1357 analogies la nature des relations possibles entre une mystique, une conception religieuse, ou simplement une théorie de l’h
1358 ature des relations possibles entre une mystique, une conception religieuse, ou simplement une théorie de l’homme — et une
1359 ystique, une conception religieuse, ou simplement une théorie de l’homme — et une forme lyrique déterminée. (Rapports entre
1360 gieuse, ou simplement une théorie de l’homme — et une forme lyrique déterminée. (Rapports entre le soufisme et la poésie co
1361 Rapports entre le soufisme et la poésie courtoise des Arabes ; influence de Freud sur l’école surréaliste.) Les polémiques
1362 les découvertes multipliées depuis quinze ans par des spécialistes, de l’amour courtois, du catharisme et du manichéisme, e
1363 hes personnelles, tout cela m’amène aujourd’hui à une conception de la cortezia à peine moins « historique » que celle que
1364 Mais je me gardais de démontrer le détail précis des influences à la manière de beaucoup d’historiens pour qui le réel n’e
1365 ’historiens pour qui le réel n’est défini que par des documents écrits. J’irai maintenant un peu plus loin, mais dans mon s
1366 i que par des documents écrits. J’irai maintenant un peu plus loin, mais dans mon sens, non dans le leur. Je ne prétends p
1367 ans le leur. Je ne prétends pas fonder sur pièces une de ces solutions textuelles et « scientifiques » après quoi, comme le
1368 igieuse. Je vais donc poser quelques faits, comme un piège. J’éviterai à la fois d’indiquer des relations de cause à effet
1369 , comme un piège. J’éviterai à la fois d’indiquer des relations de cause à effet, et de formuler expressément des conclusio
1370 ons de cause à effet, et de formuler expressément des conclusions que l’on pourrait citer hors du contexte — accords sans c
1371 ecteurs trop pressés se jetteraient en criant : «  Des preuves ! » ou « Comme c’est vrai ! » ⁂ 1. La révolution psychique
1372 ⁂ 1. La révolution psychique du xiie siècle Une hérésie néo-manichéenne, venue du Proche-Orient par l’Arménie et la B
1373 ient par l’Arménie et la Bulgarie bogomile, celle des  « bonshommes » ou cathares, ascètes condamnant le mariage, mais fonda
1374 ares, ascètes condamnant le mariage, mais fondant une « Église d’Amour », opposée à l’Église de Rome13, envahit rapidement
1375 lats ambitieux et aux pompes sacrales de l’Église un spiritualisme épuré, ils aboutissent parfois, plus ou moins consciemm
1376 boutissent parfois, plus ou moins consciemment, à des doctrines naturalistes et même matérialistes avant la lettre. Le « qu
1377 traduisent bien plutôt la nature révolutionnaire des problèmes qui surgissent dans l’époque, l’inordinatio profonde du siè
1378 t. D’Henri de Lausanne et Pierre de Bruys jusqu’à un Amaury de Bène et aux frères ortliebiens de Strasbourg, tous condamne
1379  Point de péché au-dessous du nombril ! » précise un évêque dualiste, excusant ainsi la licence favorisée ou tolérée par p
1380 icence favorisée ou tolérée par plusieurs sectes. Une forme toute nouvelle de poésie naît dans le Midi de la France, patrie
1381 la France, patrie cathare : elle célèbre la Dame des pensées, l’idée platonicienne du principe féminin, le culte de l’Amou
1382 t en campagne pour combattre le catharisme, fonde un ordre ascétique orthodoxe, face à celui des « bonshommes » ou Parfait
1383 fonde un ordre ascétique orthodoxe, face à celui des « bonshommes » ou Parfaits, puis oppose à la cortezia la mystique de
1384 Amour divin. De nombreux commentaires du Cantique des Cantiques sont écrits pour les nonnes des premiers couvents de femmes
1385 antique des Cantiques sont écrits pour les nonnes des premiers couvents de femmes, de l’abbaye de Fontevrault si proche du
1386 saint, dont l’ère est imminente, s’incarnera dans une Femme. Tout cela se passe dans la réalité, ou dans les imaginations q
1387 glise et le clergé ne pouvaient manquer d’opposer une croyance et un culte qui répondissent au même désir profond, surgi de
1388 gé ne pouvaient manquer d’opposer une croyance et un culte qui répondissent au même désir profond, surgi de l’âme collecti
1389 ées, dès le début du xiie siècle, pour instituer un culte de la Vierge. Marie reçoit généralement, dès cette époque, le t
1390 ésormais que l’art va la représenter. À la « Dame des Pensées » de la cortezia, on substituera « Notre Dame ». Et les ordre
1391 es ordres monastiques qui apparaissent alors sont des répliques aux ordres chevaleresques : le moine est « chevalier de Mar
1392 rie ». En 1140, à Lyon, les chanoines établissent une fête de l’Immaculée Conception de Notre-Dame. Saint Bernard de Clairv
1393 aint Bernard de Clairvaux eut beau protester dans une lettre fameuse contre « cette fête nouvelle que l’usage de l’Église i
1394 Jésus-Christ. » Le culte de la Vierge répondait à une nécessité d’ordre vital pour l’Église menacée et entraînée… La papaut
1395 usieurs siècles plus tard, ne put que sanctionner un sentiment qui n’avait pas attendu le dogme pour triompher dans tous l
1396 pour triompher dans tous les arts. Enfin, voici un dernier trait dont on verra qu’il est tout impossible de le rattacher
1397 ts. C’est au xiie siècle que s’atteste en Europe une modification radicale du jeu d’échecs, originaire de l’Inde. Au lieu
