1 1974, Articles divers (1974-1977). La personne comme fondement des valeurs européennes (19 septembre 1974)
1 974)k La première table ronde, tenue à Rome, s’ était demandé : d’où vient l’Europe, et sur quelles bases d’unité culturell
2 des effets politiques (mais c’est l’inverse qui s’ est produit). Celle d’aujourd’hui veut affronter les premières manifestat
3 re union politique. Or, la cause de cette carence est en interaction précise avec les causes de la crise mondiale, dont le
4 oix concrets, dans les finalités dont ces valeurs sont en définitive les moyens. De la première table ronde sont nés, nous d
5 définitive les moyens. De la première table ronde sont nés, nous dit un document récent émanant du Conseil de l’Europe, « la
6 tière d’éducation et de culture ». Je crois qu’il serait juste d’ajouter à ces dispositions techniques la diffusion discrète,
7 s évidents et ceux que j’ai le mieux connus. Ce n’ est pas rien, mais il faut bien admettre que cela n’a pas suffi pour « fa
8 c une logique infernale (le nom l’indique et ce n’ est pas un hasard) ce « Pentagone de la Puissance » ou mieux : de l’obses
9 e Conseil de l’Europe a fait un acte qui mérite d’ être qualifié de politique, au sens du terme le plus éminent, le plus larg
10 rapports humains dans la cité. Que le Conseil en soit remercié par les Douze, en tant qu’invités, et qu’il en soit félicité
11 ié par les Douze, en tant qu’invités, et qu’il en soit félicité par nous tous, en tant que citoyens. Car le Conseil ne tente
12 l créer l’union des gens de l’Europe, tels qu’ils sont , ou tels qu’ils peuvent devenir, dans une société rénovée ? Selon que
13 alement obéi par la communauté dans laquelle nous sommes nés ? Devant ces problèmes de destin, notre approche ne sera pas théo
14 Devant ces problèmes de destin, notre approche ne sera pas théorique. Nous ne partons pas à la recherche de définitions sati
15 ns satisfaisantes ou simplement provocantes. Nous sommes confrontés à une crise, à des scandales, que tous ressentent, à des d
16 pas faire autrement. Car la pensée, en général, n’ est peut-être que le feed-back d’une surprise ou d’une blessure, d’une ag
17 ière, annoncent un passage dangereux, quand ce ne sont pas déjà les disques rouge et blanc de la voie barrée, de l’impasse.
18 tout le monde a lu Forrester ou Meadows. Mais ils sont loin d’avoir épuisé le pire de notre crise : l’équivalent moral, soci
19 ision ; les ravages de la division du travail qui est en réalité une division de l’homme, comme l’avait annoncé Kropotkine 
20 ar c’est lui qui les rendra vraies, quand elles n’ étaient que monitoires et n’ambitionnaient rien que d’être démenties ! Oui, j
21 ent que monitoires et n’ambitionnaient rien que d’ être démenties ! Oui, je sens parmi nous quelque chose qui me paraît beauc
22 apocalyptiques des écologistes, quelque chose qui est là déjà, bel et bien là, et qui est la Question du siècle, une questi
23 que chose qui est là déjà, bel et bien là, et qui est la Question du siècle, une question pure, béante, qui se posait du te
24 au mois de mai 1968 : Que faisons-nous là ? Quel est le sens de ma vie dans cette société qui n’en est pas une, puisqu’ell
25 est le sens de ma vie dans cette société qui n’en est pas une, puisqu’elle n’est plus une communauté ? Que vaut son fameux
26 cette société qui n’en est pas une, puisqu’elle n’ est plus une communauté ? Que vaut son fameux niveau de vie ? Vers quoi n
27 État-nation centralisé où ils se voient perdus, n’ est plus leur affaire, ne peut que les brimer, et les oblige à s’évader d
28 mbécillité civique des majorités silencieuses. Il est normal que le jeune Européen d’aujourd’hui se demande à quoi tout cel
29 cela rime, et descende le crier dans la rue : il serait anormal qu’on ne lui réponde que par des coups de matraque. Il est no
30 ne lui réponde que par des coups de matraque. Il est normal qu’il juge très sévèrement la société matérialiste et qu’il dé
31 e et qu’il dénonce son anarchie profonde, mais il est anormal qu’il se voie pour autant traité de « fauteur de désordre ».
32 ar le plus profond des désordres, c’est celui qui est au cœur d’une société dont le seul principe absolu est le profit, cal
33 u cœur d’une société dont le seul principe absolu est le profit, calculé en monnaie. Beaucoup de jeunes gens rêvent de la r
34 onstituent. Tenter de s’y opposer par la violence serait bien pire que vain car ce serait faire son jeu. Cette crise morale af
35 par la violence serait bien pire que vain car ce serait faire son jeu. Cette crise morale affecte l’Occident tout entier, et
36 rielle, scientifico-technique, quantitative. Elle est née de l’Europe, de ses valeurs et de leurs conflits ; et des guerres
37 îné toute la planète. Or à leur tour, ces guerres sont nées de nos nationalismes. Et voici qu’apparaît clairement le sujet d
38 es, il faut des choix. Il faut savoir ce que l’on est prêt à sacrifier et quelles sont les priorités. Veut-on d’abord et à
39 avoir ce que l’on est prêt à sacrifier et quelles sont les priorités. Veut-on d’abord et à tout prix la Puissance, ou la Lib
40 aguère avait tenté de décréter l’inexistence. Qu’ est -ce qu’une valeur, dans le contexte de notre Crise ? Ce n’est pas une
41 ne valeur, dans le contexte de notre Crise ? Ce n’ est pas une entité philosophique. C’est ce qui nous permet de choisir, or
42 iale, nous avons l’impression que quelque chose a été faussé dans l’échelle des priorités, que la justice, la santé, la lib
43 , et qui vaut plus que tout ? Bien sûr, les choix sont rarement aussi simples. Mais ils se ramènent dans l’ensemble à un dil
44 me fondamental entre l’impératif catégorique, qui est moral, et les impératifs technocratiques, qui sont des questions de g
45 est moral, et les impératifs technocratiques, qui sont des questions de gros sous, quand ce n’est pas de puissance militaire
46 , qui sont des questions de gros sous, quand ce n’ est pas de puissance militaire. Or, ces choix de finalités, et les sacrif
47 gage les valeurs, de l’évaluant fondamental. Il n’ est pas toujours bien conscient, même chez celui dont il gouverne le juge
48 son vocabulaire le terme de justice, décidé qu’il est à ne décrire que des enchaînements nécessaires et qui échappent à tou
49 orale. Cependant, la passion qui anime Le Capital est celle de la justice, ou je n’y ai rien compris. C’est la justice, non
50 compris. C’est la justice, non la nécessité, qui est le vrai référentiel de l’œuvre. Pour l’homme d’Europe, qu’il le sache
51 rdonnées spatiales. Notre notion de la personne s’ est constituée au cours des grands conciles œcuméniques de Nicée en 325,
52 enue de la Judée. Le problème majeur des conciles est celui de la Trinité : comment définir et distinguer en un seul Dieu,
53 nt en fait, ou comme diront les scolastiques, qui sont « distinguées par la raison mais unies par la réalité ». En formulant
54 dhon, et les dialectiques d’aujourd’hui, qu’elles soient marxistes, existentialistes ou physico-mathématiques. Et c’est aussi,
55 autonomies locales — cette pensée en tension qui est vraiment l’idée formatrice de l’Europe parce qu’elle engendre l’homme
56 opéen, à partir de l’extraordinaire création qu’a été le concept de personne, cette notion théomorphe de l’homme et anthrop
57 n quelque sorte, de la notion, qui ne tarda pas à être transposée du plan théologique à celui de l’humain, par Augustin d’ab
58 par Augustin d’abord, lequel estime que l’homme, étant fait à l’image de Dieu, est lui aussi une personne ; puis par Boèce,
59 estime que l’homme, étant fait à l’image de Dieu, est lui aussi une personne ; puis par Boèce, philosophe non chrétien, qui
60 n termes laïques les définitions conciliaires, et sera commenté par tout le Moyen Âge. Homologue du « vrai Dieu et vrai homm
61 la Deuxième Personne divine, la personne humaine est devenue la coexistence en tension de l’individu naturel et de ce qui
62 tes, les siècles ont ajouté à cette formule. Elle est devenue autre chose qu’un modèle, qu’une structure. Aux notions grecq
63 our actif, de liberté, de justice et de vocation, sont venues s’ajouter les valeurs germaniques de fidélité, de communauté,
64 ant et de Quête spirituelle. Mais aujourd’hui, qu’ est -ce donc que la personne ? Il semble qu’à une telle question je ne pou
65 . Car chacun naît de quelque chose qui n’a jamais été auparavant, qui n’est exactement pareil à rien, croisement de chromos
66 uelque chose qui n’a jamais été auparavant, qui n’ est exactement pareil à rien, croisement de chromosomes eux-mêmes sans pr
67 eux-mêmes sans précédent, de sorte que la chance est quasi nulle qu’il naisse jamais deux individus pareils. Chacun de nou
68 sse jamais deux individus pareils. Chacun de nous est donc le point de départ d’un chemin particulier vers le But qui l’app
69 l’Absolu, la Vérité ou le Bonheur. Le But suprême est le même pour tous mais chacun pour le joindre doit créer sa propre vo
70 ant, à savoir si je découvre mon chemin tel qu’il était prévu pour moi depuis toujours, ou si je l’invente en osant y avancer
71 te forme de confiance dont Saint-Paul dit qu’elle est « ferme assurance des choses qu’on ne voit pas ». Le chemin qui se cr
72 t commencé par répéter, après Nietzsche, que Dieu est mort, et que cela signifiait la « mort de l’homme », et donc de toute
73 nc de toute identité, de toute personne. Or, ce n’ est là qu’une métaphore. Ce qui peut provoquer la mort de l’homme, c’est
74 lysse au Cyclope : « Je me nomme personne, je n’y suis pas », c’est qu’on prépare un mauvais coup, ou qu’on tente d’échapper
75 t pratiquement, vous y croyez, tous tant que vous êtes . Car si vous protestez, comme vous le faites tous, chaque jour, contr
76 iénation, j’ose vous demander ce qui, selon vous, est aliéné ? Si ce n’est pas la personne, alors quoi ? Quelle abstraction
77 demander ce qui, selon vous, est aliéné ? Si ce n’ est pas la personne, alors quoi ? Quelle abstraction politicienne ? Ceux
78 politicienne ? Ceux qui prétendent que l’homme n’ est qu’une illusion, que le sujet n’existe pas, même dans le discours, qu
79 ation de l’homme par l’homme, disent-ils. Mais ce serait l’exploitation d’une illusion par une inexistence, à les en croire ?
80 omment peuvent-ils signer, tout simplement ? Dieu est mort, nous disent-ils, l’homme est mort, il n’y a plus de sujet, il n
81 plement ? Dieu est mort, nous disent-ils, l’homme est mort, il n’y a plus de sujet, il n’y a plus rien. Il ne reste rien qu
82 à la fois selon le naturel et selon le divin qui est en lui. L’aliéner, c’est le mécaniser — au sens argotique qu’a pris l
83 t qui même très bénéfique, très bien payé, ne lui serait pas propre, ne pourrait que l’altérer, le détourner de sa vocation —
84 r soi-même, la Liberté. Le pouvoir sur autrui, il est fatal que l’État s’en empare un jour ou l’autre. Car l’État réclame e
85 s, et ne peut tolérer que des pouvoirs collectifs soient détenus par des particuliers : qu’on se rappelle la lutte des rois co
86 e du domaine réservé ou revendiqué par l’État, et sera tôt ou tard monopolisé par l’État. Tout pouvoir qui s’exerce sur autr
87 is cette vocation personnelle, je le répète, nous est le plus souvent inconnue. La découvrir comme si on l’inventait est la
88 nt inconnue. La découvrir comme si on l’inventait est la tâche singulière de chacune de nos vies. La tyrannie se définit al
89 itions de vie, de dignité, de santé et de loisirs sont à peu près les mêmes à l’Est dit socialiste et à l’Ouest capitaliste,
90 santé et de loisirs sont à peu près les mêmes à l’ Est dit socialiste et à l’Ouest capitaliste, mais de nous tous, habitants
91 Au surplus, elle crée tant de liens avec ce qui n’ est pas ma vocation, que toutes les religions de la terre l’ont condamnée
92 là-dessus tout l’essentiel : « L’orgueil national est loin de la vie quotidienne. » Les notions d’impératif technique et d’
93 usses et même d’un ridicule moliéresque. Elles ne sont , trop évidemment, que les alibis, soit de la volonté de puissance des
94 . Elles ne sont, trop évidemment, que les alibis, soit de la volonté de puissance des États et de leurs grandes agences tech
95 des États et de leurs grandes agences techniques, soit du profit privé des sociétés, soit encore, en dernière analyse, de no
96 es techniques, soit du profit privé des sociétés, soit encore, en dernière analyse, de notre propre choix matérialiste. Lequ
97 énéré par le xixe siècle et réputé irrésistible, est le type même de l’antivaleur, s’il n’est que l’accroissement des pouv
98 istible, est le type même de l’antivaleur, s’il n’ est que l’accroissement des pouvoirs matériels, qui conduisent à la guerr
99 au gaspillage des ressources terrestres ; s’il n’ est pas un progrès spirituel, une aventure de la liberté, un accroissemen
100 iels, croissance dont on a remarqué que le rythme est celui des cellules cancéreuses. En revanche, l’amour est une valeur f
101 ui des cellules cancéreuses. En revanche, l’amour est une valeur fondamentale, qui ne saurait être niée ou contestée que pa
102 amour est une valeur fondamentale, qui ne saurait être niée ou contestée que par des infirmes de l’âme ou des débiles du spi
103 à la radio. Car aimer son prochain comme soi-même est un commandement de la Bible. Puisque les sentiments ne se commandent
104 e prochain comme soi-même, dès lors que cela nous est commandé, ne saurait donc être qu’un acte : le prochain est celui que
105 lors que cela nous est commandé, ne saurait donc être qu’un acte : le prochain est celui que je puis aider en fait. Mais la
106 dé, ne saurait donc être qu’un acte : le prochain est celui que je puis aider en fait. Mais la notion même de prochain supp
107 géographique. Si le principe de toute communauté est de nature spirituelle et touche l’élément transcendant dans la person
108 de toute la terre, la vie communautaire concrète est proximiste, c’est-à-dire communale, locale et régionale. L’universel
109 , locale et régionale. L’universel et le local ne sont pas en contradiction — pas plus que l’Église et la paroisse — puisqu’
110 mplique sa responsabilité, et que la réciproque n’ est pas moins vraie. La vocation dont l’appel me libère, c’est elle aussi
111 ’État-nation imposé par Napoléon : par en bas, ce sont les régions, par en haut, la fédération continentale. Et nous venons
112 titutives de la personne. Les hommes ne sauraient être unis par l’imposition uniforme d’un même corpus de lois et de règleme
113 es communautés qui, pour défendre leur autonomie, seront amenées à se fédérer et donc à pratiquer la seule méthode capable, se
114 bertés. C’est à cause de cela, finalement, que je suis venu une fois de plus, ici, parler de l’Europe, de son union, et de l
115 teindrons-nous ? J’ai toujours estimé que nous ne sommes pas au monde — ni vous ni moi — pour essayer de deviner l’avenir. C’e
116 er de deviner l’avenir. C’est à le faire que nous sommes appelés. k. Rougemont Denis de, « La personne comme fondement des
2 1974, Articles divers (1974-1977). Alexandre Marc et l’invention du personnalisme (1974)
117 nvention du personnalisme (1974)a Comment nous sommes -nous rencontrés ? Rien de plus difficile à établir. J’ai tenté récemm
118 Je t’entends encore me dire… » — mais les détails sont différents… Je donnerai donc ici ma version (qui est la bonne) telle
119 différents… Je donnerai donc ici ma version (qui est la bonne) telle que je l’ai publiée dans le Journal d’une époque, p.
120 ules : Ni individualistes ni collectivistes, nous sommes personnalistes ! À 15 ans, militant socialiste-révolutionnaire à Kiev
121 n seulement aucun de ceux que je viens de citer n’ est connu du grand public — ce qui est normal, ils ont de 21 à 32 ans — m
122 ens de citer n’est connu du grand public — ce qui est normal, ils ont de 21 à 32 ans — mais encore ils ne se connaissent pa
123 volutionnaires ». Il n’importe : une génération s’ est déclarée, et quels que soient les conflits qui l’animent, elle a reco
124 rte : une génération s’est déclarée, et quels que soient les conflits qui l’animent, elle a reconnu les éléments fondamentaux
125 années cruciales Alexandre Marc. ⁂ Que nous nous soyons rencontrés grâce à mon ami Max Dominicé, alors pasteur à Belleville,
126 nce à la misère du siècle, une présence enfin qui soit un acte », ainsi que je l’écrirai un an plus tard — et c’est, je croi
127 baud, tout me portait à déboucher sur une action, fût -elle spirituelle d’abord, au-delà de la littérature. Alexandre Marc f
128 ’abord, au-delà de la littérature. Alexandre Marc fut pour moi l’initiateur à la réalité politique. (Avant cela, mes option
129 politique. (Avant cela, mes options politiques s’ étaient bornées à d’acerbes discussions avec les maurrassiens de Suisse roman
130 portait à Versailles des guêtres blanches, ce qui était banal à l’époque pour peu qu’on surveillât sa mise, mais je le mentio
131 e révolutionnaire, pas d’action révolutionnaire » était son slogan préféré. Nous allions bientôt découvrir sa constante préoc
132 ires de cette période). ⁂ L’idée œcuménique avait été lancée par quelques prélats anglicans et théologiens d’Amérique. Elle
133 prélats anglicans et théologiens d’Amérique. Elle était patronnée, vigoureusement, par Nathan Soederblom, primat de Suède. Un
134 mulations diplomatiques. Au surplus, l’entreprise est par nature paradoxale : il s’agit de chercher sinon l’union, du moins
135 ictement formulées. Or c’est cela, justement, qui est personnaliste. Et le paradoxe œcuménique apparaît parfaitement homolo
136 tiques. Je n’ai souvenir que de la première. Nous étions une trentaine dans une salle nue qui me rappelait mes salles d’écoles
137 ertes, nous n’allions pas encore si loin. Nous en étions à découvrir que les passionnés d’orthodoxies au stade naissant — réin
138 n et Gilson, ou de la Sophiologie par Boulgakov — sont mieux capables de nouer le dialogue et de s’entendre que les tenants
139 » et l’élan spirituel passant pour hérésie…) ⁂ Il est probable que Mounier vint un beau soir au Club du Moulin-Vert ; il es
140 ier vint un beau soir au Club du Moulin-Vert ; il est certain que nous nous sommes connus grâce à Marc, qui m’avait d’abord
141 lub du Moulin-Vert ; il est certain que nous nous sommes connus grâce à Marc, qui m’avait d’abord introduit à la revue Plans,
142 ous les groupes personnalistes. Certes, Esprit est l’enfant de Mounier. Quel que soit le nombre des articles que Marc, D
143 ertes, Esprit est l’enfant de Mounier. Quel que soit le nombre des articles que Marc, Dandieu, Aron, Dupuis, Prévost ou mo
144 ’ON et la revue Esprit , les liens personnels ne seront jamais coupés entre les deux branches principales du mouvement person
145 première pour l’ensemble de la collaboration (il est bien vrai que nous nous sommes un peu laissé entraîner).2 Quels so
146 la collaboration (il est bien vrai que nous nous sommes un peu laissé entraîner).2 Quels sont ces articles « venant de l’O
147 s nous sommes un peu laissé entraîner).2 Quels sont ces articles « venant de l’ON » ? J’en trouve trois : Jean-Pierre Car
148 veau », par A. Marc. À coup sûr, ces trois textes sont les plus explosifs du numéro (avec peut-être quelques pages de George
149  ? Il préfère écrire, au seuil du numéro : « Nous sommes le parti de l’esprit avant d’être le parti de la révolution. » Au num
150 méro : « Nous sommes le parti de l’esprit avant d’ être le parti de la révolution. » Au numéro 4, Alexandre Marc donne une im
151 », où l’on peut lire que « la distribution planée sera assurée par un service social obligatoire. Par la participation de ch
152 du groupe, d’abord représenté par Alexandre Marc, fut de loin le plus « révolutionnaire » dans la période de lancement d’ E
153 période de lancement d’ Esprit . En revanche, je suis témoin qu’à quatre ou cinq reprises l’intervention de Marc a seule pr
154 tion de doctrine ou sur une saute d’humeur. Et je fus certes le premier à l’appuyer, comme je fus le seul à collaborer régu
155 Et je fus certes le premier à l’appuyer, comme je fus le seul à collaborer régulièrement aux deux revues, de leur numéro 1
156 de leur numéro 1 jusqu’à la guerre. Mais le fait est que Marc et moi étions fort loin de soupçonner qu’en 1936, l’année mê
157 squ’à la guerre. Mais le fait est que Marc et moi étions fort loin de soupçonner qu’en 1936, l’année même de la publication pa
158 eois (sic) que nous ne pouvons admettre.3 Ce n’ est pas sans tristesse que je transcris ces phrases d’une injustice propr
159 en Cour de Rome), quand il écrit à Berdiaev, qui fut marxiste, Mounier cède aux clichés communistes sur l’ON, dans le même
160 s qu’il écrit à l’archevêque de Paris qu’ Esprit est la seule revue « dirigée et rédigée pour une importante part par des
161 ques » face aux « trois autres grandes revues qui sont de direction communiste », à savoir commune, Europe, et la NRF …5 Vo
162 eût amusé Paulhan. (Mais après tout, si la NRF est « communiste », pourquoi l’ON ne serait-il pas « fasciste » ?) Quelle
163 si la NRF est « communiste », pourquoi l’ON ne serait -il pas « fasciste » ?) Quelle qu’ait été l’importance de ses apports
164 ON ne serait-il pas « fasciste » ?) Quelle qu’ait été l’importance de ses apports à Plans et à Esprit , c’est dans L’Ordr
165 a cohésion de 1930 la guerre. Car jamais unité ne fut achevée à partir d’une plus radicale diversité. Nous étions huit à di
166 evée à partir d’une plus radicale diversité. Nous étions huit à diriger L’Ordre nouveau , si l’on en croit l’en-tête du numér
167 el de la grande tradition socialiste française, n’ était pas seulement notre aîné : il était le seul d’entre nous qui ait lu t
168 française, n’était pas seulement notre aîné : il était le seul d’entre nous qui ait lu tout Marx et tout Proudhon. Auteur d’
169 ard pour sa fameuse Histoire du christianisme. Il est le seul d’entre nous à toucher le grand public en ce temps-là. (Plusi
170 s le bousculer.) Claude Chevalley, mathématicien, est l’un des fondateurs du célèbre groupe « Bourbaki » ; il suit de près
171 ente avec Dandieu. René Dupuis et Jean jardin ont été condisciples de Marc à Sciences Po : le premier y retournera comme pr
172 eur ; le second, qui vient de l’Action française, est alors collaborateur de Dautry à la SNCF. Seul non-Français du groupe,
173 ’une petite maison d’édition protestante, dont je suis censé vivre, tout en écrivant pour la NRF , Esprit , L’Ordre nouve
174 ès tous les jours… Du point de vue religieux, qui est capital, en dépit de ce que pense un vain peuple d’intellectuels pari
175 ON en 1933 : Rops et Jardin (et peut-être Dupuis) sont catholiques déclarés ; moi, protestant d’école barthienne. Arnaud Dan
176 holique, en 1933. La résultante de ces diversités est une neutralité religieuse totale pour l’ensemble du groupe ON, tandis
177 ionnelle d’ Esprit ne fait aucun doute. ⁂ Telles étant donc nos incroyances et nos croyances déclarées, il est intéressant d
178 nc nos incroyances et nos croyances déclarées, il est intéressant de savoir que nous formions un groupe étonnamment compact
179 mment compact, à tel point qu’on ne sait pas quel fut l’apport de qui dans notre doctrine unanime. Sous l’impulsion de Marc
180 numéro de L’Ordre nouveau , beaucoup d’articles sont signés de deux noms, ou d’un nom et d’un pseudonyme, en sorte que la
181 aucune contestation stérile. Toute notre doctrine est de tous. Idée chrétienne peut-être, mais russe assurément. Je donnera
182 on livre intitulé À hauteur d’homme 7. La poésie sera faite par tous répétaient les surréalistes après Lautréamont, qui se
183 . Mais nous savions qu’une société et ses mesures sont affaire de personnes, donc de coopération et de propriété communautai
184 ques et politiques de la pensée personnaliste ont été proposés, formulés et souvent développés en premier lieu par un homme
185 ent, la Nation, voire pris comme source du Droit, est probablement le thème fondamental des écrits d’Alexandre Marc. La rev
186 ière concrète de rappeler au lecteur que l’État n’ est pas autorité, mais seulement pouvoir, ou plus précisément : service p
187 r, ou plus précisément : service public. L’état n’ est pas « la nation organisée » (comme l’affirment les traités de droit f
188 les traités de droit français de l’époque). Il n’ est pas « la Société », ni « la forme politique que tend à revêtit toute
189 à revêtit toute nation civilisée » (Esmein). Il n’ est pas la patrie. Rapportée à l’homme, la patrie n’est ni petite, ni gr
190 pas la patrie. Rapportée à l’homme, la patrie n’ est ni petite, ni grande : elle est humaine. Ses limites — si limites il
191 omme, la patrie n’est ni petite, ni grande : elle est humaine. Ses limites — si limites il y a — ne peuvent être indéfinime
192 ine. Ses limites — si limites il y a — ne peuvent être indéfiniment distendues sans que soit détruit ce sentiment de la fami
193 ne peuvent être indéfiniment distendues sans que soit détruit ce sentiment de la familiarité, du « chez-soi », dont procède
194 ont procède le patriotisme. (ON 32) Si la patrie est chair, attachement, affectivité, la nation représente au contraire « 
195 réalité spirituelle, élective et non native. Elle est le fait de « personnes qui ont su trouver en elles-mêmes la force de
196 catalane. Il n’en reste pas moins que la commune est le lieu privilégié en lequel se trouvent réunis tous les facteurs élé
197 écanisme économico-administratif qui n’en devrait être que le soutien. Par là les valeurs spirituelles se trouvent définitiv
198 r imposer une vision personnaliste de la société, est celle-ci : la source du droit n’est pas l’état, mais la Personne. (No
199 e la société, est celle-ci : la source du droit n’ est pas l’état, mais la Personne. (Notez le jeu des majuscules.) Partant
200 tiquement au culte inhumain de l’état. Ce point a été suffisamment mis en lumière dans tous nos écrits antérieurs pour nous
201 nction entre communauté et société, la communauté étant formée de personnes, « non d’individus ou d’organismes étatiques » (O
202 haft.) Propriété. Le fondement de la propriété n’ est ni dans le mérite, ni dans le travail, ni dans l’utilité, mais dans l
203 ns l’utilité, mais dans la conquête… Le possédant est celui qui marque, que ce soit un objet, une terre, ou le cœur d’un êt
204 nquête… Le possédant est celui qui marque, que ce soit un objet, une terre, ou le cœur d’un être. Ni l’état, ni même la comm
205 que ce soit un objet, une terre, ou le cœur d’un être . Ni l’état, ni même la commune ne pourront rien posséder en tant que
206 ourront rien posséder en tant que tels ; mais ils seront chargés de distribuer aux éléments prolétariens les terres personnell
207 es terres personnelles. (ON 16) Personne. Elle est toujours « supérieure à l’état ». La personne reste à jamais supérieu
208 omme dépasse toujours : la transcendance de cet «  être vertical » qui s’appelle l’homme debout, répond victorieusement à l’«
209 ndamentale du conflit en tant que tel. Le conflit est défini à la fois et inséparablement par la situation de l’homme et pa
210 ne modifiera guère que l’adjectif) : Tout homme est placé dans une certaine situation : c’est ce que les idéalistes sont
211 certaine situation : c’est ce que les idéalistes sont toujours tentés d’oublier. L’homme en général, le citoyen abstrait, l
212 que dans l’imagination déréglée des libéraux ; un être de chair et de sang n’est pas seulement « lui-même », il « est » sa f
213 glée des libéraux ; un être de chair et de sang n’ est pas seulement « lui-même », il « est » sa famille, sa race, sa patrie
214 et de sang n’est pas seulement « lui-même », il «  est  » sa famille, sa race, sa patrie, son milieu social, son métier, sa n
215 rie, son milieu social, son métier, sa nation… Il est sa propre situation. Mais il n’est pas que cela. Tel est le paradoxe
216 sa nation… Il est sa propre situation. Mais il n’ est pas que cela. Tel est le paradoxe fécond du fait agonal (c’est-à-dire
217 propre situation. Mais il n’est pas que cela. Tel est le paradoxe fécond du fait agonal (c’est-à-dire du conflit fondamenta
218 éduction moniste tourne à l’absurde. Si l’homme n’ était que sa situation, celle-ci serait à son tour un pur possible, et non
219 de. Si l’homme n’était que sa situation, celle-ci serait à son tour un pur possible, et non une réalité. Une situation n’est r
220 pur possible, et non une réalité. Une situation n’ est réelle, en effet, que dans la mesure où elle est une, c’est-à-dire da
221 ’est réelle, en effet, que dans la mesure où elle est une, c’est-à-dire dans la mesure où la diversité des éléments (dont s
222 l un abus de langage permet de parler comme s’ils étaient préexistants) se rattache à l’unité d’une perspective. Or, cette pers
223 cette perspective n’existe que parce que l’homme est en quelque manière extérieur à sa situation, parce qu’il connaît l’av
224 ît l’avantage immense du recul. C’est pourquoi il est impossible de parler de la situation de l’homme sans tenir compte de
225 ’homme sans tenir compte de son attitude. Il n’en est peut-être pas ainsi de l’animal dont la situation ne peut être que la
226 e pas ainsi de l’animal dont la situation ne peut être que la résultante d’un concours de circonstances extrinsèques (que l’
227 isme. Pour que cette élimination de la contrainte soit non pas un « vœu », mais une réalité dynamique et progressive, il fau
228 ut dire à personne… : de sorte que l’ordre dans l’ être collectif, comme la santé, la volonté, etc., dans l’animal, n’est le
229 omme la santé, la volonté, etc., dans l’animal, n’ est le fruit d’aucune initiative particulière : il ressort de l’organisat
230 ce de communautés. (ON 37) L’état totalitaire n’ est pas autre chose que l’erreur moniste projetée sur le plan de la vie e
231 ’État-nation, trop petit et trop grand. L’homme n’ est pas fait à l’échelle de ces immenses conglomérats politiques que l’on
232 aie de lui faire prendre pour « sa patrie » : ils sont beaucoup trop grands… ou trop petits pour lui. Trop petits si l’on pr
233 e ce contact direct avec la chair et la terre qui est nécessaire à l’homme. (ON 15) (On sait que l’argument « trop petit e
234 sait que l’argument « trop petit et trop grand » est devenu le pont aux ânes de toute critique fédéraliste de l’État-natio
235 st la patrie concrète, c’est-à-dire la région qui est l’élément constitutif et le fondement réel de notre fédéralisme… L’au
236 notre fédéralisme… L’autonomie de la région doit être développée jusqu’à sa limite extrême : cette limite, c’est l’intérêt
237 citer (non sans scrupules, car ils souffriront d’ être privés de l’éclairage du contexte) me paraissent aujourd’hui correspo
238 leur stabilité, un minimum d’ordre matériel peut être assuré régulièrement (fonction administrative des frontières ; limite
239 n, voici en quelques lignes un condensé de ce qui sera , dans les années septante, le programme des fédéralistes européens :
240 te, dès le congrès de Montreux en 1947. Mais ce n’ est pas seulement la vertu anticipatrice de la pensée de Marc dans les an
241 appe à la relecture, c’est aussi le fait que Marc soit venu à l’Europe par les voies du personnalisme en premier lieu, et pa
242 hèse culturelle, de la vocation mondialisante qui fut la sienne dans ses plus hauts moments, et des menaces de colonisation
243 aujourd’hui sur nos peuples, à l’Ouest comme à l’ Est . Mais on peut aussi partir d’une conception de l’homme et de sa vocat
244 u redevienne européen, la pensée d’Alexandre Marc est promise à beaucoup d’avenir. 1. Cf. mon essai « Adieu, beau désordr
3 1974, Articles divers (1974-1977). Quelques-unes des choses curieuses qui me sont arrivées (1974)
245 Quelques-unes des choses curieuses qui me sont arrivées (1974)m Deux téléphones Octobre 1930 Je viens de passer m
246 ns protestantes en formation. La décision pouvait être prise dès le lendemain, mais serais-je candidat ? Il fallait une répo
247 écision pouvait être prise dès le lendemain, mais serais -je candidat ? Il fallait une réponse immédiate… Trois mois plus tard
248 de l’Occident, politique et social. 5 mai 1941 J’ étais allé passer le week-end à Long Island, et le dimanche matin déjà, j’a
249 a légation suisse de Washington. La place à l’OWI sera déclarée vacante demain après-midi, et sans doute aussitôt repourvue.
