1 1957, Articles divers (1957-1962). La voie et l’aventure (janvier 1957)
1 i, ou le Total, ou l’Être, Ramakrishna disait : «  Il n’y a aucune différence, que vous l’appeliez ‟Toi” ou que vous pensie
2 liez ‟Toi” ou que vous pensiez ‟Je suis Lui”. » S’ il n’y avait « aucune différence », il n’y aurait pas non plus d’antinom
3 uis Lui”. » S’il n’y avait « aucune différence », il n’y aurait pas non plus d’antinomie foncière entre la foi chrétienne
4 urs liens avec certaines options fondamentales qu’ il a prises au plan religieux. Au nom même du désir d’union de l’humanit
5 i anime de part et d’autre les meilleurs esprits, il me paraît vital d’admettre en toute franchise l’existence historique
6 mise au point qui suivent. Certains penseront qu’ il est dangereux de souligner ce qui nous distingue, au lieu de mettre e
7 t conduire à la synthèse. Je vois le danger. Mais il faut voir aussi que l’union finale des esprits ne sera jamais acquise
8 au prix du sacrifice de nos diversités vivantes ; elle suppose bien plutôt la connaissance des raisons d’être de ces diversi
9 onverger au lieu de s’ignorer ou de se combattre, ils le devront bien moins à un « retour aux sources » qu’à un progrès con
10 e et l’Europe une parenté antérieure aux Aryens. ( Elle paraît attestée par les symboles communs aux Dravidiens et aux Crétoi
11 ultérieures. À l’Est, l’Inde codifie les castes ; elle en ajoute même une3, multiplie les sous-castes, et fait durer le syst
12 ’arrière-fond commun, les différences s’accusent. Elles ne cesseront de s’affirmer dans l’ensemble de notre histoire, nonobst
13 elà était tenu pour plus réel que l’ici-bas, dont il convenait par suite de s’évader, plutôt que d’essayer de l’aménager s
14 térodoxe moins par la négation de l’orthodoxie qu’ il croit encore servir, que par son dépassement réalisé. Mais l’Orient n
15 stances monumentales et religieuses du Moyen Âge, elle éclate aux États-Unis dont le passé vivant ne remonte pas au-delà d’u
16 t l’Oriental qui circule dans nos villes songe qu’ il n’y voit qu’agitation désordonnée, absence de sens et d’harmonie, et
17 conds à étudier que leur distinction progressive. Ils sont cela, sans nul doute, mais ils sont beaucoup plus : deux voies d
18 progressive. Ils sont cela, sans nul doute, mais ils sont beaucoup plus : deux voies de l’homme, deux directions maîtresse
19 paremment physiques se transmuent en symboles, et il termine par une invitation à entreprendre le voyage mystique vers l’O
20 ire : « C’est celle que l’on connaît le mieux… » ( Il s’agit de notre vie terrestre.) Dans son Récit de l’exil occidental d
21 r si le soleil se lève à l’Orient pour les Grecs, il en va de même pour les Hindous, et ceux-ci ne figurent pas pour autan
22 Malaisie, ni le Japon l’Occident de l’Amérique ! Elle révèle donc une forme de l’âme, une pente de l’âme, voire une « orien
23 que, relevant un défi qui semblait écrasant et qu’ il se portait à lui-même, acceptant de « s’enfoncer dans la matière », a
24 êt une valeur différente, encore que par sa forme elle semble correspondre au tableau que l’on vient d’établir. Un voyageur
25 termes de leur existence, et de les sauver là où ils sont, par la seule foi dans l’action du pardon, de l’amour et de la g
26 ntée — ne sont qu’apparemment superposables ; car il s’agit en réalité dans le premier cas d’une descente créatrice de Die
27 ’Occidental, tournant le dos au soleil, en lequel il croit sans le voir, décide d’imiter Dieu le Créateur en œuvrant dans
28 a Voie : deux formes d’expérience. Pour l’Hindou, il s’agit d’arriver à la connaissance du divin non par le « saut de la f
29 ti (le monde manifesté, qui est illusion) afin qu’ elle aille vers l’Esprit, sachant ce qu’elle fait. « Ô bien-aimé ! si impr
30 ) afin qu’elle aille vers l’Esprit, sachant ce qu’ elle fait. « Ô bien-aimé ! si imprégné de la Connaissance, si détaché, si
31 ché, si versé dans la Loi, et si maître de lui qu’ il soit, un dieu lui-même ne peut sans le yoga atteindre la libération. 
32 n. » (Yoga-anka.) Pour l’Occidental au contraire, il s’agit de connaître Dieu non pas en écartant le monde manifesté, ou b
33 éfiances. Car chacun pense de l’autre : est-ce qu’ il dit vrai ? trouve-t-il vraiment l’objet de sa recherche ? et cet obje
34 nse de l’autre : est-ce qu’il dit vrai ? trouve-t- il vraiment l’objet de sa recherche ? et cet objet lui-même, est-il vrai
35 bjet de sa recherche ? et cet objet lui-même, est- il vraiment réel ? S’identifier à l’Un, à la divinité, ne serait-ce pas,
36 s les « preuves » dont l’autre se prévaut, puisqu’ elles s’appliquent à une « réalité » qu’on tient elle-même pour illusion. E
37 réalité » qu’on tient elle-même pour illusion. Et il semble à chacun que les explications les plus sincères données par l’
38 soit individualiste et l’Orient traditionaliste, il paraît difficile de le mettre en doute10 : tous les auteurs qui trait
39 nes sur une seule bicyclette ! Ces gens ne seront- ils jamais seuls ? L’individu peut-il vraiment compter, dans ce grouillem
40 gens ne seront-ils jamais seuls ? L’individu peut- il vraiment compter, dans ce grouillement sempiternel ? Mais je vais aux
41 ntifs dans une cour écoute le lecteur de poèmes : il s’agit de légendes sacrées. Jamais la vie ne m’a paru plus solennelle
42 aire. Nous avons inventé l’ecclesia. Et tandis qu’ ils se purifient par l’isolement, comme le veut la magie, nous prions et
43 parlé de l’Hindou « grégaire » ; terme inexact s’ il fait penser à « collectif », à je ne sais quoi d’organisé ou d’encadr
44 se. Kassner m’offre ce mot : le corps magique, et il le commente en ces termes11 : « Âme corporisée, ou corps spiritualisé
45 magique n’a pas d’ironie ni de paradoxe, parce qu’ il n’a ni contraire ni contradiction. » Dépourvu de sensibilité au sens
46 d’esprit révolutionnaire, ignorant la curiosité, il ne peut avoir cure ni de ses droits distincts, ni de sa chance, ni d’
47 homme des supercheries, est de son appartenance : il forme le bord, la lisière du monde du saint, comme les idoles le bord
48 te opposition : panthéisme ou Dieu personnel. Car il n’est pas de personne sans un Dieu qui interpelle. Et l’Orient ne con
49 rient ne connaît rien de tel. Soit qu’on pense qu’ il n’y a pas de Dieu — selon le système Sankya et le bouddhisme — soit q
50 elon l’Advaïta, que Dieu n’« existe » pas mais qu’ il est Tout, et que le Tout ou le Réel n’est que le Moi pleinement réali
51 pleinement réalisé et accompli (That Thwam Asi) — il n’y a pas plus de personne dans la gnose hindouiste que de moi distin
52 ouiste que de moi distinct dans le bouddhisme. Qu’ il n’y ait point de Dieu, ou que Je sois le Tout, dans les deux cas l’Au
53 s le Tout, dans les deux cas l’Autre s’évanouit ; il n’est pas de dialogue possible, ni d’appel, ni donc de vocation, ni p
54 akrishna que je citais en tête de ce chapitre : «  Il n’y a aucune différence, que vous l’appeliez Toi ou que Vous disiez J
55 éfinition de l’attitude religieuse orientale. Car il est bien certain que l’identité qu’elle pose évacue l’existence perso
56 entale. Car il est bien certain que l’identité qu’ elle pose évacue l’existence personnelle, et que la négation de la personn
57 la différence est tenue pour essentielle, car en elle seule se fonde la personne véritable, qui assume l’individu mais auss
58 partie blanche et un point blanc la partie noire. Il est ainsi montré que l’élément masculin n’est pas absent de la région
59 que. Un Sankara parfois préfigure le thomisme, et il arrive à Maître Eckhart de s’exprimer comme un bouddhiste. La Bhagava
60 ions (condamnées et souvent détruites), tandis qu’ il ne manque pas d’écoles hindoues pour affirmer la réalité du Moi, l’ac
61 quelle yâna bouddhique relève celui qui a dit : «  Il faut que tu aimes Dieu comme non-Dieu, non-Esprit, non-Personne, non-
62 e engagé sur la voie de la connaissance divine, «  il faut demeurer dans l’action, gardant un esprit égal que l’action port
63 Croix, Eckhart, et la Bhagavad-Gita. Et pourtant il serait faux, plus encore que banal, de répéter ici « tout est dans to
64 . La partie blanche contient un cercle noir, mais elle est blanche tout de même, et non pas grise. Que vaut un homme ?
65 e. Que vaut un homme ? Et finalement, ce qu’ il importe de voir, ce sont les résultantes majeures des complexes doctr
66 Nos mystiques ne font pas nos mœurs, en Occident. Ils se fondent sur la négation de nos croyances communes, et de nos insti
67 e nos croyances communes, et de nos institutions. Ils représentent le point d’Orient dans notre sphère. En revanche, l’Orie
68 si l’on pense que Dieu reconnaîtra les siens, qu’ ils se baignent vêtus ou nus. La croyance à la métempsycose est plus natu
69 u’on ne le pense à l’esprit des Occidentaux, mais elle n’a pas d’effet dans leur vie religieuse, moins encore dans leur vie
70 Je trouve le premier dans Kassner, au chapitre où il décrit le corps magique : Une histoire d’Hérodote traite d’un grand
71 un grand du royaume qui, en échange de tout ce qu’ il avait fait pour Xerxès et son armée, pour l’équipement de la campagne
72 ’est l’idée grecque de mesure et, en liaison avec elle , l’idée de liberté. Seule l’idée de la mesure de l’homme renferme l’i
73 arbitre remonte à ses origines. Aussi lui reste-t- elle le plus souvent cachée ; il faut la déchiffrer dans ses actes et ses
74 . Aussi lui reste-t-elle le plus souvent cachée ; il faut la déchiffrer dans ses actes et ses opinions. Ce qu’il pense de
75 déchiffrer dans ses actes et ses opinions. Ce qu’ il pense de la personne, du destin, ce qu’il proclame moral ou immoral,
76 . Ce qu’il pense de la personne, du destin, ce qu’ il proclame moral ou immoral, son attitude en face de la mort — tout cel
77 en face de la mort — tout cela dépend du rang qu’ il assigne au libre arbitre. Même sans être philosophe, il s’entend sur
78 igne au libre arbitre. Même sans être philosophe, il s’entend sur ce point aux distinctions les plus fines, bien que leurs
79 ses faits et gestes. Ceci vaut surtout du cas qu’ il fait de la vie même. Lorsqu’en 1194, le comte de Champagne, dans son
80 lui montra au passage ses palais et ses châteaux. Ils arrivèrent devant une place forte flanquée de très hautes tours : deu
81 s vêtus de blanc étaient en faction sur chacune d’ elles . Le grand maître voulut faire voir au comte que les siens lui obéissa
82 ent mieux qu’aux princes chrétiens leurs sujets : il leva le bras, et deux des gardes se jetèrent dans le vide, pour s’écr
83 le vide, pour s’écraser sur le sol rocheux. Puis il demanda au comte s’il devait d’un second signe livrer à la mort toute
84 er sur le sol rocheux. Puis il demanda au comte s’ il devait d’un second signe livrer à la mort toute la garde des créneaux
85 le pria de n’en rien faire, tout en confessant qu’ il ne saurait attendre de ses vassaux une telle docilité […]. Et chaque
86 ici le même sentiment que le comte de Champagne : il se verra mené à un point où éclatera en lui le plus sincère, le plus
87 violent des refus. Les formes fondamentales dont il se croyait sûr, telles que courage et fidélité, obéissance, sacrifice
88 ui respecte en l’homme un noyau de liberté auquel il n’est pas permis de porter atteinte. Ce qui s’y passe, et ce qui en p
89 ve, pour notre objet présent que les histoires qu’ ils rapportent. Tous les deux établissent la même liaison entre le peu de
90 écoupe la victime en tranches ou qu’on l’épargne, elle ne sera pas sauvée de la nécessité de renaître un millier ou cent-mil
91 revient, portant sa tête sous le bras ! Qu’en est- il de notre Occident ? Certes, l’Europe qui croit à l’absolue valeur de
92 ine et les massacres (patriotiques ou religieux). Elle a même inventé la guerre totale ! D’où provient alors cette « horreur
93 esure, sans péché, sans contradiction ni remords. Elle est divine, et nous sommes criminels. Si le moi n’est qu’une illusion
94 à l’avantage de l’un ou de l’autre « camp » : car il n’y a pas de camps, ni de lutte engagée, ceci soit dit ici une fois p
95 es. Il y a seulement deux expériences globales qu’ il importe de déchiffrer. Mais l’infinie complexité de leurs données nou
96 les qui ont donné cours à deux voies divergentes. Il m’a semblé que c’était dans la mystique, la religion et leurs explica
97 car on les voyait là dans leur état naissant. Qu’ elles soient causes premières ou effets ; qu’elles résument une série de fa
98 . Qu’elles soient causes premières ou effets ; qu’ elles résument une série de facteurs antécédents, ou qu’au contraire elles
99 série de facteurs antécédents, ou qu’au contraire elles initient l’histoire, tout cela m’importe moins que de les avoir bien
100 ut, sauf d’être vérifié, un négatif du présent qu’ ils refusent. 3. Celle des Sudras, ou indigènes assujettis ; les parias
101 La Table ronde, Paris, janvier 1957, p. 9-22. b. Il s’agit du chapitre I de L’Aventure occidentale de l’homme , qui sera
2 1957, Articles divers (1957-1962). De l’unité de culture à l’union politique (mai 1957)
102 de culture à l’union politique (mai 1957)c 1. Il suffit de s’éloigner de l’Europe dans n’importe quelle direction pour
103 et les Castillans sont vus comme des Européens : il doit y avoir à cela quelque raison. Tout bien considéré, je n’en trou
104 o-Asiatiques et les Arabes savent trop bien ce qu’ elle représente : l’entité qui seule les rassemble dans une hostilité sans
105 ns doute ambivalente, mais commune. On me dira qu’ il est bien « dangereux » d’écrire cela. Je réponds qu’il est plus dange
106 t bien « dangereux » d’écrire cela. Je réponds qu’ il est plus dangereux de vouloir ignorer Bandung. 2. J’ai cru remarquer
107 économique, sociale ou scientifique à l’Europe qu’ il faudrait unir, sont bien souvent les mêmes qui, faisant demi-tour, dé
108 nces qui séparent nos nations depuis des siècles. Il n’y aurait donc, à les en croire, pas de différences bien notables (d
109 e l’Europe et le Congo ou le Cachemire, tandis qu’ il y en aurait d’insurmontables entre les Britanniques et les Français,
110 ’est un dernier refuge pour les nationalistes. Or il se trouve que l’argument, précisément, n’est pas soutenable au plan d
111 outenable au plan de la nation. Comment le serait- il donc au plan de l’Europe entière ? On nous dit que les contrastes ent
112 s contrastes entre Suédois et Grecs, par exemple, il n’en reste pas moins qu’un Suédois lisant Kazantzaki, un Grec lisant
113 fort peu de choses près le même plaisir, parce qu’ ils y reconnaîtront les mêmes passions, les mêmes souffrances, les mêmes
114 espoirs et les mêmes doutes, et malgré tout ce qu’ il serait tellement facile de dire, la même foi dominant l’arrière-plan
115 ’ont pas cessé de se déplacer au cours des temps. Elle ne serait donc définissable que par sa culture, qui ne l’est guère. C
116 par sa culture, qui ne l’est guère. Conclusion : il n’y a pas d’Europe, et si l’on en veut une, il faudra l’inventer. Ce
117  : il n’y a pas d’Europe, et si l’on en veut une, il faudra l’inventer. Ce qui ne facilite guère l’œuvre d’union… Ainsi jo
118 jouent les sophistes, et le lecteur s’inquiète : il sent vaguement qu’il est en train de se laisser prendre dans une prob
119 , et le lecteur s’inquiète : il sent vaguement qu’ il est en train de se laisser prendre dans une problématique artificiell
120 exactement l’objet d’un éventuel enseignement ; s’ ils n’arrivent pas à le définir, ils le réputent inexistant selon les nor
121 enseignement ; s’ils n’arrivent pas à le définir, ils le réputent inexistant selon les normes académiques. Ce légitime souc
122 mple expression. En effet, selon le thème connu, elle ne se localise guère mieux dans le temps que dans l’espace […]. On a
123 romain fût une première ébauche de l’Europe. Mais il excluait Francfort, Copenhague, Amsterdam. Spengler tient que l’Europ
124 mieux connue que ses limites. L’Europe ne serait- elle donc pas née du tout, parce qu’on ne s’accorde pas sur sa date de nai
125 tégories pour les faire correspondre au réel, car il s’agit maintenant de sauver ce réel, et non pas d’ergoter sur sa défi
126 éories s’affrontent inutilement je le crains, car il en va d’une civilisation, d’une culture et même d’une nation, à peu p
127 nation, à peu près comme d’une œuvre d’art : est- elle née de ce jour où l’on a fait son plan, ou reçu sa commande, ou senti
128 récise, plusieurs années auparavant ? Ou n’aurait- elle pris forme et nom qu’à mi-chemin du travail entrepris, qui a soudain
129 soudain changé de sens et trouvé son vrai sens ? Il importe assez peu, l’œuvre est là. Depuis quand parle-t-on de l’Europ
130 . Depuis quand parle-t-on de l’Europe ? S’agirait- il d’une invention de Victor Hugo, voire des fédéralistes de notre temps
131 jectif européen est d’un usage bien plus ancien : il paraît déjà au lendemain de la bataille de Poitiers (732) dans l’œuvr
132 que telle, et (ce qui est encore plus important) ils étaient le témoignage de l’intérêt porté au caractère culturel et pol
133 u caractère culturel et politique des terres dont ils décrivaient les côtes16 ». Mais pour voir les vocables Europe et euro
134 e et européen entrer dans le vocabulaire courant, il faut attendre les xive et xve siècles, époque où la chrétienté perd
135 ous rappelle, non sans aigreur ni sans dédain, qu’ elles sont la vraie réalité. Que dis-je, on les déclare même éternelles dan
136 cès, voyons la thèse elle-même, et le jugement qu’ elle implique sur la réalité. On a souvent tenté de nier l’existence d’une
137 l’importance des influences extracontinentales qu’ elle a subies. Ces arguments prennent toute leur force contre le concept d
138 tu que tu n’aies reçu ? dit l’Europe aux nations. Elles seraient bien en peine de répondre. Spécifiquement européenne ou non,
139 26 ou 27 États-nations, dont on attend encore qu’ ils définissent la soi-disant autonomie de leur culture. En vérité, sur c
140 l’Europe. Que l’idée nationale soit forte encore, il serait absurde de le contester : elle ne peut rien sauver, mais elle
141 forte encore, il serait absurde de le contester : elle ne peut rien sauver, mais elle pourrait tout perdre. Gardons-nous de
142 de le contester : elle ne peut rien sauver, mais elle pourrait tout perdre. Gardons-nous de la sous-estimer ! Mais gardons-
143 éalisme politique. La patrie n’est pas la nation, elle est en général beaucoup plus petite. La nation culturelle n’est pas l
144 us petite. La nation culturelle n’est pas l’État, elle est en général beaucoup plus grande. Et si l’on confond tout, patrie,
145 nt ce qu’on mérite, j’entends l’État totalitaire. Il reste, hélas ! qu’aux yeux de beaucoup d’intellectuels, la nation cac
146 te l’existence même de la forêt. (Sait-on bien où elle s’arrête ? Sait-on quand elle est née ? Et combien d’arbres il faut p
147 t. (Sait-on bien où elle s’arrête ? Sait-on quand elle est née ? Et combien d’arbres il faut pour former une forêt ? J’ai me
148 Sait-on quand elle est née ? Et combien d’arbres il faut pour former une forêt ? J’ai mes racines, voilà qui est vrai, le
149 , voilà qui est vrai, le reste est mythe…) N’est- il pas temps de faire voir à ces nationalistes qu’une Europe fédérée ser
150 de la fédération : la souveraineté peut-être (si elle est le droit d’un groupe à faire ou à ne pas faire la guerre quand il
151 groupe à faire ou à ne pas faire la guerre quand il l’entend) ; la prospérité sans doute (si elle traduit un mieux-vivre,
152 quand il l’entend) ; la prospérité sans doute (si elle traduit un mieux-vivre, et non pas simplement le résultat matériel d’
153 ment abrutissant) ; l’indépendance assurément (si elle est le pouvoir de ne pas subir la loi d’une puissance étrangère)… Tou
154 de l’union supranationale, et de l’allégeance qu’ elle requiert. Mais la condition suffisante sera donnée par d’autres effor
155 d’abord communauté de culture entre les hommes qu’ elle envisage d’unir. Cette politique, ensuite, ne sera valable que si ell
156 Cette politique, ensuite, ne sera valable que si elle exprime, traduit et tend à préserver ce qu’il y a de créateur dans ce
157 de notre créativité, dans la mesure toutefois où elles ne s’isolent pas ni ne se mélangent indiscernablement, mais demeurent
3 1957, Articles divers (1957-1962). Lettre en réponse à Emmanuel Berl (mai 1957)
158 lland, que pour triompher d’un épouvantail auquel il accroche mon nom. Je n’attaquais rien de ce qu’il défend avec tant de
159 il accroche mon nom. Je n’attaquais rien de ce qu’ il défend avec tant de passion et de juste colère. Je suis très loin de
160 nir par des liens fédéraux — si d’abord on nie qu’ elle existe comme entité de culture et Aventure unique. Je ne pense pas av
161 opéen, etc. J’approuve au contraire M. Berl quand il crie Vive l’Europe ! contre tout cela. Mais pourquoi le crier contre
162 ttre en doute l’existence même de cette Europe qu’ il faut sauver. d. Rougemont Denis de, « [Lettre en réponse à Emmanue
163 ue l’urgence était plus grande que je ne pensais. Il regarde comme “sophistes” ceux qui disent que l’Europe ne sera pas, s
164 sophistes. Guéhenno dirigeait la revue : Europe, il ne pensait pas que l’Europe fut déjà faite. M. de Rougemont me dit qu
165 où était, ce que faisait la Suisse. En 14, en 39, elle était neutre. Mais l’Europe ? était-elle pendant la bataille de Stali
166 , en 39, elle était neutre. Mais l’Europe ? était- elle pendant la bataille de Stalingrad avec Staline ou avec Hitler ? Et, a
167 che ? Et à Leipzig, avec Napoléon ou contre lui ? Il ne suffit pas d’ignorer quand une personne est née pour avoir la cert
168 d une personne est née pour avoir la certitude qu’ elle vit. Filibusterie à part, je prétends rester européen et même bon eur
169 t de la tyrannie. Je crierai : vive l’Europe ! si elle rétablit la concorde, non si elle attise la discorde entre l’Est et l
170 e l’Europe ! si elle rétablit la concorde, non si elle attise la discorde entre l’Est et l’Ouest, si elle nourrit les affamé
171 lle attise la discorde entre l’Est et l’Ouest, si elle nourrit les affamés, non si elle les massacre, si elle apaise les nat
172 t et l’Ouest, si elle nourrit les affamés, non si elle les massacre, si elle apaise les nationalismes, non si elle leur en s
173 nourrit les affamés, non si elle les massacre, si elle apaise les nationalismes, non si elle leur en superpose un nouveau. P
174 assacre, si elle apaise les nationalismes, non si elle leur en superpose un nouveau. Pourquoi donc accorderais-je au fédéral
175 inisme ? Il y avait une Europe de Romain Rolland. Il y en a une de Pierre Dominique, qui espère en elle pour répondre du t
176 Il y en a une de Pierre Dominique, qui espère en elle pour répondre du tac au tac à Khrouchtchev et même à Dulles, et veut
177 u tac à Khrouchtchev et même à Dulles, et veut qu’ elle fasse déjà sonner le sabre qu’elle n’a pas encore. Est-ce ma faute si
178 es, et veut qu’elle fasse déjà sonner le sabre qu’ elle n’a pas encore. Est-ce ma faute si elles ne se ressemblent pas. La “f
179 sabre qu’elle n’a pas encore. Est-ce ma faute si elles ne se ressemblent pas. La “filibusterie” consiste-t-elle à les distin
180 se ressemblent pas. La “filibusterie” consiste-t- elle à les distinguer ou à les confondre ? Je le vois, il y a des hommes s
181 ommes si engagés dans les affaires européennes qu’ ils oublient les motifs mêmes de leur engagement. Tels les philanthropes
182 leur “œuvre” accablaient et exploitaient ceux qu’ elle devait secourir. Je ne prônerai l’Europe ni contre la Vérité, ni cont
4 1957, Articles divers (1957-1962). La fin du pessimisme (juin 1957)
183 utes le cap sur 1984 et sa fourmilière ; voilà qu’ il se détourne horrifié et vire de bord, aux accents de la Marseillaise,
184 ement, au nom de la réaction ou de la révolution, ils ne nous parlaient plus que d’une Crise de l’Esprit, d’une Décadence d
185 État. Orwell n’eut qu’à pousser un peu plus loin. Il n’eut qu’à mettre au point l’exemple soviétique, à l’étendre à l’Euro
186 manière exemplaire — convainquant les lecteurs qu’ il voulait révolter. Le masochisme européen avait trouvé son expression
187 les lettres, les arts et la philosophie, sait qu’ il faut être subversif ou pessimiste, ou les deux à la fois, sous peine
188 rrait m’objecter Saint-John Perse, mais justement il a choisi l’exil en soi. Tous les autres sont contre le siècle, d’une
189 ècle, d’une manière encore plus évidente, soit qu’ ils attaquent avec acharnement la morale dite bourgeoise ou les règles de
190 e dite bourgeoise ou les règles des arts, soit qu’ ils opposent à l’anarchie flagrante des esprits quelque orthodoxie restau
191 esprits quelque orthodoxie restaurée, justifiant elle aussi, fût-ce par son seul échec, la dissidence de la pensée dans le
192 he, de Rimbaud, de Kierkegaard et de Dostoïevski. Il est remarquable que ce siècle n’ait retenu du précédent que les génie
193 n ne compte en fait que par la bourgeoisie. C’est elle seule, par ses franges cultivées et conscientes, qui a fait le succès
194 s, ignorés ou refoulés par ses ancêtres. Et c’est elle aujourd’hui qui est prise d’angoisse devant ce qu’ils dénonçaient en
195 aujourd’hui qui est prise d’angoisse devant ce qu’ ils dénonçaient en vain. C’est elle qui croit aux catastrophes prochaines
196 oisse devant ce qu’ils dénonçaient en vain. C’est elle qui croit aux catastrophes prochaines qu’ils prophétisaient dans le d
197 est elle qui croit aux catastrophes prochaines qu’ ils prophétisaient dans le désert, elle qui perd sa foi dans le progrès.
