1 1957, Articles divers (1957-1962). La voie et l’aventure (janvier 1957)
1 La voie et l’aventure (janvier 1957) a b Ce qui s’oppose coopère, et de ce qui diverge procède la plus b
2 e Total, ou l’Être, Ramakrishna disait : « Il n’y a aucune différence, que vous l’appeliez ‟Toi” ou que vous pensiez ‟Je
3 oi” ou que vous pensiez ‟Je suis Lui”. » S’il n’y avait « aucune différence », il n’y aurait pas non plus d’antinomie foncièr
4 ”. » S’il n’y avait « aucune différence », il n’y aurait pas non plus d’antinomie foncière entre la foi chrétienne de l’Occide
5 liens avec certaines options fondamentales qu’il a prises au plan religieux. Au nom même du désir d’union de l’humanité
6 aux peuples de l’Inde par les conquérants aryens, ait son origine en Europe, où Platon l’idéalisa, tandis que César devait
7 en Âge. À bien des égards, en effet, le Moyen Âge a représenté la période « orientale » de l’Occident. Le symbolisme y do
8 que par son dépassement réalisé. Mais l’Orient n’ a pas eu de Renaissance. La durée même de son Moyen Âge, confronté tout
9 ar son dépassement réalisé. Mais l’Orient n’a pas eu de Renaissance. La durée même de son Moyen Âge, confronté tout vivant
10 es. L’Occidental retour d’Orient s’écrie : « Je n’ ai vu que des foules, pas une personne ! » Et l’Oriental qui circule dan
11 pirituel… Réalités internes de l’opposition a ) Symbolisme de l’Orient et de l’Occident 5. — L’Orient et l’Occident
12 Iran et de l’Arabie, Avicenne et Sohrawardi, nous ont laissés sur ce sujet fondamental6. Le récit d’Avicenne est une initi
13 x nourris de la pensée mystique du Proche-Orient8 ont accolés à nos deux termes. Nous aurons le tableau suivant, formé de q
14 roche-Orient8 ont accolés à nos deux termes. Nous aurons le tableau suivant, formé de quatorze antithèses : Orient : l’aurore
15 s corps à tous risques pour l’âme et l’esprit, en a tiré le principe d’une possible grandeur et d’une vérité difficile, q
16 . Un voyageur allemand9 demandait à un yogi : « N’ avez -vous pas tenté, en Inde aussi, de calculer la quadrature du cercle ? 
17 ttoirs couverts de dormeurs pendant la nuit. Et j’ ai vu cinq personnes sur une seule bicyclette ! Ces gens ne seront-ils j
18 il s’agit de légendes sacrées. Jamais la vie ne m’ a paru plus solennelle ni plus simplement adorable. Tintements de cloch
19 éen, ni de plus véritablement communautaire. Nous avons inventé l’ecclesia. Et tandis qu’ils se purifient par l’isolement, co
20 assner, essayiste autrichien de génie. Personne n’ a mieux traduit l’impression qui submerge l’Européen livré à l’Inde, im
21 livré à l’Inde, immergé dans la foule indienne. J’ ai parlé de l’Hindou « grégaire » ; terme inexact s’il fait penser à « c
22 imple centre. L’homme magique, le corps magique n’ a pas d’ironie ni de paradoxe, parce qu’il n’a ni contraire ni contradi
23 ue n’a pas d’ironie ni de paradoxe, parce qu’il n’ a ni contraire ni contradiction. » Dépourvu de sensibilité au sens du x
24 évolutionnaire, ignorant la curiosité, il ne peut avoir cure ni de ses droits distincts, ni de sa chance, ni d’un miroir, don
25 s de liberté, action, de personne et d’histoire n’ ont plus de pointe ni de but. Le monde magique est en forme de Boule, inf
26 e connaît rien de tel. Soit qu’on pense qu’il n’y a pas de Dieu — selon le système Sankya et le bouddhisme — soit qu’on p
27 ent réalisé et accompli (That Thwam Asi) — il n’y a pas plus de personne dans la gnose hindouiste que de moi distinct dan
28 que de moi distinct dans le bouddhisme. Qu’il n’y ait point de Dieu, ou que Je sois le Tout, dans les deux cas l’Autre s’év
29 a que je citais en tête de ce chapitre : « Il n’y a aucune différence, que vous l’appeliez Toi ou que Vous disiez Je suis
30 de grands physiciens en Orient ? Mais personne n’ a l’idée de parler de l’Orient scientifique, ou de l’Occident mystique.
31 passivité. Les plus grands mystiques de l’Europe ont pu se voir accuser d’athéisme sur la foi de leurs ultimes conclusions
32 ndis que nous inventons le collectivisme… Et l’on aura beau jeu de m’opposer des textes apparemment ruineux pour ma thèse de
33 te » ? De quelle yâna bouddhique relève celui qui a dit : « Il faut que tu aimes Dieu comme non-Dieu, non-Esprit, non-Per
34 le mystique chrétien qui nous rappelle « qu’après avoir écarté tout attachement » et s’être engagé sur la voie de la connaiss
35 ne connaît pas d’Églises. La Bible et les Vedas n’ ont vraiment rien de commun, et l’usage qu’on en fait n’est pas du tout l
36 le pense à l’esprit des Occidentaux, mais elle n’ a pas d’effet dans leur vie religieuse, moins encore dans leur vie soci
37 grand du royaume qui, en échange de tout ce qu’il avait fait pour Xerxès et son armée, pour l’équipement de la campagne contr
38 ualité. Pour tous les deux, la liberté de l’homme a pour condition la personne. On dira que l’Occident a fait les chambre
39 our condition la personne. On dira que l’Occident a fait les chambres à gaz, tandis que l’Orient professe un respect de l
40 espect de la vie humaine. La Bhagavad-Gita, qui n’ a rien de bouddhique, enseigne que la mort étant le sort commun, tuer n
41 valeur de la personne dans chaque individu, n’en a pas moins connu les tortures, les bûchers, la guillotine et les massa
42 t les massacres (patriotiques ou religieux). Elle a même inventé la guerre totale ! D’où provient alors cette « horreur »
43 ntage de l’un ou de l’autre « camp » : car il n’y a pas de camps, ni de lutte engagée, ceci soit dit ici une fois pour to
44 xaminer que des prises partielles et typiques. On a vu que j’ai choisi mes exemples dans le domaine religieux, de préfére
45 des prises partielles et typiques. On a vu que j’ ai choisi mes exemples dans le domaine religieux, de préférence. N’est-c
46 e cherchais à cerner les options primordiales qui ont donné cours à deux voies divergentes. Il m’a semblé que c’était dans
47 ui ont donné cours à deux voies divergentes. Il m’ a semblé que c’était dans la mystique, la religion et leurs explication
48 l’histoire, tout cela m’importe moins que de les avoir bien vues, et de suivre à partir d’un contraste assez simple entre de
49 homme et de ses fins, celle dont les conséquences ont formé l’Occident. 1. L’Occident étant représenté, dans ce cas part
50 uelques raisons qui justifient le procédé. L’Inde a joué en Asie un rôle très comparable à celui de l’Europe en Occident.
51 pendant longtemps par le barrage de l’islam, et n’ a pu s’esquisser qu’à partir du xixe siècle ; la seconde s’opère sous
52 oux et puces, dispensant de la sorte son maître d’ avoir à tuer ces insectes. (Anecdote citée par R. Kassner, op. cit.) a. R
53 ectes. (Anecdote citée par R. Kassner, op. cit.) a . Rougemont Denis de, « La voie et l’aventure », La Table ronde, Pari
2 1957, Articles divers (1957-1962). De l’unité de culture à l’union politique (mai 1957)
54 stillans sont vus comme des Européens : il doit y avoir à cela quelque raison. Tout bien considéré, je n’en trouve pas de mei
55 t plus dangereux de vouloir ignorer Bandung. 2. J’ ai cru remarquer que ceux des Européens qui insistent avec le plus d’emp
56 i séparent nos nations depuis des siècles. Il n’y aurait donc, à les en croire, pas de différences bien notables (dans le doma
57 pe et le Congo ou le Cachemire, tandis qu’il y en aurait d’insurmontables entre les Britanniques et les Français, entre ceux-c
58 l’Appenzell et banquiers protestants de Genève, n’ ont pas empêché l’unification nationale de la France, de l’Allemagne, de
59 s — pas plus que cette unification, d’ailleurs, n’ a supprimé ces différences. (Encore que les écoles d’État s’y soient ef
60 soient efforcées depuis un siècle : or personne n’ a jamais attendu rien de pareil d’un État fédéral européen.) Ainsi l’ob
61 géographique et historique, car ses frontières n’ ont pas cessé de se déplacer au cours des temps. Elle ne serait donc défi
62 culture, qui ne l’est guère. Conclusion : il n’y a pas d’Europe, et si l’on en veut une, il faudra l’inventer. Ce qui ne
63 ort avec le drame qui vient. Au vrai, tout cela n’ a de sens que pour les professeurs. Ceux-ci doivent circonscrire exacte
64 ère mieux dans le temps que dans l’espace […]. On a voulu que l’Empire romain fût une première ébauche de l’Europe. Mais
65 une œuvre d’art : est-elle née de ce jour où l’on a fait son plan, ou reçu sa commande, ou senti son climat ? Ou de cette
66 ition précise, plusieurs années auparavant ? Ou n’ aurait -elle pris forme et nom qu’à mi-chemin du travail entrepris, qui a sou
67 e et nom qu’à mi-chemin du travail entrepris, qui a soudain changé de sens et trouvé son vrai sens ? Il importe assez peu
68 des fédéralistes de notre temps, comme certains l’ ont finement supposé ? Une cantate peu connue de Beethoven, composée pour
69 t le jugement qu’elle implique sur la réalité. On a souvent tenté de nier l’existence d’une vraie culture européenne, en
70 ortance des influences extracontinentales qu’elle a subies. Ces arguments prennent toute leur force contre le concept de
71 e cultures nationales, apparu au xixe siècle. Qu’ as -tu que tu n’aies reçu ? dit l’Europe aux nations. Elles seraient bien
72 onales, apparu au xixe siècle. Qu’as-tu que tu n’ aies reçu ? dit l’Europe aux nations. Elles seraient bien en peine de répo
73 e voit du premier coup que les réalités décisives ont cessé d’être nationales au xxe siècle ? Notre économie, nos techniqu
74 hniques, se développent en dépit des nations, qui ont au plus le pouvoir de les freiner en paralysant les échanges. Quant a
75 ralysant les échanges. Quant au plan politique on a vu récemment ce que valaient à l’épreuve les fameuses souverainetés q
76 ombien d’arbres il faut pour former une forêt ? J’ ai mes racines, voilà qui est vrai, le reste est mythe…) N’est-il pas t
77 inora, Vol. II, p. 362. Voir aussi H. F. Mueller, A Chronology of Vulgar Latin, et Marc Bloch, La Société féodale. 16. D
3 1957, Articles divers (1957-1962). Lettre en réponse à Emmanuel Berl (mai 1957)
78 té de culture et Aventure unique. Je ne pense pas avoir recommandé l’imposture ou la tyrannie, le refus du Droit, la guerre à
79 pourquoi le crier contre moi, comme si vraiment j’ avais préconisé le mensonge utile et le « massacre des affamés » ? Je deman
80 se au post-scriptum d’Emmanuel Berl, que nous lui avons fait parvenir avant publication, Denis de Rougemont nous a envoyé la
81 rvenir avant publication, Denis de Rougemont nous a envoyé la lettre suivante. » Dans le même numéro où paraissait l’arti
82 er sur la date de sa naissance. En effet. Mais on a généralement su où était, ce que faisait la Suisse. En 14, en 39, ell
83 fit pas d’ignorer quand une personne est née pour avoir la certitude qu’elle vit. Filibusterie à part, je prétends rester eur
84 Il y avait une Europe de Romain Rolland. Il y en a une de Pierre Dominique, qui espère en elle pour répondre du tac au t
85 veut qu’elle fasse déjà sonner le sabre qu’elle n’ a pas encore. Est-ce ma faute si elles ne se ressemblent pas. La “filib
86 hausser les épaules et de répondre : “Tout cela n’ a de sens que pour les professeurs.” Le mensonge n’est pas mon fort, fû
4 1957, Articles divers (1957-1962). La fin du pessimisme (juin 1957)
87 numéro 1 de la séduction progressiste, paraissait avoir mis une fois pour toutes le cap sur 1984 et sa fourmilière ; voilà qu
88 ses pessimistes de notre société et de son destin ont culminé dans l’utopie de George Orwell 1984. Il y eut d’abord ce titr
89 onymes, la machine, la police et l’État. Orwell n’ eut qu’à pousser un peu plus loin. Il n’eut qu’à mettre au point l’exempl
90 Orwell n’eut qu’à pousser un peu plus loin. Il n’ eut qu’à mettre au point l’exemple soviétique, à l’étendre à l’Europe de
91 rs qu’il voulait révolter. Le masochisme européen avait trouvé son expression suprême. Et Kafka n’était plus que le Jean-Bapt
92 sistance de Varsovie et la révolution de Budapest ont renversé le cours de cette immense dérive et restauré d’un coup l’esp
93 par Sartre, triomphait dans une génération qui n’ avait appris que le mensonge. Ses pouvoirs de résistance à Big Brother, nié
94 irs de résistance à Big Brother, niés par Orwell, ont éclaté dans les rues de Budapest. Sa faculté de revendiquer et d’impo
95 it m’objecter Saint-John Perse, mais justement il a choisi l’exil en soi. Tous les autres sont contre le siècle, d’une ma
96 e Dostoïevski. Il est remarquable que ce siècle n’ ait retenu du précédent que les génies antisociaux, les héros du refus in
97 le, par ses franges cultivées et conscientes, qui a fait le succès posthume des grands génies maudits, ignorés ou refoulé
98 que le Prolétariat doit la déposséder, comme elle avait elle-même dépossédé les nobles, qu’il ne peut imposer qu’un régime so
99 eut imposer qu’un régime soviétique, et qu’Orwell a dit vrai malgré lui. Curieux pouvoir des pessimistes de l’autre siècl
100 ’État. Encore un peu, et la technique elle-même l’ aura délivré de la chaîne. Mais c’est le bourgeois qui en vient alors à cr
101 stoire, dont Big Brother sera l’aboutissement. J’ ai tu jusqu’ici deux grands noms, qui dominent pourtant ce tableau. L’in
102 ccident dépasse de loin la conscience qu’elles en ont , la connaissance qu’elles ont pu prendre du Capital ou de la Science
103 science qu’elles en ont, la connaissance qu’elles ont pu prendre du Capital ou de la Science des rêves, et les jugements qu
104 qu’elles avoueraient à leur sujet. Marx et Freud ont beaucoup en commun, et, par-dessus tout, leur succès parmi ceux qu’il
105 t, par-dessus tout, leur succès parmi ceux qu’ils ont « démasqués » avec un zèle amer et quelque peu sadique. Ce succès n’e
106 te, méritèrent à ce point qu’on dise d’eux qu’ils ont « fait leur temps », au double sens de l’expression. Que Freud soit d
107 oilà qui n’empêche pas que ces deux grands génies aient puissamment modelé le xxe siècle et modifié notre approche du réel.