250 demain matin, j’ai les plus grandes chances. J’y suis allé le lendemain à neuf heures, et une demi-heure plus tard, je me m
251 d’announcers comme on dit en anglais — speaker n’ étant employé qu’en français — qui allaient devenir mes collaborateurs quot
252 e Saint-Exupéry. Lettres vues Le phénomène s’ est produit à plusieurs reprises dans ma vie : voir des lettres en route
253 pportera demain matin cet « homme de lettres » qu’ est le facteur, selon Voltaire. Ces incidents, dénués de sens utile, n’en
254 ’attendait à la lisière de cette forêt tel soir d’ été , quel sujet d’examen venait de m’être réservé, ou quelles lettres j’a
255 t tel soir d’été, quel sujet d’examen venait de m’ être réservé, ou quelles lettres j’allais recevoir le lendemain. Le soir m
256 vus dans une lumière sobre et mate.) Telle a donc été ma « vision » : formats et couleurs très nettement perçus, mais rien
257 tres fois. Le père Reinecke, survenu peu après, n’ est pas encore convaincu. Il prétend que je savais qui allait m’écrire, e
258 de sur un petit fait indifférent en soi, et qui n’ est pas encore « arrivé » dans le temps. Les trois lettres sont timbrées
259 ncore « arrivé » dans le temps. Les trois lettres sont timbrées d’hier, deux à Genève dans la matinée, une à Neuchâtel à sep
260 une à Neuchâtel à sept heures du soir. Celle qui est bordée de noir est d’un ami ainé, Robert de Traz, qui mentionne en pa
261 sept heures du soir. Celle qui est bordée de noir est d’un ami ainé, Robert de Traz, qui mentionne en passant la mort de sa
262 , survenue il y a quelques jours. La lettre bleue est de Pierre Girard, personnage imprévisible s’il en fut, et je n’avais
263 de Pierre Girard, personnage imprévisible s’il en fut , et je n’avais aucune raison d’attendre qu’il m’écrive. Quant à l’env
264 16 mars 1942 Réveillé il y a quelques minutes, il est onze heures du matin, je me suis dit : « Pourquoi cette lettre est-el
265 lques minutes, il est onze heures du matin, je me suis dit : « Pourquoi cette lettre est-elle pliée en deux ? Ma boite est b
266 u matin, je me suis dit : « Pourquoi cette lettre est -elle pliée en deux ? Ma boite est bien assez profonde pour ce format,
267 oi cette lettre est-elle pliée en deux ? Ma boite est bien assez profonde pour ce format, le facteur devrait le savoir ! »
268 oite métallique. J’ai passé ma robe de chambre et suis descendu les trois étages jusqu’au vestibule : oui, c’est cela, l’env
269 au vestibule : oui, c’est cela, l’enveloppe grise est là, pliée. (Une facture de blanchisseur !) Il me semble que la chose
270 de blanchisseur !) Il me semble que la chose ne m’ était plus arrivée depuis douze ou treize ans, depuis Calw… Ma faculté de p
271 sément, chaque fois qu’elle se manifestait, que j’ étais déconnecté du monde de l’utile. « Tiens, voilà le diable ! » Le
272 La salle étroite et profonde paraît vide. Il doit être environ neuf heures et demie. J’hésite sur le seuil : va-t-on me serv
273 fui. Pas d’autre restaurant dans ce quartier. Je suis monté sans dîner chez mes amis. Trois pannes d’électricité Au m
274 vérité, à y regarder de plus près, l’État-nation est bien malade », sur le mot « près » les lumières revinrent. Cet incide
275 ui a marqué ma naissance, mais une soirée où nous fûmes « visités » dans notre maison de Ferney, le 29 juin 1954. Après le dî
276 ès le dîner, sentant l’atmosphère favorable, nous étions six et heureusement accordés, je suggérai que l’on jouât aux question
277 hérien de langue française ». L’une des questions était  : « Qu’arriverait-il si Jean-Paul devenait pape ? » Et la réponse : «
278 -Paul devenait pape ? » Et la réponse : « Le pape serait luthérien. » Deuxième échange. « Qu’est-ce que la mystique ? » Répons
279 e pape serait luthérien. » Deuxième échange. « Qu’ est -ce que la mystique ? » Réponse : « C’est un petit jardin fermé qui s’
280 uvrira à Pâques. » (On sait que le hortus clausus est un symbole fondamental du mysticisme, flamand et rhénan notamment.) M
281 s de, « Quelques-unes des choses curieuses qui me sont arrivées », Gymnase cantonal de Neuchâtel : 1873-1973, Neuchâtel, Gym
4 1974, Articles divers (1974-1977). Un modèle pour l’Europe ? (1974)
282 n sauf du tonnerre. Les Helvètes d’aujourd’hui ne sont pas moins courageux, ils ne craignent même plus la foudre — éventuell
283 les empêche d’assumer leur vocation. Lorsqu’il m’ est arrivé de soutenir quelques idées sur le rôle de la Suisse dans le mo
284 monde, ou du moins à l’échelle de l’Europe, je me suis fait répondre en haut lieu comme dans nos journaux : « Restons modest
285 ans nos journaux : « Restons modestes ! La Suisse est un petit pays qui doit savoir se tenir à sa place. En proposant de gr
286 venir du continent, elle n’aurait aucune chance d’ être écoutée, ou bien se couvrirait de ridicule. » Je persiste à penser, a
287 nce ou la grandeur d’une vocation communautaire n’ est pas fonction du territoire occupé par le groupe humain qui en est le
288 du territoire occupé par le groupe humain qui en est le porteur. Les Suisses sont les dépositaires d’une grande idée, don
289 groupe humain qui en est le porteur. Les Suisses sont les dépositaires d’une grande idée, dont je crains qu’ils la comprenn
290 si bien pratiquée pendant des siècles. Cette idée est leur histoire même. Bien avant d’être leur « message » (au moins virt
291 . Cette idée est leur histoire même. Bien avant d’ être leur « message » (au moins virtuel), elle a été le principe de leur u
292 ’être leur « message » (au moins virtuel), elle a été le principe de leur union, la formule de leur identité, la condition
293 é vécue, du xiiie au xixe siècle. Mais le mot n’ est jamais prononcé avant le deuxième quart du xixe siècle. C’est à croi
294 contre les « empiètements » du pouvoir fédéral. ( Être fédéraliste, pour tel Vaudois fameux, se réduisait à être « contre Be
295 éraliste, pour tel Vaudois fameux, se réduisait à être « contre Berne ».) Rien n’est moins fidèle à l’esprit et à la genèse
296 ux, se réduisait à être « contre Berne ».) Rien n’ est moins fidèle à l’esprit et à la genèse historique des institutions do
297 genèse historique des institutions dont la Suisse est issue. Il est faux de répéter, comme les manuels de mon enfance, que
298 que des institutions dont la Suisse est issue. Il est faux de répéter, comme les manuels de mon enfance, que la Confédérati
299 es manuels de mon enfance, que la Confédération a été fondée par « les trois cantons primitifs », tandis que dix-neuf autre
300 ix-neuf autres « cantons », au cours des siècles, seraient « entrés » successivement dans le pacte de 1291. De fait, personne n’
301 vement dans le pacte de 1291. De fait, personne n’ est jamais « entré » dans le pacte et celui-ci n’a pas été conclu entre d
302 amais « entré » dans le pacte et celui-ci n’a pas été conclu entre des « cantons », inexistants au xiiie siècle, mais entr
303 Orte, universitates dans le texte original) qui n’ étaient nullement des États et ne se prétendaient nullement souveraines, mais
304 veraines, mais voulaient rester autonomes, ce qui est tout à fait différent. La Suisse est née de la fédération tout empiri
305 omes, ce qui est tout à fait différent. La Suisse est née de la fédération tout empirique de communes forestières, de ville
306 ns » en 1848. La formule créatrice de la Suisse a été  : des communes à la fédération, et non pas : des États souverains à u
307 édérale. (Le terme de canton comme État souverain est relativement récent : inconnu avant le xiiie siècle et fortement con
308 qui ont peu à peu formé la fédération suisse ont été motivées par la double nécessité de protéger leur autonomie et de s’u
309 dération…) Or c’est exactement cette solution qui serait susceptible de résoudre les principales difficultés de la société occ
310 ine méthode fédéraliste veut alors que ces tâches soient attribuées à des communautés de niveau supérieur, continentales le pl
311 ouvent, parfois mondiale. C’est ainsi que le CERN est né, parce que les dimensions de la tâche (conception, construction et
312 t qu’à l’instar des nations qui l’entourent, elle est de plus en plus tentée de se considérer comme un État fermé et limité
313 ter un « Sonderfall ». (Or son cas, justement, ne serait « exceptionnel » que si la Suisse se montrait insensible aux réflexes
314 t insensible aux réflexes stato-nationalistes qui sont communs à ses voisins.) Pour tout dire en une phrase qui rappelle la
315 contre Staline, le fédéralisme dans un seul pays est impraticable. Bloquer le processus fédéraliste aux frontières de notr
316 lisme à toute l’Europe, en attendant le monde, ce serait de l’orgueil, de la jactance, pire encore, de la vanité ! Soyons mode
317 ueil, de la jactance, pire encore, de la vanité ! Soyons modestes ! » Nous nous trouvons ici devant une confusion morale, typi
318 rs. La seule chance de durée de notre fédéralisme est dans son extension à toute l’Europe — de proche en proche. (Et l’on p
319 t des États nationaux : notre Conseil fédéral. Il est certain que la formule napoléonienne de l’État-nation souverain, indi
320 t-nation souverain, indivisible et centraliste, n’ est plus adaptée au monde d’aujourd’hui et le sera moins encore au monde
321 , n’est plus adaptée au monde d’aujourd’hui et le sera moins encore au monde de demain. Les réalités économiques exigent d’u
322 d’hui des aspects continentaux et régionaux qu’il est devenu pratiquement impossible de manipuler à l’échelle nationale, et
323 ’appuie pas sur le relai stato-national, mais qui soit capable simultanément de gérer les intérêts communs à l’échelle conti
324 par ces agences européennes d’un type nouveau que sont dans le domaine économique la CEE, et dans le domaine de la recherche
325 agences de formule comparable devront sans doute être créées, dans les années à venir, pour répondre aux besoins croissants
326 vice des gouvernements et des états-majors. Elles seront responsables non pas devant les États nationaux, mais devant un parle
327 européen. Cette idée d’un gouvernement européen n’ est pas seulement, je le répète, la plus rationnelle que l’on puisse imag
328 déjà, sur la dizaine des agences à prévoir, deux sont à l’œuvre, et la nécessité d’en créer d’urgence deux autres — pour l’
329 ence deux autres — pour l’énergie et la monnaie — est devenue sensible même aux stato-nationalistes les plus obtus, au cour
330 1. Art. 3 et 5 de la Constitution. 12. Pays de l’ Est compris, mais non l’URSS. b. Rougemont Denis de, « Un modèle pour l
5 1974, Articles divers (1974-1977). Philosophie du prix littéraire Prince-Pierre-de-Monaco (1974)
331 il partage seul avec le prix Nobel le privilège d’ être à la fois littéraire et international — mais qu’il ajoute à cette dis
332 qu’il ajoute à cette distinction majeure, celle d’ être uniquement de langue française. International et français, « il faut
333 ’hui. Mais d’abord, il fallait le concevoir. Ce n’ était guère possible à Paris, qui a toujours peine à croire qu’au-delà de s
334 at gouverné par un grand ami des Lettres, — et ce fut le Prince Rainier III de Monaco. ⁂ Je ne me lasserai jamais de chante
335 ire du petit État dans la culture européenne, qui est née de lui. Le petit État présente sur le grand à peu près tous les a
336 s. Voyez les statistiques de notre continent : il est régulièrement en tête de liste pour le revenu par habitant, la qualit
337 aux, des écoles, et des brevets d’invention. Il n’ est en somme qu’un privilège qu’il doive céder au grand État, c’est celui
338 tres, et la philosophie qui oriente les sciences, sont nées de nos cités-États médiévales, renaissantes ou romantiques, Pado
339 doue, Tolède, Oxford, le Paris de la Sorbonne qui était une commune libre ; la Nuremberg de Dürer ; les villes libres de la H
340 h, Salzbourg… Toute la grande culture de l’Europe est née de foyers locaux ou régionaux, et ne doit rien aux dimensions ter
341 tats-nations modernes. En revanche la langue, qui est l’âme de toute culture, ne connaît pas les frontières politiques nées
342 le rythme de variation des domaines linguistiques est millénaire ! Voilà qui fait sentir à quel point la culture et la poli
343 t de toute évidence aucune frontière commune — ce serait miracle, et ce miracle, sauf peut-être en Islande, ne s’est jamais pr
344 e, et ce miracle, sauf peut-être en Islande, ne s’ est jamais produit —, il est d’autres frontières, au sein de la culture m
345 ut-être en Islande, ne s’est jamais produit —, il est d’autres frontières, au sein de la culture même, qu’il importe avant
346 mporte avant tout d’effacer dans nos têtes, et ce sont les frontières des genres, inventions de pédants écolâtres qui séviss
347 ués, qu’au sens américain du mot la fiction seule est création, que les jeux du roman sans sujet, des poèmes « éclatés » et
348 moignent seuls d’un génie inventif, tout le reste étant non-fiction, c’est-à-dire non-littérature, où l’on jette pêle-mêle le
349 aute de mieux, l’on nomme « essais », quels qu’en soient les sujets et le style, les dimensions et l’ambition intellectuelle.
350 emple de Gnide, et non pas à L’Esprit des lois, d’ être qualifié d’écrivain, Rousseau au seul Devin de village, non pas aux C
351 pas aux Confessions ni au Contrat social, qui ne sont pas « fictions » — du moins l’affirme-t-il… Or, une fois prise la tr
6 1974, Articles divers (1974-1977). À propos de Théodore Strawinsky [préface] (1974)
352 ent des gens de pinceau (ou mieux, de formes), il serait décent qu’au lieu d’en profiter pour jouer les critiques d’art qu’ils
353 profiter pour jouer les critiques d’art qu’ils ne sont pas, ils se contentent de dire en amateurs qu’ils devraient être — et
354 e contentent de dire en amateurs qu’ils devraient être — et quel beau titre : celui qui aime ! — ce qu’ils éprouvent devant
355 peinture de Théodore Strawinsky n’exige pas pour être vue et pour donner plaisir à voir la médiation, entre elle et l’œil,
356 elle et l’œil, d’une théorie et d’un jargon. Il n’ est donc pas facile d’en parler — et voilà qui est devenu plutôt rare auj
357 n’est donc pas facile d’en parler — et voilà qui est devenu plutôt rare aujourd’hui, où tant d’artistes exposent des produ
358 cage, et dans une galerie allemande, un artiste s’ est borné à s’exposer lui-même. Tout cela peut inquiéter ou amuser. Tout
359 its, dessins, fragments ou grandes œuvres murales sont des produits de la main maniant le pinceau, la craie, selon les exige
360 rd ces cours du soir du snobisme intellectuel que sont devenues tant de revues et de feuilles imprimées dans le vent, pleine
361 magique, si l’on songe que le cosmos tout entier est fait de vide, ponctué d’électrons infinitésimaux plus éloignés les un
362 éloignés les uns des autres que les étoiles ne le sont de la terre, et que c’est sur ce vide sidéral, infini, cette vacuité
363 res de Théodore Strawinsky, celles que je préfère sont par exemple une certaine toute petite nature morte aux trois cerises,
364 concises, révélant leur essence et leur qualité d’ être , mais laissant transparaître partout la texture de la toile ou de la
365 inceau ! — l’envie de participer à ce travail qui est , chez l’artiste sensible au spirituel, la vraie part du sacré autant
366 acré, quoi qu’en écrive André Malraux, car s’il n’ est pas un art au monde qui ne soit issu du sacré, il n’en est pas non pl
367 alraux, car s’il n’est pas un art au monde qui ne soit issu du sacré, il n’en est pas non plus qui ne tire du sacré sa raiso
368 n art au monde qui ne soit issu du sacré, il n’en est pas non plus qui ne tire du sacré sa raison d’être indiscutable, j’en
369 est pas non plus qui ne tire du sacré sa raison d’ être indiscutable, j’entends bien : de n’être pas discuté, d’être reçu. L’
370 raison d’être indiscutable, j’entends bien : de n’ être pas discuté, d’être reçu. L’art et la technique même de Théodore ne s
371 utable, j’entends bien : de n’être pas discuté, d’ être reçu. L’art et la technique même de Théodore ne sont pas plus indépen
372 e reçu. L’art et la technique même de Théodore ne sont pas plus indépendants de son respect du sens premier, du référentiel
373 spect du sens premier, du référentiel absolu, qui est le sacré dans son action indéfiniment créatrice, que ne le sont l’art
374 dans son action indéfiniment créatrice, que ne le sont l’art et la technique de l’auteur du Sacre du Printemps. Et c’est en
375 tre émouvante du père : « Ton merveilleux livre m’ est cher infiniment et me donne de la joie. Avec quelle conviction, quel
376 e, le futur Jean XXIII, pape de l’œcuménisme, qui est la forme sublime du fédéralisme, de l’unité dans la diversité, hors d
377 amais assez : ce dont l’Église a besoin, ce qui a été consacré en l’an 787 par le IIe concile œcuménique de Nicée, c’est le
378 ée de tout réalisme (mais le danger aujourd’hui n’ est pas là) doit fournir dans un style à la fois monumental et décoratif,
379 de ce monde — cette transfiguration qui se trouve être le nom théologique, le sujet même du chef-d’œuvre à ce jour de Théodo
7 1974, Articles divers (1974-1977). Recherche pour un modèle de société européenne (février 1974)
380 e — ne satisfont plus, ne marchent plus, et qu’il est temps d’inventer mieux. Et en troisième lieu, si l’on recherche un mo
381 odèles étrangers et pour nous aliénants, comme le seraient les modèles américains, ou russes, ou chinois. Cela ne signifie pas u
382 ifiques. Ces solutions spécifiques, par la suite, seront -elles valables pour le reste du monde ? Je n’en sais rien et n’ose pa
383 du repli résigné que de la volonté de dominer (ne fût -ce que moralement) ou de se poser en modèle exemplaire. Une troisième
384 modèle exemplaire. Une troisième possibilité qui serait en somme : la réponse particulière des Européens au défi de la crise
385 son avenir et celui de l’espèce humaine ; et il y est contraint du seul fait qu’il en a, pour la première fois, la liberté.
386 erves existantes ou encore à découvrir de pétrole seront épuisées d’ici soixante-dix ans, ou d’ici trente ans, voire d’ici vin
387 e, leur répond — et je le cite — que ces réserves sont « pratiquement inépuisables, en dépit des théoriciens de l’Apocalypse
388 x ans, et que des mesures de rationnement devront être décrétées dans huit ans. Même jeu pour les métaux nécessaires à l’ind
389 er une politique du pétrole ? ou du cuivre ? Ce n’ est pas tout. Une troisième sorte de prévision a cours dans notre société
390 r des calculs irréfutables. Mais cela ne peut pas être vrai, pour les deux raisons que voici : 1) Il serait déjà très diffic
391 tre vrai, pour les deux raisons que voici : 1) Il serait déjà très difficile de doubler notre production d’énergie d’ici 1980 
392 si nos esprits de la seule question sérieuse, qui est la suivante : étant donné l’impossibilité manifeste d’accroître indéf
393 la seule question sérieuse, qui est la suivante : étant donné l’impossibilité manifeste d’accroître indéfiniment notre consom
394 , cela durera bien autant qu’eux… Admettons qu’il est plus prudent, en tout état de cause, de suivre les futurologues souci
395 ogues calculent un avenir de catastrophes, que ce soit à moyen ou à long terme. Ils nous annoncent des désastres en chaîne,
396 e — et c’est je crois sa formule la plus simple — est née de la volonté typiquement occidentale de croissance illimitée dan
397 mitée dans un monde dont nous avions oublié qu’il est irrévocablement limité. C’est la découverte, puis la prise de consci
398 e temps de doublement de la population du globe n’ était plus que de trente-cinq ans, nous a permis à tous de calculer qu’à ce
399 a permis à tous de calculer qu’à ce taux-là, nous serions six milliards et demi en l’an 2000, 26 milliards en 2070, 208 milliar
400 2000, 26 milliards en 2070, 208 milliards en 2171 soit 1400 habitants au km2 (densité des grandes villes actuelles, étendue
401 e m’arrête là dans mes calculs, mais d’autres ont été plus loin. Je lis dans le beau livre de Paul Ehrlich, Population, res
402 liards d’âmes dans mille ans d’ici, et sa densité serait de deux-mille habitants au mètre carré du sol émergé et immergé ! Mai
403 ues milliards d’années, tout l’univers visible ne serait plus qu’une sphère d’êtres humains, dont le diamètre s’allongerait à
404 l’univers visible ne serait plus qu’une sphère d’ êtres humains, dont le diamètre s’allongerait à la vitesse de la lumière.
405 un jour. La croissance démographique ne peut pas être illimitée. Il faudra bien que quelque chose l’arrête, un jour ou l’au
406 e, un jour ou l’autre. Si l’on ne veut pas que ce soit une catastrophe, il faudra bien que ce soit une libre décision des ho
407 ue ce soit une catastrophe, il faudra bien que ce soit une libre décision des hommes et des femmes. Mais où s’arrêter ? quan
408 evenir exponentielle. La croissance démographique est due en bonne partie aux succès de la science occidentale, laquelle es
409 ie aux succès de la science occidentale, laquelle est aussi à l’origine de la croissance industrielle et technique. Mais to
410 tés*13 très inquiétants… Tout cela, je le répète, est assez exactement quantifiable, mesurable et datable. Cette Apocalypse
411 ante ans, un siècle au mieux — selon les auteurs, est calculée par de nombreux futurologues qu’on dit atteints de sinistros
412 es qu’on dit atteints de sinistrose, mais dont je serais tenté de dire qu’ils pèchent au contraire par excès d’optimisme : car
413 r excès d’optimisme : car pour spectaculaires que soient les catastrophes prévues par leurs méthodes plus ou moins rigoureuses
414 s peur que celles dont ils ne parlent pas, et qui sont liées inexorablement aux succès de la croissance des villes, des méga
415 de les faire mentir. Car elles ne demandent qu’à être démenties, on peut même dire qu’elles ne sont là que pour ça. Si on n
416 u’à être démenties, on peut même dire qu’elles ne sont là que pour ça. Si on ne les croit pas, parce qu’on les juge trop pes
417 d elle touchera le sol.) Mais les futurologues ne sont pas tous pessimistes, il s’en faut. Les plus connus du grand public,
418 les pouvoirs, et pour tout dire les mieux payés, sont ceux qui nous annoncent encore l’âge d’or pour le siècle qui vient, t
419 ction précise sur l’opinion mondiale. Herman Kahn est l’auteur, avec Anthony J. Wiener, d’un ouvrage célèbre sur L’An 2000.
420 e célèbre sur L’An 2000. Son système de prévision est le plus simple qu’on ait jamais imaginé : il repose entièrement sur l
421 it donc de supputer les inventions techniques qui seront faites dans ce temps, et les conséquences politiques qu’elles entraîn
422 méthode n’eût pas permis de prévoir, si elle eût été appliquée vers 1900. Parmi les événements qu’ils qualifient de « surp
423 de son propre auteur, elle les aurait ratés. Ils étaient en effet, comme il le dit, « surprenants et presque toujours inattend
424 rprenants et presque toujours inattendus ». Ils n’ étaient en somme pas sérieux, pas scientifiques, puisque pas mesurables. Ils
425 x, pas scientifiques, puisque pas mesurables. Ils étaient simplement… historiques ! Au surplus, qu’ils soient pessimistes comme
426 ient simplement… historiques ! Au surplus, qu’ils soient pessimistes comme Meadows, Ehrlich, G. Rattray Taylor, Georg Picht, J
427 Dorst, Edward Goldsmith ou René Dubos, ou qu’ils soient optimistes comme Herman Kahn, quelques PDG de choc à la mode d’avant-
428 aître ses responsabilités. Si utiles que puissent être ceux qui calculent nos risques et définissent les contraintes que nou
429 de fonder la politique de notre avenir prochain, soit parce qu’ils ne veulent pas choisir ses buts, soit parce qu’ils rédui
430 oit parce qu’ils ne veulent pas choisir ses buts, soit parce qu’ils réduisent tout à la technologie. Ni les uns ni les autre
431 l’auto mériterait une très ample monographie. Je suis parfois tenté d’écrire cette épopée, ou cette histoire de fous, qui a
432 c’est-à-dire une machine agricole à moteur. « Ce fut mon chemin de Damas », écrit-il cinquante ans plus tard. Depuis l’ins
433 chine de route », sa grande et constante ambition fut d’en construire une semblable pour partir au hasard sur les routes de
434 ze millions de voitures par an. La General Motors est la plus grande firme du monde, l’industrie automobile domine l’évolut
435 mine l’évolution mondiale des industries. Or elle est née, cette industrie n° 1, du fantasme d’un adolescent fugueur, fasci
436 pétrole, et que le pétrole consommé par l’Europe est détenu à 80 % par les pays arabes, voilà la politique mondiale et l’e
437 u’à nos jours. Enfin, la crise monétaire mondiale est due principalement, m’expliquent des banquiers, aux milliards de doll
438 l’économie tout entière suspendues à l’auto, qui est elle-même suspendue aux ressources de pétrole, qui dépendent de la po
439 ui dépendent de la politique des Arabes, laquelle est déterminée par l’existence d’Israël, qui a été rendue possible et néc
440 le est déterminée par l’existence d’Israël, qui a été rendue possible et nécessaire par les camps de la mort et de la folie
441 Herman Kahn vient d’avouer qu’à ses yeux, Hitler était méthodiquement imprévisible. Pourtant d’autres méthodes l’ont bel et
442 eurs » et décrit d’une manière saisissante ce que sera la vie des ouvriers dans les pays totalitaires du xxe siècle. Dans l
443 èvement logique de nos États-nations, lesquels se sont constitués depuis cent-cinquante ans aux dépens des communautés réell
444 euple vers une communauté nouvelle. Cette réponse est mauvaise, voire atroce, mais c’est une réponse tout de même, alors qu
445 son importance fondamentale. Mais l’État-nation n’ est pas seulement responsable de la décadence des liens communautaires, d
446 ion de notre terre et de ses ressources. Mais qui était le Gérant responsable ? La réponse est dangereusement simple. Les res
447 Mais qui était le Gérant responsable ? La réponse est dangereusement simple. Les responsables sont les États-nations, nés e
448 ponse est dangereusement simple. Les responsables sont les États-nations, nés et multipliés sur toute la terre, au xxe sièc
449 multipliés sur toute la terre, au xxe siècle. Ce sont eux seuls qui ont prétendu gérer la terre. Qui s’en sont octroyé le d
450 x seuls qui ont prétendu gérer la terre. Qui s’en sont octroyé le droit souverain. Eux seuls qui en avaient les moyens. Et v
451 ur seul prestige ; en vue de la guerre, dont tous sont nés. Ils ont créé l’économie industrielle sur la base et dans le cadr
452 ntières nationales, et pour leurs seuls intérêts, fussent -ils contraires aux intérêts de leurs habitants et de l’humanité en gé
453 du sur toute la terre. Et avec cela, le principal est sinon dit, du moins très clairement annoncé, sur la recherche que je
454 oblème très sérieux, voire formidable. Nous avons été formés par quatre ou cinq générations d’instruction publique à consid
455 ruction publique à considérer que l’État national est l’aboutissement suprême de toute l’histoire. Qu’il n’y a rien à imagi
456  ; environ 150 États-nations, dont les deux tiers sont nés au xxe siècle. Ils se touchent tous : plus de jeu, plus de vide
457 épète non sans quelque emphase que le xxe siècle est le siècle des nations, que la nation est la réalité par excellence du
458 siècle est le siècle des nations, que la nation est la réalité par excellence du xxe siècle. Je lui réponds : oui, mais
459 ssi, la pollution aussi, l’État totalitaire aussi sont des « réalités » typiques du siècle. Ce n’est pas une raison pour les
460 si sont des « réalités » typiques du siècle. Ce n’ est pas une raison pour les accepter, moins encore pour les glorifier. En
461 de près14, nous nous apercevons que l’État-nation est bien malade. Et tout d’abord, sa souveraineté prétendue est de plus e
462 alade. Et tout d’abord, sa souveraineté prétendue est de plus en plus illusoire. Selon Jean Bodin (xvie siècle), la souver
463 que supranationale. Ce dernier refus, d’ailleurs, est particulièrement maladroit, et révèle bien la faiblesse réelle de l’É
464 en la faiblesse réelle de l’État-nation ; tant il est clair qu’aucun problème écologique ne se laisse définir par nos front
465 spondent aux mêmes frontières, et ce miracle ne s’ est jamais réalisé. L’idée de la coïncidence territoriale de l’idéologie,
466 , de l’économie, de l’état civil et de la culture serait proprement délirante si elle ne s’expliquait pas nécessairement par l
467 pliquait pas nécessairement par la guerre. Elle n’ est plus tenable au xxe siècle. L’État-nation ne répond plus aux problèm
468 encore moins aux réalités civiques. L’État-nation est à la fois trop petit et trop grand. Trop petit pour jouer un rôle int
469 ée à d’autres civilisations ou cultures, l’Europe est caractérisée par une extrême diversité, due aux sources multiples de
470 ns, plus tard des Arabes au Sud et des Slaves à l’ Est . Impossible donc de concevoir une union européenne sur un modèle stat
471 ple confédération fondée sur des États souverains serait contradictoire dans les termes, impraticable. C’est l’idéal qu’affirm
472 . La seule forme d’union concevable et praticable étant donné les réalités spécifiquement européennes, serait une fédération
473 nt donné les réalités spécifiquement européennes, serait une fédération fondée sur des régions, plus petites que nos États act
474 ue je conçois et cherche à repérer, à définir, ne seront pas des mini-États-nations qui reproduiraient en pire les prétentions
475 onnelles, c’est-à-dire définies par des fonctions soit économiques, soit culturelles et éducatives, soit écologiques, soit s
476 dire définies par des fonctions soit économiques, soit culturelles et éducatives, soit écologiques, soit sociales, et dont l
477 soit économiques, soit culturelles et éducatives, soit écologiques, soit sociales, et dont les aires territoriales ne se rec
478 soit culturelles et éducatives, soit écologiques, soit sociales, et dont les aires territoriales ne se recouvrent pas plus q
479 ersement superposées. Mais justement : complexité est l’un des mots-clés du modèle recherché, l’un des mots-clés de l’Europ
480 La motivation la plus profonde du modèle régional étant d’offrir une structure de participation civique à la personne, elle i
481 es petites communautés. Là seulement l’homme peut être vraiment libre, car là seulement il est vraiment responsable. Jean-Ja
482 mme peut être vraiment libre, car là seulement il est vraiment responsable. Jean-Jacques Rousseau l’avait déjà bien vu et t
483 de prise sur ses réalités, moins nombreux donc y sont les responsables de tout ordre, à tel point que dans un grand pays, i
484 omme en général. 13. À l’instant même où ce mot était prononcé, les lumières s’éteignirent dans tout le canton de Genève. C
8 1974, Articles divers (1974-1977). L’Europe des régions (juin-juillet 1974)
485 ’Europe. La simultanéité de cette remise en cause est -elle purement fortuite ? Je ne pense pas qu’il y ait une crise de la
486 une montée puissante de l’idée de région. Ce qui est en crise c’est l’État-nation napoléonien qui s’oppose aux régions et
487 ant à la simultanéité des deux phénomènes, elle n’ est aucunement fortuite ; à mesure que les frontières s’abaissent, les ré
488 es des deux côtés de la frontière, qui ne peuvent être résolus d’un seul côté. Le Marché commun en 1960-1961 a commencé à ét
489 grandes régions. Or, sur les 9, deux seulement n’ étaient pas transfrontalières : Paris et l’Auvergne ; toutes les autres étaie
490 alières : Paris et l’Auvergne ; toutes les autres étaient transfrontalières, y compris la Bretagne, liée au monde atlantique, c
491 sque toutes les régions intéressantes de l’Europe sont transfrontalières ; elles ne sont pas ethniques. Elles le sont dans c
492 tes de l’Europe sont transfrontalières ; elles ne sont pas ethniques. Elles le sont dans certains cas, où vous avez par exem
493 ntalières ; elles ne sont pas ethniques. Elles le sont dans certains cas, où vous avez par exemple les Basques et les Catala
494 avez par exemple les Basques et les Catalans qui sont , eux, à la fois dans des régions ethniques et transfrontalières. Ils
495 es régions ethniques et transfrontalières. Ils ne sont nullement séparés, mais au contraire reliés par les Pyrénées. On nous
496 s par les Pyrénées. On nous a raconté que le Rhin était une frontière naturelle entre les Français et les Allemands. Admetton
497 ds. Admettons cela ; mais alors pourquoi le Rhône est -il un lien naturel entre la Provence et les gens qui habitent du côté
498 mporte quoi pour les besoins de la cause. Comment êtes -vous parvenu à associer l’idée d’Europe à l’idée de région ? C’est à
499 région ? C’est à partir de l’idée d’Europe que je suis parvenu à l’idée de région. J’ai pensé, avec beaucoup de gens, au len
500 eaucoup de gens, au lendemain de la guerre, qu’il était vital de « faire l’Europe » comme on disait, d’arriver à une union fé
501 à une union fédérale, ou d’un autre type. Je me suis aperçu très vite qu’on ne pourrait pas y arriver à cause de la formul
502 unie. D’autre part, dans la faible mesure où l’on est arrivé à abaisser un peu les frontières, on s’aperçoit que les région
503 ères, on s’aperçoit que les régions resurgissent, soit qu’il s’agisse d’anciennes provinces dont le relief avait été effacé
504 agisse d’anciennes provinces dont le relief avait été effacé par le bulldozer du jacobinisme, soit qu’il s’agisse de région
505 avait été effacé par le bulldozer du jacobinisme, soit qu’il s’agisse de régions nouvelles, ou créées par l’économie et par
506 deux types de régions : les régions ethniques qui sont les plus visibles, et les plus brillantes, et à mon sens peut-être le
507 peut-être les moins sérieuses, et les régions qui sont définies par un certain nombre de facteurs à la fois ethniques, écono
508 dites-vous que le phénomène des régions ethniques est peut-être le moins sérieux ? Attention, j’ai dit cela dans un sens po
509 eut pas bâtir des régions sur un seul facteur qui serait la langue par exemple : les Bretons réclament une région Bretagne, ma
510 s Bretons réclament une région Bretagne, mais ils sont obligés de constater que le Breton n’est parlé que dans une partie du
511 ais ils sont obligés de constater que le Breton n’ est parlé que dans une partie du pays, le reste c’est le gallo qui va jus
512 i va jusqu’à Rennes et jusqu’à Nantes, villes qui sont indispensables, du point de vue économique, à la vie de cette région 
513 e « lit de Procuste » d’une frontière commune qui serait un mini-État-nation. Ce qu’il nous faut éviter à tout prix. Je pense
514 0 mini États-nations, au lieu de 25 États-nations serait aggraver le mal « stato-national » d’une manière absolument insupport
515 ’heure que la définition d’une région aujourd’hui est beaucoup plus complexe. Qu’elle peut être économique aussi bien qu’et
516 ourd’hui est beaucoup plus complexe. Qu’elle peut être économique aussi bien qu’ethnique, qu’elle peut être une question de
517 e économique aussi bien qu’ethnique, qu’elle peut être une question de tradition, ou de développement nouveau, d’ouverture s
518 ir ; que la plupart des régions intéressantes qui sont en train de prendre forme en Europe sont transnationales, donc par-de
519 ntes qui sont en train de prendre forme en Europe sont transnationales, donc par-dessus les frontières. Il y a là toute une
520 s. Il y a là toute une problématique nouvelle qui est loin d’être passéiste, qui est progressiste, futuriste. Une remarque
521 à toute une problématique nouvelle qui est loin d’ être passéiste, qui est progressiste, futuriste. Une remarque sur laquelle
522 tique nouvelle qui est loin d’être passéiste, qui est progressiste, futuriste. Une remarque sur laquelle je voudrais insist
523 is insister : les frontières de nos États-nations sont indéfendables aujourd’hui. Bidault les a appelées « des cicatrices de
524 appelées « des cicatrices de l’histoire », ce qui était assez joli. Le professeur Ancel, de la Sorbonne, dit : « ce sont le r
525 . Le professeur Ancel, de la Sorbonne, dit : « ce sont le résultat des viols répétés de la géographie par l’histoire ». Aujo
526 tre part celle de l’Europe. C’est absolument lié. Est -il possible de construire l’Europe par une association des différents
527 re. Si vous faites une « amicale », vous cessez d’ être « misanthropes » ; mais si vous restez misanthropes, vous ne faites p
528 vouloir faire l’Europe. Dans ces conditions nous sommes devant un dilemme parfaitement clair : ou bien on fait l’Europe et il
529 conomiquement par l’Ouest, et politiquement par l’ Est . C’est déjà en bonne partie réalisé pour le quart de l’Europe, à l’es
530 nne partie réalisé pour le quart de l’Europe, à l’ est , qui est satellisé par les Russes, et c’est réalisé en bonne partie p
531 e réalisé pour le quart de l’Europe, à l’est, qui est satellisé par les Russes, et c’est réalisé en bonne partie par l’écon
532 artie par l’économie de nos États de l’Ouest, qui est envahie par les Américains qui rachètent des dizaines d’entreprises t
533 zaines d’entreprises tous les jours. Les chiffres sont absolument étonnants, quelles que soient les mesures prises officiell
534 s chiffres sont absolument étonnants, quelles que soient les mesures prises officiellement, surtout les discours faits sur l’«
535 endance totale » du pays ! Je ne dirai pas que je suis antiaméricain ou que je suis antirusse, il faut ne pas se tromper là-
536 ne dirai pas que je suis antiaméricain ou que je suis antirusse, il faut ne pas se tromper là-dessus. Je pense que la colon
537 e tromper là-dessus. Je pense que la colonisation est une très mauvaise chose. Je ne pense pas que les Américains et les Ru
538 Je ne pense pas que les Américains et les Russes soient des gens pires que nous, je pense que la colonisation est pire que to
539 gens pires que nous, je pense que la colonisation est pire que tout. Quand un peuple se met à rendre les rênes à un autre p
540 it acheter, pour ce qu’il doit cultiver, alors il est perdu. C’est la décadence totale d’un peuple ; c’est ce que l’on a vu
541 ays colonisés. Donc les raisons de faire l’Europe sont plus grandes que jamais. Mais les obstacles à l’union sont plus clair
542 grandes que jamais. Mais les obstacles à l’union sont plus clairs que jamais : c’est la formule de l’État-nation qui préten
543 s réalités. À mon sens l’Europe des États-nations est une Europe des mythes, puisqu’elle repose sur le mythe de la souverai
544 e la définition même de la souveraineté nationale est donnée par Jean Bodin au xvie siècle : c’était le droit de déclarer
545 porte quelle autre sur leur souveraineté absolue, être stoppées à 1h de leur victoire, à 1h du Caire par un froncement de so
546 par un grognement de l’ours russe. Eh bien, il a été démontré ce jour-là que la souveraineté nationale absolue était un my
547 ce jour-là que la souveraineté nationale absolue était un mythe. Moi je demande simplement que nous fassions une Europe sur
548 e à renverser des choses qui n’existent plus, qui sont des symboles, des mythes d’un passé révolu et que nous commencions à
549 c’est là le sentiment des jeunes, de même que ce sont les jeunes qui sont responsables de la montée de l’idée de région.
550 nt des jeunes, de même que ce sont les jeunes qui sont responsables de la montée de l’idée de région. L’ambiguïté du jaco
551 est peut-être particulièrement frappant en France étant donnée la tradition centralisatrice sur laquelle je n’ai pas besoin d
552 n d’insister. Les régions au sens réel, devraient être « reconnues » et non pas délimitées de l’extérieur. Les vingt-deux ré
553 ingt-deux régions françaises actuelles ont toutes été faites à Paris, elles ont été préfabriquées dans les bureaux indépend
554 ctuelles ont toutes été faites à Paris, elles ont été préfabriquées dans les bureaux indépendamment de toute consultation d
555 aurait fallu faire exactement le contraire et on sera bien obligé de le faire un jour ou l’autre. Il aurait fallu une étude
556 ion. Des possibilités de solutions qui pourraient être données sur une base autonome, autogérée, et à partir de là, voir com
557 donc faire des régions de taille européenne ». Qu’ est -ce que ça veut dire ? Quand je pousse un peu les gens qui défendent c
558 ent par me dire « il faut qu’une région en France soit compétitive avec un Land allemand ». Alors je leur dis : « avec quel
559 créer et animer des régions ? Je pense qu’il faut être bien conscient des finalités qu’on donne à la création des régions. P
560 t faire sur la réalité, et non une finalité. Ce n’ est pas cela qui meut les gens, qui les motive : faire une chose petite !
