1
La voie
et
l’aventure (janvier 1957)a b Ce qui s’oppose coopère, et de ce qu
2
re (janvier 1957)a b Ce qui s’oppose coopère,
et
de ce qui diverge procède la plus belle harmonie. Héraclite Reconn
3
ie foncière entre la foi chrétienne de l’Occident
et
la pensée religieuse de l’Asie1. Sur d’autres plans, pourtant, les di
4
du désir d’union de l’humanité qui anime de part
et
d’autre les meilleurs esprits, il me paraît vital d’admettre en toute
5
dmettre en toute franchise l’existence historique
et
spirituelle de deux expériences différentes, de deux voies longtemps
6
mes symboliques, plus que géographiques, d’Orient
et
d’Occident. Contraster les contenus de ces termes sera l’objet des es
7
mun ; qu’on risque ainsi de nourrir les préjugés,
et
de forcer, par esprit de symétrie, des antithèses qu’une sagesse supé
8
otent une union véritable : à savoir sa fécondité
et
sa durée. Une sagesse supérieure et vraiment unitive ne naîtra pas d’
9
sa fécondité et sa durée. Une sagesse supérieure
et
vraiment unitive ne naîtra pas d’aspirations mal informées, ni du ref
10
ion » universelle, remontant à la nuit des temps,
et
noyant les problèmes concrets de notre siècle dans une condamnation g
11
nion, qui ne peut survivre à l’aube ! Si l’Orient
et
l’Occident doivent un jour converger au lieu de s’ignorer ou de se co
12
« retour aux sources » qu’à un progrès conscient
et
toujours plus lucide vers les buts respectifs de leur double aventure
13
n Admettons l’hypothèse d’une origine commune,
et
d’une famille d’idiomes indo-européens dont le sanscrit serait le plu
14
us ancien témoignage. Admettons même entre l’Inde
et
l’Europe une parenté antérieure aux Aryens. (Elle paraît attestée par
15
attestée par les symboles communs aux Dravidiens
et
aux Crétois : le caducée, l’arbre, la pierre, le serpent, le taureau,
16
ucée, l’arbre, la pierre, le serpent, le taureau,
et
la Déesse-Mère.) Admettons que le régime des castes, imposé aux peupl
17
e en ajoute même une3, multiplie les sous-castes,
et
fait durer le système pendant trois millénaires, en dépit de tous les
18
expansion de la morale chrétienne, la Renaissance
et
la Révolution française marquent les étapes de cette dissolution du s
19
yer de l’aménager selon les désirs d’un corps vil
et
d’une raison mal éclairée ; partout, le collectif-sacral refoulait le
20
n Europe par toutes les subsistances monumentales
et
religieuses du Moyen Âge, elle éclate aux États-Unis dont le passé vi
21
voit partout que pèlerinages, sanctuaires, lieux
et
quartiers de ville sacrés ; arbres, fleuves, animaux sacrés ; hommes
22
sacrés ; arbres, fleuves, animaux sacrés ; hommes
et
femmes en prière accroupis sur leur seuil ; au bord des rues et des c
23
rière accroupis sur leur seuil ; au bord des rues
et
des chemins, ou seuls debout devant l’idole4. Et une misère universel
24
et des chemins, ou seuls debout devant l’idole4.
Et
une misère universelle. En Europe, dans un paysage où les clochers d’
25
nt encore généralement la silhouette des villages
et
des villes, quelques pèlerinages ou lieux sacrés, quelques centaines
26
’âge fait le prix, mais que l’on isole de la vie,
et
que cernent impatiemment les grands faubourgs industriels et les déco
27
ent impatiemment les grands faubourgs industriels
et
les décors de la technique. En Amérique : pas un seul lieu sacré en d
28
haut par les gratte-ciel ; pas un seul pèlerinage
et
pas un vrai château. Plaines et villes immenses, dénudées de mystère,
29
n seul pèlerinage et pas un vrai château. Plaines
et
villes immenses, dénudées de mystère, nettoyées de toute trace de rel
30
e, nettoyées de toute trace de religion primitive
et
de vénération pour les choses, les plantes, les animaux ou le surnatu
31
s animaux ou le surnaturel. Mais un confort moral
et
un luxe matériel largement partagé par toutes les classes. L’Occident
32
« Je n’ai vu que des foules, pas une personne ! »
Et
l’Oriental qui circule dans nos villes songe qu’il n’y voit qu’agitat
33
’y voit qu’agitation désordonnée, absence de sens
et
d’harmonie, et pas un seul vrai spirituel… Réalités internes de l’
34
ation désordonnée, absence de sens et d’harmonie,
et
pas un seul vrai spirituel… Réalités internes de l’opposition a
35
rnes de l’opposition a) Symbolisme de l’Orient
et
de l’Occident 5. — L’Orient et l’Occident ne sont donc pas seulement
36
olisme de l’Orient et de l’Occident 5. — L’Orient
et
l’Occident ne sont donc pas seulement des entités géographiques facil
37
ment des complexes historiques, dont les mélanges
et
superpositions ne seraient d’ailleurs pas moins féconds à étudier que
38
assable du Réel. Pour passer du sens géographique
et
historique de nos deux termes à leur sens symbolique et spirituel, re
39
torique de nos deux termes à leur sens symbolique
et
spirituel, recourons aux récits visionnaires que deux grands philosop
40
s que deux grands philosophes religieux de l’Iran
et
de l’Arabie, Avicenne et Sohrawardi, nous ont laissés sur ce sujet fo
41
phes religieux de l’Iran et de l’Arabie, Avicenne
et
Sohrawardi, nous ont laissés sur ce sujet fondamental6. Le récit d’A
42
e, contrastant avec l’Occident du monde terrestre
et
l’Extrême-Occident de la Matière pure. L’ange qui apparaît à l’adepte
43
apparemment physiques se transmuent en symboles,
et
il termine par une invitation à entreprendre le voyage mystique vers
44
cosmos symbolique ? À droite, l’Orient des Formes
et
du Soleil levant, au-delà duquel réside l’univers angélique ; à gauch
45
rs angélique ; à gauche, l’Occident de la Matière
et
du soleil couchant, au bord le plus lointain duquel s’étend une « mer
46
le plus lointain duquel s’étend une « mer chaude
et
boueuse » (le non-être). La Ténèbre règne à demeure sur ce pays. « Ce
47
ltivent viennent d’ailleurs… » (Thème de l’Exil.)
Et
ce climat est un lieu de dévastation, un désert de sel, rempli de tro
48
es, de guerres, de disputes, de tumultes : « joie
et
beauté n’y sont qu’un emprunt procuré d’un lieu lointain ». Entre l’O
49
runt procuré d’un lieu lointain ». Entre l’Orient
et
l’Occident (c’est-à-dire au lieu de rencontre de la matière et de la
50
(c’est-à-dire au lieu de rencontre de la matière
et
de la forme) est une circonscription intermédiaire : « C’est celle qu
51
l’âme, son « exil » dans les liens de la matière
et
du corps qui la retiennent captive dans leurs noires forteresses, son
52
art vers l’Orient de l’illumination, de l’origine
et
de la délivrance. Et l’on retrouve ici les mêmes significations symbo
53
l’illumination, de l’origine et de la délivrance.
Et
l’on retrouve ici les mêmes significations symboliques de l’Orient et
54
les mêmes significations symboliques de l’Orient
et
de l’Occident que dans le récit d’Avicenne, auquel l’auteur rattache
55
liques que ces deux auteurs attribuent à l’Orient
et
à l’Occident. Ajoutons-y les qualificatifs que, des présocratiques à
56
r opaque, la pénombre, le démon de l’utilitarisme
et
de la puissance aveugle, l’oubli des buts de l’âme, le corps et la ma
57
ance aveugle, l’oubli des buts de l’âme, le corps
et
la matière, l’activité désordonnée, la passion, la dégradation, la co
58
passion, la dégradation, la connaissance égarée,
et
obscurcie par les liens matériels et passionnels, le lieu d’exil. Cet
59
ance égarée, et obscurcie par les liens matériels
et
passionnels, le lieu d’exil. Cette unanimité dans l’interprétation, u
60
our les Grecs, il en va de même pour les Hindous,
et
ceux-ci ne figurent pas pour autant l’Occident de la Chine ou de la M
61
istorique, relevant un défi qui semblait écrasant
et
qu’il se portait à lui-même, acceptant de « s’enfoncer dans la matièr
62
nfoncer dans la matière », acceptant les passions
et
les corps à tous risques pour l’âme et l’esprit, en a tiré le princip
63
s passions et les corps à tous risques pour l’âme
et
l’esprit, en a tiré le principe d’une possible grandeur et d’une véri
64
it, en a tiré le principe d’une possible grandeur
et
d’une vérité difficile, qui est l’enjeu de son aventure. b) Incarnati
65
, qui est l’enjeu de son aventure. b) Incarnation
et
Excarnation. — Si nous passons au plan des réalités vécues, métaphysi
66
assons au plan des réalités vécues, métaphysiques
et
religieuses, l’opposition de l’Orient et de l’Occident revêt une vale
67
hysiques et religieuses, l’opposition de l’Orient
et
de l’Occident revêt une valeur différente, encore que par sa forme el
68
isations de soi, l’une allant du cercle au carré,
et
l’autre inversement, s’expriment les missions différentes, toutes les
69
ifférentes, toutes les deux légitimes, de l’Ouest
et
de l’Est… (car) : le carré — ou mieux, le cube — est partout le symbo
70
, le cube — est partout le symbole de la matière,
et
le cercle — ou la sphère — celui de l’esprit. En sorte que la quadrat
71
e en termes humains l’Incarnation (la naissance),
et
la seconde l’Excarnation (la mort). » Je voudrais à mon tour illustre
72
en l’exposant sous trois aspects variés. Christ
et
le Bouddha. — Le Fils de Dieu, incréé, transcendant, entre dans l’imm
73
ieu, incréé, transcendant, entre dans l’immanence
et
dans l’Histoire, se fait corps matériel, chair d’enfant pauvre, assum
74
air d’enfant pauvre, assume les pires souffrances
et
finalement en meurt, afin de parler aux hommes dans leur langage, dan
75
leur langage, dans les termes de leur existence,
et
de les sauver là où ils sont, par la seule foi dans l’action du pardo
76
la seule foi dans l’action du pardon, de l’amour
et
de la grâce de Dieu. Le fils d’un roi de ce monde quitte son palais p
77
ncier pour aller dans la solitude la plus dénuée,
et
là découvre que la voie du salut est de refuser le monde, le corps et
78
a voie du salut est de refuser le monde, le corps
et
la souffrance, pour s’élever vers le Rien transcendant. Les deux mouv
79
Rien transcendant. Les deux mouvements — descente
et
remontée — ne sont qu’apparemment superposables ; car il s’agit en ré
80
ntée de l’homme vers ce qui nie la créature. Foi
et
Connaissance. L’Oriental, tournant le dos au « monde » décide d’attei
81
le monde créé, sa raison d’être, la connaissance
et
la maîtrise de ses structures.) Le danger, pour l’Occidental, c’est l
82
op complète. (On se perd soi-même dans la matière
et
ses structures, on perd de vue les exigences et la maîtrise des réali
83
e et ses structures, on perd de vue les exigences
et
la maîtrise des réalités spirituelles.) Vérifier la Voie : deux form
84
sance suffisante, n’ouvre pas une voie vérifiable
et
qu’on puisse librement parcourir ; mais par le moyen d’une ascèse sou
85
ais par le moyen d’une ascèse soumettant le corps
et
le mental à l’âme, donc délivrant celle-ci des liens de Prakriti (le
86
a Connaissance, si détaché, si versé dans la Loi,
et
si maître de lui qu’il soit, un dieu lui-même ne peut sans le yoga at
87
n se contentant à son sujet d’intuitions directes
et
vagues (sur la nature de l’atome, par exemple) qui ne permettent pas
88
as de refaire le chemin à volonté par l’intellect
et
par l’action physique, ni par suite de le vérifier ; mais bien par l’
89
e ordonnant l’intellect aux lois du réel observé,
et
le corps à l’action efficace, afin de mieux pénétrer la Création et d
90
tion efficace, afin de mieux pénétrer la Création
et
d’en maîtriser le principe. « D’autant plus nous connaissons les chos
91
s Dieu. » (Spinoza) Ainsi se croisent les doutes,
et
parfois les méfiances. Car chacun pense de l’autre : est-ce qu’il dit
92
? trouve-t-il vraiment l’objet de sa recherche ?
et
cet objet lui-même, est-il vraiment réel ? S’identifier à l’Un, à la
93
e chez les très rares qui disent y être parvenus,
et
pour les autres un solipsisme exténuant ?… Maîtriser les secrets du c
94
sme exténuant ?… Maîtriser les secrets du cosmos,
et
peut-être demain de la vie, pense l’Oriental, n’est-ce pas régner sur
95
nse l’Oriental, n’est-ce pas régner sur la Maya ?
Et
chacun sera tenté de tenir pour illusoires les « preuves » dont l’aut
96
« réalité » qu’on tient elle-même pour illusion.
Et
il semble à chacun que les explications les plus sincères données par
97
amentale. Tautologies que tout cela ! c) Individu
et
Tradition. — Que l’Occident soit individualiste et l’Orient tradition
98
t Tradition. — Que l’Occident soit individualiste
et
l’Orient traditionaliste, il paraît difficile de le mettre en doute10
99
ur. Pourtant la chose ne me paraît pas si simple,
et
j’y sens une complexité dont j’essaierai maintenant d’indiquer la nat
100
s trottoirs couverts de dormeurs pendant la nuit.
Et
j’ai vu cinq personnes sur une seule bicyclette ! Ces gens ne seront-
101
Corps tassés en prière, dans les recoins. Silence
et
dignité profonde. Un groupe d’hommes attentifs dans une cour écoute l
102
mon guide. Devant l’idole vêtue de soie précieuse
et
de colliers de verroterie, une femme seule, un homme seul, immobile e
103
roterie, une femme seule, un homme seul, immobile
et
debout. Dans la courette, un prêtre renouvelle les cierges noirs deva
104
ent communautaire. Nous avons inventé l’ecclesia.
Et
tandis qu’ils se purifient par l’isolement, comme le veut la magie, n
105
l’isolement, comme le veut la magie, nous prions
et
chantons ensemble. » Ici, je dois citer Rudolf Kassner, essayiste aut
106
chose. Kassner m’offre ce mot : le corps magique,
et
il le commente en ces termes11 : « Âme corporisée, ou corps spiritual
107
ateur ou le plagiaire. Le fakir habituel des rues
et
des places, l’homme des supercheries, est de son appartenance : il fo
108
e nos conceptions de liberté, action, de personne
et
d’histoire n’ont plus de pointe ni de but. Le monde magique est en fo
109
. Le monde magique est en forme de Boule, infinie
et
tout-englobante. En Occident, le moi et le non-moi, le oui et le non,
110
, infinie et tout-englobante. En Occident, le moi
et
le non-moi, le oui et le non, le bien et le mal, la liberté et le des
111
obante. En Occident, le moi et le non-moi, le oui
et
le non, le bien et le mal, la liberté et le destin, la personne même
112
, le moi et le non-moi, le oui et le non, le bien
et
le mal, la liberté et le destin, la personne même et son individu son
113
, le oui et le non, le bien et le mal, la liberté
et
le destin, la personne même et son individu sont en contradiction, te
114
le mal, la liberté et le destin, la personne même
et
son individu sont en contradiction, tension ou dissension, et ne cess
115
idu sont en contradiction, tension ou dissension,
et
ne cessent de refaire le signe de la Croix. Je disais que la voie de
116
fuite en l’Absolu. Ainsi le moi devient conscient
et
se détache, échappe au corps magique, s’isole enfin, mais c’est pour
117
en son accomplissement, puisque le moi est voie,
et
que la voie consiste à libérer progressivement une âme de l’illusion
118
’est pas de personne sans un Dieu qui interpelle.
Et
l’Orient ne connaît rien de tel. Soit qu’on pense qu’il n’y a pas de
119
qu’il n’y a pas de Dieu — selon le système Sankya
et
le bouddhisme — soit qu’on pense, selon l’Advaïta, que Dieu n’« exist
120
a, que Dieu n’« existe » pas mais qu’il est Tout,
et
que le Tout ou le Réel n’est que le Moi pleinement réalisé et accompl
121
ut ou le Réel n’est que le Moi pleinement réalisé
et
accompli (That Thwam Asi) — il n’y a pas plus de personne dans la gno
122
tité qu’elle pose évacue l’existence personnelle,
et
que la négation de la personne postule la suppression de la différenc
123
a suppression de la différence entre le Toi divin
et
le moi de l’homme. En revanche, l’Occident s’atteste et s’actualise l
124
moi de l’homme. En revanche, l’Occident s’atteste
et
s’actualise là où la différence est tenue pour essentielle, car en el
125
nscende, le reliant à l’esprit comme au prochain.
Et
du même coup paraît la société, en lieu et place du corps magique.
126
chain. Et du même coup paraît la société, en lieu
et
place du corps magique. Yin yang Dans le symbole central de l
127
ou le tao) un point noir frappe la partie blanche
et
un point blanc la partie noire. Il est ainsi montré que l’élément mas
128
s évidente dans les zones respectives de l’Orient
et
de l’Occident. Qui voudrait nier, par exemple, qu’il y ait en Occiden
129
stique. Un Sankara parfois préfigure le thomisme,
et
il arrive à Maître Eckhart de s’exprimer comme un bouddhiste. La Bhag
130
r la foi de leurs ultimes conclusions (condamnées
et
souvent détruites), tandis qu’il ne manque pas d’écoles hindoues pour
131
elle, tandis que nous inventons le collectivisme…
Et
l’on aura beau jeu de m’opposer des textes apparemment ruineux pour m
132
non-Esprit, non-Personne, non-Image, … un Un pur
et
absolu, dépourvu de toute dualité, dans lequel nous devons nous enfon
133
enfoncer éternellement d’un néant à un néant » ?
Et
à l’inverse, quel est le mystique chrétien qui nous rappelle « qu’apr
134
ppelle « qu’après avoir écarté tout attachement »
et
s’être engagé sur la voie de la connaissance divine, « il faut demeur
135
ter dans l’ordre saint Jean de la Croix, Eckhart,
et
la Bhagavad-Gita. Et pourtant il serait faux, plus encore que banal,
136
t Jean de la Croix, Eckhart, et la Bhagavad-Gita.
Et
pourtant il serait faux, plus encore que banal, de répéter ici « tout
137
cercle noir, mais elle est blanche tout de même,
et
non pas grise. Que vaut un homme ? Et finalement, ce qu’il impo
138
même, et non pas grise. Que vaut un homme ?
Et
finalement, ce qu’il importe de voir, ce sont les résultantes majeure
139
ondent sur la négation de nos croyances communes,
et
de nos institutions. Ils représentent le point d’Orient dans notre sp
140
nche, l’Orient ne connaît pas d’Églises. La Bible
et
les Vedas n’ont vraiment rien de commun, et l’usage qu’on en fait n’e
141
Bible et les Vedas n’ont vraiment rien de commun,
et
l’usage qu’on en fait n’est pas du tout le même. La foule de Bénarès
142
nt les réponses les plus révélatrices de l’Orient
et
de l’Occident, et rien n’illustre mieux la divergence réelle des résu
143
s plus révélatrices de l’Orient et de l’Occident,
et
rien n’illustre mieux la divergence réelle des résultantes majeures d
144
n échange de tout ce qu’il avait fait pour Xerxès
et
son armée, pour l’équipement de la campagne contre les Grecs, demande
145
i Xerxès, irrité, fait mettre à mort ce seul fils
et
couper le corps en deux moitiés dans le sens de la longueur. Et entre
146
orps en deux moitiés dans le sens de la longueur.
Et
entre ces deux moitiés sectionnées depuis la tête jusqu’au sexe, comm
147
ileront les armées qui marchent contre les Grecs,
et
dans ces armées se trouveront les quatre frères et le père du coupé e
148
t dans ces armées se trouveront les quatre frères
et
le père du coupé en deux. Ce qui manque ici, c’est l’idée grecque de
149
Ce qui manque ici, c’est l’idée grecque de mesure
et
, en liaison avec elle, l’idée de liberté. Seule l’idée de la mesure d
150
ent cachée ; il faut la déchiffrer dans ses actes
et
ses opinions. Ce qu’il pense de la personne, du destin, ce qu’il proc
151
montrent, non dans sa pensée, mais dans ses faits
et
gestes. Ceci vaut surtout du cas qu’il fait de la vie même. Lorsqu’en
152
des Assassins, leur grand-maître lui fit escorte
et
lui montra au passage ses palais et ses châteaux. Ils arrivèrent deva
153
i fit escorte et lui montra au passage ses palais
et
ses châteaux. Ils arrivèrent devant une place forte flanquée de très
154
princes chrétiens leurs sujets : il leva le bras,
et
deux des gardes se jetèrent dans le vide, pour s’écraser sur le sol r
155
t attendre de ses vassaux une telle docilité […].
Et
chaque Européen éprouvera ici le même sentiment que le comte de Champ
156
ntales dont il se croyait sûr, telles que courage
et
fidélité, obéissance, sacrifice, ordre et discipline, sont ici arrach
157
courage et fidélité, obéissance, sacrifice, ordre
et
discipline, sont ici arrachées de leur place ; l’horreur d’un monde é
158
pas permis de porter atteinte. Ce qui s’y passe,
et
ce qui en provient, ne peut naître que du libre arbitre, sous peine d
159
que du libre arbitre, sous peine de devenir vain,
et
même vil, comme le sont des faveurs obtenues par contrainte. Quand ce
160
aison entre le peu de cas fait de la vie humaine,
et
la négation de la personne, ou simplement de l’individualité. Pour to
161
ns connu les tortures, les bûchers, la guillotine
et
les massacres (patriotiques ou religieux). Elle a même inventé la gue
162
re totale ! D’où provient alors cette « horreur »
et
ce « plus violent des refus » qu’éprouve l’Européen, selon Jünger, de
163
condamne. La cruauté de l’Oriental est fatidique,
et
par suite sans mesure, sans péché, sans contradiction ni remords. Ell
164
, sans contradiction ni remords. Elle est divine,
et
nous sommes criminels. Si le moi n’est qu’une illusion temporaire, ce
165
n qui compte ; mais au contraire, si le moi libre
et
unique est une réalité tenue pour inviolable, rien ne peut justifier
166
ne juge pas. Je constate. Il y a des différences.
Et
mon propos n’est pas de les mettre en relief pour inciter le lecteur
167
ous oblige à n’examiner que des prises partielles
et
typiques. On a vu que j’ai choisi mes exemples dans le domaine religi
168
iorité » de ceci sur cela offre le moins de sens,
et
de fait perd sa pointe, puisqu’on n’y dispose pas d’éléments mesurabl
169
semblé que c’était dans la mystique, la religion
et
leurs explications, que ces options pouvaient être surprises ; car on
170
cela m’importe moins que de les avoir bien vues,
et
de suivre à partir d’un contraste assez simple entre deux conceptions
171
te assez simple entre deux conceptions de l’homme
et
de ses fins, celle dont les conséquences ont formé l’Occident. 1.
172
ulier, par la théologie orthodoxe des catholiques
et
des protestants européens, qui conçoit Dieu comme le Toi de l’homme ;
173
péens, qui conçoit Dieu comme le Toi de l’homme ;
et
l’Asie par ceux des systèmes philosophiques et religieux de l’Inde qu
174
; et l’Asie par ceux des systèmes philosophiques
et
religieux de l’Inde qui conçoivent que le Tout n’est autre que le Je
175
su le bouddhisme, pour recouvrir ensuite le Tibet
et
la Chine, la Malaisie, la Birmanie, et partiellement l’Indonésie, enf
176
e le Tibet et la Chine, la Malaisie, la Birmanie,
et
partiellement l’Indonésie, enfin le Japon. C’est du catholicisme qu’e
177
Amérique du Nord. À la confrontation de l’Europe
et
de l’Inde qui garde une signification centrale, pourrait répondre la
178
t répondre la confrontation de l’Extrême-Occident
et
de l’Extrême-Orient, représentés par deux formes « hérétiques » de la
179
de la religion initiale : le moralisme américain
et
le bouddhisme zen, tous deux antimystiques. Historiquement, la premiè
180
rdée pendant longtemps par le barrage de l’islam,
et
n’a pu s’esquisser qu’à partir du xixe siècle ; la seconde s’opère s
181
provoquée par le choc de la guerre entre le Japon
et
les États-Unis. 6. Cf. Henry Corbin, Avicenne et le récit visionnair
182
et les États-Unis. 6. Cf. Henry Corbin, Avicenne
et
le récit visionnaire, 2 vol. Téhéran, 1954, et du même auteur : Œuvre
183
ne et le récit visionnaire, 2 vol. Téhéran, 1954,
et
du même auteur : Œuvres philosophiques et mystiques de Sohrawardi, to
184
, 1954, et du même auteur : Œuvres philosophiques
et
mystiques de Sohrawardi, tome 1, Téhéran, 1952. On y trouvera le text
185
second du xiie siècle. 7. Relevons qu’Avicenne
et
le mystique soufi écrivaient tous les deux dans cette « circonscripti
186
te « circonscription intermédiaire entre l’Orient
et
l’Occident », que forment, au sens physique cette fois, l’Arabie et l
187
ue forment, au sens physique cette fois, l’Arabie
et
l’Iran. Leur Occident, c’est la Grèce d’Aristote, et leur Orient n’es
188
l’Iran. Leur Occident, c’est la Grèce d’Aristote,
et
leur Orient n’est pas l’Inde ou la Chine, mais celui de la mystique «
189
s traditions coraniques. 8. Je pense à Parménide
et
à Platon, aux gnostiques, à la Pistis Sophia, à saint Augustin et à s
190
gnostiques, à la Pistis Sophia, à saint Augustin
et
à sa fameuse opposition entre cognitio malutina et cognitio vesperlin
191
t à sa fameuse opposition entre cognitio malutina
et
cognitio vesperlina, aux manichéens et aux mystiques soufis, et à leu
192
o malutina et cognitio vesperlina, aux manichéens
et
aux mystiques soufis, et à leurs lointains disciples cathares et « co
193
sperlina, aux manichéens et aux mystiques soufis,
et
à leurs lointains disciples cathares et « courtois », à Pic de la Mir
194
s soufis, et à leurs lointains disciples cathares
et
« courtois », à Pic de la Mirandole, à Jacob Boehme, aux romantiques
195
ob Boehme, aux romantiques allemands philosophes,
et
poètes, et bien sûr, à tous les occultistes européens du Moyen Âge ju
196
aux romantiques allemands philosophes, et poètes,
et
bien sûr, à tous les occultistes européens du Moyen Âge jusqu’à nos j
197
el est pris ici dans son sens strict, initiatique
et
religieux, qui ne doit pas être confondu avec « conservateur », « rou
198
qui estime que la tradition religieuse rend nulle
et
non avenue l’innovation individuelle, et que le but de la recherche h
199
nd nulle et non avenue l’innovation individuelle,
et
que le but de la recherche humaine ne peut pas être le progrès ou l’i
200
dans le lit, se fait abondamment piquer par poux
et
puces, dispensant de la sorte son maître d’avoir à tuer ces insectes.
201
ner, op. cit.) a. Rougemont Denis de, « La voie
et
l’aventure », La Table ronde, Paris, janvier 1957, p. 9-22. b. Il s’
202
u-delà de tous les doutes possibles, les Français
et
les Grecs, les Anglais et les Suisses, les Suédois et les Castillans
203
possibles, les Français et les Grecs, les Anglais
et
les Suisses, les Suédois et les Castillans sont vus comme des Europée
204
es Grecs, les Anglais et les Suisses, les Suédois
et
les Castillans sont vus comme des Européens : il doit y avoir à cela
205
crains, que celle de l’amour. Les Afro-Asiatiques
et
les Arabes savent trop bien ce qu’elle représente : l’entité qui seul
206
phase sur la nature universelle de nos problèmes,
et
partant de là, dénient toute personnalité économique, sociale ou scie
207
ans le domaine de leur spécialité) entre l’Europe
et
le Congo ou le Cachemire, tandis qu’il y en aurait d’insurmontables e
208
en aurait d’insurmontables entre les Britanniques
et
les Français, entre ceux-ci et les Allemands, etc. Un même mouvement
209
e les Britanniques et les Français, entre ceux-ci
et
les Allemands, etc. Un même mouvement de ces esprits les porte à effa
210
astes locaux. On sauve ainsi l’utopie mondialiste
et
les réalités nationalistes, mais on sacrifie en passant notre tâche c
211
i de politique, mais seulement de formes d’esprit
et
de mécanismes d’évasion intellectuelle.) 3. L’argument des contraste
212
, n’est qu’une étourderie aux yeux de l’historien
et
de l’observateur des cultures, mais c’est un dernier refuge pour les
213
? On nous dit que les contrastes entre Allemands
et
Français, Insulaires et Continentaux, Suédois et Grecs (pour ne parle
214
ontrastes entre Allemands et Français, Insulaires
et
Continentaux, Suédois et Grecs (pour ne parler que de géographie, d’h
215
et Français, Insulaires et Continentaux, Suédois
et
Grecs (pour ne parler que de géographie, d’histoire récente et de mod
216
r ne parler que de géographie, d’histoire récente
et
de modes de vie, mais il y a les religions, l’économie, les formes po
217
tiques, etc.), interdisent toute union politique,
et
font douter d’abord de l’unité de culture qui donnerait une assise à
218
de langue, de religion, de « race », de coutumes
et
de niveau de vie entre Bretons et Languedociens, Frisons et Bavarois,
219
», de coutumes et de niveau de vie entre Bretons
et
Languedociens, Frisons et Bavarois, Piémontais et Siciliens, pâtres c
220
au de vie entre Bretons et Languedociens, Frisons
et
Bavarois, Piémontais et Siciliens, pâtres catholiques de l’Appenzell
221
et Languedociens, Frisons et Bavarois, Piémontais
et
Siciliens, pâtres catholiques de l’Appenzell et banquiers protestants
222
s et Siciliens, pâtres catholiques de l’Appenzell
et
banquiers protestants de Genève, n’ont pas empêché l’unification nati
223
tionale de la France, de l’Allemagne, de l’Italie
et
des cantons suisses — pas plus que cette unification, d’ailleurs, n’a
224
insi l’obstacle qu’on pose à l’union de l’Europe,
et
les dangers qu’on redoute de cette union sont également imaginaires,
225
de laquelle on refuse l’union. 2° Si pittoresques
et
voyants que soient les contrastes entre Suédois et Grecs, par exemple
226
t voyants que soient les contrastes entre Suédois
et
Grecs, par exemple, il n’en reste pas moins qu’un Suédois lisant Kaza
227
tzaki, un Grec lisant Selma Lagerlöf, un Français
et
un Allemand lisant ces deux auteurs, y prendront à fort peu de choses
228
assions, les mêmes souffrances, les mêmes espoirs
et
les mêmes doutes, et malgré tout ce qu’il serait tellement facile de
229
uffrances, les mêmes espoirs et les mêmes doutes,
et
malgré tout ce qu’il serait tellement facile de dire, la même foi dom
230
l’homme. 4. Quantité de publicistes découvrent —
et
cela dure depuis des années — que l’Europe n’existe pas comme entité
231
e l’Europe n’existe pas comme entité géographique
et
historique, car ses frontières n’ont pas cessé de se déplacer au cour
232
l’est guère. Conclusion : il n’y a pas d’Europe,
et
si l’on en veut une, il faudra l’inventer. Ce qui ne facilite guère l
233
uère l’œuvre d’union… Ainsi jouent les sophistes,
et
le lecteur s’inquiète : il sent vaguement qu’il est en train de se la
234
non. Le « préalable » d’une définition historique
et
géographique, occasion de discours permettant de surseoir au débat su
235
que l’Europe n’est pas une entité, mais une pure
et
simple expression. En effet, selon le thème connu, elle ne se locali
236
l’Alsace, le Languedoc, la Provence, la Bourgogne
et
la Champagne. C’était tout de même la Suisse, c’était la France ; réf
237
réel, car il s’agit maintenant de sauver ce réel,
et
non pas d’ergoter sur sa définition. En privant le concept Europe de
238
on ne tend à rien de moins qu’à miner son avenir,
et
l’on déprime l’élan vers l’union nécessaire, au lieu de bien montrer
239
s, car il en va d’une civilisation, d’une culture
et
même d’une nation, à peu près comme d’une œuvre d’art : est-elle née
240
s années auparavant ? Ou n’aurait-elle pris forme
et
nom qu’à mi-chemin du travail entrepris, qui a soudain changé de sens
241
u travail entrepris, qui a soudain changé de sens
et
trouvé son vrai sens ? Il importe assez peu, l’œuvre est là. Depuis q
242
titulait pourtant L’Europe est née ! Montesquieu,
et
Leibniz avant lui, mettent l’Europe au-dessus de leur « nation ». Mai
243
uropenses les vainqueurs de ces grandes journées,
et
« répète avec complaisance ce nom qui indique l’éveil d’un sentiment
244
tuaient des cartes de l’Europe en tant que telle,
et
(ce qui est encore plus important) ils étaient le témoignage de l’int
245
moignage de l’intérêt porté au caractère culturel
et
politique des terres dont ils décrivaient les côtes16 ». Mais pour vo
246
les côtes16 ». Mais pour voir les vocables Europe
et
européen entrer dans le vocabulaire courant, il faut attendre les xiv
247
e vocabulaire courant, il faut attendre les xive
et
xve siècles, époque où la chrétienté perd ses prolongements proche-o
248
ngements proche-orientaux, occupés par les Turcs,
et
tend ainsi à se confondre avec l’Europe géographique, cependant qu’à
249
t à distinguer les deux concepts de christianitas
et
d’Europa. C’est enfin dans les œuvres d’un homme qui fut d’abord gran
250
Mahomet II, comme l’héritière chrétienne de Rome
et
de la Grèce. Chacun sait la fortune que devait connaître cette défini
251
me éternelles dans la prose poétique des banquets
et
des éditoriaux du temps de guerre. Passons sur ces excès, voyons la t
252
Passons sur ces excès, voyons la thèse elle-même,
et
le jugement qu’elle implique sur la réalité. On a souvent tenté de ni
253
à définir, mais de la complexité de ses origines
et
de l’importance des influences extracontinentales qu’elle a subies. C
254
rice ne se confond avec les limites accidentelles
et
souvent fort récentes d’un de nos États. Mais sur les autres plans, q
255
de confondre plus longtemps ce mélange de lyrisme
et
d’émouvants souvenirs, d’orgueil injustifié et de vrai patriotisme, a
256
me et d’émouvants souvenirs, d’orgueil injustifié
et
de vrai patriotisme, avec le réalisme politique. La patrie n’est pas
257
l’État, elle est en général beaucoup plus grande.
Et
si l’on confond tout, patrie, État, nation, spirituel, culturel et po
258
d tout, patrie, État, nation, spirituel, culturel
et
politique, dans les limites d’un même cordon douanier et du pouvoir d
259
tique, dans les limites d’un même cordon douanier
et
du pouvoir d’une même police, on obtient finalement ce qu’on mérite,
260
n où elle s’arrête ? Sait-on quand elle est née ?
Et
combien d’arbres il faut pour former une forêt ? J’ai mes racines, vo
261
sure de sauver le concret de nos vies nationales,
et
n’en sacrifierait que l’illusoire, j’entends ce qui est déjà perdu de
262
e, j’entends ce qui est déjà perdu de toute façon
et
qui ne pourrait être récupéré — pour autant que ce soit désirable — q
263
érité sans doute (si elle traduit un mieux-vivre,
et
non pas simplement le résultat matériel d’un effort humainement abrut
264
nir à un ensemble humain plus vaste, plus ancien,
et
plus fort désormais que ne l’est aucune de nos nations. Or cet ensemb
265
a condition nécessaire de l’union supranationale,
et
de l’allégeance qu’elle requiert. Mais la condition suffisante sera d
266
ntre humains, à la matière, au corps, à l’esprit,
et
au temps — en somme, par une culture, au sens où j’emploie le mot. En
267
, au sens où j’emploie le mot. Entre la politique
et
la culture, conçues comme on vient de l’indiquer, le rapport devrait
268
port devrait être analogue au rapport entre forme
et
contenu. Une politique d’union ne devient possible que s’il y a tout
269
ite, ne sera valable que si elle exprime, traduit
et
tend à préserver ce qu’il y a de créateur dans cette communauté. J’en
270
rnablement, mais demeurent en tension — autonomes
et
reliées. Cet équilibre dynamique, toujours risqué, cet art empirique
271
bre dynamique, toujours risqué, cet art empirique
et
subtil de louvoyer entre le Charybde du particularisme étroit et le S
272
uvoyer entre le Charybde du particularisme étroit
et
le Scylla du centralisme niveleur, c’est le secret de la santé europé
273
st le secret de la santé européenne. Ici, culture
et
politique se joignent dans la seule et même exigence d’une union fédé
274
i, culture et politique se joignent dans la seule
et
même exigence d’une union fédérale de nos peuples. 14. Emmanuel Ber
275
ussi H. F. Mueller, A Chronology of Vulgar Latin,
et
Marc Bloch, La Société féodale. 16. Denys Hay, dans Diogène, n° 17,
276
ilise la Vérité, la Raison, la Justice, le Droit,
et
Romain Rolland, que pour triompher d’un épouvantail auquel il accroch
277
uais rien de ce qu’il défend avec tant de passion
et
de juste colère. Je suis très loin de mépriser l’Histoire ; je dis se
278
ire » ; je dis seulement qu’on ne peut la vouloir
et
la faire — donc l’unir par des liens fédéraux — si d’abord on nie qu’
279
ord on nie qu’elle existe comme entité de culture
et
Aventure unique. Je ne pense pas avoir recommandé l’imposture ou la t
280
e si vraiment j’avais préconisé le mensonge utile
et
le « massacre des affamés » ? Je demandais simplement qu’on cesse de
281
entais l’urgence de rappeler que l’Europe ne peut
et
ne doit pas être regardée comme une entité ni comme une fin, mais com
282
aille de Stalingrad avec Staline ou avec Hitler ?
Et
, auparavant, avec ceux qui défendaient ou avec ceux qui démembraient
283
daient ou avec ceux qui démembraient l’Autriche ?
Et
à Leipzig, avec Napoléon ou contre lui ? Il ne suffit pas d’ignorer q
284
Filibusterie à part, je prétends rester européen
et
même bon européen, sans souhaiter, et même sans accepter une Europe q
285
er européen et même bon européen, sans souhaiter,
et
même sans accepter une Europe qui naîtrait de l’imposture et vivrait
286
s accepter une Europe qui naîtrait de l’imposture
et
vivrait de la tyrannie. Je crierai : vive l’Europe ! si elle rétablit
287
corde, non si elle attise la discorde entre l’Est
et
l’Ouest, si elle nourrit les affamés, non si elle les massacre, si el
288
n elle pour répondre du tac au tac à Khrouchtchev
et
même à Dulles, et veut qu’elle fasse déjà sonner le sabre qu’elle n’a
289
re du tac au tac à Khrouchtchev et même à Dulles,
et
veut qu’elle fasse déjà sonner le sabre qu’elle n’a pas encore. Est-c
290
rbeau qui, pour défendre leur “œuvre” accablaient
et
exploitaient ceux qu’elle devait secourir. Je ne prônerai l’Europe ni
291
x. Libre à M. de Rougemont de hausser les épaules
et
de répondre : “Tout cela n’a de sens que pour les professeurs.” Le me
292
it avoir mis une fois pour toutes le cap sur 1984
et
sa fourmilière ; voilà qu’il se détourne horrifié et vire de bord, au
293
sa fourmilière ; voilà qu’il se détourne horrifié
et
vire de bord, aux accents de la Marseillaise, en direction de 1848.
294
uante ans d’analyses pessimistes de notre société
et
de son destin ont culminé dans l’utopie de George Orwell 1984. Il y e
295
uerres mondiales, ruinant le prestige de l’Europe
et
sa puissance, trois révolutions portant au pouvoir des tyrannies tota
296
re « encore » au progrès disqualifiait son homme,
et
l’idée s’empressa d’émigrer aux États-Unis et en URSS. Les penseurs d
297
me, et l’idée s’empressa d’émigrer aux États-Unis
et
en URSS. Les penseurs de l’Europe, à peu près unanimes, entrèrent en
298
ope, à peu près unanimes, entrèrent en dissidence
et
se mirent à dénoncer sur tous les tons le monde moderne. Pieusement o
299
ns, de la fin de tout. L’Anti-moderne de Maritain
et
Les Temps modernes de Chaplin, la métaphysique pure et les clichés pr
300
s Temps modernes de Chaplin, la métaphysique pure
et
les clichés primaires, les dénonciations impuissantes et les justific
301
clichés primaires, les dénonciations impuissantes
et
les justifications ignobles des dictatures totalitaires, tout annonça
302
me aux puissances anonymes, la machine, la police
et
l’État. Orwell n’eut qu’à pousser un peu plus loin. Il n’eut qu’à met
303
sme européen avait trouvé son expression suprême.
Et
Kafka n’était plus que le Jean-Baptiste d’une sorte d’Évangile à rebo
304
Les émeutes de Poznań, la résistance de Varsovie
et
la révolution de Budapest ont renversé le cours de cette immense déri
305
est ont renversé le cours de cette immense dérive
et
restauré d’un coup l’espoir. La nature humaine, niée par Sartre, trio
306
s les rues de Budapest. Sa faculté de revendiquer
et
d’imposer un sens positif à la vie, niée par Kafka, s’est attestée da
307
tsia de l’Ouest voyait venir Quatre-vingt-quatre.
Et
soudain, celle de l’Est lui répond Quarante-huit. C’est quatre-vingt-
308
depuis un demi-siècle, dans les lettres, les arts
et
la philosophie, sait qu’il faut être subversif ou pessimiste, ou les
309
it m’objecter Valéry, hédoniste épris de la règle
et
persuadé de la valeur des conventions ; mais n’est-ce pas lui qui ouv
310
notre civilisation est mortelle comme les autres
et
prédit à la fin que nous allons vers la « parfaite et définitive four
311
rédit à la fin que nous allons vers la « parfaite
et
définitive fourmilière » ? On pourrait m’objecter Claudel, optimiste
312
it m’objecter Claudel, optimiste de style baroque
et
fonctionnaire du premier rang ; mais sa phrase est plus subversive qu
313
ve que tout ce qui passe pour tel dans les cafés,
et
sa foi prend l’allure d’un défi. On pourrait m’objecter Saint-John Pe
314
t celles de Nietzsche, de Rimbaud, de Kierkegaard
et
de Dostoïevski. Il est remarquable que ce siècle n’ait retenu du préc
315
eois, j’entends bien dans le domaine de l’éthique
et
de l’esprit. Mais rien ne compte en fait que par la bourgeoisie. C’es
316
isie. C’est elle seule, par ses franges cultivées
et
conscientes, qui a fait le succès posthume des grands génies maudits,
317
es maudits, ignorés ou refoulés par ses ancêtres.
Et
c’est elle aujourd’hui qui est prise d’angoisse devant ce qu’ils déno
318
s, qu’il ne peut imposer qu’un régime soviétique,
et
qu’Orwell a dit vrai malgré lui. Curieux pouvoir des pessimistes de l
319
éficie des soins jaloux de l’État. Encore un peu,
et
la technique elle-même l’aura délivré de la chaîne. Mais c’est le bou
320
lors à craindre le règne inexorable des machines,
et
qui conçoit, avec cent ans de retard, un pessimisme fataliste et rési
321
avec cent ans de retard, un pessimisme fataliste
et
résigné. Dans ce décalage séculaire entre la conscience et le réel, n
322
é. Dans ce décalage séculaire entre la conscience
et
le réel, naît l’idée d’une pensée impuissante, d’une réalité terrifia
323
une pensée impuissante, d’une réalité terrifiante
et
d’un sens fatal de l’Histoire, dont Big Brother sera l’aboutissement.