108 éel. Cependant les déterminismes qu’ils croyaient avoir « découverts », quand c’était bien plutôt leur influence qui allait l
109 ectique n’est plus qu’une « mystification » comme eût dit Marx lui-même, et le « mouvement de l’histoire » un mauvais alibi
110 te logique démente pour l’annonce d’une fatalité. A-t -il vraiment suffi d’un « dégel » temporaire, d’une révolution écrasée
111 aussi en Asie, et plus qu’on ne pense en URSS, n’ aurait -il pas créé l’illusion romantique d’un renouveau de la liberté, d’un
112 e venaient corroborer un optimisme neuf. Budapest a gagné sa partie — moralement. Admettons que cela n’est pas tout. Mais
113 parant les économies des États-Unis et de l’URSS, a montré que l’entreprise communiste n’apporte rien qui la distingue es
114 ement historique, mais qu’après quarante ans elle a rejoint le stade du capitalisme exploiteur, largement dépassé par les
115 u capital » et « l’exploitation du travailleur », avait pour agent historique le capitalisme ; l’autre définie par la remise
116 « C’est l’économie capitaliste des États-Unis qui a passé à la seconde phase, et c’est l’économie communiste l’URSS qui s
117 e ouvrière mieux informée qu’endoctrinée, si elle a à choisir d’émigrer, choisirait en masse l’Amérique. Comme l’ont fait
118 ’émigrer, choisirait en masse l’Amérique. Comme l’ ont fait la plupart des ouvriers hongrois réfugiés en Autriche et libres
119 guerre par les congrès de Montreux et de La Haye, a produit le Conseil de l’Europe, CECA, le Marché commun et Euratom. Il
120 ésiter, d’errer… Les savants, apprentis sorciers, ont déchaîné dans le monde des forces inconnues. Il fait trop chaud, il f
121 ccidents bizarres et les fous se multiplient, les avions tombent, croyez-moi, c’est la Bombe. Elle va détruire les neuf dixièm
122 la terre. J’entends cela tous les jours. Qui ne l’ a pas dit ? Curieusement, tout est faux dans ce langage ; tout n’est qu
123 Vous me parlez de l’esclavage du téléphone ? Mais a-t -on jamais vu qu’un appareil, prenant l’initiative, appelle son abonné
124 nviens, mais c’est la Nature, et non l’homme, qui aurait ici le droit de se plaindre. Vous citez l’apprenti sorcier. Et qui ne
125 indre. Vous citez l’apprenti sorcier. Et qui ne l’ a pas cité, quel journaliste ? En pensant à la Bombe, bien sûr. Mais la
126 En pensant à la Bombe, bien sûr. Mais la Bombe n’ a jamais rien fait sans l’ordre exprès d’un président, d’un général. Ce
127 niques (par métaphore) ne font rien qu’on ne leur ait prescrit. Qu’ils travaillent pour nous, c’est tant mieux. Mais si vou
128 es qu’ils vont penser pour vous, c’est que vous l’ aurez bien mérité. L’Apprenti sorcier de la légende déchaînait une force in
129 En vérité, les seuls humains que je connaisse qui aient eu le droit de maudire la technique, ce ne sont pas les bourgeois de
130 ité, les seuls humains que je connaisse qui aient eu le droit de maudire la technique, ce ne sont pas les bourgeois de ce
131 chaîne dans les usines américaines. Car eux seuls ont subi physiquement, et peut-être encore plus moralement, la tyrannie d
132 ne, ni plus ni moins, c’est un outil, que l’homme a conçu, justement, pour exécuter à sa place des travaux monotones, épu
133 ention du couteau, pourtant si rarement dénoncée, a provoqué la destruction de plusieurs millions de vies humaines. C’est
134 t de rappeler le décalage de la conscience dont j’ ai parlé. Le mal dénoncé en son temps par Karl Marx et Proudhon, que l’o
135 ale, découvrant le péril avec cent ans de retard, ait porté sa colère contre le remède… L’automatisation complète de l’usin
136 aisser pour un temps ces sujets affligeants, leur ayant accordé assez de complaisance, et de considérer la nouveauté de l’épo
5 1957, Articles divers (1957-1962). La fin justifie les moyens (9 juin 1957)
137 e les moyens (9 juin 1957)g Denis de Rougemont a remporté lundi le prix Ève-Delacroix décerné pour la deuxième fois pa
138 urier. Des prix ? me dit Denis de Rougemont, j’en ai manqué beaucoup avant-guerre. Plus d’un jury pensait à me donner une
139 ossible ? Rougemont ? Un Suisse ? Un étranger ? J’ ai donc aujourd’hui ma revanche. Aux photographes qui me mitraillaient d
140 uand je me trouvais aux côtés du maréchal Juin, j’ ai pu dire : Vous rendez-vous compte ? Me photographier, moi, auprès du
141 cré à militer pour l’idée de faire l’Europe comme a été faite l’Amérique. Il suffit, dit-il, de se trouver en Amérique, p
142 stoire et d’en mesurer les effets. C’est ce que j’ ai tenté dans mon livre et ma conclusion est tout à fait optimiste : on
143 er à l’auteur de ce Nicolas de Flue dont nous n’ avons pas encore eu la représentation scénique, nous satisfaisant de la ver
144 ce Nicolas de Flue dont nous n’avons pas encore eu la représentation scénique, nous satisfaisant de la version en orator
145 , nous satisfaisant de la version en oratorio qui a été tirée de cet opéra où Rougemont sut se montrer poète et où Honegg
146 ours au roman, me confia Denis de Rougemont. J’en ai jadis écrit un que j’ai retiré de justesse des mains de l’éditeur ava
147 Denis de Rougemont. J’en ai jadis écrit un que j’ ai retiré de justesse des mains de l’éditeur avant qu’il ne soit livré à
148 vant qu’il ne soit livré à l’imprimeur. Mais je n’ ai pas renoncé. Je prends des notes. Au fait, je considère et rédige com
6 1957, Articles divers (1957-1962). Le rôle mondial des valeurs occidentales (octobre 1957)
149 ive verbale pour exprimer ce que l’homme européen a conçu de plus pur, de plus fort et de plus exaltant. Voilà l’Europe s
150 vent digne de ces œuvres, mais c’est elle qui les a créées. Nous l’oublions souvent et les « autres » l’ignorent ; ils vo
151 leurs et de tous les produits d’ordres divers qui ont caractérisé notre civilisation, des origines jusqu’à ce jour, présent
152 a seconde moitié du xixe siècle. Le colonialisme a laissé des quartiers européens à Bombay comme à Capetown et à Hong Ko
153 xpliquant d’où viennent ces objets, pourquoi vous avez eu l’idée de les construire et comment ils expriment et transportent,
154 uant d’où viennent ces objets, pourquoi vous avez eu l’idée de les construire et comment ils expriment et transportent, en
155 ux enfants d’une école de Djakarta ; et quand ils eurent appris les notes de notre gamme, elle leur dit : composez maintenant
156 e exportée est, en fait, un cheval de Troie. Nous avons évacué nos guerriers et retiré nos fonctionnaires, mais nous ramenons
157 e évidemment. Mais comment expliquer que l’Europe ait seule développé la technique dès la fin du xviiie siècle ? C’est qu’
158 t que « Naples est la seule ville orientale qui n’ ait pas de quartier européen ». h. Rougemont Denis de, « Le rôle mondia
159 Philosophe et écrivain suisse, Denis de Rougemont a su depuis longtemps découvrir, grâce à ses voyages et à ses travaux,
160 rnier livre, L’Aventure occidentale de l’homme , a été analysé dans notre n° 3. M. de Rougemont dirige le Centre europée
7 1958, Articles divers (1957-1962). Demain l’Europe sans frontières ?[préface] (1958)
161 . C’est pourquoi le Centre européen de la culture a jugé utile de réunir en séminaire une vingtaine d’économistes, à la f
162 isibles — soit garante du sérieux avec lequel ils ont essayé néanmoins de répondre à notre question. Nous nous étions effor
163 jeu de « ce qui se passerait si… » Seulement, il a tendance à jouer perdant, à préjuger de catastrophes dont rien ne pro
164 oient aux bienfaits automatiques de l’union, sans avoir toujours calculé son prix. Nos économistes se sont réunis deux fois,
165 eux fois, à six mois de distance, et leurs débats ont été chauds. Tout parti pris de militant leur eût paru indigne d’une a
166 ont été chauds. Tout parti pris de militant leur eût paru indigne d’une attitude proprement scientifique. Pourtant, un opt
167 donner après coup le tour journalistique qui leur eût peut-être assuré un succès populaire sans lendemain, au détriment de
168 in, au détriment de leur véritable utilité. Elles ont déjà servi de base à plusieurs brochures de large diffusion18, à des
169 t dans bien des cas, assurés. Étrange Europe, qui a tout pour elle si elle s’unit mais qui a tant de peine à s’accepter,
170 ope, qui a tout pour elle si elle s’unit mais qui a tant de peine à s’accepter, à saisir ses chances de grandeur, à guéri
8 1958, Articles divers (1957-1962). Europe et culture (1958)
171 pas créer une culture européenne et personne ne l’ a jamais demandé, pour la simple raison qu’une culture ne se crée pas c
172 innocentes victimes d’une illusion scolaire : ils ont retenu de leurs manuels que l’Europe se divise en autant de cultures
173 l’Europe se divise en autant de cultures qu’elle a de nations, celles-ci correspondant d’ailleurs aux langues, aux coutu
174 d’abord une culture, qu’elle doit à sa culture d’ avoir dominé le monde, qui retourne aujourd’hui contre elle les armes physi
175 les armes physiques et morales que son génie seul a créées pour le meilleur et pour le pire ; et que cette culture est co
176 . ⁂ Solutions dispersées, besoins communs Qu’ a-t -on fait dans ce sens depuis que la grande question de l’union europée
177 ticipants. Une Fondation européenne de la culture a été créée à Genève en 1954, et opère depuis cette année à Amsterdam.
178 emps ? Est-il coordonné à la mesure des besoins ? Aurait -il réussi à s’imposer à la conscience des Européens ? Hélas ! la somm
179 érités primordiales, à savoir : 1° que l’Europe n’ a dû sa puissance qu’aux inventions, procédés et systèmes de tous ordre
180 en de la culture Sans attendre que ce problème ait reçu la moindre promesse d’un début de solution raisonnable, le Centr
181 ion raisonnable, le Centre européen de la culture a décidé dès 1950 de tenter l’aventure d’exister. Il existe depuis sept
182 ses forces pendant qu’il en est temps. Le Centre a donc suscité dans plusieurs de nos pays des expériences-pilotes d’éd
183 s du CEC. Quant au département des Recherches, il a déjà organisé deux importants Séminaires, l’un sur l’avenir économiqu
184 d’une institution unique et compétente. L’Europe a donc besoin d’un ministère des Affaires étrangères européennes. Mais
9 1958, Articles divers (1957-1962). Pourquoi la guerre ? Un échange de lettres prophétique entre Einstein et Freud (avril 1958)
185 ordre, à la veille même du déchaînement dont ils avaient choisi d’examiner les causes, afin de proposer les moyens de le préve
186 es réduise à la raison. Mais pourquoi la raison n’ a-t -elle pas plus de force ? Pourquoi les masses suivent-elles leur « cla
187 répond de sa Vienne natale en sursis — elle n’en aura plus pour longtemps — et le pacifisme d’Einstein se voit soumis à l’e
188 e populaire. Et l’on peut s’étonner qu’Einstein l’ ait adoptée sans la moindre exigence critique, lui qui voyait pourtant et
189 union de ses victimes. Mais, comme en fait il n’y avait pas d’union, cela revenait à opposer aux chars d’Hitler une forte pag
190 s contemporains, à cet homme dont les découvertes ont déjà déclenché, dans l’ombre et le secret, le processus qui aboutira
191 et sans le savoir ! Rêvons là-dessus. Einstein n’ a pas cessé de protester contre le péril atomique, ni d’afficher un pac
192 ifisme désarmant. Pourtant, un soir de fièvre, il a signé la lettre proposant à Roosevelt de fabriquer la bombe. Tout ne
193 déjouant les conclusions sincères de sa raison, l’ avait inconsciemment conduit à doter l’homme d’un suprême instrument de gue
10 1959, Articles divers (1957-1962).  Une expérience de fédéralisme : la Suisse (1959)
194 le) On se figure, et l’on écrit souvent, qu’il a fallu quelque six siècles à la Suisse pour devenir, par une évolution
195 at fédéral qu’elle est aujourd’hui. En réalité il a fallu neuf mois, au terme d’une crise de trente-trois ans, succédant
196 l plaît à Dieu, durer à perpétuité ». De fait, il a duré jusqu’à nos jours. Mais ses auteurs étaient bien loin de se dout
197 Napoléon écrivait aux délégués helvétiques qu’il avait convoqués à Paris : « La Suisse ne ressemble à aucun autre État, soit
198 ui existent entre ses diverses parties. La nature a fait votre État fédératif. Vouloir la vaincre, ne peut pas être d’un
199 , et supprimait le terme de « citoyen suisse » qu’ avait utilisé l’Acte de Médiation. Le « Corps helvétique », ainsi que l’on
200 a création d’un État. Il est remarquable qu’ils n’ aient pas cherché la solution de ce problème dans l’unification systématiqu
201 tout d’abord, — la plus frappante. « La Suisse — a écrit l’historien et journaliste William Martin — ressemblait sous le
202 d des autres. Presque toutes les erreurs que nous avons vu commettre de nos jours en Europe ont eu leurs précédents sous la R
203 ue nous avons vu commettre de nos jours en Europe ont eu leurs précédents sous la Restauration22. » Nous verrons également
204 ous avons vu commettre de nos jours en Europe ont eu leurs précédents sous la Restauration22. » Nous verrons également que
205 tion22. » Nous verrons également que cette époque a connu toutes les raisons que l’on invoque aujourd’hui au plan europée
206 un autre ou d’une commune à une autre. « Il y en avait partout, sauf aux frontières extérieures » relève encore W. Martin, e
207 la Suisse. Bien plus, un industriel de Saint-Gall avait intérêt à faire passer ses produits destinés à l’Italie par le Brenne
208 pour son compte, par les États souverains ? (Elle avait bien en propre une « caisse de guerre », et le droit de nommer le Gén
209 uent irrésistiblement des situations que l’Europe a bien connues depuis, aux temps de la Société des Nations, puis au len
210 t non de députés des peuples : « Lequel de nous n’ a dû souvent déplorer la forme actuelle des délibérations fédérales ? C
211 ’est une des gloires de ces temps, que cette idée ait acquis plus de netteté, ce sentiment plus d’énergie. Ce mémorable pro
212 olutionnaire. La Diète l’enterra en 1833, après l’ avoir plusieurs fois renvoyé à des commissions. Trois cantons seulement ava
213 envoyé à des commissions. Trois cantons seulement avaient osé le proposer à la ratification populaire. Le verdict fut négatif d
214 e verdict fut négatif dans deux cas. L’opposition avait joué sur la « réalité prépondérante » du sentiment cantonal, souvent
215 à l’ordre du jour, même au sein de la Diète qui l’ avait rejetée ; Les adversaires du Projet d’union l’avaient dénoncé comme i
216 ait rejetée ; Les adversaires du Projet d’union l’ avaient dénoncé comme introduisant « un brandon de discorde » parmi les canto
217 vention des puissances de la Sainte-Alliance, qui avaient imposé et garanti le Pacte de 1815. Le Sonderbund pouvait compter sur
218 ment, étaient amenés à la reddition. L’étranger n’ avait pas eu le temps d’intervenir. Les vainqueurs se montrèrent généreux :
219 ent amenés à la reddition. L’étranger n’avait pas eu le temps d’intervenir. Les vainqueurs se montrèrent généreux : par so
220 s discussions du groupe. Dès le 15 mai, le projet ayant été transmis préalablement aux cantons, la Diète en aborda l’examen.
