1
982)a Un des buts principaux de notre colloque
était
d’examiner pourquoi certaines nations durent, grâce à leur culture, e
2
uvait paraître liquidée… Mais je ne peux pas m’en
tenir
là. J’ai réfléchi à ce que vous avez dit ici, les uns et les autres.
3
la première question. Or, il faut dialoguer, j’en
suis
convaincu depuis une cinquantaine d’années que j’écris et que je parl
4
je parle sur des questions européennes. Pourquoi
est
-ce qu’il nous faut à tout prix un dialogue ? C’est parce que la condi
5
’est parce que la condition de survie de l’Europe
est
dans son union, dans sa fédération, sur la base même de ses différenc
6
sur cet obstacle par excellence à toute union qu’
est
l’État-nation d’aujourd’hui. Vouloir fonder l’union de l’Europe sur s
7
ogue sur nos différences, et pour que ce dialogue
soit
utile, il faut qu’il y ait un langage commun. Ce langage commun, nous
8
elle sur la base de la seule unité existante, qui
est
l’unité de culture, c’est une condition sine qua non de quelque chose
9
e culture nationale : l’Europe a existé et elle a
été
cultivée bien avant l’existence de nos premiers États. Il ne faut pas
10
tre cultures nationales. Il y a une culture qui s’
est
formée en Europe jusque vers l’an 1300 de notre ère et qui, ensuite,
11
ue vers l’an 1300 de notre ère et qui, ensuite, s’
est
beaucoup enrichie. Mais enfin, l’essentiel s’est formé durant le prem
12
’est beaucoup enrichie. Mais enfin, l’essentiel s’
est
formé durant le premier millénaire de notre ère par la confluence des
13
nne vers l’an 1000, et la formation de la Pologne
sont
à peu près contemporaines. Voilà un premier cas, sur lequel je revien
14
c extrêmement loin de l’idée d’une culture qui se
serait
constituée en même temps que celle des nations et par leur addition.
15
es que l’expression de « cultures nationales » ne
soit
pas vidée de tout sens ? Je vais vous le dire en trois mots. Ces sour
16
ce qui descend d’Athènes, de Rome et de Jérusalem
est
authentiquement européen. À ces trois sources primitives — et dans Jé
17
ravers les cantiques des Noirs, dont les mélodies
sont
d’ailleurs empruntées à ceux des mouvements de réveil protestant dans
18
protestant dans le pays de Galles ! Cet héritage
est
tellement varié qu’il va créer des variantes importantes dans le dosa
19
antes importantes dans le dosage des éléments. Ce
sont
ces variantes, que, dans certains cas, on pourrait appeler cultures n
20
e et identité nationales ne font qu’un. Cela peut
tenir
aux origines asiatiques du peuple hongrois, qui est venu comme un cor
21
r aux origines asiatiques du peuple hongrois, qui
est
venu comme un corps étranger dans l’Europe. Donc, pour lui, sa cultur
22
tranger dans l’Europe. Donc, pour lui, sa culture
était
sa raison d’être. Mais vous avez à l’extrême inverse la Suisse, qui n
23
ope. Donc, pour lui, sa culture était sa raison d’
être
. Mais vous avez à l’extrême inverse la Suisse, qui n’a pas de culture
24
ille, depuis le xiiie siècle. La culture n’a pas
été
son élément formateur. Ce qui a été son élément formateur, c’est une
25
lture n’a pas été son élément formateur. Ce qui a
été
son élément formateur, c’est une sorte de philosophie politique qui e
26
eur, c’est une sorte de philosophie politique qui
est
le fédéralisme. La décision de se mettre ensemble dans la mesure où l
27
essants. La Pologne a pour particularité unique d’
être
un État slave de population, mais romanisé dans sa culture. À l’inver
28
omanisé dans sa culture. À l’inverse, la Roumanie
est
l’exemple d’un État romanisé devenu orthodoxe et dont la culture résu
29
le libre consentement des parties annexées. Ça a
été
fait par la conquête, le non-respect des contrats sacrés (cas de la B
30
s ou moins discutables. L’unification totale ne s’
est
imposée qu’au détriment des cultures « nationales », au sens ancien,
31
ns ancien, dont la grande culture occitane, qui a
été
étouffée, et d’autres comme la bretonne, la provençale ou l’allemande
32
C’est le seul pays au monde où la culture puisse
être
appelée non pas nationale mais stato-nationale. C’est une culture d’É
33
ans Le Monde, et selon laquelle l’école française
est
faite pour former des citoyens français. C’est tout juste s’il n’a pa
34
e différente de toutes les autres en ceci qu’elle
est
entièrement politisée, comme nous l’a très bien montré hier Stanley H
35
ontré hier Stanley Hoffmann. La culture française
est
nationale dans la mesure où elle est politisée, à tel point qu’on a l
36
re française est nationale dans la mesure où elle
est
politisée, à tel point qu’on a l’impression quelquefois, à entendre l
37
cussions entre la gauche et la droite, que chacun
tient
plus au triomphe de son idéologie qu’à la santé de la nation réelle.
38
sieurs monarchies, que la « monarchie espagnole »
est
multiple, pluraliste, c’est-à-dire qu’elle comporte déjà les bases d’
39
français, il y a l’Empire austro-hongrois, qui s’
est
continué en partie dans la Vienne de la petite république autrichienn
40
es autres ? C’était impensable. Aussi, ça n’a pas
été
fait, et le résultat est que ces douze cultures nationales ont contin
41
sable. Aussi, ça n’a pas été fait, et le résultat
est
que ces douze cultures nationales ont continué, chacune pour elle-mêm
42
lturel merveilleux et vraiment très européen, qui
est
le développement de la Vienne des trente premières années du siècle.
43
e premières années du siècle. Je pense que Vienne
était
, plus peut-être que Paris, le centre de la civilisation et de la cult
44
ue avec Schönberg et Berg ; la littérature, qui s’
est
développée autour de Vienne, j’englobe ici tous ceux qui ont relevé d
45
ment sensationnelle qu’une pareille culture qui n’
est
pas liée à un État, mais au contraire à une pluralité de nations viva
46
ens de Viollet-le-Duc. Pour l’Allemagne, le cas n’
est
pas trop différent. Vous avez une grande culture germanique, on peut
47
e germanique, on peut le dire, parce que l’accent
est
fortement mis sur le germanisme plutôt que sur l’hellénisme et le rom
48
nisme et le romantisme. Le Saint-Empire romain ne
fut
qu’un empire de nostalgie reconstitué. Aujourd’hui, vous avez cette m
49
ué. Aujourd’hui, vous avez cette même culture qui
est
le seul lien communautaire entre des gens de quatre ou cinq États dif
50
isse, l’Autriche, et d’autres parties de pays qui
sont
de culture germanique. C’est donc simplement un ferment communautaire
51
t communautaire. Ces quelques exemples pourraient
être
développés, nuancés, complétés, mais ils donnent l’impression tout de
52
éritage culturel européen, mais ce langage commun
étant
symphonique, ne peut s’exprimer que par des instruments différents.
53
urope va procéder de cette phrase d’Héraclite qui
est
aussi la devise du fédéralisme : la composition, l’accord des contrai
54
urt-circuit, c’est-à-dire sans que l’un des pôles
soit
neutralisé par l’autre. Ceci nous amène à l’idée que je voulais intro
55
mmun, qui permet un langage commun. Quel pourrait
être
le contenu de ce Dialogue des cultures que nous souhaitons tous ? Je
56
er une ou deux pistes de réflexion. Cela pourrait
être
le sujet d’un autre colloque. Je crois que la condition de tout dialo
57
’économie, comme Jean Monnet le proposait. On n’y
est
pas arrivé et je ne pense pas qu’on y arrivera dans les années qui su
58
ivera dans les années qui suivent, parce que ce n’
est
pas la bonne base. Jean Monnet a pensé que, si l’on maîtrisait les re
59
fait voir que, pour lui, les intérêts économiques
étaient
secondaires : comme l’intendance, ils devaient suivre. Suivre quoi ?
60
errain sur lequel la responsabilité de la culture
est
la plus engagée aujourd’hui. Il nous faut une culture pour la paix, d
61
. Comment lutter contre le nationalisme tel qu’il
est
enseigné, plus ou moins délibérément, dans toutes nos écoles ? — Abo
62
es régions (25 mars 1982)b c Toute votre œuvre
est
sous-tendue par l’idée de la « personne ». Quelle est cette personne
63
sous-tendue par l’idée de la « personne ». Quelle
est
cette personne ? Dans les années 1930, cette idée était commune à des
64
cette personne ? Dans les années 1930, cette idée
était
commune à des gens de provenances très diverses et qui se retrouvaien
65
comme individu, mais comme personne. La personne
est
appelée par un but et marche vers ce but en inventant son chemin. C’e
66
cédent, un sentier qu’il doit inventer et qui n’a
été
foulé par personne avant lui. Il doit y avancer par la foi, dans la n
67
si son pied trouvera une terre ferme. La personne
est
l’expression permanente d’un homme à la fois libre et responsable, li
68
à la fois libre et responsable, libre parce qu’il
est
responsable et responsable dans la mesure où il est libre. Mais comme
69
t responsable et responsable dans la mesure où il
est
libre. Mais comment passe-t-on de la personne à la fédération ? On ne
70
n grandit allant jusqu’au continent. Tout cela se
tient
. De la personne, on passe à la communauté, de la communauté à la régi
71
han formulait naguère à propos des USA mais qu’il
est
facile de transposer en termes européens : Ne confiez jamais à une p
72
onfiez jamais à une plus grande unité ce qui peut
être
fait par une plus petite. Ce que la famille peut faire, la municipali
73
seulement des États totalitaires. Tous nos États
sont
victimes d’une centralisation excessive à l’imitation de l’État napol
74
cessive à l’imitation de l’État napoléonien qui a
été
copié presque par tout le monde. Je l’ai dit il y a longtemps, « c’es
75
at recule. Aujourd’hui le développement de l’État
est
devenu tellement démentiel qu’il ne fonctionne plus. On ne peut pas f
76
t la guerre. Cela constitue un circuit où tout se
tient
. Par exemple aux portes de la Suisse, une centrale comme celle de Cre
77
uisse, une centrale comme celle de Creys-Malville
est
destinée à produire du plutonium. La relation entre le nucléaire civi
78
re le nucléaire civil et le nucléaire militaire a
été
par ailleurs démontrée. Bien entendu, tout cela sert à faire des bomb
79
angereux, on mettra la police pour surveiller… Ce
sont
ces multiples interactions qui confortent l’escalade de l’État-nation
80
cessaire la capacité de résistance des personnes.
Est
-ce que la Suisse est menacée par la centrale française de Creys-Malvi
81
de résistance des personnes. Est-ce que la Suisse
est
menacée par la centrale française de Creys-Malville ? L’accident maje
82
alville ? L’accident majeur de Creys-Malville qui
est
décrit comme la fonte du cœur du réacteur provoquée par l’interruptio
83
aux responsables de la production électrique quel
serait
l’accident majeur qui pourrait arriver à Creys-Malville. On a refusé
84
sé de me répondre en me disant que la probabilité
était
faible, et qu’il existait une menace bien plus dangereuse : les fusée
85
: les fusées des 26 silos du plateau d’Albion qui
sont
pointées vers Moscou. Disposant de SS20 orientés sur ces silos, en ca
86
ortantes que l’accident majeur de Creys-Malville.
Est
-ce qu’on pensait me rassurer ? Et, comme par hasard, d’une façon géné
87
x frontières, de sorte que, s’il y a un pépin, ce
soient
plutôt les autres qui trinquent. Si la France et l’Italie installaien
88
s protesterions. Actuellement, ce qui nous menace
est
bien pire que le haschisch, incalculablement pire… Finalement, êtes-v
89
le haschisch, incalculablement pire… Finalement,
êtes
-vous de gauche ou de droite ? Je vais vous répondre par cette formule
90
e trouve superbement adaptée à votre question : «
Être
de gauche ou de droite, c’est choisir une des innombrables manières q
91
s innombrables manières qui s’offrent à l’homme d’
être
un imbécile. » Toutes deux en effet sont des formes d’hémiplégie mora
92
’homme d’être un imbécile. » Toutes deux en effet
sont
des formes d’hémiplégie morale. Comme le démontre le fait qu’aujourd’
93
. Dans le dernier, il nous rappelle que L’Avenir
est
notre affaire , parce que “la décadence d’une société commence quand
94
ée à Richard Labévière, il y a plusieurs mois, se
sont
glissées deux erreurs qu’il me paraît absolument nécessaire de rectif
95
souvent écrit. Voici la phrase telle qu’elle doit
être
lue : « La décadence d’une société commence quand l’homme se demande
96
ue puis-je faire ? » » Les dix mots soulignés ont
été
omis. 2. À l’avant-dernière question concernant la menace pour la Sui
97
constitue le surgénérateur de Creys-Malville : il
est
exact que j’ai mentionné le refus de réponse que m’ont opposé les res
98
de l’EDF, affirmant que la probabilité d’accident
était
trop faible pour qu’ils en tiennent compte. Mais ce ne sont pas les m
99
faible pour qu’ils en tiennent compte. Mais ce ne
sont
pas les mêmes qui m’ont opposé le danger « cent fois plus grand » pré
100
leurs SS20. Ce danger « cent fois plus grand » a
été
signalé par M. Francis Perrin, de l’Académie des sciences, physicien
101
ce… Perplexe : Denis de Rougemont (écrivain) Ce n’
est
pas mon domaine. Pas d’opinion à ce sujet. i. Rougemont Denis de,
102
paix du monde — le seul danger, disent les uns —
serait
constitué par les pacifistes, parce qu’ils érodent la volonté de défe
103
répondre que cette campagne contre les pacifistes
est
elle-même manipulée… Il y a beaucoup plus sérieux : si l’on se disput
104
Il n’existe pas de complot conscient, cynique. Je
suis
persuadé que les dirigeants de l’URSS et des États-Unis sont convainc
105
dé que les dirigeants de l’URSS et des États-Unis
sont
convaincus de défendre leur peuple et leur idée de la civilisation. I
106
elle dans laquelle ils vivent. Leur action réelle
est
parfaitement définie par leurs intérêts économiques mais quand on pas
107
on ne comprend pas comment la paix mondiale peut
être
défendue par les armes nucléaires, premier moyen que les hommes aient
108
ents devient le centre de toute la production. On
est
donc tenté de les essayer et pour ce qui est de l’arsenal atomique, o
109
. On est donc tenté de les essayer et pour ce qui
est
de l’arsenal atomique, on a trouvé récemment les bombes dites tactiqu
110
qui a l’air raisonnable au premier abord mais qui
est
monstrueuse en réalité, de limiter les échanges nucléaires au champ d
111
res eux-mêmes. Les seuls qui répandent cette idée
sont
probablement les gens qui produisent ces armes. Il y a donc une press
112
alement sur les députés et les gouvernements. Eux
sont
manipulés, jusque dans leur manière de penser. C’est ça le danger et
113
a le danger et non pas le pacifisme ! Quelle peut
être
la réponse des pacifistes ? La première réponse, c’est la diffusion,
114
de manipulation dont les pacifistes de mon espèce
sont
conscients et qu’ils dénoncent, mais l’idée que ces manifestations so
115
ils dénoncent, mais l’idée que ces manifestations
sont
uniquement le fruit de telles manipulations ne tient pas — en particu
116
nt uniquement le fruit de telles manipulations ne
tient
pas — en particulier devant le fait qu’elles apparaissent maintenant
117
e de l’Est, autant que dans les discours du pape.