198 prochaines qu’ils prophétisaient dans le désert, elle qui perd sa foi dans le progrès. C’est elle enfin qui cède au vertige
199 sert, elle qui perd sa foi dans le progrès. C’est elle enfin qui cède au vertige de l’histoire, s’imagine que son heure est
200 sée, que le Prolétariat doit la déposséder, comme elle avait elle-même dépossédé les nobles, qu’il ne peut imposer qu’un rég
201 mme elle avait elle-même dépossédé les nobles, qu’ il ne peut imposer qu’un régime soviétique, et qu’Orwell a dit vrai malg
202 es de l’Occident dépasse de loin la conscience qu’ elles en ont, la connaissance qu’elles ont pu prendre du Capital ou de la S
203 la conscience qu’elles en ont, la connaissance qu’ elles ont pu prendre du Capital ou de la Science des rêves, et les jugement
204 l ou de la Science des rêves, et les jugements qu’ elles avoueraient à leur sujet. Marx et Freud ont beaucoup en commun, et, p
205 n, et, par-dessus tout, leur succès parmi ceux qu’ ils ont « démasqués » avec un zèle amer et quelque peu sadique. Ce succès
206 ent leurs thèses ou contestaient leurs arguments. Il s’agit, au plein sens des termes, d’un succès de scandale, d’un choc
207 nt qu’on le produit au grand jour, explique tout. Il faudra plusieurs décennies pour qu’on en vienne à relativiser, en les
208 doute, méritèrent à ce point qu’on dise d’eux qu’ ils ont « fait leur temps », au double sens de l’expression. Que Freud so
209 par le retour en force de réalités religieuses qu’ il tenait pour autant d’illusions ; que Marx se soit trompé dans toutes
210 approche du réel. Cependant les déterminismes qu’ ils croyaient avoir « découverts », quand c’était bien plutôt leur influe
211 ogique démente pour l’annonce d’une fatalité. A-t- il vraiment suffi d’un « dégel » temporaire, d’une révolution écrasée, d
212 en Asie, et plus qu’on ne pense en URSS, n’aurait- il pas créé l’illusion romantique d’un renouveau de la liberté, d’un fau
213 Admettons que cela n’est pas tout. Mais qu’en est- il de l’Occident ? Trois représentations vagues mais obsédantes assombr
214 ics paralysants, dissipe les illusions tenaces qu’ ils prolongeaient et révèle une tendance générale au réveil des valeurs d
215 les jette dans des crises aiguës de dialectique. Ils le jugent grossièrement matérialiste, et au surplus de mauvaise foi.
216 eloppement historique, mais qu’après quarante ans elle a rejoint le stade du capitalisme exploiteur, largement dépassé par l
217 uniste l’URSS qui se trouve dans la première. » «  Il n’empêche que l’URSS est l’avenir ! », répéteront nos maniaques de l’
218 classe ouvrière mieux informée qu’endoctrinée, si elle a à choisir d’émigrer, choisirait en masse l’Amérique. Comme l’ont fa
219 ongrois réfugiés en Autriche et libres de parler. Il n’en reste pas moins frappant de constater que l’avenir, aux yeux de
220 nstater que l’avenir, aux yeux de ces Hongrois, s’ il n’est pas l’URSS n’est pas non plus l’Europe… On devine, pour quelles
221 On devine, pour quelles raisons. Mais que valent- elles  ? Deuxième illusion fataliste : « L’Europe est condamnée. » — L’Euro
222 ouverains » — incapables d’ailleurs de prouver qu’ ils le sont — se voyait promise par l’Histoire à des partages ignominieux
223 l de l’Europe, CECA, le Marché commun et Euratom. Il serait plus qu’étrange qu’on puisse l’arrêter là. L’Assemblée constit
224 e et sa nécessité est inscrite dans les faits, si elle ne l’est pas encore dans l’esprit des nationalistes attardés. Aucun d
225 vivre en autarcie économique, ni commercer comme il l’entend. Aucun donc n’est indépendant. Mais ils peuvent l’être tous
226 e il l’entend. Aucun donc n’est indépendant. Mais ils peuvent l’être tous ensemble, et ils commencent à le savoir. 330 mill
227 endant. Mais ils peuvent l’être tous ensemble, et ils commencent à le savoir. 330 millions d’habitants à l’ouest du rideau
228 ent nos vies, nous allons devenir leurs esclaves. Elles asservissent déjà nos corps, dictent nos gestes et le rythme de nos j
229 ont déchaîné dans le monde des forces inconnues. Il fait trop chaud, il fait trop froid pour la saison, les accidents biz
230 e monde des forces inconnues. Il fait trop chaud, il fait trop froid pour la saison, les accidents bizarres et les fous se
231 , les avions tombent, croyez-moi, c’est la Bombe. Elle va détruire les neuf dixièmes du genre humain. Un jour elle fera saut
232 truire les neuf dixièmes du genre humain. Un jour elle fera sauter la terre. J’entends cela tous les jours. Qui ne l’a pas d
233 achines envahissent nos vies ? Si seulement ! Car elles sont très chères. Mais jamais une Talbot n’est entrée dans ma cour, s
234 exprès d’un président, d’un général. Ce n’est pas elle qui est dangereuse, c’est l’homme. Et les cerveaux électroniques (par
235 hore) ne font rien qu’on ne leur ait prescrit. Qu’ ils travaillent pour nous, c’est tant mieux. Mais si vous me dites qu’ils
236 nous, c’est tant mieux. Mais si vous me dites qu’ ils vont penser pour vous, c’est que vous l’aurez bien mérité. L’Apprenti
237 connue. Mais nos savants font tout le contraire : ils domestiquent des énergies décelées par leurs calculs. Ce qui se décha
238 selon l’expression terrible et juste de Marx. Or il se trouve précisément que les robots viennent les délivrer de la chaî
239 plusieurs millions de vies humaines. C’est ici qu’ il convient de rappeler le décalage de la conscience dont j’ai parlé. Le
240 érale prit récemment le nom anglais d’automation. Il est curieux que la pensée occidentale, découvrant le péril avec cent
241 ues. Mais ses effets médiats seront plus étendus. Ils sont littéralement incalculables. L’usine sans ouvriers, produisant j
242 upe d’opérateurs, signifie simplement, partout où elle fonctionne, la suppression de la condition prolétarienne. Généralisée
243 ndition prolétarienne. Généralisée dans l’avenir, elle rendra superflu et sans objet le moment dialectique de la révolution
5 1957, Articles divers (1957-1962). La fin justifie les moyens (9 juin 1957)
244 e de faire l’Europe comme a été faite l’Amérique. Il suffit, dit-il, de se trouver en Amérique, pour savoir que l’Europe e
245 rope comme a été faite l’Amérique. Il suffit, dit- il , de se trouver en Amérique, pour savoir que l’Europe existe, ne serai
246 que, plutôt que discuter de frontières mouvantes, il vaut mieux se préoccuper de définir la civilisation européenne à trav
247 mais voyez la Chine, voyez l’Inde : ne se mettent- elles pas à l’heure européenne ? L’Europe dévore les nuits et les jours de
248 ore les nuits et les jours de Denis de Rougemont. Il ne peut écrire de livres qu’entre onze heures du soir et quatre heure
249 du matin, mais ce régime doit lui convenir puisqu’ il annonce deux importants ouvrages : l’un qui établira une sorte de mor
250 etiré de justesse des mains de l’éditeur avant qu’ il ne soit livré à l’imprimeur. Mais je n’ai pas renoncé. Je prends des
6 1957, Articles divers (1957-1962). Le rôle mondial des valeurs occidentales (octobre 1957)
251 fort et de plus exaltant. Voilà l’Europe suprême, elle n’ira pas plus haut, peut-être ; mais qui serait en mesure d’exiger d
252 s sommets, mais ce sont tout de même ses sommets. Elle n’est pas souvent digne de ces œuvres, mais c’est elle qui les a créé
253 n’est pas souvent digne de ces œuvres, mais c’est elle qui les a créées. Nous l’oublions souvent et les « autres » l’ignoren
254 l’oublions souvent et les « autres » l’ignorent ; ils voient plus facilement ce qui est beaucoup plus bas, au niveau du con
255 chés sont criants, et tout Bandung les crie, mais il n’entend pas nos grandeurs, car la musique est le sublime de l’Occide
256 st un bruit vague, une espèce de rumeur insensée… Il fallait bien rappeler ici qu’une réflexion sur nos valeurs occidental
257 valeurs occidentales ne saurait être académique ; elle s’inscrit dans une situation dominée par le malentendu et toute charg
258 produits et n’en est pas non plus contemporaine ; elle reste loin derrière dans l’espace et le temps. Tel est le drame. Il i
259 ière dans l’espace et le temps. Tel est le drame. Il intéresse l’avenir de tous les peuples de la Terre. Si l’on cherche à
260 de la civilisation occidentale, on s’aperçoit qu’ elle n’est pas loin de recouvrir l’ensemble des terres habitées, mais que
261 lé rouge et blanc. Quant à l’Asie et à l’Afrique, il faudrait y marquer des points rouges, indiquant la plupart des grande
262 vous avez eu l’idée de les construire et comment ils expriment et transportent, en fait, tout un monde de valeurs complète
263 nos croyances traditionnelles ? » Une autre fois, il me raconte que sa femme, qui est une Hollandaise, donnait des leçons
264 ge aux enfants d’une école de Djakarta ; et quand ils eurent appris les notes de notre gamme, elle leur dit : composez main
265 quand ils eurent appris les notes de notre gamme, elle leur dit : composez maintenant une chanson dans le goût de ce pays ;
266 tenant une chanson dans le goût de ce pays ; mais ils ne purent écrire que de petites mélodies qui ne rappelaient rien de l
267 nter les lieux communs de chansons européennes qu’ ils ne connaissaient pas. Ainsi chaque machine exportée est, en fait, un
268 caces et plus puissants, car c’est aux pensées qu’ ils commandent, aux sentiments, aux sources mêmes de l’invention et de la
269 dent avec anxiété, non point de les laisser comme ils sont, dans leur « sagesse » intacte et leur famine, mais de déclarer
270 te et leur famine, mais de déclarer nos valeurs ? Ils nous obligent à nous interroger sur ce qui va de soi dans nos façons
271 principalement contre nous, et dans la mesure où ils condamnent notre présence ; enfin que nos valeurs sont difficiles à «
272 t le plus souvent totalement ignorées. Mais ce qu’ il m’importe de montrer, c’est comment ces produits et ces principes pro
273 en réalité de nos valeurs, et ne trouvent que par elles , dans le champ magnétique qu’elles définissent et qu’elles propagent,
274 ouvent que par elles, dans le champ magnétique qu’ elles définissent et qu’elles propagent, leurs vertus créatrices, leurs mes
275 ns le champ magnétique qu’elles définissent et qu’ elles propagent, leurs vertus créatrices, leurs mesures et leur sens. La ma
276 duit le plus typique de l’Occident. D’où provient- elle  ? De la technique évidemment. Mais comment expliquer que l’Europe ait
277 technique dès la fin du xviiie siècle ? C’est qu’ il se produisit à ce moment, en Europe, une conjonction sans précédent :
278 soumis aux caprices des divinités monstrueuses ; il vaut la peine d’en scruter les lois et il attend de l’homme d’être co
279 euses ; il vaut la peine d’en scruter les lois et il attend de l’homme d’être compris, révélé, voire sauvé, selon saint Pa
280 aint Paul. Quant à nos principes de vie publique, ils s’inspirèrent tous, d’une manière plus ou moins directe ou correcte,
281 pes ou les produits qui manifestent son activité, il apparaît clairement que l’usage de ces produits et le recours à ces p
282 t aller sans impliquer le système de valeurs dont ils procèdent. User des uns ou invoquer les autres hors du contexte spiri
283 bes en Algérie nous en donne un exemple tragique. Il ne s’agit nullement ici de politique, et ce n’est qu’en vertu d’un ac
284 affaire, car en réalité le problème est mondial, il concerne tout l’Occident, dans ses relations avec le Monde qu’il infl
285 t l’Occident, dans ses relations avec le Monde qu’ il influence. Théoriquement, deux solutions nettes et radicales se conço
286 ative est utopique, chacun de ses termes l’étant. Il nous reste à trouver des formules d’équilibre ou de compromis tolérab
7 1958, Articles divers (1957-1962). Demain l’Europe sans frontières ?[préface] (1958)
287 Europe. Pour unir les 332 millions d’habitants qu’ elle compte à l’ouest du rideau de fer — en attendant les 98 millions rete
288 se, ou plus souvent par députés interposés ; mais il sait trop rarement ce qu’il fait, dans ce domaine tout au moins. D’au
289 tés interposés ; mais il sait trop rarement ce qu’ il fait, dans ce domaine tout au moins. D’autre part, les travaux des ex
290 énéralement inaccessibles au grand public, même s’ ils sont édités en librairie ; leurs auteurs ne prévoient d’être lus que
291 arge audience, peu ou point d’échanges efficaces. Il faudrait réfléchir librement sur les problèmes économiques, et il fau
292 échir librement sur les problèmes économiques, et il faudrait y réfléchir en groupe, car ces problèmes sont trop complexes
293 p complexes pour le plus génial des chercheurs, s’ il reste seul. Mais qui le fait ? Les experts des gouvernements ne sont
294 une simplicité presque choquante, une question qu’ il jugeait présente et vraiment agissante dans l’opinion : Que se passer
295 iment agissante dans l’opinion : Que se passerait- il si… les frontières économiques étaient supprimées en Europe ? Telle é
296 prévisibles — soit garante du sérieux avec lequel ils ont essayé néanmoins de répondre à notre question. Nous nous étions e
297 s étions efforcés de les persuader dès l’abord qu’ il importait de réduire certaines objections de principe, ou mieux certa
298 le jeu de « ce qui se passerait si… » Seulement, il a tendance à jouer perdant, à préjuger de catastrophes dont rien ne p
299 à préjuger de catastrophes dont rien ne prouve qu’ elles se produiraient. Il ne croit guère qu’à des fantômes, tandis que les
300 hes dont rien ne prouve qu’elles se produiraient. Il ne croit guère qu’à des fantômes, tandis que les experts croient aux
301 endemain, au détriment de leur véritable utilité. Elles ont déjà servi de base à plusieurs brochures de large diffusion18, à
302 eil qui leur donnera leur vraie valeur, chacune d’ elles appuyant, nuançant ou parfois corrigeant les autres. Aux économistes,
303 res. Aux économistes, industriels et commerçants, elles apporteront des analyses d’une rare objectivité. Que se passerait-il
304 analyses d’une rare objectivité. Que se passerait- il si… ? — Rien ou presque rien de ce que vous redoutiez, mais beaucoup
305 vous redoutiez, mais beaucoup de bonnes choses qu’ il vous reste à vouloir — avec au moins autant de lucidité que les total
306 des cas, assurés. Étrange Europe, qui a tout pour elle si elle s’unit mais qui a tant de peine à s’accepter, à saisir ses ch
307 assurés. Étrange Europe, qui a tout pour elle si elle s’unit mais qui a tant de peine à s’accepter, à saisir ses chances de
8 1958, Articles divers (1957-1962). Europe et culture (1958)
308 )k On peut créer une fédération européenne, et il le faut. Mais on ne peut pas créer une culture européenne et personne
309 surplus la culture européenne existe. C’est même elle , et elle seule, qui nous permet de parler de l’Europe comme d’une uni
310 la culture européenne existe. C’est même elle, et elle seule, qui nous permet de parler de l’Europe comme d’une unité exista
311 ’Europe comme d’une unité existante, sur laquelle il devient possible de construire notre union nécessaire. Ceux qui disen
312 écessaire. Ceux qui disent redouter on ne sait qu’ elle « uniformisation culturelle » comme conséquence lugubre et fatale de
313 e sort de la culture leur importe très peu ; mais ils sont plus souvent les innocentes victimes d’une illusion scolaire : i
314 les innocentes victimes d’une illusion scolaire : ils ont retenu de leurs manuels que l’Europe se divise en autant de cultu
315 s que l’Europe se divise en autant de cultures qu’ elle a de nations, celles-ci correspondant d’ailleurs aux langues, aux cou
316 doit nous occuper est le suivant : étant donné qu’ il faut unir l’Europe pour les motifs que nous indique clairement la con
317 ale du xxe siècle, la culture des Européens peut- elle contribuer à cette union, ou bien lui fait-elle obstacle ? Je pense q
318 t-elle contribuer à cette union, ou bien lui fait- elle obstacle ? Je pense qu’il faut répondre oui aux deux questions. Et ce
319 ion, ou bien lui fait-elle obstacle ? Je pense qu’ il faut répondre oui aux deux questions. Et ce paradoxe apparent définit
320 montrer que l’Europe est d’abord une culture, qu’ elle doit à sa culture d’avoir dominé le monde, qui retourne aujourd’hui c
321 dominé le monde, qui retourne aujourd’hui contre elle les armes physiques et morales que son génie seul a créées pour le me
322 la vraie base de notre union ; mais d’autre part, elle seule peut expliquer les divisions mortelles qui s’opposent à l’union
323 à l’union. On ne fera pas l’Europe en répétant qu’ il est indispensable de s’unir : tout le monde le sait ; ni en ratifiant
324 ersonne n’y croit. (On attend de voir…) Et certes il fallait dire : unissons-nous ! Certes, il fallait ratifier des traité
325 certes il fallait dire : unissons-nous ! Certes, il fallait ratifier des traités. Mais voilà qui est fait désormais. La c
326 nde au xxe siècle, sa vocation, et son avenir si elle s’unit. 3° Créer des instruments de coopération pour les différentes
327 tituts d’études européennes se créent dès 194620. Ils nouent des liens entre eux dès 1950. On en compte aujourd’hui plus d’
328 un Comité d’experts des 16 gouvernements membres. Il élabore et fait ratifier une Convention culturelle européenne, convoq
329 illiers de brochures. Cet effort est immense. Est- il trop dispersé pour porter plein effet ? Est-il suffisamment soutenu p
330 st-il trop dispersé pour porter plein effet ? Est- il suffisamment soutenu par les pouvoirs publics et le mécénat privé pou
331 énat privé pour répondre aux défis du temps ? Est- il coordonné à la mesure des besoins ? Aurait-il réussi à s’imposer à la
332 Est-il coordonné à la mesure des besoins ? Aurait- il réussi à s’imposer à la conscience des Européens ? Hélas ! la somme t
333 ns qui existent par milliers en Amérique du Nord. Il serait temps que nos États prennent conscience de ces deux vérités pr
334 ue, par suite, sans la vitalité de cette culture, elle se réduirait vite à ce qu’elle est sur la carte : 4 % des terres du g
335 de cette culture, elle se réduirait vite à ce qu’ elle est sur la carte : 4 % des terres du globe (et très pauvres en matièr
336 a décidé dès 1950 de tenter l’aventure d’exister. Il existe depuis sept ans. Son exemple peut éclairer. J’essaierai donc d
337 itution fut inaugurée à Genève le 7 octobre 1950. Elle n’est rattachée à aucune organisation internationale officielle, ni à
338 onstituée en association régie par la loi suisse, elle jouit de la personnalité juridique. Ses ressources sont assurées par
339 antes. Les associations créées par le CEC et dont il assume en règle générale le secrétariat, gardent leur autonomie, tout
340 ssi ses possibilités d’avenir au plan mondial, si elle unit ses forces pendant qu’il en est temps. Le Centre a donc suscité
341 plan mondial, si elle unit ses forces pendant qu’ il en est temps. Le Centre a donc suscité dans plusieurs de nos pays des
342 s de culture populaire en milieu rural ou urbain. Il leur fournit des moyens audiovisuels d’enseignement, des publications
343 Grande-Bretagne et les États scandinaves). Enfin, il les fait bénéficier de ses moyens d’information européenne. Ceux-ci c
344 ieux populaires ou des groupes militants auxquels ils s’adressent, permettent de multiplier les exposés documentés donnés d
345 ices du CEC. Quant au département des Recherches, il a déjà organisé deux importants Séminaires, l’un sur l’avenir économi
346 talité et des tensions fécondes de notre culture. Il ne s’agit nullement de les uniformiser. Cependant, il est urgent de l
347 e s’agit nullement de les uniformiser. Cependant, il est urgent de leur offrir les moyens pratiques d’échanger leurs expér
348 ire avec les autres traditions de culture, que si elles se présentent au nom de l’Europe entière, sûre de sa vocation, donc o
9 1958, Articles divers (1957-1962). Pourquoi la guerre ? Un échange de lettres prophétique entre Einstein et Freud (avril 1958)
349 mier ordre, à la veille même du déchaînement dont ils avaient choisi d’examiner les causes, afin de proposer les moyens de
350 e borne à poser des questions, dans un domaine où il n’en sait guère plus que le citoyen raisonnable et moyen. L’autre rép
351 en. L’autre répond dans la rigueur de sa pensée : il est chez lui. Que dit Einstein ? Il dit que, la guerre étant devenue
352 e sa pensée : il est chez lui. Que dit Einstein ? Il dit que, la guerre étant devenue le fait des nations, il faut créer l
353 que, la guerre étant devenue le fait des nations, il faut créer l’autorité législative et judiciaire qui leur retire la so
354 éduise à la raison. Mais pourquoi la raison n’a-t- elle pas plus de force ? Pourquoi les masses suivent-elles leur « classe r
355 e pas plus de force ? Pourquoi les masses suivent- elles leur « classe régnante » ? Comment dominer les instincts ? Et comment
356 res. Freud répond de sa Vienne natale en sursis — elle n’en aura plus pour longtemps — et le pacifisme d’Einstein se voit so
357 rtois, mais dénué d’illusions. Non, la force, dit- il , n’est pas le contraire du droit. Car le droit n’est en somme qu’une
358 et sur le sentiment les lois de leur communauté. Il s’agit donc de transférer le pouvoir à quelque « plus vaste unité ».