221  » par initiative populaire ou parlementaire — on aura rappelé l’essentiel de l’œuvre des constituants de 1848. Une quaranta
222 un peu plus centralisatrice) opérée en 1874, n’en ont changé depuis plus d’un siècle ni l’esprit ni le caractère spécifique
223 lissement des citoyens d’un canton dans un autre, avait été présentée par les opposants comme devant fatalement semer le chao
224 es arguments des opposants à l’union suisse qui n’ ait été repris, dans les débats actuels, par les opposants à l’union euro
225 es de ceux de la petite Suisse du siècle dernier. A-t -on pris garde qu’il fallait trois jours à un député des Grisons pour
226 La Confédération suisse est le seul mouvement qui ait survécu au combat pour l’idée démocratique et communale au Moyen Âge 
227 résente le résultat d’une révolution générale qui a été vaincue partout ailleurs »26. De même, la guerre du Sonderbund a
228 ut ailleurs »26. De même, la guerre du Sonderbund a produit, en créant la Suisse, le seul résultat durable que l’on puiss
229 tries d’adoption.) 25. Sur le total des citoyens ayant le droit de vote, 55 % à peine se dérangèrent pour accepter ou rejete
11 1959, Articles divers (1957-1962). La nature profonde de l’Europe (juin 1959)
230 tes les composantes, souvent contradictoires, qui ont fait l’Europe. Sources grecque, juive et phénicienne, romaine, celte
231 rituelle par vocation, puis unifiante. L’Europe n’ a pas seulement découvert le monde : elle l’a fait. Épousons cette idée
232 ope n’a pas seulement découvert le monde : elle l’ a fait. Épousons cette idée d’une Europe qui n’existe que dans son dépa
233 ale et non par ses limites. 1. C’est l’Europe qui a conçu l’idée d’humanité, la vision planétaire d’un genre humain issu
234 monde » de Socrate. Et Plutarque loue Alexandre d’ avoir voulu « réunir comme en un seul grand vase tous les peuples du monde
235 rand vase tous les peuples du monde entier » et d’ avoir « ordonné que tous considèrent la Terre comme leur patrie ». De l’esp
236 la terre en un seul corps. 2. C’est l’Europe qui a donné naissance à la seule civilisation effectivement mondiale. Certe
237 ent mondiale. Certes, Alexandre se trompait, s’il a cru qu’il régnait sur le monde : il n’en connaissait qu’un canton. Ma
238 dung. Désormais délivré de notre impérialisme qui avait su respecter les mandarins, le quart chinois de l’humanité se met à l
239 ant des échanges mondiaux. Car c’est elle qui les a mis en branle dès l’époque des grandes découvertes, en balisant les v
240 nt les voies du commerce maritime. C’est elle qui a su trouver les substituts de l’ancienne route de la soie. Et son colo
241 création de l’histoire. Qui d’autre que l’Europe a su tendre ce piège à l’espace et au temps de l’humanité totale ? Pour
242 uns m’en paraissent incapables, et d’autres n’en ont le même besoin vital. Écartons pour longtemps l’Afrique noire, le Sud
243 lent avant tout champions de nations différentes, ayant appris par cœur les raisons de se haïr dans leurs manuels d’histoire
244 leurs cousins américains… Sauf si ces Asiatiques ont été les sujets de nos États colonialistes : ils exceptent aussitôt ce
245 que lui pose l’économie moderne. La situation n’ a guère changé depuis ce congrès, qui marqua le départ de l’action pour
246 l’est aussi… La France est « un grand pays qui n’ a besoin de personne ». L’Angleterre est liée aux dominions par tous le
247 qui la tissent depuis deux-mille ans que l’Europe a tiré son dynamisme incomparable. Qu’un tel régime n’aille pas sans gr
248 ui est le secret du fédéralisme. Mais tout ce qui a fait l’Europe illustre cette méthode. Prenez le dogme : la Trinité es
249 eule conforme à la formule même de l’Europe, et n’ ayant d’autre but que d’entretenir un foyer permanent d’animation mondiale
250 ation. Les questions de bornes et de passeports n’ ont plus de quoi l’intéresser. Le problème, sans cesse reposé par des his
251 tre considérée l’union partielle des six pays qui ont initié le Marché commun. Ceux qui reprochent aux auteurs du traité de
252 ux qui reprochent aux auteurs du traité de Rome d’ avoir voulu « limiter l’Europe à six pays » sont-ils sincères, ou simplemen
253 nt-ils sincères, ou simplement vexés que l’Europe ait commencé en dépit de leurs calculs réalistes, et sans eux ? Ceux qui
254 e Europe, déjà réelle, une Grande Europe qu’ils n’ ont cessé depuis dix ans de refuser comme utopique — d’où la nécessité de
255 d’où la nécessité de commencer par la Petite ! —  ont -ils bien vu le problème dans son cadre mondial, ou défendent-ils plut
256 nêtement que les promoteurs de la Petite Europe l’ ont voulue petite, et que leurs détracteurs actuels la voulaient grande o
257 Haye dont nos journaux parlèrent à peine (Staline avait autorisé, pour ce jour-là précisément, la publication d’une interview
258 r, je le répète, l’Europe seule, dans l’histoire, a su rendre effective l’implicite ambition des civilisations majeures :
259 l’Europe justement, seule encore dans l’histoire, a su devenir une culture de dialogue, de discussion critique de ses pro
260 n passant par les philosophes du romantisme qui n’ avaient pas attendu Valéry, une habitude de pensée pessimiste s’est installée
261 st installée dans nos esprits. Non seulement nous avons appris que toutes les civilisations sont mortelles, mais nous croyons
262 ’exemple est mauvais. Bien d’autres civilisations ont disparu sans laisser d’héritage actif ; celle de Lascaux, celle des M
263 s la nôtre, sont-elles mortes ? Leurs conquêtes n’ ont -elles pas été préservées et développées par le Musée et le Laboratoir
264 urs rivales asiatiques, qu’on dit plus raffinées, aient connu pareille fortune. Ce sont les lois de Minos, de Dracon et de So
265 ques, sans lesquelles l’Europe ne serait guère, n’ ont pas été retirées du jeu mondial, mais seulement détrônées régulièreme
266 cataclysme ou défaite, nation par nation, faute d’ avoir su se fédérer en temps utile, qu’y perdrait le monde ? Et je donne dè
12 1960, Articles divers (1957-1962). Éclipse ou disparition d’une civilisation ? (1960)
267 e civilisation ? (1960)o I Le xxe siècle a vu la civilisation européenne étendre à la Terre entière ses bienfait
268 formes de vie. Mais en même temps, le xxe siècle a vu se multiplier les prophètes de la décadence européenne : et ces pr
269 aux noms vagues, et la ruine totale de ces mondes avait aussi peu de signification pour nous que leur existence même. Mais Fr
270 r tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie. Les circonstances qui enverraient les œ
271 de Babylone, ces palais de Persépolis ? Hélas, j’ ai visité les lieux qui furent le théâtre de tant de splendeur, et je n’
272 i furent le théâtre de tant de splendeur, et je n’ ai vu qu’abandon et que solitude… Qui sait si sur les rivages de la Sein
273 par l’examen comparatif des 21 civilisations qui ont existé jusqu’ici, les lois complexes mais constantes de leur genèse,
274 et philosophes, armés d’une écrasante érudition, ont d’autant moins de peine à nous convaincre que d’une part, ils rejoign
275 rt, les plus grands esprits du siècle précédent n’ ont cessé d’annoncer les catastrophes qui ont fondu de nos jours sur l’Eu
276 édent n’ont cessé d’annoncer les catastrophes qui ont fondu de nos jours sur l’Europe : de Kierkegaard à Nietzsche et à Dos
277 urckhardt, de Donoso Cortés à Georges Sorel, tous ont décrit depuis cent ans les motifs de craindre le pire pour notre civi
278 re européen ? Que faudrait-il de plus, pour qu’on ait le droit de parler d’une éclipse ou d’une mort prévisible de notre ci
279 ruinée du même coup. Chacun sait que Gengis Khan eut l’hégémonie sans la civilisation, mais que l’Europe du Moyen Âge eut
280 s la civilisation, mais que l’Europe du Moyen Âge eut une civilisation sans hégémonie. Secundo, il n’est pas du tout certa
281 opéens, celui de la chute de Rome, qui est censée avoir entraîné la disparition de la civilisation gréco-romaine dans la part
282 Est-elle donc vraiment comparable à celles qui l’ ont précédée ? Son destin peut-il être prédit par extrapolation des exemp
283 t à toutes les autres, et quel seuil mondial elle aurait été la première et la seule à franchir, s’affranchissant ainsi des lo
284 hir, s’affranchissant ainsi des lois fatales, qui ont entraîné la ruine des autres civilisations, demeurées locales. II
285 uvent contradictoires ou incompatibles qu’elle en a héritées, la civilisation européenne s’est trouvée fondée sur une cul
286 ne culture de dialogue et de contestation. Elle n’ a jamais pu, et surtout, elle n’a jamais voulu se laisser ordonner à un
287 testation. Elle n’a jamais pu, et surtout, elle n’ a jamais voulu se laisser ordonner à une seule doctrine qui eût régi à
288 oulu se laisser ordonner à une seule doctrine qui eût régi à la fois ses institutions, sa religion, sa philosophie, sa mora
289 losophie, sa morale, son économie et ses arts. On a beau citer le Moyen Âge comme une période bénie d’unité des esprits e
290 nie d’unité des esprits et des cœurs, telle que l’ a décrite Novalis : nous savons aujourd’hui qu’il n’en fut rien, et que
291 et de la civilisation créée par cette culture, n’ a jamais été autre chose qu’une unité dans la diversité, une unité para
292 té. Cependant, cet état de polémique permanente n’ a pas produit seulement de l’anarchie et des guerres. Il a contraint le
293 roduit seulement de l’anarchie et des guerres. Il a contraint les élites religieuses, intellectuelles et politiques, et p
294 s, la distinguent le mieux d’autres cultures, qui ont , elles, d’autres vertus. Le sens de la vérité objective nous vient sa
295 s par les civilisations du Proche-Orient. Mais il a été fortement développé par la théodicée chrétienne, comme l’ont mont
296 nt développé par la théodicée chrétienne, comme l’ ont montré Nietzsche d’abord, puis dans ses commentaires sur Nietzsche, l
297 s tricher non plus avec la réalité du monde qu’il a créé. Dans nos rapports avec Dieu et le monde, nous ne pouvons pas no
298 bles de notre culture : ce sens de la vérité, qui a pour corollaire le sens critique, et qui a permis le développement de
299 é, qui a pour corollaire le sens critique, et qui a permis le développement des sciences exactes, notamment. Voilà qui pe
300 le. Le Karma, la magie, les sorciers ou les dieux ont tout réglé. D’où la paresse immense de l’Asie et de l’Afrique, — le c
301 leur est due qu’au nom de l’amour chrétien, nous avons le droit de leur dire : si nous, Européens, sommes en mesure de vous
302 tre elle, prétextant un colonialisme périmé. Si j’ ai cru bon de mettre en valeur ces trois vertus cardinales de l’Europe,
303 us résulte notre dynamisme irrépressible. Si nous avons tout d’abord découvert puis marqué de notre empreinte la Terre entièr
304 s, donc au total, à l’expansion. Que ce mouvement ait été baptisé « impérialisme » au xxe siècle, voilà qui me paraît pure
305 typiques. Tout d’abord, ce sont les Européens qui ont développé les sciences physiques et naturelles, à un degré littéralem
306 ncomparable. Certes, les peuples du Proche-Orient avaient créé l’astronomie, les Hindous avaient inventé le zéro bien avant nou
307 che-Orient avaient créé l’astronomie, les Hindous avaient inventé le zéro bien avant nous. Mais l’Europe, ce laboratoire du mon
308 ant nous. Mais l’Europe, ce laboratoire du monde, a poussé les sciences et les techniques qui en dérivent jusqu’au point
309 ur cette exploration de la matière, les Européens avaient entrepris, avec non moins d’audace, l’exploration de l’espace et du t
310 emps. L’espace d’abord. Ce sont les Européens qui ont découvert la Terre entière, alors qu’aucun autre peuple ne songeait à
311 e songeait à venir les découvrir. Ce sont eux qui ont ainsi permis à l’humanité tout entière de prendre peu à peu conscienc
312 eu conscience de son unité. L’idée d’universalité a peut-être existé chez les sages de plusieurs autres cultures, mais ce
313 tres cultures, mais ce sont les Européens qui lui ont donné son contenu concret et ont seuls démontré sa conscience. On peu
314 uropéens qui lui ont donné son contenu concret et ont seuls démontré sa conscience. On peut le dire : l’idée de genre humai
315 tion du temps, ensuite. Ce sont les Européens qui ont inventé l’histoire et l’historiographie, avec tout ce que cela impliq
316 À partir de l’histoire, ce sont les Européens qui ont inventé l’archéologie, comme ils ont inventé l’ethnographie à partir
317 uropéens qui ont inventé l’archéologie, comme ils ont inventé l’ethnographie à partir de la découverte géographique du mond
318 de. Et l’on sait le rôle décisif que ces sciences ont joué dans l’évolution de la sociologie et de la psychologie analytiqu
319 s du fond des temps et de l’espace, les Européens ont inventé le Musée. Et à partir de ces condensations prodigieuses de si
320 tinents que sont nos musées et bibliothèques, ils ont élaboré les préalables d’une science comparée des cultures et des civ
321 ité future du genre humain. Voilà ce que l’Europe a créé, voilà ce qu’elle offre désormais au monde entier, et elle ne pe
322 nourrissent, et toutes préparent son unité après avoir exploré ses variétés. La question reste de savoir si cette unité fome
323 réaliser à nos dépens. C’est un fait que l’Europe a répandu sur toute la Terre, au hasard de la colonisation, de contacts
324 océdés et un peu de leur logique… Mais l’Europe n’ a pas exporté sa sagesse régulatrice, faite d’équilibres sans cesse rem
325 nt de l’évolution de l’humanité où les Européens, ayant créé « le monde » se voient menacés d’être dépossédés de leurs pouvoi
326 ssédés de leurs pouvoirs par ce monde même qu’ils ont suscité. Et Dieu sait de quelle manière les autres continents menacen
327 ette crise va-t-elle devenir « mortelle » comme l’ ont prédit depuis un siècle la majorité de nos plus grands penseurs ? J’o
328 universelle. Certes, bien d’autres civilisations avaient cru cela d’elles-mêmes, avant la nôtre. Elles se trompaient, tout sim
329 omène sans précédent dans toute l’histoire ? Nous avons vu que la civilisation européenne, née de la confluence des sources l
330 du moins séduire tous les peuples du monde. Nous avons aussi vu qu’elle exporte ses produits sans les valeurs qui contribuèr
331 sée, profanisée, et détachée du christianisme qui a contribué de tant de manières à la former. Par là même — et c’est bie
332 Mais il faut voir enfin que cette civilisation n’ a pu devenir universelle qu’en vertu de quelque chose de très fondament
333 ion chrétienne, exprimée par saint Paul (« il n’y a plus ni juifs, ni Grecs, ni esclaves ni hommes libres, ni hommes ni f
334 re ? Deuxième raison : la civilisation européenne a créé les conditions techniques de sa conservation et de sa transmissi
335 : elles sont dans les journaux ». Depuis lors, on a retrouvé — et même joué — plusieurs comédies de Ménandre. Quant aux œ
336 us apparaît donc très variable. Certes, plusieurs ont disparu sans nous laisser d’autre héritage actif que celui de leurs œ
337 e, sont-elles vraiment mortes ? Leurs conquêtes n’ ont -elles pas été préservées et développées par le Musée et le Laboratoir
338 urs rivales asiatiques, qu’on dit plus raffinées, aient connu pareille fortune. Ce sont les lois de Minos, de Dracon et de So
339 ait de corriger comme suit le passage que je vous ai cité : « Nous autres civilisations, nous avons depuis peu la certitud
340 vous ai cité : « Nous autres civilisations, nous avons depuis peu la certitude que nous ne mourrons jamais entièrement et qu
341 l’humanité. Ceci m’amène à ma troisième raison d’ avoir confiance dans la longévité de notre civilisation : on ne voit pas de
342 les circonstances de la chute de celles qui nous ont précédés : c’était parfois une catastrophe naturelle, comme la derniè
343 chement du Sahara, affectant la région entière où avait fleuri une civilisation déterminée. Et les autres n’en savaient rien.