1398 le du jeu d’échecs, originaire de l’Inde. Au lieu des quatre rois qui dominaient le jeu primitif, on voit la Dame (ou Reine
1399 nt ses pouvoirs plus révéré. Imaginons maintenant un état de la société où le principe de cohésion se relâche ; où la puis
1400 la puissance divine se divise elle-même, soit en une pluralité de dieux, comme en Grèce, soit en un couple dieu-déesse, co
1401 n une pluralité de dieux, comme en Grèce, soit en un couple dieu-déesse, comme en Égypte, soit enfin comme dans le maniché
1402 Égypte, soit enfin comme dans le manichéisme, en un Dieu bon qui est pur esprit et un démiurge qui domine la matière et l
1403 manichéisme, en un Dieu bon qui est pur esprit et un démiurge qui domine la matière et la chair. La compulsion qui créait
1404 tière, chair, sexualité procréatrice, — tandis qu’ un sentiment d’adoration purifiée peut se porter sur le Dieu-Esprit. En
1405 llement libéré : il peut s’avouer sous la forme d’ un culte rendu à l’archétype divin de la femme, à condition que cette Dé
1406 stique avec cette divinité féminine devient alors une participation à la puissance légitime du Dieu lumineux, un « endieuse
1407 ipation à la puissance légitime du Dieu lumineux, un « endieusement », c’est-à-dire littéralement un enthousiasme libérate
1408 , un « endieusement », c’est-à-dire littéralement un enthousiasme libérateur unifiant l’être, le « consolant »15. 3. Un
1409 rateur unifiant l’être, le « consolant »15. 3. Une illustration Au xiie siècle, l’on assiste dans le Midi de la Fran
1410 siècle, l’on assiste dans le Midi de la France à un relâchement notable du lien féodal et patriarcal (partage égal des do
1411 otable du lien féodal et patriarcal (partage égal des domaines entre tous les fils, ou « pariage », d’où perte d’autorité d
1412 pariage », d’où perte d’autorité du suzerain) ; à une sorte de pré-Renaissance individualiste ; à l’invasion d’une religion
1413 e pré-Renaissance individualiste ; à l’invasion d’ une religion dualiste ; enfin, à cette montée puissante du culte de l’Amo
1414 ppeler les manifestations. Nous voici donc devant une réalisation (ou épiphanie dans l’Histoire) du phénomène que nous veno
1415 « consolés », mais demeurent tolérés dans le cas des simples croyants, c’est-à-dire de l’immense majorité des hérétiques.
1416 ples croyants, c’est-à-dire de l’immense majorité des hérétiques. Du côté catholique, le mariage est tenu pour sacrement, c
1417 our sacrement, cependant qu’il repose en fait sur des bases d’intérêt matériel et social, et se voit imposé aux époux sans
1418 s. En même temps, le relâchement de l’autorité et des pouvoirs ménage, comme nous l’avons vu, une possibilité nouvelle d’ad
1419 té et des pouvoirs ménage, comme nous l’avons vu, une possibilité nouvelle d’admettre la femme, mais sous le couvert d’une
1420 velle d’admettre la femme, mais sous le couvert d’ une idéalisation, voire d’une divinisation du principe féminin. Ce qui ne
1421 mais sous le couvert d’une idéalisation, voire d’ une divinisation du principe féminin. Ce qui ne peut qu’aviver la contrad
1422 cœur de cette situation inextricable, c’est comme une résultante de tant de confusions qui devaient s’y nouer, qu’apparaît
1423 joy d’amors, ses « rites » précis, la rhétorique des troubadours, sa morale de l’hommage et du service, sa « théologie » e
1424 ine » ; et nous voyons souvent dans le même poète un adorateur enthousiaste de la Dame, qu’il exalte, et un contempteur de
1425 orateur enthousiaste de la Dame, qu’il exalte, et un contempteur de la femme, qu’il rabaisse : qu’on se rappelle seulement
1426 rabaisse : qu’on se rappelle seulement les vers d’ un Marcabru ou d’un Rambaut d’Orange. Chose curieuse, les troubadours ch
1427 se rappelle seulement les vers d’un Marcabru ou d’ un Rambaut d’Orange. Chose curieuse, les troubadours chez lesquels nous
1428 ent pas ! On dirait qu’ils ont trouvé le secret d’ une conciliation vivante des inconciliables. Ils semblent refléter, mais
1429 s ont trouvé le secret d’une conciliation vivante des inconciliables. Ils semblent refléter, mais en la surmontant, la divi
1430 lent refléter, mais en la surmontant, la division des consciences (elle-même productrice de mauvaise conscience) dans la gr
1431 ce de mauvaise conscience) dans la grande masse d’ une société partagée non seulement entre la chair et l’esprit, mais encor
1432 e, et au sein même de l’hérésie, entre l’exigence des Parfaits et la vie réelle des Croyants… Citons-là-dessus l’un des plu
1433 e, entre l’exigence des Parfaits et la vie réelle des Croyants… Citons-là-dessus l’un des plus sensibles interprètes modern
1434 la vie réelle des Croyants… Citons-là-dessus l’un des plus sensibles interprètes modernes de la cortezia, René Nelli : Pre
1435 — étaient cathares ou, du moins, très au courant des idées qui étaient dans l’air depuis deux-cents ans. Dans tous les cas
1436 cents ans. Dans tous les cas, ils chantaient pour des châtelaines dont il fallait apaiser par des chansons la mauvaise cons
1437 pour des châtelaines dont il fallait apaiser par des chansons la mauvaise conscience, et qui leur demandaient non pas tant
1438 conscience, et qui leur demandaient non pas tant une illusion d’amour sincère qu’un antipode spirituel au mariage où elles