Soyons
sérieux. Ce qui est réel, indiscutable, c’est une économie fondée sur
118
dans les discours du pape. Soyons sérieux. Ce qui
est
réel, indiscutable, c’est une économie fondée sur la production d’arm
119
ie fondée sur la production d’armements dont il n’
est
guère imaginable qu’on se serve jamais, c’est la multiplication des a
120
te ma conviction. Je pense que si les Soviétiques
étaient
jamais tentés d’occuper l’Europe, ils n’auraient pas intérêt à se fai
121
eurrer sur les effets d’une guerre nucléaire : ce
serait
l’anéantissement de la population européenne, ne serait-ce que parce
122
l’anéantissement de la population européenne, ne
serait
-ce que parce qu’une des propriétés des radiations est de détruire les
123
ce que parce qu’une des propriétés des radiations
est
de détruire les défenses immunitaires de l’organisme et que de terrib
124
lourdes, mais pas définitives, car sa population
est
dispersée sur une vaste surface ; la nôtre est dix fois plus dense. J
125
on est dispersée sur une vaste surface ; la nôtre
est
dix fois plus dense. J’en viens à la Suisse. C’est sans doute le pays
126
nse civile. J’ai fait naguère une proposition qui
est
peut-être moins comique qu’il n’y paraît à première vue : au lieu de
127
y paraît à première vue : au lieu de dépenser des
sommes
énormes pour acheter des chars modernes et des avions vite démodés, o
128
iser par l’amitié… Bien d’autres procédés peuvent
être
imaginés. Une défense civile ainsi conçue pourrait déstabiliser l’adv
129
re, comme au judo où tout l’art consiste à ne pas
être
là où nous attend l’autre et à utiliser son propre élan pour le renve
130
onstituer une alternative à la défense armée ? Je
suis
persuadé que la non-violence est la seule réponse vraiment humaine à
131
ense armée ? Je suis persuadé que la non-violence
est
la seule réponse vraiment humaine à la guerre. Faut-il dès lors renon
132
e ne pense pas que notre défense militaire puisse
être
considérée comme un danger par un autre pays. Il n’empêche que devant
133
attitude radicalement contraire, la non-violence,
soit
correcte. J’irai jusqu’à avancer ceci : les seuls qui soient sûrs d’a
134
ecte. J’irai jusqu’à avancer ceci : les seuls qui
soient
sûrs d’avoir raison sont ceux qui disent : désarmons-nous, commençons
135
r ceci : les seuls qui soient sûrs d’avoir raison
sont
ceux qui disent : désarmons-nous, commençons les premiers. Seriez-vou
136
disent : désarmons-nous, commençons les premiers.
Seriez
-vous prêt à le dire pour notre pays ? Je n’y suis pas encore prêt. Po
137
riez-vous prêt à le dire pour notre pays ? Je n’y
suis
pas encore prêt. Pour vous parler sincèrement, je sens, je sais, je v
138
ler sincèrement, je sens, je sais, je vois ce que
serait
la seule position absolument tenable — quitte à ce qu’on en meure tou
139
bonne raison que pour l’épouvantable idiotie qui
sera
peut-être, comme dans le cas des Malouines, à l’origine d’une guerre.
140
ense non violente. Parce qu’il ne faut pas que ce
soit
une démission. Vous voudriez donc qu’on organise la non-violence ? Je
141
imaginer des procédés de résistance au mal. J’ai
été
frappé, depuis longtemps, par ces deux versets des Proverbes (Prov. 2
142
vées par l’actuelle vague de pacifisme. Peut-être
est
-ce l’occasion, dans notre pays, de rouvrir le débat sur la défense na
143
j’ai intenté à Dominique Grisoni : Le malentendu
était
à son comble. Rougemont et ses amis voulaient — légitimement — qu’on
144
uelle, lors de l’avènement de Pétain, le maréchal
fut
salué par les discours « des sombres thuriféraires de la droite, les
145
ace, de la Terre et de la Nation. Le procès qui m’
était
fait n’était donc pas celui « des années 1930 ». Il portait sur mon a
146
rre et de la Nation. Le procès qui m’était fait n’
était
donc pas celui « des années 1930 ». Il portait sur mon action personn
147
aulle le matin du 18, je publiais en Suisse, où j’
étais
mobilisé comme officier, un article sur l’entrée de Hitler à Paris, q
148
autonomes à l’échelle régionale. 3. L’État-nation
est
en crise partout. Il se voit incapable d’assurer les fonctions qu’il
149
se voit incapable d’assurer les fonctions qu’il s’
était
arrogées : défense du territoire et des libertés populaires, garantie
150
ons souverains, c’est vouloir un cercle carré. Ce
serait
tenter de fonder une amicale des misanthropes, projet radicalement co
151
la souveraineté nationale absolue et indivisible,
est
le premier devoir de tous les citoyens qui se veulent libres et respo
152
is), historique (Écosse, Catalogne, etc.). Toutes
sont
valables. Seuls varient les caractères prioritaires, mais tous les au
153
les caractères prioritaires, mais tous les autres
sont
toujours présents, à des degrés inégaux. La définition que je propose
154
des degrés inégaux. La définition que je propose
est
peut-être la plus compréhensive ou englobante : la région doit être a
155
plus compréhensive ou englobante : la région doit
être
avant tout et après tout, un espace de participation civique, favoris
156
é réelle et capable d’autonomie. Elle ne doit pas
être
un mini-État-nation, ni revendiquer toutes les compétences étatiques,
157
orrespondent à la dimension des problèmes qu’elle
est
le mieux en mesure de gérer. « Ne confiez jamais à une plus grande un
158
onfiez jamais à une plus grande unité ce qui peut
être
fait par une plus petite. Ce que la famille peut faire, la municipali
159
ricain D. Moynihan. C’est dire que la région doit
être
et demeurer « de dimensions médiocres » comme le voulait Rousseau, ou
160
ble selon les fonctions qu’elle assure. Elle doit
être
« à la taille de l’homme », de telle manière que chaque citoyen puiss
161
ais aussi, « à la taille de ses problèmes » — qui
sont
« à géométrie variable » comme on vient de le voir, jamais délimités
162
constituer un sénat des régions d’Europe, telles
sont
les étapes obligées de l’avènement d’une fédération continentale : c’
163
La peur d’
être
libre… (printemps-été 1982)d e Vous êtes considéré comme celui qui
164
eur d’être libre… (printemps-été 1982)d e Vous
êtes
considéré comme celui qui a lancé l’idée du régionalisme. Pourquoi vo
165
vocation régionale et régionaliste. Cette idée n’
était
pas nouvelle pour moi. En effet, lorsque je suis arrivé à Paris en 19
166
était pas nouvelle pour moi. En effet, lorsque je
suis
arrivé à Paris en 1931, j’ai fait la connaissance d’une trentaine de
167
pe travaillait sur l’idée de « personne » et nous
sommes
devenus les « personnalistes ». Il en est sorti deux revues : Esprit
168
nous sommes devenus les « personnalistes ». Il en
est
sorti deux revues : Esprit , qui dure encore, et L’Ordre nouveau ,
169
dure encore, et L’Ordre nouveau , nom qui nous a
été
volé par qui vous savez ! Pour nous, il s’agissait de « l’ordre vérit
170
rapport au désordre établi. Un numéro d’ Esprit
fut
d’ailleurs consacré au thème de « la rupture avec le désordre établi
171
on ne connaît pas toujours ses parents !… Quelle
était
la théorie de l’école personnaliste ? Le manifeste de notre groupe te
172
cole personnaliste ? Le manifeste de notre groupe
tenait
en trois lignes : « Nous ne sommes ni individualistes, ni collectivis
173
e notre groupe tenait en trois lignes : « Nous ne
sommes
ni individualistes, ni collectivistes. Nous sommes personnalistes. »
174
ommes ni individualistes, ni collectivistes. Nous
sommes
personnalistes. » Mounier a vite parlé de révolution personnaliste et
175
« personne », c’est l’individu qui cherche quelle
est
sa vocation. Vocation veut dire « appel ». Cet appel est unique pour
176
vocation. Vocation veut dire « appel ». Cet appel
est
unique pour chacun. On ne sait pas toujours ce que c’est ; il faut le
177
jours ce que c’est ; il faut le découvrir. Le but
est
très loin en avant, dans l’infini, l’Absolu, Dieu, comme on veut l’ap
178
r son chemin puisque chacun part d’un endroit qui
est
unique. Il faut trouver son sentier : il n’y a pas de route nationale
179
taine foi pour poser le pied là où nul autre ne s’
est
avancé. La vie de la personne est une construction continuelle et une
180
nul autre ne s’est avancé. La vie de la personne
est
une construction continuelle et une marche dans la nuit. Un verset d’
181
la nuit. Un verset d’un psaume dit : « Ta parole
est
une lampe à mes pieds, une lumière sur mon sentier. » Cette vocation
182
on dit que les liens avec une famille spirituelle
sont
souvent plus forts et plus profonds qu’avec la famille biologique. La
183
qui existent comme des personnes, même si cela n’
est
pas clair. C’est souvent par les symboles, les mythes, les archétypes
184
le spirituelle. Toutefois, pour que la communauté
soit
réelle, elle ne doit pas être trop grande mais de dimension « médiocr
185
r que la communauté soit réelle, elle ne doit pas
être
trop grande mais de dimension « médiocre », disait Rousseau. Ou, comm
186
eau. Ou, comme disait Aristote, que son nombre ne
soit
pas si grand que l’on ne puisse plus la réunir sur l’agora où chacun
187
. De ce type de communauté naît la région. Quelle
est
votre définition de la région ? Tout d’abord, c’est une grappe de com
188
a mécanique ! J’aime beaucoup la définition qui a
été
donnée par un sénateur américain qui fut ambassadeur de son pays aupr
189
on qui a été donnée par un sénateur américain qui
fut
ambassadeur de son pays auprès des Nations unies : Ne confiez jamais
190
eut faire. Mais, aujourd’hui, certains problèmes
sont
mondiaux : pour sauver les océans, par exemple, cela suppose une agen
191
mondiale. Vous dites, dans votre livre L’Avenir
est
notre affaire , « la contestation nucléaire devient un problème trans
192
i démontre qu’aujourd’hui, la notion de frontière
est
une notion aberrante et que le problème de la vie sur Terre est ou bi
193
aberrante et que le problème de la vie sur Terre
est
ou bien mondial, ou bien régional. C’est la vision des « Verts » ! Le
194
e quelconque et cela n’a aucun rapport avec ce qu’
est
devenue la frontière. La frontière est une chose complètement condamn
195
avec ce qu’est devenue la frontière. La frontière
est
une chose complètement condamnable. Elle n’a pas une seule utilité :
196
se chez soi ! Ici, autour de Genève, la frontière
est
remarquablement absurde. Le bassin du Léman est une région naturelle
197
e est remarquablement absurde. Le bassin du Léman
est
une région naturelle entre le Jura et les Alpes. Cette région est déc
198
aturelle entre le Jura et les Alpes. Cette région
est
découpée en trois cantons suisses, deux départements français et, sur
199
avec les mêmes problèmes de pollution. Et ce lac
est
en train d’en crever. Mais cela, c’est ma femme qui s’en occupe ! Il
200
ue cette frontière franco-suisse autour de Genève
est
aussi absurde que la frontière entre Berlin-Ouest et Berlin-Est… C’es
201
C’est le même type d’absurdité ! Les frontières
sont
les signes physiques de réalités qui sont des idéologies, ou des myth
202
tières sont les signes physiques de réalités qui
sont
des idéologies, ou des mythes, qui s’affrontent. S’il doit y avoir de
203
S’il doit y avoir des « fermetures », ce devrait
être
comme des membranes entre les cellules qui laissent passer tout ce qu
204
C’est pour cette raison que j’appelle cela et je
suis
pour la pluralité des allégeances. Je suis pour des régions « à géomé
205
et je suis pour la pluralité des allégeances. Je
suis
pour des régions « à géométrie variable », suivant la fonction que la
206
rie variable », suivant la fonction que la région
est
censée remplir. On peut avoir des régions écologiques qui ne seront p
207
lir. On peut avoir des régions écologiques qui ne
seront
pas du tout les mêmes que des régions économiques, bien que leurs rap
208
ons économiques, bien que leurs rapports puissent
être
très proches. Il faut distinguer deux choses : la fonction écologique
209
logique et la fonction civique. Certaines régions
sont
dictées par la géographie : le bassin genevois ; d’autres par la trad
210
utes sortes de manières, librement, — la question
étant
uniquement celle de leur représentation. La pluralité des allégeances
211
leur représentation. La pluralité des allégeances
est
ma théorie favorite. Par exemple, je suis né dans le canton de Neuchâ
212
égeances est ma théorie favorite. Par exemple, je
suis
né dans le canton de Neuchâtel qui est ma patrie. Je me trouve donc a
213
emple, je suis né dans le canton de Neuchâtel qui
est
ma patrie. Je me trouve donc automatiquement citoyen suisse. Mais j’a
214
anie. C’est ma communauté en tant qu’écrivain. Je
suis
protestant et j’appartiens donc aussi à une autre communauté qui est
215
’appartiens donc aussi à une autre communauté qui
est
mondiale et n’a pas de frontière délimitée. J’appartiens à l’école pe
216
ler et d’autres qui veulent que la même frontière
soit
donnée à toutes ces dimensions normales de l’être humain ! C’est impo
217
soit donnée à toutes ces dimensions normales de l’
être
humain ! C’est impossible… Pour l’Europe, je vois donc une fédération
218
moins de deux siècles… » Les deux autres schémas
sont
celui de la Confédération helvétique et celui de la fédération des Ét
219
térieur pour devenir Américain. Mais l’Amérique n’
est
plus vraiment une fédération parce qu’elle est beaucoup trop grande.