344 ne invention soviétique. Ce n’est pas Popov qui l’ a inventé, mais c’est Karl Marx, un juif allemand dont le père était de
345 isation. En électrifiant la Russie, le communisme a renouvelé l’entreprise de Pierre le Grand et a pour la seconde fois e
346 me a renouvelé l’entreprise de Pierre le Grand et a pour la seconde fois européanisé la Russie. Et c’est l’URSS maintenan
347 Le fameux « bond en avant » de la Chine de Mao n’ a guère été jusqu’ici qu’un bond vers l’industrie et vers le socialisme
348 par les Russes en coexistence pacifique — nom qui aurait fait frémir Lénine ! — on reparle aujourd’hui d’un péril jaune, en at
349 oirs et notre vocation. Aux yeux du monde, il n’y a qu’un seul péril sérieux : le péril blanc ! La civilisation européenn
350 ’est menacée en fait que par les maladies qu’elle a produites et propagées elle-même. C’est dans ses sources, c’est au fo
351 angereux que la bêtise humaine en général, s’il n’ avait pour effet de détendre les ressorts créateurs du progrès dont il est
352 t la technique, et les inventions qui les créent, auraient tôt fait de se mettre en grève, de débrayer, et de nous livrer sans d
353 ces, s’est vaccinée contre ces maladies. L’Europe a secrété Hitler, mais en douze ans, elle l’a éliminé, et je crois qu’e
354 urope a secrété Hitler, mais en douze ans, elle l’ a éliminé, et je crois qu’elle s’en trouve immunisée pour très longtemp
355 ’autres continents. Quant à nous : nos sages nous avaient avertis. Le mal est venu, nous l’avons vu, et nous l’avons vaincu, en
356 ges nous avaient avertis. Le mal est venu, nous l’ avons vu, et nous l’avons vaincu, en peu de temps, au prix de millions de m
357 rtis. Le mal est venu, nous l’avons vu, et nous l’ avons vaincu, en peu de temps, au prix de millions de morts, il est vrai… E
358 ion forcée, forme matérialiste du nationalisme, n’ a jamais atteint en Europe de tels excès. Certes elle est née chez nous
359 nous, et c’était bien chez nous que Burckhardt en avait pressenti les périls. Mais nous n’y avons pas succombé, nous l’avons
360 ardt en avait pressenti les périls. Mais nous n’y avons pas succombé, nous l’avons refusée sous sa forme hitlérienne, en un m
361 périls. Mais nous n’y avons pas succombé, nous l’ avons refusée sous sa forme hitlérienne, en un mot, l’organisme européen a
362 orme hitlérienne, en un mot, l’organisme européen a réagi avec succès. Notre tâche en Europe, aujourd’hui, est de créer l
13 1960, Articles divers (1957-1962). Un péché mortel : la désunion des chrétiens (mars 1960)
363 ns de l’Europe et de l’Occident, encore qu’elle n’ ait jamais cessé de se proclamer essentiellement universelle. Il se peut
364 altes et les Arméniens du Caucase). Le PC russe n’ a jamais dépassé 8 millions de membres inscrits. Mais laissons ces spéc
365 , l’intérêt dernier de leur vie. Le christianisme a bel et bien donné au monde, et tout d’abord à l’Occident, cette formu
366 le, qui n’est pas l’union libre et réelle, et qui eut tôt fait de transformer en divisions les diversités spirituelles. Tan
367 aine n’est juge en dernier ressort. Chaque Église a son Ange, selon l’Apocalypse, et c’est sa vocation distincte. « Il y
368 otestants ne croient pas à la divinité du Christ, ont supprimé les sacrements et n’ont guère qu’un seul dogme, qui est le l
369 inité du Christ, ont supprimé les sacrements et n’ ont guère qu’un seul dogme, qui est le libre examen. Et beaucoup de prote
370 , voire que les grandes disputes théologiques qui ont formé la pensée de l’Europe au cours de siècles, qui me passionnent,
371 gés et les clichés des nationalismes religieux. J’ ai fait depuis longtemps une autre observation dans l’étude passionnée q
372 , et sur lesquelles la dogmatique confessionnelle a peu de prise. Un seul exemple. On qualifie de nos jours de « catholic
373 u coin de la rue, et s’unir à l’Auteur de sa foi, ayant dit le credo commun, qui se comprend, quand on le sait, dans toutes l
374 soit par hasard ou providence), dans laquelle ils ont eu le bonheur d’être élevés, qu’ils aiment comme on aime une patrie,
375 par hasard ou providence), dans laquelle ils ont eu le bonheur d’être élevés, qu’ils aiment comme on aime une patrie, mai
376 , économiques, sociaux et politiques (je crains d’ avoir lancé le terme d’engagement). Mais je ne connais pas de problème qui
14 1960, Articles divers (1957-1962). Le nationalisme et l’Europe (mars 1960)
377 exes conditionnés, finalement force politique, il a pour résultante actuelle de s’opposer, lui aussi, à l’Occident, en re
378 déale et non du jeu des forces économiques, qu’il a faussé en y intervenant, et qui tend à l’éliminer dans la mesure où i
379 es rétrogrades et les impurs, le trésor dont nous avons la garde ; or la guerre a ses exigences : discipline absolue des indi
380 le trésor dont nous avons la garde ; or la guerre a ses exigences : discipline absolue des individus, de leurs réflexes e
381 justice ; sinon c’est qu’il n’existe pas ; il n’y a donc plus d’instance supérieure à la nation, ni plus d’appel possible
382 se. Dans son discours du 15 mai 1790, Robespierre a cette formule parfaite : Il est de l’intérêt des nations de protéger
383 tez une victoire qui sera celle de l’humanité. Il a péri des hommes ; mais c’est pour qu’il n’en périsse plus. Je le jure
384 bonheur des peuples. Déjà, le Patriote français avait publié le 15 décembre 1791, cet appel à la « guerre sainte » de la Ra
385 mblée nationale, au nom du genre humain dont il n’ a jamais mieux mérité d’être appelé l’ami. C’est en effet à Jean-Bapti
386 ra justice tôt ou tard. Le 21 avril 1792, Cloots avait remis à la Convention un ouvrage intitulé la République universelle,
387 lequel nous stipulerons ici pour ceux qui ne nous ont pas commis, et non en faveur de ceux au profit desquels nous pouvons
388 u nom de la paix et de la fraternité universelle, ont déclenché les premières guerres nationales, que Bonaparte va porter d
389 our les évêchés ou les couvents, — commencèrent à avoir cours des idées et des institutions proprement politiques… Les États
390 s modernes se sont ainsi formés ; — non, comme on a coutume de décrire dans la doctrine du droit la formation d’un État p
391 tenir : ses frontières naturelles. Dès lors, il n’ a plus rien à demander à un autre État, car il a trouvé ce qu’il cherch
392 n’a plus rien à demander à un autre État, car il a trouvé ce qu’il cherchait. Ainsi, à l’utopie rousseauiste de l’homme
393 topie de l’État naturellement raisonnable. Il n’y a plus qu’à tirer les conséquences logiques de ces prémices : fermer le
394 re une nouvelle monnaie nationale, c’est-à-dire n’ ayant cours que dans le pays même, mais dans celui-ci exclusivement… Le gou
395 mais dans celui-ci exclusivement… Le gouvernement a mis la main sur le commerce extérieur en vue de restreindre périodiqu
396 re doit diminuer. D’une année à l’autre le public a moins besoin de ces marchandises qui ne peuvent être produites en leu
397 siècle : Le savant seul, et l’artiste supérieur ont besoin de voyager hors de l’État commercial fermé : il ne doit pas êt
398 eule demeure leur propriété commune, après qu’ils ont partagé entre eux tout le reste. Nul État fermé ne supprimera ce lien
399 établie parmi les peuples, aucun État sur terre n’ aura le moindre intérêt à ne pas communiquer à un autre ses découvertes, p
400 te, pour absurde qu’elle nous paraisse, se trouve avoir le mieux correspondu aux réalités historiques des cent-cinquante ans
401 u xxe siècle ; mais le « processus dialectique » aura coûté plus cher à l’Europe et au monde que Fichte ne pouvait l’imagin
402 ion historique. Cette liaison nécessaire, Hegel l’ a marquée le premier. Comme Goethe assistant à la bataille de Valmy, il
403 Comme Goethe assistant à la bataille de Valmy, il a compris que la clameur des sans-culottes : « Vive la Nation ! » inaug
404 me bats ». Or cet idéal, étant celui du Parti qui a saisi le pouvoir par la violence, provoque des résistances intérieure
405 e ces mesures d’urgence, prises par l’État, qu’on ait vu rapportée une fois la paix revenue. Ainsi, le mécanisme de l’État-
406 à accomplir son principe, non à en jouir… Chacun a son principe auquel il tend comme à sa fin. Une fois cette fin attein
407 comme à sa fin. Une fois cette fin atteinte, il n’ a plus rien à faire dans le monde. Et encore : À chaque époque domine
408 déal primitif de la nation, confisqué par l’État, a conduit à des guerres d’agression. Celles-ci ont fait surgir d’autres
409 t, a conduit à des guerres d’agression. Celles-ci ont fait surgir d’autres nationalismes, qui vont revendiquer à leur tour
410 ution globale vers l’harmonie des peuples libérés a-t -il été brutalement démenti au terme même du processus de formation de
411 i était censé produire la paix universelle et qui a produit la Première Guerre mondiale ? Le romantisme, en appelant lyri
412 , voit l’inverse se réaliser. Jamais les idéaux n’ ont été mieux démentis par les faits, ni mieux détournés de leurs buts. J
413 nationale des nationalités », et il loue Herder d’ avoir considéré l’humanité « comme une grande harpe dans la main d’un grand
414 e tait… Honte à cette Europe silencieuse Et qui n’ a pas conquis sa liberté ! Lâches, les peuples t’ont abandonné Ô Magyar
415 ’a pas conquis sa liberté ! Lâches, les peuples t’ ont abandonné Ô Magyar ! Toi seul continues à combattre… Liberté, que ton
416 s brigands, et je criais vers toi, nation, afin d’ avoir un morceau de fer pour défense et une poignée de poudre, et toi tu m’
417 our défense et une poignée de poudre, et toi tu m’ as donné un article de gazette. Mais cette nation répondra : Quand m’ave
418 de gazette. Mais cette nation répondra : Quand m’ avez -vous appelée ? Et la Liberté répondra : J’ai appelé par la bouche de
419 m’avez-vous appelée ? Et la Liberté répondra : J’ ai appelé par la bouche de ces pèlerins, et tu ne m’as pas écoutée ; va
420 appelé par la bouche de ces pèlerins, et tu ne m’ as pas écoutée ; va donc en servitude, là où il y aura le sifflement du
421 nout et le cliquetis des ukases. … Les Puissances ont rejeté votre pierre de l’édifice européen, et voici que cette pierre
422 ns, que l’on appelle en Italie Il Primato, et qui eut un succès retentissant. Dans son traité Della Nazionalità italiana il
423 ification qui tend à embrasser le genre humain, n’ a pas d’autre origine. La Pologne et la Hongrie sont des nationalités
424 la Hongrie sont des nationalités opprimées et qui ont perdu l’indépendance ; l’Allemagne et l’Italie sont des nations encor
425 ec l’idée d’Europe unie : une nation en devenir n’ a pas encore d’intérêts « traditionnels » qui l’opposent au plus vaste
426 rayonnant de partout, par-dessus les frontières, a créé entre les esprits cette grande nationalité intellectuelle qui se
427 e évidemment « le plus haut concept de l’esprit » eût dit Hegel : Ce qu’il y a de moins simple, de moins naturel, de plus
428 pler à Paris l’Exposition universelle de 1867, il a des phrases qui découragent la critique : Ces yeux saturés de nuit v
429 able, voici quelques pages inspirées : La France a cela d’admirable, qu’elle est destinée à mourir, mais à mourir comme
430 pacifique, cordiale au reste de l’humanité. Elle aura la gravité douce d’une aînée. […] Cette nation aura pour capitale Par
431 ra la gravité douce d’une aînée. […] Cette nation aura pour capitale Paris, et ne s’appellera point la France ; elle s’appel
432 , déclare au sujet de son petit pays : La Suisse a clarifié et réalisé dans son domaine des idées et des principes fécon
433 dans la plus grande communauté européenne. Elle n’ aura pas vécu en vain, ni sans gloire. Ainsi se réaliserait ce passage à
434 on ne saurait être instituée d’un seul coup. Elle a besoin, d’abord, d’une base réelle, sur laquelle elle repose et d’où
435 s penseurs russes du xixe , — c’est la Russie qui a pour mission de régénérer l’Europe et de l’unir un jour, car c’est ai
436 e privilège des Russes et que nos pays de l’Ouest auraient perdue ; mais cette notion se trouve empruntée à Schelling… À l’égard
437 vie de l’autre. César, par sa conquête des Gaules a rendu possible cette configuration, dont Charlemagne, « prince de la
438 tion, dont Charlemagne, « prince de la Culture », a créé la première unité. Sous la conduite des papes romains et des emp
439 empereurs germains, la communauté des Européens n’ a cessé de se développer et de s’affirmer. Ranke ne croit nullement que
440 l’Empire, puis du catholicisme et de la Réforme, aient été des grands malheurs pour l’Europe, car cette bipolarité … est tr
441 dée dans la nature des choses, et ces oppositions ont fait mûrir l’esprit européen. Le danger que représentent pour l’unit
442 appartenir au même groupe ethnographique, c’est d’ avoir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire
443 t, comme chez les rongeurs ou les félins, et on n’ a pas le droit d’aller par le monde tâter le crâne des gens, puis les p
444 contraire, la Suisse, si bien faite, puisqu’elle a été faite par l’assentiment de ses différentes parties, compte trois
445 phie, ce qu’on appelle les frontières naturelles, a certainement une part considérable dans la division des nations. La g
446 ion sont écrites sur la carte et que cette nation a le droit de s’adjuger ce qui est nécessaire pour arrondir certains co
447 ui ne séparent pas ? De Biarritz à Tornea, il n’y a pas une embouchure de fleuve qui ait plus qu’une autre un caractère b
448 Tornea, il n’y a pas une embouchure de fleuve qui ait plus qu’une autre un caractère bornal. Si l’histoire l’avait voulu, l
449 qu’une autre un caractère bornal. Si l’histoire l’ avait voulu, la Loire, la Seine, la Meuse, l’Elbe, l’Oder auraient, autant
450 ulu, la Loire, la Seine, la Meuse, l’Elbe, l’Oder auraient , autant que le Rhin, ce caractère de frontière naturelle qui a fait c
451 le Rhin, ce caractère de frontière naturelle qui a fait commettre tant d’infractions au droit fondamental, qui est la vo
452 es hommes. … Je me dis souvent qu’un individu qui aurait les défauts tenus chez les nations pour des qualités, qui se nourrira
453 ations ne sont pas quelque chose d’éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération, européenne, probablement,
454 ne mieux que Nietzsche, disciple de Burckhardt, n’ a dénoncé le délire nationaliste, déguisé en « patriotisme jovial et so
455 Nous autres « bons Européens », nous aussi nous avons des heures où nous nous permettons un patriotisme plein de courage, u
456 ses et hésitantes, qui, dans notre Europe hâtive, auraient besoin de demi-siècles pour surmonter de tels excès de patriotisme at
457 divisions morbides que la folie des nationalités a mises et met encore entre les peuples de l’Europe, grâce aux politici
458 s les hommes un peu profonds et d’esprit large qu’ a vus ce siècle ont tendu vers ce but unique du travail secret de leur
459 peu profonds et d’esprit large qu’a vus ce siècle ont tendu vers ce but unique du travail secret de leur âme : ils vouluren
460 e ses compatriotes au début de ce siècle, Sorel n’ a parlé de l’Europe que sur le ton d’un sombre dépit prophétique. Voici
461 le de la Première Guerre mondiale34 : Personne n’ a le courage de dire ou d’écrire que l’état de paix en Europe est un ét
462 leurs mœurs, et dans leurs ambitions. L’Europe n’ a pas de chance. Tous ses habitants ne peuvent faire que mauvais voisin
463 sombrera dans la guerre et l’anarchie, comme elle a toujours fait deux ou trois fois par siècle. … Rien n’améliorera le s
464 me qui attend que les choses s’arrangent ? Il n’y a aucune raison pour cela. Des composés chimiques, qui sont séparément
465 e leurs hommes d’État, dans les pays au moins qui auront subi, à l’Ouest, la loi totalitaire nationale-socialiste. L’Allemagne
466 ’une Anthologie encore inédite, dans laquelle j’ ai groupé et commenté plusieurs centaines de textes sur l’Europe, d’Hési