1439 ient non pas tant une illusion d’amour sincère qu’ un antipode spirituel au mariage où elles avaient été contraintes. Le m
1440 question de voir dans la chasteté, ainsi feinte, une habitude réelle ni un reflet des mœurs », mais seulement « un hommage
1441 la chasteté, ainsi feinte, une habitude réelle ni un reflet des mœurs », mais seulement « un hommage ‟religieux” (et forma
1442 é, ainsi feinte, une habitude réelle ni un reflet des mœurs », mais seulement « un hommage ‟religieux” (et formaliste) rend
1443 réelle ni un reflet des mœurs », mais seulement «  un hommage ‟religieux” (et formaliste) rendu par l’imperfection à la per
1444 ubadours et par les croyants inquiets à la morale des Parfaits. Mais enfin, dit le sceptique d’aujourd’hui, que peut bien s
1445 ignifier au concret cette « chasteté » prônée par des jongleurs ? Et comment expliquer le succès si rapide d’une prétendue
1446 eurs ? Et comment expliquer le succès si rapide d’ une prétendue morale à ce point ambiguë, dans un Languedoc, une Italie du
1447 e d’une prétendue morale à ce point ambiguë, dans un Languedoc, une Italie du Nord, une Germanie rhénane, une Europe tout
1448 due morale à ce point ambiguë, dans un Languedoc, une Italie du Nord, une Germanie rhénane, une Europe tout entière enfin,
1449 t ambiguë, dans un Languedoc, une Italie du Nord, une Germanie rhénane, une Europe tout entière enfin, où les passions « re
1450 guedoc, une Italie du Nord, une Germanie rhénane, une Europe tout entière enfin, où les passions « religieuses » et la théo
1451 , en effet, depuis Rousseau, croient qu’il existe une sorte de nature normale, à laquelle la culture et la religion seraien
1452 sans le savoir, menons nos vies de civilisés dans une confusion proprement insensée de religions jamais tout à fait mortes,
1453 t confondues avec l’instinct. Elles furent tantôt des artifices cruels, tantôt des rites sacrés ou des gestes magiques, par
1454 Elles furent tantôt des artifices cruels, tantôt des rites sacrés ou des gestes magiques, parfois aussi des disciplines pr
1455 des artifices cruels, tantôt des rites sacrés ou des gestes magiques, parfois aussi des disciplines profondes élaborées pa
1456 ites sacrés ou des gestes magiques, parfois aussi des disciplines profondes élaborées par des mystiques lointaines à la foi
1457 ois aussi des disciplines profondes élaborées par des mystiques lointaines à la fois dans le temps et dans l’espace. 4.
1458 s à la fois dans le temps et dans l’espace. 4. Une technique de la « chasteté » À partir du vie siècle se répand rap
1459 s l’Inde entière, tant hindouiste que bouddhistes une école ou mode religieuse, dont l’influence s’épanouira pendant des si
1460 religieuse, dont l’influence s’épanouira pendant des siècles. Du point de vue formel, le tantrisme se présente comme une
1461 int de vue formel, le tantrisme se présente comme une nouvelle manifestation triomphante du shaktisme. La force secrète (ça
1462 nes sectes tantriques, la femme devient elle-même une chose sacrée, une incarnation de la mère. L’apothéose religieuse de l
1463 ues, la femme devient elle-même une chose sacrée, une incarnation de la mère. L’apothéose religieuse de la femme est commun
1464 Moyen Âge indien… Le tantrisme est par excellence une technique, bien que fondamentalement il soit une métaphysique et une
1465 une technique, bien que fondamentalement il soit une métaphysique et une mystique… La méditation éveille certaines forces
1466 que fondamentalement il soit une métaphysique et une mystique… La méditation éveille certaines forces occultes qui dorment
1467 e fois éveillées, transforment le corps humain en un corps mystique.16 Il s’agit, par le cérémonial du yoga tantrique, d
1468 condition humaine. Le tantrisme bouddhique trouve des analogies précises dans le hatha yoga hindou, technique du contrôle d
1469 e, celle-là même qui détermine le cycle incessant des naissances et des morts, la fonction sexuelle »17. Ainsi parle Shiva1
1470 ui détermine le cycle incessant des naissances et des morts, la fonction sexuelle »17. Ainsi parle Shiva18 : « Pour mes dév
1471 Ténèbre du monde et doit être tenu pour le secret des secrets. » Les précisions données par le texte font allusion à une te
1472 s précisions données par le texte font allusion à une technique de l’acte sexuel sans consommation, car « celui qui garde (
1473 ’aurait-il à craindre de la mort ? » comme le dit un upanishad. Dans le tantrisme, la maithuna (union sexuelle cérémoniell
1474 la maithuna (union sexuelle cérémonielle) devient un exercice yogique. Mais la plupart des textes qui la décrivent « sont
1475 rt des textes qui la décrivent « sont écrits dans un langage intentionnel, secret, obscur, à double sens, dans lequel un é
1476 onnel, secret, obscur, à double sens, dans lequel un état de conscience est exprimé par un terme érotique »19 — ou l’inver
1477 dans lequel un état de conscience est exprimé par un terme érotique »19 — ou l’inverse aussi bien. À tel point « qu’on ne
1478 t « qu’on ne peut jamais préciser si maithuna est un acte réel ou simplement une allégorie ». De toute manière, le but est
1479 éciser si maithuna est un acte réel ou simplement une allégorie ». De toute manière, le but est le « suprême grand bonheur…
