1 1957, Articles divers (1957-1962). La voie et l’aventure (janvier 1957)
1 La voie et l’aventure (janvier 1957)a b Ce qui s’oppose coopère, et de ce qu
2 re (janvier 1957)a b Ce qui s’oppose coopère, et de ce qui diverge procède la plus belle harmonie. Héraclite Reconn
3 ie foncière entre la foi chrétienne de l’Occident et la pensée religieuse de l’Asie1. Sur d’autres plans, pourtant, les di
4 du désir d’union de l’humanité qui anime de part et d’autre les meilleurs esprits, il me paraît vital d’admettre en toute
5 dmettre en toute franchise l’existence historique et spirituelle de deux expériences différentes, de deux voies longtemps
6 mes symboliques, plus que géographiques, d’Orient et d’Occident. Contraster les contenus de ces termes sera l’objet des es
7 mun ; qu’on risque ainsi de nourrir les préjugés, et de forcer, par esprit de symétrie, des antithèses qu’une sagesse supé
8 otent une union véritable : à savoir sa fécondité et sa durée. Une sagesse supérieure et vraiment unitive ne naîtra pas d’
9 sa fécondité et sa durée. Une sagesse supérieure et vraiment unitive ne naîtra pas d’aspirations mal informées, ni du ref
10 ion » universelle, remontant à la nuit des temps, et noyant les problèmes concrets de notre siècle dans une condamnation g
11 nion, qui ne peut survivre à l’aube ! Si l’Orient et l’Occident doivent un jour converger au lieu de s’ignorer ou de se co
12 « retour aux sources » qu’à un progrès conscient et toujours plus lucide vers les buts respectifs de leur double aventure
13 n Admettons l’hypothèse d’une origine commune, et d’une famille d’idiomes indo-européens dont le sanscrit serait le plu
14 us ancien témoignage. Admettons même entre l’Inde et l’Europe une parenté antérieure aux Aryens. (Elle paraît attestée par
15 attestée par les symboles communs aux Dravidiens et aux Crétois : le caducée, l’arbre, la pierre, le serpent, le taureau,
16 ucée, l’arbre, la pierre, le serpent, le taureau, et la Déesse-Mère.) Admettons que le régime des castes, imposé aux peupl
17 e en ajoute même une3, multiplie les sous-castes, et fait durer le système pendant trois millénaires, en dépit de tous les
18 expansion de la morale chrétienne, la Renaissance et la Révolution française marquent les étapes de cette dissolution du s
19 yer de l’aménager selon les désirs d’un corps vil et d’une raison mal éclairée ; partout, le collectif-sacral refoulait le
20 n Europe par toutes les subsistances monumentales et religieuses du Moyen Âge, elle éclate aux États-Unis dont le passé vi
21 voit partout que pèlerinages, sanctuaires, lieux et quartiers de ville sacrés ; arbres, fleuves, animaux sacrés ; hommes
22 sacrés ; arbres, fleuves, animaux sacrés ; hommes et femmes en prière accroupis sur leur seuil ; au bord des rues et des c
23 rière accroupis sur leur seuil ; au bord des rues et des chemins, ou seuls debout devant l’idole4. Et une misère universel
24 et des chemins, ou seuls debout devant l’idole4. Et une misère universelle. En Europe, dans un paysage où les clochers d’
25 nt encore généralement la silhouette des villages et des villes, quelques pèlerinages ou lieux sacrés, quelques centaines
26 ’âge fait le prix, mais que l’on isole de la vie, et que cernent impatiemment les grands faubourgs industriels et les déco
27 ent impatiemment les grands faubourgs industriels et les décors de la technique. En Amérique : pas un seul lieu sacré en d
28 haut par les gratte-ciel ; pas un seul pèlerinage et pas un vrai château. Plaines et villes immenses, dénudées de mystère,
29 n seul pèlerinage et pas un vrai château. Plaines et villes immenses, dénudées de mystère, nettoyées de toute trace de rel
30 e, nettoyées de toute trace de religion primitive et de vénération pour les choses, les plantes, les animaux ou le surnatu
31 s animaux ou le surnaturel. Mais un confort moral et un luxe matériel largement partagé par toutes les classes. L’Occident
32 « Je n’ai vu que des foules, pas une personne ! » Et l’Oriental qui circule dans nos villes songe qu’il n’y voit qu’agitat
33 ’y voit qu’agitation désordonnée, absence de sens et d’harmonie, et pas un seul vrai spirituel… Réalités internes de l’
34 ation désordonnée, absence de sens et d’harmonie, et pas un seul vrai spirituel… Réalités internes de l’opposition a
35 rnes de l’opposition a) Symbolisme de l’Orient et de l’Occident 5. — L’Orient et l’Occident ne sont donc pas seulement
36 olisme de l’Orient et de l’Occident 5. — L’Orient et l’Occident ne sont donc pas seulement des entités géographiques facil
37 ment des complexes historiques, dont les mélanges et superpositions ne seraient d’ailleurs pas moins féconds à étudier que
38 assable du Réel. Pour passer du sens géographique et historique de nos deux termes à leur sens symbolique et spirituel, re
39 torique de nos deux termes à leur sens symbolique et spirituel, recourons aux récits visionnaires que deux grands philosop
40 s que deux grands philosophes religieux de l’Iran et de l’Arabie, Avicenne et Sohrawardi, nous ont laissés sur ce sujet fo
41 phes religieux de l’Iran et de l’Arabie, Avicenne et Sohrawardi, nous ont laissés sur ce sujet fondamental6. Le récit d’A
42 e, contrastant avec l’Occident du monde terrestre et l’Extrême-Occident de la Matière pure. L’ange qui apparaît à l’adepte
43 apparemment physiques se transmuent en symboles, et il termine par une invitation à entreprendre le voyage mystique vers
44 cosmos symbolique ? À droite, l’Orient des Formes et du Soleil levant, au-delà duquel réside l’univers angélique ; à gauch
45 rs angélique ; à gauche, l’Occident de la Matière et du soleil couchant, au bord le plus lointain duquel s’étend une « mer
46 le plus lointain duquel s’étend une « mer chaude et boueuse » (le non-être). La Ténèbre règne à demeure sur ce pays. « Ce
47 ltivent viennent d’ailleurs… » (Thème de l’Exil.) Et ce climat est un lieu de dévastation, un désert de sel, rempli de tro
48 es, de guerres, de disputes, de tumultes : « joie et beauté n’y sont qu’un emprunt procuré d’un lieu lointain ». Entre l’O
49 runt procuré d’un lieu lointain ». Entre l’Orient et l’Occident (c’est-à-dire au lieu de rencontre de la matière et de la
50 (c’est-à-dire au lieu de rencontre de la matière et de la forme) est une circonscription intermédiaire : « C’est celle qu
51 l’âme, son « exil » dans les liens de la matière et du corps qui la retiennent captive dans leurs noires forteresses, son
52 art vers l’Orient de l’illumination, de l’origine et de la délivrance. Et l’on retrouve ici les mêmes significations symbo
53 l’illumination, de l’origine et de la délivrance. Et l’on retrouve ici les mêmes significations symboliques de l’Orient et
54 les mêmes significations symboliques de l’Orient et de l’Occident que dans le récit d’Avicenne, auquel l’auteur rattache
55 liques que ces deux auteurs attribuent à l’Orient et à l’Occident. Ajoutons-y les qualificatifs que, des présocratiques à
56 r opaque, la pénombre, le démon de l’utilitarisme et de la puissance aveugle, l’oubli des buts de l’âme, le corps et la ma
57 ance aveugle, l’oubli des buts de l’âme, le corps et la matière, l’activité désordonnée, la passion, la dégradation, la co
58 passion, la dégradation, la connaissance égarée, et obscurcie par les liens matériels et passionnels, le lieu d’exil. Cet
59 ance égarée, et obscurcie par les liens matériels et passionnels, le lieu d’exil. Cette unanimité dans l’interprétation, u
60 our les Grecs, il en va de même pour les Hindous, et ceux-ci ne figurent pas pour autant l’Occident de la Chine ou de la M
61 istorique, relevant un défi qui semblait écrasant et qu’il se portait à lui-même, acceptant de « s’enfoncer dans la matièr
62 nfoncer dans la matière », acceptant les passions et les corps à tous risques pour l’âme et l’esprit, en a tiré le princip
63 s passions et les corps à tous risques pour l’âme et l’esprit, en a tiré le principe d’une possible grandeur et d’une véri
64 it, en a tiré le principe d’une possible grandeur et d’une vérité difficile, qui est l’enjeu de son aventure. b) Incarnati
65 , qui est l’enjeu de son aventure. b) Incarnation et Excarnation. — Si nous passons au plan des réalités vécues, métaphysi
66 assons au plan des réalités vécues, métaphysiques et religieuses, l’opposition de l’Orient et de l’Occident revêt une vale
67 hysiques et religieuses, l’opposition de l’Orient et de l’Occident revêt une valeur différente, encore que par sa forme el
68 isations de soi, l’une allant du cercle au carré, et l’autre inversement, s’expriment les missions différentes, toutes les
69 ifférentes, toutes les deux légitimes, de l’Ouest et de l’Est… (car) : le carré — ou mieux, le cube — est partout le symbo
70 , le cube — est partout le symbole de la matière, et le cercle — ou la sphère — celui de l’esprit. En sorte que la quadrat
71 e en termes humains l’Incarnation (la naissance), et la seconde l’Excarnation (la mort). » Je voudrais à mon tour illustre
72 en l’exposant sous trois aspects variés. Christ et le Bouddha. — Le Fils de Dieu, incréé, transcendant, entre dans l’imm
73 ieu, incréé, transcendant, entre dans l’immanence et dans l’Histoire, se fait corps matériel, chair d’enfant pauvre, assum
74 air d’enfant pauvre, assume les pires souffrances et finalement en meurt, afin de parler aux hommes dans leur langage, dan
75 leur langage, dans les termes de leur existence, et de les sauver là où ils sont, par la seule foi dans l’action du pardo
76 la seule foi dans l’action du pardon, de l’amour et de la grâce de Dieu. Le fils d’un roi de ce monde quitte son palais p
77 ncier pour aller dans la solitude la plus dénuée, et là découvre que la voie du salut est de refuser le monde, le corps et
78 a voie du salut est de refuser le monde, le corps et la souffrance, pour s’élever vers le Rien transcendant. Les deux mouv
79 Rien transcendant. Les deux mouvements — descente et remontée — ne sont qu’apparemment superposables ; car il s’agit en ré
80 ntée de l’homme vers ce qui nie la créature. Foi et Connaissance. L’Oriental, tournant le dos au « monde » décide d’attei
81 le monde créé, sa raison d’être, la connaissance et la maîtrise de ses structures.) Le danger, pour l’Occidental, c’est l
82 op complète. (On se perd soi-même dans la matière et ses structures, on perd de vue les exigences et la maîtrise des réali
83 e et ses structures, on perd de vue les exigences et la maîtrise des réalités spirituelles.) Vérifier la Voie : deux form
84 sance suffisante, n’ouvre pas une voie vérifiable et qu’on puisse librement parcourir ; mais par le moyen d’une ascèse sou
85 ais par le moyen d’une ascèse soumettant le corps et le mental à l’âme, donc délivrant celle-ci des liens de Prakriti (le
86 a Connaissance, si détaché, si versé dans la Loi, et si maître de lui qu’il soit, un dieu lui-même ne peut sans le yoga at
87 n se contentant à son sujet d’intuitions directes et vagues (sur la nature de l’atome, par exemple) qui ne permettent pas
88 as de refaire le chemin à volonté par l’intellect et par l’action physique, ni par suite de le vérifier ; mais bien par l’
89 e ordonnant l’intellect aux lois du réel observé, et le corps à l’action efficace, afin de mieux pénétrer la Création et d
90 tion efficace, afin de mieux pénétrer la Création et d’en maîtriser le principe. « D’autant plus nous connaissons les chos
91 s Dieu. » (Spinoza) Ainsi se croisent les doutes, et parfois les méfiances. Car chacun pense de l’autre : est-ce qu’il dit
92  ? trouve-t-il vraiment l’objet de sa recherche ? et cet objet lui-même, est-il vraiment réel ? S’identifier à l’Un, à la
93 e chez les très rares qui disent y être parvenus, et pour les autres un solipsisme exténuant ?… Maîtriser les secrets du c
94 sme exténuant ?… Maîtriser les secrets du cosmos, et peut-être demain de la vie, pense l’Oriental, n’est-ce pas régner sur
95 nse l’Oriental, n’est-ce pas régner sur la Maya ? Et chacun sera tenté de tenir pour illusoires les « preuves » dont l’aut
96 « réalité » qu’on tient elle-même pour illusion. Et il semble à chacun que les explications les plus sincères données par
97 amentale. Tautologies que tout cela ! c) Individu et Tradition. — Que l’Occident soit individualiste et l’Orient tradition
98 t Tradition. — Que l’Occident soit individualiste et l’Orient traditionaliste, il paraît difficile de le mettre en doute10
99 ur. Pourtant la chose ne me paraît pas si simple, et j’y sens une complexité dont j’essaierai maintenant d’indiquer la nat
100 s trottoirs couverts de dormeurs pendant la nuit. Et j’ai vu cinq personnes sur une seule bicyclette ! Ces gens ne seront-
101 Corps tassés en prière, dans les recoins. Silence et dignité profonde. Un groupe d’hommes attentifs dans une cour écoute l
102 mon guide. Devant l’idole vêtue de soie précieuse et de colliers de verroterie, une femme seule, un homme seul, immobile e
103 roterie, une femme seule, un homme seul, immobile et debout. Dans la courette, un prêtre renouvelle les cierges noirs deva
104 ent communautaire. Nous avons inventé l’ecclesia. Et tandis qu’ils se purifient par l’isolement, comme le veut la magie, n
105 l’isolement, comme le veut la magie, nous prions et chantons ensemble. » Ici, je dois citer Rudolf Kassner, essayiste aut
106 chose. Kassner m’offre ce mot : le corps magique, et il le commente en ces termes11 : « Âme corporisée, ou corps spiritual
107 ateur ou le plagiaire. Le fakir habituel des rues et des places, l’homme des supercheries, est de son appartenance : il fo
108 e nos conceptions de liberté, action, de personne et d’histoire n’ont plus de pointe ni de but. Le monde magique est en fo
109 . Le monde magique est en forme de Boule, infinie et tout-englobante. En Occident, le moi et le non-moi, le oui et le non,
110 , infinie et tout-englobante. En Occident, le moi et le non-moi, le oui et le non, le bien et le mal, la liberté et le des
111 obante. En Occident, le moi et le non-moi, le oui et le non, le bien et le mal, la liberté et le destin, la personne même
112 , le moi et le non-moi, le oui et le non, le bien et le mal, la liberté et le destin, la personne même et son individu son
113 , le oui et le non, le bien et le mal, la liberté et le destin, la personne même et son individu sont en contradiction, te
114 le mal, la liberté et le destin, la personne même et son individu sont en contradiction, tension ou dissension, et ne cess
115 idu sont en contradiction, tension ou dissension, et ne cessent de refaire le signe de la Croix. Je disais que la voie de
116 fuite en l’Absolu. Ainsi le moi devient conscient et se détache, échappe au corps magique, s’isole enfin, mais c’est pour
117 en son accomplissement, puisque le moi est voie, et que la voie consiste à libérer progressivement une âme de l’illusion
118 ’est pas de personne sans un Dieu qui interpelle. Et l’Orient ne connaît rien de tel. Soit qu’on pense qu’il n’y a pas de
119 qu’il n’y a pas de Dieu — selon le système Sankya et le bouddhisme — soit qu’on pense, selon l’Advaïta, que Dieu n’« exist
120 a, que Dieu n’« existe » pas mais qu’il est Tout, et que le Tout ou le Réel n’est que le Moi pleinement réalisé et accompl
121 ut ou le Réel n’est que le Moi pleinement réalisé et accompli (That Thwam Asi) — il n’y a pas plus de personne dans la gno
122 tité qu’elle pose évacue l’existence personnelle, et que la négation de la personne postule la suppression de la différenc
123 a suppression de la différence entre le Toi divin et le moi de l’homme. En revanche, l’Occident s’atteste et s’actualise l
124 moi de l’homme. En revanche, l’Occident s’atteste et s’actualise là où la différence est tenue pour essentielle, car en el
125 nscende, le reliant à l’esprit comme au prochain. Et du même coup paraît la société, en lieu et place du corps magique.
126 chain. Et du même coup paraît la société, en lieu et place du corps magique. Yin yang Dans le symbole central de l
127 ou le tao) un point noir frappe la partie blanche et un point blanc la partie noire. Il est ainsi montré que l’élément mas
128 s évidente dans les zones respectives de l’Orient et de l’Occident. Qui voudrait nier, par exemple, qu’il y ait en Occiden
129 stique. Un Sankara parfois préfigure le thomisme, et il arrive à Maître Eckhart de s’exprimer comme un bouddhiste. La Bhag
130 r la foi de leurs ultimes conclusions (condamnées et souvent détruites), tandis qu’il ne manque pas d’écoles hindoues pour
131 elle, tandis que nous inventons le collectivisme… Et l’on aura beau jeu de m’opposer des textes apparemment ruineux pour m
132 non-Esprit, non-Personne, non-Image, … un Un pur et absolu, dépourvu de toute dualité, dans lequel nous devons nous enfon
133 enfoncer éternellement d’un néant à un néant » ? Et à l’inverse, quel est le mystique chrétien qui nous rappelle « qu’apr
134 ppelle « qu’après avoir écarté tout attachement » et s’être engagé sur la voie de la connaissance divine, « il faut demeur
135 ter dans l’ordre saint Jean de la Croix, Eckhart, et la Bhagavad-Gita. Et pourtant il serait faux, plus encore que banal,
136 t Jean de la Croix, Eckhart, et la Bhagavad-Gita. Et pourtant il serait faux, plus encore que banal, de répéter ici « tout
137 cercle noir, mais elle est blanche tout de même, et non pas grise. Que vaut un homme ? Et finalement, ce qu’il impo
138 même, et non pas grise. Que vaut un homme ? Et finalement, ce qu’il importe de voir, ce sont les résultantes majeure
139 ondent sur la négation de nos croyances communes, et de nos institutions. Ils représentent le point d’Orient dans notre sp
140 nche, l’Orient ne connaît pas d’Églises. La Bible et les Vedas n’ont vraiment rien de commun, et l’usage qu’on en fait n’e
141 Bible et les Vedas n’ont vraiment rien de commun, et l’usage qu’on en fait n’est pas du tout le même. La foule de Bénarès
142 nt les réponses les plus révélatrices de l’Orient et de l’Occident, et rien n’illustre mieux la divergence réelle des résu
143 s plus révélatrices de l’Orient et de l’Occident, et rien n’illustre mieux la divergence réelle des résultantes majeures d
144 n échange de tout ce qu’il avait fait pour Xerxès et son armée, pour l’équipement de la campagne contre les Grecs, demande
145 i Xerxès, irrité, fait mettre à mort ce seul fils et couper le corps en deux moitiés dans le sens de la longueur. Et entre
146 orps en deux moitiés dans le sens de la longueur. Et entre ces deux moitiés sectionnées depuis la tête jusqu’au sexe, comm
147 ileront les armées qui marchent contre les Grecs, et dans ces armées se trouveront les quatre frères et le père du coupé e
148 t dans ces armées se trouveront les quatre frères et le père du coupé en deux. Ce qui manque ici, c’est l’idée grecque de
149 Ce qui manque ici, c’est l’idée grecque de mesure et , en liaison avec elle, l’idée de liberté. Seule l’idée de la mesure d
150 ent cachée ; il faut la déchiffrer dans ses actes et ses opinions. Ce qu’il pense de la personne, du destin, ce qu’il proc
151 montrent, non dans sa pensée, mais dans ses faits et gestes. Ceci vaut surtout du cas qu’il fait de la vie même. Lorsqu’en
152 des Assassins, leur grand-maître lui fit escorte et lui montra au passage ses palais et ses châteaux. Ils arrivèrent deva
153 i fit escorte et lui montra au passage ses palais et ses châteaux. Ils arrivèrent devant une place forte flanquée de très
154 princes chrétiens leurs sujets : il leva le bras, et deux des gardes se jetèrent dans le vide, pour s’écraser sur le sol r
155 t attendre de ses vassaux une telle docilité […]. Et chaque Européen éprouvera ici le même sentiment que le comte de Champ
156 ntales dont il se croyait sûr, telles que courage et fidélité, obéissance, sacrifice, ordre et discipline, sont ici arrach
157 courage et fidélité, obéissance, sacrifice, ordre et discipline, sont ici arrachées de leur place ; l’horreur d’un monde é
158 pas permis de porter atteinte. Ce qui s’y passe, et ce qui en provient, ne peut naître que du libre arbitre, sous peine d
159 que du libre arbitre, sous peine de devenir vain, et même vil, comme le sont des faveurs obtenues par contrainte. Quand ce
160 aison entre le peu de cas fait de la vie humaine, et la négation de la personne, ou simplement de l’individualité. Pour to
161 ns connu les tortures, les bûchers, la guillotine et les massacres (patriotiques ou religieux). Elle a même inventé la gue
162 re totale ! D’où provient alors cette « horreur » et ce « plus violent des refus » qu’éprouve l’Européen, selon Jünger, de
163 condamne. La cruauté de l’Oriental est fatidique, et par suite sans mesure, sans péché, sans contradiction ni remords. Ell
164 , sans contradiction ni remords. Elle est divine, et nous sommes criminels. Si le moi n’est qu’une illusion temporaire, ce
165 n qui compte ; mais au contraire, si le moi libre et unique est une réalité tenue pour inviolable, rien ne peut justifier
166 ne juge pas. Je constate. Il y a des différences. Et mon propos n’est pas de les mettre en relief pour inciter le lecteur
167 ous oblige à n’examiner que des prises partielles et typiques. On a vu que j’ai choisi mes exemples dans le domaine religi
168 iorité » de ceci sur cela offre le moins de sens, et de fait perd sa pointe, puisqu’on n’y dispose pas d’éléments mesurabl
169 semblé que c’était dans la mystique, la religion et leurs explications, que ces options pouvaient être surprises ; car on
170 cela m’importe moins que de les avoir bien vues, et de suivre à partir d’un contraste assez simple entre deux conceptions
171 te assez simple entre deux conceptions de l’homme et de ses fins, celle dont les conséquences ont formé l’Occident. 1.
172 ulier, par la théologie orthodoxe des catholiques et des protestants européens, qui conçoit Dieu comme le Toi de l’homme ;
173 péens, qui conçoit Dieu comme le Toi de l’homme ; et l’Asie par ceux des systèmes philosophiques et religieux de l’Inde qu
174  ; et l’Asie par ceux des systèmes philosophiques et religieux de l’Inde qui conçoivent que le Tout n’est autre que le Je
175 su le bouddhisme, pour recouvrir ensuite le Tibet et la Chine, la Malaisie, la Birmanie, et partiellement l’Indonésie, enf
176 e le Tibet et la Chine, la Malaisie, la Birmanie, et partiellement l’Indonésie, enfin le Japon. C’est du catholicisme qu’e
177 Amérique du Nord. À la confrontation de l’Europe et de l’Inde qui garde une signification centrale, pourrait répondre la
178 t répondre la confrontation de l’Extrême-Occident et de l’Extrême-Orient, représentés par deux formes « hérétiques » de la
179 de la religion initiale : le moralisme américain et le bouddhisme zen, tous deux antimystiques. Historiquement, la premiè
180 rdée pendant longtemps par le barrage de l’islam, et n’a pu s’esquisser qu’à partir du xixe siècle ; la seconde s’opère s
181 provoquée par le choc de la guerre entre le Japon et les États-Unis. 6. Cf. Henry Corbin, Avicenne et le récit visionnair
182 et les États-Unis. 6. Cf. Henry Corbin, Avicenne et le récit visionnaire, 2 vol. Téhéran, 1954, et du même auteur : Œuvre
183 ne et le récit visionnaire, 2 vol. Téhéran, 1954, et du même auteur : Œuvres philosophiques et mystiques de Sohrawardi, to
184 , 1954, et du même auteur : Œuvres philosophiques et mystiques de Sohrawardi, tome 1, Téhéran, 1952. On y trouvera le text
185 second du xiie siècle. 7. Relevons qu’Avicenne et le mystique soufi écrivaient tous les deux dans cette « circonscripti
186 te « circonscription intermédiaire entre l’Orient et l’Occident », que forment, au sens physique cette fois, l’Arabie et l
187 ue forment, au sens physique cette fois, l’Arabie et l’Iran. Leur Occident, c’est la Grèce d’Aristote, et leur Orient n’es
188 l’Iran. Leur Occident, c’est la Grèce d’Aristote, et leur Orient n’est pas l’Inde ou la Chine, mais celui de la mystique «
189 s traditions coraniques. 8. Je pense à Parménide et à Platon, aux gnostiques, à la Pistis Sophia, à saint Augustin et à s
190 gnostiques, à la Pistis Sophia, à saint Augustin et à sa fameuse opposition entre cognitio malutina et cognitio vesperlin
191 t à sa fameuse opposition entre cognitio malutina et cognitio vesperlina, aux manichéens et aux mystiques soufis, et à leu
192 o malutina et cognitio vesperlina, aux manichéens et aux mystiques soufis, et à leurs lointains disciples cathares et « co
193 sperlina, aux manichéens et aux mystiques soufis, et à leurs lointains disciples cathares et « courtois », à Pic de la Mir
194 s soufis, et à leurs lointains disciples cathares et « courtois », à Pic de la Mirandole, à Jacob Boehme, aux romantiques
195 ob Boehme, aux romantiques allemands philosophes, et poètes, et bien sûr, à tous les occultistes européens du Moyen Âge ju
196 aux romantiques allemands philosophes, et poètes, et bien sûr, à tous les occultistes européens du Moyen Âge jusqu’à nos j
197 el est pris ici dans son sens strict, initiatique et religieux, qui ne doit pas être confondu avec « conservateur », « rou
198 qui estime que la tradition religieuse rend nulle et non avenue l’innovation individuelle, et que le but de la recherche h
199 nd nulle et non avenue l’innovation individuelle, et que le but de la recherche humaine ne peut pas être le progrès ou l’i
200 dans le lit, se fait abondamment piquer par poux et puces, dispensant de la sorte son maître d’avoir à tuer ces insectes.
201 ner, op. cit.) a. Rougemont Denis de, « La voie et l’aventure », La Table ronde, Paris, janvier 1957, p. 9-22. b. Il s’
2 1957, Articles divers (1957-1962). De l’unité de culture à l’union politique (mai 1957)
202 u-delà de tous les doutes possibles, les Français et les Grecs, les Anglais et les Suisses, les Suédois et les Castillans
203 possibles, les Français et les Grecs, les Anglais et les Suisses, les Suédois et les Castillans sont vus comme des Europée
204 es Grecs, les Anglais et les Suisses, les Suédois et les Castillans sont vus comme des Européens : il doit y avoir à cela
205 crains, que celle de l’amour. Les Afro-Asiatiques et les Arabes savent trop bien ce qu’elle représente : l’entité qui seul
206 phase sur la nature universelle de nos problèmes, et partant de là, dénient toute personnalité économique, sociale ou scie
207 ans le domaine de leur spécialité) entre l’Europe et le Congo ou le Cachemire, tandis qu’il y en aurait d’insurmontables e
208 en aurait d’insurmontables entre les Britanniques et les Français, entre ceux-ci et les Allemands, etc. Un même mouvement
209 e les Britanniques et les Français, entre ceux-ci et les Allemands, etc. Un même mouvement de ces esprits les porte à effa
210 astes locaux. On sauve ainsi l’utopie mondialiste et les réalités nationalistes, mais on sacrifie en passant notre tâche c
211 i de politique, mais seulement de formes d’esprit et de mécanismes d’évasion intellectuelle.) 3. L’argument des contraste
212 , n’est qu’une étourderie aux yeux de l’historien et de l’observateur des cultures, mais c’est un dernier refuge pour les
213  ? On nous dit que les contrastes entre Allemands et Français, Insulaires et Continentaux, Suédois et Grecs (pour ne parle
214 ontrastes entre Allemands et Français, Insulaires et Continentaux, Suédois et Grecs (pour ne parler que de géographie, d’h
215 et Français, Insulaires et Continentaux, Suédois et Grecs (pour ne parler que de géographie, d’histoire récente et de mod
216 r ne parler que de géographie, d’histoire récente et de modes de vie, mais il y a les religions, l’économie, les formes po
217 tiques, etc.), interdisent toute union politique, et font douter d’abord de l’unité de culture qui donnerait une assise à
218 de langue, de religion, de « race », de coutumes et de niveau de vie entre Bretons et Languedociens, Frisons et Bavarois,
219  », de coutumes et de niveau de vie entre Bretons et Languedociens, Frisons et Bavarois, Piémontais et Siciliens, pâtres c
220 au de vie entre Bretons et Languedociens, Frisons et Bavarois, Piémontais et Siciliens, pâtres catholiques de l’Appenzell
221 et Languedociens, Frisons et Bavarois, Piémontais et Siciliens, pâtres catholiques de l’Appenzell et banquiers protestants
222 s et Siciliens, pâtres catholiques de l’Appenzell et banquiers protestants de Genève, n’ont pas empêché l’unification nati
223 tionale de la France, de l’Allemagne, de l’Italie et des cantons suisses — pas plus que cette unification, d’ailleurs, n’a
224 insi l’obstacle qu’on pose à l’union de l’Europe, et les dangers qu’on redoute de cette union sont également imaginaires,
225 de laquelle on refuse l’union. 2° Si pittoresques et voyants que soient les contrastes entre Suédois et Grecs, par exemple
226 t voyants que soient les contrastes entre Suédois et Grecs, par exemple, il n’en reste pas moins qu’un Suédois lisant Kaza
227 tzaki, un Grec lisant Selma Lagerlöf, un Français et un Allemand lisant ces deux auteurs, y prendront à fort peu de choses
228 assions, les mêmes souffrances, les mêmes espoirs et les mêmes doutes, et malgré tout ce qu’il serait tellement facile de
229 uffrances, les mêmes espoirs et les mêmes doutes, et malgré tout ce qu’il serait tellement facile de dire, la même foi dom
230 l’homme. 4. Quantité de publicistes découvrent —  et cela dure depuis des années — que l’Europe n’existe pas comme entité
231 e l’Europe n’existe pas comme entité géographique et historique, car ses frontières n’ont pas cessé de se déplacer au cour
232 l’est guère. Conclusion : il n’y a pas d’Europe, et si l’on en veut une, il faudra l’inventer. Ce qui ne facilite guère l
233 uère l’œuvre d’union… Ainsi jouent les sophistes, et le lecteur s’inquiète : il sent vaguement qu’il est en train de se la
234 non. Le « préalable » d’une définition historique et géographique, occasion de discours permettant de surseoir au débat su
235 que l’Europe n’est pas une entité, mais une pure et simple expression. En effet, selon le thème connu, elle ne se locali
236 l’Alsace, le Languedoc, la Provence, la Bourgogne et la Champagne. C’était tout de même la Suisse, c’était la France ; réf
237 réel, car il s’agit maintenant de sauver ce réel, et non pas d’ergoter sur sa définition. En privant le concept Europe de
238 on ne tend à rien de moins qu’à miner son avenir, et l’on déprime l’élan vers l’union nécessaire, au lieu de bien montrer
239 s, car il en va d’une civilisation, d’une culture et même d’une nation, à peu près comme d’une œuvre d’art : est-elle née
240 s années auparavant ? Ou n’aurait-elle pris forme et nom qu’à mi-chemin du travail entrepris, qui a soudain changé de sens
241 u travail entrepris, qui a soudain changé de sens et trouvé son vrai sens ? Il importe assez peu, l’œuvre est là. Depuis q
242 titulait pourtant L’Europe est née ! Montesquieu, et Leibniz avant lui, mettent l’Europe au-dessus de leur « nation ». Mai
243 uropenses les vainqueurs de ces grandes journées, et « répète avec complaisance ce nom qui indique l’éveil d’un sentiment
244 tuaient des cartes de l’Europe en tant que telle, et (ce qui est encore plus important) ils étaient le témoignage de l’int
245 moignage de l’intérêt porté au caractère culturel et politique des terres dont ils décrivaient les côtes16 ». Mais pour vo
246 les côtes16 ». Mais pour voir les vocables Europe et européen entrer dans le vocabulaire courant, il faut attendre les xiv
247 e vocabulaire courant, il faut attendre les xive et xve siècles, époque où la chrétienté perd ses prolongements proche-o
248 ngements proche-orientaux, occupés par les Turcs, et tend ainsi à se confondre avec l’Europe géographique, cependant qu’à
249 t à distinguer les deux concepts de christianitas et d’Europa. C’est enfin dans les œuvres d’un homme qui fut d’abord gran
250 Mahomet II, comme l’héritière chrétienne de Rome et de la Grèce. Chacun sait la fortune que devait connaître cette défini
251 me éternelles dans la prose poétique des banquets et des éditoriaux du temps de guerre. Passons sur ces excès, voyons la t
252 Passons sur ces excès, voyons la thèse elle-même, et le jugement qu’elle implique sur la réalité. On a souvent tenté de ni
253 à définir, mais de la complexité de ses origines et de l’importance des influences extracontinentales qu’elle a subies. C
254 rice ne se confond avec les limites accidentelles et souvent fort récentes d’un de nos États. Mais sur les autres plans, q
255 de confondre plus longtemps ce mélange de lyrisme et d’émouvants souvenirs, d’orgueil injustifié et de vrai patriotisme, a
256 me et d’émouvants souvenirs, d’orgueil injustifié et de vrai patriotisme, avec le réalisme politique. La patrie n’est pas
257 l’État, elle est en général beaucoup plus grande. Et si l’on confond tout, patrie, État, nation, spirituel, culturel et po
258 d tout, patrie, État, nation, spirituel, culturel et politique, dans les limites d’un même cordon douanier et du pouvoir d
259 tique, dans les limites d’un même cordon douanier et du pouvoir d’une même police, on obtient finalement ce qu’on mérite,
260 n où elle s’arrête ? Sait-on quand elle est née ? Et combien d’arbres il faut pour former une forêt ? J’ai mes racines, vo
261 sure de sauver le concret de nos vies nationales, et n’en sacrifierait que l’illusoire, j’entends ce qui est déjà perdu de
262 e, j’entends ce qui est déjà perdu de toute façon et qui ne pourrait être récupéré — pour autant que ce soit désirable — q
263 érité sans doute (si elle traduit un mieux-vivre, et non pas simplement le résultat matériel d’un effort humainement abrut
264 nir à un ensemble humain plus vaste, plus ancien, et plus fort désormais que ne l’est aucune de nos nations. Or cet ensemb
265 a condition nécessaire de l’union supranationale, et de l’allégeance qu’elle requiert. Mais la condition suffisante sera d
266 ntre humains, à la matière, au corps, à l’esprit, et au temps — en somme, par une culture, au sens où j’emploie le mot. En
267 , au sens où j’emploie le mot. Entre la politique et la culture, conçues comme on vient de l’indiquer, le rapport devrait
268 port devrait être analogue au rapport entre forme et contenu. Une politique d’union ne devient possible que s’il y a tout
269 ite, ne sera valable que si elle exprime, traduit et tend à préserver ce qu’il y a de créateur dans cette communauté. J’en
270 rnablement, mais demeurent en tension — autonomes et reliées. Cet équilibre dynamique, toujours risqué, cet art empirique
271 bre dynamique, toujours risqué, cet art empirique et subtil de louvoyer entre le Charybde du particularisme étroit et le S
272 uvoyer entre le Charybde du particularisme étroit et le Scylla du centralisme niveleur, c’est le secret de la santé europé
273 st le secret de la santé européenne. Ici, culture et politique se joignent dans la seule et même exigence d’une union fédé
274 i, culture et politique se joignent dans la seule et même exigence d’une union fédérale de nos peuples. 14. Emmanuel Ber
275 ussi H. F. Mueller, A Chronology of Vulgar Latin, et Marc Bloch, La Société féodale. 16. Denys Hay, dans Diogène, n° 17,
3 1957, Articles divers (1957-1962). Lettre en réponse à Emmanuel Berl (mai 1957)
276 ilise la Vérité, la Raison, la Justice, le Droit, et Romain Rolland, que pour triompher d’un épouvantail auquel il accroch
277 uais rien de ce qu’il défend avec tant de passion et de juste colère. Je suis très loin de mépriser l’Histoire ; je dis se
278 ire » ; je dis seulement qu’on ne peut la vouloir et la faire — donc l’unir par des liens fédéraux — si d’abord on nie qu’
279 ord on nie qu’elle existe comme entité de culture et Aventure unique. Je ne pense pas avoir recommandé l’imposture ou la t
280 e si vraiment j’avais préconisé le mensonge utile et le « massacre des affamés » ? Je demandais simplement qu’on cesse de
281 entais l’urgence de rappeler que l’Europe ne peut et ne doit pas être regardée comme une entité ni comme une fin, mais com
282 aille de Stalingrad avec Staline ou avec Hitler ? Et , auparavant, avec ceux qui défendaient ou avec ceux qui démembraient
283 daient ou avec ceux qui démembraient l’Autriche ? Et à Leipzig, avec Napoléon ou contre lui ? Il ne suffit pas d’ignorer q
284 Filibusterie à part, je prétends rester européen et même bon européen, sans souhaiter, et même sans accepter une Europe q
285 er européen et même bon européen, sans souhaiter, et même sans accepter une Europe qui naîtrait de l’imposture et vivrait
286 s accepter une Europe qui naîtrait de l’imposture et vivrait de la tyrannie. Je crierai : vive l’Europe ! si elle rétablit
287 corde, non si elle attise la discorde entre l’Est et l’Ouest, si elle nourrit les affamés, non si elle les massacre, si el
288 n elle pour répondre du tac au tac à Khrouchtchev et même à Dulles, et veut qu’elle fasse déjà sonner le sabre qu’elle n’a
289 re du tac au tac à Khrouchtchev et même à Dulles, et veut qu’elle fasse déjà sonner le sabre qu’elle n’a pas encore. Est-c
290 rbeau qui, pour défendre leur “œuvre” accablaient et exploitaient ceux qu’elle devait secourir. Je ne prônerai l’Europe ni
291 x. Libre à M. de Rougemont de hausser les épaules et de répondre : “Tout cela n’a de sens que pour les professeurs.” Le me
4 1957, Articles divers (1957-1962). La fin du pessimisme (juin 1957)
292 it avoir mis une fois pour toutes le cap sur 1984 et sa fourmilière ; voilà qu’il se détourne horrifié et vire de bord, au
293 sa fourmilière ; voilà qu’il se détourne horrifié et vire de bord, aux accents de la Marseillaise, en direction de 1848.
294 uante ans d’analyses pessimistes de notre société et de son destin ont culminé dans l’utopie de George Orwell 1984. Il y e
295 uerres mondiales, ruinant le prestige de l’Europe et sa puissance, trois révolutions portant au pouvoir des tyrannies tota
296 re « encore » au progrès disqualifiait son homme, et l’idée s’empressa d’émigrer aux États-Unis et en URSS. Les penseurs d
297 me, et l’idée s’empressa d’émigrer aux États-Unis et en URSS. Les penseurs de l’Europe, à peu près unanimes, entrèrent en
298 ope, à peu près unanimes, entrèrent en dissidence et se mirent à dénoncer sur tous les tons le monde moderne. Pieusement o
299 ns, de la fin de tout. L’Anti-moderne de Maritain et Les Temps modernes de Chaplin, la métaphysique pure et les clichés pr
300 s Temps modernes de Chaplin, la métaphysique pure et les clichés primaires, les dénonciations impuissantes et les justific
301 clichés primaires, les dénonciations impuissantes et les justifications ignobles des dictatures totalitaires, tout annonça
302 me aux puissances anonymes, la machine, la police et l’État. Orwell n’eut qu’à pousser un peu plus loin. Il n’eut qu’à met
303 sme européen avait trouvé son expression suprême. Et Kafka n’était plus que le Jean-Baptiste d’une sorte d’Évangile à rebo
304 Les émeutes de Poznań, la résistance de Varsovie et la révolution de Budapest ont renversé le cours de cette immense déri
305 est ont renversé le cours de cette immense dérive et restauré d’un coup l’espoir. La nature humaine, niée par Sartre, trio
306 s les rues de Budapest. Sa faculté de revendiquer et d’imposer un sens positif à la vie, niée par Kafka, s’est attestée da
307 tsia de l’Ouest voyait venir Quatre-vingt-quatre. Et soudain, celle de l’Est lui répond Quarante-huit. C’est quatre-vingt-
308 depuis un demi-siècle, dans les lettres, les arts et la philosophie, sait qu’il faut être subversif ou pessimiste, ou les
309 it m’objecter Valéry, hédoniste épris de la règle et persuadé de la valeur des conventions ; mais n’est-ce pas lui qui ouv
310 notre civilisation est mortelle comme les autres et prédit à la fin que nous allons vers la « parfaite et définitive four
311 rédit à la fin que nous allons vers la « parfaite et définitive fourmilière » ? On pourrait m’objecter Claudel, optimiste
312 it m’objecter Claudel, optimiste de style baroque et fonctionnaire du premier rang ; mais sa phrase est plus subversive qu
313 ve que tout ce qui passe pour tel dans les cafés, et sa foi prend l’allure d’un défi. On pourrait m’objecter Saint-John Pe
314 t celles de Nietzsche, de Rimbaud, de Kierkegaard et de Dostoïevski. Il est remarquable que ce siècle n’ait retenu du préc
315 eois, j’entends bien dans le domaine de l’éthique et de l’esprit. Mais rien ne compte en fait que par la bourgeoisie. C’es
316 isie. C’est elle seule, par ses franges cultivées et conscientes, qui a fait le succès posthume des grands génies maudits,
317 es maudits, ignorés ou refoulés par ses ancêtres. Et c’est elle aujourd’hui qui est prise d’angoisse devant ce qu’ils déno
318 s, qu’il ne peut imposer qu’un régime soviétique, et qu’Orwell a dit vrai malgré lui. Curieux pouvoir des pessimistes de l
319 éficie des soins jaloux de l’État. Encore un peu, et la technique elle-même l’aura délivré de la chaîne. Mais c’est le bou
320 lors à craindre le règne inexorable des machines, et qui conçoit, avec cent ans de retard, un pessimisme fataliste et rési
321 avec cent ans de retard, un pessimisme fataliste et résigné. Dans ce décalage séculaire entre la conscience et le réel, n
322 é. Dans ce décalage séculaire entre la conscience et le réel, naît l’idée d’une pensée impuissante, d’une réalité terrifia
323 une pensée impuissante, d’une réalité terrifiante et d’un sens fatal de l’Histoire, dont Big Brother sera l’aboutissement.