324
dominent pourtant ce tableau. L’influence de Marx
et
de Freud sur les classes dirigeantes de l’Occident dépasse de loin la
325
pu prendre du Capital ou de la Science des rêves,
et
les jugements qu’elles avoueraient à leur sujet. Marx et Freud ont be
326
jugements qu’elles avoueraient à leur sujet. Marx
et
Freud ont beaucoup en commun, et, par-dessus tout, leur succès parmi
327
leur sujet. Marx et Freud ont beaucoup en commun,
et
, par-dessus tout, leur succès parmi ceux qu’ils ont « démasqués » ave
328
i ceux qu’ils ont « démasqués » avec un zèle amer
et
quelque peu sadique. Ce succès n’est pas dû à la lecture de leurs œuv
329
n’est pas dû à la lecture de leurs œuvres ardues
et
complexes, mais à l’intention polémique qui dirigea leur entreprise,
330
’intention polémique qui dirigea leur entreprise,
et
qui imposa leur angle de vision même à ceux qui refusaient leurs thès
331
nversations de la table de famille ou des salons,
et
c’étaient le Sexe et l’Argent. Tout devait avoir l’air de se passer d
332
le de famille ou des salons, et c’étaient le Sexe
et
l’Argent. Tout devait avoir l’air de se passer dans le monde comme si
333
hropes » ; les enfants naissaient dans les choux,
et
le langage d’un homme tel que Victor Hugo (sauf dans ses petits carne
334
ons du sexe, c’est le secret du drame individuel.
Et
voilà le choc de la reconnaissance, l’illumination fulgurante, l’illu
335
urante, l’illusion que le facteur oublié, refoulé
et
nié en dépit du bon sens, dès l’instant qu’on le produit au grand jou
336
ns « uniques » qui semblaient au début exclusives
et
totales. Appliquer l’analyse marxiste au milieu social de Freud, la p
337
au cas individuel de Marx, les critères freudiens
et
marxistes à la Bourgeoisie même et au Prolétariat (cette figure de te
338
ères freudiens et marxistes à la Bourgeoisie même
et
au Prolétariat (cette figure de terreur longtemps refoulée dans l’inc
339
re l’intention polémique qui animait ces systèmes
et
fit leur grand succès, mais qui limite aussi leur valeur scientifique
340
. Que Freud soit dépassé dans son propre domaine,
et
surtout débordé par le retour en force de réalités religieuses qu’il
341
ds génies aient puissamment modelé le xxe siècle
et
modifié notre approche du réel. Cependant les déterminismes qu’ils cr
342
autour de 1900) comme un cas limité dans l’espace
et
le temps. D’autre part, l’ascension d’un Staline, son long règne et s
343
re part, l’ascension d’un Staline, son long règne
et
sa chute posthume, les grandes explosions libertaires du « Printemps
344
explosions libertaires du « Printemps » polonais
et
de l’Octobre hongrois, enfin l’essor libérateur de la technique dans
345
ne « mystification » comme eût dit Marx lui-même,
et
le « mouvement de l’histoire » un mauvais alibi pour nos démissions p
346
nelles. Le droit d’opposition redevient créateur.
Et
la question n’est plus de supputer le « sens inévitable » de l’Histoi
347
nien, l’épurait, si j’ose dire, le rationalisait,
et
le poussait à ses extrêmes conséquences. Tout portait l’intelligentsi
348
elle-même, pour briser le cours de cette fatalité
et
pour renverser nos destins ? Le traumatisme provoqué par la brève tra
349
umatisme provoqué par la brève tragédie hongroise
et
ressenti profondément dans toute l’Europe, mais aussi en Asie, et plu
350
ondément dans toute l’Europe, mais aussi en Asie,
et
plus qu’on ne pense en URSS, n’aurait-il pas créé l’illusion romantiq
351
ue faisait prévoir la « décadence de l’Occident »
et
considérait comme fatal l’écrasement de l’Europe entre les blocs. Un
352
issipe les illusions tenaces qu’ils prolongeaient
et
révèle une tendance générale au réveil des valeurs de liberté. Premi
353
pitalisme exploiteur, promis aux crises cycliques
et
à la paupérisation croissante des travailleurs. L’URSS était donc l’a
354
ctique. Ils le jugent grossièrement matérialiste,
et
au surplus de mauvaise foi. Plus finement, Bertrand de Jouvenel, comp
355
Jouvenel, comparant les économies des États-Unis
et
de l’URSS, a montré que l’entreprise communiste n’apporte rien qui la
356
: l’une marquée par « l’accumulation du capital »
et
« l’exploitation du travailleur », avait pour agent historique le cap
357
t l’œuvre du communisme. Or l’examen des chiffres
et
des faits conduit à la conclusion suivante : « C’est l’économie capit
358
te des États-Unis qui a passé à la seconde phase,
et
c’est l’économie communiste l’URSS qui se trouve dans la première. »
359
iels. Si l’on néglige les étiquettes mystifiantes
et
qu’au lieu de lire les prospectus publicitaires vantant les bienfaits
360
on voit que le progrès est à l’Ouest, le servage
et
la loi d’airain à l’Est, et qu’une classe ouvrière mieux informée qu’
361
à l’Ouest, le servage et la loi d’airain à l’Est,
et
qu’une classe ouvrière mieux informée qu’endoctrinée, si elle a à cho
362
lupart des ouvriers hongrois réfugiés en Autriche
et
libres de parler. Il n’en reste pas moins frappant de constater que l
363
condamnée. » — L’Europe détrônée par deux guerres
et
ruinée par sa division en vingt-cinq États « souverains » — incapable
364
minieux : l’Est aux Russes, l’Ouest à l’Amérique,
et
le Centre neutralisé. Sa décadence paraissait donc irréversible. Le m
365
endemain de la guerre par les congrès de Montreux
et
de La Haye, a produit le Conseil de l’Europe, CECA, le Marché commun
366
it le Conseil de l’Europe, CECA, le Marché commun
et
Euratom. Il serait plus qu’étrange qu’on puisse l’arrêter là. L’Assem
367
r fédéral devrait en résulter, car tout l’appelle
et
sa nécessité est inscrite dans les faits, si elle ne l’est pas encore
368
dépendant. Mais ils peuvent l’être tous ensemble,
et
ils commencent à le savoir. 330 millions d’habitants à l’ouest du rid
369
t, feraient un ensemble supérieur aux Soviétiques
et
aux Américains additionnés. Je ne parle que des chiffres, non de la q
370
— on monte, on culmine, on chancelle, on décline,
et
l’on meurt fatalement — se verront démenties par le nouvel essor d’un
371
essor d’une Europe reprenant la tête du progrès.
Et
c’est une autre prophétie, qui deviendra vraie, celle de Proudhon, qu
372
toire dépend de nouveau de ce que nous en ferons,
et
non plus d’une courbe mythique, d’une Évolution bien tracée, ou d’un
373
s asservissent déjà nos corps, dictent nos gestes
et
le rythme de nos journées. Encore un peu, et les cerveaux électroniqu
374
stes et le rythme de nos journées. Encore un peu,
et
les cerveaux électroniques dicteront nos pensées par radio. Adieu Nat
375
ences disciplinées. C’en sera fait de la liberté,
et
du droit d’hésiter, d’errer… Les savants, apprentis sorciers, ont déc
376
trop froid pour la saison, les accidents bizarres
et
les fous se multiplient, les avions tombent, croyez-moi, c’est la Bom
377
manière de parler abusivement prise à la lettre,
et
donc fautive. Les machines envahissent nos vies ? Si seulement ! Car
378
our, spontanément, dans l’intention de m’envahir.
Et
pas même une machine à laver. Que de mal, au contraire, dans ma campa
379
u’un qui l’actionne. Comme vous ne savez pas qui,
et
que le bruit vous agace, vous vous décidez à répondre. Vous n’êtes do
380
Nature ? Mais je vois au contraire que l’express
et
l’avion, le scooter et la petite voiture, jettent les foules citadine
381
au contraire que l’express et l’avion, le scooter
et
la petite voiture, jettent les foules citadines sur les plages, dans
382
foules citadines sur les plages, dans les neiges
et
dans les forêts. Qu’il y ait là quelque excès, j’en conviens, mais c’
383
elque excès, j’en conviens, mais c’est la Nature,
et
non l’homme, qui aurait ici le droit de se plaindre. Vous citez l’app
384
it de se plaindre. Vous citez l’apprenti sorcier.
Et
qui ne l’a pas cité, quel journaliste ? En pensant à la Bombe, bien s
385
n’est pas elle qui est dangereuse, c’est l’homme.
Et
les cerveaux électroniques (par métaphore) ne font rien qu’on ne leur
386
i leurs penseurs, mais bien les ouvriers du xixe
et
les travailleurs à la chaîne dans les usines américaines. Car eux seu
387
américaines. Car eux seuls ont subi physiquement,
et
peut-être encore plus moralement, la tyrannie des rythmes mécaniques.
388
’un mécanisme mort », selon l’expression terrible
et
juste de Marx. Or il se trouve précisément que les robots viennent le
389
es le croient encore sur la foi de quelques films
et
de la science-fiction. C’est encore moins un homme esclave de la mach
390
parlé. Le mal dénoncé en son temps par Karl Marx
et
Proudhon, que l’on n’écoutait pas, tenait à la semi-automatisation de
391
u dangereuse à manier, mais aussi de la monotonie
et
du rythme inhumain de travail qu’imposaient la machine et la chaîne.
392
thme inhumain de travail qu’imposaient la machine
et
la chaîne. Le remède était donc le robot, dont l’application générale
393
lculables. L’usine sans ouvriers, produisant jour
et
nuit sous la seule surveillance d’un groupe d’opérateurs, signifie si
394
. Généralisée dans l’avenir, elle rendra superflu
et
sans objet le moment dialectique de la révolution donnant le pouvoir
395
itués par la technique elle-même. Comment prévoir
et
mesurer l’ampleur des transformations initiées par cette libération t
396
st le problème des loisirs qui s’ouvre largement,
et
tous les problèmes qui en dépendent pour l’éducation des enfants, des
397
endent pour l’éducation des enfants, des adultes,
et
des techniciens. C’est le problème des moyens de culture, qui seront
398
questions immenses que je laisse aux économistes,
et
aux sociologues, tous alertés, au-delà des problèmes classiques de pl
399
au-delà des problèmes classiques de plein-emploi
et
de temps de travail, le problème de l’emploi du temps, qui se pose à
400
du déclin de l’Occident, du déclin de la culture,
et
de la fatalité des tyrannies prochaines, de laisser pour un temps ces
401
geants, leur ayant accordé assez de complaisance,
et
de considérer la nouveauté de l’époque : bel exercice pour une pensée
402
a cherchant, en acceptant d’envisager ses risques
et
de les courir d’abord en imagination. Je propose une idée renouvelée
403
sement du risque humain… Mais il y a trop à dire,
et
d’autres vont parler. Je n’étais pas venu pour conclure, mais pour ou
404
osé à la fois de fonctionnaires français des Arts
et
Lettres (anciens ministres des Beaux-Arts directeurs, etc.), de milit
405
l Brion, Paul Vialar), de critiques (Robert Kemp)
et
d’une directrice de théâtre (Mary Morgan). Tout ce monde s’est entend
406
« exalte le plus clairement les qualités humaines
et
propose un sens moral au lecteur ». C’est donc sa récente Aventure de
407
re. Plus d’un jury pensait à me donner une palme.
Et
il y avait toujours, au dernier moment, quelqu’un qui se levait pour
408
tal qui paraît simultanément à New York, Londres
et
Paris est destinée, me dit Denis de Rougemont, à répandre un peu plus
409
Scandinavie, la Suisse, pour eux, c’est tout un.
Et
quand on me demande où commence et où finit l’Europe, j’assure que, p
410
c’est tout un. Et quand on me demande où commence
et
où finit l’Europe, j’assure que, plutôt que discuter de frontières mo
411
la civilisation européenne à travers son histoire
et
d’en mesurer les effets. C’est ce que j’ai tenté dans mon livre et ma
412
es effets. C’est ce que j’ai tenté dans mon livre
et
ma conclusion est tout à fait optimiste : on parle en effet de décade
413
à l’heure européenne ? L’Europe dévore les nuits
et
les jours de Denis de Rougemont. Il ne peut écrire de livres qu’entre
414
eut écrire de livres qu’entre onze heures du soir
et
quatre heures du matin, mais ce régime doit lui convenir puisqu’il an
415
les moyens. À condition que cette fin soit juste
et
, pour s’opposer à Nietzsche, en considérant que, par exemple, la puis
416
C’est, dit Rougemont, une question de feux rouges
et
de feux verts, de contrat pour la commodité générale. Une morale pers
417
nérale. Une morale personnaliste en quelque sorte
et
l’on se rappelle à ce propos les débuts de Rougemont qui milita avec
418
ouver en Denis de Rougemont un de ces théoriciens
et
philosophes qui sourient avec une pointe de condescendance devant les
419
ée de cet opéra où Rougemont sut se montrer poète
et
où Honegger trouva une de ses plus grandes réussites. Je songe toujou
420
noncé. Je prends des notes. Au fait, je considère
et
rédige comme un poème un livre tel que L’Aventure de l’homme occiden
421
es valeurs européennes tient dans l’œuvre de Bach
et
dans celle de Mozart. La Messe en ut mineur réduit à peu de chose tou
422
’homme européen a conçu de plus pur, de plus fort
et
de plus exaltant. Voilà l’Europe suprême, elle n’ira pas plus haut, p
423
st elle qui les a créées. Nous l’oublions souvent
et
les « autres » l’ignorent ; ils voient plus facilement ce qui est bea
424
au niveau du contact brutal entre leurs coutumes
et
nos armes, leur sagesse quotidienne et nos machines. Nos péchés sont
425
s coutumes et nos armes, leur sagesse quotidienne
et
nos machines. Nos péchés sont criants, et tout Bandung les crie, mais
426
idienne et nos machines. Nos péchés sont criants,
et
tout Bandung les crie, mais il n’entend pas nos grandeurs, car la mus
427
crit dans une situation dominée par le malentendu
et
toute chargée de tragédies latentes. En voici la formule la plus simp
428
n’est pas co-extensive avec celle de nos produits
et
n’en est pas non plus contemporaine ; elle reste loin derrière dans l
429
mporaine ; elle reste loin derrière dans l’espace
et
le temps. Tel est le drame. Il intéresse l’avenir de tous les peuples
430
varie d’une manière considérable selon les pays,
et
à l’intérieur même de presque tous les pays. L’Europe latine, anglo-s
431
que tous les pays. L’Europe latine, anglo-saxonne
et
germano-scandinave, conservatoire et laboratoire de toute l’histoire,
432
nglo-saxonne et germano-scandinave, conservatoire
et
laboratoire de toute l’histoire, de toutes les valeurs et de tous les
433
atoire de toute l’histoire, de toutes les valeurs
et
de tous les produits d’ordres divers qui ont caractérisé notre civili
434
sente évidemment la densité maxima. Les Amériques
et
certains pays du Commonwealth forment une zone de diffusion occidenta
435
mais un peu moins dense, parce que moins ancienne
et
moins complexe du point de vue des valeurs et des tensions. Le Sud-Es
436
nne et moins complexe du point de vue des valeurs
et
des tensions. Le Sud-Est européen, de la Puszta hongroise à l’Asie Mi
437
qui furent éliminées avec les anciennes classes,
et
de valeurs autochtones et populaires systématiquement refoulées. Repo
438
les anciennes classes, et de valeurs autochtones
et
populaires systématiquement refoulées. Reportées sur un planisphère,
439
bre sur l’Europe médiane tandis que les Amériques
et
l’Australie seraient en rouge vif, les franges sud-est de l’Europe en
440
uge vif, les franges sud-est de l’Europe en rose,
et
l’URSS en quadrillé rouge et blanc. Quant à l’Asie et à l’Afrique, il
441
de l’Europe en rose, et l’URSS en quadrillé rouge
et
blanc. Quant à l’Asie et à l’Afrique, il faudrait y marquer des point
442
’URSS en quadrillé rouge et blanc. Quant à l’Asie
et
à l’Afrique, il faudrait y marquer des points rouges, indiquant la pl
443
plupart des grandes villes, quelques taches roses
et
, sporadiquement, des stries plus ou moins serrées. Le Japon s’est not
444
des quartiers européens à Bombay comme à Capetown
et
à Hong Kong17 et des décors industriels aux confins de la jungle ou e
445
opéens à Bombay comme à Capetown et à Hong Kong17
et
des décors industriels aux confins de la jungle ou en plein désert. E
446
’État venue d’Europe : le marxisme ; la technique
et
les armes de l’Occident ; l’alphabet substitué aux idéogrammes ; et l
447
Occident ; l’alphabet substitué aux idéogrammes ;
et
le contrôle des naissances. Ce tableau de la diffusion de notre civil
448
rités de transmission, d’influences tantôt vagues
et
générales et tantôt sélectives à l’excès, qu’on en vient à se demande
449
smission, d’influences tantôt vagues et générales
et
tantôt sélectives à l’excès, qu’on en vient à se demander ce que peut
450
du. Ici, l’on se contente d’importer nos machines
et
nos armements, là nos formes politiques, partis et parlements. Plus t
451
t nos armements, là nos formes politiques, partis
et
parlements. Plus tard, telle nation neuve ou telle fraction de son in
452
existence, désacralisée, rationalisée, scientiste
et
démocratique. Plus rarement, secrètement, parfois inconsciemment, nos
453
ent, nos valeurs spécifiques se voient assimilées
et
retrouvent leur pouvoir créateur, mutuellement modérateur, humanisant
454
r le know how des procédés techniques, politiques
et
sociaux les plus voyants et les plus récemment mis au point par notre
455
echniques, politiques et sociaux les plus voyants
et
les plus récemment mis au point par notre civilisation. Le système tr
456
e très complexe des valeurs spirituelles, morales
et
intellectuelles qui explique seul la genèse de ces « produits », qui
457
s », qui définit ou qui limite leur mode d’emploi
et
donne un sens à l’aventure occidentale, ce système de valeurs reste i
458
expressément combattu par leurs guides spirituels
et
politiques. Le décalage sans cesse croissant entre le rythme d’expans
459
ssant entre le rythme d’expansion de nos produits
et
celui de nos valeurs régulatrices est en train de fomenter dans le mo
460
achines-outils ; c’est très joli, cela nous amuse
et
c’est utile, mais pourquoi n’y joignez-vous pas un petit livre expliq
461
s, pourquoi vous avez eu l’idée de les construire
et
comment ils expriment et transportent, en fait, tout un monde de vale
462
l’idée de les construire et comment ils expriment
et
transportent, en fait, tout un monde de valeurs complètement étranger
463
de solfège aux enfants d’une école de Djakarta ;
et
quand ils eurent appris les notes de notre gamme, elle leur dit : com
464
ne rappelaient rien de leur musique indonésienne
et
ne faisaient que réinventer les lieux communs de chansons européennes
465
cheval de Troie. Nous avons évacué nos guerriers
et
retiré nos fonctionnaires, mais nous ramenons subrepticement, et sans
466
onctionnaires, mais nous ramenons subrepticement,
et
sans le savoir, des occupants plus efficaces et plus puissants, car c
467
, et sans le savoir, des occupants plus efficaces
et
plus puissants, car c’est aux pensées qu’ils commandent, aux sentimen
468
aux sentiments, aux sources mêmes de l’invention
et
de la compréhension de la vie. Nos machines et nos raisonnements, nos
469
on et de la compréhension de la vie. Nos machines
et
nos raisonnements, nos formes d’art et de gouvernement transportent a
470
s machines et nos raisonnements, nos formes d’art
et
de gouvernement transportent au loin des champs de force qui vont agi
471
s, mais ne pouvant les communiquer, les expliquer
et
les faire vivre. Les trois aspects de notre message Que répondre
472
de notre message Que répondre à ces Orientaux,
et
bientôt à ces Africains, qui nous demandent avec anxiété, non point d
473
ser comme ils sont, dans leur « sagesse » intacte
et
leur famine, mais de déclarer nos valeurs ? Ils nous obligent à nous
474
er sur ce qui va de soi dans nos façons de penser
et
nos conduites habituées ; à prendre conscience, devant eux, de ce que
475
re conscience, devant eux, de ce que nous croyons
et
voulons ; à réviser sous leur regard méfiant les illusions de notre «
476
rois ordres : produits, principes de vie publique
et
valeurs. Produits : les machines, la technique, l’industrie, le conf
477
le confort matériel, les procédés de construction
et
d’alimentation, l’hygiène ; les sociétés, les capitaux et leur mode d
478
mentation, l’hygiène ; les sociétés, les capitaux
et
leur mode d’emploi ; la commune et les syndicats ; le suffrage univer
479
, les capitaux et leur mode d’emploi ; la commune
et
les syndicats ; le suffrage universel, les parlements, l’État central
480
es parlements, l’État centralisé, la bureaucratie
et
les partis ; l’instruction publique et la presse ; les œuvres d’art.
481
reaucratie et les partis ; l’instruction publique
et
la presse ; les œuvres d’art. Principes de vie publique : la séparat
482
cipes de vie publique : la séparation du temporel
et
du spirituel ; la séparation des pouvoirs et la réglementation de leu
483
orel et du spirituel ; la séparation des pouvoirs
et
la réglementation de leurs rapports ; l’égalité devant la loi, la lib
484
du groupe garantie par la justice (habeas corpus
et
droit d’association) ; le droit à l’opposition (majorité possible de
485
le droit de libre expression, le droit au travail
et
à la sécurité sociale ou privée (assurances, retraites, etc.), la sou
486
nces, retraites, etc.), la souveraineté nationale
et
l’idée d’une loi internationale… Valeurs : la personne humaine consi
487
liberté, l’interdépendance étroite de la liberté
et
de la justice, le but de la justice étant de protéger les libertés et
488
but de la justice étant de protéger les libertés
et
la garantie interne des libertés consistant dans le sens de la respon
489
) ; la reconnaissance de la réalité de la matière
et
du corps ; la croyance à la raison et à la rationalité du cosmos ; la
490
la matière et du corps ; la croyance à la raison
et
à la rationalité du cosmos ; la foi au transcendant, l’amour de Dieu
491
cosmos ; la foi au transcendant, l’amour de Dieu
et
du prochain. On voit sans peine que nos produits sont les plus facile
492
que nos produits sont les plus faciles à exporter
et
les plus rapidement acceptés hors d’Europe ; que nos principes de vie
493
lement invoqués, mais principalement contre nous,
et
dans la mesure où ils condamnent notre présence ; enfin que nos valeu
494
ficiles à « vendre » (au sens américain du verbe)
et
sont le plus souvent totalement ignorées. Mais ce qu’il m’importe de
495
m’importe de montrer, c’est comment ces produits
et
ces principes procèdent en réalité de nos valeurs, et ne trouvent que
496
es principes procèdent en réalité de nos valeurs,
et
ne trouvent que par elles, dans le champ magnétique qu’elles définiss
497
es, dans le champ magnétique qu’elles définissent
et
qu’elles propagent, leurs vertus créatrices, leurs mesures et leur se
498
propagent, leurs vertus créatrices, leurs mesures
et
leur sens. La machine passe généralement pour le produit le plus typi
499
ablissant enfin sur les bases autonomes du calcul
et
de l’expérimentation ; de la philanthropie illuministe, héritière des
500
ie illuministe, héritière des rêves alchimiques ;
et
de la raison profane, égalitaire, balayant les coutumes sacrées et le
501
rofane, égalitaire, balayant les coutumes sacrées
et
les entraves ancestrales. Mais d’où venaient cette science et cette r
502
ves ancestrales. Mais d’où venaient cette science
et
cette raison hardie rénovant les institutions, et cette ambition sing
503
et cette raison hardie rénovant les institutions,
et
cette ambition singulière de transformer le monde matériel ? Si l’on
504
l’on remonte à leurs origines, on trouve la Grèce
et
le christianisme, c’est-à-dire le respect de la vérité objective, la
505
le respect de la vérité objective, la dialectique
et
la libre critique d’une part, et d’autre part la conviction de la réa
506
, la dialectique et la libre critique d’une part,
et
d’autre part la conviction de la réalité de la matière, objet futur d
507
ient mais affirmée par le dogme de l’Incarnation)
et
la croyance profonde que le cosmos, créé par Dieu, n’est pas absurde
508
trueuses ; il vaut la peine d’en scruter les lois
et
il attend de l’homme d’être compris, révélé, voire sauvé, selon saint
509
mêmes de l’Europe ; la notion grecque d’individu
et
la notion chrétienne de personne. La première remonte aux philosophes
510
s, à l’occasion des grands débats sur la Trinité,
et
se lia par la suite indissolublement à la notion de vocation personne
511
la conjonction séculaire de ces valeurs grecques
et
chrétiennes que procède l’idée de liberté dans ses différentes accept
512
s attitudes fondamentales de la psyché européenne
et
les principes ou les produits qui manifestent son activité, il appara
513
l apparaît clairement que l’usage de ces produits
et
le recours à ces principes ne peuvent aller sans impliquer le système
514
Occident, entraîne des conséquences incalculables
et
généralement chaotiques. Le contact de la civilisation occidentale et
515
tiques. Le contact de la civilisation occidentale
et
des coutumes arabes en Algérie nous en donne un exemple tragique. Il
516
ragique. Il ne s’agit nullement ici de politique,
et
ce n’est qu’en vertu d’un accident de l’histoire que la France paraît
517
l influence. Théoriquement, deux solutions nettes
et
radicales se conçoivent : ou bien garder pour nous ce qui ne peut que
518
bien garder pour nous ce qui ne peut que troubler
et
déséquilibrer les autres, ou bien imposer nos valeurs en même temps q
519
s importante de la seconde moitié du xxe siècle.
Et
c’est sans doute la première fois dans toute l’histoire qu’un même pr
520
orté à l’humanité des connaissances, des méthodes
et
certaines conceptions qui forment un héritage dont M. de Rougemont mo
521
t M. de Rougemont montre l’importance. Philosophe
et
écrivain suisse, Denis de Rougemont a su depuis longtemps découvrir,
522
u depuis longtemps découvrir, grâce à ses voyages
et
à ses travaux, les problèmes de base qui se posent à l’Occident. Son
523
n des Six, la zone de libre-échange des Dix-Sept,
et
leur future intégration dans le cadre d’une Grande Europe associée au
524
seulement une politique à long terme, mais aussi
et
peut-être d’abord une préparation proprement intellectuelle, par quoi
525
quoi j’entends un vaste effort de libre réflexion
et
d’imagination de la part des économistes, et une prise de conscience
526
xion et d’imagination de la part des économistes,
et
une prise de conscience économique dans le grand public. L’étude des
527
ans le grand public. L’étude des réalités de base
et
des problèmes présents de l’économie, incroyablement négligée par l’É
528
e la démocratie fonctionne. L’honnête homme vote,
et
sa voix détermine l’économie de son pays, que ce soit d’une manière d
529
t au moins. D’autre part, les travaux des experts
et
des économistes professionnels restent généralement inaccessibles au
530
s ne prévoient d’être lus que par leurs étudiants
et
leurs collègues. Entre un public ignorant mais qui vote, des experts
531
mais qui vote, des experts liés par leur mission,
et
des savants privés d’une large audience, peu ou point d’échanges effi
532
éfléchir librement sur les problèmes économiques,
et
il faudrait y réfléchir en groupe, car ces problèmes sont trop comple
533
re une vingtaine d’économistes, à la fois réputés
et
indépendants, pour leur poser une question populaire et d’une simplic
534
épendants, pour leur poser une question populaire
et
d’une simplicité presque choquante, une question qu’il jugeait présen
535
ue choquante, une question qu’il jugeait présente
et
vraiment agissante dans l’opinion : Que se passerait-il si… les front
536
and public — précédé par beaucoup d’intellectuels
et
suivi par beaucoup de députés — n’hésite pas, lui, à jouer le jeu de
537
mes, tandis que les experts croient aux chiffres,
et
que les militants de l’Europe fédérée croient aux bienfaits automatiq
538
se sont réunis deux fois, à six mois de distance,
et
leurs débats ont été chauds. Tout parti pris de militant leur eût par
539
en commun, la rédaction strictement individuelle,
et
la mise au point réciproque. Que pouvons-nous attendre de ces études
540
rs brochures de large diffusion18, à des articles
et
à des émissions de radio. Mais c’est leur publication en recueil qui
541
rrigeant les autres. Aux économistes, industriels
et
commerçants, elles apporteront des analyses d’une rare objectivité. Q
542
qui se posent, mais aussi des espoirs autorisés,
et
dans bien des cas, assurés. Étrange Europe, qui a tout pour elle si e
543
s chances de grandeur, à guérir de son pessimisme
et
de ses crampes nationalistes… Puisse cet ouvrage contribuer à ranimer
544
directeur des séminaires du CEC ; Marché commun
et
Euratom , et L’Europe s’inscrit dans les faits , publications du CEC
545
s séminaires du CEC ; Marché commun et Euratom ,
et
L’Europe s’inscrit dans les faits , publications du CEC. j. Rougem
546
Europe
et
culture (1958)k On peut créer une fédération européenne, et il le
547
958)k On peut créer une fédération européenne,
et
il le faut. Mais on ne peut pas créer une culture européenne et perso
548
Mais on ne peut pas créer une culture européenne
et
personne ne l’a jamais demandé, pour la simple raison qu’une culture
549
une culture ne se crée pas comme une institution,
et
qu’au surplus la culture européenne existe. C’est même elle, et elle
550
us la culture européenne existe. C’est même elle,
et
elle seule, qui nous permet de parler de l’Europe comme d’une unité e
551
ormisation culturelle » comme conséquence lugubre
et
fatale de l’union politique, sont parfois en réalité des adversaires
552
réalité des adversaires politiques de cette union
et
le sort de la culture leur importe très peu ; mais ils sont plus souv
553
’ailleurs aux langues, aux coutumes folkloriques,
et
aux frontières naturelles (chaînes de montagnes ou rivières). On ne p
554
pense qu’il faut répondre oui aux deux questions.
Et
ce paradoxe apparent définit assez bien le rôle que doit aujourd’hui
555
ourne aujourd’hui contre elle les armes physiques
et
morales que son génie seul a créées pour le meilleur et pour le pire
556
ales que son génie seul a créées pour le meilleur
et
pour le pire ; et que cette culture est commune à tous les peuples de
557
seul a créées pour le meilleur et pour le pire ;
et
que cette culture est commune à tous les peuples de l’Europe, puisque
558
urope sans ce qui la définit. Cette culture fonde
et
manifeste l’unité qui est la vraie base de notre union ; mais d’autre
559
raités : personne n’y croit. (On attend de voir…)
Et
certes il fallait dire : unissons-nous ! Certes, il fallait ratifier
560
toujours perdant sur l’homme, mais par l’esprit,
et
pour parler plus sobrement, par ces quelques actions précises : 1° Ré
561
e l’existence première de « cultures nationales »
et
de « l’éternité » de nos États-nations (formés pour la plupart depuis
562
depuis moins de cent ans…) 2° Informer les élites
et
les masses, leur montrer le drame de l’Europe, mais aussi le rôle déc
563
sformations du monde au xxe siècle, sa vocation,
et
son avenir si elle s’unit. 3° Créer des instruments de coopération po
564
dialogue entre la culture européenne d’une part,
et
les cultures asiatiques, islamiques, russe et américaine d’autre part
565
rt, et les cultures asiatiques, islamiques, russe
et
américaine d’autre part : car confrontés avec le Monde, tous les Euro
566
Monde, tous les Européens se découvriront frères,
et
verront mieux leur vocation commune. ⁂ Solutions dispersées, besoin
567
grès européen de la culture se réunit à Lausanne,
et
définit les tâches du Centre européen de la culture, du Collège d’Eur
568
e (Bruges), d’une association des universitaires,
et
d’un Laboratoire européen de recherches nucléaires (fondé en 1953 sou
569
ès de La Haye, est constitué neuf mois plus tard,
et
comporte dès le début une direction culturelle, coiffée d’un Comité d
570
’experts des 16 gouvernements membres. Il élabore
et
fait ratifier une Convention culturelle européenne, convoque deux tab
571
ure, patronne la révision des manuels d’histoire,
et
prépare une série de publications scientifiques. Une Association des
572
ques. Une Association des universitaires d’Europe
et
une Association européenne des enseignants se fondent en 1955 et en 1
573
ion européenne des enseignants se fondent en 1955
et
en 1956… La Journée européenne des écoles propose chaque année des su
574
ion sur l’Europe aux élèves des écoles de 7 pays,
et
donne des prix à 80 d’entre eux, sur plus de 300 000 participants. Un
575
éenne de la culture a été créée à Genève en 1954,
et
opère depuis cette année à Amsterdam. Enfin, la bibliographie des vol
576
n, la bibliographie des volumes, thèses, mémoires
et
numéros spéciaux de revues sur l’Europe et ses problèmes compte déjà,
577
moires et numéros spéciaux de revues sur l’Europe
et
ses problèmes compte déjà, depuis dix ans, plusieurs centaines de tit
578
-il suffisamment soutenu par les pouvoirs publics
et
le mécénat privé pour répondre aux défis du temps ? Est-il coordonné
579
e n’a dû sa puissance qu’aux inventions, procédés
et
systèmes de tous ordres directement issus de sa culture et que, par s
580
es de tous ordres directement issus de sa culture
et
que, par suite, sans la vitalité de cette culture, elle se réduirait
581
’elle est sur la carte : 4 % des terres du globe (
et
très pauvres en matières premières) ; 2° que la culture, en Europe, p
582
lture, en Europe, perdra sa vitalité si les États
et
les mécènes virtuels du continent s’obstinent à lui refuser même le c
583
que lui accordent chez eux les empires ascendants
et
réalistes des USA et de l’URSS21. ⁂ Le Centre européen de la cultu
584
z eux les empires ascendants et réalistes des USA
et
de l’URSS21. ⁂ Le Centre européen de la culture Sans attendre q
585
forces vives de la culture dans tous nos peuples,
et
en leur offrant : un lieu de rencontre, des instruments de coordinati
586
es instruments de coordination, un foyer d’études
et
d’initiatives. Fondé sous les auspices du Mouvement européen, le CEC
587
d’élaborer le travail de l’institution projetée,
et
d’organiser une « Conférence européenne de la culture ». Celle-ci se
588
. Celle-ci se réunit à Lausanne en décembre 1949,
et
formula le programme du CEC L’institution fut inaugurée à Genève le 7
589
idique. Ses ressources sont assurées par des dons
et
subventions provenant de sources privées ou officielles, par les coti
590
u officielles, par les cotisations de ses membres
et
par la vente de ses publications. Le choix des objectifs du CEC est d
591
lème culturel qui se pose à l’échelle européenne,
et
ses possibilités de solution pratiques. Un budget réduit au strict mi
592
nt les traits qui distinguent cet organisme privé
et
européen de la plupart des organisations gouvernementales et internat
593
de la plupart des organisations gouvernementales
et
internationales existantes. Les associations créées par le CEC et don
594
es existantes. Les associations créées par le CEC
et
dont il assume en règle générale le secrétariat, gardent leur autonom
595
ui furent entre autres le Congrès de compositeurs
et
critiques musicaux à Rome, en 1953, le Prix européen de littérature,
596
à Rome, en 1953, le Prix européen de littérature,
et
l’initiative de la création du CERN, bornons-nous à décrire les trois
597
aire l’Europe, c’est d’abord faire des Européens,
et
cela signifie d’une part, éduquer dans les nouvelles générations la c
598
e d’une commune appartenance aux formes de pensée
et
de vie qui définissent notre culture et notre civilisation, au-delà d
599
de pensée et de vie qui définissent notre culture
et
notre civilisation, au-delà des nations actuelles ; d’autre part, exp
600
publications spéciales, des experts ou moniteurs,
et
des subventions, réparties selon les directives d’un Comité d’éducate
601
plupart de nos pays (y compris la Grande-Bretagne
et
les États scandinaves). Enfin, il les fait bénéficier de ses moyens d
602
péenne. Ceux-ci consistent en publications, films
et
conférences. Le Bulletin du CEC édite chaque année six à huit numér
603
éciaux consacrés à des sujets d’intérêt européen,
et
largement diffusés en plusieurs langues. Des plans de causerie , éta
604
uvent reproduire gratuitement les courts articles
et
les nouvelles culturelles, scientifiques et économiques rédigées par
605
icles et les nouvelles culturelles, scientifiques
et
économiques rédigées par les services du CEC. Quant au département de
606
sur les conséquences pour la culture, l’éducation
et
les loisirs de la nouvelle révolution technique que symbolise le term
607
qui groupe 19 instituts de niveau universitaire,
et
l’Association européenne des festivals de musique , qui groupe 21 gr
608
, poursuivent la coordination de leurs programmes
et
de leurs publications, grâce à leurs secrétariats assurés par le CEC.
609
dant que l’Association européenne des enseignants
et
celle des universitaires d’Europe proposent au CEC une forme « fédéra
610
Cette multiplicité traduit les diversités réelles
et
organiques qui sont l’une des sources de la vitalité et des tensions
611
aniques qui sont l’une des sources de la vitalité
et
des tensions fécondes de notre culture. Il ne s’agit nullement de les
612
eurs forces en vue de certaines actions communes,
et
de mettre en pool celles de leurs activités ou de leurs ressources —
613
oussée. À l’heure où les institutions économiques
et
politiques de l’Europe naissante proclament leur volonté de concentre
614
de concentrer autant que possible leurs services
et
leurs assemblées, un effort parallèle doit être entrepris dans le dom
615
parallèle s’impose, entre la situation politique
et
la situation culturelle de l’Europe. Minorisée aux Nations unies, men
616
reste sans voix pour définir ses intérêts vitaux
et
affirmer sa vocation dans le monde actuel. Les politiques étrangères
617
er une politique commune, se contredisent souvent
et
ne convergent jamais, faute d’une institution unique et compétente. L
618
convergent jamais, faute d’une institution unique
et
compétente. L’Europe a donc besoin d’un ministère des Affaires étrang
619
tact inévitable entre notre civilisation libérale
et
technique d’une part, et les civilisations diverses de l’Asie, de l’A
620
re civilisation libérale et technique d’une part,
et
les civilisations diverses de l’Asie, de l’Afrique et du Moyen-Orient
621
es civilisations diverses de l’Asie, de l’Afrique
et
du Moyen-Orient d’autre part, appellent des solutions qu’aucun de nos
622
s qu’aucun de nos États-nations ne peut élaborer,
et
moins encore faire accepter à lui tout seul. Ces difficultés sont d’o
623
Ces difficultés sont d’ordre culturel (spirituel
et
sociologique à la fois) bien avant d’être politiques. Là encore, l’Eu
624
d’une coordination entre nos forces culturelles,
et
le besoin de représentation commune de ces forces vis-à-vis du reste
625
forces vis-à-vis du reste du monde nous appellent
et
nous poussent dans le même sens. Rien de plus efficace pour unir nos
626
in serait une frontière naturelle, mais le Danube
et
le Rhône des liens naturels ?…, etc. 20. Voir l’ Annuaire 1957 de l’
627
SS dans le domaine scientifique : les spoutniks ;
et
le budget total des fondations privées aux USA : 10 % du revenu natio
628
evenu national. k. Rougemont Denis de, « Europe
et
culture », Quelle Europe ?, Paris, Fayard, 1958, p. 69-76.
629
Un échange de lettres prophétique entre Einstein
et
Freud (avril 1958)l Cela se passait en 1932, sur le seuil de ce qu
630
Europe entière, la renaissance de l’idée d’union,
et
l’arme absolue dans les mains de deux empires presque immobilisés par
631
ilisés par la terreur d’y recourir… Que pensaient
et
pressentaient ces deux génies de premier ordre, à la veille même du d
632
prévenir ? On les relit avec une sorte d’avidité
et
d’anxiété rétrospective. L’un se borne à poser des questions, dans un
633
l n’en sait guère plus que le citoyen raisonnable
et
moyen. L’autre répond dans la rigueur de sa pensée : il est chez lui.
634
des nations, il faut créer l’autorité législative
et
judiciaire qui leur retire la souveraineté et les réduise à la raison
635
ive et judiciaire qui leur retire la souveraineté
et
les réduise à la raison. Mais pourquoi la raison n’a-t-elle pas plus
636
asse régnante » ? Comment dominer les instincts ?
Et
comment supprimer « le besoin de haine » dégénérant en « psychose col
637
« psychose collective » ? C’est écrit de Potsdam
et
sous l’œil des barbares. Freud répond de sa Vienne natale en sursis —
638
en sursis — elle n’en aura plus pour longtemps —
et
le pacifisme d’Einstein se voit soumis à l’examen analytique d’un pra
639
ar l’union de ses victimes, fondant sur l’intérêt
et
sur le sentiment les lois de leur communauté. Il s’agit donc de trans
640
Nations ne dispose pas d’une force à son échelle
et
ne provoque pas l’« identification » créatrice de communauté. Passant
641
ntenance avec maîtrise en invoquant l’Éros vital
et
l’instinct de mort, également essentiels à l’homme. « On ferait œuvre
642
s deux éléments : le développement de la culture,
et
la crainte des effets d’une guerre totale. Einstein propose une seul
643
e sur des images d’Épinal. La « classe régnante »
et
les marchands de canons tiendraient la presse, l’école et les « organ
644
archands de canons tiendraient la presse, l’école
et
les « organisations religieuses ». Ils domineraient ainsi les masses,
645
sse ! Les décisions qui font l’histoire concrète,
et
l’opinion publique qui les prépare, résultent aujourd’hui de l’État,
646
aujourd’hui de l’État, des Partis, des Affaires,
et
parfois des Églises — et non pas de leur complicité, mais plutôt de l
647
es Partis, des Affaires, et parfois des Églises —
et
non pas de leur complicité, mais plutôt de leurs dissensions. Quand b
648
de guerre est d’un autre âge, quoique populaire.
Et
l’on peut s’étonner qu’Einstein l’ait adoptée sans la moindre exigenc
649
oindre exigence critique, lui qui voyait pourtant
et
vivait de si près la montée d’Hitler au pouvoir, malgré l’opposition
650
l’opposition des partis, des nantis, des Églises
et
des cadres de l’État, pour une fois tous hostiles à la guerre. Ce gra
651
. En réduisant l’opposition classique de la Force
et
du Droit à celle de deux violences, il définit les conditions de tout
652
ure à celle des nations « souveraines ». Einstein
et
Freud, par des voies différentes, parviennent à cette même conclusion
653
udrait à l’extermination de l’un des adversaires,
et
peut-être même des deux. » D’où l’idée d’une « paix éternelle » impos
654
à sa mesure. Il la cherche en vain, ne voit rien…
Et
c’est à lui que Freud écrit prophétiquement, à lui parmi tous ses con
655
les découvertes ont déjà déclenché, dans l’ombre
et
le secret, le processus qui aboutira treize ans plus tard à l’explosi
656
ans plus tard à l’explosion d’Hiroshima. Tragique
et
sublime ironie de ce dialogue de deux génies, dont l’un voit bien l’a
657
Un échange de lettres prophétique entre Einstein
et
Freud », Réalités, Paris, avril 1958, p. 39-40.