220
n’est plus vraiment une fédération parce qu’elle
est
beaucoup trop grande. Toutefois, les Américains ont gardé un plus gra
221
la communauté qu’en Europe. Un autre exemple nous
est
offert par l’Afrique de l’Ouest, notamment dans la région du Sahel. C
222
s ethniquement et culturellement une vaste unité,
sont
aujourd’hui morcelés entre trois ou quatre pays qui divisent des fami
223
é l’anglais ou le français… Oui, toute l’Afrique
est
mutilée par des gens qui, revêtus de leurs manches de lustrine, ont p
224
connaissez pas le pire. Quand la décolonisation s’
est
faite, nos jeunes gens étaient prêts à se faire tuer pour cette front
225
nd la décolonisation s’est faite, nos jeunes gens
étaient
prêts à se faire tuer pour cette frontière devenue leur « frontière à
226
e base sur une certaine conception de l’homme. Je
suis
pour la région à cause de ma conception personnaliste de l’homme. Mai
227
ause des conséquences de l’État-nation actuel qui
est
né des guerres révolutionnaires, des guerres de Napoléon qui l’a cons
228
te formule de l’État-nation jacobin, napoléonien,
est
la cause de toutes les guerres aujourd’hui. Il s’y est ajouté la divi
229
a cause de toutes les guerres aujourd’hui. Il s’y
est
ajouté la divinisation de l’État avec sa « souveraineté absolue » et
230
s de crevettes autour ! L’exploitation du pétrole
serait
fabuleusement chère… La vraie raison de cette guerre, c’est que la so
231
tte guerre, c’est que la souveraineté nationale a
été
atteinte. L’honneur de l’État-nation a été atteint. Donc, toute la st
232
nale a été atteinte. L’honneur de l’État-nation a
été
atteint. Donc, toute la structure des États-nations conduit à la guer
233
contraire, les individualistes s’imaginent qu’ils
seront
libres s’ils n’ont pas de responsabilités. Malheureusement, cette idé
234
s de responsabilités. Malheureusement, cette idée
est
d’un de mes compatriotes, Benjamin Constant. C’est ce qu’il a nommé «
235
« le libéralisme ». Pour lui, la politique devait
être
faite par des gens payés pour cela, comme des domestiques. Malheureus
236
onne, impossible d’en faire du ciment ! Alors, il
est
très clair qu’à partir de la notion de personne, on peut tout reconst
237
poussée du nazisme, du stalinisme… L’État-nation
est
beaucoup trop grand pour être un véritable animateur des affaires quo
238
nisme… L’État-nation est beaucoup trop grand pour
être
un véritable animateur des affaires quotidiennes dans le carcan des f
239
us avez écrit aussi « une région, comme telle, ne
sera
jamais compétitive ». L’esprit de compétition relève de l’individu, s
240
e que je pense. La compétition relève de ce qui n’
est
pas la vocation. À ce sujet, il ne faut pas s’imaginer la vocation co
241
qui vient vers nous et qui nous commande. Nous ne
sommes
pas « aimantés », mais « aimés ». C’est complètement différent. Il n’
242
inisme, mais responsabilité. Cette notion d’amour
est
très importante ; c’est l’amour qui unit les personnes. L’État-nation
243
, vous aussi, souvent dit ! Les États-nations ne
sont
que des individus égoïstes qui sont des criminels à l’échelle mondial
244
ts-nations ne sont que des individus égoïstes qui
sont
des criminels à l’échelle mondiale, des gangsters… Il n’y a pas d’amo
245
s gangsters… Il n’y a pas d’amour là-dedans. Ce n’
est
pas comme la patrie. Ne pensez-vous pas que l’on a « bluffé » les cit
246
est exact et c’est en français que la confusion a
été
la plus grave entre l’attachement à la patrie et l’obligation de serv
247
on de servir l’État-nation. L’école personnaliste
est
constamment revenue sur cela. La patrie, c’est quelque chose qui vous
248
s frontières. La région de Bâle-Wurtemberg-Alsace
est
un exemple d’entité régionale séparée en trois États-nations dont deu
249
’impression d’une centralité continentale, ce qui
est
vrai à tous points de vue. Dans votre livre, vous disiez qu’il faut a
250
ue les circulaires qui viennent de la capitale ne
sont
jamais lues : on ne les a pas demandées. Peu à peu des liens se créer
251
eux hommes qui s’en occupent, Defferre et Rocard,
sont
d’origine huguenote et les protestants ont toujours été opposés au ce
252
origine huguenote et les protestants ont toujours
été
opposés au centralisme. Cela va paraître énorme aux Français ! Vous a
253
léon. Moi, je trouve que trois générations, c’est
être
très optimiste car, de nos jours cela fait 20 ans x 3 = 60 ans. C’est
254
soi-même. » Vous avez aussi parlé de « la peur d’
être
libre »… C’est la maladie de notre société actuelle. C’est de cette p
255
e notre société actuelle. C’est de cette peur que
sont
nés les États-nations et les États totalitaires. Je ne cesse de répét
256
d. Rougemont Denis de, « [Entretien] La peur d’
être
libre… », CoÉvolution, Paris, p. 31-35. e. Propos recueillis par Cla
257
é. Mais cette réflexion sur les mythes de l’amour
était
aussi un essai de déchiffrement de la personnalité de l’Europe, que D
258
ursuivi tout au long de son œuvre. Dans L’Avenir
est
notre affaire (Stock, 1977), il brossait un bilan des crises actuell
259
remercions chaleureusement ; notre reconnaissance
est
d’autant plus vive que leurs lignes nous encouragent à persévérer.
260
ât deux cantons mixtes et que le petit dernier ne
fût
pas encore né. De tout cela, notre ami Weber-Perret fit ce que l’on p
261
mont, dans quelles circonstances votre vocation s’
est
-elle décidée ? Je crois qu’il faut remonter, pour distinguer l’appel
262
nguer l’appel que signifie toute vocation — et je
suis
très attaché à cette notion qui constitue, soit dit en passant, le th
263
e suis très attaché à cette notion qui constitue,
soit
dit en passant, le thème du seul roman que j’aie jamais écrit — à mes
264
ent, que je deviendrais un grand chimiste. Je m’y
étais
exercé dans un laboratoire improvisé, chez mes parents, mais après tr
265
e, au Gymnase de Neuchâtel, j’ai compris que ce n’
était
pas tout à fait ça… Donc je ne jurais que par la littérature, à comme
266
a poésie. Dans les poèmes que j’écrivais alors, j’
étais
influencé par les symbolistes, et Rimbaud surtout me fascinait, avant
267
de 17 ans, dans la Semaine littéraire de Genève,
était
consacré à Montherlant et le football, comme j’étais moi-même un adep
268
it consacré à Montherlant et le football, comme j’
étais
moi-même un adepte entêté de ce sport. Puis je suis entré en lettres,
269
is moi-même un adepte entêté de ce sport. Puis je
suis
entré en lettres, à l’Université de Neuchâtel qui était, à mon sens,
270
entré en lettres, à l’Université de Neuchâtel qui
était
, à mon sens, la meilleure du monde, parce que la plus minuscule. On y
271
oyait guère à vrai dire, tant ma vie sentimentale
était
alors tumultueuse. Je fis aussi de longs séjours en Hongrie. J’étais
272
euse. Je fis aussi de longs séjours en Hongrie. J’
étais
complètement envoûté par cette atmosphère passionnelle de l’Europe ce
273
rréalisme figurait en bonne place, estimant qu’il
était
du devoir des écrivains d’affronter les problèmes de la crise naissan
274
Méfaits de l’instruction publique . Quoi ou il en
soit
, il me semblait important d’en venir à une littérature fondée spiritu
275
iger une maison d’édition. Dès ce moment-là, j’ai
été
plongé dans un bouillonnement d’idées que je n’ai jamais retrouvé par
276
personnalisme et du fédéralisme. De fait, nous n’
étions
ni individualistes, ni collectivistes, mais personnalistes. En outre,
277
sant les prérogatives de l’État-nation. Mais ce n’
est
qu’après la guerre que je me suis lancé dans l’action fédéraliste, la
278
ation. Mais ce n’est qu’après la guerre que je me
suis
lancé dans l’action fédéraliste, laquelle m’occupe depuis quelque tre
279
lle m’occupe depuis quelque trente-cinq ans. Cela
étant
, je n’ai jamais cessé pour autant d’être écrivain. Pour l’instant, j’
280
s. Cela étant, je n’ai jamais cessé pour autant d’
être
écrivain. Pour l’instant, j’ai douze livres en chantier. À la suite d
281
voulu évoquer les circonstances dans lesquelles s’
est
formé et développé son “grand dessein”, entre passion et discernement
282
ns la tradition des grands moralistes suisses, il
est
parvenu, en témoin clairvoyant de son époque aux intuitions souvent p
283
ment d’avoir flirté avec le fascisme, alors qu’il
fut
, et ses livres en témoignent clairement, un antinazi de la première h
284
t de Michel Moret (1983)v Qui auriez-vous aimé
être
? Moi, mais pleinement réalisé. Le principal trait de votre caractère
285
ienté par ses gènes et par son milieu. La société
est
le résultat global des réussites et des échecs de ses efforts pour se
286
es de sa vocation unique. Pensez-vous que l’homme
soit
capable de progrès moral ? Je ne sais. Je le souhaite. C’est le vrai
287
us que, dans le monde, les libertés individuelles
sont
en progression ? Personne ne dispose des moyens de répondre à cette q
288
storique préféré ? Je dirais Guillaume Tell, s’il
était
« historique ». Vos musiciens préférés ? Monteverdi, Bach, Mozart et
289
sourde, et par moments presque désespérée, qui me
tenait
dès 1933 devant la montée vers la guerre hitlérienne : aujourd’hui co
290
rmais en présence. L’équilibre de la terreur, tel
est
le nom qu’ils ont inventé pour la paix. Nous disons que cet équilibre
291
la paix. Nous disons que cet équilibre ne saurait
être
maintenu jusqu’au bout que par la destruction totale, réciproque et s
292
encore de prévenir cette « solution finale » que
serait
, pour l’humanité tout entière, la guerre nucléaire. Ces « pacifistes
293
entière, la guerre nucléaire. Ces « pacifistes »
sont
montrés du doigt et insultés comme étant les vrais fauteurs de guerre
294
ifistes » sont montrés du doigt et insultés comme
étant
les vrais fauteurs de guerre, dans la presse à peu près unanime à l’o
295
la droite traditionnelle à la gauche dès qu’elle
est
au pouvoir. Il est donc entendu que ceux qui mettent en garde contre
296
nelle à la gauche dès qu’elle est au pouvoir. Il
est
donc entendu que ceux qui mettent en garde contre le nucléaire, sous
297
le nucléaire, sous toutes ses formes du système,
sont
de sinistres névrosés, acharnés à détruire, sans scrupules, la sacro-
298
tisans du désarmement nucléaire intégral, dont je
suis
. — Ils ont été traumatisés par la bombe d’Hiroshima. Vous non, sans d
299
ement nucléaire intégral, dont je suis. — Ils ont
été
traumatisés par la bombe d’Hiroshima. Vous non, sans doute ? Vous n’a
300
, sans doute ? Vous n’avez rien senti ? Voilà qui
est
grave. Névrosé est celui qui réagit d’une manière anormale à la cause
301
n’avez rien senti ? Voilà qui est grave. Névrosé
est
celui qui réagit d’une manière anormale à la cause de son angoisse :
302
néral, et de la dissuasion en particulier. — Ils
sont
manipulés par Moscou. Cette hypothèse suppose que les « pacifistes »,
303
dée d’une fin brutale et prochaine de l’humanité,
sont
nécessairement partisans d’une guerre « gagnée » par Moscou à la fave
304
tôt : « Si nous vous suivions, nous finirions par
être
à la fois rouges et morts. » Il est clair que Moscou ne saurait favor
305
inirions par être à la fois rouges et morts. » Il
est
clair que Moscou ne saurait favoriser les antinucléaires qu’à l’Ouest
306
res qu’à l’Ouest. Aussi bien, ces derniers ne s’y
sont
pas trompés : ils favorisent les mouvements pacifistes en RDA, en Pol
307
cifistes en RDA, en Pologne, en URSS même, où ils
sont
encore clandestins. Ils sont seuls à pouvoir le faire dans notre camp
308
en URSS même, où ils sont encore clandestins. Ils
sont
seuls à pouvoir le faire dans notre camp, où ils sont seuls aussi à n
309
seuls à pouvoir le faire dans notre camp, où ils
sont
seuls aussi à n’être pas manipulés par Washington. — Ils sont mal inf
310
aire dans notre camp, où ils sont seuls aussi à n’
être
pas manipulés par Washington. — Ils sont mal informés. Ce livre suffi
311
ussi à n’être pas manipulés par Washington. — Ils
sont
mal informés. Ce livre suffit pour répondre. (La désinformation systé
312
les médias et par certains experts payés pour ça,
est
le scandale majeur du xxe siècle.) III. Progrès des armements
313
au surplus des millions de chômeurs. Votre devise
serait
-elle : « plutôt la fin de l’Humanité que la ruine de ma société » ? O
314
plutôt morts que chômeurs » ? Cet « impossible »
est
pourtant seul possible. Avec des dizaines de milliers d’armes nucléai
315
nucléaires sur tous les continents et les humains
étant
ce qu’ils sont, les chances d’éviter dans les années qui viennent acc
316
ous les continents et les humains étant ce qu’ils
sont
, les chances d’éviter dans les années qui viennent accidents et malen
317
humain au xxe siècle Notre mort individuelle
est
inévitable, et pourtant nous faisons tout pour l’éviter. La guerre nu
318
s faisons tout pour l’éviter. La guerre nucléaire
est
évitable, et nous faisons tout ce qu’il faut pour qu’elle arrive.