324 dominent pourtant ce tableau. L’influence de Marx et de Freud sur les classes dirigeantes de l’Occident dépasse de loin la
325 pu prendre du Capital ou de la Science des rêves, et les jugements qu’elles avoueraient à leur sujet. Marx et Freud ont be
326 jugements qu’elles avoueraient à leur sujet. Marx et Freud ont beaucoup en commun, et, par-dessus tout, leur succès parmi
327 leur sujet. Marx et Freud ont beaucoup en commun, et , par-dessus tout, leur succès parmi ceux qu’ils ont « démasqués » ave
328 i ceux qu’ils ont « démasqués » avec un zèle amer et quelque peu sadique. Ce succès n’est pas dû à la lecture de leurs œuv
329 n’est pas dû à la lecture de leurs œuvres ardues et complexes, mais à l’intention polémique qui dirigea leur entreprise,
330 ’intention polémique qui dirigea leur entreprise, et qui imposa leur angle de vision même à ceux qui refusaient leurs thès
331 nversations de la table de famille ou des salons, et c’étaient le Sexe et l’Argent. Tout devait avoir l’air de se passer d
332 le de famille ou des salons, et c’étaient le Sexe et l’Argent. Tout devait avoir l’air de se passer dans le monde comme si
333 hropes » ; les enfants naissaient dans les choux, et le langage d’un homme tel que Victor Hugo (sauf dans ses petits carne
334 ons du sexe, c’est le secret du drame individuel. Et voilà le choc de la reconnaissance, l’illumination fulgurante, l’illu
335 urante, l’illusion que le facteur oublié, refoulé et nié en dépit du bon sens, dès l’instant qu’on le produit au grand jou
336 ns « uniques » qui semblaient au début exclusives et totales. Appliquer l’analyse marxiste au milieu social de Freud, la p
337 au cas individuel de Marx, les critères freudiens et marxistes à la Bourgeoisie même et au Prolétariat (cette figure de te
338 ères freudiens et marxistes à la Bourgeoisie même et au Prolétariat (cette figure de terreur longtemps refoulée dans l’inc
339 re l’intention polémique qui animait ces systèmes et fit leur grand succès, mais qui limite aussi leur valeur scientifique
340 . Que Freud soit dépassé dans son propre domaine, et surtout débordé par le retour en force de réalités religieuses qu’il
341 ds génies aient puissamment modelé le xxe siècle et modifié notre approche du réel. Cependant les déterminismes qu’ils cr
342 autour de 1900) comme un cas limité dans l’espace et le temps. D’autre part, l’ascension d’un Staline, son long règne et s
343 re part, l’ascension d’un Staline, son long règne et sa chute posthume, les grandes explosions libertaires du « Printemps 
344 explosions libertaires du « Printemps » polonais et de l’Octobre hongrois, enfin l’essor libérateur de la technique dans
345 ne « mystification » comme eût dit Marx lui-même, et le « mouvement de l’histoire » un mauvais alibi pour nos démissions p
346 nelles. Le droit d’opposition redevient créateur. Et la question n’est plus de supputer le « sens inévitable » de l’Histoi
347 nien, l’épurait, si j’ose dire, le rationalisait, et le poussait à ses extrêmes conséquences. Tout portait l’intelligentsi
348 elle-même, pour briser le cours de cette fatalité et pour renverser nos destins ? Le traumatisme provoqué par la brève tra
349 umatisme provoqué par la brève tragédie hongroise et ressenti profondément dans toute l’Europe, mais aussi en Asie, et plu
350 ondément dans toute l’Europe, mais aussi en Asie, et plus qu’on ne pense en URSS, n’aurait-il pas créé l’illusion romantiq
351 ue faisait prévoir la « décadence de l’Occident » et considérait comme fatal l’écrasement de l’Europe entre les blocs. Un
352 issipe les illusions tenaces qu’ils prolongeaient et révèle une tendance générale au réveil des valeurs de liberté. Premi
353 pitalisme exploiteur, promis aux crises cycliques et à la paupérisation croissante des travailleurs. L’URSS était donc l’a
354 ctique. Ils le jugent grossièrement matérialiste, et au surplus de mauvaise foi. Plus finement, Bertrand de Jouvenel, comp
355 Jouvenel, comparant les économies des États-Unis et de l’URSS, a montré que l’entreprise communiste n’apporte rien qui la
356 : l’une marquée par « l’accumulation du capital » et « l’exploitation du travailleur », avait pour agent historique le cap
357 t l’œuvre du communisme. Or l’examen des chiffres et des faits conduit à la conclusion suivante : « C’est l’économie capit
358 te des États-Unis qui a passé à la seconde phase, et c’est l’économie communiste l’URSS qui se trouve dans la première. »
359 iels. Si l’on néglige les étiquettes mystifiantes et qu’au lieu de lire les prospectus publicitaires vantant les bienfaits
360 on voit que le progrès est à l’Ouest, le servage et la loi d’airain à l’Est, et qu’une classe ouvrière mieux informée qu’
361 à l’Ouest, le servage et la loi d’airain à l’Est, et qu’une classe ouvrière mieux informée qu’endoctrinée, si elle a à cho
362 lupart des ouvriers hongrois réfugiés en Autriche et libres de parler. Il n’en reste pas moins frappant de constater que l
363 condamnée. » — L’Europe détrônée par deux guerres et ruinée par sa division en vingt-cinq États « souverains » — incapable
364 minieux : l’Est aux Russes, l’Ouest à l’Amérique, et le Centre neutralisé. Sa décadence paraissait donc irréversible. Le m
365 endemain de la guerre par les congrès de Montreux et de La Haye, a produit le Conseil de l’Europe, CECA, le Marché commun
366 it le Conseil de l’Europe, CECA, le Marché commun et Euratom. Il serait plus qu’étrange qu’on puisse l’arrêter là. L’Assem
367 r fédéral devrait en résulter, car tout l’appelle et sa nécessité est inscrite dans les faits, si elle ne l’est pas encore
368 dépendant. Mais ils peuvent l’être tous ensemble, et ils commencent à le savoir. 330 millions d’habitants à l’ouest du rid
369 t, feraient un ensemble supérieur aux Soviétiques et aux Américains additionnés. Je ne parle que des chiffres, non de la q
370 — on monte, on culmine, on chancelle, on décline, et l’on meurt fatalement — se verront démenties par le nouvel essor d’un
371 essor d’une Europe reprenant la tête du progrès. Et c’est une autre prophétie, qui deviendra vraie, celle de Proudhon, qu
372 toire dépend de nouveau de ce que nous en ferons, et non plus d’une courbe mythique, d’une Évolution bien tracée, ou d’un
373 s asservissent déjà nos corps, dictent nos gestes et le rythme de nos journées. Encore un peu, et les cerveaux électroniqu
374 stes et le rythme de nos journées. Encore un peu, et les cerveaux électroniques dicteront nos pensées par radio. Adieu Nat
375 ences disciplinées. C’en sera fait de la liberté, et du droit d’hésiter, d’errer… Les savants, apprentis sorciers, ont déc
376 trop froid pour la saison, les accidents bizarres et les fous se multiplient, les avions tombent, croyez-moi, c’est la Bom
377 manière de parler abusivement prise à la lettre, et donc fautive. Les machines envahissent nos vies ? Si seulement ! Car
378 our, spontanément, dans l’intention de m’envahir. Et pas même une machine à laver. Que de mal, au contraire, dans ma campa
379 u’un qui l’actionne. Comme vous ne savez pas qui, et que le bruit vous agace, vous vous décidez à répondre. Vous n’êtes do
380 Nature ? Mais je vois au contraire que l’express et l’avion, le scooter et la petite voiture, jettent les foules citadine
381 au contraire que l’express et l’avion, le scooter et la petite voiture, jettent les foules citadines sur les plages, dans
382 foules citadines sur les plages, dans les neiges et dans les forêts. Qu’il y ait là quelque excès, j’en conviens, mais c’
383 elque excès, j’en conviens, mais c’est la Nature, et non l’homme, qui aurait ici le droit de se plaindre. Vous citez l’app
384 it de se plaindre. Vous citez l’apprenti sorcier. Et qui ne l’a pas cité, quel journaliste ? En pensant à la Bombe, bien s
385 n’est pas elle qui est dangereuse, c’est l’homme. Et les cerveaux électroniques (par métaphore) ne font rien qu’on ne leur
386 i leurs penseurs, mais bien les ouvriers du xixe et les travailleurs à la chaîne dans les usines américaines. Car eux seu
387 américaines. Car eux seuls ont subi physiquement, et peut-être encore plus moralement, la tyrannie des rythmes mécaniques.
388 ’un mécanisme mort », selon l’expression terrible et juste de Marx. Or il se trouve précisément que les robots viennent le
389 es le croient encore sur la foi de quelques films et de la science-fiction. C’est encore moins un homme esclave de la mach
390 parlé. Le mal dénoncé en son temps par Karl Marx et Proudhon, que l’on n’écoutait pas, tenait à la semi-automatisation de
391 u dangereuse à manier, mais aussi de la monotonie et du rythme inhumain de travail qu’imposaient la machine et la chaîne.
392 thme inhumain de travail qu’imposaient la machine et la chaîne. Le remède était donc le robot, dont l’application générale
393 lculables. L’usine sans ouvriers, produisant jour et nuit sous la seule surveillance d’un groupe d’opérateurs, signifie si
394 . Généralisée dans l’avenir, elle rendra superflu et sans objet le moment dialectique de la révolution donnant le pouvoir
395 itués par la technique elle-même. Comment prévoir et mesurer l’ampleur des transformations initiées par cette libération t
396 st le problème des loisirs qui s’ouvre largement, et tous les problèmes qui en dépendent pour l’éducation des enfants, des
397 endent pour l’éducation des enfants, des adultes, et des techniciens. C’est le problème des moyens de culture, qui seront
398 questions immenses que je laisse aux économistes, et aux sociologues, tous alertés, au-delà des problèmes classiques de pl
399 au-delà des problèmes classiques de plein-emploi et de temps de travail, le problème de l’emploi du temps, qui se pose à
400 du déclin de l’Occident, du déclin de la culture, et de la fatalité des tyrannies prochaines, de laisser pour un temps ces
401 geants, leur ayant accordé assez de complaisance, et de considérer la nouveauté de l’époque : bel exercice pour une pensée
402 a cherchant, en acceptant d’envisager ses risques et de les courir d’abord en imagination. Je propose une idée renouvelée
403 sement du risque humain… Mais il y a trop à dire, et d’autres vont parler. Je n’étais pas venu pour conclure, mais pour ou
5 1957, Articles divers (1957-1962). La fin justifie les moyens (9 juin 1957)
404 osé à la fois de fonctionnaires français des Arts et Lettres (anciens ministres des Beaux-Arts directeurs, etc.), de milit
405 l Brion, Paul Vialar), de critiques (Robert Kemp) et d’une directrice de théâtre (Mary Morgan). Tout ce monde s’est entend
406 « exalte le plus clairement les qualités humaines et propose un sens moral au lecteur ». C’est donc sa récente Aventure de
407 re. Plus d’un jury pensait à me donner une palme. Et il y avait toujours, au dernier moment, quelqu’un qui se levait pour
408 tal qui paraît simultanément à New York, Londres et Paris est destinée, me dit Denis de Rougemont, à répandre un peu plus
409 Scandinavie, la Suisse, pour eux, c’est tout un. Et quand on me demande où commence et où finit l’Europe, j’assure que, p
410 c’est tout un. Et quand on me demande où commence et où finit l’Europe, j’assure que, plutôt que discuter de frontières mo
411 la civilisation européenne à travers son histoire et d’en mesurer les effets. C’est ce que j’ai tenté dans mon livre et ma
412 es effets. C’est ce que j’ai tenté dans mon livre et ma conclusion est tout à fait optimiste : on parle en effet de décade
413 à l’heure européenne ? L’Europe dévore les nuits et les jours de Denis de Rougemont. Il ne peut écrire de livres qu’entre
414 eut écrire de livres qu’entre onze heures du soir et quatre heures du matin, mais ce régime doit lui convenir puisqu’il an
415 les moyens. À condition que cette fin soit juste et , pour s’opposer à Nietzsche, en considérant que, par exemple, la puis
416 C’est, dit Rougemont, une question de feux rouges et de feux verts, de contrat pour la commodité générale. Une morale pers
417 nérale. Une morale personnaliste en quelque sorte et l’on se rappelle à ce propos les débuts de Rougemont qui milita avec
418 ouver en Denis de Rougemont un de ces théoriciens et philosophes qui sourient avec une pointe de condescendance devant les
419 ée de cet opéra où Rougemont sut se montrer poète et où Honegger trouva une de ses plus grandes réussites. Je songe toujou
420 noncé. Je prends des notes. Au fait, je considère et rédige comme un poème un livre tel que L’Aventure de l’homme occiden
6 1957, Articles divers (1957-1962). Le rôle mondial des valeurs occidentales (octobre 1957)
421 es valeurs européennes tient dans l’œuvre de Bach et dans celle de Mozart. La Messe en ut mineur réduit à peu de chose tou
422 ’homme européen a conçu de plus pur, de plus fort et de plus exaltant. Voilà l’Europe suprême, elle n’ira pas plus haut, p
423 st elle qui les a créées. Nous l’oublions souvent et les « autres » l’ignorent ; ils voient plus facilement ce qui est bea
424 au niveau du contact brutal entre leurs coutumes et nos armes, leur sagesse quotidienne et nos machines. Nos péchés sont
425 s coutumes et nos armes, leur sagesse quotidienne et nos machines. Nos péchés sont criants, et tout Bandung les crie, mais
426 idienne et nos machines. Nos péchés sont criants, et tout Bandung les crie, mais il n’entend pas nos grandeurs, car la mus
427 crit dans une situation dominée par le malentendu et toute chargée de tragédies latentes. En voici la formule la plus simp
428 n’est pas co-extensive avec celle de nos produits et n’en est pas non plus contemporaine ; elle reste loin derrière dans l
429 mporaine ; elle reste loin derrière dans l’espace et le temps. Tel est le drame. Il intéresse l’avenir de tous les peuples
430 varie d’une manière considérable selon les pays, et à l’intérieur même de presque tous les pays. L’Europe latine, anglo-s
431 que tous les pays. L’Europe latine, anglo-saxonne et germano-scandinave, conservatoire et laboratoire de toute l’histoire,
432 nglo-saxonne et germano-scandinave, conservatoire et laboratoire de toute l’histoire, de toutes les valeurs et de tous les
433 atoire de toute l’histoire, de toutes les valeurs et de tous les produits d’ordres divers qui ont caractérisé notre civili
434 sente évidemment la densité maxima. Les Amériques et certains pays du Commonwealth forment une zone de diffusion occidenta
435 mais un peu moins dense, parce que moins ancienne et moins complexe du point de vue des valeurs et des tensions. Le Sud-Es
436 nne et moins complexe du point de vue des valeurs et des tensions. Le Sud-Est européen, de la Puszta hongroise à l’Asie Mi
437 qui furent éliminées avec les anciennes classes, et de valeurs autochtones et populaires systématiquement refoulées. Repo
438 les anciennes classes, et de valeurs autochtones et populaires systématiquement refoulées. Reportées sur un planisphère,
439 bre sur l’Europe médiane tandis que les Amériques et l’Australie seraient en rouge vif, les franges sud-est de l’Europe en
440 uge vif, les franges sud-est de l’Europe en rose, et l’URSS en quadrillé rouge et blanc. Quant à l’Asie et à l’Afrique, il
441 de l’Europe en rose, et l’URSS en quadrillé rouge et blanc. Quant à l’Asie et à l’Afrique, il faudrait y marquer des point
442 ’URSS en quadrillé rouge et blanc. Quant à l’Asie et à l’Afrique, il faudrait y marquer des points rouges, indiquant la pl
443 plupart des grandes villes, quelques taches roses et , sporadiquement, des stries plus ou moins serrées. Le Japon s’est not
444 des quartiers européens à Bombay comme à Capetown et à Hong Kong17 et des décors industriels aux confins de la jungle ou e
445 opéens à Bombay comme à Capetown et à Hong Kong17 et des décors industriels aux confins de la jungle ou en plein désert. E
446 ’État venue d’Europe : le marxisme ; la technique et les armes de l’Occident ; l’alphabet substitué aux idéogrammes ; et l
447 Occident ; l’alphabet substitué aux idéogrammes ; et le contrôle des naissances. Ce tableau de la diffusion de notre civil
448 rités de transmission, d’influences tantôt vagues et générales et tantôt sélectives à l’excès, qu’on en vient à se demande
449 smission, d’influences tantôt vagues et générales et tantôt sélectives à l’excès, qu’on en vient à se demander ce que peut
450 du. Ici, l’on se contente d’importer nos machines et nos armements, là nos formes politiques, partis et parlements. Plus t
451 t nos armements, là nos formes politiques, partis et parlements. Plus tard, telle nation neuve ou telle fraction de son in
452 existence, désacralisée, rationalisée, scientiste et démocratique. Plus rarement, secrètement, parfois inconsciemment, nos
453 ent, nos valeurs spécifiques se voient assimilées et retrouvent leur pouvoir créateur, mutuellement modérateur, humanisant
454 r le know how des procédés techniques, politiques et sociaux les plus voyants et les plus récemment mis au point par notre
455 echniques, politiques et sociaux les plus voyants et les plus récemment mis au point par notre civilisation. Le système tr
456 e très complexe des valeurs spirituelles, morales et intellectuelles qui explique seul la genèse de ces « produits », qui
457 s », qui définit ou qui limite leur mode d’emploi et donne un sens à l’aventure occidentale, ce système de valeurs reste i
458 expressément combattu par leurs guides spirituels et politiques. Le décalage sans cesse croissant entre le rythme d’expans
459 ssant entre le rythme d’expansion de nos produits et celui de nos valeurs régulatrices est en train de fomenter dans le mo
460 achines-outils ; c’est très joli, cela nous amuse et c’est utile, mais pourquoi n’y joignez-vous pas un petit livre expliq
461 s, pourquoi vous avez eu l’idée de les construire et comment ils expriment et transportent, en fait, tout un monde de vale
462 l’idée de les construire et comment ils expriment et transportent, en fait, tout un monde de valeurs complètement étranger
463 de solfège aux enfants d’une école de Djakarta ; et quand ils eurent appris les notes de notre gamme, elle leur dit : com
464 ne rappelaient rien de leur musique indonésienne et ne faisaient que réinventer les lieux communs de chansons européennes
465 cheval de Troie. Nous avons évacué nos guerriers et retiré nos fonctionnaires, mais nous ramenons subrepticement, et sans
466 onctionnaires, mais nous ramenons subrepticement, et sans le savoir, des occupants plus efficaces et plus puissants, car c
467 , et sans le savoir, des occupants plus efficaces et plus puissants, car c’est aux pensées qu’ils commandent, aux sentimen
468 aux sentiments, aux sources mêmes de l’invention et de la compréhension de la vie. Nos machines et nos raisonnements, nos
469 on et de la compréhension de la vie. Nos machines et nos raisonnements, nos formes d’art et de gouvernement transportent a
470 s machines et nos raisonnements, nos formes d’art et de gouvernement transportent au loin des champs de force qui vont agi
471 s, mais ne pouvant les communiquer, les expliquer et les faire vivre. Les trois aspects de notre message Que répondre
472 de notre message Que répondre à ces Orientaux, et bientôt à ces Africains, qui nous demandent avec anxiété, non point d
473 ser comme ils sont, dans leur « sagesse » intacte et leur famine, mais de déclarer nos valeurs ? Ils nous obligent à nous
474 er sur ce qui va de soi dans nos façons de penser et nos conduites habituées ; à prendre conscience, devant eux, de ce que
475 re conscience, devant eux, de ce que nous croyons et voulons ; à réviser sous leur regard méfiant les illusions de notre «
476 rois ordres : produits, principes de vie publique et valeurs. Produits : les machines, la technique, l’industrie, le conf
477 le confort matériel, les procédés de construction et d’alimentation, l’hygiène ; les sociétés, les capitaux et leur mode d
478 mentation, l’hygiène ; les sociétés, les capitaux et leur mode d’emploi ; la commune et les syndicats ; le suffrage univer
479 , les capitaux et leur mode d’emploi ; la commune et les syndicats ; le suffrage universel, les parlements, l’État central
480 es parlements, l’État centralisé, la bureaucratie et les partis ; l’instruction publique et la presse ; les œuvres d’art.
481 reaucratie et les partis ; l’instruction publique et la presse ; les œuvres d’art. Principes de vie publique : la séparat
482 cipes de vie publique : la séparation du temporel et du spirituel ; la séparation des pouvoirs et la réglementation de leu
483 orel et du spirituel ; la séparation des pouvoirs et la réglementation de leurs rapports ; l’égalité devant la loi, la lib
484 du groupe garantie par la justice (habeas corpus et droit d’association) ; le droit à l’opposition (majorité possible de
485 le droit de libre expression, le droit au travail et à la sécurité sociale ou privée (assurances, retraites, etc.), la sou
486 nces, retraites, etc.), la souveraineté nationale et l’idée d’une loi internationale… Valeurs : la personne humaine consi
487 liberté, l’interdépendance étroite de la liberté et de la justice, le but de la justice étant de protéger les libertés et
488 but de la justice étant de protéger les libertés et la garantie interne des libertés consistant dans le sens de la respon
489 ) ; la reconnaissance de la réalité de la matière et du corps ; la croyance à la raison et à la rationalité du cosmos ; la
490 la matière et du corps ; la croyance à la raison et à la rationalité du cosmos ; la foi au transcendant, l’amour de Dieu
491 cosmos ; la foi au transcendant, l’amour de Dieu et du prochain. On voit sans peine que nos produits sont les plus facile
492 que nos produits sont les plus faciles à exporter et les plus rapidement acceptés hors d’Europe ; que nos principes de vie
493 lement invoqués, mais principalement contre nous, et dans la mesure où ils condamnent notre présence ; enfin que nos valeu
494 ficiles à « vendre » (au sens américain du verbe) et sont le plus souvent totalement ignorées. Mais ce qu’il m’importe de
495 m’importe de montrer, c’est comment ces produits et ces principes procèdent en réalité de nos valeurs, et ne trouvent que
496 es principes procèdent en réalité de nos valeurs, et ne trouvent que par elles, dans le champ magnétique qu’elles définiss
497 es, dans le champ magnétique qu’elles définissent et qu’elles propagent, leurs vertus créatrices, leurs mesures et leur se
498 propagent, leurs vertus créatrices, leurs mesures et leur sens. La machine passe généralement pour le produit le plus typi
499 ablissant enfin sur les bases autonomes du calcul et de l’expérimentation ; de la philanthropie illuministe, héritière des
500 ie illuministe, héritière des rêves alchimiques ; et de la raison profane, égalitaire, balayant les coutumes sacrées et le
501 rofane, égalitaire, balayant les coutumes sacrées et les entraves ancestrales. Mais d’où venaient cette science et cette r
502 ves ancestrales. Mais d’où venaient cette science et cette raison hardie rénovant les institutions, et cette ambition sing
503 et cette raison hardie rénovant les institutions, et cette ambition singulière de transformer le monde matériel ? Si l’on
504 l’on remonte à leurs origines, on trouve la Grèce et le christianisme, c’est-à-dire le respect de la vérité objective, la
505 le respect de la vérité objective, la dialectique et la libre critique d’une part, et d’autre part la conviction de la réa
506 , la dialectique et la libre critique d’une part, et d’autre part la conviction de la réalité de la matière, objet futur d
507 ient mais affirmée par le dogme de l’Incarnation) et la croyance profonde que le cosmos, créé par Dieu, n’est pas absurde
508 trueuses ; il vaut la peine d’en scruter les lois et il attend de l’homme d’être compris, révélé, voire sauvé, selon saint
509 mêmes de l’Europe ; la notion grecque d’individu et la notion chrétienne de personne. La première remonte aux philosophes
510 s, à l’occasion des grands débats sur la Trinité, et se lia par la suite indissolublement à la notion de vocation personne
511 la conjonction séculaire de ces valeurs grecques et chrétiennes que procède l’idée de liberté dans ses différentes accept
512 s attitudes fondamentales de la psyché européenne et les principes ou les produits qui manifestent son activité, il appara
513 l apparaît clairement que l’usage de ces produits et le recours à ces principes ne peuvent aller sans impliquer le système
514 Occident, entraîne des conséquences incalculables et généralement chaotiques. Le contact de la civilisation occidentale et
515 tiques. Le contact de la civilisation occidentale et des coutumes arabes en Algérie nous en donne un exemple tragique. Il
516 ragique. Il ne s’agit nullement ici de politique, et ce n’est qu’en vertu d’un accident de l’histoire que la France paraît
517 l influence. Théoriquement, deux solutions nettes et radicales se conçoivent : ou bien garder pour nous ce qui ne peut que
518 bien garder pour nous ce qui ne peut que troubler et déséquilibrer les autres, ou bien imposer nos valeurs en même temps q
519 s importante de la seconde moitié du xxe siècle. Et c’est sans doute la première fois dans toute l’histoire qu’un même pr
520 orté à l’humanité des connaissances, des méthodes et certaines conceptions qui forment un héritage dont M. de Rougemont mo
521 t M. de Rougemont montre l’importance. Philosophe et écrivain suisse, Denis de Rougemont a su depuis longtemps découvrir,
522 u depuis longtemps découvrir, grâce à ses voyages et à ses travaux, les problèmes de base qui se posent à l’Occident. Son
7 1958, Articles divers (1957-1962). Demain l’Europe sans frontières ?[préface] (1958)
523 n des Six, la zone de libre-échange des Dix-Sept, et leur future intégration dans le cadre d’une Grande Europe associée au
524 seulement une politique à long terme, mais aussi et peut-être d’abord une préparation proprement intellectuelle, par quoi
525 quoi j’entends un vaste effort de libre réflexion et d’imagination de la part des économistes, et une prise de conscience
526 xion et d’imagination de la part des économistes, et une prise de conscience économique dans le grand public. L’étude des
527 ans le grand public. L’étude des réalités de base et des problèmes présents de l’économie, incroyablement négligée par l’É
528 e la démocratie fonctionne. L’honnête homme vote, et sa voix détermine l’économie de son pays, que ce soit d’une manière d
529 t au moins. D’autre part, les travaux des experts et des économistes professionnels restent généralement inaccessibles au
530 s ne prévoient d’être lus que par leurs étudiants et leurs collègues. Entre un public ignorant mais qui vote, des experts
531 mais qui vote, des experts liés par leur mission, et des savants privés d’une large audience, peu ou point d’échanges effi
532 éfléchir librement sur les problèmes économiques, et il faudrait y réfléchir en groupe, car ces problèmes sont trop comple
533 re une vingtaine d’économistes, à la fois réputés et indépendants, pour leur poser une question populaire et d’une simplic
534 épendants, pour leur poser une question populaire et d’une simplicité presque choquante, une question qu’il jugeait présen
535 ue choquante, une question qu’il jugeait présente et vraiment agissante dans l’opinion : Que se passerait-il si… les front
536 and public — précédé par beaucoup d’intellectuels et suivi par beaucoup de députés — n’hésite pas, lui, à jouer le jeu de
537 mes, tandis que les experts croient aux chiffres, et que les militants de l’Europe fédérée croient aux bienfaits automatiq
538 se sont réunis deux fois, à six mois de distance, et leurs débats ont été chauds. Tout parti pris de militant leur eût par
539 en commun, la rédaction strictement individuelle, et la mise au point réciproque. Que pouvons-nous attendre de ces études 
540 rs brochures de large diffusion18, à des articles et à des émissions de radio. Mais c’est leur publication en recueil qui
541 rrigeant les autres. Aux économistes, industriels et commerçants, elles apporteront des analyses d’une rare objectivité. Q
542 qui se posent, mais aussi des espoirs autorisés, et dans bien des cas, assurés. Étrange Europe, qui a tout pour elle si e
543 s chances de grandeur, à guérir de son pessimisme et de ses crampes nationalistes… Puisse cet ouvrage contribuer à ranimer
544 directeur des séminaires du CEC ; Marché commun et Euratom , et L’Europe s’inscrit dans les faits , publications du CEC
545 s séminaires du CEC ; Marché commun et Euratom , et L’Europe s’inscrit dans les faits , publications du CEC. j. Rougem
8 1958, Articles divers (1957-1962). Europe et culture (1958)
546 Europe et culture (1958)k On peut créer une fédération européenne, et il le
547 958)k On peut créer une fédération européenne, et il le faut. Mais on ne peut pas créer une culture européenne et perso
548 Mais on ne peut pas créer une culture européenne et personne ne l’a jamais demandé, pour la simple raison qu’une culture
549 une culture ne se crée pas comme une institution, et qu’au surplus la culture européenne existe. C’est même elle, et elle
550 us la culture européenne existe. C’est même elle, et elle seule, qui nous permet de parler de l’Europe comme d’une unité e
551 ormisation culturelle » comme conséquence lugubre et fatale de l’union politique, sont parfois en réalité des adversaires
552 réalité des adversaires politiques de cette union et le sort de la culture leur importe très peu ; mais ils sont plus souv
553 ’ailleurs aux langues, aux coutumes folkloriques, et aux frontières naturelles (chaînes de montagnes ou rivières). On ne p
554 pense qu’il faut répondre oui aux deux questions. Et ce paradoxe apparent définit assez bien le rôle que doit aujourd’hui
555 ourne aujourd’hui contre elle les armes physiques et morales que son génie seul a créées pour le meilleur et pour le pire 
556 ales que son génie seul a créées pour le meilleur et pour le pire ; et que cette culture est commune à tous les peuples de
557 seul a créées pour le meilleur et pour le pire ; et que cette culture est commune à tous les peuples de l’Europe, puisque
558 urope sans ce qui la définit. Cette culture fonde et manifeste l’unité qui est la vraie base de notre union ; mais d’autre
559 raités : personne n’y croit. (On attend de voir…) Et certes il fallait dire : unissons-nous ! Certes, il fallait ratifier
560 toujours perdant sur l’homme, mais par l’esprit, et pour parler plus sobrement, par ces quelques actions précises : 1° Ré
561 e l’existence première de « cultures nationales » et de « l’éternité » de nos États-nations (formés pour la plupart depuis
562 depuis moins de cent ans…) 2° Informer les élites et les masses, leur montrer le drame de l’Europe, mais aussi le rôle déc
563 sformations du monde au xxe siècle, sa vocation, et son avenir si elle s’unit. 3° Créer des instruments de coopération po
564 dialogue entre la culture européenne d’une part, et les cultures asiatiques, islamiques, russe et américaine d’autre part
565 rt, et les cultures asiatiques, islamiques, russe et américaine d’autre part : car confrontés avec le Monde, tous les Euro
566 Monde, tous les Européens se découvriront frères, et verront mieux leur vocation commune. ⁂ Solutions dispersées, besoin
567 grès européen de la culture se réunit à Lausanne, et définit les tâches du Centre européen de la culture, du Collège d’Eur
568 e (Bruges), d’une association des universitaires, et d’un Laboratoire européen de recherches nucléaires (fondé en 1953 sou
569 ès de La Haye, est constitué neuf mois plus tard, et comporte dès le début une direction culturelle, coiffée d’un Comité d
570 ’experts des 16 gouvernements membres. Il élabore et fait ratifier une Convention culturelle européenne, convoque deux tab
571 ure, patronne la révision des manuels d’histoire, et prépare une série de publications scientifiques. Une Association des
572 ques. Une Association des universitaires d’Europe et une Association européenne des enseignants se fondent en 1955 et en 1
573 ion européenne des enseignants se fondent en 1955 et en 1956… La Journée européenne des écoles propose chaque année des su
574 ion sur l’Europe aux élèves des écoles de 7 pays, et donne des prix à 80 d’entre eux, sur plus de 300 000 participants. Un
575 éenne de la culture a été créée à Genève en 1954, et opère depuis cette année à Amsterdam. Enfin, la bibliographie des vol
576 n, la bibliographie des volumes, thèses, mémoires et numéros spéciaux de revues sur l’Europe et ses problèmes compte déjà,
577 moires et numéros spéciaux de revues sur l’Europe et ses problèmes compte déjà, depuis dix ans, plusieurs centaines de tit
578 -il suffisamment soutenu par les pouvoirs publics et le mécénat privé pour répondre aux défis du temps ? Est-il coordonné
579 e n’a dû sa puissance qu’aux inventions, procédés et systèmes de tous ordres directement issus de sa culture et que, par s
580 es de tous ordres directement issus de sa culture et que, par suite, sans la vitalité de cette culture, elle se réduirait
581 ’elle est sur la carte : 4 % des terres du globe ( et très pauvres en matières premières) ; 2° que la culture, en Europe, p
582 lture, en Europe, perdra sa vitalité si les États et les mécènes virtuels du continent s’obstinent à lui refuser même le c
583 que lui accordent chez eux les empires ascendants et réalistes des USA et de l’URSS21. ⁂ Le Centre européen de la cultu
584 z eux les empires ascendants et réalistes des USA et de l’URSS21. ⁂ Le Centre européen de la culture Sans attendre q
585 forces vives de la culture dans tous nos peuples, et en leur offrant : un lieu de rencontre, des instruments de coordinati
586 es instruments de coordination, un foyer d’études et d’initiatives. Fondé sous les auspices du Mouvement européen, le CEC
587 d’élaborer le travail de l’institution projetée, et d’organiser une « Conférence européenne de la culture ». Celle-ci se
588 . Celle-ci se réunit à Lausanne en décembre 1949, et formula le programme du CEC L’institution fut inaugurée à Genève le 7
589 idique. Ses ressources sont assurées par des dons et subventions provenant de sources privées ou officielles, par les coti
590 u officielles, par les cotisations de ses membres et par la vente de ses publications. Le choix des objectifs du CEC est d
591 lème culturel qui se pose à l’échelle européenne, et ses possibilités de solution pratiques. Un budget réduit au strict mi
592 nt les traits qui distinguent cet organisme privé et européen de la plupart des organisations gouvernementales et internat
593 de la plupart des organisations gouvernementales et internationales existantes. Les associations créées par le CEC et don
594 es existantes. Les associations créées par le CEC et dont il assume en règle générale le secrétariat, gardent leur autonom
595 ui furent entre autres le Congrès de compositeurs et critiques musicaux à Rome, en 1953, le Prix européen de littérature,
596 à Rome, en 1953, le Prix européen de littérature, et l’initiative de la création du CERN, bornons-nous à décrire les trois
597 aire l’Europe, c’est d’abord faire des Européens, et cela signifie d’une part, éduquer dans les nouvelles générations la c
598 e d’une commune appartenance aux formes de pensée et de vie qui définissent notre culture et notre civilisation, au-delà d
599 de pensée et de vie qui définissent notre culture et notre civilisation, au-delà des nations actuelles ; d’autre part, exp
600 publications spéciales, des experts ou moniteurs, et des subventions, réparties selon les directives d’un Comité d’éducate
601 plupart de nos pays (y compris la Grande-Bretagne et les États scandinaves). Enfin, il les fait bénéficier de ses moyens d
602 péenne. Ceux-ci consistent en publications, films et conférences. Le Bulletin du CEC édite chaque année six à huit numér
603 éciaux consacrés à des sujets d’intérêt européen, et largement diffusés en plusieurs langues. Des plans de causerie , éta
604 uvent reproduire gratuitement les courts articles et les nouvelles culturelles, scientifiques et économiques rédigées par
605 icles et les nouvelles culturelles, scientifiques et économiques rédigées par les services du CEC. Quant au département de
606 sur les conséquences pour la culture, l’éducation et les loisirs de la nouvelle révolution technique que symbolise le term
607 qui groupe 19 instituts de niveau universitaire, et l’Association européenne des festivals de musique , qui groupe 21 gr
608 , poursuivent la coordination de leurs programmes et de leurs publications, grâce à leurs secrétariats assurés par le CEC.
609 dant que l’Association européenne des enseignants et celle des universitaires d’Europe proposent au CEC une forme « fédéra
610 Cette multiplicité traduit les diversités réelles et organiques qui sont l’une des sources de la vitalité et des tensions
611 aniques qui sont l’une des sources de la vitalité et des tensions fécondes de notre culture. Il ne s’agit nullement de les
612 eurs forces en vue de certaines actions communes, et de mettre en pool celles de leurs activités ou de leurs ressources —
613 oussée. À l’heure où les institutions économiques et politiques de l’Europe naissante proclament leur volonté de concentre
614 de concentrer autant que possible leurs services et leurs assemblées, un effort parallèle doit être entrepris dans le dom
615 parallèle s’impose, entre la situation politique et la situation culturelle de l’Europe. Minorisée aux Nations unies, men
616 reste sans voix pour définir ses intérêts vitaux et affirmer sa vocation dans le monde actuel. Les politiques étrangères
617 er une politique commune, se contredisent souvent et ne convergent jamais, faute d’une institution unique et compétente. L
618 convergent jamais, faute d’une institution unique et compétente. L’Europe a donc besoin d’un ministère des Affaires étrang
619 tact inévitable entre notre civilisation libérale et technique d’une part, et les civilisations diverses de l’Asie, de l’A
620 re civilisation libérale et technique d’une part, et les civilisations diverses de l’Asie, de l’Afrique et du Moyen-Orient
621 es civilisations diverses de l’Asie, de l’Afrique et du Moyen-Orient d’autre part, appellent des solutions qu’aucun de nos
622 s qu’aucun de nos États-nations ne peut élaborer, et moins encore faire accepter à lui tout seul. Ces difficultés sont d’o
623 Ces difficultés sont d’ordre culturel (spirituel et sociologique à la fois) bien avant d’être politiques. Là encore, l’Eu
624 d’une coordination entre nos forces culturelles, et le besoin de représentation commune de ces forces vis-à-vis du reste
625 forces vis-à-vis du reste du monde nous appellent et nous poussent dans le même sens. Rien de plus efficace pour unir nos
626 in serait une frontière naturelle, mais le Danube et le Rhône des liens naturels ?…, etc. 20. Voir l’ Annuaire 1957 de l’
627 SS dans le domaine scientifique : les spoutniks ; et le budget total des fondations privées aux USA : 10 % du revenu natio
628 evenu national. k. Rougemont Denis de, « Europe et culture », Quelle Europe ?, Paris, Fayard, 1958, p. 69-76.
9 1958, Articles divers (1957-1962). Pourquoi la guerre ? Un échange de lettres prophétique entre Einstein et Freud (avril 1958)
629 Un échange de lettres prophétique entre Einstein et Freud (avril 1958)l Cela se passait en 1932, sur le seuil de ce qu
630 Europe entière, la renaissance de l’idée d’union, et l’arme absolue dans les mains de deux empires presque immobilisés par
631 ilisés par la terreur d’y recourir… Que pensaient et pressentaient ces deux génies de premier ordre, à la veille même du d
632 prévenir ? On les relit avec une sorte d’avidité et d’anxiété rétrospective. L’un se borne à poser des questions, dans un
633 l n’en sait guère plus que le citoyen raisonnable et moyen. L’autre répond dans la rigueur de sa pensée : il est chez lui.