658
s États (xiiie au xixe siècle) On se figure,
et
l’on écrit souvent, qu’il a fallu quelque six siècles à la Suisse pou
659
ise de trente-trois ans, succédant à cinq siècles
et
demi d’alliances et de guerres entre petits États souverains, et d’in
660
ans, succédant à cinq siècles et demi d’alliances
et
de guerres entre petits États souverains, et d’inexistence d’un pouvo
661
nces et de guerres entre petits États souverains,
et
d’inexistence d’un pouvoir central. Et cela s’est produit entre le 17
662
ouverains, et d’inexistence d’un pouvoir central.
Et
cela s’est produit entre le 17 février et le 17 novembre 1848. Ce rac
663
entral. Et cela s’est produit entre le 17 février
et
le 17 novembre 1848. Ce raccourci demande quelques explications, qui
664
e les trois « communes » rurales d’Uri, de Schwyz
et
d’Unterwald, maîtresses des débouchés nord du Gothard. Ce col était l
665
ers d’une seule chaîne des Alpes les moitiés nord
et
sud du Saint-Empire. D’où son importance stratégique, commerciale et
666
ire. D’où son importance stratégique, commerciale
et
même culturelle. On n’insistera jamais assez sur le rôle décisif qu’i
667
qu’il devait jouer dans la formation de la Suisse
et
dans la détermination de la mission singulière de ce pays. En effet,
668
opératives forestières, l’immédiateté impériale ;
et
cela dès 1231, c’est-à-dire peu d’années après l’ouverture du col. Au
669
série de châteaux au nord de la Suisse actuelle,
et
qui ne cessaient d’étendre leurs domaines vers le Gothard. Lorsque Ro
670
t la menace grandir contre leurs libertés locales
et
contre leur mission de gardiens du Col. Et c’est pourquoi, au début d
671
ocales et contre leur mission de gardiens du Col.
Et
c’est pourquoi, au début du mois d’août 1291, — « considérant la mali
672
d’août 1291, — « considérant la malice des temps,
et
afin de se défendre et maintenir avec plus d’efficace », les trois co
673
érant la malice des temps, et afin de se défendre
et
maintenir avec plus d’efficace », les trois coopératives forestières
674
ster mutuellement de toutes leurs forces, secours
et
bons offices… envers quiconque tenterait de leur faire violence, de l
675
de les inquiéter ou molester, en leurs personnes
et
en leurs biens ». Et ce pacte devait « s’il plaît à Dieu, durer à per
676
molester, en leurs personnes et en leurs biens ».
Et
ce pacte devait « s’il plaît à Dieu, durer à perpétuité ». De fait, i
677
eur dans les communes lombardes, devait s’élargir
et
se compliquer au cours des siècles par l’adhésion ou la conquête de c
678
indépendants, abbayes, ligues locales, bailliages
et
pays sujets, toutes unités de langues et d’économies fort diverses. C
679
illiages et pays sujets, toutes unités de langues
et
d’économies fort diverses. Ce long processus d’agrégations contractue
680
ècle. Un enchevêtrement d’alliances particulières
et
un sens remarquable de la foi jurée devaient rester, pendant toute ce
681
ns. Cette expérience jacobine de « République une
et
indivisible » échoua contre la résistance presque unanime des peuples
682
contre la résistance presque unanime des peuples
et
des patriciats dépossédés. Dès 1802, Napoléon écrivait aux délégués h
683
s des siècles, soit par sa situation géographique
et
topographique, soit par les différentes langues, les différentes reli
684
es différentes langues, les différentes religions
et
cette extrême différence de mœurs qui existent entre ses diverses par
685
nt sa langue, sa religion, ses mœurs, son intérêt
et
son opinion ». L’année suivante, l’Acte de Médiation rétablissait l’i
686
le Diète composée de plénipotentiaires des États,
et
supprimait le terme de « citoyen suisse » qu’avait utilisé l’Acte de
687
nommait alors l’ensemble des petites républiques
et
des bailliages occupant l’espace délimité par les Alpes, le Jura, le
688
imité par les Alpes, le Jura, le lac de Constance
et
le Léman, n’était donc encore, après cinq siècles, guère plus qu’une
689
lliance visant à assurer leur sécurité collective
et
à unifier quelque peu leur politique étrangère. La formule du Pacte d
690
nifiées, aux portes mêmes de la Suisse : l’Italie
et
l’Allemagne. Le problème brûlant qui se posait aux Suisses, dans cett
691
onales, était celui du renforcement de leur unité
et
de la création d’un État. Il est remarquable qu’ils n’aient pas cherc
692
diversités linguistiques, religieuses, politiques
et
sociales. Ils ne se demandèrent pas : comment devenir une Nation ? ma
693
nt les seuls à le résoudre d’une manière efficace
et
durable. 2. Crise du Pacte fédéral (1815-1848) La crise ouverte
694
plus frappante. « La Suisse — a écrit l’historien
et
journaliste William Martin — ressemblait sous le Pacte de 1815 à l’Eu
695
’armes, 87 mesures de grain, 81 pour les liquides
et
50 poids différents. » Le régime monétaire n’était pas moins chaotiqu
696
’entre eux. On ne comptait pas moins de 400 taxes
et
droits de péages sur les marchandises passant d’un canton à un autre
697
frontières extérieures » relève encore W. Martin,
et
il signale que le seul canton du Tessin « ne prélevait pas moins de t
698
ore, ses produits destinés à Genève par la Souabe
et
la France plutôt que par les routes suisses traversant une douzaine d
699
douzaine de frontières cantonales, par des routes
et
des ponts également frappés de droits. Si l’industrie suisse put surv
700
nditions, elle ne le dut qu’à l’initiative privée
et
à la haute qualité de sa main-d’œuvre, héritière d’un très vieil arti
701
s prétexte de défendre leurs privilèges douaniers
et
leur « sacro-sainte souveraineté » (comme l’écrivait dès 1829 le viei
702
on n’était pas meilleure. Nulle autorité centrale
et
incontestée ne pouvait parler au nom de la Suisse entière. La Diète r
703
ait qu’un bureau chargé de préparer les affaires,
et
changeait de résidence tous les deux ans.) Les pressions étrangères,
704
ne disposait que de contingents militaires levés
et
entretenus, chacun pour son compte, par les États souverains ? (Elle
705
le avait bien en propre une « caisse de guerre »,
et
le droit de nommer le Général en chef, son état-major, et quelques fo
706
oit de nommer le Général en chef, son état-major,
et
quelques fonctionnaires, mais elle n’en dépendait pas moins du bon pl
707
rapidement. Un prolétariat industriel, misérable
et
inhumainement exploité s’était formé dans les cantons urbains ; et da
708
exploité s’était formé dans les cantons urbains ;
et
dans les cantons ruraux, les jeunes gens entreprenants s’expatriaient
709
radicales », se répandaient dans la bourgeoisie,
et
provoquèrent de nombreuses révolutions cantonales, visant et aboutiss
710
rent de nombreuses révolutions cantonales, visant
et
aboutissant souvent à déposséder le patriciat de ses droits exclusifs
711
ses droits exclusifs à gouverner. Cette agitation
et
ces déséquilibres sociaux devaient nourrir le mouvement de « Régénéra
712
seules entretenaient l’idéal d’une patrie commune
et
d’une véritable fédération, la Régénération conquit le pouvoir dans p
713
e une Diète formée de délégués d’États souverains
et
non de députés des peuples : « Lequel de nous n’a dû souvent déplorer
714
, être tour à tour les hommes de la Confédération
et
les hommes du canton… Il n’est, ce me semble, aucun motif de conserve
715
raison, d’ailleurs bien faible, de l’économie… »
Et
Rossi concluait en montrant les progrès « mémorables » réalisés par l
716
ables » réalisés par l’idée fédérale dans l’élite
et
les masses : « Oui, l’idée d’une commune patrie ne nous est point étr
717
d’une commune patrie ne nous est point étrangère…
Et
quoi qu’en disent les détracteurs des temps modernes, c’est une des g
718
s, les fêtes nationales, les sociétés littéraires
et
savantes, les vœux, les projets d’un grand nombre de cantons, et cett
719
s vœux, les projets d’un grand nombre de cantons,
et
cette anxiété elle-même, et ce malaise général qu’il est impossible d
720
nd nombre de cantons, et cette anxiété elle-même,
et
ce malaise général qu’il est impossible de méconnaître, et cette espé
721
aise général qu’il est impossible de méconnaître,
et
cette espérance que dans un nouveau Pacte, dans une confédération plu
722
quilibre vivant entre la souveraineté des cantons
et
leur union resserrée, les cantons conservant « tous les droits qui ne
723
gislatifs, exécutifs, judiciaires, administratifs
et
militaires, devait être transformée en un État moderne de forme fédér
724
à convaincre les partisans de l’esprit de clocher
et
de l’égoïsme cantonal. Les radicaux jugèrent le projet timide et trop
725
cantonal. Les radicaux jugèrent le projet timide
et
trop respectueux des souverainetés, les conservateurs et les catholiq
726
respectueux des souverainetés, les conservateurs
et
les catholiques le jugèrent révolutionnaire. La Diète l’enterra en 18
727
x seules réalités solides : le sentiment national
et
la souveraineté des cantons. Cependant la « chimère » restait à l’ord
728
harnement qu’eux-mêmes montrèrent à le combattre
et
à refuser les évidences du bien commun, au nom des préjugés de la sou
729
s à conclure une alliance séparée, le Sonderbund,
et
à négocier l’intervention des puissances de la Sainte-Alliance, qui a
730
ssances de la Sainte-Alliance, qui avaient imposé
et
garanti le Pacte de 1815. Le Sonderbund pouvait compter sur l’appui d
731
ral), de Metternich, du tsar, du roi de Sardaigne
et
du roi de Prusse. La France lui fournit en secret des canons et des f
732
russe. La France lui fournit en secret des canons
et
des fusils. Lorsque les cantons libéraux décrétèrent le bannissement
733
libéraux (ou « radicaux ») détenaient la majorité
et
disposaient de contingents militaires supérieurs en nombre et en arme
734
nt de contingents militaires supérieurs en nombre
et
en armement. Mais ils savaient que les grandes puissances voisines se
735
pressentait que l’instauration d’une Suisse unie
et
libérale donnerait le signal du renversement de l’ordre imposé à l’Eu
736
fut suivie avec passion par l’opinion européenne,
et
apporta par son issue un encouragement efficace aux libéraux. Mais il
737
es. La campagne fut menée avec décision, rapidité
et
humanité. En 26 jours, les cantons catholiques, battus séparément, ét
738
ent à couvrir la dette de guerre des catholiques.
Et
dans l’atmosphère de réconciliation nationale ainsi créée, la Diète d
739
ulaire Ligue d’États en un État fédératif durable
et
fort. La commission de révision, nommée par la Diète et comprenant un
740
t. La commission de révision, nommée par la Diète
et
comprenant un délégué par canton, se réunit pour la première fois le
741
rer les travaux, éviter les discours démagogiques
et
les comptes rendus de presse qui « à peu d’exceptions près — comme le
742
es articles à une Commission, une seconde lecture
et
le vote final ne prirent en tout que six semaines. Le 27 juin, le pro
743
r prendre connaissance des résultats : 15 cantons
et
demi contre 6 et demi et 170 000 électeurs contre 72 000 (environ) ac
744
sance des résultats : 15 cantons et demi contre 6
et
demi et 170 000 électeurs contre 72 000 (environ) acceptaient la Cons
745
s résultats : 15 cantons et demi contre 6 et demi
et
170 000 électeurs contre 72 000 (environ) acceptaient la Constitution
746
ion jusqu’à nos jours. L’essor économique, social
et
culturel de la nouvelle Suisse unie fut immédiat. Aucune des catastro
747
ie fut immédiat. Aucune des catastrophes prédites
et
calculées par les adversaires de la fédération ne se produisit. Soupl
748
mbine les attributs d’un chef d’État à sept têtes
et
d’un cabinet de ministres ; on ne peut choisir plus d’un de ses membr
749
es différends de droit civil entre l’État central
et
les cantons, corporations ou particuliers. Enfin et surtout, le probl
750
les cantons, corporations ou particuliers. Enfin
et
surtout, le problème théoriquement tenu pour « insoluble » de l’aboli
751
é n’est pas limitée par la constitution fédérale,
et
, comme tels, ils exercent tous les droits qui ne sont pas délégués au
752
fixées à l’art. 3, leur constitution, la liberté
et
les droits du peuple (etc.). Si l’on ajoute que la Constitution assur
753
ablissement, de culte, d’association, de pétition
et
d’expression, et qu’elle établit l’égalité devant la loi ; qu’elle cr
754
ulte, d’association, de pétition et d’expression,
et
qu’elle établit l’égalité devant la loi ; qu’elle crée une armée fédé
755
fédérale ; qu’elle supprime les péages intérieurs
et
reporte les douanes aux frontières de la Confédération, quitte à inde
756
s cantons ; qu’elle uniformise les poids, mesures
et
monnaies, et nationalise les postes (les chemins de fer suivront plus
757
u’elle uniformise les poids, mesures et monnaies,
et
nationalise les postes (les chemins de fer suivront plus tard) mais l
758
t plus tard) mais laisse tout le domaine culturel
et
éducatif à la discrétion des cantons ; qu’enfin elle prévoit une proc
759
de 1848. Une quarantaine de révisions partielles,
et
la révision générale (de tendance un peu plus centralisatrice) opérée
760
d’expériences souvent amères, confirma les droits
et
les devoirs lentement élaborés par les divers régimes des républiques
761
s par les divers régimes des républiques locales,
et
créa d’un seul coup l’État qui se nomme désormais la Suisse. Cet acte
762
omme désormais la Suisse. Cet acte central, axial
et
décisif de l’histoire suisse appelle quelques commentaires qui en dég
763
n par la Diète, à sa ratification par les cantons
et
les peuples, et à sa mise en vigueur effective, paraît d’autant plus
764
à sa ratification par les cantons et les peuples,
et
à sa mise en vigueur effective, paraît d’autant plus remarquable que
765
n tout !) succédait à une longue période de crise
et
à des siècles de refus obstiné de tout pouvoir central. L’absence de
766
ouvoir central. L’absence de publicité des débats
et
le soin que l’on apporta à ne point passionner les esprits (au lendem
767
ner les esprits (au lendemain d’une guerre civile
et
religieuse)25 contribua sans nul doute à cette célérité d’exécution,
768
révue entre l’ordre (ou le désordre) traditionnel
et
le nouveau régime ; nul « système d’écluse » et nul délai d’applicati
769
l et le nouveau régime ; nul « système d’écluse »
et
nul délai d’application. Or la suppression, d’un trait de plume, des
770
ion, d’un trait de plume, des douanes intérieures
et
des entraves au libre établissement des citoyens d’un canton dans un
771
opposants comme devant fatalement semer le chaos
et
la ruine dans la vie économique du pays. On prédisait la faillite des
772
plus bas des diversités culturelles, des coutumes
et
traditions locales si chères aux Suisses. Ce furent ces craintes, pré
773
se révélèrent, dans le fait, « rêveries, chimères
et
utopies ». L’ascension économique d’un riche canton industriel comme
774
e Glarus (son voisin) plus lente, mais certaine ;
et
chacun conserva sa physionomie propre, nul mélange dégradant ne se pr
775
cosmopolites de Genève ; ils sont moins nombreux,
et
souvent, de moins ancienne tradition nationale… Si, à bien des égards
776
du mouvement des communes italiennes, françaises
et
flamandes, était apparu comme une réaction tardive, une exception, do
777
ui ait survécu au combat pour l’idée démocratique
et
communale au Moyen Âge ; elle représente le résultat d’une révolution
778
touffé après la première explosion d’enthousiasme
et
de violence populaire. Une dernière remarque s’impose. Elle concerne
779
entralistes unitaires. Leurs ennemis, catholiques
et
conservateurs, se disaient au contraire « fédéralistes », bien qu’ils
780
ui menaçait de diminuer les souverainetés locales
et
d’établir un lien fédéral efficace. De nos jours encore, ceux qui s’i
781
nnelle de nos pays. Cette contradiction apparente
et
purement verbale s’explique par la nature dialectique du fédéralisme,
782
e : elle exprime la vie même de la Confédération,
et
donne la formule générale de tous les débats qu’y soulèvent les quest
783
Les sources de l’histoire suisse sont cantonales
et
locales, jusqu’au xixe siècle. Nous ne pouvons songer à en donner ic
784
eizerbund, dans « Revue d’Histoire suisse », n. 1
et
2, 1924. Sur la Constitution de 1848 : F. Fleiner, Schweizer Bundesst
785
traits du Protocole de la Commission constituante
et
des journaux privés des membres de la Commission). Voir aussi : Fritz
786
que — fortement financée par le Genevois Eynard —
et
trouva dans cette passion un idéal commun, associant toutes les class
787
ion un idéal commun, associant toutes les classes
et
toutes les régions. 24. W. E. Rappard, dans son ouvrage essentiel su
788
mier professeur catholique à l’Académie de Calvin
et
l’ornement du Conseil représentatif genevois, avant de devenir ambass
789
résentatif genevois, avant de devenir ambassadeur
et
pair de France, et de mourir assassiné, chef du gouvernement pontific
790
, avant de devenir ambassadeur et pair de France,
et
de mourir assassiné, chef du gouvernement pontifical de Pie IX, en 18
791
ce de fédéralisme : la Suisse », L’Europe du XIXe
et
du XXe siècle, vol. 1, Milan, Carlo Marzorati, 1959, p. 465-476.
792
issement du risque humain ; secret de notre ordre
et
aussi de notre désordre ; vertu de notre foi, et aussi de notre inqui
793
et aussi de notre désordre ; vertu de notre foi,
et
aussi de notre inquiétude, inséparable de la condition d’un homme loc
794
lle-même, de dépasser les conditions de sa nature
et
de transcender son destin au nom d’une vocation universelle. Qu’est-c
795
es, qui ont fait l’Europe. Sources grecque, juive
et
phénicienne, romaine, celte et germanique, arabe enfin ; et leur fusi
796
ces grecque, juive et phénicienne, romaine, celte
et
germanique, arabe enfin ; et leur fusion dégage une énergie dont le c
797
enne, romaine, celte et germanique, arabe enfin ;
et
leur fusion dégage une énergie dont le champ ne saurait être que la p
798
planète entière, conquérante d’abord, belliqueuse
et
commerçante par nécessité, spirituelle par vocation, puis unifiante.
799
’une Europe qui n’existe que dans son dépassement
et
qui ne serait pas elle-même si elle n’était plus qu’elle-même. Quatre
800
qu’elle-même. Quatre constatations fondamentales,
et
que chacun peut vérifier sans peine, nous font voir que l’Europe se d
801
urope se définit d’abord par sa fonction mondiale
et
non par ses limites. 1. C’est l’Europe qui a conçu l’idée d’humanité,
802
’un genre humain issu du Dieu unique de la Genèse
et
destiné au grand rassemblement « des nations et des langues » qu’anno
803
e et destiné au grand rassemblement « des nations
et
des langues » qu’annonce l’Apocalypse. Avec cette source judéo-chréti
804
du Portique, le « citoyen du monde » de Socrate.
Et
Plutarque loue Alexandre d’avoir voulu « réunir comme en un seul gran
805
eul grand vase tous les peuples du monde entier »
et
d’avoir « ordonné que tous considèrent la Terre comme leur patrie ».
806
iés d’un même corps, participant du même Esprit —
et
des notions conjointes d’Église et de personne dériveront plus tard l
807
même Esprit — et des notions conjointes d’Église
et
de personne dériveront plus tard le droit des gens, les droits de l’h
808
us tard le droit des gens, les droits de l’homme,
et
l’idée d’une « histoire universelle », dès Augustin. Dira-t-on que le
809
es notions analogues dans les religions de l’Inde
et
de la Chine ? Ces spécialistes sont Européens sans doute ; et, que l’
810
ne ? Ces spécialistes sont Européens sans doute ;
et
, que l’on sache, ces notions ne sont point parvenues à provoquer là-b
811
ent inventoriée adoptent aujourd’hui nos sciences
et
nos techniques, nos arts et notre hygiène, nos formes politiques, et
812
ourd’hui nos sciences et nos techniques, nos arts
et
notre hygiène, nos formes politiques, et plus souvent, hélas ! que no
813
nos arts et notre hygiène, nos formes politiques,
et
plus souvent, hélas ! que nos valeurs, nos délires caractéristiques,
814
met à l’école de nos techniques, de notre hygiène
et
de notre alphabet. Nul mouvement réciproque n’est encore observé, ni
815
er les substituts de l’ancienne route de la soie.
Et
son colonialisme honni fut aussi la première « mise en valeur » des p
816
n premier laboratoire. « Tout est venu à l’Europe
et
tout en est venu. Ou presque tout », dit Valéry. Mais je ne vois rien
817
la datation par le carbone 14, la manie publique
et
privée des collections, l’enregistrement des folklores sur disques, l
818
s sur les indigènes des îles Trobriand, les films
et
les microfilms accumulés dans les archives ; ce Musée est une inventi
819
ne invention, cette Mémoire du Monde est un acte,
et
cette immense Récapitulation du genre humain est une création de l’hi
820
utre que l’Europe a su tendre ce piège à l’espace
et
au temps de l’humanité totale ? Pour ce qui est venu de l’Europe, on
821
vention de l’Europe. Europe, patrie de la Mémoire
et
de l’invention, fomentées l’une par l’autre et complices à jamais, co
822
re et de l’invention, fomentées l’une par l’autre
et
complices à jamais, comme la systole et la diastole du cœur humain. E
823
r l’autre et complices à jamais, comme la systole
et
la diastole du cœur humain. Europe, donc, cœur du monde, et jamais pl
824
tole du cœur humain. Europe, donc, cœur du monde,
et
jamais plus qu’au siècle où, par nos œuvres et nos techniques, toutes
825
e, et jamais plus qu’au siècle où, par nos œuvres
et
nos techniques, toutes les autres parties de la Terre sont mises en c
826
otre siècle ? Les uns m’en paraissent incapables,
et
d’autres n’en ont le même besoin vital. Écartons pour longtemps l’Afr
827
r longtemps l’Afrique noire, le Sud-Est asiatique
et
les nations arabes. La Chine est encore loin de pouvoir vendre au mon
828
moderne de l’hégémonie), conception déjà dépassée
et
au surplus disqualifiée par ceux-là mêmes qui l’attaquent sous le nom
829
eut répondre que dans la mesure où elle est forte
et
saine : c’est la mesure de son intégration, c’est-à-dire de l’union d
830
e se haïr dans leurs manuels d’histoire primaires
et
secondaires, s’imaginent qu’on les voit différents, comme ils se voie
831
estant nez à nez. Les Américains les confondent ;
et
quant aux Asiatiques, ils les distinguent très mal, suprême outrage,
832
en revanche nous aimons d’amour l’Europe entière
et
sa culture. » Aucun de nos pays ne peut donc bénéficier du crédit qui
833
e, s’il se présente en tant que nation distincte.
Et
cela s’explique. Car les valeurs européennes, aux yeux du monde, ne s
834
esure où elles résultent de nos variétés infinies
et
de leur équilibre en tension. L’impossible solitude À ces nécess
835
’impossible solitude À ces nécessités externes
et
globales, dictées par l’attente des élites d’outre-mer et par la conj
836
les, dictées par l’attente des élites d’outre-mer
et
par la conjoncture mondiale, répondent les nécessités internes de l’u
837
si : L’Europe est menacée, l’Europe est divisée,
et
la plus grave menace vient de ses divisions. Appauvrie, encombrée de
838
que ne saurait mener théoriquement qu’à la misère
et
ne mène pratiquement qu’à tomber sous la coupe d’un des deux « grands
839
t neutre parce qu’elle est au centre de l’Europe,
et
à cause d’une histoire très ancienne ; l’Autriche est neutre aussi pa
840
est neutre aussi parce qu’elle touche la Russie,
et
à cause d’histoires très récentes. Ainsi tout sert nos souverainetés,
841
out sauf les évidences économiques, géopolitiques
et
mondiales. Ces dernières finiront par s’imposer, si toutefois l’histo
842
histoire continue. Anticipons donc sur l’histoire
et
mettons entre parenthèses l’ère des souverainetés nationales, irréduc
843
ividuelles de toutes nos nations, sans exception,
et
les nécessités collectives de la conjoncture mondiale. Tenant compte
844
e la conjoncture mondiale. Tenant compte des unes
et
des autres, comment concevoir cette union ? On ne peut l’imaginer que
845
’indiscipline foncière des vocations personnelles
et
communautaires. C’est de l’ensemble des tensions valables et fécondes
846
taires. C’est de l’ensemble des tensions valables
et
fécondes qui la tissent depuis deux-mille ans que l’Europe a tiré son
847
nstallations électriques, productrices de lumière
et
d’énergie, — comme le proposent en somme, au nom de la paix, les neut
848
rit de système tantôt paresseux, tantôt fanatique
et
jacobin, répugnent à concevoir l’équilibre en tension de réalités val
849
lités valables mais contradictoires comme l’union
et
l’autonomie — qui est le secret du fédéralisme. Mais tout ce qui a fa
850
enez le dogme : la Trinité est animée par l’union
et
la distinction de trois personnes. Prenez la musique : chaque voix ch
851
z, la vie. Tout ce qui vit, tout ce qui crée, vit
et
crée en dépit de cette tendance vers l’uniformité dont les victoires
852
le, seule conforme à la formule même de l’Europe,
et
n’ayant d’autre but que d’entretenir un foyer permanent d’animation m
853
aire, la religion, la nature du sous-sol exploité
et
l’idéologie qui règne à sa surface, l’histoire telle qu’on la fige da
854
re telle qu’on la fige dans les manuels scolaires
et
le système des échanges économiques, voire culturels, qui est mouvant
855
par définition. Cet incroyable amas de confusions
et
d’abus s’explique par la mentalité paysanne et bourgeoise, cadastrale
856
ns et d’abus s’explique par la mentalité paysanne
et
bourgeoise, cadastrale et chicanière des âges prétechniques. C’est el
857
r la mentalité paysanne et bourgeoise, cadastrale
et
chicanière des âges prétechniques. C’est elle encore qui impose aux s
858
t la tâche idiote de faire coïncider des surfaces
et
des dogmes, des accidents de terrain jadis notables et des organigram
859
s dogmes, des accidents de terrain jadis notables
et
des organigrammes de lignes aériennes. L’Europe unie du xxe siècle,
860
. L’Europe unie du xxe siècle, fonction mondiale
et
foyer de rayonnement planétaire, ne saurait donc être conçue selon le
861
chaïque d’un État-nation. Les questions de bornes
et
de passeports n’ont plus de quoi l’intéresser. Le problème, sans cess
862
lable », est une simple sottise à l’âge des ondes
et
des fusées intercontinentales. Un pôle d’énergie n’est pas défini par
863
mais par l’intensité de son pouvoir d’attraction
et
d’émission. Un bassin fluvial n’est pas défini par son contour, mais
864
s d’union C’est dans cette perspective ouverte
et
dynamique, celle d’une méthode pour fomenter de l’universel, non d’un
865
ait commencé en dépit de leurs calculs réalistes,
et
sans eux ? Ceux qui opposent aujourd’hui à la Petite Europe, déjà rée
866
omoteurs de la Petite Europe l’ont voulue petite,
et
que leurs détracteurs actuels la voulaient grande ou la voulaient du
867
i égale sur plus d’un point les grands États-Unis
et
dépasse bien souvent le « colosse » soviétique) n’est au fond qu’une
868
sans elle, pourtant, rien ne se fût mis en branle
et
l’on ne parlerait pas d’une zone de libre-échange. L’objectif évident
869
ge conduirait donc nécessairement à rater les Six
et
à agir contre l’Europe, qui se verrait rapetissée et non pas renforcé
870
à agir contre l’Europe, qui se verrait rapetissée
et
non pas renforcée. En revanche, vouloir ou escompter l’échec des Six
871
très alertée sur le « danger » de l’Europe unie,
et
cela depuis le congrès de La Haye dont nos journaux parlèrent à peine
872
lle », d’ailleurs prise trois semaines auparavant
et
qui chassa l’Europe des grands titres…) Opposer la Petite Europe à la
873
és à devenir ces Dix-Sept que tout en eux appelle
et
qui, à leur tour, pourront appeler les Six de l’Est : ce qui ferait a
874
Chain — selon la tradition des Pères de l’Église.
Et
quand les descendants de ces vingt-trois fils (ou « nations », ou mêm
875
ns majeures : étendre au monde entier ses mesures
et
ses lois, son idée du cosmos et son idée de l’homme. Ou plutôt ses id
876
ntier ses mesures et ses lois, son idée du cosmos
et
son idée de l’homme. Ou plutôt ses idées sur l’homme, son destin ou s
877
s propres fondements : une culture de la liberté,
et
qui trouve dans les risques qu’elle assume, qu’elle fomente à plaisir
878
lle fomente à plaisir comme pour mieux s’éprouver
et
se mettre elle-même au défi de les intégrer, ses chances les plus sûr
879
sans précédent, d’une culture devenue planétaire (
et
sans rivaux sérieux, j’y reviendrai) nous oblige à revoir certaines c
880
e notre philosophie de l’histoire. De Montesquieu
et
de Gibbon au xviiie , jusqu’à Spengler et à Toynbee dans notre siècle
881
esquieu et de Gibbon au xviiie , jusqu’à Spengler
et
à Toynbee dans notre siècle, en passant par les philosophes du romant
882
ase. Mais les civilisations anciennes de l’Égypte
et
du Proche-Orient, prolongées par la grecque et la romaine, dont l’ess
883
te et du Proche-Orient, prolongées par la grecque
et
la romaine, dont l’essentiel vit dans la nôtre, sont-elles mortes ? L
884
? Leurs conquêtes n’ont-elles pas été préservées
et
développées par le Musée et le Laboratoire européens, pour être diffu
885
es pas été préservées et développées par le Musée
et
le Laboratoire européens, pour être diffusées de nos jours sur toute
886
lle fortune. Ce sont les lois de Minos, de Dracon
et
de Solon, venues d’Égypte, le Décalogue et les Béatitudes, enfin le c
887
Dracon et de Solon, venues d’Égypte, le Décalogue
et
les Béatitudes, enfin le code de Justinien, d’où dérivent l’Habeas Co
888
code de Justinien, d’où dérivent l’Habeas Corpus
et
la Déclaration des droits de l’Homme, qui définissent aujourd’hui pou
889
ples de l’OTAN, la dignité de la personne humaine
et
les fondements de tout progrès social. Et non pas le système des clas
890
humaine et les fondements de tout progrès social.
Et
non pas le système des classes hindoues, ni le mandarinat, ni le Bush
891
ment détrônées régulièrement, puis métamorphosées
et
baptisées, au cours d’un processus qu’on ne voit aucune raison de nom
892
inoise, l’hindoue, l’indonésienne, les africaines
et
les américaines ; au surplus, entourées de Barbares mal connus. Les c
893
rs. L’URSS ? Elle s’essouffle à rattraper les USA
et
n’apporte rien de bien neuf — beaucoup d’archaïsme au contraire — à l
894
fique, initiée par l’Europe au nom de sa religion
et
rendue pour la première fois possible par sa technique. La Chine ? L’
895
? Elles paraissent moins critiques à notre égard,
et
plus promptes à nous imiter, le pire inclus, et moins innovatrices qu
896
, et plus promptes à nous imiter, le pire inclus,
et
moins innovatrices que beaucoup d’entre nous, chrétiens ou athées pou
897
fédérer en temps utile, qu’y perdrait le monde ?
Et
je donne dès maintenant ma réponse personnelle, présumant que plus d’
898
rope vivante, le monde perdrait aussi les secrets
et
recettes d’un certain équilibre des contraires, d’une certaine formul
899
ogrès, qui est l’accroissement du risque humain ;
et
ce ne sont pas seulement les secrets de notre ordre, mais aussi de no
900
tude, inséparable de la condition d’un homme fini
et
localement déterminé, qui cependant veut l’universel. m. Rougemon
901
urope », Réalités, Paris, juin 1959, p. 80, 87-88
et
91.
902
entière ses bienfaits, ses méfaits, ses produits
et
certaines de ses formes de vie. Mais en même temps, le xxe siècle a
903
iplier les prophètes de la décadence européenne :
et
ces prophètes sont tous, ou presque tous Européens. Au lieu d’entonne
904
ous savons maintenant que nous sommes mortelles.
Et
il ajoutait : Elam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues,
905
m, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues,
et
la ruine totale de ces mondes avait aussi peu de signification pour n
906
i de beaux noms. Lusitania aussi est un beau nom.
Et
nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez grand pour
907
circonstances qui enverraient les œuvres de Keats
et
celles de Baudelaire rejoindre les œuvres de Ménandre ne sont plus du
908
les journaux. L’écho de cette page fut immense,
et
je sais peu de phrases plus fréquemment citées que celle qui annonce
909
se d’un de nos grands poètes, cette phrase résume
et
condense en quelques mots une assez longue tradition de pessimisme eu
910
lieux qui furent le théâtre de tant de splendeur,
et
je n’ai vu qu’abandon et que solitude… Qui sait si sur les rivages de
911
re de tant de splendeur, et je n’ai vu qu’abandon
et
que solitude… Qui sait si sur les rivages de la Seine, de la Tamise o
912
i ne s’assiéra pas un jour sur de muettes ruines,
et
ne pleurera pas solitaire sur la cendre des peuples et la mémoire de
913
pleurera pas solitaire sur la cendre des peuples
et
la mémoire de leur grandeur ? Une trentaine d’années plus tard, Hege
914
est « un individu dans la marche de l’Histoire »
et
qu’il obéit donc, comme tout individu, à une loi de croissance, d’épa
915
dividu, à une loi de croissance, d’épanouissement
et
de déclin fatal. Hegel pensait d’ailleurs que la civilisation europée
916
er que chacune d’elles devait fatalement décliner
et
mourir après une période d’apogée, — la nôtre aussi. Aux débuts du xx
917
est convaincu que toute culture est un organisme,
et
correspond morphologiquement à un individu, animal ou végétal. Il en
918
te inexorablement que toute culture est mortelle,
et
nous rejoignons la phrase de Valéry. Enfin Toynbee, dans un effort ad
919
is constantes de leur genèse, de leur croissance,
et
de leur dissolution inévitable. Ces historiens et philosophes, armés
920
et de leur dissolution inévitable. Ces historiens
et
philosophes, armés d’une écrasante érudition, ont d’autant moins de p
921
quant à l’état présent de l’Europe dans le monde,
et
que d’autre part, les plus grands esprits du siècle précédent n’ont c
922
s jours sur l’Europe : de Kierkegaard à Nietzsche
et
à Dostoïevski, de Tocqueville à Jacob Burckhardt, de Donoso Cortés à
923
e mondiale, les dictatures prévues par Burckhardt
et
Sorel s’instaurent en Russie, en Turquie, en Italie et en Allemagne.
924
rel s’instaurent en Russie, en Turquie, en Italie
et
en Allemagne. Les nationalismes et les racismes, dénoncés d’avance pa
925
uie, en Italie et en Allemagne. Les nationalismes
et
les racismes, dénoncés d’avance par Nietzsche, prolifèrent sur les ru
926
èrent sur les ruines de l’Empire austro-hongrois.
Et
bientôt cette Europe occupée à se déchirer à belles dents va se laiss
927
cher l’une après l’autre ses conquêtes coloniales
et
ses protectorats. Elle ne voit pas encore, mais elle pressent déjà la
928
à le communisme lui dispute non seulement en Asie
et
en Afrique, mais aux yeux d’une partie de sa propre jeunesse, son rôl
929
écroulement de l’hégémonie politique de l’Europe,
et
même le rendre, à vues humaines, définitif. Au surplus, les nouveaux
930
ines, définitif. Au surplus, les nouveaux empires
et
les peuples émancipés proclament déjà leur volonté de retourner contr
931
rner contre nous nos propres armes, tant sociales
et
morales que matérielles… N’est-ce pas assez pour justifier les prophè
932
Primo, l’hégémonie politique n’est pas toujours
et
nécessairement liée à la vitalité d’une civilisation. L’une peut exis
933
tuation, ni que la courbe de croissance, grandeur
et
décadence soit la même pour toutes les civilisations et surtout, dans
934
adence soit la même pour toutes les civilisations
et
surtout, dans tous les temps. Les prophètes de la décadence de l’Occi
935
s de la décadence de l’Occident, Spengler, Valéry
et
Toynbee, se fondaient sur le précédent de civilisations antiques aujo
936
civilisations antiques aujourd’hui « disparues »,
et
particulièrement sur l’exemple le mieux connu des Européens, celui de
937
ivilisation présente certains caractères nouveaux
et
originaux, qui déterminent un destin non comparable, et même tout à f
938
ginaux, qui déterminent un destin non comparable,
et
même tout à fait différent à partir d’un certain moment, d’un certain
939
tre civilisation par rapport à toutes les autres,
et
quel seuil mondial elle aurait été la première et la seule à franchir
940
et quel seuil mondial elle aurait été la première
et
la seule à franchir, s’affranchissant ainsi des lois fatales, qui ont
941
ces deux groupes de cultures homogènes, uniformes
et
sacrées, la culture de l’Europe nous apparaît immédiatement comme à l
942
apparaît immédiatement comme à la fois pluraliste
et
profane. À cause de ses origines multiples — gréco-romaine, indo-chré
943
ples — gréco-romaine, indo-chrétienne, germanique
et
celtique, arabe et slave —, à cause des valeurs souvent contradictoir
944
e, indo-chrétienne, germanique et celtique, arabe
et
slave —, à cause des valeurs souvent contradictoires ou incompatibles
945
s’est trouvée fondée sur une culture de dialogue
et
de contestation. Elle n’a jamais pu, et surtout, elle n’a jamais voul
946
dialogue et de contestation. Elle n’a jamais pu,
et
surtout, elle n’a jamais voulu se laisser ordonner à une seule doctri
947
religion, sa philosophie, sa morale, son économie
et
ses arts. On a beau citer le Moyen Âge comme une période bénie d’unit
948
n Âge comme une période bénie d’unité des esprits
et
des cœurs, telle que l’a décrite Novalis : nous savons aujourd’hui qu
949
is : nous savons aujourd’hui qu’il n’en fut rien,
et
que les conflits qui déchirèrent le Moyen Âge ne furent pas moins vio
950
ue ceux que nous vivons. L’unité de notre culture
et
de la civilisation créée par cette culture, n’a jamais été autre chos
951
ermanente n’a pas produit seulement de l’anarchie
et
des guerres. Il a contraint les élites religieuses, intellectuelles e
952
contraint les élites religieuses, intellectuelles
et
politiques, et par elles la partie agissante des masses européennes,
953
lites religieuses, intellectuelles et politiques,
et
par elles la partie agissante des masses européennes, à développer ce
954
ective, le sens de la responsabilité personnelle,
et
le sens de la liberté. Ces trois vertus se conditionnent et s’impliqu
955
de la liberté. Ces trois vertus se conditionnent
et
s’impliquent mutuellement en Europe. En revanche, il est évident qu’e
956
is maintenant définir brièvement ces trois vertus
et
ce ne sera pas dans un esprit d’orgueil occidental, mais avec le souc
957
ritiers des premiers principes de la mathématique
et
de l’astronomie élaborés par les civilisations du Proche-Orient. Mais
958
u monde qu’il a créé. Dans nos rapports avec Dieu
et
le monde, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’illusions flatteuses,
959
s pouvons donc expliquer par des motifs religieux
et
philosophiques l’un des caractères les plus indiscutables de notre cu
960
a vérité, qui a pour corollaire le sens critique,
et
qui a permis le développement des sciences exactes, notamment. Voilà
961
la vérité dite objective, de la simple véracité,
et
du recours aux preuves par neuf. Il faut songer cependant que l’Asie
962
ves par neuf. Il faut songer cependant que l’Asie
et
l’Afrique ignorent cette exigence de l’objectivité, et professent un
963
Afrique ignorent cette exigence de l’objectivité,
et
professent un dédain notoire pour la simple véracité. Leurs cultures
964
doit répondre de ses actes à la fois devant Dieu
et
devant la société, donc devant son destin sur la terre comme au ciel.
965
sulte une double exigence de recueillement en soi
et
d’ouverture au monde, de méditation et d’action, ou traduit en langag
966
ent en soi et d’ouverture au monde, de méditation
et
d’action, ou traduit en langage moderne : de loisir vraiment libre, e
967
it en langage moderne : de loisir vraiment libre,
et
de travail. Ici encore, comparons avec ce qui se passe ou s’est passé
968
x-mêmes — dûment organisés — au travail productif
et
collectif, qui devient le seul but de la vie. Mais c’est un but imper
969
is c’est un but impersonnel, purement quantitatif
et
matériel, fixé par le gouvernement au nom d’une doctrine ennuyeuse ;
970
ine ennuyeuse ; c’est le but général, statistique
et
abstrait, sans relation directe ou immédiate avec le salut de la pers
971
nne, le bonheur, la sagesse, la saveur de la vie,
et
le sens même de chaque vie. Les cultures traditionnelles au contraire
972
ont tout réglé. D’où la paresse immense de l’Asie
et
de l’Afrique, — le climat tropical n’explique pas tout, loin de là !
973
climat tropical n’explique pas tout, loin de là !
Et
lorsque les pays « sous-développés » revendiquent à grands cris et no
974
ys « sous-développés » revendiquent à grands cris
et
non sans haine une aide qui ne leur est due qu’au nom de l’amour chré
975
du prochain, la dignité de la personne distincte.
Et
certes, cela ne signifie pas théoriquement que la sagesse védantique,
976
nt qu’on ne peut pas « eat his cake and have it »
et
qu’il y a lieu de reconsidérer de part et d’autre la relation entre l
977
ve it » et qu’il y a lieu de reconsidérer de part
et
d’autre la relation entre les croyances fondamentales de nos cultures
978
entre les croyances fondamentales de nos cultures
et
le genre de vie que ces cultures permettent, soit pour modifier cette
979
ent lié à celui de la responsabilité personnelle,
et
que l’un n’irait pas sans l’autre. Un homme n’est vraiment libre que
980
a seule mesure où il est responsable de son sort,
et
à l’inverse, on ne saurait tenir un homme pour responsable de ses act
981
st de jouir des droits du citoyen à part entière,
et
tous ces éléments spirituels, juridiques, sociaux ou philosophiques,
982
ridiques, sociaux ou philosophiques, se combinent
et
permutent à doses variables dans notre idée de la liberté. Il n’est p
983
fficile à définir, plus facile à nier en théorie,
et
il n’est pas d’idée plus exaltante en fait pour les Européens de tout
984
ltante en fait pour les Européens de toute nation
et
de toute classe, de toute croyance et de toute incroyance. L’appel de
985
oute nation et de toute classe, de toute croyance
et
de toute incroyance. L’appel de la liberté, la revendication de la li
986
plus commun à tous les hommes de notre continent,
et
l’on peut voir en lui le plus proche équivalent de l’invocation au sa
987
peuples, c’est un sens emprunté à l’Europe, même
et
surtout s’il justifie un élan de révolte contre elle, prétextant un c
988
ens de la vérité objective dérivent nos sciences,
et
par suite, nos techniques ; du sens de la responsabilité personnelle,
989
de la liberté dérivent toutes nos institutions :
et
enfin, de la combinaison des trois vertus résulte notre dynamisme irr
990
e nous le devons, aux conflits spirituels, drames
et
tensions qui devaient nécessairement en résulter et qui nous condamna
991
tensions qui devaient nécessairement en résulter
et
qui nous condamnaient à la recherche, à l’invention, au dépassement p
992
cherche, à l’invention, au dépassement perpétuel,
et
souvent à l’émigration aventureuse, et toujours à l’exportation de no
993
perpétuel, et souvent à l’émigration aventureuse,
et
toujours à l’exportation de nos produits, donc au total, à l’expansio
994
siècle, voilà qui me paraît purement accidentel
et
relatif. Toute énergie, toute force physique ou spirituelle, peut êtr
995
uropéens qui ont développé les sciences physiques
et
naturelles, à un degré littéralement incomparable. Certes, les peuple
996
e, ce laboratoire du monde, a poussé les sciences
et
les techniques qui en dérivent jusqu’au point où elles permettent non
997
truire, ou de se transformer demain radicalement,
et
d’une manière imprévisible. Avant de concentrer leurs énergies sur ce
998
vec non moins d’audace, l’exploration de l’espace
et
du temps. L’espace d’abord. Ce sont les Européens qui ont découvert l
999
s Européens qui lui ont donné son contenu concret
et
ont seuls démontré sa conscience. On peut le dire : l’idée de genre h
1000
Ce sont les Européens qui ont inventé l’histoire
et
l’historiographie, avec tout ce que cela implique : philosophie de l’
1001
n tire, renouvellement des arts, sujets de romans
et
de pièces de théâtre, arsenal de citations pour les hommes politiques
1002
, arsenal de citations pour les hommes politiques
et
finalement : superstition moderne du « sens inévitable de l’histoire
1003
à partir de la découverte géographique du monde.