319
des arsenaux nucléaires américain et soviétique)
est
absurde, et ne peut conduire qu’à des conclusions probablement fausse
320
ls grandissent, puisque les premiers tirs peuvent
être
décisifs. Mettons qu’aujourd’hui, les États-Unis aient de quoi tuer 3
321
s tous les humains. Mais comme les Soviétiques en
seraient
à 38 000, il est clair, me dit-on, qu’un effort gigantesque doit être
322
is comme les Soviétiques en seraient à 38 000, il
est
clair, me dit-on, qu’un effort gigantesque doit être demandé aux indu
323
t clair, me dit-on, qu’un effort gigantesque doit
être
demandé aux industries d’armes américaines to stop the gap, pour comb
324
is billes (ou missiles) et toi six, j’ai raison d’
être
inquiet. Mais si j’en ai 30 000 et toi 60 000, nous sommes « à égalit
325
quiet. Mais si j’en ai 30 000 et toi 60 000, nous
sommes
« à égalité » à toutes fins utiles, étant immergés l’un et l’autre da
326
, nous sommes « à égalité » à toutes fins utiles,
étant
immergés l’un et l’autre dans l’incommensurable et le non-sens. Que f
327
astrophisme » ? Vous oubliez que les prophètes
sont
là pour empêcher les catastrophes que vous préparez. Dans la traditio
328
Utinam vates falsus sim (Plaise au Ciel que je
sois
faux prophète) Et dans la tradition biblique, ce soupir déchirant du
329
deux réalités non comparables, car : 1° la Suisse
est
autre chose — elle est beaucoup plus — que l’économie suisse ; 2° la
330
rables, car : 1° la Suisse est autre chose — elle
est
beaucoup plus — que l’économie suisse ; 2° la Communauté économique e
331
Communauté économique européenne — même élargie —
est
autre chose — elle est beaucoup moins — que l’Europe unie. Les deux t
332
uropéenne — même élargie — est autre chose — elle
est
beaucoup moins — que l’Europe unie. Les deux titres qui me sembleraie
333
itres qui me sembleraient corrects et défendables
seraient
en conséquence : ou bien L’économie suisse et la CEE élargie ou bien
334
donner de la Suisse et de l’Europe unie, et leur
sont
— ou devraient leur être — subordonnées. Le thème primordial se ramèn
335
e l’Europe unie, et leur sont — ou devraient leur
être
— subordonnées. Le thème primordial se ramène donc dans tous les cas
336
ttitudes et de positions fondamentales. Si l’on n’
est
pas rigoureux dans l’énoncé du thème, on court des risques importants
337
continent européen. Or, je le répète, la Suisse n’
est
pas réductible à son économie, et prendre l’une pour l’autre n’est pa
338
e à son économie, et prendre l’une pour l’autre n’
est
pas une simple façon de parler pour aller vite, une métonymie, dit-on
339
mais une grave confusion des valeurs. Et l’Europe
est
bien autre chose que ce qu’on nomme ainsi à Bruxelles — où la CEE n’e
340
ue ce qu’on nomme ainsi à Bruxelles — où la CEE n’
est
en fait qu’un ensemble d’accords intergouvernementaux en vue d’harmon
341
e, c’est la Suisse et l’union européenne. Car je
suis
(depuis trente-cinq ans) profondément convaincu de ces trois vérités
342
r). 3. Toute formule d’union autre que fédérative
est
incompatible avec l’identité suisse. La question concrète est donc c
343
ble avec l’identité suisse. La question concrète
est
donc celle de savoir — à quel type d’Europe unie la Suisse pourrait-e
344
bourg ou Conseil de l’Europe (à 21). Trois autres
sont
faciles à imaginer, sinon à réaliser : un super-État européen, sur le
345
terdire d’innover dans ce domaine aussi, comme il
est
si bien vu de le faire dans le domaine des sciences physiques, dans c
346
e problème change de nature, radicalement. Car il
serait
dangereux de prétendre fonder et développer l’union sociale, écologiq
347
aine économique. Jean Monnet l’a cru possible. Ce
fut
à la fois le ressort de son action créatrice, et son illusion majeure
348
ns de leur réunion future avec les sept pays de l’
Est
actuellement satellisés par Moscou. Si cet élargissement-là (à des do
349
oins en moins capable de se joindre à la fête, ne
fût
-ce qu’en vertu de sa neutralité, mais plus encore, et d’une manière p
350
fédéraliste. b) Le cas de l’Europe de Strasbourg
est
plus simple. D’une part, la CE réunit vingt-et-un pays sur vingt-deux
351
déjà partie ; l’obstacle de la neutralité a donc
été
écarté. Mais le Conseil de l’Europe est sans pouvoirs. Il ne réunit q
352
té a donc été écarté. Mais le Conseil de l’Europe
est
sans pouvoirs. Il ne réunit que des ministres, en fin de compte, non
353
pation active de la Suisse à une union européenne
sont
faciles à formuler. Ce sont les trois suivantes : 1° la neutralité co
354
une union européenne sont faciles à formuler. Ce
sont
les trois suivantes : 1° la neutralité conçue comme refus de recourir
355
Suisse ne pourrait participer qu’à une union qui
serait
elle-même neutre, c’est-à-dire purement défensive. 2° Le fédéralisme
356
ulait naguère à propos des États-Unis, mais qu’il
est
facile de transposer en termes européens : Ne confiez jamais à une p
357
onfiez jamais à une plus grande unité ce qui peut
être
fait par une plus petite. Ce que la famille peut faire, la municipali
358
ense locale (guérilla, défense « en hérisson ») s’
est
montrée plus forte que les troupes les mieux armées du monde — au Vie
359
rement sur les Européens du seul fait que ceux-ci
sont
127 au km2 mais les Soviétiques seulement 11. Or les Russes sont cent
360
mais les Soviétiques seulement 11. Or les Russes
sont
cent fois mieux dotés que toute l’Europe en missiles stratégiques et
361
ucoup de mal aux envahisseurs. d) L’arme atomique
est
par définition offensive, menaçante, et l’adjectif « dissuasive » n’y
362
raite, et d’accepter l’idée que, finalement, elle
sera
contrainte de céder, c’est-à-dire d’adhérer à la CEE, doit prendre sa
363
que « la Suisse ne fait pas le poids », « qu’elle
est
trop petite », etc. Mais dans ma longue carrière d’historien des idée
364
tacles principaux à l’union des peuples européens
étant
la souveraineté nationale absolue d’une part, la division de l’Europe
365
rideau de fer d’autre part, les solutions doivent
être
cherchées dans ce qui permettrait de dépasser simultanément par en ha
366
erainetés nationales, et de ramener les pays de l’
Est
dans une communauté avec l’Ouest. Pour les contacts avec l’Est, la Su
367
communauté avec l’Ouest. Pour les contacts avec l’
Est
, la Suisse dispose désormais des accords d’Helsinki, seuls à rassembl
368
l’exception des trois États baltes). Pour ce qui
est
du dépassement progressif des cadres stato-nationaux, la Suisse peut
369
urg, Innsbruck, Galway, Bordeaux. Les progrès ont
été
si rapides qu’à Bordeaux, en 1978, on a discuté sérieusement la possi
370
mes articles, conférences et livres. Pour ce qui
est
du dépassement de l’économisme de Bruxelles, et de faire face au prob
371
la n’a aucune importance : la Constitution suisse
est
intitulée Constitution fédérale de la Confédération suisse, et cela n
372
Possibilités ? Rêveries ? La Suisse a toujours
été
, dès les débuts du xiiie siècle, à contre-courant des évolutions d’e
373
écrit (notamment l’historien E. Gagliardi) : elle
est
demeurée jusqu’en notre siècle le seul témoin du mouvement des commun
374
ique unité et germe de l’union à venir, la Suisse
est
plus que jamais nécessaire à l’Europe à condition qu’elle reste suiss
375
mmunes et plus tard cantons. Voilà pourquoi il ne
serait
pas du tout anormal, et peut-être même bénéfique, qu’elle soit la der
376
out anormal, et peut-être même bénéfique, qu’elle
soit
la dernière à rejoindre une union fédérale de nos peuples, dont elle
377
une union fédérale de nos peuples, dont elle aura
été
, dans le même temps, la première figuration et la promesse. r. Ro
378
rier 1983)x Le maréchal von Hindenburg vient d’
être
réélu président de la République, en avril 1932, contre l’agitateur H
379
poral Adolf Hitler, né Autrichien, et qui vient d’
être
naturalisé. Ce jour-là, devant le vieil aristocrate prussien surcharg
380
isfait. Dans leur poignée de main peu croyable se
sont
noués les destins de notre siècle. La défaite de 1918 avait précipité
381
yse de cette situation initiale. Car l’hitlérisme
est
né de la rencontre absolument irrationnelle, et j’oserais dire antipr
382
i nul en soi, phénomène d’envergure mondiale, tel
fut
l’homme, tel demeure son mystère. Les effets fracassants déclenchés d
383
ants déclenchés dans le siècle par son apparition
sont
bien connus : on n’y retrouve pas, à l’analyse, la moindre trace de s
384
à l’analyse, la moindre trace de sa personne. Il
fut
ces effets, et rien d’autre. Démontrer qu’il n’a pas existé serait un
385
, et rien d’autre. Démontrer qu’il n’a pas existé
serait
un jeu : père inconnu, cadavre disparu, témoignages contradictoires d
386
ue, ce quasi-néant d’homme ridicule et tragique a
été
le prophète du Néant collectif, où il a presque réussi à entraîner to
387
C’est ainsi que je l’ai senti, éprouvé de tout l’
être
, enregistré au radar de quelque intuition subconsciente. Et prédit sa
388
derniers jours du bon vieux temps européen ». Ce
fut
la guerre, cinq mois plus tard. Le 17 juin 1940, j’écrivais dans un j
389
erai dans Paris ». Il y entre en effet, mais ce n’
est
plus Paris. Et telle est sa défaite irrémédiable devant l’esprit, dev
390
ntre en effet, mais ce n’est plus Paris. Et telle
est
sa défaite irrémédiable devant l’esprit, devant le sentiment, devant
391
tation stupéfiante de cet homme et de cette ville
était
peut-être nécessaire pour faire comprendre au monde entier qu’il est
392
saire pour faire comprendre au monde entier qu’il
est
des victoires impossibles… Enfin, on peut lire dans La Part du diabl
393
42, trois ans avant la mort du Führer : Hitler s’
est
tu. L’aventure a pris fin dans la catastrophe prévue. Et devant le ca
394
avec une stupéfaction mêlée de honte : « Comme il
était
petit ! Il n’était grand, comme Satan lui-même, que de la grandeur de
395
on mêlée de honte : « Comme il était petit ! Il n’
était
grand, comme Satan lui-même, que de la grandeur de nos misères secrèt
396
Burckhardt, haut-commissaire de la SDN à Dantzig,
est
reçu en audience par le Führer : il s’agit d’une ultime tentative pou
397
rquoi ? gémit le Führer, mais parce que moi je ne
suis
rien, je n’ai que mon prestige vis-à-vis de mon peuple ! Je ne suis q
398
que mon prestige vis-à-vis de mon peuple ! Je ne
suis
qu’un petit homme du commun ! Si je perds mon prestige, je perds tout
399
! Vous, monsieur Burckhardt, vous savez qui vous
êtes
, vous êtes de la grande famille Burckhardt de Bâle. Vous pourriez vou
400
nsieur Burckhardt, vous savez qui vous êtes, vous
êtes
de la grande famille Burckhardt de Bâle. Vous pourriez vous moquer d’
401
riez vous moquer d’un tel article. Mais moi je ne
suis
qu’un prolétaire ! » Ce prolétaire en uniforme, ce petit homme du com
402
ne sait pas de quoi parler. Ce vide du personnage
est
essentiel : il est la condition de sa « mission » satanique. Certes,
403
parler. Ce vide du personnage est essentiel : il
est
la condition de sa « mission » satanique. Certes, Hitler n’était pas
404
ion de sa « mission » satanique. Certes, Hitler n’
était
pas le diable. Mais certains ont pensé, pour l’avoir éprouvé en sa pr
405
a présence par un frisson d’horreur sacrée, qu’il
était
le siège d’une « domination », d’un « trône », d’un « génie » ou d’un
406
Une seule chaîne de SS le séparait de la foule. J’
étais
au premier rang, à trois mètres de lui, marchant à la hauteur de la v
407
descendu très facilement. Mais ce bon tireur ne s’
est
jamais trouvé dans cent occasions analogues. Voilà le principal de c
408
u même délirer… On ne tire pas sur un homme qui n’
est
rien et qui est tout. On ne tire pas sur un petit-bourgeois qui est l
409
On ne tire pas sur un homme qui n’est rien et qui
est
tout. On ne tire pas sur un petit-bourgeois qui est le rêve de soixan
410
t tout. On ne tire pas sur un petit-bourgeois qui
est
le rêve de soixante millions d’hommes. On tire sur un tyran, ou sur u
411
n, ou sur un roi, mais les fondateurs de religion
sont
réservés à d’autres catastrophes. Le Führer déclarait un jour : « Je
412
fester qu’autant que l’individu ne compte plus, n’
est
que le support d’une puissance qui échappe à nos psychologies… On me
413
à nos psychologies… On me demande sottement s’il
est
intelligent. Ne voit-on pas qu’un homme intelligent, si cela compte e
414
l. En ce sens démoniaque du terme, un « génie » n’
est
ni fou ni bête, ni sensé ni intelligent. Il ne s’appartient pas, n’a
415
de compte en banque, et à peine un état civil. Il
est
le lieu de passage des forces de l’Histoire, le catalyseur de ces for
416
l’Histoire, le catalyseur de ces forces qui déjà
sont
dressées devant vous ; et après cela, vous pouvez le supprimer sans r
417
ouvez le supprimer sans rien détruire de ce qui s’
est
fait par lui. Un homme quelconque, transfiguré par sa ténébreuse « m
418
, raciste et adorateur du sang et de la guerre, s’
est
présenté à nous comme un malheur plus étendu et plus profond que l’hi
419
jusqu’ici. Le Guide de l’inconscient Tout s’
est
passé comme si Hitler, ayant posé le diagnostic exact de notre sociét
420
l’Europe du xxe siècle, le sens de la communauté
est
en train de disparaître, mais le besoin « d’être ensemble » demeure v
421
é est en train de disparaître, mais le besoin « d’
être
ensemble » demeure vital. La communauté est détruite par toutes les f
422
« d’être ensemble » demeure vital. La communauté
est
détruite par toutes les forces de dissociation — rationalisme bourgeo
423
t le Führer, le Guide de l’inconscient du peuple,
est
en même temps conscient de son opération, lucide et froid comme le Se
424
pérer : Tous les grands mouvements de l’Histoire
sont
des éruptions volcaniques de passions et de sensations spirituelles p
425
passions et de sensations spirituelles provoquées
soit
par la cruelle déesse de la Misère, soit par la torche de la parole j
426
ovoquées soit par la cruelle déesse de la Misère,
soit
par la torche de la parole jetée dans les masses. Seule une tempête d
427
uit les plus grands changements dans le monde ont
été
trouvées non pas dans la connaissance scientifique, mais dans le fana
428
ie spirituelle, chômage et inflation… Sa parole n’
est
d’abord que le ressassement de ces malheurs occidentaux et du superla
429
rande cérémonie sacrale d’une religion dont je ne
suis
pas, et qui m’écrase et me repousse avec bien plus de puissance, même
430
sique, que tous ces corps horriblement tendus. Je
suis
seul et ils sont tous ensemble. Un désastre mondial Dès avant
431
es corps horriblement tendus. Je suis seul et ils
sont
tous ensemble. Un désastre mondial Dès avant la guerre de 1939
432
1939, la majorité des humains savaient qu’Hitler
était
le nom d’un désastre imminent et mondial. Pourtant, on ne l’a pas arr
433
t alors à l’inquiétude de trop rares observateurs
était
la suivante : « Comment se peut-il que des individus ‟normaux” devien
434
su répondre à la question centrale du siècle, qui
est
religieuse au sens élémentaire de ce terme, sens vital et mortel à la
435
et de la Haine. L’idolâtrie du sang et du sol n’
est
autre chose, selon nous, qu’un retour offensif du culte cananéen de B
436
issent : ceux de Moloch, dans la mesure où Moloch
est
l’idole tribale qui réclame des sacrifices humains et donne en échang
437
r un théologien anonyme dont j’ignore encore s’il
était
chrétien ou juif, dévoilait le mystère profond de l’hitlérisme, en mê
438
sens « païen » et non chrétien. Mais le désastre
était
inscrit dans les données de l’aventure hitlérienne. Fondée sur le Mal
439
le des autres. Mais le rêve de Puissance totale n’
est
qu’un cauchemar. Une nation ne peut le rêver, le mimer et l’agir que
440
nuits entières. C’est que la formule totalitaire
est
à jamais inapplicable : une idée de fou. Il ne saurait y avoir toute-
441
re chaque homme en particulier, le personnel, tel
fut
le péché constitutif du national-socialisme. L’Occident n’a pas eu de
442
isme. L’Occident n’a pas eu de pire ennemi, et il
est
loin d’être certain qu’il ait été vaincu ailleurs que dans les ruines
443
ident n’a pas eu de pire ennemi, et il est loin d’
être
certain qu’il ait été vaincu ailleurs que dans les ruines de Berlin.