634 des nations, il faut créer l’autorité législative et judiciaire qui leur retire la souveraineté et les réduise à la raison
635 ive et judiciaire qui leur retire la souveraineté et les réduise à la raison. Mais pourquoi la raison n’a-t-elle pas plus
636 asse régnante » ? Comment dominer les instincts ? Et comment supprimer « le besoin de haine » dégénérant en « psychose col
637 « psychose collective » ? C’est écrit de Potsdam et sous l’œil des barbares. Freud répond de sa Vienne natale en sursis —
638 en sursis — elle n’en aura plus pour longtemps — et le pacifisme d’Einstein se voit soumis à l’examen analytique d’un pra
639 ar l’union de ses victimes, fondant sur l’intérêt et sur le sentiment les lois de leur communauté. Il s’agit donc de trans
640 Nations ne dispose pas d’une force à son échelle et ne provoque pas l’« identification » créatrice de communauté. Passant
641 nte­nance avec maîtrise en invoquant l’Éros vital et l’instinct de mort, également essentiels à l’homme. « On ferait œuvre
642 s deux éléments : le développement de la culture, et la crainte des effets d’une guerre totale. Einstein propose une seul
643 e sur des images d’Épinal. La « classe régnante » et les marchands de canons tiendraient la presse, l’école et les « organ
644 archands de canons tiendraient la presse, l’école et les « organisations religieuses ». Ils domineraient ainsi les masses,
645 sse ! Les décisions qui font l’histoire concrète, et l’opinion publique qui les prépare, résultent aujourd’hui de l’État,
646 aujourd’hui de l’État, des Partis, des Affaires, et parfois des Églises — et non pas de leur complicité, mais plutôt de l
647 es Partis, des Affaires, et parfois des Églises — et non pas de leur complicité, mais plutôt de leurs dissensions. Quand b
648 de guerre est d’un autre âge, quoique populaire. Et l’on peut s’étonner qu’Einstein l’ait adoptée sans la moindre exigenc
649 oindre exigence critique, lui qui voyait pourtant et vivait de si près la montée d’Hitler au pouvoir, malgré l’opposition
650 l’opposition des partis, des nantis, des Églises et des cadres de l’État, pour une fois tous hostiles à la guerre. Ce gra
651 . En réduisant l’opposition classique de la Force et du Droit à celle de deux violences, il définit les conditions de tout
652 ure à celle des nations « souveraines ». Einstein et Freud, par des voies différentes, parviennent à cette même conclusion
653 udrait à l’extermination de l’un des adversaires, et peut-être même des deux. » D’où l’idée d’une « paix éternelle » impos
654 à sa mesure. Il la cherche en vain, ne voit rien… Et c’est à lui que Freud écrit prophétiquement, à lui parmi tous ses con
655 les découvertes ont déjà déclenché, dans l’ombre et le secret, le processus qui aboutira treize ans plus tard à l’explosi
656 ans plus tard à l’explosion d’Hiroshima. Tragique et sublime ironie de ce dialogue de deux génies, dont l’un voit bien l’a
657 Un échange de lettres prophétique entre Einstein et Freud », Réalités, Paris, avril 1958, p. 39-40.
10 1959, Articles divers (1957-1962).  Une expérience de fédéralisme : la Suisse (1959)
658 s États (xiiie au xixe siècle) On se figure, et l’on écrit souvent, qu’il a fallu quelque six siècles à la Suisse pou
659 ise de trente-trois ans, succédant à cinq siècles et demi d’alliances et de guerres entre petits États souverains, et d’in
660 ans, succédant à cinq siècles et demi d’alliances et de guerres entre petits États souverains, et d’inexistence d’un pouvo
661 nces et de guerres entre petits États souverains, et d’inexistence d’un pouvoir central. Et cela s’est produit entre le 17
662 ouverains, et d’inexistence d’un pouvoir central. Et cela s’est produit entre le 17 février et le 17 novembre 1848. Ce rac
663 entral. Et cela s’est produit entre le 17 février et le 17 novembre 1848. Ce raccourci demande quelques explications, qui
664 e les trois « communes » rurales d’Uri, de Schwyz et d’Unterwald, maîtresses des débouchés nord du Gothard. Ce col était l
665 ers d’une seule chaîne des Alpes les moitiés nord et sud du Saint-Empire. D’où son importance stratégique, commerciale et
666 ire. D’où son importance stratégique, commerciale et même culturelle. On n’insistera jamais assez sur le rôle décisif qu’i
667 qu’il devait jouer dans la formation de la Suisse et dans la détermination de la mission singulière de ce pays. En effet,
668 opératives forestières, l’immédiateté impériale ; et cela dès 1231, c’est-à-dire peu d’années après l’ouverture du col. Au
669 série de châteaux au nord de la Suisse actuelle, et qui ne cessaient d’étendre leurs domaines vers le Gothard. Lorsque Ro
670 t la menace grandir contre leurs libertés locales et contre leur mission de gardiens du Col. Et c’est pourquoi, au début d
671 ocales et contre leur mission de gardiens du Col. Et c’est pourquoi, au début du mois d’août 1291, — « considérant la mali
672 d’août 1291, — « considérant la malice des temps, et afin de se défendre et maintenir avec plus d’efficace », les trois co
673 érant la malice des temps, et afin de se défendre et maintenir avec plus d’efficace », les trois coopératives forestières
674 ster mutuellement de toutes leurs forces, secours et bons offices… envers quiconque tenterait de leur faire violence, de l
675 de les inquiéter ou molester, en leurs personnes et en leurs biens ». Et ce pacte devait « s’il plaît à Dieu, durer à per
676 molester, en leurs personnes et en leurs biens ». Et ce pacte devait « s’il plaît à Dieu, durer à perpétuité ». De fait, i
677 eur dans les communes lombardes, devait s’élargir et se compliquer au cours des siècles par l’adhésion ou la conquête de c
678 indépendants, abbayes, ligues locales, bailliages et pays sujets, toutes unités de langues et d’économies fort diverses. C
679 illiages et pays sujets, toutes unités de langues et d’économies fort diverses. Ce long processus d’agrégations contractue
680 ècle. Un enchevêtrement d’alliances particulières et un sens remarquable de la foi jurée devaient rester, pendant toute ce
681 ns. Cette expérience jacobine de « République une et indivisible » échoua contre la résistance presque unanime des peuples
682 contre la résistance presque unanime des peuples et des patriciats dépossédés. Dès 1802, Napoléon écrivait aux délégués h
683 s des siècles, soit par sa situation géographique et topographique, soit par les différentes langues, les différentes reli
684 es différentes langues, les différentes religions et cette extrême différence de mœurs qui existent entre ses diverses par
685 nt sa langue, sa religion, ses mœurs, son intérêt et son opinion ». L’année suivante, l’Acte de Médiation rétablissait l’i
686 le Diète composée de plénipotentiaires des États, et supprimait le terme de « citoyen suisse » qu’avait utilisé l’Acte de
687 nommait alors l’ensemble des petites républiques et des bailliages occupant l’espace délimité par les Alpes, le Jura, le
688 imité par les Alpes, le Jura, le lac de Constance et le Léman, n’était donc encore, après cinq siècles, guère plus qu’une
689 lliance visant à assurer leur sécurité collective et à unifier quelque peu leur politique étrangère. La formule du Pacte d
690 nifiées, aux portes mêmes de la Suisse : l’Italie et l’Allemagne. Le problème brûlant qui se posait aux Suisses, dans cett
691 onales, était celui du renforcement de leur unité et de la création d’un État. Il est remarquable qu’ils n’aient pas cherc
692 diversités linguistiques, religieuses, politiques et sociales. Ils ne se demandèrent pas : comment devenir une Nation ? ma
693 nt les seuls à le résoudre d’une manière efficace et durable. 2. Crise du Pacte fédéral (1815-1848) La crise ouverte
694 plus frappante. « La Suisse — a écrit l’historien et journaliste William Martin — ressemblait sous le Pacte de 1815 à l’Eu
695 ’armes, 87 mesures de grain, 81 pour les liquides et 50 poids différents. » Le régime monétaire n’était pas moins chaotiqu
696 ’entre eux. On ne comptait pas moins de 400 taxes et droits de péages sur les marchandises passant d’un canton à un autre
697 frontières extérieures » relève encore W. Martin, et il signale que le seul canton du Tessin « ne prélevait pas moins de t
698 ore, ses produits destinés à Genève par la Souabe et la France plutôt que par les routes suisses traversant une douzaine d
699 douzaine de frontières cantonales, par des routes et des ponts également frappés de droits. Si l’industrie suisse put surv
700 nditions, elle ne le dut qu’à l’initiative privée et à la haute qualité de sa main-d’œuvre, héritière d’un très vieil arti
701 s prétexte de défendre leurs privilèges douaniers et leur « sacro-sainte souveraineté » (comme l’écrivait dès 1829 le viei
702 on n’était pas meilleure. Nulle autorité centrale et incontestée ne pouvait parler au nom de la Suisse entière. La Diète r
703 ait qu’un bureau chargé de préparer les affaires, et changeait de résidence tous les deux ans.) Les pressions étrangères,
704 ne disposait que de contingents militaires levés et entretenus, chacun pour son compte, par les États souverains ? (Elle
705 le avait bien en propre une « caisse de guerre », et le droit de nommer le Général en chef, son état-major, et quelques fo
706 oit de nommer le Général en chef, son état-major, et quelques fonctionnaires, mais elle n’en dépendait pas moins du bon pl
707 rapidement. Un prolétariat industriel, misérable et inhumainement exploité s’était formé dans les cantons urbains ; et da
708 exploité s’était formé dans les cantons urbains ; et dans les cantons ruraux, les jeunes gens entreprenants s’expatriaient
709  radicales », se répandaient dans la bourgeoisie, et provoquèrent de nombreuses révolutions cantonales, visant et aboutiss
710 rent de nombreuses révolutions cantonales, visant et aboutissant souvent à déposséder le patriciat de ses droits exclusifs
711 ses droits exclusifs à gouverner. Cette agitation et ces déséquilibres sociaux devaient nourrir le mouvement de « Régénéra
712 seules entretenaient l’idéal d’une patrie commune et d’une véritable fédération, la Régénération conquit le pouvoir dans p
713 e une Diète formée de délégués d’États souverains et non de députés des peuples : « Lequel de nous n’a dû souvent déplorer
714 , être tour à tour les hommes de la Confédération et les hommes du canton… Il n’est, ce me semble, aucun motif de conserve
715 raison, d’ailleurs bien faible, de l’économie… » Et Rossi concluait en montrant les progrès « mémorables » réalisés par l
716 ables » réalisés par l’idée fédérale dans l’élite et les masses : « Oui, l’idée d’une commune patrie ne nous est point étr
717 d’une commune patrie ne nous est point étrangère… Et quoi qu’en disent les détracteurs des temps modernes, c’est une des g
718 s, les fêtes nationales, les sociétés littéraires et savantes, les vœux, les projets d’un grand nombre de cantons, et cett
719 s vœux, les projets d’un grand nombre de cantons, et cette anxiété elle-même, et ce malaise général qu’il est impossible d
720 nd nombre de cantons, et cette anxiété elle-même, et ce malaise général qu’il est impossible de méconnaître, et cette espé
721 aise général qu’il est impossible de méconnaître, et cette espérance que dans un nouveau Pacte, dans une confédération plu
722 quilibre vivant entre la souveraineté des cantons et leur union resserrée, les cantons conservant « tous les droits qui ne
723 gislatifs, exécutifs, judiciaires, administratifs et militaires, devait être transformée en un État moderne de forme fédér
724 à convaincre les partisans de l’esprit de clocher et de l’égoïsme cantonal. Les radicaux jugèrent le projet timide et trop
725 cantonal. Les radicaux jugèrent le projet timide et trop respectueux des souverainetés, les conservateurs et les catholiq
726 respectueux des souverainetés, les conservateurs et les catholiques le jugèrent révolutionnaire. La Diète l’enterra en 18
727 x seules réalités solides : le sentiment national et la souveraineté des cantons. Cependant la « chimère » restait à l’ord
728 harnement qu’eux-mêmes montrè­rent à le combattre et à refuser les évidences du bien commun, au nom des préjugés de la sou
729 s à conclure une alliance séparée, le Sonderbund, et à négocier l’intervention des puissances de la Sainte-Alliance, qui a
730 ssances de la Sainte-Alliance, qui avaient imposé et garanti le Pacte de 1815. Le Sonderbund pouvait compter sur l’appui d
731 ral), de Metternich, du tsar, du roi de Sardaigne et du roi de Prusse. La France lui fournit en secret des canons et des f
732 russe. La France lui fournit en secret des canons et des fusils. Lorsque les cantons libéraux décrétèrent le bannissement
733 libéraux (ou « radicaux ») détenaient la majorité et disposaient de contingents militaires supérieurs en nombre et en arme
734 nt de contingents militaires supérieurs en nombre et en armement. Mais ils savaient que les grandes puissances voisines se
735 pressentait que l’instauration d’une Suisse unie et libérale donnerait le signal du renversement de l’ordre imposé à l’Eu
736 fut suivie avec passion par l’opinion européenne, et apporta par son issue un encouragement efficace aux libéraux. Mais il
737 es. La campagne fut menée avec décision, rapidité et humanité. En 26 jours, les cantons catholiques, battus séparément, ét
738 ent à couvrir la dette de guerre des catholiques. Et dans l’atmosphère de réconciliation nationale ainsi créée, la Diète d
739 ulaire Ligue d’États en un État fédératif durable et fort. La commission de révision, nommée par la Diète et comprenant un
740 t. La commission de révision, nommée par la Diète et comprenant un délégué par canton, se réunit pour la première fois le
741 rer les travaux, éviter les discours démagogiques et les comptes rendus de presse qui « à peu d’exceptions près — comme le
742 es articles à une Commission, une seconde lecture et le vote final ne prirent en tout que six semaines. Le 27 juin, le pro
743 r prendre connaissance des résultats : 15 cantons et demi contre 6 et demi et 170 000 électeurs contre 72 000 (environ) ac
744 sance des résultats : 15 cantons et demi contre 6 et demi et 170 000 électeurs contre 72 000 (environ) acceptaient la Cons
745 s résultats : 15 cantons et demi contre 6 et demi et 170 000 électeurs contre 72 000 (environ) acceptaient la Constitution
746 ion jusqu’à nos jours. L’essor économique, social et culturel de la nouvelle Suisse unie fut immédiat. Aucune des catastro
747 ie fut immédiat. Aucune des catastrophes prédites et calculées par les adversaires de la fédération ne se produisit. Soupl
748 mbine les attributs d’un chef d’État à sept têtes et d’un cabinet de ministres ; on ne peut choisir plus d’un de ses membr
749 es différends de droit civil entre l’État central et les cantons, corporations ou particuliers. Enfin et surtout, le probl
750 les cantons, corporations ou particuliers. Enfin et surtout, le problème théoriquement tenu pour « insoluble » de l’aboli
751 é n’est pas limitée par la constitution fédérale, et , comme tels, ils exercent tous les droits qui ne sont pas délégués au
752 fixées à l’art. 3, leur constitution, la liberté et les droits du peuple (etc.). Si l’on ajoute que la Constitution assur
753 ablissement, de culte, d’association, de pétition et d’expression, et qu’elle établit l’égalité devant la loi ; qu’elle cr
754 ulte, d’association, de pétition et d’expression, et qu’elle établit l’égalité devant la loi ; qu’elle crée une armée fédé
755 fédérale ; qu’elle supprime les péages intérieurs et reporte les douanes aux frontières de la Confédération, quitte à inde
756 s cantons ; qu’elle uniformise les poids, mesures et monnaies, et nationalise les postes (les chemins de fer suivront plus
757 u’elle uniformise les poids, mesures et monnaies, et nationalise les postes (les chemins de fer suivront plus tard) mais l
758 t plus tard) mais laisse tout le domaine culturel et éducatif à la discrétion des cantons ; qu’enfin elle prévoit une proc
759 de 1848. Une quarantaine de révisions partielles, et la révision générale (de tendance un peu plus centralisatrice) opérée
760 d’expériences souvent amères, confirma les droits et les devoirs lentement élaborés par les divers régimes des républiques
761 s par les divers régimes des républiques locales, et créa d’un seul coup l’État qui se nomme désormais la Suisse. Cet acte
762 omme désormais la Suisse. Cet acte central, axial et décisif de l’histoire suisse appelle quelques commentaires qui en dég
763 n par la Diète, à sa ratification par les cantons et les peuples, et à sa mise en vigueur effective, paraît d’autant plus
764 à sa ratification par les cantons et les peuples, et à sa mise en vigueur effective, paraît d’autant plus remarquable que
765 n tout !) succédait à une longue période de crise et à des siècles de refus obstiné de tout pouvoir central. L’absence de
766 ouvoir central. L’absence de publicité des débats et le soin que l’on apporta à ne point passionner les esprits (au lendem
767 ner les esprits (au lendemain d’une guerre civile et religieuse)25 contribua sans nul doute à cette célérité d’exécution,
768 révue entre l’ordre (ou le désordre) traditionnel et le nouveau régime ; nul « système d’écluse » et nul délai d’applicati
769 l et le nouveau régime ; nul « système d’écluse » et nul délai d’application. Or la suppression, d’un trait de plume, des
770 ion, d’un trait de plume, des douanes intérieures et des entraves au libre établissement des citoyens d’un canton dans un
771 opposants comme devant fatalement semer le chaos et la ruine dans la vie économique du pays. On prédisait la faillite des
772 plus bas des diversités culturelles, des coutumes et traditions locales si chères aux Suisses. Ce furent ces craintes, pré
773 se révélèrent, dans le fait, « rêveries, chimères et utopies ». L’ascension économique d’un riche canton industriel comme
774 e Glarus (son voisin) plus lente, mais certaine ; et chacun conserva sa physionomie propre, nul mélange dégradant ne se pr
775 cosmopolites de Genève ; ils sont moins nombreux, et souvent, de moins ancienne tradition nationale… Si, à bien des égards
776 du mouvement des communes italiennes, françaises et flamandes, était apparu comme une réaction tardive, une exception, do
777 ui ait survécu au combat pour l’idée démocratique et communale au Moyen Âge ; elle représente le résultat d’une révolution
778 touffé après la première explosion d’enthousiasme et de violence populaire. Une dernière remarque s’impose. Elle concerne
779 entralistes unitaires. Leurs ennemis, catholiques et conservateurs, se disaient au contraire « fédéralistes », bien qu’ils
780 ui menaçait de diminuer les souverainetés locales et d’établir un lien fédéral efficace. De nos jours encore, ceux qui s’i
781 nnelle de nos pays. Cette contradiction apparente et purement verbale s’explique par la nature dialectique du fédéralisme,
782 e : elle exprime la vie même de la Confédération, et donne la formule générale de tous les débats qu’y soulèvent les quest
783 Les sources de l’histoire suisse sont cantonales et locales, jusqu’au xixe siècle. Nous ne pouvons songer à en donner ic
784 eizerbund, dans « Revue d’Histoire suisse », n. 1 et 2, 1924. Sur la Constitution de 1848 : F. Fleiner, Schweizer Bundesst
785 traits du Protocole de la Commission constituante et des journaux privés des membres de la Commission). Voir aussi : Fritz
786 que — fortement financée par le Genevois Eynard — et trouva dans cette passion un idéal commun, associant toutes les class
787 ion un idéal commun, associant toutes les classes et toutes les régions. 24. W. E. Rappard, dans son ouvrage essentiel su
788 mier professeur catholique à l’Académie de Calvin et l’ornement du Conseil représentatif genevois, avant de devenir ambass
789 résentatif genevois, avant de devenir ambassadeur et pair de France, et de mourir assassiné, chef du gouvernement pontific
790 , avant de devenir ambassadeur et pair de France, et de mourir assassiné, chef du gouvernement pontifical de Pie IX, en 18
791 ce de fédéralisme : la Suisse », L’Europe du XIXe et du XXe siècle, vol. 1, Milan, Carlo Marzorati, 1959, p. 465-476.
11 1959, Articles divers (1957-1962). La nature profonde de l’Europe (juin 1959)
792 issement du risque humain ; secret de notre ordre et aussi de notre désordre ; vertu de notre foi, et aussi de notre inqui
793 et aussi de notre désordre ; vertu de notre foi, et aussi de notre inquiétude, inséparable de la condition d’un homme loc
794 lle-même, de dépasser les conditions de sa nature et de transcender son destin au nom d’une vocation universelle. Qu’est-c
795 es, qui ont fait l’Europe. Sources grecque, juive et phénicienne, romaine, celte et germanique, arabe enfin ; et leur fusi
796 ces grecque, juive et phénicienne, romaine, celte et germanique, arabe enfin ; et leur fusion dégage une énergie dont le c
797 enne, romaine, celte et germanique, arabe enfin ; et leur fusion dégage une énergie dont le champ ne saurait être que la p
798 planète entière, conquérante d’abord, belliqueuse et commerçante par nécessité, spirituelle par vocation, puis unifiante.
799 ’une Europe qui n’existe que dans son dépassement et qui ne serait pas elle-même si elle n’était plus qu’elle-même. Quatre
800 qu’elle-même. Quatre constatations fondamentales, et que chacun peut vérifier sans peine, nous font voir que l’Europe se d
801 urope se définit d’abord par sa fonction mondiale et non par ses limites. 1. C’est l’Europe qui a conçu l’idée d’humanité,
802 ’un genre humain issu du Dieu unique de la Genèse et destiné au grand rassemblement « des nations et des langues » qu’anno
803 e et destiné au grand rassemblement « des nations et des langues » qu’annonce l’Apocalypse. Avec cette source judéo-chréti
804 du Portique, le « citoyen du monde » de Socrate. Et Plutarque loue Alexandre d’avoir voulu « réunir comme en un seul gran
805 eul grand vase tous les peuples du monde entier » et d’avoir « ordonné que tous considèrent la Terre comme leur patrie ».
806 iés d’un même corps, participant du même Esprit — et des notions conjointes d’Église et de personne dériveront plus tard l
807 même Esprit — et des notions conjointes d’Église et de personne dériveront plus tard le droit des gens, les droits de l’h
808 us tard le droit des gens, les droits de l’homme, et l’idée d’une « histoire universelle », dès Augustin. Dira-t-on que le
809 es notions analogues dans les religions de l’Inde et de la Chine ? Ces spécialistes sont Européens sans doute ; et, que l’
810 ne ? Ces spécialistes sont Européens sans doute ; et , que l’on sache, ces notions ne sont point parvenues à provoquer là-b
811 ent inventoriée adoptent aujourd’hui nos sciences et nos techniques, nos arts et notre hygiène, nos formes politiques, et
812 ourd’hui nos sciences et nos techniques, nos arts et notre hygiène, nos formes politiques, et plus souvent, hélas ! que no
813 nos arts et notre hygiène, nos formes politiques, et plus souvent, hélas ! que nos valeurs, nos délires caractéristiques,
814 met à l’école de nos techniques, de notre hygiène et de notre alphabet. Nul mouvement réciproque n’est encore observé, ni
815 er les substituts de l’ancienne route de la soie. Et son colonialisme honni fut aussi la première « mise en valeur » des p
816 n premier laboratoire. « Tout est venu à l’Europe et tout en est venu. Ou presque tout », dit Valéry. Mais je ne vois rien
817 la datation par le carbone 14, la manie publique et privée des collections, l’enregistrement des folklores sur disques, l
818 s sur les indigènes des îles Trobriand, les films et les microfilms accumulés dans les archives ; ce Musée est une inventi
819 ne invention, cette Mémoire du Monde est un acte, et cette immense Récapitulation du genre humain est une création de l’hi
820 utre que l’Europe a su tendre ce piège à l’espace et au temps de l’humanité totale ? Pour ce qui est venu de l’Europe, on
821 vention de l’Europe. Europe, patrie de la Mémoire et de l’invention, fomentées l’une par l’autre et complices à jamais, co
822 re et de l’invention, fomentées l’une par l’autre et complices à jamais, comme la systole et la diastole du cœur humain. E
823 r l’autre et complices à jamais, comme la systole et la diastole du cœur humain. Europe, donc, cœur du monde, et jamais pl
824 tole du cœur humain. Europe, donc, cœur du monde, et jamais plus qu’au siècle où, par nos œuvres et nos techniques, toutes
825 e, et jamais plus qu’au siècle où, par nos œuvres et nos techniques, toutes les autres parties de la Terre sont mises en c
826 otre siècle ? Les uns m’en paraissent incapables, et d’autres n’en ont le même besoin vital. Écartons pour longtemps l’Afr
827 r longtemps l’Afrique noire, le Sud-Est asiatique et les nations arabes. La Chine est encore loin de pouvoir vendre au mon
828 moderne de l’hégémonie), conception déjà dépassée et au surplus disqualifiée par ceux-là mêmes qui l’attaquent sous le nom
829 eut répondre que dans la mesure où elle est forte et saine : c’est la mesure de son intégration, c’est-à-dire de l’union d
830 e se haïr dans leurs manuels d’histoire primaires et secondaires, s’imaginent qu’on les voit différents, comme ils se voie
831 estant nez à nez. Les Américains les confondent ; et quant aux Asiatiques, ils les distinguent très mal, suprême outrage,
832 en revanche nous aimons d’amour l’Europe entière et sa culture. » Aucun de nos pays ne peut donc bénéficier du crédit qui
833 e, s’il se présente en tant que nation distincte. Et cela s’explique. Car les valeurs européennes, aux yeux du monde, ne s
834 esure où elles résultent de nos variétés infinies et de leur équilibre en tension. L’impossible solitude À ces nécess
835 ’impossible solitude À ces nécessités externes et globales, dictées par l’attente des élites d’outre-mer et par la conj
836 les, dictées par l’attente des élites d’outre-mer et par la conjoncture mondiale, répondent les nécessités internes de l’u
837 si : L’Europe est menacée, l’Europe est divisée, et la plus grave menace vient de ses divisions. Appauvrie, encombrée de
838 que ne saurait mener théoriquement qu’à la misère et ne mène pratiquement qu’à tomber sous la coupe d’un des deux « grands
839 t neutre parce qu’elle est au centre de l’Europe, et à cause d’une histoire très ancienne ; l’Autriche est neutre aussi pa
840 est neutre aussi parce qu’elle touche la Russie, et à cause d’histoires très récentes. Ainsi tout sert nos souverainetés,
841 out sauf les évidences économiques, géopolitiques et mondiales. Ces dernières finiront par s’imposer, si toutefois l’histo
842 histoire continue. Anticipons donc sur l’histoire et mettons entre parenthèses l’ère des souverainetés nationales, irréduc
843 ividuelles de toutes nos nations, sans exception, et les nécessités collectives de la conjoncture mondiale. Tenant compte
844 e la conjoncture mondiale. Tenant compte des unes et des autres, comment concevoir cette union ? On ne peut l’imaginer que
845 ’indiscipline foncière des vocations personnelles et communautaires. C’est de l’ensemble des tensions valables et fécondes
846 taires. C’est de l’ensemble des tensions valables et fécondes qui la tissent depuis deux-mille ans que l’Europe a tiré son
847 nstallations électriques, productrices de lumière et d’énergie, — comme le proposent en somme, au nom de la paix, les neut
848 rit de système tantôt paresseux, tantôt fanatique et jacobin, répugnent à concevoir l’équilibre en tension de réalités val
849 lités valables mais contradictoires comme l’union et l’autonomie — qui est le secret du fédéralisme. Mais tout ce qui a fa
850 enez le dogme : la Trinité est animée par l’union et la distinction de trois personnes. Prenez la musique : chaque voix ch
851 z, la vie. Tout ce qui vit, tout ce qui crée, vit et crée en dépit de cette tendance vers l’uniformité dont les victoires
852 le, seule conforme à la formule même de l’Europe, et n’ayant d’autre but que d’entretenir un foyer permanent d’animation m
853 aire, la religion, la nature du sous-sol exploité et l’idéologie qui règne à sa surface, l’histoire telle qu’on la fige da
854 re telle qu’on la fige dans les manuels scolaires et le système des échanges économiques, voire culturels, qui est mouvant
855 par définition. Cet incroyable amas de confusions et d’abus s’explique par la mentalité paysanne et bourgeoise, cadastrale
856 ns et d’abus s’explique par la mentalité paysanne et bourgeoise, cadastrale et chicanière des âges prétechniques. C’est el
857 r la mentalité paysanne et bourgeoise, cadastrale et chicanière des âges prétechniques. C’est elle encore qui impose aux s
858 t la tâche idiote de faire coïncider des surfaces et des dogmes, des accidents de terrain jadis notables et des organigram
859 s dogmes, des accidents de terrain jadis notables et des organigrammes de lignes aériennes. L’Europe unie du xxe siècle,
860 . L’Europe unie du xxe siècle, fonction mondiale et foyer de rayonnement planétaire, ne saurait donc être conçue selon le
861 chaïque d’un État-nation. Les questions de bornes et de passeports n’ont plus de quoi l’intéresser. Le problème, sans cess
862 lable », est une simple sottise à l’âge des ondes et des fusées intercontinentales. Un pôle d’énergie n’est pas défini par
863 mais par l’intensité de son pouvoir d’attraction et d’émission. Un bassin fluvial n’est pas défini par son contour, mais
864 s d’union C’est dans cette perspective ouverte et dynamique, celle d’une méthode pour fomenter de l’universel, non d’un
865 ait commencé en dépit de leurs calculs réalistes, et sans eux ? Ceux qui opposent aujourd’hui à la Petite Europe, déjà rée
866 omoteurs de la Petite Europe l’ont voulue petite, et que leurs détracteurs actuels la voulaient grande ou la voulaient du
867 i égale sur plus d’un point les grands États-Unis et dépasse bien souvent le « colosse » soviétique) n’est au fond qu’une
868 sans elle, pourtant, rien ne se fût mis en branle et l’on ne parlerait pas d’une zone de libre-échange. L’objectif évident
869 ge conduirait donc nécessairement à rater les Six et à agir contre l’Europe, qui se verrait rapetissée et non pas renforcé
870 à agir contre l’Europe, qui se verrait rapetissée et non pas renforcée. En revanche, vouloir ou escompter l’échec des Six
871 très alertée sur le « danger » de l’Europe unie, et cela depuis le congrès de La Haye dont nos journaux parlèrent à peine
872 lle », d’ailleurs prise trois semaines auparavant et qui chassa l’Europe des grands titres…) Opposer la Petite Europe à la
873 és à devenir ces Dix-Sept que tout en eux appelle et qui, à leur tour, pourront appeler les Six de l’Est : ce qui ferait a
874 Chain — selon la tradition des Pères de l’Église. Et quand les descendants de ces vingt-trois fils (ou « nations », ou mêm
875 ns majeures : étendre au monde entier ses mesures et ses lois, son idée du cosmos et son idée de l’homme. Ou plutôt ses id
876 ntier ses mesures et ses lois, son idée du cosmos et son idée de l’homme. Ou plutôt ses idées sur l’homme, son destin ou s
877 s propres fondements : une culture de la liberté, et qui trouve dans les risques qu’elle assume, qu’elle fomente à plaisir
878 lle fomente à plaisir comme pour mieux s’éprouver et se mettre elle-même au défi de les intégrer, ses chances les plus sûr
879 sans précédent, d’une culture devenue planétaire ( et sans rivaux sérieux, j’y reviendrai) nous oblige à revoir certaines c
880 e notre philosophie de l’histoire. De Montesquieu et de Gibbon au xviiie , jusqu’à Spengler et à Toynbee dans notre siècle
881 esquieu et de Gibbon au xviiie , jusqu’à Spengler et à Toynbee dans notre siècle, en passant par les philosophes du romant
882 ase. Mais les civilisations anciennes de l’Égypte et du Proche-Orient, prolongées par la grecque et la romaine, dont l’ess
883 te et du Proche-Orient, prolongées par la grecque et la romaine, dont l’essentiel vit dans la nôtre, sont-elles mortes ? L
884  ? Leurs conquêtes n’ont-elles pas été préservées et développées par le Musée et le Laboratoire européens, pour être diffu
885 es pas été préservées et développées par le Musée et le Laboratoire européens, pour être diffusées de nos jours sur toute
886 lle fortune. Ce sont les lois de Minos, de Dracon et de Solon, venues d’Égypte, le Décalogue et les Béatitudes, enfin le c
887 Dracon et de Solon, venues d’Égypte, le Décalogue et les Béatitudes, enfin le code de Justinien, d’où dérivent l’Habeas Co
888 code de Justinien, d’où dérivent l’Habeas Corpus et la Déclaration des droits de l’Homme, qui définissent aujourd’hui pou
889 ples de l’OTAN, la dignité de la personne humaine et les fondements de tout progrès social. Et non pas le système des clas
890 humaine et les fondements de tout progrès social. Et non pas le système des classes hindoues, ni le mandarinat, ni le Bush
891 ment détrônées régulièrement, puis métamorphosées et baptisées, au cours d’un processus qu’on ne voit aucune raison de nom
892 inoise, l’hindoue, l’indonésienne, les africaines et les américaines ; au surplus, entourées de Barbares mal connus. Les c
893 rs. L’URSS ? Elle s’essouffle à rattraper les USA et n’apporte rien de bien neuf — beaucoup d’archaïsme au contraire — à l
894 fique, initiée par l’Europe au nom de sa religion et rendue pour la première fois possible par sa technique. La Chine ? L’
895 ? Elles paraissent moins critiques à notre égard, et plus promptes à nous imiter, le pire inclus, et moins innovatrices qu
896 , et plus promptes à nous imiter, le pire inclus, et moins innovatrices que beaucoup d’entre nous, chrétiens ou athées pou
897 fédérer en temps utile, qu’y perdrait le monde ? Et je donne dès maintenant ma réponse personnelle, présumant que plus d’
898 rope vivante, le monde perdrait aussi les secrets et recettes d’un certain équilibre des contraires, d’une certaine formul
899 ogrès, qui est l’accroissement du risque humain ; et ce ne sont pas seulement les secrets de notre ordre, mais aussi de no
900 tude, inséparable de la condition d’un homme fini et localement déterminé, qui cependant veut l’universel. m. Rougemon
901 urope », Réalités, Paris, juin 1959, p. 80, 87-88 et 91.
12 1960, Articles divers (1957-1962). Éclipse ou disparition d’une civilisation ? (1960)
902 entière ses bienfaits, ses méfaits, ses produits et certaines de ses formes de vie. Mais en même temps, le xxe siècle a
903 iplier les prophètes de la décadence européenne : et ces prophètes sont tous, ou presque tous Européens. Au lieu d’entonne
904 ous savons maintenant que nous sommes mortelles. Et il ajoutait : Elam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues,
905 m, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces mondes avait aussi peu de signification pour n
906 i de beaux noms. Lusitania aussi est un beau nom. Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez grand pour
907 circonstances qui enverraient les œuvres de Keats et celles de Baudelaire rejoindre les œuvres de Ménandre ne sont plus du
908 les journaux. L’écho de cette page fut immense, et je sais peu de phrases plus fréquemment citées que celle qui annonce
909 se d’un de nos grands poètes, cette phrase résume et condense en quelques mots une assez longue tradition de pessimisme eu
910 lieux qui furent le théâtre de tant de splendeur, et je n’ai vu qu’abandon et que solitude… Qui sait si sur les rivages de
911 re de tant de splendeur, et je n’ai vu qu’abandon et que solitude… Qui sait si sur les rivages de la Seine, de la Tamise o
912 i ne s’assiéra pas un jour sur de muettes ruines, et ne pleurera pas solitaire sur la cendre des peuples et la mémoire de
913 pleurera pas solitaire sur la cendre des peuples et la mémoire de leur grandeur ? Une trentaine d’années plus tard, Hege
914 est « un individu dans la marche de l’Histoire » et qu’il obéit donc, comme tout individu, à une loi de croissance, d’épa
915 dividu, à une loi de croissance, d’épanouissement et de déclin fatal. Hegel pensait d’ailleurs que la civilisation europée
916 er que chacune d’elles devait fatalement décliner et mourir après une période d’apogée, — la nôtre aussi. Aux débuts du xx
917 est convaincu que toute culture est un organisme, et correspond morphologiquement à un individu, animal ou végétal. Il en
918 te inexorablement que toute culture est mortelle, et nous rejoignons la phrase de Valéry. Enfin Toynbee, dans un effort ad
919 is constantes de leur genèse, de leur croissance, et de leur dissolution inévitable. Ces historiens et philosophes, armés
920 et de leur dissolution inévitable. Ces historiens et philosophes, armés d’une écrasante érudition, ont d’autant moins de p
921 quant à l’état présent de l’Europe dans le monde, et que d’autre part, les plus grands esprits du siècle précédent n’ont c
922 s jours sur l’Europe : de Kierkegaard à Nietzsche et à Dostoïevski, de Tocqueville à Jacob Burckhardt, de Donoso Cortés à
923 e mondiale, les dictatures prévues par Burckhardt et Sorel s’instaurent en Russie, en Turquie, en Italie et en Allemagne.
924 rel s’instaurent en Russie, en Turquie, en Italie et en Allemagne. Les nationalismes et les racismes, dénoncés d’avance pa
925 uie, en Italie et en Allemagne. Les nationalismes et les racismes, dénoncés d’avance par Nietzsche, prolifèrent sur les ru
926 èrent sur les ruines de l’Empire austro-hongrois. Et bientôt cette Europe occupée à se déchirer à belles dents va se laiss
927 cher l’une après l’autre ses conquêtes coloniales et ses protectorats. Elle ne voit pas encore, mais elle pressent déjà la
928 à le communisme lui dispute non seulement en Asie et en Afrique, mais aux yeux d’une partie de sa propre jeunesse, son rôl
929 écroulement de l’hégémonie politique de l’Europe, et même le rendre, à vues humaines, définitif. Au surplus, les nouveaux
930 ines, définitif. Au surplus, les nouveaux empires et les peuples émancipés proclament déjà leur volonté de retourner contr
931 rner contre nous nos propres armes, tant sociales et morales que matérielles… N’est-ce pas assez pour justifier les prophè
932 Primo, l’hégémonie politique n’est pas toujours et nécessairement liée à la vitalité d’une civilisation. L’une peut exis
933 tuation, ni que la courbe de croissance, grandeur et décadence soit la même pour toutes les civilisations et surtout, dans
934 adence soit la même pour toutes les civilisations et surtout, dans tous les temps. Les prophètes de la décadence de l’Occi
935 s de la décadence de l’Occident, Spengler, Valéry et Toynbee, se fondaient sur le précédent de civilisations antiques aujo
936 civilisations antiques aujourd’hui « disparues », et particulièrement sur l’exemple le mieux connu des Européens, celui de
937 ivilisation présente certains caractères nouveaux et originaux, qui déterminent un destin non comparable, et même tout à f
938 ginaux, qui déterminent un destin non comparable, et même tout à fait différent à partir d’un certain moment, d’un certain
939 tre civilisation par rapport à toutes les autres, et quel seuil mondial elle aurait été la première et la seule à franchir
940 et quel seuil mondial elle aurait été la première et la seule à franchir, s’affranchissant ainsi des lois fatales, qui ont
941 ces deux groupes de cultures homogènes, uniformes et sacrées, la culture de l’Europe nous apparaît immédiatement comme à l
942 apparaît immédiatement comme à la fois pluraliste et profane. À cause de ses origines multiples — gréco-romaine, indo-chré
943 ples — gréco-romaine, indo-chrétienne, germanique et celtique, arabe et slave —, à cause des valeurs souvent contradictoir
944 e, indo-chrétienne, germanique et celtique, arabe et slave —, à cause des valeurs souvent contradictoires ou incompatibles
945 s’est trouvée fondée sur une culture de dialogue et de contestation. Elle n’a jamais pu, et surtout, elle n’a jamais voul
946 dialogue et de contestation. Elle n’a jamais pu, et surtout, elle n’a jamais voulu se laisser ordonner à une seule doctri
947 religion, sa philosophie, sa morale, son économie et ses arts. On a beau citer le Moyen Âge comme une période bénie d’unit
948 n Âge comme une période bénie d’unité des esprits et des cœurs, telle que l’a décrite Novalis : nous savons aujourd’hui qu
949 is : nous savons aujourd’hui qu’il n’en fut rien, et que les conflits qui déchirèrent le Moyen Âge ne furent pas moins vio
950 ue ceux que nous vivons. L’unité de notre culture et de la civilisation créée par cette culture, n’a jamais été autre chos
951 ermanente n’a pas produit seulement de l’anarchie et des guerres. Il a contraint les élites religieuses, intellectuelles e
952 contraint les élites religieuses, intellectuelles et politiques, et par elles la partie agissante des masses européennes,
953 lites religieuses, intellectuelles et politiques, et par elles la partie agissante des masses européennes, à développer ce
954 ective, le sens de la responsabilité personnelle, et le sens de la liberté. Ces trois vertus se conditionnent et s’impliqu
955 de la liberté. Ces trois vertus se conditionnent et s’impliquent mutuellement en Europe. En revanche, il est évident qu’e
956 is maintenant définir brièvement ces trois vertus et ce ne sera pas dans un esprit d’orgueil occidental, mais avec le souc
957 ritiers des premiers principes de la mathématique et de l’astronomie élaborés par les civilisations du Proche-Orient. Mais
958 u monde qu’il a créé. Dans nos rapports avec Dieu et le monde, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’illusions flatteuses,
959 s pouvons donc expliquer par des motifs religieux et philosophiques l’un des caractères les plus indiscutables de notre cu
960 a vérité, qui a pour corollaire le sens critique, et qui a permis le développement des sciences exactes, notamment. Voilà
961 la vérité dite objective, de la simple véracité, et du recours aux preuves par neuf. Il faut songer cependant que l’Asie
962 ves par neuf. Il faut songer cependant que l’Asie et l’Afrique ignorent cette exigence de l’objectivité, et professent un
963 Afrique ignorent cette exigence de l’objectivité, et professent un dédain notoire pour la simple véracité. Leurs cultures
964 doit répondre de ses actes à la fois devant Dieu et devant la société, donc devant son destin sur la terre comme au ciel.
965 sulte une double exigence de recueillement en soi et d’ouverture au monde, de méditation et d’action, ou traduit en langag
966 ent en soi et d’ouverture au monde, de méditation et d’action, ou traduit en langage moderne : de loisir vraiment libre, e
967 it en langage moderne : de loisir vraiment libre, et de travail. Ici encore, comparons avec ce qui se passe ou s’est passé
968 x-mêmes — dûment organisés — au travail productif et collectif, qui devient le seul but de la vie. Mais c’est un but imper
969 is c’est un but impersonnel, purement quantitatif et matériel, fixé par le gouvernement au nom d’une doctrine ennuyeuse ;
970 ine ennuyeuse ; c’est le but général, statistique et abstrait, sans relation directe ou immédiate avec le salut de la pers
971 nne, le bonheur, la sagesse, la saveur de la vie, et le sens même de chaque vie. Les cultures traditionnelles au contraire
972 ont tout réglé. D’où la paresse immense de l’Asie et de l’Afrique, — le climat tropical n’explique pas tout, loin de là !