1480 ais la femme, dans tout cela ? Elle reste objet d’ un culte. Considérée comme « source unique de joie et de repos, l’amante
1481 rsonnelle, pur principe, sans visage et sans nom. Une école mystique du tantrisme tardif, le Sahajiyâ, amplifie l’érotique
1482 e Sahajiyâ, amplifie l’érotique rituelle jusqu’à des proportions étonnantes… On y accorde une grande importance à toute so
1483 jusqu’à des proportions étonnantes… On y accorde une grande importance à toute sorte d’« amour » et le rituel de maithuna
1484 tuel de maithuna apparaît comme le couronnement d’ un lent et difficile apprentissage ascétique… Le néophyte doit servir la
1485 dévote » pendant les quatre premiers mois, comme un domestique, dormir dans la même chambre qu’elle, puis à ses pieds. Pe
1486 t réaliser la béatitude nirvanique et la maîtrise des sens, i. e. l’arrêt séminal.22 Des pratiques similaires sont prescr
1487 la maîtrise des sens, i. e. l’arrêt séminal.22 Des pratiques similaires sont prescrites par le taoïsme, mais en vue de p
1488 r l’exaltation mystique et la béatitude à travers une Elle qu’il s’agit de « servir » en posture humiliée, mais en gardant
1489 ise de soi dont la perte pourrait se traduire par un acte de procréation, lequel ferait retomber le chevalier servant dans
1490 joie à celui qui observe ses lois, dit le premier des troubadours connus, Guillaume, sixième comte de Poitiers et neuvième
1491 ces « lois d’Amour » sont donc déjà fixées, comme un rituel. Ce sont Mesure, Service, Prouesse, Longue Attente, Chasteté,
1492 vanter celui qui sait garder Mesure… Le bien-être des amoureux consiste en Joie, Patience et Mesure… J’approuve que ma dame
1493 La soumission à l’aimée est la marque naturelle d’ un homme courtois. ») Voici la Chasteté : Celui qui se dispose à aimer
1494 t aimé lui deviendra bientôt indifférente : J’ai une amie, mais je ne sais qui elle est, car jamais de par ma foi je ne la
1495 amour. (Guillaume de Poitiers.) Je n’ai cité que des poètes de la première et de la seconde génération des troubadours (11
1496 poètes de la première et de la seconde génération des troubadours (1120 à 1180 environ). Au xiiie siècle, ceux de la derni
1497 de Prades, qui cependant ne craint pas de donner des précisions sur les gestes érotiques que l’on peut se permettre avec c
1498 ement dénoncé par Marcabru et ses successeurs, en des termes qui peuvent éclairer indirectement sur la nature de l’amour vr
1499 mis qu’il en serait ainsi, là sera la lamentation des désespérés. Ah ! noble Amour, source de bonté, par qui le monde entie
1500 e que tu seras mon guide. Enfin, contre certains des troubadours qui sans doute abusaient trop souvent des ambiguïtés ména
1501 troubadours qui sans doute abusaient trop souvent des ambiguïtés ménagées par le « service » d’amour courtois, Cercamon n’h
1502 s sont dans l’angoisse… Ces faux servants font qu’ un grand nombre abandonnent Mérite et éloignent d’eux Jeunesse. Quelles
1503 s, de péchés, de louanges et d’interdits, demeure un fait patent : il suffit de lire. Elle va servir aux romanciers du Nor
1504 e d’Arthur, du Graal, et de Tristan, pour décrire des actions et des drames, et non plus seulement pour chanter ce que l’on
1505 Graal, et de Tristan, pour décrire des actions et des drames, et non plus seulement pour chanter ce que l’on pourrait encor
1506 encore tenir, chez les troubadours du Midi, pour une pure fantasmagorie sentimentale. 6. Excuse aux historiens Je ne
1507 guère à l’histoire « scientifique » comme critère des réalités qui m’intéressent dans cet ouvrage. Je lui laisse le soin d’
1508 e donc incroyable jusqu’à nouvel avis. Je cherche un sens, donc des analogies illustratives et illuminatives. Et je ne pré
1509 ble jusqu’à nouvel avis. Je cherche un sens, donc des analogies illustratives et illuminatives. Et je ne prétends aucunemen
1510 minatives. Et je ne prétends aucunement confirmer une thèse quelconque en appelant l’attention du lecteur sur certains fait
1511 raduit au vie siècle du sanscrit en pehlevi, par un médecin de Chosroès Ier, roi de Perse. De là, on peut suivre son prog
1512 suivre son progrès rapide vers l’Europe à travers une série de traductions en syriaque, en arabe, en latin, en espagnol, et
1513 ie siècle, La Fontaine le lira en français, dans une nouvelle traduction du persan faite sur une ancienne version arabe. L
1514 dans une nouvelle traduction du persan faite sur une ancienne version arabe. Le périple du Roman de Barlaam et Josaphat es
1515 , quoiqu’orthodoxe dans les grandes lignes, porte des traces indiscutables de manichéisme. Selon l’école néo-cathare frança
1516 se, les hérétiques du xiie siècle auraient connu une version non amendée par les catholiques, et plus proche de l’original
1517 us proche de l’original. Que cette hypothèse soit un jour vérifiée ou non, il n’en reste pas moins que l’origine manichéen
1518 n oriental. Et l’on peut suivre la transformation des noms hindous « Baghavan » et « Boddisattva » (le Bouddha) en « Barlaa
1519 e furent plusieurs troubadours. Il s’exprime dans des termes qui seront repris par presque tous les grands mystiques de l’O
1520 e l’Occident. Il nous semble parfois se réduire à des fadaises sophistiquées, dans le goût des petites cours du Moyen Âge.