Et
l’on sait le rôle décisif que ces sciences ont joué dans l’évolution
1004
iences ont joué dans l’évolution de la sociologie
et
de la psychologie analytique, autres inventions de l’Europe. Enfin, p
1005
tous les trésors ainsi ramenés du fond des temps
et
de l’espace, les Européens ont inventé le Musée. Et à partir de ces c
1006
de l’espace, les Européens ont inventé le Musée.
Et
à partir de ces condensations prodigieuses de siècles et de continent
1007
rtir de ces condensations prodigieuses de siècles
et
de continents que sont nos musées et bibliothèques, ils ont élaboré l
1008
s de siècles et de continents que sont nos musées
et
bibliothèques, ils ont élaboré les préalables d’une science comparée
1009
es préalables d’une science comparée des cultures
et
des civilisations, des religions et des arts, des morales et des gouv
1010
des cultures et des civilisations, des religions
et
des arts, des morales et des gouvernements et cette sociologie totale
1011
lisations, des religions et des arts, des morales
et
des gouvernements et cette sociologie totale, ou planétaire, prépare
1012
ons et des arts, des morales et des gouvernements
et
cette sociologie totale, ou planétaire, prépare elle aussi les voies
1013
voilà ce qu’elle offre désormais au monde entier,
et
elle ne peut faire autrement, car toutes les créations que je viens d
1014
s le monde, appellent le monde, s’en nourrissent,
et
toutes préparent son unité après avoir exploré ses variétés. La quest
1015
hniques, son hygiène, ses institutions politiques
et
sociales, son parlementarisme, ses syndicats, et tous ses arts et sa
1016
et sociales, son parlementarisme, ses syndicats,
et
tous ses arts et sa philosophie en tant qu’activités profanes, et tou
1017
parlementarisme, ses syndicats, et tous ses arts
et
sa philosophie en tant qu’activités profanes, et tous leurs procédés
1018
et sa philosophie en tant qu’activités profanes,
et
tous leurs procédés et un peu de leur logique… Mais l’Europe n’a pas
1019
ant qu’activités profanes, et tous leurs procédés
et
un peu de leur logique… Mais l’Europe n’a pas exporté sa sagesse régu
1020
trecroisées, d’innombrables tensions, déchirantes
et
fécondes. Le monde entier reçoit avec avidité nos machines, nos doctr
1021
avidité nos machines, nos doctrines, nos remèdes
et
nos poisons, et beaucoup de nos secrets de puissance matérielle — en
1022
hines, nos doctrines, nos remèdes et nos poisons,
et
beaucoup de nos secrets de puissance matérielle — en un mot, le monde
1023
l ne reçoit pas les valeurs religieuses, éthiques
et
philosophiques, qui expliquent seules la genèse de ces produits, et q
1024
qui expliquent seules la genèse de ces produits,
et
qui seules permettraient de les maintenir en composition. Le monde ch
1025
les plus douteux — le nationalisme, par exemple —
et
le retourne contre nous. Le monde entier s’européanise dans ses appar
1026
achines, hygiène, costumes, transports, urbanisme
et
architecture. Mais ce même monde méprise, ou ignore simplement notre
1027
e méprise, ou ignore simplement notre psychologie
et
notre spiritualité. Il exige nos machines, mais refuse notre éthique
1028
rs pouvoirs par ce monde même qu’ils ont suscité.
Et
Dieu sait de quelle manière les autres continents menacent d’abuser d
1029
il périlleux de l’ère mondiale. Moment dramatique
et
passionnant, dont il nous faut tâcher d’évaluer les risques angoissan
1030
ous faut tâcher d’évaluer les risques angoissants
et
les chances admirables. La crise de notre civilisation, provoquée par
1031
ire contre eux tous que je ne le crois nullement,
et
je vais en donner trois raisons principales. Première raison : la civ
1032
rée dans ses derniers recoins. Alexandre le Grand
et
les empereurs chinois s’imaginèrent qu’ils dominaient le monde entier
1033
ons aussi que toutes les villes nouvelles en Asie
et
en Afrique imitent nos villes modernes, leurs procédés de constructio
1034
rocédés de construction, leurs rues, leurs places
et
leur mairie, leurs hôpitaux et leurs écoles, et leurs hôtels et leurs
1035
rues, leurs places et leur mairie, leurs hôpitaux
et
leurs écoles, et leurs hôtels et leurs journaux, et même leurs embarr
1036
s et leur mairie, leurs hôpitaux et leurs écoles,
et
leurs hôtels et leurs journaux, et même leurs embarras de circulation
1037
, leurs hôpitaux et leurs écoles, et leurs hôtels
et
leurs journaux, et même leurs embarras de circulation. Nous savons bi
1038
leurs écoles, et leurs hôtels et leurs journaux,
et
même leurs embarras de circulation. Nous savons bien que tous les pay
1039
ous les pays neufs imitent nos parlements, partis
et
syndicats, et même parfois nos dictatures. Et nous savons que ce mouv
1040
eufs imitent nos parlements, partis et syndicats,
et
même parfois nos dictatures. Et nous savons que ce mouvement d’imitat
1041
tis et syndicats, et même parfois nos dictatures.
Et
nous savons que ce mouvement d’imitation s’opère à sens unique et n’e
1042
ue ce mouvement d’imitation s’opère à sens unique
et
n’est plus réversible. Mais comment expliquer ce phénomène sans précé
1043
nguait par là de toutes les autres, monolithiques
et
homogènes. Voilà sans doute pourquoi elle s’est trouvé la seule assez
1044
ourquoi elle s’est trouvé la seule assez complexe
et
multiforme pour pouvoir sinon satisfaire, du moins séduire tous les p
1045
ie, dans le monde d’aujourd’hui, plus de machines
et
d’assistants techniques que de livres et de missionnaires. Elle s’est
1046
machines et d’assistants techniques que de livres
et
de missionnaires. Elle s’est laïcisée, profanisée, et détachée du chr
1047
e missionnaires. Elle s’est laïcisée, profanisée,
et
détachée du christianisme qui a contribué de tant de manières à la fo
1048
ué de tant de manières à la former. Par là même —
et
c’est bien son drame en même temps que la condition de son « succès »
1049
s’est rendue plus transportable, plus acceptable
et
imitable qu’aucune autre. Mais il faut voir enfin que cette civilisat
1050
ot homme y était synonyme d’habitant de la vallée
et
du delta du Nil. Il y avait un mot différent pour désigner les habita
1051
s des terres voisines, à mi-chemin entre l’animal
et
l’Égyptien. Pour les Grecs et les Chinois également, il existait deux
1052
emin entre l’animal et l’Égyptien. Pour les Grecs
et
les Chinois également, il existait deux espèces différentes de bipède
1053
erticaux : les Grecs, ou les Chinois, d’une part,
et
les barbares, c’est-à-dire tous les autres, qui n’étaient pas vraimen
1054
-dire tous les autres, qui n’étaient pas vraiment
et
complètement humains. Ces très hautes civilisations devaient donc néc
1055
devaient donc nécessairement demeurer régionales,
et
décliner dans les limites de leur empire. En revanche, la conception
1056
ement, de considérer tous les hommes comme dignes
et
capables, un jour ou l’autre, de participer pleinement à l’effort civ
1057
créé les conditions techniques de sa conservation
et
de sa transmission aux âges futurs, en même temps qu’elle redécouvrai
1058
x âges futurs, en même temps qu’elle redécouvrait
et
faisait revivre des cultures disparues ou en voie d’extinction. Valér
1059
circonstances qui enverraient les œuvres de Keats
et
celles de Baudelaire rejoindre les œuvres de Ménandre ne sont plus du
1060
dans les journaux ». Depuis lors, on a retrouvé —
et
même joué — plusieurs comédies de Ménandre. Quant aux œuvres de Keats
1061
s comédies de Ménandre. Quant aux œuvres de Keats
et
de Baudelaire, et de Paul Valéry lui-même, reproduites dans le monde
1062
ndre. Quant aux œuvres de Keats et de Baudelaire,
et
de Paul Valéry lui-même, reproduites dans le monde entier, enregistré
1063
tes dans le monde entier, enregistrées sur bandes
et
sur microsillons, elles sont en mesure de résister au temps beaucoup
1064
que les fresques de Lascaux, les statues grecques
et
les temples des Pharaons menacés par les eaux d’un barrage. La mortal
1065
e des Hittites, plus près encore celles des Mayas
et
des Aztèques. Mais les civilisations anciennes de l’Égypte et du Proc
1066
ues. Mais les civilisations anciennes de l’Égypte
et
du Proche-Orient, prolongées par la grecque et la romaine, dont l’ess
1067
te et du Proche-Orient, prolongées par la grecque
et
la romaine, dont l’essentiel vit dans la nôtre, sont-elles vraiment m
1068
? Leurs conquêtes n’ont-elles pas été préservées
et
développées par le Musée et le Laboratoire européens, pour être diffu
1069
es pas été préservées et développées par le Musée
et
le Laboratoire européens, pour être diffusées de nos jours sur toute
1070
lle fortune. Ce sont les lois de Minos, de Dracon
et
de Solon, venues de la Crète et de l’Égypte ancienne par la Grèce, ce
1071
Minos, de Dracon et de Solon, venues de la Crète
et
de l’Égypte ancienne par la Grèce, ce sont le Décalogue et les Béatit
1072
gypte ancienne par la Grèce, ce sont le Décalogue
et
les Béatitudes, c’est enfin le code de Justinien, d’où dérivent l’Hab
1073
code de Justinien, d’où dérivent l’Habeas Corpus
et
la Déclaration des droits de l’Homme, qui définissent aujourd’hui pou
1074
ples de l’OTAN, la dignité de la personne humaine
et
les fondements de tout progrès social ; et non pas le système des cas
1075
umaine et les fondements de tout progrès social ;
et
non pas le système des castes hindoues, ni le mandarinat, ni le Bushi
1076
pourrait pas le dire, car il n’en saurait rien. »
Et
il proposait de corriger comme suit le passage que je vous ai cité :
1077
certitude que nous ne mourrons jamais entièrement
et
que nos cendres sont fécondes. Le temps est passé où les civilisation
1078
xxe siècle, si tant d’écoles antiques de sagesse
et
de mystiques voient leurs livres sacrés publiés de nos jours et retro
1079
s voient leurs livres sacrés publiés de nos jours
et
retrouvent partout des fidèles, c’est par le fait des ethnographes, a
1080
c’est par le fait des ethnographes, archéologues
et
philosophes de l’Europe, poursuivant l’inventaire mondial qu’initière
1081
Renaissance nos Découvreurs de l’espace terrestre
et
du temps de l’humanité. Ceci m’amène à ma troisième raison d’avoir co
1082
ière où avait fleuri une civilisation déterminée.
Et
les autres n’en savaient rien. Mais ce fut plus souvent l’agression d
1083
s Germains submergeant Rome, soit plus audacieuse
et
prestigieuse, comme dans le cas de quelques centaines d’Espagnols s’e
1084
s d’Espagnols s’emparant de l’empire des Aztèques
et
des Incas. Il s’agissait dans tous ces cas, de civilisations locales,
1085
is ils sont nés de la substance même de l’Europe,
et
de nos jours ils s’européanisent à nouveau, plus profondément que l’E
1086
invention marxiste au sens politique de ce terme,
et
encore moins une invention soviétique. Ce n’est pas Popov qui l’a inv
1087
if allemand dont le père était devenu protestant,
et
qui écrivait en Angleterre pour le New York Herald Tribune ! Le marxi
1088
ork Herald Tribune ! Le marxisme est né en Europe
et
de l’Europe, au carrefour d’un débat séculaire entre la théologie chr
1089
’un débat séculaire entre la théologie chrétienne
et
la philosophie des Lumières, au moment où se constituaient la sociolo
1090
ères, au moment où se constituaient la sociologie
et
la technologie, l’industrie, les nationalismes et la presse. On ne sa
1091
et la technologie, l’industrie, les nationalismes
et
la presse. On ne saurait imaginer complexe de forces spirituelles, mo
1092
imaginer complexe de forces spirituelles, morales
et
matérielles plus typiquement et plus incomparablement européen. Quant
1093
ituelles, morales et matérielles plus typiquement
et
plus incomparablement européen. Quant à l’électricité, dont parlait L
1094
nisme a renouvelé l’entreprise de Pierre le Grand
et
a pour la seconde fois européanisé la Russie. Et c’est l’URSS mainten
1095
et a pour la seconde fois européanisé la Russie.
Et
c’est l’URSS maintenant qui s’est chargée d’aider la Chine à liquider
1096
veau cheval de Troie de l’Occident : la Technique
et
tout ce qu’elle entraîne de proche en proche dans les mœurs et les mo
1097
’elle entraîne de proche en proche dans les mœurs
et
les modes de penser d’une nation. Le fameux « bond en avant » de la C
1098
a guère été jusqu’ici qu’un bond vers l’industrie
et
vers le socialisme, inventés par l’Europe et parts intégrantes de sa
1099
trie et vers le socialisme, inventés par l’Europe
et
parts intégrantes de sa civilisation. Quant à l’Afrique noire, observ
1100
ption rapide des formes de vie politique, sociale
et
économique élaborées par l’Europe moderne. Résumons cela : je vois l’
1101
? Je vais le dire : dans l’esprit des Européens,
et
pas ailleurs. III Devant le recul, ou la métamorphose prévisibl
1102
en que notre aveuglement sur nos propres pouvoirs
et
notre vocation. Aux yeux du monde, il n’y a qu’un seul péril sérieux
1103
en fait que par les maladies qu’elle a produites
et
propagées elle-même. C’est dans ses sources, c’est au foyer de sa vit
1104
ation universaliste : je nommerai le nationalisme
et
la superstition matérialiste. Il en va du nationalisme comme de notre
1105
gènes de la Papouasie. Cette passion qui enfièvre
et
qui ruine l’Europe depuis près d’un siècle et demi, et que nous refus
1106
vre et qui ruine l’Europe depuis près d’un siècle
et
demi, et que nous refusons de prendre au tragique, cette passion, qua
1107
i ruine l’Europe depuis près d’un siècle et demi,
et
que nous refusons de prendre au tragique, cette passion, quand elle a
1108
nom de nos principes des revendications haineuses
et
délirantes. Forme collective de l’orgueil, antichrétienne par essence
1109
enne par essence, condamnée nommément par le pape
et
les chefs de toutes les églises, condamnée d’autre part par les condi
1110
s conditions mêmes de l’économie, de la technique
et
de la culture au xxe siècle, le nationalisme n’en poursuit pas moins
1111
emis. Quant au second virus secrété par l’Europe,
et
que je nommerai le matérialisme plat, il prend chez nous les formes l
1112
iverses. Il va du culte du confort chez l’ouvrier
et
le bourgeois, et de l’utilitarisme à courte vue chez le patron et le
1113
culte du confort chez l’ouvrier et le bourgeois,
et
de l’utilitarisme à courte vue chez le patron et le ministre, jusqu’à
1114
et de l’utilitarisme à courte vue chez le patron
et
le ministre, jusqu’à l’indifférence bovine de la grande masse aux réa
1115
des choses comme elles vont, inquiétude, passion
et
refus sans quoi la science et la technique, et les inventions qui les
1116
inquiétude, passion et refus sans quoi la science
et
la technique, et les inventions qui les créent, auraient tôt fait de
1117
on et refus sans quoi la science et la technique,
et
les inventions qui les créent, auraient tôt fait de se mettre en grèv
1118
ient tôt fait de se mettre en grève, de débrayer,
et
de nous livrer sans défense aux fanatiques du statu quo, par où j’ent
1119
s du statu quo, par où j’entends les bureaucrates
et
la police des États. Ces maladies de l’Europe sont plus dangereuses p
1120
rété Hitler, mais en douze ans, elle l’a éliminé,
et
je crois qu’elle s’en trouve immunisée pour très longtemps contre la
1121
vaient avertis. Le mal est venu, nous l’avons vu,
et
nous l’avons vaincu, en peu de temps, au prix de millions de morts, i
1122
temps, au prix de millions de morts, il est vrai…
Et
maintenant, ce n’est pas chez nous, mais chez les autres qu’il triomp
1123
isse Jacob Burckhardt, à la fin du siècle passé ;
et
le second dans un quotidien du parti communiste de Pékin, il y a deux
1124
as être éternellement abandonnées à leur pauvreté
et
à leur envie. Un certain degré contrôlé de misère, avec de l’avanceme
1125
in degré contrôlé de misère, avec de l’avancement
et
des uniformes, chaque journée commencée et terminée par un roulement
1126
cement et des uniformes, chaque journée commencée
et
terminée par un roulement de tambour, voilà ce qui doit logiquement s
1127
ptembre 1958 : À l’aube des trompettes sonnèrent
et
des sifflets retentirent pour le rassemblement de la population de la
1128
alignés. Sur l’ordre des commandants de compagnie
et
de brigades, les équipes, drapeaux en tête, se dirigèrent d’un pas ma
1129
ement vers les champs. On entend des pas cadencés
et
des chants de marche. L’habitude millénaire des paysans à vivre au pe
1130
ope de tels excès. Certes elle est née chez nous,
et
c’était bien chez nous que Burckhardt en avait pressenti les périls.
1131
son tour à nos poisons, au virus du nationalisme
et
au virus du matérialisme, cette forme d’asthénie du spirituel. C’est
1132
te, mais d’illustrer d’abord par l’exemple vécu —
et
pas seulement par nos discours — deux méthodes essentielles à la sant
1133
ilisation : — la première est le fédéralisme, art
et
science de l’union dans la diversité, donc art et science œcuméniques
1134
et science de l’union dans la diversité, donc art
et
science œcuméniques, universels par excellence ; — et la seconde, c’e
1135
cience œcuméniques, universels par excellence ; —
et
la seconde, c’est la recherche spirituelle, sans quoi la science elle
1136
ituelle, sans quoi la science elle-même s’endort,
et
la technique tourne en routine, et toutes nos libertés morales et civ
1137
même s’endort, et la technique tourne en routine,
et
toutes nos libertés morales et civiques s’enlisent dans l’euphorie d’
1138
tourne en routine, et toutes nos libertés morales
et
civiques s’enlisent dans l’euphorie d’un confort insipide, non plus l
1139
anière des drogues. L’union fédérale de l’Europe,
et
j’entends bien : de toutes les forces de l’Europe sociales autant que
1140
rces de l’Europe sociales autant que religieuses,
et
politiques autant que culturelles, cette union fédérale est la condit
1141
t la condition même de notre action dans le monde
et
pour le monde. Il nous faut l’Europe parce qu’il faut faire le monde.
1142
us faut l’Europe parce qu’il faut faire le monde.
Et
parce que l’Europe seule, en faisant le monde, accomplira sa propre v
1143
enne est aussi une force historique, liée en fait
et
depuis plus d’un millénaire aux destins de l’Europe et de l’Occident,
1144
puis plus d’un millénaire aux destins de l’Europe
et
de l’Occident, encore qu’elle n’ait jamais cessé de se proclamer esse
1145
ais alors, c’est l’union de toutes les religions,
et
non pas seulement des chrétiens, que cet argument exigerait. La possi
1146
s : c’est de loin la religion la mieux organisée,
et
c’est la plus forte du monde par le nombre de ceux qui s’y rattachent
1147
es confessions dans les pays de l’Europe de l’Est
et
en Russie (on compterait, aux dernières nouvelles, sur 208 millions d
1148
s de Russes, 35 millions d’orthodoxes pratiquants
et
3 millions de protestants baptistes, à quoi s’ajoutent les luthériens
1149
à quoi s’ajoutent les luthériens des pays baltes
et
les Arméniens du Caucase). Le PC russe n’a jamais dépassé 8 millions
1150
commandés par la substance même du christianisme
et
non point par des hypothèses sur son « succès » dans le monde et sur
1151
r des hypothèses sur son « succès » dans le monde
et
sur sa condition. Ces motifs sont bien évidents. Le christianisme est
1152
d’un Dieu unique, de l’Amour qui cherche l’union,
et
de la Vérité qui ne saurait être qu’une. C’est pour cela, et non poin
1153
rité qui ne saurait être qu’une. C’est pour cela,
et
non point en vertu d’une conjoncture mondiale actuelle ou prévisible,
1154
tuelle ou prévisible, que la désunion persistante
et
déclarée du monde chrétien est un scandale, j’entends bien : un scand
1155
térêt dernier de leur vie. Le christianisme a bel
et
bien donné au monde, et tout d’abord à l’Occident, cette formule de l
1156
e. Le christianisme a bel et bien donné au monde,
et
tout d’abord à l’Occident, cette formule de la communauté fondée sur
1157
, non sur la loi du sang, essentiellement ouverte
et
non pas exclusive. Mais les nécessités de l’organisation et les tenta
1158
exclusive. Mais les nécessités de l’organisation
et
les tentations de la puissance devaient faire prévaloir dans l’Église
1159
de l’unité formelle, qui n’est pas l’union libre
et
réelle, et qui eut tôt fait de transformer en divisions les diversité
1160
formelle, qui n’est pas l’union libre et réelle,
et
qui eut tôt fait de transformer en divisions les diversités spirituel
1161
nous en sommes, il nous faut constater qu’en fait
et
avant tout, ce qui s’oppose à la grande réunion, c’est paradoxalement
1162
n esprit de sagesse politique, toujours méfiante,
et
non de confiance évangélique. Car, s’il est vrai que l’Évangile deman
1163
rt. Chaque Église a son Ange, selon l’Apocalypse,
et
c’est sa vocation distincte. « Il y a plusieurs demeures dans la mais
1164
Églises. L’ambition unitaire me paraît utopique,
et
sa poursuite n’évoque en moi que des images qui offensent la pudeur s
1165
ce me paraît au contraire praticable hic et nunc,
et
déjà pratiquée par beaucoup. Qu’en est-il de cette existence, dans le
1166
le dogme entre docteurs de ces mêmes confessions.
Et
frappé plus encore par l’ignorance naïve où les fidèles eux-mêmes dem
1167
a divinité du Christ, ont supprimé les sacrements
et
n’ont guère qu’un seul dogme, qui est le libre examen. Et beaucoup de
1168
guère qu’un seul dogme, qui est le libre examen.
Et
beaucoup de protestants sont convaincus que l’Église catholique ignor
1169
gatoire. En revanche, combien savent-ils, de part
et
d’autre, que, dans toutes les Églises chrétiennes, la catholique et l
1170
ans toutes les Églises chrétiennes, la catholique
et
l’orthodoxe, l’anglicane et la luthérienne, et celles qui sont issues
1171
iennes, la catholique et l’orthodoxe, l’anglicane
et
la luthérienne, et celles qui sont issues du calvinisme, tous les dog
1172
ue et l’orthodoxe, l’anglicane et la luthérienne,
et
celles qui sont issues du calvinisme, tous les dogmes fondamentaux su
1173
r Dieu, le Christ, le Saint-Esprit, l’Incarnation
et
la Résurrection, sont communément professés ; qu’un même Credo y est
1174
lu tous les dimanches, le même Évangile annoncé,
et
le même Notre Père prié ; que les grands moments de la liturgie, les
1175
les formules de la consécration, de la communion
et
du baptême, celles du mariage et de la confirmation sont toujours ide
1176
de la communion et du baptême, celles du mariage
et
de la confirmation sont toujours identiques par l’esprit, et plus sou
1177
nfirmation sont toujours identiques par l’esprit,
et
plus souvent qu’on le croit par la lettre ; que les mêmes fêtes princ
1178
; que les mêmes fêtes principales sont observées,
et
la même morale enseignée ; et que cela compte finalement davantage qu
1179
les sont observées, et la même morale enseignée ;
et
que cela compte finalement davantage que les vêtements ecclésiastique
1180
l’Europe au cours de siècles, qui me passionnent,
et
que les fidèles ignorent. Que faudrait-il pour rapprocher tous ces fi
1181
tuelle (par exemple assister au culte des autres)
et
l’interdiction solennelle d’enseigner ou de tolérer les préjugés et l
1182
solennelle d’enseigner ou de tolérer les préjugés
et
les clichés des nationalismes religieux. J’ai fait depuis longtemps u
1183
ionnée que je poursuis des tempéraments religieux
et
de leurs formes d’expression : c’est que dans le sein d’une même Égli
1184
ier selon les temps de protestante ou catholique,
et
sur lesquelles la dogmatique confessionnelle a peu de prise. Un seul
1185
serai dire qu’il y a plus : en dépit des formules
et
définitions dogmatiques, si l’on s’en tient aux attitudes existentiel
1186
. Quant à ceux qui savent englober dans une seule
et
même Église les deux tendances — anglicans, luthériens de Suède et d’
1187
s deux tendances — anglicans, luthériens de Suède
et
d’Amérique — ils ouvrent la voie de l’union. Le renouveau des études
1188
al (un peu forcée) dans l’orthodoxie gréco-russe,
et
l’union des Églises de l’Inde, sont autant de signes visibles d’une m
1189
ion » des chrétiens : qu’un fidèle, en tous lieux
et
tous temps, n’importe où, dans le monde entier, puisse entrer au sanc
1190
trer au sanctuaire qui s’offre au coin de la rue,
et
s’unir à l’Auteur de sa foi, ayant dit le credo commun, qui se compre
1191
e sait, dans toutes les langues. Combien d’hommes
et
de femmes hésitant longuement sur le seuil fascinant d’une église — j
1192
tel, reconnaîtraient qu’ils sont enfin chez eux !
Et
je songe à tous ceux que laisse insatisfaits la confession dans laque
1193
lèmes concrets de mon temps, économiques, sociaux
et
politiques (je crains d’avoir lancé le terme d’engagement). Mais je n
1194
le dossier « Le concile de la dernière chance »,
et
est introduit par cette note : « L’auteur de L’Amour et l’Occident
1195
introduit par cette note : « L’auteur de L’Amour
et
l’Occident et de L’Aventure occidentale de l’homme (que les lecteu
1196
ette note : « L’auteur de L’Amour et l’Occident
et
de L’Aventure occidentale de l’homme (que les lecteurs de Réalités
1197
articles sur “La fin du pessimisme” en juin 1957
et
“La nature profonde de l’Europe” en juin 1959) est l’un des plus gran
1198
Le nationalisme
et
l’Europe (mars 1960)p Le nationalisme, dans les peuples du tiers-m
1199
pas à le définir : ses motivations sont ailleurs,
et
surtout, elles sont antérieures à la nécessité présente de l’union, a
1200
être histoire. Il est né d’une dialectique idéale
et
non du jeu des forces économiques, qu’il a faussé en y intervenant, e
1201
ces économiques, qu’il a faussé en y intervenant,
et
qui tend à l’éliminer dans la mesure où il tend à se normaliser. Plut
1202
t donc que de retracer la chronique des triomphes
et
des méfaits du nationalisme en Europe, — ce serait refaire l’histoire
1203
bien se confond donc avec le bien de l’humanité,
et
ses ennemis sont ceux de la paix universelle ; pour leur imposer notr
1204
leur imposer notre bien, toute guerre est sainte,
et
de plus elle est préventive, car il s’agit de défendre contre les jal
1205
it de défendre contre les jaloux, les rétrogrades
et
les impurs, le trésor dont nous avons la garde ; or la guerre a ses e
1206
scipline absolue des individus, de leurs réflexes
et
de leur pensée même, lutte contre les factions, centralisation des po
1207
que c’est de la France que doit partir la liberté
et
le bonheur du monde. Il faut donc protéger par les armes cette Franc
1208
rmes cette France qui annonce la paix universelle
et
qui représente la liberté. Deux ans plus tard, le 9 novembre 1792, la
1209
bats sera un pas de fait vers la paix, l’humanité
et
le bonheur des peuples. Déjà, le Patriote français avait publié le 1
1210
t plus que cette heureuse diversion pour attaquer
et
renverser leurs tyrans… C’est à cette guerre sainte qu’Anacharsis Clo
1211
té, elle est en pleine révolte contre le bon sens
et
le bonheur ; elle coupe les canaux de la prospérité universelle ; sa
1212
ant par la base, sera contradictoire, journalière
et
chancelante. (Discours à la Convention, 26 avril 1793.) Mais ce libé
1213
y oppose ; cette résistance est un état de guerre
et
de servitude dont le genre humain, l’être suprême, fera justice tôt o
1214
emandait la suppression des gouvernements locaux,
et
leur remplacement par une République mondiale dont le centre serait P
1215
: Un corps ne se fait pas la guerre à lui-même,
et
le genre humain vivra en paix, lorsqu’il ne formera qu’un seul corps,
1216
ulerons ici pour ceux qui ne nous ont pas commis,
et
non en faveur de ceux au profit desquels nous pouvons stipuler. J’aim
1217
r l’Europe, le délire d’unité universelle nivelée
et
centralisée, devait conduire la Révolution, par une nécessité concrèt
1218
national », au nationalisme agressif. Dantonistes
et
jacobins, au nom de la paix et de la fraternité universelle, ont décl
1219
essif. Dantonistes et jacobins, au nom de la paix
et
de la fraternité universelle, ont déclenché les premières guerres nat
1220
s mêmes prémisses rousseauistes que les jacobins,
et
de la même ambition de paix universelle que Kant son maître, J. G. Fi
1221
Unis par une même origine, par les mêmes coutumes
et
les mêmes conceptions primitives des forêts de Germanie, ils furent a
1222
romain d’Occident, par une même religion commune
et
la même soumission au chef visible de cette dernière. … Plus tard seu
1223
rd seulement, avec l’introduction du droit romain
et
l’application des concepts romains concernant les Imperators aux rois
1224
mains concernant les Imperators aux rois modernes
et
à l’empereur moderne qui, sans doute à l’origine, ne fut considéré qu
1225
couvents, — commencèrent à avoir cours des idées
et
des institutions proprement politiques… Les États modernes se sont ai
1226
droit la formation d’un État par le rassemblement
et
la réunion d’individus isolés sous l’unité de la loi, mais plutôt par
1227
l’unité de la loi, mais plutôt par la séparation
et
la division d’une seule grande masse humaine, faiblement unie. Ainsi
1228
s. Si toute l’Europe chrétienne avec les colonies
et
les places de commerce qui s’y sont ajoutées dans les autres parties
1229
l’on veut sortir de l’état d’anarchie commerciale
et
politique où nous vivons. Si l’on veut supprimer la guerre, il faut
1230
btienne ce qu’il projette d’obtenir par la guerre
et
ce que seulement il peut projeter raisonnablement d’obtenir : ses fro
1231
ns les mains des citoyens, c’est-à-dire tout l’or
et
l’argent, sera retirée de la circulation et échangée contre une nouve
1232
l’or et l’argent, sera retirée de la circulation
et
échangée contre une nouvelle monnaie nationale, c’est-à-dire n’ayant
1233
en vue de restreindre périodiquement ce commerce
et
de le faire cesser entièrement après un laps de temps déterminé. Il l
1234
sûrement ce but. Il doit y marcher avec méthode,
et
ne laisser passer aucun moment sans retirer quelque avantage en faveu
1235
fabriques calculées pour les débits à l’étranger,
et
consacre les bras qui travaillaient jusqu’ici pour les étrangers à de
1236
mais à rendre la nation entièrement indépendante
et
autonome. Ce ne sont pas seulement les échanges commerciaux qu’il fa
1237
aut supprimer, mais aussi les échanges culturels,
et
le tourisme. Seule exception prévue : les voyages des savants. Et ce
1238
Seule exception prévue : les voyages des savants.
Et
ce trait rappelle avec une étrange précision les pratiques totalitair
1239
es totalitaires du xxe siècle : Le savant seul,
et
l’artiste supérieur ont besoin de voyager hors de l’État commercial f
1240
être permis plus longtemps à une vaine curiosité
et
à la recherche de distractions de transporter en tout pays leur ennui
1241
’effectuent pour le plus grand bien de l’humanité
et
de l’État ; loin de les empêcher, le gouvernement devrait même les en
1242
cher, le gouvernement devrait même les encourager
et
faire voyager aux frais de l’État savants et artistes. Il est évident
1243
ager et faire voyager aux frais de l’État savants
et
artistes. Il est évident que dans une nation ainsi fermée, dont les m
1244
i fermée, dont les membres ne vivent qu’entre eux
et
fort peu avec des étrangers, qui acquiert par suite des mesures indiq
1245
res indiquées sa façon de vivre, son organisation
et
ses mœurs particulières, qui aime avec dévouement la patrie et tout c
1246
particulières, qui aime avec dévouement la patrie
et
tout ce qui est de la patrie, l’honneur national se développera très
1247
le seule, les hommes s’uniront de manière durable
et
ils le doivent, quand pour tout le reste, leur division en peuples di
1248
es particulières… Ce système une fois généralisé,
et
la paix perpétuelle établie parmi les peuples, aucun État sur terre n
1249
t ne peut les utiliser que pour lui à l’intérieur
et
nullement pour en asservir d’autres et pour s’attribuer sur eux une p
1250
’intérieur et nullement pour en asservir d’autres
et
pour s’attribuer sur eux une prépondérance quelconque. De toutes les
1251
reconnaissant l’Europe pour leur patrie commune,
et
d’un bout à l’autre du continent cherchent les mêmes choses et sont a
1252
à l’autre du continent cherchent les mêmes choses
et
sont attirés par les mêmes buts… ». Cette tendance unitive fournit à
1253
e de la culture européenne, portée par la Science
et
libérée de tout impérialisme… Nous n’en sommes peut-être pas loin dan
1254
sus dialectique » aura coûté plus cher à l’Europe
et
au monde que Fichte ne pouvait l’imaginer vers 1800 : ne fut-ce que p
1255
00 : ne fut-ce que par la collusion de la science
et
des nationalismes, ces derniers étant doublement liés à la guerre par
1256
nt doublement liés à la guerre par leur naissance
et
par la loi de leur formation historique. Cette liaison nécessaire, He
1257
! » inaugurait une ère nouvelle, née de la guerre
et
vivant d’elle. « Vive la Nation » ne signifie pas « Vive mon pays »,
1258
ces intérieures. L’État y répondra par la Terreur
et
par la guerre. Car, dit Hegel : Les nations divisées en elles-mêmes
1259
es créées par la volonté d’uniformiser le peuple,
et
des tensions externes créées par l’idéal missionnaire qui amène le Pa
1260
juge ! » pense l’État-nation né de la Révolution
et
qui se sait illégitime dans sa prétention à régner au nom de tous con
1261
os foyers »30, il mobilise l’instinct patriotique
et
opère sur lui la première en date de toutes les nationalisations ; ce
1262
ommunautés locales, des attachements sentimentaux
et
des intérêts de groupe. Notons au passage que la guerre, qu’elle soit
1263
t son esprit national. » (On voit donc que nation
et
Patrie diffèrent pour lui comme esprit et nature.) Cet esprit nationa
1264
nation et Patrie diffèrent pour lui comme esprit
et
nature.) Cet esprit national est « un individu dans la marche de l’Hi
1265
ant, donc par la guerre), puis fatalement décline
et
meurt. Chaque peuple mûrit un fruit ; son activité consiste à accomp
1266
tteinte, il n’a plus rien à faire dans le monde.
Et
encore : À chaque époque domine le peuple qui incarne le plus haut c
1267
ix, de « végéter » précise Hegel, dans le bonheur
et
sans histoire. Nous assistons au transfert décisif de l’idée de vocat
1268
passant des personnes aux nations. II. nation
et
Liberté, ou le grand paradoxe de 1848 Mais cet État-nation, une fo
1269
a Race des maîtres, le Herrenvolk, le Prolétariat
et
sa dictature… Pourquoi ce beau système d’évolution globale vers l’har
1270
terme même du processus de formation des grandes
et
petites nations européennes, qui était censé produire la paix univers
1271
nes, qui était censé produire la paix universelle
et
qui a produit la Première Guerre mondiale ? Le romantisme, en appelan
1272
trôler, mais que seuls les États surent exploiter
et
bientôt nationaliser. De ce tragique malentendu, les poètes de la gén
1273
e 48 furent les premières victimes, enthousiastes
et
bernées. Ils croient tous que nation égale liberté. Ils s’inspirent t
1274
s intérieurs ou étrangers, c’est libérer l’Europe
et
le genre humain. En fait, la liberté de la nation, une fois acquise,
1275
que la souveraineté de l’État qui s’en prévaudra.
Et
l’anarchie des souverainetés divinisées, refusant toute instance supé
1276
tards échoue dans les manuels d’écoles primaires,
et
s’y dénature en nationalisme, culte laïque de l’État. Le mouvement Je
1277
ion industrielle les moyens d’unifier l’humanité,
et
qui, en attendant, achève de la subjuguer par les armes, ne s’est mon
1278
mes, ne s’est montrée à la fois moins humanitaire
et
moins unie. Tout se fait par les États et dans leur cadre au profit d
1279
nitaire et moins unie. Tout se fait par les États
et
dans leur cadre au profit de leurs intérêts immédiats, mal calculés e
1280
profit de leurs intérêts immédiats, mal calculés
et
au détriment de tout équilibre mondial. Et c’est pourquoi les grands
1281
lculés et au détriment de tout équilibre mondial.
Et
c’est pourquoi les grands esprits de la fin du xixe siècle, enregist
1282
dissolution de l’idéal européen, de Ranke à Renan
et
de Nietzsche à Sorel aboutiront à une série de prophéties uniformémen
1283
textes jalonnant cette double évolution des idées
et
des faits, en divergence vertigineuse, qui devait nous mener à 1914.
1284
Henri Heine épouse au début l’idéologie de Herder
et
des romantiques allemands : celle d’une Europe des nationalités, qu’i
1285
lution historique : Tous les peuples de l’Europe
et
du monde devront traverser cette agonie, pour que la vie surgisse de
1286
cette agonie, pour que la vie surgisse de la mort
et
pour qu’à la nationalité païenne succède la fraternité chrétienne. P
1287
zinien d’une « Internationale des nationalités »,
et
il loue Herder d’avoir considéré l’humanité « comme une grande harpe
1288
rand maître », chaque nation étant une des cordes
et
contribuant par un son particulier à « l’harmonie universelle ». Il n
1289
nse des diversités européennes, pour les Hongrois
et
les Polonais écrasés par la Russie, elle est le synonyme concret des
1290
st le synonyme concret des libertés élémentaires.
Et
malheur à l’Europe si elle abandonne ces peuples ! Voici deux textes
1291
groise, Lajos Kossuth, qui put émigrer en Europe,
et
au poète-soldat Alexandre Petőfi, aide de camp du général polonais Be
1292
dre Petőfi, aide de camp du général polonais Bem,
et
qui fut tué dans un combat. Kossuth, à Bruxelles en 1859 : Je me bor
1293
epuis le ixe siècle, que sa gloire dans le passé
et
ses espérances dans l’avenir, que la mémoire des incalculables servic
1294
culables services rendus par elle à la chrétienté
et
à la civilisation, que l’immense intérêt que l’Europe porte à sa vigo
1295
elle reste la Hongrie. Enlevez-lui cette qualité,
et
elle n’est plus rien pour l’Europe, si peu que rien même ; car elle n
1296
-garde de la monarchie universelle de la Russie.
Et
Petőfi, dans son poème de 1848 intitulé « Silence de l’Europe » : L’
1297
’Europe se tait… Honte à cette Europe silencieuse
Et
qui n’a pas conquis sa liberté ! Lâches, les peuples t’ont abandonné
1298
ns la capitale du monde, elle jugera les nations.
Et
elle dira à la première : Voilà que j’étais attaquée par les brigands
1299
re : Voilà que j’étais attaquée par les brigands,
et
je criais vers toi, nation, afin d’avoir un morceau de fer pour défen
1300
tion, afin d’avoir un morceau de fer pour défense
et
une poignée de poudre, et toi tu m’as donné un article de gazette. Ma
1301
eau de fer pour défense et une poignée de poudre,
et
toi tu m’as donné un article de gazette. Mais cette nation répondra :
1302
tte nation répondra : Quand m’avez-vous appelée ?
Et
la Liberté répondra : J’ai appelé par la bouche de ces pèlerins, et t
1303
ndra : J’ai appelé par la bouche de ces pèlerins,
et
tu ne m’as pas écoutée ; va donc en servitude, là où il y aura le sif
1304
servitude, là où il y aura le sifflement du knout
et
le cliquetis des ukases. … Les Puissances ont rejeté votre pierre de
1305
es ont rejeté votre pierre de l’édifice européen,
et
voici que cette pierre deviendra la pierre angulaire et la clef de vo
1306
ci que cette pierre deviendra la pierre angulaire
et
la clef de voûte de l’édifice futur ; et celui sur qui elle tombera,
1307
ngulaire et la clef de voûte de l’édifice futur ;
et
celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera, et celui qui se heurtera
1308
; et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera,
et
celui qui se heurtera contre elle, il tombera et ne se relèvera point
1309
et celui qui se heurtera contre elle, il tombera
et
ne se relèvera point. Et du grand édifice politique européen, il ne r
1310
contre elle, il tombera et ne se relèvera point.