973 climat tropical n’explique pas tout, loin de là ! Et lorsque les pays « sous-développés » revendiquent à grands cris et no
974 ys « sous-développés » revendiquent à grands cris et non sans haine une aide qui ne leur est due qu’au nom de l’amour chré
975 du prochain, la dignité de la personne distincte. Et certes, cela ne signifie pas théoriquement que la sagesse védantique,
976 nt qu’on ne peut pas « eat his cake and have it » et qu’il y a lieu de reconsidérer de part et d’autre la relation entre l
977 ve it » et qu’il y a lieu de reconsidérer de part et d’autre la relation entre les croyances fondamentales de nos cultures
978 entre les croyances fondamentales de nos cultures et le genre de vie que ces cultures permettent, soit pour modifier cette
979 ent lié à celui de la responsabilité personnelle, et que l’un n’irait pas sans l’autre. Un homme n’est vraiment libre que
980 a seule mesure où il est responsable de son sort, et à l’inverse, on ne saurait tenir un homme pour responsable de ses act
981 st de jouir des droits du citoyen à part entière, et tous ces éléments spirituels, juridiques, sociaux ou philosophiques,
982 ridiques, sociaux ou philosophiques, se combinent et permutent à doses variables dans notre idée de la liberté. Il n’est p
983 fficile à définir, plus facile à nier en théorie, et il n’est pas d’idée plus exaltante en fait pour les Européens de tout
984 ltante en fait pour les Européens de toute nation et de toute classe, de toute croyance et de toute incroyance. L’appel de
985 oute nation et de toute classe, de toute croyance et de toute incroyance. L’appel de la liberté, la revendication de la li
986 plus commun à tous les hommes de notre continent, et l’on peut voir en lui le plus proche équivalent de l’invocation au sa
987 peuples, c’est un sens emprunté à l’Europe, même et surtout s’il justifie un élan de révolte contre elle, prétextant un c
988 ens de la vérité objective dérivent nos sciences, et par suite, nos techniques ; du sens de la responsabilité personnelle,
989 de la liberté dérivent toutes nos institutions : et enfin, de la combinaison des trois vertus résulte notre dynamisme irr
990 e nous le devons, aux conflits spirituels, drames et tensions qui devaient nécessairement en résulter et qui nous condamna
991 tensions qui devaient nécessairement en résulter et qui nous condamnaient à la recherche, à l’invention, au dépassement p
992 cherche, à l’invention, au dépassement perpétuel, et souvent à l’émigration aventureuse, et toujours à l’exportation de no
993 perpétuel, et souvent à l’émigration aventureuse, et toujours à l’exportation de nos produits, donc au total, à l’expansio
994 siècle, voilà qui me paraît purement accidentel et relatif. Toute énergie, toute force physique ou spirituelle, peut êtr
995 uropéens qui ont développé les sciences physiques et naturelles, à un degré littéralement incomparable. Certes, les peuple
996 e, ce laboratoire du monde, a poussé les sciences et les techniques qui en dérivent jusqu’au point où elles permettent non
997 truire, ou de se transformer demain radicalement, et d’une manière imprévisible. Avant de concentrer leurs énergies sur ce
998 vec non moins d’audace, l’exploration de l’espace et du temps. L’espace d’abord. Ce sont les Européens qui ont découvert l
999 s Européens qui lui ont donné son contenu concret et ont seuls démontré sa conscience. On peut le dire : l’idée de genre h
1000 Ce sont les Européens qui ont inventé l’histoire et l’historiographie, avec tout ce que cela implique : philosophie de l’
1001 n tire, renouvellement des arts, sujets de romans et de pièces de théâtre, arsenal de citations pour les hommes politiques
1002 , arsenal de citations pour les hommes politiques et finalement : superstition moderne du « sens inévitable de l’histoire 
1003 à partir de la découverte géographique du monde. Et l’on sait le rôle décisif que ces sciences ont joué dans l’évolution
1004 iences ont joué dans l’évolution de la sociologie et de la psychologie analytique, autres inventions de l’Europe. Enfin, p
1005 tous les trésors ainsi ramenés du fond des temps et de l’espace, les Européens ont inventé le Musée. Et à partir de ces c
1006 de l’espace, les Européens ont inventé le Musée. Et à partir de ces condensations prodigieuses de siècles et de continent
1007 rtir de ces condensations prodigieuses de siècles et de continents que sont nos musées et bibliothèques, ils ont élaboré l
1008 s de siècles et de continents que sont nos musées et bibliothèques, ils ont élaboré les préalables d’une science comparée
1009 es préalables d’une science comparée des cultures et des civilisations, des religions et des arts, des morales et des gouv
1010 des cultures et des civilisations, des religions et des arts, des morales et des gouvernements et cette sociologie totale
1011 lisations, des religions et des arts, des morales et des gouvernements et cette sociologie totale, ou planétaire, prépare
1012 ons et des arts, des morales et des gouvernements et cette sociologie totale, ou planétaire, prépare elle aussi les voies
1013 voilà ce qu’elle offre désormais au monde entier, et elle ne peut faire autrement, car toutes les créations que je viens d
1014 s le monde, appellent le monde, s’en nourrissent, et toutes préparent son unité après avoir exploré ses variétés. La quest
1015 hniques, son hygiène, ses institutions politiques et sociales, son parlementarisme, ses syndicats, et tous ses arts et sa
1016 et sociales, son parlementarisme, ses syndicats, et tous ses arts et sa philosophie en tant qu’activités profanes, et tou
1017 parlementarisme, ses syndicats, et tous ses arts et sa philosophie en tant qu’activités profanes, et tous leurs procédés
1018 et sa philosophie en tant qu’activités profanes, et tous leurs procédés et un peu de leur logique… Mais l’Europe n’a pas
1019 ant qu’activités profanes, et tous leurs procédés et un peu de leur logique… Mais l’Europe n’a pas exporté sa sagesse régu
1020 trecroisées, d’innombrables tensions, déchirantes et fécondes. Le monde entier reçoit avec avidité nos machines, nos doctr
1021 avidité nos machines, nos doctrines, nos remèdes et nos poisons, et beaucoup de nos secrets de puissance matérielle — en
1022 hines, nos doctrines, nos remèdes et nos poisons, et beaucoup de nos secrets de puissance matérielle — en un mot, le monde
1023 l ne reçoit pas les valeurs religieuses, éthiques et philosophiques, qui expliquent seules la genèse de ces produits, et q
1024 qui expliquent seules la genèse de ces produits, et qui seules permettraient de les maintenir en composition. Le monde ch
1025 les plus douteux — le nationalisme, par exemple — et le retourne contre nous. Le monde entier s’européanise dans ses appar
1026 achines, hygiène, costumes, transports, urbanisme et architecture. Mais ce même monde méprise, ou ignore simplement notre
1027 e méprise, ou ignore simplement notre psychologie et notre spiritualité. Il exige nos machines, mais refuse notre éthique
1028 rs pouvoirs par ce monde même qu’ils ont suscité. Et Dieu sait de quelle manière les autres continents menacent d’abuser d
1029 il périlleux de l’ère mondiale. Moment dramatique et passionnant, dont il nous faut tâcher d’évaluer les risques angoissan
1030 ous faut tâcher d’évaluer les risques angoissants et les chances admirables. La crise de notre civilisation, provoquée par
1031 ire contre eux tous que je ne le crois nullement, et je vais en donner trois raisons principales. Première raison : la civ
1032 rée dans ses derniers recoins. Alexandre le Grand et les empereurs chinois s’imaginèrent qu’ils dominaient le monde entier
1033 ons aussi que toutes les villes nouvelles en Asie et en Afrique imitent nos villes modernes, leurs procédés de constructio
1034 rocédés de construction, leurs rues, leurs places et leur mairie, leurs hôpitaux et leurs écoles, et leurs hôtels et leurs
1035 rues, leurs places et leur mairie, leurs hôpitaux et leurs écoles, et leurs hôtels et leurs journaux, et même leurs embarr
1036 s et leur mairie, leurs hôpitaux et leurs écoles, et leurs hôtels et leurs journaux, et même leurs embarras de circulation
1037 , leurs hôpitaux et leurs écoles, et leurs hôtels et leurs journaux, et même leurs embarras de circulation. Nous savons bi
1038 leurs écoles, et leurs hôtels et leurs journaux, et même leurs embarras de circulation. Nous savons bien que tous les pay
1039 ous les pays neufs imitent nos parlements, partis et syndicats, et même parfois nos dictatures. Et nous savons que ce mouv
1040 eufs imitent nos parlements, partis et syndicats, et même parfois nos dictatures. Et nous savons que ce mouvement d’imitat
1041 tis et syndicats, et même parfois nos dictatures. Et nous savons que ce mouvement d’imitation s’opère à sens unique et n’e
1042 ue ce mouvement d’imitation s’opère à sens unique et n’est plus réversible. Mais comment expliquer ce phénomène sans précé
1043 nguait par là de toutes les autres, monolithiques et homogènes. Voilà sans doute pourquoi elle s’est trouvé la seule assez
1044 ourquoi elle s’est trouvé la seule assez complexe et multiforme pour pouvoir sinon satisfaire, du moins séduire tous les p
1045 ie, dans le monde d’aujourd’hui, plus de machines et d’assistants techniques que de livres et de missionnaires. Elle s’est
1046 machines et d’assistants techniques que de livres et de missionnaires. Elle s’est laïcisée, profanisée, et détachée du chr
1047 e missionnaires. Elle s’est laïcisée, profanisée, et détachée du christianisme qui a contribué de tant de manières à la fo
1048 ué de tant de manières à la former. Par là même — et c’est bien son drame en même temps que la condition de son « succès »
1049 s’est rendue plus transportable, plus acceptable et imitable qu’aucune autre. Mais il faut voir enfin que cette civilisat
1050 ot homme y était synonyme d’habitant de la vallée et du delta du Nil. Il y avait un mot différent pour désigner les habita
1051 s des terres voisines, à mi-chemin entre l’animal et l’Égyptien. Pour les Grecs et les Chinois également, il existait deux
1052 emin entre l’animal et l’Égyptien. Pour les Grecs et les Chinois également, il existait deux espèces différentes de bipède
1053 erticaux : les Grecs, ou les Chinois, d’une part, et les barbares, c’est-à-dire tous les autres, qui n’étaient pas vraimen
1054 -dire tous les autres, qui n’étaient pas vraiment et complètement humains. Ces très hautes civilisations devaient donc néc
1055 devaient donc nécessairement demeurer régionales, et décliner dans les limites de leur empire. En revanche, la conception
1056 ement, de considérer tous les hommes comme dignes et capables, un jour ou l’autre, de participer pleinement à l’effort civ
1057 créé les conditions techniques de sa conservation et de sa transmission aux âges futurs, en même temps qu’elle redécouvrai
1058 x âges futurs, en même temps qu’elle redécouvrait et faisait revivre des cultures disparues ou en voie d’extinction. Valér
1059 circonstances qui enverraient les œuvres de Keats et celles de Baudelaire rejoindre les œuvres de Ménandre ne sont plus du
1060 dans les journaux ». Depuis lors, on a retrouvé — et même joué — plusieurs comédies de Ménandre. Quant aux œuvres de Keats
1061 s comédies de Ménandre. Quant aux œuvres de Keats et de Baudelaire, et de Paul Valéry lui-même, reproduites dans le monde
1062 ndre. Quant aux œuvres de Keats et de Baudelaire, et de Paul Valéry lui-même, reproduites dans le monde entier, enregistré
1063 tes dans le monde entier, enregistrées sur bandes et sur microsillons, elles sont en mesure de résister au temps beaucoup
1064 que les fresques de Lascaux, les statues grecques et les temples des Pharaons menacés par les eaux d’un barrage. La mortal
1065 e des Hittites, plus près encore celles des Mayas et des Aztèques. Mais les civilisations anciennes de l’Égypte et du Proc
1066 ues. Mais les civilisations anciennes de l’Égypte et du Proche-Orient, prolongées par la grecque et la romaine, dont l’ess
1067 te et du Proche-Orient, prolongées par la grecque et la romaine, dont l’essentiel vit dans la nôtre, sont-elles vraiment m
1068  ? Leurs conquêtes n’ont-elles pas été préservées et développées par le Musée et le Laboratoire européens, pour être diffu
1069 es pas été préservées et développées par le Musée et le Laboratoire européens, pour être diffusées de nos jours sur toute
1070 lle fortune. Ce sont les lois de Minos, de Dracon et de Solon, venues de la Crète et de l’Égypte ancienne par la Grèce, ce
1071 Minos, de Dracon et de Solon, venues de la Crète et de l’Égypte ancienne par la Grèce, ce sont le Décalogue et les Béatit
1072 gypte ancienne par la Grèce, ce sont le Décalogue et les Béatitudes, c’est enfin le code de Justinien, d’où dérivent l’Hab
1073 code de Justinien, d’où dérivent l’Habeas Corpus et la Déclaration des droits de l’Homme, qui définissent aujourd’hui pou
1074 ples de l’OTAN, la dignité de la personne humaine et les fondements de tout progrès social ; et non pas le système des cas
1075 umaine et les fondements de tout progrès social ; et non pas le système des castes hindoues, ni le mandarinat, ni le Bushi
1076 pourrait pas le dire, car il n’en saurait rien. » Et il proposait de corriger comme suit le passage que je vous ai cité :
1077 certitude que nous ne mourrons jamais entièrement et que nos cendres sont fécondes. Le temps est passé où les civilisation
1078 xxe siècle, si tant d’écoles antiques de sagesse et de mystiques voient leurs livres sacrés publiés de nos jours et retro
1079 s voient leurs livres sacrés publiés de nos jours et retrouvent partout des fidèles, c’est par le fait des ethnographes, a
1080 c’est par le fait des ethnographes, archéologues et philosophes de l’Europe, poursuivant l’inventaire mondial qu’initière
1081 Renaissance nos Découvreurs de l’espace terrestre et du temps de l’humanité. Ceci m’amène à ma troisième raison d’avoir co
1082 ière où avait fleuri une civilisation déterminée. Et les autres n’en savaient rien. Mais ce fut plus souvent l’agression d
1083 s Germains submergeant Rome, soit plus audacieuse et prestigieuse, comme dans le cas de quelques centaines d’Espagnols s’e
1084 s d’Espagnols s’emparant de l’empire des Aztèques et des Incas. Il s’agissait dans tous ces cas, de civilisations locales,
1085 is ils sont nés de la substance même de l’Europe, et de nos jours ils s’européanisent à nouveau, plus profondément que l’E
1086 invention marxiste au sens politique de ce terme, et encore moins une invention soviétique. Ce n’est pas Popov qui l’a inv
1087 if allemand dont le père était devenu protestant, et qui écrivait en Angleterre pour le New York Herald Tribune ! Le marxi
1088 ork Herald Tribune ! Le marxisme est né en Europe et de l’Europe, au carrefour d’un débat séculaire entre la théologie chr
1089 ’un débat séculaire entre la théologie chrétienne et la philosophie des Lumières, au moment où se constituaient la sociolo
1090 ères, au moment où se constituaient la sociologie et la technologie, l’industrie, les nationalismes et la presse. On ne sa
1091 et la technologie, l’industrie, les nationalismes et la presse. On ne saurait imaginer complexe de forces spirituelles, mo
1092 imaginer complexe de forces spirituelles, morales et matérielles plus typiquement et plus incomparablement européen. Quant
1093 ituelles, morales et matérielles plus typiquement et plus incomparablement européen. Quant à l’électricité, dont parlait L
1094 nisme a renouvelé l’entreprise de Pierre le Grand et a pour la seconde fois européanisé la Russie. Et c’est l’URSS mainten
1095 et a pour la seconde fois européanisé la Russie. Et c’est l’URSS maintenant qui s’est chargée d’aider la Chine à liquider
1096 veau cheval de Troie de l’Occident : la Technique et tout ce qu’elle entraîne de proche en proche dans les mœurs et les mo
1097 ’elle entraîne de proche en proche dans les mœurs et les modes de penser d’une nation. Le fameux « bond en avant » de la C
1098 a guère été jusqu’ici qu’un bond vers l’industrie et vers le socialisme, inventés par l’Europe et parts intégrantes de sa
1099 trie et vers le socialisme, inventés par l’Europe et parts intégrantes de sa civilisation. Quant à l’Afrique noire, observ
1100 ption rapide des formes de vie politique, sociale et économique élaborées par l’Europe moderne. Résumons cela : je vois l’
1101  ? Je vais le dire : dans l’esprit des Européens, et pas ailleurs. III Devant le recul, ou la métamorphose prévisibl
1102 en que notre aveuglement sur nos propres pouvoirs et notre vocation. Aux yeux du monde, il n’y a qu’un seul péril sérieux 
1103 en fait que par les maladies qu’elle a produites et propagées elle-même. C’est dans ses sources, c’est au foyer de sa vit
1104 ation universaliste : je nommerai le nationalisme et la superstition matérialiste. Il en va du nationalisme comme de notre
1105 gènes de la Papouasie. Cette passion qui enfièvre et qui ruine l’Europe depuis près d’un siècle et demi, et que nous refus
1106 vre et qui ruine l’Europe depuis près d’un siècle et demi, et que nous refusons de prendre au tragique, cette passion, qua
1107 i ruine l’Europe depuis près d’un siècle et demi, et que nous refusons de prendre au tragique, cette passion, quand elle a
1108 nom de nos principes des revendications haineuses et délirantes. Forme collective de l’orgueil, antichrétienne par essence
1109 enne par essence, condamnée nommément par le pape et les chefs de toutes les églises, condamnée d’autre part par les condi
1110 s conditions mêmes de l’économie, de la technique et de la culture au xxe siècle, le nationalisme n’en poursuit pas moins
1111 emis. Quant au second virus secrété par l’Europe, et que je nommerai le matérialisme plat, il prend chez nous les formes l
1112 iverses. Il va du culte du confort chez l’ouvrier et le bourgeois, et de l’utilitarisme à courte vue chez le patron et le
1113 culte du confort chez l’ouvrier et le bourgeois, et de l’utilitarisme à courte vue chez le patron et le ministre, jusqu’à
1114 et de l’utilitarisme à courte vue chez le patron et le ministre, jusqu’à l’indifférence bovine de la grande masse aux réa
1115 des choses comme elles vont, inquiétude, passion et refus sans quoi la science et la technique, et les inventions qui les
1116 inquiétude, passion et refus sans quoi la science et la technique, et les inventions qui les créent, auraient tôt fait de
1117 on et refus sans quoi la science et la technique, et les inventions qui les créent, auraient tôt fait de se mettre en grèv
1118 ient tôt fait de se mettre en grève, de débrayer, et de nous livrer sans défense aux fanatiques du statu quo, par où j’ent
1119 s du statu quo, par où j’entends les bureaucrates et la police des États. Ces maladies de l’Europe sont plus dangereuses p
1120 rété Hitler, mais en douze ans, elle l’a éliminé, et je crois qu’elle s’en trouve immunisée pour très longtemps contre la
1121 vaient avertis. Le mal est venu, nous l’avons vu, et nous l’avons vaincu, en peu de temps, au prix de millions de morts, i
1122 temps, au prix de millions de morts, il est vrai… Et maintenant, ce n’est pas chez nous, mais chez les autres qu’il triomp
1123 isse Jacob Burckhardt, à la fin du siècle passé ; et le second dans un quotidien du parti communiste de Pékin, il y a deux
1124 as être éternellement abandonnées à leur pauvreté et à leur envie. Un certain degré contrôlé de misère, avec de l’avanceme
1125 in degré contrôlé de misère, avec de l’avancement et des uniformes, chaque journée commencée et terminée par un roulement
1126 cement et des uniformes, chaque journée commencée et terminée par un roulement de tambour, voilà ce qui doit logiquement s
1127 ptembre 1958 : À l’aube des trompettes sonnèrent et des sifflets retentirent pour le rassemblement de la population de la
1128 alignés. Sur l’ordre des commandants de compagnie et de brigades, les équipes, drapeaux en tête, se dirigèrent d’un pas ma
1129 ement vers les champs. On entend des pas cadencés et des chants de marche. L’habitude millénaire des paysans à vivre au pe
1130 ope de tels excès. Certes elle est née chez nous, et c’était bien chez nous que Burckhardt en avait pressenti les périls.
1131 son tour à nos poisons, au virus du nationalisme et au virus du matérialisme, cette forme d’asthénie du spirituel. C’est
1132 te, mais d’illustrer d’abord par l’exemple vécu — et pas seulement par nos discours — deux méthodes essentielles à la sant
1133 ilisation : — la première est le fédéralisme, art et science de l’union dans la diversité, donc art et science œcuméniques
1134 et science de l’union dans la diversité, donc art et science œcuméniques, universels par excellence ; — et la seconde, c’e
1135 cience œcuméniques, universels par excellence ; — et la seconde, c’est la recherche spirituelle, sans quoi la science elle
1136 ituelle, sans quoi la science elle-même s’endort, et la technique tourne en routine, et toutes nos libertés morales et civ
1137 même s’endort, et la technique tourne en routine, et toutes nos libertés morales et civiques s’enlisent dans l’euphorie d’
1138 tourne en routine, et toutes nos libertés morales et civiques s’enlisent dans l’euphorie d’un confort insipide, non plus l
1139 anière des drogues. L’union fédérale de l’Europe, et j’entends bien : de toutes les forces de l’Europe sociales autant que
1140 rces de l’Europe sociales autant que religieuses, et politiques autant que culturelles, cette union fédérale est la condit
1141 t la condition même de notre action dans le monde et pour le monde. Il nous faut l’Europe parce qu’il faut faire le monde.
1142 us faut l’Europe parce qu’il faut faire le monde. Et parce que l’Europe seule, en faisant le monde, accomplira sa propre v
13 1960, Articles divers (1957-1962). Un péché mortel : la désunion des chrétiens (mars 1960)
1143 enne est aussi une force historique, liée en fait et depuis plus d’un millénaire aux destins de l’Europe et de l’Occident,
1144 puis plus d’un millénaire aux destins de l’Europe et de l’Occident, encore qu’elle n’ait jamais cessé de se proclamer esse
1145 ais alors, c’est l’union de toutes les religions, et non pas seulement des chrétiens, que cet argument exigerait. La possi
1146 s : c’est de loin la religion la mieux organisée, et c’est la plus forte du monde par le nombre de ceux qui s’y rattachent
1147 es confessions dans les pays de l’Europe de l’Est et en Russie (on compterait, aux dernières nouvelles, sur 208 millions d
1148 s de Russes, 35 millions d’orthodoxes pratiquants et 3 millions de protestants baptistes, à quoi s’ajoutent les luthériens
1149 à quoi s’ajoutent les luthériens des pays baltes et les Arméniens du Caucase). Le PC russe n’a jamais dépassé 8 millions
1150 commandés par la substance même du christianisme et non point par des hypothèses sur son « succès » dans le monde et sur
1151 r des hypothèses sur son « succès » dans le monde et sur sa condition. Ces motifs sont bien évidents. Le christianisme est
1152 d’un Dieu unique, de l’Amour qui cherche l’union, et de la Vérité qui ne saurait être qu’une. C’est pour cela, et non poin
1153 rité qui ne saurait être qu’une. C’est pour cela, et non point en vertu d’une conjoncture mondiale actuelle ou prévisible,
1154 tuelle ou prévisible, que la désunion persistante et déclarée du monde chrétien est un scandale, j’entends bien : un scand
1155 térêt dernier de leur vie. Le christianisme a bel et bien donné au monde, et tout d’abord à l’Occident, cette formule de l
1156 e. Le christianisme a bel et bien donné au monde, et tout d’abord à l’Occident, cette formule de la communauté fondée sur
1157 , non sur la loi du sang, essentiellement ouverte et non pas exclusive. Mais les nécessités de l’organisation et les tenta
1158 exclusive. Mais les nécessités de l’organisation et les tentations de la puissance devaient faire prévaloir dans l’Église
1159 de l’unité formelle, qui n’est pas l’union libre et réelle, et qui eut tôt fait de transformer en divisions les diversité
1160 formelle, qui n’est pas l’union libre et réelle, et qui eut tôt fait de transformer en divisions les diversités spirituel
1161 nous en sommes, il nous faut constater qu’en fait et avant tout, ce qui s’oppose à la grande réunion, c’est paradoxalement
1162 n esprit de sagesse politique, toujours méfiante, et non de confiance évangélique. Car, s’il est vrai que l’Évangile deman
1163 rt. Chaque Église a son Ange, selon l’Apocalypse, et c’est sa vocation distincte. « Il y a plusieurs demeures dans la mais
1164 Églises. L’ambition unitaire me paraît utopique, et sa poursuite n’évoque en moi que des images qui offensent la pudeur s
1165 ce me paraît au contraire praticable hic et nunc, et déjà pratiquée par beaucoup. Qu’en est-il de cette existence, dans le
1166 le dogme entre docteurs de ces mêmes confessions. Et frappé plus encore par l’ignorance naïve où les fidèles eux-mêmes dem
1167 a divinité du Christ, ont supprimé les sacrements et n’ont guère qu’un seul dogme, qui est le libre examen. Et beaucoup de
1168 guère qu’un seul dogme, qui est le libre examen. Et beaucoup de protestants sont convaincus que l’Église catholique ignor
1169 gatoire. En revanche, combien savent-ils, de part et d’autre, que, dans toutes les Églises chrétiennes, la catholique et l
1170 ans toutes les Églises chrétiennes, la catholique et l’orthodoxe, l’anglicane et la luthérienne, et celles qui sont issues
1171 iennes, la catholique et l’orthodoxe, l’anglicane et la luthérienne, et celles qui sont issues du calvinisme, tous les dog
1172 ue et l’orthodoxe, l’anglicane et la luthérienne, et celles qui sont issues du calvinisme, tous les dogmes fondamentaux su
1173 r Dieu, le Christ, le Saint-Esprit, l’Incarnation et la Résurrection, sont communément professés ; qu’un même Credo y est
1174 lu tous les dimanches, le même Évangile annoncé, et le même Notre Père prié ; que les grands moments de la liturgie, les
1175 les formules de la consécration, de la communion et du baptême, celles du mariage et de la confirmation sont toujours ide
1176 de la communion et du baptême, celles du mariage et de la confirmation sont toujours identiques par l’esprit, et plus sou
1177 nfirmation sont toujours identiques par l’esprit, et plus souvent qu’on le croit par la lettre ; que les mêmes fêtes princ
1178 ; que les mêmes fêtes principales sont observées, et la même morale enseignée ; et que cela compte finalement davantage qu
1179 les sont observées, et la même morale enseignée ; et que cela compte finalement davantage que les vêtements ecclésiastique
1180 l’Europe au cours de siècles, qui me passionnent, et que les fidèles ignorent. Que faudrait-il pour rapprocher tous ces fi
1181 tuelle (par exemple assister au culte des autres) et l’interdiction solennelle d’enseigner ou de tolérer les préjugés et l
1182 solennelle d’enseigner ou de tolérer les préjugés et les clichés des nationalismes religieux. J’ai fait depuis longtemps u
1183 ionnée que je poursuis des tempéraments religieux et de leurs formes d’expression : c’est que dans le sein d’une même Égli
1184 ier selon les temps de protestante ou catholique, et sur lesquelles la dogmatique confessionnelle a peu de prise. Un seul
1185 serai dire qu’il y a plus : en dépit des formules et définitions dogmatiques, si l’on s’en tient aux attitudes existentiel
1186 . Quant à ceux qui savent englober dans une seule et même Église les deux tendances — anglicans, luthériens de Suède et d’
1187 s deux tendances — anglicans, luthériens de Suède et d’Amérique — ils ouvrent la voie de l’union. Le renouveau des études
1188 al (un peu forcée) dans l’orthodoxie gréco-russe, et l’union des Églises de l’Inde, sont autant de signes visibles d’une m
1189 ion » des chrétiens : qu’un fidèle, en tous lieux et tous temps, n’importe où, dans le monde entier, puisse entrer au sanc
1190 trer au sanctuaire qui s’offre au coin de la rue, et s’unir à l’Auteur de sa foi, ayant dit le credo commun, qui se compre
1191 e sait, dans toutes les langues. Combien d’hommes et de femmes hésitant longuement sur le seuil fascinant d’une église — j
1192 tel, reconnaîtraient qu’ils sont enfin chez eux ! Et je songe à tous ceux que laisse insatisfaits la confession dans laque
1193 lèmes concrets de mon temps, économiques, sociaux et politiques (je crains d’avoir lancé le terme d’engagement). Mais je n
1194 le dossier « Le concile de la dernière chance », et est introduit par cette note : « L’auteur de L’Amour et l’Occident
1195 introduit par cette note : « L’auteur de L’Amour et l’Occident et de L’Aventure occidentale de l’homme (que les lecteu
1196 ette note : « L’auteur de L’Amour et l’Occident et de L’Aventure occidentale de l’homme (que les lecteurs de Réalités
1197 articles sur “La fin du pessimisme” en juin 1957 et “La nature profonde de l’Europe” en juin 1959) est l’un des plus gran
14 1960, Articles divers (1957-1962). Le nationalisme et l’Europe (mars 1960)
1198 Le nationalisme et l’Europe (mars 1960)p Le nationalisme, dans les peuples du tiers-m
1199 pas à le définir : ses motivations sont ailleurs, et surtout, elles sont antérieures à la nécessité présente de l’union, a
1200 être histoire. Il est né d’une dialectique idéale et non du jeu des forces économiques, qu’il a faussé en y intervenant, e
1201 ces économiques, qu’il a faussé en y intervenant, et qui tend à l’éliminer dans la mesure où il tend à se normaliser. Plut
1202 t donc que de retracer la chronique des triomphes et des méfaits du nationalisme en Europe, — ce serait refaire l’histoire
1203 bien se confond donc avec le bien de l’humanité, et ses ennemis sont ceux de la paix universelle ; pour leur imposer notr
1204 leur imposer notre bien, toute guerre est sainte, et de plus elle est préventive, car il s’agit de défendre contre les jal
1205 it de défendre contre les jaloux, les rétrogrades et les impurs, le trésor dont nous avons la garde ; or la guerre a ses e
1206 scipline absolue des individus, de leurs réflexes et de leur pensée même, lutte contre les factions, centralisation des po
1207 que c’est de la France que doit partir la liberté et le bonheur du monde. Il faut donc protéger par les armes cette Franc
1208 rmes cette France qui annonce la paix universelle et qui représente la liberté. Deux ans plus tard, le 9 novembre 1792, la
1209 bats sera un pas de fait vers la paix, l’humanité et le bonheur des peuples. Déjà, le Patriote français avait publié le 1
1210 t plus que cette heureuse diversion pour attaquer et renverser leurs tyrans… C’est à cette guerre sainte qu’Anacharsis Clo
1211 té, elle est en pleine révolte contre le bon sens et le bonheur ; elle coupe les canaux de la prospérité universelle ; sa
1212 ant par la base, sera contradictoire, journalière et chancelante. (Discours à la Convention, 26 avril 1793.) Mais ce libé
1213 y oppose ; cette résistance est un état de guerre et de servitude dont le genre humain, l’être suprême, fera justice tôt o
1214 emandait la suppression des gouvernements locaux, et leur remplacement par une République mondiale dont le centre serait P
1215  : Un corps ne se fait pas la guerre à lui-même, et le genre humain vivra en paix, lorsqu’il ne formera qu’un seul corps,
1216 ulerons ici pour ceux qui ne nous ont pas commis, et non en faveur de ceux au profit desquels nous pouvons stipuler. J’aim
1217 r l’Europe, le délire d’unité universelle nivelée et centralisée, devait conduire la Révolution, par une nécessité concrèt
1218 national », au nationalisme agressif. Dantonistes et jacobins, au nom de la paix et de la fraternité universelle, ont décl
1219 essif. Dantonistes et jacobins, au nom de la paix et de la fraternité universelle, ont déclenché les premières guerres nat
1220 s mêmes prémisses rousseauistes que les jacobins, et de la même ambition de paix universelle que Kant son maître, J. G. Fi
1221 Unis par une même origine, par les mêmes coutumes et les mêmes conceptions primitives des forêts de Germanie, ils furent a
1222 romain d’Occident, par une même religion commune et la même soumission au chef visible de cette dernière. … Plus tard seu
1223 rd seulement, avec l’introduction du droit romain et l’application des concepts romains concernant les Imperators aux rois
1224 mains concernant les Imperators aux rois modernes et à l’empereur moderne qui, sans doute à l’origine, ne fut considéré qu
1225 couvents, — commencèrent à avoir cours des idées et des institutions proprement politiques… Les États modernes se sont ai
1226 droit la formation d’un État par le rassemblement et la réunion d’individus isolés sous l’unité de la loi, mais plutôt par
1227 l’unité de la loi, mais plutôt par la séparation et la division d’une seule grande masse humaine, faiblement unie. Ainsi
1228 s. Si toute l’Europe chrétienne avec les colonies et les places de commerce qui s’y sont ajoutées dans les autres parties
1229 l’on veut sortir de l’état d’anarchie commerciale et politique où nous vivons. Si l’on veut supprimer la guerre, il faut
1230 btienne ce qu’il projette d’obtenir par la guerre et ce que seulement il peut projeter raisonnablement d’obtenir : ses fro
1231 ns les mains des citoyens, c’est-à-dire tout l’or et l’argent, sera retirée de la circulation et échangée contre une nouve
1232 l’or et l’argent, sera retirée de la circulation et échangée contre une nouvelle monnaie nationale, c’est-à-dire n’ayant
1233 en vue de restreindre périodiquement ce commerce et de le faire cesser entièrement après un laps de temps déterminé. Il l
1234 sûrement ce but. Il doit y marcher avec méthode, et ne laisser passer aucun moment sans retirer quelque avantage en faveu
1235 fabriques calculées pour les débits à l’étranger, et consacre les bras qui travaillaient jusqu’ici pour les étrangers à de
1236 mais à rendre la nation entièrement indépendante et autonome. Ce ne sont pas seulement les échanges commerciaux qu’il fa
1237 aut supprimer, mais aussi les échanges culturels, et le tourisme. Seule exception prévue : les voyages des savants. Et ce
1238 Seule exception prévue : les voyages des savants. Et ce trait rappelle avec une étrange précision les pratiques totalitair
1239 es totalitaires du xxe siècle : Le savant seul, et l’artiste supérieur ont besoin de voyager hors de l’État commercial f
1240 être permis plus longtemps à une vaine curiosité et à la recherche de distractions de transporter en tout pays leur ennui
1241 ’effectuent pour le plus grand bien de l’humanité et de l’État ; loin de les empêcher, le gouvernement devrait même les en
1242 cher, le gouvernement devrait même les encourager et faire voyager aux frais de l’État savants et artistes. Il est évident
1243 ager et faire voyager aux frais de l’État savants et artistes. Il est évident que dans une nation ainsi fermée, dont les m
1244 i fermée, dont les membres ne vivent qu’entre eux et fort peu avec des étrangers, qui acquiert par suite des mesures indiq
1245 res indiquées sa façon de vivre, son organisation et ses mœurs particulières, qui aime avec dévouement la patrie et tout c
1246 particulières, qui aime avec dévouement la patrie et tout ce qui est de la patrie, l’honneur national se développera très
1247 le seule, les hommes s’uniront de manière durable et ils le doivent, quand pour tout le reste, leur division en peuples di
1248 es particulières… Ce système une fois généralisé, et la paix perpétuelle établie parmi les peuples, aucun État sur terre n
1249 t ne peut les utiliser que pour lui à l’intérieur et nullement pour en asservir d’autres et pour s’attribuer sur eux une p
1250 ’intérieur et nullement pour en asservir d’autres et pour s’attribuer sur eux une prépondérance quelconque. De toutes les
1251 reconnaissant l’Europe pour leur patrie commune, et d’un bout à l’autre du continent cherchent les mêmes choses et sont a
1252 à l’autre du continent cherchent les mêmes choses et sont attirés par les mêmes buts… ». Cette tendance unitive fournit à
1253 e de la culture européenne, portée par la Science et libérée de tout impérialisme… Nous n’en sommes peut-être pas loin dan
1254 sus dialectique » aura coûté plus cher à l’Europe et au monde que Fichte ne pouvait l’imaginer vers 1800 : ne fut-ce que p
1255 00 : ne fut-ce que par la collusion de la science et des nationalismes, ces derniers étant doublement liés à la guerre par
1256 nt doublement liés à la guerre par leur naissance et par la loi de leur formation historique. Cette liaison nécessaire, He
1257 ! » inaugurait une ère nouvelle, née de la guerre et vivant d’elle. « Vive la Nation » ne signifie pas « Vive mon pays »,
1258 ces intérieures. L’État y répondra par la Terreur et par la guerre. Car, dit Hegel : Les nations divisées en elles-mêmes
1259 es créées par la volonté d’uniformiser le peuple, et des tensions externes créées par l’idéal missionnaire qui amène le Pa
1260 juge ! » pense l’État-nation né de la Révolution et qui se sait illégitime dans sa prétention à régner au nom de tous con
1261 os foyers »30, il mobilise l’instinct patriotique et opère sur lui la première en date de toutes les nationalisations ; ce
1262 ommunautés locales, des attachements sentimentaux et des intérêts de groupe. Notons au passage que la guerre, qu’elle soit
1263 t son esprit national. » (On voit donc que nation et Patrie diffèrent pour lui comme esprit et nature.) Cet esprit nationa
1264 nation et Patrie diffèrent pour lui comme esprit et nature.) Cet esprit national est « un individu dans la marche de l’Hi
1265 ant, donc par la guerre), puis fatalement décline et meurt. Chaque peuple mûrit un fruit ; son activité consiste à accomp
1266 tteinte, il n’a plus rien à faire dans le monde. Et encore : À chaque époque domine le peuple qui incarne le plus haut c
1267 ix, de « végéter » précise Hegel, dans le bonheur et sans histoire. Nous assistons au transfert décisif de l’idée de vocat
1268 passant des personnes aux nations. II. nation et Liberté, ou le grand paradoxe de 1848 Mais cet État-nation, une fo
1269 a Race des maîtres, le Herrenvolk, le Prolétariat et sa dictature… Pourquoi ce beau système d’évolution globale vers l’har
1270 terme même du processus de formation des grandes et petites nations européennes, qui était censé produire la paix univers
1271 nes, qui était censé produire la paix universelle et qui a produit la Première Guerre mondiale ? Le romantisme, en appelan
1272 trôler, mais que seuls les États surent exploiter et bientôt nationaliser. De ce tragique malentendu, les poètes de la gén
1273 e 48 furent les premières victimes, enthousiastes et bernées. Ils croient tous que nation égale liberté. Ils s’inspirent t
1274 s intérieurs ou étrangers, c’est libérer l’Europe et le genre humain. En fait, la liberté de la nation, une fois acquise,
1275 que la souveraineté de l’État qui s’en prévaudra. Et l’anarchie des souverainetés divinisées, refusant toute instance supé
1276 tards échoue dans les manuels d’écoles primaires, et s’y dénature en nationalisme, culte laïque de l’État. Le mouvement Je
1277 ion industrielle les moyens d’unifier l’humanité, et qui, en attendant, achève de la subjuguer par les armes, ne s’est mon
1278 mes, ne s’est montrée à la fois moins humanitaire et moins unie. Tout se fait par les États et dans leur cadre au profit d
1279 nitaire et moins unie. Tout se fait par les États et dans leur cadre au profit de leurs intérêts immédiats, mal calculés e
1280 profit de leurs intérêts immédiats, mal calculés et au détriment de tout équilibre mondial. Et c’est pourquoi les grands
1281 lculés et au détriment de tout équilibre mondial. Et c’est pourquoi les grands esprits de la fin du xixe siècle, enregist
1282 dissolution de l’idéal européen, de Ranke à Renan et de Nietzsche à Sorel aboutiront à une série de prophéties uniformémen
1283 textes jalonnant cette double évolution des idées et des faits, en divergence vertigineuse, qui devait nous mener à 1914.