359 guerre ? Ici, Freud va nous étonner. D’une part, il fait appel (« sans rougir », mais vaguement) à l’amour qui relie les
360 se, l’école et les « organisations religieuses ». Ils domineraient ainsi les masses, les poussant à la haine, d’où sortirai
361 conversation, cédait facilement aux clichés quand il s’exprimait en public. Dans son rôle de critique des clichés « pacifi
362 e la Force et du Droit à celle de deux violences, il définit les conditions de toute politique réaliste. Quatre ans après
363 e de l’union de ses victimes. Mais, comme en fait il n’y avait pas d’union, cela revenait à opposer aux chars d’Hitler une
364 es en 1932. Einstein déplore que le super-État qu’ il rêve soit dépourvu d’une force à sa mesure. Il la cherche en vain, ne
365 qu’il rêve soit dépourvu d’une force à sa mesure. Il la cherche en vain, ne voit rien… Et c’est à lui que Freud écrit prop
366 ies, dont l’un voit bien l’avenir, mais ignore qu’ il en parle au seul homme qui en détienne le secret sans le savoir ! Rê
367 pacifisme désarmant. Pourtant, un soir de fièvre, il a signé la lettre proposant à Roosevelt de fabriquer la bombe. Tout n
368 à Roosevelt de fabriquer la bombe. Tout ne s’est- il point passé comme si le calcul profond du daimôn qui habitait en lui,
10 1959, Articles divers (1957-1962).  Une expérience de fédéralisme : la Suisse (1959)
369 iècle) On se figure, et l’on écrit souvent, qu’ il a fallu quelque six siècles à la Suisse pour devenir, par une évoluti
370 our devenir, par une évolution, l’État fédéral qu’ elle est aujourd’hui. En réalité il a fallu neuf mois, au terme d’une cris
371 ’État fédéral qu’elle est aujourd’hui. En réalité il a fallu neuf mois, au terme d’une crise de trente-trois ans, succédan
372 n n’insistera jamais assez sur le rôle décisif qu’ il devait jouer dans la formation de la Suisse et dans la détermination
373 du col. Au nombre des seigneurs entreprenants qu’ il fallait empêcher de dominer la route figuraient en bonne place les Ha
374 onnes et en leurs biens ». Et ce pacte devait « s’ il plaît à Dieu, durer à perpétuité ». De fait, il a duré jusqu’à nos jo
375 s’il plaît à Dieu, durer à perpétuité ». De fait, il a duré jusqu’à nos jours. Mais ses auteurs étaient bien loin de se do
376 ais ses auteurs étaient bien loin de se douter qu’ ils fondaient un État nouveau, lequel serait un jour, la Suisse. Cette pr
377 02, Napoléon écrivait aux délégués helvétiques qu’ il avait convoqués à Paris : « La Suisse ne ressemble à aucun autre État
378 le retour à l’état de choses prérévolutionnaire. Il restaurait la pleine souveraineté des cantons, remplaçait le pouvoir
379 it essentiellement. Quant aux régimes intérieurs, ils variaient de la démocratie directe (cantons primitifs) à la monarchie
380 cement de leur unité et de la création d’un État. Il est remarquable qu’ils n’aient pas cherché la solution de ce problème
381 t de la création d’un État. Il est remarquable qu’ ils n’aient pas cherché la solution de ce problème dans l’unification sys
382 nguistiques, religieuses, politiques et sociales. Ils ne se demandèrent pas : comment devenir une Nation ? mais bien : comm
383 s (Staatenbund) à un État fédéral (Bundestaat). S’ ils ne furent pas les seuls à poser ce problème, dans l’Europe du xixe s
384 poser ce problème, dans l’Europe du xixe siècle, ils furent les seuls à le résoudre d’une manière efficace et durable.
385 ns progrès appréciable, pendant trente-trois ans. Elle ne fut résolue, très subitement, en 1848, qu’au lendemain d’une guerr
386 mune à l’égard des grandes nations voisines, mais ils n’hésitaient pas à décréter des mesures de blocus contre tel d’entre
387 canton à un autre ou d’une commune à une autre. «  Il y en avait partout, sauf aux frontières extérieures » relève encore W
388 ntières extérieures » relève encore W. Martin, et il signale que le seul canton du Tessin « ne prélevait pas moins de trei
389 strie suisse put survivre à de telles conditions, elle ne le dut qu’à l’initiative privée et à la haute qualité de sa main-d
390 la décision. « Je mènerai ces gens à la baguette, il suffit de les diviser ! », écrivait alors à son gouvernement l’ambass
391 alors à son gouvernement l’ambassadeur de France. Il n’exagérait pas. Que pouvait entreprendre, en effet, une Confédératio
392 acun pour son compte, par les États souverains ? ( Elle avait bien en propre une « caisse de guerre », et le droit de nommer
393 son état-major, et quelques fonctionnaires, mais elle n’en dépendait pas moins du bon plaisir des cantons, dans ce domaine.
394 rédiger un projet de Constitution. Le rapport qu’ elle présenta après quelques mois comportait un commentaire dû à la plume
395 reuse que l’isolement » par la fausse sécurité qu’ elle inspirait. Il en résultait que les puissances voisines pouvaient « em
396 ement » par la fausse sécurité qu’elle inspirait. Il en résultait que les puissances voisines pouvaient « embrasser dans l
397 lpes était un désert livré au premier occupant ». Il décrivait la paralysie qui frappe une Diète formée de délégués d’État
398 directeurs se trouvent dans une situation fausse. Ils doivent, pour ainsi dire, servir deux maîtres, être tour à tour les h
399 mmes de la Confédération et les hommes du canton… Il n’est, ce me semble, aucun motif de conserver un pareil état de chose
400 cette anxiété elle-même, et ce malaise général qu’ il est impossible de méconnaître, et cette espérance que dans un nouveau
401 nt « un brandon de discorde » parmi les cantons : il le devint en effet, de par l’acharnement qu’eux-mêmes montrè­rent à l
402 itaires supérieurs en nombre et en armement. Mais ils savaient que les grandes puissances voisines se tenaient prêtes à int
403  dangereux tyrans » partisans de la Révolution) : il pressentait que l’instauration d’une Suisse unie et libérale donnerai
404 ssue un encouragement efficace aux libéraux. Mais il convient de souligner qu’en retour, l’imminence des révolutions de 18
405 acteur important du succès des radicaux suisses : elle retarda ou même paralysa l’action des Puissances. La campagne fut men
406 uscription publique dans les cantons protestants, ils contribuèrent à couvrir la dette de guerre des catholiques. Et dans l
407 profitèrent du répit que leur laissaient, malgré elles , les Puissances, pour accomplir en quelques mois la transformation de
408 ste ou pur intellectuel. Dès la première réunion, ils décidèrent que leurs débats se tiendraient à huis clos, ceci surtout
409 sept semaines, au cours de 31 séances plénières, ils élaborèrent un projet de 17 articles. Nombre de ces articles s’inspir
410 hoisie comme « ville fédérale »). Le 16 novembre, elles procédèrent à l’élection du premier Conseil fédéral, inaugurant un ré
411 ne mérite pas seulement l’épithète de fédérale : elle est précisément fédéraliste, dans ses visées comme par ses principale
412 tée par la constitution fédérale, et, comme tels, ils exercent tous les droits qui ne sont pas délégués au pouvoir fédéral.
413 d’association, de pétition et d’expression, et qu’ elle établit l’égalité devant la loi ; qu’elle crée une armée fédérale ; q
414 , et qu’elle établit l’égalité devant la loi ; qu’ elle crée une armée fédérale ; qu’elle supprime les péages intérieurs et r
415 ant la loi ; qu’elle crée une armée fédérale ; qu’ elle supprime les péages intérieurs et reporte les douanes aux frontières
416 nfédération, quitte à indemniser les cantons ; qu’ elle uniformise les poids, mesures et monnaies, et nationalise les postes
417 t éducatif à la discrétion des cantons ; qu’enfin elle prévoit une procédure de révision « en tout temps » par initiative po
418 l’événement capital de l’histoire des Confédérés. Elle tira les leçons de cinq siècles d’expériences souvent amères, confirm
419 me le gage du triomphe des radicaux. À vrai dire, elle portait toutes les marques de cette modération, née du juste équilibr
420 des frontières économiques. Notons en passant qu’ il n’est pas un des arguments des opposants à l’union suisse qui n’ait é
421 te Suisse du siècle dernier. A-t-on pris garde qu’ il fallait trois jours à un député des Grisons pour se rendre à Berne, t
422 uté des Grisons pour se rendre à Berne, tandis qu’ il ne faut qu’une matinée à un délégué grec ou scandinave pour se rendre
423 Appenzell des patriciens cosmopolites de Genève ; ils sont moins nombreux, et souvent, de moins ancienne tradition national
424 onçant des applications futures à grande échelle, il faut relever qu’à son époque elle se produisit comme à contre-courant
425 à grande échelle, il faut relever qu’à son époque elle se produisit comme à contre-courant de l’Histoire. Déjà, le pacte de
426 r l’idée démocratique et communale au Moyen Âge ; elle représente le résultat d’une révolution générale qui a été vaincue pa
427 olence populaire. Une dernière remarque s’impose. Elle concerne le sens du mot fédéralisme, qui est le mot-clé de l’histoire
428 caux de 1848 voulaient une vraie fédération, mais ils passaient pour des centralistes unitaires. Leurs ennemis, catholiques
429 e disaient au contraire « fédéralistes », bien qu’ ils fussent opposés à tout ce qui menaçait de diminuer les souverainetés
430 tte dialectique, en Suisse, n’est pas abstraite : elle exprime la vie même de la Confédération, et donne la formule générale
431 nt alors les sociétés helvétiques de tous ordres, il faut ajouter le rôle accidentel mais très efficace que joua la cause
432 me réfugié politique au début de la Restauration, il fut le premier professeur catholique à l’Académie de Calvin et l’orne
11 1959, Articles divers (1957-1962). La nature profonde de l’Europe (juin 1959)
433 . L’Europe n’a pas seulement découvert le monde : elle l’a fait. Épousons cette idée d’une Europe qui n’existe que dans son
434 son dépassement et qui ne serait pas elle-même si elle n’était plus qu’elle-même. Quatre constatations fondamentales, et que
435 vement mondiale. Certes, Alexandre se trompait, s’ il a cru qu’il régnait sur le monde : il n’en connaissait qu’un canton.
436 ale. Certes, Alexandre se trompait, s’il a cru qu’ il régnait sur le monde : il n’en connaissait qu’un canton. Mais nous ne
437 trompait, s’il a cru qu’il régnait sur le monde : il n’en connaissait qu’un canton. Mais nous ne sommes pas victimes d’une
438 nimer le courant des échanges mondiaux. Car c’est elle qui les a mis en branle dès l’époque des grandes découvertes, en bali
439 en balisant les voies du commerce maritime. C’est elle qui a su trouver les substituts de l’ancienne route de la soie. Et so
440 . Ne parlons pas ici d’une vocation de l’Europe ; il ne s’agit que d’une nécessité, qui n’en dicte pas moins une politique
441 enu national. L’Europe n’est rien sans le monde : elle doit être mondiale, par une nécessité vitale. 4. C’est l’Europe qui r
442 mal gré, pour la première fois dans l’Histoire. S’ il est vrai que le monde, irréductiblement, tend à devenir un organisme,
443 Du seul point de vue de l’économie des échanges, elle n’est rien si elle n’est pas l’animatrice d’une circulation planétair
444 ue de l’économie des échanges, elle n’est rien si elle n’est pas l’animatrice d’une circulation planétaire. Qui peut en dire
445 r la relève, avec les moyens que l’on sait ; mais ils n’y sont pas vitalement contraints. Part des importations dans le rev
446 rope seule périrait, sans discussion possible, si elle en était réduite à vivre sur elle-même. L’Europe seule ne peut plus s
447 peut plus se payer une politique provincialiste. Elle se voit condamnée par l’histoire à reprendre son rôle d’animatrice de
448 ou à redevenir — désormais sans hégémonie — ce qu’ elle fut dès la Renaissance : une fonction mondiale, un foyer, une perpétu
449 , l’Europe ne peut répondre que dans la mesure où elle est forte et saine : c’est la mesure de son intégration, c’est-à-dire
450 res, s’imaginent qu’on les voit différents, comme ils se voient eux-mêmes en restant nez à nez. Les Américains les confonde
451 ricains les confondent ; et quant aux Asiatiques, ils les distinguent très mal, suprême outrage, de leurs cousins américain
452 s ont été les sujets de nos États colonialistes : ils exceptent aussitôt cet État de la communauté européenne. Je me rappel
453 u crédit qui s’attache à l’Europe tout entière, s’ il se présente en tant que nation distincte. Et cela s’explique. Car les
454 monde, ne sont universelles que dans la mesure où elles résultent de nos variétés infinies et de leur équilibre en tension.
455 , répondent les nécessités internes de l’union. S’ il est vrai qu’aucun de nos pays ne peut prétendre à représenter valable
456 lusion de la « souveraineté nationale » persiste. Elle règne encore sur l’affectivité de la plupart de nos hommes d’État, vi
457 dante », en dépit des plus dures évidences, quand il est clair que vouloir s’isoler dans une souveraineté vide de tout con
458 est liée aux dominions par tous les océans, mais elle est isolée de l’Europe par la Manche. La Suisse est neutre parce qu’e
459 rope par la Manche. La Suisse est neutre parce qu’ elle est au centre de l’Europe, et à cause d’une histoire très ancienne ;
460 s ancienne ; l’Autriche est neutre aussi parce qu’ elle touche la Russie, et à cause d’histoires très récentes. Ainsi tout se
461 s souverainetés, tout leur est bon pour croire qu’ elles existent encore, puisqu’elles gardent au moins le pouvoir de refuser
462 bon pour croire qu’elles existent encore, puisqu’ elles gardent au moins le pouvoir de refuser l’union sous ce prétexte, tout
463 pas seulement la plus opportune qui se présente : elle est le principe même de l’existence européenne, elle est l’Europe en
464 e est le principe même de l’existence européenne, elle est l’Europe en tant que pouvoir créateur. Une Europe uniformisée per
465 e). Prenez la peinture : les couleurs chantent si elles sont bien opposées dans leur pureté ou leurs nuances précises, non si
466 es par les frontières de leur domaine, auxquelles ils tentent abusivement de réduire des réalités aussi hétérogènes que la
467 trale et chicanière des âges prétechniques. C’est elle encore qui impose aux services de l’État la tâche idiote de faire coï
468 ’avoir voulu « limiter l’Europe à six pays » sont- ils sincères, ou simplement vexés que l’Europe ait commencé en dépit de l
469 Petite Europe, déjà réelle, une Grande Europe qu’ ils n’ont cessé depuis dix ans de refuser comme utopique — d’où la nécess
470 ù la nécessité de commencer par la Petite ! — ont- ils bien vu le problème dans son cadre mondial, ou défendent-ils plutôt q
471 le problème dans son cadre mondial, ou défendent- ils plutôt quelque nationalisme exalté par sa crise finale ? Il paraît di
472 quelque nationalisme exalté par sa crise finale ? Il paraît difficile d’affirmer honnêtement que les promoteurs de la Peti
473 ue) n’est au fond qu’une mesure de fortune : sans elle , pourtant, rien ne se fût mis en branle et l’on ne parlerait pas d’un
474 des Six étant de déclencher un processus d’union, il serait manqué si les Six, dès maintenant, tentaient de se suffire à e
475 -dire d’une Europe qui ne serait pas elle-même si elle ne tendait sans cesse à être plus qu’elle-même. Ce qu’il y a de fonci
476 dans l’existence encore fragile des Six, c’est qu’ ils sont vitalement intéressés à devenir ces Dix-Sept que tout en eux app
477 lon les textes) se verront réunis en une famille, ils sauront bien, c’est dans leur sang, que l’Europe entière n’est qu’un
478 de la liberté, et qui trouve dans les risques qu’ elle assume, qu’elle fomente à plaisir comme pour mieux s’éprouver et se m
479 et qui trouve dans les risques qu’elle assume, qu’ elle fomente à plaisir comme pour mieux s’éprouver et se mettre elle-même
480 eul destin du monde gréco-romain, le mieux connu. Il se trouve que l’exemple est mauvais. Bien d’autres civilisations ont
481 romaine, dont l’essentiel vit dans la nôtre, sont- elles mortes ? Leurs conquêtes n’ont-elles pas été préservées et développée
482 nôtre, sont-elles mortes ? Leurs conquêtes n’ont- elles pas été préservées et développées par le Musée et le Laboratoire euro
483 être diffusées de nos jours sur toute la terre ? Il s’en faut de beaucoup que leurs rivales asiatiques, qu’on dit plus ra
484 er décadence plutôt que renaissance. Observons qu’ elles étaient locales, comme le furent la chinoise, l’hindoue, l’indonésien
485 es candidats à la relève étaient nombreux. En est- il un seul aujourd’hui qui réclame l’oblitération, ou simplement la repr
486 ise des charges de notre civilisation ? Les USA ? Ils s’européanisent en profondeur, plus rapidement que l’Europe ne s’amér
487 ricanise par quelques signes extérieurs. L’URSS ? Elle s’essouffle à rattraper les USA et n’apporte rien de bien neuf — beau
488 possible par sa technique. La Chine ? L’Afrique ? Elles paraissent moins critiques à notre égard, et plus promptes à nous imi
12 1960, Articles divers (1957-1962). Éclipse ou disparition d’une civilisation ? (1960)
489 ue le génie européen rayonne sur le monde entier, ils préfèrent nous parler de notre éclipse. C’est ce paradoxe planétaire
490 savons maintenant que nous sommes mortelles. Et il ajoutait : Elam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues, et
491 de Ménandre ne sont plus du tout inconcevables : elles sont dans les journaux. L’écho de cette page fut immense, et je sais
492 ir, va donc probablement périr. Pour émouvante qu’ elle soit, elle exprime, à mon avis, l’une des erreurs les plus célèbres d
493 probablement périr. Pour émouvante qu’elle soit, elle exprime, à mon avis, l’une des erreurs les plus célèbres de notre tem
494 llantes créations de la main de l’homme ? Où sont- ils , ces remparts de Ninive, ces murs de Babylone, ces palais de Persépol
495  un individu dans la marche de l’Histoire » et qu’ il obéit donc, comme tout individu, à une loi de croissance, d’épanouiss
496 ivilisations, on en venait à penser que chacune d’ elles devait fatalement décliner et mourir après une période d’apogée, — la
497 ux débuts du xxe siècle, Spengler va plus loin ; il est convaincu que toute culture est un organisme, et correspond morph
498 rphologiquement à un individu, animal ou végétal. Il en résulte inexorablement que toute culture est mortelle, et nous rej
499 moins de peine à nous convaincre que d’une part, ils rejoignent, par leurs conclusions, notre angoisse quant à l’état prés
500 tre ses conquêtes coloniales et ses protectorats. Elle ne voit pas encore, mais elle pressent déjà la perte de sa longue roy
501 t ses protectorats. Elle ne voit pas encore, mais elle pressent déjà la perte de sa longue royauté mondiale. Déjà le communi
502 les prophètes du désastre européen ? Que faudrait- il de plus, pour qu’on ait le droit de parler d’une éclipse ou d’une mor
503 ge eut une civilisation sans hégémonie. Secundo, il n’est pas du tout certain que les précédents historiques soient appli
504 occidentale de l’Empire au moins. Cet exemple est- il valable pour nous ? La civilisation européenne est-elle une civilisat
505 alable pour nous ? La civilisation européenne est- elle une civilisation comme les autres ? Est-elle donc vraiment comparable
506 est-elle une civilisation comme les autres ? Est- elle donc vraiment comparable à celles qui l’ont précédée ? Son destin peu
507 ble à celles qui l’ont précédée ? Son destin peut- il être prédit par extrapolation des exemples antiques ? Voilà qui n’est
508 ples antiques ? Voilà qui n’est pas sûr du tout. Il se pourrait, en effet, que notre civilisation présente certains carac
509 apport à toutes les autres, et quel seuil mondial elle aurait été la première et la seule à franchir, s’affranchissant ainsi
510 leurs souvent contradictoires ou incompatibles qu’ elle en a héritées, la civilisation européenne s’est trouvée fondée sur un
511 e sur une culture de dialogue et de contestation. Elle n’a jamais pu, et surtout, elle n’a jamais voulu se laisser ordonner
512 de contestation. Elle n’a jamais pu, et surtout, elle n’a jamais voulu se laisser ordonner à une seule doctrine qui eût rég
513 l’a décrite Novalis : nous savons aujourd’hui qu’ il n’en fut rien, et que les conflits qui déchirèrent le Moyen Âge ne fu
514 s produit seulement de l’anarchie et des guerres. Il a contraint les élites religieuses, intellectuelles et politiques, et
515 eligieuses, intellectuelles et politiques, et par elles la partie agissante des masses européennes, à développer ce que je vo
516 s’impliquent mutuellement en Europe. En revanche, il est évident qu’elles se voient réprimées, débilitées, sinon radicalem
517 llement en Europe. En revanche, il est évident qu’ elles se voient réprimées, débilitées, sinon radicalement exclues, par les
518 distinguent le mieux d’autres cultures, qui ont, elles , d’autres vertus. Le sens de la vérité objective nous vient sans dout
519 orés par les civilisations du Proche-Orient. Mais il a été fortement développé par la théodicée chrétienne, comme l’ont mo
520 pas tricher non plus avec la réalité du monde qu’ il a créé. Dans nos rapports avec Dieu et le monde, nous ne pouvons pas
521 ilosophiques, mais aussi de nos sciences exactes. Elle développera dans nos élites intellectuelles le sens critique, au nom
522 ple véracité, et du recours aux preuves par neuf. Il faut songer cependant que l’Asie et l’Afrique ignorent cette exigence
523 ». Quand un ingénieur européen énonce un chiffre, il le veut exact à la nième virgule près, car autrement le pont cédera s
524 n Oriental énonce un chiffre exorbitant, c’est qu’ il espère en obtenir un autre, ou qu’il veut plaire ou intimider, ou se
525 nt, c’est qu’il espère en obtenir un autre, ou qu’ il veut plaire ou intimider, ou se faire valoir. Il plaide, il marchande
526 ’il veut plaire ou intimider, ou se faire valoir. Il plaide, il marchande, il joue, pendant que nous vérifions une fois de
527 aire ou intimider, ou se faire valoir. Il plaide, il marchande, il joue, pendant que nous vérifions une fois de plus nos c
528 der, ou se faire valoir. Il plaide, il marchande, il joue, pendant que nous vérifions une fois de plus nos calculs… Deuxiè
529 ture : le sens de la responsabilité personnelle. Il s’enracine dans la notion chrétienne de la personne humaine, c’est-à-
530 destin sur la terre comme au ciel. De ce destin, il se croit ou se veut maître, pour une part tout au moins, grande ou in
531 ’Europe existe ! — mais décisive quant au sens qu’ il donne à sa vie. D’où résulte une double exigence de recueillement en
532 qui exclut comme illusoire la solidarité, puisqu’ elle refuse la réalité du prochain, la dignité de la personne distincte. E
533 culture européenne, c’est le sens de la liberté. Il est clair que ce sens est étroitement lié à celui de la responsabilit
534 n’est vraiment libre que dans la seule mesure où il est responsable de son sort, et à l’inverse, on ne saurait tenir un h
535 à doses variables dans notre idée de la liberté. Il n’est pas de concept plus difficile à définir, plus facile à nier en
536 cile à définir, plus facile à nier en théorie, et il n’est pas d’idée plus exaltante en fait pour les Européens de toute n
537 , du Sud-Est asiatique ou de la Chine. Ou bien, s’ il prend soudain un sens précis pour les meneurs nationalistes de ces pe
538 st un sens emprunté à l’Europe, même et surtout s’ il justifie un élan de révolte contre elle, prétextant un colonialisme p
539 t surtout s’il justifie un élan de révolte contre elle , prétextant un colonialisme périmé. Si j’ai cru bon de mettre en vale
540 ales de l’Europe, ce n’est pas seulement parce qu’ elles permettent d’illustrer ce qui nous distingue des autres cultures. C’e
541 ingue des autres cultures. C’est surtout parce qu’ elles expliquent la plupart de nos créations. En effet, du sens de la vérit
542 les techniques qui en dérivent jusqu’au point où elles permettent non seulement à l’homme de dominer la matière, mais à l’hu
543 es Européens qui ont inventé l’archéologie, comme ils ont inventé l’ethnographie à partir de la découverte géographique du
544 continents que sont nos musées et bibliothèques, ils ont élaboré les préalables d’une science comparée des cultures et des
545 t cette sociologie totale, ou planétaire, prépare elle aussi les voies de l’unité future du genre humain. Voilà ce que l’Eur
546 humain. Voilà ce que l’Europe a créé, voilà ce qu’ elle offre désormais au monde entier, et elle ne peut faire autrement, car
547 là ce qu’elle offre désormais au monde entier, et elle ne peut faire autrement, car toutes les créations que je viens d’énum
548 e — en un mot, le monde reçoit nos produits. Mais il ne reçoit pas les valeurs religieuses, éthiques et philosophiques, qu
549 mplement notre psychologie et notre spiritualité. Il exige nos machines, mais refuse notre éthique du travail. Il veut que
550 s machines, mais refuse notre éthique du travail. Il veut que nous l’aidions à mieux vivre, mais dédaigne notre idéal de l
551 dépossédés de leurs pouvoirs par ce monde même qu’ ils ont suscité. Et Dieu sait de quelle manière les autres continents men
552 mondiale. Moment dramatique et passionnant, dont il nous faut tâcher d’évaluer les risques angoissants et les chances adm
553 omplète — dans toute l’humanité, cette crise va-t- elle devenir « mortelle » comme l’ont prédit depuis un siècle la majorité
554 s avaient cru cela d’elles-mêmes, avant la nôtre. Elles se trompaient, tout simplement, mais cette erreur ne saurait plus êtr
555 e Grand et les empereurs chinois s’imaginèrent qu’ ils dominaient le monde entier : c’était moins orgueilleux que naïf, car
556 lithiques et homogènes. Voilà sans doute pourquoi elle s’est trouvé la seule assez complexe et multiforme pour pouvoir sinon
557 tous les peuples du monde. Nous avons aussi vu qu’ elle exporte ses produits sans les valeurs qui contribuèrent à les créer.