1521 éduire à des fadaises sophistiquées, dans le goût des petites cours du Moyen Âge. Il peut être purement rêvé, et beaucoup s
1522 , et beaucoup se refusent à y voir autre chose qu’ un tournoi verbal. Il peut traduire aussi les réalités précises, mais no
1523 les réalités précises, mais non moins ambiguës, d’ une certaine discipline érotico-mystique dont l’Inde, la Chine et le Proc
1524 à laquelle je viens de me livrer, et compte tenu des objections les plus sensées que firent à ma thèse minima les partisan
1525 s d’écoles au moins diverses, me voici ramené par une sorte de spirale au-dessus de mes premières constatations : l’amour c
1526 à mes yeux, dans l’homme occidental, le retour d’ un Orient symbolique. Il nous devient intelligible par certaines de ses
1527 relation littéralement congénitale avec l’hérésie des cathares, et son opposition sournoise ou déclarée au concept chrétien
1528 rent s’il n’avait gardé dans nos vies, au travers des nombreux avatars dont nous allons décrire la procession, une virulenc
1529 x avatars dont nous allons décrire la procession, une virulence intime, perpétuellement nouvelle. 11. Le présent texte c
1530 chapitre VII de ce livre, à savoir que les poèmes des troubadours pouvaient être — selon Rahn, Aroux et Péladan — une sorte
1531 s pouvaient être — selon Rahn, Aroux et Péladan — une sorte de langage secret du catharisme — une relecture des chapitres V
1532 dan — une sorte de langage secret du catharisme — une relecture des chapitres VIII et IX suffit à « réduire » à son tour ce
1533 e de langage secret du catharisme — une relecture des chapitres VIII et IX suffit à « réduire » à son tour cette simplifica
1534 lus fait pour assurer le succès de l’ouvrage dans un large public pressé, comme il arrive.) 13. Comme Amor s’oppose à Rom
1535  : le premier génocide ou massacre systématique d’ un peuple, enregistré par notre histoire « chrétienne » de l’Occident.
1536 ouve parfois « jusqu’à cinq sens équivalents pour un seul terme ». 20. L. De La Vallée-Poussin, Bouddhisme, Études et ma
1537 id. 23. Je m’excuse de ne pouvoir citer ici que des fragments de chansons — de paroles de chansons ! — souvent très pauvr
1538 Qu’il soit bien entendu que je n’épingle ici que des dépouilles de sens… 24. Note du professeur Jeanroy : « C’est-à-dire,
1539 gard qui enflamme – et servir à tactus.) Le thème des Cinq lignes d’amour peut être suivi à travers toute la poésie latine
27 1956, Articles divers (1951-1956). Denis de Rougemont et l’amour-passion, phénomène historique (4 février 1956)
1540 j Pourquoi aviez-vous écrit ce livre ? L’amour des découvertes ? Mon propos initial était assez simple. Je voulais mettr
1541 tial était assez simple. Je voulais mettre à jour un paradoxe dont l’époque semble nourrie mais inconsciente : on fonde au
1542 aujourd’hui le mariage sur la passion, ce qui est une stupidité car c’est confondre l’amour pour la mort avec l’amour pour
1543 ubit de nos jours. J’ai tenté de le décrire comme un phénomène historique, d’origine proprement religieuse. Voulez-vous di
1544 e. Voulez-vous dire que l’amour-passion n’est pas un des caractères permanents de la nature humaine ? Exactement. L’amour-
1545 Voulez-vous dire que l’amour-passion n’est pas un des caractères permanents de la nature humaine ? Exactement. L’amour-pass
1546 nature humaine ? Exactement. L’amour-passion est un sentiment historique, qui a une histoire. Il a des causes, des raison
1547 ’amour-passion est un sentiment historique, qui a une histoire. Il a des causes, des raisons. Peut-être eût-il pu ne pas ex
1548 un sentiment historique, qui a une histoire. Il a des causes, des raisons. Peut-être eût-il pu ne pas exister. En tout cas,
1549 historique, qui a une histoire. Il a des causes, des raisons. Peut-être eût-il pu ne pas exister. En tout cas, il n’appara
1550 l’amour humain est très généralement conçu comme un plaisir, la simple volupté physique. Et la passion — au sens tragique
1551 tout, y est méprisée par la morale courante comme une maladie frénétique. Il y a un bouleversement au xiie siècle : subite
1552 ale courante comme une maladie frénétique. Il y a un bouleversement au xiie siècle : subitement, c’est le mariage qui est
1553 tains spécialistes n’ont pas aimé que j’établisse des connexions entre les sombres cathares et les joyeux troubadours. Et p
1554 tte doctrine. J’avoue que j’en avais été réduit à un grand nombre d’hypothèses. Mais, en 1940, le Père Dondaine retrouva d
1555 es. Mais, en 1940, le Père Dondaine retrouva dans une bibliothèque de Florence le Livre des deux principes, premier texte c
1556 trouva dans une bibliothèque de Florence le Livre des deux principes, premier texte cathare en notre possession. J’eus le b
1557 ais avancé. C’est pourquoi je propose aujourd’hui une nouvelle édition, où l’idée du livre reste la même mais s’appuie main
1558 livre reste la même mais s’appuie maintenant sur des textes : j’ai repris la partie historique. Mais votre propos demeure
1559 tie historique. Mais votre propos demeure celui d’ un moraliste. J’en conviens. Mon livre est celui d’un moraliste dans la
1560 n moraliste. J’en conviens. Mon livre est celui d’ un moraliste dans la mesure où il cherche à faire prendre conscience aux
1561 où il cherche à faire prendre conscience aux gens des motifs de leurs actes. Nous en revenons à mon but initial : dénoncer