Et
du grand édifice politique européen, il ne restera pas pierre sur pie
1311
rti. Philosophe, théologien, homme d’État libéral
et
catholique, qui fut mêlé aux conspirations républicaines de 1833, exi
1312
onspirations républicaines de 1833, exilé à Paris
et
à Bruxelles, puis réhabilité par le Piémont dont il devint le Premier
1313
fut un néo-guelfe. Il voulait l’union de l’Italie
et
il voulait aussi l’union de l’Europe : l’une étant condition de l’aut
1314
ein duquel toutes les « nationalités » politiques
et
spirituelles, sauvegardant leur diversité, entreraient dans un rappor
1315
e : La dictature du pape, chef civil de l’Italie
et
ordonnateur de l’Europe, sera le fondement des diverses chrétientés n
1316
uvrage publié à Bruxelles : De la primauté morale
et
civile des Italiens, que l’on appelle en Italie Il Primato, et qui eu
1317
Italiens, que l’on appelle en Italie Il Primato,
et
qui eut un succès retentissant. Dans son traité Della Nazionalità ita
1318
ectique » de la cité à la nation, puis à l’Europe
et
au monde : Christ, en assignant pour but terrestre ultime à la socié
1319
, en tant qu’amphictyonie des nations chrétiennes
et
degré supérieur du processus d’unification qui tend à embrasser le ge
1320
enre humain, n’a pas d’autre origine. La Pologne
et
la Hongrie sont des nationalités opprimées et qui ont perdu l’indépen
1321
gne et la Hongrie sont des nationalités opprimées
et
qui ont perdu l’indépendance ; l’Allemagne et l’Italie sont des natio
1322
ées et qui ont perdu l’indépendance ; l’Allemagne
et
l’Italie sont des nations encore à naître. On conçoit que pour ces pa
1323
dée nationale se confonde avec l’idée de Liberté,
et
s’harmonise avec l’idée d’Europe unie : une nation en devenir n’a pas
1324
grands aînés, de l’Espagne, de la Grande-Bretagne
et
de la France, ces modèles de l’État national fortement constitué et q
1325
es modèles de l’État national fortement constitué
et
qui ne veut rien devoir à personne ? À la différence de l’Espagne, qu
1326
férence de l’Espagne, qui se replie sur son passé
et
dans son génie, de la Grande-Bretagne dont les ambitions se déploient
1327
retagne dont les ambitions se déploient outre-mer
et
qui voit d’un bon œil les puissances du Continent se multiplier, « s’
1328
ces du Continent se multiplier, « s’équilibrer »,
et
en fait se neutraliser, la France de 48 se considère comme une nation
1329
besoin, « les mouvements légitimes de croissance
et
de nationalité des peuples ». Cependant, elle n’entend pas : incendi
1330
place sur l’horizon des peuples pour les devancer
et
les guider à la fois… La raison, rayonnant de partout, par-dessus les
1331
qui sera l’achèvement de la Révolution française
et
la constitution de la fraternité internationale sur le globe. Miche
1332
ciel, c’est-à-dire de moins fatal, de plus humain
et
de plus libre dans le monde, c’est l’Europe, de plus européen, c’est
1333
ansfiguration » des idéaux de 48 en un européisme
et
en un mondialisme sublimes, achevant ainsi — mais dans l’imaginaire —
1334
ce qu’il n’est pas suspect de nationalisme borné,
et
parce qu’il fut au xixe siècle le prophète le plus exalté de l’union
1335
se ambiguïté de l’idée nationale. Cette généreuse
et
sincère volonté de se perdre dans l’universel, de se transfigurer en
1336
re dans l’universel, de se transfigurer en Europe
et
en monde, ne sera-t-elle pas nécessairement interprétée par les autre
1337
r secret de gagner tout l’univers au style de vie
et
de pensée d’une « nation mère » ? Parlant des « sauvages » de l’Empir
1338
Hercule ou par l’ascension comme Jésus-Christ […]
et
c’est ainsi qu’Athènes, Rome et Paris sont pléiades. Lois immenses. L
1339
Jésus-Christ […] et c’est ainsi qu’Athènes, Rome
et
Paris sont pléiades. Lois immenses. La Grèce s’est transfigurée, et e
1340
ades. Lois immenses. La Grèce s’est transfigurée,
et
est devenue le monde chrétien ; la France se transfigurera et deviend
1341
ue le monde chrétien ; la France se transfigurera
et
deviendra le monde humain. La Révolution de France s’appellera l’évol
1342
aînée. […] Cette nation aura pour capitale Paris,
et
ne s’appellera point la France ; elle s’appellera l’Europe. Elle s’ap
1343
’Europe. Elle s’appellera l’Europe au xxe siècle
et
, aux siècles suivants, plus transfigurée encore, elle s’appellera l’H
1344
u sujet de son petit pays : La Suisse a clarifié
et
réalisé dans son domaine des idées et des principes féconds pour l’en
1345
a clarifié et réalisé dans son domaine des idées
et
des principes féconds pour l’ensemble des États européens, principes
1346
ation nationale dont rêvaient Hugo pour la France
et
Mazzini pour l’Italie ; mais voilà qui ne paraît concevable que dans
1347
, non les faire. Dans le même temps, le diplomate
et
philosophe prussien Constantin Frantz démontre que l’absence d’unité
1348
lisme, condamné par Frantz sous sa forme étatique
et
bornée, réapparaît irrésistiblement sous la forme épurée d’une missio
1349
ssus, illustré par toutes les grandes voix de 48,
et
de la période qui suit, à l’Est comme à l’Ouest, et en Suisse comme e
1350
de la période qui suit, à l’Est comme à l’Ouest,
et
en Suisse comme en France. Il manquait à ce concert une note allemand
1351
nce. Il manquait à ce concert une note allemande,
et
Constantin Frantz nous la donne : Il va de soi qu’une telle fédérati
1352
bord, d’une base réelle, sur laquelle elle repose
et
d’où la première impulsion soit donnée… S’il est vrai que c’est de l’
1353
tout autre, de recréer la communauté des nations
et
de se faire le précurseur d’un renouveau de tout le système européen…
1354
e voire à la Suisse fédéraliste de faire l’Europe
et
de s’y fondre, accomplissant ainsi une vocation nationale, au meilleu
1355
a Russie qui a pour mission de régénérer l’Europe
et
de l’unir un jour, car c’est ainsi seulement que la Russie pourra dev
1356
lavophiles, partisans d’un nationalisme spirituel
et
culturel, de l’orthodoxie pure et des coutumes ancestrales de la Russ
1357
lisme spirituel et culturel, de l’orthodoxie pure
et
des coutumes ancestrales de la Russie paysanne, adversaires donc de «
1358
ussie paysanne, adversaires donc de « l’Europe »,
et
cette revue s’intitule Europa ! Par la plume d’Ivan Kirievsky, son pr
1359
siasme, qui serait restée le privilège des Russes
et
que nos pays de l’Ouest auraient perdue ; mais cette notion se trouve
1360
tée à Schelling… À l’égard de l’Europe décomposée
et
désunie, irréligieuse, révolutionnaire, matérialiste et bourgeoisemen
1361
unie, irréligieuse, révolutionnaire, matérialiste
et
bourgeoisement satisfaite, la mission de la Russie authentique est d’
1362
: le salut de l’Europe sera russe. Pour Kirievsky
et
ses amis, la notion d’hégémonie organisatrice est capitale : Pour qu
1363
ue l’unité de l’Europe se constitue organiquement
et
harmonieusement, il est nécessaire qu’il existe à cette fin un centre
1364
qui domine les autres de sa supériorité politique
et
culturelle… Seule la Russie en est capable. Et c’est aussi ce que p
1365
et culturelle… Seule la Russie en est capable.
Et
c’est aussi ce que pensera Dostoïevski, et ce qu’il exprimera cent fo
1366
pable. Et c’est aussi ce que pensera Dostoïevski,
et
ce qu’il exprimera cent fois dans son Journal d’un écrivain, gazette
1367
l publie seul, à intervalles irréguliers, en 1876
et
1877. L’avenir de l’Europe appartient à la Russie. La plus haute par
1368
ul faisceau, car ce n’est pas seulement la Russie
et
le panslavisme que nous servons, c’est l’humanité entière… Les Europé
1369
ncibles, grâce à l’unité de notre esprit national
et
de notre conscience nationale. Tirons l’épée, s’il le faut, au nom de
1370
la véritable mission de la Russie, à sa puissance
et
à sa vérité : se sacrifier pour ceux qui, en Europe, sont opprimés et
1371
sacrifier pour ceux qui, en Europe, sont opprimés
et
abandonnés au nom des prétendus intérêts de la civilisation. Il faut
1372
-il sans cela ? Au nom de la véritable religion,
et
pour leur bien, les Européens opprimés par une fausse civilisation so
1373
e civilisation sont invités à se laisser éclairer
et
libérer par la sainte Russie, sous peine de « sombrer dans le cynisme
1374
Russie, sous peine de « sombrer dans le cynisme »
et
d’y trouver leur fin, « vers laquelle il semble bien qu’ils s’achemin
1375
ion contrôlée de « ce qui s’est vraiment passé »,
et
par son refus de tout système dialectique permettant de survoler les
1376
tème dialectique permettant de survoler les faits
et
dotant l’évolution d’on ne sait quelle énergie intrinsèque : « Chaque
1377
remière unité. Sous la conduite des papes romains
et
des empereurs germains, la communauté des Européens n’a cessé de se d
1378
mmunauté des Européens n’a cessé de se développer
et
de s’affirmer. Ranke ne croit nullement que le conflit de la papauté
1379
e ne croit nullement que le conflit de la papauté
et
de l’Empire, puis du catholicisme et de la Réforme, aient été des gra
1380
e la papauté et de l’Empire, puis du catholicisme
et
de la Réforme, aient été des grands malheurs pour l’Europe, car cette
1381
op profondément fondée dans la nature des choses,
et
ces oppositions ont fait mûrir l’esprit européen. Le danger que repr
1382
s dernières prenaient le dessus, c’est la Culture
et
le christianisme qui seraient menacés. Pour Renan, la menace portera
1383
porterait plutôt sur « les intérêts de la raison
et
de la civilisation ». Dans la préface à sa fameuse conférence prononc
1384
irs, de sacrifices, de gloires, souvent de deuils
et
de regrets communs ; dans le présent, du désir de continuer à vivre e
1385
oir fait ensemble de grandes choses dans le passé
et
de vouloir en faire encore dans l’avenir. … De nos jours, on commet u
1386
r plus grave : on confond la race avec la nation,
et
l’on attribue à des groupes ethnographiques ou plutôt linguistiques,
1387
pas tout, comme chez les rongeurs ou les félins,
et
on n’a pas le droit d’aller par le monde tâter le crâne des gens, pui
1388
à se réunir ; elle n’y force pas. Les États-Unis
et
l’Angleterre, l’Amérique espagnole et l’Espagne parlent la même langu
1389
États-Unis et l’Angleterre, l’Amérique espagnole
et
l’Espagne parlent la même langue et ne forment pas une seule nation.
1390
que espagnole et l’Espagne parlent la même langue
et
ne forment pas une seule nation. Au contraire, la Suisse, si bien fai
1391
es limites d’une nation sont écrites sur la carte
et
que cette nation a le droit de s’adjuger ce qui est nécessaire pour a
1392
ste. Avec cela, on justifie toutes les violences.
Et
, d’abord, sont-ce les montagnes ou bien sont-ce les rivières qui form
1393
es séparent ; mais les fleuves réunissent plutôt.
Et
puis toutes les montagnes ne sauraient découper des États. Quelles so
1394
ouper des États. Quelles sont celles qui séparent
et
celles qui ne séparent pas ? De Biarritz à Tornea, il n’y a pas une e
1395
ur les masses ouvrières entassées dans les usines
et
condamnées à la misère et à l’envie, un avenir exactement totalitaire
1396
tassées dans les usines et condamnées à la misère
et
à l’envie, un avenir exactement totalitaire : … Un certain degré dét
1397
ement totalitaire : … Un certain degré déterminé
et
contrôlé de misère et d’avancement, chaque journée, en uniforme, comm
1398
Un certain degré déterminé et contrôlé de misère
et
d’avancement, chaque journée, en uniforme, commencée et terminée par
1399
vancement, chaque journée, en uniforme, commencée
et
terminée par un roulement de tambours, voilà ce qui doit logiquement
1400
suivante : démocratie totale ou despotisme absolu
et
sans lois, ce dernier n’étant plus exercé par des dynasties, désormai
1401
ire nationaliste, déguisé en « patriotisme jovial
et
solennel ». Voici entre cent pages du même ton, quelques extraits tir
1402
ton, quelques extraits tirés de Par-delà le bien
et
le mal : Nous autres « bons Européens », nous aussi nous avons des h
1403
rmettons un patriotisme plein de courage, un bond
et
un retour à de vieilles amours et de vieilles étroitesses, des heures
1404
ourage, un bond et un retour à de vieilles amours
et
de vieilles étroitesses, des heures d’effervescence nationale, d’ango
1405
vec ce qui chez nous n’occupe que quelques heures
et
se passe en quelques heures : pour les uns, il faut la moitié d’une a
1406
elon la rapidité de leurs facultés d’assimilation
et
de renouvellement. Je saurais même me figurer des races épaisses et h
1407
nt. Je saurais même me figurer des races épaisses
et
hésitantes, qui, dans notre Europe hâtive, auraient besoin de demi-si
1408
r surmonter de tels excès de patriotisme atavique
et
d’attachement à la glèbe, pour revenir à la raison, je veux dire au «
1409
ns morbides que la folie des nationalités a mises
et
met encore entre les peuples de l’Europe, grâce aux politiciens à la
1410
e l’Europe, grâce aux politiciens à la vue courte
et
aux mains promptes qui règnent aujourd’hui avec l’aide du patriotisme
1411
simple politique d’entracte, — grâce à tout cela,
et
à bien des choses encore qu’on ne peut dire aujourd’hui, on méconnaît
1412
veut devenir une. Tous les hommes un peu profonds
et
d’esprit large qu’a vus ce siècle ont tendu vers ce but unique du tra
1413
ils voulurent frayer les voies à un nouvel accord
et
tentèrent de réaliser en eux-mêmes l’Européen à venir ; s’ils apparti
1414
sche précise la nature de ces « grands intérêts »
et
prévoit la nécessité d’un Marché commun de l’Europe : À tout cela s’
1415
ts États de l’Europe — j’entends tous nos empires
et
États actuels — doivent nécessairement devenir non viables, économiqu
1416
ement parlant, sous la pression du grand commerce
et
des échanges mondiaux transcendant toutes les frontières. Le dernier
1417
sont singulièrement opposées les unes aux autres,
et
dans leurs intérêts immédiats, et dans leurs mœurs, et dans leurs amb
1418
nes aux autres, et dans leurs intérêts immédiats,
et
dans leurs mœurs, et dans leurs ambitions. L’Europe n’a pas de chance
1419
ns leurs intérêts immédiats, et dans leurs mœurs,
et
dans leurs ambitions. L’Europe n’a pas de chance. Tous ses habitants
1420
r que dans une seule idée : se faire la guerre. …
Et
il y a le slavisme qui met son grain de sel là-dedans. La politique p
1421
end ? Avant dix ans, elle sombrera dans la guerre
et
l’anarchie, comme elle a toujours fait deux ou trois fois par siècle.
1422
qui est la terre-type du malheur de l’humanité »,
et
qui réinventait à peu de mots près la phrase d’Ivan Karamazov partant
1423
re… » ; Sorel qui marque le passage entre un Marx
et
un Nietzsche, ses maîtres au xixe siècle, un Lénine et un Mussolini,
1424
Nietzsche, ses maîtres au xixe siècle, un Lénine
et
un Mussolini, ses disciples au xxe siècle, fut sans doute l’observat
1425
le plus pessimiste de l’Europe des nationalismes.
Et
c’est à lui que 1914 donnera raison. Car 1914 sonne le glas non de l’
1426
de l’Europe, certes, mais de l’Europe des nations
et
de son impérialisme planétaire. Il faudra cependant en venir aux excè
1427
ouveraineté absolue éclatent aux yeux des peuples
et
de leurs hommes d’État, dans les pays au moins qui auront subi, à l’O
1428
ire nationale-socialiste. L’Allemagne, la France,
et
l’Italie, au lendemain de leur libération, inscrivent dans leur Const
1429
ologie encore inédite, dans laquelle j’ai groupé
et
commenté plusieurs centaines de textes sur l’Europe, d’Hésiode à nos
1430
Benjamin Constant. 31. Article intitulé le Droit
et
la Loi, 1875. 32. Article intitulé l’Avenir, 1867. 33. Cf. supra p.
1431
1935. p. Rougemont Denis de, « Le nationalisme
et
l’Europe », La Table ronde, Paris, mars 1960, p. 9-26.
1432
telle phrase ne puisse être énoncée qu’en Europe,
et
seulement par la bouche d’Européens, nous fournit, paradoxalement, un
1433
e continent. Un homme qui nie que l’Europe existe
et
qu’elle ait une culture commune ne saurait être un Asiatique, un Afri
1434
us près ce paradoxe. Les intellectuels sceptiques
et
les adversaires déclarés (ou non) de l’union européenne ont coutume d
1435
lement des cultures nationales, car les Allemands
et
les Français, ou les Scandinaves et les Italiens, sont trop différent
1436
les Allemands et les Français, ou les Scandinaves
et
les Italiens, sont trop différents entre eux pour former une unité qu
1437
ute vraie culture est universelle par définition,
et
nos problèmes, en Europe, sont à peu près les mêmes que ceux qui se p
1438
attitudes négatives, d’ailleurs contradictoires,
et
sans doute absurdes, mais si courantes ? La première, celle qui fait
1439
llemands sont portés à la philosophie, belliqueux
et
buveurs de bière ; les Français ne pensent qu’à l’amour ; les Suisses
1440
rfois aussi sur une connaissance trop méticuleuse
et
pédante de nos diversités, sur une expérience, vécue jusqu’à l’irrita
1441
usqu’à l’irritation, du tempérament, des coutumes
et
des préjugés de nos voisins. La seconde attitude, celle qui fait dire
1442
première attitude est en somme celle d’un myope,
et
la seconde celle d’un presbyte. Essayons maintenant de corriger notre
1443
, l’unité de notre culture s’impose immédiatement
et
sans hésitation à l’esprit de ceux qui l’observent, que ce soit en am
1444
i l’observent, que ce soit en amis ou en ennemis,
et
peut-être surtout en ennemis. À ceux qui seraient tentés de nier, à p
1445
de nier, à priori, l’originalité de notre culture
et
le fait qu’elle nous est commune du Cap Nord au Péloponnèse et de Mad
1446
’elle nous est commune du Cap Nord au Péloponnèse
et
de Madrid à Varsovie, je répondrai d’un seul mot : Voyagez ! Quittez
1447
Voyagez ! Quittez l’Europe, vous la découvrirez !
Et
dès que vous commencerez à pressentir certaines réalités vastes et in
1448
ommencerez à pressentir certaines réalités vastes
et
inquiétantes, vraiment « étrangères » cette fois-ci, vous commencerez
1449
table saveur que l’on ne trouve qu’à soi-même »35
et
que je ne trouve qu’à l’Europe. Poussons plus loin le paradoxe (jusqu
1450
, la multiplicité de nos différences — régionales
et
nationales, religieuses et morales, philosophiques et sociales — et l
1451
fférences — régionales et nationales, religieuses
et
morales, philosophiques et sociales — et leur coexistence dans l’espa
1452
ationales, religieuses et morales, philosophiques
et
sociales — et leur coexistence dans l’espace et le temps, et leur mut
1453
igieuses et morales, philosophiques et sociales —
et
leur coexistence dans l’espace et le temps, et leur mutuelle contesta
1454
s et sociales — et leur coexistence dans l’espace
et
le temps, et leur mutuelle contestation critique, et toutes les tensi
1455
— et leur coexistence dans l’espace et le temps,
et
leur mutuelle contestation critique, et toutes les tensions qui en ré
1456
le temps, et leur mutuelle contestation critique,
et
toutes les tensions qui en résultent, ne seraient-ce pas en un mot no
1457
noteraient le mieux l’originalité, la spécificité
et
la communauté, — l’unité de notre culture ? Mais cela n’apparaîtra cl
1458
notre culture ? Mais cela n’apparaîtra clairement
et
ne deviendra vraiment sensible et convaincant, que si nous comparons
1459
îtra clairement et ne deviendra vraiment sensible
et
convaincant, que si nous comparons notre formule de l’unité paradoxal
1460
. Si nous considérons les cultures de l’Antiquité
et
les cultures extraeuropéennes qui subsistent encore ou qui tentent de
1461
origine unique, ou d’un grand principe formateur,
et
d’une continuelle référence à cette source, qui assure la cohérence e
1462
référence à cette source, qui assure la cohérence
et
l’homogénéité des traditions. Tandis que dans d’autres cultures, surt
1463
té traditionnelle, originelle, innée à la culture
et
découlant de son passé ; d’autre part, unité synthétique imposée comm
1464
cadre rigide à la culture. Pour fixer les idées,
et
sans vouloir entrer dans de périlleuses analyses, j’illustrerai la pr
1465
ires contemporaines, telles que l’URSS de Staline
et
la Chine de Mao (pour ne rien dire des tentatives rapidement avortées
1466
atives rapidement avortées du national-socialisme
et
du fascisme) serviront d’exemples pour la deuxième formule. Il suffir
1467
en voir que la formule de l’unité traditionnelle,
et
la formule de l’unification contrainte, sont en violent contraste ave
1468
inte, sont en violent contraste avec les réalités
et
principes caractéristiques de la culture européenne. La première vise
1469
culture européenne. La première vise à maintenir
et
la seconde à établir une unité dans l’homogène, facilement concevable
1470
une unité dans l’homogène, facilement concevable
et
vérifiable, tandis que l’Europe ne trouve son unité paradoxale, à la
1471
e trouve son unité paradoxale, à la fois évidente
et
presque informulable, que dans le libre jeu de ses diversités. Mais i
1472
emander d’où proviennent ces fameuses diversités,
et
comment il se fait que l’Europe en ait tant, et même les multiplie co
1473
, et comment il se fait que l’Europe en ait tant,
et
même les multiplie comme à plaisir, au lieu d’essayer de les réduire.
1474
la pluralité des origines de notre civilisation.
Et
elles sont entretenues ou renouvelées sans cesse par notre refus décl
1475
par notre refus déclaré de toute doctrine unique
et
unifiante, imposée par une force extérieure au mouvement spontané de
1476
a culture. Nous tous, que nous le sachions ou non
et
que nous l’acceptions ou non, et quel que soit notre passeport, desce
1477
sachions ou non et que nous l’acceptions ou non,
et
quel que soit notre passeport, descendons par nos mœurs, croyances ou
1478
ances, par les mythes gouvernant nos sensibilités
et
par nos formes de pensée, d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, et derr
1479
s et par nos formes de pensée, d’Athènes, de Rome
et
de Jérusalem, et derrière ces trois villes illustres, du Proche-Orien
1480
es de pensée, d’Athènes, de Rome et de Jérusalem,
et
derrière ces trois villes illustres, du Proche-Orient sémite, de l’Ir
1481
es illustres, du Proche-Orient sémite, de l’Iran,
et
de l’Inde. Nous venons aussi des profondeurs obscures du monde celtiq
1482
aussi des profondeurs obscures du monde celtique
et
du monde germanique, et parfois même du monde arabe et du monde slave
1483
bscures du monde celtique et du monde germanique,
et
parfois même du monde arabe et du monde slave. Entre ces origines div
1484
monde germanique, et parfois même du monde arabe
et
du monde slave. Entre ces origines diverses, hétérogènes, se sont pro
1485
ujours provisoires. Entre l’homme grec, astucieux
et
critique, le citoyen romain obéissant à la raison d’État, le fidèle c
1486
bre quand il touche son épée, le Celte romantique
et
magique, — et nous descendons tous de la plupart d’entre eux, par les
1487
ouche son épée, le Celte romantique et magique, —
et
nous descendons tous de la plupart d’entre eux, par les coutumes cons
1488
plupart d’entre eux, par les coutumes conscientes
et
inconscientes autant et plus que par les chromosomes — que de contrad
1489
les coutumes conscientes et inconscientes autant
et
plus que par les chromosomes — que de contradictions insurmontables,
1490
is boiteux, de polémiques subtiles ou passionnées
et
d’alliances imprévues, infiniment variées selon les temps et les lieu
1491
ces imprévues, infiniment variées selon les temps
et
les lieux — et toujours remises en question ! De cet immense complexe
1492
infiniment variées selon les temps et les lieux —
et
toujours remises en question ! De cet immense complexe de tensions dé
1493
e nous le devons, aux conflits spirituels, drames
et
tensions qui devaient nécessairement en résulter, et qui nous condamn
1494
tensions qui devaient nécessairement en résulter,
et
qui nous condamnaient à la recherche, à l’invention, à l’expansion, à
1495
, ont pu jouer. Mais la diversité de nos origines
et
leur discussion millénaire suffisent dans tous les cas à rendre compt
1496
ous les cas à rendre compte d’un dynamisme unique
et
sans rival dans les annales du genre humain. En dépit de ce que je vi
1497
ts, j’envisagerai maintenant les éléments communs
et
permanents, les caractères spécifiques de la culture européenne ; j’e
1498
apparaît immédiatement comme à la fois pluraliste
et
profane. Culture de dialogue et de contestation, du seul fait de ses
1499
a fois pluraliste et profane. Culture de dialogue
et
de contestation, du seul fait de ses origines multiples et des valeur
1500
testation, du seul fait de ses origines multiples
et
des valeurs souvent incompatibles qu’elle en a héritées, l’Europe n’a
1501
utions, sa religion, sa philosophie, son économie
et
ses arts. On a beau citer le Moyen Âge comme une période bénie d’unit
1502
n Âge comme une période bénie d’unité des esprits
et
des cœurs, telle que l’a décrite Novalis : nous savons aujourd’hui qu
1503
is : nous savons aujourd’hui qu’il n’en fut rien,
et
que les conflits qui déchirèrent le Moyen Âge ne furent pas moins vio
1504
culture, n’a pas produit seulement de l’anarchie
et
des guerres. Il a contraint les élites, et par elles la partie agissa
1505
archie et des guerres. Il a contraint les élites,
et
par elles la partie agissante des masses européennes, à développer ce
1506
ective, le sens de la responsabilité personnelle,
et
le sens de la liberté. Ces trois vertus se conditionnent et s’impliqu
1507
de la liberté. Ces trois vertus se conditionnent
et
s’impliquent mutuellement en Europe. En revanche, il est évident qu’e
1508
ritiers des premiers principes de la mathématique
et
de l’astronomie élaborées par les civilisations du Proche-Orient. Mai
1509
u monde qu’il a créé. Dans nos rapports avec Dieu
et
le monde, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’illusions flatteuses,
1510
s pouvons donc expliquer par des motifs religieux
et
philosophiques l’un des caractères les plus indiscutables de notre cu
1511
a vérité, qui a pour corollaire le sens critique,
et
qui a permis le développement des sciences exactes, notamment. Voilà
1512
la vérité dite objective, de la simple véracité,
et
du recours aux preuves par neuf. Veuillez songer cependant que l’Asie
1513
es par neuf. Veuillez songer cependant que l’Asie
et
l’Afrique ignorent cette exigence de l’objectivité, et professent un
1514
Afrique ignorent cette exigence de l’objectivité,
et
professent un dédain notoire pour la simple véracité. Leurs cultures
1515
doit répondre de ses actes à la fois devant Dieu
et
devant la société, donc devant son destin sur la terre comme au ciel,
1516
sulte une double exigence de recueillement en soi
et
d’ouverture au monde, de méditation et d’action, ou, traduit en langa
1517
ent en soi et d’ouverture au monde, de méditation
et
d’action, ou, traduit en langage plus moderne : de loisir vraiment li
1518
langage plus moderne : de loisir vraiment libre,
et
de travail. Voilà encore une banalité, me direz-vous. Mais comparez,
1519
x-mêmes — dûment organisés — au travail productif
et
collectif, qui devient le seul but de la vie. Mais c’est un but imper
1520
is c’est un but impersonnel, purement quantitatif
et
matériel, fixé par le gouvernement, au nom d’une doctrine ennuyeuse ;
1521
ine ennuyeuse ; c’est un but général, statistique
et
abstrait, sans relation directe ou immédiate avec le salut de la pers
1522
nne, le bonheur, la sagesse, la saveur de la vie,
et
le sens même de chaque vie. Les cultures traditionnelles au contraire
1523
ont tout réglé. D’où la paresse immense de l’Asie
et
de l’Afrique, le climat tropical n’explique pas tout, loin de là ! Et
1524
climat tropical n’explique pas tout, loin de là !
Et
lorsque les pays « sous-développés » revendiquent à grands cris de ha
1525
arité, puisqu’elle refuse la réalité du prochain.
Et
certes, cela ne signifie pas théoriquement que la sagesse védantique,
1526
nt qu’on ne peut pas « eat his cake and have it »
et
qu’il y a lieu de reconsidérer de part et d’autre la relation entre l
1527
ve it » et qu’il y a lieu de reconsidérer de part
et
d’autre la relation entre les croyances fondamentales de nos cultures
1528
entre les croyances fondamentales de nos cultures
et
le genre de vie que ces cultures permettent, — soit pour modifier cet
1529
ent lié à celui de la responsabilité personnelle,
et
que l’un n’irait pas sans l’autre. Un homme n’est vraiment libre que
1530
a seule mesure où il est responsable de son sort,
et
à l’inverse, on ne saurait tenir un homme pour responsable de ses act
1531
st de jouir des droits du citoyen à part entière,
et
tous ces éléments spirituels, juridiques, subversifs ou philosophique
1532
diques, subversifs ou philosophiques se combinent
et
permutent à doses variables dans notre idée de la liberté. Il n’est p
1533
fficile à définir, plus facile à nier en théorie,
et
il n’est pas d’idée plus exaltante en fait pour les Européens de tout
1534
ltante en fait pour les Européens de toute nation
et
de toute classe, de toute croyance et de toute incroyance. L’appel à
1535
oute nation et de toute classe, de toute croyance
et
de toute incroyance. L’appel à la liberté, la revendication de la lib
1536
plus commun à tous les hommes de notre continent,
et
l’on peut voir en lui le plus proche équivalent de l’invocation au sa
1537
peuples, c’est un sens emprunté à l’Europe, même
et
surtout s’il justifie un élan de révolte contre elle, prétextant un c
1538
sens de la vérité objective dérivent nos sciences
et
par suite, nos techniques. Et du sens de la responsabilité personnell
1539
rivent nos sciences et par suite, nos techniques.
Et
du sens de la responsabilité personnelle, lié au sens de la liberté,
1540
s de la liberté, dérivent toutes nos institutions
et
nos doctrines, orthodoxes, hérétiques ou subversives, et enfin notre
1541
doctrines, orthodoxes, hérétiques ou subversives,
et
enfin notre dynamisme irrépressible. D’où vient, en effet, le dynamis
1542
superficie-population : ce sont la Chine, l’Inde
et
l’Europe. Or, il est évident que les mêmes pressions démographiques n
1543
eusement, des champs Catalauniques au Kablenberg,
et
de Poitiers à Lépante, n’ont rien suscité de marquant ni de nouveau d
1544
voque à créer, à inventer, à émigrer, à exporter,
et
nous condamne à l’expansion. Que ce mouvement ait été baptisé « impér
1545
siècle, voilà qui me paraît purement accidentel
et
relatif. Toute énergie, toute force physique ou spirituelle, peut êtr
1546
uropéens qui ont développé les sciences physiques
et
naturelles, à un degré littéralement incomparable. Certes, les peuple
1547
e, ce Laboratoire du Monde, a poussé les sciences
et
les techniques qui en dérivent jusqu’au point où elles permettent non
1548
truire, ou de se transformer demain radicalement,
et
d’une manière imprévisible. Avant de concentrer leurs énergies sur ce
1549
vec non moins d’audace, l’exploration de l’espace
et
du temps. L’espace d’abord. Ce sont les Européens qui ont découvert l
1550
s Européens qui lui ont donné son contenu concret
et
qui ont seuls démontré sa consistance. On peut le dire : l’idée de ge
1551
Ce sont les Européens qui ont inventé l’histoire
et
l’historiographie, avec tout ce que cela implique : philosophie de l’
1552
n tire, renouvellement des arts, sujets de romans
et
de pièces de théâtre, arsenal de citations pour les hommes politiques
1553
arsenal de citations pour les hommes politiques,
et
finalement : superstition moderne du « sens de l’histoire », qui non
1554
à partir de la découverte géographique du monde.
Et
l’on sait le rôle décisif que ces sciences ont joué dans l’évolution
1555
nt joué dans l’évolution récente de la sociologie
et
de la psychologie analytique, autres inventions de l’Europe. Enfin po
1556
tous les trésors ainsi ramenés du fond des temps
et
de l’espace, les Européens ont inventé le Musée. Et, à partir de ces
1557
de l’espace, les Européens ont inventé le Musée.
Et
, à partir de ces condensations prodigieuses de siècles et de continen
1558
rtir de ces condensations prodigieuses de siècles
et
de continents que sont leurs musées, ils ont élaboré les préalables d
1559
es préalables d’une science comparée des cultures
et
des civilisations, des religions et des arts, des morales et des gouv
1560
des cultures et des civilisations, des religions
et
des arts, des morales et des gouvernements ; et cette sociologie tota
1561
lisations, des religions et des arts, des morales
et
des gouvernements ; et cette sociologie totale, ou planétaire, prépar
1562
s et des arts, des morales et des gouvernements ;
et
cette sociologie totale, ou planétaire, prépare, elle aussi, les voie
1563
nt nées des profondeurs de la culture européenne,
et
restent liées, dans leur évolution comme dans leur genèse, à tout le
1564
es appellent le monde, qu’elles s’en nourrissent,
et
que toutes, elles préparent son unité après avoir exploré ses variété
1565
que je viens d’énumérer. Il y faudrait un livre,
et
je l’ai déjà écrit37. Je me bornerai donc à vous rappeler, mais avec
1566
e a produit non seulement les notions de personne
et
de liberté, mais aussi les sciences et enfin les machines, si hétérog
1567
e personne et de liberté, mais aussi les sciences
et
enfin les machines, si hétérogènes que puissent nous apparaître ces d
1568
c’est en vertu même de cette dialectique infinie
et
toujours ouverte que je décrivais plus haut, en vertu même de cette s
1569
haut, en vertu même de cette séculaire discussion
et
dissension entre nos origines multiples, entre nos religions et nos p
1570
entre nos origines multiples, entre nos religions
et
nos philosophies, entre nos déterminations natives et notre volonté d
1571
os philosophies, entre nos déterminations natives
et
notre volonté de les surmonter, qui est volonté de liberté, volonté d
1572
st volonté de liberté, volonté de responsabilité,
et
volonté de vérité à n’importe quel prix. Voici donc notre situation d
1573
du xxe siècle : Nos créations les plus typiques
et
les plus spectaculaires, surgies de la problématique tragique qui déf
1574
té de l’Europe, se voient soudain universalisées,
et
dans les apparences tout au moins, adoptées par le monde entier. Notr
1575
ier. Notre culture est l’essence même de l’Europe
et
de son histoire, mais voici que cette culture crée le monde, par où j
1576
rs pouvoirs par ce monde même qu’ils ont suscité.
Et
Dieu sait de quelle manière les autres continents menacent d’abuser d
1577
il périlleux de l’ère mondiale. Moment dramatique
et
passionnant, dont il nous faut tâcher d’évaluer les risques angoissan
1578
ous faut tâcher d’évaluer les risques angoissants
et
les chances admirables. Je voudrais proposer quelques observations et
1579
ables. Je voudrais proposer quelques observations
et
suggestions sur ce qui se passe d’étrange et de démesuré devant nos y
1580
ions et suggestions sur ce qui se passe d’étrange
et
de démesuré devant nos yeux, et sur la politique que nous sommes bien
1581
e passe d’étrange et de démesuré devant nos yeux,
et
sur la politique que nous sommes bien forcés d’imaginer pour y faire
1582
ens, prendre une conscience à la fois plus intime
et
plus globale de l’originalité de notre culture, afin de mieux compren
1583
endre ce que nous sommes, ce que nous avons fait,
et
pourquoi. Et nous devons en même temps nous préparer à affronter des
1584
nous sommes, ce que nous avons fait, et pourquoi.
Et
nous devons en même temps nous préparer à affronter des synthèses nou
1585
s au niveau des valeurs créatrices de la culture,
et
non pas au niveau de ses sous-produits. L’originalité de la culture e
1586
la culture européenne n’est nullement supprimée,
et
ne doit pas être masquée, par le fait actuel de sa diffusion mondiale
1587
mondiale. On nous répète à satiété que la science
et
la technique sont aujourd’hui des réalités mondiales, et n’appartienn
1588
echnique sont aujourd’hui des réalités mondiales,
et
n’appartiennent plus à l’Europe, mais plutôt aux Américains et aux Ru
1589
nnent plus à l’Europe, mais plutôt aux Américains
et
aux Russes, demain aux Chinois, en attendant les Africains. Oui, bien
1590
est tout de même l’Europe qui a créé les sciences
et
la technique, dans le contexte de sa culture, grâce aux valeurs et au
1591
dans le contexte de sa culture, grâce aux valeurs
et
aux vertus de cette culture. C’est un fait que l’Europe a répandu sur
1592
hniques, son hygiène, ses institutions politiques
et
sociales, son parlementarisme, ses syndicats, tous ses arts et sa phi
1593
son parlementarisme, ses syndicats, tous ses arts
et
sa philosophie en tant qu’activité profanes, et tous leurs procédés e
1594
s et sa philosophie en tant qu’activité profanes,
et
tous leurs procédés et un peu de leur logique… Mais l’Europe n’a pas
1595
tant qu’activité profanes, et tous leurs procédés
et
un peu de leur logique… Mais l’Europe n’a pas exporté sa sagesse régu
1596
trecroisées, d’innombrables tensions, déchirantes
et
fécondes. Ainsi le monde entier reçoit avec avidité nos machines, nos
1597
ne reçoit pas les valeurs, religieuses, éthiques
et
philosophiques, qui expliquent seules la genèse de ces produits, et q
1598
qui expliquent seules la genèse de ces produits,
et
qui seules permettraient de les maintenir en composition. Il retourne
1599
machines, costumes, voirie, transports, urbanisme
et
architecture. Mais ce même monde méprise ou ignore simplement, notre
1600
e méprise ou ignore simplement, notre psychologie
et
notre spiritualité. Il exige nos machines, mais refuse notre éthique
1601
demain de la dernière guerre, avait un but précis
et
limité : empêcher les Français et les Allemands de se battre. Ce prem
1602
t un but précis et limité : empêcher les Français
et
les Allemands de se battre. Ce premier but est parfaitement atteint.
1603
faire l’Europe, parce qu’il faut faire le monde,
et
que l’Europe seule peut le faire, mais elle doit d’abord exister. Cer
1604
is elle doit d’abord exister. Certains me diront,
et
une part de moi-même me le répète parfois en sourdine : après tout, q
1605
ence. Mais qui d’entre nous peut concevoir sa vie
et
le sens de sa vie en dehors du sort de l’Europe, dont dépend le sort
1606
entale, mais des pionniers de l’aventure humaine.
Et
il évoque irrésistiblement le souvenir d’un autre moment de cette ave
1607
ils doutent de l’avenir prochain de notre Europe,
et
de son pouvoir de faire face au grand projet mondial qu’elle-même a s
1608
x, des certitudes bien calculées avant de partir,
et
une réponse à leurs angoisses privées, je répondrai simplement ceci :
1609
appelle est sans doute plus grave que la nôtre ;
et
notre devoir aujourd’hui, est bien moins de prévoir notre histoire qu
1610
opéenne comparée aux autres cultures », Caractère
et
culture de l’Europe, Amsterdam, juin 1960, p. 28-34. t. Texte très p
1611
onsidérer la nature, la fonction de notre Congrès
et
les idéaux qui l’inspirent. Le plus simple sera de reprendre les troi
1612
hommes de culture qui se veulent à la fois libres
et
responsables devant eux-mêmes et devant la société. Peu de mois après
1613
à la fois libres et responsables devant eux-mêmes
et
devant la société. Peu de mois après leur première conférence à Berli
1614
se grouper afin de créer ainsi, en cas d’urgence
et
au service des libertés de l’esprit partout où elles sont attaquées,
1615
prouvèrent le besoin de se grouper pour dialoguer
et
réfléchir ensemble sur les immenses problèmes que pose, à cette génér
1616
que chose que nous devons reconquérir chaque jour
et
sans relâche, sur nous-mêmes tout d’abord, et pour les autres. Revend
1617
our et sans relâche, sur nous-mêmes tout d’abord,
et
pour les autres. Revendiquer la liberté, quand nous avons formé notre
1618
r contre des dictatures extérieures, bien connues
et
localisées, contre les idéologies qu’elles voulaient imposer, et cont
1619
contre les idéologies qu’elles voulaient imposer,
et
contre le défaitisme fataliste qui préparait leur lit dans nos démocr
1620
urir les persécutés accusés de liberté d’esprit,—
et
nous l’avons fait. Mais nous voyons bien, aujourd’hui, que les menace
1621
gimes que vous savez. Elles viennent de la misère
et
de la faim pour une large partie de l’humanité. Elles viennent aussi
1622
cidentale propage aveuglément sur toute la terre,
et
qui, sous les meilleurs prétextes, comme celui de nourrir les corps e
1623
leurs prétextes, comme celui de nourrir les corps
et
de réduire des misères matérielles, bouleversent et oppriment tant de
1624
de réduire des misères matérielles, bouleversent
et
oppriment tant de cultures traditionnelles mal préparées à les assimi
1625
uine le plus insidieusement la dignité d’un homme
et
sa passion de lutter pour la liberté. Chaque fois qu’un homme ou une
1626
e sens, la liberté perd un de ses points d’appui,
et
la dictature s’avance aussitôt pour l’occuper. C’est ici qu’intervien
1627
ervient la Culture, ou, en tout cas, qu’elle doit
et
peut intervenir. Car la culture, c’est justement l’ensemble des activ
1628
ransmettre des recettes de vie, des connaissances
et
des significations, relier les sentiments, les idées et les actes, ma
1629
significations, relier les sentiments, les idées
et
les actes, maintenir une tradition où l’on se sente chez soi. C’est d
1630
à l’homme de se situer à sa place dans le monde,
et
dans un monde qu’il approuve et dont il comprend les symboles. Mais l
1631
ce dans le monde, et dans un monde qu’il approuve
et
dont il comprend les symboles. Mais la sécurité n’est que la moitié d
1632
e certaine révolte sont aussi des besoins vitaux.
Et
alors se révèle l’autre aspect de la culture, qui n’est plus seulemen
1633
i n’est plus seulement transmission mais critique
et
rupture s’il le faut ; qui n’est plus seulement tradition mais créati
1634
qui n’est plus seulement tradition mais création,
et
qui n’est plus seulement initiation mais invention. Ces deux aspects
1635
peuvent devenir également dangereux pour l’homme
et
pour sa liberté réelle, s’ils restent séparés, isolés l’un de l’autre
1636
isolés l’un de l’autre. En revanche, équilibrées
et
combinées, tradition et innovation représentent ensemble la culture v
1637
En revanche, équilibrées et combinées, tradition
et
innovation représentent ensemble la culture vivante, celle qui peut r
1638
e. Or il se trouve que la plupart des conférences
et
groupes d’études organisés par le Congrès portent précisément ce titr
1639
e titre général : Tradition and Change, tradition
et
progrès technique et démocratique. Pour que notre vie ait un sens, il
1640
dition and Change, tradition et progrès technique
et
démocratique. Pour que notre vie ait un sens, il faut que la culture
1641
os activités humaines que nous avons spécialisées
et
séparées jusqu’à l’absurde — l’art et la vie quotidienne, le travail
1642
pécialisées et séparées jusqu’à l’absurde — l’art
et
la vie quotidienne, le travail et la réflexion, la spéculation pure e
1643
absurde — l’art et la vie quotidienne, le travail
et
la réflexion, la spéculation pure et les techniques appliquées, la pe
1644
, le travail et la réflexion, la spéculation pure
et
les techniques appliquées, la pensée et l’action en somme, cessent de
1645
tion pure et les techniques appliquées, la pensée
et
l’action en somme, cessent de se ridiculiser mutuellement, comme c’es
1646
lement, comme c’est le cas dans trop de nos vies,
et
retrouvent une commune mesure, un style commun. Et ceci vaut pour l’O
1647
t retrouvent une commune mesure, un style commun.