467 rait qu’il appelle foyers tous les endroits où il a porté le feu », remarque Benjamin Constant. 31. Article intitulé le
15 1960, Articles divers (1957-1962). Originalité de la culture européenne comparée aux autres cultures (juin 1960)
468 . Un homme qui nie que l’Europe existe et qu’elle ait une culture commune ne saurait être un Asiatique, un Africain ou un A
469 versaires déclarés (ou non) de l’union européenne ont coutume d’affirmer simultanément les deux propositions contradictoire
470 itions contradictoires que voici : primo ; il n’y a pas de culture européenne commune, mais seulement des cultures nation
471 une unité quelconque ; secundo : il ne saurait y avoir de culture spécifiquement européenne, car toute vraie culture est uni
472 seconde attitude, celle qui fait dire que nous n’ avons pas de problèmes spécifiques, différents de ceux du reste du monde, s
473 la diversité — avec d’autres formules d’unité qui ont régné sur d’autres cultures, ou que certains régimes contemporains te
474 diversités, et comment il se fait que l’Europe en ait tant, et même les multiplie comme à plaisir, au lieu d’essayer de les
475 e, incontestable : le dynamisme européen. Si nous avons tous d’abord découvert, puis marqué de notre empreinte le monde entie
476 entiels ou matériels, selon les écoles de pensée, ont pu jouer. Mais la diversité de nos origines et leur discussion millén
477 ité indescriptible de notre civilisation, pensant avoir payé un tribut suffisant aux éléments diversifiants, j’envisagerai ma
478 des actuelles cultures totalitaires, — lesquelles ont d’ailleurs en commun l’unicité de leur principe de formation ou de ré
479 s et des valeurs souvent incompatibles qu’elle en a héritées, l’Europe n’a jamais pu s’ordonner à une seule doctrine qui
480 t incompatibles qu’elle en a héritées, l’Europe n’ a jamais pu s’ordonner à une seule doctrine qui eût régi à la fois ses
481 n’a jamais pu s’ordonner à une seule doctrine qui eût régi à la fois ses institutions, sa religion, sa philosophie, son éco
482 ion, sa philosophie, son économie et ses arts. On a beau citer le Moyen Âge comme une période bénie d’unité des esprits e
483 nie d’unité des esprits et des cœurs, telle que l’ a décrite Novalis : nous savons aujourd’hui qu’il n’en fut rien, et que
484 ur les principes fondamentaux de toute culture, n’ a pas produit seulement de l’anarchie et des guerres. Il a contraint le
485 roduit seulement de l’anarchie et des guerres. Il a contraint les élites, et par elles la partie agissante des masses eur
486 s par les civilisations du Proche-Orient. Mais il a été fortement développé par la théodicée chrétienne, comme l’ont mont
487 nt développé par la théodicée chrétienne, comme l’ ont montré Nietzsche d’abord, puis dans ses commentaires sur Nietzsche, l
488 s tricher non plus avec la réalité du monde qu’il a créé. Dans nos rapports avec Dieu et le monde, nous ne pouvons pas no
489 bles de notre culture : ce sens de la vérité, qui a pour corollaire le sens critique, et qui a permis le développement de
490 é, qui a pour corollaire le sens critique, et qui a permis le développement des sciences exactes, notamment. Voilà qui pe
491 le. Le karma, la magie, les sorciers ou les dieux ont tout réglé. D’où la paresse immense de l’Asie et de l’Afrique, le cli
492 leur est due qu’au nom de l’amour chrétien, nous avons le droit de leur dire : si nous, Européens, sommes en mesure de vous
493 liberté n’éveille aucune passion fondamentale, n’ a guère de sens chez les peuplades africaines ou chez les « apparatchik
494 tre elle, prétextant un colonialisme périmé. Si j’ ai cru bon de mettre en valeur ces trois vertus cardinales de l’Europe,
495 évident que les mêmes pressions démographiques n’ ont pas produit les mêmes conséquences dans ces trois régions. Le rayonne
496 nvasions asiatiques, seul défi extérieur que nous ayons subi, d’ailleurs victorieusement, des champs Catalauniques au Kablenb
497 niques au Kablenberg, et de Poitiers à Lépante, n’ ont rien suscité de marquant ni de nouveau dans notre civilisation. Seule
498 eau dans notre civilisation. Seules les Croisades ont été productives à cet égard ; or elles ne résultèrent pas d’un défi v
499 et nous condamne à l’expansion. Que ce mouvement ait été baptisé « impérialisme » au xxe siècle, voilà qui me paraît pure
500 typiques. Tout d’abord, ce sont les Européens qui ont développé les sciences physiques et naturelles, à un degré littéralem
501 ncomparable. Certes, les peuples du Proche-Orient avaient créé l’astronomie, les Hindous avaient inventé le zéro bien avant nou
502 che-Orient avaient créé l’astronomie, les Hindous avaient inventé le zéro bien avant nous. Mais l’Europe, ce Laboratoire du Mon
503 ant nous. Mais l’Europe, ce Laboratoire du Monde, a poussé les sciences et les techniques qui en dérivent jusqu’au point
504 ur cette exploration de la matière, les Européens avaient entrepris, avec non moins d’audace, l’exploration de l’espace et du t
505 emps. L’espace d’abord. Ce sont les Européens qui ont découvert la Terre entière, alors qu’aucun autre peuple ne songeait à
506 e songeait à venir les découvrir. Ce sont eux qui ont ainsi permis à l’humanité tout entière de prendre peu à peu conscienc
507 eu conscience de son unité. L’idée d’universalité a peut-être existé chez les sages de plusieurs autres cultures, mais ce
508 tres cultures, mais ce sont les Européens qui lui ont donné son contenu concret et qui ont seuls démontré sa consistance. O
509 éens qui lui ont donné son contenu concret et qui ont seuls démontré sa consistance. On peut le dire : l’idée de genre huma
510 tion du temps, ensuite. Ce sont les Européens qui ont inventé l’histoire et l’historiographie, avec tout ce que cela impliq
511 À partir de l’histoire, ce sont les Européens qui ont inventé l’archéologie comme ils ont inventé l’ethnographie à partir d
512 Européens qui ont inventé l’archéologie comme ils ont inventé l’ethnographie à partir de la découverte géographique du mond
513 de. Et l’on sait le rôle décisif que ces sciences ont joué dans l’évolution récente de la sociologie et de la psychologie a
514 s du fond des temps et de l’espace, les Européens ont inventé le Musée. Et, à partir de ces condensations prodigieuses de s
515 ècles et de continents que sont leurs musées, ils ont élaboré les préalables d’une science comparée des cultures et des civ
516 ité future du genre humain. Voilà ce que l’Europe a créé, voilà ce qu’elle offre désormais au monde entier. Or, toutes ce
517 t, et que toutes, elles préparent son unité après avoir exploré ses variétés. Je ne tenterai pas aujourd’hui de démontrer la
518 viens d’énumérer. Il y faudrait un livre, et je l’ ai déjà écrit37. Je me bornerai donc à vous rappeler, mais avec la plus
519 istance, que ce n’est pas par hasard que l’Europe a produit non seulement les notions de personne et de liberté, mais aus
520 a possibilité d’un genre humain qui, sans elle, n’ eût jamais pris conscience de son unité virtuelle, ni des problèmes effra
521 nt de l’évolution de l’humanité où les Européens, ayant créé « le monde », se voient menacés d’être dépossédés de leurs pouvo
522 ssédés de leurs pouvoirs par ce monde même qu’ils ont suscité. Et Dieu sait de quelle manière les autres continents menacen
523 mieux comprendre ce que nous sommes, ce que nous avons fait, et pourquoi. Et nous devons en même temps nous préparer à affro
524 i, bien sûr, mais c’est tout de même l’Europe qui a créé les sciences et la technique, dans le contexte de sa culture, gr
525 rtus de cette culture. C’est un fait que l’Europe a répandu sur toute la terre, au hasard de la colonisation, de contacts
526 océdés et un peu de leur logique… Mais l’Europe n’ a pas exporté sa sagesse régulatrice, faite d’équilibres mouvants, de t
527 produits » de la culture européenne ? Je crois en avoir assez dit pour suggérer l’angle de vision que voici : le sort du mond
528 sort du monde dépend aujourd’hui de l’Europe, qui a inventé le monde dans la mesure exacte où elle a découvert le genre h
529 a inventé le monde dans la mesure exacte où elle a découvert le genre humain. Or le sort de l’Europe dépend de son union
530 de l’Europe, au lendemain de la dernière guerre, avait un but précis et limité : empêcher les Français et les Allemands de s
531 but est parfaitement atteint. L’union de l’Europe a maintenant d’autres motifs, beaucoup plus vastes. Il nous faut faire
532 de Colomb, au matin du départ à Palos de Moguer. Auront -elles la voilure, le tonnage nécessaire ? Ou bien ne faut-il pas nous
533 nous demander, plutôt, si l’homme qui les conduit a la foi nécessaire ? Beaucoup hésitent encore à s’embarquer parce qu’i
534 e faire face au grand projet mondial qu’elle-même a suscité. À ceux qui demandent d’abord des apaisements moraux, des cer
16 1960, Articles divers (1957-1962). Allocution de Denis de Rougemont, président du Congrès pour la liberté de la culture, à la séance de clôture de la rencontre de Berlin (extraits) (juin-juillet 1960)
535 ès — un congrès permanent, il est vrai, puisqu’il a tenu des réunions successivement dans plus de vingt-cinq pays sur les
536 ur les autres. Revendiquer la liberté, quand nous avons formé notre Congrès, c’était d’abord lutter contre des dictatures ext
537 ersécutés accusés de liberté d’esprit,— et nous l’ avons fait. Mais nous voyons bien, aujourd’hui, que les menaces contre les
538 mme en vient à constater que sa vie personnelle n’ a pas de sens, la liberté perd un de ses points d’appui, et la dictatur
539 rès technique et démocratique. Pour que notre vie ait un sens, il faut que la culture vivante recrée pour les hommes de ce
540 bles. Il faut que nos activités humaines que nous avons spécialisées et séparées jusqu’à l’absurde — l’art et la vie quotidie
541 Occident ; — celles de l’âme vitale que l’Afrique a le mieux préservées (par le chant, par la danse, le rythme, l’émotion
542 situant le Congrès comme je viens de le faire, j’ ai voulu vous montrer qu’il n’agit pas au niveau de la politique proprem
543 donnent les totalitaires — tant qu’un jour il n’y a plus rien d’autre à faire qu’à se jeter à mains nues contre les tanks
17 1960, Articles divers (1957-1962). La liberté et le sens de la vie (8 juillet 1960)
544 mme en vient à constater que sa vie personnelle n’ a pas de sens, la liberté perd un de ses points d’appui, et la dictatur
545 n tout cas, qu’elle doit et peut intervenir. Vous avez lu et entendu depuis longtemps tant de banalités, souvent exactes d’a
546 rès technique et démocratique. Pour que notre vie ait un sens, il faut que la culture vivante recrée pour les hommes de ce
547 bles. Il faut que nos activités humaines que nous avons spécialisées et séparées jusqu’à l’absurde — l’art et la vie quotidie
548 Occident ; — celles de l’âme vitale que l’Afrique a le mieux préservée (par le chant, par la danse, le rythme, l’émotion)
549 situant le Congrès comme je viens de le faire, j’ ai voulu vous montrer qu’il n’agit pas au niveau de la politique proprem
550 donnent les totalitaires, tant qu’un jour il n’y a plus rien d’autre à faire qu’à se jeter à mains nues contre les tanks
551 du Centre culturel du Conseil de l’Europe [sic], a été particulièrement remarquée. L’auteur de L’Aventure spirituelle d
552 r de L’Aventure spirituelle de l’Occident [sic] a bien voulu en confier la publication en primeur à la France catholiqu
18 1960, Articles divers (1957-1962). Originalité de la culture européenne comparée aux autres cultures (août 1960)
553 . Un homme qui nie que l’Europe existe et qu’elle ait une culture commune ne saurait être un Asiatique, un Africain ou un A
554 versaires déclarés (ou non) de l’union européenne ont coutume d’affirmer simultanément les deux propositions contradictoire
555 toires que voici. Ils affirment primo : qu’il n’y a pas de culture européenne commune, mais seulement des cultures nation
556 ue. Et ils affirment secundo : qu’il ne saurait y avoir de culture spécifiquement européenne, car, disent-ils encore, toute v
557 seconde attitude, celle qui fait dire que nous n’ avons pas de problèmes spécifiques, différents de ceux du reste du monde, s
558 idée même d’une unité de la culture européenne, j’ ai noté la phrase suivante, que j’ai plus d’une fois citée et publiée de
559 e européenne, j’ai noté la phrase suivante, que j’ ai plus d’une fois citée et publiée depuis : L’Européen ne serait-il pa
560 la diversité — avec d’autres formules d’unité qui ont régné sur d’autres cultures, ou que certains régimes contemporains te
561 diversités, et comment il se fait que l’Europe en ait tant et même les multiplie comme à plaisir, au lieu d’essayer de les
562 e, incontestable : le dynamisme européen. Si nous avons découvert et conquis, ou en tout cas marqué de notre empreinte le mon
563 entiels ou matériels, selon les écoles de pensée, ont pu jouer. Mais la diversité de nos origines et leur discussion millén
564 ité indescriptible de notre civilisation, pensant avoir payé un tribut suffisant aux éléments diversifiant, j’envisagerai mai
565 des actuelles cultures totalitaires — lesquelles ont d’ailleurs en commun l’unicité de leur principe de formation ou de ré
566 , et des valeurs souvent incompatibles qu’elle en a héritées, l’Europe n’a jamais pu s’ordonner à une seule doctrine qui
567 t incompatibles qu’elle en a héritées, l’Europe n’ a jamais pu s’ordonner à une seule doctrine qui eût régi à la fois ses
568 n’a jamais pu s’ordonner à une seule doctrine qui eût régi à la fois ses institutions, sa religion, sa philosophie, son éco
569 ion, sa philosophie, son économie et ses arts. On a beau citer le Moyen Âge comme une période bénie d’unité des esprits e
570 nie d’unité des esprits et des cœurs, telle que l’ a décrite Novalis : nous savons aujourd’hui qu’il n’en fut rien, et que
571 s fondamentaux de toute culture ou civilisation n’ a pas produit seulement de l’anarchie et des guerres. Il a contraint le
572 roduit seulement de l’anarchie et des guerres. Il a contraint les élites, et par elles la partie agissante des masses eur
573 s par les civilisations du Proche-Orient. Mais il a été fortement développé par la théodicée chrétienne, comme l’ont mont
574 nt développé par la théodicée chrétienne, comme l’ ont montré Nietzsche d’abord, puis dans ses commentaires sur Nietzsche, l
575 s tricher non plus avec la réalité du monde qu’il a créé. Dans nos rapports avec Dieu et le monde, nous ne pouvons pas no
576 bles de notre culture : le sens de la vérité, qui a pour corollaire le sens critique, et qui a permis le développement de
577 é, qui a pour corollaire le sens critique, et qui a permis le développement des sciences, notamment. Voilà qui peut paraî
578 le. Le karma, la magie, les sorciers ou les dieux ont tout réglé. D’où la paresse immense de l’Asie et de l’Afrique — le cl
579 leur est due qu’au nom de l’amour chrétien, nous avons le droit de leur dire : si nous, Européens, sommes en mesure de vous
580 t nous condamnent à l’expansion. Que ce mouvement ait été baptisé « impérialisme » au xxe siècle, voilà qui me paraît pure
581 ondition même de la vie. Les considérations que j’ ai développées jusqu’ici, relatives à l’origine de nos diversités et de
582 typiques. Tout d’abord, ce sont les Européens qui ont développé les sciences physiques et naturelles à un degré littéraleme
583 ncomparable. Certes, les peuples du Proche-Orient avaient créé l’astronomie, les Hindous avaient inventé le zéro bien avant nou
584 che-Orient avaient créé l’astronomie, les Hindous avaient inventé le zéro bien avant nous. Mais l’Europe, ce Laboratoire du Mon
585 ant nous. Mais l’Europe, ce Laboratoire du Monde, a poussé les sciences et les techniques qui en dérivent jusqu’au point
586 ur cette exploration de la matière, les Européens avaient entrepris, avec guère moins d’audace, l’exploration de l’espace et du