444
e ennemi, et il est loin d’être certain qu’il ait
été
vaincu ailleurs que dans les ruines de Berlin. Hitler donnait la pire
445
ponse, à la question centrale de notre temps. Tel
fut
son vrai Pouvoir, et j’écrivais alors : « Seul un prophète peut lui r
446
Autour de l’Avenir
est
notre affaire : conclusions (1984)ab La première conclusion que je
447
e que j’ai connu jusqu’ici. Vous savez comment il
est
né : de l’envoi à des centaines de personnes d’une circulaire exposan
448
t prouvé leur intérêt en envoyant des textes : ce
sont
ceux que nous avons discutés ici. Il y a donc eu d’une part quelque c
449
nt, mais d’autre part, une motivation commune qui
est
peut-être plus importante que celle que l’on trouve dans beaucoup de
450
onnaît toujours plus ou moins d’avance. Ici, nous
sommes
dans un état d’esprit complètement différent. Nous ne nous connaissio
451
outes sortes de milieux, de forme de vie, nous ne
sommes
pas ce que l’on appelle en allemand des Kongress Tiere, des « bêtes d
452
ndation Veillon d’avoir pris cette initiative qui
est
une création en son genre, et dont peut-être pourront sortir quelques
453
ir quelques idées neuves. Je pense aussi que vous
serez
tous d’accord pour remercier la Fondation Charles Veillon non seuleme
454
couvent avec son cloître et sa chapelle, que nous
sommes
si heureux d’avoir découvert. Cher Monsieur Veillon, puis-je vous pri
455
a préhistoire de mon livre, puisque c’est lui qui
est
l’occasion de notre colloque. J’avais passé la première année de la g
456
sé dans l’armée suisse, mais dès octobre 1940, je
fus
envoyé en Amérique où j’étais sans doute moins gênant pour notre neut
457
dès octobre 1940, je fus envoyé en Amérique où j’
étais
sans doute moins gênant pour notre neutralité, chargé d’une mission d
458
le diable , et l’autre sur la bombe atomique . Je
suis
rentré une première fois en Europe, au printemps de 1946, invité par
459
storique, si tôt après la guerre. Tout le monde s’
est
accordé sur l’idée que le sujet le plus important de l’heure, c’était
460
le traduire en union politique de nos peuples. Je
suis
retourné pour quelques mois aux États-Unis, puis rentré définitivemen
461
is, puis rentré définitivement en août 1947, et j’
étais
à peine installé près de Genève, quand j’ai reçu la visite de deux am
462
l’action fédéraliste européenne, en m’offrant de
tenir
le discours inaugural du premier congrès des fédéralistes européens,
463
ropéens, qui allait se dérouler à Montreux. Je me
suis
trouvé vraiment catapulté dans cette action. Comme j’étais un peu res
464
uvé vraiment catapulté dans cette action. Comme j’
étais
un peu responsable de la création du concept d’engagement de l’écriva
465
gement de l’écrivain, dès 1932-1933 (quand Sartre
était
encore dans les langes, politiquement parlant), je me suis senti « ob
466
re dans les langes, politiquement parlant), je me
suis
senti « obligé », en quelque sorte. J’ai dit à mes amis : « Je suis p
467
é », en quelque sorte. J’ai dit à mes amis : « Je
suis
prêt à donner deux ans de ma vie à la cause européenne, et tant pis p
468
is pour mon œuvre littéraire… » Et me voilà : j’y
suis
encore après trente-trois ans. Je dois avouer, cependant, que je me s
469
e-trois ans. Je dois avouer, cependant, que je me
suis
arrangé pour écrire un peu, en marge de cette seule activité. De 1947
470
nt de ma famille neuchâteloise… Mais cela n’a pas
été
facile, car à la suite d’une série de grandes manifestations, telles
471
ions, dont le Centre européen de la culture. J’ai
été
son directeur-fondateur à partir de 1949. Tout a dû être créé à parti
472
n directeur-fondateur à partir de 1949. Tout a dû
être
créé à partir de zéro, et avec très peu d’argent, car les gouvernemen
473
puis à la Fondation européenne de la culture, qui
est
aujourd’hui à Amsterdam ; puis à une dizaine d’associations européenn
474
ne Campagne d’éducation civique européenne, qui a
été
reprise récemment par Bruxelles. Nous avons donc fait du militantisme
475
rice. Mais bientôt les mouvements fédéralistes se
sont
mis à décliner. Ils n’avaient au fond plus grand-chose à se mettre so
476
er : « Unissons-nous, unissons-nous ! » Mais ce n’
était
pas le moyen de nourrir une action précise, étant donné qu’aux yeux d
477
était pas le moyen de nourrir une action précise,
étant
donné qu’aux yeux de nos gouvernements, les choses sérieuses, c’était
478
ays seulement, sur les 23 de l’Europe de l’Ouest.
Soit
dit en passant : j’estime abusif que l’on parle aujourd’hui du Parlem
479
arlement européen pour désigner l’assemblée qui a
été
élue ce printemps et qui vient de se réunir à Strasbourg. Elle n’est
480
ps et qui vient de se réunir à Strasbourg. Elle n’
est
ni un parlement, ni européenne au sens plein du terme : c’est une ass
481
le dire comme cela chaque fois qu’on en parle, il
est
plus simple de dire : le Parlement européen. Mais c’est une usurpatio
482
. Mais c’est une usurpation de terme, et qui peut
être
dangereuse, parce qu’elle laisse entendre que cette assemblée, à part
483
, je ne vois pas en quoi et pourquoi des gens qui
sont
d’excellents experts économiques seraient chargés du développement cu
484
es gens qui sont d’excellents experts économiques
seraient
chargés du développement culturel de l’Europe. Cela n’est pas leur af
485
gés du développement culturel de l’Europe. Cela n’
est
pas leur affaire. Le Conseil de l’Europe, à Strasbourg, serait de bea
486
ur affaire. Le Conseil de l’Europe, à Strasbourg,
serait
de beaucoup un meilleur candidat à la fonction de noyau de l’Europe f
487
lement européen à élire au suffrage universel, ce
serait
évidemment à celui du Conseil de l’Europe qu’on devrait donner des po
488
rait donner des pouvoirs législatifs. Tout ceci n’
est
pas seulement une espèce de parenthèse que je referme maintenant, mai
489
re dans mon projet de vous expliquer comment j’ai
été
appelé à écrire L’Avenir est notre affaire . Au cours de la dernièr
490
liquer comment j’ai été appelé à écrire L’Avenir
est
notre affaire . Au cours de la dernière décennie, il s’est passé deu
491
affaire . Au cours de la dernière décennie, il s’
est
passé deux choses : d’une part, la décadence accélérée du mouvement f
492
éralistes européens. Durant cette même décennie s’
est
développée l’idée de région, sur laquelle nous avions tenu de nombreu
493
loppée l’idée de région, sur laquelle nous avions
tenu
de nombreux colloques à Genève dès 1962. De cette convergence est née
494
colloques à Genève dès 1962. De cette convergence
est
née dans mon esprit l’idée d’un slogan, offert par la suite aux group
495
te aux groupements d’écologistes français, et qui
est
en somme un résumé de mon livre, c’est : « Écologie – régions – Europ
496
car un combat, cela peut se perdre, tandis qu’il
est
évident que ni l’écologie, ni les régions, ni la fédération européenn
497
able de celui des deux autres : ces trois avenirs
sont
organiquement, génétiquement liés. Je ne saurais vous donner une just
498
s le monde entier. À partir de ce soir-là, tout s’
est
organisé dans ma tête vers cette synthèse d’économie, d’éthique et de
499
de telle manière que toute notre économie en eût
été
complètement bouleversée —, je prenais l’image d’une grosse boule de
500
ié, parce que quelques semaines après le tournage
est
arrivée la guerre du Kippour et la confirmation concrète de ce que j’
501
cause de ce délai imposé par les événements, il s’
est
trouvé que mon livre, pour une fois, n’arrivait pas trop tôt ! Pendan
502
es par le présent colloque, auquel je n’avais pas
été
habitué par mes autres livres, trop difficiles ou trop en avance sur
503
e semble avoir caractérisé notre colloque. Cela s’
est
centré tout de suite et tout naturellement sur le problème des région
504
de la guerre qui résume toutes les menaces et qui
est
la pollution majeure de la terre. J’entends la guerre nucléaire. Aujo
505
J’entends la guerre nucléaire. Aujourd’hui, il n’
est
pas question d’autre chose. Tous nos États-nations préparent la guerr
506
ts-nations préparent la guerre. Non seulement ils
sont
nés de la guerre, il y a soixante ans (les traités de « banlieue », V
507
nquante ans, ou deux-cents ans (1789 !), mais ils
sont
entretenus par la guerre ; tous leurs rapports avec l’économie sont r
508
r la guerre ; tous leurs rapports avec l’économie
sont
réglés par la préparation à la guerre, ultima ratio de toutes les mes
509
» Mais cette guerre, à quoi peut-elle servir ? Ce
sont
les États-nations seuls qui auront le droit de peser sur le bouton ro
510
des radiations ! » Mais, vous imaginez ce qu’ils
seraient
? De pauvres hères, qui chercheraient à se nourrir de choses pas trop
511
rop irradiées, qui vivraient dans la terreur, qui
seraient
tous plus ou moins fous et condamnés à terme. Le seul moyen si l’on v
512
seul moyen si l’on veut éviter cette guerre, qui
serait
comme on l’a dit hier le grand incendie final, la fin de l’histoire,
513
e l’univers, du moins de l’humanité civilisée, ce
serait
de trouver une autre forme de communauté humaine que les États-nation
514
une logique du vivant, et non pas du minéral, qui
est
le domaine des techniques dures comme je l’ai dit tout à l’heure. C’e
515
technique qui fait que nous oublions l’humus, qui
est
la base de tout, comme vient de nous le rappeler M. Birre. À tout cel
516
a germination, qui peut fissurer des rochers, qui
est
irrésistible, parce qu’elle sort de partout, et non d’un centre que l
517
paraît symboliser cette nouvelle tendance. Ceci a
été
très bien mis en relief par plusieurs d’entre vous, par plusieurs des
518
ssi par le travail de Jacques Juillet, qui n’a pu
être
des nôtres. Il s’agit de l’opposition entre ce qui vient d’en haut, d
519
entière, l’humanité entière. L’union de l’Europe
serait
donc, à mon sens et dans cette perspective, qui n’est pas celle des É
520
donc, à mon sens et dans cette perspective, qui n’
est
pas celle des États, mais des régions, le moyen de restaurer la paix.
521
des régions, le moyen de restaurer la paix. Elle
serait
aussi le seul moyen de lutter contre les menaces de guerre qui pèsent
522
’a plus au-dedans ». L’Europe, unie — j’insiste —
est
impossible à concevoir à partir des États-nations ; c’est un cercle c
523
santhropes veulent une amicale, mais alors ils ne
sont
plus misanthropes, ou bien ils restent misanthropes, mais alors ils n
524
icale, ou seulement pour tromper le monde, ce qui
est
le cas actuellement. L’État-nation, d’autre part, n’est plus une form
525
cas actuellement. L’État-nation, d’autre part, n’
est
plus une formule viable. Nous n’avons pas, j’insiste, à le renverser.