1562 nscient habite toujours les esprits. Il n’est pas une femme qui ne rêve de connaître le grand amour, la passion unique, tot
1563 , totale, mortelle. L’adultère est presque devenu une vertu. Le cinéma fournit assez de preuves à ce que j’avance. Fonder l
1564 avance. Fonder le mariage sur l’amour-passion est un monstrueux contresens. Il y a un point aussi à ne pas oublier : dans
1565 mour-passion est un monstrueux contresens. Il y a un point aussi à ne pas oublier : dans l’amour-passion, les êtres sont d
1566 r leur amour. Ils ne peuvent pas ne pas s’aimer : un philtre, la beauté diabolique de l’un ou simplement la fatalité les c
1567 ais alors, s’ils s’aiment malgré eux, poussés par une force extérieure qu’ils peuvent arriver à haïr, ils ne s’aiment pas v
1568 a note suivante : «  L’Amour et l’Occident , dans une édition remaniée et augmentée, aggravée dit M. de Rougemont qui a de
1569 La première édition, née en 1939, avait provoqué une série de polémiques qui attestait l’importance de l’ouvrage : on s’ac
1570 tance de l’ouvrage : on s’accorde à le tenir pour un des livres les plus importants de notre époque. M. de Rougemont vit p
1571 ce de l’ouvrage : on s’accorde à le tenir pour un des livres les plus importants de notre époque. M. de Rougemont vit peu e
1572 passé sept ans aux États-Unis, où ses livres ont un grand retentissement, il s’est maintenant fixé à Genève et s’occupe e
1573 fois retrouvé Paris pour quelques jours mais avec un emploi du temps qui ne lui laissait aucun loisir. Nous avons pu l’iso
28 1956, Articles divers (1951-1956). Petits trajets sur les axes du monde (août 1956)
1574 émerge de la brume, repeint durant la nuit comme un banc vert auprès du lac précieux où trempent des parois à peine moins
1575 e un banc vert auprès du lac précieux où trempent des parois à peine moins translucides que le ciel, ce temps de création d
1576 mon souvenir. J’y reviens. Les gros plans tout d’ un coup anéantissent l’exaltant panorama. Les maisons sages, un peu scol
1577 antissent l’exaltant panorama. Les maisons sages, un peu scolaires, et les gens en gris vert défilent, des visages s’immob
1578 peu scolaires, et les gens en gris vert défilent, des visages s’immobilisent et plus rien n’est étrange ni beau, tout rejoi
1579 types juxtaposés, et l’on va de l’un à l’autre en une demi-heure, parfois en deux minutes comme il arrive quand on traverse
1580 traverse le tunnel de Chexbres : il se ferme sur un paysage de plateaux nordiques et rhénans — collines où montent les sa
1581 — et s’ouvre à l’autre bout dans l’espace doré d’ un ciel méridional que double un lac immense. Vingt-cinq États distincts
1582 ans l’espace doré d’un ciel méridional que double un lac immense. Vingt-cinq États distincts sans nulle frontière visible,
1583 ds y sera surtout local. Il sera le grand homme d’ une vallée, d’une cité, plus rarement celui d’un canton, presque jamais c
1584 out local. Il sera le grand homme d’une vallée, d’ une cité, plus rarement celui d’un canton, presque jamais celui de la nat
1585 e d’une vallée, d’une cité, plus rarement celui d’ un canton, presque jamais celui de la nation entière. Tandis que le gran
1586 s’il monte sur la montagne… Alors, cette ivresse des sommets. L’intuition de la grandeur. Et plus d’obstacles devant la pe
1587 bien réglé ? N’oublions pas que l’horlogerie est une science des petits mouvements. Et découvrons la Suisse réelle dans l’
1588 ? N’oublions pas que l’horlogerie est une science des petits mouvements. Et découvrons la Suisse réelle dans l’usage de ses
1589 s suisses, bien qu’ils vous conduisent en moins d’ une heure d’un monde à l’autre, ne servent cependant qu’aux petits déplac
1590 ien qu’ils vous conduisent en moins d’une heure d’ un monde à l’autre, ne servent cependant qu’aux petits déplacements, qui
1591 nt cependant qu’aux petits déplacements, qui sont des voyages concentrés et plus émouvants que les vrais, parce qu’entre le
1592 et l’arrivée ne s’établit jamais cette monotonie des heures de plaine et d’océan de nuit où rien ne bouge. Comme il n’y a
1593 bouge. Comme il n’y a pas de place en Suisse pour un véritable voyage, on s’en tire en coupant le milieu, ce remplissage d
1594 évasion qui se mue en invasion, ce début qui clôt une vie, cette conclusion qui en ouvre une autre, tandis qu’entre les deu
1595 t qui clôt une vie, cette conclusion qui en ouvre une autre, tandis qu’entre les deux s’opère en un clin d’œil la silencieu
1596 re une autre, tandis qu’entre les deux s’opère en un clin d’œil la silencieuse révolution du centre où se confondent les e
1597 ouvenir et de l’espoir, quand les portes du cœur, un instant, sont à la fois ouvertes et fermées. Ainsi la Suisse est la p
1598 uvertes et fermées. Ainsi la Suisse est la patrie des romantiques contraints par les dimensions mêmes de leur État au class
1599 et qui témoigne de l’inspiration par le signal d’ un raccourci métaphorique. J’idéalise, mais pourquoi pas ? S’il me falla
1600 ns chics parfois en seconde, et je ne savais rien des premières sinon qu’un morceau de dentelle ornait le haut de leurs siè
1601 onde, et je ne savais rien des premières sinon qu’ un morceau de dentelle ornait le haut de leurs sièges de velours rouge,
1602 . À mi-chemin entre l’instituteur et le gendarme, un personnage vêtu d’un sévère uniforme au col bordé de perles blanches