561 t su dire qu’une chose — ce qu’elle ne devait pas être  : ni une atteinte à l’unité nationale, ni une communauté autonome, ni
562 Europe fédérale. Quand diront-ils ce qu’elle doit être  ? Ce qu’il y a de plus grave dans les États-nations actuels, c’est su
563 s au discours révolutionnaire dont les barricades sont le signe, ou dans cette « majorité silencieuse », qui est une sorte d
564 igne, ou dans cette « majorité silencieuse », qui est une sorte d’imbécilité civique, de désertion. Discours ou indifférenc
565 vique, de désertion. Discours ou indifférence qui sont aussi morbides l’un que l’autre. Contre cela il faut recréer des comm
566 e faire des régions. Je dis que les États-nations sont trop petits à l’échelle internationale, mais trop grands pour animer
567 unes devraient-elles reprendre le pouvoir ? Je ne suis pas du tout d’accord avec le terme « prendre le pouvoir ». Et c’est l
568 nt. Toute l’histoire du xxe siècle le dément. Il est devenu évident que l’État est plus fort que les hommes qui croient s’
569 iècle le dément. Il est devenu évident que l’État est plus fort que les hommes qui croient s’en emparer. Il les digère, il
570 arer. Il les digère, il les phagocyte, quelle que soit leur idéologie, marxiste ou capitaliste, de droite ou de gauche, phal
571 tés multinationales. En effet, si l’État-nation n’ était pas en crise, il n’y aurait pas de sociétés multinationales. C’est pa
572 tat-nation, comme le dit la critique fédéraliste, est à la fois trop petit et trop grand qu’il y a des sociétés multination
573 hasard des traités et des guerres : les armées se sont arrêtées par hasard là. Il n’y a aucune espèce de raison que ça coïnc
574 de avec un espace économique raisonnable. Donc il est fatal que le développement même de l’industrie et du commerce conduis
575 par exemple à l’encontre du Marché commun : « qu’ est -ce que le Marché commun réussit à faire sinon à créer un espace pour
576 pour les multinationales ? » Et alors la question est réglée à partir de ce moment-là. Or, je voudrais faire observer ceci 
577 ts de sociétés multinationales. Il y a celles qui sont axées sur la puissance, qui réunissent le plus grand nombre possible
578 ent au pays dans lequel elles s’installent et qui sont obligées par la nature même de leurs activités économiques de s’y int
579 ever, elle, me paraît entre les deux ; Unilever n’ est pas liée à des histoires militaires comme ITT. Il n’y a pas seulement
580 e face aux pétroliers. La liberté des gouvernants est d’autant plus faible que le territoire est plus exigu, et l’État moin
581 rnants est d’autant plus faible que le territoire est plus exigu, et l’État moins fort : les pétroliers font davantage la l
582 ent aujourd’hui. Il y en aurait deux : le premier serait un pouvoir continental qui serait bien supérieur à celui des États-na
583 ux : le premier serait un pouvoir continental qui serait bien supérieur à celui des États-nations, et l’autre serait le pouvoi
584 n supérieur à celui des États-nations, et l’autre serait le pouvoir des régions parce que les régions seraient nécessairement
585 rait le pouvoir des régions parce que les régions seraient nécessairement consultées et pourraient dire : « voilà une chose qui
586 ui ne cadre absolument pas avec nos coutumes, qui est destructrice de l’environnement, qui est trop grande pour nous, qui n
587 mes, qui est destructrice de l’environnement, qui est trop grande pour nous, qui n’est pas adaptée à nos traditions, ou qui
588 vironnement, qui est trop grande pour nous, qui n’ est pas adaptée à nos traditions, ou qui démoralise et dégrade notre popu
589 par des salaires trop forts pour des gens qui ne sont pas doués pour le genre de travail offert ». À travailler en faveur d
590 s régions, on pointe vers une même résultante qui est l’autogestion. L’autogestion à tous les degrés et dans tous les sens
591 e la presse, des partis, de l’opinion publique, n’ est pas tellement différent du danger des sociétés nationales jouant sur
592 ationales vis-à-vis de telle ou telle nation, qui sont en train de détruire sans scrupules les équilibres écologiques ou soc
593 vez des phénomènes de colonisation intérieure qui sont exactement comparables à ceux que l’on reproche aux multinationales.
594 La seule différence c’est que les frontières ont été supprimées entre les « nations », au sens antique du mot, à l’intérie
595 grès américain, qui donnait l’essentiel de ce qui est devenu plus tard le rapport sur le club de Rome signé par les Meadows
596 ir qu’il y a deux sens au mot « croissance », qui sont absolument différents — je dirais presque antinomiques — en tous cas
597 e dirais presque antinomiques — en tous cas qu’il est très dangereux de confondre. La croissance biologique, végétale ou an
598 arbre, en éléphant ou en corps humain. Tout cela est bel et bon, la croissance, c’est la vie, la loi de la vie ; tout le m
599 e, c’est la vie, la loi de la vie ; tout le monde est donc pour la croissance économique, industrielle, technologique… Mais
600 es de notre civilisation. Je m’explique : il faut être absolument clair là-dessus. La croissance du vivant est autoréglée :
601 solument clair là-dessus. La croissance du vivant est autoréglée : c’est la même loi de la vie qui fait qu’une plante ou un
602 oissances également régulées par un programme qui est dans les chaînes de chromosomes et dans les gènes. La croissance viva
603 lle sur des absurdités de ce genre ; nous ne nous sommes absolument pas rendu compte que les courbes exponentielles dépassaien
604 du siècle, à des altitudes irrespirables, où tout être humain disparaîtrait, où les ressources de la terre seraient épuisées
605 main disparaîtrait, où les ressources de la terre seraient épuisées, dans un temps extrêmement bref. L’impact du rapport du club
606 ement bref. L’impact du rapport du club de Rome a été absolument décisif. Quelles que soient les critiques qu’on puisse fai
607 lub de Rome a été absolument décisif. Quelles que soient les critiques qu’on puisse faire sur le choix des paramètres, je n’ai
608 , parce que la consommation d’électricité » (ça a été mesuré par les ordinateurs !) « double tous les sept ans ». Voilà don
609 it ans ? Il faut la multiplier par 16 384, ce qui est dément : on ne peut transformer toute la substance de la terre en éne
610 NB, la croissance du revenu par tête d’habitant n’ est pas une mesure humaine qui puisse diriger une politique, il faut abso
611 conformément à la finalité que nous acceptons. Je suis très optimiste après la crise du pétrole, parce que je vois des gens
612 , énergie des fleuves, des petits lacs… Tout cela était complètement négligé et méprisé par les auteurs depuis une dizaine d’
613 ’on veut passer à une croissance autoréglée — qui est la croissance normale, biologique — c’est par le moyen des petites un
614 , déjà, et puis les mass-médias raisonnent ainsi. Est -ce qu’une expression régionale spontanée pourrait en sortir ? On voit
615 n que vous faites de la mentalité d’aujourd’hui n’ est pas tout à fait exacte. Il n’est pas exact de dire que les gens ne so
616 d’aujourd’hui n’est pas tout à fait exacte. Il n’ est pas exact de dire que les gens ne sont motivés que par des questions
617 xacte. Il n’est pas exact de dire que les gens ne sont motivés que par des questions de « fric » ou de pouvoir d’achat. Natu
618 rité ? Sans doute, car toute l’histoire du siècle est dominée par l’angoisse des hommes devant l’absence de communautés. De
619 sibilités d’intervenir et d’avoir une efficacité. Est -ce que l’angoisse communautaire est un effet de la concentration urba
620 e efficacité. Est-ce que l’angoisse communautaire est un effet de la concentration urbaine et de l’exode rural ? Cela va en
621 emble. Mais les villes n’existent plus guère : ce sont des faubourgs, des banlieues. Des agglomérations qui n’ont plus de ce
622 ens puissent se rencontrer, depuis que les places sont devenues des parkings, et que les rues sont envahies par le flot de l
623 laces sont devenues des parkings, et que les rues sont envahies par le flot de la circulation des voitures. On a détruit les
624 arrive à cette grande angoisse communautaire qui est absolument inconsciente chez l’homme, chez la grande majorité des hom
625 e celle-là. Il leur disait : « Suivez-moi et vous serez tous ensemble. » Et cela suffisait à tout justifier pour eux. Ils éta
626 Et cela suffisait à tout justifier pour eux. Ils étaient là, tous, le bras levé, à hurler en cadence, et ils se sentaient ense
627 ne valeur concrète et quotidienne. C’est cela qui est important, partir d’en bas… Mais les gens ont changé, ont quitté leur
628 ui habite dans sa commune d’origine. Presque tous sont déplacés. Prenez la ville de Genève, vous avez une minorité de Genevo
629 à-dire de Suisses d’autres cantons, et les autres sont des étrangers. Donc, il n’y a plus qu’une minorité de Genevois. Chose
630 de Genevois. Chose étrange, les mœurs politiques sont restées les mêmes à Genève à travers les siècles. La composition de l
631 vers les siècles. La composition de la population est entièrement nouvelle, et les Suisses allemands qui viennent à Genève,
632 fois de racines et de mobilité. Si on le force à être enraciné comme un paysan lié à la terre, c’est un grand malheur. Et s
633 n lié à la terre, c’est un grand malheur. Et s’il est purement nomade, aussi. Mon idée de l’homme complet, la personne, c’e
634 uler. Besoin de communauté et besoin de solitude. Est -ce que la région, reposant sur la commune, reposant sur des groupes d
635 associations, si j’ai bien compris votre pensée, est possible dans un monde sans racines paysannes ? Nous sommes dans une
636 sible dans un monde sans racines paysannes ? Nous sommes dans une société à dominante urbaine, caractérisée par l’« atomisatio
637 des individus que l’État fait son ciment. Cela n’ est pas un phénomène nouveau, cela existait à la fin du monde hellénistiq
638 à la fin du monde hellénistique quand les villes sont devenues trop grandes. Les villes de la période classique grecque — l
639 s de la période classique grecque — la polis où s’ est formé le sentiment communal — montrent la grande sagesse des Grecs :
640 lis n’a jamais dépassé 100 000 habitants — ce qui était considéré comme la limite extrême pour que les gens restent encore ma
641 avec l’Empire d’Alexandre, toutes ces normes ont été délaissées, et on a bâti des villes énormes, comme Antioche où il y a
642 25 km de rues éclairées toute la nuit mais où il était devenu impossible de se promener sans armes. Et ces villes naturellem
643 romener sans armes. Et ces villes naturellement n’ étaient plus des communes. Il n’y avait plus l’agora sur laquelle les gens po
644 ssaient par quartier selon leurs professions. Ils étaient mis à l’écart de la communauté, celle-ci était alors gérée par un nom
645 étaient mis à l’écart de la communauté, celle-ci était alors gérée par un nombre décroissant de gens, finalement par un seul
646 bien définie dans Le Contrat social : plus l’État est grand, moins il y a de magistrats, moins il y a de responsables. Quan
647 rats, moins il y a de responsables. Quand un État est tout petit, comme Genève au temps de Jean-Jacques, alors il y a une q
648 s la cité grecque antique. Donc, la participation est maximale dans une communauté minimale, et inversement… Aujourd’hui, n
649 nistique. Simplement c’est plus grave, les villes sont plus grandes, il y a des moyens d’action beaucoup plus dangereux à ma
650 s destructions. On peut recréer des places qui ne soient pas des parkings, on peut interdire les rues aux voitures, cela deman
651 l’esprit des communes. Les villes du xixe siècle sont des villes en étoile avec de très larges avenues qui servent au défil
652 ervent au défilé des troupes, elles peuvent aussi être balayées par les tirs des soldats de la garde en cas de révolution. A
653 repérer, d’après l’architecture d’une ville, quel est le système politique qu’elle représente. Dans le développement de qu
654 ns le plus précis du terme, c’est-à-dire que l’on est en train de fabriquer des petits soldats, des sujets bien alignés, qu
655 responsables de rien dans la cité. Ce qui se fait est fait par les autres (« Ils », l’État). On les subit. Tout ce que l’on
656 rrespond à une manière de juger la vie où l’homme est une pure et simple carte d’identité, un producteur-consommateur docil
657 st la loi économique qui a fait que ces villes se sont agrandies démesurément et que notre économie a secrété certaines orga
658 uestion. L’économie n’a rien à exiger, l’économie est là au service des hommes. Si on vous dit que les dimensions optimums
659 ourrait bien que l’on arrive à des désastres, qui sont calculables d’ores et déjà. « L’avenir est notre affaire » Tous
660 ui sont calculables d’ores et déjà. « L’avenir est notre affaire » Tous ces sujets seront-ils abordés dans votre proc
661 « L’avenir est notre affaire » Tous ces sujets seront -ils abordés dans votre prochain livre ? C’est essentiellement ce titr
662 ntiellement ce titre que je donne au livre que je suis en train de terminer. Je dis : « l’avenir est notre affaire ». Comme
663 je suis en train de terminer. Je dis : « l’avenir est notre affaire ». Comme de toutes ces choses dont nous parlons, il fau
664 x jeunes aujourd’hui que c’est leur affaire. Ce n’ est pas l’affaire de fatalités auxquelles on ne peut rien comprendre, aux
665 chnocrates peuvent comprendre quelque chose. Ce n’ est pas l’affaire des ordinateurs, ce n’est pas l’affaire des impératifs
666 ose. Ce n’est pas l’affaire des ordinateurs, ce n’ est pas l’affaire des impératifs X et Y, c’est leur affaire. Souvent les
667 c’est leur affaire. Souvent les gens n’aiment pas être responsables de leur sort, surtout quand on les cache derrière des fa
668 , qu’il faudrait développer. Justement le désir d’ être responsable, d’être digne, à ses propres yeux de vivre et valoir quel
669 elopper. Justement le désir d’être responsable, d’ être digne, à ses propres yeux de vivre et valoir quelque chose. C’est bea
670 obal, général : responsabilités. C’est le mot qui est antinomique d’« irresponsabilité » générale de l’homme perdu dans les
671 er de communauté, l’atelier de municipalité ». Je suis tout à fait d’accord, je pense que l’autogestion doit se développer d
672 besoins… c’est cela la politique véritable, ce n’ est pas de savoir si l’on est de gauche ou de droite. La politique qui do
673 litique véritable, ce n’est pas de savoir si l’on est de gauche ou de droite. La politique qui doit être à la base de la ré
674 est de gauche ou de droite. La politique qui doit être à la base de la région, doit être la politique d’autogestion de la co
675 itique qui doit être à la base de la région, doit être la politique d’autogestion de la commune — ce qui n’existe pas non pl
676 bien particuliers suivant les entreprises : ce n’ est pas le même problème, suivant la nature des entreprises. Il y a beauc
677 ntreprises. Il y a beaucoup d’expériences qui ont été faites, allant plus ou moins de la cogestion à l’autogestion, à l’aut
678 togestion des régions. La formule des fédérations est extrêmement simple : elle consiste à faire coïncider les niveaux de d
679 des tâches et de la dimension des communautés qui sont amenées à prendre des décisions. C’est cela le fédéralisme : que chac
680 ralisme : que chacun fasse à son niveau, ce qu’il est capable de faire et que, pour ce qui dépasse son niveau, il s’unisse
681 par le chapeau suivant : « À l’heure où l’Europe est en crise comme elle ne l’a jamais été — crise de croissance ou crise
682 où l’Europe est en crise comme elle ne l’a jamais été — crise de croissance ou crise mortelle, nul ne le sait encore — il n
683 u crise mortelle, nul ne le sait encore — il nous est apparu indispensable de donner la parole à l’un des “pères de l’Europ
684 lus précisément neuchâteloise, Denis de Rougemont est le théoricien par excellence du fédéralisme, du régionalisme et de la
685 truction européenne. Écrivain, Denis de Rougemont est un excellent observateur de l’Europe et de l’Occident. L’Europe, il d
686 riginalité de notre continent. Denis de Rougemont est avant tout orienté vers l’avenir : la prospective. Ce philosophe et h
687 enir : la prospective. Ce philosophe et historien est un futurologue passionné d’écologie, il croit qu’aucune fatalité ne p
688 une fatalité ne pèse sur nos sociétés et que nous sommes maîtres de notre destin. C’est ce qu’il dira prochainement dans son o
689 prochainement dans son ouvrage intitulé L’Avenir est notre affaire . »
9 1974, Articles divers (1974-1977). Surréalisme : un jeu qui dure depuis 50 ans (7-8 septembre 1974)
690 ew York en 1941, à l’Office of War Information. J’ étais devenu le rédacteur principal de l’émission La Voix de l’Amérique par
691 ue parle aux Français. Mes deux textes quotidiens étaient lus par deux équipes d’« announcers » (le mot de « speaker » n’est em
692 équipes d’« announcers » (le mot de « speaker » n’ est employé qu’en France) parmi lesquels se trouvaient Claude Lévi-Straus
693 -Strauss et André Breton. Entre Breton et moi, ce fut une sorte de coup de foudre d’amitié. Nous avons décidé de nous renco
694 c une sorte de groupe ? Le surréalisme a toujours été , à Paris, une affaire de groupe, dont Breton était le « pape », mais
695 été, à Paris, une affaire de groupe, dont Breton était le « pape », mais au-dessus du pape, il y avait le Bon Dieu, c’est-à-
696 upe, ni partagé son idéologie, ce qui m’a évité d’ être excommunié tôt ou tard. C’était entre nous, à New York, une simple af
697 s artistement disposés. Les allures un peu folles étaient admises, jamais la drogue. Breton ne l’eût pas toléré. Il régnait par
698 Breton prenait très au sérieux. Pour lui, le jeu était une sorte d’expérimentation du psychisme, de la surréalité, de ce qui
699 it par paires. L’un écrivait trois questions : qu’ est -ce que ceci ou cela ? ou : qu’arriverait-il si… ? Et l’autre, en même
700 nt. » Et, dans la seconde, toutes les lumières se sont éteintes dans la maison. La crise de l’énergie Cela vous est-il
701 la maison. La crise de l’énergie Cela vous est -il arrivé depuis ? Oui, dans des circonstances assez différentes. Je
702 là que sur le mot « raté » toutes les lumières se sont éteintes dans la salle (et, comme on l’a su plus tard, dans tout le c
703 moment où je lis dans mes notes : « Ceci devrait être regardé de plus près », toutes les lumières se sont rallumées. Était-
704 re regardé de plus près », toutes les lumières se sont rallumées. Était-ce « la part du diable » ? Breton m’a souvent parlé
705 us près », toutes les lumières se sont rallumées. Était -ce « la part du diable » ? Breton m’a souvent parlé de ce livre, que
706 es dons médiumniques, la parapsychologie. Mais il était le contraire d’un médium. Au fond, c’était un dogmatique subversif, e
707 femmes présentes. Chaque fois, j’ai deviné à qui était l’objet. Breton était comme « transfixé » par ce genre de choses. Vou
708 que fois, j’ai deviné à qui était l’objet. Breton était comme « transfixé » par ce genre de choses. Vous vous souveniez des f
709 eu parfois à des scènes terribles, quand Breton n’ était pas d’accord. Un jour, par exemple, nous avions décidé de faire un ba
710 es docks de New York. Vers dix heures du soir, je suis monté sur un escabeau pour lire le chapitre consacré au nombre 21 par
711 vi, que Breton vénérait. Un jeune philosophe grec fut désigné, que Breton avait baptisé « le nouveau Hegel ». Il fit le tou
712 21 personnes dans la salle… La « victime » avait été sacrifiée sur l’autel du nombre 21… Une religion nouvelle Les s
713 pelle un dimanche matin, à Madison Avenue. La rue était déserte, tout le monde était à l’église, et j’y allais moi-même, quan
714 dison Avenue. La rue était déserte, tout le monde était à l’église, et j’y allais moi-même, quand je me suis trouvé pile deva
715 t à l’église, et j’y allais moi-même, quand je me suis trouvé pile devant André Breton. Il marchait tête levée, regardant le
716 dédiée au culte d’une pierre bleue ? » Et puis il est reparti. L’incident trahit quelque chose chez lui. Il a passé toute s
717 oute sa vie à une religion [sic] qui n’aurait pas été le christianisme et dont il aurait été un des grands prêtres. Un jour
718 aurait pas été le christianisme et dont il aurait été un des grands prêtres. Un jour, nous parlions des sectes cathares, av
719 i. Il écoutait d’une oreille, et brusquement il s’ est tourné vers nous : « Voilà, dit-il, une Église où j’aurais pu être év
720 nous : « Voilà, dit-il, une Église où j’aurais pu être évêque ! » i. Rougemont Denis de, « [Entretien] Surréalisme : un
721 leurs amis. D’une conversation enregistrée qui s’ est poursuivie une soirée entière, nous avons extrait les passages qui se
10 1975, Articles divers (1974-1977). Notre complexe de culpabilité (1975)
722 x, selon les sondages d’opinion, les Suisses n’en sont pas moins inquiets. Réfléchissant aux motifs spécifiques de ce compor
723 pécifiques de ce comportement paradoxal (mais qui est en somme celui des riches et de l’Occident en général), il m’a semblé
724 quiétude du nanti, « spectateur de l’Histoire » ; est -ce que ça va durer, est-ce qu’on va nous laisser longtemps encore tra
725 ctateur de l’Histoire » ; est-ce que ça va durer, est -ce qu’on va nous laisser longtemps encore tranquilles dans notre coin
726 és, des grands ensembles politiques en formation, est -ce que nos libertés, et la Suisse elle-même, en tant qu’État, gardent
727 sister ? Inquiétude spirituelle et morale enfin : est -ce que tant de paix et de prospérité n’ont pas été gagnées au prix de
728 st-ce que tant de paix et de prospérité n’ont pas été gagnées au prix de notre âme ? Au prix de nos vraies raisons d’être ?
729 ix de notre âme ? Au prix de nos vraies raisons d’ être  ? L’autocritique est devenue, au cours des dernières décennies, l’une
730 rix de nos vraies raisons d’être ? L’autocritique est devenue, au cours des dernières décennies, l’une des tendances les pl
731 u Marché commun, s’interroger sur l’avenir suisse est devenu notre sport national, et je ne vois pas d’autre pays qui puiss
732 œuvre, d’un produit, d’une doctrine : « Voilà qui est bien français ! » on entend : Voilà qui est excellent, typique du pre
733 à qui est bien français ! » on entend : Voilà qui est excellent, typique du premier pays du monde, et bien digne d’être app
734 typique du premier pays du monde, et bien digne d’ être approuvé par tous ses citoyens. Mais quand on dit en Suisse (romande
735 lectuel français approuve en principe tout ce qui est français, sauf le régime au pouvoir (quel qu’il soit). L’intellectuel
736 t français, sauf le régime au pouvoir (quel qu’il soit ). L’intellectuel suisse, c’est à peu près le contraire. Les motifs sp
737 e d’Alain : Le Citoyen contre les Pouvoirs. Ce ne sont pas les Pouvoirs que le Suisse inquiet met en cause, mais plutôt ses
738 nquiet met en cause, mais plutôt ses concitoyens. Sont -ils à la hauteur de leurs institutions ? Méritent-ils leurs privilège
739 institutions ? Méritent-ils leurs privilèges ? Ne sont -ils pas en train de s’enliser dans un épais matérialisme, et dans un
740 ècle : une sorte de complexe de culpabilité. Il s’ est noué pendant la Première Guerre mondiale. « Neutres, mais non pas ple
741 ous excusons. « S’excuser de quoi ? » Quiconque s’ est jamais trouvé au chevet d’un malade sait ce que je veux dire. Un homm
742 latrice de la manière dont le « complexe suisse » est prompt à se couler dans les tournures du langage théologique : Le pé
743 suisse. Les Suisses, depuis quatre-cents ans, ne sont en réalité que les hôtes et les spectateurs de l’Histoire. Considéran
744 éjouissent de leur liberté et de leur sagesse. Ce sont , par nature, des pharisiens de la politique, qui remercient Dieu de c
745 la politique, qui remercient Dieu de ce qu’ils ne sont pas comme les autres. Le Suisse est assis dans sa petite maison, et i
746 ce qu’ils ne sont pas comme les autres. Le Suisse est assis dans sa petite maison, et il regarde par sa petite fenêtre, et
747 . La politique suisse vit de compromis. Le Suisse est un bourgeois qui place au premier rang de ses préoccupations son repo
748 ccupations son repos et sa sécurité. Tel pourrait être , à peu près, le péché propre des Suisses. C’est dans la conscience na
749 ilité (à l’égard de notre patrie), mais ce devoir est celui d’un accusé et d’un coupable. Helveticus sum, homo sum, peccato
750 homo sum, peccator sum 16. Péché et culpabilité sont des concepts théologiques17 dont je ne vois pas qu’ils trouvent dans
751 application pertinente. La neutralité ne pourrait être péché que chez ceux qui s’en font une vertu, mais pas en soi. Elle es
752 ux qui s’en font une vertu, mais pas en soi. Elle est une mesure politique — expédient rendu nécessaire par l’absence de po
753 l’on doit discuter —, mais la traiter de péché n’ est pas une solution et empêche même d’en trouver une, car si elle est un
754 ion et empêche même d’en trouver une, car si elle est un péché, il faut le révoquer, ou si elle nous fait tomber dans le pé
755 , vingt ans plus tôt, accusait ses compatriotes d’ être « spectateurs de l’Histoire » ! S’il s’avère au contraire que la neut
756 ère dont les Suisses s’examinent : mettons que ce soit de l’autocritique au second degré. Les exemples cités au cours de cet
757 is les vrais problèmes se posent, ou plutôt : ils sont encore là, attendant qu’on les examine une fois passés nos examens de
758 en qui venait admirer notre libre Helvétie et qui est un peu déconcerté… Eh bien, lisez nos quotidiens : on y parle à longu
759 ou de Livourne. On pensait que tous ces problèmes étaient moins difficiles chez vous, dans vos petits États fédérés. — Oui, dis
760 Le Marché commun nous menace. Notre neutralité n’ est pas toujours comprise. Notre fédéralisme est compromis, et ce qu’il e
761 té n’est pas toujours comprise. Notre fédéralisme est compromis, et ce qu’il en reste freine l’élan des entreprises. Est-ce
762 ce qu’il en reste freine l’élan des entreprises. Est -ce qu’il y aura une place pour nous dans le monde qui vient ? Satiriq
763 s démontrer aux hommes qu’ils voient trop court n’ est pas le meilleur moyen de les libérer. Il faudrait leur montrer des ho
764 udrait leur montrer des horizons plus vastes, qui soient les leurs. Mieux vaudrait donc, me semble-t-il, proposer que les Suis
765 je ne la vois pas ailleurs que dans les raisons d’ être de leur communauté peu croyable mais vraie — ce miracle qu’il faut tr
766 gime possible d’un avenir humain de l’Europe ! Il est menacé, nous dit-on ? Rien de tel pour tirer un homme de ses doutes b
767 ire tentation et vraiment son péché virtuel — qui est la peur d’assumer sa vocation. 16. Karl Barth : Gottes Gnadenwahl,
768 n, 1936 (trad. de l’auteur). Helveticus sum… : Je suis suisse, je suis un être humain, je suis un pécheur. 17. Nuançons : l
769 e l’auteur). Helveticus sum… : Je suis suisse, je suis un être humain, je suis un pécheur. 17. Nuançons : la culpabilité es
770 ur). Helveticus sum… : Je suis suisse, je suis un être humain, je suis un pécheur. 17. Nuançons : la culpabilité est aussi
771 sum… : Je suis suisse, je suis un être humain, je suis un pécheur. 17. Nuançons : la culpabilité est aussi un état ou une c
772 e suis un pécheur. 17. Nuançons : la culpabilité est aussi un état ou une conduite psychologiques. L’Évangile parle de rem
11 1975, Articles divers (1974-1977). Au-delà de la société industrielle (1975)
773 elle » et de ses valeurs, mon premier mouvement a été de recul devant un sujet qui me paraissait appeler la compétence de l
774 t appeler la compétence de l’économiste que je ne suis pas. Mais je dois vous faire un aveu : si j’ai finalement accepté de
775 rielle, que veut-on dire ? Je vois d’abord ce qui est exclu : une société dans laquelle il n’y aurait plus d’industrie, qui
776 plus, je crois, qu’une société post-industrielle serait celle où les besoins et les désirs de la société industrielle étant s
777 besoins et les désirs de la société industrielle étant satisfaits et comblés, on déciderait d’arrêter le progrès matériel po
778 dustrielle, aussi nommée société de consommation, sont par définition insatiables et inextinguibles. Ils ne seront jamais sa
779 définition insatiables et inextinguibles. Ils ne seront jamais satisfaits, puisque leur formule même est de croître sans fin.
780 ront jamais satisfaits, puisque leur formule même est de croître sans fin. Mais si elle ne consiste ni à fermer les usines,
781 ustrielle née en Europe au xixe siècle, et qui s’ est épanouie au xxe jusqu’à Los Angeles et Vladivostok, jusqu’à Tokyo mê
782 jusqu’à Tokyo même. Une société post-industrielle sera donc une société qui adopte et promeut des valeurs tout à fait différ
783 et imposait la société précédente. Ce changement est encore très loin d’être accompli parmi nous, mais il est amorcé dans
784 précédente. Ce changement est encore très loin d’ être accompli parmi nous, mais il est amorcé dans nos esprits. Il suppose
785 ore très loin d’être accompli parmi nous, mais il est amorcé dans nos esprits. Il suppose en effet, avant tout, une prise d
786 n nombre de « principes », qui allaient de soi, n’ étaient pas discutés ni discutables, mais que la crise actuelle nous oblige à
787 is en termes de bien-être, de mieux-être, de plus être , affectif, ou psychique, ou spirituel. Le référentiel de ce système d
788 pirituel. Le référentiel de ce système de valeurs était la croissance ; mais une croissance indéfinie, sans autre mesure que
789 Le référentiel absolu de la société industrielle était donc — et demeure encore pour la majorité de nos contemporains — la c
790 ion, l’accroissement indéfini de tout ce qui peut être mesuré, pesé et compté, et de cela seul. Ce que nous pouvons nommer a
791 ord II déclarait avec une belle sobriété : « Nous sommes là pour produire des automobiles, non pas pour assurer le bonheur du
792 e, Giovanni Agnelli a répondu : « L’important, ce sont les hommes et non les firmes. » Il me semble que tout le contraste e
793 out le contraste entre les deux types de sociétés est là : besoins de l’industrie ou besoins de l’homme ? C’est sur l’oppos
794 ndement. Opposer à cette notion celle de loisir n’ est pas encore changer de plan. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert,
795 s le « temps vuide », comme toute espèce de vide, est pure angoisse. Il n’y aura pas de société post-industrielle tant que
796 strielle tant que la seule alternative au travail sera le chômage, véritable « temps vide ». Ce que la société nouvelle doit
797 ts vers son travail, c’est-à-dire à dépenser pour être payé, ou à payer pour pouvoir gagner une vie qu’il n’aura même plus l
798 . La société industrielle, quoi qu’on en dise, n’ est pas née pour satisfaire des besoins réels de l’homme, mais bien pour
799 u jour présent, ma grande et constante ambition a été de construire une bonne machine routière », écrira-t-il dans son auto
800 it en 1880 : « Automobile : nom qui a quelquefois été donné à de curieux véhicules mus par un moteur à explosion… Cette inv
801 idicule assurément, vouée à l’oubli rapide, telle est la voiture automobile que Messieurs Benz et Daimler viennent de prése
802 urt en 1947, la General Motors et la Ford Company sont les deux plus grandes firmes du monde. L’industrie de l’auto domine l
803 me une certaine répugnance au début de ce siècle, est devenue le besoin numéro un de la plupart des Occidentaux. Mais ce n’
804 uméro un de la plupart des Occidentaux. Mais ce n’ est pas encore le plus curieux de l’histoire. Née du rêve typiquement ado
805 es vacances. Elle détruit les campagnes dont elle était censée nous restituer le charme, et provoque d’immenses destructions
806 di, le ciel de nos grandes villes. Mais voici qui est encore plus fou : elle jette l’économie de nos démocraties occidental
807 permet de faire du quatre ou cinq à l’heure, qui est la vitesse d’un piéton peu pressé, et par l’embouteillage crée l’immo
808 Henry Ford de déclarer tout récemment : « Nous ne sommes plus accoutumés à aller où que ce soit autrement qu’en auto. Les trai
809  Nous ne sommes plus accoutumés à aller où que ce soit autrement qu’en auto. Les trains reviennent à la mode, mais ce n’est
810 auto. Les trains reviennent à la mode, mais ce n’ est qu’une passade. Ce pays a développé une manière de vivre particulière
811 ela en poussant un bouton. » L’aventure de l’Auto est bouclée. Le besoin qui n’existait pas est devenu prioritaire. L’Améri
812 l’Auto est bouclée. Le besoin qui n’existait pas est devenu prioritaire. L’Américain moyen — et nous donc ! — est prié de
813 prioritaire. L’Américain moyen — et nous donc ! —  est prié de s’en tenir au mode de vie instauré par l’Auto, et qui favoris
814 s. V Vous me pardonnerez, je l’espère, de m’ être un peu étendu sur le chapitre sans doute le plus illustratif de la so
815 les, et souvent même scandaleuses. Cette réaction est , à mes yeux, l’indicateur très certain du déclin d’une certaine socié
816 dée que les solutions à notre crise économique ne sont pas économiques, mais spirituelles, morales et psychologiques, je pos
817 , que tout le monde approuve en pratique. Mais je suis contre le profit considéré comme référentiel absolu, comme « mesure d
818 ant tout cela, s’il faut choisir. Car le profit n’ est pas un principe de mesure pour l’homme, ni pour la cité. Il n’est qu’
819 ipe de mesure pour l’homme, ni pour la cité. Il n’ est qu’un chiffre. Il ne relève pas du vivant, il n’est pas autorégulé, e
820 t qu’un chiffre. Il ne relève pas du vivant, il n’ est pas autorégulé, et par suite, ne peut être agent de régulation, comme
821 t, il n’est pas autorégulé, et par suite, ne peut être agent de régulation, comme la personne. Il est donc un principe de dé
822 t être agent de régulation, comme la personne. Il est donc un principe de démesure systématique, destructeur de l’humain au
823 e. Dans la nouvelle société, le progrès recherché sera vers le mieux, non vers le plus. La croissance aura pour limites les
824 imites les conditions de l’équilibre vivant. Elle sera désacralisée comme le profit, orientée vers la vie meilleure, vers la
825 , ou militaire, ou nationale ; et vers le souci d’ être utile plutôt que redoutable à ses voisins, qu’il s’agisse de personne
826 et aux « nécessités économiques », dont les clés sont détenues finalement par l’État. Sous prétexte de nous enrichir, elle
827 moraux, culturels, spirituels, où « le ciel seul est la limite », comme disent les Américains. Il nous faut un nouveau mar
828 imitée de l’automobile aboutit à l’embouteillage, soit à la vitesse zéro. De même, la proli­fération exponentielle des armem
829 n, les villes : les mégalopoles du xxe siècle ne sont plus administrables, ni en fait gouvernées, comme on le voit ces jour
830 le voit ces jours-ci à New York ; et les hommes y sont seuls en masse : livrés au scepticisme et à la délinquance. Cette dég
831 , lançait il y a deux ou trois ans, un slogan qui est en train de faire fortune : Small is beautiful. Non que la petitesse
832 ortune : Small is beautiful. Non que la petitesse soit bonne en soi : c’est une question de proportions. Mais il est clair q
833 soi : c’est une question de proportions. Mais il est clair que nos trop grands États croient devoir se doter d’armements à
834 e H, ne faut-il pas réduire la taille de ceux qui seraient tentés de s’en servir ? Si la guerre est le pire désastre qui menace
835 qui seraient tentés de s’en servir ? Si la guerre est le pire désastre qui menace aujourd’hui le genre humain, n’est-il pas
836 ésastre qui menace aujourd’hui le genre humain, n’ est -il pas urgent et vital de substituer aux États-nations souverains des
837 coutume de répondre à cette question que nous ne sommes pas là pour prévoir ou deviner notre avenir, mais pour le faire. Et q
12 1975, Articles divers (1974-1977). Suisse 1975 (1975)
838 des sentiments mêlés de soulagement (elle n’a pas été occupée, son armée et sa résolution morale l’ont protégée) mais aussi
839 ulpabilité, presque de honte, parce qu’elle seule est intacte au cœur d’un continent physiquement meurtri, économiquement d
840 n de s’excuser. « S’excuser de quoi ? Quiconque s’ est jamais trouvé au chevet d’un malade sait ce que je veux dire. Un homm
841 État suisse, c’est-à-dire le système fédéraliste, soit transposée à l’échelle du continent et prise comme modèle (au sens te
842 édérera et deviendra neutre. C’est-à-dire qu’elle sera ou bien balkanisée, ou bien helvétisée. » À quoi toute la Suisse offi
843 humilité convient seule à ce petit pays, et qu’il serait parfaitement illusoire et utopique d’imaginer que des solutions suiss
844 que d’imaginer que des solutions suisses puissent être un seul instant prises au sérieux par les « puissances » de l’époque.