526
ns pas, j’insiste, à le renverser. Je crois qu’il
serait
tout à fait illusoire de donner comme but à la jeunesse de s’emparer
527
léphones, d’uniformes, d’armes peut-être — cela n’
est
pas sûr, les armes de la Révolution de 1917 ont très vite changé de m
528
le seul moyen de forcer l’attention générale. Je
suis
résolument pour la non-violence, sauf dans ce cas-là, à condition que
529
lence, sauf dans ce cas-là, à condition que ce ne
soit
pas dirigé contre des hommes, mais contre des relais du pouvoir centr
530
t il n’y a pas de participation possible, qu’elle
soit
civique, économique ou politique. Il ne faut donc pas vouloir imposer
531
donc pas vouloir imposer un modèle de régions qui
serait
le même partout : cela reviendrait à un modèle réduit d’État-nation,
532
ir compte d’aucune réalité spécifique. Nous avons
été
tout de suite, je crois, assez profondément d’accord pour reconnaître
533
ssité des régions ; même celui d’entre nous qui a
été
le plus réservé, M. Knoepfler, du Conseil municipal de Neuchâtel, est
534
M. Knoepfler, du Conseil municipal de Neuchâtel,
est
persuadé que la région, c’est une bonne chose, mais il se pose des qu
535
entés ici, celui de M. Coutelier, entre autres, y
sont
revenus. M. Norton a apporté des vues très importantes sur cette noti
536
hier et dont l’avis m’importait beaucoup, car il
est
l’un des responsables de la planification et de l’aménagement du terr
537
iques en intersections, et il s’agit de voir quel
est
le plus dense ensemble d’intersections, qui serait le nœud de la régi
538
l est le plus dense ensemble d’intersections, qui
serait
le nœud de la région), cette notion, donc, pose une quantité de probl
539
ponses claires, nettes, et définitives. Mais j’ai
été
encouragé par cette phrase du professeur Norton, que j’ai recopiée po
540
n avance, donc « chemin faisant ». Chemin faisant
est
une merveilleuse expression qui évoque quelque chose de très profond
541
sur mon chemin que je le crée. « Chemin faisant »
est
une phrase qui va tout à fait au fond de la chose. Bien d’autres ont
542
out à fait au fond de la chose. Bien d’autres ont
été
dites ici, qui m’ont encouragé. Et quand je pense à vos travaux et à
543
e mon cas personnel pour illustrer mon exposé. Je
suis
né dans l’ancienne principauté de Neuchâtel, qui n’est devenue canton
544
é dans l’ancienne principauté de Neuchâtel, qui n’
est
devenue canton suisse qu’en 1848. C’est ma patrie, c’est là que ma fa
545
1848. C’est ma patrie, c’est là que ma famille s’
est
développée, que j’ai passé mes vingt premières années et que j’ai mes
546
ntisme, réalité mondiale et sans frontière. (Si j’
étais
catholique, ou communiste, ce serait pareil.) De plus, je fais partie
547
ntière. (Si j’étais catholique, ou communiste, ce
serait
pareil.) De plus, je fais partie d’une quantité de sociétés, qui m’en
548
és, qui m’engagent plus ou moins et dont les buts
sont
très différents, les unes en Amérique, les autres en Europe, en Franc
549
é. Si on la décrivait d’une manière théorique, ce
serait
horriblement compliqué, mais quand on le vit, comme vous la vivez tou
550
ette idée de la pluralité des allégeances, qui ne
sont
pas contradictoires en fait : première direction de recherches. Deuxi
551
géométrie variable ? » Si l’on dit que le pouvoir
est
d’abord aux communes, on peut très bien imaginer que celles-ci se gro
552
es, qui donnent déjà une image de ce que pourrait
être
cette géométrie variable. De même, plusieurs communes pourraient form
553
out à l’heure, en entendant parler M. Birre, il m’
est
venu une autre idée. Dans la grande discussion sur les régions introd
554
e on l’a dit ce matin, les villes, au fond, elles
sont
« nulle part », elles ont détruit souvent leur relief, et toujours le
555
ouvent leur relief, et toujours leur humus. Elles
sont
donc dans l’utopie. Il faut fonder des régions sur la réalité. Alors,
556
ens ; noyau ferme et territorial de la région qui
serait
plutôt l’écorégion définie par un certain humus ou une certaine varié
557
. Toute fédération, toute organisation fédérative
est
et doit rester complexe, parce qu’elle veut coller à la réalité physi
558
t de même, à la base du fédéralisme et quelle que
soit
l’infinie complexité de ses réalisations, un principe très simple qui
559
de ses réalisations, un principe très simple qui
est
celui que l’on a appelé dans les écoles sociologiques catholiques de
560
’applique naturellement aux États-Unis, mais elle
est
très facile à transposer en termes européens, voire suisses. La voici
561
onfiez jamais à une plus grande unité ce qui peut
être
fait par une plus petite. Ce que la famille peut faire, la municipali
562
édération européenne. Un certain nombre de tâches
sont
trop grandes pour être réglées par la fédération européenne, et pour
563
n certain nombre de tâches sont trop grandes pour
être
réglées par la fédération européenne, et pour celles-là, il faut des
564
monde, c’est-à-dire de la création du désert qui
est
si grave au Brésil, en Afrique et au Canada. Le problème de la destru
565
uième de l’oxygène que nous respirons. Comme nous
sommes
en train de détruire les deux, je ne sais pas très bien comment nos É
566
aine. Je voudrais insister, car je crois que cela
est
important pour tout notre propos, sur l’absence de contradictions ent
567
ficités locales, les différences quelles qu’elles
soient
, et la volonté de se fédérer en ensembles toujours plus vastes. Beauc
568
même mouvement qui crée les deux. Une seule chose
serait
détruite au passage : l’État-nation. Je voudrais vous rappeler l’impo
569
is vous rappeler l’importance du mot commune, qui
est
tellement riche. Les choses que l’on a en commun, les choses communes
570
ticulière pour nous, Suisses, parce que la Suisse
est
née d’un pacte conclu au xiiie siècle entre trois « communes foresti
571
. Elles ont créé un pouvoir commun de défense qui
était
réel mais limité à cela, et les laissait libres pour le reste. Il s’a
572
e dit commune dans le latin du pacte de 1291, qui
est
la base de notre fédération : cela se dit universitas. Voilà qui m’a
573
ent fait impression quand j’avais 15 ou 16 ans, a
été
l’Éthique de Spinoza, où j’ai trouvé ce théorème : « D’autant plus no
574
r. Donc, s’occuper des communes, vouloir qu’elles
soient
libres et responsables d’elles-mêmes, ce n’est pas du tout s’enfermer
575
soient libres et responsables d’elles-mêmes, ce n’
est
pas du tout s’enfermer dans son clocher, c’est au contraire, par la p
576
Je crois que cela, c’est la philosophie qui doit
être
à la base de tout ce que nous imaginons de la région. Cela a été en t
577
e tout ce que nous imaginons de la région. Cela a
été
en tout cas à la base de ce qu’avec mes amis Mounier, Alexandre Marc,
578
ersonnaliste et communautaire. Dès le début, il n’
était
pas question de séparer la personne de la communauté, c’est-à-dire, l
579
e particulier de l’universel ; au contraire, l’un
était
la condition de l’autre. Qu’on ne me dise pas que tout cela est utopi
580
on de l’autre. Qu’on ne me dise pas que tout cela
est
utopique, car au contraire, nous, les régionalistes-écologistes, nous
581
traire, nous, les régionalistes-écologistes, nous
sommes
peut-être les seuls réalistes d’aujourd’hui. À ceux qui nous disent v
582
e paraît significatif que dans ce colloque, il se
soit
trouvé que le premier rapport, celui de M. Hell, portait sur des chos
583
que Paul Valéry a écrit là-dessus (et qui devrait
être
complété) : « Est Européen tout homme qui a subi profondément les inf
584
crit là-dessus (et qui devrait être complété) : «
Est
Européen tout homme qui a subi profondément les influences de Rome, d
585
valeurs germaniques et les valeurs celtiques, qui
sont
aussi importantes à bien des égards, plus près de nous, et qui ont re
586
ure européenne tellement créatrice, c’est qu’elle
est
tissée d’antinomies. La foi qui sauve, c’est chrétien, mais la raison
587
ocales, c’est grec et c’est germanique, mais ce n’
est
pas romain. L’aventure, la quête spirituelle, c’est celtique. Les val
588
disent les valeurs chrétiennes d’humilité. Or, ce
sont
ces antinomies qui ont donné à la culture européenne et à l’Europe da
589
amisme extraordinaire. Toutes les autres cultures
sont
beaucoup plus uniformes et homogènes. Ce sont ces évidences historiqu
590
res sont beaucoup plus uniformes et homogènes. Ce
sont
ces évidences historiques qui m’ont toujours empêché de prendre l’éco
591
e de bâtir l’Europe sur l’économie d’abord. Je me
suis
amusé à faire des petites études sur les rythmes de mobilité des prin
592
érifier, que le rythme de variabilité des langues
est
de l’ordre du millénaire. Prenons le triangle dont le sommet est Belf
593
du millénaire. Prenons le triangle dont le sommet
est
Belfort, et dont la base va du Val d’Aoste à Saint-Étienne en passant
594
rlé de l’an 900 jusqu’aux débuts du xixe siècle,
soit
près de mille ans, le franco-provençal, qui est une langue différente
595
soit près de mille ans, le franco-provençal, qui
est
une langue différente, quoiqu’apparentée à la fois à la langue d’oc e
596
oi ! Le chant national des Genevois Cé qu’è lainô
est
du pur franco-provençal. Quelque chose de tout cela subsiste, probabl
597
d’autres comme la mobilité de nos frontières, qui
sont
à peine centenaires. J’ai calculé la moyenne d’âge des frontières de
598
t varié dans des proportions inouïes. La France a
été
pendant longtemps le petit « pré carré » entre Paris, Bourges, Orléan
599
pré carré » entre Paris, Bourges, Orléans, puis s’
est
agrandie par annexions et conquêtes jusqu’en 1861. Elle a très peu va
600
61. Elle a très peu varié au xxe siècle. Mais on
est
étonné de voir que ce rythme de mobilité est au maximum centenaire. D
601
s on est étonné de voir que ce rythme de mobilité
est
au maximum centenaire. Donc rythme millénaire des langues, rythme à p
602
Quant au rythme des variations économiques, il n’
est
même pas de dix ans, plutôt de cinq ans. Il suffit que vous implantie
603
potentiel et ses relations économiques. Donc, il
serait
faux de baser l’Europe, cette immense construction, sur ce qu’il y a
604
a de plus fragile, de plus variable, et qui peut
être
ruiné : l’économie. Il faut la fonder sur l’humus, l’humus de l’histo
605
ais vous rappeler quelques-unes de celles qui ont
été
suggérées. Dans le papier de M. Jacques Juillet, il y a une suggestio
606
. Jacques Juillet, il y a une suggestion qui peut
être
très importante : celle d’une union européenne des maires. Certes, il
607
sociation à association. C’est la seule chose qui
soit
à notre portée, qui n’entraîne pas de dépenses gigantesques comme la
608
propagation d’informations réelles, la propagande
étant
exactement le contraire. Et enfin, j’y reviens, il y a l’apport, capi
609
t beaucoup d’autres parmi vous. Je crois que nous
sommes
tous d’accord là-dessus. Je crois aussi qu’il faudrait élargir les ap
610
lement d’un institut mais d’une grande action qui
serait
à la fois à l’échelle régionale et à l’échelle planétaire, et qui dev
611
partir d’une conférence mondiale dont les thèmes
seraient
: l’humus, la protection des océans, le plancton, les forêts, l’air,
612
s prenant force de loi dans tous les pays membres
serait
peut-être le dernier moyen de redresser le cours des choses. ab. R
613
. ab. Rougemont Denis de, « Autour de L’Avenir
est
notre affaire III : Conclusions », Autour de L’Avenir est notre affai
614
e affaire III : Conclusions », Autour de L’Avenir
est
notre affaire. Entretiens de Crêt-Bérard, Lausanne, Fondation Charles
615
Autour de l’Avenir
est
notre affaire : réponse à Raimondo Strassoldo (1984)aa Dans la not
616
erse qu’évoque la lecture de son texte et qu’il n’
est
d’accord avec moi sur à peu près rien ! En réalité, je le connais ass
617
ans je crois lui faire tort, que tout d’abord, il
est
italien et qu’il aime s’amuser ; que son papier, comme il le dit, ne
618
quement des louanges et des applaudissements — ce
serait
mal vu dans une séance comme celle-là ! — mais va se concentrer sur l
619
s points. Je dirai pour simplifier que son papier
est
un exercice de « grève du zèle » comme les douaniers le font de temps
620
C’est un exercice comparable auquel Strassoldo s’
est
livré. Sa formule générale, c’est de présenter les objections qui pou
621
er à bout, jusqu’à montrer que finalement, rien n’
est
possible. C’est un jeu qui peut être instructif pour tous, mais le se
622
ement, rien n’est possible. C’est un jeu qui peut
être
instructif pour tous, mais le sera certainement pour moi d’abord. Je
623
n jeu qui peut être instructif pour tous, mais le
sera
certainement pour moi d’abord. Je vais reprendre quelques-uns de ses
624
ldo, les critiques que je fais à l’État-nation ne
sont
pas suffisantes, car c’est tout le système international qu’il faudra
625
l qu’il faudrait réformer en même temps. L’Europe
est
trop petite pour que l’on s’arrête à elle seule. Bien entendu, il a p
626
l’on ne peut entreprendre une réforme que si l’on
est
sûr qu’elle est réalisable partout ! C’est la première démarche de l’
627
reprendre une réforme que si l’on est sûr qu’elle
est
réalisable partout ! C’est la première démarche de l’utopisme. Je rép
628
l’utopisme. Je réponds : « Commençons par ce qui
est
à notre portée. » II. Des implications logiques de la « petite éch
629
tence de la crise actuelle, sans laquelle nous ne
serions
pas amenés à discuter ici le problème des régions. S’il y a crise, s’
630
de l’État-nation, c’est parce que l’État-nation n’
est
justement plus capable de maintenir ce qu’il promettait : ces hauts n
631
e, cette défense indépendante du territoire. S’il
était
capable de faire tout cela, on lui dirait : « Bon, continue, cela va
632
! » Strassoldo le sait mieux que personne, ayant
été
l’un des promoteurs de cette belle région transfrontalière Carinthie-
633
t l’un, la Yougoslavie, fait partie des pays de l’
Est
, ce qui est un grand succès pour notre mouvement. Quant à « exclure »
634
ougoslavie, fait partie des pays de l’Est, ce qui
est
un grand succès pour notre mouvement. Quant à « exclure » la possibil
635
s dans des dimensions assez petites pour qu’elles
soient
maîtrisables et que les conflits puissent devenir productifs au lieu
636
es conflits puissent devenir productifs au lieu d’
être
tout simplement anéantissants, comme ils le sont à l’échelle des gran
637
’être tout simplement anéantissants, comme ils le
sont
à l’échelle des grands États-nations. IV. De la nécessité des fond
638
s résultats que vous voyez autour de nous, que se
sont
dressés les personnalistes des années 1930, et ensuite les fédéralist
639
er à Crêt-Bérard ! Vous vous doutez bien que ce n’
est
pas ici que nous trouverons des réponses à ce genre de questions. D’a
640
régionalisme, je dirais qu’aujourd’hui ce ne peut
être
que la paix — la lutte pour la paix — étant donné l’équation que nous
641
e peut être que la paix — la lutte pour la paix —
étant
donné l’équation que nous sommes bien obligés de faire entre l’État-n
642
te pour la paix — étant donné l’équation que nous
sommes
bien obligés de faire entre l’État-nation et la guerre. L’État-nation
643
e entre l’État-nation et la guerre. L’État-nation
est
né de la guerre et se justifie entièrement par la préparation à la gu
644
e à l’État totalitaire par la guerre totale, ceci
est
tout à fait clair. Si quelque chose s’oppose à ce mythe, c’est la vol
645
les, finalement, en une fédération mondiale. Quel
est
le but général de tout cela ? C’est la paix. Si vous voulez absolumen
646
t les régions communautaires participatives. Ceci
est
heureusement un pur et simple jeu de l’esprit. Il n’y a aucune espèce
647
tion Il demande, c’est une forme de phrase : «
Est
-ce que la participation correspond à un besoin réel des citoyens ? »
648
e. VII. Du choix électronucléaire « Faut-il
être
aussi radicalement opposé au nucléaire ? » demande-t-il avec un peu d