558 s sans les valeurs qui contribuèrent à les créer. Elle envoie, dans le monde d’aujourd’hui, plus de machines et d’assistants
559 nts techniques que de livres et de missionnaires. Elle s’est laïcisée, profanisée, et détachée du christianisme qui a contri
560 la condition de son « succès » le plus visible — elle s’est rendue plus transportable, plus acceptable et imitable qu’aucun
561 plus acceptable et imitable qu’aucune autre. Mais il faut voir enfin que cette civilisation n’a pu devenir universelle qu’
562 gyptien. Pour les Grecs et les Chinois également, il existait deux espèces différentes de bipèdes verticaux : les Grecs, o
563 conception chrétienne, exprimée par saint Paul («  il n’y a plus ni juifs, ni Grecs, ni esclaves ni hommes libres, ni homme
564 tte conception devait (seule) permettre à ceux qu’ elle formerait intimement, de considérer tous les hommes comme dignes et c
565 sa transmission aux âges futurs, en même temps qu’ elle redécouvrait et faisait revivre des cultures disparues ou en voie d’e
566 de Ménandre ne sont plus du tout inconcevables : elles sont dans les journaux ». Depuis lors, on a retrouvé — et même joué —
567 ier, enregistrées sur bandes et sur microsillons, elles sont en mesure de résister au temps beaucoup mieux que les fresques d
568 romaine, dont l’essentiel vit dans la nôtre, sont- elles vraiment mortes ? Leurs conquêtes n’ont-elles pas été préservées et d
569 ont-elles vraiment mortes ? Leurs conquêtes n’ont- elles pas été préservées et développées par le Musée et le Laboratoire euro
570 tout à fait, Valéry ne pourrait pas le dire, car il n’en saurait rien. » Et il proposait de corriger comme suit le passag
571 rrait pas le dire, car il n’en saurait rien. » Et il proposait de corriger comme suit le passage que je vous ai cité : « N
572 s’emparant de l’empire des Aztèques et des Incas. Il s’agissait dans tous ces cas, de civilisations locales, entourées de
573 es candidats à la relève étaient nombreux. En est- il un seul aujourd’hui qui réclame l’oblitération ou simplement la repri
574 l y a pourtant les États-Unis, me dira-t-on. Mais ils sont nés de la substance même de l’Europe, et de nos jours ils s’euro
575 de la substance même de l’Europe, et de nos jours ils s’européanisent à nouveau, plus profondément que l’Europe ne s’améric
576 surtout l’URSS, penserez-vous. Mais qu’apporte-t- elle de nouveau du point de vue de la civilisation ? Est-elle une autre ci
577 nouveau du point de vue de la civilisation ? Est- elle une autre civilisation ? Lénine définissait ainsi sa Révolution : « L
578 péen. Quant à l’électricité, dont parlait Lénine, elle symbolise l’industrialisation. En électrifiant la Russie, le communis
579 Troie de l’Occident : la Technique et tout ce qu’ elle entraîne de proche en proche dans les mœurs et les modes de penser d’
580 es pouvoirs et notre vocation. Aux yeux du monde, il n’y a qu’un seul péril sérieux : le péril blanc ! La civilisation eur
581 le, n’est menacée en fait que par les maladies qu’ elle a produites et propagées elle-même. C’est dans ses sources, c’est au
582 le nationalisme et la superstition matérialiste. Il en va du nationalisme comme de notre rhume de cerveau, qui devient mo
583 sons de prendre au tragique, cette passion, quand elle atteint l’Asie, ou le monde arabe, ou l’Afrique, dresse contre nous a
584 plant au-dehors la force belliqueuse de ceux dont il fait nos ennemis. Quant au second virus secrété par l’Europe, et que
585 ’Europe, et que je nommerai le matérialisme plat, il prend chez nous les formes les plus diverses. Il va du culte du confo
586 il prend chez nous les formes les plus diverses. Il va du culte du confort chez l’ouvrier et le bourgeois, et de l’utilit
587 lus dangereux que la bêtise humaine en général, s’ il n’avait pour effet de détendre les ressorts créateurs du progrès dont
588 e détendre les ressorts créateurs du progrès dont il est trop souvent l’aboutissement. Or chacun sait que les ressorts du
589 on de défier le destin, le refus des choses comme elles vont, inquiétude, passion et refus sans quoi la science et la techniq
590 e du genre humain que pour l’Europe elle-même, où elles sont nées. Car l’Europe, à travers des crises atroces, s’est vaccinée
591 es. L’Europe a secrété Hitler, mais en douze ans, elle l’a éliminé, et je crois qu’elle s’en trouve immunisée pour très long
592 is en douze ans, elle l’a éliminé, et je crois qu’ elle s’en trouve immunisée pour très longtemps contre la tentation totalit
593 n totalitaire, qui est l’essence du nationalisme. Il n’en va pas de même sur d’autres continents. Quant à nous : nos sages
594 u, en peu de temps, au prix de millions de morts, il est vrai… Et maintenant, ce n’est pas chez nous, mais chez les autres
595 , ce n’est pas chez nous, mais chez les autres qu’ il triomphe. Permettez-moi de vous citer à ce propos deux textes dont le
596 ’a jamais atteint en Europe de tels excès. Certes elle est née chez nous, et c’était bien chez nous que Burckhardt en avait
597 e de notre action dans le monde et pour le monde. Il nous faut l’Europe parce qu’il faut faire le monde. Et parce que l’Eu
598 et pour le monde. Il nous faut l’Europe parce qu’ il faut faire le monde. Et parce que l’Europe seule, en faisant le monde
13 1960, Articles divers (1957-1962). Un péché mortel : la désunion des chrétiens (mars 1960)
599 ème de l’union des Églises chrétiennes concerne-t- il aussi les non-chrétiens, qui sont les deux tiers de notre humanité pr
600 x destins de l’Europe et de l’Occident, encore qu’ elle n’ait jamais cessé de se proclamer essentiellement universelle. Il se
601 essé de se proclamer essentiellement universelle. Il se peut que l’union de nos Églises les renforce, devant le défi que p
602 y rattachent, qui est de l’ordre d’un milliard. S’ il est vrai que le monde communiste enferme un nombre équivalent d’indiv
603 ne chose, la vérité de l’Esprit en est une autre. Il s’agit, pour le christianisme, non de gagner le monde mais de sauver
604 grandes divisions historiques se sont produites. Il n’est rien que je respecte au monde autant que l’institution de l’Égl
605 s. Tant et si bien qu’au point où nous en sommes, il nous faut constater qu’en fait et avant tout, ce qui s’oppose à la gr
606 méfiante, et non de confiance évangélique. Car, s’ il est vrai que l’Évangile demande l’union, ce n’est jamais aux dépens d
607 de mon Père. » Cette parole ne peut être écartée. Elle reste au centre du mystère de l’unité. Voies vers l’union Parlan
608 t nunc, et déjà pratiquée par beaucoup. Qu’en est- il de cette existence, dans les diverses confessions ? Je suis frappé de
609 jours du Purgatoire. En revanche, combien savent- ils , de part et d’autre, que, dans toutes les Églises chrétiennes, la cat
610 onnent, et que les fidèles ignorent. Que faudrait- il pour rapprocher tous ces fidèles, qui ramèneraient ensuite leurs guid
611 , les luthériens, les anglicans, les catholiques, elles tendent à devenir indiscernables. J’oserai dire qu’il y a plus : en d
612 — anglicans, luthériens de Suède et d’Amérique — ils ouvrent la voie de l’union. Le renouveau des études liturgiques dans
613 e — je pense au cas de Simone Weil — trouveraient- ils alors le courage d’entrer, de se mettre à genoux, puis ouvrant les ye
614 ouvrant les yeux sur l’autel, reconnaîtraient qu’ ils sont enfin chez eux ! Et je songe à tous ceux que laisse insatisfaits
615 e laisse insatisfaits la confession dans laquelle ils sont nés (soit par hasard ou providence), dans laquelle ils ont eu le
616 és (soit par hasard ou providence), dans laquelle ils ont eu le bonheur d’être élevés, qu’ils aiment comme on aime une patr
617 laquelle ils ont eu le bonheur d’être élevés, qu’ ils aiment comme on aime une patrie, mais l’amour est lucide, la patrie n
618 st lucide, la patrie n’est pas le monde… Voici qu’ ils peuvent sans la trahir aller plus loin, vers le But qu’elle leur dési
619 nt sans la trahir aller plus loin, vers le But qu’ elle leur désignait. Je ne suis pas étranger plus qu’un autre aux problème
620 de notre temps. Calviniste de la Suisse romande, il représente, au sein du protestantisme, l’un des éléments les plus con
14 1960, Articles divers (1957-1962). Le nationalisme et l’Europe (mars 1960)
621 éflexes conditionnés, finalement force politique, il a pour résultante actuelle de s’opposer, lui aussi, à l’Occident, en
622 inir : ses motivations sont ailleurs, et surtout, elles sont antérieures à la nécessité présente de l’union, au regard de laq
623 essité présente de l’union, au regard de laquelle elles apparaissent comme les survivances d’une autre ère. Pour comprendre l
624 dans le mouvement de sa genèse intellectuelle qu’ il faut le saisir. Car le nationalisme est idéologie, avant d’être histo
625 ationalisme est idéologie, avant d’être histoire. Il est né d’une dialectique idéale et non du jeu des forces économiques,
626 e idéale et non du jeu des forces économiques, qu’ il a faussé en y intervenant, et qui tend à l’éliminer dans la mesure où
627 enant, et qui tend à l’éliminer dans la mesure où il tend à se normaliser. Plutôt donc que de retracer la chronique des tr
628 r notre bien, toute guerre est sainte, et de plus elle est préventive, car il s’agit de défendre contre les jaloux, les rétr
629 e est sainte, et de plus elle est préventive, car il s’agit de défendre contre les jaloux, les rétrogrades et les impurs,
630 elle du peuple ou Bien suprême ; Dieu lui-même, s’ il existe, ne peut être que notre allié, garant de notre justice ; sinon
631 e allié, garant de notre justice ; sinon c’est qu’ il n’existe pas ; il n’y a donc plus d’instance supérieure à la nation,
632 notre justice ; sinon c’est qu’il n’existe pas ; il n’y a donc plus d’instance supérieure à la nation, ni plus d’appel po
633 mai 1790, Robespierre a cette formule parfaite : Il est de l’intérêt des nations de protéger la nation française, parce q
634 e doit partir la liberté et le bonheur du monde. Il faut donc protéger par les armes cette France qui annonce la paix uni
635 hantez une victoire qui sera celle de l’humanité. Il a péri des hommes ; mais c’est pour qu’il n’en périsse plus. Je le ju
636 manité. Il a péri des hommes ; mais c’est pour qu’ il n’en périsse plus. Je le jure, au nom de la fraternité universelle qu
637 ’Assemblée nationale, au nom du genre humain dont il n’a jamais mieux mérité d’être appelé l’ami. C’est en effet à Jean-B
638 ance mais aristocrate hollandais d’ascendance, qu’ il appartiendra de formuler de la manière la plus théâtrale l’idéal unit
639 se dit souveraine, blesse grièvement l’humanité, elle est en pleine révolte contre le bon sens et le bonheur ; elle coupe l
640 pleine révolte contre le bon sens et le bonheur ; elle coupe les canaux de la prospérité universelle ; sa Constitution, manq
641 e intitulé la République universelle, dans lequel il demandait la suppression des gouvernements locaux, et leur remplaceme
642 ui-même, et le genre humain vivra en paix, lorsqu’ il ne formera qu’un seul corps, la nation unique… La commune de Paris se
643 précise les délires totalitaires du xxe siècle. Il peut être résumé par quelques citations tirées de l’ouvrage intitulé
644 es conceptions primitives des forêts de Germanie, ils furent aussi liés les uns aux autres, depuis leur expansion dans les
645 mmerce des Européens entre eux devait être libre. Il est facile de faire l’application à l’état actuel des choses. Si tout
646 ssurément le commerce de toutes les parties entre elles doit rester libre, comme il l’était à l’origine. Si elle est au contr
647 les parties entre elles doit rester libre, comme il l’était à l’origine. Si elle est au contraire divisée en plusieurs Ét
648 it rester libre, comme il l’était à l’origine. Si elle est au contraire divisée en plusieurs États sous divers gouvernements
649 sée en plusieurs États sous divers gouvernements, elle doit être divisée de même en plusieurs États commerciaux complètement
650 ode des essais pour former de véritables Nations. Il s’agit donc de pousser vivement ce processus, si l’on veut sortir de
651 ù nous vivons. Si l’on veut supprimer la guerre, il faut en supprimer la cause. Il faut que chaque État obtienne ce qu’il
652 pprimer la guerre, il faut en supprimer la cause. Il faut que chaque État obtienne ce qu’il projette d’obtenir par la guer
653 la cause. Il faut que chaque État obtienne ce qu’ il projette d’obtenir par la guerre et ce que seulement il peut projeter
654 jette d’obtenir par la guerre et ce que seulement il peut projeter raisonnablement d’obtenir : ses frontières naturelles.
655 d’obtenir : ses frontières naturelles. Dès lors, il n’a plus rien à demander à un autre État, car il a trouvé ce qu’il ch
656 il n’a plus rien à demander à un autre État, car il a trouvé ce qu’il cherchait. Ainsi, à l’utopie rousseauiste de l’hom
657 à demander à un autre État, car il a trouvé ce qu’ il cherchait. Ainsi, à l’utopie rousseauiste de l’homme naturellement b
658 hte l’utopie de l’État naturellement raisonnable. Il n’y a plus qu’à tirer les conséquences logiques de ces prémices : fer
659 ser entièrement après un laps de temps déterminé. Il lui faut donc prendre des mesures permettant d’atteindre bientôt sûre
660 s permettant d’atteindre bientôt sûrement ce but. Il doit y marcher avec méthode, et ne laisser passer aucun moment sans r
661 emplacées par des succédanés dans le pays, puisqu’ il doit s’en déshabituer entièrement, entraîné d’ailleurs activement à c
662 aux pour les nationaux, de la manière convenable. Il ne cherche pas en effet à acquérir une prépondérance commerciale, ce
663 ne sont pas seulement les échanges commerciaux qu’ il faut supprimer, mais aussi les échanges culturels, et le tourisme. Se
664 soin de voyager hors de l’État commercial fermé : il ne doit pas être permis plus longtemps à une vaine curiosité et à la
665 voyager aux frais de l’État savants et artistes. Il est évident que dans une nation ainsi fermée, dont les membres ne viv
666 les peuples sera celui de la Science : … Grâce à elle , mais à elle seule, les hommes s’uniront de manière durable et ils le
667 era celui de la Science : … Grâce à elle, mais à elle seule, les hommes s’uniront de manière durable et ils le doivent, qua
668 seule, les hommes s’uniront de manière durable et ils le doivent, quand pour tout le reste, leur division en peuples divers
669 te, leur division en peuples divers sera achevée. Elle seule demeure leur propriété commune, après qu’ils ont partagé entre
670 le seule demeure leur propriété commune, après qu’ ils ont partagé entre eux tout le reste. Nul État fermé ne supprimera ce
671 t le reste. Nul État fermé ne supprimera ce lien, il le favorisera plutôt, car l’enrichissement de la Science par la puiss
672 s utopies issues de la philosophie préromantique, il faut avouer que celle de Fichte, pour absurde qu’elle nous paraisse,
673 faut avouer que celle de Fichte, pour absurde qu’ elle nous paraisse, se trouve avoir le mieux correspondu aux réalités hist
674 r. Comme Goethe assistant à la bataille de Valmy, il a compris que la clameur des sans-culottes : « Vive la Nation ! » ina
675 it une ère nouvelle, née de la guerre et vivant d’ elle . « Vive la Nation » ne signifie pas « Vive mon pays », mais « Vive l’
676 . Tensions internes : « Que personne ne diffère, il deviendrait mon juge ! » pense l’État-nation né de la Révolution et q
677 passive des opposants. À la faveur des guerres qu’ il présentera toujours comme une « défense de nos foyers »30, il mobilis
678 a toujours comme une « défense de nos foyers »30, il mobilise l’instinct patriotique et opère sur lui la première en date
679 ts de groupe. Notons au passage que la guerre, qu’ elle soit civile ou étrangère, froide ou déclarée, justifie toujours le sa
680 acrifice « temporaire » de certaines libertés. Or il n’est presque aucune de ces mesures d’urgence, prises par l’État, qu’
681 non seulement conduit à la guerre, mais trouve en elle les conditions du renforcement continuel de son pouvoir. Tensions ext
682 est « un individu dans la marche de l’Histoire ». Il se fait par sa propre activité, s’épanouit, atteint sa pleine vigueur
683 ipe, non à en jouir… Chacun a son principe auquel il tend comme à sa fin. Une fois cette fin atteinte, il n’a plus rien à
684 tend comme à sa fin. Une fois cette fin atteinte, il n’a plus rien à faire dans le monde. Et encore : À chaque époque do
685 tion, une fois doué de toute la personnalité dont il tend à priver les hommes réels, comment va-t-il se comporter dans le
686 t il tend à priver les hommes réels, comment va-t- il se comporter dans le monde. L’idéal primitif de la nation, confisqué
687 ominer l’époque. À cette fin, chacun prétendra qu’ il incarne « le plus haut concept de l’esprit ». L’Allemand tuera le Fra
688 n globale vers l’harmonie des peuples libérés a-t- il été brutalement démenti au terme même du processus de formation des g
689 les premières victimes, enthousiastes et bernées. Ils croient tous que nation égale liberté. Ils s’inspirent tous du messia
690 rnées. Ils croient tous que nation égale liberté. Ils s’inspirent tous du messianisme de la Révolution française : libérer
691 lemands : celle d’une Europe des nationalités, qu’ il considère lui aussi comme une étape inévitable, quoique dangereuse de
692 ien d’une « Internationale des nationalités », et il loue Herder d’avoir considéré l’humanité « comme une grande harpe dan
693 un son particulier à « l’harmonie universelle ». Il n’en redoute pas moins les « terribles niveleurs de l’Europe » que so
694 s Hongrois et les Polonais écrasés par la Russie, elle est le synonyme concret des libertés élémentaires. Et malheur à l’Eur
695 s libertés élémentaires. Et malheur à l’Europe si elle abandonne ces peuples ! Voici deux textes brefs comme deux cris, écha
696 la mémoire des incalculables services rendus par elle à la chrétienté et à la civilisation, que l’immense intérêt que l’Eur
697 porte à sa vigoureuse existence, tout atteste qu’ elle fut, tout exige qu’elle reste la Hongrie. Enlevez-lui cette qualité,
698 xistence, tout atteste qu’elle fut, tout exige qu’ elle reste la Hongrie. Enlevez-lui cette qualité, et elle n’est plus rien
699 e reste la Hongrie. Enlevez-lui cette qualité, et elle n’est plus rien pour l’Europe, si peu que rien même ; car elle ne peu
700 us rien pour l’Europe, si peu que rien même ; car elle ne peut devenir que l’avant-garde de la monarchie universelle de la R
701 ous les Magyars, nous versons notre sang. Te faut- il encore plus, ô Liberté, Pour que ta grâce daigne sur nous descendre ?