845 ar les « puissances » de l’époque. Et pourtant il est clair que la vérité d’une idée ne dépend pas de la taille de celui qu
846 « grandes puissances » à propos de nos voisins, s’ est dissipée. Face à l’Europe et face au monde, la situation de la Suisse
847 ope et face au monde, la situation de la Suisse s’ est clarifiée : si elle diffère substantiellement de celle des « puissanc
848 ellement de celle des « puissances » d’hier, ce n’ est plus par les dimensions, mais par le régime politique, c’est-à-dire p
849 est-à-dire par le fédéralisme, dont le corollaire est la neutralité. En temps de paix et de normalité, être neutre ne pose
850 la neutralité. En temps de paix et de normalité, être neutre ne pose aucun problème, et le régime fédéraliste permet de res
851 ys. Mais dans un temps de crise comme celui qui s’ est instauré dès l’automne de 1973, la neutralité, qui était une forme de
852 nstauré dès l’automne de 1973, la neutralité, qui était une forme de sagesse apaisante, devient une source de controverses co
853 ne source de controverses constamment irritantes, soit que l’État l’invoque pour refuser d’adhérer à tel organisme internati
854 refuser d’adhérer à tel organisme international, soit que l’étranger l’estime lésée par la moindre manifestation spontanée
855 née du sentiment populaire, pour peu qu’il ne lui soit pas inconditionnellement favorable. Les conseils législatifs, nationa
856 ntrent doucement en panique. Leur premier réflexe est de couper les dépenses culturelles et de recherche pure, au profit du
857 lle quotidiennement aux Suisses qu’ils ne peuvent être seuls au monde. Il n’apparaît donc plus possible de séparer les probl
858 raît évident que le fédéralisme de formule suisse est la solution qui s’impose si l’on veut vraiment « faire l’Europe », c’
859 s. Mais il se trouve, hélas, que le fédéralisme n’ est guère mieux compris par les Suisses — qui s’en réclament — que par le
860 u’on baptise « centralisatrices », alors qu’elles sont , justement, « fédérales » ! C’est ignorer le sens et la fonction du v
861 estières, agricoles ou urbaines. Le fédéralisme n’ est rien d’autre, en effet, qu’une manière de se mettre ensemble pour fai
862 de se mettre ensemble pour faire ce dont aucun ne serait capable seul. C’est une méthode de répartition des pouvoirs de décisi
863 présente décennie bien plus clairement encore, il est apparu que notre neutralité, garantie par le traité de Vienne comme é
864 eutralité, garantie par le traité de Vienne comme étant « dans les intérêts de l’Europe entière », veut en effet que la Suiss
865 urope et l’Europe même, dont elle fait partie. Ce serait vouloir rester neutre entre le microbe et le malade. Toute la politiq
866 obligent à penser que la formule de bon sens, qui est celle du fédéralisme helvétique, ne saurait arrêter ses effets aux fr
867 on soviétique, « le fédéralisme dans un seul pays est utopique ». Car si, dans les domaines indiqués plus haut, on voulait
868 la centralisation autoritaire de ses voisins. Il est donc évident que notre fédéralisme ne peut se maintenir dans nos cant
869 l’humanité doit assumer dans les années 1970-1980 sont presque toutes de dimensions intercontinentales, qu’il s’agisse de la
870 créé de toutes pièces la Croix-Rouge, et qu’elle est l’hôte généreuse et attentive de plusieurs dizaines d’organisations e
871 les de l’Europe ; parce que cette union politique serait seule capable de faire face aux problèmes qui se posent à l’échelle m
872 ’Europe et du monde, c’est sur sa propre raison d’ être que la Suisse d’aujourd’hui se voit amenée à s’interroger. Et ce n’es
873 ujourd’hui se voit amenée à s’interroger. Et ce n’ est qu’au nom de ses buts humains en tant qu’État fédératif qu’elle peut
13 1975, Articles divers (1974-1977). Le Morgarten du xxe siècle (1975)
874 arten du xxe siècle (1975)q La Suisse devrait être l’exemple et le moteur d’une fédéralisation de l’Europe, ai-je écrit,
875 décrivais alors, à quelques précisions près. J’ai été amené à préciser notamment ceci : je ne vois pas, dans la Confédérati
876 dans le fait que les sept conseillers fédéraux ne sont pas du tout l’émanation des cantons, mais qu’ils sont désignés en fon
877 pas du tout l’émanation des cantons, mais qu’ils sont désignés en fonction de leurs compétences particulières pour s’occupe
878 res que de pays membres. Cette dernière formule n’ est bonne qu’à aggraver les divergences d’intérêt entre les nations membr
879 différence, précisément, du Conseil fédéral, qui est composé de manière à pouvoir traiter dans l’intérêt commun les problè
880 ue peu de gens savent réellement ce que c’est. Il est presque totalement méconnu hors de Suisse, et les Suisses eux-mêmes c
881 nous a fait apprendre qu’à l’origine, la Suisse s’ était formée par la fédération de trois cantons. Leurs chefs auraient fait
882 vers le ciel sur la prairie du Grütli. Tout cela est une fable qu’il n’est même pas intéressant de réfuter. En réalité, le
883 rairie du Grütli. Tout cela est une fable qu’il n’ est même pas intéressant de réfuter. En réalité, les choses se sont passé
884 intéressant de réfuter. En réalité, les choses se sont passées tout à fait autrement. Le fédéralisme suisse s’est formé sur
885 es tout à fait autrement. Le fédéralisme suisse s’ est formé sur la base des communes d’Uri, de Nidwald et de Schwyz. On ne
886 ble des gens et des biens d’une vallée). Elles se sont alliées entre elles, non pas pour créer une puissance, mais pour pouv
887 utonomie et leur différence. L’une des choses qui sont le plus clairement soulignées, dans le pacte du Grütli, c’est la volo
888 a changé, sous l’influence des États voisins, qui étaient tous en train de s’unifier. Certains achevaient leur unité et d’autre
889 tiellement subi le courant régnant en Europe, qui était celui de la centralisation et de la création des grands États-nations
890 endant, dans ses structures, la Suisse a toujours été à contre-courant de ce qui se passait dans le reste de l’Europe. Elle
891 ce qui se passait dans le reste de l’Europe. Elle est née de l’esprit des communes, au moment où ce grand mouvement liberta
892 nt libertaire, au nord de l’Italie et en Flandre, était déjà presque écrasé. Aujourd’hui, on découvre la nécessité vitale d’i
893 tions entre les Européens, et la Suisse se trouve être le seul pays qui ait traversé à peu près indemne la période des grand
894 éconnaissent le véritable sens du fédéralisme. Je suis frappé de constater que la plupart de ceux qui se disent fédéralistes
895 que la plupart de ceux qui se disent fédéralistes sont en réalité des nationalistes cantonaux. Se fondant sur ce qu’ils tien
896 muz avait coutume de me dire : « Entre nous, nous sommes contre Berne, nous sommes fédéralistes, donc nous sommes séparatistes
897 re : « Entre nous, nous sommes contre Berne, nous sommes fédéralistes, donc nous sommes séparatistes… » Je lui répondais : « V
898 contre Berne, nous sommes fédéralistes, donc nous sommes séparatistes… » Je lui répondais : « Vous pouvez être séparatiste ou
899 séparatistes… » Je lui répondais : « Vous pouvez être séparatiste ou nationaliste vaudois, mais vous ne pouvez pas être féd
900 ou nationaliste vaudois, mais vous ne pouvez pas être fédéraliste du même coup, parce que le fédéralisme est précisément le
901 édéraliste du même coup, parce que le fédéralisme est précisément le contraire de cela. » Ce genre de malentendu provient d
902 ui défendent l’autogestion régionale et communale sont ceux qui se situent le mieux dans le droit-fil de la pratique du fédé
903 e droit-fil de la pratique du fédéralisme. Qu’ils soient de gauche ou de droite ne m’intéresse guère : l’essentiel, c’est la f
904 re libres et à leur manière. Et cette possibilité était menacée depuis l’ouverture de la route du Gothard, phénomène continen
905 a route du Gothard, phénomène continental s’il en fut , puisque cette route devait relier entre elles les deux parties du Sa
906 e « étatique » avant la lettre que les Suisses se sont ligués. On observe un phénomène comparable aujourd’hui, autour du cou
907 y a en projet seize centrales nucléaires. Ce qui est de la démence pure. Aux yeux de n’importe quel savant sérieux et indé
908 pe ou d’Amérique, c’est insoutenable. Le projet n’ est soutenu, d’ailleurs, que par les trois États qui se partagent la régi
909 Suisses de Kaiseraugst retrouvent le réflexe qui fut celui des Uranais, des Nidwaldiens et des Schwyzois : se mettre ensem
910 x « trublions gauchistes ». Leurs groupuscules ne sont venus qu’après coup s’adjoindre à la grande majorité des hommes et de
911 la grande majorité des hommes et des femmes qui s’ étaient installés sur le camp. Ils tentaient d’exploiter une situation qu’ils
912 omment des maoïstes ou des trotskystes pourraient être des fédéralistes : ils ont de tout autres vues. Mais qu’importe ! L’e
913 t autres vues. Mais qu’importe ! L’essentiel, qui est une chose historique, c’est la réaction de défense des habitants de l
914 traduit par la volonté de se défendre sur place, fût -ce au prix d’une illégalité. On a beaucoup dit, dans la presse — de g
915 fois de plus —, que les occupants de Kaiseraugst étaient sortis de la légalité et qu’ils étaient les « fossoyeurs de la démocr
916 iseraugst étaient sortis de la légalité et qu’ils étaient les « fossoyeurs de la démocratie ». Je ne sais pas si les gens qui o
917 rendront compte que notre héros national suisse n’ était pas particulièrement respectueux de la légalité. Tous les moments de
918 de la légalité. Tous les moments de son histoire sont en rupture de légalité ! Aujourd’hui, Guillaume Tell aurait été le pr
919 de légalité ! Aujourd’hui, Guillaume Tell aurait été le premier manifestant de Kaiseraugst. Cela m’a d’ailleurs amené à di
920 dire dans un message aux dix mille personnes qui sont allées manifester à Kaiseraugst, lors d’un fameux dimanche sous la pl
921 lors d’un fameux dimanche sous la pluie : « Vous êtes hors de la légalité, c’est évident, et vous le savez. Vous n’avez ave
922 ez. Vous n’avez avec vous que la justice, et vous êtes au surplus en état de légitime défense. Vous êtes donc en train de li
923 êtes au surplus en état de légitime défense. Vous êtes donc en train de livrer le véritable Morgarten du xxe siècle. » Peu
924 rre. Il s’agit de savoir quelle finalité on vise. Est -ce qu’on attache vraiment plus d’importance au « niveau de vie » qu’à
925  niveau de vie » le plus bas, le niveau zéro, qui est la mort… Mais pour moi, une Suisse qui ferait ce choix-là ne serait p
926 is pour moi, une Suisse qui ferait ce choix-là ne serait plus elle-même. Elle deviendrait semblable à n’importe lequel des Éta
927 te lequel des États-nations actuels, dont l’idéal est le nivellement universel, parce qu’il est plus facile d’administrer u
928 l’idéal est le nivellement universel, parce qu’il est plus facile d’administrer un pays où toutes choses sont parfaitement
929 lus facile d’administrer un pays où toutes choses sont parfaitement égales et identiques, où toutes les différences locales
930 et identiques, où toutes les différences locales sont abolies. C’est le rêve secret de tous les administrateurs. J’ignore s
931 administrateurs. J’ignore si les citoyens suisses sont aptes à saisir l’ampleur du danger qui les menace. Et je ne suis pas
932 isir l’ampleur du danger qui les menace. Et je ne suis pas optimiste sur les possibilités d’endoctriner les gens. Je ne me f
933 enoncent aux centrales nucléaires. Si les gens ne sont pas capables d’entendre un discours raisonnable, comme celui que je t
934 . Nous allons vers des tragédies. Les Suisses n’y sont pas très bien préparés par leur forme d’esprit. En revanche, ils y so
935 parés par leur forme d’esprit. En revanche, ils y sont particulièrement bien préparés par leurs institutions. Les institutio
936 s dimensions. Or, dans le monde actuel, plus vous êtes petit et plus vous avez de chances de survivre au tohu-bohu général q
937 z de chances de survivre au tohu-bohu général qui est en train de se déchaîner sur la planète. C’est pour cette raison que
938 . C’est pour cette raison que les États-Unis, qui sont de loin la plus grande puissance militaire du monde, n’ont pas pu ven
939 t poussée, donc d’une vulnérabilité minimale, qui sera la meilleure sécurité dans le monde qui vient. Il faut donc que la Su
940 vient. Il faut donc que la Suisse retrouve ce qui était son attitude et sa mentalité originelles, celles qui ont créé les ins
941 stitutions de la première confédération. Elle n’y sera pas amenée par des discours, mais par la force des choses. Par la péd
942 astrophes qu’elle n’aura pas pu éviter, car elles seront mondiales, mais contre lesquelles elle sera peut-être mieux prémunie
943 les seront mondiales, mais contre lesquelles elle sera peut-être mieux prémunie que les grands. q. Rougemont Denis de, « 
14 1975, Articles divers (1974-1977). L’amour (1975)
944 L’amour (1975)r Il n’ est pas question de constituer, à côté de la psychologie scientifique et
945 occidentale, à la différence de l’amour tel qu’il est codifié et vécu dans les autres cultures, se trouve lié dans sa genès
946 enfin cinématographique au xxe siècle. Preuve en est que nos psychologues « scientifiques » et psychanalystes de toute éco
947 s termes de base dans la tradition littéraire qui est la nôtre, d’Œdipe à Sade et à Sacher-Masoch. Pour situer cette forme
948 occidental dont les structures psychiques peuvent être étudiées au mieux dans ses expressions littéraires et artistiques en
949 s grandes étapes d’une évolution historique qui s’ est stratifiée dans la psyché occidentale, et dont la connaissance rend s
950 nstinct sexuel, c’est-à-dire une pulsion que tout être éprouve à un moment donné de son développement, même sans avoir jamai
951 t temps accessibles. L’érotisme, deuxième niveau, est l’usage non procréateur, non fonctionnel de la sexualité. C’est donc
952 une perversion, le détournement d’un instinct qui était générique et génésique, au profit d’un plaisir individuel et stérile.
953 on du besoin en jouissance, le phénomène érotique est pratiquement universel. Toutes les religions connues comportent une é
954 christianisme (dont on peut nier d’ailleurs qu’il soit une « religion » au sens sociologique du terme). Il n’en va pas de mê
955 re de la culture occidentale. L’amour sentimental est le degré inférieur de la passion, laquelle est la transposition de l’
956 al est le degré inférieur de la passion, laquelle est la transposition de l’érotisme en religion de l’amour ressenti, en ex
957 étruisant toute altérité. Mais l’obstacle suprême est la mort, qui provoque la passion transfigurante, la « joie suprême »
958 grand poème musical de Wagner. L’amour-passion n’ est donc pas le mélange, mais la composition en un produit nouveau et de
959 ance délicieusement entretenue, qui, à l’extrême, seront extase et mort. L’amour du prochain tel qu’il est, ou tel que le rega
960 ont extase et mort. L’amour du prochain tel qu’il est , ou tel que le regard aimant est capable de le susciter, c’est l’inve
961 ochain tel qu’il est, ou tel que le regard aimant est capable de le susciter, c’est l’inverse de la passion : il peut être
962 susciter, c’est l’inverse de la passion : il peut être sans lien aucun avec l’Éros, il n’est pas sentiment mais acte, respec
963  : il peut être sans lien aucun avec l’Éros, il n’ est pas sentiment mais acte, respect de l’Autre comme sujet autonome, non
964 la vie au lieu de désirer la mort. Cet amour-là n’ est pas disert ni exalté mais réaliste, d’une manière qui ne prête guère
965 tade de « sublimation », où la pulsion sexuelle n’ est plus sensible, l’amour mystique va reprendre tout le langage de la pa
966 « meurt de ne pas mourir » (Thérèse d’Ávila). Il est à l’amour du prochain dans le même rapport dialectique que l’érotisme
967 dans le même rapport dialectique que l’érotisme l’ est à l’instinct sexuel. L’Éros grec Le vocabulaire de la Grèce ant
968 L’Éros grec Le vocabulaire de la Grèce antique est le seul qui exerce encore une influence permanente et vérifiable sur
969 ccident. Selon Platon et son maître Socrate, Éros est l’agent de tout progrès moral et spirituel, mais à la condition qu’en
970 ur l’instinct génésique la recherche du bien de l’ être aimé. Cela ne saurait s’appliquer au mariage, dont la seule fin est d
971 saurait s’appliquer au mariage, dont la seule fin est de donner des enfants à l’État. Certes, l’amour vrai « tend à l’enfan
972 ste l’attribut supérieur de l’Éros véritable. Il est bien certain que la conception platonicienne a dominé tout le dévelop
973 ne plus faire qu’un », tous ceux qui qualifient l’ être aimé de « ma moitié » (variante : « ma meilleure moitié »), et tous c
974 vent sur Éros. Si l’idée platonicienne de l’amour est résolument positive, édifiante, idéalisante, on aurait tort d’en infé
975 illeurs tant de réminiscences de l’Antiquité : ce sont ceux d’Orphée et d’Eurydice, d’Admète et d’Alceste, de Protésilas et
976  » que la passion de « l’amour pour la mort » qui est , comme nous le verrons, le secret de Tristan. La révolution chréti
977 iage d’amour : « L’union physique avec une épouse est source d’amitié, comme une participation en commun à de grands mystèr
978 aint Paul, avait écrit de son côté que le mariage est « un grand mystère (mystérion méga) ». Rencontre d’autant plus surpre
979 ue saint Paul, avant même que les évangiles aient été rédigés, ne cesse de dénoncer dans ses épîtres le sacré tant juif que
980 nienne consiste dans la proclamation que « tout m’ est permis, mais tout n’est pas utile » (Épître aux Romains) relative à l
981 proclamation que « tout m’est permis, mais tout n’ est pas utile » (Épître aux Romains) relative à l’ensemble des interdits
982 oulement ? Non, car la tentation correspondante n’ est pas sensible : la volupté ou la luxure ne figure pas au nombre des te
983 que le christianisme, religion de l’Amour (« Dieu est Amour »), créé par un acte d’amour (« Dieu a tant aimé le monde qu’il
984 re part, il n’hésite pas à écrire : « Celui qui n’ est pas marié s’inquiète du Seigneur, des moyens de plaire au Seigneur, e
985 r, des moyens de plaire au Seigneur, et celui qui est marié s’inquiète des choses du monde, des moyens de plaire à sa femme
986 ariage le plus strict et consacré — tout le reste étant laissé en friche ou très sommairement condamné (« luxure », « impudic
987 e. Cela ne pouvait se produire — et en effet ne s’ est produit — que dans la sphère d’influence du christianisme. Mais, entr
988 que, juridique, ni même psychologique. Le mariage était certes un sacrement, mais il liait deux patrimoines et deux familles
989 onnes. Du ixe au xiie siècle, l’amour antique s’ est éclipsé, et celui que nous croyons seul « naturel » et « aussi vieux
990 nnaît la boutade de Charles Seignobos : « L’amour est une invention du xiie siècle. » Amour, qui désigne pour nous le sent
991 s seigneuriales), on ne peut croire qu’elle n’ait été que la trouvaille plus ou moins fortuite de quelques moines musiciens
992 al de Limoges et de jongleurs peu cultivés. Telle est , pourtant, la thèse « prudente » de la plupart des spécialistes du tr
993 et nos mœurs, et nos arts, pour des siècles ? Ne serait -elle pas au contraire le signe d’une révolution plus générale qui s’o
994 sent la divinité de l’âme et jugent que, le corps étant vil, rien de ce qu’il fait ne saurait engager le salut : « Point de p
995 dans une Femme. La plus puissante de ces hérésies sera le catharisme, venu de l’Arménie à travers l’Anatolie, les Balkans, l
996 tiers et neuvième duc d’Aquitaine (1070-1127). Il sera suivi par des dizaines puis des centaines de poètes qui se nomment « 
997 dont la doctrine se nomme cortezia — puisqu’elle est chantée dans les cours des seigneurs du Midi — exalte la Femme, jusqu
998 Notre-Dame. La grande innovation de la cortezia n’ est pas seulement d’avoir exactement inversé la doctrine de saint Paul —
999 badours et des trouvères du xiie siècle, l’amour est cela qui se « déclare » par des mots. On peut soutenir que l’histoire
1000 du milieu du xiie siècle montrent que la légende était connue des troubadours dans le temps même où la première version (en
1001 les amants eux-mêmes), et l’obstacle suprême, qui est la mort, portera le désir jusqu’à l’extase ; service de la Dame à laq
1002 la vie même), mais cet asservissement volontaire est aussi source de prouesses, d’enthousiasme et d’élévation spirituelle 
1003 de l’état amoureux plus que de l’Autre tel qu’il est , qu’on ne rejoindra que pour mourir ; et même l’élan de l’hérésie ne
1004 et de l’évidence quotidienne qui domine le roman est gnostique… Ainsi, le roman de Tristan décrit, analyse et déploie dans
1005 sentiments nouveaux d’accéder à la conscience, d’ être reconnus et assumés. L’amour, dès lors, sera toujours lié à son « ave
1006 e, d’être reconnus et assumés. L’amour, dès lors, sera toujours lié à son « aveu », à sa « déclaration ». Le contenu affecti
1007 communicable, socialisé dans la mesure même où il est sacralisé. Situé de la sorte dans le temps et l’espace, au xiie siè
1008 fort Nous avons vu que le « problème sexuel » est né dans le monde christianisé du fait de l’absence d’un code sacré et
1009 rne, c’est le tabou de l’inceste. Tous les autres étant évacués, il prend une importance majeure et régit des domaines psycho
1010 evient obligation sacrée, pour peu qu’une parenté soit découverte, fût-ce au septième degré, entre mari et femme. Robert le
1011 sacrée, pour peu qu’une parenté soit découverte, fût -ce au septième degré, entre mari et femme. Robert le Pieux se voit co
1012 dier sa première femme, qu’il aime, parce qu’elle est sa cousine au quatrième degré et qu’elle a tenu avec lui un enfant su
1013 n vertu d’une institution dite fosterage. Tristan est donc, en droit, le « fils » de Marc. Chargé par ce dernier de la « qu
1014 du bateau qui les ramène d’Irlande. Tristan, qui est le plus fort des chevaliers et qui a conquis Iseut par valeur et prou
1015 rs et qui a conquis Iseut par valeur et prouesse, serait en droit de la garder pour lui selon la coutume chevaleresque qu’illu
1016 aleresque qu’illustrent les tournois dont la dame est le « prix ». S’il n’en fait rien, ce n’est pas seulement par respect
1017 a dame est le « prix ». S’il n’en fait rien, ce n’ est pas seulement par respect de son suzerain (déjà trompé en fait), mais
1018 passion mortelle. Dès lors, la structure du roman sera simplement l’alternance des revoirs (de plus en plus périlleux) et de
1019 la mort, obstacle dernier, fin du « roman ». Tel est le secret que le mythe a pour fonction, comme toujours, d’exprimer to
1020 uer, car son contenu demeure inavouable même s’il est fascinant comme une drogue. Et n’est-ce pas d’une intoxication — le «
1021 le même s’il est fascinant comme une drogue. Et n’ est -ce pas d’une intoxication — le « vin herbé » servi par une « erreur »
1022 ble celle d’une longue dégradation du mythe, peut être aussi celle d’une lente intériorisation. Le roi Marc peut devenir tou
1023 oi-même que Freud (dès 1923, dans Das Ich und das Es ) appellera le surmoi : c’est encore et toujours l’image du Père — cel
1024 se Adrienne de Gérard de Nerval, l’« Éva qui donc es -tu… » des plus beaux vers de Vigny, objet d’un « amour taciturne et t
1025 homas Hardy ou la grande cocotte dont Swann croit être amoureux parce qu’elle a dit un jour que « non, elle ne serait pas li
1026 ux parce qu’elle a dit un jour que « non, elle ne serait pas libre demain soir ». Elle est toujours la femme rêvée, la princes
1027 non, elle ne serait pas libre demain soir ». Elle est toujours la femme rêvée, la princesse lointaine, la fée Viviane ou la
1028 des personnages de roman les plus falots) doit en être séparé, après de brèves et fulgurantes rencontres, par mille traverse
1029 piédestal pour mieux pouvoir se plaindre qu’elle soit située « en trop haut lieu », voire tout à fait inaccessible. « L’amo
1030 cellence » se dégage la conclusion que la passion est cette forme de l’amour qui se nourrit des obstacles qu’on lui oppose,
1031 ait pas un roman. L’histoire de l’amour passionné sera donc celle de ses traverses, de ses malheurs, que les lecteurs comme
1032 e xive siècle, toute la littérature européenne s’ est convertie au style des troubadours. De ce temps jusqu’au xxe siècle,
1033 subversif, anarchique, individuel de la passion n’ est jamais séparable de l’arrière-plan social, de même que le moment myst
1034 tacher que sur un fond d’orthodoxie. « Entre deux êtres isolés, il n’y a pas d’amour possible », dit le héros de L’Homme sans
1035 oute : Un amour peut naître par défi, il ne peut être fait de défi. Il faut qu’il soit inséré dans une société. Il n’est pa
1036 défi, il ne peut être fait de défi. Il faut qu’il soit inséré dans une société. Il n’est pas un contenu de vie mais une néga
1037 Il faut qu’il soit inséré dans une société. Il n’ est pas un contenu de vie mais une négation, une exception faite à tous l
1038 , il faut à une exception quelque chose dont elle soit l’exception. On ne peut vivre d’une négation pure. Musil, ici, fait
1039 pas s’entretenir (au double sens de ce terme) — s’ est fait sentir plus vite dans le roman qu’au théâtre. (Je parle ici, bie
1040 an le plus littéraire de la littérature française est sans doute L’Astrée d’Honoré d’Urfé, ouvrage en cinq parties et plusi
1041 e pastoral. Les amants, chevaliers ou bergers, ne sont plus que des soupirants. Et si la mort qu’ils appellent leur est acco
1042 s soupirants. Et si la mort qu’ils appellent leur est accordée, c’est sous la forme d’un évanouissement, dont ils se réveil
1043 y Ending. Certes, tous les grands thèmes du mythe sont là, mais leur tragique s’est mué en élégante mélancolie : lois d’Amou
1044 nds thèmes du mythe sont là, mais leur tragique s’ est mué en élégante mélancolie : lois d’Amour, séparations ingénieuses, é
1045 bératrice. Mais la dialectique cruelle du roman n’ est plus ici que coquetteries, et le combat du Jour et de la Nuit se ramè
1046 e de Céladon ornée d’une faveur de sa bergère. Il est peu de romans mieux écrits que L’Astrée. Mais, si le dur destin du my
1047 que L’Astrée. Mais, si le dur destin du mythe n’y est plus que machine romanesque, faut-il incriminer la société du temps e
1048 ses coutumes, ou la littérature elle-même, qui ne serait qu’un sous-produit des mystiques créatrices de formes et de mythes ?
1049  ? L’œuvre d’art, conçue et reçue comme telle, ne serait -elle qu’un substitut tardif du sacré, un phénomène de décadence moral
1050 que des générations qui vont suivre ? En fait, ce fut assez d’un décret de Boileau, dans son Dialogue sur les héros de roma
1051 s le théâtre de la même époque. Roméo et Juliette est peut-être la plus authentique tragédie courtoise et la plus belle épi
1052 stan et Isolde de Wagner. Ici la mort par amour n’ est plus seulement métaphorique. Elle est appelée dans sa réalité à la fo
1053 par amour n’est plus seulement métaphorique. Elle est appelée dans sa réalité à la fois charnelle et mystique comme l’amour
1054 n fatale, à la Tristan, dont on peut voir qu’elle est devenue la manière de « ressentir l’amour » qui paraît désormais natu
1055 n Europe. L’empire du mythe tristanien sur Racine est manifeste : il explique seul que l’amour de Phèdre pour Hippolyte, do
1056 que l’amour de Phèdre pour Hippolyte, dont elle n’ est que la belle-mère, soit présenté comme incestueux, donc absolument in
1057 our Hippolyte, dont elle n’est que la belle-mère, soit présenté comme incestueux, donc absolument interdit. Quant à Hippolyt
1058 Hippolyte, Racine le fait amoureux d’Aricie « qui est la fille et la sœur des ennemis mortels de son père ». Aricie sera do
1059 la sœur des ennemis mortels de son père ». Aricie sera donc pour Hippolyte l’amour que le Père interdit, un substitut voilé
1060 ts plus savants !) Ces sentiments et ces passions sont condamnables, et Racine les condamne, mais il en fait son œuvre ! L’a
1061 même coup, à celle de l’auteur : Les dieux m’en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc Ont allumé le feu fatal à tou
1062 vaincre sa destinée : Par un charme fatal vous fûtes entraînée. Racine est-il vraiment sincère dans sa préface lorsqu’il
1063 Par un charme fatal vous fûtes entraînée. Racine est -il vraiment sincère dans sa préface lorsqu’il écrit : Ce que je puis
1064 e je n’en ai point fait [de tragédie] où la vertu soit plus mise en jour que dans celle-ci. Les moindres fautes y sont sévèr
1065 en jour que dans celle-ci. Les moindres fautes y sont sévèrement punies […]. Les faiblesses de l’amour y passent pour de vr
1066 ’amour y passent pour de vraies faiblesses. On est loin du dessein « d’exciter les passions » pour plaire à un besoin de
1067 ffection réciproque ni de fidélité. Le mariage n’ est donc plus un obstacle, les liens familiaux se relâchent, les derniers
1068 t, du même coup, relativisés : ils cessent donc d’ être des tabous. Quant à la religion chrétienne (ou du moins ce qu’elle es
1069 à la religion chrétienne (ou du moins ce qu’elle est devenue : morale prêchée parfois par des évêques qui bâtissent des pa
1070 dissante, mais secrètement anxieuse. Or, Don Juan est l’antithèse de Tristan, son négatif parfait : infidèle par définition
1071 lle qui pourrait retenir son amour, quand Tristan était l’homme d’un seul amour fatal mais dans lequel il trouvait toute la F
1072 i demeurent insensibles aux réalités spirituelles sont incapables de passion. On ne parle plus que de « passionnettes », mai
1073 ille après un siège en règle). Mais ces femmes ne sont plus objets d’adoration. Elles ont leur politique, leur stratégie sub
1074 errière lui que des femmes émues et heureuses. Il est vrai qu’aucune d’elles n’a publié de souvenirs. Mais écoutons ce cri
1075 peut donc s’agir que de fantasmes, mais qui n’en sont que plus révélateurs de l’inconscient collectif du siècle et des moti
1076 if du siècle et des motivations qu’il subit. Sade est , de toute évidence, un malade mental, un de ces « fous » qui, selon C
1077 l entend renchérir sur elles. Pour lui, « le pire est l’ennemi du mal », comme l’a si bien vu Jean Paulhan. Par une sorte d
1078 es valeurs, on ne saurait trop souligner qu’elles sont celles de la noblesse la plus arrogante, et peu importe qu’il les van
1079 plit le siècle, de la Régence à la Révolution. Ce serait oublier son plus grand écrivain, Rousseau le gêneur, qui d’ailleurs v
1080 s aimer… Que Dieu me conserve cette douleur qui m’ est indiciblement chère. L’amour romantique C’est à partir de l’ét
1081 is, dans son journal intime : Notre engagement n’ était pas pris pour ce monde. Et dans les Hymnes à la nuit : Que ton feu
1082 éternellement notre nuit nuptiale ! Les Français seront plus lents à se laisser emporter par « l’enthousiasme errant, fils de
1083 autre vie ! À partir de là, tout le xixe siècle sera sentimental, passionné et mélancolique dans les choses de l’amour, se
1084 ent de près la littérature, celle-ci à son tour n’ est jamais indépendante de la société et de ses structures de contrainte.