Et
ceci vaut pour l’Occident surtout. Mais désormais, c’est à l’échelle
1648
es diverses facultés de l’homme peuvent retrouver
et
rassembler leurs grands symboles : — celles du corps et de l’intellec
1649
sembler leurs grands symboles : — celles du corps
et
de l’intellect (d’où la technique) dont s’occupe surtout l’Occident ;
1650
e part entre représentants des arts, des sciences
et
de la sociologie, contacts d’autre part entre les représentants des c
1651
prement dite, mais au niveau de ce qui la prépare
et
la pré-forme, en contribuant à orienter les esprits et leurs choix ve
1652
pré-forme, en contribuant à orienter les esprits
et
leurs choix vers des fins qui dépassent la politique et qui seules lu
1653
rs choix vers des fins qui dépassent la politique
et
qui seules lui donnent son vrai sens, son sens humain pour chaque per
1654
personne. La politique, nous n’y échapperons pas,
et
il est inutile d’insister sur ce fait, ici, dans ce Berlin où elle no
1655
tanks, symboles écrasants de la politique totale
et
absolutisée. u. Rougemont Denis de, « Allocution de Denis de Rouge
1656
La liberté
et
le sens de la vie (8 juillet 1960)v w Nous voyons bien, aujourd’hu
1657
cidentale propage aveuglément sur toute la terre,
et
qui, sous les meilleurs prétextes, comme celui de nourrir les corps e
1658
leurs prétextes, comme celui de nourrir les corps
et
de réduire des misères matérielles, bouleversent et oppriment tant de
1659
de réduire des misères matérielles, bouleversent
et
oppriment tant de cultures traditionnelles mal préparées à les assimi
1660
uine le plus insidieusement la dignité d’un homme
et
sa passion de lutter pour la liberté. Chaque fois qu’un homme ou une
1661
e sens, la liberté perd un de ses points d’appui,
et
la dictature s’avance aussitôt pour l’occuper. C’est ici qu’intervien
1662
ervient la Culture, ou, en tout cas, qu’elle doit
et
peut intervenir. Vous avez lu et entendu depuis longtemps tant de ban
1663
as, qu’elle doit et peut intervenir. Vous avez lu
et
entendu depuis longtemps tant de banalités, souvent exactes d’ailleur
1664
lités, souvent exactes d’ailleurs, sur la culture
et
ses définitions, que là aussi vous me permettrez d’être assez bref, e
1665
ue là aussi vous me permettrez d’être assez bref,
et
de me borner à quelques traits définissant la conception de la cultur
1666
ée par ce Congrès. La culture c’est transmettre
et
situer Le pire danger, c’est donc l’absence de sens : le sentimen
1667
ransmettre des recettes de vie, des connaissances
et
des significations, relier les sentiments, les idées et les actes, ma
1668
significations, relier les sentiments, les idées
et
les actes, maintenir une tradition où l’on se sente chez soi. C’est d
1669
à l’homme de se situer à sa place dans le monde,
et
dans un monde qu’il approuve et dont il comprend les symboles. Mais l
1670
ce dans le monde, et dans un monde qu’il approuve
et
dont il comprend les symboles. Mais la sécurité n’est que la moitié d
1671
e certaine révolte sont aussi des besoins vitaux.
Et
alors se révèle l’autre aspect de la culture, qui n’est plus seulemen
1672
i n’est plus seulement transmission mais critique
et
rupture s’il le faut ; qui n’est plus seulement tradition mais créati
1673
qui n’est plus seulement tradition mais création,
et
qui n’est plus seulement initiation mais invention. Ces deux aspects
1674
peuvent devenir également dangereux pour l’homme
et
pour sa liberté réelle, s’ils restent séparés, isolés l’un de l’autre
1675
isolés l’un de l’autre. En revanche, équilibrées
et
combinées, tradition et innovation représentent ensemble la culture v
1676
En revanche, équilibrées et combinées, tradition
et
innovation représentent ensemble la culture vivante, celle qui peut r
1677
e. Or il se trouve que la plupart des conférences
et
groupes d’études organisés par le Congrès portent précisément ce titr
1678
e titre général : Tradition and Change, tradition
et
progrès technique et démocratique. Pour que notre vie ait un sens, il
1679
dition and Change, tradition et progrès technique
et
démocratique. Pour que notre vie ait un sens, il faut que la culture
1680
os activités humaines que nous avons spécialisées
et
séparées jusqu’à l’absurde — l’art et la vie quotidienne, le travail
1681
pécialisées et séparées jusqu’à l’absurde — l’art
et
la vie quotidienne, le travail et la réflexion, la spéculation pure e
1682
absurde — l’art et la vie quotidienne, le travail
et
la réflexion, la spéculation pure et les techniques appliquées, la pe
1683
, le travail et la réflexion, la spéculation pure
et
les techniques appliquées, la pensée et l’action en somme, cessent de
1684
tion pure et les techniques appliquées, la pensée
et
l’action en somme, cessent de se ridiculiser mutuellement, comme c’es
1685
lement, comme c’est le cas dans trop de nos vies,
et
retrouvent une commune mesure, un style commun. Et ceci vaut pour l’O
1686
t retrouvent une commune mesure, un style commun.
Et
ceci vaut pour l’Occident surtout. Mais désormais, c’est à l’échelle
1687
es diverses facultés de l’homme peuvent retrouver
et
rassembler leurs grands symboles : — celles du corps et de l’intellec
1688
sembler leurs grands symboles : — celles du corps
et
de l’intellect (d’où la technique) dont s’occupe surtout l’Occident ;
1689
e part entre représentants des arts, des sciences
et
de la sociologie, contacts d’autre part entre les représentants des c
1690
èmes que pose le même progrès technique, éducatif
et
culturel, dans les conditions différentes de l’Europe, de l’Afrique,
1691
Europe, de l’Afrique, de l’Asie, du Proche-Orient
et
des deux Amériques ; mais ceci dans la perspective qui nous est propr
1692
tte question. Mais on insiste, la presse insiste,
et
les interviewers insistent : tous veulent absolument que nous soyons
1693
ur. Au-delà de la politique : Liberté, Progrès
et
Bien En situant le Congrès comme je viens de le faire, j’ai voulu
1694
prement dite, mais au niveau de ce qui la prépare
et
la préforme, en contribuant à orienter les esprits et leurs choix ver
1695
a préforme, en contribuant à orienter les esprits
et
leurs choix vers des fins qui dépassent la politique et qui seules lu
1696
rs choix vers des fins qui dépassent la politique
et
qui seules lui donnent son vrai sens, son sens humain, pour chaque pe
1697
personne. La politique, nous n’y échapperons pas,
et
il est inutile d’insister sur ce fait, ici, dans ce Berlin où elle no
1698
tanks, symboles écrasants de la politique totale
et
absolutisée. La politique doit rester pour nous un moyen dominé par d
1699
s fins que l’esprit seul peut entrevoir, imaginer
et
proposer à nos désirs et à notre raison, à notre volonté et à notre f
1700
peut entrevoir, imaginer et proposer à nos désirs
et
à notre raison, à notre volonté et à notre foi. Et alors, la liberté
1701
r à nos désirs et à notre raison, à notre volonté
et
à notre foi. Et alors, la liberté serait-elle du nombre de ces fins d
1702
t à notre raison, à notre volonté et à notre foi.
Et
alors, la liberté serait-elle du nombre de ces fins dernières, serait
1703
r un sens à sa vie tant de travail que de loisir,
et
tant d’action que de méditation. Ce n’est point par des statistiques,
1704
telle ou telle société. Mais c’est par la nature
et
par la qualité de chances ménagées à chacun de courir sa propre avent
1705
es ménagées à chacun de courir sa propre aventure
et
d’affronter le mystère de sa personne. Telle est la fin dernière de t
1706
e. Telle est la fin dernière de toute communauté,
et
la seule mesure qui permette de juger qu’une forme de vie ou un systè
1707
un Bien. v. Rougemont Denis de, « La liberté
et
le sens de la vie », France catholique, Paris, juillet 1960, p. 1 et
1708
e », France catholique, Paris, juillet 1960, p. 1
et
6. w. Présenté par cette note : « Du 16 au 22 juin s’est tenu à Berl
1709
nce de MM. Oppenheimer, le grand savant atomiste,
et
George Kennan, ancien ambassadeur à Moscou, pour les États-Unis, ento
1710
telle phrase ne puisse être entendue qu’en Europe
et
seulement dans la bouche d’Européens, nous fournit, paradoxalement, u
1711
e continent. Un homme qui nie que l’Europe existe
et
qu’elle ait une culture commune ne saurait être un Asiatique, un Afri
1712
près ce paradoxe. I. Les intellectuels sceptiques
et
les adversaires déclarés (ou non) de l’union européenne ont coutume d
1713
ltures nationales, car, disent-ils, les Allemands
et
les Français, ou les Scandinaves et les Italiens, par exemple, sont t
1714
les Allemands et les Français, ou les Scandinaves
et
les Italiens, par exemple, sont trop différents entre eux pour former
1715
rents entre eux pour former une unité quelconque.
Et
ils affirment secundo : qu’il ne saurait y avoir de culture spécifiqu
1716
ute vraie culture est universelle par définition,
et
nos problèmes, en Europe, sont à peu près les mêmes que ceux qui se p
1717
atives, d’ailleurs contradictoires, je le répète,
et
sans doute absurdes, mais si courantes ? La première, celle qui fait
1718
llemands sont portés à la philosophie, belliqueux
et
buveurs de bière, les Français ne pensent qu’à l’amour, les Suisses s
1719
usqu’à l’irritation, du tempérament, des coutumes
et
des préjugés de nos voisins. La seconde attitude, celle qui fait dire
1720
première attitude est en somme celle d’un myope,
et
la seconde, celle d’un presbyte. (Il est d’autant plus curieux de les
1721
, l’unité de notre culture s’impose immédiatement
et
sans hésitation à l’esprit de ceux qui l’observent, que ce soit en am
1722
i l’observent, que ce soit en amis ou en ennemis,
et
peut-être surtout en ennemis ! À ceux qui seraient tentés de nier, à
1723
de nier, à priori, l’originalité de notre culture
et
le fait qu’elle nous est commune du Cap Nord au Péloponnèse et de Mad
1724
’elle nous est commune du Cap Nord au Péloponnèse
et
de Madrid à Varsovie, je répondrai d’un seul mot : Voyagez ! Quittez
1725
Voyagez ! Quittez l’Europe, vous la découvrirez !
Et
dès que vous commencerez à pressentir certaines réalités vastes et in
1726
ommencerez à pressentir certaines réalités vastes
et
inquiétantes, vraiment « étrangère » cette fois-ci, vous commencerez
1727
, la multiplicité de nos différences — régionales
et
nationales, religieuses et morales, philosophiques et sociales — et l
1728
fférences — régionales et nationales, religieuses
et
morales, philosophiques et sociales — et leur coexistence dans l’espa
1729
ationales, religieuses et morales, philosophiques
et
sociales — et leur coexistence dans l’espace et le temps, et leur mut
1730
igieuses et morales, philosophiques et sociales —
et
leur coexistence dans l’espace et le temps, et leur mutuelle contesta
1731
s et sociales — et leur coexistence dans l’espace
et
le temps, et leur mutuelle contestation critique, et toutes les tensi
1732
— et leur coexistence dans l’espace et le temps,
et
leur mutuelle contestation critique, et toutes les tensions qui en ré
1733
le temps, et leur mutuelle contestation critique,
et
toutes les tensions qui en résultent, ne seraient-ce pas en un mot no
1734
noteraient le mieux l’originalité, la spécificité
et
la communauté — l’unité de notre culture ? Pendant une table ronde qu
1735
a phrase suivante, que j’ai plus d’une fois citée
et
publiée depuis : L’Européen ne serait-il pas cet homme étrange qui s
1736
dans la mesure précise où il doute qu’il le soit
et
prétend au contraire s’identifier soit avec l’homme universel, soit a
1737
rsité, non pas subie mais jalousement revendiquée
et
cultivée, que l’on peut voir le signe et la démonstration de l’origin
1738
endiquée et cultivée, que l’on peut voir le signe
et
la démonstration de l’originalité de notre culture. Mais cela n’appar
1739
notre culture. Mais cela n’apparaîtra clairement
et
ne deviendra vraiment sensible et convaincant, que si nous comparons
1740
îtra clairement et ne deviendra vraiment sensible
et
convaincant, que si nous comparons notre formule de l’unité paradoxal
1741
. Si nous considérons les cultures de l’Antiquité
et
les cultures extraeuropéennes qui subsistent encore ou qui tentent de
1742
origine unique, ou d’un grand principe formateur
et
d’une continuelle référence à cette source, qui assure la cohérence e
1743
référence à cette source, qui assure la cohérence
et
l’homogénéité des traditions. Tandis que dans d’autres cultures, l’un
1744
té traditionnelle, originelle, innée à la culture
et
découlant de son passé, d’autre part, unité synthétique imposée comme
1745
cadre rigide à la culture. Pour fixer les idées,
et
sans vouloir entrer dans de périlleuses analyses, j’illustrerai la pr
1746
ires contemporaines, telles que l’URSS de Staline
et
la Chine de Mao (pour ne rien dire des brèves tentatives avortées du
1747
brèves tentatives avortées du national-socialisme
et
du fascisme) serviront d’exemples pour la deuxième formule. Il suffir
1748
’unité, originelle, à base de traditions sacrées,
et
la formule de l’unification contrainte, à base de décrets étatiques,
1749
ques, sont en violent contraste avec les réalités
et
principes caractéristiques de la culture européenne. La première vise
1750
culture européenne. La première vise à maintenir
et
la seconde à établir une unité dans l’homogène, facilement concevable
1751
une unité dans l’homogène, facilement concevable
et
vérifiable, tandis que l’Europe ne trouve son unité paradoxale, à la
1752
e trouve son unité paradoxale, à la fois évidente
et
presque informulable, que dans le libre jeu de ses diversités. Mais
1753
emander d’où proviennent ces fameuses diversités,
et
comment il se fait que l’Europe en ait tant et même les multiplie com
1754
s, et comment il se fait que l’Europe en ait tant
et
même les multiplie comme à plaisir, au lieu d’essayer de les réduire.
1755
la pluralité des origines de notre civilisation ;
et
elles sont entretenues ou renouvelées sans cesse par notre refus décl
1756
par notre refus déclaré de toute doctrine unique
et
unifiante, imposée par une force extérieure au mouvement spontané de
1757
a culture. Nous tous, que nous le sachions ou non
et
que nous l’acceptions ou non, et quel que soit notre passeport, desce
1758
sachions ou non et que nous l’acceptions ou non,
et
quel que soit notre passeport, descendons par nos mœurs, croyances ou
1759
oyances, par les mythes gouvernant nos sentiments
et
par nos formes de pensée, d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, et derr
1760
s et par nos formes de pensée, d’Athènes, de Rome
et
de Jérusalem, et derrière ces trois villes illustres, du Proche-Orien
1761
es de pensée, d’Athènes, de Rome et de Jérusalem,
et
derrière ces trois villes illustres, du Proche-Orient sémite, de l’Ir
1762
es illustres, du Proche-Orient sémite, de l’Iran,
et
de l’Inde. Nous venons aussi des profondeurs obscures du monde celtiq
1763
aussi des profondeurs obscures du monde celtique
et
du monde germanique, et parfois même du monde arabe. Entre ces origin
1764
bscures du monde celtique et du monde germanique,
et
parfois même du monde arabe. Entre ces origines diverses, hétérogènes
1765
ujours provisoires. Entre l’homme grec, astucieux
et
critique, le citoyen romain obéissant à la raison d’État, le fidèle c
1766
bre quand il touche son épée, le Celte romantique
et
magique — et nous descendons tous de la plupart d’entre eux, par les
1767
touche son épée, le Celte romantique et magique —
et
nous descendons tous de la plupart d’entre eux, par les coutumes cons
1768
plupart d’entre eux, par les coutumes conscientes
et
inconscientes autant et plus que par les chromosomes — que de contrad
1769
les coutumes conscientes et inconscientes autant
et
plus que par les chromosomes — que de contradictions insurmontables,
1770
is boiteux, de polémiques subtiles ou passionnées
et
d’alliances imprévues, infiniment variées selon les temps et les lieu
1771
ces imprévues, infiniment variées selon les temps
et
les lieux et toujours remises en question. De cet immense complexe de
1772
, infiniment variées selon les temps et les lieux
et
toujours remises en question. De cet immense complexe de tensions, dé
1773
: le dynamisme européen. Si nous avons découvert
et
conquis, ou en tout cas marqué de notre empreinte le monde entier, no
1774
e nous le devons, aux conflits spirituels, drames
et
tensions qui devaient nécessairement en résulter, et qui nous condamn
1775
tensions qui devaient nécessairement en résulter,
et
qui nous condamnaient à la recherche, à l’invention, à l’expansion, à
1776
, ont pu jouer. Mais la diversité de nos origines
et
leur discussion millénaire suffisent dans tous les cas à rendre compt
1777
ous les cas à rendre compte d’un dynamisme unique
et
sans rival dans les annales du genre humain. 4. En dépit de ce que je
1778
nt, j’envisagerai maintenant les éléments communs
et
permanents, les caractères spécifiques de la culture européenne ; j’e
1779
apparaît immédiatement comme à la fois pluraliste
et
profane. Culture de dialogue et de contestation, du seul fait de ses
1780
a fois pluraliste et profane. Culture de dialogue
et
de contestation, du seul fait de ses origines multiples, et des valeu
1781
estation, du seul fait de ses origines multiples,
et
des valeurs souvent incompatibles qu’elle en a héritées, l’Europe n’a
1782
utions, sa religion, sa philosophie, son économie
et
ses arts. On a beau citer le Moyen Âge comme une période bénie d’unit
1783
n Âge comme une période bénie d’unité des esprits
et
des cœurs, telle que l’a décrite Novalis : nous savons aujourd’hui qu
1784
is : nous savons aujourd’hui qu’il n’en fut rien,
et
que les conflits qui déchirèrent le Moyen Âge ne furent pas moins vio
1785
ilisation n’a pas produit seulement de l’anarchie
et
des guerres. Il a contraint les élites, et par elles la partie agissa
1786
archie et des guerres. Il a contraint les élites,
et
par elles la partie agissante des masses européennes, à développer ce
1787
ective, le sens de la responsabilité personnelle,
et
le sens de la liberté. Ces trois vertus se conditionnent et s’impliqu
1788
de la liberté. Ces trois vertus se conditionnent
et
s’impliquent mutuellement en Europe. En revanche, il est évident qu’e
1789
ritiers des premiers principes de la mathématique
et
de l’astronomie élaborées par les civilisations du Proche-Orient. Mai
1790
u monde qu’il a créé. Dans nos rapports avec Dieu
et
le monde, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’illusions flatteuses,
1791
e. Ainsi peut-on s’expliquer les motifs religieux
et
philosophiques d’un des caractères les plus indiscutables de notre cu
1792
a vérité, qui a pour corollaire le sens critique,
et
qui a permis le développement des sciences, notamment. Voilà qui peut
1793
la vérité dite objective, de la simple véracité,
et
du recours aux preuves par neuf. L’Asie et l’Afrique ignorent cette e
1794
acité, et du recours aux preuves par neuf. L’Asie
et
l’Afrique ignorent cette exigence de l’objectivité, et professent un
1795
Afrique ignorent cette exigence de l’objectivité,
et
professent un dédain notoire pour la simple véracité. Leurs cultures
1796
doit répondre de ses actes à la fois devant Dieu
et
devant la société, donc devant son destin sur la terre comme au ciel,
1797
sulte une double exigence de recueillement en soi
et
d’ouverture au monde, de méditation et d’action, ou, traduit en langa
1798
ent en soi et d’ouverture au monde, de méditation
et
d’action, ou, traduit en langage plus moderne : de loisir vraiment li
1799
langage plus moderne : de loisir vraiment libre,
et
de travail. Voilà encore une banalité, me dira-t-on. Mais comparons,
1800
loisirs — dûment organisés — au travail productif
et
collectif, qui devient le seul but de la vie. Mais c’est un but imper
1801
is c’est un but impersonnel, purement quantitatif
et
matériel, fixé par le gouvernement, au nom d’une doctrine sans ampleu
1802
sans ampleur ; c’est un but général, statistique
et
abstrait, sans relation directe ou immédiate avec le salut de la pers
1803
nne, le bonheur, la sagesse, la saveur de la vie,
et
le sens même de chaque vie. Les cultures traditionnelles au contraire
1804
ont tout réglé. D’où la paresse immense de l’Asie
et
de l’Afrique — le climat tropical n’explique pas tout, loin de là ! E
1805
climat tropical n’explique pas tout, loin de là !
Et
lorsque les pays « sous-développés » revendiquent à grands cris de ha
1806
arité, puisqu’elle refuse la réalité du prochain.
Et
certes, cela ne signifie pas théoriquement que la sagesse védantique,
1807
nt qu’on ne peut pas « eat his cake and have it »
et
qu’il y a lieu de reconsidérer de part et d’autre la relation entre l
1808
ve it » et qu’il y a lieu de reconsidérer de part
et
d’autre la relation entre les croyances fondamentales de nos cultures
1809
entre les croyances fondamentales de nos cultures
et
le genre de vie que ces cultures permettent — soit pour modifier cett
1810
ent lié à celui de la responsabilité personnelle,
et
que l’un n’irait pas sans l’autre. Un homme n’est vraiment libre que
1811
a seule mesure où il est responsable de son sort,
et
à l’inverse, on ne saurait tenir un homme pour responsable de ses act
1812
t de jouir des droits du citoyen à part entière —
et
tous ces éléments spirituels, juridiques, subversifs ou philosophique
1813
diques, subversifs ou philosophiques se combinent
et
permutent à doses variables dans notre idée de la liberté. Il n’est p
1814
cile à définir, ni plus facile à nier en théorie,
et
il n’est pas d’idée plus exaltante en fait pour les Européens de tout
1815
toute nation, de toute classe, de toute croyance
et
de toute incroyance. L’appel à la liberté, la revendication de la lib
1816
plus commun à tous les hommes de notre continent,
et
l’on peut voir en lui le plus proche équivalent de l’invocation au sa
1817
’âge en âge à créer, inventer, émigrer, exporter,
et
nous condamnent à l’expansion. Que ce mouvement ait été baptisé « imp
1818
siècle, voilà qui me paraît purement accidentel
et
relatif. Toute énergie, toute force physique ou spirituelle, peut êtr
1819
usqu’ici, relatives à l’origine de nos diversités
et
de nos vertus cardinales, paraîtront peut-être un peu abstraites. Il
1820
expliquer laborieusement les origines historiques
et
les motifs philosophiques de notre dynamisme européen, je vais énumér
1821
uropéens qui ont développé les sciences physiques
et
naturelles à un degré littéralement incomparable. Certes, les peuples
1822
e, ce Laboratoire du Monde, a poussé les sciences
et
les techniques qui en dérivent jusqu’au point où elles permettent non
1823
truire, ou de se transformer demain radicalement,
et
d’une manière imprévisible. Avant de concentrer ses énergies sur cett
1824
c guère moins d’audace, l’exploration de l’espace
et
du temps. L’espace d’abord. Ce sont les Européens qui ont découvert l
1825
s Européens qui lui ont donné son contenu concret
et
ont seuls démontré sa consistance. On peut le dire : l’idée de genre
1826
Ce sont les Européens qui ont inventé l’histoire
et
l’historiographie, avec tout ce que cela implique : philosophie de l’
1827
n tire, renouvellement des arts, sujets de romans
et
de pièces de théâtre, arsenal de citations pour les hommes politiques
1828
arsenal de citations pour les hommes politiques,
et
finalement : superstition moderne du « sens de l’histoire », qui non
1829
à partir de la découverte géographique du monde.
Et
l’on sait le rôle décisif que ces sciences ont joué dans l’évolution
1830
nt joué dans l’évolution récente de la sociologie
et
de la psychologie analytique, autres inventions de l’Europe. Enfin, p
1831
tous les trésors ainsi ramenés du fond des temps
et
de l’espace, les Européens ont inventé le Musée. Et, à partir de ces
1832
de l’espace, les Européens ont inventé le Musée.
Et
, à partir de ces condensations prodigieuses de siècles et de continen
1833
rtir de ces condensations prodigieuses de siècles
et
de continents, ils ont élaboré les préalables d’une science comparée
1834
es préalables d’une science comparée des cultures
et
des civilisations, des religions et des arts, des morales et des gouv
1835
des cultures et des civilisations, des religions
et
des arts, des morales et des gouvernements, et cette sociologie total
1836
lisations, des religions et des arts, des morales
et
des gouvernements, et cette sociologie totale ou planétaire, prépare
1837
ns et des arts, des morales et des gouvernements,
et
cette sociologie totale ou planétaire, prépare elle aussi les voies d
1838
du genre humain. Sciences, physiques, techniques
et
machines, découverte du globe, histoire, archéologie, ethnographie, s
1839
sociologie, psychologie, philosophie critique, —
et
je n’indique ici que des têtes de chapitre, et j’ai laissé de côté l’
1840
— et je n’indique ici que des têtes de chapitre,
et
j’ai laissé de côté l’immense chapitre de nos créations sociales et d
1841
côté l’immense chapitre de nos créations sociales
et
de nos institutions ! — voilà ce que l’Europe a créé, voilà ce qu’ell
1842
nt nées des profondeurs de la culture européenne,
et
restent liées, dans leur évolution comme dans leur genèse, à tout le
1843
elles appellent le monde, elles s’en nourrissent,
et
toutes, elles préparent son unité après avoir exploré ses variétés. J
1844
je viens d’énumérer. Il y faudrait tout un livre,
et
il se trouve que je l’ai déjà écrit. Je me bornerai donc à rappeler,
1845
e a produit non seulement les notions de personne
et
de liberté, mais aussi les sciences et enfin les machines, si hétérog
1846
e personne et de liberté, mais aussi les sciences
et
enfin les machines, si hétérogènes que puissent nous apparaître ces d
1847
c’est en vertu même de cette dialectique infinie
et
toujours ouverte que je décrivais dans la première partie de mon expo
1848
posé, en vertu même de cette séculaire discussion
et
dissension entre nos origines multiples, entre nos religions et nos p
1849
entre nos origines multiples, entre nos religions
et
nos philosophies, entre nos déterminations natives et notre volonté d
1850
os philosophies, entre nos déterminations natives
et
notre volonté de les surmonter, qui est volonté de liberté, volonté d
1851
st volonté de liberté, volonté de responsabilité,
et
volonté de vérité à n’importe quel prix. Voici donc notre situation d
1852
du xxe siècle : Nos créations les plus typiques
et
les plus spectaculaires, surgies de la problématique tragique qui déf
1853
me de l’Europe, se voient soudain universalisées,
et
dans les apparences tout au moins, adoptées par le monde entier. Notr
1854
ier. Notre culture est l’essence même de l’Europe
et
de son histoire, et voici que pourtant elle crée le monde, elle crée
1855
st l’essence même de l’Europe et de son histoire,
et
voici que pourtant elle crée le monde, elle crée la possibilité d’un
1856
rs pouvoirs par ce monde même qu’ils ont suscité.
Et
Dieu sait de quelle manière les autres continents menacent d’abuser d
1857
il périlleux de l’ère mondiale. Moment dramatique
et
passionnant, dont il nous faut tâcher d’évaluer les risques angoissan
1858
ous faut tâcher d’évaluer les risques angoissants
et
les chances admirables. Pour ma part, je voudrais proposer quelques o
1859
part, je voudrais proposer quelques observations
et
suggestions sur ce qui se passe d’étrange et de démesuré devant nos y
1860
ions et suggestions sur ce qui se passe d’étrange
et
de démesuré devant nos yeux, et sur la politique que nous devons imag
1861
e passe d’étrange et de démesuré devant nos yeux,
et
sur la politique que nous devons imaginer pour y faire face. Nous dev
1862
ens, prendre une conscience à la fois plus intime
et
plus globale de l’originalité de notre culture, mieux comprendre ce q
1863
endre ce que nous sommes, ce que nous avons fait,
et
pourquoi. Et nous devons en même temps nous préparer à affronter des
1864
nous sommes, ce que nous avons fait, et pourquoi.
Et
nous devons en même temps nous préparer à affronter des synthèses nou
1865
nouvelles, mais au niveau des valeurs créatrices,
et
non pas au niveau des sous-produits de notre culture. L’originalité d
1866
la culture européenne n’est nullement supprimée,
et
ne doit pas être masquée, par le fait actuel de sa diffusion mondiale
1867
mondiale. On nous répète à satiété que la science
et
la technique sont aujourd’hui des réalités mondiales, et n’appartienn
1868
echnique sont aujourd’hui des réalités mondiales,
et
n’appartiennent plus à l’Europe, mais plutôt aux Américains et aux Ru
1869
nnent plus à l’Europe, mais plutôt aux Américains
et
aux Russes, demain aux Chinois. Oui, bien sûr, mais c’est tout de mêm
1870
est tout de même l’Europe qui a créé les sciences
et
la technique, dans le contexte de sa culture, grâce aux valeurs et au
1871
dans le contexte de sa culture, grâce aux valeurs
et
aux vertus de cette culture. C’est un fait que l’Europe a répandu sur
1872
hniques, son hygiène, ses institutions politiques
et
sociales, son parlementarisme, ses syndicats, tous ses arts et sa phi
1873
son parlementarisme, ses syndicats, tous ses arts
et
sa philosophie en tant qu’activités profanes, et tous leurs procédés
1874
et sa philosophie en tant qu’activités profanes,
et
tous leurs procédés et un peu de leur logique… Mais l’Europe n’a pas
1875
ant qu’activités profanes, et tous leurs procédés
et
un peu de leur logique… Mais l’Europe n’a pas exporté sa sagesse régu
1876
trecroisées, d’innombrables tensions, déchirantes
et
fécondes. Ainsi le monde entier reçoit avec avidité nos machines, nos
1877
l ne reçoit pas les valeurs religieuses, éthiques
et
philosophiques, qui expliquent seules la genèse de ces produits, et q
1878
qui expliquent seules la genèse de ces produits,
et
qui seules permettraient de les maintenir en composition. Il retourne
1879
machines, costumes, voirie, transports, urbanisme
et
architecture : à tel point que l’on a pu dire que Naples est la seule
1880
méprise, ou ignore simplement, notre psychologie
et
notre spiritualité. Il exige nos machines, mais refuse ou ignore notr
1881
esure exacte où elle a découvert le genre humain.
Et
le sort de l’Europe dépend de son union. L’union de l’Europe, en 1946
1882
L’union de l’Europe, en 1946, avait un but précis
et
limité : empêcher les Français et les Allemands de se battre. Ce prem
1883
t un but précis et limité : empêcher les Français
et
les Allemands de se battre. Ce premier but est parfaitement atteint.
1884
faire l’Europe, parce qu’il faut faire le monde,
et
que l’Europe seule peut le faire. Or, elle doit d’abord exister. Mais
1885
. Or, elle doit d’abord exister. Mais on me dira,
et
une part de moi-même me dit : après tout, que peut bien nous faire le
1886
ence. Mais qui d’entre nous peut concevoir sa vie
et
le sens de sa vie en dehors du sort de l’Europe, dont dépend le sort
1887
ils doutent de l’avenir prochain de notre Europe,
et
de son pouvoir de faire face au grand projet mondial qu’elle-même a s
1888
e au grand projet mondial qu’elle-même a suscité,
et
qui commande au préalable notre union. À ceux qui demandent d’abord d
1889
x, des certitudes bien calculées avant de partir,
et
une réponse à leurs angoisses privées, je répondrai simplement ceci :
1890
appelle est sans doute plus grave que la nôtre ;
et
notre devoir aujourd’hui, est bien moins de prévoir notre histoire qu
1891
tés de la banque, de l’industrie, de la politique
et
des organisations internationales, fondèrent ce jour-là le Club europ
1892
es valeurs morales, des structures de la société,
et
des techniques, que tous les autres peuples de la Terre ont adoptées
1893
’hui non seulement pour la conserver, mais encore
et
surtout, pour l’aider à faire face au défi tout nouveau que lui porte
1894
aines. Cette situation n’est ni normale ni saine,
et
peut même devenir démoralisante. Un moyen d’y remédier rapidement ser
1895
orale de notre continent, à rendre aux chercheurs
et
créateurs de nos pays une confiance en soi et en l’avenir qui est l’u
1896
urs et créateurs de nos pays une confiance en soi
et
en l’avenir qui est l’une des premières conditions de la vitalité d’u
1897
ises, au cours de l’année suivante, pour discuter
et
mettre au point les objectifs, le mode de financement et les statuts
1898
re au point les objectifs, le mode de financement
et
les statuts de l’institution projetée. Le 16 décembre 1954, au Centre
1899
Marinotti, J. H. Retinger, R. Silva, G. Villiers
et
le Baron van Zeeland, — ces huit personnes constituant le premier noy
1900
ulut bien accepter la présidence de la Fondation,
et
il n’a cessé de l’exercer effectivement depuis lors. Pour faciliter l
1901
avait offert de partager une partie de ses locaux
et
de son staff à Genève. Les frais généraux purent ainsi être réduits a
1902
ermettre à la Fondation d’une part de s’organiser
et
d’élaborer son programme, d’autre part de rassembler les fonds qui lu
1903
i que les fonds viennent à qui sait entreprendre,
et
qu’ils seraient donc trouvés dans la mesure même où les activités par
1904
ure même où les activités paraîtraient effectives
et
convaincantes. Deux départements spécialisés furent donc créés sans p
1905
c créés sans plus attendre : celui de l’éducation
et
celui des Beaux-Arts. Le premier mit sur pied une série d’expériences
1906
l’exécution devait être confiée dès 1956 au CEC)
et
le second commanda des œuvres nouvelles à six jeunes compositeurs, au
1907
urent décernées. Un comité d’experts en éducation
et
un jury musical présidèrent au choix des expériences-pilotes et des c
1908
ical présidèrent au choix des expériences-pilotes
et
des compositeurs. En même temps, plusieurs subventions furent accordé
1909
les, à l’Association des universitaires d’Europe,
et
au département cartographique du Collège d’Europe. Lors de la réunion
1910
deux institutions, déjà statutairement distinctes
et
de fonctions très différentes — l’une devant financer des projets, l’
1911
congrès destiné à faire mieux connaître ses buts
et
à recueillir des fonds plus importants d’un plus grand nombre de sour
1912
nt à Amsterdam en 1957, le second à Milan en 1958
et
le troisième à Vienne, en 1959. Un séminaire pour « jeunes responsabl
1913
n 1959. Un séminaire pour « jeunes responsables »
et
une table ronde des institutions culturelles européennes furent organ
1914
r la Fondation à l’occasion du congrès de Vienne,
et
se réuniront de nouveau lors du congrès de Copenhague, en 1960. La ta
1915
compte répartir entre ses membres des subventions
et
des bourses pour des projets déterminés. Reprenant maintenant notre c
1916
enu, pour la Fondation, de « mettre à feu » le 3e
et
dernier étage : celui de l’aide effective aux efforts culturels tenda
1917
accord qui vient d’être conclu entre la Fondation
et
le Fonds culturel du Conseil de l’Europe, permettant la création de c
1918
upement des institutions européennes, économiques
et
politiques, qui doit se réaliser d’ici la fin de l’année. z. Rouge
1919
es : bref historique de la Fondation », Caractère
et
culture de l’Europe, Amsterdam, octobre 1960, p. 5-6.
1920
Tristan
et
Iseut à travers le temps (1961)aa ab I. Qui d’entre vous ne s
1921
s, vous plaît-il d’entendre un beau conte d’amour
et
de mort ? Seigneurs et dames ici présents, vous répondez tous dans v
1922
dre un beau conte d’amour et de mort ? Seigneurs
et
dames ici présents, vous répondez tous dans vos cœurs : Rien au monde
1923
e nous vaut la lecture des légendes arthuriennes,
et
d’abord de celle de Tristan, ce plaisir « à jamais littéraire » pour
1924
escent, nous le devons tous aux travaux inspirés,
et
pourtant précis à l’extrême, de quelques-uns des grands érudits de ce
1925
uns des grands érudits de ce siècle, Gaston Paris
et
Joseph Bédier en premier lieu, Reto Bezzola et Gottfried Weber plus r
1926
is et Joseph Bédier en premier lieu, Reto Bezzola
et
Gottfried Weber plus récemment, et puis entre ces deux générations, E
1927
, Reto Bezzola et Gottfried Weber plus récemment,
et
puis entre ces deux générations, Ernest Vinaver — que vous célébrez a
1928
u xxe siècle les textes originaux de la légende,
et
leur contexte culturel et historique, ces hommes ont fait bien plus q
1929
riginaux de la légende, et leur contexte culturel
et
historique, ces hommes ont fait bien plus qu’une œuvre scientifique,
1930
mes ont fait bien plus qu’une œuvre scientifique,
et
sérieuse aux yeux des confrères : ils ont permis à l’Occident moderne
1931
logies servent à faire entendre la force des mots
et
à les retenir par la liaison qui se trouve entre le mot primitif et l
1932
ar la liaison qui se trouve entre le mot primitif
et
les mots dérivés. De plus, elles donnent de la justesse dans le choix
1933
belle définition dans les termes de notre sujet,
et
cela donne à peu près ceci : « Les restitutions de Tristan servent à
1934
liaison qui se trouve entre la légende primitive
et
ses expressions dérivées dans nos littératures et dans nos vies. De p
1935
et ses expressions dérivées dans nos littératures
et
dans nos vies. De plus, elles donnent de la justesse dans le style de
1936
de la légende de Tristan, qui remontent aux xiie
et
xiiie siècles, expriment bien autre chose qu’un thème romanesque, —
1937
de l’âme occidentale. Mais qu’est-ce qu’un mythe,
et
qu’est-ce que l’âme ? Tout auteur qui se permet ces grands mots doit
1938
ds, c’est une histoire, généralement très simple,
et
invariable en sa donnée — bien qu’offrant des possibilités infinies d
1939
elles les plus diverses — une histoire qui décrit
et
révèle d’une manière imagée, symbolique, une structure de notre exist
1940
de d’autres manières de s’exprimer, plus directes
et
abstraites à la fois, comme la logique et la mathématique ; et non pa
1941
irectes et abstraites à la fois, comme la logique
et
la mathématique ; et non pas de notre existence physique ou animale,
1942
à la fois, comme la logique et la mathématique ;
et
non pas de notre existence physique ou animale, car celle-là échappe
1943
-là échappe au discours, s’exprime en sensations,
et
peut-être traduite à la rigueur en formules de biochimie. De quoi s’a
1944
imie. De quoi s’agit-il donc ici ? Entre le corps
et
l’intellect, la tradition distingue une troisième forme de l’existenc
1945
l’âme. Je ne prends pas ce mot dans le sens noble
et
vague que lui donnent un peu trop facilement les poètes, ni dans le s
1946
alité de l’âme ». Je prends le mot au sens précis
et
véritablement traditionnel, qui se retrouve dans certains dérivés com
1947
’âme. L’âme est en propre le domaine des émotions
et
des passions. L’émotion est la preuve de l’âme, tout comme la sensati
1948
, tout comme la sensation est la preuve du corps,
et
la pensée, la preuve de l’intellect. La passion, c’est une impulsion
1949
sion, c’est une impulsion qui outrepasse les lois
et
routines de l’instinct, et qui va se heurter aux conventions sociales
1950
ui outrepasse les lois et routines de l’instinct,
et
qui va se heurter aux conventions sociales. Ainsi, l’amour-passion es
1951
la sexualité, mais aussi des décrets de la morale
et
des conseils de la raison. L’amour-passion relève par excellence de l
1952
trouvé son expression la plus totale, délicieuse
et
tragique à la fois. C’est à ce mythe qu’il doit, depuis le xiie sièc
1953
st à ce mythe qu’il doit, depuis le xiie siècle,
et
dans nos sociétés occidentales, son pouvoir à jamais contagieux. Ceci
1954
les, son pouvoir à jamais contagieux. Ceci posé —
et
je m’excuse du ton quelque peu didactique de ce rappel au sens des mo
1955
sidérons le mythe lui-même dans sa pleine stature
et
ses profonds pouvoirs, mais aussi dans l’erreur innombrable qu’il sus
1956
us fort que la vie qui dégrade, assagit, amortit,
et
réduit aux routines. C’est le mythe de l’amour inaltérable, inaltéré
1957
des caractères qui se heurtent à propos de rien,
et
des tempéraments qui s’accordèrent un jour, dans l’instant du premier
1958
preuve de l’engagement dans les rapports sociaux,
et
même de l’engagement dans un rapport concret avec un Autre toujours i
1959
le premier regard, par une intuition fulgurante —
et
c’est le fameux coup de foudre romantique — a cru voir en lui la lueu
1960
sur l’esprit, libérée des corps dont elle vient,
et
survolant les irritantes vicissitudes de notre incarnation présente.
1961
time du mythe n’est pas Tristan, n’est pas Iseut,
et
n’est pas non plus leur passion, qui triomphe au contraire de tout. L
1962
ditions de la culture occidentale : le romantisme
et
le roman. Retracer leur évolution du xiiie siècle jusqu’à nos jours,
1963
au niveau des confusions morales les plus banales
et
complaisantes. Ce serait aller de l’apparition d’un mythe sacré, voil
1964
s sur le thème du triangle, roman pour midinettes
et
films de série, dont le love interest est l’ingrédient forcé, dernièr
1965
ansfigurante. L’histoire du mythe, dans nos mœurs
et
coutumes, ne serait-elle que l’histoire d’une longue profanation ? Fa
1966
-il penser que les pouvoirs du mythe sont épuisés
et
que nous serons peut-être les derniers à subir son « tourment délicie
1967
légende primitive ? Mais si le mythe est épuisé,
et
s’il était vraiment un mythe de l’âme, faut-il conclure que c’est l’â
1968
émotive, dans l’homme contemporain, qui s’épuise
et
qui s’atrophie, entre le corps et l’intellect seuls cultivés par notr
1969
n, qui s’épuise et qui s’atrophie, entre le corps
et
l’intellect seuls cultivés par notre civilisation ? L’hygiène, la tec
1970
par notre civilisation ? L’hygiène, la technique
et
la science, et une dose de psychanalyse, vont-elles exorciser la soci
1971
lisation ? L’hygiène, la technique et la science,
et
une dose de psychanalyse, vont-elles exorciser la société future, éva
1972
le consisterait à montrer la dégradation continue
et
, semble-t-il, irréversible, des obstacles opposés à la passion. Or on
1973
crés, coutumiers ou légaux ; qu’elle s’en nourrit
et
même les invente au besoin. Sans les obstacles accumulés entre les am
1974
lus tard le romantisme, puis acceptant le divorce
et
permettant que la reine convole en justes noces avec le chevalier. Et
1975
reine convole en justes noces avec le chevalier.
Et
l’on recule épouvanté devant l’idée d’Iseut devenant Madame Tristan !
1976
ien sacré, adversaire à la taille de la passion ;
et
que, loin de provoquer celle-ci par ses refus intransigeants, il prét
1977
’une version renouvelée de l’archétype de Tristan
et
Iseut. Ils cherchent donc partout l’obstacle qui résiste, et n’en tro
1978
ls cherchent donc partout l’obstacle qui résiste,
et
n’en trouvent guère. L’Homme sans qualités, de Musil, la Lolita de Na
1979
e un malade mental. Un psychanalyste l’eût guéri,
et
le roman n’eût pas eu lieu. Si les derniers tabous viennent à céder,
1980
’est littéralement sans histoire. Ou bien encore,
et
ce serait mieux, je crois, il leur reste le mythe de Don Juan, ce cli
1981
ai que la passion se nourrit d’obstacles choisis,
et
que notre culture tend à les supprimer, il reste un obstacle suprême,
1982
-là justement dont triomphe la passion de Tristan
et
d’Iseut : et c’est la mort. J’ai laissé jusqu’ici dans l’ombre cet as
1983
dont triomphe la passion de Tristan et d’Iseut :
et
c’est la mort. J’ai laissé jusqu’ici dans l’ombre cet aspect trop sou
1984
nt, trop facilement cité, du « beau conte d’amour
et
de mort ». Les obstacles sociaux, coutumiers ou sacrés, ont cédé à no
1985
séparation la plus irrémédiable est dans la mort,
et
toutes nos sciences, ici, se récusent et se taisent. Or c’est ici que
1986
la mort, et toutes nos sciences, ici, se récusent
et
se taisent. Or c’est ici que la passion mythique va se dresser dans s
1987
our de leur vie, car ils ont beu leur destruction
et
leur mort ». Certes, c’est vrai pour leur existence dans ce monde, ma
1988
u’il me donne l’audace de négocier avec la mort.