702 que la Liberté siègera dans la capitale du monde, elle jugera les nations. Et elle dira à la première : Voilà que j’étais at
703 la capitale du monde, elle jugera les nations. Et elle dira à la première : Voilà que j’étais attaquée par les brigands, et
704 ef de voûte de l’édifice futur ; et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera, et celui qui se heurtera contre elle, il to
705 l’édifice futur ; et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera, et celui qui se heurtera contre elle, il tombera et ne se
706 elle l’écrasera, et celui qui se heurtera contre elle , il tombera et ne se relèvera point. Et du grand édifice politique eu
707 l’écrasera, et celui qui se heurtera contre elle, il tombera et ne se relèvera point. Et du grand édifice politique europé
708 ra point. Et du grand édifice politique européen, il ne restera pas pierre sur pierre. « Aujourd’hui, l’Occident meurt de
709 à Bruxelles, puis réhabilité par le Piémont dont il devint le Premier ministre, Gioberti fut un néo-guelfe. Il voulait l’
710 le Premier ministre, Gioberti fut un néo-guelfe. Il voulait l’union de l’Italie et il voulait aussi l’union de l’Europe :
711 un néo-guelfe. Il voulait l’union de l’Italie et il voulait aussi l’union de l’Europe : l’une étant condition de l’autre.
712 ent des diverses chrétientés nationales écrivait- il en 1843, dans un ouvrage publié à Bruxelles : De la primauté morale e
713 ssant. Dans son traité Della Nazionalità italiana il donnait la formule du passage « dialectique » de la cité à la nation,
714 pposent au plus vaste ensemble. Mais qu’en sera-t- il des grands aînés, de l’Espagne, de la Grande-Bretagne et de la France
715 sourde ou incendiaire chez ses voisins ». Certes, elle va protéger, par la force au besoin, « les mouvements légitimes de cr
716 sance et de nationalité des peuples ». Cependant, elle n’entend pas : incendier le monde, mais briller de sa place sur l’ho
717 a France. Mais c’est finalement à Victor Hugo qu’ il appartiendra, bien des années plus tard, d’opérer la « transfiguratio
718 tique nationale du romantisme politique. Parce qu’ il n’est pas suspect de nationalisme borné, et parce qu’il fut au xixe
719 st pas suspect de nationalisme borné, et parce qu’ il fut au xixe siècle le prophète le plus exalté de l’union européenne,
720 se transfigurer en Europe et en monde, ne sera-t- elle pas nécessairement interprétée par les autres comme un désir secret d
721 templer à Paris l’Exposition universelle de 1867, il a des phrases qui découragent la critique : Ces yeux saturés de nuit
722 yeux saturés de nuit viennent regarder la vérité… Ils savent qu’il existe un peuple de réconciliation… une nation ouverte,
723 e nuit viennent regarder la vérité… Ils savent qu’ il existe un peuple de réconciliation… une nation ouverte, qui appelle c
724 onciliation… une nation ouverte, qui appelle chez elle quiconque est frère ou veut l’être. De leur côté, invasion ; du côté
725 ges inspirées : La France a cela d’admirable, qu’ elle est destinée à mourir, mais à mourir comme les dieux, par la transfig
726 urquoi ? Parce que la France le mérite ; parce qu’ elle manque d’égoïsme, parce qu’elle ne travaille pas pour elle seule, par
727 mérite ; parce qu’elle manque d’égoïsme, parce qu’ elle ne travaille pas pour elle seule, parce qu’elle est créatrice d’espér
728 ue d’égoïsme, parce qu’elle ne travaille pas pour elle seule, parce qu’elle est créatrice d’espérances universelles, parce q
729 u’elle ne travaille pas pour elle seule, parce qu’ elle est créatrice d’espérances universelles, parce qu’elle représente tou
730 est créatrice d’espérances universelles, parce qu’ elle représente toute la bonne volonté humaine, parce que là où les autres
731 à où les autres nations sont seulement des sœurs, elle est mère.31 Au xxe siècle, il y aura une nation extraordinaire. Cet
732 a grande, ce qui ne l’empêchera pas d’être libre. Elle sera illustre, riche, pensante, pacifique, cordiale au reste de l’hum
733 ante, pacifique, cordiale au reste de l’humanité. Elle aura la gravité douce d’une aînée. […] Cette nation aura pour capital
734 pitale Paris, et ne s’appellera point la France ; elle s’appellera l’Europe. Elle s’appellera l’Europe au xxe siècle et, au
735 lera point la France ; elle s’appellera l’Europe. Elle s’appellera l’Europe au xxe siècle et, aux siècles suivants, plus tr
736 , aux siècles suivants, plus transfigurée encore, elle s’appellera l’Humanité. L’Humanité, nation définitive, est dès à prés
737 soudre dans la plus grande communauté européenne. Elle n’aura pas vécu en vain, ni sans gloire. Ainsi se réaliserait ce pas
738 st comme à l’Ouest, et en Suisse comme en France. Il manquait à ce concert une note allemande, et Constantin Frantz nous l
739 allemande, et Constantin Frantz nous la donne : Il va de soi qu’une telle fédération ne saurait être instituée d’un seul
740 ération ne saurait être instituée d’un seul coup. Elle a besoin, d’abord, d’une base réelle, sur laquelle elle repose et d’o
741 besoin, d’abord, d’une base réelle, sur laquelle elle repose et d’où la première impulsion soit donnée… S’il est vrai que c
742 pose et d’où la première impulsion soit donnée… S’ il est vrai que c’est de l’Allemagne qu’est venue la division de l’Églis
743 l’Allemagne qu’est venue la division de l’Église, il est donc du devoir de ce pays, plus que de tout autre, de recréer la
744 plume d’Ivan Kirievsky, son principal rédacteur, elle oppose à l’Europe la notion d’enthousiasme, qui serait restée le priv
745 pe se constitue organiquement et harmonieusement, il est nécessaire qu’il existe à cette fin un centre déterminé, un peupl
746 iquement et harmonieusement, il est nécessaire qu’ il existe à cette fin un centre déterminé, un peuple qui domine les autr
747 c’est aussi ce que pensera Dostoïevski, et ce qu’ il exprimera cent fois dans son Journal d’un écrivain, gazette qu’il pub
748 t fois dans son Journal d’un écrivain, gazette qu’ il publie seul, à intervalles irréguliers, en 1876 et 1877. L’avenir de
749 t de notre conscience nationale. Tirons l’épée, s’ il le faut, au nom des malheureux persécutés, quand bien même ce serait
750 au nom des prétendus intérêts de la civilisation. Il faut que les organes politiques reconnaissent la vérité, cette vérité
751 telle quelle est reconnue par le simple croyant. Il faut bien que la vérité soit conservée quelque part, que tout au moin
752 oins une nation serve de flambeau. Qu’adviendrait- il sans cela ? Au nom de la véritable religion, et pour leur bien, les
753 ynisme » et d’y trouver leur fin, « vers laquelle il semble bien qu’ils s’acheminent ». III. Les prophètes de la catast
754 ouver leur fin, « vers laquelle il semble bien qu’ ils s’acheminent ». III. Les prophètes de la catastrophe Le grand h
755 « Chaque génération est immédiate à Dieu », écrit- il en une formule célèbre. Une nation ou une société, selon lui, ne conq
756 rimauté appartient donc à l’ensemble européen, qu’ il définit comme le domaine « romano-germanique » : Italie — France — Es
757 1882 sur le thème : « Qu’est-ce qu’une nation ? » il écrit : Une nation, c’est pour nous une âme, un esprit, une famille
758 ens !… » … Ce que nous venons de dire de la race, il faut le dire de la langue. La langue invite à se réunir ; elle n’y fo
759 dire de la langue. La langue invite à se réunir ; elle n’y force pas. Les États-Unis et l’Angleterre, l’Amérique espagnole e
760 n. Au contraire, la Suisse, si bien faite, puisqu’ elle a été faite par l’assentiment de ses différentes parties, compte troi
761 ui forment ces prétendues frontières naturelles ? Il est incontestable que les montagnes séparent ; mais les fleuves réuni
762 elles qui ne séparent pas ? De Biarritz à Tornea, il n’y a pas une embouchure de fleuve qui ait plus qu’une autre un carac
763 Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération, européenne, probablem
764 pas quelque chose d’éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération, européenne, probablement, les remplacera.
765 militaire33. Dans une de ses lettres à von Preen, il prévoit pour les masses ouvrières entassées dans les usines et condam
766 bours, voilà ce qui doit logiquement se produire… Il est clair que le monde va vers l’alternative suivante : démocratie to
767 es et se passe en quelques heures : pour les uns, il faut la moitié d’une année, pour les autres la moitié d’une vie humai
768 ers ce but unique du travail secret de leur âme : ils voulurent frayer les voies à un nouvel accord et tentèrent de réalise
769 t de réaliser en eux-mêmes l’Européen à venir ; s’ ils appartinrent à une patrie, ce ne fut jamais que par les régions super
770 ce, ou aux heures de défaillance, ou l’âge venu : ils se reposaient d’eux-mêmes en devenant « patriotes ». Je songe à des h
771 Europe est un état anormal. Pourquoi l’Europe est- elle par excellence la terre des cataclysmes guerriers ? Parce qu’elle est
772 nce la terre des cataclysmes guerriers ? Parce qu’ elle est habitée par une quantité de races qui sont singulièrement opposée
773 rquoi lui cacher ce qui l’attend ? Avant dix ans, elle sombrera dans la guerre et l’anarchie, comme elle a toujours fait deu
774 elle sombrera dans la guerre et l’anarchie, comme elle a toujours fait deux ou trois fois par siècle. … Rien n’améliorera le
775 rera le sort de l’Europe. Pourquoi voulez-vous qu’ il s’améliore ? Que signifie ce vieux fond d’optimisme qui attend que le
776 optimisme qui attend que les choses s’arrangent ? Il n’y a aucune raison pour cela. Des composés chimiques, qui sont sépar
777 qui sont séparément amorphes, provoquent le feu s’ ils sont amalgamés dans un récipient. L’Europe est un récipient rempli de
778 pe des nations et de son impérialisme planétaire. Il faudra cependant en venir aux excès de l’autarcie affirmée sans scrup
779 rtigen Zeitalters, 1804-1805. 30. « On dirait qu’ il appelle foyers tous les endroits où il a porté le feu », remarque Ben
780 dirait qu’il appelle foyers tous les endroits où il a porté le feu », remarque Benjamin Constant. 31. Article intitulé l
15 1960, Articles divers (1957-1962). Originalité de la culture européenne comparée aux autres cultures (juin 1960)
781 C’est en Europe seulement, jamais ailleurs, qu’ il m’est arrivé d’entendre dire : « Une culture européenne, ça n’existe
782 inent. Un homme qui nie que l’Europe existe et qu’ elle ait une culture commune ne saurait être un Asiatique, un Africain ou
783 propositions contradictoires que voici : primo ; il n’y a pas de culture européenne commune, mais seulement des cultures
784 eux pour former une unité quelconque ; secundo : il ne saurait y avoir de culture spécifiquement européenne, car toute vr
785 ori, l’originalité de notre culture et le fait qu’ elle nous est commune du Cap Nord au Péloponnèse et de Madrid à Varsovie,
786 e) serviront d’exemples pour la deuxième formule. Il suffira, je crois, de ces brèves indications, pour faire bien voir qu
787 le, que dans le libre jeu de ses diversités. Mais il est temps de nous demander d’où proviennent ces fameuses diversités,
788 ù proviennent ces fameuses diversités, et comment il se fait que l’Europe en ait tant, et même les multiplie comme à plais
789 pluralité des origines de notre civilisation. Et elles sont entretenues ou renouvelées sans cesse par notre refus déclaré de
790 foi, le guerrier germain qui se sent libre quand il touche son épée, le Celte romantique et magique, — et nous descendons
791 multiples et des valeurs souvent incompatibles qu’ elle en a héritées, l’Europe n’a jamais pu s’ordonner à une seule doctrine
792 l’a décrite Novalis : nous savons aujourd’hui qu’ il n’en fut rien, et que les conflits qui déchirèrent le Moyen Âge ne fu
793 s produit seulement de l’anarchie et des guerres. Il a contraint les élites, et par elles la partie agissante des masses e
794 et des guerres. Il a contraint les élites, et par elles la partie agissante des masses européennes, à développer ce que je vo
795 s’impliquent mutuellement en Europe. En revanche, il est évident qu’elles se voient réprimées, débilitées, sinon radicalem
796 llement en Europe. En revanche, il est évident qu’ elles se voient réprimées, débilitées, sinon radicalement exclues, par tout
797 rées par les civilisations du Proche-Orient. Mais il a été fortement développé par la théodicée chrétienne, comme l’ont mo
798 pas tricher non plus avec la réalité du monde qu’ il a créé. Dans nos rapports avec Dieu et le monde, nous ne pouvons pas
799 ilosophiques, mais aussi de nos sciences exactes. Elle développera dans nos élites intellectuelles le sens critique, au nom
800 ». Quand un ingénieur européen énonce un chiffre, il le veut exact à la ne virgule près, car autrement le pont cédera sous
801 n Oriental énonce un chiffre exorbitant, c’est qu’ il espère en obtenir un autre, ou qu’il veut plaire ou intimider, ou se
802 nt, c’est qu’il espère en obtenir un autre, ou qu’ il veut plaire ou intimider, ou se faire valoir. Il plaide, il marchande
803 ’il veut plaire ou intimider, ou se faire valoir. Il plaide, il marchande, il joue, pendant que nous vérifions une fois de
804 aire ou intimider, ou se faire valoir. Il plaide, il marchande, il joue, pendant que nous vérifions une fois de plus nos c
805 der, ou se faire valoir. Il plaide, il marchande, il joue, pendant que nous vérifions une fois de plus nos calculs… Deuxiè
806 lture : le sens de la responsabilité personnelle. Il s’enracine dans la notion chrétienne de la personne humaine, c’est-à-
807 on destin sur la terre comme au ciel, destin dont il se croit ou se veut le maître, pour une part tout au moins — grande o
808 ’Europe existe ! — mais décisive quant au sens qu’ il donne à sa vie. D’où résulte une double exigence de recueillement en
809 qui exclut comme illusoire la solidarité, puisqu’ elle refuse la réalité du prochain. Et certes, cela ne signifie pas théori
810 culture européenne, c’est le sens de la liberté. Il est clair que ce sens est étroitement lié à celui de la responsabilit
811 n’est vraiment libre que dans la seule mesure où il est responsable de son sort, et à l’inverse, on ne saurait tenir un h
812 ponsable de ses actes que dans la seule mesure où ils sont faits librement. Notre sens de la liberté est aussi complexe que
813 à doses variables dans notre idée de la liberté. Il n’est pas de concept plus difficile à définir, plus facile à nier en
814 cile à définir, plus facile à nier en théorie, et il n’est pas d’idée plus exaltante en fait pour les Européens de toute n
815 , du Sud-Est asiatique ou de la Chine. Ou bien, s’ il prend soudain un sens précis, pour les meneurs nationalistes de ces p
816 st un sens emprunté à l’Europe, même et surtout s’ il justifie un élan de révolte contre elle, prétextant un colonialisme p
817 t surtout s’il justifie un élan de révolte contre elle , prétextant un colonialisme périmé. Si j’ai cru bon de mettre en vale
818 ales de l’Europe, ce n’est pas seulement parce qu’ elles permettent d’illustrer ce qui nous distingue des autres cultures. C’e
819 ingue des autres cultures. C’est surtout parce qu’ elles expliquent la plupart de nos créations. En effet, du sens de la vérit
820 hique de cette civilisation ? Je n’en crois rien. Il existe sur notre planète trois régions comparables du point de vue de
821 ation : ce sont la Chine, l’Inde et l’Europe. Or, il est évident que les mêmes pressions démographiques n’ont pas produit
822 maximum. Le dynamisme d’une culture proviendrait- il plutôt, si l’on en croit Toynbee, des défis auxquels elle se voit sou
823 tôt, si l’on en croit Toynbee, des défis auxquels elle se voit soumise ? S’il s’agit de défis extérieurs, je réponds non. Ca
824 nbee, des défis auxquels elle se voit soumise ? S’ il s’agit de défis extérieurs, je réponds non. Car les invasions asiatiq
825 es Croisades ont été productives à cet égard ; or elles ne résultèrent pas d’un défi venu de l’extérieur, mais au contraire d
826 les techniques qui en dérivent jusqu’au point où elles permettent non seulement à l’homme de dominer la matière, mais à l’hu
827 les Européens qui ont inventé l’archéologie comme ils ont inventé l’ethnographie à partir de la découverte géographique du
828 e siècles et de continents que sont leurs musées, ils ont élaboré les préalables d’une science comparée des cultures et des
829 cette sociologie totale, ou planétaire, prépare, elle aussi, les voies de l’unité future du genre humain. Voilà ce que l’Eu
830 humain. Voilà ce que l’Europe a créé, voilà ce qu’ elle offre désormais au monde entier. Or, toutes ces créations sont nées d
831 ces créations sont en expansion vers le monde, qu’ elles appellent le monde, qu’elles s’en nourrissent, et que toutes, elles p
832 on vers le monde, qu’elles appellent le monde, qu’ elles s’en nourrissent, et que toutes, elles préparent son unité après avoi
833 monde, qu’elles s’en nourrissent, et que toutes, elles préparent son unité après avoir exploré ses variétés. Je ne tenterai
834 e profonde des créations que je viens d’énumérer. Il y faudrait un livre, et je l’ai déjà écrit37. Je me bornerai donc à v
835 ntends la possibilité d’un genre humain qui, sans elle , n’eût jamais pris conscience de son unité virtuelle, ni des problème
836 dépossédés de leurs pouvoirs par ce monde même qu’ ils ont suscité. Et Dieu sait de quelle manière les autres continents men
837 mondiale. Moment dramatique et passionnant, dont il nous faut tâcher d’évaluer les risques angoissants et les chances adm
838 uissance matérielle, nos produits en un mot. Mais il ne reçoit pas les valeurs, religieuses, éthiques et philosophiques, q
839 es permettraient de les maintenir en composition. Il retourne contre nous ces produits — tels que le nationalisme par exem
840 plement, notre psychologie et notre spiritualité. Il exige nos machines, mais refuse notre éthique du travail. Il veut que
841 s machines, mais refuse notre éthique du travail. Il veut que nous l’aidions à mieux vivre, mais dédaigne notre idéal de l
842 d’autre qui soit en mesure d’y prétendre mieux qu’ elle , ou qui soit susceptible mieux qu’elle d’animer la civilisation née d
843 e mieux qu’elle, ou qui soit susceptible mieux qu’ elle d’animer la civilisation née de nos œuvres. Alors, que faire ? que de
844 , qui a inventé le monde dans la mesure exacte où elle a découvert le genre humain. Or le sort de l’Europe dépend de son uni
845 maintenant d’autres motifs, beaucoup plus vastes. Il nous faut faire l’Europe, parce qu’il faut faire le monde, et que l’E
846 lus vastes. Il nous faut faire l’Europe, parce qu’ il faut faire le monde, et que l’Europe seule peut le faire, mais elle d
847 monde, et que l’Europe seule peut le faire, mais elle doit d’abord exister. Certains me diront, et une part de moi-même me
848 e salut, le sens de notre vie individuelle, n’est- il pas beaucoup plus important ? Question européenne par excellence. Mai
849 ’humanité entière, embarquée pour la découverte d’ elle ne sait quel Eldorado, d’elle ne sait quelle Toison d’or, symboles du
850 our la découverte d’elle ne sait quel Eldorado, d’ elle ne sait quelle Toison d’or, symboles du sens dernier de la vie. Il ne
851 Toison d’or, symboles du sens dernier de la vie. Il ne porte pas des fuyards, des émigrants, des rescapés d’une catastrop
852 ale, mais des pionniers de l’aventure humaine. Et il évoque irrésistiblement le souvenir d’un autre moment de cette aventu
853 omb, au matin du départ à Palos de Moguer. Auront- elles la voilure, le tonnage nécessaire ? Ou bien ne faut-il pas nous deman
854 voilure, le tonnage nécessaire ? Ou bien ne faut- il pas nous demander, plutôt, si l’homme qui les conduit a la foi nécess
855 ? Beaucoup hésitent encore à s’embarquer parce qu’ ils doutent de l’avenir prochain de notre Europe, et de son pouvoir de fa
16 1960, Articles divers (1957-1962). Allocution de Denis de Rougemont, président du Congrès pour la liberté de la culture, à la séance de clôture de la rencontre de Berlin (extraits) (juin-juillet 1960)
856 s donc d’abord un Congrès — un congrès permanent, il est vrai, puisqu’il a tenu des réunions successivement dans plus de v
857 ngrès — un congrès permanent, il est vrai, puisqu’ il a tenu des réunions successivement dans plus de vingt-cinq pays sur l
858 eur première conférence à Berlin, il y a dix ans, ils décidèrent de se grouper afin de créer ainsi, en cas d’urgence et au
859 et au service des libertés de l’esprit partout où elles sont attaquées, une certaine force de frappe, de protestation efficac
860 de frappe, de protestation efficace. Mais aussi, ils éprouvèrent le besoin de se grouper pour dialoguer et réfléchir ensem
861 é. Sur ce mot Liberté, je serai très bref bien qu’ il soit le mot capital. Car la liberté, voyez-vous, ce n’est pas quelque
862 n connues et localisées, contre les idéologies qu’ elles voulaient imposer, et contre le défaitisme fataliste qui préparait le
863 iste qui préparait leur lit dans nos démocraties. Il nous fallait courir au plus pressé, secourir les persécutés accusés d
864 iennent pas seulement des régimes que vous savez. Elles viennent de la misère et de la faim pour une large partie de l’humani
865 t de la faim pour une large partie de l’humanité. Elles viennent aussi des formes de vie matérialistes que notre civilisation
866 es traditionnelles mal préparées à les assimiler. Elles viennent enfin, ces menaces contre la liberté, de la misère morale où
867 ici qu’intervient la Culture, ou, en tout cas, qu’ elle doit et peut intervenir. Car la culture, c’est justement l’ensemble d
868 uer à sa place dans le monde, et dans un monde qu’ il approuve et dont il comprend les symboles. Mais la sécurité n’est que
869 le monde, et dans un monde qu’il approuve et dont il comprend les symboles. Mais la sécurité n’est que la moitié de l’affa
870 seulement transmission mais critique et rupture s’ il le faut ; qui n’est plus seulement tradition mais création, et qui n’
871 ngereux pour l’homme et pour sa liberté réelle, s’ ils restent séparés, isolés l’un de l’autre. En revanche, équilibrées et
872 qui peut rendre un sens à l’existence humaine. Or il se trouve que la plupart des conférences et groupes d’études organisé