1085 de ses structures de contrainte. Si le romantisme est un retour en force de la religion des « Fidèles d’amour », c’est que
1086 l il se révolte et mobilise les énergies de l’âme est l’ordre bourgeois tout entier : le règne des horaires, condition de l
1087 et de son système de valeurs jugées incompatibles soit avec la justice sociale, soit avec l’exigence chrétienne. Baudelaire,
1088 ugées incompatibles soit avec la justice sociale, soit avec l’exigence chrétienne. Baudelaire, profond révélateur de la sens
1089 défense contre la civilisation industrielle. Elle est nourrie de spleen urbain et de nostalgie d’un horizon crépusculaire,
1090 r lui, l’amour « dont les poètes parlent tant » n’ est qu’une « prime de plaisir » donnée à l’acte sexuel, l’attrait sexuel
1091 mour du prochain, désintéressé et même oblatif, n’ est en dernière analyse qu’une « variété » de l’attrait sexuel, alors que
1092 chrétienne du monde, c’est l’attrait sexuel qui n’ est qu’un cas particulier de cet Amour cosmique et spirituel qui, selon D
1093 soleil et les autres étoiles ». La psychanalyse s’ est constituée au cours d’une période d’érotisation générale de la psyché
1094 t (sur) un état de fait dont la bourgeoisie seule est responsable, et auquel Freud n’a voulu que donner ses vrais noms. Le
1095 illemets comme pour s’excuser de son incongruité, est défini comme une attitude envers autrui qui perpétue ou reproduit le
1096 ion amoureuse de l’enfant, où le plaisir sexuel n’ est pas trouvé indépendamment, mais toujours en s’étayant sur la satisfac
1097 du plaisir transcendant et « mort de Dieu ». Il s’ est fait le théologien d’une mystique athée fondée sur le seul drame d’Ér
1098 au péché ; de lui donner tout ce qui, jusqu’ici, était donné à l’amour ; d’en faire le moyen de notre propre révélation (pré
1099 Avenir de l’amour-passion La morale bourgeoise est en pleine décadence. Ses tabous ne tiennent plus. Freud et tous les p
1100 édité malgré eux l’idée, devenue populaire, qu’il est moins dangereux pour la société de libérer l’instinct sexuel que le r
1101 es livres, ne signifie nullement que la sexualité soit plus anarchique ou plus vigoureuse qu’en d’autres temps. C’est seulem
1102 ’est seulement l’expression de la sexualité qui n’ est plus réprimée, ce qui signifie que la plupart des interdits sociaux,
1103 s romanciers savent bien que le roman véritable n’ est jamais qu’une version renouvelée de l’archétype courtois de Tristan e
1104 d’un quadragénaire pour une nymphette de 12 ans, sont les derniers échos du mythe ressuscité grâce aux derniers tabous que
1105 especte encore. Mais déjà le héros de Lolita nous est décrit comme un antihéros, c’est-à-dire un malade mental. Un psychana
1106 n psychanalyste l’eût guéri et le roman n’eût pas été . Anticipant sur une évolution qui devrait logiquement conduire à l’ex
1107 radictoires de l’érotisme et de la passion. Et ce sera la fonction retrouvée et renouvelée de la littérature romanesque et l
1108 dalou Ibn Hazm écrivait au xie siècle : L’amour est une maladie incurable qui ne peut trouver remède qu’en elle-même. C’e
1109 table et un mal que nous désirons. Celui qui n’en est pas atteint ne souhaite nullement rester sain. Et celui qui en souffr
1110 celui qui en souffre ne trouve aucun plaisir à en être guéri. r. Rougemont Denis de, « L’amour », L’Univers de la psych
15 1975, Articles divers (1974-1977). « Le sort des écrivains emprisonnés constitue un drame et un avertissement » (juin 1975)
1111 ne manière scandaleuse dans les pays totalitaires est en germe chez nous. Face à un État qui veut tout régenter, y compris
1112 mené à critiquer, à s’opposer. C’est parce qu’ils sont écrivains que Boukovski, comme Siniavsky ou Daniel sont enfermés ? Ou
1113 crivains que Boukovski, comme Siniavsky ou Daniel sont enfermés ? Ou simplement parce qu’ils s’opposent au régime ? Face à u
1114 régime ? Face à un régime totalitaire l’écrivain est nécessairement en opposition. Non seulement parce qu’il raconte. Mais
1115 ent parce qu’il raconte. Mais surtout parce qu’il est manieur de mots, donneur de sens. Dans ce qu’il écrit il y a presque
1116 contribuer à changer les mœurs. Et le changement est la dernière chose que peut accepter une société figée comme les socié
1117 rivain, d’avoir une opinion personnelle peut donc être assimilé à une marque de folie ? Je pense qu’on ne lui refuse pas d’a
1118 et qu’il continue à l’affirmer avec véhémence. Il est comme un soldat qui n’accepte pas la discipline, se fait punir mais r
1119 e. Il y a un mot pour désigner ces individus : ce sont des mauvaises têtes. De mauvaise tête à « dérangé du cerveau » le gli
1120 vaise tête à « dérangé du cerveau » le glissement est facile. Dans une société totalitaire je dirais même qu’il est naturel
1121 Dans une société totalitaire je dirais même qu’il est naturel. On les condamne donc pour remettre leurs idées en place, en
1122 que. On lui amène quelqu’un dont on lui dit qu’il est fou. Sa première réaction va consister à lui laver le cerveau. Pour c
1123 qu’il le condamne. Un Soljenitsyne qui, pour lui, est un écrivain « dérangé » doit être guéri et il a justement les moyens
1124 e qui, pour lui, est un écrivain « dérangé » doit être guéri et il a justement les moyens de le guérir. Quels moyens ? Le ps
1125 ceux que, précisément, on réserve aux fous. Si j’ étais en Russie je serais enfermé depuis longtemps et je me demande si je n
1126 ent, on réserve aux fous. Si j’étais en Russie je serais enfermé depuis longtemps et je me demande si je ne deviendrais pas fo
1127 is pas fou réellement. Quand on vous dit que vous êtes seul à penser de la sorte, vous pouvez réellement vous demander : Mai
1128 réellement vous demander : Mais en fin de compte est -ce que je n’ai pas tort puisque tous les autres pensent autrement ? E
1129 ès bien vous amener à la folie. J’ai su comment s’ étaient passés les grands procès de Moscou lorsque Staline s’est débarrassé d
1130 sés les grands procès de Moscou lorsque Staline s’ est débarrassé de tous les vieux communistes qui avaient participé à la f
1131 tuer. Donc si vous le reconnaissez c’est que vous êtes capable de le faire. Mais ces gens représentaient peut-être un danger
1132 fférent : celui de changer les mœurs parce qu’ils sont , je l’ai dit, manieurs de mots, donneurs de sens. Les mœurs dépendent
1133 our ; La Rochefoucault a dit : « Combien d’hommes seraient amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler d’amour ? » Eh bien, c
1134 mantique que les Américains appellent « romance » est une invention des poètes du Midi de la France au xiie siècle. Avant
1135 r sensuel. Et c’est cette notion de l’amour qui a été vulgarisée à travers toutes les littératures, toutes les sociétés jus
1136 té imagine les rapports entre l’homme et la femme est un élément important de ses mœurs. Or cette façon n’a pas été modifié
1137 nt important de ses mœurs. Or cette façon n’a pas été modifiée par les grands de l’époque, les seigneurs puissants et redou
1138 hares sur les bûchers de la première Inquisition. Est -ce que les dirigeants d’aujourd’hui, particulièrement ceux des sociét
1139 en cette influence de l’artiste ? Je crois qu’ils sont emplis d’angoisse devant ce monde impossible à gouverner et que, même
1140 ssi dans leurs pensées. Les Russes et les Chinois sont les seuls qui avouent ouvertement pratiquer ce conditionnement. La ré
1141 nement. La révolution culturelle chinoise n’a pas été autre chose qu’un immense conditionnement. Et sans doute lorsqu’on pr
1142 Aucun écrivain digne de ce nom ne peut accepter d’ être l’objet d’un pareil conditionnement où on lui dirait ce qu’il doit éc
1143 t écrire. C’est sa nature même qui s’y oppose. Il sera donc toujours un opposant, un « agent de la révolution » selon le mot
1144 e la société amène toujours davantage l’artiste à être en opposition contre elle. D’ailleurs ça n’a pas toujours été le cas 
1145 ition contre elle. D’ailleurs ça n’a pas toujours été le cas : je pense à Racine et à Corneille qui étaient au service de L
1146 été le cas : je pense à Racine et à Corneille qui étaient au service de Louis XIV. Les grands peintres de la Renaissance qui dé
1147 ient les gens qui faisaient l’ordre dans la cité, étaient eux aussi proches du pouvoir. Chacun de ces artistes, à sa manière, é
1148 du pouvoir. Chacun de ces artistes, à sa manière, était donneur de mesures morales dans lesquelles leurs contemporains pourra
1149 it rarement les limites d’un petit canton suisse. Est -ce que cette dimension avait une influence ? C’est une évidence. Dans
1150 ne peut plus agir comme responsable. Et l’homme n’ est libre que s’il est responsable. C’est une vieille notion que l’on ret
1151 omme responsable. Et l’homme n’est libre que s’il est responsable. C’est une vieille notion que l’on retrouve encore en jus
1152 sans avoir la responsabilité de votre acte, vous serez acquitté. C’est parce que je crois à cette liberté de l’homme liée à
1153 i la voix porte aujourd’hui beaucoup plus loin je suis fidèle à la définition d’Aristote selon laquelle une cité ne devrait
1154 il n’y a pas de nécessité à ce qu’un État moderne soit regroupé, donc plus puissant ? Quelle nécessité ? Quand les gens qui
1155 aient jamais pu réunir complètement la France qui fut longtemps composée de neuf nations parlant chacune leur langue. C’est
1156 session de tous les moyens de commander, ceux qui étaient à la tête des États ont eu naturellement plus de prétention que leurs
1157 gens. Même aux États-Unis où la radio et la TV ne sont pas aux mains de l’État le gouvernement dispose de toutes sortes de m
1158 Partout l’État veut imposer sa norme. Ces défauts sont peut-être moins évidents dans de petits pays, la Suisse notamment. Bi
1159 e petits pays, la Suisse notamment. Bien sûr nous sommes encore dans une société où l’individu n’est pas aussi directement men
1160 us sommes encore dans une société où l’individu n’ est pas aussi directement menacé. Mais je vous rends attentif à un fait.
1161 C’est un choix qui ne menace personne. Lorsqu’il était pilote de chasse et qu’il faisait tomber des bombes sur les villes, i
1162 u’il faisait tomber des bombes sur les villes, il était libre, considéré, décoré même. Depuis qu’il a pris le parti de la pai
1163 ris la police suisse. C’est un exemple. Mais nous sommes encore très loin d’infliger aux opposants le sort que connaissent les
1164 que connaissent les écrivains soviétiques ? Nous sommes préservés contre certaines outrances des pays totalitaires parce que
1165 parce que dans le fondement de notre société ce n’ est pas la masse qui constitue l’unité de mesure mais l’individu. Partout
1166 Partout ailleurs où la dimension de l’État-nation est trop grande, où le pouvoir est concentré entre quelques mains — et on
1167 n de l’État-nation est trop grande, où le pouvoir est concentré entre quelques mains — et on n’a plus besoin d’être Napoléo
1168 ré entre quelques mains — et on n’a plus besoin d’ être Napoléon pour être à la tête d’un État moderne — le glissement vers u
1169 ains — et on n’a plus besoin d’être Napoléon pour être à la tête d’un État moderne — le glissement vers une société sans opp
1170 sition où l’homme se fond dans la norme, accepte, est un phénomène de plus en plus courant, de plus en plus dangereux. Et o
1171 nnaît pas d’autres horizons. En janvier 1972 il a été encore condamné pour “agitation et propagande antisoviétique” à douze
1172 ce que ces arrêts des juges représentent pour un être humain. Le crime que Boukovski paie et qu’il devra continuer de payer
1173 Boukovski paie et qu’il devra continuer de payer est celui d’avoir une opinion et de l’exprimer. Il n’est pas dans la norm
1174 celui d’avoir une opinion et de l’exprimer. Il n’ est pas dans la norme de la Russie d’aujourd’hui comme les Rosenberg — do
1175 sion nous rappelait récemment la fin tragique — n’ étaient pas dans la norme de l’Amérique des années 1950. Très justement Amnes
1176 Vladimir Boukovski qui, aux dernières nouvelles, était détenu dans la prison de Vladimir où il ne recevait aucune assistance
1177 ne recevait aucune assistance médicale bien qu’il soit gravement malade. Pour tenter de le sauver, les groupes romands d’Amn
1178 ant sa libération. Au premier rang de ceux qui se sont engagés dans ce combat on trouve le nom de l’un des plus grands écriv
1179 Denis de Rougemont. Les raisons de cet engagement sont bien dans la logique de son œuvre et de ses actes. On n’a pas oublié
16 1975, Articles divers (1974-1977). « L’État-nation, voilà l’ennemi » (1er juillet 1975)
1180 résultat, brillante gestion ! Mais, au fait, qui était le gérant ? La réponse est dangereusement simple. Les responsables so
1181 ! Mais, au fait, qui était le gérant ? La réponse est dangereusement simple. Les responsables sont les 150 États-nations qu
1182 ponse est dangereusement simple. Les responsables sont les 150 États-nations qui se partagent aujourd’hui la totalité (sans
1183 Ils ont tout calculé pour leur guerre, dont tous sont nés, et selon l’obsession de puissance qui explique seule, sans la ju
1184 venir les plus catastrophiques ont seule chance d’ être vérifiés ; ou bien des hommes et des groupes décident de reprendre en
1185 peu à renverser, tout à construire. Et force nous sera de le faire dans les cadres de l’État-nation périmés ; hors d’eux, il
1186 adres de l’État-nation périmés ; hors d’eux, il n’ est plus d’espace libre, il n’y a plus que l’avenir qui leur échappe. Pas
1187 uestion non plus de constituer des régions qui ne soient que des mini-États-nations, et qui prétendent imposer le carcan de fr
1188 de la réalité humaine. Les régions nécessaires ne sont pas ethniques d’abord, et encore moins économiques d’abord. La soluti
1189 d’abord. La solution de nos problèmes économiques est à chercher sur un tout autre plan que celui où la crise se déclare :
1190 la mauvaise gestion de la planète, l’État-nation est aussi le fauteur de la crise, dans la mesure où l’obsession de la pui
1191 se, dans la mesure où l’obsession de la puissance est l’ultima ratio de ses décisions. Mais d’où tient-il sa puissance actu
1192 recouvrer la dimension civique sans laquelle il n’ est pas une vraie personne, c’est le problème central de notre temps. Les
1193 rtains l’ont fait à Berlin : « Votre point de vue est typiquement européen, mais que vaut-il pour tous ces pays neufs qui o
1194 ui ont adopté le modèle de l’État-nation qui leur était livré dans le même paquet que la technique et le DDT, et qui était po
1195 le même paquet que la technique et le DDT, et qui était pour eux, au départ, le moyen de leur libération ? » Deux réponses à
1196 plus de mal au tiers-monde qu’aux Européens. Ce n’ est pas peu dire ! Il est grand temps de le dépouiller de son prestige, d
1197 onde qu’aux Européens. Ce n’est pas peu dire ! Il est grand temps de le dépouiller de son prestige, d’en dénoncer l’absurdi
1198 ve, et membre du club de Rome, Denis de Rougemont est d’accord pour la création des régions, à l’échelle du monde, mais à c
17 1975, Articles divers (1974-1977). « Il ne s’agit pas de créer des régions qui soient de petits États-nations » (septembre 1975)
1199 « Il ne s’agit pas de créer des régions qui soient de petits États-nations » (septembre 1975)w x Ne risque-t-on pas d
1200 ional ? Il ne s’agit pas de créer des régions qui soient de petits États-nations. Ce serait bien pire que les grands. Ce serai
1201 es régions qui soient de petits États-nations. Ce serait bien pire que les grands. Ce seraient les défauts des grands plus l’e
1202 s-nations. Ce serait bien pire que les grands. Ce seraient les défauts des grands plus l’esprit de clocher. Ce qu’il faut, c’est
1203 issait à renverser les gouvernements centraux, il serait obligé de reprendre leur place et il serait occupé comme les autres à
1204 x, il serait obligé de reprendre leur place et il serait occupé comme les autres à rester au pouvoir. C’est donc une voie sans
1205 du Val d’Aoste et du canton de Vaud, tout ce qui est autour du Léman. Une quantité de problèmes seraient à résoudre sur pl
1206 ui est autour du Léman. Une quantité de problèmes seraient à résoudre sur place par des gens de la région, avec l’aide des élus
1207 chaque jour dans le lac, au point que la lotte n’ est plus comestible. Les concentrations deviennent, aujourd’hui déjà, plu
1208 c, des accidents épouvantables, du type japonais, sont possibles d’un jour à l’autre dans notre région. Il y a là une tâche
1209 accomplir en commun. La nappe phréatique, aussi, est commune aux Genevois, aux Gessiens et aux Savoyards. Elle est très me
1210 aux Genevois, aux Gessiens et aux Savoyards. Elle est très menacée, d’épuisement, de contamination, de pollutions diverses.
1211 isser un gouvernement répondre à un autre qu’il n’ est pas question de coopérer parce que, en temps de guerre, on serait trè
1212 ion de coopérer parce que, en temps de guerre, on serait très embêté si on avait la même station de pompage… Il y a les problè
1213 e pompage… Il y a les problèmes de l’aéroport qui sont évidemment communs aux deux côtés de la frontière. Il y a le problème
1214 neutrons… Il y a des problèmes d’éducation : il n’ est pas tolérable que des enfants de travailleurs étrangers ne disposent
1215 ançais enseignent en Suisse, mais la réciproque n’ est pas possible). Il faut, au besoin, créer des équipes de travail par-d
1216 des ordinateurs des diverses universités doivent être uniformisés. Même cela, n’est-ce pas déjà une manière de sédition ? I
1217 niversités doivent être uniformisés. Même cela, n’ est -ce pas déjà une manière de sédition ? Il y a des centaines de choses
1218 risations. Si vous demandez à d’autres le droit d’ être libre, vous êtes perdu ! La liberté, c’est une chose qu’on prend, qu’
1219 s demandez à d’autres le droit d’être libre, vous êtes perdu ! La liberté, c’est une chose qu’on prend, qu’on mérite et, sur
1220 on mérite et, surtout, dont on se montre digne en étant responsable. Responsable : je tiens au mot. Car après tout, sans resp
1221 retien] Il ne s’agit pas de créer des régions qui soient de petits États-nations », Le Mois de Candide, Ferney, septembre 1975
18 1976, Articles divers (1974-1977). Message de M. Denis de Rougemont (1976)
1222 voir le jour. Mais lui-même, comme jeune homme, s’ était rêvé un avenir tout différent, celui de l’homme de culture et de médi
1223 elui de l’homme de culture et de méditation qu’il fut , en fait, d’une manière invisible mais réelle et qui, loin d’être mar
1224 ’une manière invisible mais réelle et qui, loin d’ être marginale par rapport à son œuvre politique, pourrait bien en être la
1225 r rapport à son œuvre politique, pourrait bien en être la source. Personnellement, je vois la preuve de cela dans le fait qu
1226 quel esprit l’homme politique de premier plan qu’ était devenu Robert Schuman jugeait-il la fonction de ces deux entreprises,
1227 itre à son deuxième chapitre : L’Europe, avant d’ être une alliance militaire ou une entité politique, doit être une communa
1228 alliance militaire ou une entité politique, doit être une communauté culturelle. Et dans ce même chapitre, je souligne cet
1229 faire du chemin, surtout en ce sens que le chemin est long et qu’on le parcourt lentement ». On sent bien ici que Schuman n
1230 sque c’est tout naturellement que sa méditation s’ est poursuivie en création et n’a cessé de soutenir son action. Voilà po
1231 omme d’État d’allure volontairement modeste, aura été plus créateur que les grands ténors de ce siècle. Piéton tranquille s
1232 jour de 1960, dans un moment de confidence : Je suis sans doute trop vieux pour surmonter l’idée de nation souveraine, dan
1233 r l’idée de nation souveraine, dans laquelle j’ai été élevé. Ce sera l’affaire de votre génération. Trois lustres ont pass
1234 tion souveraine, dans laquelle j’ai été élevé. Ce sera l’affaire de votre génération. Trois lustres ont passé déjà sans que
1235 Quant à repasser le flambeau, selon le cliché, ce serait une démission, voire une abdication qui ne trouverait plus personne p
1236 M. Denis de Rougemont », L’Europe plus que jamais est nécessaire à la prospérité et à la sécurité, Montigny-lès-Metz, Assoc
19 1976, Articles divers (1974-1977). L’Europe, l’été [préface] (1976)
1237 L’Europe, l’ été [préface] (1976)aa L’Europe, l’été, devient un parc immense aux bo
1238 L’Europe, l’été [préface] (1976)aa L’Europe, l’ été , devient un parc immense aux bosquets enchantés de musique. Du gracil
1239 deaux et d’Athènes à Stockholm, toute l’Europe en été vibre et chante, danse ou déploie les fastes de ses opéras dans les p
1240 e à travers tout le romantisme occidental. Là, ce sont quelques heures d’autoroute à travers forêts et vallées qui relient l
1241 ommune appartenance au grand ensemble culturel qu’ est en réalité l’Europe, et l’aient prouvé en s’associant sous le signe d
1242 ntale. ⁂ Depuis un siècle et demi, les nations se sont multipliées, et elles se sont bardées de frontières sourcilleuses, da
1243 emi, les nations se sont multipliées, et elles se sont bardées de frontières sourcilleuses, dans notre Europe jadis ouverte
1244 tre européen de la culture, à Genève, dont le but était précisément d’offrir un lieu de rencontres et des moyens de coopérati
1245 l’Europe à la recherche de l’union. Notre entente fut immédiate, et les plans vite tracés. Tous nos grands festivals furent
1246 les plans vite tracés. Tous nos grands festivals furent invités à déléguer leurs directeurs pour une première prise de contac
1247 l’Association européenne des festivals de musique était fondée et se mettait à l’œuvre. ⁂ La musique est d’Europe, en ce sens
1248 tait fondée et se mettait à l’œuvre. ⁂ La musique est d’Europe, en ce sens qu’elle est liée à l’Europe non seulement histor
1249 re. ⁂ La musique est d’Europe, en ce sens qu’elle est liée à l’Europe non seulement historiquement, dans sa genèse, mais en
1250 nèse, mais encore essentiellement dans sa nature, étant née du complexe physico-spirituel qui a formé l’homme européen et qui
1251 de la musique ; et, d’autre part, que la musique est l’expression la plus profonde et spécifique du génie propre de l’Euro
1252 tre unité fondamentale. Unité dans la diversité — est -il besoin de le répéter ? Saisir ensemble ces deux termes que la logi
1253 r ensemble ces deux termes que la logique oppose, est un mouvement, un geste de l’esprit, caractéristique de l’Europe. Voil
1254 x rivalités stériles, favoriser les échanges, qui sont la santé de la culture comme de l’économie, et, de la sorte, élever l
1255 nt de la musique et de la culture européennes ont été reçus en qualité de membres associés. Israël et Osaka ont brillamment
1256 on du rez-de-chaussée, une trentaine de personnes sont assises autour d’une table en fer à cheval, et souvent leurs regards
1257 oms s’échangent, et des projets s’esquissent : ce sont tous les grands noms de la musique, compositeurs, exécutants et chefs
1258 ampions de la dernière école postsérielle ; et ce sont des projets de concerts, de ballets, d’opéras de tous les siècles qui
1259 a joie de centaines de milliers d’auditeurs. Nous sommes ici au centre d’un prestigieux complot contre l’ennui et la laideur q
1260 ou assagi — qu’a pris le mot dans l’ère moderne, est une forme de vie et d’activité artistique tout à fait spécifique de l
1261 stivalienne me paraît typiquement occidentale, ne fût -ce que par les antinomies qu’elle embrasse, les paradoxes et les ambi
1262 oblème d’une définition du festival authentique s’ est donc posé d’emblée aux membres de l’association. À l’occasion d’une
1263 n proposait la définition suivante : Un festival est d’abord une fête, un ensemble de manifestations artistiques s’élevant
1264 et de soutenir. Ce caractère d’exception doit lui être conféré non seulement par la haute qualité des œuvres produites (tant
1265 de ces œuvres avec l’ambiance des lieux où elles sont jouées, créant ainsi une atmosphère particulière à laquelle contribue
1266 s, compositeurs et musicologues, cette définition fut très généralement approuvée, bien que certains, non sans raison, aien
1267 , non sans raison, aient tenu à souligner qu’elle était idéale et au mieux normative, plutôt que réaliste et descriptive. (Ma
1268 tive, plutôt que réaliste et descriptive. (Mais n’ est -ce pas le fait de toute définition, et son utilité majeure ?) De plus
1269 ival viable. (Le cas des « semaines musicales » d’ été organisées par une grande ville comme Berlin, Vienne ou même Zurich,
1270 dont elle dispose pour sa propre saison d’hiver, est tout à fait différent, mais plus rare.) La multiplication des festiva
1271 pularisation de la culture. L’essor des festivals est un indice commode permettant de mesurer l’ampleur de cette évolution
1272 4. Au xixe et au début de ce siècle, la musique était confinée dans les salles de concert, séparée de la vie, j’entends des
1273 out le contexte social en vue desquels elle avait été composée. C’est grâce aux festivals qu’on s’est remis de nos jours no
1274 t été composée. C’est grâce aux festivals qu’on s’ est remis de nos jours non seulement à jouer Hamlet sur les remparts d’un
1275 u d’origine et d’usage, à la communauté dont elle fut l’expression ou qu’elle reconstitue dans les esprits chaque fois qu’e
1276 reconstitue dans les esprits chaque fois qu’elle est jouée en son lieu, annonce et préfigure une évolution très profonde d
1277 ogie. Pas un seul festival de notre association n’ est « national », soulignons-le : régionaux ou municipaux, chacun d’eux c
1278 iculier, mais bien par une certaine manière qui n’ est qu’à lui de mettre en œuvre et d’accueillir la musique d’hier et d’au
1279 t œuvre commune de la culture européenne. « L’art est l’état d’esprit d’un jour de fête », disait Flaubert. Et la définitio
1280 finition citée plus haut rappelait qu’un festival est d’abord une fête, c’est-à-dire l’acte exceptionnel, symbolique et mém
1281 nnel, symbolique et mémorial d’une communauté. Il est beau que ce soit à la musique, plutôt qu’à quelque mascarade folklori
1282 et mémorial d’une communauté. Il est beau que ce soit à la musique, plutôt qu’à quelque mascarade folklorique, que déjà tan
1283 demander l’expression publique et sensible de cet être communautaire et de cette âme dont, s’il est vrai qu’un paysage est u
1284 cet être communautaire et de cette âme dont, s’il est vrai qu’un paysage est un « état d’âme », on pourra contempler aux pa
1285 et de cette âme dont, s’il est vrai qu’un paysage est un « état d’âme », on pourra contempler aux pages de ce livre tant d’
1286 aa. Rougemont Denis de, « [Préface] L’Europe, l’ été  », Festivals de musique européens, Lausanne, 24 Heures, 1976, p. 7-12
20 1976, Articles divers (1974-1977). Histoire et prospective de l’identité européenne (1976)
1287 y Dans le champ des études européennes, quelle est votre discipline ? Quand on sent qu’on ne peut pas répondre facilemen
1288 u’il faut la compliquer, parce qu‘en réalité elle est bien plus complexe que celui qui la pose ne le croyait. Avant donc d’
1289 le reste en dépendra, et d’abord mes réponses. Qu’ est -ce donc pour vous, l’Europe ? Ce n‘est pas une réalité faite et achev
1290 ponses. Qu’est-ce donc pour vous, l’Europe ? Ce n‘ est pas une réalité faite et achevée, ou bien en train de se défaire. Ce
1291 et achevée, ou bien en train de se défaire. Ce n’ est pas une forme idéale à rejoindre, ni quelque chose qui aurait existé
1292 que l’on se proposerait de ressusciter. Mais ce n‘ est pas non plus une utopie, comme le furent les projets d’union de Pierr
1293 . Mais ce n‘est pas non plus une utopie, comme le furent les projets d’union de Pierre Dubois (1308), du roi de Bohême Georges
1294 lliard d’humains, leur culture (dont l’Université est un élément) et leurs manières de vivre. Et ce problème ne se pose pas
1295 l’espace vide de la théorie intemporelle. Il nous est imposé concrètement dans l’aire d’un continent déterminé, au troisièm
1296 e vous me semblez faire, après tant d’autres — ce fut une mode dans les années 1960 — entre la recherche fondamentale et la
1297 amateurs d’applications techniques ou militaires étant priés de s’abstenir ou de modérer leurs impatiences. Bien. Mais les g
1298 sur la Lune. Pour eux, la recherche fondamentale est celle qui peut « rendre » en vingt ans, pour le prestige et la puissa
1299 strie. Vous voyez que la recherche fondamentale n‘ est pas aussi « gratuite » qu’on le croyait : il arrive même qu’elle soit
1300 tuite » qu’on le croyait : il arrive même qu’elle soit la mieux payée et la plus payante au bout du compte. Qu’en est-il dan
1301 payée et la plus payante au bout du compte. Qu’en est -il dans le domaine des sciences humaines ? Je serais tenté de revendi
1302 est-il dans le domaine des sciences humaines ? Je serais tenté de revendiquer la qualité de « recherche fondamentale » — qui i
1303 que dans notre domaine, la recherche fondamentale est celle qui a pour objet l’homme lui-même, la personne. Si la mathémati
1304 l’homme lui-même, la personne. Si la mathématique est science fondamentale pour les physiciens, les chimistes, les astronom
1305 mieux savoir et mieux comprendre en général ce qu’ est l’Europe comme fonction dans le Monde ; et en particulier, c’est là m
1306 ranche, à mieux comprendre ce que cela signifie d’ être un Européen. Ce n’est pas un métier ni même une profession. C’est une
1307 dre ce que cela signifie d’être un Européen. Ce n’ est pas un métier ni même une profession. C’est une manière d’être homme
1308 étier ni même une profession. C’est une manière d’ être homme et d’orienter la vie. C’est une manière aussi de faire vivre l’
1309 de faire vivre l’Europe en vivant sa culture, qui est , à mes yeux, sa profonde identité. Cette culture a produit — comme dé
1310 istan, et l’amour-passion, la Comédie et les deux Sommes , les mystiques espagnols, les Élisabéthains, et les classiques frança
1311 i ! » Comme si ceux qui écrivent ces slogans n’en étaient pas, de cette Europe qu’ils jugent finie ! L’agonie qu’ils annoncent,
1312 ’ils annoncent, complaisants, c’est la leur ! Ils sont bien les seuls à ne pas le voir ! Et c’est le moment que vous choisis
1313 pe. Ce qui ne prouve d’ailleurs pas que mon sujet soit « sérieux » du point de vue que l’on nommait naguère académique, mais
1314 oute une civilisation, dont le monde académique n’ est qu’une partie, certes précieuse, mais englobée, non englobante. Secon
1315 . Là encore, vous allez me dire que ces démarches sont peu compatibles avec l’idée du sérieux scientifique qu’on cultivait a
1316 s sans pouvoir le connaître. Or, si le passé seul est objet de savoir, tout savoir assuré sera donc historique. Et dès lors
1317 assé seul est objet de savoir, tout savoir assuré sera donc historique. Et dès lors, votre discipline ne serait-elle pas tou
1318 donc historique. Et dès lors, votre discipline ne serait -elle pas tout simplement une histoire des idées en Europe, sur l’Euro
1319 echerche, et le virtuel, objet de la prospective, sont plus encore que le savoir ce que j’ai le désir de transmettre, c’est-
1320 uditeurs d’un cours. Car penser, après tout, ce n‘ est peut-être que cela : mettre en système du savoir et du non-savoir, du
1321 stème du savoir et du non-savoir, du réalisé — ce sont les « faits » — et du virtuel ou potentiel, c’est ce qui reste « à fa
1322 e sans le connaître, qui apparaîtra un jour comme étant le principal de ce que j’avais à faire passer, dans le cadre rigoureu
1323 gie philosophique, sur les problèmes de l’Europe, est -ce que cela ne vous condamne pas à l’européocentrisme ? Vous en êtes
1324 vous condamne pas à l’européocentrisme ? Vous en êtes parfois accusé. Quand on fait « simplement » du droit, des lettres, d
1325 leur monde. Or à mon sens, c’est le contraire qui est vrai. Il arrive bien souvent que celui qui fait des lettres, de la mé
1326 e ou marxiste, ou de la science politique en soi, soit à mille lieues de soupçonner le caractère spécifiquement européen de
1327 spécifiquement européen de sa discipline. Or s’il est naïvement européen, il est fatal qu’il se comporte, objectivement, d’
1328 sa discipline. Or s’il est naïvement européen, il est fatal qu’il se comporte, objectivement, d’une manière tout européocen
1329 opéocentrique. Il croit que le droit qu’il étudie est le vrai Droit universel ; que l’histoire a un sens et qu’elle détient
1330 mes nécessités chez tous les peuples, quelles que soient leurs croyances religieuses ; que la technique est quelque chose « d’
1331 nt leurs croyances religieuses ; que la technique est quelque chose « d’objectif » et « d’universel », et qui ne dépend ni
1332 duisent des romans d’amour, etc. Or ces croyances sont typiquement européennes, bien qu’erronées, comme le démontrent nos ét
1333 isième tiers du xxe siècle. L’étude de la chimie est utile, l’étude du droit aussi, mais connaître les raisons d’être et l
1334 tude du droit aussi, mais connaître les raisons d’ être et les moyens de survivre de l’Europe est simplement vital pour toute
1335 sons d’être et les moyens de survivre de l’Europe est simplement vital pour toute notre culture. Croyez-vous que l’Universi
1336 ute notre culture. Croyez-vous que l’Université n’ est pas intéressée au premier chef à la survie de cette culture ? 20. M
1337 rope surtout et par ces masochistes invétérés que sont trop souvent les intellectuels européens. y. Rougemont Denis de, « 
21 1976, Articles divers (1974-1977). Changer de cap (novembre 1976)
1338 re 1976)ab Ce que l’on appelle « politique » n’ est en général qu’une tactique partisane, mais ce qui m’intéresse est aut
1339 u’une tactique partisane, mais ce qui m’intéresse est autre chose : la stratégie de notre civilisation. Ce sont donc les gr
1340 re chose : la stratégie de notre civilisation. Ce sont donc les grands choix moraux qui déterminent parfois à notre insu les
1341 et la nature, une société dont l’idéal directeur soit la liberté des personnes assurées par la participation responsable de
1342 je m’occupe de ces choses, et que j’en écris, je suis de plus en plus frappé par le rôle qu’y joue le mensonge systématique
1343 éma suivant que je reconstitue : I. Le philosophe étant celui qui pose des questions simples et naïves, je demande : « Concor
1344 imples et naïves, je demande : « Concorde, à quoi est -ce que ça sert ? » On m’assure que cet appareil ira de Paris à New Yo
1345 peut dire, que feront-ils de ces heures gagnées ? Est -ce qu’elles vaudront les seize milliards déjà dépensés par l’État, do
1346 donc par les contribuables français et anglais ? Est -ce qu’elles justifieront le risque planétaire que des savants redoute
1347 is pas… » 2. Si les clients prévus, dont l’heure est si précieuse, sont à tel point suroccupés, on leur rendrait meilleur
1348 es clients prévus, dont l’heure est si précieuse, sont à tel point suroccupés, on leur rendrait meilleur service en leur fai
1349 échir, ou de lire mes livres par exemple. Et s’il était vraiment indispensable de « gagner » trois heures sur ce trajet, en v
1350 urgiens, des assureurs, etc.) ? Les Américains se sont posé la question à propos du Vietnam : pouvons-nous arrêter la guerre
1351 milliers d’ouvriers ? Je pense que si la Société est ainsi faite que la seule alternative qu’elle offre au gaspillage indu
1352 mosphère, voire à la guerre, c’est le chômage, il est temps de changer de cap, de se fixer d’autres buts, et d’inventer d’a
1353 s « retombées technologiques » (Concorde lui-même étant une retombée des V2 à travers les fusées américaines) ; cela signifie
1354 nos têtes. 5. Indépendamment de ces arguments, je suis contre Concorde pour deux raisons fondamentales. a) Tout comme les c
1355 a) Tout comme les centrales nucléaires, Concorde est le symbole ou simplement l’enseigne d’un modèle de société que je réc
1356 d’autonomie et de fédération des groupes. b) Je suis convaincu que les promoteurs de Concorde sont animés par un certain i
1357 Je suis convaincu que les promoteurs de Concorde sont animés par un certain idéal : c’est celui du Progrès selon le xixe s
1358 oreur de cette sorte d’énergie que l’État central est seul en mesure de produire et de distribuer, entraînant ainsi, par le
1359 national dans notre société industrielle (qu’elle soit capitaliste ou socialiste, nulle différence à cet égard !), la logiqu
1360 mford a baptisé la « Mégamachine », cette logique est plus forte que tous les hommes d’État, que tous les servants de l’Éta
1361 a deux morales incompatibles en théorie, si elles sont parfois complémentaires en pratique. L’une veut la liberté d’abord, l
1362 Si vous tenez à la sécurité par-dessus tout, vous êtes amené à accepter la logique interne de la mégamachine étatique, vous
1363 us de l’État, et vous trouvez enfin normal que ce soit lui — comme les Rois antiques — qui dispense seul l’Énergie. Une éner
1364 pensable au fonctionnement de l’État-nation. Vous êtes amené à revendiquer l’autonomie que l’État menace, que les nécessités
1365 onversion pour une image, si vous voulez, mais je suis convaincu qu’en réa­lité, elle signifie bien davantage, et peut pro­d
1366 Et je ne dis pas qu’en alertant les énergies qui sont en nous nous pourrions aller aussi vite que Concorde. Je dis seulemen
1367 qu’en faisant appel toujours plus aux forces qui sont en nous, le besoin que nous avions de forces extérieures diminuerait
1368 ces extérieures diminuerait d’autant, et que nous serions alors en mesure de découvrir une réalité du monde bien différente, où
1369 s ferions une autre société — et je pense qu’elle serait meilleure. 21. Aujourd’hui, Air France et la SNIAS publient que l’a
22 1977, Articles divers (1974-1977). Souvenir de 1938 (1977)
1370 , à Venise, Honegger diriger son Nocturne et je m’ étais dit : Voilà celui pour qui je voudrais écrire quelque chose. À peine
1371 ionale de 1939. La guerre paraissait imminente, j’ étais en train de sortir mes uniformes d’une malle. Je ne trouvais pas de «
1372 laire que je gardais de cet ermite du xve siècle était bien pâle. Mais ce jour-là, je reprends le livre et je découvre un pe
1373 ce ! Revenir au théâtre grec, avec son chœur ? Ce serait la solution formelle ; encore faudrait-il l’adapter à la structure ch
1374 la crée l’appel au musicien — et celui-ci ne peut être qu’Honegger. Je vais le voir à Paris. Je ne le connaissais pas. En pl
1375 forme théâtrale à laquelle il croit pour l’avenir est « celle qui arrive à grouper toute une population ». C’est donc oui,
1376 se met au travail dès novembre. En janvier, tout sera terminé. Mais un soir d’août 1939, à La Chaux-de-Fonds, assistant pou
1377 première fois à une répétition des chœurs — et ce sera la dernière : la guerre est pour demain — je me sens littéralement tr
1378 n des chœurs — et ce sera la dernière : la guerre est pour demain — je me sens littéralement transporté ! Voici chanté, cla
1379 rière-plan religieux de ma « Légende dramatique » est révélé tantôt par un lyrisme aérien, alpestre, cristallin, comme dans
1380 On a écrit que si l’oratorio Nicolas de Flüe « n’ est pas devenu populaire » c’est que « ce pacifiste était inopportun en u
1381 t pas devenu populaire » c’est que « ce pacifiste était inopportun en un moment où il s’agissait de résister au national-soci
1382 rps d’armée ! » Il se peut que les deux jugements soient justes. Ce qui est certain, c’est que l’homme de la paix est seul cap
1383 peut que les deux jugements soient justes. Ce qui est certain, c’est que l’homme de la paix est seul capable de gagner ce q
1384 Ce qui est certain, c’est que l’homme de la paix est seul capable de gagner ce que toute guerre, même victorieuse, perd à
1385 même victorieuse, perd à coup sûr : les raisons d’ être d’une communauté d’hommes libres. Au surplus, la musique d’Honegger r
23 1977, Articles divers (1974-1977). Les débuts de la construction européenne (1977)
1386 a Résistance, et dont l’élément le plus dynamique est l’Union européenne des fédéralistes ; Un ensemble de projets politiqu
1387 tiques plus ou moins pragmatiques, dont Churchill sera le porte-parole le plus prestigieux, Schuman et Spaak les artisans le
1388 ncipaux, leurs conflits et leurs complémentarités sont seuls capables de rendre intelligibles les débuts et l’évolution de c
1389 ligibles les débuts et l’évolution de ce que l’on est convenu de nommer, non sans optimisme, quant à la vraie nature du phé
1390 re du phénomène, la Construction européenne. Il n’ est que juste et décent d’ajouter que sans le plan Marshall, proposé aux
1391 hall, proposé aux Européens en 1947, rejeté par l’ Est sur l’ordre de Moscou, accepté par l’Ouest, et dès lors administré pa
1392 é par l’OECE, rien de tout ce qui va suivre n’eût été possible. Il s’agit là d’un fait patent et mesurable : dans les derni
1393 ainte, rédigé en 1306. Pierre Dubois, son auteur, est un juriste de Philippe le Bel et d’Édouard d’Angleterre. Le plan d’un
1394 es prônés par l’université moderne n’auraient-ils été « utopiques » que sur un seul sujet, l’Europe ? Mais les États ne fon
1395 leur prétention à la souveraineté absolue : elle était dynastique familiale, ils la proclament « nationale » dès la Révoluti
1396 d’un régime d’union fédérale européenne. Le texte est présenté en 1930 à la Société des Nations. On peut y lire : S’unir p
1397 y lire : S’unir pour vivre et prospérer : telle est la stricte nécessité devant laquelle se trouvent désormais les nation
1398 ouvent désormais les nations d’Europe. Mais tout est compromis — comme le seront la CECA et plus encore la CEE — par l’axi
1399 ons d’Europe. Mais tout est compromis — comme le seront la CECA et plus encore la CEE — par l’axiome, inlassablement réaffirm
1400 s estiment menacée par toute forme d’union qui ne soit pas purement verbale. Pour le meilleur et pour le pire, c’est ce voca
1401 eilleur et pour le pire, c’est ce vocabulaire qui sera repris dans les traités européens de l’après-guerre. Mais ce qui exig
1402 éens de l’après-guerre. Mais ce qui exige alors d’ être expliqué, c’est le passage de l’échec du projet Briand aux relatifs s
1403 ns Monnet, Schuman et Spaak. Quel facteur nouveau est -il intervenu pour forcer les gouvernements à reprendre la constructio
1404 rchisants, participent également aux débats. Tous sont issus de la Résistance européenne à l’hitlérisme, qu’ils soient franç
1405 e la Résistance européenne à l’hitlérisme, qu’ils soient français ou italiens, allemands ou hollandais, suisses ou anglais. En
1406 jours de congrès, le cadre de l’action européenne est posé, le but ultime bien indiqué : « L’Europe une dans un monde uni. 