Et
Wagner, le dernier auteur de la légende qu’il a su recréer d’après na
1989
asbourg, inspiré lui-même des Bretons, de Béroul,
et
d’on ne sait qui d’autre, Wagner décrit par sa musique, vrai langage
1990
st un jour qui renaît, non pas le jour des hommes
et
de leur peine quotidienne, mais l’horizon du nouveau Jour qui révéler
1991
s actions d’un homme sur la terre, ses intentions
et
ses désirs et ses amours, composent au Ciel un être de lumière, une c
1992
homme sur la terre, ses intentions et ses désirs
et
ses amours, composent au Ciel un être de lumière, une contrepartie tr
1993
me est double : individu sur Terre, transitoire —
et
germe d’un être éternel qui est son vrai moi, et qui est un ange au c
1994
et germe d’un être éternel qui est son vrai moi,
et
qui est un ange au ciel. Et ces anges, nommés Fravartis, sont des ent
1995
qui est son vrai moi, et qui est un ange au ciel.
Et
ces anges, nommés Fravartis, sont des entités féminines. On retrouve
1996
ont des entités féminines. On retrouve ici Dante,
et
Goethe, et peut-être bien notre mythe. L’événement majeur, la scène c
1997
ités féminines. On retrouve ici Dante, et Goethe,
et
peut-être bien notre mythe. L’événement majeur, la scène capitale du
1998
de la Lumière-de-Gloire restituant toutes choses
et
tous les êtres dans leur pureté paradisiaque, « dans un décor de mont
1999
céleste, jeune femme d’une beauté resplendissante
et
qui lui dit : — Je suis toi-même ! Mais si l’homme sur la Terre a mal
2000
u de la Fravarti c’est une apparition monstrueuse
et
défigurée qui reflète son état déchu. Je ne puis m’empêcher d’imagin
2001
e aurorale » avec le moi céleste en forme d’ange,
et
femme, figure la conclusion du mythe de Tristan : ce qui se passe tro
2002
de lumière qu’on ne rejoint que dans un au-delà,
et
qui aurait été, sur la Terre, le véritable objet du désir de Tristan,
2003
objet du désir de Tristan, sa princesse lointaine
et
son « amour de loin » comme parlait le troubadour Jaufré Rudel ? L’ap
2004
me » suppose d’abord une dualité entre l’individu
et
le vrai moi, sans laquelle on ne saurait s’aimer soi-même, puisqu’« i
2005
imer vraiment, ce serait aimer l’ange en soi-même
et
dans l’autre, identiquement ; ce serait deviner l’ange, en soi-même e
2006
tiquement ; ce serait deviner l’ange, en soi-même
et
dans l’autre, l’aider à naître, et le rejoindre enfin dans le monde l
2007
e, en soi-même et dans l’autre, l’aider à naître,
et
le rejoindre enfin dans le monde lumineux de notre nostalgie. Mais al
2008
tre même, au fait de la personne. Nulle technique
et
nulle science de l’homme ne peut nous être ici d’aucun secours. Il fa
2009
’aucun secours. Il faut aimer, pour le comprendre
et
rapporter l’amour à ses fins spirituelles. Le mythe peut nous y aider
2010
tre vie affective, de lui offrir un modèle simple
et
pur, une grande image ordonnatrice de la passion. En restituant à not
2011
èle de l’amour-passion, dans sa grandeur première
et
drue, les philologues nous ont mis au défi d’apporter un peu plus de
2012
u plus de justesse dans le style de nos émotions.
Et
ce n’est pas seulement de la littérature qu’ils ont bien mérité, mais
2013
s de l’âme. aa. Rougemont Denis de, « Tristan
et
Iseut à travers le temps », Bulletin de l’Académie royale de langue e
2014
temps », Bulletin de l’Académie royale de langue
et
littérature françaises, Bruxelles, 1961, p. 214-221. ab. Précédé de
2015
d’intéressantes théories sur le roman de Tristan
et
Iseut, en réponse à M. Maurice Delbouille qui avait traité le même th
2016
en invitant à sa tribune, pour y évoquer Tristan
et
Iseut sous un angle tout différent, M. Denis de Rougemont, qui a trai
2017
emont, qui a traité, lui, du « mythe » de Tristan
et
Iseut dans plusieurs ouvrages. M. Robert Guiette, directeur de l’Acad
2018
e, se proposait d’introduire l’auteur de L’Amour
et
l’Occident . Celui-ci, par un fâcheux contretemps, dut renoncer le ma
2019
a rappelé que “de ses observations sur les récits
et
de sa réflexion sur le mythe de l’amour-passion, M. de Rougemont a ti
2020
r fondé sur l’étude des textes la plus rigoureuse
et
la plus sensible, un autre exposé que nous attendons, un exposé, comm
2021
duit Dante, l’Allemagne Goethe, la France Pascal,
et
les États-Unis Orson Welles. Sa boutade est moins sotte qu’elle n’en
2022
cusent à mes yeux, sans la justifier pour autant.
Et
tout d’abord il faut bien constater que dans la petite phrase incrimi
2023
l’horlogerie suisse donne l’heure au monde entier
et
ne craint personne. Il faut admettre ensuite que notre aurea mediocri
2024
des Européens dotés d’une bonne culture moyenne.
Et
finalement, il faut avouer que le statut du « grand homme » en Suisse
2025
-on qu’un étranger le voit ? S’il vient chez nous
et
cite l’un des Suisses qu’il connaît par sa réputation mondiale, pas u
2026
s frontières visibles ; deux confessions majeures
et
trente-six sectes, qui se côtoient partout mais qui s’ignorent ; je n
2027
gnorent ; je ne sais combien de races, de classes
et
de dialectes, jalousement préservés, et presque sans mélange ; une do
2028
e classes et de dialectes, jalousement préservés,
et
presque sans mélange ; une douzaine de paysages ou décors types, et l
2029
lange ; une douzaine de paysages ou décors types,
et
l’on va de l’un à l’autre en une demi-heure, parfois en deux minutes
2030
vue se ferme sur un paysage de plateaux nordiques
et
rhénans, collines où montent les sapins en bataillons noirs et pensif
2031
ollines où montent les sapins en bataillons noirs
et
pensifs, s’arrêtant au sommet d’un seul coup, — et s’ouvre à l’autre
2032
t pensifs, s’arrêtant au sommet d’un seul coup, —
et
s’ouvre à l’autre bout dans l’espace doré d’un ciel méridional que do
2033
un lac immense… Compartiments, esprit de groupe,
et
sociétés. Mais petits groupes de gens qui ne se connaissent que trop,
2034
s groupes de gens qui ne se connaissent que trop,
et
sociétés solides si leur but est restreint. Si bien que l’homme de po
2035
lui qui ferait mine de dépasser la mesure commune
et
d’être un chef. Un Führer suisse est impensable. Mais dans le domaine
2036
école, un public excité, un snobisme ou une cour,
et
un sens de la démesure. C’est tout cela qu’interdisent moralement nos
2037
tout cela qu’interdisent moralement nos coutumes,
et
physiquement nos petits compartiments. Que fera l’homme de talent, d’
2038
lus grands ponts « in the world », le Golden Gate
et
le Washington Bridge. Les Tessinois Jean et Domenico Fontana, le Roma
2039
Gate et le Washington Bridge. Les Tessinois Jean
et
Domenico Fontana, le Romand Le Corbusier, l’Alémanique Ammann, autant
2040
ivresse des sommets. L’intuition de la grandeur.
Et
plus d’obstacle devant la pensée. Le Suisse s’appelle Jean-Jacques. I
2041
Son canton — ou l’Europe. Voilà qui est bien dit
et
bien vu, mais le Français ne fait-il pas trop belle la part des Suiss
2042
atal, iront chercher dans les jeux de la synthèse
et
dans les larges vues panoramiques les grandes dimensions qui leur man
2043
nquent. Paracelse était Suisse, comme C. G. Jung,
et
Rousseau comme Jacob Burckhardt, et Madame de Staël comme personne. J
2044
e C. G. Jung, et Rousseau comme Jacob Burckhardt,
et
Madame de Staël comme personne. Jean de Müller, historien des Suisses
2045
mpant sur nos Alpes que ces hommes s’illustrèrent
et
apprirent à voir grand ; c’est au contraire en quittant leur pays. Pa
2046
natal de Schwyz, Léonard Euler vécut en Allemagne
et
à la cour de Russie, Jean de Müller à Vienne et à Berlin, Jean-Jacque
2047
e et à la cour de Russie, Jean de Müller à Vienne
et
à Berlin, Jean-Jacques, Madame de Staël et Benjamin Constant à Paris.
2048
Vienne et à Berlin, Jean-Jacques, Madame de Staël
et
Benjamin Constant à Paris. Quant à un C. G. Jung, à un C. F. Ramuz, à
2049
uisse, ce n’est pas la Suisse qui a fait leur nom
et
qui l’a propagé au loin ; c’est au contraire de l’étranger, des grand
2050
contraire de l’étranger, des grands pays voisins
et
parfois de l’Amérique, que ce nom nous est revenu, comme importé. Un
2051
n’indique ici que le thème : un ou deux exceptés (
et
cela se discuterait) ils furent tous, à des titres divers, des hommes
2052
ateurs de grandes affaires publiques, théologiens
et
pédagogues, nous les voyons tous assumer des devoirs sociaux ou civiq
2053
, ni de compositeurs du plus haut rang. Hölderlin
et
Keats, Mozart et Rubens, Shakespeare et Dostoïevski seraient impensab
2054
urs du plus haut rang. Hölderlin et Keats, Mozart
et
Rubens, Shakespeare et Dostoïevski seraient impensables en tant que S
2055
Hölderlin et Keats, Mozart et Rubens, Shakespeare
et
Dostoïevski seraient impensables en tant que Suisses. Une certaine dé
2056
e démesure, un grand théâtre, un sens de la pompe
et
du style, libre de tout souci d’application « morale », leur eussent
2057
une plus grande densité de conscience européenne
et
d’efficacité transformatrice qu’on ne saurait en trouver dans nulle a
2058
les prolégomènes à toute étude future sur l’œuvre
et
sur la vie de notre ami Carl J. Burckhardt. ad. Rougemont Denis de
2059
Culture
et
technique (juillet 1961)ae af L’économie occidentale d’aujourd’hui
2060
ustriel, c’est la technique, fille de la science,
et
d’une science étroitement liée à toute l’évolution culturelle de l’Oc
2061
est donc dans la technique, par son intermédiaire
et
à son sujet, que la culture et l’économie de l’Occident communiquent
2062
son intermédiaire et à son sujet, que la culture
et
l’économie de l’Occident communiquent le plus directement, au niveau
2063
la création comme à celui des effets extérieurs,
et
s’inter-déterminent de la manière la mieux vérifiable. Le sujet de me
2064
éflexions sera donc : l’interaction de la culture
et
de la technique au sein de la civilisation dont l’Europe constitue le
2065
éateur. Quel est l’état présent de ce problème ?
Et
dans quelle situation concrète abordons-nous notre sujet ? C’est la p
2066
oire, une civilisation devient vraiment mondiale,
et
c’est la civilisation technique. Née de l’Europe, développée par l’Am
2067
pe, développée par l’Amérique, adoptée par l’URSS
et
de là, transplantée en Chine, elle est devenue, au cours de ces derni
2068
t l’idéal, mais la revendication parfois bruyante
et
turbulente de tous les pays du tiers-monde, même les plus farouchemen
2069
e partout, on manque de techniciens, d’ingénieurs
et
de contremaîtres, de managers, de spécialistes, et même d’ouvriers qu
2070
t de contremaîtres, de managers, de spécialistes,
et
même d’ouvriers qualifiés. L’URSS est peut-être la seule exception. I
2071
es, dès l’enfance, vers la formation scientifique
et
technique, aux dépens de la culture générale et de ce que les Françai
2072
e et technique, aux dépens de la culture générale
et
de ce que les Français et les Anglo-Saxons nomment encore les humanit
2073
de la culture générale et de ce que les Français
et
les Anglo-Saxons nomment encore les humanités. Fait n° 3. Depuis plu
2074
es d’années, les plus grands penseurs de l’Europe
et
des États-Unis, suivis par les chroniqueurs des journaux et par l’éli
2075
ts-Unis, suivis par les chroniqueurs des journaux
et
par l’élite de la bourgeoisie, chantent sur tous les tons la plainte
2076
plainte de l’humanisme opprimé par la technique,
et
prédisent la mise en esclavage de l’homme par la machine. Au moment m
2077
e. Au moment même où l’Occident voit sa technique
et
ses valeurs techniques adoptées par le monde entier, l’Occident se me
2078
ier, l’Occident se met à douter de son bon droit,
et
à diviser ses forces en deux camps : d’une part, ceux qui sont prêts
2079
fier la culture générale aux exigences techniques
et
qui se nomment les progressistes ; d’autre part, ceux qui défendent n
2080
toutes leurs forces instinctives à la technique,
et
qu’on nomme les réactionnaires. Leur erreur commune consiste à ne pas
2081
nt la technique résulte de la culture occidentale
et
s’en nourrit, et à quel point cette culture occidentale peut à son to
2082
ésulte de la culture occidentale et s’en nourrit,
et
à quel point cette culture occidentale peut à son tour bénéficier de
2083
lture, dans son ensemble — théologie, philosophie
et
science, poésie et littérature —, a produit la technique occidentale
2084
emble — théologie, philosophie et science, poésie
et
littérature —, a produit la technique occidentale ; et que la techniq
2085
ttérature —, a produit la technique occidentale ;
et
que la technique ne saurait faire de vrais progrès si elle se coupe d
2086
e donc que l’opposition entre la culture générale
et
une éducation spécialisée est le type même du faux problème. Car sans
2087
que, au sens actuel, au sens universel du terme ;
et
à l’inverse, sans technique, point d’avenir pour la culture, au sens
2088
occidental du terme. L’une se nourrit de l’autre
et
l’une sans l’autre serait condamnée à dépérir en peu de temps. Pour é
2089
lir cette thèse centrale, il faudrait des volumes
et
toute une vie de recherches. Je vais devoir me contenter de vous rapp
2090
nt des « lois de l’économie » dont parlaient Marx
et
les théoriciens bourgeois de l’utilitarisme, mais au contraire des rê
2091
que l’homme invente pour des motifs utilitaires.
Et
presque tous les historiens de la technique répètent jusqu’à nos jour
2092
épondu à des besoins », économiques, alimentaires
et
matériels. Quelques-uns cependant nous disent : si l’homme invente, c
2093
c’est pour ravir le feu du ciel, comme Prométhée,
et
pour soumettre la Nature à notre volonté de puissance et de richesse.
2094
soumettre la Nature à notre volonté de puissance
et
de richesse. Et pourtant, la plupart des exemples classiques d’invent
2095
ture à notre volonté de puissance et de richesse.
Et
pourtant, la plupart des exemples classiques d’inventions et de décou
2096
, la plupart des exemples classiques d’inventions
et
de découvertes, si l’on y regarde de près, réfutent précisément ces t
2097
, qui ont décidé du sort de la technique moderne,
et
par suite de notre économie, nous ne trouvons pas le désir de gain, n
2098
u religieux, affectifs, poétiques, archétypiques,
et
très généralement humains. L’homme primitif crée des outils parce qu’
2099
dans l’eau courante ou l’animal, dans ses songes
et
ses rêves éveillés. Il exorcise prudemment la Nature peuplée de dieux
2100
ulaires : la machine à vapeur, la turbine, l’auto
et
l’avion. C’est du rêve de voler qu’est né l’avion, et non pas de la p
2101
’avion. C’est du rêve de voler qu’est né l’avion,
et
non pas de la prévision des avantages économiques, touristiques et mi
2102
prévision des avantages économiques, touristiques
et
militaires que présenterait un jour l’aviation. L’histoire du vol d’I
2103
streinte à suivre la loi rigide des voies ferrées
et
des horaires, mais pût aller à l’aventure le long des routes et des c
2104
s, mais pût aller à l’aventure le long des routes
et
des chemins dans les campagnes : rêve typique de l’adolescence, qui e
2105
urbine fut Léonard Euler, mathématicien de génie,
et
ici, c’est le motif religieux qui est décisif. Élevé à Bâle dans un m
2106
e ses travaux immenses sur le calcul différentiel
et
intégral et la philosophie de la Nature, il prit le temps d’imaginer
2107
x immenses sur le calcul différentiel et intégral
et
la philosophie de la Nature, il prit le temps d’imaginer les plans d’
2108
er les robinets commandant l’arrivée de la vapeur
et
de l’eau froide, rendant ainsi le processus automatique ; et il fit c
2109
froide, rendant ainsi le processus automatique ;
et
il fit cela, nous disent les récits de l’époque, afin de pouvoir alle
2110
des besoins d’un tout autre ordre, psychologiques
et
moraux, qui ont guidé l’intuition des inventeurs. L’explication de la
2111
économiques repose en somme sur un anachronisme,
et
sur une confusion des effets et des causes. Au début, il y a le rêve,
2112
un anachronisme, et sur une confusion des effets
et
des causes. Au début, il y a le rêve, le jeu ; plus tard viennent l’i
2113
le rêve, le jeu ; plus tard viennent l’industrie
et
les gros dividendes : mais ceci n’explique pas cela. Au début, il y a
2114
qui font sourire l’économiste, l’homme d’affaires
et
l’homme politique. (Adolphe Thiers, historien et ministre français, d
2115
et l’homme politique. (Adolphe Thiers, historien
et
ministre français, déclare en 1833 que la locomotive est « une simple
2116
amusette scientifique ».) Plus tard, l’industrie
et
la banque, avec l’aide de savants économistes, échafaudent sur de tel
2117
système compliqué de leurs « lois économiques »,
et
prétendent que ces lois expriment les besoins matériels de l’homme de
2118
l’avion, ou son auto, que parce que quelques fous
et
rêveurs de génie inventèrent un beau jour ces mécaniques, qui devaien
2119
atériel expliquait les créations de la technique,
et
si les produits de l’industrie répondaient aux besoins matériels, pou
2120
rêve créateur : l’exemple des fusées vers la Lune
et
Vénus me suffira. Les plus grandes sommes — des milliards de dollars
2121
ira. Ce qui explique ces dilapidations délirantes
et
même scandaleuses, aux yeux de l’utilitarisme, ce ne sont pas les loi
2122
ilitarisme, ce ne sont pas les lois de l’économie
et
encore moins les besoins matériels — quand les 2/3 de l’humanité souf
2123
t la faim — mais c’est un rêve, un rêve universel
et
proprement irrésistible. Et si un jour nous découvrons sur Mars des s
2124
ve, un rêve universel et proprement irrésistible.
Et
si un jour nous découvrons sur Mars des substances nouvelles qui proc
2125
s autant que nos instincts, les interdits sociaux
et
religieux autant que les désirs secrets de l’individu et les possibil
2126
gieux autant que les désirs secrets de l’individu
et
les possibilités illimitées de l’imagination : ce sont eux qui créent
2127
eux qui créent la culture, les arts, les sciences
et
la littérature. C’est évident. Mais il ne faut pas oublier qu’ils se
2128
ans nul doute notre pouvoir de rêve, son imagerie
et
ses orientations, — qui sont celles de nos découvertes. En résumé — n
2129
— la technique n’est donc pas un destin objectif
et
que nous aurions à subir, mais bien au contraire, elle exprime des vœ
2130
sommes responsables. Il en résulte que la culture
et
la technique ne sauraient être opposées dans leurs sources, puisqu’el
2131
en esclavage des Occidentaux par leurs machines,
et
le danger — beaucoup plus sérieux à mon sens — d’un épuisement des so
2132
vent l’envahissement de notre vie par la machine.
Et
tous nos grands penseurs de se lamenter sur le déclin des valeurs spi
2133
lamenter sur le déclin des valeurs spirituelles,
et
sur la mise en esclavage de l’homme par les machines, les robots, les
2134
ongue plainte qui fut mise à la mode par Bergson,
et
de ce pessimisme général, que l’invention de la bombe H risque de tra
2135
s détruire, on oublie simplement que les machines
et
la bombe sont faites par l’homme et ne feront rien sans lui. J’écriv
2136
les machines et la bombe sont faites par l’homme
et
ne feront rien sans lui. J’écrivais au lendemain d’Hiroshima : La
2137
eux, c’est l’homme. C’est lui qui a fait la bombe
et
se prépare à l’employer. Le contrôle de la bombe est une absurdité. O
2138
de l’homme. Il n’est pas d’invention, si simple
et
si utilitaire soit-elle, qui ne puisse être mise au service des passi
2139
on. C’est l’homme lui-même qui reste responsable,
et
non pas la machine, parfaitement innocente, ou la technique qui l’a p
2140
puis l’homme taylorisé, travaillant à la chaîne.
Et
certes ce n’étaient pas non plus les machines ou les chaînes qui forç
2141
n de produire sans tenir compte du facteur humain
et
de la dignité de la personne humaine, dans leurs plans de rendement à
2142
pprocher la fin de cette ère primitive, inhumaine
et
cruelle, de la technique occidentale. Chose étrange et bien remarquab
2143
uelle, de la technique occidentale. Chose étrange
et
bien remarquable, ce ne sont pas les justes indignations d’un Marx, n
2144
rx, ni l’action politique des partis socialistes,
et
encore moins la révolution des communistes qui ont créé les moyens co
2145
es parvenus au seuil d’une ère nouvelle, qui doit
et
peut, progressivement, nous permettre non plus seulement d’améliorer
2146
ns ouvriers » commence à se réaliser en Occident.
Et
l’on s’aperçoit que l’automatisme des machines, qui semblait inhumain
2147
re libérateur dès qu’il est poussé jusqu’au bout,
et
qu’il n’a plus besoin d’être servi, mais seulement surveillé par l’ho
2148
lus. Le principal produit de la technique moderne
et
de l’automatisation de l’industrie, en fin de compte, c’est le loisir
2149
vail mécanique, pourvue de loisirs tout nouveaux,
et
privée du même coup du droit de se plaindre qu’elle n’a pas le temps
2150
ien sûr, nous ne confondrons pas le simple loisir
et
la culture. La culture ne consiste pas seulement à se cultiver, à lir
2151
, à composer de la musique, à méditer, à inventer
et
à créer. C’est un travail, c’est même le vrai travail humain. Mais il
2152
consommation de la culture augmentera elle aussi,
et
que par suite, les conditions du producteur de la culture seront sens
2153
ermet de gagner sur le temps de travail mécanique
et
routinier sera gagné pour la culture, ou pourra l’être. Nous allons v
2154
ndre alors que cette technique asservisse l’homme
et
tue la vraie culture ; mais nous voyons que les progrès techniques le
2155
cents nous ramènent au contraire vers la culture,
et
lui donnent un sérieux nouveau, une importance économique croissante.
2156
pendant un danger subsiste. L’ère de l’automation
et
de l’électronique exige la formation scientifique très poussée non se
2157
aujourd’hui d’environ cinquante mille techniciens
et
ingénieurs. Quant à l’URSS, elle subordonne toute son éducation scola
2158
RSS, elle subordonne toute son éducation scolaire
et
universitaire à la seule formation technique. Cette formation obligat
2159
mation obligatoire absorbe 67 % du temps d’étude,
et
ne laisse à peu près aucune place à la culture générale, réduite aux
2160
que les Russes ont lancé les premiers Spoutniks,
et
tout le monde veut les imiter. En Europe comme en Afrique, on réclame
2161
technique qui tient à l’ensemble de notre culture
et
à ses rêves directeurs. Gardons-nous de scier la branche sur laquelle
2162
au sens étroit, mais des poètes, des philosophes
et
des rêveurs, quelquefois des théologiens, ou des peintres, ou des tou
2163
s, ou des touche-à-tout. La brouette, la roulette
et
les lois du hasard, la machine à calculer, ancêtre des cerveaux élect
2164
aux électroniques, c’est Pascal qui les inventa ;
et
la turbine c’est Léonard Euler, mathématicien et mystique ; et le gra
2165
et la turbine c’est Léonard Euler, mathématicien
et
mystique ; et le gramophone, c’est un poète français un peu loufoque,
2166
c’est Léonard Euler, mathématicien et mystique ;
et
le gramophone, c’est un poète français un peu loufoque, Charles Cros.
2167
les Cros. Ces successeurs modernes d’un Archimède
et
d’un Léonard de Vinci, on les imagine mal sortant d’écoles techniques
2168
era 1° que nous aurons moins de grands inventeurs
et
2° que c’est alors que nous courrons le risque d’être spirituellement
2169
. Gardons-nous d’opposer théoriquement la culture
et
la technique comme s’il s’agissait de deux entités indépendantes et a
2170
mme s’il s’agissait de deux entités indépendantes
et
au surplus rivales. Nous avons vu que leurs sources créatrices sont
2171
sont communes, qu’elles jaillissent du même fonds
et
s’alimentent aux mêmes nappes profondes de la psyché, à la fois fabul
2172
pes profondes de la psyché, à la fois fabulatrice
et
fabricatrice, poétique au sens étymologique. Et nous pouvons aisément
2173
e et fabricatrice, poétique au sens étymologique.
Et
nous pouvons aisément vérifier que leurs effets, au stade présent de
2174
résent de leur évolution, loin de se contrecarrer
et
de se nuire sont au contraire en relation de promotion réciproque. La
2175
itative des loisirs : par la radio, la télévision
et
les disques, toute la musique occidentale est mise à la portée instan
2176
rtée instantanée de tous les amateurs de musique,
et
le nombre de ces amateurs est en même temps multiplié. Il en va de mê
2177
rt grâce aux procédés de reproduction en couleur,
et
pour toute la littérature, et même pour la philosophie. Le succès stu
2178
duction en couleur, et pour toute la littérature,
et
même pour la philosophie. Le succès stupéfiant des pocket books, aux
2179
par les perfectionnements techniques de l’édition
et
par la généralisation de la curiosité intellectuelle, résultant de lo
2180
ème conclusion : Gardons-nous d’opposer technique
et
culture générale dans nos programmes d’éducation scolaire et universi
2181
générale dans nos programmes d’éducation scolaire
et
universitaire. Car cela reviendrait à opposer l’arbre et le fruit, a
2182
rsitaire. Car cela reviendrait à opposer l’arbre
et
le fruit, au détriment final de l’un et de l’autre. On nous répète qu
2183
r l’arbre et le fruit, au détriment final de l’un
et
de l’autre. On nous répète que notre société a besoin d’innombrables
2184
otre société a besoin d’innombrables techniciens,
et
qu’il s’agit de les former d’urgence aux dépens des humanités et de l
2185
de les former d’urgence aux dépens des humanités
et
de la culture générale. L’URSS a décidé de sacrifier la culture génér
2186
L’URSS a décidé de sacrifier la culture générale,
et
elle a produit les Spoutniks. Je crains pour elle que ses premiers su
2187
pour elle que ses premiers succès ne l’aveuglent
et
que sa politique éducative ne soit à courte vue ; elle repose en effe
2188
te époque. Il me décrivit en détail ses méthodes,
et
il conclut : « Vous voyez, notre activité réelle, c’est un mélange de
2189
notre activité réelle, c’est un mélange de poésie
et
de cuisine. Les procédés techniques et l’élaboration mathématique vie
2190
de poésie et de cuisine. Les procédés techniques
et
l’élaboration mathématique viennent plus tard. »… Et de même, Robert
2191
l’élaboration mathématique viennent plus tard. »…
Et
de même, Robert Oppenheimer ne cesse d’insister sur la nécessité abso
2192
la nécessité absolue d’une vaste culture générale
et
synthétique, englobant la littérature et la métaphysique religieuse,
2193
générale et synthétique, englobant la littérature
et
la métaphysique religieuse, si l’on veut que la recherche scientifiqu
2194
ieuse, si l’on veut que la recherche scientifique
et
technique n’aboutisse pas à des impasses, à la stagnation, ou à des m
2195
ruosités. S’il nous faut davantage de techniciens
et
de chercheurs scientifiques, il nous faut donc davantage de culture g
2196
il nous faut donc davantage de culture générale,
et
non pas moins, et seulement un peu plus de formation technique pendan
2197
davantage de culture générale, et non pas moins,
et
seulement un peu plus de formation technique pendant le temps de la s
2198
nt néfaste. Les machines inventées par l’Occident
et
transportées dans les pays sous-développés sont les équivalents moder
2199
sont les équivalents modernes du cheval de Troie.
Et
si nous persistons à l’ignorer, nous donnerons aux pays sous-développ
2200
ons aux pays sous-développés des objets explosifs
et
destructeurs de leurs traditions ancestrales et de leurs équilibres t
2201
s et destructeurs de leurs traditions ancestrales
et
de leurs équilibres traditionnels, sans leur expliquer les dangers et
2202
es traditionnels, sans leur expliquer les dangers
et
les bienfaits de notre apport. Nous leur donnerons des drogues sans m
2203
us leur donnerons des drogues sans mode d’emploi,
et
nos remèdes deviendront des poisons. Il est donc temps, pour nous Occ
2204
à l’assistance technique dont tout le monde parle
et
que tout le monde exige de nous, une assistance éducatrice et culture
2205
le monde exige de nous, une assistance éducatrice
et
culturelle, sans laquelle tous nos dons, même désintéressés, ne créer
2206
ésintéressés, ne créeront outre-mer que le chaos,
et
n’engendreront que la haine. Quatrième et dernière conclusion : L’éco
2207
chaos, et n’engendreront que la haine. Quatrième
et
dernière conclusion : L’économie occidentale qui sait bien qu’elle dé
2208
ner un développement plus harmonieux de nos rêves
et
de notre action. L’avenir de l’Occident ne peut se lire seulement dan
2209
x qui assumeront à la fois les conditions morales
et
matérielles d’un équilibre humain assez riche et assez souple pour se
2210
et matérielles d’un équilibre humain assez riche
et
assez souple pour servir de modèle à tous les hommes. Il appartient d
2211
es. Il appartient donc conjointement à la culture
et
à l’économie, qui trouvent là leur commune responsabilité. ae. Rou
2212
ponsabilité. ae. Rougemont Denis de, « Culture
et
technique », Caractère et culture de l’Europe, Amsterdam, juillet 196
2213
ont Denis de, « Culture et technique », Caractère
et
culture de l’Europe, Amsterdam, juillet 1961, p. 5-9. af. Présenté p
2214
é par cette note : « Avec la clarté de l’écrivain
et
sa connaissance des problèmes européens, M. de Rougemont souligne l’i
2215
ougemont souligne l’interdépendance de la culture
et
de la technique. Auteur d’une vingtaine de volumes — traduits en douz
2216
xécutif du Congrès pour la liberté de la culture,
et
gouverneur de la Fondation européenne de la culture. »
2217
le hall d’un hôtel, vers quatre heures du matin,
et
je tirais les cartes. Un grand et fort garçon, dans la trentaine, bea
2218
eures du matin, et je tirais les cartes. Un grand
et
fort garçon, dans la trentaine, beau visage plein et carré, aux yeux
2219
fort garçon, dans la trentaine, beau visage plein
et
carré, aux yeux bleus écartés, le cheveu noir et dru, en bras de chem
2220
et carré, aux yeux bleus écartés, le cheveu noir
et
dru, en bras de chemise, vint s’asseoir à côté de moi sur le tapis. I
2221
Il arrivait tout droit de la rédaction de Combat
et
voulait savoir son avenir. Ce que je sus, c’est que nous aurions beau
2222
tard, il devenait mon collaborateur le plus actif
et
imaginatif au Centre européen de la culture, à Genève, qu’il ne devai
2223
a personne. ⁂ Il était alsacien, né à Strasbourg,
et
son père descendait d’une famille de Hambourg, quelque peu mêlée de s
2224
ille de Hambourg, quelque peu mêlée de sang slave
et
possédant la bourgeoisie de Bâle. Il avait épousé une Anglaise. Il rê
2225
e ordonnance intellectuelle. Il excellait en tout
et
passait au-delà, avec cette « casual brilliance » dont a parlé le Tim
2226
d’allemand, traducteur incomparable de Keyserling
et
de Rudolf Kassner, professeur de lycée à Marseille et Oran, puis succ
2227
e Rudolf Kassner, professeur de lycée à Marseille
et
Oran, puis successivement officier de parachutistes dans les Forces f
2228
s dans les Forces françaises libres en Angleterre
et
à Berlin, mémorable correspondant étranger du Combat d’Albert Camus,
2229
l rendit rapidement fameuse, finalement animateur
et
conseiller d’organisations européennes et internationales auxquelles
2230
imateur et conseiller d’organisations européennes
et
internationales auxquelles il prêtait le rayonnement d’une culture ex
2231
t étendue, d’une sagesse indulgente mais incisive
et
d’un charme personnel infaillible, alliant le meilleur des qualités g
2232
ble, alliant le meilleur des qualités germaniques
et
françaises, — il semblait toujours que tout cela devait le conduire a
2233
veau dans les lettres françaises, ample, émouvant
et
pacifiant, compréhensif de tout l’humain du haut en bas, foncièrement
2234
ut l’humain du haut en bas, foncièrement réaliste
et
religieux. Puis, une fois de plus, il est passé au-delà, emporté par
2235
e fonder ou de réfuter, il disait, coupant court,
et
comme en aparté : « Ceci n’est pas conforme à ma théologie. » Et l’on
2236
rté : « Ceci n’est pas conforme à ma théologie. »
Et
l’on sentait qu’il s’agissait en lui non pas d’une objection logique
2237
isse en français. Luthérien par sa piété heureuse
et
nostalgique, par son acquiescement au monde charnel, par son sens cos
2238
du langage musical, par sa rondeur, sa pesanteur
et
sa bonhomie sensuelle, plus encore que par son arrière-plan mystique,
2239
ar son arrière-plan mystique, presque bouddhiste,
et
par cet horizon de délivrance que dénude la chute assourdie de la str
2240
a strophe. Le monde humain lui apparaissait lourd
et
fluent, informe et grouillant comme le ventre ténébreux de la baleine
2241
humain lui apparaissait lourd et fluent, informe
et
grouillant comme le ventre ténébreux de la baleine où médita Jonas, f
2242
à le considérer dans ses manifestations positives
et
en fin de compte insignifiantes — la politique, la guerre, l’action,
2243
— la politique, la guerre, l’action, l’économie,
et
sans doute la morale. Pourtant, nul n’était moins que lui tenté par l
2244
cohérence aveugle avait un sens ailleurs, heureux
et
grand pour l’âme, et des lois dont certains indices — nombres, accord
2245
it un sens ailleurs, heureux et grand pour l’âme,
et
des lois dont certains indices — nombres, accords, réminiscences — no
2246
culs dérisoires. Tous les projets humains, désirs
et
décisions évoluaient à ses yeux, comme il aimait à dire : « dans la c
2247
qualité poétique des êtres ou de la conjoncture ;
et
les erreurs importaient peu, normales, parfois même agréables, petits
2248
grand fleuve d’un seul tenant reliant « l’origine
et
la perfection des temps ». Sa faculté de travail n’était guère égalée
2249
sque mégalomane que par son mépris de l’arrivisme
et
des conditions élémentaires d’une carrière. Il avait de lui-même et d
2250
élémentaires d’une carrière. Il avait de lui-même
et
du monde une idée telle que les soucis multipliés par une vie quotidi
2251
multipliés par une vie quotidienne mal ordonnée,
et
les besognes dont il s’acquittait pour s’en tirer ne l’atteignaient p
2252
olument ; il pouvait être dans cette vie reporter
et
bohème, romancier ou poète, — il voulut même, un temps, devenir banqu
2253
te, — il voulut même, un temps, devenir banquier,
et
riche. L’insignifiance foncière de tout le laissait libre d’accorder
2254
l eût fait un fort bel empereur romain-germanique
et
d’expression française.) Un certain ton de gouaille anarchisante, mai
2255
aille anarchisante, mais sans trace de vulgarité,
et
dans l’abord des êtres, un laisser-aller apparent (mais qui cachait b
2256
er apparent (mais qui cachait beaucoup de fierté,
et
de références secrètes à son système d’évaluations) lui permettaient
2257
venir dans « le temps saugrenu » de la vie brève,
et
qu’il deviendra parmi nous, pour quelques-uns, dans le temps signifia
2258
Paul de Dadelsen était alsacien, né à Strasbourg,
et
son père descendait d’une famille de Hambourg, quelque peu mêlée de s
2259
ille de Hambourg, quelque peu mêlée de sang slave
et
possédant la bourgeoisie de Bâle. Il avait épousé une Anglaise. Il rê
2260
e ordonnance intellectuelle. Il excellait en tout
et
passait au-delà, avec cette « brillante désinvolture » dont a parlé l
2261
d’allemand, traducteur incomparable de Keyserling
et
de Rudolf Kassner, professeur de lycée à Marseille et Oran, puis succ
2262
e Rudolf Kassner, professeur de lycée à Marseille
et
Oran, puis successivement officier de parachutistes dans les Forces f
2263
s dans les Forces françaises libres en Angleterre
et
à Berlin, mémorable correspondant étranger du Combat d’Albert Camus,
2264
l rendit rapidement fameuse, finalement animateur
et
conseiller d’organisations européennes et internationales auxquelles
2265
imateur et conseiller d’organisations européennes
et
internationales auxquelles il prêtait le rayonnement d’une culture ex
2266
t étendue, d’une sagesse indulgente mais incisive
et
d’un charme personnel infaillible, alliant le meilleur des qualités g
2267
ble, alliant le meilleur des qualités germaniques
et
françaises, il semblait toujours que tout cela devait le conduire ail
2268
veau dans les lettres françaises, ample, émouvant
et
pacifiant, compréhensif de tout l’humain du haut en bas, foncièrement
2269
ut l’humain du haut en bas, foncièrement réaliste
et
religieux. Puis, une fois de plus, il est passé au-delà, emporté par
2270
, puis va à Paris étudier la théologie, à Orléans
et
à Bourges étudier le droit. Quand son père meurt, en 1531, il réalise
2271
l réalise sa part d’héritage, vend ses bénéfices,
et
ne s’occupe plus que de religion. Il prêche. Il doit s’enfuir à Nérac
2272
rrare, il est retenu à Genève par Guillaume Farel
et
invité à y organiser l’Église. Chassé par les magistrats en 1538, Cal
2273
s institutio (1536). Traduction française en 1541
et
1559. (Œuvres complètes en 59 vol., 1863-1900.) Si l’on admet avec u
2274
esure où il s’occupe des vicissitudes de l’époque
et
tente de s’y mêler — de les diriger, pourquoi pas ? — ne fait pas pré
2275
Calvin n’est pas un écrivain. Il a créé un style
et
un vocabulaire, et la langue des idées en France, et Bossuet lui conc
2276
n écrivain. Il a créé un style et un vocabulaire,
et
la langue des idées en France, et Bossuet lui concède « la gloire d’a
2277
un vocabulaire, et la langue des idées en France,
et
Bossuet lui concède « la gloire d’avoir aussi bien écrit qu’homme de
2278
és religieuses dans les vicissitudes de l’époque,
et
diriger les hommes à leur fin de salut. Il n’a écrit que pour mieux f
2279
e clarté, de mesure, de propriété dans les termes
et
de rigueur dans l’articulation, qu’on appelle souvent cartésiennes, a
2280
la littérature » dans les milieux où elle se crée
et
se cultive pour elle-même, se définit précisément comme quelque chose
2281
uelque chose où Calvin ne trouverait pas sa place
et
, de fait, ne joue plus aucun rôle. En revanche, l’une des traditions
2282
e l’écrivain comme chargé d’une mission normative
et
créatrice de valeurs générales dans la cité, — cette attitude « class
2283
ait abusé — s’origine sans nul doute chez Calvin
et
n’a jamais encore égalé son modèle. Calvin n’est pas aimable, on le s
2284
in n’est pas aimable, on le sait de reste. Maigre
et
mélancolique, comme l’était Charles Quint — tandis que Luther est aus
2285
Charles Quint — tandis que Luther est aussi gras
et
sanguin que Thomas d’Aquin — il ne séduit que par la démesure d’une i
2286
mporte ici, c’est l’efficacité d’une œuvre écrite
et
pensée tout entière dans la soumission absolue à une cause qui transc
2287
e fit tourner bride… Ayant donc reçu quelque goût
et
connaissance de la vraie piété, je fus incontinent enflammé d’un si g
2288
té, d’autant qu’étant d’un naturel un peu sauvage
et
honteux, j’ai toujours aimé requoy et tranquillité, je commençai à ch
2289
peu sauvage et honteux, j’ai toujours aimé requoy
et
tranquillité, je commençai à chercher quelque cachette et moyen de me
2290
uillité, je commençai à chercher quelque cachette
et
moyen de me retirer des gens. Mais tant s’en faut que je vinsse à bou
2291
ut de mon désir, qu’au contraire toutes retraites
et
lieux à l’écart m’étaient comme écoles publiques. Bref, cependant que
2292
privé sans être connu, Dieu m’a tellement promené
et
fait tournoyer par divers changements que toutefois il ne m’a jamais
2293
ue, malgré mon naturel, il m’a produit en lumière
et
fait venir en jeu, comme on dit. L’aventure se noue en 1535, année c
2294
r, dit-il, qu’en se taisant il ne se montre lâche
et
déloyal. C’est ainsi qu’il rédige en latin, de mars à août, les cinq-
2295
nt changé le cours de notre histoire occidentale.
Et
de nouveau, il fuit devant l’éclat que fait dans le monde ce « petit
2296
illaume Farel me retint, non pas tant par conseil
et
exhortation que par une adjuration épouvantable, comme si Dieu eût d’
2297
. Il n’accepte pourtant qu’une charge de docteur,
et
commence à « dresser » l’Église dans ses formes. Bientôt, une séditio
2298
édition le chasse. Peut-il se croire « en liberté
et
quitte de sa vocation » ? Déjà Bucer exige sa présence à Strasbourg «
2299
evient le pasteur de la première Église réformée,
et
il la dote d’une liturgie, qu’il met en vers pour être mieux chantée.
2300
ers pour être mieux chantée. Trois ans s’écoulent
et
sa pensée mûrit, mais voilà Genève qui le rappelle. « Contre mon dési
2301
voilà Genève qui le rappelle. « Contre mon désir
et
affection la nécessité me fut imposée de retourner à ma première char
2302
je fis avec tristesse, larmes, grande sollicitude
et
détresse… Maintenant, si je voulais réciter les divers combats par le
2303
squels le Seigneur m’a exercé depuis ce temps-là,
et
par quelles épreuves il m’a examiné, ce serait une longue histoire. »
2304
» Semblable au roi David molesté par les guerres
et
navré au milieu de son peuple par la malice des déloyaux « j’ai été a
2305
mais c’est être emporté malgré soi vers des buts
et
dans une action à quoi rien ne nous inclinait. J’étais l’homme le moi
2306
, l’arrachant à lui-même, le jette à sa personne.