1603 ’instituteur et le gendarme, un personnage vêtu d’ un sévère uniforme au col bordé de perles blanches mordant sur l’encolur
1604 ait, claquait la porte étroite, et annonçait avec une emphatique autorité des noms de villages que tout le monde connaissai
1605 troite, et annonçait avec une emphatique autorité des noms de villages que tout le monde connaissait, mais cela faisait par
1606 isais : « C’est notre force, et ce sera peut-être un jour, au dernier jour — car les plus belles histoires du monde ont un
1607 jour — car les plus belles histoires du monde ont une fin — la fatale faiblesse de notre État : cette habitude de nous sent
1608 ait aux règles de la bonne conduite. » L’aspect d’ un wagon suisse de troisième classe, tant il respire naturellement l’hon
1609 lier que la correction, la décence et la sécurité des citoyens sont de purs et simples miracles ; que le monde est une jung
1610 nt de purs et simples miracles ; que le monde est une jungle atomique, l’humanité dans sa très grande majorité une espèce a
1611 atomique, l’humanité dans sa très grande majorité une espèce animale désordonnée, lubrique, rapace, irresponsable et affamé
1612 , rapace, irresponsable et affamée ; et notre âme un cloaque de crimes potentiels, comme l’ont dit Freud, Shakespeare et l
1613 le du genre humain, l’anarchie et la guerre étant des exceptions. Ainsi pensent les Français du climat tempéré dont ils jou
1614 es extravagantes menacent quotidiennement, depuis des millénaires, l’existence même de la plupart des autres hommes. En dép
1615 nne ne vous voit jamais, me propose par contraste une réponse. C’est qu’en Suisse on se sent regardé, examiné, jugé, jaugé,
1616 nt vérifié, mis au point, méticuleusement nettoyé des moindres suggestions de bizarrerie ou de virtuelle indiscipline que p
1617 de virtuelle indiscipline que peuvent représenter une cravate insolente, une conversation à voix trop haute, une semelle ap
1618 ne que peuvent représenter une cravate insolente, une conversation à voix trop haute, une semelle appuyée sur le banc, quel
1619 te insolente, une conversation à voix trop haute, une semelle appuyée sur le banc, quelque geste imprévu, un air, un rien.
1620 melle appuyée sur le banc, quelque geste imprévu, un air, un rien. L’indiscrétion du regard suisse me surprend à chacun de
1621 puyée sur le banc, quelque geste imprévu, un air, un rien. L’indiscrétion du regard suisse me surprend à chacun de mes ret
1622 mais eux, bien loin de se troubler, pèsent encore un temps infini, en vertu de quelque inertie, et finalement ne se détour
1623 pour réagir comme je le dis. Dès que je m’éloigne un peu, l’indulgence me reprend. Tout compte fait, je leur donne raison.
1624 i vous pensez que j’exagère, laissez-moi recopier un « avis » imprimé que j’ai pu lire il y a quelques années, punaisé prè
1625 s années, punaisé près de la porte du balcon dans une chambre d’hôtel des bords du lac Léman : Afin d’éviter tout bruit in
1626 ès de la porte du balcon dans une chambre d’hôtel des bords du lac Léman : Afin d’éviter tout bruit inutile, la direction
1627 pas donner à manger aux mouettes. C’était l’été des expériences de Bikini. Dans les secondes règne la gravité du commerc
1628 e n’est pas curieux, comme les gens de troisième, des menus incidents du trajet. On sent bien qu’il a l’habitude. On dirait
1629 en plus enclin à respecter le velours gris et dru des secondes : il a tort, c’est la classe vulgaire. Des jeunes femmes aux
1630 s secondes : il a tort, c’est la classe vulgaire. Des jeunes femmes aux moues insolentes, vêtues comme des réclames de maga
1631 jeunes femmes aux moues insolentes, vêtues comme des réclames de magazines, discutent avec un accent révoltant le prix de
1632 s comme des réclames de magazines, discutent avec un accent révoltant le prix de leurs nylons ou de cette « Cadillac » pro
1633 ns devenir réactionnaire, ce qui m’effraye encore un peu, bien que je voie venir le jour où certaine « réaction » sera le
1634 r où certaine « réaction » sera le dernier refuge des esprits libres. Je me décide à regagner les troisièmes. Mais il faut
1635 à regagner les troisièmes. Mais il faut traverser un couloir de premières. Et je m’arrête, fasciné. Un vieux monsieur en n
1636 un couloir de premières. Et je m’arrête, fasciné. Un vieux monsieur en noir, au col rond, dur et haut, ce doit être un évê
1637 r en noir, au col rond, dur et haut, ce doit être un évêque anglican, somnole. En face de lui, la beauté même, « ô toi que
1638 aimée », sa fille sans doute, fume en feuilletant un magazine. Je croyais autrefois que les premières étaient vides. C’éta
1639 es touche. Ce sont aussi, et pour la même raison, des transparents. (Avez-vous remarqué que les trains qui vous croisent so
1640 se en raccourci, telle que je l’aime : croisement des traditions locales les plus touchantes et des express européens, peti
1641 ent des traditions locales les plus touchantes et des express européens, petits trajets portés sur les axes du monde. Quel
1642 ce, Paris, août 1956, p. 33-35. al. Ce texte est une nouvelle version, remaniée, de « La lutte des classes ». am. Il s’ag
1643 ée, de « La lutte des classes ». am. Il s’agit d’ un extrait de la préface à la Confédération helvétique , que Rougemont p