873 et démocratique. Pour que notre vie ait un sens, il faut que la culture vivante recrée pour les hommes de ce temps des en
874 s hommes de ce temps des ensembles intelligibles. Il faut que nos activités humaines que nous avons spécialisées et séparé
875 je viens de le faire, j’ai voulu vous montrer qu’ il n’agit pas au niveau de la politique proprement dite, mais au niveau
876 sonne. La politique, nous n’y échapperons pas, et il est inutile d’insister sur ce fait, ici, dans ce Berlin où elle nous
877 le d’insister sur ce fait, ici, dans ce Berlin où elle nous cerne de toute part. Mais nous refusons d’accorder à la politiqu
878 ue lui donnent les totalitaires — tant qu’un jour il n’y a plus rien d’autre à faire qu’à se jeter à mains nues contre les
17 1960, Articles divers (1957-1962). La liberté et le sens de la vie (8 juillet 1960)
879 es traditionnelles mal préparées à les assimiler. Elles viennent enfin, ces menaces contre la liberté, de la misère morale où
880 ici qu’intervient la Culture, ou, en tout cas, qu’ elle doit et peut intervenir. Vous avez lu et entendu depuis longtemps tan
881 uer à sa place dans le monde, et dans un monde qu’ il approuve et dont il comprend les symboles. Mais la sécurité n’est que
882 le monde, et dans un monde qu’il approuve et dont il comprend les symboles. Mais la sécurité n’est que la moitié de l’affa
883 seulement transmission mais critique et rupture s’ il le faut ; qui n’est plus seulement tradition mais création, et qui n’
884 ngereux pour l’homme et pour sa liberté réelle, s’ ils restent séparés, isolés l’un de l’autre. En revanche, équilibrées et
885 qui peut rendre un sens à l’existence humaine. Or il se trouve que la plupart des conférences et groupes d’études organisé
886 et démocratique. Pour que notre vie ait un sens, il faut que la culture vivante recrée pour les hommes de ce temps des en
887 s hommes de ce temps des ensembles intelligibles. Il faut que nos activités humaines que nous avons spécialisées et séparé
888 n déduis que la fonction de notre Congrès, tel qu’ il est devenu depuis dix ans, s’élargissant progressivement aux dimensio
889 e tous côtés : Êtes-vous un mouvement politique ? Il me semble que le commentaire que je viens de vous donner de nos buts
890 je viens de le faire, j’ai voulu vous montrer qu’ il n’agit pas au niveau de la politique proprement dite, mais au niveau
891 sonne. La politique, nous n’y échapperons pas, et il est inutile d’insister sur ce fait, ici, dans ce Berlin où elle nous
892 le d’insister sur ce fait, ici, dans ce Berlin où elle nous cerne de toutes parts. Mais nous refusons d’accorder à la politi
893 que lui donnent les totalitaires, tant qu’un jour il n’y a plus rien d’autre à faire qu’à se jeter à mains nues contre les
894 lonté et à notre foi. Et alors, la liberté serait- elle du nombre de ces fins dernières, serait-elle à son tour un absolu ? N
895 rait-elle du nombre de ces fins dernières, serait- elle à son tour un absolu ? Non, certes, mais elle seule nous conduit à no
896 ait-elle à son tour un absolu ? Non, certes, mais elle seule nous conduit à nos fins. Car la liberté se concrétise dans l’au
18 1960, Articles divers (1957-1962). Originalité de la culture européenne comparée aux autres cultures (août 1960)
897 C’est en Europe seulement, jamais ailleurs, qu’ il m’est arrivé bien souvent d’entendre prononcer la phrase suivante : «
898 inent. Un homme qui nie que l’Europe existe et qu’ elle ait une culture commune ne saurait être un Asiatique, un Africain ou
899 les deux propositions contradictoires que voici. Ils affirment primo : qu’il n’y a pas de culture européenne commune, mais
900 ntradictoires que voici. Ils affirment primo : qu’ il n’y a pas de culture européenne commune, mais seulement des cultures
901 is seulement des cultures nationales, car, disent- ils , les Allemands et les Français, ou les Scandinaves et les Italiens, p
902 ts entre eux pour former une unité quelconque. Et ils affirment secundo : qu’il ne saurait y avoir de culture spécifiquemen
903 e unité quelconque. Et ils affirment secundo : qu’ il ne saurait y avoir de culture spécifiquement européenne, car, disent-
904 de culture spécifiquement européenne, car, disent- ils encore, toute vraie culture est universelle par définition, et nos pr
905 d’un myope, et la seconde, celle d’un presbyte. ( Il est d’autant plus curieux de les trouver souvent réunies chez un même
906 ori, l’originalité de notre culture et le fait qu’ elle nous est commune du Cap Nord au Péloponnèse et de Madrid à Varsovie,
907 s citée et publiée depuis : L’Européen ne serait- il pas cet homme étrange qui se manifeste comme Européen dans la mesure
908 anifeste comme Européen dans la mesure précise où il doute qu’il le soit et prétend au contraire s’identifier soit avec l’
909 me Européen dans la mesure précise où il doute qu’ il le soit et prétend au contraire s’identifier soit avec l’homme univer
910 une seule nation du grand complexe européen, dont il révèle ainsi qu’il fait partie par le seul fait qu’il le conteste ?
911 grand complexe européen, dont il révèle ainsi qu’ il fait partie par le seul fait qu’il le conteste ? C’est donc dans le
912 évèle ainsi qu’il fait partie par le seul fait qu’ il le conteste ? C’est donc dans le fait de notre exceptionnelle divers
913 e) serviront d’exemples pour la deuxième formule. Il suffira, je crois, de ces brèves indications, pour faire bien voir qu
914 e, que dans le libre jeu de ses diversités. Mais il est temps de nous demander d’où proviennent ces fameuses diversités,
915 ù proviennent ces fameuses diversités, et comment il se fait que l’Europe en ait tant et même les multiplie comme à plaisi
916 pluralité des origines de notre civilisation ; et elles sont entretenues ou renouvelées sans cesse par notre refus déclaré de
917 foi, le guerrier germain qui se sent libre quand il touche son épée, le Celte romantique et magique — et nous descendons
918 ultiples, et des valeurs souvent incompatibles qu’ elle en a héritées, l’Europe n’a jamais pu s’ordonner à une seule doctrine
919 l’a décrite Novalis : nous savons aujourd’hui qu’ il n’en fut rien, et que les conflits qui déchirèrent le Moyen Âge ne fu
920 s produit seulement de l’anarchie et des guerres. Il a contraint les élites, et par elles la partie agissante des masses e
921 et des guerres. Il a contraint les élites, et par elles la partie agissante des masses européennes, à développer ce que je vo
922 s’impliquent mutuellement en Europe. En revanche, il est évident qu’elles se voient réprimées, débilitées, sinon radicalem
923 llement en Europe. En revanche, il est évident qu’ elles se voient réprimées, débilitées, sinon radicalement exclues, par tout
924 rées par les civilisations du Proche-Orient. Mais il a été fortement développé par la théodicée chrétienne, comme l’ont mo
925 pas tricher non plus avec la réalité du monde qu’ il a créé. Dans nos rapports avec Dieu et le monde, nous ne pouvons pas
926 ilosophiques, mais aussi de nos sciences exactes. Elle développera dans nos élites intellectuelles le sens critique, au nom
927 ». Quand un ingénieur européen énonce un chiffre, il le veut exact à la nième virgule près, car autrement le pont cédera s
928 n Oriental énonce un chiffre exorbitant, c’est qu’ il espère en obtenir un autre, ou qu’il veut plaire ou intimider, ou se
929 nt, c’est qu’il espère en obtenir un autre, ou qu’ il veut plaire ou intimider, ou se faire valoir. Il plaide, il marchande
930 ’il veut plaire ou intimider, ou se faire valoir. Il plaide, il marchande, il joue, pendant que nous vérifions une fois de
931 aire ou intimider, ou se faire valoir. Il plaide, il marchande, il joue, pendant que nous vérifions une fois de plus nos c
932 der, ou se faire valoir. Il plaide, il marchande, il joue, pendant que nous vérifions une fois de plus nos calculs… Deuxiè
933 lture : le sens de la responsabilité personnelle. Il s’enracine dans la notion chrétienne de la personne humaine, c’est-à-
934 on destin sur la terre comme au ciel, destin dont il se croit ou se veut le maître, pour une part tout au moins, grande ou
935 e l’Europe existe — mais décisive pour le sens qu’ il donne à sa vie. D’où résulte une double exigence de recueillement en
936 qui exclut comme illusoire la solidarité, puisqu’ elle refuse la réalité du prochain. Et certes, cela ne signifie pas théori
937 culture européenne, c’est le sens de la liberté. Il est clair que ce sens est étroitement lié à celui de la responsabilit
938 n’est vraiment libre que dans la seule mesure où il est responsable de son sort, et à l’inverse, on ne saurait tenir un h
939 ponsable de ses actes que dans la seule mesure où ils sont faits librement. Notre sens de la liberté est aussi complexe que
940 à doses variables dans notre idée de la liberté. Il n’est pas de concept plus difficile à définir, ni plus facile à nier
941 e à définir, ni plus facile à nier en théorie, et il n’est pas d’idée plus exaltante en fait pour les Européens de toute n
942 rdinales, paraîtront peut-être un peu abstraites. Il est temps que je les illustre. Au lieu d’expliquer laborieusement les
943 les techniques qui en dérivent jusqu’au point où elles permettent non seulement à l’homme de dominer la matière, mais à l’hu
944 es Européens qui ont inventé l’archéologie, comme ils ont inventé l’ethnographie à partir de la découverte géographique du
945 sations prodigieuses de siècles et de continents, ils ont élaboré les préalables d’une science comparée des cultures et des
946 et cette sociologie totale ou planétaire, prépare elle aussi les voies de l’unité future du genre humain. Sciences, physique
947 ons ! — voilà ce que l’Europe a créé, voilà ce qu’ elle offre désormais au monde entier. Or toutes ces créations sont nées de
948 es ces créations sont en expansion vers le monde, elles appellent le monde, elles s’en nourrissent, et toutes, elles préparen
949 xpansion vers le monde, elles appellent le monde, elles s’en nourrissent, et toutes, elles préparent son unité après avoir ex
950 lent le monde, elles s’en nourrissent, et toutes, elles préparent son unité après avoir exploré ses variétés. Je n’essaierai
951 es créations européennes que je viens d’énumérer. Il y faudrait tout un livre, et il se trouve que je l’ai déjà écrit. Je
952 viens d’énumérer. Il y faudrait tout un livre, et il se trouve que je l’ai déjà écrit. Je me bornerai donc à rappeler, mai
953 ’Europe et de son histoire, et voici que pourtant elle crée le monde, elle crée la possibilité d’un genre humain qui, sans e
954 stoire, et voici que pourtant elle crée le monde, elle crée la possibilité d’un genre humain qui, sans elle, n’eût jamais pr
955 e crée la possibilité d’un genre humain qui, sans elle , n’eût jamais pris conscience de son existence virtuelle, ni des prob
956 dépossédés de leurs pouvoirs par ce monde même qu’ ils ont suscité. Et Dieu sait de quelle manière les autres continents men
957 mondiale. Moment dramatique et passionnant, dont il nous faut tâcher d’évaluer les risques angoissants et les chances adm
958 uissance matérielle, nos produits en un mot. Mais il ne reçoit pas les valeurs religieuses, éthiques et philosophiques, qu
959 es permettraient de les maintenir en composition. Il retourne contre nous ces produits — tels que le nationalisme par exem
960 plement, notre psychologie et notre spiritualité. Il exige nos machines, mais refuse ou ignore notre éthique de travail. I
961 , mais refuse ou ignore notre éthique de travail. Il veut que nous l’aidions à mieux vivre, mais dédaigne notre idéal de l
962 d’autre qui soit en mesure d’y prétendre mieux qu’ elle , ou qui soit susceptible mieux qu’elle d’animer la civilisation née d
963 e mieux qu’elle, ou qui soit susceptible mieux qu’ elle d’animer la civilisation née de nos œuvres. Alors, que faire ? Que de
964 , qui a inventé le monde dans la mesure exacte où elle a découvert le genre humain. Et le sort de l’Europe dépend de son uni
965 maintenant d’autres motifs, beaucoup plus vastes. Il nous faut faire l’Europe, parce qu’il faut faire le monde, et que l’E
966 lus vastes. Il nous faut faire l’Europe, parce qu’ il faut faire le monde, et que l’Europe seule peut le faire. Or, elle do
967 e monde, et que l’Europe seule peut le faire. Or, elle doit d’abord exister. Mais on me dira, et une part de moi-même me dit
968 e salut, le sens de notre vie individuelle, n’est- il pas beaucoup plus important ? Question européenne par excellence. Mai
969 ’humanité entière, embarquée pour la découverte d’ elle ne sait quel Eldorado, d’elle ne sait quelle Toison d’or, symboles du
970 our la découverte d’elle ne sait quel Eldorado, d’ elle ne sait quelle Toison d’or, symboles du sens dernier de la vie. Ceci
971 omb, au matin du départ à Palos de Moguer. Auront- elles le tonnage, la voilure nécessaires ? Ou bien ne faut-il pas nous dema
972 tonnage, la voilure nécessaires ? Ou bien ne faut- il pas nous demander, plutôt, si l’homme qui les conduit a la foi nécess
973 es lecteurs hésitent à me donner raison, parce qu’ ils doutent de l’avenir prochain de notre Europe, et de son pouvoir de fa
19 1960, Articles divers (1957-1962). Une fusée à trois étages : bref historique de la Fondation (octobre 1960)
974 e premier rang dans le monde pendant des siècles, elle l’a dû à sa faculté de créer des valeurs morales, des structures de l
975 re fiers d’une telle culture. Cependant, que font- ils aujourd’hui non seulement pour la conserver, mais encore et surtout,
976 du xxe siècle né de leurs propres œuvres ? Quand il s’agit de financer un projet culturel, un institut nouveau, des reche
977 t bien accepter la présidence de la Fondation, et il n’a cessé de l’exercer effectivement depuis lors. Pour faciliter les
978 sembler les fonds qui lui avaient été promis. Car elle ne disposait pas, comme les fondations américaines, d’un capital init
979 les fonds viennent à qui sait entreprendre, et qu’ ils seraient donc trouvés dans la mesure même où les activités paraîtraie
980 éunion des gouverneurs à Genève, le 16 mars 1957, il fut convenu que la Fondation établirait son siège d’opérations à Amst
981 es institutions culturelles existantes. Dès 1960, elle compte répartir entre ses membres des subventions et des bourses pour
982 notre Fondation atteint ainsi, en 1960, le but qu’ elle s’était fixé au départ, ce succès se trouvera coïncider fort heureuse
20 1961, Articles divers (1957-1962). Tristan et Iseut à travers le temps (1961)
983 s soins de Joseph Bédier : Seigneurs, vous plaît- il d’entendre un beau conte d’amour et de mort ? Seigneurs et dames ici
984 cientifique, et sérieuse aux yeux des confrères : ils ont permis à l’Occident moderne de reprendre conscience d’une de ses
985 r œuvre en une seule expression, moins pédante qu’ elle ne paraît à première vue : avec la légende de Tristan, c’est l’étymol
986 tre le mot primitif et les mots dérivés. De plus, elles donnent de la justesse dans le choix de l’expression. Il me plaît de
987 nt de la justesse dans le choix de l’expression. Il me plaît de traduire cette belle définition dans les termes de notre
988 dans nos littératures et dans nos vies. De plus, elles donnent de la justesse dans le style de nos émotions. » À mon sens,
989 nt bien autre chose qu’un thème romanesque, — fût- il même le thème exemplaire, l’archétype de tous les romans vraiment dig
990 hétype de tous les romans vraiment dignes du nom. Ils sont comme les premières apparitions, comme les épiphanies quasi sacr
991 public une justification de l’usage personnel qu’ il en fait. Un mythe, au sens où je l’entends, c’est une histoire, génér
992 rigueur en formules de biochimie. De quoi s’agit- il donc ici ? Entre le corps et l’intellect, la tradition distingue une
993 ieux de l’éloquence classique de la chaire, quand elle parle du « salut des âmes », ou « d’immortalité de l’âme ». Je prends
994 celle du corps ni celle de l’intellect, encore qu’ elle tienne aux deux, c’est l’évidence, mais qui est bien plutôt celle du
995 ce de l’âme. Or c’est dans le mythe de Tristan qu’ il a trouvé son expression la plus totale, délicieuse et tragique à la f
996 cieuse et tragique à la fois. C’est à ce mythe qu’ il doit, depuis le xiie siècle, et dans nos sociétés occidentales, son
997 pouvoirs, mais aussi dans l’erreur innombrable qu’ il suscite ou qu’il entretient au niveau de l’existence banale. Tristan,
998 ssi dans l’erreur innombrable qu’il suscite ou qu’ il entretient au niveau de l’existence banale. Tristan, c’est tout d’abo
999 oujours fuyante mais en fuite vers la hauteur, où elle entraîne l’amant ravi. Vous avez reconnu la conclusion gnostique du S
1000 the de Tristan élève ainsi devant nos yeux, ce qu’ il illustre en sa simplicité majestueuse, c’est l’intensité de l’amour,
1001 ’âme ouverte sur l’esprit, libérée des corps dont elle vient, et survolant les irritantes vicissitudes de notre incarnation
1002 essible. Mais la réalité est lourdement présente. Elle ne saurait donc que freiner l’élan de l’âme vers l’Ange désiré. « Ce
1003 l’amour. Le mari, lui, a partagé la vie d’Iseut. Il reste seul vivant, mais sans amour. Aux yeux du mythe, il est perdant
1004 seul vivant, mais sans amour. Aux yeux du mythe, il est perdant. À ce premier aspect de notre légende : l’amour-passion t
1005 e du mythe, dans nos mœurs et coutumes, ne serait- elle que l’histoire d’une longue profanation ? Faut-il penser que les pouv
1006 le que l’histoire d’une longue profanation ? Faut- il penser que les pouvoirs du mythe sont épuisés et que nous serons peut
1007 nde primitive ? Mais si le mythe est épuisé, et s’ il était vraiment un mythe de l’âme, faut-il conclure que c’est l’âme el
1008 é, et s’il était vraiment un mythe de l’âme, faut- il conclure que c’est l’âme elle-même, la fonction émotive, dans l’homme
1009 et la science, et une dose de psychanalyse, vont- elles exorciser la société future, évacuant les dernières passions ? Une an
1010 ours des siècles, inclinerait à cette conclusion. Elle consisterait à montrer la dégradation continue et, semble-t-il, irrév
1011 it à montrer la dégradation continue et, semble-t- il , irréversible, des obstacles opposés à la passion. Or on sait que la
1012 es, naturels ou sacrés, coutumiers ou légaux ; qu’ elle s’en nourrit et même les invente au besoin. Sans les obstacles accumu
1013 age d’Iseut avec le Roi, père adoptif du héros —, il n’y aurait pas de roman, ni de passion mortelle, il n’y aurait donc p
1014 n’y aurait pas de roman, ni de passion mortelle, il n’y aurait donc pas eu de mythe. On ne saurait imaginer le grand roi
1015 provoquer celle-ci par ses refus intransigeants, il prétend se fonder sur l’amour-sentiment, succédané édulcoré, achevant
1016 ndements. La passion se fait rare de nos jours, s’ il faut en croire nos romanciers. Ils savent bien que le roman véritable
1017 de nos jours, s’il faut en croire nos romanciers. Ils savent bien que le roman véritable n’est jamais qu’une version renouv
1018 on renouvelée de l’archétype de Tristan et Iseut. Ils cherchent donc partout l’obstacle qui résiste, et n’en trouvent guère
1019 t de la passion. Que deviendront nos romanciers ? Il leur reste le réalisme, le regard pseudo-scientifique détaillant des
1020 re. Ou bien encore, et ce serait mieux, je crois, il leur reste le mythe de Don Juan, ce cliché négatif de Tristan : la su
1021 mourir. Je vous dis que je n’en crois rien. Car s’ il est vrai que la passion se nourrit d’obstacles choisis, et que notre
1022 oisis, et que notre culture tend à les supprimer, il reste un obstacle suprême, celui-là justement dont triomphe la passio
1023 dé à nos sciences, ou c’est tout comme. Qu’en est- il du dernier barrage que notre condition d’êtres finis oppose à notre a
1024 l’Amour même ? Si la passion vit de séparations, il est bien clair que la séparation la plus irrémédiable est dans la mor
1025 , les amants légendaires sont entrés, nous disent- ils , dans les voies d’une destinée « qui jamais ne leur fauldra jour de l
1026  qui jamais ne leur fauldra jour de leur vie, car ils ont beu leur destruction et leur mort ». Certes, c’est vrai pour leur
1027 ’est vrai pour leur existence dans ce monde, mais ils ont aussi bu l’Amour, un amour qui s’adresse à la part immortelle que
1028 n plaisir que l’usage en moi a fait si fort qu’ il me donne l’audace de négocier avec la mort. Et Wagner, le dernier au
1029 t. Et Wagner, le dernier auteur de la légende qu’ il a su recréer d’après nature, s’inspirant de Gottfried de Strasbourg,
1030 rizon de la mort est l’ultime sens du mythe. Mais il faut croire aux anges pour y croire. Selon la mythologie de l’ancien
1031 ois jours après la mort d’amour. Iseut n’évoque-t- elle point cette forme de lumière qu’on ne rejoint que dans un au-delà, et
1032 étienne de l’amour du prochain ne s’en trouverait- elle pas éclairée, à son tour ? Aimer le prochain « comme soi-même » suppo
1033 laquelle on ne saurait s’aimer soi-même, puisqu’«  il faut être deux pour aimer », comme dit la sagesse populaire. Aimer vr
1034 de l’homme ne peut nous être ici d’aucun secours. Il faut aimer, pour le comprendre et rapporter l’amour à ses fins spirit
1035 s. Et ce n’est pas seulement de la littérature qu’ ils ont bien mérité, mais de l’âme. aa. Rougemont Denis de, « Tristan
1036 b. Précédé de la note suivante : « Le fauteuil où il est élu n’ayant jamais eu de titulaire depuis la fondation de l’Acadé
1037 ait pas à rappeler le souvenir d’un prédécesseur. Il lui fut donc loisible d’y indiquer d’intéressantes théories sur le ro
1038 Delbouille qui avait traité le même thème. Quand elle eut appris que tel était le dessein des deux orateurs, l’Académie s’a
21 1961, Articles divers (1957-1962). Nos meilleurs esprits (1961)
1039 uisse n’a donné au monde que la pendule à coucou. Il entendait que la Suisse n’a pas produit de grands hommes, comme l’Ita
1040 -Unis Orson Welles. Sa boutade est moins sotte qu’ elle n’en a l’air. Trois raisons l’excusent à mes yeux, sans la justifier
1041 x, sans la justifier pour autant. Et tout d’abord il faut bien constater que dans la petite phrase incriminée, la plupart