Et
Calvin : « Dieu me fit tourner bride… » Son efficacité naît de cet ab
2307
ar ce qui n’est pas lui, mais qui vient l’appeler
et
le réalise à jamais. Toutes les vertus de son style découlent de cet
2308
ée de proverbes, de frustes apologues à la volée,
et
d’innombrables citations des Écritures restituées dans leur nouveauté
2309
es restituées dans leur nouveauté la plus abrupte
et
prosaïque. Son baroque est celui du bon sens et du langage quotidien
2310
e et prosaïque. Son baroque est celui du bon sens
et
du langage quotidien de son temps : nous jugeons pittoresques, par er
2311
erreur, des tours qui ne voulaient qu’être clairs
et
convaincants pour l’auditeur d’alors. À la rhétorique éloquente, — ma
2312
re à François Ier, opposons le mouvement pressant
et
familier des Sermons qu’il prononce chaque jour à la cathédrale de Sa
2313
ovisée, rien n’est plus varié quant aux rythmes ;
et
pourtant rien n’est plus altièrement monotone quant à la pensée direc
2314
à la pensée directrice : à Dieu seul tout est dû
et
de Lui seul tout vient. La phrase est souvent longue, mais d’une déma
2315
s de la Terre, mais pourtant jaloux de ses droits
et
des intérêts de « son » peuple. Langage dénué de toute onction d’égli
2316
us-tendu par la seule volonté d’éduquer le peuple
et
les princes. Langage enfin d’un homme qui se sait écouté non seulemen
2317
enne, assemblée devant lui, au pied de la chaire,
et
dont il connaît bien les circonstances concrètes : d’où l’absence de
2318
circonstances concrètes : d’où l’absence de doute
et
de jeu, de gratuité et d’ornements, d’où la nudité de la parole, mais
2319
: d’où l’absence de doute et de jeu, de gratuité
et
d’ornements, d’où la nudité de la parole, mais aussi son pouvoir de c
2320
aient suscité dans l’Occident une éthique sociale
et
civique, un type neuf de relations politiques, enfin des formes de go
2321
ui ont marqué d’une manière décisive l’Angleterre
et
ses dominions, la Hollande et la Suisse, la Hongrie pour un temps, la
2322
cisive l’Angleterre et ses dominions, la Hollande
et
la Suisse, la Hongrie pour un temps, la France huguenote, enfin toute
2323
France huguenote, enfin toute l’Amérique du Nord,
et
cela fait la moitié de l’Occident. Je cherche en vain l’esprit qu’on
2324
l’esprit qu’on puisse lui comparer par l’ampleur
et
par la durée d’une action de cet ordre dans l’Histoire. J’écarte Rous
2325
du. J’écarte Nietzsche. Je ne vois plus que Marx,
et
encore. Un empire international se réclame de son œuvre, ou au moins
2326
octrine de l’Histoire quasiment prédestinatienne,
et
presque aussi paradoxale que celle des Pères de la Réforme, n’a jamai
2327
, ni même une formule d’équilibre entre la nation
et
ses princes, encore bien moins entre l’État et le citoyen. Calvin n’
2328
on et ses princes, encore bien moins entre l’État
et
le citoyen. Calvin n’était pas démocrate, mais il a fomenté les chef
2329
ète qui ne soit responsable en retour devant Dieu
et
dans la cité ; et que le titre de citoyen est bien moins un droit qu’
2330
sponsable en retour devant Dieu et dans la cité ;
et
que le titre de citoyen est bien moins un droit qu’une charge. Les dé
2331
’Occident moderne l’aire de l’influence de Calvin
et
l’aire des dictatures totalitaires : elles ne se recouvrent nulle par
2332
créé le modèle d’une église dressée face à l’État
et
soigneuse à le maintenir dans les limites de son juste pouvoir, elle-
2333
’il portait, il fut l’incarnation de l’autorité ;
et
dans la mesure encore où cet homme accablé a fait l’histoire des cité
2334
(1962)ah Sous le règne de Victoria les lettres
et
les arts prospèrent, les intellectuels s’humanisent, les grands noms
2335
t être mérités, la familiarité dénote le respect,
et
les pédants sont exilés vers les régions froides. L’étiquette de la c
2336
agnole ou à la russe. Les sourires inextinguibles
et
les mises en boîte raffinées sont admis. Qu’un propos ou qu’un person
2337
uris habités d’oiseaux-mouches, vers le Río calme
et
violet. Tels sont les souvenirs que je garde et chéris de mon passage
2338
e et violet. Tels sont les souvenirs que je garde
et
chéris de mon passage de quelques mois, à la cour de San Isidro : c’é
2339
n Europe m’avait projeté hors d’une Suisse neutre
et
assiégée, qui m’estimait sans doute moins gênant, peut-être même plus
2340
avec tout ce que Paris comptait de plus précieux
et
de plus émouvant sous la menace, en ces derniers mois de sa paix. Ces
2341
une fin d’après-midi dorée, avec Ortega y Gasset,
et
nous parlions d’amis communs, venus de partout, qu’une sorte de prémo
2342
ociété secrète improvisée, avant les catastrophes
et
la nuit de l’esprit. Mais quelques jours plus tard, à Orléans, nous e
2343
ndions ensemble Jeanne au bûcher, de Paul Claudel
et
Arthur Honegger, cette bouleversante déclamation chorale, vers la fin
2344
it suscité, c’était à la fois le passé, si proche
et
déjà légendaire, et la promesse d’un avenir malgré tout qui m’étaient
2345
à la fois le passé, si proche et déjà légendaire,
et
la promesse d’un avenir malgré tout qui m’étaient rendus, comme une g
2346
les tours de Notre-Dame. Victoria m’a trouvé là,
et
parce que je ne disais rien, m’a fortement pincé le bras pour que je
2347
nt pincé le bras pour que je crie mon admiration.
Et
ce jour-là, j’ai découvert son patriotisme foncier. Je l’avais connue
2348
atriotisme foncier. Je l’avais connue cosmopolite
et
parisienne, au sens noble que définit la seule Société des esprits. E
2349
s noble que définit la seule Société des esprits.
Et
j’ai vu qu’elle était Argentine avant tout, dans ses grandes dimensio
2350
implicité grande, sont les lois de son existence.
Et
c’est pourquoi son amitié est un honneur. On n’oserait pas l’avouer n
2351
nneur. On n’oserait pas l’avouer n’était l’humour
et
cette espèce de rigueur féminine — déconcertant toutes les valeurs no
2352
nine — déconcertant toutes les valeurs nordiques,
et
trop facilement rationnelles — qu’elle fait régner sur les relations
2353
sculin, épuisé de logique, d’horaires tyranniques
et
de science. L’intuition, l’émotion, le sens de l’Arbre animeront un n
2354
, une sagesse orientée par la Femme, comme Goethe
et
C. G. Jung l’ont annoncé. Quelques-uns l’ont appris de Victoria, non
2355
toria, non par l’enseignement mais par l’exemple,
et
par l’admiration dans l’amitié. Ferney-Voltaire (Ain), juin 1962. a
2356
La culture
et
l’union de l’Europe (avril 1962)ai S’il est question d’intégration
2357
)ai S’il est question d’intégration européenne
et
qu’on lui parle de culture, l’homme d’aujourd’hui, qu’il soit d’aille
2358
oles, la candidature britannique, voilà le solide
et
le raisonnable. Mais qu’est-ce que la culture viendrait faire là-deda
2359
rimés ? Répondre à ces questions me paraît vital,
et
non seulement pour notre Fondation, mais pour tous ceux qui ont trava
2360
sant ; 2° que le Marché commun serait impensable (
et
au surplus n’aurait jamais vu le jour) s’il ne s’inscrivait pas dans
2361
ctuelle, exige la création d’une Europe fédérale,
et
non pas d’une Europe unitaire ; 4° que le fédéralisme et la culture s
2362
pas d’une Europe unitaire ; 4° que le fédéralisme
et
la culture s’appellent et se conditionnent réciproquement ; 5° enfin,
2363
; 4° que le fédéralisme et la culture s’appellent
et
se conditionnent réciproquement ; 5° enfin, que l’Europe, sans sa cul
2364
revient, de niveaux de vie, d’ajustements sociaux
et
monétaires, en attendant peut-être, un jour, une sorte de confédérati
2365
rès populaire, née d’un xixe siècle utilitariste
et
mercantile, est en fait partagée par les élites sociales de notre con
2366
rer nos budgets de la culture avec ceux de l’URSS
et
des USA, puissances modernes ; et surtout de comparer la dotation glo
2367
ceux de l’URSS et des USA, puissances modernes ;
et
surtout de comparer la dotation globale des quelque 40 000 fondations
2368
a pu dominer le monde par son économie, ses armes
et
ses techniques, de la Renaissance jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale
2369
Renaissance jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale,
et
si elle est encore aujourd’hui l’une des trois grandes puissances de
2370
ergées du globe), un peu moins peuplée que l’Inde
et
beaucoup plus pauvre en matières premières, l’Europe avait moins de c
2371
’on sait entre le destin de la péninsule indienne
et
celui de la péninsule européenne ? Sinon par la différence des cultur
2372
philosophie, les sciences, les arts, l’éducation
et
la morale. L’Europe est très peu de choses plus une certaine culture,
2373
e culture, qui a fait d’une pauvre terre découpée
et
cloisonnée le cœur et le cerveau de la planète, pour plus de cinq siè
2374
d’une pauvre terre découpée et cloisonnée le cœur
et
le cerveau de la planète, pour plus de cinq siècles déjà, — et c’est
2375
de la planète, pour plus de cinq siècles déjà, —
et
c’est bien loin d’être fini ! Selon la plus célèbre équation de notre
2376
a masse par le carré de la vitesse de la lumière,
et
cela s’écrit : E = mc2 En désignant l’Europe par E, la petite masse
2377
a petite masse physique de notre continent par m,
et
sa culture par c, nous obtenons une équation semblable et non moins c
2378
lture par c, nous obtenons une équation semblable
et
non moins chargée de conséquences : E = mc2 Europe = Cap de l’Asie x
2379
s commandent impérieusement de réunir nos peuples
et
de mettre en pool leurs ressources, trop longtemps divisées entre une
2380
it qu’il est bien moins économique que politique,
et
en fin de compte, culturel. Car c’est la politique nationaliste (le t
2381
, etc.) qui s’oppose à l’union nécessaire, admise
et
réclamée par tous les bons économistes. Or cette attitude politique,
2382
nc dans les esprits qu’il s’agit de le combattre.
Et
ceci n’est pas une question de technique ou de calculs tarifaires, ma
2383
s dire seulement réduire les obstacles à l’union.
Et
c’est là qu’intervient à nouveau la culture, d’une manière positive,
2384
au la culture, d’une manière positive, créatrice,
et
vitale. Un ingénieur, un technocrate et un théoricien de l’économie p
2385
réatrice, et vitale. Un ingénieur, un technocrate
et
un théoricien de l’économie peuvent vous faire en trois jours un plan
2386
les douanes, mais toutes les différences locales
et
nationales de traditions et de régimes ; ils peuvent vous démontrer q
2387
s différences locales et nationales de traditions
et
de régimes ; ils peuvent vous démontrer que ce plan serait rentable,
2388
uvent vous démontrer que ce plan serait rentable,
et
que votre intérêt commande de l’appliquer. Un autre groupe peut vous
2389
autre groupe peut vous rappeler que depuis Dante
et
Pierre Dubois, au début du xive siècle, en passant par le roi de Boh
2390
, l’évêque morave Comenius, le philosophe Leibniz
et
l’homme d’État William Penn au xviie siècle ; par l’abbé de Saint-Pi
2391
ie siècle ; par l’abbé de Saint-Pierre, Rousseau
et
Kant au xviiie siècle ; par Saint-Simon, Bentham, Mazzini et Proudho
2392
viiie siècle ; par Saint-Simon, Bentham, Mazzini
et
Proudhon au xixe siècle, jusqu’à Coudenhove-Kalergi, Briand et Churc
2393
xixe siècle, jusqu’à Coudenhove-Kalergi, Briand
et
Churchill, de nos jours, — depuis six siècles donc, les meilleurs esp
2394
— depuis six siècles donc, les meilleurs esprits
et
les meilleurs hommes politiques du continent n’ont cessé de préconise
2395
choue dans tous ses efforts vers l’union. Les uns
et
les autres ont raison, en ce sens qu’ils sont nécessaires, soit comme
2396
s, soit comme moteur, soit comme volant ; les uns
et
les autres ont tort quand ils se prétendent suffisants, à eux seuls.
2397
de l’Europe. Ce n’est pas un dialogue politique,
et
encore moins économique. C’est vraiment un dialogue culturel. La synt
2398
naire qu’ont dégagée les peuples de ce continent,
et
qui leur a permis de dominer le monde, a sa source dans les tensions
2399
ites par nos diversités, — de religions, de races
et
de coutumes, d’idéologies, d’ambitions. Mais lorsque ces diversités s
2400
sités s’absolutisent, se ferment sur elles-mêmes,
et
deviennent en fait divisions, le corps européen se déchire et s’étiol
2401
t en fait divisions, le corps européen se déchire
et
s’étiole : c’est ce qui s’est produit par deux fois dans la génératio
2402
fois dans la génération à laquelle j’appartiens,
et
l’Europe a risqué d’en périr. Insister sur nos seules diversités détr
2403
ns ses diversités, — voilà la tâche de la culture
et
sa vocation prospective. Il n’y aurait pas d’Europe sans tout ce que
2404
la culture enfin doit venir le remède à nos maux,
et
il est double : réduire les préjugés nationalistes, qui s’opposent à
2405
onalistes, qui s’opposent à toute forme d’union ;
et
proposer un modèle efficace d’union spécifiquement européenne, qui s’
2406
que le programme commun des instituts, mouvements
et
associations de culture que notre Fondation entend soutenir, doit com
2407
’une union fédérale, seule conforme au génie « un
et
divers » de la culture européenne. L’Europe n’est pas une addition d
2408
es-ci sont des apparitions relativement récentes,
et
plus ou moins artificielles, qui ont tenté de prendre forme, grâce à
2409
âce à l’École surtout, pendant l’ère nationaliste
et
colonialiste — seconde moitié du xixe et première moitié du xxe siè
2410
naliste et colonialiste — seconde moitié du xixe
et
première moitié du xxe siècle — en s’appuyant sur la diversité de no
2411
n Europe, est un phénomène à la fois pré-national
et
supranational, diversifié selon les époques, les régions, les écoles
2412
s vérités incontestables à la génération présente
et
aux générations montantes, — par le livre, la presse et le film, par
2413
générations montantes, — par le livre, la presse
et
le film, par un meilleur enseignement de l’histoire, par des comparai
2414
ire, par des comparaisons globales entre l’Europe
et
les cultures réellement différentes des autres continents, mais aussi
2415
ent différentes des autres continents, mais aussi
et
surtout par l’exemple vécu d’une coopération supranationale des savan
2416
s éditeurs, des publicistes, etc. — les instituts
et
associations culturelles militant pour l’Europe unie apportent une co
2417
x qui entravent encore la construction économique
et
politique de l’Europe. La seconde tâche consiste à prendre au sérieux
2418
rieux les principes de notre culture occidentale,
et
d’abord à les mieux connaître. Que servirait de doter l’Europe d’inst
2419
x, à tout ce qui a fait la grandeur de l’Europe ?
Et
que sert de prêcher l’union européenne à des gens qui répondent que l
2420
de soi-disant réaliste serait simplement utopique
et
vouée dès le départ à un échec sans gloire. Prendre au sérieux nos pr
2421
hec sans gloire. Prendre au sérieux nos principes
et
nos valeurs, c’est une affaire d’éducation. Contrairement à l’Asie et
2422
t une affaire d’éducation. Contrairement à l’Asie
et
à l’URSS, l’Europe a toujours voulu former des hommes à la fois libre
2423
toujours voulu former des hommes à la fois libres
et
responsables. C’est là son grand atout, c’est le secret de son dynami
2424
t, c’est le secret de son dynamisme incomparable.
Et
cela se traduit dans le domaine de la recherche, par la double exigen
2425
liberté d’investigation individuelle d’une part,
et
de l’organisation du travail en équipe selon un plan commun, d’autre
2426
le exigence du développement de l’esprit critique
et
de l’information d’une part, de l’esprit communautaire et du sens des
2427
information d’une part, de l’esprit communautaire
et
du sens des responsabilités sociales d’autre part. Ces deux grandes t
2428
s deux grandes tâches, je le répète, sont vitales
et
elles relèvent de la culture au premier chef, j’entends par là : de l
2429
e pure, de la philosophie, des sciences humaines,
et
surtout de l’éducation. Si les programmes des instituts européens, de
2430
rogrammes des instituts européens, des chercheurs
et
des publicistes, des enseignants enfin (aux trois degrés orientés ver
2431
es plus belles réalisations économiques de l’OCDE
et
du Marché commun resteront pauvres de substance humaine, mal intégrée
2432
e, mal intégrées à la manière de vivre européenne
et
à la vocation fédéraliste de l’Europe. Contre la volonté de leurs ini
2433
re, qui est une fonction d’animation, d’échanges,
et
d’équilibre dynamique dans le progrès de l’humanité vers les libertés
2434
t y avoir que dividendes, bombes atomiques, autos
et
frigidaires, les forces culturelles auraient le droit de s’occuper dè
2435
ts psychologiques, trop de préjugés traditionnels
et
scolaires, trop de réflexes nationalistes continueront à la freiner.
2436
réflexes nationalistes continueront à la freiner.
Et
les Autres arriveront avant nous à des positions de puissance dont il
2437
res politiques qui achèveront l’union, mais aussi
et
surtout à orienter ces mesures, conformément au génie propre de l’Eur
2438
nt la méfiance courante à l’endroit de la culture
et
de son « utilité ». On verra qu’elles s’opposent diamétralement. Si l
2439
riche Europe en tire les conséquences logiques —
et
pratiques. ai. Rougemont Denis de, « La culture et l’union de l’E
2440
atiques. ai. Rougemont Denis de, « La culture
et
l’union de l’Europe », Caractère et culture de l’Europe, Amsterdam, a
2441
« La culture et l’union de l’Europe », Caractère
et
culture de l’Europe, Amsterdam, avril 1962, p. 9-13.
2442
stances qui firent naître la ligue des officiers,
et
surtout à replacer le lecteur d’aujourd’hui dans le climat de cette p
2443
’Adjudance générale de l’armée (Ve section, Armée
et
Foyer), j’avais proposé et obtenu de rédiger des plans de causeries à
2444
mée (Ve section, Armée et Foyer), j’avais proposé
et
obtenu de rédiger des plans de causeries à l’usage des officiers char
2445
oque : il décrit en effet l’importance symbolique
et
stratégique du Saint-Gothard dès les débuts de notre histoire. Le 11
2446
re. Le 11 mai, les nazis ayant envahi la Belgique
et
la Hollande, une nouvelle mobilisation générale est ordonnée. Avec un
2447
oici le plan de la ville, les maisons, les étages
et
les noms de ces messieurs. Vous forcez la porte, vous coupez d’abord
2448
s fils de téléphone, puis vous arrêtez les agents
et
ramassez leurs papiers. Compris. Telle était l’atmosphère, et je n’ai
2449
leurs papiers. Compris. Telle était l’atmosphère,
et
je n’ai vu ce jour-là, comme les jours suivants à la troupe, où je su
2450
d comme au cœur de l’Europe, à son bastion sacré,
et
je l’ai dit hier soir encore. Or il se trouve que le Gothard est le t
2451
stance à tout prix, avec le Gothard comme symbole
et
comme grand atout militaire. » Il acquiesce. Je poursuis : « Une acti
2452
mais en dehors des partis politiques, trop lents
et
trop peu sûrs. » « Oui, dit-il, c’est une idée… (et pendant une secon
2453
trop peu sûrs. » « Oui, dit-il, c’est une idée… (
et
pendant une seconde je n’ai pas su s’il était ironique ou sérieux) un
2454
sous son regard direct le danger d’avoir une idée
et
de l’exprimer sans précautions — avant d’avoir calculé la dépense. Le
2455
ri insiste, agit. Des contacts sont pris à droite
et
à gauche. On nous approuve, on nous aidera, mais allez vite ! Vertige
2456
ai écrit deux pages sur la confrontation d’Hitler
et
de Paris, les ai recopiées et envoyées à la Gazette de Lausanne . « V
2457
frontation d’Hitler et de Paris, les ai recopiées
et
envoyées à la Gazette de Lausanne . « Voyez si les prescriptions de l
2458
mi-pente du Gurten. Au-dessous, des cités-jardins
et
des usines. Plus loin la ville, la longue façade verdâtre du Palais f
2459
falaise. À l’horizon, la barrière sombre du Jura,
et
au-delà se passe la guerre. Derrière la maison, des prairies montent
2460
regardé longtemps la ville, apparemment paisible,
et
la ligne précise des crêtes du Jura sur un ciel tourmenté où je guett
2461
chose, je serais alerté par téléphone. Peu dormi,
et
levé à six heures. Avant d’entrer à mon bureau, près de la gare, ache
2462
baignons… L’ai fait lire au lieutenant-colonel M.
et
aux autres camarades, ils le trouvent bien, mais ne paraissent pas sp
2463
isse Jon Kimche parue cet hiver dans nos colonnes
et
consacrée à certains aspects souterrains — ou simplement peu connus —
2464
nt sa sympathie. L’attitude de notre gouvernement
et
de notre commandant en chef rendit inutile toute action directe de ce
2465
in défaitisme ambiant. Denis de Rougemont, témoin
et
acteur de ces événements nous a envoyé certains feuillets de son jour
2466
envoyé certains feuillets de son journal de juin
et
juillet 1940 qui les éclairent et les expliquent… Nous avons choisi d
2467
journal de juin et juillet 1940 qui les éclairent
et
les expliquent… Nous avons choisi de publier ces pages en cette fin d
2468
ériser mieux. Tout est immédiat, concret, naturel
et
extravagant à la fois, comme l’événement quand il arrive. Je vois ce
2469
comme l’événement quand il arrive. Je vois ce pré
et
je sais qu’il peut y apparaître dans un instant des hommes qui nous t
2470
es, les éléments d’un énorme désastre, incroyable
et
vrai. Le téléphone m’apporte, heure par heure, les nouvelles de l’act
2471
ime la réflexion sentimentale sur son propre cas,
et
sur le sort des nations. Il ne reste que la préoccupation des petites
2472
: quinze jours au fort de Saint-Maurice, au pain
et
à l’eau, sans visites ni courrier. Vous avez bien compris ? Vous êtes
2473
our mission de sauvegarder l’indépendance du pays
et
de maintenir l’intégrité du territoire. Il est clair que pour défendr
2474
sistance à tout prix, contre tous les défaitismes
et
opportunismes économiques et politiques. (En Suisse romande, des édit
2475
tous les défaitismes et opportunismes économiques
et
politiques. (En Suisse romande, des éditoriaux parlent déjà de « la n
2476
juin 1940 Repris mon service à la section « Armée
et
Foyer ». Pendant mes vacances forcées, j’ai eu le temps de rédiger le
2477
hard », pour ma plus grande satisfaction. Discuté
et
corrigé ce texte jusqu’à cinq heures du matin, avec les fondateurs, d
2478
s capitaines instructeurs. Publique dans le civil
et
devant l’opinion suisse, sous la responsabilité d’un directoire de di
2479
d. Bastion naturel de la Suisse, cœur de l’Europe
et
limite des races, le Gothard est le grand symbole autour duquel tous
2480
un seul but : maintenir la Suisse dans le présent
et
pour l’avenir. Nous ne vous promettons qu’un grand effort commun. Mai
2481
commun. Mais il nous rendra fiers d’être hommes,
et
d’être Suisses. Ce texte va paraître dans 74 journaux du pays. Dans
2482
seul homme de liaison entre la Ligue dans l’armée
et
la Ligue civile : le sergent Lindt41. Une maison de Berne, à double e
2483
du péril, c’est bien le tout de notre vie suisse
et
non pas tel parti plutôt qu’un autre, qui est radicalement menacé. Pa
2484
ou deux indécis. Sur la base de ces informations
et
de leur analyse détaillée, le directoire de la Ligue du Gothard entre
2485
zis, tout est prêt pour le renverser, des troupes
et
des blindés sont en alerte à Lucerne, une équipe de remplacement est
2486
, il aura l’appui sans réserve de la Ligue civile
et
militaire. L’audience est aussitôt demandée, et accordée. Trop compro
2487
e et militaire. L’audience est aussitôt demandée,
et
accordée. Trop compromis depuis l’affaire de la Gazette de Lausanne
2488
omis depuis l’affaire de la Gazette de Lausanne
et
bridé par mes fonctions militaires, je ne puis faire partie de la dél
2489
déclaration pour la transmettre à ses collègues,
et
bien sûr, n’a pu faire davantage. Mais les banderilles ont été planté
2490
s les archives fédérales. On devait s’y attendre.
Et
personne n’ébruita la chose à l’époque. On comprend donc que M. Kimch
2491
t pas pu faire état de l’incident, si pittoresque
et
surprenant qu’il puisse apparaître, après coup. Il y avait une sorte
2492
sons qu’il existe un complot pour vous renverser,
et
que nous en sommes les fauteurs ! » Logiquement, si le gouvernement n
2493
ne nous croyait pas, notre démarche était ratée,
et
au surplus couvrait la Ligue de ridicule. En fait, celui qui reçut ce
2494
ien qu’il s’agissait pour nous d’appuyer les durs
et
de faire peur aux mous. Le Conseil fédéral devait donc nous croire et
2495
mous. Le Conseil fédéral devait donc nous croire
et
ne pas nous croire à la fois. Finalement, il résista, comme on sait.)
2496
à l’Adjudance générale de l’Armée (section Armée
et
Foyer) envoie à Gazette de Lausanne un article qui lui vaut d’être
2497
hard, pense Rougemont, devrait fournir le symbole
et
la clef d’une résistance à tout prix. Voici la suite du journal de ce
2498
p de citoyens, elle a fait naître un grand espoir
et
dissipé certaines brumes de défaitisme. La crainte de la concurrence
2499
qu’en réunissant des efforts jusqu’ici dispersés
et
des groupements naguère hostiles, nous créons le visage de la nouvell
2500
, nous créons le visage de la nouvelle génération
et
nous marchons dans la seule voie possible. Nous savons que la Suisse
2501
e devient vrai ! Profonde impression dans l’armée
et
dans la population. 1er août 1940 La section Armée et Foyer publie le
2502
ans la population. 1er août 1940 La section Armée
et
Foyer publie le message du général. Convergence parfaite avec le rapp
2503
moi saute à terre, fait quelques pas à mes côtés
et
me dit rapidement : « Soyez prudent. Quatre chefs de la Ligue dans l’
2504
la nuit. Il leur a laissé croire qu’il marchait,
et
à 6 heures ce matin, les a fait boucler. » Le lieutenant remonte, la
2505
à l’étranger » m’avait proposé d’aller à New York
et
d’y faire jouer ma pièce sur Nicolas de Flüe (musique d’Arthur Hone
2506
t vers un programme plus vaste d’entraide sociale
et
de rénovation économique et politique. Elle avait au départ formé le
2507
te d’entraide sociale et de rénovation économique
et
politique. Elle avait au départ formé le noyau du premier mouvement d
2508
problèmes qui se posaient à la Ligue, assassinats
et
tortures en moins. Les mêmes peuvent rire de l’armée suisse parce qu’
2509
avaient senti la Suisse militairement moins forte
et
moins bien alertée. Et notre petit mouvement de résistance, pour prév
2510
militairement moins forte et moins bien alertée.
Et
notre petit mouvement de résistance, pour préventif qu’il soit resté,
2511
er en public que les sujets admis par la censure,
et
ce n’était, littéralement, pas beaucoup dire. Me taire ou ne parler q
2512
r notre continent, l’élément décisif allait venir
et
ne pouvait venir que de l’Amérique. Peut-être bien était-ce là-bas qu
2513
os, attiré en avant, je me décidai donc à partir.
Et
, certes, les raisons qui m’animaient n’étaient point exactement celle
2514
de monter dans l’autobus, trois journaux du matin
et
de la veille : tous les trois consacraient leur éditorial au programm
2515
qu’indique M. Kimche (seconde quinzaine de juin)
et
les noms de ses chefs sont exacts, si mes souvenirs le sont aussi. Se
2516
exacts, si mes souvenirs le sont aussi. Ses buts
et
ses premières activités sont correctement définis, sauf sur un point,
2517
l. Leur complot ne visait que le Conseil fédéral,
et
c’est pourquoi il dut être un complot. Le général Guisan écrit dans s
2518
le. 2. Il est probable que la ligue des officiers
et
la ligue civile naquirent simultanément, et il est certain qu’elles «
2519
ciers et la ligue civile naquirent simultanément,
et
il est certain qu’elles « s’imbriquaient étroitement », on l’a vu par
2520
L’absence de toute mention de la Ligue du Gothard
et
la substitution à cette ligue d’un mouvement qui n’eut d’autre tort à
2521
le » coïncidence dans le fait que la Ligue civile
et
militaire prit le nom de ce Gothard qui, quelques semaines plus tard,
2522
h venait de triompher des armées franco-anglaises
et
que la volonté de résistance paraissait s’émousser chez certains de n
2523
s succès nazis (voir La Tribune de Genève des 23
et
25 juin). Rappelons, pour la compréhension de cet article, que l’aute
2524
éhension de cet article, que l’auteur de L’Amour
et
l’Occident se trouvait alors en situation délicate auprès de ses che
2525
xercice intellectuel à deux temps alternés : élan
et
freinage. L’imagination débridée court vers l’avenir dans le sens de
2526
s l’inconnu que nous découvrirons en l’inventant,
et
qui peut-être nous transformera, mais dans la mesure où nous le forme
2527
’alliance de guerre avec l’URSS au Mur de Berlin,
et
de la Libération à la perte des pays de l’Est ; de l’omniprésence com
2528
de l’Est ; de l’omniprésence communiste en France
et
en Italie au repli général du PC, à sa suppression eu Allemagne, et à
2529
pli général du PC, à sa suppression eu Allemagne,
et
à la défection des intellectuels ; des lamentations sur la dénatalité
2530
empires d’outre-mer français, anglais, hollandais
et
belge à la décolonisation presque achevée en Asie du Sud, dans le mon
2531
esque achevée en Asie du Sud, dans le monde arabe
et
en Afrique ; bref, de la misère avec les colonies et dans la désunion
2532
en Afrique ; bref, de la misère avec les colonies
et
dans la désunion, à la richesse sans le tiers-monde et par l’union. S
2533
ns la désunion, à la richesse sans le tiers-monde
et
par l’union. Si l’on relit la presse de l’époque, on s’aperçoit que p
2534
, mais qu’ils se sont produits beaucoup plus vite
et
avec plus d’intensité que personne n’osait le croire ou le redouter.
2535
à prolonger les lignes de cette récente évolution
et
à prévoir une accélération continuée des rythmes ? Deux hypothèses. O
2536
ée par l’échec des négociations entre les Anglais
et
le Marché commun, par le succès des thèses gaullistes, et par la care
2537
rché commun, par le succès des thèses gaullistes,
et
par la carence des mouvements fédéralistes. Il en résulte alors, néce
2538
t la majorité à l’ONU, des guerres « localisées »
et
finalement la guerre. Tout pronostic s’arrête là. Ou bien l’union eur
2539
s’arrête là. Ou bien l’union européenne s’élargit
et
se consolide. Le pronostic se confond désormais avec les vœux, les bu
2540
égié » qui comprend environ 95 % de la population
et
de la production du globe. À cette réalité de géographie humaine corr
2541
ine correspond une activité politique, économique
et
culturelle plusieurs fois supérieure à tout ce qui se passe dans le r
2542
ccès du fédéralisme européen les a fait réfléchir
et
leurs nouvelles générations, au-delà des ivresses de l’indépendance,
2543
vertes aménagées en France, Allemagne, Autriche,
et
surtout aux États-Unis, en Afrique et au Brésil. On cherche encore —
2544
, Autriche, et surtout aux États-Unis, en Afrique
et
au Brésil. On cherche encore — on va trouver — un système général de
2545
de décantation du progrès mécanique, qui l’adapte
et
le subordonne à la sécurité, à la santé et aux « aménités » de la vie
2546
adapte et le subordonne à la sécurité, à la santé
et
aux « aménités » de la vie, selon l’expression de B. de Jouvenel. L’a
2547
ue — y contraint autant que l’évolution des idées
et
des morales. L’Europe, initiatrice et première bénéficiaire ou victim
2548
n des idées et des morales. L’Europe, initiatrice
et
première bénéficiaire ou victime de la civilisation technique, désorm
2549
avaient proliféré pendant l’ère du charbon, sale
et
noire. L’énergie électrique ou nucléaire a permis de généraliser la m
2550
sur les îles — artificielles ou naturelles — sur
et
dans les rochers et les montagnes, loin des lieux du travail, réduit
2551
ficielles ou naturelles — sur et dans les rochers
et
les montagnes, loin des lieux du travail, réduit à cinq journées de s
2552
s le secteur tertiaire, le week-end de deux jours
et
demi ou trois jours est de règle.) La vie politique ne ressemble plus
2553
passions sont transposées à l’échelle européenne
et
à l’échelle mondiale. Le mythe des deux grands a disparu, on ne s’en
2554
s’en souvient guère davantage que de la Triplice
et
de la Triple Entente aujourd’hui. Face à la Chine, à l’Inde, et aux l
2555
e Entente aujourd’hui. Face à la Chine, à l’Inde,
et
aux ligues encore instables du monde arabe et de l’Afrique noire, l’O
2556
de, et aux ligues encore instables du monde arabe
et
de l’Afrique noire, l’Occident se regroupe autour de l’Europe unie, d
2557
cisco à Vladivostok (réseau d’accords économiques
et
culturels). En Europe, deux grandes tendances s’affrontent, en lieu
2558
ances s’affrontent, en lieu et place de la droite
et
de la gauche anciennes : la tendance fédéraliste, qui défend les auto
2559
ce fédéraliste, qui défend les autonomies locales
et
nationales, et la tendance unitaire ou intégriste, qui pousse à la ce
2560
qui défend les autonomies locales et nationales,
et
la tendance unitaire ou intégriste, qui pousse à la centralisation et
2561
ire ou intégriste, qui pousse à la centralisation
et
à l’uniformisation sociale, économique et éducative du continent. Féd
2562
isation et à l’uniformisation sociale, économique
et
éducative du continent. Fédéralistes et unitaires, mondialistes et na
2563
conomique et éducative du continent. Fédéralistes
et
unitaires, mondialistes et nationalistes européens, néo-socialistes e
2564
ontinent. Fédéralistes et unitaires, mondialistes
et
nationalistes européens, néo-socialistes et néo-libéraux s’opposent a
2565
istes et nationalistes européens, néo-socialistes
et
néo-libéraux s’opposent au sujet des problèmes d’aménagement du terri
2566
nisme, d’éducation, de formation professionnelle,
et
de répartition des compétences entre le pouvoir central européen et l
2567
des compétences entre le pouvoir central européen
et
les gouvernements des nations, qui subsistent. La médecine, l’hygiène
2568
, qui subsistent. La médecine, l’hygiène générale
et
l’hygiène mentale, largement socialisées, sont au premier plan des so
2569
evenue la partie sérieuse de l’existence, en lieu
et
place du travail et du gain, désormais assurés à moindres frais d’éne
2570
ieuse de l’existence, en lieu et place du travail
et
du gain, désormais assurés à moindres frais d’énergie. L’accroissemen
2571
s d’énergie. L’accroissement du temps des loisirs
et
l’accroissement de la population produisent des résultantes contradic
2572
assive de spectacles de tous ordres, de magazines
et
de livres, de films et de disques, de cours sur tous les sujets, de v
2573
tous ordres, de magazines et de livres, de films
et
de disques, de cours sur tous les sujets, de voyages, de manifestatio
2574
, etc. Le règne des grands nombres, des standards
et
des modes favorise en lui une attitude de consommateur hédoniste. D’a
2575
re part, des possibilités plus vastes de création
et
de réalisation de soi lui sont ouvertes. Il est donc probable que la
2576
différence s’accentue entre une majorité passive
et
moutonnière, et une minorité active et librement imaginative. L’ensei
2577
centue entre une majorité passive et moutonnière,
et
une minorité active et librement imaginative. L’enseignement supérieu
2578
té passive et moutonnière, et une minorité active
et
librement imaginative. L’enseignement supérieur est en pleine mutatio
2579
la culture générale pour tous (studium generale)
et
sur les recherches spécialisées poursuivies en séminaires. Les diplôm
2580
es, sont remplacés par des certificats d’aptitude
et
par des tests d’entrée (dans une firme ou dans une grande école). Dan
2581
s l’ensemble, les changements survenus entre 1962
et
1980 sont probablement moins essentiels que ceux dont nous fûmes les
2582
érais au début sont devenus généralement visibles
et
sensibles ; ils affectent l’ensemble de la population. En revanche, l
2583
technique, rendue possible par l’union économique
et
politique de nos pays, et d’autre part l’accroissement de la populati
2584
par l’union économique et politique de nos pays,
et
d’autre part l’accroissement de la population et l’urbanisation du co
2585
et d’autre part l’accroissement de la population
et
l’urbanisation du continent développent des mécanismes de freinage. L
2586
ser la technique, de recréer des zones de silence
et
de lenteur, de compenser par des équivalents spirituels la quasi-abol
2587
ituels la quasi-abolition des distances physiques
et
des diversités traditionnelles — tout cela contribue à ralentir et co
2588
traditionnelles — tout cela contribue à ralentir
et
contraint à ordonner le rythme de l’innovation à tout hasard et à tou
2589
ordonner le rythme de l’innovation à tout hasard
et
à tous risques. Bref, les inventions les plus remarquables et « inouï
2590
sques. Bref, les inventions les plus remarquables
et
« inouïes » sont désormais celles qui adaptent la technique à l’homme
2591
80, s’ils retrouvent par hasard mon petit essai ;
et
pour que certains, aujourd’hui, voient un peu mieux vers quoi nous de
2592
aris, en 1931, à la fondation des revues Esprit
et
L’Ordre nouveau , et collabora à la Nouvelle Revue française . Son
2593
ndation des revues Esprit et L’Ordre nouveau ,
et
collabora à la Nouvelle Revue française . Son premier livre, Politi
2594
erprétations qui en furent faites. Envoyé aux USA
et
en Argentine pour y faire des conférences en 1940, il devint en 1942-
2595
dans le mouvement pour une fédération européenne
et
il organisa, en 1949, à Lausanne, le Congrès européen de la culture.
2596
la culture. Il a publié dix-huit ouvrages (essais
et
récits sous forme de journaux, littérature, philosophie et politique)
2597
sous forme de journaux, littérature, philosophie
et
politique). »
2598
on (novembre-décembre 1962)as Anciens villages
et
villes d’Europe, vous n’en trouverez pas deux dont les plans soient s
2599
du stade originel de la défense, du Burg central
et
des remparts. En Amérique, les villages naissent comme au hasard le l
2600
ouverts des pionniers arrêtés un soir, à l’étape,
et
qui auraient décidé d’en rester là. En Asie, les maisons s’assemblent
2601
nautés bien ancrées, bien nettement individuelles
et
pourtant richement reliées et régionalement fédérées. Quittant mainte
2602
ement individuelles et pourtant richement reliées
et
régionalement fédérées. Quittant maintenant le silence du ciel et l’a
2603
fédérées. Quittant maintenant le silence du ciel
et
l’art abstrait qu’évoquent si curieusement les photos prises du haut
2604
ns la rumeur humaine d’une place de petite ville.
Et
voici que tout se résume en un coup d’œil. Car autour de la place, vo
2605
l. Car autour de la place, vous trouvez, l’église
et
la mairie, souvent l’école, et les cafés, et le marché et la circulat
2606
trouvez, l’église et la mairie, souvent l’école,
et
les cafés, et le marché et la circulation. À partir de cette place, b
2607
lise et la mairie, souvent l’école, et les cafés,
et
le marché et la circulation. À partir de cette place, banale et donc
2608
irie, souvent l’école, et les cafés, et le marché
et
la circulation. À partir de cette place, banale et donc typique, un s
2609
t la circulation. À partir de cette place, banale
et
donc typique, un savant débarqué de Mars ou de Vénus pourrait reconst
2610
irituelle, le règne de la loi, le respect général
et
tacite des institutions, l’éducation publique, l’échange des opinions
2611
ions individuelles (de préférence contradictoires
et
subversives) et l’échange des produits du travail — une vitalité libr
2612
es (de préférence contradictoires et subversives)
et
l’échange des produits du travail — une vitalité librement ordonnée,
2613
s, le Town-Hall) soit ou non bâtie sur la place —
et
il se trouve qu’elle l’est en général — c’est bien là qu’elle tire so
2614
puis sur la place des communes médiévales. Ombre
et
soleil changent avec les heures ; côté de l’église et côté de l’école
2615
oleil changent avec les heures ; côté de l’église
et
côté de l’école, côté de la mairie et côté du café ; marché au centre
2616
de l’église et côté de l’école, côté de la mairie
et
côté du café ; marché au centre, et carrefour principal des apports r
2617
de la mairie et côté du café ; marché au centre,
et
carrefour principal des apports régionaux et des courants lointains :
2618
tre, et carrefour principal des apports régionaux
et
des courants lointains : c’est cette vie de la place qui se traduit d
2619
la place qui se traduit dans la vie des conseils
et
parlements, caractéristiques de l’Europe. (La dernière image qui subs
2620
formant le Ring sur la place principale.) Lire
et
parler Il n’est pas de démocratie, au sens européen du terme, qui
2621
la libre discussion, sur le libre jeu des partis,
et
sur la liberté de l’opposition, majorité de possible de demain. Or, l
2622
possible de demain. Or, les partis de l’opinion,
et
l’opposition notamment, se manifestent par la presse, dans l’ère mode
2623
t par la presse, dans l’ère moderne de l’Europe ;
et
la presse, dès le début, fut étroitement liée à cet autre élément néc
2624
là qu’elle se parle d’abord, s’écrit bien souvent
et
se lit. C’est dans les cafés de Hollande que se réunissent les réfugi
2625
entière, en dépit des censures de l’absolutisme,
et
qui préparent le siècle des Lumières et la Révolution française. C’es
2626
olutisme, et qui préparent le siècle des Lumières
et
la Révolution française. C’est dans les tavernes anglaises que se lis
2627
rnal que Daniel Defoe rédige seul de 1704 à 1713.
Et
c’est encore dans les cafés que le Spectator d’Addison, un peu plus t
2628
a philosophie, enfin sortie des cabinets d’études
et
de l’école. N’oublions donc pas, sur la place, la présence du kiosque
2629
t d’insertion de la rumeur du monde entre le café
et
le marché. Face à l’hôtel de ville, l’église. Le temple grec sur l’ag
2630
e chrétienne ou ecclesia (qui veut dire assemblée
et
non plus temple), représentent l’autre pôle de la cité : celui de l’u
2631
le qui doit transcender les partis, les ambitions
et
les doctrines en vogue. La mairie, symbole de la commune, qui est dan
2632
mal, à plus d’un siècle d’empiètements de l’État
et
de centralisation systématique dans l’ensemble de nos pays. On pouvai
2633
le coup de grâce. Bien au contraire. Le bon usage
et
la santé de l’économie technicienne, selon ses meilleurs spécialistes
2634
, veulent à la fois des regroupements industriels
et
une répartition plus décentralisée de la production, poussant à la mi
2635
Conseil des communes d’Europe, l’Union des villes
et
des pouvoirs locaux, apparus depuis la dernière guerre, ne livrent pa
2636
nes d’Europe, Paris, novembre–décembre 1962, p. 5
et
20.