587 emps. L’espace d’abord. Ce sont les Européens qui ont découvert la Terre entière, alors qu’aucun autre peuple ne songeait à
588 e songeait à venir les découvrir. Ce sont eux qui ont ainsi permis à l’humanité tout entière de prendre peu à peu conscienc
589 eu conscience de son unité. L’idée d’universalité a peut-être existé chez les sages de plusieurs autres cultures, mais ce
590 tres cultures, mais ce sont les Européens qui lui ont donné son contenu concret et ont seuls démontré sa consistance. On pe
591 uropéens qui lui ont donné son contenu concret et ont seuls démontré sa consistance. On peut le dire : l’idée de genre huma
592 tion du temps, ensuite. Ce sont les Européens qui ont inventé l’histoire et l’historiographie, avec tout ce que cela impliq
593 À partir de l’histoire, ce sont les Européens qui ont inventé l’archéologie, comme ils ont inventé l’ethnographie à partir
594 uropéens qui ont inventé l’archéologie, comme ils ont inventé l’ethnographie à partir de la découverte géographique du mond
595 de. Et l’on sait le rôle décisif que ces sciences ont joué dans l’évolution récente de la sociologie et de la psychologie a
596 s du fond des temps et de l’espace, les Européens ont inventé le Musée. Et, à partir de ces condensations prodigieuses de s
597 ons prodigieuses de siècles et de continents, ils ont élaboré les préalables d’une science comparée des cultures et des civ
598 je n’indique ici que des têtes de chapitre, et j’ ai laissé de côté l’immense chapitre de nos créations sociales et de nos
599 et de nos institutions ! — voilà ce que l’Europe a créé, voilà ce qu’elle offre désormais au monde entier. Or toutes ces
600 ssent, et toutes, elles préparent son unité après avoir exploré ses variétés. Je n’essaierai pas ici de démontrer la cohérenc
601 faudrait tout un livre, et il se trouve que je l’ ai déjà écrit. Je me bornerai donc à rappeler, mais avec la plus vive in
602 istance, que ce n’est pas par hasard que l’Europe a produit non seulement les notions de personne et de liberté, mais aus
603 a possibilité d’un genre humain qui, sans elle, n’ eût jamais pris conscience de son existence virtuelle, ni des problèmes e
604 nt de l’évolution de l’humanité où les Européens, ayant créé « le monde » (au sens que je viens d’indiquer) se voient menacés
605 ssédés de leurs pouvoirs par ce monde même qu’ils ont suscité. Et Dieu sait de quelle manière les autres continents menacen
606 mieux comprendre ce que nous sommes, ce que nous avons fait, et pourquoi. Et nous devons en même temps nous préparer à affro
607 i, bien sûr, mais c’est tout de même l’Europe qui a créé les sciences et la technique, dans le contexte de sa culture, gr
608 rtus de cette culture. C’est un fait que l’Europe a répandu sur toute la terre, au hasard de la colonisation, de contacts
609 océdés et un peu de leur logique… Mais l’Europe n’ a pas exporté sa sagesse régulatrice, faite d’équilibres mouvants, de t
610 urbanisme et architecture : à tel point que l’on a pu dire que Naples est la seule ville orientale qui n’ait pas de quar
611 ire que Naples est la seule ville orientale qui n’ ait pas de quartier européen. Mais ce même monde méprise, ou ignore simpl
612 produits » de la culture européenne ? Je crois en avoir assez dit pour suggérer l’angle de vision que voici : le sort du mond
613 sort du monde dépend aujourd’hui de l’Europe, qui a inventé le monde dans la mesure exacte où elle a découvert le genre h
614 a inventé le monde dans la mesure exacte où elle a découvert le genre humain. Et le sort de l’Europe dépend de son union
615 épend de son union. L’union de l’Europe, en 1946, avait un but précis et limité : empêcher les Français et les Allemands de s
616 but est parfaitement atteint. L’union de l’Europe a maintenant d’autres motifs, beaucoup plus vastes. Il nous faut faire
617 de Colomb, au matin du départ à Palos de Moguer. Auront -elles le tonnage, la voilure nécessaires ? Ou bien ne faut-il pas nou
618 nous demander, plutôt, si l’homme qui les conduit a la foi nécessaire ? Je sais bien que certains de mes lecteurs hésiten
619 e faire face au grand projet mondial qu’elle-même a suscité, et qui commande au préalable notre union. À ceux qui demande
19 1960, Articles divers (1957-1962). Une fusée à trois étages : bref historique de la Fondation (octobre 1960)
620 ns suivantes : Si l’Europe, simple cap de l’Asie, a tenu le premier rang dans le monde pendant des siècles, elle l’a dû à
621 er rang dans le monde pendant des siècles, elle l’ a dû à sa faculté de créer des valeurs morales, des structures de la so
622 chniques, que tous les autres peuples de la Terre ont adoptées ou s’efforcent d’imiter. Les Européens ont raison d’être fie
623 t adoptées ou s’efforcent d’imiter. Les Européens ont raison d’être fiers d’une telle culture. Cependant, que font-ils aujo
624 les divers domaines de la culture, les Européens ont pris l’habitude de recourir à l’aide des fondations américaines. Cett
625 n accepter la présidence de la Fondation, et il n’ a cessé de l’exercer effectivement depuis lors. Pour faciliter les débu
626 faciliter les débuts de la Fondation, le CEC lui avait offert de partager une partie de ses locaux et de son staff à Genève.
627 mme, d’autre part de rassembler les fonds qui lui avaient été promis. Car elle ne disposait pas, comme les fondations américain
20 1961, Articles divers (1957-1962). Tristan et Iseut à travers le temps (1961)
628 leur contexte culturel et historique, ces hommes ont fait bien plus qu’une œuvre scientifique, et sérieuse aux yeux des co
629 tifique, et sérieuse aux yeux des confrères : ils ont permis à l’Occident moderne de reprendre conscience d’une de ses sour
630 ’est l’étymologie de nos passions que ces savants ont retrouvée. Selon Littré : Les étymologies servent à faire entendre l
631 de l’âme. Or c’est dans le mythe de Tristan qu’il a trouvé son expression la plus totale, délicieuse et tragique à la foi
632 — et c’est le fameux coup de foudre romantique — a cru voir en lui la lueur, toujours fuyante mais en fuite vers la haut
633 s la hauteur, où elle entraîne l’amant ravi. Vous avez reconnu la conclusion gnostique du Second Faust de Goethe, mais aussi
634 le roi Marc, symbole du mariage légal. Les amants ont perdu la vie, gagné l’amour. Le mari, lui, a partagé la vie d’Iseut.
635 ts ont perdu la vie, gagné l’amour. Le mari, lui, a partagé la vie d’Iseut. Il reste seul vivant, mais sans amour. Aux ye
636 ution du xiiie siècle jusqu’à nos jours, comme j’ ai tenté de le faire jadis, serait hélas illustrer la lente dégradation
637 seut avec le Roi, père adoptif du héros —, il n’y aurait pas de roman, ni de passion mortelle, il n’y aurait donc pas eu de my
638 rait pas de roman, ni de passion mortelle, il n’y aurait donc pas eu de mythe. On ne saurait imaginer le grand roi Marc s’incl
639 n, ni de passion mortelle, il n’y aurait donc pas eu de mythe. On ne saurait imaginer le grand roi Marc s’inclinant devant
640 c’est-à-dire un malade mental. Un psychanalyste l’ eût guéri, et le roman n’eût pas eu lieu. Si les derniers tabous viennent
641 ntal. Un psychanalyste l’eût guéri, et le roman n’ eût pas eu lieu. Si les derniers tabous viennent à céder, c’en sera fait
642 ssion de Tristan et d’Iseut : et c’est la mort. J’ ai laissé jusqu’ici dans l’ombre cet aspect trop souvent, trop facilemen
643 t ». Les obstacles sociaux, coutumiers ou sacrés, ont cédé à nos sciences, ou c’est tout comme. Qu’en est-il du dernier bar
644 jamais ne leur fauldra jour de leur vie, car ils ont beu leur destruction et leur mort ». Certes, c’est vrai pour leur exi
645 vrai pour leur existence dans ce monde, mais ils ont aussi bu l’Amour, un amour qui s’adresse à la part immortelle que lui
646 ythe, ose parler d’un plaisir que l’usage en moi a fait si fort qu’il me donne l’audace de négocier avec la mort. Et
647 Et Wagner, le dernier auteur de la légende qu’il a su recréer d’après nature, s’inspirant de Gottfried de Strasbourg, in
648 — Je suis toi-même ! Mais si l’homme sur la Terre a maltraité son moi, au lieu de la Fravarti c’est une apparition monstr
649 ière qu’on ne rejoint que dans un au-delà, et qui aurait été, sur la Terre, le véritable objet du désir de Tristan, sa princes
650 a grandeur première et drue, les philologues nous ont mis au défi d’apporter un peu plus de justesse dans le style de nos é
651 t ce n’est pas seulement de la littérature qu’ils ont bien mérité, mais de l’âme. aa. Rougemont Denis de, « Tristan et
652 la note suivante : « Le fauteuil où il est élu n’ ayant jamais eu de titulaire depuis la fondation de l’Académie, M. Eugène V
653 ante : « Le fauteuil où il est élu n’ayant jamais eu de titulaire depuis la fondation de l’Académie, M. Eugène Vinaver, en
654 . Eugène Vinaver, en son discours de réception, n’ avait pas à rappeler le souvenir d’un prédécesseur. Il lui fut donc loisibl
655 et Iseut, en réponse à M. Maurice Delbouille qui avait traité le même thème. Quand elle eut appris que tel était le dessein
656 ouille qui avait traité le même thème. Quand elle eut appris que tel était le dessein des deux orateurs, l’Académie s’avisa
657 angle tout différent, M. Denis de Rougemont, qui a traité, lui, du « mythe » de Tristan et Iseut dans plusieurs ouvrages
658 à gagner Bruxelles, l’avion qui devait l’amener n’ ayant pu quitter Genève à cause du brouillard. C’est donc en son absence qu
659 uillard. C’est donc en son absence que M. Guiette a rappelé que “de ses observations sur les récits et de sa réflexion su
660 sur le mythe de l’amour-passion, M. de Rougemont a tiré des essais très attachants sur l’aventure, sur l’homme occidenta
661 l’homme occidental, sur l’Europe. Ses analyses l’ ont conduit à retrouver le mythe de Tristan dans ses métamorphoses les pl
662 lustre le mythe, sur son secret…” M. Carlo Bronne a ensuite donné lecture du discours écrit par M. Denis de Rougemont. »
21 1961, Articles divers (1957-1962). Nos meilleurs esprits (1961)
663 re célèbre, Orson Welles assurait que la Suisse n’ a donné au monde que la pendule à coucou. Il entendait que la Suisse n’
664 la pendule à coucou. Il entendait que la Suisse n’ a pas produit de grands hommes, comme l’Italie a produit Dante, l’Allem
665 n’a pas produit de grands hommes, comme l’Italie a produit Dante, l’Allemagne Goethe, la France Pascal, et les États-Uni
666 pas une personne sur mille, prise dans la rue, n’ aura jamais entendu ce nom. En revanche, les noms d’hommes importants qu’o
667 Suisse construit des capitales ; qu’un troisième a donné à l’Amérique les deux plus grands ponts « in the world », le Go
668 usier, l’Alémanique Ammann, autant de Suisses qui ont vu grand, mais pas chez eux. Lucien Febvre, admirable historien de la
669 . Ramuz, à un Karl Barth ou à un Jean Piaget, qui ont surtout vécu en Suisse, ce n’est pas la Suisse qui a fait leur nom et
670 urtout vécu en Suisse, ce n’est pas la Suisse qui a fait leur nom et qui l’a propagé au loin ; c’est au contraire de l’ét
671 n’est pas la Suisse qui a fait leur nom et qui l’ a propagé au loin ; c’est au contraire de l’étranger, des grands pays v
672 ns aux yeux de leur conscience helvétique… Nous n’ avons pas en Suisse de purs poètes, ni de peintres qui aient fait époque, n
673 pas en Suisse de purs poètes, ni de peintres qui aient fait époque, ni de compositeurs du plus haut rang. Hölderlin et Keats
674 ibre de tout souci d’application « morale », leur eussent été formellement refusés par nos coutumes les plus invétérées. En rev
675 , sur notre continent. Le lecteur de ce recueil m’ aura vu venir : je n’entendais poser que les prolégomènes à toute étude fu
22 1961, Articles divers (1957-1962). Culture et technique (juillet 1961)
676 me pose. J’y répondrai en citant trois faits qui ont l’avantage d’être connus de tous. Fait n° 1. Pour la première fois d
677 philosophie et science, poésie et littérature —, a produit la technique occidentale ; et que la technique ne saurait fai
678 tent jusqu’à nos jours que les grandes inventions ont « répondu à des besoins », économiques, alimentaires et matériels. Qu
679 entions européennes du xvie au xixe siècle, qui ont décidé du sort de la technique moderne, et par suite de notre économi
680 st le récit d’un rêve que presque tous les hommes ont fait une nuit ou l’autre, y compris Léonard de Vinci. Le motif oniriq
681 n 1893, quelques années après que l’Allemand Otto eut inventé le moteur à explosion interne. Des douzaines d’ingénieurs ou
682 eurs ou amateurs de mécanique, en France surtout, avaient construit d’autres voitures automobiles bien avant Ford, mais son inv
683 enfant chargé de cette besogne, Humphrey Potter, eut l’idée de relier à un balancier les robinets commandant l’arrivée de
684 e perfectionner la trouvaille du petit garçon qui avait été ainsi, sans le savoir, l’inventeur de l’automation créatrice de l
685 n tout autre ordre, psychologiques et moraux, qui ont guidé l’intuition des inventeurs. L’explication de la technique par d
686 la culture : nos lectures, les tableaux que nous avons vus, les images du divin que nous livrent les siècles de notre civili
687 e est née du rêve occidental, de ce même rêve qui a créé notre culture ; — la technique n’est donc pas un destin objectif
688 que n’est donc pas un destin objectif et que nous aurions à subir, mais bien au contraire, elle exprime des vœux profonds dont
689 que. Dans la première moitié du xxe siècle, nous avons assisté à ce que l’on nomme souvent l’envahissement de notre vie par
690 riblement dangereux, c’est l’homme. C’est lui qui a fait la bombe et se prépare à l’employer. Le contrôle de la bombe est
691 ns meurtrières de l’homme : le couteau de cuisine a sûrement fait plus de victimes dans notre histoire que les bombes ato
692 ne, parfaitement innocente, ou la technique qui l’ a produite. Dire que la machine domine l’homme, ce n’est qu’une manière
693 et encore moins la révolution des communistes qui ont créé les moyens concrets de libérer le prolétariat, mais c’est la tec
694 ur dès qu’il est poussé jusqu’au bout, et qu’il n’ a plus besoin d’être servi, mais seulement surveillé par l’homme. Mais
695 ée du même coup du droit de se plaindre qu’elle n’ a pas le temps de se cultiver ! Bien sûr, nous ne confondrons pas le si
696 ère partie de mon propos : la culture de l’Europe a produit la technique ; on a pu craindre alors que cette technique ass
697 a culture de l’Europe a produit la technique ; on a pu craindre alors que cette technique asservisse l’homme et tue la vr
698 rxisme-léninisme. Mais le fait est que les Russes ont lancé les premiers Spoutniks, et tout le monde veut les imiter. En Eu
699 e. Les plus grands inventeurs de tous les temps n’ ont pas été des techniciens au sens étroit, mais des poètes, des philosop
700 tiquement disciplinées, ou même d’écoles où ils n’ auraient reçu qu’une instruction purement technique. L’ère nouvelle exigera, c
701 ormation spécialisée, il en résultera 1° que nous aurons moins de grands inventeurs et 2° que c’est alors que nous courrons le
702 ntités indépendantes et au surplus rivales. Nous avons vu que leurs sources créatrices sont communes, qu’elles jaillissent d
703 cket books, aux États-Unis d’abord puis en Europe a été rendu possible par les perfectionnements techniques de l’édition
704 n et de l’autre. On nous répète que notre société a besoin d’innombrables techniciens, et qu’il s’agit de les former d’ur
705 s des humanités et de la culture générale. L’URSS a décidé de sacrifier la culture générale, et elle a produit les Spoutn
706 décidé de sacrifier la culture générale, et elle a produit les Spoutniks. Je crains pour elle que ses premiers succès ne
707 demandais un jour à l’un des trois physiciens qui ont réalisé la fission de l’atome comment il travaillait à cette époque.