1284 Henri Heine épouse au début l’idéologie de Herder et des romantiques allemands : celle d’une Europe des nationalités, qu’i
1285 lution historique : Tous les peuples de l’Europe et du monde devront traverser cette agonie, pour que la vie surgisse de
1286 cette agonie, pour que la vie surgisse de la mort et pour qu’à la nationalité païenne succède la fraternité chrétienne. P
1287 zinien d’une « Internationale des nationalités », et il loue Herder d’avoir considéré l’humanité « comme une grande harpe
1288 rand maître », chaque nation étant une des cordes et contribuant par un son particulier à « l’harmonie universelle ». Il n
1289 nse des diversités européennes, pour les Hongrois et les Polonais écrasés par la Russie, elle est le synonyme concret des
1290 st le synonyme concret des libertés élémentaires. Et malheur à l’Europe si elle abandonne ces peuples ! Voici deux textes
1291 groise, Lajos Kossuth, qui put émigrer en Europe, et au poète-soldat Alexandre Petőfi, aide de camp du général polonais Be
1292 dre Petőfi, aide de camp du général polonais Bem, et qui fut tué dans un combat. Kossuth, à Bruxelles en 1859 : Je me bor
1293 epuis le ixe siècle, que sa gloire dans le passé et ses espérances dans l’avenir, que la mémoire des incalculables servic
1294 culables services rendus par elle à la chrétienté et à la civilisation, que l’immense intérêt que l’Europe porte à sa vigo
1295 elle reste la Hongrie. Enlevez-lui cette qualité, et elle n’est plus rien pour l’Europe, si peu que rien même ; car elle n
1296 -garde de la monarchie universelle de la Russie. Et Petőfi, dans son poème de 1848 intitulé « Silence de l’Europe » : L’
1297 ’Europe se tait… Honte à cette Europe silencieuse Et qui n’a pas conquis sa liberté ! Lâches, les peuples t’ont abandonné
1298 ns la capitale du monde, elle jugera les nations. Et elle dira à la première : Voilà que j’étais attaquée par les brigands
1299 re : Voilà que j’étais attaquée par les brigands, et je criais vers toi, nation, afin d’avoir un morceau de fer pour défen
1300 tion, afin d’avoir un morceau de fer pour défense et une poignée de poudre, et toi tu m’as donné un article de gazette. Ma
1301 eau de fer pour défense et une poignée de poudre, et toi tu m’as donné un article de gazette. Mais cette nation répondra :
1302 tte nation répondra : Quand m’avez-vous appelée ? Et la Liberté répondra : J’ai appelé par la bouche de ces pèlerins, et t
1303 ndra : J’ai appelé par la bouche de ces pèlerins, et tu ne m’as pas écoutée ; va donc en servitude, là où il y aura le sif
1304 servitude, là où il y aura le sifflement du knout et le cliquetis des ukases. … Les Puissances ont rejeté votre pierre de
1305 es ont rejeté votre pierre de l’édifice européen, et voici que cette pierre deviendra la pierre angulaire et la clef de vo
1306 ci que cette pierre deviendra la pierre angulaire et la clef de voûte de l’édifice futur ; et celui sur qui elle tombera,
1307 ngulaire et la clef de voûte de l’édifice futur ; et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera, et celui qui se heurtera
1308 ; et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera, et celui qui se heurtera contre elle, il tombera et ne se relèvera point
1309 et celui qui se heurtera contre elle, il tombera et ne se relèvera point. Et du grand édifice politique européen, il ne r
1310 contre elle, il tombera et ne se relèvera point. Et du grand édifice politique européen, il ne restera pas pierre sur pie
1311 rti. Philosophe, théologien, homme d’État libéral et catholique, qui fut mêlé aux conspirations républicaines de 1833, exi
1312 onspirations républicaines de 1833, exilé à Paris et à Bruxelles, puis réhabilité par le Piémont dont il devint le Premier
1313 fut un néo-guelfe. Il voulait l’union de l’Italie et il voulait aussi l’union de l’Europe : l’une étant condition de l’aut
1314 ein duquel toutes les « nationalités » politiques et spirituelles, sauvegardant leur diversité, entreraient dans un rappor
1315 e : La dictature du pape, chef civil de l’Italie et ordonnateur de l’Europe, sera le fondement des diverses chrétientés n
1316 uvrage publié à Bruxelles : De la primauté morale et civile des Italiens, que l’on appelle en Italie Il Primato, et qui eu
1317 Italiens, que l’on appelle en Italie Il Primato, et qui eut un succès retentissant. Dans son traité Della Nazionalità ita
1318 ectique » de la cité à la nation, puis à l’Europe et au monde : Christ, en assignant pour but terrestre ultime à la socié
1319 , en tant qu’amphictyonie des nations chrétiennes et degré supérieur du processus d’unification qui tend à embrasser le ge
1320 enre humain, n’a pas d’autre origine. La Pologne et la Hongrie sont des nationalités opprimées et qui ont perdu l’indépen
1321 gne et la Hongrie sont des nationalités opprimées et qui ont perdu l’indépendance ; l’Allemagne et l’Italie sont des natio
1322 ées et qui ont perdu l’indépendance ; l’Allemagne et l’Italie sont des nations encore à naître. On conçoit que pour ces pa
1323 dée nationale se confonde avec l’idée de Liberté, et s’harmonise avec l’idée d’Europe unie : une nation en devenir n’a pas
1324 grands aînés, de l’Espagne, de la Grande-Bretagne et de la France, ces modèles de l’État national fortement constitué et q
1325 es modèles de l’État national fortement constitué et qui ne veut rien devoir à personne ? À la différence de l’Espagne, qu
1326 férence de l’Espagne, qui se replie sur son passé et dans son génie, de la Grande-Bretagne dont les ambitions se déploient
1327 retagne dont les ambitions se déploient outre-mer et qui voit d’un bon œil les puissances du Continent se multiplier, « s’
1328 ces du Continent se multiplier, « s’équilibrer », et en fait se neutraliser, la France de 48 se considère comme une nation
1329 besoin, « les mouvements légitimes de croissance et de nationalité des peuples ». Cependant, elle n’entend pas : incendi
1330 place sur l’horizon des peuples pour les devancer et les guider à la fois… La raison, rayonnant de partout, par-dessus les
1331 qui sera l’achèvement de la Révolution française et la constitution de la fraternité internationale sur le globe. Miche
1332 ciel, c’est-à-dire de moins fatal, de plus humain et de plus libre dans le monde, c’est l’Europe, de plus européen, c’est
1333 ansfiguration » des idéaux de 48 en un européisme et en un mondialisme sublimes, achevant ainsi — mais dans l’imaginaire —
1334 ce qu’il n’est pas suspect de nationalisme borné, et parce qu’il fut au xixe siècle le prophète le plus exalté de l’union
1335 se ambiguïté de l’idée nationale. Cette généreuse et sincère volonté de se perdre dans l’universel, de se transfigurer en
1336 re dans l’universel, de se transfigurer en Europe et en monde, ne sera-t-elle pas nécessairement interprétée par les autre
1337 r secret de gagner tout l’univers au style de vie et de pensée d’une « nation mère » ? Parlant des « sauvages » de l’Empir
1338 Hercule ou par l’ascension comme Jésus-Christ […] et c’est ainsi qu’Athènes, Rome et Paris sont pléiades. Lois immenses. L
1339 Jésus-Christ […] et c’est ainsi qu’Athènes, Rome et Paris sont pléiades. Lois immenses. La Grèce s’est transfigurée, et e
1340 ades. Lois immenses. La Grèce s’est transfigurée, et est devenue le monde chrétien ; la France se transfigurera et deviend
1341 ue le monde chrétien ; la France se transfigurera et deviendra le monde humain. La Révolution de France s’appellera l’évol
1342 aînée. […] Cette nation aura pour capitale Paris, et ne s’appellera point la France ; elle s’appellera l’Europe. Elle s’ap
1343 ’Europe. Elle s’appellera l’Europe au xxe siècle et , aux siècles suivants, plus transfigurée encore, elle s’appellera l’H
1344 u sujet de son petit pays : La Suisse a clarifié et réalisé dans son domaine des idées et des principes féconds pour l’en
1345 a clarifié et réalisé dans son domaine des idées et des principes féconds pour l’ensemble des États européens, principes
1346 ation nationale dont rêvaient Hugo pour la France et Mazzini pour l’Italie ; mais voilà qui ne paraît concevable que dans
1347 , non les faire. Dans le même temps, le diplomate et philosophe prussien Constantin Frantz démontre que l’absence d’unité
1348 lisme, condamné par Frantz sous sa forme étatique et bornée, réapparaît irrésistiblement sous la forme épurée d’une missio
1349 ssus, illustré par toutes les grandes voix de 48, et de la période qui suit, à l’Est comme à l’Ouest, et en Suisse comme e
1350 de la période qui suit, à l’Est comme à l’Ouest, et en Suisse comme en France. Il manquait à ce concert une note allemand
1351 nce. Il manquait à ce concert une note allemande, et Constantin Frantz nous la donne : Il va de soi qu’une telle fédérati
1352 bord, d’une base réelle, sur laquelle elle repose et d’où la première impulsion soit donnée… S’il est vrai que c’est de l’
1353 tout autre, de recréer la communauté des nations et de se faire le précurseur d’un renouveau de tout le système européen…
1354 e voire à la Suisse fédéraliste de faire l’Europe et de s’y fondre, accomplissant ainsi une vocation nationale, au meilleu
1355 a Russie qui a pour mission de régénérer l’Europe et de l’unir un jour, car c’est ainsi seulement que la Russie pourra dev
1356 lavophiles, partisans d’un nationalisme spirituel et culturel, de l’orthodoxie pure et des coutumes ancestrales de la Russ
1357 lisme spirituel et culturel, de l’orthodoxie pure et des coutumes ancestrales de la Russie paysanne, adversaires donc de «
1358 ussie paysanne, adversaires donc de « l’Europe », et cette revue s’intitule Europa ! Par la plume d’Ivan Kirievsky, son pr
1359 siasme, qui serait restée le privilège des Russes et que nos pays de l’Ouest auraient perdue ; mais cette notion se trouve
1360 tée à Schelling… À l’égard de l’Europe décomposée et désunie, irréligieuse, révolutionnaire, matérialiste et bourgeoisemen
1361 unie, irréligieuse, révolutionnaire, matérialiste et bourgeoisement satisfaite, la mission de la Russie authentique est d’
1362 : le salut de l’Europe sera russe. Pour Kirievsky et ses amis, la notion d’hégémonie organisatrice est capitale : Pour qu
1363 ue l’unité de l’Europe se constitue organiquement et harmonieusement, il est nécessaire qu’il existe à cette fin un centre
1364 qui domine les autres de sa supériorité politique et culturelle… Seule la Russie en est capable. Et c’est aussi ce que p
1365 et culturelle… Seule la Russie en est capable. Et c’est aussi ce que pensera Dostoïevski, et ce qu’il exprimera cent fo
1366 pable. Et c’est aussi ce que pensera Dostoïevski, et ce qu’il exprimera cent fois dans son Journal d’un écrivain, gazette
1367 l publie seul, à intervalles irréguliers, en 1876 et 1877. L’avenir de l’Europe appartient à la Russie. La plus haute par
1368 ul faisceau, car ce n’est pas seulement la Russie et le panslavisme que nous servons, c’est l’humanité entière… Les Europé
1369 ncibles, grâce à l’unité de notre esprit national et de notre conscience nationale. Tirons l’épée, s’il le faut, au nom de
1370 la véritable mission de la Russie, à sa puissance et à sa vérité : se sacrifier pour ceux qui, en Europe, sont opprimés et
1371 sacrifier pour ceux qui, en Europe, sont opprimés et abandonnés au nom des prétendus intérêts de la civilisation. Il faut
1372 -il sans cela ? Au nom de la véritable religion, et pour leur bien, les Européens opprimés par une fausse civilisation so
1373 e civilisation sont invités à se laisser éclairer et libérer par la sainte Russie, sous peine de « sombrer dans le cynisme
1374 Russie, sous peine de « sombrer dans le cynisme » et d’y trouver leur fin, « vers laquelle il semble bien qu’ils s’achemin
1375 ion contrôlée de « ce qui s’est vraiment passé », et par son refus de tout système dialectique permettant de survoler les
1376 tème dialectique permettant de survoler les faits et dotant l’évolution d’on ne sait quelle énergie intrinsèque : « Chaque
1377 remière unité. Sous la conduite des papes romains et des empereurs germains, la communauté des Européens n’a cessé de se d
1378 mmunauté des Européens n’a cessé de se développer et de s’affirmer. Ranke ne croit nullement que le conflit de la papauté
1379 e ne croit nullement que le conflit de la papauté et de l’Empire, puis du catholicisme et de la Réforme, aient été des gra
1380 e la papauté et de l’Empire, puis du catholicisme et de la Réforme, aient été des grands malheurs pour l’Europe, car cette
1381 op profondément fondée dans la nature des choses, et ces oppositions ont fait mûrir l’esprit européen. Le danger que repr
1382 s dernières prenaient le dessus, c’est la Culture et le christianisme qui seraient menacés. Pour Renan, la menace portera
1383 porterait plutôt sur « les intérêts de la raison et de la civilisation ». Dans la préface à sa fameuse conférence prononc
1384 irs, de sacrifices, de gloires, souvent de deuils et de regrets communs ; dans le présent, du désir de continuer à vivre e
1385 oir fait ensemble de grandes choses dans le passé et de vouloir en faire encore dans l’avenir. … De nos jours, on commet u
1386 r plus grave : on confond la race avec la nation, et l’on attribue à des groupes ethnographiques ou plutôt linguistiques,
1387 pas tout, comme chez les rongeurs ou les félins, et on n’a pas le droit d’aller par le monde tâter le crâne des gens, pui
1388 à se réunir ; elle n’y force pas. Les États-Unis et l’Angleterre, l’Amérique espagnole et l’Espagne parlent la même langu
1389 États-Unis et l’Angleterre, l’Amérique espagnole et l’Espagne parlent la même langue et ne forment pas une seule nation.
1390 que espagnole et l’Espagne parlent la même langue et ne forment pas une seule nation. Au contraire, la Suisse, si bien fai
1391 es limites d’une nation sont écrites sur la carte et que cette nation a le droit de s’adjuger ce qui est nécessaire pour a
1392 ste. Avec cela, on justifie toutes les violences. Et , d’abord, sont-ce les montagnes ou bien sont-ce les rivières qui form
1393 es séparent ; mais les fleuves réunissent plutôt. Et puis toutes les montagnes ne sauraient découper des États. Quelles so
1394 ouper des États. Quelles sont celles qui séparent et celles qui ne séparent pas ? De Biarritz à Tornea, il n’y a pas une e
1395 ur les masses ouvrières entassées dans les usines et condamnées à la misère et à l’envie, un avenir exactement totalitaire
1396 tassées dans les usines et condamnées à la misère et à l’envie, un avenir exactement totalitaire : … Un certain degré dét
1397 ement totalitaire : … Un certain degré déterminé et contrôlé de misère et d’avancement, chaque journée, en uniforme, comm
1398 Un certain degré déterminé et contrôlé de misère et d’avancement, chaque journée, en uniforme, commencée et terminée par
1399 vancement, chaque journée, en uniforme, commencée et terminée par un roulement de tambours, voilà ce qui doit logiquement
1400 suivante : démocratie totale ou despotisme absolu et sans lois, ce dernier n’étant plus exercé par des dynasties, désormai
1401 ire nationaliste, déguisé en « patriotisme jovial et solennel ». Voici entre cent pages du même ton, quelques extraits tir
1402 ton, quelques extraits tirés de Par-delà le bien et le mal : Nous autres « bons Européens », nous aussi nous avons des h
1403 rmettons un patriotisme plein de courage, un bond et un retour à de vieilles amours et de vieilles étroitesses, des heures
1404 ourage, un bond et un retour à de vieilles amours et de vieilles étroitesses, des heures d’effervescence nationale, d’ango
1405 vec ce qui chez nous n’occupe que quelques heures et se passe en quelques heures : pour les uns, il faut la moitié d’une a
1406 elon la rapidité de leurs facultés d’assimilation et de renouvellement. Je saurais même me figurer des races épaisses et h
1407 nt. Je saurais même me figurer des races épaisses et hésitantes, qui, dans notre Europe hâtive, auraient besoin de demi-si
1408 r surmonter de tels excès de patriotisme atavique et d’attachement à la glèbe, pour revenir à la raison, je veux dire au «
1409 ns morbides que la folie des nationalités a mises et met encore entre les peuples de l’Europe, grâce aux politiciens à la
1410 e l’Europe, grâce aux politiciens à la vue courte et aux mains promptes qui règnent aujourd’hui avec l’aide du patriotisme
1411 simple politique d’entracte, — grâce à tout cela, et à bien des choses encore qu’on ne peut dire aujourd’hui, on méconnaît
1412 veut devenir une. Tous les hommes un peu profonds et d’esprit large qu’a vus ce siècle ont tendu vers ce but unique du tra
1413 ils voulurent frayer les voies à un nouvel accord et tentèrent de réaliser en eux-mêmes l’Européen à venir ; s’ils apparti
1414 sche précise la nature de ces « grands intérêts » et prévoit la nécessité d’un Marché commun de l’Europe : À tout cela s’
1415 ts États de l’Europe — j’entends tous nos empires et États actuels — doivent nécessairement devenir non viables, économiqu
1416 ement parlant, sous la pression du grand commerce et des échanges mondiaux transcendant toutes les frontières. Le dernier
1417 sont singulièrement opposées les unes aux autres, et dans leurs intérêts immédiats, et dans leurs mœurs, et dans leurs amb
1418 nes aux autres, et dans leurs intérêts immédiats, et dans leurs mœurs, et dans leurs ambitions. L’Europe n’a pas de chance
1419 ns leurs intérêts immédiats, et dans leurs mœurs, et dans leurs ambitions. L’Europe n’a pas de chance. Tous ses habitants
1420 r que dans une seule idée : se faire la guerre. … Et il y a le slavisme qui met son grain de sel là-dedans. La politique p
1421 end ? Avant dix ans, elle sombrera dans la guerre et l’anarchie, comme elle a toujours fait deux ou trois fois par siècle.
1422 qui est la terre-type du malheur de l’humanité », et qui réinventait à peu de mots près la phrase d’Ivan Karamazov partant
1423 re… » ; Sorel qui marque le passage entre un Marx et un Nietzsche, ses maîtres au xixe siècle, un Lénine et un Mussolini,
1424 Nietzsche, ses maîtres au xixe siècle, un Lénine et un Mussolini, ses disciples au xxe siècle, fut sans doute l’observat
1425 le plus pessimiste de l’Europe des nationalismes. Et c’est à lui que 1914 donnera raison. Car 1914 sonne le glas non de l’
1426 de l’Europe, certes, mais de l’Europe des nations et de son impérialisme planétaire. Il faudra cependant en venir aux excè
1427 ouveraineté absolue éclatent aux yeux des peuples et de leurs hommes d’État, dans les pays au moins qui auront subi, à l’O
1428 ire nationale-socialiste. L’Allemagne, la France, et l’Italie, au lendemain de leur libération, inscrivent dans leur Const
1429 ologie encore inédite, dans laquelle j’ai groupé et commenté plusieurs centaines de textes sur l’Europe, d’Hésiode à nos
1430 Benjamin Constant. 31. Article intitulé le Droit et la Loi, 1875. 32. Article intitulé l’Avenir, 1867. 33. Cf. supra p.
1431 1935. p. Rougemont Denis de, « Le nationalisme et l’Europe », La Table ronde, Paris, mars 1960, p. 9-26.
15 1960, Articles divers (1957-1962). Originalité de la culture européenne comparée aux autres cultures (juin 1960)
1432 telle phrase ne puisse être énoncée qu’en Europe, et seulement par la bouche d’Européens, nous fournit, paradoxalement, un
1433 e continent. Un homme qui nie que l’Europe existe et qu’elle ait une culture commune ne saurait être un Asiatique, un Afri
1434 us près ce paradoxe. Les intellectuels sceptiques et les adversaires déclarés (ou non) de l’union européenne ont coutume d
1435 lement des cultures nationales, car les Allemands et les Français, ou les Scandinaves et les Italiens, sont trop différent
1436 les Allemands et les Français, ou les Scandinaves et les Italiens, sont trop différents entre eux pour former une unité qu
1437 ute vraie culture est universelle par définition, et nos problèmes, en Europe, sont à peu près les mêmes que ceux qui se p
1438 attitudes négatives, d’ailleurs contradictoires, et sans doute absurdes, mais si courantes ? La première, celle qui fait
1439 llemands sont portés à la philosophie, belliqueux et buveurs de bière ; les Français ne pensent qu’à l’amour ; les Suisses
1440 rfois aussi sur une connaissance trop méticuleuse et pédante de nos diversités, sur une expérience, vécue jusqu’à l’irrita
1441 usqu’à l’irritation, du tempérament, des coutumes et des préjugés de nos voisins. La seconde attitude, celle qui fait dire
1442 première attitude est en somme celle d’un myope, et la seconde celle d’un presbyte. Essayons maintenant de corriger notre
1443 , l’unité de notre culture s’impose immédiatement et sans hésitation à l’esprit de ceux qui l’observent, que ce soit en am
1444 i l’observent, que ce soit en amis ou en ennemis, et peut-être surtout en ennemis. À ceux qui seraient tentés de nier, à p
1445 de nier, à priori, l’originalité de notre culture et le fait qu’elle nous est commune du Cap Nord au Péloponnèse et de Mad
1446 ’elle nous est commune du Cap Nord au Péloponnèse et de Madrid à Varsovie, je répondrai d’un seul mot : Voyagez ! Quittez
1447 Voyagez ! Quittez l’Europe, vous la découvrirez ! Et dès que vous commencerez à pressentir certaines réalités vastes et in
1448 ommencerez à pressentir certaines réalités vastes et inquiétantes, vraiment « étrangères » cette fois-ci, vous commencerez
1449 table saveur que l’on ne trouve qu’à soi-même »35 et que je ne trouve qu’à l’Europe. Poussons plus loin le paradoxe (jusqu
1450 , la multiplicité de nos différences — régionales et nationales, religieuses et morales, philosophiques et sociales — et l
1451 fférences — régionales et nationales, religieuses et morales, philosophiques et sociales — et leur coexistence dans l’espa
1452 ationales, religieuses et morales, philosophiques et sociales — et leur coexistence dans l’espace et le temps, et leur mut
1453 igieuses et morales, philosophiques et sociales — et leur coexistence dans l’espace et le temps, et leur mutuelle contesta
1454 s et sociales — et leur coexistence dans l’espace et le temps, et leur mutuelle contestation critique, et toutes les tensi
1455 — et leur coexistence dans l’espace et le temps, et leur mutuelle contestation critique, et toutes les tensions qui en ré
1456 le temps, et leur mutuelle contestation critique, et toutes les tensions qui en résultent, ne seraient-ce pas en un mot no
1457 noteraient le mieux l’originalité, la spécificité et la communauté, — l’unité de notre culture ? Mais cela n’apparaîtra cl
1458 notre culture ? Mais cela n’apparaîtra clairement et ne deviendra vraiment sensible et convaincant, que si nous comparons
1459 îtra clairement et ne deviendra vraiment sensible et convaincant, que si nous comparons notre formule de l’unité paradoxal
1460 . Si nous considérons les cultures de l’Antiquité et les cultures extraeuropéennes qui subsistent encore ou qui tentent de
1461 origine unique, ou d’un grand principe formateur, et d’une continuelle référence à cette source, qui assure la cohérence e
1462 référence à cette source, qui assure la cohérence et l’homogénéité des traditions. Tandis que dans d’autres cultures, surt
1463 té traditionnelle, originelle, innée à la culture et découlant de son passé ; d’autre part, unité synthétique imposée comm
1464 cadre rigide à la culture. Pour fixer les idées, et sans vouloir entrer dans de périlleuses analyses, j’illustrerai la pr
1465 ires contemporaines, telles que l’URSS de Staline et la Chine de Mao (pour ne rien dire des tentatives rapidement avortées
1466 atives rapidement avortées du national-socialisme et du fascisme) serviront d’exemples pour la deuxième formule. Il suffir
1467 en voir que la formule de l’unité traditionnelle, et la formule de l’unification contrainte, sont en violent contraste ave
1468 inte, sont en violent contraste avec les réalités et principes caractéristiques de la culture européenne. La première vise
1469 culture européenne. La première vise à maintenir et la seconde à établir une unité dans l’homogène, facilement concevable
1470 une unité dans l’homogène, facilement concevable et vérifiable, tandis que l’Europe ne trouve son unité paradoxale, à la
1471 e trouve son unité paradoxale, à la fois évidente et presque informulable, que dans le libre jeu de ses diversités. Mais i
1472 emander d’où proviennent ces fameuses diversités, et comment il se fait que l’Europe en ait tant, et même les multiplie co
1473 , et comment il se fait que l’Europe en ait tant, et même les multiplie comme à plaisir, au lieu d’essayer de les réduire.
1474 la pluralité des origines de notre civilisation. Et elles sont entretenues ou renouvelées sans cesse par notre refus décl
1475 par notre refus déclaré de toute doctrine unique et unifiante, imposée par une force extérieure au mouvement spontané de
1476 a culture. Nous tous, que nous le sachions ou non et que nous l’acceptions ou non, et quel que soit notre passeport, desce
1477 sachions ou non et que nous l’acceptions ou non, et quel que soit notre passeport, descendons par nos mœurs, croyances ou
1478 ances, par les mythes gouvernant nos sensibilités et par nos formes de pensée, d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, et derr
1479 s et par nos formes de pensée, d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, et derrière ces trois villes illustres, du Proche-Orien
1480 es de pensée, d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, et derrière ces trois villes illustres, du Proche-Orient sémite, de l’Ir
1481 es illustres, du Proche-Orient sémite, de l’Iran, et de l’Inde. Nous venons aussi des profondeurs obscures du monde celtiq
1482 aussi des profondeurs obscures du monde celtique et du monde germanique, et parfois même du monde arabe et du monde slave
1483 bscures du monde celtique et du monde germanique, et parfois même du monde arabe et du monde slave. Entre ces origines div
1484 monde germanique, et parfois même du monde arabe et du monde slave. Entre ces origines diverses, hétérogènes, se sont pro
1485 ujours provisoires. Entre l’homme grec, astucieux et critique, le citoyen romain obéissant à la raison d’État, le fidèle c
1486 bre quand il touche son épée, le Celte romantique et magique, — et nous descendons tous de la plupart d’entre eux, par les
1487 ouche son épée, le Celte romantique et magique, —  et nous descendons tous de la plupart d’entre eux, par les coutumes cons
1488 plupart d’entre eux, par les coutumes conscientes et inconscientes autant et plus que par les chromosomes — que de contrad
1489 les coutumes conscientes et inconscientes autant et plus que par les chromosomes — que de contradictions insurmontables,
1490 is boiteux, de polémiques subtiles ou passionnées et d’alliances imprévues, infiniment variées selon les temps et les lieu
1491 ces imprévues, infiniment variées selon les temps et les lieux — et toujours remises en question ! De cet immense complexe
1492 infiniment variées selon les temps et les lieux — et toujours remises en question ! De cet immense complexe de tensions dé
1493 e nous le devons, aux conflits spirituels, drames et tensions qui devaient nécessairement en résulter, et qui nous condamn
1494 tensions qui devaient nécessairement en résulter, et qui nous condamnaient à la recherche, à l’invention, à l’expansion, à
1495 , ont pu jouer. Mais la diversité de nos origines et leur discussion millénaire suffisent dans tous les cas à rendre compt
1496 ous les cas à rendre compte d’un dynamisme unique et sans rival dans les annales du genre humain. En dépit de ce que je vi
1497 ts, j’envisagerai maintenant les éléments communs et permanents, les caractères spécifiques de la culture européenne ; j’e
1498 apparaît immédiatement comme à la fois pluraliste et profane. Culture de dialogue et de contestation, du seul fait de ses
1499 a fois pluraliste et profane. Culture de dialogue et de contestation, du seul fait de ses origines multiples et des valeur
1500 testation, du seul fait de ses origines multiples et des valeurs souvent incompatibles qu’elle en a héritées, l’Europe n’a
1501 utions, sa religion, sa philosophie, son économie et ses arts. On a beau citer le Moyen Âge comme une période bénie d’unit
1502 n Âge comme une période bénie d’unité des esprits et des cœurs, telle que l’a décrite Novalis : nous savons aujourd’hui qu
1503 is : nous savons aujourd’hui qu’il n’en fut rien, et que les conflits qui déchirèrent le Moyen Âge ne furent pas moins vio
1504 culture, n’a pas produit seulement de l’anarchie et des guerres. Il a contraint les élites, et par elles la partie agissa
1505 archie et des guerres. Il a contraint les élites, et par elles la partie agissante des masses européennes, à développer ce
1506 ective, le sens de la responsabilité personnelle, et le sens de la liberté. Ces trois vertus se conditionnent et s’impliqu
1507 de la liberté. Ces trois vertus se conditionnent et s’impliquent mutuellement en Europe. En revanche, il est évident qu’e
1508 ritiers des premiers principes de la mathématique et de l’astronomie élaborées par les civilisations du Proche-Orient. Mai
1509 u monde qu’il a créé. Dans nos rapports avec Dieu et le monde, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’illusions flatteuses,
1510 s pouvons donc expliquer par des motifs religieux et philosophiques l’un des caractères les plus indiscutables de notre cu
1511 a vérité, qui a pour corollaire le sens critique, et qui a permis le développement des sciences exactes, notamment. Voilà
1512 la vérité dite objective, de la simple véracité, et du recours aux preuves par neuf. Veuillez songer cependant que l’Asie
1513 es par neuf. Veuillez songer cependant que l’Asie et l’Afrique ignorent cette exigence de l’objectivité, et professent un
1514 Afrique ignorent cette exigence de l’objectivité, et professent un dédain notoire pour la simple véracité. Leurs cultures
1515 doit répondre de ses actes à la fois devant Dieu et devant la société, donc devant son destin sur la terre comme au ciel,
1516 sulte une double exigence de recueillement en soi et d’ouverture au monde, de méditation et d’action, ou, traduit en langa
1517 ent en soi et d’ouverture au monde, de méditation et d’action, ou, traduit en langage plus moderne : de loisir vraiment li
1518 langage plus moderne : de loisir vraiment libre, et de travail. Voilà encore une banalité, me direz-vous. Mais comparez,
1519 x-mêmes — dûment organisés — au travail productif et collectif, qui devient le seul but de la vie. Mais c’est un but imper
1520 is c’est un but impersonnel, purement quantitatif et matériel, fixé par le gouvernement, au nom d’une doctrine ennuyeuse ;
1521 ine ennuyeuse ; c’est un but général, statistique et abstrait, sans relation directe ou immédiate avec le salut de la pers
1522 nne, le bonheur, la sagesse, la saveur de la vie, et le sens même de chaque vie. Les cultures traditionnelles au contraire
1523 ont tout réglé. D’où la paresse immense de l’Asie et de l’Afrique, le climat tropical n’explique pas tout, loin de là ! Et
1524 climat tropical n’explique pas tout, loin de là ! Et lorsque les pays « sous-développés » revendiquent à grands cris de ha
1525 arité, puisqu’elle refuse la réalité du prochain. Et certes, cela ne signifie pas théoriquement que la sagesse védantique,
1526 nt qu’on ne peut pas « eat his cake and have it » et qu’il y a lieu de reconsidérer de part et d’autre la relation entre l
1527 ve it » et qu’il y a lieu de reconsidérer de part et d’autre la relation entre les croyances fondamentales de nos cultures
1528 entre les croyances fondamentales de nos cultures et le genre de vie que ces cultures permettent, — soit pour modifier cet
1529 ent lié à celui de la responsabilité personnelle, et que l’un n’irait pas sans l’autre. Un homme n’est vraiment libre que
1530 a seule mesure où il est responsable de son sort, et à l’inverse, on ne saurait tenir un homme pour responsable de ses act
1531 st de jouir des droits du citoyen à part entière, et tous ces éléments spirituels, juridiques, subversifs ou philosophique
1532 diques, subversifs ou philosophiques se combinent et permutent à doses variables dans notre idée de la liberté. Il n’est p
1533 fficile à définir, plus facile à nier en théorie, et il n’est pas d’idée plus exaltante en fait pour les Européens de tout
1534 ltante en fait pour les Européens de toute nation et de toute classe, de toute croyance et de toute incroyance. L’appel à
1535 oute nation et de toute classe, de toute croyance et de toute incroyance. L’appel à la liberté, la revendication de la lib
1536 plus commun à tous les hommes de notre continent, et l’on peut voir en lui le plus proche équivalent de l’invocation au sa
1537 peuples, c’est un sens emprunté à l’Europe, même et surtout s’il justifie un élan de révolte contre elle, prétextant un c
1538 sens de la vérité objective dérivent nos sciences et par suite, nos techniques. Et du sens de la responsabilité personnell
1539 rivent nos sciences et par suite, nos techniques. Et du sens de la responsabilité personnelle, lié au sens de la liberté,
1540 s de la liberté, dérivent toutes nos institutions et nos doctrines, orthodoxes, hérétiques ou subversives, et enfin notre
1541 doctrines, orthodoxes, hérétiques ou subversives, et enfin notre dynamisme irrépressible. D’où vient, en effet, le dynamis
1542 superficie-population : ce sont la Chine, l’Inde et l’Europe. Or, il est évident que les mêmes pressions démographiques n
1543 eusement, des champs Catalauniques au Kablenberg, et de Poitiers à Lépante, n’ont rien suscité de marquant ni de nouveau d
1544 voque à créer, à inventer, à émigrer, à exporter, et nous condamne à l’expansion. Que ce mouvement ait été baptisé « impér
1545 siècle, voilà qui me paraît purement accidentel et relatif. Toute énergie, toute force physique ou spirituelle, peut êtr
1546 uropéens qui ont développé les sciences physiques et naturelles, à un degré littéralement incomparable. Certes, les peuple
1547 e, ce Laboratoire du Monde, a poussé les sciences et les techniques qui en dérivent jusqu’au point où elles permettent non
1548 truire, ou de se transformer demain radicalement, et d’une manière imprévisible. Avant de concentrer leurs énergies sur ce
1549 vec non moins d’audace, l’exploration de l’espace et du temps. L’espace d’abord. Ce sont les Européens qui ont découvert l
1550 s Européens qui lui ont donné son contenu concret et qui ont seuls démontré sa consistance. On peut le dire : l’idée de ge
1551 Ce sont les Européens qui ont inventé l’histoire et l’historiographie, avec tout ce que cela implique : philosophie de l’
1552 n tire, renouvellement des arts, sujets de romans et de pièces de théâtre, arsenal de citations pour les hommes politiques
1553 arsenal de citations pour les hommes politiques, et finalement : superstition moderne du « sens de l’histoire », qui non
1554 à partir de la découverte géographique du monde. Et l’on sait le rôle décisif que ces sciences ont joué dans l’évolution
1555 nt joué dans l’évolution récente de la sociologie et de la psychologie analytique, autres inventions de l’Europe. Enfin po
1556 tous les trésors ainsi ramenés du fond des temps et de l’espace, les Européens ont inventé le Musée. Et, à partir de ces
1557 de l’espace, les Européens ont inventé le Musée. Et , à partir de ces condensations prodigieuses de siècles et de continen
1558 rtir de ces condensations prodigieuses de siècles et de continents que sont leurs musées, ils ont élaboré les préalables d
1559 es préalables d’une science comparée des cultures et des civilisations, des religions et des arts, des morales et des gouv
1560 des cultures et des civilisations, des religions et des arts, des morales et des gouvernements ; et cette sociologie tota
1561 lisations, des religions et des arts, des morales et des gouvernements ; et cette sociologie totale, ou planétaire, prépar
1562 s et des arts, des morales et des gouvernements ; et cette sociologie totale, ou planétaire, prépare, elle aussi, les voie
1563 nt nées des profondeurs de la culture européenne, et restent liées, dans leur évolution comme dans leur genèse, à tout le
1564 es appellent le monde, qu’elles s’en nourrissent, et que toutes, elles préparent son unité après avoir exploré ses variété
1565 que je viens d’énumérer. Il y faudrait un livre, et je l’ai déjà écrit37. Je me bornerai donc à vous rappeler, mais avec
1566 e a produit non seulement les notions de personne et de liberté, mais aussi les sciences et enfin les machines, si hétérog
1567 e personne et de liberté, mais aussi les sciences et enfin les machines, si hétérogènes que puissent nous apparaître ces d
1568 c’est en vertu même de cette dialectique infinie et toujours ouverte que je décrivais plus haut, en vertu même de cette s
1569 haut, en vertu même de cette séculaire discussion et dissension entre nos origines multiples, entre nos religions et nos p
1570 entre nos origines multiples, entre nos religions et nos philosophies, entre nos déterminations natives et notre volonté d
1571 os philosophies, entre nos déterminations natives et notre volonté de les surmonter, qui est volonté de liberté, volonté d
1572 st volonté de liberté, volonté de responsabilité, et volonté de vérité à n’importe quel prix. Voici donc notre situation d
1573 du xxe siècle : Nos créations les plus typiques et les plus spectaculaires, surgies de la problématique tragique qui déf
1574 té de l’Europe, se voient soudain universalisées, et dans les apparences tout au moins, adoptées par le monde entier. Notr
1575 ier. Notre culture est l’essence même de l’Europe et de son histoire, mais voici que cette culture crée le monde, par où j
1576 rs pouvoirs par ce monde même qu’ils ont suscité. Et Dieu sait de quelle manière les autres continents menacent d’abuser d
1577 il périlleux de l’ère mondiale. Moment dramatique et passionnant, dont il nous faut tâcher d’évaluer les risques angoissan
1578 ous faut tâcher d’évaluer les risques angoissants et les chances admirables. Je voudrais proposer quelques observations et
1579 ables. Je voudrais proposer quelques observations et suggestions sur ce qui se passe d’étrange et de démesuré devant nos y
1580 ions et suggestions sur ce qui se passe d’étrange et de démesuré devant nos yeux, et sur la politique que nous sommes bien
1581 e passe d’étrange et de démesuré devant nos yeux, et sur la politique que nous sommes bien forcés d’imaginer pour y faire
1582 ens, prendre une conscience à la fois plus intime et plus globale de l’originalité de notre culture, afin de mieux compren
1583 endre ce que nous sommes, ce que nous avons fait, et pourquoi. Et nous devons en même temps nous préparer à affronter des
1584 nous sommes, ce que nous avons fait, et pourquoi. Et nous devons en même temps nous préparer à affronter des synthèses nou
1585 s au niveau des valeurs créatrices de la culture, et non pas au niveau de ses sous-produits. L’originalité de la culture e
1586 la culture européenne n’est nullement supprimée, et ne doit pas être masquée, par le fait actuel de sa diffusion mondiale
1587 mondiale. On nous répète à satiété que la science et la technique sont aujourd’hui des réalités mondiales, et n’appartienn
1588 echnique sont aujourd’hui des réalités mondiales, et n’appartiennent plus à l’Europe, mais plutôt aux Américains et aux Ru
1589 nnent plus à l’Europe, mais plutôt aux Américains et aux Russes, demain aux Chinois, en attendant les Africains. Oui, bien
1590 est tout de même l’Europe qui a créé les sciences et la technique, dans le contexte de sa culture, grâce aux valeurs et au
1591 dans le contexte de sa culture, grâce aux valeurs et aux vertus de cette culture. C’est un fait que l’Europe a répandu sur
1592 hniques, son hygiène, ses institutions politiques et sociales, son parlementarisme, ses syndicats, tous ses arts et sa phi
1593 son parlementarisme, ses syndicats, tous ses arts et sa philosophie en tant qu’activité profanes, et tous leurs procédés e
1594 s et sa philosophie en tant qu’activité profanes, et tous leurs procédés et un peu de leur logique… Mais l’Europe n’a pas
1595 tant qu’activité profanes, et tous leurs procédés et un peu de leur logique… Mais l’Europe n’a pas exporté sa sagesse régu
1596 trecroisées, d’innombrables tensions, déchirantes et fécondes. Ainsi le monde entier reçoit avec avidité nos machines, nos
1597 ne reçoit pas les valeurs, religieuses, éthiques et philosophiques, qui expliquent seules la genèse de ces produits, et q
1598 qui expliquent seules la genèse de ces produits, et qui seules permettraient de les maintenir en composition. Il retourne
1599 machines, costumes, voirie, transports, urbanisme et architecture. Mais ce même monde méprise ou ignore simplement, notre
1600 e méprise ou ignore simplement, notre psychologie et notre spiritualité. Il exige nos machines, mais refuse notre éthique
1601 demain de la dernière guerre, avait un but précis et limité : empêcher les Français et les Allemands de se battre. Ce prem
1602 t un but précis et limité : empêcher les Français et les Allemands de se battre. Ce premier but est parfaitement atteint.