649
d’ironie dans le ton. D’une manière que je crois
être
purement provocante de sa part, il répète cette phrase : « Vivre, c’e
650
ut, vivre, c’est-prendre-des-risques ! » Certains
sont
tout à fait inutiles. Il dit aussi par exemple, que les vastes surfac
651
urfaces de panneaux producteurs d’énergie solaire
sont
désavantageuses par rapport aux « démoniaques mais majestueuses » cen
652
ée de militants fédéralistes, ont répliqué : « Qu’
est
-ce que c’est que cette obsession des grandes centrales ? L’intérêt de
653
us dispense des grandes centrales et qu’elle peut
être
dispersée chez tout le monde, même jusqu’aux maisons, jusqu’aux indiv
654
ses, sans compter que scientifiquement, cela ne «
tient
pas le coup » une seconde de dire qu’une vaste centrale solaire couvr
655
ouvrirait 3 départements français. Lesquels ? Ils
sont
très inégaux. VIII. Des communautés écologiques de jeunes Stras
656
s écologiques de jeunes Strassoldo dit, ce qui
est
juste, que c’est un phénomène important. Il cite Longo Maï que j’ai c
657
disant qu’une communauté comme celle de Longo Maï
est
un retour à la nature. C’est un profond malentendu. Jamais les jeunes
658
, ils disent simplement : « Nourrir l’humanité va
être
le grand problème dans la crise terrible dans laquelle nous entrons,
659
ême il y en a un ! — en écrivant mon livre. Je me
suis
inspiré du modèle suisse, mais pour en faire tout à fait autre chose,
660
e parle de région et de participation civique, il
est
bien entendu qu’il ne s’agit de rien de comparable aux cantons suisse
661
it de rien de comparable aux cantons suisses, qui
sont
les créations d’une longue histoire. Une remarque qui me paraît indis
662
trassoldo dit : « Le vrai problème du fédéralisme
est
au niveau mondial ; quelles forces externes pourront l’imposer à cett
663
pidémies. Les fédérations existantes n’ont jamais
été
formées par des catastrophes, mais par la nécessité de s’unir pour ré
664
orps uniforme et homogène. La fédération suisse s’
est
formée en vue de constituer la force nécessaire pour faire face aux p
665
e peux qu’approuver : « L’ennemi du fédéralisme n’
est
pas la technocratie, mais la politique. » Il m’est arrivé un jour, au
666
st pas la technocratie, mais la politique. » Il m’
est
arrivé un jour, au cours d’une conversation avec Louis Armand, paraph
667
toujours dit et décrit le contraire de ce qu’il m’
est
ici reproché d’avoir défendu ou attaqué. Je crois que Strassoldo a to
668
re aux hommes. Les vues de Lorenz sur les animaux
sont
contestées par d’autres récents travaux d’anthropologues. Quant à la
669
elle n’oubliait qu’une chose : c’est que l’homme
est
un animal et non pas un légume ! Il existe d’ailleurs un légume qui e
670
as un légume ! Il existe d’ailleurs un légume qui
est
presque entièrement racine ; c’est celui qui a la plus mauvaise réput
671
éputation en littérature, c’est le navet. L’homme
est
un animal caractérisé par sa mobilité, et plus il s’élève dans l’ordr
672
aa. Rougemont Denis de, « Autour de L’Avenir
est
notre affaire II : Réponse à Raimondo Strassoldo », Autour de l’Aveni
673
ponse à Raimondo Strassoldo », Autour de l’Avenir
est
notre affaire. Entretiens de Crêt-Bérard, Lausanne, Fondation Charles
674
Autour de l’Avenir
est
notre affaire : remarques sur la note de Stanley Maron (1984)z Les
675
ment formulées. 1. La communauté, dit-il, ne peut
être
fondée sur une base libertaire. Je suis d’accord. « Libertaire » évoq
676
, ne peut être fondée sur une base libertaire. Je
suis
d’accord. « Libertaire » évoque l’idée d’une liberté sans frein, qui
677
e l’idée d’une liberté sans frein, qui pour moi n’
est
pas vraie liberté puisqu’elle se dissocie de toute responsabilité. Je
678
e de toute responsabilité. Je crois que l’homme n’
est
libre (dans une communauté) qu’à la mesure où il est en fait responsa
679
libre (dans une communauté) qu’à la mesure où il
est
en fait responsable, et vice versa (tous les juristes le savent). San
680
mobilité et favorise l’enracinement. Le kibboutz
serait
un retour à la structure patriarcale. Je trouve cela parfait pour ceu
681
quel Ortega y Gasset a écrit de belles choses. Il
est
un temps pour vivre de ses racines dans le milieu natal, et un temps
682
modèle de communauté qui me paraisse inacceptable
serait
celui qui se voudrait exclusif. Les kibboutzim ont de très grandes ve
683
t. z. Rougemont Denis de, « Autour de L’Avenir
est
notre affaire I : Remarques sur la note de Stanley Maron », Autour de
684
ur la note de Stanley Maron », Autour de l’Avenir
est
notre affaire. Entretiens de Crêt-Bérard, Lausanne, Fondation Charles
685
et Pierre-Arnold Borel, ce que je ressens d’abord
est
un vertige de chiffres. Nous avons chacun 2 parents, 4 grands-parents
686
r empereur d’Occident. Mais Pierre-Arnold ne s’en
tient
pas là : il nous signale avec sobriété qu’à la trente-troisième génér
687
hâtel, une Élisabeth de Hongrie qui par malheur n’
est
pas la sainte, mais seulement l’épouse d’un grand-duc de Pologne. Voi
688
ent l’épouse d’un grand-duc de Pologne. Voilà qui
est
pittoresque à souhait, pourtant l’essentiel manque : les liens vivant
689
tous ces grands noms. Combien je voudrais que me
soient
parvenues, du fond des siècles, des « histoires de famille » sur celu
690
« histoires de famille » sur celui qui, pour moi,
est
le plus prestigieux des ancêtres attestés : Guillaume de Poitiers, ne
691
mes oncles : « Plus l’ancêtre dont on se réclame
est
éloigné, moins on a de chances de tenir de lui ! » Mais si les noms s
692
se réclame est éloigné, moins on a de chances de
tenir
de lui ! » Mais si les noms sont vérifiés, les chiffres que je viens
693
a de chances de tenir de lui ! » Mais si les noms
sont
vérifiés, les chiffres que je viens de citer sont, de toute évidence,
694
sont vérifiés, les chiffres que je viens de citer
sont
, de toute évidence, « impossibles », bien qu’exactement calculés : à
695
ts, et l’Europe, moins de quinze millions. Or, il
est
sûr que nos ancêtres furent tous des Européens, non des nègres ni des
696
quinze millions. Or, il est sûr que nos ancêtres
furent
tous des Européens, non des nègres ni des ni des Hindous, encore moin
697
e explication de cette impossibilité arithmétique
est
donnée par les intermariages, si fréquents dans notre pays. Si l’on s
698
iages, si fréquents dans notre pays. Si l’on s’en
tient
à nos ancêtres du xviiie au xve siècle, on y trouve tant de Chambri
699
tres. Première conclusion : tous les Neuchâtelois
sont
cousins, d’autant plus qu’on remonte dans le temps. Le tableau des o
700
t de 16 étrangers. Or, ces étrangers ne sauraient
être
classés par nations — ce serait, ici, anachronique dans 14 cas sur 16
701
angers ne sauraient être classés par nations — ce
serait
, ici, anachronique dans 14 cas sur 16, avant 1871 — mais par leur ori
702
conviction que les habitants de l’Europe, avant d’
être
sujets d’un de nos États-nations du xxe siècle, sont d’abord d’une r
703
sujets d’un de nos États-nations du xxe siècle,
sont
d’abord d’une région, mais en même temps, dans nos petits pays surtou
704
mais en même temps, dans nos petits pays surtout,
sont
de la grande famille européenne. (On eût fait rire un Flamand d’avant
705
e un Flamand d’avant Napoléon en lui disant qu’il
serait
« Belge » et l’on eût scandalisé un Bavarois ou un Saxon en le qualif
706
toutes les provinces natales des ancêtres d’Henri
sont
nordiques, de la Bretagne à la Pologne en passant par la Normandie, l
707
t étrangers. Les ancêtres qui comptent, pour moi,
sont
ceux-là seuls dont mes parents, oncles et tantes nous parlaient quand
708
rents, oncles et tantes nous parlaient quand nous
étions
jeunes. Et ceux-là seuls éveillent en moi un sentiment de parenté, la
709
ires de Besançon, les Rougemont de Franche-Comté,
était
« Chevance de Rougemont » qui signifie, selon Littré, à la fois « cha
710
« bien que l’on possède », c’est-à-dire « dont on
est
venu à chef ». (Je propose une nouvelle recherche à Pierre-Arnold, da
711
-Orientale, à Vienne et à Turin. … Toute l’Europe
était
là, et c’était la famille… Denis de Rougemont « La Chevance » 01630
712
u’ici sur l’idée qu’ils se font de l’Europe, vous
êtes
celui qui s’affirme le plus comme « Européen », et cela depuis vos pr
713
a depuis vos premiers écrits. Comment et pourquoi
êtes
-vous devenu et restez-vous un « Européen militant » ? Il me semble qu
714
ope, elle allait de soi comme la famille, et ce n’
était
pas un cas exceptionnel dans les familles de notre ancienne Principau
715
on touche — et ce qu’on imagine, le pays qui nous
tient
par les pieds, par le cœur, et le rassemblement des nations invisible
716
l’un contre l’autre, et qu’entre ces amours il n’
est
que de la haine. Comment un Suisse le croirait-il ? Si je me sens pre
717
passer de la petite patrie à la plus vaste, ce n’
est
pas infidélité à ma race, à mon clos natal. C’est aimer plus loin, da
718
de 15 ans, je pense, j’ai découvert Rimbaud, qui
était
pour ma génération notre ange révolté, mais aussi Pascal, l’autre som
719
lui que lui donnait Valéry, quand il affirmait qu’
est
européen tout ce qui a été marqué par Athènes, Rome et Jérusalem. On
720
quand il affirmait qu’est européen tout ce qui a
été
marqué par Athènes, Rome et Jérusalem. On cite toujours ces trois pre
721
et la celtique, voire plus tard l’arabe, qui ont
été
et restent capitales pour la littérature européenne. C’est en somme s
722
ut à ces trois dernières sources que je dois d’en
être
venu à découvrir, dans les années 1930, que l’Europe était la vraie p
723
u à découvrir, dans les années 1930, que l’Europe
était
la vraie patrie de l’amour, en tout cas de cette forme de l’amour qu’
724
l’amour, en tout cas de cette forme de l’amour qu’
est
la passion, inconnue ou condamnée dans toutes les autres grandes cult
725
que vous avez découvert l’Europe. Comment cela s’
est
-il passé ? De deux manières. D’une part, j’ai retrouvé à New York be
726
aris dans les années 1930, et avec lesquels je me
suis
lié, tels Saint-Exupéry, André Breton et Saint-John Perse, mais aussi
727
ous ne pourrions retrouver un jour que si l’Autre
était
battu… Une idée nous orientait tous : si jamais nous pouvions retourn
728
s pouvions retourner en Europe, le premier devoir
serait
de fédérer nos peuples. Et ce retour s’est fait pour moi au printemps
729
oir serait de fédérer nos peuples. Et ce retour s’
est
fait pour moi au printemps de 1946, sous les meilleurs auspices possi
730
ent, le point de départ choisi pour cette enquête
était
l’immédiat après-guerre. Mais votre prise de conscience et votre enga
731
ur nous, dans ces merveilleuses années 1930, tout
était
découverte, affirmation, refus tranchés, révolution posée contre le d
732
e à la fois libre et responsable, les deux termes
étant
indissociables. La liberté était vide si elle ne comportait pas de re
733
les deux termes étant indissociables. La liberté
était
vide si elle ne comportait pas de responsabilités civiques concrètes,
734
abilités civiques concrètes, et la responsabilité
était
nulle si les actes n’étaient pas librement accomplis. Par l’exercice
735
, et la responsabilité était nulle si les actes n’
étaient
pas librement accomplis. Par l’exercice même de sa liberté-responsabi
736
e. Tout écrivain qui prétend parler de son époque
est
engagé, qu’il le sache ou non. Tel était le sujet des premiers chapit
737
son époque est engagé, qu’il le sache ou non. Tel
était
le sujet des premiers chapitres de mon premier livre publié à Paris e
738
a guerre à l’égard d’une Europe qui leur semblait
être
un simple pion des Américains dans le jeu de la guerre froide. Ce n’e
739
Américains dans le jeu de la guerre froide. Ce n’
est
pas et ce n’a jamais été votre position. Pourquoi ? Je n’ai jamais, p
740
e la guerre froide. Ce n’est pas et ce n’a jamais
été
votre position. Pourquoi ? Je n’ai jamais, pas un instant, senti les
741
dérais comme un exil, je n’avais qu’une idée, qui
était
de fédérer les Européens pour leur propre salut et pour celui de la p
742
à s’occuper entre eux de leurs affaires. Quand je
suis
rentré une première fois, en 1946, après six ans d’absence, ç’a été p
743
mière fois, en 1946, après six ans d’absence, ç’a
été
pour prendre la parole aux Rencontres internationales de Genève sur «
744
congrès des fédéralistes européens, qui allait se
tenir
à Montreux au début de septembre 1947. J’ai retrouvé là de vieux amis
745
rlé de « l’Attitude fédéraliste », et le succès a
été
tel que je me suis vu en quelque sorte catapulté dans un rôle de port
746
e fédéraliste », et le succès a été tel que je me
suis
vu en quelque sorte catapulté dans un rôle de porte-parole de l’entre
747
opéen. Pas question une seconde que je me dérobe,
étant
l’auteur du concept d’engagement de l’écrivain et de la définition de
748
la chose. J’ai dit à mes amis fédéralistes que j’
étais
prêt à consacrer à leur campagne deux ans de ma vie, aux dépens de mo
749
le congrès, et dont j’avais exigé et obtenu qu’il
fût
rédigé par moi au nom de ma commission. J’étais embarqué. Avez-vous é
750
’il fût rédigé par moi au nom de ma commission. J’
étais
embarqué. Avez-vous été soutenu, durant ces années de création du Mou
751
nom de ma commission. J’étais embarqué. Avez-vous
été
soutenu, durant ces années de création du Mouvement européen, par des
752
ués et 200 journalistes, la commission culturelle
était
présidée par Salvador de Madariaga, Ignazio Silone ayant décliné cet
753
Silone ayant décliné cet honneur — mais il devait
être
par la suite l’un des intellectuels les plus « engagés » pour notre c
754
re de mon « Message aux Européens », le congrès s’
est
terminé dans l’enthousiasme et l’espoir. Le principal, pour ce qui me
755
’espoir. Le principal, pour ce qui me concerne, a
été
la décision de créer un « Centre européen de la culture », chargé d’i
756
aines, la pédagogie, les médias… La conférence se
tint
à Lausanne, dans le palais du Tribunal fédéral, et réunit plus de 200
757
même Jean-Paul Sartre. Sur les 23 résolutions qui
furent
adoptées à la séance de clôture, 21 ont été suivies de réalisations,
758
ui furent adoptées à la séance de clôture, 21 ont
été
suivies de réalisations, chiffre, je crois, jamais atteint par aucun
759
congrès… disons librement constitué. Le Centre va
être
inauguré au début d’octobre 1950, à Genève, sous les auspices du Mouv
760
ois ans que vous avez passés à la tête du Centre,
soit
comme son directeur, soit depuis 1978, comme son président ? Je répon
761
és à la tête du Centre, soit comme son directeur,
soit
depuis 1978, comme son président ? Je répondrai par une énumération p
762
rai d’abord deux idées que j’ai lancées et qui se
sont
réalisées grâce au Centre mais hors de lui. La première, en collabora
763
n étroite avec Raoul Dautry, puis Pierre Auger, a
été
le Centre européen de recherches nucléaires, ou CERN, foyer de recher
764
ons de leurs résultats à la vie civile. Le CERN a
été
un succès exemplaire, retentissant, mais qui s’est réalisé en dehors
765
té un succès exemplaire, retentissant, mais qui s’
est
réalisé en dehors de notre tout petit Centre d’idées, grâce à l’appui
766
o puis de treize gouvernements. La seconde idée a
été
celle d’une fondation, l’actuelle Fondation européenne de la culture,
767
ui les 42 principaux festivals du continent, de l’
Est
comme de l’Ouest — il vaut la peine de souligner ce cas que je crois
768
rope de l’Ouest, mais parfois aussi des pays de l’
Est
, souvent plus « européens » que nous-mêmes. Mais vous, Denis de Rouge
769
nstitut universitaire d’études européennes qui en
est
né, et où j’enseigne encore à titre de professeur honoraire, j’ai été
770
igne encore à titre de professeur honoraire, j’ai
été
amené à publier une dizaine d’ouvrages sur l’Europe et ses problèmes
771
et de celle des grands aînés que vous avez cités.