1042 s compatriotes ne voient pas malice, persuadés qu’ ils sont que l’horlogerie suisse donne l’heure au monde entier et ne crai
1043 ne l’heure au monde entier et ne craint personne. Il faut admettre ensuite que notre aurea mediocritas saute aux yeux du p
1044 dotés d’une bonne culture moyenne. Et finalement, il faut avouer que le statut du « grand homme » en Suisse, en vertu de l
1045 sible. Comment veut-on qu’un étranger le voit ? S’ il vient chez nous et cite l’un des Suisses qu’il connaît par sa réputat
1046 S’il vient chez nous et cite l’un des Suisses qu’ il connaît par sa réputation mondiale, pas une personne sur mille, prise
1047 vre entier : imaginons du moins son argument. ⁂ S’ il me fallait décrire la Suisse en une seule phrase, comme il arrive que
1048 lait décrire la Suisse en une seule phrase, comme il arrive que des touristes l’exigent, je dirais : un pays de petits com
1049 en une demi-heure, parfois en deux minutes comme il arrive quand on traverse le tunnel de Chexbres : la vue se ferme sur
1050 i bien que l’homme de poids y sera surtout local. Il sera le grand homme d’une vallée, d’une cité, plus rarement celui d’u
1051 and musicien, un grand poète ou un grand peintre, il faut un milieu, une école, un public excité, un snobisme ou une cour,
1052 ue fera l’homme de talent, d’ambition, de génie ? Il ne peut que se cacher dans son coin, ou tenter de se rendre utile, ou
1053 la Suisse : Pays de gens moyens, oui. Mais quand ils réussissent à se dégager de leur canton — alors pas de milieu, ils at
1054 se dégager de leur canton — alors pas de milieu, ils atteignent à l’universel. Au fond de son trou, l’homme de Disentis, d
1055 ège, entre les hautes parois de sa prison. Mais s’ il monte sur la montagne… Alors cette ivresse des sommets. L’intuition d
1056 vant la pensée. Le Suisse s’appelle Jean-Jacques. Il s’appelle Germaine de Staël. Il s’appelle Burckhardt ou, dans un autr
1057 lle Jean-Jacques. Il s’appelle Germaine de Staël. Il s’appelle Burckhardt ou, dans un autre domaine, Karl Barth. Son canto
1058 est bien dit et bien vu, mais le Français ne fait- il pas trop belle la part des Suisses dans la culture humaine, tandis qu
1059 ndis que notre Américain la réduisait au joujou ? Il est vrai que nos meilleurs esprits, hors de l’étroit compartiment nat
1060 me : un ou deux exceptés (et cela se discuterait) ils furent tous, à des titres divers, des hommes utiles, des penseurs eng
22 1961, Articles divers (1957-1962). Culture et technique (juillet 1961)
1061 optée par l’URSS et de là, transplantée en Chine, elle est devenue, au cours de ces dernières années, non seulement l’idéal,
1062 alifiés. L’URSS est peut-être la seule exception. Il en résulte qu’on propose un peu partout d’orienter les études, dès l’
1063 la technique ne saurait faire de vrais progrès si elle se coupe de la culture. Je pense donc que l’opposition entre la cultu
1064 peu de temps. Pour établir cette thèse centrale, il faudrait des volumes et toute une vie de recherches. Je vais devoir m
1065 très typiques d’inventions techniques décisives. Elles dépendent, non point des « lois de l’économie » dont parlaient Marx e
1066 ons de notre culture. Pourquoi l’homme fabrique-t- il des outils ? Quels sont donc les motifs profonds de la technique ? To
1067 umains. L’homme primitif crée des outils parce qu’ il joue avec les démons cachés dans le feu ou dans la pierre, dans l’eau
1068 l’animal, dans ses songes et ses rêves éveillés. Il exorcise prudemment la Nature peuplée de dieux ou de malicieux lutins
1069 dieux ou de malicieux lutins. L’homme moderne est- il très différent ? Prenons quelques exemples de ses inventions techniqu
1070 s scientifiques, cherchait à construire, nous dit- il , une « locomotive routière » qui ne fût pas astreinte à suivre la loi
1071 ntiel et intégral et la philosophie de la Nature, il prit le temps d’imaginer les plans d’une machine nouvelle, qui devint
1072 t du xviiie siècle était des plus rudimentaire : il fallait qu’un surveillant introduise de temps à autre un jet d’eau fr
1073 oide, rendant ainsi le processus automatique ; et il fit cela, nous disent les récits de l’époque, afin de pouvoir aller j
1074 s matériels, pourquoi ferait-on de la publicité ? Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, l’explication utilitaire ou écon
1075 ittèrent la Terre. Mais vous êtes tous témoins qu’ il n’en est rien. C’est la nature de nos rêves constants qui détermine n
1076 niques. Mais nos rêves à leur tour, d’où viennent- ils  ? Ils expriment nos croyances autant que nos instincts, les interdits
1077 . Mais nos rêves à leur tour, d’où viennent-ils ? Ils expriment nos croyances autant que nos instincts, les interdits socia
1078 s sciences et la littérature. C’est évident. Mais il ne faut pas oublier qu’ils se nourrissent en retour de la culture : n
1079 re. C’est évident. Mais il ne faut pas oublier qu’ ils se nourrissent en retour de la culture : nos lectures, les tableaux q
1080 que nous aurions à subir, mais bien au contraire, elle exprime des vœux profonds dont nous sommes responsables. Il en résult
1081 des vœux profonds dont nous sommes responsables. Il en résulte que la culture et la technique ne sauraient être opposées
1082 auraient être opposées dans leurs sources, puisqu’ elles procèdent de nos mêmes rêves fondamentaux. Cette thèse présente l’av
1083 les robots, les cerveaux électroniques. Que faut- il donc penser de cette longue plainte qui fut mise à la mode par Bergso
1084 vases de Chine. Si on laisse la bombe tranquille, elle ne fera rien, c’est clair. Elle se tiendra coite dans sa caisse. Qu’o
1085 bombe tranquille, elle ne fera rien, c’est clair. Elle se tiendra coite dans sa caisse. Qu’on ne nous raconte donc pas d’his
1086 Qu’on ne nous raconte donc pas d’histoires. Ce qu’ il nous faut, c’est un contrôle de l’homme. Il n’est pas d’invention, s
1087 e qu’il nous faut, c’est un contrôle de l’homme. Il n’est pas d’invention, si simple et si utilitaire soit-elle, qui ne p
1088 pas d’invention, si simple et si utilitaire soit- elle , qui ne puisse être mise au service des passions meurtrières de l’hom
1089 on rythme, devient au contraire libérateur dès qu’ il est poussé jusqu’au bout, et qu’il n’a plus besoin d’être servi, mais
1090 érateur dès qu’il est poussé jusqu’au bout, et qu’ il n’a plus besoin d’être servi, mais seulement surveillé par l’homme. M
1091 et privée du même coup du droit de se plaindre qu’ elle n’a pas le temps de se cultiver ! Bien sûr, nous ne confondrons pas l
1092 travail, c’est même le vrai travail humain. Mais il est clair que si le temps libre est augmenté, la consommation de la c
1093 ugmenté, la consommation de la culture augmentera elle aussi, et que par suite, les conditions du producteur de la culture s
1094 ivement plus importants que le travail routinier. Il en résultera que la culture deviendra le sérieux de la vie. Je résume
1095 techniciens. Deux exemples : la France déclare qu’ elle manque dès aujourd’hui d’environ cinquante mille techniciens et ingén
1096 mille techniciens et ingénieurs. Quant à l’URSS, elle subordonne toute son éducation scolaire et universitaire à la seule f
1097 r laquelle est assise notre puissance technique ; elle se nomme culture générale. Les plus grands inventeurs de tous les tem
1098 s politiquement disciplinées, ou même d’écoles où ils n’auraient reçu qu’une instruction purement technique. L’ère nouvelle
1099 enseignement à leur seule formation spécialisée, il en résultera 1° que nous aurons moins de grands inventeurs et 2° que
1100 théoriquement la culture et la technique comme s’ il s’agissait de deux entités indépendantes et au surplus rivales. Nous
1101 vu que leurs sources créatrices sont communes, qu’ elles jaillissent du même fonds et s’alimentent aux mêmes nappes profondes
1102 mbre de ces amateurs est en même temps multiplié. Il en va de même pour les pièces de théâtre, grâce à la radio, pour les
1103 ociété a besoin d’innombrables techniciens, et qu’ il s’agit de les former d’urgence aux dépens des humanités et de la cult
1104 RSS a décidé de sacrifier la culture générale, et elle a produit les Spoutniks. Je crains pour elle que ses premiers succès
1105 , et elle a produit les Spoutniks. Je crains pour elle que ses premiers succès ne l’aveuglent et que sa politique éducative
1106 que sa politique éducative ne soit à courte vue ; elle repose en effet sur l’idée que la formation technique exclusive favor
1107 ens qui ont réalisé la fission de l’atome comment il travaillait à cette époque. Il me décrivit en détail ses méthodes, et
1108 de l’atome comment il travaillait à cette époque. Il me décrivit en détail ses méthodes, et il conclut : « Vous voyez, not
1109 époque. Il me décrivit en détail ses méthodes, et il conclut : « Vous voyez, notre activité réelle, c’est un mélange de po
1110 asses, à la stagnation, ou à des monstruosités. S’ il nous faut davantage de techniciens et de chercheurs scientifiques, il
1111 ge de techniciens et de chercheurs scientifiques, il nous faut donc davantage de culture générale, et non pas moins, et se
1112 d’emploi, et nos remèdes deviendront des poisons. Il est donc temps, pour nous Occidentaux, d’adjoindre à l’assistance tec
1113 clusion : L’économie occidentale qui sait bien qu’ elle dépend de la technique, doit comprendre aussi que la technique dépend
1114 que la technique dépend de la culture créatrice. Il est vital pour l’avenir de l’économie en Occident, de soutenir la cul
1115 voudrais appeler l’indice de l’équilibre humain. Il appartient à la culture de concevoir cet équilibre, d’en formuler les
1116 z souple pour servir de modèle à tous les hommes. Il appartient donc conjointement à la culture et à l’économie, qui trouv
23 1961, Articles divers (1957-1962). Le Temps de la louange (été 1961)
1117 emise, vint s’asseoir à côté de moi sur le tapis. Il arrivait tout droit de la rédaction de Combat et voulait savoir son a
1118 ns beaucoup à faire ensemble. Deux ans plus tard, il devenait mon collaborateur le plus actif et imaginatif au Centre euro
1119 if au Centre européen de la culture, à Genève, qu’ il ne devait quitter qu’un an avant sa mort. Je parlerai de sa personne.
1120 n an avant sa mort. Je parlerai de sa personne. ⁂ Il était alsacien, né à Strasbourg, et son père descendait d’une famille
1121 e sang slave et possédant la bourgeoisie de Bâle. Il avait épousé une Anglaise. Il rêvait d’être un jour Suisse, ou Chilie
1122 ourgeoisie de Bâle. Il avait épousé une Anglaise. Il rêvait d’être un jour Suisse, ou Chilien peut-être. Avec tout cela, F
1123 langage, d’impeccable ordonnance intellectuelle. Il excellait en tout et passait au-delà, avec cette « casual brilliance 
1124 , titulaire d’une émission française de la BBC qu’ il rendit rapidement fameuse, finalement animateur et conseiller d’organ
1125 sations européennes et internationales auxquelles il prêtait le rayonnement d’une culture exceptionnellement étendue, d’un
1126 eilleur des qualités germaniques et françaises, —  il semblait toujours que tout cela devait le conduire ailleurs, le prépa
1127 t… Rejoignant enfin sa vraie vocation, peut-être, il venait de donner les témoignages d’une soudaine maîtrise poétique, d’
1128 nt réaliste et religieux. Puis, une fois de plus, il est passé au-delà, emporté par un mal qu’il avait su décrire dans un
1129 plus, il est passé au-delà, emporté par un mal qu’ il avait su décrire dans un bref poème prophétique, quelques semaines av
1130 taque, suivie d’une opération au cerveau. Fallait- il vraiment, écrivait-il alors, être « nettoyé » par cette maladie morte
1131 ération au cerveau. Fallait-il vraiment, écrivait- il alors, être « nettoyé » par cette maladie mortelle, en vue d’un « nou
1132 die mortelle, en vue d’un « nouveau travail » ? ⁂ Il n’aimait pas les discussions métaphysiques ni qu’on lui demandât ce q
1133 ussions métaphysiques ni qu’on lui demandât ce qu’ il croyait. D’une thèse ou d’un point de vue qu’on le pressait d’adopter
1134 n le pressait d’adopter, de fonder ou de réfuter, il disait, coupant court, et comme en aparté : « Ceci n’est pas conforme
1135 pas conforme à ma théologie. » Et l’on sentait qu’ il s’agissait en lui non pas d’une objection logique ou de doctrine, mai
1136 tait celui d’un absolu monothéisme, au nom duquel il récusait toutes les constructions dogmatiques — saint Thomas, Calvin
1137 ar le nihilisme ou simplement par la révolte. Car il croyait que notre incohérence aveugle avait un sens ailleurs, heureux
1138 désirs et décisions évoluaient à ses yeux, comme il aimait à dire : « dans la confusion générale ». Tel étant de toute év
1139 ». Tel étant de toute évidence le train du monde, il fallait naviguer dans la vie d’un signe à l’autre, guidé par la seule
1140 me et des conditions élémentaires d’une carrière. Il avait de lui-même et du monde une idée telle que les soucis multiplié
1141 ie quotidienne mal ordonnée, et les besognes dont il s’acquittait pour s’en tirer ne l’atteignaient pas, quoique l’empêcha
1142 quoique l’empêchant, hélas ! d’écrire son œuvre. Il avait été Roi dans une autre existence, il le savait absolument ; il
1143 œuvre. Il avait été Roi dans une autre existence, il le savait absolument ; il pouvait être dans cette vie reporter et boh
1144 ns une autre existence, il le savait absolument ; il pouvait être dans cette vie reporter et bohème, romancier ou poète, —
1145 tte vie reporter et bohème, romancier ou poète, —  il voulut même, un temps, devenir banquier, et riche. L’insignifiance fo
1146 ouvoir apparent passait parfois dans ses propos. ( Il eût fait un fort bel empereur romain-germanique et d’expression franç
1147 permettaient de donner le change au premier venu. Il protégeait en lui le grand poète qu’il se sentait devenir dans « le t
1148 mier venu. Il protégeait en lui le grand poète qu’ il se sentait devenir dans « le temps saugrenu » de la vie brève, et qu’
1149 dans « le temps saugrenu » de la vie brève, et qu’ il deviendra parmi nous, pour quelques-uns, dans le temps signifiant de
24 1962, Articles divers (1957-1962). Jonas [préface] (1962)
1150 e sang slave et possédant la bourgeoisie de Bâle. Il avait épousé une Anglaise. Il rêvait d’être un jour suisse ou chilien
1151 ourgeoisie de Bâle. Il avait épousé une Anglaise. Il rêvait d’être un jour suisse ou chilien peut-être. Avant tout cela, F
1152 langage, d’impeccable ordonnance intellectuelle. Il excellait en tout et passait au-delà, avec cette « brillante désinvol
1153 , titulaire d’une émission française de la BBC qu’ il rendit rapidement fameuse, finalement animateur et conseiller d’organ
1154 sations européennes et internationales auxquelles il prêtait le rayonnement d’une culture exceptionnellement étendue, d’un
1155 meilleur des qualités germaniques et françaises, il semblait toujours que tout cela devait le conduire ailleurs, le prépa
1156 t… Rejoignant enfin sa vraie vocation, peut-être, il venait de donner les témoignages d’une soudaine maîtrise poétique, d’
1157 nt réaliste et religieux. Puis, une fois de plus, il est passé au-delà, emporté par un mal qu’il avait su décrire dans un
1158 plus, il est passé au-delà, emporté par un mal qu’ il avait su décrire dans un bref poème prophétique, quelques semaines av
1159 taque, suivie d’une opération au cerveau. Fallait- il vraiment, écrivait-il alors, être « nettoyé » par cette maladie morte
1160 ération au cerveau. Fallait-il vraiment, écrivait- il alors, être « nettoyé » par cette maladie mortelle, en vue d’un « nou
25 1962, Articles divers (1957-1962). Calvin (1962)
1161 1509 à Noyon, d’une famille de bourgeoisie aisée. Il reçoit une bonne instruction générale, puis va à Paris étudier la thé
1162 étudier le droit. Quand son père meurt, en 1531, il réalise sa part d’héritage, vend ses bénéfices, et ne s’occupe plus q
1163 s bénéfices, et ne s’occupe plus que de religion. Il prêche. Il doit s’enfuir à Nérac auprès de la reine de Navarre, puis
1164 , et ne s’occupe plus que de religion. Il prêche. Il doit s’enfuir à Nérac auprès de la reine de Navarre, puis à Bâle, où
1165 ac auprès de la reine de Navarre, puis à Bâle, où il écrit L’Institution chrétienne qu’il publie en 1536. Après un séjour
1166 s à Bâle, où il écrit L’Institution chrétienne qu’ il publie en 1536. Après un séjour à Ferrare, il est retenu à Genève par
1167 qu’il publie en 1536. Après un séjour à Ferrare, il est retenu à Genève par Guillaume Farel et invité à y organiser l’Égl
1168 gistrats en 1538, Calvin s’en va à Strasbourg, où il se marie. Rappelé à Genève en 1540, il y reste jusqu’à sa mort, qui s
1169 sbourg, où il se marie. Rappelé à Genève en 1540, il y reste jusqu’à sa mort, qui survient le 27 mai 1564. Œuvres. Christ
1170 t manifeste39 que « l’écrivain, dans la mesure où il s’occupe des vicissitudes de l’époque et tente de s’y mêler — de les
1171 d’écrivain », alors Calvin n’est pas un écrivain. Il a créé un style et un vocabulaire, et la langue des idées en France,
1172 poque, et diriger les hommes à leur fin de salut. Il n’a écrit que pour mieux faire comprendre l’Écriture, parlé que pour
1173 ini. Les manuels ont beau dire, je ne vois pas qu’ il ait eu la moindre « influence » vérifiable sur la littérature françai
1174 jours par « la littérature » dans les milieux où elle se crée et se cultive pour elle-même, se définit précisément comme qu
1175 ages de décrire par le terme d’engagement, — dont il semble qu’on ait abusé — s’origine sans nul doute chez Calvin et n’a
1176 er est aussi gras et sanguin que Thomas d’Aquin — il ne séduit que par la démesure d’une inflexible discipline intime. Rie
1177 estinait à la science des lois, pour la raison qu’ elle enrichit ceux qui la suivent, nous dit-il. Dieu toutefois me fit tou
1178 on qu’elle enrichit ceux qui la suivent, nous dit- il . Dieu toutefois me fit tourner bride… Ayant donc reçu quelque goût e
1179 it tournoyer par divers changements que toutefois il ne m’a jamais laissé de repos en lieu quelconque jusques à ce que, ma
1180 quelconque jusques à ce que, malgré mon naturel, il m’a produit en lumière et fait venir en jeu, comme on dit. L’aventur
1181 sous peine de mort d’imprimer aucun livre quel qu’ il soit. Calvin qui fuit de ville en ville arrive à Bâle, pour y vivre c
1182 e la défense des « saints martyrs », de peur, dit- il , qu’en se taisant il ne se montre lâche et déloyal. C’est ainsi qu’il
1183 ints martyrs », de peur, dit-il, qu’en se taisant il ne se montre lâche et déloyal. C’est ainsi qu’il rédige en latin, de
1184 il ne se montre lâche et déloyal. C’est ainsi qu’ il rédige en latin, de mars à août, les cinq-cent-vingt pages de sa prem
1185 en français l’épître liminaire au roi de France. Il a vingt-cinq ans. Il vient d’élaborer en quelques mois, — « dans des
1186 liminaire au roi de France. Il a vingt-cinq ans. Il vient d’élaborer en quelques mois, — « dans des veilles mémorables, c
1187 urs de notre histoire occidentale. Et de nouveau, il fuit devant l’éclat que fait dans le monde ce « petit livret », comme
1188 que fait dans le monde ce « petit livret », comme il l’appelle. Passant à Genève par hasard, il comptait n’y rester qu’une
1189 comme il l’appelle. Passant à Genève par hasard, il comptait n’y rester qu’une nuit. Mais là, « maître Guillaume Farel me
1190 aix de ses études, maudite par les cris de Farel. Il n’accepte pourtant qu’une charge de docteur, et commence à « dresser 
1191 ses formes. Bientôt, une sédition le chasse. Peut- il se croire « en liberté et quitte de sa vocation » ? Déjà Bucer exige
1192 ent le pasteur de la première Église réformée, et il la dote d’une liturgie, qu’il met en vers pour être mieux chantée. Tr
1193 Église réformée, et il la dote d’une liturgie, qu’ il met en vers pour être mieux chantée. Trois ans s’écoulent et sa pensé
1194 xercé depuis ce temps-là, et par quelles épreuves il m’a examiné, ce serait une longue histoire. » Semblable au roi David
1195  ; comme aussi ses défauts, à notre goût du jour. Il est moins séduisant qu’impérieux, moins impérieux pourtant que contra
1196 le mouvement pressant et familier des Sermons qu’ il prononce chaque jour à la cathédrale de Saint-Pierre. Rien n’est plus
1197 rme, conduisant vers un but si fortement conçu qu’ il semble que jamais le moindre doute frivole n’ait fait broncher l’espr
1198 s spirituel — parlant dans une ville assiégée, qu’ il s’agisse de Genève où l’on veille aux remparts de l’Église harassée p
1199 faible de l’homme en butte aux attaques du monde. Il s’agit de « presser » l’auditoire, de l’instruire « à salut », de le
1200 semblée devant lui, au pied de la chaire, et dont il connaît bien les circonstances concrètes : d’où l’absence de doute et
1201 contagion. Ce ministre du Verbe a fait un monde. Il est même le seul écrivain dont les doctrines aient suscité dans l’Occ
1202 e de son œuvre, ou au moins de son nom : mais est- il justifié à le faire ? Certes, on peut bien soutenir que les États-Uni
1203 t le citoyen. Calvin n’était pas démocrate, mais il a fomenté les chefs qui ont appris aux siècles futurs qu’il n’est pas
1204 té les chefs qui ont appris aux siècles futurs qu’ il n’est pas de liberté concrète qui ne soit responsable en retour devan
1205 de Calvin et l’aire des dictatures totalitaires : elles ne se recouvrent nulle part. Enfin, loin d’avoir instauré la théocrat
1206 te pouvoir, elle-même n’en demandant aucun puisqu’ elle détient l’autorité, qui est de l’esprit. Faut-il ranger Calvin au cam
1207 lle détient l’autorité, qui est de l’esprit. Faut- il ranger Calvin au camp de la liberté ? Oui certes, dans la mesure où p
1208 la mesure où par la seule vertu de la vocation qu’ il portait, il fut l’incarnation de l’autorité ; et dans la mesure encor
1209 par la seule vertu de la vocation qu’il portait, il fut l’incarnation de l’autorité ; et dans la mesure encore où cet hom
1210 it l’histoire des cités les plus libres, parce qu’ il ne croyait pas à l’Histoire déifiée mais qu’il en appelait à son juge
1211 qu’il ne croyait pas à l’Histoire déifiée mais qu’ il en appelait à son juge. 39. Introduction à la Nouvelle NRF, 1953.