1603 faire l’Europe, parce qu’il faut faire le monde, et que l’Europe seule peut le faire, mais elle doit d’abord exister. Cer
1604 is elle doit d’abord exister. Certains me diront, et une part de moi-même me le répète parfois en sourdine : après tout, q
1605 ence. Mais qui d’entre nous peut concevoir sa vie et le sens de sa vie en dehors du sort de l’Europe, dont dépend le sort
1606 entale, mais des pionniers de l’aventure humaine. Et il évoque irrésistiblement le souvenir d’un autre moment de cette ave
1607 ils doutent de l’avenir prochain de notre Europe, et de son pouvoir de faire face au grand projet mondial qu’elle-même a s
1608 x, des certitudes bien calculées avant de partir, et une réponse à leurs angoisses privées, je répondrai simplement ceci :
1609 appelle est sans doute plus grave que la nôtre ; et notre devoir aujourd’hui, est bien moins de prévoir notre histoire qu
1610 opéenne comparée aux autres cultures », Caractère et culture de l’Europe, Amsterdam, juin 1960, p. 28-34. t. Texte très p
16 1960, Articles divers (1957-1962). Allocution de Denis de Rougemont, président du Congrès pour la liberté de la culture, à la séance de clôture de la rencontre de Berlin (extraits) (juin-juillet 1960)
1611 onsidérer la nature, la fonction de notre Congrès et les idéaux qui l’inspirent. Le plus simple sera de reprendre les troi
1612 hommes de culture qui se veulent à la fois libres et responsables devant eux-mêmes et devant la société. Peu de mois après
1613 à la fois libres et responsables devant eux-mêmes et devant la société. Peu de mois après leur première conférence à Berli
1614 se grouper afin de créer ainsi, en cas d’urgence et au service des libertés de l’esprit partout où elles sont attaquées,
1615 prouvèrent le besoin de se grouper pour dialoguer et réfléchir ensemble sur les immenses problèmes que pose, à cette génér
1616 que chose que nous devons reconquérir chaque jour et sans relâche, sur nous-mêmes tout d’abord, et pour les autres. Revend
1617 our et sans relâche, sur nous-mêmes tout d’abord, et pour les autres. Revendiquer la liberté, quand nous avons formé notre
1618 r contre des dictatures extérieures, bien connues et localisées, contre les idéologies qu’elles voulaient imposer, et cont
1619 contre les idéologies qu’elles voulaient imposer, et contre le défaitisme fataliste qui préparait leur lit dans nos démocr
1620 urir les persécutés accusés de liberté d’esprit,— et nous l’avons fait. Mais nous voyons bien, aujourd’hui, que les menace
1621 gimes que vous savez. Elles viennent de la misère et de la faim pour une large partie de l’humanité. Elles viennent aussi
1622 cidentale propage aveuglément sur toute la terre, et qui, sous les meilleurs prétextes, comme celui de nourrir les corps e
1623 leurs prétextes, comme celui de nourrir les corps et de réduire des misères matérielles, bouleversent et oppriment tant de
1624 de réduire des misères matérielles, bouleversent et oppriment tant de cultures traditionnelles mal préparées à les assimi
1625 uine le plus insidieusement la dignité d’un homme et sa passion de lutter pour la liberté. Chaque fois qu’un homme ou une
1626 e sens, la liberté perd un de ses points d’appui, et la dictature s’avance aussitôt pour l’occuper. C’est ici qu’intervien
1627 ervient la Culture, ou, en tout cas, qu’elle doit et peut intervenir. Car la culture, c’est justement l’ensemble des activ
1628 ransmettre des recettes de vie, des connaissances et des significations, relier les sentiments, les idées et les actes, ma
1629 significations, relier les sentiments, les idées et les actes, maintenir une tradition où l’on se sente chez soi. C’est d
1630 à l’homme de se situer à sa place dans le monde, et dans un monde qu’il approuve et dont il comprend les symboles. Mais l
1631 ce dans le monde, et dans un monde qu’il approuve et dont il comprend les symboles. Mais la sécurité n’est que la moitié d
1632 e certaine révolte sont aussi des besoins vitaux. Et alors se révèle l’autre aspect de la culture, qui n’est plus seulemen
1633 i n’est plus seulement transmission mais critique et rupture s’il le faut ; qui n’est plus seulement tradition mais créati
1634 qui n’est plus seulement tradition mais création, et qui n’est plus seulement initiation mais invention. Ces deux aspects
1635 peuvent devenir également dangereux pour l’homme et pour sa liberté réelle, s’ils restent séparés, isolés l’un de l’autre
1636 isolés l’un de l’autre. En revanche, équilibrées et combinées, tradition et innovation représentent ensemble la culture v
1637 En revanche, équilibrées et combinées, tradition et innovation représentent ensemble la culture vivante, celle qui peut r
1638 e. Or il se trouve que la plupart des conférences et groupes d’études organisés par le Congrès portent précisément ce titr
1639 e titre général : Tradition and Change, tradition et progrès technique et démocratique. Pour que notre vie ait un sens, il
1640 dition and Change, tradition et progrès technique et démocratique. Pour que notre vie ait un sens, il faut que la culture
1641 os activités humaines que nous avons spécialisées et séparées jusqu’à l’absurde — l’art et la vie quotidienne, le travail
1642 pécialisées et séparées jusqu’à l’absurde — l’art et la vie quotidienne, le travail et la réflexion, la spéculation pure e
1643 absurde — l’art et la vie quotidienne, le travail et la réflexion, la spéculation pure et les techniques appliquées, la pe
1644 , le travail et la réflexion, la spéculation pure et les techniques appliquées, la pensée et l’action en somme, cessent de
1645 tion pure et les techniques appliquées, la pensée et l’action en somme, cessent de se ridiculiser mutuellement, comme c’es
1646 lement, comme c’est le cas dans trop de nos vies, et retrouvent une commune mesure, un style commun. Et ceci vaut pour l’O
1647 t retrouvent une commune mesure, un style commun. Et ceci vaut pour l’Occident surtout. Mais désormais, c’est à l’échelle
1648 es diverses facultés de l’homme peuvent retrouver et rassembler leurs grands symboles : — celles du corps et de l’intellec
1649 sembler leurs grands symboles : — celles du corps et de l’intellect (d’où la technique) dont s’occupe surtout l’Occident ;
1650 e part entre représentants des arts, des sciences et de la sociologie, contacts d’autre part entre les représentants des c
1651 prement dite, mais au niveau de ce qui la prépare et la pré-forme, en contribuant à orienter les esprits et leurs choix ve
1652 pré-forme, en contribuant à orienter les esprits et leurs choix vers des fins qui dépassent la politique et qui seules lu
1653 rs choix vers des fins qui dépassent la politique et qui seules lui donnent son vrai sens, son sens humain pour chaque per
1654 personne. La politique, nous n’y échapperons pas, et il est inutile d’insister sur ce fait, ici, dans ce Berlin où elle no
1655 tanks, symboles écrasants de la politique totale et absolutisée. u. Rougemont Denis de, « Allocution de Denis de Rouge
17 1960, Articles divers (1957-1962). La liberté et le sens de la vie (8 juillet 1960)
1656 La liberté et le sens de la vie (8 juillet 1960)v w Nous voyons bien, aujourd’hu
1657 cidentale propage aveuglément sur toute la terre, et qui, sous les meilleurs prétextes, comme celui de nourrir les corps e
1658 leurs prétextes, comme celui de nourrir les corps et de réduire des misères matérielles, bouleversent et oppriment tant de
1659 de réduire des misères matérielles, bouleversent et oppriment tant de cultures traditionnelles mal préparées à les assimi
1660 uine le plus insidieusement la dignité d’un homme et sa passion de lutter pour la liberté. Chaque fois qu’un homme ou une
1661 e sens, la liberté perd un de ses points d’appui, et la dictature s’avance aussitôt pour l’occuper. C’est ici qu’intervien
1662 ervient la Culture, ou, en tout cas, qu’elle doit et peut intervenir. Vous avez lu et entendu depuis longtemps tant de ban
1663 as, qu’elle doit et peut intervenir. Vous avez lu et entendu depuis longtemps tant de banalités, souvent exactes d’ailleur
1664 lités, souvent exactes d’ailleurs, sur la culture et ses définitions, que là aussi vous me permettrez d’être assez bref, e
1665 ue là aussi vous me permettrez d’être assez bref, et de me borner à quelques traits définissant la conception de la cultur
1666 ée par ce Congrès. La culture c’est transmettre et situer Le pire danger, c’est donc l’absence de sens : le sentimen
1667 ransmettre des recettes de vie, des connaissances et des significations, relier les sentiments, les idées et les actes, ma
1668 significations, relier les sentiments, les idées et les actes, maintenir une tradition où l’on se sente chez soi. C’est d
1669 à l’homme de se situer à sa place dans le monde, et dans un monde qu’il approuve et dont il comprend les symboles. Mais l
1670 ce dans le monde, et dans un monde qu’il approuve et dont il comprend les symboles. Mais la sécurité n’est que la moitié d
1671 e certaine révolte sont aussi des besoins vitaux. Et alors se révèle l’autre aspect de la culture, qui n’est plus seulemen
1672 i n’est plus seulement transmission mais critique et rupture s’il le faut ; qui n’est plus seulement tradition mais créati
1673 qui n’est plus seulement tradition mais création, et qui n’est plus seulement initiation mais invention. Ces deux aspects
1674 peuvent devenir également dangereux pour l’homme et pour sa liberté réelle, s’ils restent séparés, isolés l’un de l’autre
1675 isolés l’un de l’autre. En revanche, équilibrées et combinées, tradition et innovation représentent ensemble la culture v
1676 En revanche, équilibrées et combinées, tradition et innovation représentent ensemble la culture vivante, celle qui peut r
1677 e. Or il se trouve que la plupart des conférences et groupes d’études organisés par le Congrès portent précisément ce titr
1678 e titre général : Tradition and Change, tradition et progrès technique et démocratique. Pour que notre vie ait un sens, il
1679 dition and Change, tradition et progrès technique et démocratique. Pour que notre vie ait un sens, il faut que la culture
1680 os activités humaines que nous avons spécialisées et séparées jusqu’à l’absurde — l’art et la vie quotidienne, le travail
1681 pécialisées et séparées jusqu’à l’absurde — l’art et la vie quotidienne, le travail et la réflexion, la spéculation pure e
1682 absurde — l’art et la vie quotidienne, le travail et la réflexion, la spéculation pure et les techniques appliquées, la pe
1683 , le travail et la réflexion, la spéculation pure et les techniques appliquées, la pensée et l’action en somme, cessent de
1684 tion pure et les techniques appliquées, la pensée et l’action en somme, cessent de se ridiculiser mutuellement, comme c’es
1685 lement, comme c’est le cas dans trop de nos vies, et retrouvent une commune mesure, un style commun. Et ceci vaut pour l’O
1686 t retrouvent une commune mesure, un style commun. Et ceci vaut pour l’Occident surtout. Mais désormais, c’est à l’échelle
1687 es diverses facultés de l’homme peuvent retrouver et rassembler leurs grands symboles : — celles du corps et de l’intellec
1688 sembler leurs grands symboles : — celles du corps et de l’intellect (d’où la technique) dont s’occupe surtout l’Occident ;
1689 e part entre représentants des arts, des sciences et de la sociologie, contacts d’autre part entre les représentants des c
1690 èmes que pose le même progrès technique, éducatif et culturel, dans les conditions différentes de l’Europe, de l’Afrique,
1691 Europe, de l’Afrique, de l’Asie, du Proche-Orient et des deux Amériques ; mais ceci dans la perspective qui nous est propr
1692 tte question. Mais on insiste, la presse insiste, et les interviewers insistent : tous veulent absolument que nous soyons
1693 ur. Au-delà de la politique : Liberté, Progrès et Bien En situant le Congrès comme je viens de le faire, j’ai voulu
1694 prement dite, mais au niveau de ce qui la prépare et la préforme, en contribuant à orienter les esprits et leurs choix ver
1695 a préforme, en contribuant à orienter les esprits et leurs choix vers des fins qui dépassent la politique et qui seules lu
1696 rs choix vers des fins qui dépassent la politique et qui seules lui donnent son vrai sens, son sens humain, pour chaque pe
1697 personne. La politique, nous n’y échapperons pas, et il est inutile d’insister sur ce fait, ici, dans ce Berlin où elle no
1698 tanks, symboles écrasants de la politique totale et absolutisée. La politique doit rester pour nous un moyen dominé par d
1699 s fins que l’esprit seul peut entrevoir, imaginer et proposer à nos désirs et à notre raison, à notre volonté et à notre f
1700 peut entrevoir, imaginer et proposer à nos désirs et à notre raison, à notre volonté et à notre foi. Et alors, la liberté
1701 r à nos désirs et à notre raison, à notre volonté et à notre foi. Et alors, la liberté serait-elle du nombre de ces fins d
1702 t à notre raison, à notre volonté et à notre foi. Et alors, la liberté serait-elle du nombre de ces fins dernières, serait
1703 r un sens à sa vie tant de travail que de loisir, et tant d’action que de méditation. Ce n’est point par des statistiques,
1704 telle ou telle société. Mais c’est par la nature et par la qualité de chances ménagées à chacun de courir sa propre avent
1705 es ménagées à chacun de courir sa propre aventure et d’affronter le mystère de sa personne. Telle est la fin dernière de t
1706 e. Telle est la fin dernière de toute communauté, et la seule mesure qui permette de juger qu’une forme de vie ou un systè
1707 un Bien. v. Rougemont Denis de, « La liberté et le sens de la vie », France catholique, Paris, juillet 1960, p. 1 et
1708 e », France catholique, Paris, juillet 1960, p. 1 et 6. w. Présenté par cette note : « Du 16 au 22 juin s’est tenu à Berl
1709 nce de MM. Oppenheimer, le grand savant atomiste, et George Kennan, ancien ambassadeur à Moscou, pour les États-Unis, ento
18 1960, Articles divers (1957-1962). Originalité de la culture européenne comparée aux autres cultures (août 1960)
1710 telle phrase ne puisse être entendue qu’en Europe et seulement dans la bouche d’Européens, nous fournit, paradoxalement, u
1711 e continent. Un homme qui nie que l’Europe existe et qu’elle ait une culture commune ne saurait être un Asiatique, un Afri
1712 près ce paradoxe. I. Les intellectuels sceptiques et les adversaires déclarés (ou non) de l’union européenne ont coutume d
1713 ltures nationales, car, disent-ils, les Allemands et les Français, ou les Scandinaves et les Italiens, par exemple, sont t
1714 les Allemands et les Français, ou les Scandinaves et les Italiens, par exemple, sont trop différents entre eux pour former
1715 rents entre eux pour former une unité quelconque. Et ils affirment secundo : qu’il ne saurait y avoir de culture spécifiqu
1716 ute vraie culture est universelle par définition, et nos problèmes, en Europe, sont à peu près les mêmes que ceux qui se p
1717 atives, d’ailleurs contradictoires, je le répète, et sans doute absurdes, mais si courantes ? La première, celle qui fait
1718 llemands sont portés à la philosophie, belliqueux et buveurs de bière, les Français ne pensent qu’à l’amour, les Suisses s
1719 usqu’à l’irritation, du tempérament, des coutumes et des préjugés de nos voisins. La seconde attitude, celle qui fait dire
1720 première attitude est en somme celle d’un myope, et la seconde, celle d’un presbyte. (Il est d’autant plus curieux de les
1721 , l’unité de notre culture s’impose immédiatement et sans hésitation à l’esprit de ceux qui l’observent, que ce soit en am
1722 i l’observent, que ce soit en amis ou en ennemis, et peut-être surtout en ennemis ! À ceux qui seraient tentés de nier, à
1723 de nier, à priori, l’originalité de notre culture et le fait qu’elle nous est commune du Cap Nord au Péloponnèse et de Mad
1724 ’elle nous est commune du Cap Nord au Péloponnèse et de Madrid à Varsovie, je répondrai d’un seul mot : Voyagez ! Quittez
1725 Voyagez ! Quittez l’Europe, vous la découvrirez ! Et dès que vous commencerez à pressentir certaines réalités vastes et in
1726 ommencerez à pressentir certaines réalités vastes et inquiétantes, vraiment « étrangère » cette fois-ci, vous commencerez
1727 , la multiplicité de nos différences — régionales et nationales, religieuses et morales, philosophiques et sociales — et l
1728 fférences — régionales et nationales, religieuses et morales, philosophiques et sociales — et leur coexistence dans l’espa
1729 ationales, religieuses et morales, philosophiques et sociales — et leur coexistence dans l’espace et le temps, et leur mut
1730 igieuses et morales, philosophiques et sociales — et leur coexistence dans l’espace et le temps, et leur mutuelle contesta
1731 s et sociales — et leur coexistence dans l’espace et le temps, et leur mutuelle contestation critique, et toutes les tensi
1732 — et leur coexistence dans l’espace et le temps, et leur mutuelle contestation critique, et toutes les tensions qui en ré
1733 le temps, et leur mutuelle contestation critique, et toutes les tensions qui en résultent, ne seraient-ce pas en un mot no
1734 noteraient le mieux l’originalité, la spécificité et la communauté — l’unité de notre culture ? Pendant une table ronde qu
1735 a phrase suivante, que j’ai plus d’une fois citée et publiée depuis : L’Européen ne serait-il pas cet homme étrange qui s
1736 dans la mesure précise où il doute qu’il le soit et prétend au contraire s’identifier soit avec l’homme universel, soit a
1737 rsité, non pas subie mais jalousement revendiquée et cultivée, que l’on peut voir le signe et la démonstration de l’origin
1738 endiquée et cultivée, que l’on peut voir le signe et la démonstration de l’originalité de notre culture. Mais cela n’appar
1739 notre culture. Mais cela n’apparaîtra clairement et ne deviendra vraiment sensible et convaincant, que si nous comparons
1740 îtra clairement et ne deviendra vraiment sensible et convaincant, que si nous comparons notre formule de l’unité paradoxal
1741 . Si nous considérons les cultures de l’Antiquité et les cultures extraeuropéennes qui subsistent encore ou qui tentent de
1742 origine unique, ou d’un grand principe formateur et d’une continuelle référence à cette source, qui assure la cohérence e
1743 référence à cette source, qui assure la cohérence et l’homogénéité des traditions. Tandis que dans d’autres cultures, l’un
1744 té traditionnelle, originelle, innée à la culture et découlant de son passé, d’autre part, unité synthétique imposée comme
1745 cadre rigide à la culture. Pour fixer les idées, et sans vouloir entrer dans de périlleuses analyses, j’illustrerai la pr
1746 ires contemporaines, telles que l’URSS de Staline et la Chine de Mao (pour ne rien dire des brèves tentatives avortées du
1747 brèves tentatives avortées du national-socialisme et du fascisme) serviront d’exemples pour la deuxième formule. Il suffir
1748 ’unité, originelle, à base de traditions sacrées, et la formule de l’unification contrainte, à base de décrets étatiques,
1749 ques, sont en violent contraste avec les réalités et principes caractéristiques de la culture européenne. La première vise
1750 culture européenne. La première vise à maintenir et la seconde à établir une unité dans l’homogène, facilement concevable
1751 une unité dans l’homogène, facilement concevable et vérifiable, tandis que l’Europe ne trouve son unité paradoxale, à la
1752 e trouve son unité paradoxale, à la fois évidente et presque informulable, que dans le libre jeu de ses diversités. Mais
1753 emander d’où proviennent ces fameuses diversités, et comment il se fait que l’Europe en ait tant et même les multiplie com
1754 s, et comment il se fait que l’Europe en ait tant et même les multiplie comme à plaisir, au lieu d’essayer de les réduire.
1755 la pluralité des origines de notre civilisation ; et elles sont entretenues ou renouvelées sans cesse par notre refus décl
1756 par notre refus déclaré de toute doctrine unique et unifiante, imposée par une force extérieure au mouvement spontané de
1757 a culture. Nous tous, que nous le sachions ou non et que nous l’acceptions ou non, et quel que soit notre passeport, desce
1758 sachions ou non et que nous l’acceptions ou non, et quel que soit notre passeport, descendons par nos mœurs, croyances ou
1759 oyances, par les mythes gouvernant nos sentiments et par nos formes de pensée, d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, et derr
1760 s et par nos formes de pensée, d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, et derrière ces trois villes illustres, du Proche-Orien
1761 es de pensée, d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, et derrière ces trois villes illustres, du Proche-Orient sémite, de l’Ir
1762 es illustres, du Proche-Orient sémite, de l’Iran, et de l’Inde. Nous venons aussi des profondeurs obscures du monde celtiq
1763 aussi des profondeurs obscures du monde celtique et du monde germanique, et parfois même du monde arabe. Entre ces origin
1764 bscures du monde celtique et du monde germanique, et parfois même du monde arabe. Entre ces origines diverses, hétérogènes
1765 ujours provisoires. Entre l’homme grec, astucieux et critique, le citoyen romain obéissant à la raison d’État, le fidèle c
1766 bre quand il touche son épée, le Celte romantique et magique — et nous descendons tous de la plupart d’entre eux, par les
1767 touche son épée, le Celte romantique et magique — et nous descendons tous de la plupart d’entre eux, par les coutumes cons
1768 plupart d’entre eux, par les coutumes conscientes et inconscientes autant et plus que par les chromosomes — que de contrad
1769 les coutumes conscientes et inconscientes autant et plus que par les chromosomes — que de contradictions insurmontables,
1770 is boiteux, de polémiques subtiles ou passionnées et d’alliances imprévues, infiniment variées selon les temps et les lieu
1771 ces imprévues, infiniment variées selon les temps et les lieux et toujours remises en question. De cet immense complexe de
1772 , infiniment variées selon les temps et les lieux et toujours remises en question. De cet immense complexe de tensions, dé
1773  : le dynamisme européen. Si nous avons découvert et conquis, ou en tout cas marqué de notre empreinte le monde entier, no
1774 e nous le devons, aux conflits spirituels, drames et tensions qui devaient nécessairement en résulter, et qui nous condamn
1775 tensions qui devaient nécessairement en résulter, et qui nous condamnaient à la recherche, à l’invention, à l’expansion, à
1776 , ont pu jouer. Mais la diversité de nos origines et leur discussion millénaire suffisent dans tous les cas à rendre compt
1777 ous les cas à rendre compte d’un dynamisme unique et sans rival dans les annales du genre humain. 4. En dépit de ce que je
1778 nt, j’envisagerai maintenant les éléments communs et permanents, les caractères spécifiques de la culture européenne ; j’e
1779 apparaît immédiatement comme à la fois pluraliste et profane. Culture de dialogue et de contestation, du seul fait de ses
1780 a fois pluraliste et profane. Culture de dialogue et de contestation, du seul fait de ses origines multiples, et des valeu
1781 estation, du seul fait de ses origines multiples, et des valeurs souvent incompatibles qu’elle en a héritées, l’Europe n’a
1782 utions, sa religion, sa philosophie, son économie et ses arts. On a beau citer le Moyen Âge comme une période bénie d’unit
1783 n Âge comme une période bénie d’unité des esprits et des cœurs, telle que l’a décrite Novalis : nous savons aujourd’hui qu
1784 is : nous savons aujourd’hui qu’il n’en fut rien, et que les conflits qui déchirèrent le Moyen Âge ne furent pas moins vio
1785 ilisation n’a pas produit seulement de l’anarchie et des guerres. Il a contraint les élites, et par elles la partie agissa
1786 archie et des guerres. Il a contraint les élites, et par elles la partie agissante des masses européennes, à développer ce
1787 ective, le sens de la responsabilité personnelle, et le sens de la liberté. Ces trois vertus se conditionnent et s’impliqu
1788 de la liberté. Ces trois vertus se conditionnent et s’impliquent mutuellement en Europe. En revanche, il est évident qu’e
1789 ritiers des premiers principes de la mathématique et de l’astronomie élaborées par les civilisations du Proche-Orient. Mai
1790 u monde qu’il a créé. Dans nos rapports avec Dieu et le monde, nous ne pouvons pas nous satisfaire d’illusions flatteuses,
1791 e. Ainsi peut-on s’expliquer les motifs religieux et philosophiques d’un des caractères les plus indiscutables de notre cu
1792 a vérité, qui a pour corollaire le sens critique, et qui a permis le développement des sciences, notamment. Voilà qui peut
1793 la vérité dite objective, de la simple véracité, et du recours aux preuves par neuf. L’Asie et l’Afrique ignorent cette e
1794 acité, et du recours aux preuves par neuf. L’Asie et l’Afrique ignorent cette exigence de l’objectivité, et professent un
1795 Afrique ignorent cette exigence de l’objectivité, et professent un dédain notoire pour la simple véracité. Leurs cultures
1796 doit répondre de ses actes à la fois devant Dieu et devant la société, donc devant son destin sur la terre comme au ciel,
1797 sulte une double exigence de recueillement en soi et d’ouverture au monde, de méditation et d’action, ou, traduit en langa
1798 ent en soi et d’ouverture au monde, de méditation et d’action, ou, traduit en langage plus moderne : de loisir vraiment li
1799 langage plus moderne : de loisir vraiment libre, et de travail. Voilà encore une banalité, me dira-t-on. Mais comparons,
1800 loisirs — dûment organisés — au travail productif et collectif, qui devient le seul but de la vie. Mais c’est un but imper
1801 is c’est un but impersonnel, purement quantitatif et matériel, fixé par le gouvernement, au nom d’une doctrine sans ampleu
1802 sans ampleur ; c’est un but général, statistique et abstrait, sans relation directe ou immédiate avec le salut de la pers
1803 nne, le bonheur, la sagesse, la saveur de la vie, et le sens même de chaque vie. Les cultures traditionnelles au contraire
1804 ont tout réglé. D’où la paresse immense de l’Asie et de l’Afrique — le climat tropical n’explique pas tout, loin de là ! E
1805 climat tropical n’explique pas tout, loin de là ! Et lorsque les pays « sous-développés » revendiquent à grands cris de ha
1806 arité, puisqu’elle refuse la réalité du prochain. Et certes, cela ne signifie pas théoriquement que la sagesse védantique,
1807 nt qu’on ne peut pas « eat his cake and have it » et qu’il y a lieu de reconsidérer de part et d’autre la relation entre l
1808 ve it » et qu’il y a lieu de reconsidérer de part et d’autre la relation entre les croyances fondamentales de nos cultures
1809 entre les croyances fondamentales de nos cultures et le genre de vie que ces cultures permettent — soit pour modifier cett
1810 ent lié à celui de la responsabilité personnelle, et que l’un n’irait pas sans l’autre. Un homme n’est vraiment libre que
1811 a seule mesure où il est responsable de son sort, et à l’inverse, on ne saurait tenir un homme pour responsable de ses act
1812 t de jouir des droits du citoyen à part entière — et tous ces éléments spirituels, juridiques, subversifs ou philosophique
1813 diques, subversifs ou philosophiques se combinent et permutent à doses variables dans notre idée de la liberté. Il n’est p
1814 cile à définir, ni plus facile à nier en théorie, et il n’est pas d’idée plus exaltante en fait pour les Européens de tout
1815 toute nation, de toute classe, de toute croyance et de toute incroyance. L’appel à la liberté, la revendication de la lib
1816 plus commun à tous les hommes de notre continent, et l’on peut voir en lui le plus proche équivalent de l’invocation au sa
1817 ’âge en âge à créer, inventer, émigrer, exporter, et nous condamnent à l’expansion. Que ce mouvement ait été baptisé « imp
1818 siècle, voilà qui me paraît purement accidentel et relatif. Toute énergie, toute force physique ou spirituelle, peut êtr
1819 usqu’ici, relatives à l’origine de nos diversités et de nos vertus cardinales, paraîtront peut-être un peu abstraites. Il
1820 expliquer laborieusement les origines historiques et les motifs philosophiques de notre dynamisme européen, je vais énumér
1821 uropéens qui ont développé les sciences physiques et naturelles à un degré littéralement incomparable. Certes, les peuples
1822 e, ce Laboratoire du Monde, a poussé les sciences et les techniques qui en dérivent jusqu’au point où elles permettent non
1823 truire, ou de se transformer demain radicalement, et d’une manière imprévisible. Avant de concentrer ses énergies sur cett
1824 c guère moins d’audace, l’exploration de l’espace et du temps. L’espace d’abord. Ce sont les Européens qui ont découvert l
1825 s Européens qui lui ont donné son contenu concret et ont seuls démontré sa consistance. On peut le dire : l’idée de genre
1826 Ce sont les Européens qui ont inventé l’histoire et l’historiographie, avec tout ce que cela implique : philosophie de l’
1827 n tire, renouvellement des arts, sujets de romans et de pièces de théâtre, arsenal de citations pour les hommes politiques
1828 arsenal de citations pour les hommes politiques, et finalement : superstition moderne du « sens de l’histoire », qui non
1829 à partir de la découverte géographique du monde. Et l’on sait le rôle décisif que ces sciences ont joué dans l’évolution
1830 nt joué dans l’évolution récente de la sociologie et de la psychologie analytique, autres inventions de l’Europe. Enfin, p
1831 tous les trésors ainsi ramenés du fond des temps et de l’espace, les Européens ont inventé le Musée. Et, à partir de ces
1832 de l’espace, les Européens ont inventé le Musée. Et , à partir de ces condensations prodigieuses de siècles et de continen
1833 rtir de ces condensations prodigieuses de siècles et de continents, ils ont élaboré les préalables d’une science comparée
1834 es préalables d’une science comparée des cultures et des civilisations, des religions et des arts, des morales et des gouv
1835 des cultures et des civilisations, des religions et des arts, des morales et des gouvernements, et cette sociologie total
1836 lisations, des religions et des arts, des morales et des gouvernements, et cette sociologie totale ou planétaire, prépare
1837 ns et des arts, des morales et des gouvernements, et cette sociologie totale ou planétaire, prépare elle aussi les voies d
1838 du genre humain. Sciences, physiques, techniques et machines, découverte du globe, histoire, archéologie, ethnographie, s
1839 sociologie, psychologie, philosophie critique, —  et je n’indique ici que des têtes de chapitre, et j’ai laissé de côté l’
1840 — et je n’indique ici que des têtes de chapitre, et j’ai laissé de côté l’immense chapitre de nos créations sociales et d
1841 côté l’immense chapitre de nos créations sociales et de nos institutions ! — voilà ce que l’Europe a créé, voilà ce qu’ell
1842 nt nées des profondeurs de la culture européenne, et restent liées, dans leur évolution comme dans leur genèse, à tout le
1843 elles appellent le monde, elles s’en nourrissent, et toutes, elles préparent son unité après avoir exploré ses variétés. J
1844 je viens d’énumérer. Il y faudrait tout un livre, et il se trouve que je l’ai déjà écrit. Je me bornerai donc à rappeler,
1845 e a produit non seulement les notions de personne et de liberté, mais aussi les sciences et enfin les machines, si hétérog
1846 e personne et de liberté, mais aussi les sciences et enfin les machines, si hétérogènes que puissent nous apparaître ces d
1847 c’est en vertu même de cette dialectique infinie et toujours ouverte que je décrivais dans la première partie de mon expo
1848 posé, en vertu même de cette séculaire discussion et dissension entre nos origines multiples, entre nos religions et nos p
1849 entre nos origines multiples, entre nos religions et nos philosophies, entre nos déterminations natives et notre volonté d
1850 os philosophies, entre nos déterminations natives et notre volonté de les surmonter, qui est volonté de liberté, volonté d
1851 st volonté de liberté, volonté de responsabilité, et volonté de vérité à n’importe quel prix. Voici donc notre situation d
1852 du xxe siècle : Nos créations les plus typiques et les plus spectaculaires, surgies de la problématique tragique qui déf
1853 me de l’Europe, se voient soudain universalisées, et dans les apparences tout au moins, adoptées par le monde entier. Notr
1854 ier. Notre culture est l’essence même de l’Europe et de son histoire, et voici que pourtant elle crée le monde, elle crée
1855 st l’essence même de l’Europe et de son histoire, et voici que pourtant elle crée le monde, elle crée la possibilité d’un
1856 rs pouvoirs par ce monde même qu’ils ont suscité. Et Dieu sait de quelle manière les autres continents menacent d’abuser d
1857 il périlleux de l’ère mondiale. Moment dramatique et passionnant, dont il nous faut tâcher d’évaluer les risques angoissan
1858 ous faut tâcher d’évaluer les risques angoissants et les chances admirables. Pour ma part, je voudrais proposer quelques o
1859 part, je voudrais proposer quelques observations et suggestions sur ce qui se passe d’étrange et de démesuré devant nos y
1860 ions et suggestions sur ce qui se passe d’étrange et de démesuré devant nos yeux, et sur la politique que nous devons imag
1861 e passe d’étrange et de démesuré devant nos yeux, et sur la politique que nous devons imaginer pour y faire face. Nous dev
1862 ens, prendre une conscience à la fois plus intime et plus globale de l’originalité de notre culture, mieux comprendre ce q
1863 endre ce que nous sommes, ce que nous avons fait, et pourquoi. Et nous devons en même temps nous préparer à affronter des
1864 nous sommes, ce que nous avons fait, et pourquoi. Et nous devons en même temps nous préparer à affronter des synthèses nou
1865 nouvelles, mais au niveau des valeurs créatrices, et non pas au niveau des sous-produits de notre culture. L’originalité d
1866 la culture européenne n’est nullement supprimée, et ne doit pas être masquée, par le fait actuel de sa diffusion mondiale
1867 mondiale. On nous répète à satiété que la science et la technique sont aujourd’hui des réalités mondiales, et n’appartienn
1868 echnique sont aujourd’hui des réalités mondiales, et n’appartiennent plus à l’Europe, mais plutôt aux Américains et aux Ru
1869 nnent plus à l’Europe, mais plutôt aux Américains et aux Russes, demain aux Chinois. Oui, bien sûr, mais c’est tout de mêm
1870 est tout de même l’Europe qui a créé les sciences et la technique, dans le contexte de sa culture, grâce aux valeurs et au
1871 dans le contexte de sa culture, grâce aux valeurs et aux vertus de cette culture. C’est un fait que l’Europe a répandu sur
1872 hniques, son hygiène, ses institutions politiques et sociales, son parlementarisme, ses syndicats, tous ses arts et sa phi
1873 son parlementarisme, ses syndicats, tous ses arts et sa philosophie en tant qu’activités profanes, et tous leurs procédés
1874 et sa philosophie en tant qu’activités profanes, et tous leurs procédés et un peu de leur logique… Mais l’Europe n’a pas
1875 ant qu’activités profanes, et tous leurs procédés et un peu de leur logique… Mais l’Europe n’a pas exporté sa sagesse régu
1876 trecroisées, d’innombrables tensions, déchirantes et fécondes. Ainsi le monde entier reçoit avec avidité nos machines, nos
1877 l ne reçoit pas les valeurs religieuses, éthiques et philosophiques, qui expliquent seules la genèse de ces produits, et q
1878 qui expliquent seules la genèse de ces produits, et qui seules permettraient de les maintenir en composition. Il retourne
1879 machines, costumes, voirie, transports, urbanisme et architecture : à tel point que l’on a pu dire que Naples est la seule
1880 méprise, ou ignore simplement, notre psychologie et notre spiritualité. Il exige nos machines, mais refuse ou ignore notr
1881 esure exacte où elle a découvert le genre humain. Et le sort de l’Europe dépend de son union. L’union de l’Europe, en 1946
1882 L’union de l’Europe, en 1946, avait un but précis et limité : empêcher les Français et les Allemands de se battre. Ce prem
1883 t un but précis et limité : empêcher les Français et les Allemands de se battre. Ce premier but est parfaitement atteint.
1884 faire l’Europe, parce qu’il faut faire le monde, et que l’Europe seule peut le faire. Or, elle doit d’abord exister. Mais
1885 . Or, elle doit d’abord exister. Mais on me dira, et une part de moi-même me dit : après tout, que peut bien nous faire le
1886 ence. Mais qui d’entre nous peut concevoir sa vie et le sens de sa vie en dehors du sort de l’Europe, dont dépend le sort
1887 ils doutent de l’avenir prochain de notre Europe, et de son pouvoir de faire face au grand projet mondial qu’elle-même a s
1888 e au grand projet mondial qu’elle-même a suscité, et qui commande au préalable notre union. À ceux qui demandent d’abord d
1889 x, des certitudes bien calculées avant de partir, et une réponse à leurs angoisses privées, je répondrai simplement ceci :
1890 appelle est sans doute plus grave que la nôtre ; et notre devoir aujourd’hui, est bien moins de prévoir notre histoire qu
19 1960, Articles divers (1957-1962). Une fusée à trois étages : bref historique de la Fondation (octobre 1960)
1891 tés de la banque, de l’industrie, de la politique et des organisations internationales, fondèrent ce jour-là le Club europ
1892 es valeurs morales, des structures de la société, et des techniques, que tous les autres peuples de la Terre ont adoptées
1893 ’hui non seulement pour la conserver, mais encore et surtout, pour l’aider à faire face au défi tout nouveau que lui porte
1894 aines. Cette situation n’est ni normale ni saine, et peut même devenir démoralisante. Un moyen d’y remédier rapidement ser
1895 orale de notre continent, à rendre aux chercheurs et créateurs de nos pays une confiance en soi et en l’avenir qui est l’u
1896 urs et créateurs de nos pays une confiance en soi et en l’avenir qui est l’une des premières conditions de la vitalité d’u
1897 ises, au cours de l’année suivante, pour discuter et mettre au point les objectifs, le mode de financement et les statuts
1898 re au point les objectifs, le mode de financement et les statuts de l’institution projetée. Le 16 décembre 1954, au Centre
1899 Marinotti, J. H. Retinger, R. Silva, G. Villiers et le Baron van Zeeland, — ces huit personnes constituant le premier noy
1900 ulut bien accepter la présidence de la Fondation, et il n’a cessé de l’exercer effectivement depuis lors. Pour faciliter l
1901 avait offert de partager une partie de ses locaux et de son staff à Genève. Les frais généraux purent ainsi être réduits a
1902 ermettre à la Fondation d’une part de s’organiser et d’élaborer son programme, d’autre part de rassembler les fonds qui lu
1903 i que les fonds viennent à qui sait entreprendre, et qu’ils seraient donc trouvés dans la mesure même où les activités par
1904 ure même où les activités paraîtraient effectives et convaincantes. Deux départements spécialisés furent donc créés sans p
1905 c créés sans plus attendre : celui de l’éducation et celui des Beaux-Arts. Le premier mit sur pied une série d’expériences
1906 l’exécution devait être confiée dès 1956 au CEC) et le second commanda des œuvres nouvelles à six jeunes compositeurs, au
1907 urent décernées. Un comité d’experts en éducation et un jury musical présidèrent au choix des expériences-pilotes et des c
1908 ical présidèrent au choix des expériences-pilotes et des compositeurs. En même temps, plusieurs subventions furent accordé
1909 les, à l’Association des universitaires d’Europe, et au département cartographique du Collège d’Europe. Lors de la réunion
1910 deux institutions, déjà statutairement distinctes et de fonctions très différentes — l’une devant financer des projets, l’
1911 congrès destiné à faire mieux connaître ses buts et à recueillir des fonds plus importants d’un plus grand nombre de sour
1912 nt à Amsterdam en 1957, le second à Milan en 1958 et le troisième à Vienne, en 1959. Un séminaire pour « jeunes responsabl
1913 n 1959. Un séminaire pour « jeunes responsables » et une table ronde des institutions culturelles européennes furent organ
1914 r la Fondation à l’occasion du congrès de Vienne, et se réuniront de nouveau lors du congrès de Copenhague, en 1960. La ta
1915 compte répartir entre ses membres des subventions et des bourses pour des projets déterminés. Reprenant maintenant notre c
1916 enu, pour la Fondation, de « mettre à feu » le 3e et dernier étage : celui de l’aide effective aux efforts culturels tenda
1917 accord qui vient d’être conclu entre la Fondation et le Fonds culturel du Conseil de l’Europe, permettant la création de c
1918 upement des institutions européennes, économiques et politiques, qui doit se réaliser d’ici la fin de l’année. z. Rouge
1919 es : bref historique de la Fondation », Caractère et culture de l’Europe, Amsterdam, octobre 1960, p. 5-6.
20 1961, Articles divers (1957-1962). Tristan et Iseut à travers le temps (1961)
1920 Tristan et Iseut à travers le temps (1961)aa ab I. Qui d’entre vous ne s
1921 s, vous plaît-il d’entendre un beau conte d’amour et de mort ? Seigneurs et dames ici présents, vous répondez tous dans v
1922 dre un beau conte d’amour et de mort ? Seigneurs et dames ici présents, vous répondez tous dans vos cœurs : Rien au monde
1923 e nous vaut la lecture des légendes arthuriennes, et d’abord de celle de Tristan, ce plaisir « à jamais littéraire » pour
1924 escent, nous le devons tous aux travaux inspirés, et pourtant précis à l’extrême, de quelques-uns des grands érudits de ce
1925 uns des grands érudits de ce siècle, Gaston Paris et Joseph Bédier en premier lieu, Reto Bezzola et Gottfried Weber plus r
1926 is et Joseph Bédier en premier lieu, Reto Bezzola et Gottfried Weber plus récemment, et puis entre ces deux générations, E
1927 , Reto Bezzola et Gottfried Weber plus récemment, et puis entre ces deux générations, Ernest Vinaver — que vous célébrez a
1928 u xxe siècle les textes originaux de la légende, et leur contexte culturel et historique, ces hommes ont fait bien plus q
1929 riginaux de la légende, et leur contexte culturel et historique, ces hommes ont fait bien plus qu’une œuvre scientifique,
1930 mes ont fait bien plus qu’une œuvre scientifique, et sérieuse aux yeux des confrères : ils ont permis à l’Occident moderne
1931 logies servent à faire entendre la force des mots et à les retenir par la liaison qui se trouve entre le mot primitif et l
1932 ar la liaison qui se trouve entre le mot primitif et les mots dérivés. De plus, elles donnent de la justesse dans le choix
1933 belle définition dans les termes de notre sujet, et cela donne à peu près ceci : « Les restitutions de Tristan servent à
1934 liaison qui se trouve entre la légende primitive et ses expressions dérivées dans nos littératures et dans nos vies. De p
1935 et ses expressions dérivées dans nos littératures et dans nos vies. De plus, elles donnent de la justesse dans le style de
1936 de la légende de Tristan, qui remontent aux xiie et xiiie siècles, expriment bien autre chose qu’un thème romanesque, — 
1937 de l’âme occidentale. Mais qu’est-ce qu’un mythe, et qu’est-ce que l’âme ? Tout auteur qui se permet ces grands mots doit
1938 ds, c’est une histoire, généralement très simple, et invariable en sa donnée — bien qu’offrant des possibilités infinies d
1939 elles les plus diverses — une histoire qui décrit et révèle d’une manière imagée, symbolique, une structure de notre exist
1940 de d’autres manières de s’exprimer, plus directes et abstraites à la fois, comme la logique et la mathématique ; et non pa
1941 irectes et abstraites à la fois, comme la logique et la mathématique ; et non pas de notre existence physique ou animale,
1942 à la fois, comme la logique et la mathématique ; et non pas de notre existence physique ou animale, car celle-là échappe
1943 -là échappe au discours, s’exprime en sensations, et peut-être traduite à la rigueur en formules de biochimie. De quoi s’a
1944 imie. De quoi s’agit-il donc ici ? Entre le corps et l’intellect, la tradition distingue une troisième forme de l’existenc
1945 l’âme. Je ne prends pas ce mot dans le sens noble et vague que lui donnent un peu trop facilement les poètes, ni dans le s
1946 alité de l’âme ». Je prends le mot au sens précis et véritablement traditionnel, qui se retrouve dans certains dérivés com
1947 ’âme. L’âme est en propre le domaine des émotions et des passions. L’émotion est la preuve de l’âme, tout comme la sensati
1948 , tout comme la sensation est la preuve du corps, et la pensée, la preuve de l’intellect. La passion, c’est une impulsion
1949 sion, c’est une impulsion qui outrepasse les lois et routines de l’instinct, et qui va se heurter aux conventions sociales
1950 ui outrepasse les lois et routines de l’instinct, et qui va se heurter aux conventions sociales. Ainsi, l’amour-passion es
1951 la sexualité, mais aussi des décrets de la morale et des conseils de la raison. L’amour-passion relève par excellence de l
1952 trouvé son expression la plus totale, délicieuse et tragique à la fois. C’est à ce mythe qu’il doit, depuis le xiie sièc
1953 st à ce mythe qu’il doit, depuis le xiie siècle, et dans nos sociétés occidentales, son pouvoir à jamais contagieux. Ceci
1954 les, son pouvoir à jamais contagieux. Ceci posé — et je m’excuse du ton quelque peu didactique de ce rappel au sens des mo
1955 sidérons le mythe lui-même dans sa pleine stature et ses profonds pouvoirs, mais aussi dans l’erreur innombrable qu’il sus
1956 us fort que la vie qui dégrade, assagit, amortit, et réduit aux routines. C’est le mythe de l’amour inaltérable, inaltéré
1957 des caractères qui se heurtent à propos de rien, et des tempéraments qui s’accordèrent un jour, dans l’instant du premier
1958 preuve de l’engagement dans les rapports sociaux, et même de l’engagement dans un rapport concret avec un Autre toujours i
1959 le premier regard, par une intuition fulgurante — et c’est le fameux coup de foudre romantique — a cru voir en lui la lueu
1960 sur l’esprit, libérée des corps dont elle vient, et survolant les irritantes vicissitudes de notre incarnation présente.
1961 time du mythe n’est pas Tristan, n’est pas Iseut, et n’est pas non plus leur passion, qui triomphe au contraire de tout. L
1962 ditions de la culture occidentale : le romantisme et le roman. Retracer leur évolution du xiiie siècle jusqu’à nos jours,
1963 au niveau des confusions morales les plus banales et complaisantes. Ce serait aller de l’apparition d’un mythe sacré, voil
1964 s sur le thème du triangle, roman pour midinettes et films de série, dont le love interest est l’ingrédient forcé, dernièr
1965 ansfigurante. L’histoire du mythe, dans nos mœurs et coutumes, ne serait-elle que l’histoire d’une longue profanation ? Fa
1966 -il penser que les pouvoirs du mythe sont épuisés et que nous serons peut-être les derniers à subir son « tourment délicie
1967 légende primitive ? Mais si le mythe est épuisé, et s’il était vraiment un mythe de l’âme, faut-il conclure que c’est l’â
1968 émotive, dans l’homme contemporain, qui s’épuise et qui s’atrophie, entre le corps et l’intellect seuls cultivés par notr
1969 n, qui s’épuise et qui s’atrophie, entre le corps et l’intellect seuls cultivés par notre civilisation ? L’hygiène, la tec
1970 par notre civilisation ? L’hygiène, la technique et la science, et une dose de psychanalyse, vont-elles exorciser la soci
1971 lisation ? L’hygiène, la technique et la science, et une dose de psychanalyse, vont-elles exorciser la société future, éva
1972 le consisterait à montrer la dégradation continue et , semble-t-il, irréversible, des obstacles opposés à la passion. Or on
1973 crés, coutumiers ou légaux ; qu’elle s’en nourrit et même les invente au besoin. Sans les obstacles accumulés entre les am
1974 lus tard le romantisme, puis acceptant le divorce et permettant que la reine convole en justes noces avec le chevalier. Et
1975 reine convole en justes noces avec le chevalier. Et l’on recule épouvanté devant l’idée d’Iseut devenant Madame Tristan !