29 1956, Articles divers (1951-1956). Un exemple pour l’Europe (octobre 1956)
1644 Un exemple pour l’Europe (octobre 1956)an Parmi les fédérations réuss
1645 t le monde sait que son régime politique est l’un des plus stables au monde, depuis plus d’un siècle. Les partisans de l’Eu
1646 est l’un des plus stables au monde, depuis plus d’ un siècle. Les partisans de l’Europe unie ne manquent pas de le citer en
1647 exemple. Mais combien savent comment ce modèle d’ un système politique fédéral a pris naissance en 1848 ? Une fédération
1648 me politique fédéral a pris naissance en 1848 ? Une fédération qui garantit leur souveraineté aux fédérés Jusqu’à cett
1649 dérés Jusqu’à cette date, la Suisse n’était qu’ une alliance d’États souverains. Pendant des siècles, leur lien légal ava
1650 était qu’une alliance d’États souverains. Pendant des siècles, leur lien légal avait consisté dans une Diète, laquelle n’av
1651 des siècles, leur lien légal avait consisté dans une Diète, laquelle n’avait guère plus de pouvoir que l’Assemblée consult
1652 nsultative de Strasbourg. Composée d’ambassadeurs des cantons souverains, pourvus du droit de veto, cette Diète « n’avait e
1653 e se conformait à leurs volontés »27. La division des petits États, leur impuissance à adopter en temps utile une politique
1654 États, leur impuissance à adopter en temps utile une politique commune expliquent la chute soudaine de l’ancienne Confédér
1655 moment-là sous le nom de « République helvétique une et indivisible » échoua rapidement, et Napoléon reconnaissant l’erreu
1656 fédératif. Vouloir la vaincre ne peut pas être d’ un homme sage. » Entre les deux extrêmes de l’alliance d’États souverain
1657 ale unification, la Suisse chercha pendant près d’ un demi-siècle un équilibre malaisé. Toute tentative de révision du « Pa
1658 , la Suisse chercha pendant près d’un demi-siècle un équilibre malaisé. Toute tentative de révision du « Pacte fédéral »,
1659 a gauche, qui lui reprochait son respect excessif des souverainetés cantonales, et par la droite, qui jugeait ces souverain
1660 souveraineté cantonale (ou nationale), et cela d’ une manière qui me paraît pleine d’enseignements pour l’Europe d’aujourd’
1661 ements pour l’Europe d’aujourd’hui. Loin d’exiger des cantons une renonciation à leur souveraineté, la Constitution suisse
1662 l’Europe d’aujourd’hui. Loin d’exiger des cantons une renonciation à leur souveraineté, la Constitution suisse de 1848 gara
1663 al. Voici les textes : Article 1. — Les peuples des vingt-deux cantons souverains de la Suisse, unis par la présente alli
1664 veut faire l’Europe ? Est-il vrai qu’il y ait là un obstacle à l’Union ? Ces souverainetés ont-elles quelques réalité et
1665 van Kieffens l’a définie comme « la faculté pour un État d’agir à sa guise, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, dans les
1666 existence que psychologique. Refoulée du domaine des forces réelles et de pouvoirs concrets elle est devenue le réceptacle
1667 s, orgueils déçus, rancunes et préjugés hérités d’ une Histoire faussée par l’école, agressivité frustrée, et surtout angois
1668 tité. Elle a donc pris les caractères cliniques d’ un complexe. D’où la difficulté, pour ceux qui en sont victimes, de s’ad
1669 es polémiques sur la souveraineté nationale. Lors des débats de la table ronde de l’Europe tenue à Rome en 1953, deux argum
1670 r leur patrie « se perdre dans la masse informe d’ une Europe unie ». Le second argument est dû à M. Cotsaridas, publiciste
1671 que l’Europe recouvre, entre les grands empires, une souveraineté qui échappe à ses nations. 27. William Rappard, La Co
1672 . 28. Ibid., p. 83. an. Rougemont Denis de, «  Un exemple pour l’Europe », Fédération, Paris, octobre 1956, p. 596-598.
30 1956, Articles divers (1951-1956). Serrer la main d’un communiste, désormais… (10 novembre 1956)
1673 Serrer la main d’ un communiste, désormais… (10 novembre 1956)ao Le dimanche 4 novembre
1674 vous allez entendre le manifeste de la Fédération des écrivains hongrois. Ici la Fédération des écrivains hongrois : À tous
1675 ération des écrivains hongrois. Ici la Fédération des écrivains hongrois : À tous les écrivains du monde, à tous les savant
1676 part, nous pensons ce qui suit : Serrer la main d’ un communiste occidental, qui approuve « librement » son parti, c’est sa
1677 ui approuve « librement » son parti, c’est saluer un complice du crime de Budapest. Publier ses écrits, c’est contribuer a
1678 ues Europe-URSS, engagés sous le signe trompeur d’ une « détente » qui vient de montrer sa vraie nature à Budapest, c’est do
1679 rer sa vraie nature à Budapest, c’est donner dans un guet-apens. Accueillir et fêter les jolies troupes d’artistes, les in
1680 envoie le régime de Moscou, c’est oublier la voix des écrivains martyrs qui nous appelaient de Budapest, et c’est trahir le
1681 tenteront de le faire oublier, ou de lui chercher des excuses. Que tous les esprits libres qui voudraient s’associer à l’ac
1682 berté de la culture sachent qu’ils trouveront ici des hommes qui n’oublient pas l’appel des écrivains de Budapest, qui ne l
1683 uveront ici des hommes qui n’oublient pas l’appel des écrivains de Budapest, qui ne le laisseront pas oublier, et dont tout
1684 ont ao. Rougemont Denis de, « Serrer la main d’ un communiste, désormais… », Le Figaro littéraire, Paris, 10 novembre 19