1407 qué : « L’Europe une dans un monde uni. » L’union sera faite sur le modèle du fédéralisme intégral, celui qui part des pouvo
1408 é d’unir tous les peuples du continent, ceux de l’ Est compris, est affirmée comme seul moyen de prévenir la colonisation pa
1409 les peuples du continent, ceux de l’Est compris, est affirmée comme seul moyen de prévenir la colonisation par un Parti ou
1410 économique du continent : l’union douanière doit être l’expression finale d’une union économique ou plan commun de producti
1411 un de production. La franchise des échanges devra être obtenue par des abaissements de droits échelonnés sur dix ou quinze a
1412 sur dix ou quinze ans. Un « plan Monnet européen est nécessaire »25 non seulement pour l’équilibre des productions françai
1413 décisive dans l’évolution de l’Europe, n’ont pas été conçues ex nihilo, ni formulées pour la première fois durant les quat
1414 de résistance actifs dans neuf pays en guerre se sont réunis clandestinement, par trois fois, pour élaborer un Manifeste fé
1415 pendant, pour l’observateur objectif que voudrait être l’historien, il est clair que ni les chefs de mouvements, sans pouvoi
1416 vateur objectif que voudrait être l’historien, il est clair que ni les chefs de mouvements, sans pouvoir, ni les ministres
1417 l’Europe. Si pourtant quelque chose se fait, cela sera dû à la complicité qui s’établit, sous le couvert d’ambiguïtés ou d’é
1418 de Coudenhove, un premier « Congrès de l’Europe » fut convoqué pour le début de mai à La Haye. Il réunit quelque huit-cents
1419 etint que l’idée d’une assemblée dont les membres seraient élus par les parlements. Des compromis analogues entre dirigistes, pl
1420 de l’Europe, 1949 À partir de La Haye « tout s’ est déroulé très vite » comme on dit dans les romans policiers. Une fois
1421 r former le Mouvement européen, dont le président fut Duncan Sandys, jeune ancien ministre et gendre de Churchill, et le se
1422 lles. Le traité instituant le Conseil de l’Europe fut paraphé au palais Saint-James, à Londres, le 5 mai, un an après La Ha
1423 ivante. Et il se trouva que sa première opération fut de définir la nature de la mission du CERN, ainsi que de programmer l
1424 on par les États européens, via l’Unesco. Le CERN fut inauguré le 1er août 1954 à Meyrin, près Genève, au lieu choisi lors
1425 si (et même renversant parfois) le brain-drain qu’ étaient alors en train de subir toutes nos nations, trop pauvres pour offrir
1426 fficultés communes à résoudre en commun »29. Ce n’ était pas une réforme, mais une révolution. On peut penser que c’est à la f
1427 nvois traversant librement les frontières des Six fut tel que, vingt-cinq ans plus tard, la presse européenne célébrant l’a
1428 te pas à titrer : « Neuf mai, le jour où l’Europe est née ! » Comme si l’Europe se limitait aux Six, comme si les Six n’éta
1429 l’Europe se limitait aux Six, comme si les Six n’ étaient rien de plus que des producteurs et des consommateurs de charbon et d
1430 idées directrices d’un pool charbon-acier avaient été formulées maintes fois pendant la période des congrès unionistes et f
1431 ités de décision politiques autant qu’économiques étaient sinon nulles, du moins annulables en tout temps par le Comité des min
1432 ropéenne, écartée de la discussion des congrès, s’ était imposée pendant la préparation de la CECA. Lorsque René Pleven ranima
1433 établir l’équilibre » (Pierre Uri). Quoi qu’il en soit , les parlements de cinq des Six ne tardèrent pas à ratifier le projet
1434 ent la tactique et la stratégie de la CECA, « ils sont d’avis que l’union doit être réalisée d’abord dans le domaine économi
1435 ie de la CECA, « ils sont d’avis que l’union doit être réalisée d’abord dans le domaine économique ; ils estiment qu’il faut
1436 la création d’une organisation commune à laquelle seront attribués la responsabilité et les moyens d’assurer le développement
1437 t que la constitution d’un Marché commun européen est l’objectif de leur action dans le domaine de la politique économique 
1438 formation de la CECA nul progrès politique n’ait été accompli, paraît de nature à confirmer le diagnostic des fédéralistes
1439 sur cet obstacle majeur à toute union sérieuse qu’ est l’État-nation, obsédé par ses droits souverains, d’ailleurs de plus e
1440 ine, et pas une réalisation convaincante, faute d’ être exaltante. Les mouvements de militants se sont tus ou rabâchent. Ils
1441 d’être exaltante. Les mouvements de militants se sont tus ou rabâchent. Ils parlent chaque année d’une « relance de l’Europ
1442 e d’une « relance de l’Europe ». Et les ministres sont d’accord — depuis un peu plus de vingt-cinq ans. Ils ont lu les sonda
1443 on de nos vingt-cinq pays par les hégémonies de l’ Est et de l’Extrême-Ouest, comment se fait-il que rien n’ait été fait, qu
1444 ’Extrême-Ouest, comment se fait-il que rien n’ait été fait, que rien ne se fasse ? Dans l’état actuel de notre société, les
1445 actuel de notre société, les gouvernements seuls sont responsables. Le dilemme devient des plus clairs : irons-nous avec eu
24 1977, Articles divers (1974-1977). Robert Schuman (1886-1963) : l’homme de la frontière (1977)
1446 i « une action bouleversante sans préavis », et s’ est montré « l’un de ces hommes exceptionnels par lesquels l’Esprit inflé
1447 aint à la nationalité allemande, Robert Schuman s’ est à plusieurs reprises, très justement, défini comme un « homme de la f
1448 i comme un « homme de la frontière ». En 1914, il est allemand selon son passeport. Inapte au service militaire, il ne sera
1449 son passeport. Inapte au service militaire, il ne sera mobilisé qu’au titre « d’employé auxiliaire » d’une sous-préfecture.
1450 cord contre l’Europe. En vérité, Robert Schuman n’ est de naissance et de tradition ni français ni allemand, mais mosellan.
1451 is mosellan. Fils d’une région non d’une nation — soit subie soit choisie librement — c’est un homme de « l’Europe médiane »
1452 . Fils d’une région non d’une nation — soit subie soit choisie librement — c’est un homme de « l’Europe médiane », de cette
1453 et non par goût, et moins encore par ambition. J’ étais alors, écrira-t-il, un juriste quelque peu candide, inexpérimenté dan
1454 31 au jeune Parti des démocrates populaires — qui sera le MRP de la Libération —, n’est-ce pas surtout parce que c’est le pa
1455 opulaires — qui sera le MRP de la Libération —, n’ est -ce pas surtout parce que c’est le parti qui affirme le plus clairemen
1456 s d’occupation, sans jamais le découvrir. Il n’en sera pas moins l’un des premiers à proposer, à la Libération, une politiqu
1457 s président du Conseil (en 1947 et 1948) — telles sont les étapes d’une brillante carrière d’homme politique français, mais
1458 on a si souvent décrit, un homme d’État soudain s’ est déclaré. Et tandis que les autres, tant bien que mal, expédient les a
1459 s, traduisant le premier membre de l’équation qui est le rapport origines/horizon, elle exprime l’expérience durement acqui
1460 s historiques et ses finalités spirituelles. Elle est inséparable de la personne même de Robert Schuman, parce qu’elle en e
1461 personne même de Robert Schuman, parce qu’elle en est constitutive et lui est vraiment congénitale. L’action de Robert Schu
1462 Schuman, parce qu’elle en est constitutive et lui est vraiment congénitale. L’action de Robert Schuman, à la date inaugural
1463 ai 1950, montre une fois de plus que l’Histoire n’ est pas faite par « les masses » mythiques, mais bien par des personnes r
1464 se poser à l’historien du célibataire endurci que fut Robert Schuman : à qui faut-il attribuer la Déclaration du 9 mai 1950
1465 er la Déclaration du 9 mai 1950 ? Le plan Schuman fut -il en réalité un Plan Monnet ? Il est certain que la Déclaration n’a
1466 lan Schuman fut-il en réalité un Plan Monnet ? Il est certain que la Déclaration n’a pas été rédigée par Schuman, mais par
1467 onnet ? Il est certain que la Déclaration n’a pas été rédigée par Schuman, mais par l’équipe de Jean Monnet, dont les étoil
1468 ais par l’équipe de Jean Monnet, dont les étoiles étaient alors Pierre Uri et Étienne Hirsch. Il est non moins certain qu’en fa
1469 es étaient alors Pierre Uri et Étienne Hirsch. Il est non moins certain qu’en faisant du projet « son affaire » et en engag
1470 exte en acte et une épure en fait d’histoire. Qui est le vrai père ? Celui qui conçoit le projet ou celui qui le réalise ?
1471 à la Société des Nations en 1930. Robert Schuman fut réellement l’homme du Plan qui porte son nom, parce que ce plan résul
1472 e que ce plan résultait du problème dans lequel s’ était noué son drame personnel, et parce que ce plan figurait le dénouement
1473 ême : L’action de Robert Schuman me paraît avoir été déterminée moins par ses souvenirs du passé qui eussent pu au contrai
1474 l méritait », autrement dit n’y répond pas : il n’ est pas motivé par le même passé. Et voilà qui permet de résoudre par une
1475 ommunauté européenne a pu voir le jour. Mais il s’ était rêvé tout autre chose, homme de méditation et de culture, au milieu d
1476 quel esprit l’homme politique de premier plan qu’ était devenu Robert Schuman jugeait-il la fonction de ces deux entreprises,
1477 itre à son deuxième chapitre : L’Europe, avant d’ être une alliance militaire ou une entité politique, doit être une Communa
1478 alliance militaire ou une entité politique, doit être une Communauté culturelle. Et dans ce même chapitre, je souligne cet
1479 sque c’est tout naturellement que sa méditation s’ est poursuivie en création et n’a cessé de soutenir son action. Voilà pou
1480 mme d’État, d’allure volontairement modeste, aura été plus créateur que les grands ténors de ce siècle. Piéton tranquille s
1481 jour de 1960, dans un moment de confidence : Je suis sans doute trop vieux pour surmonter l’idée de nation souveraine, dan
1482 r l’idée de nation souveraine, dans laquelle j’ai été élevé. Ce sera l’affaire de votre génération… ae. Rougemont Denis
1483 tion souveraine, dans laquelle j’ai été élevé. Ce sera l’affaire de votre génération… ae. Rougemont Denis de, « Robert S
25 1977, Articles divers (1974-1977). Hérétiques de toutes les religions, unissez-vous ! (1977)
1484 nspirait. Cette interprétation de notre mouvement était en somme inévitable dans la conjoncture de l’époque. Tout allait à ma
1485 je relis les onze numéros de notre revue : il n’y est jamais question d’orthodoxie ! (Sauf une fois : pour nier que nous dé
1486 oxie calviniste ».) En revanche, des « hérésies » sont dénoncées, mais non point comme « contraires au dogme » : ce que nous
1487 insondablement : celui qui affirme que la morale est suffisante, et celui qui nie qu’elle soit nécessaire… Le moralisme do
1488 a morale est suffisante, et celui qui nie qu’elle soit nécessaire… Le moralisme donne une réponse universelle et inefficace,
1489 ce que nous pensions alors. La vérité ne pouvait être à nos yeux quelque chose d’édicté, de codifié, d’enregistré une fois
1490 pour toutes, ni une « fixation théorique ». Elle était quelque chose, disions-nous, « dont nous ne sommes pas les auteurs, m
1491 était quelque chose, disions-nous, « dont nous ne sommes pas les auteurs, mais dont l’essence même implique notre effort pour
1492 juger si c’est la Parole de Dieu, donc Dieu, qui est le sujet de ces énoncés, ou bien au contraire si l’homme se les appro
1493 et avant elle. Les deux derniers passages cités sont justement d’Henry Corbin. Et je n’en trouve pas qui expriment mieux n
1494 n part pour Byzance et le Proche-Orient ; puis ce sera la guerre, et pour moi, plus de six années d’exil américain. Et pourt
1495 rawardi écrit : « Lis le Coran comme s’il n’avait été révélé que pour ton propre cas. » Kierkegaard écrit : « L’Évangile do
1496 opre cas. » Kierkegaard écrit : « L’Évangile doit être lu comme une lettre personnelle, adressée à toi seul. » Et Kafka imag
1497 a parabole de la Porte du Palais de justice. Elle est ouverte, mais le pauvre paysan n’ose la franchir, à cause des deux fa
1498 ’au jour où il dit à l’un d’eux : Mais personne n’ est jamais entré ni sorti, depuis des mois que j’attends ici ! À quoi le
1499 j’attends ici ! À quoi le gardien répond : Elle n’ était là que pour toi. Maintenant, il est trop tard, nous la fermons. Nous
1500 nd : Elle n’était là que pour toi. Maintenant, il est trop tard, nous la fermons. Nous pressentions qu’il n’y a de porte qu
1501 celui qui se met en marche, et que la vraie voie est unique. ⁂ Pour entrer dans la dialectique de l’hérésie et de l’orthod
1502 e une forme d’exister sans précédent, qui ne peut être décrite ni prescrite mais seulement vécue, et une seule fois ; — l’ob
1503 assique, dans laquelle la constitution de l’objet est indépendante de la manière dont on l’observe, et peut être vérifiée u
1504 pendante de la manière dont on l’observe, et peut être vérifiée ubique et semper, — ou au contraire « l’actualité unique, ir
1505 que ces deux phénomènes radicalement antinomiques sont en relation de complémentarité. Note 1. Les hérésies qui se constitue
1506 comme le veulent les dictionnaires, l’orthodoxie est la « droite opinion » et l’hérésie le « choix personnel d’une opinion
1507 te opinion ». Mais en fait, « la droite opinion » est une route nationale où la circulation est uniformément réglée, tandis
1508 inion » est une route nationale où la circulation est uniformément réglée, tandis que le « choix personnel » est un sentier
1509 rmément réglée, tandis que le « choix personnel » est un sentier imprévisible ; et ce n’est pas aux ponts et chaussées ni à
1510 personnel » est un sentier imprévisible ; et ce n’ est pas aux ponts et chaussées ni à la police de la route qu’il faut s’ad
1511 ait aussi bien qualifier selon D. Suzuki « ce qui est dans la ligne authentique de transmission », i.e. la communication no
1512 l’esprit ne consiste nullement à réitérer ce qui est vrai pour n’importe qui, et encore moins à s’y conformer en s’y força
1513 et vocation, entre universel et unique. Mais ce n’ est peut-être qu’une question de tempérament. Selon que l’on relève du ty
1514 lève du type introverti ou du type extraverti, on sera porté à privilégier soit la personne, soit la communauté. Il existe a
1515 u du type extraverti, on sera porté à privilégier soit la personne, soit la communauté. Il existe au surplus certaines corre
1516 ti, on sera porté à privilégier soit la personne, soit la communauté. Il existe au surplus certaines correspondances entre c
1517 ent leur confession, la plupart se contentent d’y être nés ; mais ils s’en accommodent plus facilement et d’une manière plus
1518 i passés, je me verrais plutôt entre deux pentes, soit sur le chemin de crête, tenté par deux vertiges, soit au fond de la v
1519 sur le chemin de crête, tenté par deux vertiges, soit au fond de la vallée, et tout effort pour m’élever d’un côté ou de l’
1520 rait la séparation. Reste une seule solution, qui est de longer la rivière jusqu’à sa source, là où les deux pentes se rejo
1521 e chemin qu’il invente en y marchant. « Ta parole est une lampe à mes pieds, une lumière sur mon sentier », dit le psalmist
1522 e, en sorte que toi seul puisses y passer. Elle n’ est pas ouverte à l’avance : tu l’ouvres en osant la franchir tel que tu
1523 nce : tu l’ouvres en osant la franchir tel que tu es en marche par la foi, et non tel qu’on l’entend — maîtres, coutume d’
1524 malgré eux : ceux qui ont un jour compris qu’ils étaient bien forcés d’inventer leur chemin sans aucune garantie, puisque le v
26 1977, Articles divers (1974-1977). La nature du pouvoir (9 octobre 1977)
1525 m’avoir demandé d’ouvrir les débats, parce que je suis d’accord avec presque tout ce qu’a dit Jeanne Hersch hier soir. Il au
1526 politique, leçon dont un des éléments importants était la notion de limite devenue centrale au xxe siècle, dans tous les do
1527 dans notre histoire suisse. Le sens du pouvoir n’ est pas le même, et la différence excède le simple cas de ces deux pays ;
1528 ar Jean Bodin au xvie siècle, pour qui le Prince est celui qui impose et casse les lois comme il le veut, commence et term
1529 et le pouvoir que nous avons en Suisse qui, lui, est un pouvoir réparti. C’est le pouvoir fédéraliste, qui est beaucoup mo
1530 ouvoir réparti. C’est le pouvoir fédéraliste, qui est beaucoup moins sensible parce qu’il s’exerce à tous les niveaux, d’en
1531 le. C’est une distinction fondamentale dont je me suis occupé, au fond, depuis très longtemps, depuis des décennies, et que
1532 on entre la puissance et la liberté. La puissance est une espèce de représentation collective, une volonté collective, souv
1533 lonté collective, souvent mythique, et la liberté est la poursuite de la liberté des personnes. J’oppose puissance et liber
1534 de la société, et je crois que cette distinction est , aujourd’hui, décisive. Elle domine absolument tout ce qui va se pass
1535 nition impossible, d’Aristote à Max Weber. Elle s’ est repliée sur la notion de « mixte », et a été jusqu’à parler d’un « mi
1536 le s’est repliée sur la notion de « mixte », et a été jusqu’à parler d’un « mixte » qui compose le pouvoir et, en même temp
1537 inition. Mais, qu’y faire après tout ? Le pouvoir est là, défini ou non, il est là. Nous le trouvons en venant au monde ; e
1538 après tout ? Le pouvoir est là, défini ou non, il est là. Nous le trouvons en venant au monde ; et nous n’y pouvons rien. N
1539 santes. Il provient de l’idée que le pouvoir nous est extérieur, qu’il se présente à nous sous forme de contrainte, que nou
1540 ue nous subissons sans pouvoir l’exercer. Et nous sommes un peu ahuris par tous ces impératifs technologiques, ces nécessités
1541 cela mène : ceux qui croyaient prendre le pouvoir sont pris par lui. Le pouvoir abusif de l’État est fait de toutes nos démi
1542 ir sont pris par lui. Le pouvoir abusif de l’État est fait de toutes nos démissions civiques, et tend à les rendre définiti
1543 t, une fois pour toutes, de sa souveraineté. Ce n’ est donc ni l’anarchie, ni la révolution à la mode des siècles derniers q
1544 er l’État et la police, c’est-à-dire que l’État s’ était emparé de ceux qui voulaient s’en emparer. Là-dessus, il a pris le po
1545 ir de l’État devenu extérieur à nous-mêmes, qui n’ est pas de supprimer toute espèce de pouvoir, mais de distribuer le pouvo
1546 it, dans un assez gros livre récent, que ce drame est celui de notre époque, j’ai trouvé, l’autre jour, et après coup, la f
1547 l’omniprésence du pouvoir, le fait que le pouvoir est , aussi, dans la liberté, et qu’on ne peut concevoir la liberté sans l
1548 ention du pouvoir. La formule que je vous propose est la suivante : « La puissance, c’est le pouvoir que l’on prend sur aut
1549 rquoi j’ai paru trop clair sur certains points. J’ étais obligé de me résumer, de résumer des résumés faits depuis longtemps ;
1550 au sens de l’État, et la guerre. Cette liaison a été très bien mise en valeur par Bertrand de Jouvenel dans son livre Du P
1551 me lasse pas de citer cette phrase : « Le pouvoir est lié à la guerre, et si une société veut borner les ravages de la guer
27 1977, Articles divers (1974-1977). La puissance et les choix (mai 1977)
1552 ins en moins compatibles dans les faits. Le temps est venu de choisir entre les deux, en connaissance de cause, bien sûr, m
1553 abord ou finalement, une minorité très restreinte est motivée par la volonté de puissance exercée sur autrui, ce sont les c
1554 ar la volonté de puissance exercée sur autrui, ce sont les chefs ; mais la plupart cèdent tout simplement au besoin de Sécur
1555 urs droits à l’État, au chef ou au Parti qui s’en est emparé. Quant à ceux qui optent pour la Liberté, ils pensent y être c
1556 à ceux qui optent pour la Liberté, ils pensent y être conduits par quelque individualisme égoïste, ou par le goût de l’aven
1557 te, ou par le goût de l’aventure, mais la plupart sont au contraire motivés par un besoin de responsabilité assumée dans la
1558 la communauté. Comment se sentir libre si l’on n’ est responsable de rien ? Et comment serait-on responsable si l’on n’est
1559 re si l’on n’est responsable de rien ? Et comment serait -on responsable si l’on n’est pas libre de ses actes ? N’allons pas cr
1560 rien ? Et comment serait-on responsable si l’on n’ est pas libre de ses actes ? N’allons pas croire pourtant qu’entre le bes
1561 ulsions contraires coexistent en nous, personne n’ est jamais ni tout l’un ni tout l’autre. Et il n’existe pas non plus de l
1562 roprement politique au sens le plus large du mot, est le choix d’une finalité. Il désigne d’une part l’aménagement des rela
1563 r devoir de concourir. Ce qu’il faut voir, et qui est peut-être décisif, c’est que le parallélisme inversé entre les deux c
1564 ue le parallélisme inversé entre les deux choix n’ est pas exact. Le choix de la liberté ménage plus de possibles. Si en eff
1565 ce. Choisir les centrales nucléaires — quelle que soit leur définition, eau légère ou surgénérateurs — implique, entraîne et
1566 dangereuses que nos pays, tout en jurant qu’elles sont inoffensives, ne les bâtissent qu’aussi loin que possible de leur cap
1567 ions de déclencher et d’entretenir une guerre. Il est clair comme le jour que le choix des centrales nucléaires et des usin
1568 c’est-à-dire de la fin de l’histoire humaine. Il est non moins clair que personne n’a jamais osé dire, ni même laissé ente
1569 re, ni même laissé entendre, que le choix solaire est la condition même de la paix : car ce choix signifie du même coup la
1570 , la confiance dans le prochain. Notre problème n’ est pas des moyens et des fins, car les fins seules dicteront leurs moyen
1571 qu’il faut voir, c’est que le but de la société n’ est pas du tout d’assurer à quelques-uns la rentabilité de leur entrepris
1572 personne. Le problème des centrales nucléaires n’ est pas technologique, même pas économique, et il est encore moins financ
1573 est pas technologique, même pas économique, et il est encore moins financier : car à ces trois niveaux, la cause est entend
1574 ins financier : car à ces trois niveaux, la cause est entendue, elle est perdue. Quand les centrales nucléaires ne présente
1575 à ces trois niveaux, la cause est entendue, elle est perdue. Quand les centrales nucléaires ne présenteraient aucun danger
1576 er, quand elles s’avéreraient rentables, quand il serait réellement « impératif » que la consommation d’énergie double tous le
1577 onsommation d’énergie double tous les dix ans, je serais contre, parce qu’elles sont les pièces principales d’un système qui c
1578 ous les dix ans, je serais contre, parce qu’elles sont les pièces principales d’un système qui conduit à renforcer l’emprise
1579 tions, c’est-à-dire les risques de guerre. Pluton est maître des Enfers, il est aveugle comme les taupes. Mais le Soleil vi
1580 sques de guerre. Pluton est maître des Enfers, il est aveugle comme les taupes. Mais le Soleil vient du ciel, vient de Zeus
1581 e des États-nations, estime Denis de Rougemont, n’ est jamais plus grande que lorsqu’ils déclarent que cette puissance est a
1582 ande que lorsqu’ils déclarent que cette puissance est au service de l’intérêt public. Ils ont toujours fait la guerre, et i
1583 d’intervention et de nombreux services publics en sont en fait venus à asservir ceux qu’ils étaient censés servir. La charge
1584 lics en sont en fait venus à asservir ceux qu’ils étaient censés servir. La charge qu’ils leur font supporter est parfois finan
1585 nsés servir. La charge qu’ils leur font supporter est parfois financière quand il s’agit, par exemple, de faire subventionn
1586 n environnement. Pour Denis de Rougemont, le pire est encore à venir puisque les fonctionnaires des États-nations, responsa
1587 eau des structures de la société et de l’État. Ce sont les implications politiques de ce qu’il nomme « le Choix du siècle »
1588 « le Choix du siècle » que l’auteur de L’Avenir est notre affaire estime urgent de souligner aujourd’hui. » Suivi encore
1589 n : « Philosophe et essayiste, Denis de Rougemont est l’auteur de très nombreux ouvrages dont L’Amour et l’Occident , La
1590 iété occidentale . Il vient de terminer L’Avenir est notre affaire qui va sortir incessamment en librairie (Éditions Stoc
1591 en librairie (Éditions Stock). Denis de Rougemont est directeur de l’Institut universitaire d’études européennes, à Genève.
28 1977, Articles divers (1974-1977). Du passé à l’avenir d’une région (27 juin 1977)
1592 iie siècle. Au nord, la Principauté de Neuchâtel est gouvernée au nom d’un prince français, Henry II d’Orléans-Longueville
1593 nt, succéderont dès 1707 les rois de Prusse : ils seront Princes de Neuchâtel jusqu’en 1848. Au sud, Genève, ville d’Empire, d
1594 agressions du duc de Savoie (dont la plus célèbre est l’Escalade de 1602). Les Bernois, déjà venus à son secours en 1535, o
1595 ement à Berne. (Une partie du canton, d’ailleurs, est de langue alémanique.) Mais elle entretient des relations privilégiée
1596 dont seule la moitié ouest parle français, elle s’ est liée aux cantons catholiques des Ligues suisses, mais restera longtem
1597 nter-relations complexes, souvent paradoxales, ne sont d’ailleurs pas l’exception, mais plutôt la règle, parmi les petits Ét
1598 la Franche-Comté (sa charte de franchises, 1214, était copiée sur celle de Besançon), se tourne dès la Réforme vers les Bern
1599 e ces cinq pays, principautés et républiques : ce sont la Réforme (pour Genève, Neuchâtel et Vaud) et les liens de combourge
1600 la géographie (point de frontières naturelles à l’ est ), que l’histoire (intérêts divergents de nos cinq cantons au long des
1601 e 1848, un « esprit romand » va se constituer. Il sera l’expression de ce que les cinq cantons — et surtout les trois protes
1602 ore de Bèze à Genève, Guillaume Farel à Neuchâtel sont d’origine française. Seul Pierre Viret est autochtone, qui domine la
1603 hâtel sont d’origine française. Seul Pierre Viret est autochtone, qui domine la Réforme vaudoise. Leurs descendants donnero
1604 maine de Staël et Benjamin Constant. Jean-Jacques est sans nul doute le premier théoricien du fédéralisme, c’est-à-dire de
1605 uant à Madame de Staël et à Benjamin Constant, ce sont eux qui, par « la trouée de Coppet », vont faire entrer en France la
1606 es deux grands noms du siècle, en Suisse romande, sont Alexandre Vinet et Henri-Frédéric Amiel, c’est-à-dire le moraliste du
1607 nte de la pensée romande : Quand tous tes périls seraient dans ta liberté, toute la tranquillité dans la servitude, je préférer
1608 a vie, et la servitude c’est la mort. La tyrannie est le souverain désordre. Au xxe siècle, la Suisse romande va devenir
1609 l’éducation, fondé par Jean Piaget à Genève, peut être considéré comme la capitale mondiale de la psychologie génétique et d
1610 e-parle. Inutile d’insister : les deux clichés ne sont rien de plus que des clichés. Il y a chez le Vaudois une bonhomie un
1611 mie un peu cynique, une sorte de paresse qui peut être rusée mais que l’accent rend désarmante ; chez le Neuchâtelois que Ro
1612 ins, le Suisse romand d’empreinte réformée, qu’il soit horloger ou pasteur, militant socialiste dans les montagnes, vigneron
1613 t bien plutôt d’un comportement moral et civique, fût -il aussi sentimental que nos chants patriotiques, aussi concret qu’un
1614 Réalité récente — qui peut changer… Si je me suis étendu quelque peu sur la genèse historique de notre Romandie, c’étai
1615 t de nos compatriotes l’imaginent vaguement. Elle est relativement récente, et il ne serait pas raisonnable de penser qu’el
1616 aguement. Elle est relativement récente, et il ne serait pas raisonnable de penser qu’elle va se figer désormais dans son imag
1617 image du xixe siècle. Elle va changer, cela seul est certain. À la lumière de son histoire, essayons de conjecturer dans q
1618 a vu, à différencier nos cantons. Si ces conflits sont apaisés de nos jours, voilà qui n’est pas dû seulement au long travai
1619 s conflits sont apaisés de nos jours, voilà qui n’ est pas dû seulement au long travail de l’œcuménisme dans les Églises, mo
1620 t dans l’attitude négative des Genevois lorsqu’il fut question, en 1814-1815, puis en 1861, de rattacher au canton les dist
1621 es et de les fermer plus qu’elles ne l’ont jamais été dans toute l’histoire européenne. Et que devient pendant ce temps « l
1622 , puis de sa contrepartie, l’AELE, dont la Suisse est le siège comme elle fut la marraine. Et nos cantons gardent leurs séc
1623 e, l’AELE, dont la Suisse est le siège comme elle fut la marraine. Et nos cantons gardent leurs séculaires valences (au sen
1624 uchâtel et de Besançon. Sans qu’à aucun moment ne soit remise en question l’irréversible et inconditionnelle fidélité conféd
1625 trouve caractériser une région différente, toutes étant cependant transfrontalières par nature et fonction. — De la France vo
1626 ciaux, d’éducation et d’environnement. — Le Léman est pollué par le Rhône qui y déverse du mercure (déchet d’industries pha
1627 e car chacun sait que les pollutions n’ont jamais été arrêtées par les douaniers, ni par la ligne de démarcation toute théo
1628 fin du ixe au milieu du xie siècle) avait déjà été englobé dans le royaume de Bourgogne transjurane : c’est sa plus anci
1629 ais osé l’imaginer ? Le secret de notre avenir ne serait -il pas enfoui au plus profond de notre histoire oubliée ? 31. Et m
1630 ak. Présenté par ce résumé : « La Suisse romande est l’expression moderne — elle ne date guère que de la seconde moitié du
29 1977, Articles divers (1974-1977). « Il faut changer de cap » (27 septembre 1977)
1631 aire ?”. À ces deux questions, curieusement, il n’ est qu’une réponse possible et c’est : “Toi-même !” » Voilà, en ces temps
1632 ant dont le titre résume bien l’esprit : L’Avenir est notre affaire. À tous les dangers qui nous menacent et que l’auteur d
1633 menacent et que l’auteur dénonce lucidement, on n’ est certes pas obligé d’apporter les mêmes réponses, mais on doit conveni
1634 e ». Qu’entendez-vous par là ? J’entends que, à l’ Est comme à l’Ouest, les idéaux de progrès matériel, de production indust
1635 les choses aller. Et le premier de ces désastres serait provoqué par la démographie galopante ? C’est le plus frappant en eff
1636 ie dans un monde fini. Nos ressources matérielles sont menacées d’épuisement. Il nous reste du pétrole pour trente ans. Que
1637 endront la relève. Mais l’uranium qui les nourrit sera aussi épuisé, pense-t-on, en trente ans. Qu’à cela ne tienne, disent
1638 nous ferons des centrales au plutonium. Or, elles sont un danger intolérable, nous disent des milliers de physiciens. Là, no
1639 i, la pollution majeure et définitive de la terre serait la guerre atomique que préparent, malgré eux, tous nos États-nations.
1640 ose qui s’en inspire, dans la mesure où la Suisse est née de la fédération de petites communautés, car la petite communauté
1641 communauté permet seule à la voix d’un citoyen d’ être entendue, donc aux citoyens d’être libres, parce que responsables de
1642 d’un citoyen d’être entendue, donc aux citoyens d’ être libres, parce que responsables de leur destin et des destins de la ci
1643 ans l’Hexagone. Mais les régions que je préconise sont autre chose que les seules ethnies : ce sont les communautés qu’il s’
1644 nise sont autre chose que les seules ethnies : ce sont les communautés qu’il s’agit de reconnaître, comme le disait Vidal de
1645 Vidal de la Blache, et non de délimiter. Mais il est évident que les frontières seraient débordées ? On dénombre actuellem
1646 délimiter. Mais il est évident que les frontières seraient débordées ? On dénombre actuellement une vingtaine de régions transfr
1647 u moins d’entre elles brochant sur trois pays. Il est fortement question de créer une assemblée de ces régions-là et d’une
1648 de ces régions-là et d’une trentaine d’autres qui sont en train de se faire reconnaître en Europe et, à mon sens, c’est là l
1649 l de la civilisation et de la société politique n’ est pas la puissance des collectivités, mais la liberté des personnes. La
30 1977, Articles divers (1974-1977). Au tableau d’honneur de Parents : L’Avenir est notre affaire (octobre 1977)
1650 Au tableau d’honneur de Parents : L’Avenir est notre affaire (octobre 1977)ao ap Que nous agissions ou non, que n
1651 ons ou non, que nous le voulions ou non, l’avenir est notre affaire. Nous en sommes seuls responsables. « Mieux vaut le sav
1652 lions ou non, l’avenir est notre affaire. Nous en sommes seuls responsables. « Mieux vaut le savoir et cesser de nous cacher d
1653 avents de nos inerties intellectuelles quand ce n’ est pas de nos lâchetés morales. » C’est ainsi que Denis de Rougemont, éc
1654 on dernier livre qui vient de paraître. L’Avenir est notre affaire . Un titre qui est la profession de foi mais aussi l’av
1655 aître. L’Avenir est notre affaire . Un titre qui est la profession de foi mais aussi l’avertissement que lance sans ménage
1656 egard rêveur, évoque la solidité, le bon sens. Il est à l’image de cette maison, ancienne ferme retapée, imposante dans sa
1657 de la démocratie, modèle idéal d’une société qui était tournée vers l’homme. Nous avons perdu cette mesure : alors, tout au
1658 ak qu’on lui a promis dès les années 1950. » Ce n’ est qu’un aspect ! Mais nous sommes libres aussi de réagir, « de retrouve
1659 années 1950. » Ce n’est qu’un aspect ! Mais nous sommes libres aussi de réagir, « de retrouver nos vrais désirs, nos vrais be
1660 défi à la jeunesse du monde. Denis de Rougemont n’ est pas un prophète. Son livre ne raconte pas une fiction. Il constate. S
1661 de l’humaniste, mais ferveur de l’homme : « Tout est encore possible, dit-il, et même plus que jamais. Tout est possible m
1662 e possible, dit-il, et même plus que jamais. Tout est possible mais il faut choisir. » Ce n’est pas un homme à renoncer. So
1663 s. Tout est possible mais il faut choisir. » Ce n’ est pas un homme à renoncer. Son acharnement à défendre l’Europe, et à tr
1664 à Genève le Centre européen de la culture dont il est toujours le directeur, et aujourd’hui encore il continue d’enseigner
1665 igner à l’Institut d’études européennes. L’Europe fut et reste sa passion parce qu’elle lui apparaît comme l’aboutissement
1666 ce personnalisme communautaire, fondamental, qui fut la recherche de sa vie. Recherche de la personne, de la vocation d’ho
1667 pplaudir l’homme providentiel. Denis de Rougemont était alors lecteur à l’Université de Francfort. Quatre ans plus tard, il p
1668 us tard, il partait pour les États-Unis. « Hitler fut la réponse au problème fondamental de notre temps », dit-il. Terrible
1669 l’Europe du xxe siècle, le sens de la communauté est en train de disparaître, mais le besoin « d’être ensemble » demeure v
1670 é est en train de disparaître, mais le besoin « d’ être ensemble » demeure vital. […] Hitler a répondu à la question centrale
1671 r a répondu à la question centrale du siècle, qui est religieuse au sens élémentaire, en offrant une camaraderie, un coude
1672 s de la croissance démographique et industrielle) est à l’origine de ce déclic : J’ai vu sous forme de courbes ce qui allai
1673 e passer si on continuait comme maintenant. Je me suis dit : « il faut faire quelque chose ». Vastes villes trop peuplées
1674 ues, des urbanistes, des physiciens. Son livre en est le résultat. À la fois cri d’alarme et désespérance. L’espèce humaine
1675 is cri d’alarme et désespérance. L’espèce humaine est arrivée à une crise majeure. Si elle ne se ressaisit pas, si elle ren
1676 s responsables. Car si jusqu’à nos jours l’avenir était complètement inconnu, s’il dépendait des catastrophes, du temps, de l
1677 a voix se fait plus douce. Voyez-vous, les hommes sont envahis par un sentiment d’impuissance qu’il faut absolument combattr
1678 lles trop vastes, trop peuplées, inhumaines. Nous sommes loin des cités grecques ! C’est pour vous le modèle idéal ? Absolumen
1679 en Scandinavie. Et nous y venons en France. Ce n’ est pas un hasard ! Un architecte grec contemporain, Doxiadis, qui était
1680  ! Un architecte grec contemporain, Doxiadis, qui était l’animateur de tous les urbanistes avancés, est arrivé à la fin de sa
1681 était l’animateur de tous les urbanistes avancés, est arrivé à la fin de sa vie à la conclusion que la ville idéale ne doit
1682 es villes dépassaient 100 000 habitants, elles ne seraient plus gouvernées par les citoyens, que ces derniers ne pourraient plus
1683 nt plus se réunir sur l’agora, le forum, que c’en serait fini de la participation, de la communication et des relations humain
1684 tion et des relations humaines. Comment encore être un citoyen ! Nous, nous avons compté sur l’adaptation des hommes.