23 1961, Articles divers (1957-1962). Le Temps de la louange (été 1961)
708 savoir son avenir. Ce que je sus, c’est que nous aurions beaucoup à faire ensemble. Deux ans plus tard, il devenait mon collab
709 ang slave et possédant la bourgeoisie de Bâle. Il avait épousé une Anglaise. Il rêvait d’être un jour Suisse, ou Chilien peut
710 it au-delà, avec cette « casual brilliance » dont a parlé le Times au lendemain de sa mort. Reçu premier sur cent à l’agr
711 s, il est passé au-delà, emporté par un mal qu’il avait su décrire dans un bref poème prophétique, quelques semaines avant d’
712 lte. Car il croyait que notre incohérence aveugle avait un sens ailleurs, heureux et grand pour l’âme, et des lois dont certa
713 et des conditions élémentaires d’une carrière. Il avait de lui-même et du monde une idée telle que les soucis multipliés par
714 oique l’empêchant, hélas ! d’écrire son œuvre. Il avait été Roi dans une autre existence, il le savait absolument ; il pouvai
715 oir apparent passait parfois dans ses propos. (Il eût fait un fort bel empereur romain-germanique et d’expression française
24 1962, Articles divers (1957-1962). Jonas [préface] (1962)
716 ang slave et possédant la bourgeoisie de Bâle. Il avait épousé une Anglaise. Il rêvait d’être un jour suisse ou chilien peut-
717 -delà, avec cette « brillante désinvolture » dont a parlé le Times au lendemain de sa mort. Reçu premier sur cent à l’agr
718 s, il est passé au-delà, emporté par un mal qu’il avait su décrire dans un bref poème prophétique, quelques semaines avant d’
25 1962, Articles divers (1957-1962). Calvin (1962)
719 crivain », alors Calvin n’est pas un écrivain. Il a créé un style et un vocabulaire, et la langue des idées en France, et
720 s en France, et Bossuet lui concède « la gloire d’ avoir aussi bien écrit qu’homme de son siècle », mais ce n’était pas pour f
721 , et diriger les hommes à leur fin de salut. Il n’ a écrit que pour mieux faire comprendre l’Écriture, parlé que pour mieu
722 quelconque, — l’idée même d’être original ne lui a pas fait perdre une seconde. On ne joue pas avec les mots quand on es
723 re du Verbe », minister verbi divini. Les manuels ont beau dire, je ne vois pas qu’il ait eu la moindre « influence » vérif
724 . Les manuels ont beau dire, je ne vois pas qu’il ait eu la moindre « influence » vérifiable sur la littérature française,
725 s manuels ont beau dire, je ne vois pas qu’il ait eu la moindre « influence » vérifiable sur la littérature française, enc
726 articulation, qu’on appelle souvent cartésiennes, aient été premièrement illustrées dans notre langue par ses écrits : fait d
727 itude « classique » ou sociale de l’esprit, que j’ ai tenté dans mes premiers ouvrages de décrire par le terme d’engagement
728 par le terme d’engagement, — dont il semble qu’on ait abusé — s’origine sans nul doute chez Calvin et n’a jamais encore éga
729 abusé — s’origine sans nul doute chez Calvin et n’ a jamais encore égalé son modèle. Calvin n’est pas aimable, on le sait
730 ous dit-il. Dieu toutefois me fit tourner bride… Ayant donc reçu quelque goût et connaissance de la vraie piété, je fus inco
731 t ébahi que devant que l’an passât, tous ceux qui avaient quelque désir de la pure doctrine se rangeaient à moi pour apprendre,
732 u’étant d’un naturel un peu sauvage et honteux, j’ ai toujours aimé requoy et tranquillité, je commençai à chercher quelque
733 ent comme écoles publiques. Bref, cependant que j’ avais toujours ce but de vivre en privé sans être connu, Dieu m’a tellement
734 ce but de vivre en privé sans être connu, Dieu m’ a tellement promené et fait tournoyer par divers changements que toutef
735 oyer par divers changements que toutefois il ne m’ a jamais laissé de repos en lieu quelconque jusques à ce que, malgré mo
736 conque jusques à ce que, malgré mon naturel, il m’ a produit en lumière et fait venir en jeu, comme on dit. L’aventure se
737 français l’épître liminaire au roi de France. Il a vingt-cinq ans. Il vient d’élaborer en quelques mois, — « dans des ve
738 ira l’humaniste Ramus — l’un des rares livres qui aient changé le cours de notre histoire occidentale. Et de nouveau, il fuit
739 ue par une adjuration épouvantable, comme si Dieu eût d’en haut étendu sa main pour m’arrêter ». C’en est fait de la paix d
740 trasbourg « usant d’une semblable remonstrance qu’ avait faite Farel auparavant ». Calvin devient le pasteur de la première Ég
741 ter les divers combats par lesquels le Seigneur m’ a exercé depuis ce temps-là, et par quelles épreuves il m’a examiné, ce
742 depuis ce temps-là, et par quelles épreuves il m’ a examiné, ce serait une longue histoire. » Semblable au roi David mole
743 lieu de son peuple par la malice des déloyaux « j’ ai été assailli tellement qu’à grand-peine ai-je pu être en repos un bie
744 ux « j’ai été assailli tellement qu’à grand-peine ai -je pu être en repos un bien peu de temps, que toujours je n’eusse à s
745 en repos un bien peu de temps, que toujours je n’ eusse à soutenir quelque combat, ou de ceux du dehors, ou de ceux de dedans
746 u’il semble que jamais le moindre doute frivole n’ ait fait broncher l’esprit qui la préméditait. C’est ici le langage d’un
747 i son pouvoir de contagion. Ce ministre du Verbe a fait un monde. Il est même le seul écrivain dont les doctrines aient
748 . Il est même le seul écrivain dont les doctrines aient suscité dans l’Occident une éthique sociale et civique, un type neuf
749 politiques, enfin des formes de gouvernement qui ont marqué d’une manière décisive l’Angleterre et ses dominions, la Holla
750 i paradoxale que celle des Pères de la Réforme, n’ a jamais pu créer une éthique, ni même une formule d’équilibre entre la
751 e citoyen. Calvin n’était pas démocrate, mais il a fomenté les chefs qui ont appris aux siècles futurs qu’il n’est pas d
752 it pas démocrate, mais il a fomenté les chefs qui ont appris aux siècles futurs qu’il n’est pas de liberté concrète qui ne
753 oit qu’une charge. Les démocraties d’Occident qui ont refusé de payer ce prix en sont mortes ou ne valent guère mieux. Le r
754 constitués quand l’État outrepasse ses fonctions, a protégé les peuples calvinistes non seulement contre l’anarchie mais
755 elles ne se recouvrent nulle part. Enfin, loin d’ avoir instauré la théocratie à Genève, comme le répète l’ignorance commune,
756 nève, comme le répète l’ignorance commune, Calvin a créé le modèle d’une église dressée face à l’État et soigneuse à le m
757 é ; et dans la mesure encore où cet homme accablé a fait l’histoire des cités les plus libres, parce qu’il ne croyait pas
26 1962, Articles divers (1957-1962). Le règne de Victoria (1962)
758 ions froides. L’étiquette de la cour victoriale n’ a jamais été codifiée : plus mystérieuse que la Constitution anglaise,
759 e venais des États-Unis, où la guerre en Europe m’ avait projeté hors d’une Suisse neutre et assiégée, qui m’estimait sans dou
760 ns, venus de partout, qu’une sorte de prémonition avait rassemblés ces jours-là dans la capitale de l’Europe, ultime colloque
761 upe de Sur, honneur du Sud, autour de celle qui l’ avait suscité, c’était à la fois le passé, si proche et déjà légendaire, et
762 lus hauts que les tours de Notre-Dame. Victoria m’ a trouvé là, et parce que je ne disais rien, m’a fortement pincé le bra
763 m’a trouvé là, et parce que je ne disais rien, m’ a fortement pincé le bras pour que je crie mon admiration. Et ce jour-l
764 pour que je crie mon admiration. Et ce jour-là, j’ ai découvert son patriotisme foncier. Je l’avais connue cosmopolite et p
765 -là, j’ai découvert son patriotisme foncier. Je l’ avais connue cosmopolite et parisienne, au sens noble que définit la seule
766 le que définit la seule Société des esprits. Et j’ ai vu qu’elle était Argentine avant tout, dans ses grandes dimensions vi
767 avant tout, dans ses grandes dimensions vitales, as large as life and twice as natural comme le dit notre ami commun Lewi
768 ut, dans ses grandes dimensions vitales, as large as life and twice as natural comme le dit notre ami commun Lewis Carroll
769 es dimensions vitales, as large as life and twice as natural comme le dit notre ami commun Lewis Carroll. La grandeur simp
770 régner sur les relations humaines. Un jour le Sud aura sa revanche sur le Nord masculin, épuisé de logique, d’horaires tyran
771 ientée par la Femme, comme Goethe et C. G. Jung l’ ont annoncé. Quelques-uns l’ont appris de Victoria, non par l’enseignemen
772 oethe et C. G. Jung l’ont annoncé. Quelques-uns l’ ont appris de Victoria, non par l’enseignement mais par l’exemple, et par
27 1962, Articles divers (1957-1962). La culture et l’union de l’Europe (avril 1962)
773 La culture et l’union de l’Europe (avril 1962) ai S’il est question d’intégration européenne et qu’on lui parle de c
774 , qu’il soit d’ailleurs industriel ou philosophe, a d’abord un réflexe de doute. L’Europe qui se fait, dans la réalité co
775 faire là-dedans ? Quelles contributions efficaces a-t -elle apportées à l’union ? N’est-elle pas au contraire, ajoutent cert
776 ent pour notre Fondation, mais pour tous ceux qui ont travaillé depuis longtemps à faire l’Europe, chacun dans son domaine
777 Marché commun serait impensable (et au surplus n’ aurait jamais vu le jour) s’il ne s’inscrivait pas dans une longue tradition
778 l’Europe. L’équation européenne Si l’Europe a pu dominer le monde par son économie, ses armes et ses techniques, de
779 ucoup plus pauvre en matières premières, l’Europe avait moins de chances matérielles que l’Inde de sortir de sa pauvreté prim
780 très peu de choses plus une certaine culture, qui a fait d’une pauvre terre découpée et cloisonnée le cœur et le cerveau
781 et les meilleurs hommes politiques du continent n’ ont cessé de préconiser une union fédérale de nos peuples, respectant leu
782 s ses efforts vers l’union. Les uns et les autres ont raison, en ce sens qu’ils sont nécessaires, soit comme moteur, soit c
783 moteur, soit comme volant ; les uns et les autres ont tort quand ils se prétendent suffisants, à eux seuls. Leur dialogue e
784 e avenir. L’énergie tout à fait extraordinaire qu’ ont dégagée les peuples de ce continent, et qui leur a permis de dominer
785 dégagée les peuples de ce continent, et qui leur a permis de dominer le monde, a sa source dans les tensions produites p
786 tinent, et qui leur a permis de dominer le monde, a sa source dans les tensions produites par nos diversités, — de religi
787 a génération à laquelle j’appartiens, et l’Europe a risqué d’en périr. Insister sur nos seules diversités détruit l’Europ
788 de la culture et sa vocation prospective. Il n’y aurait pas d’Europe sans tout ce que la culture a su tirer de nos pauvres co
789 y aurait pas d’Europe sans tout ce que la culture a su tirer de nos pauvres conditions physiques. De la culture aussi son
790 ent récentes, et plus ou moins artificielles, qui ont tenté de prendre forme, grâce à l’École surtout, pendant l’ère nation
791 us à leurs valeurs, à leurs idéaux, à tout ce qui a fait la grandeur de l’Europe ? Et que sert de prêcher l’union europée
792 répondent que l’Europe n’est plus rien, qu’elle n’ a pas d’idéal à opposer aux ambitions mondiales du communisme, ni de va
793 ion. Contrairement à l’Asie et à l’URSS, l’Europe a toujours voulu former des hommes à la fois libres et responsables. C’
794 rme de l’intégration européenne, s’il ne devait y avoir que dividendes, bombes atomiques, autos et frigidaires, les forces cu
795 ues, autos et frigidaires, les forces culturelles auraient le droit de s’occuper dès maintenant d’autre chose. Mais sans l’actio
796 osent diamétralement. Si les croyances populaires ont raison, le peu que l’on a fait jusqu’ici pour la culture était de tro
797 croyances populaires ont raison, le peu que l’on a fait jusqu’ici pour la culture était de trop. Si au contraire mes arg
798 tire les conséquences logiques — et pratiques. ai . Rougemont Denis de, « La culture et l’union de l’Europe », Caractèr
28 1962, Articles divers (1957-1962). Journal d’un témoin (23-24 juin 1962)
799 le climat de cette période angoissée, telle que j’ ai pu la voir de près, à Berne. Il s’agit de notes tirées de mon journal
800 nérale de l’armée (Ve section, Armée et Foyer), j’ avais proposé et obtenu de rédiger des plans de causeries à l’usage des off
801 es débuts de notre histoire. Le 11 mai, les nazis ayant envahi la Belgique et la Hollande, une nouvelle mobilisation générale
802 ais m’annoncer au chef de la police de Berne, qui a demandé quelques volontaires. Il nous expose notre tâche : prendre le
803 piers. Compris. Telle était l’atmosphère, et je n’ ai vu ce jour-là, comme les jours suivants à la troupe, où je suis retou
804 au cœur de l’Europe, à son bastion sacré, et je l’ ai dit hier soir encore. Or il se trouve que le Gothard est le type même
805 -il, c’est une idée… (et pendant une seconde je n’ ai pas su s’il était ironique ou sérieux) une bonne idée… Seulement ce n
806 e n’est rien d’en parler. Il faut le faire ! » J’ ai senti sous son regard direct le danger d’avoir une idée et de l’expri
807  » J’ai senti sous son regard direct le danger d’ avoir une idée et de l’exprimer sans précautions — avant d’avoir calculé la
808 idée et de l’exprimer sans précautions — avant d’ avoir calculé la dépense. Le 12 juin 1940 Débâcle française sur la Seine. N
809 de plus. Je suis resté immobile un long moment. J’ ai écrit deux pages sur la confrontation d’Hitler et de Paris, les ai re
810 es sur la confrontation d’Hitler et de Paris, les ai recopiées et envoyées à la Gazette de Lausanne . « Voyez si les presc
811 couronnant le Gurten. Toutes les demi-heures, des avions passent, volant très bas. Cette prairie dominant la ville serait un t
812 ’était commencé. D’une fenêtre donnant au nord, j’ ai regardé longtemps la ville, apparemment paisible, et la ligne précise
813 menté où je guettais des lueurs. Quelques camions ont passé sous la fenêtre, tous feux éteints, montant lentement vers le G
814 a mesure du tragique dans lequel nous baignons… L’ ai fait lire au lieutenant-colonel M. et aux autres camarades, ils le tr
815 énéral. — Ici colonel Masson. C’est bien vous qui avez écrit l’article paru ce matin dans la Gazette  ? — Oui, mon colonel.