1976 ien sacré, adversaire à la taille de la passion ; et que, loin de provoquer celle-ci par ses refus intransigeants, il prét
1977 ’une version renouvelée de l’archétype de Tristan et Iseut. Ils cherchent donc partout l’obstacle qui résiste, et n’en tro
1978 ls cherchent donc partout l’obstacle qui résiste, et n’en trouvent guère. L’Homme sans qualités, de Musil, la Lolita de Na
1979 e un malade mental. Un psychanalyste l’eût guéri, et le roman n’eût pas eu lieu. Si les derniers tabous viennent à céder,
1980 ’est littéralement sans histoire. Ou bien encore, et ce serait mieux, je crois, il leur reste le mythe de Don Juan, ce cli
1981 ai que la passion se nourrit d’obstacles choisis, et que notre culture tend à les supprimer, il reste un obstacle suprême,
1982 -là justement dont triomphe la passion de Tristan et d’Iseut : et c’est la mort. J’ai laissé jusqu’ici dans l’ombre cet as
1983 dont triomphe la passion de Tristan et d’Iseut : et c’est la mort. J’ai laissé jusqu’ici dans l’ombre cet aspect trop sou
1984 nt, trop facilement cité, du « beau conte d’amour et de mort ». Les obstacles sociaux, coutumiers ou sacrés, ont cédé à no
1985 séparation la plus irrémédiable est dans la mort, et toutes nos sciences, ici, se récusent et se taisent. Or c’est ici que
1986 la mort, et toutes nos sciences, ici, se récusent et se taisent. Or c’est ici que la passion mythique va se dresser dans s
1987 our de leur vie, car ils ont beu leur destruction et leur mort ». Certes, c’est vrai pour leur existence dans ce monde, ma
1988 u’il me donne l’audace de négocier avec la mort. Et Wagner, le dernier auteur de la légende qu’il a su recréer d’après na
1989 asbourg, inspiré lui-même des Bretons, de Béroul, et d’on ne sait qui d’autre, Wagner décrit par sa musique, vrai langage
1990 st un jour qui renaît, non pas le jour des hommes et de leur peine quotidienne, mais l’horizon du nouveau Jour qui révéler
1991 s actions d’un homme sur la terre, ses intentions et ses désirs et ses amours, composent au Ciel un être de lumière, une c
1992 homme sur la terre, ses intentions et ses désirs et ses amours, composent au Ciel un être de lumière, une contrepartie tr
1993 me est double : individu sur Terre, transitoire — et germe d’un être éternel qui est son vrai moi, et qui est un ange au c
1994 et germe d’un être éternel qui est son vrai moi, et qui est un ange au ciel. Et ces anges, nommés Fravartis, sont des ent
1995 qui est son vrai moi, et qui est un ange au ciel. Et ces anges, nommés Fravartis, sont des entités féminines. On retrouve
1996 ont des entités féminines. On retrouve ici Dante, et Goethe, et peut-être bien notre mythe. L’événement majeur, la scène c
1997 ités féminines. On retrouve ici Dante, et Goethe, et peut-être bien notre mythe. L’événement majeur, la scène capitale du
1998 de la Lumière-de-Gloire restituant toutes choses et tous les êtres dans leur pureté paradisiaque, « dans un décor de mont
1999 céleste, jeune femme d’une beauté resplendissante et qui lui dit : — Je suis toi-même ! Mais si l’homme sur la Terre a mal
2000 u de la Fravarti c’est une apparition monstrueuse et défigurée qui reflète son état déchu. Je ne puis m’empêcher d’imagin
2001 e aurorale » avec le moi céleste en forme d’ange, et femme, figure la conclusion du mythe de Tristan : ce qui se passe tro
2002 de lumière qu’on ne rejoint que dans un au-delà, et qui aurait été, sur la Terre, le véritable objet du désir de Tristan,
2003 objet du désir de Tristan, sa princesse lointaine et son « amour de loin » comme parlait le troubadour Jaufré Rudel ? L’ap
2004 me » suppose d’abord une dualité entre l’individu et le vrai moi, sans laquelle on ne saurait s’aimer soi-même, puisqu’« i
2005 imer vraiment, ce serait aimer l’ange en soi-même et dans l’autre, identiquement ; ce serait deviner l’ange, en soi-même e
2006 tiquement ; ce serait deviner l’ange, en soi-même et dans l’autre, l’aider à naître, et le rejoindre enfin dans le monde l
2007 e, en soi-même et dans l’autre, l’aider à naître, et le rejoindre enfin dans le monde lumineux de notre nostalgie. Mais al
2008 tre même, au fait de la personne. Nulle technique et nulle science de l’homme ne peut nous être ici d’aucun secours. Il fa
2009 ’aucun secours. Il faut aimer, pour le comprendre et rapporter l’amour à ses fins spirituelles. Le mythe peut nous y aider
2010 tre vie affective, de lui offrir un modèle simple et pur, une grande image ordonnatrice de la passion. En restituant à not
2011 èle de l’amour-passion, dans sa grandeur première et drue, les philologues nous ont mis au défi d’apporter un peu plus de
2012 u plus de justesse dans le style de nos émotions. Et ce n’est pas seulement de la littérature qu’ils ont bien mérité, mais
2013 s de l’âme. aa. Rougemont Denis de, « Tristan et Iseut à travers le temps », Bulletin de l’Académie royale de langue e
2014 temps », Bulletin de l’Académie royale de langue et littérature françaises, Bruxelles, 1961, p. 214-221. ab. Précédé de
2015 d’intéressantes théories sur le roman de Tristan et Iseut, en réponse à M. Maurice Delbouille qui avait traité le même th
2016 en invitant à sa tribune, pour y évoquer Tristan et Iseut sous un angle tout différent, M. Denis de Rougemont, qui a trai
2017 emont, qui a traité, lui, du « mythe » de Tristan et Iseut dans plusieurs ouvrages. M. Robert Guiette, directeur de l’Acad
2018 e, se proposait d’introduire l’auteur de L’Amour et l’Occident . Celui-ci, par un fâcheux contretemps, dut renoncer le ma
2019 a rappelé que “de ses observations sur les récits et de sa réflexion sur le mythe de l’amour-passion, M. de Rougemont a ti
2020 r fondé sur l’étude des textes la plus rigoureuse et la plus sensible, un autre exposé que nous attendons, un exposé, comm
21 1961, Articles divers (1957-1962). Nos meilleurs esprits (1961)
2021 duit Dante, l’Allemagne Goethe, la France Pascal, et les États-Unis Orson Welles. Sa boutade est moins sotte qu’elle n’en
2022 cusent à mes yeux, sans la justifier pour autant. Et tout d’abord il faut bien constater que dans la petite phrase incrimi
2023 l’horlogerie suisse donne l’heure au monde entier et ne craint personne. Il faut admettre ensuite que notre aurea mediocri
2024 des Européens dotés d’une bonne culture moyenne. Et finalement, il faut avouer que le statut du « grand homme » en Suisse
2025 -on qu’un étranger le voit ? S’il vient chez nous et cite l’un des Suisses qu’il connaît par sa réputation mondiale, pas u
2026 s frontières visibles ; deux confessions majeures et trente-six sectes, qui se côtoient partout mais qui s’ignorent ; je n
2027 gnorent ; je ne sais combien de races, de classes et de dialectes, jalousement préservés, et presque sans mélange ; une do
2028 e classes et de dialectes, jalousement préservés, et presque sans mélange ; une douzaine de paysages ou décors types, et l
2029 lange ; une douzaine de paysages ou décors types, et l’on va de l’un à l’autre en une demi-heure, parfois en deux minutes
2030 vue se ferme sur un paysage de plateaux nordiques et rhénans, collines où montent les sapins en bataillons noirs et pensif
2031 ollines où montent les sapins en bataillons noirs et pensifs, s’arrêtant au sommet d’un seul coup, — et s’ouvre à l’autre
2032 t pensifs, s’arrêtant au sommet d’un seul coup, —  et s’ouvre à l’autre bout dans l’espace doré d’un ciel méridional que do
2033 un lac immense… Compartiments, esprit de groupe, et sociétés. Mais petits groupes de gens qui ne se connaissent que trop,
2034 s groupes de gens qui ne se connaissent que trop, et sociétés solides si leur but est restreint. Si bien que l’homme de po
2035 lui qui ferait mine de dépasser la mesure commune et d’être un chef. Un Führer suisse est impensable. Mais dans le domaine
2036 école, un public excité, un snobisme ou une cour, et un sens de la démesure. C’est tout cela qu’interdisent moralement nos
2037 tout cela qu’interdisent moralement nos coutumes, et physiquement nos petits compartiments. Que fera l’homme de talent, d’
2038 lus grands ponts « in the world », le Golden Gate et le Washington Bridge. Les Tessinois Jean et Domenico Fontana, le Roma
2039 Gate et le Washington Bridge. Les Tessinois Jean et Domenico Fontana, le Romand Le Corbusier, l’Alémanique Ammann, autant
2040 ivresse des sommets. L’intuition de la grandeur. Et plus d’obstacle devant la pensée. Le Suisse s’appelle Jean-Jacques. I
2041 Son canton — ou l’Europe. Voilà qui est bien dit et bien vu, mais le Français ne fait-il pas trop belle la part des Suiss
2042 atal, iront chercher dans les jeux de la synthèse et dans les larges vues panoramiques les grandes dimensions qui leur man
2043 nquent. Paracelse était Suisse, comme C. G. Jung, et Rousseau comme Jacob Burckhardt, et Madame de Staël comme personne. J
2044 e C. G. Jung, et Rousseau comme Jacob Burckhardt, et Madame de Staël comme personne. Jean de Müller, historien des Suisses
2045 mpant sur nos Alpes que ces hommes s’illustrèrent et apprirent à voir grand ; c’est au contraire en quittant leur pays. Pa
2046 natal de Schwyz, Léonard Euler vécut en Allemagne et à la cour de Russie, Jean de Müller à Vienne et à Berlin, Jean-Jacque
2047 e et à la cour de Russie, Jean de Müller à Vienne et à Berlin, Jean-Jacques, Madame de Staël et Benjamin Constant à Paris.
2048 Vienne et à Berlin, Jean-Jacques, Madame de Staël et Benjamin Constant à Paris. Quant à un C. G. Jung, à un C. F. Ramuz, à
2049 uisse, ce n’est pas la Suisse qui a fait leur nom et qui l’a propagé au loin ; c’est au contraire de l’étranger, des grand
2050 contraire de l’étranger, des grands pays voisins et parfois de l’Amérique, que ce nom nous est revenu, comme importé. Un
2051 n’indique ici que le thème : un ou deux exceptés ( et cela se discuterait) ils furent tous, à des titres divers, des hommes
2052 ateurs de grandes affaires publiques, théologiens et pédagogues, nous les voyons tous assumer des devoirs sociaux ou civiq
2053 , ni de compositeurs du plus haut rang. Hölderlin et Keats, Mozart et Rubens, Shakespeare et Dostoïevski seraient impensab
2054 urs du plus haut rang. Hölderlin et Keats, Mozart et Rubens, Shakespeare et Dostoïevski seraient impensables en tant que S
2055 Hölderlin et Keats, Mozart et Rubens, Shakespeare et Dostoïevski seraient impensables en tant que Suisses. Une certaine dé
2056 e démesure, un grand théâtre, un sens de la pompe et du style, libre de tout souci d’application « morale », leur eussent
2057 une plus grande densité de conscience européenne et d’efficacité transformatrice qu’on ne saurait en trouver dans nulle a
2058 les prolégomènes à toute étude future sur l’œuvre et sur la vie de notre ami Carl J. Burckhardt. ad. Rougemont Denis de
22 1961, Articles divers (1957-1962). Culture et technique (juillet 1961)
2059 Culture et technique (juillet 1961)ae af L’économie occidentale d’aujourd’hui
2060 ustriel, c’est la technique, fille de la science, et d’une science étroitement liée à toute l’évolution culturelle de l’Oc
2061 est donc dans la technique, par son intermédiaire et à son sujet, que la culture et l’économie de l’Occident communiquent
2062 son intermédiaire et à son sujet, que la culture et l’économie de l’Occident communiquent le plus directement, au niveau
2063 la création comme à celui des effets extérieurs, et s’inter-déterminent de la manière la mieux vérifiable. Le sujet de me
2064 éflexions sera donc : l’interaction de la culture et de la technique au sein de la civilisation dont l’Europe constitue le
2065 éateur. Quel est l’état présent de ce problème ? Et dans quelle situation concrète abordons-nous notre sujet ? C’est la p
2066 oire, une civilisation devient vraiment mondiale, et c’est la civilisation technique. Née de l’Europe, développée par l’Am
2067 pe, développée par l’Amérique, adoptée par l’URSS et de là, transplantée en Chine, elle est devenue, au cours de ces derni
2068 t l’idéal, mais la revendication parfois bruyante et turbulente de tous les pays du tiers-monde, même les plus farouchemen
2069 e partout, on manque de techniciens, d’ingénieurs et de contremaîtres, de managers, de spécialistes, et même d’ouvriers qu
2070 t de contremaîtres, de managers, de spécialistes, et même d’ouvriers qualifiés. L’URSS est peut-être la seule exception. I
2071 es, dès l’enfance, vers la formation scientifique et technique, aux dépens de la culture générale et de ce que les Françai
2072 e et technique, aux dépens de la culture générale et de ce que les Français et les Anglo-Saxons nomment encore les humanit
2073 de la culture générale et de ce que les Français et les Anglo-Saxons nomment encore les humanités. Fait n° 3. Depuis plu
2074 es d’années, les plus grands penseurs de l’Europe et des États-Unis, suivis par les chroniqueurs des journaux et par l’éli
2075 ts-Unis, suivis par les chroniqueurs des journaux et par l’élite de la bourgeoisie, chantent sur tous les tons la plainte
2076 plainte de l’humanisme opprimé par la technique, et prédisent la mise en esclavage de l’homme par la machine. Au moment m
2077 e. Au moment même où l’Occident voit sa technique et ses valeurs techniques adoptées par le monde entier, l’Occident se me
2078 ier, l’Occident se met à douter de son bon droit, et à diviser ses forces en deux camps : d’une part, ceux qui sont prêts
2079 fier la culture générale aux exigences techniques et qui se nomment les progressistes ; d’autre part, ceux qui défendent n
2080 toutes leurs forces instinctives à la technique, et qu’on nomme les réactionnaires. Leur erreur commune consiste à ne pas
2081 nt la technique résulte de la culture occidentale et s’en nourrit, et à quel point cette culture occidentale peut à son to
2082 ésulte de la culture occidentale et s’en nourrit, et à quel point cette culture occidentale peut à son tour bénéficier de
2083 lture, dans son ensemble — théologie, philosophie et science, poésie et littérature —, a produit la technique occidentale 
2084 emble — théologie, philosophie et science, poésie et littérature —, a produit la technique occidentale ; et que la techniq
2085 ttérature —, a produit la technique occidentale ; et que la technique ne saurait faire de vrais progrès si elle se coupe d
2086 e donc que l’opposition entre la culture générale et une éducation spécialisée est le type même du faux problème. Car sans
2087 que, au sens actuel, au sens universel du terme ; et à l’inverse, sans technique, point d’avenir pour la culture, au sens
2088 occidental du terme. L’une se nourrit de l’autre et l’une sans l’autre serait condamnée à dépérir en peu de temps. Pour é
2089 lir cette thèse centrale, il faudrait des volumes et toute une vie de recherches. Je vais devoir me contenter de vous rapp
2090 nt des « lois de l’économie » dont parlaient Marx et les théoriciens bourgeois de l’utilitarisme, mais au contraire des rê
2091 que l’homme invente pour des motifs utilitaires. Et presque tous les historiens de la technique répètent jusqu’à nos jour
2092 épondu à des besoins », économiques, alimentaires et matériels. Quelques-uns cependant nous disent : si l’homme invente, c
2093 c’est pour ravir le feu du ciel, comme Prométhée, et pour soumettre la Nature à notre volonté de puissance et de richesse.
2094 soumettre la Nature à notre volonté de puissance et de richesse. Et pourtant, la plupart des exemples classiques d’invent
2095 ture à notre volonté de puissance et de richesse. Et pourtant, la plupart des exemples classiques d’inventions et de décou
2096 , la plupart des exemples classiques d’inventions et de découvertes, si l’on y regarde de près, réfutent précisément ces t
2097 , qui ont décidé du sort de la technique moderne, et par suite de notre économie, nous ne trouvons pas le désir de gain, n
2098 u religieux, affectifs, poétiques, archétypiques, et très généralement humains. L’homme primitif crée des outils parce qu’
2099 dans l’eau courante ou l’animal, dans ses songes et ses rêves éveillés. Il exorcise prudemment la Nature peuplée de dieux
2100 ulaires : la machine à vapeur, la turbine, l’auto et l’avion. C’est du rêve de voler qu’est né l’avion, et non pas de la p
2101 ’avion. C’est du rêve de voler qu’est né l’avion, et non pas de la prévision des avantages économiques, touristiques et mi
2102 prévision des avantages économiques, touristiques et militaires que présenterait un jour l’aviation. L’histoire du vol d’I
2103 streinte à suivre la loi rigide des voies ferrées et des horaires, mais pût aller à l’aventure le long des routes et des c
2104 s, mais pût aller à l’aventure le long des routes et des chemins dans les campagnes : rêve typique de l’adolescence, qui e
2105 urbine fut Léonard Euler, mathématicien de génie, et ici, c’est le motif religieux qui est décisif. Élevé à Bâle dans un m
2106 e ses travaux immenses sur le calcul différentiel et intégral et la philosophie de la Nature, il prit le temps d’imaginer
2107 x immenses sur le calcul différentiel et intégral et la philosophie de la Nature, il prit le temps d’imaginer les plans d’
2108 er les robinets commandant l’arrivée de la vapeur et de l’eau froide, rendant ainsi le processus automatique ; et il fit c
2109 froide, rendant ainsi le processus automatique ; et il fit cela, nous disent les récits de l’époque, afin de pouvoir alle
2110 des besoins d’un tout autre ordre, psychologiques et moraux, qui ont guidé l’intuition des inventeurs. L’explication de la
2111 économiques repose en somme sur un anachronisme, et sur une confusion des effets et des causes. Au début, il y a le rêve,
2112 un anachronisme, et sur une confusion des effets et des causes. Au début, il y a le rêve, le jeu ; plus tard viennent l’i
2113 le rêve, le jeu ; plus tard viennent l’industrie et les gros dividendes : mais ceci n’explique pas cela. Au début, il y a
2114 qui font sourire l’économiste, l’homme d’affaires et l’homme politique. (Adolphe Thiers, historien et ministre français, d
2115 et l’homme politique. (Adolphe Thiers, historien et ministre français, déclare en 1833 que la locomotive est « une simple
2116 amusette scientifique ».) Plus tard, l’industrie et la banque, avec l’aide de savants économistes, échafaudent sur de tel
2117 système compliqué de leurs « lois économiques », et prétendent que ces lois expriment les besoins matériels de l’homme de
2118 l’avion, ou son auto, que parce que quelques fous et rêveurs de génie inventèrent un beau jour ces mécaniques, qui devaien
2119 atériel expliquait les créations de la technique, et si les produits de l’industrie répondaient aux besoins matériels, pou
2120 rêve créateur : l’exemple des fusées vers la Lune et Vénus me suffira. Les plus grandes sommes — des milliards de dollars
2121 ira. Ce qui explique ces dilapidations délirantes et même scandaleuses, aux yeux de l’utilitarisme, ce ne sont pas les loi
2122 ilitarisme, ce ne sont pas les lois de l’économie et encore moins les besoins matériels — quand les 2/3 de l’humanité souf
2123 t la faim — mais c’est un rêve, un rêve universel et proprement irrésistible. Et si un jour nous découvrons sur Mars des s
2124 ve, un rêve universel et proprement irrésistible. Et si un jour nous découvrons sur Mars des substances nouvelles qui proc
2125 s autant que nos instincts, les interdits sociaux et religieux autant que les désirs secrets de l’individu et les possibil
2126 gieux autant que les désirs secrets de l’individu et les possibilités illimitées de l’imagination : ce sont eux qui créent
2127 eux qui créent la culture, les arts, les sciences et la littérature. C’est évident. Mais il ne faut pas oublier qu’ils se
2128 ans nul doute notre pouvoir de rêve, son imagerie et ses orientations, — qui sont celles de nos découvertes. En résumé — n
2129 — la technique n’est donc pas un destin objectif et que nous aurions à subir, mais bien au contraire, elle exprime des vœ
2130 sommes responsables. Il en résulte que la culture et la technique ne sauraient être opposées dans leurs sources, puisqu’el
2131 en esclavage des Occidentaux par leurs machines, et le danger — beaucoup plus sérieux à mon sens — d’un épuisement des so
2132 vent l’envahissement de notre vie par la machine. Et tous nos grands penseurs de se lamenter sur le déclin des valeurs spi
2133 lamenter sur le déclin des valeurs spirituelles, et sur la mise en esclavage de l’homme par les machines, les robots, les
2134 ongue plainte qui fut mise à la mode par Bergson, et de ce pessimisme général, que l’invention de la bombe H risque de tra
2135 s détruire, on oublie simplement que les machines et la bombe sont faites par l’homme et ne feront rien sans lui. J’écriv
2136 les machines et la bombe sont faites par l’homme et ne feront rien sans lui. J’écrivais au lendemain d’Hiroshima : La
2137 eux, c’est l’homme. C’est lui qui a fait la bombe et se prépare à l’employer. Le contrôle de la bombe est une absurdité. O
2138 de l’homme. Il n’est pas d’invention, si simple et si utilitaire soit-elle, qui ne puisse être mise au service des passi
2139 on. C’est l’homme lui-même qui reste responsable, et non pas la machine, parfaitement innocente, ou la technique qui l’a p
2140 puis l’homme taylorisé, travaillant à la chaîne. Et certes ce n’étaient pas non plus les machines ou les chaînes qui forç
2141 n de produire sans tenir compte du facteur humain et de la dignité de la personne humaine, dans leurs plans de rendement à
2142 pprocher la fin de cette ère primitive, inhumaine et cruelle, de la technique occidentale. Chose étrange et bien remarquab
2143 uelle, de la technique occidentale. Chose étrange et bien remarquable, ce ne sont pas les justes indignations d’un Marx, n
2144 rx, ni l’action politique des partis socialistes, et encore moins la révolution des communistes qui ont créé les moyens co
2145 es parvenus au seuil d’une ère nouvelle, qui doit et peut, progressivement, nous permettre non plus seulement d’améliorer
2146 ns ouvriers » commence à se réaliser en Occident. Et l’on s’aperçoit que l’automatisme des machines, qui semblait inhumain
2147 re libérateur dès qu’il est poussé jusqu’au bout, et qu’il n’a plus besoin d’être servi, mais seulement surveillé par l’ho
2148 lus. Le principal produit de la technique moderne et de l’automatisation de l’industrie, en fin de compte, c’est le loisir
2149 vail mécanique, pourvue de loisirs tout nouveaux, et privée du même coup du droit de se plaindre qu’elle n’a pas le temps
2150 ien sûr, nous ne confondrons pas le simple loisir et la culture. La culture ne consiste pas seulement à se cultiver, à lir
2151 , à composer de la musique, à méditer, à inventer et à créer. C’est un travail, c’est même le vrai travail humain. Mais il
2152 consommation de la culture augmentera elle aussi, et que par suite, les conditions du producteur de la culture seront sens
2153 ermet de gagner sur le temps de travail mécanique et routinier sera gagné pour la culture, ou pourra l’être. Nous allons v
2154 ndre alors que cette technique asservisse l’homme et tue la vraie culture ; mais nous voyons que les progrès techniques le
2155 cents nous ramènent au contraire vers la culture, et lui donnent un sérieux nouveau, une importance économique croissante.
2156 pendant un danger subsiste. L’ère de l’automation et de l’électronique exige la formation scientifique très poussée non se
2157 aujourd’hui d’environ cinquante mille techniciens et ingénieurs. Quant à l’URSS, elle subordonne toute son éducation scola
2158 RSS, elle subordonne toute son éducation scolaire et universitaire à la seule formation technique. Cette formation obligat
2159 mation obligatoire absorbe 67 % du temps d’étude, et ne laisse à peu près aucune place à la culture générale, réduite aux
2160 que les Russes ont lancé les premiers Spoutniks, et tout le monde veut les imiter. En Europe comme en Afrique, on réclame
2161 technique qui tient à l’ensemble de notre culture et à ses rêves directeurs. Gardons-nous de scier la branche sur laquelle
2162 au sens étroit, mais des poètes, des philosophes et des rêveurs, quelquefois des théologiens, ou des peintres, ou des tou
2163 s, ou des touche-à-tout. La brouette, la roulette et les lois du hasard, la machine à calculer, ancêtre des cerveaux élect
2164 aux électroniques, c’est Pascal qui les inventa ; et la turbine c’est Léonard Euler, mathématicien et mystique ; et le gra
2165 et la turbine c’est Léonard Euler, mathématicien et mystique ; et le gramophone, c’est un poète français un peu loufoque,
2166 c’est Léonard Euler, mathématicien et mystique ; et le gramophone, c’est un poète français un peu loufoque, Charles Cros.
2167 les Cros. Ces successeurs modernes d’un Archimède et d’un Léonard de Vinci, on les imagine mal sortant d’écoles techniques
2168 era 1° que nous aurons moins de grands inventeurs et 2° que c’est alors que nous courrons le risque d’être spirituellement
2169 . Gardons-nous d’opposer théoriquement la culture et la technique comme s’il s’agissait de deux entités indépendantes et a
2170 mme s’il s’agissait de deux entités indépendantes et au surplus rivales. Nous avons vu que leurs sources créatrices sont
2171 sont communes, qu’elles jaillissent du même fonds et s’alimentent aux mêmes nappes profondes de la psyché, à la fois fabul
2172 pes profondes de la psyché, à la fois fabulatrice et fabricatrice, poétique au sens étymologique. Et nous pouvons aisément
2173 e et fabricatrice, poétique au sens étymologique. Et nous pouvons aisément vérifier que leurs effets, au stade présent de
2174 résent de leur évolution, loin de se contrecarrer et de se nuire sont au contraire en relation de promotion réciproque. La
2175 itative des loisirs : par la radio, la télévision et les disques, toute la musique occidentale est mise à la portée instan
2176 rtée instantanée de tous les amateurs de musique, et le nombre de ces amateurs est en même temps multiplié. Il en va de mê
2177 rt grâce aux procédés de reproduction en couleur, et pour toute la littérature, et même pour la philosophie. Le succès stu
2178 duction en couleur, et pour toute la littérature, et même pour la philosophie. Le succès stupéfiant des pocket books, aux
2179 par les perfectionnements techniques de l’édition et par la généralisation de la curiosité intellectuelle, résultant de lo
2180 ème conclusion : Gardons-nous d’opposer technique et culture générale dans nos programmes d’éducation scolaire et universi
2181 générale dans nos programmes d’éducation scolaire et universitaire. Car cela reviendrait à opposer l’arbre et le fruit, a
2182 rsitaire. Car cela reviendrait à opposer l’arbre et le fruit, au détriment final de l’un et de l’autre. On nous répète qu
2183 r l’arbre et le fruit, au détriment final de l’un et de l’autre. On nous répète que notre société a besoin d’innombrables
2184 otre société a besoin d’innombrables techniciens, et qu’il s’agit de les former d’urgence aux dépens des humanités et de l
2185 de les former d’urgence aux dépens des humanités et de la culture générale. L’URSS a décidé de sacrifier la culture génér
2186 L’URSS a décidé de sacrifier la culture générale, et elle a produit les Spoutniks. Je crains pour elle que ses premiers su
2187 pour elle que ses premiers succès ne l’aveuglent et que sa politique éducative ne soit à courte vue ; elle repose en effe
2188 te époque. Il me décrivit en détail ses méthodes, et il conclut : « Vous voyez, notre activité réelle, c’est un mélange de
2189 notre activité réelle, c’est un mélange de poésie et de cuisine. Les procédés techniques et l’élaboration mathématique vie
2190 de poésie et de cuisine. Les procédés techniques et l’élaboration mathématique viennent plus tard. »… Et de même, Robert
2191 l’élaboration mathématique viennent plus tard. »… Et de même, Robert Oppenheimer ne cesse d’insister sur la nécessité abso
2192 la nécessité absolue d’une vaste culture générale et synthétique, englobant la littérature et la métaphysique religieuse,
2193 générale et synthétique, englobant la littérature et la métaphysique religieuse, si l’on veut que la recherche scientifiqu
2194 ieuse, si l’on veut que la recherche scientifique et technique n’aboutisse pas à des impasses, à la stagnation, ou à des m
2195 ruosités. S’il nous faut davantage de techniciens et de chercheurs scientifiques, il nous faut donc davantage de culture g
2196 il nous faut donc davantage de culture générale, et non pas moins, et seulement un peu plus de formation technique pendan
2197 davantage de culture générale, et non pas moins, et seulement un peu plus de formation technique pendant le temps de la s
2198 nt néfaste. Les machines inventées par l’Occident et transportées dans les pays sous-développés sont les équivalents moder
2199 sont les équivalents modernes du cheval de Troie. Et si nous persistons à l’ignorer, nous donnerons aux pays sous-développ
2200 ons aux pays sous-développés des objets explosifs et destructeurs de leurs traditions ancestrales et de leurs équilibres t
2201 s et destructeurs de leurs traditions ancestrales et de leurs équilibres traditionnels, sans leur expliquer les dangers et
2202 es traditionnels, sans leur expliquer les dangers et les bienfaits de notre apport. Nous leur donnerons des drogues sans m
2203 us leur donnerons des drogues sans mode d’emploi, et nos remèdes deviendront des poisons. Il est donc temps, pour nous Occ
2204 à l’assistance technique dont tout le monde parle et que tout le monde exige de nous, une assistance éducatrice et culture
2205 le monde exige de nous, une assistance éducatrice et culturelle, sans laquelle tous nos dons, même désintéressés, ne créer
2206 ésintéressés, ne créeront outre-mer que le chaos, et n’engendreront que la haine. Quatrième et dernière conclusion : L’éco
2207 chaos, et n’engendreront que la haine. Quatrième et dernière conclusion : L’économie occidentale qui sait bien qu’elle dé
2208 ner un développement plus harmonieux de nos rêves et de notre action. L’avenir de l’Occident ne peut se lire seulement dan
2209 x qui assumeront à la fois les conditions morales et matérielles d’un équilibre humain assez riche et assez souple pour se
2210 et matérielles d’un équilibre humain assez riche et assez souple pour servir de modèle à tous les hommes. Il appartient d
2211 es. Il appartient donc conjointement à la culture et à l’économie, qui trouvent là leur commune responsabilité. ae. Rou
2212 ponsabilité. ae. Rougemont Denis de, « Culture et technique », Caractère et culture de l’Europe, Amsterdam, juillet 196
2213 ont Denis de, « Culture et technique », Caractère et culture de l’Europe, Amsterdam, juillet 1961, p. 5-9. af. Présenté p
2214 é par cette note : « Avec la clarté de l’écrivain et sa connaissance des problèmes européens, M. de Rougemont souligne l’i
2215 ougemont souligne l’interdépendance de la culture et de la technique. Auteur d’une vingtaine de volumes — traduits en douz
2216 xécutif du Congrès pour la liberté de la culture, et gouverneur de la Fondation européenne de la culture. »
23 1961, Articles divers (1957-1962). Le Temps de la louange (été 1961)
2217 le hall d’un hôtel, vers quatre heures du matin, et je tirais les cartes. Un grand et fort garçon, dans la trentaine, bea
2218 eures du matin, et je tirais les cartes. Un grand et fort garçon, dans la trentaine, beau visage plein et carré, aux yeux
2219 fort garçon, dans la trentaine, beau visage plein et carré, aux yeux bleus écartés, le cheveu noir et dru, en bras de chem
2220 et carré, aux yeux bleus écartés, le cheveu noir et dru, en bras de chemise, vint s’asseoir à côté de moi sur le tapis. I
2221 Il arrivait tout droit de la rédaction de Combat et voulait savoir son avenir. Ce que je sus, c’est que nous aurions beau
2222 tard, il devenait mon collaborateur le plus actif et imaginatif au Centre européen de la culture, à Genève, qu’il ne devai
2223 a personne. ⁂ Il était alsacien, né à Strasbourg, et son père descendait d’une famille de Hambourg, quelque peu mêlée de s
2224 ille de Hambourg, quelque peu mêlée de sang slave et possédant la bourgeoisie de Bâle. Il avait épousé une Anglaise. Il rê
2225 e ordonnance intellectuelle. Il excellait en tout et passait au-delà, avec cette « casual brilliance » dont a parlé le Tim
2226 d’allemand, traducteur incomparable de Keyserling et de Rudolf Kassner, professeur de lycée à Marseille et Oran, puis succ
2227 e Rudolf Kassner, professeur de lycée à Marseille et Oran, puis successivement officier de parachutistes dans les Forces f
2228 s dans les Forces françaises libres en Angleterre et à Berlin, mémorable correspondant étranger du Combat d’Albert Camus,
2229 l rendit rapidement fameuse, finalement animateur et conseiller d’organisations européennes et internationales auxquelles
2230 imateur et conseiller d’organisations européennes et internationales auxquelles il prêtait le rayonnement d’une culture ex
2231 t étendue, d’une sagesse indulgente mais incisive et d’un charme personnel infaillible, alliant le meilleur des qualités g
2232 ble, alliant le meilleur des qualités germaniques et françaises, — il semblait toujours que tout cela devait le conduire a
2233 veau dans les lettres françaises, ample, émouvant et pacifiant, compréhensif de tout l’humain du haut en bas, foncièrement
2234 ut l’humain du haut en bas, foncièrement réaliste et religieux. Puis, une fois de plus, il est passé au-delà, emporté par
2235 e fonder ou de réfuter, il disait, coupant court, et comme en aparté : « Ceci n’est pas conforme à ma théologie. » Et l’on
2236 rté : « Ceci n’est pas conforme à ma théologie. » Et l’on sentait qu’il s’agissait en lui non pas d’une objection logique
2237 isse en français. Luthérien par sa piété heureuse et nostalgique, par son acquiescement au monde charnel, par son sens cos
2238 du langage musical, par sa rondeur, sa pesanteur et sa bonhomie sensuelle, plus encore que par son arrière-plan mystique,
2239 ar son arrière-plan mystique, presque bouddhiste, et par cet horizon de délivrance que dénude la chute assourdie de la str
2240 a strophe. Le monde humain lui apparaissait lourd et fluent, informe et grouillant comme le ventre ténébreux de la baleine
2241 humain lui apparaissait lourd et fluent, informe et grouillant comme le ventre ténébreux de la baleine où médita Jonas, f
2242 à le considérer dans ses manifestations positives et en fin de compte insignifiantes — la politique, la guerre, l’action,
2243 — la politique, la guerre, l’action, l’économie, et sans doute la morale. Pourtant, nul n’était moins que lui tenté par l
2244 cohérence aveugle avait un sens ailleurs, heureux et grand pour l’âme, et des lois dont certains indices — nombres, accord
2245 it un sens ailleurs, heureux et grand pour l’âme, et des lois dont certains indices — nombres, accords, réminiscences — no
2246 culs dérisoires. Tous les projets humains, désirs et décisions évoluaient à ses yeux, comme il aimait à dire : « dans la c
2247 qualité poétique des êtres ou de la conjoncture ; et les erreurs importaient peu, normales, parfois même agréables, petits
2248 grand fleuve d’un seul tenant reliant « l’origine et la perfection des temps ». Sa faculté de travail n’était guère égalée
2249 sque mégalomane que par son mépris de l’arrivisme et des conditions élémentaires d’une carrière. Il avait de lui-même et d
2250 élémentaires d’une carrière. Il avait de lui-même et du monde une idée telle que les soucis multipliés par une vie quotidi
2251 multipliés par une vie quotidienne mal ordonnée, et les besognes dont il s’acquittait pour s’en tirer ne l’atteignaient p
2252 olument ; il pouvait être dans cette vie reporter et bohème, romancier ou poète, — il voulut même, un temps, devenir banqu
2253 te, — il voulut même, un temps, devenir banquier, et riche. L’insignifiance foncière de tout le laissait libre d’accorder
2254 l eût fait un fort bel empereur romain-germanique et d’expression française.) Un certain ton de gouaille anarchisante, mai
2255 aille anarchisante, mais sans trace de vulgarité, et dans l’abord des êtres, un laisser-aller apparent (mais qui cachait b
2256 er apparent (mais qui cachait beaucoup de fierté, et de références secrètes à son système d’évaluations) lui permettaient
2257 venir dans « le temps saugrenu » de la vie brève, et qu’il deviendra parmi nous, pour quelques-uns, dans le temps signifia
24 1962, Articles divers (1957-1962). Jonas [préface] (1962)
2258 Paul de Dadelsen était alsacien, né à Strasbourg, et son père descendait d’une famille de Hambourg, quelque peu mêlée de s
2259 ille de Hambourg, quelque peu mêlée de sang slave et possédant la bourgeoisie de Bâle. Il avait épousé une Anglaise. Il rê
2260 e ordonnance intellectuelle. Il excellait en tout et passait au-delà, avec cette « brillante désinvolture » dont a parlé l
2261 d’allemand, traducteur incomparable de Keyserling et de Rudolf Kassner, professeur de lycée à Marseille et Oran, puis succ
2262 e Rudolf Kassner, professeur de lycée à Marseille et Oran, puis successivement officier de parachutistes dans les Forces f
2263 s dans les Forces françaises libres en Angleterre et à Berlin, mémorable correspondant étranger du Combat d’Albert Camus,
2264 l rendit rapidement fameuse, finalement animateur et conseiller d’organisations européennes et internationales auxquelles
2265 imateur et conseiller d’organisations européennes et internationales auxquelles il prêtait le rayonnement d’une culture ex
2266 t étendue, d’une sagesse indulgente mais incisive et d’un charme personnel infaillible, alliant le meilleur des qualités g
2267 ble, alliant le meilleur des qualités germaniques et françaises, il semblait toujours que tout cela devait le conduire ail
2268 veau dans les lettres françaises, ample, émouvant et pacifiant, compréhensif de tout l’humain du haut en bas, foncièrement
2269 ut l’humain du haut en bas, foncièrement réaliste et religieux. Puis, une fois de plus, il est passé au-delà, emporté par
25 1962, Articles divers (1957-1962). Calvin (1962)
2270 , puis va à Paris étudier la théologie, à Orléans et à Bourges étudier le droit. Quand son père meurt, en 1531, il réalise
2271 l réalise sa part d’héritage, vend ses bénéfices, et ne s’occupe plus que de religion. Il prêche. Il doit s’enfuir à Nérac
2272 rrare, il est retenu à Genève par Guillaume Farel et invité à y organiser l’Église. Chassé par les magistrats en 1538, Cal
2273 s institutio (1536). Traduction française en 1541 et 1559. (Œuvres complètes en 59 vol., 1863-1900.) Si l’on admet avec u
2274 esure où il s’occupe des vicissitudes de l’époque et tente de s’y mêler — de les diriger, pourquoi pas ? — ne fait pas pré
2275 Calvin n’est pas un écrivain. Il a créé un style et un vocabulaire, et la langue des idées en France, et Bossuet lui conc
2276 n écrivain. Il a créé un style et un vocabulaire, et la langue des idées en France, et Bossuet lui concède « la gloire d’a
2277 un vocabulaire, et la langue des idées en France, et Bossuet lui concède « la gloire d’avoir aussi bien écrit qu’homme de
2278 és religieuses dans les vicissitudes de l’époque, et diriger les hommes à leur fin de salut. Il n’a écrit que pour mieux f
2279 e clarté, de mesure, de propriété dans les termes et de rigueur dans l’articulation, qu’on appelle souvent cartésiennes, a
2280 la littérature » dans les milieux où elle se crée et se cultive pour elle-même, se définit précisément comme quelque chose
2281 uelque chose où Calvin ne trouverait pas sa place et , de fait, ne joue plus aucun rôle. En revanche, l’une des traditions
2282 e l’écrivain comme chargé d’une mission normative et créatrice de valeurs générales dans la cité, — cette attitude « class
2283 ait abusé — s’origine sans nul doute chez Calvin et n’a jamais encore égalé son modèle. Calvin n’est pas aimable, on le s
2284 in n’est pas aimable, on le sait de reste. Maigre et mélancolique, comme l’était Charles Quint — tandis que Luther est aus
2285 Charles Quint — tandis que Luther est aussi gras et sanguin que Thomas d’Aquin — il ne séduit que par la démesure d’une i
2286 mporte ici, c’est l’efficacité d’une œuvre écrite et pensée tout entière dans la soumission absolue à une cause qui transc
2287 e fit tourner bride… Ayant donc reçu quelque goût et connaissance de la vraie piété, je fus incontinent enflammé d’un si g
2288 té, d’autant qu’étant d’un naturel un peu sauvage et honteux, j’ai toujours aimé requoy et tranquillité, je commençai à ch
2289 peu sauvage et honteux, j’ai toujours aimé requoy et tranquillité, je commençai à chercher quelque cachette et moyen de me
2290 uillité, je commençai à chercher quelque cachette et moyen de me retirer des gens. Mais tant s’en faut que je vinsse à bou
2291 ut de mon désir, qu’au contraire toutes retraites et lieux à l’écart m’étaient comme écoles publiques. Bref, cependant que
2292 privé sans être connu, Dieu m’a tellement promené et fait tournoyer par divers changements que toutefois il ne m’a jamais
2293 ue, malgré mon naturel, il m’a produit en lumière et fait venir en jeu, comme on dit. L’aventure se noue en 1535, année c
2294 r, dit-il, qu’en se taisant il ne se montre lâche et déloyal. C’est ainsi qu’il rédige en latin, de mars à août, les cinq-
2295 nt changé le cours de notre histoire occidentale. Et de nouveau, il fuit devant l’éclat que fait dans le monde ce « petit
2296 illaume Farel me retint, non pas tant par conseil et exhortation que par une adjuration épouvantable, comme si Dieu eût d’
2297 . Il n’accepte pourtant qu’une charge de docteur, et commence à « dresser » l’Église dans ses formes. Bientôt, une séditio
2298 édition le chasse. Peut-il se croire « en liberté et quitte de sa vocation » ? Déjà Bucer exige sa présence à Strasbourg «
2299 evient le pasteur de la première Église réformée, et il la dote d’une liturgie, qu’il met en vers pour être mieux chantée.