1685 es mutile moralement. Comment veut-on que l’homme soit encore un citoyen ! Et pourtant c’est de l’homme que Denis de Rougemo
1686 État, pas des gouvernements, dont l’arme favorite est devenue le mensonge. Accusation gratuite ? J’ai relevé douze mensonge
1687 pos du nucléaire. Mais, d’ores et déjà, une chose est sûre : on ne pourra bâtir des centrales qu’à l’abri d’un rideau de CR
1688 mmes d’État mentent trop à ceux du peuple Vous êtes un farouche ennemi de l’État-nation ? J’ai toujours été antinationali
1689 farouche ennemi de l’État-nation ? J’ai toujours été antinationaliste et antiétatiste. Tout prouve aujourd’hui que les Éta
1690 tiétatiste. Tout prouve aujourd’hui que les États sont les grands responsables de la crise de notre civilisation. Ce sont eu
1691 esponsables de la crise de notre civilisation. Ce sont eux seuls qui ont géré la terre. Eux seuls qui en avaient les moyens.
1692 que l’avenir devienne notre affaire, l’État doit être dessaisi des pleins pouvoirs. Ce n’est qu’en décidant de reprendre le
1693 État doit être dessaisi des pleins pouvoirs. Ce n’ est qu’en décidant de reprendre leur destin en main à l’échelon local et
1694 les municipalités, les régions, car elles seules sont à la mesure des hommes, de leur volonté et de leur voix. Et de s’en p
1695 rle allemand des deux côtés du Rhin. Les exemples sont multiples. L’enseignement doit opérer une mutation complète et être b
1696 enseignement doit opérer une mutation complète et être basé sur des réalités régionales et non nationales. Car l’enfant s’in
1697 l’Europe puis à l’humanité. Les gouvernements seront bien obligés de s’incliner Mais Denis de Rougemont ne se contente
1698 mbattre. Pensez que quelque 3000 maîtres ont déjà été formés. Cela représente des dizaines de milliers d’élèves. Notre acti
1699 lités Si nous continuons ainsi, les gouvernements seront bien obligés de s’incliner, non ? … Denis de Rougemont a choisi sa ré
1700 ssantes. Mais, convaincu qu’« une vraie société n’ est rien d’autre qu’une dimension de la personne », il prône la plus prof
1701 sonne », il prône la plus profonde révolution qui soit  : celle que chacun doit accomplir en lui-même. ao. Rougemont Deni
1702 honneur de Parents : Denis de Rougemont, L’Avenir est notre affaire  », Parents, Paris, octobre 1977, p. 46 et 48. ap. Pro
1703 usive de Parents vous montre pourquoi cette œuvre est révolutionnaire. »
31 1977, Articles divers (1974-1977). Denis de Rougemont : le retour d’un hérétique (3 octobre 1977)
1704 j’existe ? Tout de même… L’Amour et l’Occident fut un best-seller mondial traduit en dix-sept langues. Et le titre de vo
1705 s. Et le titre de votre dernier livre — L’Avenir est notre affaire — sert déjà de slogan à un nouveau courant de pensée33
1706 je me répète souvent : « Plaise aux dieux que je sois un faux prophète. » Le drame, aujourd’hui, c’est que la prophétie est
1707 . » Le drame, aujourd’hui, c’est que la prophétie est devenue un exercice assez rigoureux. Regardez les conclusions des exp
1708 d’autres —, on sait désormais que le pire, s’il n’ est pas sûr, est en tout cas probable. Or, actuellement, il n’y a guère q
1709 n sait désormais que le pire, s’il n’est pas sûr, est en tout cas probable. Or, actuellement, il n’y a guère que les écolog
1710 pour vous, fascisme, stalinisme et libéralisme n’ étaient alors que les variantes d’une même tendance productiviste… Absolument
1711 es années 1930, pouvait passer pour une intuition est devenu aujourd’hui une évidence. Et que répondez-vous à l’objection c
1712 le, finalement, cette critique de la croissance n’ est qu’un luxe de nantis ? Après tout, le club des pays industrialisés es
1713 tis ? Après tout, le club des pays industrialisés est plutôt restreint et les deux tiers de l’humanité n’en font pas partie
1714 un sophisme. Car si les deux tiers de l’humanité sont encore dans un état de sous-développement industriel, c’est préciséme
1715 peut aussi limiter les dégâts. D’ailleurs, nous y serons contraints ; les experts américains, qui adorent les scénarios « absu
1716 surdes », ont calculé que, si notre démographie n’ était pas maîtrisée, il suffirait de quelques siècles pour que chaque mètre
1717 cles pour que chaque mètre carré de notre planète soit occupé par une dizaine d’individus. On ne pourra même plus s’allonger
1718 s’allonger… L’autre grande critique que vous avez été l’un des premiers à formuler concerne l’État-nation. Avec sa volonté
1719 sa volonté de puissance et son égoïsme sacré, il serait le grand responsable de l’apocalypse qui se prépare… Qui pourrait en
1720 prépare… Qui pourrait en douter ? Les États, qui sont des entités absurdes, n’en finissent pas de se multiplier, de fortifi
1721 rs frontières et de s’y cramponner comme si elles étaient le bord incontestable de leur identité. Or qu’est-ce qu’une frontière
1722 ent le bord incontestable de leur identité. Or qu’ est -ce qu’une frontière ? C’est, généralement, le résultat d’une guerre o
1723 onales car la seule idée d’« économie nationale » est une absurdité. Prenons l’exemple du lac Léman, puisque nous l’avons s
1724 ac Léman, puisque nous l’avons sous les yeux : il est en train de se polluer, et d’une manière dramatique. Or personne ne s
1725 pourrait faire le même constat pour le Rhin, qui est actuellement pollué par cinq pays. Vous voyez donc comment l’idée eur
1726 l’idée européenne, le régionalisme et l’écologie sont , pour moi, des thèmes très étroitement liés. En face, il n’y a que de
1727 n’y a que des illusions « stato-nationales ». Il est plaisant d’observer qu’aujourd’hui, en France, ce sont les deux grand
1728 plaisant d’observer qu’aujourd’hui, en France, ce sont les deux grandes traditions jacobines — les gaullistes et les communi
1729 uvent pour brandir des slogans, incapables qu’ils sont de voir plus loin que l’Hexagone. Vous dites également que la finalit
1730 en fit la philosophie, on sait que l’État-nation est génétiquement lié à la guerre : « C’est par la guerre au-dehors qu’il
1731 erre « aux rois de l’Europe » parce que la guerre était devenue pour eux le seul moyen de tenir leur monde, de contrôler la s
1732 idéal de parvenir à ses fins ; dès que la patrie est en danger, il n’y a plus ni catholiques, ni protestants, ni ouvriers,
1733 culture, de région, de classe ou de langue. Elle est le creuset où tous deviennent identiques. Par conséquent, on comprend
1734 Toutes les institutions stato-nationales — que ce soit le centralisme, les méthodes de répression, ou la destruction des cul
1735 ression, ou la destruction des cultures locales — sont nées de la guerre et, fatalement, y conduisent. Vous voici, soudainem
1736 qui cite plus souvent Luther que Bakounine… Je ne suis pas anarchiste dans la mesure où je sais qu’un minimum d’État est néc
1737 te dans la mesure où je sais qu’un minimum d’État est nécessaire à l’organisation de la société. En revanche, ce qui me sem
1738 ble. Comment expliquez-vous que l’idée européenne soit malgré tout cela si peu populaire ? Rien n’est moins sûr. Il y a quel
1739 e soit malgré tout cela si peu populaire ? Rien n’ est moins sûr. Il y a quelques années, j’ai mêmeas écrit un livre intitul
1740 lé Vingt-huit siècles d’Europe dans lequel je m’ étais amusé à collectionner tous les textes où s’exprimait une nostalgie de
1741 veuille ou non, c’est parce que l’idée européenne est tacitement acceptée que plus personne n’imagine qu’une guerre soit po
1742 cceptée que plus personne n’imagine qu’une guerre soit possible entre pays d’Europe. À la Libération, l’idée européenne — qu
1743 e. À la Libération, l’idée européenne — qui avait été un grand espoir de la Résistance — aurait dû s’imposer tout de suite
1744 ques ont empêché ce vaste mouvement d’aboutir. Ce fut un rendez-vous manqué dont nous payons encore le prix. J’ai l’impress
1745 lentendu : dans votre jeunesse, disiez-vous, vous étiez résolument anticapitaliste. Or l’Europe qui se fait aujourd’hui est u
1746 icapitaliste. Or l’Europe qui se fait aujourd’hui est une Europe taillée à la convenance des multinationales. Si cette Euro
1747 ultinationales. Si cette Europe-là se réalise, ce sera pour le plus grand profit d’un mode de production et de civilisation
1748 l’économie commande tout. Jean Monnet, quels que soient ses mérites, ne raisonnait pas autrement. En gros, cela voulait dire 
1749 e Gaulle a bloqué la construction de l’Europe, ce fut pour des raisons strictement politiques ou culturelles. On a alors pu
1750 relles. On a alors pu constater combien celles-ci étaient efficaces et mobilisatrices. Si, aujourd’hui, les princes qui nous go
1751 betterave ? L’enthousiasme pour l’idée européenne est plutôt rare de nos jours. Même pour les « grands intellectuels », ce
1752 urs. Même pour les « grands intellectuels », ce n’ est pas un thème très mobilisateur… À vrai dire, on a l’impression que le
1753 on a l’impression que leurs idées sur le sujet ne sont pas très précises. Prenez l’exemple de Sartre : en 1949, à l’époque o
1754 que si l’Europe politique devenait une réalité. J’ étais ravi. Or, peu de temps après, Sartre devient, comme l’on sait, le com
1755 parlement européen qui affirment que l’Europe ne sera jamais qu’une modalité de l’impérialisme germano-américain, ce qui, à
1756 incapable. L’« impérialisme germano-américain » n’ est tout de même pas une abstraction. Pourquoi parler d’une « méconnaissa
1757 ôt qu’on entreprend de le dénoncer ? Certes, ce n’ est pas une abstraction, mais il est désolant que de grands esprits ne lu
1758 r ? Certes, ce n’est pas une abstraction, mais il est désolant que de grands esprits ne lui opposent qu’une sorte de poujad
1759 f. Depuis 1945, on sait que le « péril allemand » sera d’autant moins probable que l’on s’engagera plus franchement dans le
1760 omme ça, en se crispant sur son État-nation, ce n’ est pas une façon de le conjurer, au contraire… C’est en refusant l’Europ
1761 tastrophe écologique. Manifestement, la prophétie est un genre qui ne vous déplaît pas… … Surtout quand je m’aperçois, quar
1762 se trouvaient alors les démocraties occidentales était pour nous comme l’aveu, la preuve de l’essoufflement du libéralisme.
1763 la preuve de l’essoufflement du libéralisme. Nous étions donc anticapitalistes, anticommunistes et antifascistes parce que nou
1764 n dans laquelle l’idée même de suffrage universel est tournée en dérision. À l’époque, cela cadrait tout à fait avec la pro
1765 sur le drame d’une jeunesse européenne qui avait été abusée par les grandes doctrines du moment. Cette jeunesse avait faim
1766 es conditions, l’antifascisme et l’anticommunisme étaient , pour nous, des urgences. Mais attention : notre critique du communis
1767 rnait le mal absolu ; pour lesquels le marxisme n’ était qu’une variante du productivisme dont nous, Occidentaux, pouvions déj
1768 , il ne faut pas oublier qu’Otto Abetz lui-même n’ était qu’à demi nazi. Une moitié suffit… Je vous l’accorde. Toujours est-il
1769 i. Une moitié suffit… Je vous l’accorde. Toujours est -il que, dès 1932, il avait témoigné un certain intérêt à notre petit
1770 sion d’un congrès de la jeunesse européenne qui s’ était tenu à Francfort, et auquel participèrent des gens aussi différents q
1771 esse d’Uriage), mais, pour l’essentiel, nous nous sommes tous retrouvés dans le combat antinazi. Par le biais de la presse cla
1772 midables. Relisez les éditoriaux de Combat , ils étaient visiblement inspirés par les idées personnalistes. En Hollande, à la
1773 ngager plus directement dans l’action politique ? Étant suisse, je ne pouvais pas prétendre à une carrière politique en Franc
1774 prépare. D’après vous, l’« apocalypse » pourrait être différée ? Plus exactement, je crois que l’histoire se réserve toujou
1775 entales de l’automobile, ce qui, finalement, peut être un bienfait pour notre mode de développement.bc bd Ainsi, si l’on co
1776 une politique de la personne et de l’individu qui sont les seuls pôles de résistance à la terreur d’Étatbf. Même si le but e
1777 résistance à la terreur d’Étatbf. Même si le but est commun, chacun doit inventer son chemin, car, si l’on prend les route
1778 couple à travers l’histoire de l’Occident. Or qu’ est -ce qu’un couple ? C’est l’assemblage d’un certain nombre de différenc
1779 niformisation et la fusion. L’homme et la femme y sont libres, ensemble, parce quebh irréductibles l’un à l’autre. L’union,
1780 ce que l’on appelle la passion et qui, en fait, n’ est qu’une sorte d’utopie unificatrice. Tristan en est l’archétype. Manif
1781 st qu’une sorte d’utopie unificatrice. Tristan en est l’archétype. Manifestement — et je l’ai prouvé —, Tristan n’aime pas
1782 ntir coupable. « C’est le philtre, dit-il, je n’y suis pour rien… » C’est exactement ainsi que procèdent les États-nations.
1783 tats-nations. Comme Tristan, ils disent « seul je suis , moi,bj le monde » et, face à cette certitude, il n’est pas de réalit
1784 oi,bj le monde » et, face à cette certitude, il n’ est pas de réalité qui vaille… Tout doit leur être subordonné et s’anéant
1785 l n’est pas de réalité qui vaille… Tout doit leur être subordonné et s’anéantir au nom du Pouvoir, cet analogue de la passio
1786 entent même pas coupables puisqu’ils proclament n’ être que des instruments de la raison d’Étatbk, cet analogue du philtre, d
1787 , de la drogue. Comme Tristan, l’État-nation veut être seul au monde. Il ne reconnaît rien au-dessus de lui et cela a commen
1788 ommencé, chez nousbl, avec Philippe le Bel, qui s’ est laissé persuader par ses légistes que « le roi de France est empereur
1789 persuader par ses légistes que « le roi de France est empereur en son royaume ». C’est pour cela que, lorsque de Gaulle est
1790 royaume ». C’est pour cela que, lorsque de Gaulle est mort, vous avez écrit un article intitulé « La mort de Tristan » ? La
1791 Tristan » ? La comparaison s’imposait… De Gaulle était une sorte de Tristan dont l’Iseut aurait été la France. Il le dit d’a
1792 le était une sorte de Tristan dont l’Iseut aurait été la France. Il le dit d’ailleurs dès les premières lignes de ses Mémoi
1793 s de ses Mémoires : « De tout temps, la France ne fut pour moi qu’une princesse de légende vouée à des malheurs exemplaires
1794 dans toutes les versions du mythe de Tristan), n’ était -ce pas ainsi qu’il désignait les hommes de parti qui risquaient de s’
1795 endrait à dire que l’impérialisme, par exemple, n’ est jamais que l’histoire d’une grande passion… Disons plutôt que la pass
1796 ne grande passion… Disons plutôt que la passion n’ est jamais qu’une forme de l’impérialisme. Au fond, depuis L’Amour et l’
1797 les affaires humaines, je pense qu’il vaut mieux être du côté du roi Marcbn, qui symbolise la légalité, que du côté de Tris
1798 côté de Tristan. Le drame, c’est que le roi Marc est plutôt ennuyeux… Ennuyeux comme la prudence, comme trop de mariages,
1799 uvent : « Si l’on m’apprenait que la fin du monde est pour demain, je planterais quand même un pommier. » 33. Voir l’édit
1800 ir raison… Il fallut son dernier livre, L’Avenir est notre affaire , paru le mois dernier chez Stock, pour qu’on redécouvr
1801 rnier chez Stock, pour qu’on redécouvre celui qui fut , à la veille de la guerre, le maître à penser de toute une génération
1802 entier à près de douze millions d’exemplaires, ne fut pas une circonstance atténuante pour ce “penseur” à contre-courant qu
1803 tre-courant qui, aujourd’hui, à soixante-dix ans, est tout étonné de reconnaître sa propre voix dans le chœur indigné de to
1804 rge de ce paragraphe. bf. « et de l’individu qui sont  » souligné et marqué d’un point d’interrogation. bg. Remplacé par « 
1805 . Point d’interrogation en marge. bj. La virgule est rajoutée sur l’exemplaire. bk. En marge : « Non ! pas la raison, mai
1806 a citation. La citation exacte tirée des Mémoires est  : « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le
1807 te tirée des Mémoires est : « Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi
32 1977, Articles divers (1974-1977). Pierre Desgraupes fait le point avec Denis de Rougemont (10 octobre 1977)
1808 rares survivants ne raconteront pas…, etc. » Quel est ce cataclysme que vous annoncez ? D’abord je vous ferai remarquer que
1809 D’abord je vous ferai remarquer que cette phrase est au conditionnel : « Si nous ne choisissons pas librement notre avenir
1810 ucoup de gens qui adorent jouer les Cassandre. Ce sont d’ailleurs généralement les mêmes — vous le noterez — qui annoncent l
1811 rovoquent ! En revanche, les écologistes, dont je suis , pensent qu’on peut au contraire tout sauver à condition de changer d
1812 sse les choses aller, c’est perdu ! Si une comète est en train de tomber et que plus rien n’est susceptible de la retenir o
1813 comète est en train de tomber et que plus rien n’ est susceptible de la retenir ou de la détourner dans sa chute, on sait e
1814 quel moment elle touchera le sol… En somme, vous êtes un prophète qui espère se tromper. Exactement. C’était la formule des
1815 tinam vates falsus sim », « Plaise au ciel que je sois un faux prophète ! » : c’est-à-dire, que les mécanismes désastreux qu
1816 : c’est-à-dire, que les mécanismes désastreux qui sont en train de se monter puissent être arrêtés à temps ! J’écris pour qu
1817 ésastreux qui sont en train de se monter puissent être arrêtés à temps ! J’écris pour que les choses changent, pas pour qu’e
1818 ent. Eh bien, cette mise au point faite — et elle était en effet indispensable — voyons comment vous décrivez ces « mécanisme
1819 « mécanismes désastreux » qui nous menacent. Ce n’ est pas vous que j’étonnerai en disant qu’il y en a beaucoup et qu’on en
1820 magique : croissance. Or cette idée de croissance est une idée fausse ; c’est une espèce de mauvaise métaphore faite à part
1821 ourtant rien à voir. Car la croissance biologique est une croissance autorégulée ; c’est même ce qui la définit : les plant
1822 s corps ont leurs chromosomes, leurs cellules qui sont programmés, comme on dit, pour pousser, croître, se développer, s’épa
1823 ça la croissance : un cycle où la vie et la mort sont associées. C’est tout à fait abusivement qu’on a transporté ce terme
1824 t il faudrait que l’économie s’arrête de croître. Est -ce 10 %, 7 %, 3 % par an ? Personne ne le sait. Or la terre n’est pas
1825 , 3 % par an ? Personne ne le sait. Or la terre n’ est pas infinie, les ressources terrestres, vous le savez, sont limitées.
1826 nfinie, les ressources terrestres, vous le savez, sont limitées. Mais, justement, qui peut décider de cela ? Nous, sinon qui
1827 ent à personne mais à Dieu. » Ou « De quoi demain sera-t -il fait ? » Vous, vous écrivez : « La décadence d’une société commenc
1828 e société commence quand l’homme se demande : “Qu’ est -ce qui va arriver ?” au lieu de se demander : “Que puis-je faire ?” »
1829 cette phrase ! Mais on l’a si souvent citée comme étant de moi que je l’adopte volontiers ! Alors, pour revenir à nos propos
1830 ors, pour revenir à nos propos sur l’avenir, ce n’ est quand même pas Dieu qui remplit sans nous consulter les réservoirs de
1831 r de l’an 2000, il n’y en aura presque plus ou il sera devenu si rare et horriblement cher qu’il ne sera plus question de ro
1832 sera devenu si rare et horriblement cher qu’il ne sera plus question de rouler en auto avec un carburant dont chaque gramme
1833 que gramme vaudra son pesant de platine… Alors qu’ est -ce qu’on va faire ? Eh bien, personne ne se le demande aujourd’hui, l
1834 rd’hui, la recherche sur un véhicule sans pétrole est dans les limbes. Et les constructeurs d’automobiles, soutenus par les
1835 e voitures et de plus en plus d’autoroutes. Il n’ est pas besoin d’être prophète pour comprendre que d’ici à cinq ou dix an
1836 plus en plus d’autoroutes. Il n’est pas besoin d’ être prophète pour comprendre que d’ici à cinq ou dix ans, la question va
1837 on, nous aurons l’air de quoi ? Regardez ce qui s’ est passé il y a deux mois à New York quand le courant est venu à manquer
1838 assé il y a deux mois à New York quand le courant est venu à manquer et imaginez le même incident avec le pétrole ! Puis-je
1839 écit des civilisations, fin de l’Histoire. » Ce n’ est tout de même pas à la panne d’essence que vous songez en écrivant cel
1840 du cataclysme, le plus éclatant naturellement. Je suis absolument persuadé, et personne n’a jamais pu me faire d’objection s
1841 oses finiront mal. Un enfant le comprendrait ! Il est impossible d’imaginer sans rire que les 175 États-nations, qui aujour
1842 ! Qui fera les différences ? Or, le plus aberrant est que les gens ne se posent même pas de questions aussi simples que cel
1843 as de questions aussi simples que cela. La guerre est donc pour vous une hypothèse plausible ? Elle est absolument fatale s
1844 est donc pour vous une hypothèse plausible ? Elle est absolument fatale si on continue comme ça. Un exemple typique est cel
1845 atale si on continue comme ça. Un exemple typique est celui des centrales nucléaires. Les États qui ont augmenté leur PNB s
1846 uis, après moi, le déluge… » Je vous l’ai dit, ce sont ceux qui annoncent les catastrophes qui les fabriquent. Il est éviden
1847 annoncent les catastrophes qui les fabriquent. Il est évident que les pays qui achètent des centrales de retraitement de pl
1848 ter, ne s’amusent pas à faire de tels achats, qui sont extrêmement coûteux, pour rien. C’est parce qu’ainsi ils produisent d
1849 produisent du plutonium, et avec le plutonium, qu’ est -ce qu’on fait ? Des bombes et rien d’autre. Donc, si on vend des cent
1850 e retraitement du plutonium à certains pays, ce n’ est pas pour autre chose d’imaginable que pour les mettre en possibilité
1851 lus ou moins intimement beaucoup de ces gens, qui sont des gens honnêtes et détestent mentir dans la vie courante ; mais une
1852 entir dans la vie courante ; mais une fois qu’ils sont mis en position de se déclarer là-dessus, alors ils se mettent à ment
1853 estins, je dirai, des mensonges énormes. Comme ce sont souvent des gens très importants et très intelligents, ils ne peuvent
1854 onges par exemple. Eh bien, posez la question : «  Est -ce qu’il y a une solution au problème des déchets ? » Pas un savant s
1855 . Mais vous entendez dire tous les jours : « Ça n’ est plus un problème, ça a été réglé. » Les gens qui profèrent ces menson
1856 ous les jours : « Ça n’est plus un problème, ça a été réglé. » Les gens qui profèrent ces mensonges savent très bien que —
1857 n proverbe — le mensonge a les jambes courtes, il est vite rattrapé. Mais ça ne fait rien, ils continuent à mentir. C’est j
1858 issent tous entre eux se comportent comme s’ils s’ étaient mis d’accord pour présenter une certaine version des choses et oppose
1859 pousse trop. La question que vous soulevez ainsi est doublement grave, car tous les gens dont vous parlez sont — à des deg
1860 blement grave, car tous les gens dont vous parlez sont — à des degrés et à des titres divers — des scientifiques, et l’attit
1861 ientifiques, et l’attitude que vous décrivez ne l’ est guère. Comment expliquez-vous cela ? Je ne voudrais pas être trop pol
1862 Comment expliquez-vous cela ? Je ne voudrais pas être trop polémique, mais ce que je vais vous dire est couvert par de très
1863 tre trop polémique, mais ce que je vais vous dire est couvert par de très hautes autorités scientifiques. Je vais prendre e
1864 ux plus continuer à me prêter à cette comédie, je suis le seul membre indépendant de la commission ! Mes dix-neuf collègues
1865 bricants de pièces de centrales nucléaires, ce ne sont pas des experts, ce sont des vendeurs. » Ils étaient tous docteurs en
1866 trales nucléaires, ce ne sont pas des experts, ce sont des vendeurs. » Ils étaient tous docteurs en quelque chose… Je ne sus
1867 sont pas des experts, ce sont des vendeurs. » Ils étaient tous docteurs en quelque chose… Je ne suspecte pas particulièrement l
1868 uspecte pas particulièrement la Suisse, mais ce n’ est là qu’un exemple pris dans un seul pays. Détrompez-vous, le problème
1869 dans un seul pays. Détrompez-vous, le problème a été très sérieusement discuté aux États-Unis, vu la gravité de la chose.
1870 Un prix Nobel de physiologie, George Wald, a même été amené à formuler la question de la façon suivante : « D’un côté, a-t-
1871 s qui affirment que tous les risques du nucléaire sont maîtrisés ; de l’autre, il y en a tout autant, sinon plus, qui affirm
1872 ment le contraire. Qui croire ? » Et sa réponse a été  : « C’est très simple, il faut croire ceux qui n’ont rien à gagner de
1873 nucléaire aux États-Unis ! Inutile de dire que ce sont ces « experts »-là que les gouvernements consultent… Tout cela nous r
1874 inq ans, parce que la population de tout le globe était en expansion, est devenu dérisoire aujourd’hui où, vous le savez, si
1875 a population de tout le globe était en expansion, est devenu dérisoire aujourd’hui où, vous le savez, si le tiers-monde con
1876 ner et même, parfois, décroître. Alors je dis : «  Est -ce que vous comptez envoyer votre électricité nucléaire en Amazonie o
1877 excédent d’énergie qu’on peut attendre de l’atome est insignifiant par rapport à notre fameuse croissance. Peut-être que la
1878 le problème. Il n’y a aucun impératif à cela. Ce sont encore des « experts » qui ont inventé cet « impératif » ! Ils nous d
1879 re mal. D’ailleurs, écoutez. Faites un calcul qui est tout bête : selon les experts, la consommation d’électricité double t
1880 r par 16 384 la production. Rien que de l’énoncer est idiot. Alors revenons à la question : quel but poursuivent tous ces g
1881 La puissance. La puissance de qui ? La leur ? Ce serait dérisoire. Non, pas la leur. Ce serait en effet dérisoire, mais plus
1882 leur ? Ce serait dérisoire. Non, pas la leur. Ce serait en effet dérisoire, mais plus facile. Ce qu’ils poursuivent, chacun d
1883 he extrêmement puissant et nocif. Car qui ou quoi est l’État-nation ? À voir les choses de près, c’est une chose sinistre,
1884 s fonctionnaires ne font qu’incarner ce mythe qui est autrement plus puissant qu’eux. C’est un mythe dévorant. Prenez, par
1885 orant. Prenez, par exemple, l’idée de l’unité qui est déjà chez les rois de France mais se développe surtout pendant la Rév
1886 ce qu’en approchant des frontières, les carrés ne seraient plus bien réguliers… C’était une idée de fou, mais on en a débattu pa
1887 a débattu passionnément. Et si vous croyez que ce sont là des divagations, rappelez-vous ce qui s’est passé, chez les esprit
1888 e sont là des divagations, rappelez-vous ce qui s’ est passé, chez les esprits les plus intelligents, au moment de la guerre
1889 ce « de Dunkerque à Tamanrasset ! » Mais pourquoi est -ce à notre siècle en particulier que vous faites dans votre livre ce
1890 -nations, que vous critiquez depuis longtemps, ne sont pas nés hier ? Parce qu’il y a eu, de nos jours, une espèce d’accélér
1891 ur cela, changer de fins. La fin de l’État-nation étant sa propre puissance, c’est en mettant fin à ce mythe de la puissance
1892 er évidemment ce grand modèle de la démocratie qu’ étaient les cités grecques qui se maintenaient volontairement petites. Le plu
1893 rannie. Son gouvernement, alors, ne pourrait plus être l’affaire des citoyens réunis, dialoguant, discutant de leurs affaire
1894 « déportation »… Mais ne souriez pas : la sagesse était que cela se faisait volontairement parce que tous en décidaient. Et j
1895 l’exemple de Milet, a retrouvé cette sagesse. Ils étaient 100 à 150 pour cultiver un très grand lopin de terre qu’ils avaient a
1896 ls avaient acheté en Haute-Provence. Et quand ils sont devenus un peu trop nombreux pour la survie harmonieuse du groupe, il
1897 pour faire des tissus. Le début de la puissance… Est -ce que ces communautés sont vos modèles ? Non, mais elles montrent, e
1898 début de la puissance… Est-ce que ces communautés sont vos modèles ? Non, mais elles montrent, expérimentalement, une possib
1899 cratie ? Oui, je pense en effet que la démocratie est une question de dimension matérielle. Aristote voulait que la taille
1900 ielle. Aristote voulait que la taille d’une ville soit calculée de telle manière que le rayon de la ville soit à la portée d
1901 alculée de telle manière que le rayon de la ville soit à la portée de voix d’un homme criant sur l’agora. C’était très sage
1902 ûr, il s’agit — là encore — d’un modèle mais il n’ est pas si naïf. Dans mon pays, la Suisse, qui est composée de nombreux p
1903 n’est pas si naïf. Dans mon pays, la Suisse, qui est composée de nombreux petits cantons, nous avons eu longtemps ce que n
1904 n et dire : « À moi la parole. » Et la démocratie est dialogue. Peut-être est-ce parce qu’il ressent ce manque que M. Gisca
1905 arole. » Et la démocratie est dialogue. Peut-être est -ce parce qu’il ressent ce manque que M. Giscard d’Estaing va dîner ch
1906 évision avec des lycéens. Probablement, mais ce n’ est encore qu’une intention, et il ne peut y avoir de vraie démocratie da
1907 avoir de vraie démocratie dans des dimensions qui sont incompatibles avec le dialogue ou, du moins, la concertation. Donc il
1908 bêtises. Regardez la Confédération helvétique qui est pour moi un modèle assez proche de la cité grecque. Elle s’est formée
1909 un modèle assez proche de la cité grecque. Elle s’ est formée sur la base de communes forestièresbr, d’une coopérative, si v
1910 sbr, d’une coopérative, si vous voulez, et elle s’ est peu à peu agrandie sous la forme d’une composition de petites unités
1911 le de résoudre nombre de problèmes qui ne peuvent être résolus au niveau, trop étroit, des cantons. C’est vrai dans la mesur
1912 dans la mesure seulement où les gens renoncent à être responsables et rêvent de se décharger de leurs responsabilités sur l
1913 t un vice, une maladie, de la Confédération, ce n’ est pas son fonctionnement normal. Pour donner de l’actualité à ces propo
1914 é à ces propos un peu théoriques, disons que vous êtes partisan des régions. Oui, des régions organisées dans un ensemble pl
1915 ns européennes actuelles me paraît terminé ; ce n’ est pas une idée que j’ai aujourd’hui. Je l’ai découverte et nous l’avons
1916 ’Hitler et de Staline, le mouvement personnaliste est né. En 1934, nous avions inventé une formule qui est devenue banale p
1917 né. En 1934, nous avions inventé une formule qui est devenue banale par la suite : pour qualifier déjà l’État-nation, nous
1918 qualifier déjà l’État-nation, nous disions qu’il est trop grand et trop petit à la fois. La région — et en particulier la
1919 et en particulier la région transfrontalière qui est le cas le plus fréquent en Europe — me paraît être le cadre le mieux
1920 est le cas le plus fréquent en Europe — me paraît être le cadre le mieux adapté aux problèmes que nous avons à résoudre d’ur
1921 pollution des eaux. Le Léman, le Rhin, la Manche sont menacés de mort. Et Britanniques, Allemands, Suisses et Français se r
1922 renvoient la balle et créent des commissions qui sont , bien entendu, impuissantes parce qu’au-delà il y a quatre souveraine
1923 ils crèvent. Le malheur, cher Denis de Rougemont, est qu’il y a maintenant près d’un demi-siècle que vous écrivez… Et je di
1924 crois. Et aussi parce que pendant longtemps j’ai été moins écouté que des gens qui ont fait des palinodies éclatantes, ce
1925 ur donne pas une grande crédibilité puisqu’ils se sont trompés si longtemps. Ne peut-on en tirer aussi la conclusion que les
1926 le réel ? Au contraire, je pense que leur pouvoir est plus grand que jamais. J’en reviens toujours à ma première phrase : «
1927 rôle des intellectuels de les y aider. Mais ce n’ est pas facile, car les hommes non plus n’aiment pas changer. Ils compren
1928 maintenant un certain nombre de catastrophes qui seront assez mineures au début, comme la crise du pétrole en 1973, qui est l
1929 au début, comme la crise du pétrole en 1973, qui est le type de ce que j’appelle une catastrophe enseignante ; parce que ç
1930 urs reprises, mais quand les gens le sauront, ils seront obligés de réfléchir et peut-être que ça les fera changer de directio
1931 isque tout ne tient qu’à nous. Finalement, vous n’ êtes pas très optimiste sur la nature humaine. Je dirai que, quoique Suiss
1932 ture humaine. Je dirai que, quoique Suisse, je ne suis pas du tout rousseauiste : je ne pense pas, comme Jean-Jacques, que l
1933 je ne pense pas, comme Jean-Jacques, que l’homme est né bon et que la société le corrompt : je pense que l’homme est né mé
1934 que la société le corrompt : je pense que l’homme est né méchant et faible et tâche d’utiliser des impératifs imaginaires d
1935 uer à agir à l’abri de tout ça en disant : « Ce n’ est pas moi qui le veux, ce sont les impératifs. » Exactement comme Adam,
1936 ça en disant : « Ce n’est pas moi qui le veux, ce sont les impératifs. » Exactement comme Adam, quand Dieu est venu le cherc
1937 s impératifs. » Exactement comme Adam, quand Dieu est venu le chercher au Paradis et qu’il est allé se cacher derrière les
1938 and Dieu est venu le chercher au Paradis et qu’il est allé se cacher derrière les buissons. C’est tout juste s’il n’a pas d
1939 sons. C’est tout juste s’il n’a pas dit : « Je ne suis pas là. » Et quand Dieu lui a demandé : « Qu’est-ce que tu as fait ? 