816 ce matin dans la Gazette  ? — Oui, mon colonel. — Avez -vous demandé l’autorisation de vos supérieurs ? — Non, mon colonel. —
817 voquer pour le 22 juin les dix personnes que nous avons « contactées » ces jours derniers. Secret bien gardé jusqu’ici. Ce ma
818 Mais on veillait partout. Hier soir, des barrages ont été établis dans les rues de la ville. La troupe a arrêté des automob
819 été établis dans les rues de la ville. La troupe a arrêté des automobilistes munis de passeports français, mais aucun n’
820 (Je me dis : C’est donc si grave que cela ?) — J’ ai beaucoup aimé votre article… Mais la Légation d’Allemagne a protesté,
821 aimé votre article… Mais la Légation d’Allemagne a protesté, hier matin. J’ai l’ordre de vous faire conduire chez vous p
822 la Légation d’Allemagne a protesté, hier matin. J’ ai l’ordre de vous faire conduire chez vous pour y prendre les arrêts. V
823 Comparutions diverses. Dialogue invariable : — Qu’ avez -vous à dire pour votre défense ? — Absolument rien. Je suppose que vo
824 dernier conflit mondial. Dans cet ouvrage, Kimche avait signalé la formation durant l’été de 1940 d’un « mouvement de résista
825 iciers — qui entendait barrer la route à ceux qui auraient pu être tentés d’intégrer notre pays au système du Troisième Reich al
826 oisième Reich alors triomphant. Le général Guisan a d’ailleurs brièvement mentionné, après la guerre, l’épisode de « la c
827 iscipline fut sanctionné, mais dont les objectifs eurent sa sympathie. L’attitude de notre gouvernement et de notre commandant
828 nutile toute action directe de ces mouvements qui ont toutefois joué un rôle non négligeable en faisant front contre un cer
829 ougemont, témoin et acteur de ces événements nous a envoyé certains feuillets de son journal de juin et juillet 1940 qui
830 et 1940 qui les éclairent et les expliquent… Nous avons choisi de publier ces pages en cette fin de juin, à peu près à l’époq
831 . Pour les besoins de cette édition numérique, on a attribué un style spécifique aux dates de ce journal.
29 1962, Articles divers (1957-1962). La Ligue du Gothard : premier mouvement de résistance : Journal d’un témoin II (25 juin 1962)
832 instant des hommes qui nous tireront dessus. Je n’ ai même plus mon pistolet, que je déposais chaque soir à côté de mon lit
833 u pain et à l’eau, sans visites ni courrier. Vous avez bien compris ? Vous êtes dès maintenant à Saint-Maurice. Tout ce que
834 me à chaque bras. — À vos ordres, mon colonel ! J’ ai toujours été partisan des vacances payées. Je vous remercie. — Repos 
835 es payées. Je vous remercie. — Repos ! Le colonel a bien voulu prendre un verre, au terme de cette petite cérémonie. 22 j
836 e, avant de se battre, l’une des raisons que l’on aurait de se battre, l’une des marques de cette indépendance que l’armée est
837 san le 31 août 1939 par le Conseil fédéral : Vous avez pour mission de sauvegarder l’indépendance du pays et de maintenir l’
838 e l’indépendance du pays. Cela se discute, mais j’ ai pris mon parti, tout comme le général de Gaulle, à la radio de Londre
839 Armée et Foyer ». Pendant mes vacances forcées, j’ ai eu le temps de rédiger le manifeste de notre mouvement, qui a pris le
840 ée et Foyer ». Pendant mes vacances forcées, j’ai eu le temps de rédiger le manifeste de notre mouvement, qui a pris le no
841 s de rédiger le manifeste de notre mouvement, qui a pris le nom de « Ligue du Gothard », pour ma plus grande satisfaction
842 e que « la Suisse est réduite à elle-même. Elle n’ a pas d’autre garantie que son armée, pas d’autre allié que son terrain
843 érés peuvent s’unir dans leurs diversités… Nous n’ avons qu’un seul but : maintenir la Suisse dans le présent et pour l’avenir
844 aître dans 74 journaux du pays. Dans chacun, nous avons acheté une page entière. (Formule de la publicité politique ou philan
845 ux États-Unis.) Frais payés sur la somme que nous a remise le capitaine E., l’un des chefs de la ligue des officiers — to
846 et-Golaz. À propos du cessez-le-feu en France, il a parlé de notre « soulagement » ! Cela peut s’entendre de diverses man
847 mais l’une est atroce. Je veux, croire qu’il ne l’ a pas senti. Mais ce matin, un officier de l’E.-M. du Général me dit :
848 ral me dit : « Pour la première fois de ma vie, j’ ai eu honte d’être Suisse. » Début de juillet Rencontres quotidiennes, à
849 me dit : « Pour la première fois de ma vie, j’ai eu honte d’être Suisse. » Début de juillet Rencontres quotidiennes, à Be
850 représentants de la Ligue dans l’armée. La presse a publié le Manifeste. Elle en parle ! Beaucoup de lettres, de pamphlet
851 urs la démission de notre Directoire : or il n’en a jamais été membre. Rien de plus normal. En dépit du choc causé par la
852 ausé par la défaite française, l’opinion suisse n’ a pas encore compris toute l’ampleur du péril, c’est bien le tout de no
853 u’un autre, qui est radicalement menacé. Pas un n’ aurait la moindre chance de « s’arranger » avec l’occupant hitlérien. Pour l
854 olliciteront une audience du Conseil fédéral. Ils ont mission de lui déclarer que s’il cède aux exigences des nazis, tout e
855 n. Si au contraire le Conseil fédéral résiste, il aura l’appui sans réserve de la Ligue civile et militaire. L’audience est
856 titulaire ad interim du Département politique les a reçus avec beaucoup de calme, a pris note de leur déclaration pour la
857 ent politique les a reçus avec beaucoup de calme, a pris note de leur déclaration pour la transmettre à ses collègues, et
858 ur la transmettre à ses collègues, et bien sûr, n’ a pu faire davantage. Mais les banderilles ont été plantées. (Note de 1
859 sûr, n’a pu faire davantage. Mais les banderilles ont été plantées. (Note de 1962 : nulle trace de cette démarche dans les
860 hose à l’époque. On comprend donc que M. Kimche n’ ait pas pu faire état de l’incident, si pittoresque et surprenant qu’il p
861 urd’hui ambassadeur de Suisse à Washington, après avoir été haut-commissaire de l’Organisation des Nations unies pour les réf
30 1962, Articles divers (1957-1962). La conjuration des officiers en juin 1940 : Journal d’un témoin III (26 juin 1962)
862  Le général est toujours furieux après vous ! » m’ a dit hier encore mon colonel, un Bernois. Mais quoi ! D’une part, le g
863 rnière page : La création de la Ligue du Gothard a produit un choc salutaire sur l’opinion suisse. Elle a rendu confianc
864 duit un choc salutaire sur l’opinion suisse. Elle a rendu confiance à beaucoup de citoyens, elle a fait naître un grand e
865 le a rendu confiance à beaucoup de citoyens, elle a fait naître un grand espoir et dissipé certaines brumes de défaitisme
866 rumes de défaitisme. La crainte de la concurrence a produit une émulation inattendue du côté des partis. Il est incontest
867 s de travail », esquissées dans divers cantons, n’ auraient pas vu si tôt le jour. Nous savons qu’en réunissant des efforts jusqu
868 nt levés. C’est notre tour. 25 juillet 1940 Hier a eu lieu le rapport du Grütli. Tout notre dispositif de défense regrou
869 du Grütli, que j’ignorais, naturellement, quand j’ ai rédigé ces quelques pages. Mi-août 1940 Réunion du Directoire de la L
870 hardt, commandant l’unité d’armée de Sargans. Ils avaient essayé d’obtenir son appui pendant une partie de la nuit. Il leur a l
871 son appui pendant une partie de la nuit. Il leur a laissé croire qu’il marchait, et à 6 heures ce matin, les a fait bouc
872 roire qu’il marchait, et à 6 heures ce matin, les a fait boucler. » Le lieutenant remonte, la voiture s’éloigne. Demain,
873 ai, le « Secrétariat des Suisses à l’étranger » m’ avait proposé d’aller à New York et d’y faire jouer ma pièce sur Nicolas d
874 thur Honegger) à l’occasion de la World’s Fair. J’ avais longtemps tergiversé. Je faisais la Ligue. Puis il y eut l’incident d
875 na grata. Pourtant, le 16 juillet, Pro Helvetia m’ avait renouvelé la demande. J’aurais à faire aussi des conférences. Je prop
876 let, Pro Helvetia m’avait renouvelé la demande. J’ aurais à faire aussi des conférences. Je proposai, pour voir, les quatre suj
877 je m’abstienne aux États-Unis « de toute activité ayant un caractère politique quelconque. Des sujets de conférence comme ceu
878 à 3 devraient, par conséquent, être évités ». (J’ ai conservé la lettre, signée par le ministre B.) ⁂ Ces prudences offici
879 ences officielles — bien typiques de l’époque — n’ eurent d’autre effet que de me piquer au jeu. Bien décidé à n’en pas tenir c
880 ment comme ce bastion de l’Europe libre dont nous avions rêvé sans oser croire qu’en quelques mois il deviendrait une réalité.
881 le et de rénovation économique et politique. Elle avait au départ formé le noyau du premier mouvement de résistance, au sens
882 es peuvent rire de l’armée suisse parce qu’elle n’ eut pas l’occasion de se battre. Pourtant elle l’aurait eue, probablement
883 ’eut pas l’occasion de se battre. Pourtant elle l’ aurait eue, probablement, si les Allemands avaient senti la Suisse militaire
884 s l’occasion de se battre. Pourtant elle l’aurait eue , probablement, si les Allemands avaient senti la Suisse militairement
885 elle l’aurait eue, probablement, si les Allemands avaient senti la Suisse militairement moins forte et moins bien alertée. Et n
886 t de résistance, pour préventif qu’il soit resté, eût certainement passé à la pratique si le moral du pays ne s’était pas r
887 saisi. Le seul fait qu’à ce redressement la Ligue ait contribué si peu que ce fût, voilà qui suffit à mes yeux. En ce mois
888 ux. En ce mois d’août de 1940, j’estimais qu’elle avait réussi dans la mesure précise où elle devenait, en tant que « résista
889 animaient n’étaient point exactement celles qu’on eut alors au Palais fédéral pour favoriser mon voyage. Mais le fait est q
890 ures du matin, je prenais la route de Lisbonne. J’ avais acheté, avant de monter dans l’autobus, trois journaux du matin et de
891 e crois pas un instant que les officiers ligueurs aient pu douter de la volonté de résistance à tout prix du Général. Leur co
892 seule faute fut « d’agir en secret ». Mais s’ils avaient agi « ouvertement », le Conseil fédéral eût exigé sur l’heure que le
893 s avaient agi « ouvertement », le Conseil fédéral eût exigé sur l’heure que le Général mît fin à leurs activités qu’il conn
894 ain qu’elles « s’imbriquaient étroitement », on l’ a vu par mes notes. Mais Kimche commet une curieuse erreur en confondan
895 a substitution à cette ligue d’un mouvement qui n’ eut d’autre tort à mes yeux que celui de n’avoir pas existé pendant la pé
896 qui n’eut d’autre tort à mes yeux que celui de n’ avoir pas existé pendant la période que décrit Kimche, n’est pas seulement
897 il était incorporé à l’état-major général — pour avoir écrit, au lendemain de la chute de Paris, un papier à la gloire de la
31 1962, Articles divers (1957-1962). Dans vingt ans une Europe neuve (novembre 1962)
898 éparent de 1980, voyons d’abord quels changements ont apportés les dix-huit ans qui nous séparent de la fin de la dernière
899 la fin de la dernière guerre. L’Europe de l’Ouest a passé de la ruine générale à une prospérité sans précédent : d’une po
900 n Italie au repli général du PC, à sa suppression eu Allemagne, et à la défection des intellectuels ; des lamentations sur
901 ue, on s’aperçoit que presque tous ces phénomènes avaient été prévus par des esprits lucides, quoique jugés impossibles par les
902 égards le centre du monde humain. Les géographes ont démontré depuis longtemps qu’elle est le pôle de « l’hémisphère privi
903 sibilités d’assimilation du tiers-monde, après en avoir discuté avec les responsables des autres continents. (Cela s’opère su
904 950 à 1970. Le succès du fédéralisme européen les a fait réfléchir et leurs nouvelles générations, au-delà des ivresses d
905 ’humanise — c’est un mot d’ordre ancien, mais qui a fini par devenir populaire. Les vitesses plusieurs fois supérieures à
906 civilisation technique, désormais universalisée, a compris qu’elle se doit d’inventer les moyens d’humaniser l’usage des
907 ains express (quelques-uns déjà souterrains). Les avions long-courriers atterrissent verticalement sur les rares terrains vagu
908 rranée, abandon progressif des villes du Nord qui avaient proliféré pendant l’ère du charbon, sale et noire. L’énergie électriq
909 sale et noire. L’énergie électrique ou nucléaire a permis de généraliser la maison transparente, pour les masses. Les él
910 et à l’échelle mondiale. Le mythe des deux grands a disparu, on ne s’en souvient guère davantage que de la Triplice et de
911 ait à Genève le Centre européen de la culture. Il a publié dix-huit ouvrages (essais et récits sous forme de journaux, li
32 1962, Articles divers (1957-1962). La commune, base essentielle de notre civilisation (novembre-décembre 1962)
912 lle de notre civilisation (novembre-décembre 1962) as Anciens villages et villes d’Europe, vous n’en trouverez pas deux
913 s fins militaires, agricoles, commerciales, après avoir été souvent sacrée. Une vallée ou un socle rocheux, une embouchure, u
914 des pionniers arrêtés un soir, à l’étape, et qui auraient décidé d’en rester là. En Asie, les maisons s’assemblent en essaims.
915 fés que le Spectator d’Addison, un peu plus tard, a l’ambition de faire pénétrer la philosophie, enfin sortie des cabinet
916 ommune, qui est dans le cadre concret du civisme, a survécu tant bien que mal, à plus d’un siècle d’empiètements de l’Éta
917 iers d’un renouveau de l’autonomie municipale. as . Rougemont Denis de, « La commune, base essentielle de notre civilis