2300 ers pour être mieux chantée. Trois ans s’écoulent et sa pensée mûrit, mais voilà Genève qui le rappelle. « Contre mon dési
2301 voilà Genève qui le rappelle. « Contre mon désir et affection la nécessité me fut imposée de retourner à ma première char
2302 je fis avec tristesse, larmes, grande sollicitude et détresse… Maintenant, si je voulais réciter les divers combats par le
2303 squels le Seigneur m’a exercé depuis ce temps-là, et par quelles épreuves il m’a examiné, ce serait une longue histoire. »
2304  » Semblable au roi David molesté par les guerres et navré au milieu de son peuple par la malice des déloyaux « j’ai été a
2305 mais c’est être emporté malgré soi vers des buts et dans une action à quoi rien ne nous inclinait. J’étais l’homme le moi
2306 , l’arrachant à lui-même, le jette à sa personne. Et Calvin : « Dieu me fit tourner bride… » Son efficacité naît de cet ab
2307 ar ce qui n’est pas lui, mais qui vient l’appeler et le réalise à jamais. Toutes les vertus de son style découlent de cet
2308 ée de proverbes, de frustes apologues à la volée, et d’innombrables citations des Écritures restituées dans leur nouveauté
2309 es restituées dans leur nouveauté la plus abrupte et prosaïque. Son baroque est celui du bon sens et du langage quotidien
2310 e et prosaïque. Son baroque est celui du bon sens et du langage quotidien de son temps : nous jugeons pittoresques, par er
2311 erreur, des tours qui ne voulaient qu’être clairs et convaincants pour l’auditeur d’alors. À la rhétorique éloquente, — ma
2312 re à François Ier, opposons le mouvement pressant et familier des Sermons qu’il prononce chaque jour à la cathédrale de Sa
2313 ovisée, rien n’est plus varié quant aux rythmes ; et pourtant rien n’est plus altièrement monotone quant à la pensée direc
2314 à la pensée directrice : à Dieu seul tout est dû et de Lui seul tout vient. La phrase est souvent longue, mais d’une déma
2315 s de la Terre, mais pourtant jaloux de ses droits et des intérêts de « son » peuple. Langage dénué de toute onction d’égli
2316 us-tendu par la seule volonté d’éduquer le peuple et les princes. Langage enfin d’un homme qui se sait écouté non seulemen
2317 enne, assemblée devant lui, au pied de la chaire, et dont il connaît bien les circonstances concrètes : d’où l’absence de
2318 circonstances concrètes : d’où l’absence de doute et de jeu, de gratuité et d’ornements, d’où la nudité de la parole, mais
2319  : d’où l’absence de doute et de jeu, de gratuité et d’ornements, d’où la nudité de la parole, mais aussi son pouvoir de c
2320 aient suscité dans l’Occident une éthique sociale et civique, un type neuf de relations politiques, enfin des formes de go
2321 ui ont marqué d’une manière décisive l’Angleterre et ses dominions, la Hollande et la Suisse, la Hongrie pour un temps, la
2322 cisive l’Angleterre et ses dominions, la Hollande et la Suisse, la Hongrie pour un temps, la France huguenote, enfin toute
2323 France huguenote, enfin toute l’Amérique du Nord, et cela fait la moitié de l’Occident. Je cherche en vain l’esprit qu’on
2324 l’esprit qu’on puisse lui comparer par l’ampleur et par la durée d’une action de cet ordre dans l’Histoire. J’écarte Rous
2325 du. J’écarte Nietzsche. Je ne vois plus que Marx, et encore. Un empire international se réclame de son œuvre, ou au moins
2326 octrine de l’Histoire quasiment prédestinatienne, et presque aussi paradoxale que celle des Pères de la Réforme, n’a jamai
2327 , ni même une formule d’équilibre entre la nation et ses princes, encore bien moins entre l’État et le citoyen. Calvin n’
2328 on et ses princes, encore bien moins entre l’État et le citoyen. Calvin n’était pas démocrate, mais il a fomenté les chef
2329 ète qui ne soit responsable en retour devant Dieu et dans la cité ; et que le titre de citoyen est bien moins un droit qu’
2330 sponsable en retour devant Dieu et dans la cité ; et que le titre de citoyen est bien moins un droit qu’une charge. Les dé
2331 ’Occident moderne l’aire de l’influence de Calvin et l’aire des dictatures totalitaires : elles ne se recouvrent nulle par
2332 créé le modèle d’une église dressée face à l’État et soigneuse à le maintenir dans les limites de son juste pouvoir, elle-
2333 ’il portait, il fut l’incarnation de l’autorité ; et dans la mesure encore où cet homme accablé a fait l’histoire des cité
26 1962, Articles divers (1957-1962). Le règne de Victoria (1962)
2334 (1962)ah Sous le règne de Victoria les lettres et les arts prospèrent, les intellectuels s’humanisent, les grands noms
2335 t être mérités, la familiarité dénote le respect, et les pédants sont exilés vers les régions froides. L’étiquette de la c
2336 agnole ou à la russe. Les sourires inextinguibles et les mises en boîte raffinées sont admis. Qu’un propos ou qu’un person
2337 uris habités d’oiseaux-mouches, vers le Río calme et violet. Tels sont les souvenirs que je garde et chéris de mon passage
2338 e et violet. Tels sont les souvenirs que je garde et chéris de mon passage de quelques mois, à la cour de San Isidro : c’é
2339 n Europe m’avait projeté hors d’une Suisse neutre et assiégée, qui m’estimait sans doute moins gênant, peut-être même plus
2340 avec tout ce que Paris comptait de plus précieux et de plus émouvant sous la menace, en ces derniers mois de sa paix. Ces
2341 une fin d’après-midi dorée, avec Ortega y Gasset, et nous parlions d’amis communs, venus de partout, qu’une sorte de prémo
2342 ociété secrète improvisée, avant les catastrophes et la nuit de l’esprit. Mais quelques jours plus tard, à Orléans, nous e
2343 ndions ensemble Jeanne au bûcher, de Paul Claudel et Arthur Honegger, cette bouleversante déclamation chorale, vers la fin
2344 it suscité, c’était à la fois le passé, si proche et déjà légendaire, et la promesse d’un avenir malgré tout qui m’étaient
2345 à la fois le passé, si proche et déjà légendaire, et la promesse d’un avenir malgré tout qui m’étaient rendus, comme une g
2346 les tours de Notre-Dame. Victoria m’a trouvé là, et parce que je ne disais rien, m’a fortement pincé le bras pour que je
2347 nt pincé le bras pour que je crie mon admiration. Et ce jour-là, j’ai découvert son patriotisme foncier. Je l’avais connue
2348 atriotisme foncier. Je l’avais connue cosmopolite et parisienne, au sens noble que définit la seule Société des esprits. E
2349 s noble que définit la seule Société des esprits. Et j’ai vu qu’elle était Argentine avant tout, dans ses grandes dimensio
2350 implicité grande, sont les lois de son existence. Et c’est pourquoi son amitié est un honneur. On n’oserait pas l’avouer n
2351 nneur. On n’oserait pas l’avouer n’était l’humour et cette espèce de rigueur féminine — déconcertant toutes les valeurs no
2352 nine — déconcertant toutes les valeurs nordiques, et trop facilement rationnelles — qu’elle fait régner sur les relations
2353 sculin, épuisé de logique, d’horaires tyranniques et de science. L’intuition, l’émotion, le sens de l’Arbre animeront un n
2354 , une sagesse orientée par la Femme, comme Goethe et C. G. Jung l’ont annoncé. Quelques-uns l’ont appris de Victoria, non
2355 toria, non par l’enseignement mais par l’exemple, et par l’admiration dans l’amitié. Ferney-Voltaire (Ain), juin 1962. a
27 1962, Articles divers (1957-1962). La culture et l’union de l’Europe (avril 1962)
2356 La culture et l’union de l’Europe (avril 1962)ai S’il est question d’intégration
2357 )ai S’il est question d’intégration européenne et qu’on lui parle de culture, l’homme d’aujourd’hui, qu’il soit d’aille
2358 oles, la candidature britannique, voilà le solide et le raisonnable. Mais qu’est-ce que la culture viendrait faire là-deda
2359 rimés ? Répondre à ces questions me paraît vital, et non seulement pour notre Fondation, mais pour tous ceux qui ont trava
2360 sant ; 2° que le Marché commun serait impensable ( et au surplus n’aurait jamais vu le jour) s’il ne s’inscrivait pas dans
2361 ctuelle, exige la création d’une Europe fédérale, et non pas d’une Europe unitaire ; 4° que le fédéralisme et la culture s
2362 pas d’une Europe unitaire ; 4° que le fédéralisme et la culture s’appellent et se conditionnent réciproquement ; 5° enfin,
2363 ; 4° que le fédéralisme et la culture s’appellent et se conditionnent réciproquement ; 5° enfin, que l’Europe, sans sa cul
2364 revient, de niveaux de vie, d’ajustements sociaux et monétaires, en attendant peut-être, un jour, une sorte de confédérati
2365 rès populaire, née d’un xixe siècle utilitariste et mercantile, est en fait partagée par les élites sociales de notre con
2366 rer nos budgets de la culture avec ceux de l’URSS et des USA, puissances modernes ; et surtout de comparer la dotation glo
2367 ceux de l’URSS et des USA, puissances modernes ; et surtout de comparer la dotation globale des quelque 40 000 fondations
2368 a pu dominer le monde par son économie, ses armes et ses techniques, de la Renaissance jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale
2369 Renaissance jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, et si elle est encore aujourd’hui l’une des trois grandes puissances de
2370 ergées du globe), un peu moins peuplée que l’Inde et beaucoup plus pauvre en matières premières, l’Europe avait moins de c
2371 ’on sait entre le destin de la péninsule indienne et celui de la péninsule européenne ? Sinon par la différence des cultur
2372 philosophie, les sciences, les arts, l’éducation et la morale. L’Europe est très peu de choses plus une certaine culture,
2373 e culture, qui a fait d’une pauvre terre découpée et cloisonnée le cœur et le cerveau de la planète, pour plus de cinq siè
2374 d’une pauvre terre découpée et cloisonnée le cœur et le cerveau de la planète, pour plus de cinq siècles déjà, — et c’est
2375 de la planète, pour plus de cinq siècles déjà, —  et c’est bien loin d’être fini ! Selon la plus célèbre équation de notre
2376 a masse par le carré de la vitesse de la lumière, et cela s’écrit : E = mc2 En désignant l’Europe par E, la petite masse
2377 a petite masse physique de notre continent par m, et sa culture par c, nous obtenons une équation semblable et non moins c
2378 lture par c, nous obtenons une équation semblable et non moins chargée de conséquences : E = mc2 Europe = Cap de l’Asie x
2379 s commandent impérieusement de réunir nos peuples et de mettre en pool leurs ressources, trop longtemps divisées entre une
2380 it qu’il est bien moins économique que politique, et en fin de compte, culturel. Car c’est la politique nationaliste (le t
2381 , etc.) qui s’oppose à l’union nécessaire, admise et réclamée par tous les bons économistes. Or cette attitude politique,
2382 nc dans les esprits qu’il s’agit de le combattre. Et ceci n’est pas une question de technique ou de calculs tarifaires, ma
2383 s dire seulement réduire les obstacles à l’union. Et c’est là qu’intervient à nouveau la culture, d’une manière positive,
2384 au la culture, d’une manière positive, créatrice, et vitale. Un ingénieur, un technocrate et un théoricien de l’économie p
2385 réatrice, et vitale. Un ingénieur, un technocrate et un théoricien de l’économie peuvent vous faire en trois jours un plan
2386 les douanes, mais toutes les différences locales et nationales de traditions et de régimes ; ils peuvent vous démontrer q
2387 s différences locales et nationales de traditions et de régimes ; ils peuvent vous démontrer que ce plan serait rentable,
2388 uvent vous démontrer que ce plan serait rentable, et que votre intérêt commande de l’appliquer. Un autre groupe peut vous
2389 autre groupe peut vous rappeler que depuis Dante et Pierre Dubois, au début du xive siècle, en passant par le roi de Boh
2390 , l’évêque morave Comenius, le philosophe Leibniz et l’homme d’État William Penn au xviie siècle ; par l’abbé de Saint-Pi
2391 ie siècle ; par l’abbé de Saint-Pierre, Rousseau et Kant au xviiie siècle ; par Saint-Simon, Bentham, Mazzini et Proudho
2392 viiie siècle ; par Saint-Simon, Bentham, Mazzini et Proudhon au xixe siècle, jusqu’à Coudenhove-Kalergi, Briand et Churc
2393 xixe siècle, jusqu’à Coudenhove-Kalergi, Briand et Churchill, de nos jours, — depuis six siècles donc, les meilleurs esp
2394 — depuis six siècles donc, les meilleurs esprits et les meilleurs hommes politiques du continent n’ont cessé de préconise
2395 choue dans tous ses efforts vers l’union. Les uns et les autres ont raison, en ce sens qu’ils sont nécessaires, soit comme
2396 s, soit comme moteur, soit comme volant ; les uns et les autres ont tort quand ils se prétendent suffisants, à eux seuls.
2397 de l’Europe. Ce n’est pas un dialogue politique, et encore moins économique. C’est vraiment un dialogue culturel. La synt
2398 naire qu’ont dégagée les peuples de ce continent, et qui leur a permis de dominer le monde, a sa source dans les tensions
2399 ites par nos diversités, — de religions, de races et de coutumes, d’idéologies, d’ambitions. Mais lorsque ces diversités s
2400 sités s’absolutisent, se ferment sur elles-mêmes, et deviennent en fait divisions, le corps européen se déchire et s’étiol
2401 t en fait divisions, le corps européen se déchire et s’étiole : c’est ce qui s’est produit par deux fois dans la génératio
2402 fois dans la génération à laquelle j’appartiens, et l’Europe a risqué d’en périr. Insister sur nos seules diversités détr
2403 ns ses diversités, — voilà la tâche de la culture et sa vocation prospective. Il n’y aurait pas d’Europe sans tout ce que
2404 la culture enfin doit venir le remède à nos maux, et il est double : réduire les préjugés nationalistes, qui s’opposent à
2405 onalistes, qui s’opposent à toute forme d’union ; et proposer un modèle efficace d’union spécifiquement européenne, qui s’
2406 que le programme commun des instituts, mouvements et associations de culture que notre Fondation entend soutenir, doit com
2407 ’une union fédérale, seule conforme au génie « un et divers » de la culture européenne. L’Europe n’est pas une addition d
2408 es-ci sont des apparitions relativement récentes, et plus ou moins artificielles, qui ont tenté de prendre forme, grâce à
2409 âce à l’École surtout, pendant l’ère nationaliste et colonialiste — seconde moitié du xixe et première moitié du xxe siè
2410 naliste et colonialiste — seconde moitié du xixe et première moitié du xxe siècle — en s’appuyant sur la diversité de no
2411 n Europe, est un phénomène à la fois pré-national et supranational, diversifié selon les époques, les régions, les écoles
2412 s vérités incontestables à la génération présente et aux générations montantes, — par le livre, la presse et le film, par
2413 générations montantes, — par le livre, la presse et le film, par un meilleur enseignement de l’histoire, par des comparai
2414 ire, par des comparaisons globales entre l’Europe et les cultures réellement différentes des autres continents, mais aussi
2415 ent différentes des autres continents, mais aussi et surtout par l’exemple vécu d’une coopération supranationale des savan
2416 s éditeurs, des publicistes, etc. — les instituts et associations culturelles militant pour l’Europe unie apportent une co
2417 x qui entravent encore la construction économique et politique de l’Europe. La seconde tâche consiste à prendre au sérieux
2418 rieux les principes de notre culture occidentale, et d’abord à les mieux connaître. Que servirait de doter l’Europe d’inst
2419 x, à tout ce qui a fait la grandeur de l’Europe ? Et que sert de prêcher l’union européenne à des gens qui répondent que l
2420 de soi-disant réaliste serait simplement utopique et vouée dès le départ à un échec sans gloire. Prendre au sérieux nos pr
2421 hec sans gloire. Prendre au sérieux nos principes et nos valeurs, c’est une affaire d’éducation. Contrairement à l’Asie et
2422 t une affaire d’éducation. Contrairement à l’Asie et à l’URSS, l’Europe a toujours voulu former des hommes à la fois libre
2423 toujours voulu former des hommes à la fois libres et responsables. C’est là son grand atout, c’est le secret de son dynami
2424 t, c’est le secret de son dynamisme incomparable. Et cela se traduit dans le domaine de la recherche, par la double exigen
2425 liberté d’investigation individuelle d’une part, et de l’organisation du travail en équipe selon un plan commun, d’autre
2426 le exigence du développement de l’esprit critique et de l’information d’une part, de l’esprit communautaire et du sens des
2427 information d’une part, de l’esprit communautaire et du sens des responsabilités sociales d’autre part. Ces deux grandes t
2428 s deux grandes tâches, je le répète, sont vitales et elles relèvent de la culture au premier chef, j’entends par là : de l
2429 e pure, de la philosophie, des sciences humaines, et surtout de l’éducation. Si les programmes des instituts européens, de
2430 rogrammes des instituts européens, des chercheurs et des publicistes, des enseignants enfin (aux trois degrés orientés ver
2431 es plus belles réalisations économiques de l’OCDE et du Marché commun resteront pauvres de substance humaine, mal intégrée
2432 e, mal intégrées à la manière de vivre européenne et à la vocation fédéraliste de l’Europe. Contre la volonté de leurs ini
2433 re, qui est une fonction d’animation, d’échanges, et d’équilibre dynamique dans le progrès de l’humanité vers les libertés
2434 t y avoir que dividendes, bombes atomiques, autos et frigidaires, les forces culturelles auraient le droit de s’occuper dè
2435 ts psychologiques, trop de préjugés traditionnels et scolaires, trop de réflexes nationalistes continueront à la freiner.
2436 réflexes nationalistes continueront à la freiner. Et les Autres arriveront avant nous à des positions de puissance dont il
2437 res politiques qui achèveront l’union, mais aussi et surtout à orienter ces mesures, conformément au génie propre de l’Eur
2438 nt la méfiance courante à l’endroit de la culture et de son « utilité ». On verra qu’elles s’opposent diamétralement. Si l
2439 riche Europe en tire les conséquences logiques — et pratiques. ai. Rougemont Denis de, « La culture et l’union de l’E
2440 atiques. ai. Rougemont Denis de, « La culture et l’union de l’Europe », Caractère et culture de l’Europe, Amsterdam, a
2441 « La culture et l’union de l’Europe », Caractère et culture de l’Europe, Amsterdam, avril 1962, p. 9-13.
28 1962, Articles divers (1957-1962). Journal d’un témoin (23-24 juin 1962)
2442 stances qui firent naître la ligue des officiers, et surtout à replacer le lecteur d’aujourd’hui dans le climat de cette p
2443 ’Adjudance générale de l’armée (Ve section, Armée et Foyer), j’avais proposé et obtenu de rédiger des plans de causeries à
2444 mée (Ve section, Armée et Foyer), j’avais proposé et obtenu de rédiger des plans de causeries à l’usage des officiers char
2445 oque : il décrit en effet l’importance symbolique et stratégique du Saint-Gothard dès les débuts de notre histoire. Le 11
2446 re. Le 11 mai, les nazis ayant envahi la Belgique et la Hollande, une nouvelle mobilisation générale est ordonnée. Avec un
2447 oici le plan de la ville, les maisons, les étages et les noms de ces messieurs. Vous forcez la porte, vous coupez d’abord
2448 s fils de téléphone, puis vous arrêtez les agents et ramassez leurs papiers. Compris. Telle était l’atmosphère, et je n’ai
2449 leurs papiers. Compris. Telle était l’atmosphère, et je n’ai vu ce jour-là, comme les jours suivants à la troupe, où je su
2450 d comme au cœur de l’Europe, à son bastion sacré, et je l’ai dit hier soir encore. Or il se trouve que le Gothard est le t
2451 stance à tout prix, avec le Gothard comme symbole et comme grand atout militaire. » Il acquiesce. Je poursuis : « Une acti
2452 mais en dehors des partis politiques, trop lents et trop peu sûrs. » « Oui, dit-il, c’est une idée… (et pendant une secon
2453 trop peu sûrs. » « Oui, dit-il, c’est une idée… ( et pendant une seconde je n’ai pas su s’il était ironique ou sérieux) un
2454 sous son regard direct le danger d’avoir une idée et de l’exprimer sans précautions — avant d’avoir calculé la dépense. Le
2455 ri insiste, agit. Des contacts sont pris à droite et à gauche. On nous approuve, on nous aidera, mais allez vite ! Vertige
2456 ai écrit deux pages sur la confrontation d’Hitler et de Paris, les ai recopiées et envoyées à la Gazette de Lausanne . « V
2457 frontation d’Hitler et de Paris, les ai recopiées et envoyées à la Gazette de Lausanne . « Voyez si les prescriptions de l
2458 mi-pente du Gurten. Au-dessous, des cités-jardins et des usines. Plus loin la ville, la longue façade verdâtre du Palais f
2459 falaise. À l’horizon, la barrière sombre du Jura, et au-delà se passe la guerre. Derrière la maison, des prairies montent
2460 regardé longtemps la ville, apparemment paisible, et la ligne précise des crêtes du Jura sur un ciel tourmenté où je guett
2461 chose, je serais alerté par téléphone. Peu dormi, et levé à six heures. Avant d’entrer à mon bureau, près de la gare, ache
2462 baignons… L’ai fait lire au lieutenant-colonel M. et aux autres camarades, ils le trouvent bien, mais ne paraissent pas sp
2463 isse Jon Kimche parue cet hiver dans nos colonnes et consacrée à certains aspects souterrains — ou simplement peu connus —
2464 nt sa sympathie. L’attitude de notre gouvernement et de notre commandant en chef rendit inutile toute action directe de ce
2465 in défaitisme ambiant. Denis de Rougemont, témoin et acteur de ces événements nous a envoyé certains feuillets de son jour
2466 envoyé certains feuillets de son journal de juin et juillet 1940 qui les éclairent et les expliquent… Nous avons choisi d
2467 journal de juin et juillet 1940 qui les éclairent et les expliquent… Nous avons choisi de publier ces pages en cette fin d
29 1962, Articles divers (1957-1962). La Ligue du Gothard : premier mouvement de résistance : Journal d’un témoin II (25 juin 1962)
2468 ériser mieux. Tout est immédiat, concret, naturel et extravagant à la fois, comme l’événement quand il arrive. Je vois ce
2469 comme l’événement quand il arrive. Je vois ce pré et je sais qu’il peut y apparaître dans un instant des hommes qui nous t
2470 es, les éléments d’un énorme désastre, incroyable et vrai. Le téléphone m’apporte, heure par heure, les nouvelles de l’act
2471 ime la réflexion sentimentale sur son propre cas, et sur le sort des nations. Il ne reste que la préoccupation des petites
2472  : quinze jours au fort de Saint-Maurice, au pain et à l’eau, sans visites ni courrier. Vous avez bien compris ? Vous êtes
2473 our mission de sauvegarder l’indépendance du pays et de maintenir l’intégrité du territoire. Il est clair que pour défendr
2474 sistance à tout prix, contre tous les défaitismes et opportunismes économiques et politiques. (En Suisse romande, des édit
2475 tous les défaitismes et opportunismes économiques et politiques. (En Suisse romande, des éditoriaux parlent déjà de « la n
2476 juin 1940 Repris mon service à la section « Armée et Foyer ». Pendant mes vacances forcées, j’ai eu le temps de rédiger le
2477 hard », pour ma plus grande satisfaction. Discuté et corrigé ce texte jusqu’à cinq heures du matin, avec les fondateurs, d
2478 s capitaines instructeurs. Publique dans le civil et devant l’opinion suisse, sous la responsabilité d’un directoire de di
2479 d. Bastion naturel de la Suisse, cœur de l’Europe et limite des races, le Gothard est le grand symbole autour duquel tous
2480 un seul but : maintenir la Suisse dans le présent et pour l’avenir. Nous ne vous promettons qu’un grand effort commun. Mai
2481 commun. Mais il nous rendra fiers d’être hommes, et d’être Suisses. Ce texte va paraître dans 74 journaux du pays. Dans
2482 seul homme de liaison entre la Ligue dans l’armée et la Ligue civile : le sergent Lindt41. Une maison de Berne, à double e
2483 du péril, c’est bien le tout de notre vie suisse et non pas tel parti plutôt qu’un autre, qui est radicalement menacé. Pa
2484 ou deux indécis. Sur la base de ces informations et de leur analyse détaillée, le directoire de la Ligue du Gothard entre
2485 zis, tout est prêt pour le renverser, des troupes et des blindés sont en alerte à Lucerne, une équipe de remplacement est
2486 , il aura l’appui sans réserve de la Ligue civile et militaire. L’audience est aussitôt demandée, et accordée. Trop compro
2487 e et militaire. L’audience est aussitôt demandée, et accordée. Trop compromis depuis l’affaire de la Gazette de Lausanne
2488 omis depuis l’affaire de la Gazette de Lausanne et bridé par mes fonctions militaires, je ne puis faire partie de la dél
2489 déclaration pour la transmettre à ses collègues, et bien sûr, n’a pu faire davantage. Mais les banderilles ont été planté
2490 s les archives fédérales. On devait s’y attendre. Et personne n’ébruita la chose à l’époque. On comprend donc que M. Kimch
2491 t pas pu faire état de l’incident, si pittoresque et surprenant qu’il puisse apparaître, après coup. Il y avait une sorte
2492 sons qu’il existe un complot pour vous renverser, et que nous en sommes les fauteurs ! » Logiquement, si le gouvernement n
2493 ne nous croyait pas, notre démarche était ratée, et au surplus couvrait la Ligue de ridicule. En fait, celui qui reçut ce
2494 ien qu’il s’agissait pour nous d’appuyer les durs et de faire peur aux mous. Le Conseil fédéral devait donc nous croire et
2495 mous. Le Conseil fédéral devait donc nous croire et ne pas nous croire à la fois. Finalement, il résista, comme on sait.)
2496 à l’Adjudance générale de l’Armée (section Armée et Foyer) envoie à Gazette de Lausanne un article qui lui vaut d’être
2497 hard, pense Rougemont, devrait fournir le symbole et la clef d’une résistance à tout prix. Voici la suite du journal de ce
30 1962, Articles divers (1957-1962). La conjuration des officiers en juin 1940 : Journal d’un témoin III (26 juin 1962)
2498 p de citoyens, elle a fait naître un grand espoir et dissipé certaines brumes de défaitisme. La crainte de la concurrence
2499 qu’en réunissant des efforts jusqu’ici dispersés et des groupements naguère hostiles, nous créons le visage de la nouvell
2500 , nous créons le visage de la nouvelle génération et nous marchons dans la seule voie possible. Nous savons que la Suisse
2501 e devient vrai ! Profonde impression dans l’armée et dans la population. 1er août 1940 La section Armée et Foyer publie le
2502 ans la population. 1er août 1940 La section Armée et Foyer publie le message du général. Convergence parfaite avec le rapp
2503 moi saute à terre, fait quelques pas à mes côtés et me dit rapidement : « Soyez prudent. Quatre chefs de la Ligue dans l’
2504 la nuit. Il leur a laissé croire qu’il marchait, et à 6 heures ce matin, les a fait boucler. » Le lieutenant remonte, la
2505 à l’étranger » m’avait proposé d’aller à New York et d’y faire jouer ma pièce sur Nicolas de Flüe (musique d’Arthur Hone
2506 t vers un programme plus vaste d’entraide sociale et de rénovation économique et politique. Elle avait au départ formé le
2507 te d’entraide sociale et de rénovation économique et politique. Elle avait au départ formé le noyau du premier mouvement d
2508 problèmes qui se posaient à la Ligue, assassinats et tortures en moins. Les mêmes peuvent rire de l’armée suisse parce qu’
2509 avaient senti la Suisse militairement moins forte et moins bien alertée. Et notre petit mouvement de résistance, pour prév
2510 militairement moins forte et moins bien alertée. Et notre petit mouvement de résistance, pour préventif qu’il soit resté,
2511 er en public que les sujets admis par la censure, et ce n’était, littéralement, pas beaucoup dire. Me taire ou ne parler q
2512 r notre continent, l’élément décisif allait venir et ne pouvait venir que de l’Amérique. Peut-être bien était-ce là-bas qu
2513 os, attiré en avant, je me décidai donc à partir. Et , certes, les raisons qui m’animaient n’étaient point exactement celle
2514 de monter dans l’autobus, trois journaux du matin et de la veille : tous les trois consacraient leur éditorial au programm
2515 qu’indique M. Kimche (seconde quinzaine de juin) et les noms de ses chefs sont exacts, si mes souvenirs le sont aussi. Se
2516 exacts, si mes souvenirs le sont aussi. Ses buts et ses premières activités sont correctement définis, sauf sur un point,
2517 l. Leur complot ne visait que le Conseil fédéral, et c’est pourquoi il dut être un complot. Le général Guisan écrit dans s
2518 le. 2. Il est probable que la ligue des officiers et la ligue civile naquirent simultanément, et il est certain qu’elles «
2519 ciers et la ligue civile naquirent simultanément, et il est certain qu’elles « s’imbriquaient étroitement », on l’a vu par
2520 L’absence de toute mention de la Ligue du Gothard et la substitution à cette ligue d’un mouvement qui n’eut d’autre tort à
2521 le » coïncidence dans le fait que la Ligue civile et militaire prit le nom de ce Gothard qui, quelques semaines plus tard,
2522 h venait de triompher des armées franco-anglaises et que la volonté de résistance paraissait s’émousser chez certains de n
2523 s succès nazis (voir La Tribune de Genève des 23 et 25 juin). Rappelons, pour la compréhension de cet article, que l’aute
2524 éhension de cet article, que l’auteur de L’Amour et l’Occident se trouvait alors en situation délicate auprès de ses che
31 1962, Articles divers (1957-1962). Dans vingt ans une Europe neuve (novembre 1962)
2525 xercice intellectuel à deux temps alternés : élan et freinage. L’imagination débridée court vers l’avenir dans le sens de
2526 s l’inconnu que nous découvrirons en l’inventant, et qui peut-être nous transformera, mais dans la mesure où nous le forme
2527 ’alliance de guerre avec l’URSS au Mur de Berlin, et de la Libération à la perte des pays de l’Est ; de l’omniprésence com
2528 de l’Est ; de l’omniprésence communiste en France et en Italie au repli général du PC, à sa suppression eu Allemagne, et à
2529 pli général du PC, à sa suppression eu Allemagne, et à la défection des intellectuels ; des lamentations sur la dénatalité
2530 empires d’outre-mer français, anglais, hollandais et belge à la décolonisation presque achevée en Asie du Sud, dans le mon
2531 esque achevée en Asie du Sud, dans le monde arabe et en Afrique ; bref, de la misère avec les colonies et dans la désunion
2532 en Afrique ; bref, de la misère avec les colonies et dans la désunion, à la richesse sans le tiers-monde et par l’union. S
2533 ns la désunion, à la richesse sans le tiers-monde et par l’union. Si l’on relit la presse de l’époque, on s’aperçoit que p
2534 , mais qu’ils se sont produits beaucoup plus vite et avec plus d’intensité que personne n’osait le croire ou le redouter.
2535 à prolonger les lignes de cette récente évolution et à prévoir une accélération continuée des rythmes ? Deux hypothèses. O
2536 ée par l’échec des négociations entre les Anglais et le Marché commun, par le succès des thèses gaullistes, et par la care
2537 rché commun, par le succès des thèses gaullistes, et par la carence des mouvements fédéralistes. Il en résulte alors, néce
2538 t la majorité à l’ONU, des guerres « localisées » et finalement la guerre. Tout pronostic s’arrête là. Ou bien l’union eur
2539 s’arrête là. Ou bien l’union européenne s’élargit et se consolide. Le pronostic se confond désormais avec les vœux, les bu
2540 égié » qui comprend environ 95 % de la population et de la production du globe. À cette réalité de géographie humaine corr
2541 ine correspond une activité politique, économique et culturelle plusieurs fois supérieure à tout ce qui se passe dans le r
2542 ccès du fédéralisme européen les a fait réfléchir et leurs nouvelles générations, au-delà des ivresses de l’indépendance,
2543 vertes aménagées en France, Allemagne, Autriche, et surtout aux États-Unis, en Afrique et au Brésil. On cherche encore —
2544 , Autriche, et surtout aux États-Unis, en Afrique et au Brésil. On cherche encore — on va trouver — un système général de
2545 de décantation du progrès mécanique, qui l’adapte et le subordonne à la sécurité, à la santé et aux « aménités » de la vie
2546 adapte et le subordonne à la sécurité, à la santé et aux « aménités » de la vie, selon l’expression de B. de Jouvenel. L’a
2547 ue — y contraint autant que l’évolution des idées et des morales. L’Europe, initiatrice et première bénéficiaire ou victim
2548 n des idées et des morales. L’Europe, initiatrice et première bénéficiaire ou victime de la civilisation technique, désorm
2549 avaient proliféré pendant l’ère du charbon, sale et noire. L’énergie électrique ou nucléaire a permis de généraliser la m
2550 sur les îles — artificielles ou naturelles — sur et dans les rochers et les montagnes, loin des lieux du travail, réduit
2551 ficielles ou naturelles — sur et dans les rochers et les montagnes, loin des lieux du travail, réduit à cinq journées de s
2552 s le secteur tertiaire, le week-end de deux jours et demi ou trois jours est de règle.) La vie politique ne ressemble plus
2553 passions sont transposées à l’échelle européenne et à l’échelle mondiale. Le mythe des deux grands a disparu, on ne s’en
2554 s’en souvient guère davantage que de la Triplice et de la Triple Entente aujourd’hui. Face à la Chine, à l’Inde, et aux l
2555 e Entente aujourd’hui. Face à la Chine, à l’Inde, et aux ligues encore instables du monde arabe et de l’Afrique noire, l’O
2556 de, et aux ligues encore instables du monde arabe et de l’Afrique noire, l’Occident se regroupe autour de l’Europe unie, d
2557 cisco à Vladivostok (réseau d’accords économiques et culturels). En Europe, deux grandes tendances s’affrontent, en lieu
2558 ances s’affrontent, en lieu et place de la droite et de la gauche anciennes : la tendance fédéraliste, qui défend les auto
2559 ce fédéraliste, qui défend les autonomies locales et nationales, et la tendance unitaire ou intégriste, qui pousse à la ce
2560 qui défend les autonomies locales et nationales, et la tendance unitaire ou intégriste, qui pousse à la centralisation et
2561 ire ou intégriste, qui pousse à la centralisation et à l’uniformisation sociale, économique et éducative du continent. Féd
2562 isation et à l’uniformisation sociale, économique et éducative du continent. Fédéralistes et unitaires, mondialistes et na
2563 conomique et éducative du continent. Fédéralistes et unitaires, mondialistes et nationalistes européens, néo-socialistes e
2564 ontinent. Fédéralistes et unitaires, mondialistes et nationalistes européens, néo-socialistes et néo-libéraux s’opposent a
2565 istes et nationalistes européens, néo-socialistes et néo-libéraux s’opposent au sujet des problèmes d’aménagement du terri
2566 nisme, d’éducation, de formation professionnelle, et de répartition des compétences entre le pouvoir central européen et l
2567 des compétences entre le pouvoir central européen et les gouvernements des nations, qui subsistent. La médecine, l’hygiène
2568 , qui subsistent. La médecine, l’hygiène générale et l’hygiène mentale, largement socialisées, sont au premier plan des so
2569 evenue la partie sérieuse de l’existence, en lieu et place du travail et du gain, désormais assurés à moindres frais d’éne
2570 ieuse de l’existence, en lieu et place du travail et du gain, désormais assurés à moindres frais d’énergie. L’accroissemen
2571 s d’énergie. L’accroissement du temps des loisirs et l’accroissement de la population produisent des résultantes contradic
2572 assive de spectacles de tous ordres, de magazines et de livres, de films et de disques, de cours sur tous les sujets, de v
2573 tous ordres, de magazines et de livres, de films et de disques, de cours sur tous les sujets, de voyages, de manifestatio
2574 , etc. Le règne des grands nombres, des standards et des modes favorise en lui une attitude de consommateur hédoniste. D’a
2575 re part, des possibilités plus vastes de création et de réalisation de soi lui sont ouvertes. Il est donc probable que la
2576 différence s’accentue entre une majorité passive et moutonnière, et une minorité active et librement imaginative. L’ensei
2577 centue entre une majorité passive et moutonnière, et une minorité active et librement imaginative. L’enseignement supérieu
2578 té passive et moutonnière, et une minorité active et librement imaginative. L’enseignement supérieur est en pleine mutatio
2579 la culture générale pour tous (studium generale) et sur les recherches spécialisées poursuivies en séminaires. Les diplôm
2580 es, sont remplacés par des certificats d’aptitude et par des tests d’entrée (dans une firme ou dans une grande école). Dan
2581 s l’ensemble, les changements survenus entre 1962 et 1980 sont probablement moins essentiels que ceux dont nous fûmes les
2582 érais au début sont devenus généralement visibles et sensibles ; ils affectent l’ensemble de la population. En revanche, l
2583 technique, rendue possible par l’union économique et politique de nos pays, et d’autre part l’accroissement de la populati
2584 par l’union économique et politique de nos pays, et d’autre part l’accroissement de la population et l’urbanisation du co
2585 et d’autre part l’accroissement de la population et l’urbanisation du continent développent des mécanismes de freinage. L
2586 ser la technique, de recréer des zones de silence et de lenteur, de compenser par des équivalents spirituels la quasi-abol
2587 ituels la quasi-abolition des distances physiques et des diversités traditionnelles — tout cela contribue à ralentir et co
2588 traditionnelles — tout cela contribue à ralentir et contraint à ordonner le rythme de l’innovation à tout hasard et à tou
2589 ordonner le rythme de l’innovation à tout hasard et à tous risques. Bref, les inventions les plus remarquables et « inouï
2590 sques. Bref, les inventions les plus remarquables et « inouïes » sont désormais celles qui adaptent la technique à l’homme
2591 80, s’ils retrouvent par hasard mon petit essai ; et pour que certains, aujourd’hui, voient un peu mieux vers quoi nous de
2592 aris, en 1931, à la fondation des revues Esprit et L’Ordre nouveau , et collabora à la Nouvelle Revue française . Son
2593 ndation des revues Esprit et L’Ordre nouveau , et collabora à la Nouvelle Revue française . Son premier livre, Politi
2594 erprétations qui en furent faites. Envoyé aux USA et en Argentine pour y faire des conférences en 1940, il devint en 1942-
2595 dans le mouvement pour une fédération européenne et il organisa, en 1949, à Lausanne, le Congrès européen de la culture.
2596 la culture. Il a publié dix-huit ouvrages (essais et récits sous forme de journaux, littérature, philosophie et politique)
2597 sous forme de journaux, littérature, philosophie et politique). »
32 1962, Articles divers (1957-1962). La commune, base essentielle de notre civilisation (novembre-décembre 1962)
2598 on (novembre-décembre 1962)as Anciens villages et villes d’Europe, vous n’en trouverez pas deux dont les plans soient s
2599 du stade originel de la défense, du Burg central et des remparts. En Amérique, les villages naissent comme au hasard le l
2600 ouverts des pionniers arrêtés un soir, à l’étape, et qui auraient décidé d’en rester là. En Asie, les maisons s’assemblent
2601 nautés bien ancrées, bien nettement individuelles et pourtant richement reliées et régionalement fédérées. Quittant mainte
2602 ement individuelles et pourtant richement reliées et régionalement fédérées. Quittant maintenant le silence du ciel et l’a
2603 fédérées. Quittant maintenant le silence du ciel et l’art abstrait qu’évoquent si curieusement les photos prises du haut
2604 ns la rumeur humaine d’une place de petite ville. Et voici que tout se résume en un coup d’œil. Car autour de la place, vo
2605 l. Car autour de la place, vous trouvez, l’église et la mairie, souvent l’école, et les cafés, et le marché et la circulat
2606 trouvez, l’église et la mairie, souvent l’école, et les cafés, et le marché et la circulation. À partir de cette place, b
2607 lise et la mairie, souvent l’école, et les cafés, et le marché et la circulation. À partir de cette place, banale et donc
2608 irie, souvent l’école, et les cafés, et le marché et la circulation. À partir de cette place, banale et donc typique, un s
2609 t la circulation. À partir de cette place, banale et donc typique, un savant débarqué de Mars ou de Vénus pourrait reconst
2610 irituelle, le règne de la loi, le respect général et tacite des institutions, l’éducation publique, l’échange des opinions
2611 ions individuelles (de préférence contradictoires et subversives) et l’échange des produits du travail — une vitalité libr
2612 es (de préférence contradictoires et subversives) et l’échange des produits du travail — une vitalité librement ordonnée,
2613 s, le Town-Hall) soit ou non bâtie sur la place — et il se trouve qu’elle l’est en général — c’est bien là qu’elle tire so
2614 puis sur la place des communes médiévales. Ombre et soleil changent avec les heures ; côté de l’église et côté de l’école
2615 oleil changent avec les heures ; côté de l’église et côté de l’école, côté de la mairie et côté du café ; marché au centre
2616 de l’église et côté de l’école, côté de la mairie et côté du café ; marché au centre, et carrefour principal des apports r
2617 de la mairie et côté du café ; marché au centre, et carrefour principal des apports régionaux et des courants lointains :
2618 tre, et carrefour principal des apports régionaux et des courants lointains : c’est cette vie de la place qui se traduit d
2619 la place qui se traduit dans la vie des conseils et parlements, caractéristiques de l’Europe. (La dernière image qui subs
2620 formant le Ring sur la place principale.) Lire et parler Il n’est pas de démocratie, au sens européen du terme, qui
2621 la libre discussion, sur le libre jeu des partis, et sur la liberté de l’opposition, majorité de possible de demain. Or, l
2622 possible de demain. Or, les partis de l’opinion, et l’opposition notamment, se manifestent par la presse, dans l’ère mode
2623 t par la presse, dans l’ère moderne de l’Europe ; et la presse, dès le début, fut étroitement liée à cet autre élément néc
2624 là qu’elle se parle d’abord, s’écrit bien souvent et se lit. C’est dans les cafés de Hollande que se réunissent les réfugi
2625 entière, en dépit des censures de l’absolutisme, et qui préparent le siècle des Lumières et la Révolution française. C’es
2626 olutisme, et qui préparent le siècle des Lumières et la Révolution française. C’est dans les tavernes anglaises que se lis
2627 rnal que Daniel Defoe rédige seul de 1704 à 1713. Et c’est encore dans les cafés que le Spectator d’Addison, un peu plus t
2628 a philosophie, enfin sortie des cabinets d’études et de l’école. N’oublions donc pas, sur la place, la présence du kiosque
2629 t d’insertion de la rumeur du monde entre le café et le marché. Face à l’hôtel de ville, l’église. Le temple grec sur l’ag
2630 e chrétienne ou ecclesia (qui veut dire assemblée et non plus temple), représentent l’autre pôle de la cité : celui de l’u
2631 le qui doit transcender les partis, les ambitions et les doctrines en vogue. La mairie, symbole de la commune, qui est dan
2632 mal, à plus d’un siècle d’empiètements de l’État et de centralisation systématique dans l’ensemble de nos pays. On pouvai
2633 le coup de grâce. Bien au contraire. Le bon usage et la santé de l’économie technicienne, selon ses meilleurs spécialistes
2634 , veulent à la fois des regroupements industriels et une répartition plus décentralisée de la production, poussant à la mi
2635 Conseil des communes d’Europe, l’Union des villes et des pouvoirs locaux, apparus depuis la dernière guerre, ne livrent pa
2636 nes d’Europe, Paris, novembre–décembre 1962, p. 5 et 20.