1940 suis pas là. » Et quand Dieu lui a demandé : « Qu’ est -ce que tu as fait ? », il a dit : « Ce n’est pas moi, c’est Ève » ; a
1941 « Qu’est-ce que tu as fait ? », il a dit : « Ce n’ est pas moi, c’est Ève » ; alors Dieu a demandé à Ève : « Qu’est-ce que t
1942 , c’est Ève » ; alors Dieu a demandé à Ève : « Qu’ est -ce que tu as fait ? » Et Ève a dit : « Ce n’est pas moi, c’est le ser
1943 u’est-ce que tu as fait ? » Et Ève a dit : « Ce n’ est pas moi, c’est le serpent. » Et le serpent, bien sûr, n’était plus là
1944 i, c’est le serpent. » Et le serpent, bien sûr, n’ était plus là. Mais moi je crois à la liberté et à la responsabilité de l’h
1945 ponsabilité de l’homme. Et j’espère que le danger sera un bon maître d’école. bo. Rougemont Denis de, « [Entretien] Pierr
1946 en introduit par le chapeau suivant : «  L’Avenir est notre affaire . Tel est le titre du livre que vient de publier Denis
1947 eau suivant : «  L’Avenir est notre affaire . Tel est le titre du livre que vient de publier Denis de Rougemont. L’auteur d
1948 é l’original, même s’il semble que cette question soit de l’intervieweur. br. Le pluriel est une correction de la main de R
1949 question soit de l’intervieweur. br. Le pluriel est une correction de la main de Rougemont, en marge de l’exemplaire.
33 1977, Articles divers (1974-1977). L’Avenir est votre affaire (11 octobre 1977)
1950 L’Avenir est votre affaire (11 octobre 1977)bs bt J’ai rencontré Denis de Rouge
1951 e ce que nous allons choisir. Nous n’avons jamais été dans une situation aussi critique et c’est la première fois que l’hum
1952 critique et c’est la première fois que l’humanité est confrontée à un tel problème, car elle n’avait pas, auparavant, les m
1953 er. Je parle d’un délai de dix ans, car après, il sera vraisemblablement trop tard. Et encore faut-il qu’une guerre atomique
1954 pas… Beaucoup de gens disent qu’une telle guerre est impossible, qu’on n’utilisera pas les bombes atomiques… Je répondrai
1955 je le montre dans mon livre, les États-nations ne sont plus adaptés aux grands enjeux de notre temps. Ils sont ou trop petit
1956 lus adaptés aux grands enjeux de notre temps. Ils sont ou trop petits ou trop grands, ils n’ont plus rien à faire dans ce si
1957 dans ce siècle. Je n’accuse pas les gouvernants d’ être méchants, mais totalement inadaptés aux tâches de notre temps. Prenez
1958 n ne l’écoute pas, elle ne compte plus. Mais elle est trop grande, en tant qu’État, à l’échelle régionale. La sauvegarde du
1959 région franco-genevoise… La conscience régionale est -elle en train de s’éveiller selon vous ? Certainement et je prendrai
1960 ce commune aux centrales nucléaires, quand ils se sont aperçus qu’on allait en construire seize dans un rayon de quarante ki
1961 eize dans un rayon de quarante kilomètres, ce qui est tout simplement dément ! Notez que si vous discutez, dans le privé, a
1962 tel conseiller fédéral, il vous dira que, s’il n’ était pas au pouvoir, il serait avec les manifestants de Kaiseraugst ou d’a
1963 il vous dira que, s’il n’était pas au pouvoir, il serait avec les manifestants de Kaiseraugst ou d’ailleurs… Mais alors, s’il
1964 ts de Kaiseraugst ou d’ailleurs… Mais alors, s’il est vraiment sincère en disant cela, pourquoi ne démissionne-t-il pas en
1965 le pouvoir politique n’existe plus, le pouvoir n’ est pas à prendre, comme le croient les révolutionnaires, le pouvoir est
1966 comme le croient les révolutionnaires, le pouvoir est à créer. On ne peut plus compter sur les gouvernements, mais sur les
1967 s que Denis de Rougemont développe dans son livre est précisément que l’homme contemporain, piégé par la technique et ceux
1968 , piégé par la technique et ceux qui en vivent, s’ est trompé sur ses vrais besoins. « Il n’y a d’impératifs que de la natur
1969 os fatalités ». La vraie politique de l’énergie n’ est pas celle qui se calculera en fonction du produit national brut — cet
1970 ppant de la manipulation des besoins humains nous est fourni par le développement de l’automobile. Denis de Rougemont rappe
1971 écrivit en 1928 déjà et dont le titre à lui seul est éloquent : « Le péril Ford ». Ce texte, publié dans une revue protest
1972 u procédé, on devrait toujours se demander : « Qu’ est -ce qui arriverait si ça réussissait ? » Et plus prosaïquement encore 
1973 aïquement encore : « À quoi ça sert ? » Si l’on s’ était interrogé à propos de la voiture, on aurait évité, par exemple, de vo
1974 aujourd’hui que 18 % du territoire de la Hollande est bétonné, ce qui est une catastrophe du point de vue écologique. Quand
1975 du territoire de la Hollande est bétonné, ce qui est une catastrophe du point de vue écologique. Quand on pense que Pompid
1976 ou a pu commettre cette bourde monumentale : « Il est temps que Paris s’adapte à l’automobile… » « À quoi ça sert ? » Denis
1977 bile… » « À quoi ça sert ? » Denis de Rougemont s’ est posé la question, avec une corrosive ingénuité à propos de Concorde,
1978 silence »… Un des aspects fascinants de L’Avenir est notre affaire est que Denis de Rougemont coordonne magistralement le
1979 spects fascinants de L’Avenir est notre affaire est que Denis de Rougemont coordonne magistralement les thèses personnali
1980 énarrables palinodies… Lorsqu’on lui demande s’il est « à la mode », Denis de Rougemont sourit ironiquement et se fâche un
1981 ironiquement et se fâche un tout petit peu… Je ne suis tout de même pas Yves Saint-Laurent ou Cardin ! Je m’honore de n’avoi
1982 Laurent ou Cardin ! Je m’honore de n’avoir jamais été à la mode et je me flatte d’avoir souvent été à contre-courant ! Ce q
1983 ais été à la mode et je me flatte d’avoir souvent été à contre-courant ! Ce qui est en jeu dans ce livre, comme dans toute
1984 tte d’avoir souvent été à contre-courant ! Ce qui est en jeu dans ce livre, comme dans toute mon œuvre, va tout de même bie
1985 ’ai mis quatre ans et demi pour achever L’Avenir est notre affaire . Je n’avais fait cela pour aucun de mes livres. J’ai é
1986 xemple, L’Amour et l’Occident en trois mois… En été 1973, j’avais déjà écrit une centaine de pages, où je prévoyais certa
1987 e donner l’air de prophétiser après coup ce qui s’ était produit ! En un sens, je suis content de ce long temps de maturation
1988 près coup ce qui s’était produit ! En un sens, je suis content de ce long temps de maturation qui a été nécessaire, car j’ai
1989 suis content de ce long temps de maturation qui a été nécessaire, car j’ai pu prendre de la distance par rapport à l’actual
1990 ans puissance. À quoi je réponds que la puissance est le pouvoir que l’on prend sur autrui et la liberté le pouvoir que l’o
1991 confiance. Du point de vue écologique, la guerre est la pollution majeure de la planète. Nous devons tenter de créer une s
1992 tenter de créer une société plus amicale, où les êtres humains auraient la possibilité de communiquer, de ne plus vivre comm
1993 ns, chez les jeunes surtout. Des milliers de gens sont mobilisés par les thèmes de l’écologie, du régionalisme, de la commun
1994 hautement positive et je l’appuie entièrement. Je suis également heureux de voir que la jeune génération est en train de dép
1995 également heureux de voir que la jeune génération est en train de dépasser la stérile opposition de la « gauche » et de la
1996 onnaliste. On dit que l’Europe n’avance pas. Ce n’ est pas entièrement vrai, il y a des points positifs : je mentionnerai to
1997 e mentionnerai tout d’abord le fait qu’une guerre est désormais impensable entre des pays européens, ce qui représente un i
1998 dernières années, et cela sans bain de sang. Ce n’ est pas rien ! Homme de clairvoyance, Denis de Rougemont est également un
1999 rien ! Homme de clairvoyance, Denis de Rougemont est également un homme d’espoir. Son très beau livre est tout entier anim
2000 également un homme d’espoir. Son très beau livre est tout entier animé par la grande et généreuse idée que « le secret de
2001 reuse idée que « le secret de l’avenir de l’homme est dans l’homme, au cœur de l’homme d’aujourd’hui ». La terre du xxie s
2002 l’homme d’aujourd’hui ». La terre du xxie siècle sera très exactement ce que nous aurons voulu et c’est à chaque seconde de
2003 ne saurait trouver meilleur ouvrage que L’Avenir est notre affaire pour nous en persuader. bs. Rougemont Denis de, « [
2004 bs. Rougemont Denis de, « [Entretien] L’avenir est votre affaire », 24 Heures, Lausanne, 11 octobre 1977, p. 58. bt. Pr
2005 its par le chapeau suivant : « Denis de Rougemont est décidément un homme étonnant. Il a fêté l’an dernier son soixante-dou
2006 an dernier son soixante-douzième anniversaire, il est un écrivain de notoriété internationale, un intellectuel qui pourrait
2007 table. Et voici qu’il nous propose avec L’Avenir est notre affaire (Éd. Stock) un livre d’une extraordinaire jeunesse, un
2008 estinée, projeter et assumer des finalités qui ne seront plus celles des technocrates, mais de la personne. »
34 1977, Articles divers (1974-1977). « Je suis un pessimiste actif » (17 octobre 1977)
2009 « Je suis un pessimiste actif » (17 octobre 1977)bu bv Denis de Rougemont, c
2010 . Pas banal. Les diseurs d’avenir, ceux qui ne se sont jamais trompés (Denis de Rougemont a dénoncé en 1932 le péril nazi et
2011 enis de Rougemont, lui, garde le calme suisse (il est né à Neuchâtel) et son livre qui vient de paraître aux éditions Stock
2012 re aux éditions Stock a un beau titre : L’Avenir est notre affaire . Il va devenir la bible des écologistes, des régionali
2013 rons-le. Ne pas oublier que ce monsieur de 71 ans est directeur du Centre européen de la culture, qu’il a lui-même fondé à
2014 e et son armée. Entre L’Amour et l’Occident qui est une méditation sur le mythe de Tristan et Iseut, sur le goût des Occi
2015 pour l’environnement, contre le nucléaire, quelle est la parenté ? Il y en a une très visible ! Je défends une certaine idé
2016 c’est que la réalité commence à me rejoindre ! Je suis beaucoup plus optimiste aujourd’hui qu’il y a cinq ans. Regardez ce q
2017 stes, la lutte antinucléaire. Vous dites que vous êtes un « pessimiste actif ». Il y a une phrase que j’ai écrite et à laqu
2018 dence d’un peuple commence quand on se demande qu’ est -ce qui va arriver au lieu de se demander : Qu’est-ce que je vais fair
2019 est-ce qui va arriver au lieu de se demander : Qu’ est -ce que je vais faire ? » Je ne crois pas que l’homme soit bon mais je
2020 que je vais faire ? » Je ne crois pas que l’homme soit bon mais je crois que l’on peut construire une société qui le corromp
2021 société qui le corrompe le moins possible. Ce qui est grave actuellement c’est que les vrais problèmes ne sont pas du tout
2022 ave actuellement c’est que les vrais problèmes ne sont pas du tout abordés par les hommes politiques. Regardez la France : l
2023 la droite et de la gauche en matière nucléaire ne sont pas très différentes. Je fais commenter à mes élèves des textes de Mi
2024 textes de Michel Debré et de Georges Marchais. Ce sont à peu près les mêmes, encore plus cocorico pour Marchais. La France n
2025 situation actuelle de l’environnement ? La France est un pays centralisateur où l’on a le goût du secret. Pour les Français
2026 ire appel au sens de la responsabilité. Mais ce n’ est possible que dans de petites communautés. C’est pour cela que je croi
2027 teur. bu. Rougemont Denis de, « [Entretien] Je suis un pessimiste actif », Elle, Paris, 17 octobre 1977, p. 8. bv. Propo
35 1977, Articles divers (1974-1977). « L’avenir, c’est notre affaire ! » (18 octobre 1977)
2028 re affaire ! » (18 octobre 1977)bw bx L’avenir est notre affaire : une affirmation, un titre, un livre-programme. Denis
2029 elles avancées. Il rappelle à chacun que l’avenir est son affaire, et non celle d’une vague fatalité. Il en appelle à la li
2030 liberté et au sens des responsabilités. Cet appel est apparemment entendu : l’ouvrage est un succès public. Nous en avons p
2031 és. Cet appel est apparemment entendu : l’ouvrage est un succès public. Nous en avons parlé avec l’écrivain dans sa demeure
2032 arche solide et rassurante. En écrivant L’Avenir est notre affaire , j’entendais faire le point de la situation. Je consta
2033 de la situation. Je constate que cette situation est grave. On vient me dire, alors, que je suis pessimiste. Cela ne veut
2034 uation est grave. On vient me dire, alors, que je suis pessimiste. Cela ne veut rien dire. Je ne dis pas que l’asphyxie « na
2035 asphyxie « naturelle » ou le cataclysme militaire sont inévitables. Je dis qu’il est de notre devoir de les éviter en change
2036 taclysme militaire sont inévitables. Je dis qu’il est de notre devoir de les éviter en changeant de cap. De notre devoir et
2037 s un renforcement de l’État et de sa police. Il s’ est chargé très rapidement de confirmer lui-même ce diagnostic. La « gran
2038 mand et l’allemand. Non seulement la révolution s’ est chargée de gommer cette diversité des peuples, mais encore l’histoire
2039 tion de 1789 a créé l’État-nation qui, ensuite, s’ est répandu dans le monde. La révolution russe, elle, a créé l’État-parti
2040 concentrées. L’industrie lourde, dans l’ensemble, était avant tout utile aux États, non aux peuples. L’État-parti, qui domine
2041 ts, non aux peuples. L’État-parti, qui domine à l’ Est , a suivi la même voie. C’est d’autant plus dangereux que le gigantism
2042 Lettre ouverte aux Européens (1970), L’Avenir est entre nos mains [sic] (1977) : il y a un fil conducteur qui relie ce
2043 ous citez. Lorsque le « mouvement personnaliste » fut lancé, nous savions déjà qu’on s’enfonçait dans un monde anonyme et a
2044 « systèmes ». L’esprit jacobin La réalité s’ est chargée de me confirmer dans ma voie. Lecteur en Allemagne, j’ai donn
2045 m’a appris beaucoup de choses. En fait, les nazis étaient des jacobins, la convergence était évidente. Et puis j’ai vu Hitler c
2046 t, les nazis étaient des jacobins, la convergence était évidente. Et puis j’ai vu Hitler célébrer le culte nazi à la Festhall
2047 agent allemand chargé de leur faire peur… Ce qui est tragique, c’est que l’esprit jacobin règne encore et qu’on omet soign
2048 livre, les nombreux mouvements populaires qui se sont créés au cours de ces dernières années. Vous les considérez comme les
2049 en plus répandu de cette démission générale dont est faite la « puissance » ? Il y a des mouvements qui sont de tous les t
2050 aite la « puissance » ? Il y a des mouvements qui sont de tous les temps. Les « hippies », par exemple, dont les chroniqueur
2051 re l’État, qui renforcent toujours ce dernier. Je suis persuadé, en revanche, qu’une participation de plus en plus active au
2052 ra de modifier la situation. Justement : l’avenir est notre affaire. bw. Rougemont Denis de, « [Entretien] L’avenir, c’
36 1977, Articles divers (1974-1977). La fonction et la structure de la ville future (décembre 1977)
2053 icho à Manhattan et Brasilia, son développement a été celui de la civilisation elle-même. Le Paradis était un jardin. Chass
2054 té celui de la civilisation elle-même. Le Paradis était un jardin. Chassés de ce jardin les hommes errants et anxieux tentent
2055 tiers du xxe siècle. La conclusion de l’aventure est décrite par la Bible, non comme un retour au jardin primitif, mais (a
2056 re de Dieu l’éclaire ». Ainsi la fin de l’homme n’ est pas le « retour à la Mère Nature », mais la transfiguration de la soc
2057 moyens et s’unir sur des finalités communes… Ce n’ est pas se trouver juxtaposés, mais vivre en relations dans une orientati
2058 ures ». Pour Aristote, la vraie cité, conviviale, est celle où tout le monde pourrait se connaître : cela limite le nombre
2059 es deux cas, l’indicateur principal ou « mesure » est le produit nombre-étendue, limité de telle sorte que la communauté ci
2060 ptimales du nombre et de l’étendue, les raisons d’ être de la cité ne tardent pas à s’obscurcir, jusqu’à se perdre : leçon du
2061 mptômes. 1. Les mégalopoles du type New York « ne sont plus gouvernables » (maire L. Lindsay). Elles sont menacées de failli
2062 ont plus gouvernables » (maire L. Lindsay). Elles sont menacées de faillite (New York dès 1976, mais aussi les plus grandes
2063 nçaises, et Londres, etc.). 2. Les grandes villes sont des exemples de contre-productivité. (Plus il y a de véhicules, plus
2064 , 4 x ; de 3 %, 8 x ; de 10 %, 1024 x…). 3. Elles sont les machines les plus énergivores du monde. (Rien de plus vorace en é
2065 n électricité qu’une tour de 40 étages.) 4. Elles sont les lieux les plus pollués du monde : air, eau, bruit. 5. Parce que l
2066 onde : air, eau, bruit. 5. Parce que les hommes y sont trop serrés, — et parce qu’ils ne s’y sentent pas libres, n’ayant plu
2067 sentent pas libres, n’ayant plus la possibilité d’ être responsables, les grandes villes sont devenues des milieux d’agressiv
2068 ssibilité d’être responsables, les grandes villes sont devenues des milieux d’agressivité généralisée, de délinquance et de
2069 ). 6. Pour toutes ces raisons, les grandes villes sont aujourd’hui des machines à dissocier toute communauté vivante pour en
2070 he scientifique, et plus spécialement urbanisme — est de savoir si l’on va repartir de l’homme et de ses besoins fondamenta
2071 gués par les promoteurs et les ministres dont ils sont les experts. Faut-il soumettre l’homme aux structures technologiques
2072 uctures technologiques de la cité, ou l’inverse ? Est -il vraiment « temps que Paris s’adapte à l’automobile » (Georges Pomp
2073 e » (Georges Pompidou) ou au contraire que l’auto soit détournée du cœur de la capitale, pour lui permettre de se ranimer ci
2074 plein, square — dérivée de l’agora et du forum, a été le lieu politique par excellence — le sénat et le parlement n’étaient
2075 tique par excellence — le sénat et le parlement n’ étaient que délégations du forum. Là s’exerçait au maximum la participation c
2076 nde). 4. Diminuer le nombre des étages, puisqu’il est démontré que le taux de délinquance leur est proportionnel. Supprimer
2077 u’il est démontré que le taux de délinquance leur est proportionnel. Supprimer les tours énergivores. Interdire le gaspilla
2078 que refaire des villes viables et vivables, ce n’ est pas une question d’architecture ni de technologie au premier chef, ma
2079 population. « L’enquête publique » doit cesser d’ être le secret d’État le mieux gardé : elle doit devenir l’école pratique
2080 es villes que leurs habitants ont subies, qui ont été faites pour le profit de quelques-uns, avec l’aide forcée de tous les
2081 ée de tous les contribuables qui avaient oublié d’ être des citoyens. Nous aurons, demain — c’est mon vœu, et celui de ce con
2082 mmes, devenant plus responsables de leur ville, y soient par conséquent plus libres. by. Rougemont Denis de, « La fonction
37 1977, Articles divers (1974-1977). Demain le soleil (20 décembre 1977)
2083 te qui dit volontiers : « Plaise aux dieux que je sois un faux prophète ». Il écrit pour avertir avant qu’il soit trop tard.
2084 aux prophète ». Il écrit pour avertir avant qu’il soit trop tard. Il prédit dans l’espoir que les événements le démentiront.
2085 énements le démentiront. Cataclysme ou apocalypse sont des mots épouvantails qu’il plante dans ses pages pour qu’ils effraie
2086 a peur et l’éloignent. Quand il affirme L’Avenir est notre affaire , c’est que rien n’est encore perdu. Fondateur du Centr
2087 me L’Avenir est notre affaire , c’est que rien n’ est encore perdu. Fondateur du Centre européen de culture à Genève, il a
2088 et le livre qui lui a apporté la célébrité et qui est aujourd’hui un grand classique, L’Amour et l’Occident . Ce succès mo
2089 sique, L’Amour et l’Occident . Ce succès mondial est à l’origine d’un malentendu qu’il a voulu dissiper dès les premières
2090 de notre conversation. L’Amour et l’Occident a été traduit en douze langues et publié dans quatorze pays, mais toujours
2091 urs avec de faibles tirages. Ce succès n’a jamais été un best-seller. On vient de raconter que j’en avais vendu douze milli
2092  ! J’ai fait l’addition, le chiffre de vente réel est inférieur à 400 000 exemplaires en trente-huit ans, mais on le réimpr
2093 l fallait que j’explique très simplement qui vous êtes à un enfant, par exemple, que devrais-je lui dire ? D’abord, que je s
2094 xemple, que devrais-je lui dire ? D’abord, que je suis quelqu’un qui voudrait qu’il vive dans un monde agréable quand il ser
2095 udrait qu’il vive dans un monde agréable quand il sera grand. Ensuite, que j’ai écrit des livres, que je suis l’initiateur d
2096 grand. Ensuite, que j’ai écrit des livres, que je suis l’initiateur du mouvement fédéraliste européen. Que j’espère être dém
2097 r du mouvement fédéraliste européen. Que j’espère être démenti dans mes prédictions les plus désastreuses, que je crois que
2098 que le soleil peut tout nous donner. Enfin que je suis écologiste. Que vous êtes du pays de Rousseau et un peu utopiste ? On
2099 us donner. Enfin que je suis écologiste. Que vous êtes du pays de Rousseau et un peu utopiste ? On ne ferait jamais rien si
2100 rme de société où une communauté entre les hommes serait possible. Dès les années 1930, j’ai fondé le mouvement personnaliste
2101 e qui a fait un peu de bruit à l’époque, mais qui est resté ce qu’on appelle aujourd’hui un groupuscule. Quand la guerre es
2102 pelle aujourd’hui un groupuscule. Quand la guerre est arrivée, on aurait pu croire que ces idées et cette doctrine allaient
2103 paraître dans le gouffre général : il n’en a rien été . Tous les mouvements de résistance dans les pays d’Europe se sont nou
2104 ouvements de résistance dans les pays d’Europe se sont nourris de nos idées, même en Allemagne nazie, puisque nous avons eu
2105 ments aux Alliés. Suisses, Français, Belges, vous étiez tous citoyens de sociétés libérales et démocratiques : quelles étaien
2106 de sociétés libérales et démocratiques : quelles étaient vos craintes ? Les mêmes finalités À Paris, vers 1930, nous éti
2107 Les mêmes finalités À Paris, vers 1930, nous étions dans une démocratie libérale dirigée par les partis et qui paraissait
2108 r les partis et qui paraissait fatalement glisser soit vers une complète anarchie, soit vers une forme plus ou moins totalit
2109 talement glisser soit vers une complète anarchie, soit vers une forme plus ou moins totalitaire d’État, né de la résistance
2110 ie fasciste, Allemagne nationale-socialiste. Nous étions sûrs que l’État libéral n’était qu’un acheminement vers l’État totali
2111 socialiste. Nous étions sûrs que l’État libéral n’ était qu’un acheminement vers l’État totalitaire par la force des choses. N
2112 nsions que tout cela menait droit à la guerre, qu’ étant donné notre âge, nous serions obligés de la faire, mais que ce ne ser
2113 droit à la guerre, qu’étant donné notre âge, nous serions obligés de la faire, mais que ce ne serait pas notre guerre. Vous dis
2114 nous serions obligés de la faire, mais que ce ne serait pas notre guerre. Vous discerniez donc des points communs entre des p
2115 de ce genre ne peut conduire qu’à la guerre. Elle est inévitable entre des nations qui poursuivent des chimères identiques.
2116 é, c’est vrai. Mais la fonction de l’intellectuel est de forcer les hommes à réfléchir et à s’interroger. Je remarque que m
2117 mes idées et mes propositions d’il y a trente ans sont à la mode aujourd’hui. Peut-être parce qu’est venu le temps où nous a
2118 ns sont à la mode aujourd’hui. Peut-être parce qu’ est venu le temps où nous allons jouer notre dernière chance. Ainsi que j
2119 que je l’écris dans la première page de L’Avenir est notre affaire  : « À partir de maintenant, il arrivera dans le monde
2120 intenant « Que puis-je faire ? », plutôt que « Qu’ est -ce qui va arriver ? » Vous refusez de voir l’intervention du doigt de
2121 rtains événements ? Des hommes sensibles Je suis chrétien, mais je trouve trop facile qu’on appelle volonté divine ce
2122 ait prévoir ce qui met notre avenir en danger. Ce sont des super-cerveaux, des savants rassemblés dans de doctes séminaires
2123 qui doivent donc imaginer ce que demain pourrait être  ? Le club de Rome le fait de façon admirable et nous avertit des dang
2124 a des futurologues auxquels personne ne pense, ce sont des hommes sensibles. Plutôt que de les tourner en dérision, il serai
2125 sibles. Plutôt que de les tourner en dérision, il serait préférable de les utiliser comme des « indicateurs », enregistrant l’
2126 n ait pris conscience. Cette idée neuve et hardie est de mon ami Bertrand de Jouvenel. Tout ce qui n’est pas calculable res
2127 st de mon ami Bertrand de Jouvenel. Tout ce qui n’ est pas calculable reste prévisible par la sensibilité. Ces indicateurs v
2128 nds événements. Hitler et l’automobile Vous êtes l’un de ces hommes sensibles ? Dès 1932, j’avais prévu les victoires
2129 victoires et la chute d’Adolf Hitler. Le désastre était inscrit dans les données de son aventure. Si Hitler revient souvent d
2130 Rougemont, c’est parce que je pense que le Führer est l’exemple éclatant de ce que les futurologues étaient impuissants à d
2131 est l’exemple éclatant de ce que les futurologues étaient impuissants à deviner. Les conséquences de l’irruption d’Hitler dans
2132 nt, la menace apocalyptique qui pèse sur l’avenir est une conséquence du passage d’Hitler sur la terre, surtout lorsque ce
2133 cette histoire a l’air un peu fantaisiste, elle l’ est moins dès que Denis de Rougemont la raconte, après avoir précisé en e
2134 récisé en exergue : Hitler et l’automobile auront été les deux fléaux les plus dévastateurs xxe siècle et que la futurolog
2135 t Ford, qui généralisa l’automobile, et Hitler se sont trouvés être les alliés objectifs pour hypothéquer le futur. Il y a d
2136 énéralisa l’automobile, et Hitler se sont trouvés être les alliés objectifs pour hypothéquer le futur. Il y a d’abord le jeu
2137 qui trahit ce rêve d’adolescent (une voiture pour être libre) lorsqu’il s’aperçoit que les Américains n’ont pas tellement en
2138 blicité, il les persuade qu’ils ne pourraient pas être heureux sans auto et réussit à les contaminer. Il commet donc une vil
2139 eprise et annoncer à quelle fatalité nous allions être livrés. Ford a donné un tel essor que les villes se sont développées
2140 vrés. Ford a donné un tel essor que les villes se sont développées en fonction de l’automobile. On a dépassé les limites hum
2141 a dépassé les limites humaines et des utopies se sont réalisées pour plaire à l’auto et au pétrole. Mais ce pétrole indispe
2142 ent dans le sous-sol des pays sous-développés qui étaient maîtres de la richesse du monde et qui n’en avaient pas conscience. N
2143 du monde et qui n’en avaient pas conscience. Nous sommes loin d’Hitler… Au contraire, nous en sommes tout près. Comme le génér
2144 Nous sommes loin d’Hitler… Au contraire, nous en sommes tout près. Comme le général Kadhafi le déclarait en 1973 : « Nous avo
2145 quoi détruire toute l’économie européenne et il n’ est pas dit que nous ne le ferons pas. » Comment Hitler apparaît-il dans
2146 on à ce besoin et Hitler a apporté la sienne, qui était aberrante, à l’Allemagne : le racisme, il en arriva à exterminer six
2147 cteurs de pétrole. La guerre du Kippour, en 1973, est l’endroit où Ford et Hitler se rencontrent. Résultat : l’embargo, la
2148 inévitable Apocalypse ou cataclysme. Les mots sont forts mais Rougemont les emploie : Si nous ne choisissons pas libreme
2149 de campagne casquées autour du site des centrales sont puériles et organisées par des jeunes gens qui ne voient pas plus loi
2150 s plus loin que le bout de leur contestation. Ils sont contre, sans savoir exactement pourquoi. Denis de Rougemont, lui, a l
2151 mont, lui, a le droit de parler d’un problème qui est le centre de ses préoccupations. Voilà des années qu’il étudie, lit,
2152 se déclarer contre le nucléaire ? Le nucléaire n’ est pas un progrès. C’est, à certains égards, une horrible régression ver
2153 les ténèbres ? Ne parlons pas d’un choix qui nous est imposé, qui tombe du ciel : nous sommes les seuls responsables car no
2154 oix qui nous est imposé, qui tombe du ciel : nous sommes les seuls responsables car nous avons créé une société vorace en éner
2155 une dimension poétique. Regardez la merveille qu’ est le Concorde. C’est de la très mauvaise poésie. On ne va pas plus vite
2156 le soleil. C’est impossible. C’est un slogan. Qu’ est -ce que le progrès selon vos vœux ? J’appelle progrès ce qui est favor
2157 progrès selon vos vœux ? J’appelle progrès ce qui est favorable à un meilleur épanouissement des personnes. Comment les per
2158 anouir dans le froid et dans le noir ? Le progrès est dans l’utilisation de l’énergie solaire, symbole de tout cela. Voilà
2159 — à Pluton — dieu des Enfers, dieu aveugle. On s’ est servi de son nom pour baptiser le plutonium, ce n’est pas par hasard.
2160 servi de son nom pour baptiser le plutonium, ce n’ est pas par hasard. Selon la mythologie, Pluton s’enfouit sous la terre a
2161 Déjà nous lui préparons ses cavernes, celles où seront enfouis les déchets radioactifs qui auront, auparavant, ruiné l’human
2162 auparavant, ruiné l’humanité. Denis de Rougemont est reparti vers sa Suisse paisible. Il a encore à réfléchir et à cherche
2163 n que nous, alors il avertit des dangers. Son cri est d’espoir et non pas de sauve-qui-peut, puisqu’il dit « l’avenir est n
2164 n pas de sauve-qui-peut, puisqu’il dit « l’avenir est notre affaire ». Nous sommes tous responsables de nos lendemains comm
2165 uisqu’il dit « l’avenir est notre affaire ». Nous sommes tous responsables de nos lendemains comme le Petit Prince l’était de
2166 nsables de nos lendemains comme le Petit Prince l’ était de sa rose, Noël est proche. C’est le temps des enfants. Pour eux, il
2167 ns comme le Petit Prince l’était de sa rose, Noël est proche. C’est le temps des enfants. Pour eux, il faut s’efforcer de n
38 1977, Articles divers (1974-1977). Écologie, régionalisme, fédéralisme : l’avenir selon Denis de Rougemont (30 décembre 1977)
2168 trop tôt », le livre de Denis Rougemont L’Avenir est notre affaire paru cet automne, est sorti au bon moment. En juin der
2169 nt L’Avenir est notre affaire paru cet automne, est sorti au bon moment. En juin dernier, c’eût encore été trop tôt. Mais
2170 orti au bon moment. En juin dernier, c’eût encore été trop tôt. Mais cet été, l’opinion à laquelle il s’adresse a été révei
2171 juin dernier, c’eût encore été trop tôt. Mais cet été , l’opinion à laquelle il s’adresse a été réveillée par Creys-Malville
2172 Mais cet été, l’opinion à laquelle il s’adresse a été réveillée par Creys-Malville, entre autres. Après avoir vécu plusieur
2173 gne, ensuite aux États-Unis, Denis de Rougemont s’ est installé dans le pays de Gex, à Ferney d’abord, puis à Saint-Genis. I
2174 continuer ce qu’on a fait depuis vingt-cinq ans, sont en pleine utopie au mauvais sens du terme ». Les différents éléments
2175 is le xixe siècle et qui interagissent entre eux sont aujourd’hui bloqués : que ce soit l’énergie, le chômage, l’inflation.
2176 ssent entre eux sont aujourd’hui bloqués : que ce soit l’énergie, le chômage, l’inflation. La crise de l’Occident mondial a
2177 re de vie. En Suisse, la croissance démographique est négative depuis deux ans. Prenons le cas de Ferney-Voltaire. En 1947,
2178 ans certains d’entre eux cinq ou six appartements sont occupés sur trente. Saint-Thomas Croyez-vous qu’avec de telles m
2179 ui ne leur apportent aucune gratification. Ils ne sont pas heureux et ils en viennent à se détester. On sait aujourd’hui que
2180 On sait aujourd’hui que les ressources en pétrole seront épuisées d’ici à vingt ou trente ans ; on en trouvera bien sûr toujou
2181 à quel prix ? Épuisé ou inutilisable, le résultat est le même. Et pourtant on parle de relance de l’économie ! C’est une ab
2182 on. C’est saint Thomas qui disait que « le fini n’ est pas capable d’infini ». N’en est-il pas de même pour les ressources n
2183 que « le fini n’est pas capable d’infini ». N’en est -il pas de même pour les ressources naturelles ? Et les hommes politiq
2184 e roi, c’est moi Les xixe et xxe siècles ont été marqués par les « économies d’échelle » qui ont conduit à une concent
2185 n fin de compte que quatre-vingts ans. Le fossé s’ est accru depuis la décolonisation. ⁂ Ce que Denis de Rougemont a apporté
2186 pporté de neuf, c’est d’avoir démontré que l’État est responsable de tout, puisqu’il revendique le contrôle de tout. Et par
2187 uverain, c’est toujours du peuple qu’on parle. Ce sont les États-nations et eux seuls, qui ont géré la terre. Ils ont géré e
2188 sance. Pour Denis de Rougemont, l’État ne devrait être qu’un service public, un point c’est tout. Ses propositions développé
2189 s développées en 160 pages partent de l’homme (il fut l’un des premiers personnalistes, de la revue Esprit), de la commune
2190 a région à l’Europe. Tout le système de Rougemont est fondé sur l’autogestion politique à partir des régions, nécessaires p
2191 emis de l’écologie, des régions, de l’autogestion sont autant à droite qu’à gauche. Si le nationalisme, le pouvoir de type m
2192 type monarchique et le mythe de l’unité nationale sont les caractéristiques de la droite, qu’est-ce qui la différencie du Pa
2193 ionale sont les caractéristiques de la droite, qu’ est -ce qui la différencie du Parti communiste français ? Il y a un vérita
2194 la droite et la gauche. Le nucléaire pourrait-il être une solution aux problèmes d’énergie ? Là encore, soit dit en passant
2195 une solution aux problèmes d’énergie ? Là encore, soit dit en passant, le parti communiste a opéré un virage à 180 degrés. M
2196 virage à 180 degrés. Mais sur le fond, quelle que soit la nature du danger que présente le nucléaire (il y a des savants hos
2197 quet d’Alice au pays des Merveilles où les boules étaient des hérissons et les arceaux des valets, tous se déplaçant au gré de
2198 ement français a même décidé que l’armée pourrait être utilisée aux fins de défendre les centrales. On se livre à des enquêt
2199 rsonnes, de leurs familles : la société nucléaire est une société policière. « J’ai bon espoir » L’énergie solaire, a
2200 st sans doute la raison pour laquelle les États y sont hostiles, est liée au système d’autonomie jusqu’à la propre maison de
2201 a raison pour laquelle les États y sont hostiles, est liée au système d’autonomie jusqu’à la propre maison des citoyens. Si
2202 édéraliste, ne l’emporte pas rapidement, l’Europe sera sans doute complètement colonisée par les États-Unis et l’URSS et con
2203 hoses peuvent aller très vite. Car ce mouvement n’ est -il pas le seul aujourd’hui à pouvoir mobiliser des centaines de milli