26 1962, Articles divers (1957-1962). Le règne de Victoria (1962)
1212  : plus mystérieuse que la Constitution anglaise, elle ne s’explique pas, on la sent. Ses exigences sont aggravées par une d
1213 mais parfois les « mauvaises » sont pardonnées si elles s’affirment dans un grand style tumultueux à la mongole, à l’espagnol
1214 toria dataient tout juste de deux ans auparavant. Elles restent liées dans ma mémoire avec tout ce que Paris comptait de plus
1215 finit la seule Société des esprits. Et j’ai vu qu’ elle était Argentine avant tout, dans ses grandes dimensions vitales, as l
1216 s nordiques, et trop facilement rationnelles — qu’ elle fait régner sur les relations humaines. Un jour le Sud aura sa revanc
27 1962, Articles divers (1957-1962). La culture et l’union de l’Europe (avril 1962)
1217 ulture et l’union de l’Europe (avril 1962)ai S’ il est question d’intégration européenne et qu’on lui parle de culture,
1218 n lui parle de culture, l’homme d’aujourd’hui, qu’ il soit d’ailleurs industriel ou philosophe, a d’abord un réflexe de dou
1219 rope qui se fait, dans la réalité concrète, n’est- elle pas avant tout l’Europe économique, c’est-à-dire le Marché commun ? L
1220 e là-dedans ? Quelles contributions efficaces a-t- elle apportées à l’union ? N’est-elle pas au contraire, ajoutent certains,
1221 ns efficaces a-t-elle apportées à l’union ? N’est- elle pas au contraire, ajoutent certains, l’un des derniers bastions de l’
1222 able (et au surplus n’aurait jamais vu le jour) s’ il ne s’inscrivait pas dans une longue tradition culturelle européenne ;
1223 teurs à l’édifice du nouveau consortium européen. Elle deviendrait un parasite si elle insistait pour qu’on augmente son bud
1224 sortium européen. Elle deviendrait un parasite si elle insistait pour qu’on augmente son budget. Cette vue très populaire, n
1225 agée par les élites sociales de notre continent : il suffit pour s’en assurer de comparer nos budgets de la culture avec c
1226 ssance jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, et si elle est encore aujourd’hui l’une des trois grandes puissances de la planè
1227 anète, ce n’est pas à ses richesses naturelles qu’ elle le doit : simple cap de l’Asie (4 % des terres émergées du globe), un
1228 urope » ? L’Europe existe depuis des millénaires. Il n’est pas question de la créer ; mais simplement, les circonstances d
1229 fire. Tel étant le problème véritable, on voit qu’ il est bien moins économique que politique, et en fin de compte, culture
1230 tional, ces méfiances séculaires, pour périmés qu’ ils soient, sont profondément enracinés dans un millénaire au moins de cu
1231 on dans les faits. C’est donc dans les esprits qu’ il s’agit de le combattre. Et ceci n’est pas une question de technique o
1232 cales et nationales de traditions et de régimes ; ils peuvent vous démontrer que ce plan serait rentable, et que votre inté
1233 re Europe technicienne marcherait sans nul doute, elle « rendrait » matériellement. Elle serait unifiée mais ne serait plus
1234 sans nul doute, elle « rendrait » matériellement. Elle serait unifiée mais ne serait plus l’Europe. Aux seconds, vous direz 
1235 e nos peuples divers, mais voilà six-cents ans qu’ elle échoue dans tous ses efforts vers l’union. Les uns et les autres ont
1236 . Les uns et les autres ont raison, en ce sens qu’ ils sont nécessaires, soit comme moteur, soit comme volant ; les uns et l
1237 mme volant ; les uns et les autres ont tort quand ils se prétendent suffisants, à eux seuls. Leur dialogue est vital pour l
1238 attitude fédéraliste : l’union dans la diversité. Il faut prendre au sérieux les deux termes ensemble. Tel est le secret s
1239 tâche de la culture et sa vocation prospective. Il n’y aurait pas d’Europe sans tout ce que la culture a su tirer de nos
1240 culture enfin doit venir le remède à nos maux, et il est double : réduire les préjugés nationalistes, qui s’opposent à tou
1241 ibution essentielle à l’intégration du continent. Ils réduisent les obstacles mentaux qui entravent encore la construction
1242 ns qui répondent que l’Europe n’est plus rien, qu’ elle n’a pas d’idéal à opposer aux ambitions mondiales du communisme, ni d
1243 eux grandes tâches, je le répète, sont vitales et elles relèvent de la culture au premier chef, j’entends par là : de la rech
1244 l’Europe. Contre la volonté de leurs initiateurs, elles risqueront, un jour, de dénaturer cette Europe que l’on croyait « fai
1245 t « faire ». Car, en fin de compte, pourquoi faut- il créer un grand marché européen ? Sinon pour mettre ou remettre l’Euro
1246 tionales. Au terme de l’intégration européenne, s’ il ne devait y avoir que dividendes, bombes atomiques, autos et frigidai
1247 ront avant nous à des positions de puissance dont ils ne manqueront pas d’abuser contre l’homme, du moins tel que nous le c
1248 de la culture et de son « utilité ». On verra qu’ elles s’opposent diamétralement. Si les croyances populaires ont raison, le
1249 contraire mes arguments sont « évidents », alors il est grand temps que la très riche Europe en tire les conséquences log
28 1962, Articles divers (1957-1962). Journal d’un témoin (23-24 juin 1962)
1250 nt en Suisse pendant la crise de mai à août 1940. Il insiste notamment sur la fameuse « ligue des officiers », affaire don
1251 », affaire dont M. Kurz, de son côté, souhaite qu’ elle soit un jour élucidée. Je serais heureux que les notes qui suivent co
1252 ssée, telle que j’ai pu la voir de près, à Berne. Il s’agit de notes tirées de mon journal privé, néces­sairement trop per
1253 lan révèle l’idée qui me hantait à cette époque : il décrit en effet l’importance symbolique et stratégique du Saint-Gotha
1254 ice de Berne, qui a demandé quelques volontaires. Il nous expose notre tâche : prendre le commandement des pelotons chargé
1255 astion sacré, et je l’ai dit hier soir encore. Or il se trouve que le Gothard est le type même de la position imprenable d
1256 e la position imprenable dans la guerre actuelle. Il faudrait déclencher une action dans le pays, pour la résistance à tou
1257 d comme symbole et comme grand atout militaire. » Il acquiesce. Je poursuis : « Une action qui réunirait tous les groupeme
1258 tiques, trop lents et trop peu sûrs. » « Oui, dit- il , c’est une idée… (et pendant une seconde je n’ai pas su s’il était ir
1259 ne idée… (et pendant une seconde je n’ai pas su s’ il était ironique ou sérieux) une bonne idée… Seulement ce n’est rien d’
1260 bonne idée… Seulement ce n’est rien d’en parler. Il faut le faire ! » J’ai senti sous son regard direct le danger d’avoi
1261 Allemands sont entrés à Paris. » — Merci. Repos ! Il est sorti, me voyant incapable de rien dire de plus. Je suis resté im
1262 Pas d’autre bruit. Me suis recouché pensant que s’ il se passait quelque chose, je serais alerté par téléphone. Peu dormi,
1263 ays ! ») Je le relis rapidement dans l’escalier : il me paraît un peu sentimental, je me demande s’il est bien à la mesure
1264 il me paraît un peu sentimental, je me demande s’ il est bien à la mesure du tragique dans lequel nous baignons… L’ai fait
1265 au lieutenant-colonel M. et aux autres camarades, ils le trouvent bien, mais ne paraissent pas spécialement frappés. Cela p
1266 la Censure. Oui, il y aura des histoires, paraît- il . Mais rien de nouveau jusqu’à six heures. Je me prépare à sortir. Son
1267 l’été de 1940 d’un « mouvement de résistance » — il en distingue deux, l’un civil, l’autre formé d’officiers — qui entend
29 1962, Articles divers (1957-1962). La Ligue du Gothard : premier mouvement de résistance : Journal d’un témoin II (25 juin 1962)
1268 et extravagant à la fois, comme l’événement quand il arrive. Je vois ce pré et je sais qu’il peut y apparaître dans un ins
1269 ent quand il arrive. Je vois ce pré et je sais qu’ il peut y apparaître dans un instant des hommes qui nous tireront dessus
1270 e sur son propre cas, et sur le sort des nations. Il ne reste que la préoccupation des petites choses précises à faire. 20
1271 e petite maison du Gurten. Je prends la position. Il tient dans chaque main un petit paquet attaché par un ruban. — Ça, c’
1272 u pays et de maintenir l’intégrité du territoire. Il est clair que pour défendre un territoire, il est parfois indiqué de
1273 re. Il est clair que pour défendre un territoire, il est parfois indiqué de céder du terrain : cela s’appelle une retraite
1274 elle une retraite stratégique. On peut me dire qu’ il est aussi des retraites nécessaires (des silences opportuns) pour déf
1275 constate que « la Suisse est réduite à elle-même. Elle n’a pas d’autre garantie que son armée, pas d’autre allié que son ter
1276 e vous promettons qu’un grand effort commun. Mais il nous rendra fiers d’être hommes, et d’être Suisses. Ce texte va para
1277 des chefs de la ligue des officiers — tout ce qu’ il possède, paraît-il. 26 juin 1940 Hier, discours de Pilet-Golaz. À pro
1278 gue des officiers — tout ce qu’il possède, paraît- il . 26 juin 1940 Hier, discours de Pilet-Golaz. À propos du cessez-le-fe
1279 Pilet-Golaz. À propos du cessez-le-feu en France, il a parlé de notre « soulagement » ! Cela peut s’entendre de diverses m
1280 nières, mais l’une est atroce. Je veux, croire qu’ il ne l’a pas senti. Mais ce matin, un officier de l’E.-M. du Général me
1281 ue dans l’armée. La presse a publié le Manifeste. Elle en parle ! Beaucoup de lettres, de pamphlets, d’articles, nous accuse
1282 ar ailleurs la démission de notre Directoire : or il n’en a jamais été membre. Rien de plus normal. En dépit du choc causé
1283 fait est que la grande industrie boude la Ligue : elle attend de voir comment les choses tournent. Le Conseil fédéral paraît
1284 i, solliciteront une audience du Conseil fédéral. Ils ont mission de lui déclarer que s’il cède aux exigences des nazis, to
1285 il fédéral. Ils ont mission de lui déclarer que s’ il cède aux exigences des nazis, tout est prêt pour le renverser, des tr
1286 tion. Si au contraire le Conseil fédéral résiste, il aura l’appui sans réserve de la Ligue civile et militaire. L’audience
1287 at de l’incident, si pittoresque et surprenant qu’ il puisse apparaître, après coup. Il y avait une sorte de pari insensé d
1288 re à un gouvernement : « Nous vous avertissons qu’ il existe un complot pour vous renverser, et que nous en sommes les faut
1289 ! » Logiquement, si le gouvernement nous croyait, il devait nous faire arrêter sur-le-champ. S’il ne nous croyait pas, not
1290 ait, il devait nous faire arrêter sur-le-champ. S’ il ne nous croyait pas, notre démarche était ratée, et au surplus couvra
1291 i qui reçut cette délégation comprit très bien qu’ il s’agissait pour nous d’appuyer les durs et de faire peur aux mous. Le
1292 oire et ne pas nous croire à la fois. Finalement, il résista, comme on sait.) 40. Néanmoins, un sergent de mes amis, syn
1293 rouleaux enregistrant vos conversations ! » 41. Il s’agit de M. Auguste Lindt, aujourd’hui ambassadeur de Suisse à Washi
1294 aire nuit à son pays”). Le moral des Suisses va-t- il flancher devant le raz de marée nazi ? Le Gothard, pense Rougemont, d
30 1962, Articles divers (1957-1962). La conjuration des officiers en juin 1940 : Journal d’un témoin III (26 juin 1962)
1295 convaincants — on ne peut pas écrire en groupe — ils me confient la rédaction. Ma position est un peu délicate. « Le génér
1296 exte est de ma main. D’autre part, je suis sûr qu’ il en approuvera la pensée. Fin juillet 1940 Je rédige une brochure inti
1297 a produit un choc salutaire sur l’opinion suisse. Elle a rendu confiance à beaucoup de citoyens, elle a fait naître un grand
1298 e. Elle a rendu confiance à beaucoup de citoyens, elle a fait naître un grand espoir et dissipé certaines brumes de défaitis
1299 duit une émulation inattendue du côté des partis. Il est incontestable que sans la Ligue, les « communautés de travail »,
1300 Labhardt, commandant l’unité d’armée de Sargans. Ils avaient essayé d’obtenir son appui pendant une partie de la nuit. Il
1301 ’obtenir son appui pendant une partie de la nuit. Il leur a laissé croire qu’il marchait, et à 6 heures ce matin, les a fa
1302 une partie de la nuit. Il leur a laissé croire qu’ il marchait, et à 6 heures ce matin, les a fait boucler. » Le lieutenant
1303 plus qu’un symbole. Centre du Réduit national 42 il se dressait vraiment comme ce bastion de l’Europe libre dont nous avi
1304 avions rêvé sans oser croire qu’en quelques mois il deviendrait une réalité. L’opinion s’était ressaisie. La Ligue du Got
1305 tance, voyait ainsi son premier objectif atteint. Elle s’orientait vers un programme plus vaste d’entraide sociale et de rén
1306 sociale et de rénovation économique et politique. Elle avait au départ formé le noyau du premier mouvement de résistance, au
1307 Les mêmes peuvent rire de l’armée suisse parce qu’ elle n’eut pas l’occasion de se battre. Pourtant elle l’aurait eue, probab
1308 ’elle n’eut pas l’occasion de se battre. Pourtant elle l’aurait eue, probablement, si les Allemands avaient senti la Suisse
1309 petit mouvement de résistance, pour préventif qu’ il soit resté, eût certainement passé à la pratique si le moral du pays
1310 es yeux. En ce mois d’août de 1940, j’estimais qu’ elle avait réussi dans la mesure précise où elle devenait, en tant que « r
1311 is qu’elle avait réussi dans la mesure précise où elle devenait, en tant que « résistance », inutile. ⁂ L’armée démobilisait
1312 de l’Amérique. Peut-être bien était-ce là-bas qu’ il me serait donné, quoique « neutre », de faire la guerre à ma façon, d
1313 al pour favoriser mon voyage. Mais le fait est qu’ elles jouèrent dans le même sens. Le 20 août, à 7 heures du matin, je prena
1314 visait que le Conseil fédéral, et c’est pourquoi il dut être un complot. Le général Guisan écrit dans son rapport que leu
1315 leur seule faute fut « d’agir en secret ». Mais s’ ils avaient agi « ouvertement », le Conseil fédéral eût exigé sur l’heure
1316 heure que le Général mît fin à leurs activités qu’ il connaissait ou pressentait sans aucun doute : certains d’entre eux dî
1317 d’entre eux dînaient régulièrement à sa table. 2. Il est probable que la ligue des officiers et la ligue civile naquirent
1318 rs et la ligue civile naquirent simultanément, et il est certain qu’elles « s’imbriquaient étroitement », on l’a vu par me
1319 ile naquirent simultanément, et il est certain qu’ elles « s’imbriquaient étroitement », on l’a vu par mes notes. Mais Kimche
1320 onfondant la ligue civile de juin 1940 avec ce qu’ il appelle tantôt « l’Action nationale de résistance », tantôt le « Mouv
1321 sistance national ». Si j’en juge par les noms qu’ il donne des responsables de ce dernier Mouvement, il ne saurait s’agir
1322 l donne des responsables de ce dernier Mouvement, il ne saurait s’agir que d’une organisation civile qui apparut durant l’
1323 mon départ pour les États-Unis », d’autre part qu’ elle se forma « contre la Ligue du Gothard ». « Le Gothardbund, c’était du
1324 Gothardbund, c’était du romantisme ! », ajoute-t- il . Romantique ou non, c’est la Ligue du Gothard qui agit seule en liais
1325 de fait que l’auteur pourra corriger sans peine. Elle empêche d’évaluer correctement la situation psychologique qui régnait
1326 ut prise la décision de créer le Réduit national. Elle empêche en particulier M. Kimche de se poser la question suivante : p
1327 ci les circonstances de l’action de résistance qu’ il entreprit avec quelques amis groupés sous l’enseigne de la Ligue du G
1328 alors en situation délicate auprès de ses chefs — il était incorporé à l’état-major général — pour avoir écrit, au lendema
31 1962, Articles divers (1957-1962). Dans vingt ans une Europe neuve (novembre 1962)
1329 uoique jugés impossibles par les experts, mais qu’ ils se sont produits beaucoup plus vite et avec plus d’intensité que pers
1330 s, et par la carence des mouvements fédéralistes. Il en résulte alors, nécessairement, une renaissance des nationalismes ;
1331 volonté de ceux qui luttent pour cette union. Car il ne s’agit pas — je le dis une fois de plus — de deviner l’histoire qu
1332 . Les géographes ont démontré depuis longtemps qu’ elle est le pôle de « l’hémisphère privilégié » qui comprend environ 95 %
1333 Europe anime les échanges intercontinentaux, dont elle fut le moteur unique depuis cinq siècles. Elle équilibre ces échanges
1334 nt elle fut le moteur unique depuis cinq siècles. Elle équilibre ces échanges, elle les dose, elle les adapte aux possibilit
1335 depuis cinq siècles. Elle équilibre ces échanges, elle les dose, elle les adapte aux possibilités d’assimilation du tiers-mo
1336 cles. Elle équilibre ces échanges, elle les dose, elle les adapte aux possibilités d’assimilation du tiers-monde, après en a
1337 technique, désormais universalisée, a compris qu’ elle se doit d’inventer les moyens d’humaniser l’usage des ressources maté
1338 a vie politique ne ressemble plus du tout à ce qu’ elle était sous la IIIe République, par exemple. Ses passions sont transpo
1339 ation et de réalisation de soi lui sont ouvertes. Il est donc probable que la différence s’accentue entre une majorité pas
1340 formation interdisciplinaire se sont multipliés. Ils se distinguent par une insistance simultanée sur la culture générale
1341 fûmes les témoins depuis la dernière guerre, mais ils sont plus spectaculaires : les résultats des mutations récentes que j
1342 sont devenus généralement visibles et sensibles ; ils affectent l’ensemble de la population. En revanche, la généralisation
1343 J’écris ceci pour amuser les lecteurs de 1980, s’ ils retrouvent par hasard mon petit essai ; et pour que certains, aujourd
1344 ça le mot d’ordre d’engagement de l’écrivain dont il devait renier plus tard les interprétations qui en furent faites. Env
1345 n Argentine pour y faire des conférences en 1940, il devint en 1942-1943 le principal rédacteur des émissions françaises d
1346 La Voix de l’Amérique. Revenu en Europe en 1946, il s’engagea dans le mouvement pour une fédération européenne et il orga
1347 ns le mouvement pour une fédération européenne et il organisa, en 1949, à Lausanne, le Congrès européen de la culture. L’a
1348 Congrès européen de la culture. L’année suivante, il fondait à Genève le Centre européen de la culture. Il a publié dix-hu
1349 ondait à Genève le Centre européen de la culture. Il a publié dix-huit ouvrages (essais et récits sous forme de journaux,
32 1962, Articles divers (1957-1962). La commune, base essentielle de notre civilisation (novembre-décembre 1962)
1350 z pas deux dont les plans soient superposables. S’ ils se ressemblent, c’est par leur complication, ou par leur manière d’êt
1351 rd le long des routes frayées par les pionniers : ils ne sont guère enracinés, ils sont en marche. Ces maisons boisées, esp
1352 par les pionniers : ils ne sont guère enracinés, ils sont en marche. Ces maisons boisées, espacées, bordant une route, on
1353 le Town-Hall) soit ou non bâtie sur la place — et il se trouve qu’elle l’est en général — c’est bien là qu’elle tire son s
1354 it ou non bâtie sur la place — et il se trouve qu’ elle l’est en général — c’est bien là qu’elle tire son sens originel. Les
1355 rouve qu’elle l’est en général — c’est bien là qu’ elle tire son sens originel. Les partis qui décident de la composition des
1356 ing sur la place principale.) Lire et parler Il n’est pas de démocratie, au sens européen du terme, qui ne repose sur
1357 e toute place digne du nom : le café. C’est là qu’ elle se parle d’abord, s’écrit bien souvent et se lit. C’est dans les café