Est
-ce à vos yeux décourageant ? Il est certain que les écrivains, les ph
772
s avez cités. Est-ce à vos yeux décourageant ? Il
est
certain que les écrivains, les philosophes et les sociologues — sinon
773
et les sociologues — sinon les scientifiques — se
sont
généralement détachés de l’Europe et de sa cause, c’est-à-dire, à mon
774
ne, Sartre expliquait que la culture française ne
serait
sauvée qu’avec la culture européenne et par elle, mais que la culture
775
ne et par elle, mais que la culture européenne ne
serait
sauvée, à son tour, que par l’union politique et économique de l’Euro
776
xploitation colonialiste du tiers-monde4 ! Ce cas
est
au moins pittoresque. Mais le reste l’est beaucoup moins. La scène in
777
Ce cas est au moins pittoresque. Mais le reste l’
est
beaucoup moins. La scène intellectuelle est occupée en France, mais a
778
ste l’est beaucoup moins. La scène intellectuelle
est
occupée en France, mais aussi en Angleterre, en Allemagne, en Italie
779
ien vu, chez les éditeurs comme dans les revues —
étant
accaparés par une analyse sociosémiologique des structures du discour
780
vous sentir moins entouré, moins soutenu que ce n’
était
le cas dans l’immédiat après-guerre ? Comme écrivain européen, je me
781
un peu seul ! Mais d’autres vont venir, et ce ne
sera
pas long. Si toutefois, on leur laisse le temps de se manifester. Qui
782
cords clandestins d’échanges technologiques entre
Est
et Ouest, tout en « amusant (ou affolant) le tapis » avec un psychodr
783
e avenir. L’Europe ne pourra faire son union, qui
est
un acte volontaire, que sur la base de l’unité de sa culture commune,
784
sur la base de l’unité de sa culture commune, qui
est
une réalité donnée depuis des millénaires. Fonder l’union de l’Europe
785
pour beaucoup, dans cette aventure. Mais quelles
sont
ses chances de succès, allez-vous me dire ? À cette question, je répo
786
fédérale fondée sur sa culture commune : nous ne
sommes
pas là pour deviner l’avenir mais pour le faire. 4. F. Fanon, Les
787
te : « Écrivain et philosophe dont les œuvres ont
été
traduites en 18 langues, Denis de Rougemont a fondé en 1949 à Genève
788
Genève le Centre européen de la culture. Il en a
été
le directeur de 1949 à 1978 et en reste le président. Il a également
789
961), Journal d’une époque (1968), et L’Avenir
est
notre affaire (1977). Cette conversation a été enregistrée chez lui,
790
r est notre affaire (1977). Cette conversation a
été
enregistrée chez lui, à Saint-Genis-Pouilly, en juin 1982. »
791
. Moins de bien : car Orwell, à mon sens, n’a pas
été
le vrai prophète que l’on célèbre à l’unisson. Et cela pour deux moti
792
dres très différents : tout d’abord parce qu’il s’
est
trompé quant à deux événements de première importance. Il nous appren
793
déroule l’action de son roman, l’Europe entière a
été
absorbée par la Russie soviétique et la Grande-Bretagne par les Améri
794
t de la culture chrétienne ». Or rien de tel ne s’
est
produit et c’est même le contraire qui est en train de se réaliser. O
795
l ne s’est produit et c’est même le contraire qui
est
en train de se réaliser. Orwell écrit son livre en 1948. Que s’est-il
796
e réaliser. Orwell écrit son livre en 1948. Que s’
est
-il passé cette année-là ? Au moment même où, sans le moindre commenta
797
e l’Europe tout entière à Staline, en mai 1948 se
tient
à La Haye, sous la présidence de Churchill, le premier Congrès de l’E
798
s mois, les Européens vont élire un Parlement qui
sera
chargé, n’en doutons pas, de rédiger la première Constitution fédéral
799
Europe sacrifiée sans combat par Orwell. Et qu’en
est
-il du christianisme, de cette « culture chrétienne libérale » qu’il a
800
pparents ? C’est elle, et c’est elle seule, qui s’
est
dressée contre la grande puissance totalitaire de l’Est et qui l’a co
801
essée contre la grande puissance totalitaire de l’
Est
et qui l’a comme frappée de stupeur interdite, par la voix et l’actio
802
Lech Walesa. Mais il y a plus. Le vrai prophète n’
est
pas celui qui annonce les catastrophes et s’en tient là. C’est au con
803
st pas celui qui annonce les catastrophes et s’en
tient
là. C’est au contraire celui qui dit, selon l’adage latin « Utinam va
804
nam vates falsus sim ! », « Plaise au ciel que je
sois
faux prophète ! », ou comme Jérémie : « Seigneur, tu le sais ! je n’a
805
est la voie nouvelle du salut, la conversion, qui
est
le retournement de l’être et le renversement vers la sagesse. Et rien
806
alut, la conversion, qui est le retournement de l’
être
et le renversement vers la sagesse. Et rien en lui n’acquiesce aux te
807
itales dans lesquelles Orwell a prévu ce que nous
sommes
en train de vivre dans nos États-nations de l’Occident guère moins qu
808
s que dans les régimes totalitaires3, car il faut
être
deux pour jouer à ce jeu-là, celui de l’Équilibre de la terreur, gara
809
ure-t-on. « Les deux buts du Parti, écrit Orwell,
sont
de conquérir toute la surface de la Terre et d’éteindre une fois pour
810
illions de gens en quelques secondes ». Voilà qui
est
devenu possible, en 1984, par l’accumulation, dûment prévue elle auss
811
celées à tous les points stratégiques ». Si elles
étaient
toutes allumées simultanément, dit-il, « leurs effets seraient si dév
812
es allumées simultanément, dit-il, « leurs effets
seraient
si dévastateurs qu’ils rendraient impossibles toutes représailles ».
813
raient impossibles toutes représailles ». Mais il
est
entendu — c’est même la convention fondamentale de toute l’affaire —
814
onvention fondamentale de toute l’affaire — qu’il
est
« impossible que cette guerre soit jamais décisive ». À cette fin, «
815
affaire — qu’il est « impossible que cette guerre
soit
jamais décisive ». À cette fin, « les forces sont également partagées
816
soit jamais décisive ». À cette fin, « les forces
sont
également partagées » et leur équilibre perpétuellement rajusté : cel
817
e premier grand But atteint. Quant au second, qui
est
de rendre impossible non seulement l’expression mais le besoin même d
818
n mais le besoin même d’une pensée libre, nous en
sommes
peut-être beaucoup plus proches qu’on ne le croit. Orwell ne pouvait
819
iers, dans les cafés ou les grands magasins, nous
sommes
environnés, sollicités, traversés sans le savoir par des ondes (dans
820
e ministres ou de leaders partisans, tous parlant
soit
au nom du Pouvoir, soit contre lui, mais sur les thèmes qu’il a chois
821
s partisans, tous parlant soit au nom du Pouvoir,
soit
contre lui, mais sur les thèmes qu’il a choisis. Il y a là, beaucoup
822
smes, sur leurs rêves éveillés ou nocturnes. Nous
sommes
manipulés par les Pouvoirs. Je tiens à le dire ici : le vrai danger n
823
urnes. Nous sommes manipulés par les Pouvoirs. Je
tiens
à le dire ici : le vrai danger n’est pas là où on le dénonce trop fac
824
uvoirs. Je tiens à le dire ici : le vrai danger n’
est
pas là où on le dénonce trop facilement, dans le contrôle allégué de
825
ches » des citoyens dont on accuse l’ordinateur d’
être
l’agent, alors qu’il n’en est que l’outil. Soyons bien clairs. Le si
826
use l’ordinateur d’être l’agent, alors qu’il n’en
est
que l’outil. Soyons bien clairs. Le simple fait de mettre en fiches
827
’être l’agent, alors qu’il n’en est que l’outil.
Soyons
bien clairs. Le simple fait de mettre en fiches les citoyens pour tou
828
side le vrai danger, non dans l’ordinateur, qui n’
est
qu’un instrument permettant de consulter plus vite des fichiers plus
829
ais que les Pouvoirs seuls ont établi et dont ils
sont
seuls responsables. Ce qui me fait peur, — c’est moins le stockage de
830
t déjà fait dans la plupart des États européens —
est
d’établir le droit de chacun à consulter les fiches qui le concernent
831
riger en cas de besoin. Mais la meilleure défense
étant
l’attaque, dit-on, j’oserai donc avancer que je fonde quelque espoir
832
Frère farceur contre le sinistre Grand Frère. ⁂
Soyons
sérieux. L’ordinateur est un outil, on ne peut pas l’accuser des abus
833
stre Grand Frère. ⁂ Soyons sérieux. L’ordinateur
est
un outil, on ne peut pas l’accuser des abus que l’homme en fait. Au l
834
mot, et dire que j’allais l’oublier ! La Bombe n’
est
pas dangereuse du tout : c’est un objet. Ce qui est horriblement dang
835
t pas dangereuse du tout : c’est un objet. Ce qui
est
horriblement dangereux c’est l’homme. C’est lui qui a fait la Bombe e
836
se prépare à l’employer. Le contrôle de la Bombe
est
une absurdité. On nomme des Comités pour la retenir ! C’est comme si
837
anquille, elle ne fera rien, c’est clair. Elle se
tiendra
bien coite dans sa caisse. Qu’on ne nous raconte donc pas d’histoires
838
’en va pas de même de l’ordinateur qui, lui, peut
être
employé pour le bien autant que pour le mal. On a beaucoup dit qu’il
839
llance policière des opinions privées, mais qu’il
serait
l’outil idéal de la centralisation étatique, économique autant que po
840
nquante ans, la réponse. Aujourd’hui, le problème
est
posé à nouveau en termes d’informatisation. On y répond généralement
841
d’emplois qu’il en supprime et ceux qui le nient
sont
des faibles d’esprit. Or le chômage n’a pas cessé d’augmenter depuis
842
pas cessé d’augmenter depuis ce temps-là. Qu’en
est
-il aujourd’hui de ce problème crucial des progrès indissociables de l
843
ions des experts, quelque 45 millions d’emplois —
soit
45 % du total, car la population active américaine est de l’ordre de
844
5 % du total, car la population active américaine
est
de l’ordre de 100 millions — pourraient être touchés par l’automatisa
845
caine est de l’ordre de 100 millions — pourraient
être
touchés par l’automatisation de l’industrie et des services. Les cons
846
dans le secteur tertiaire, 38 millions risquent d’
être
affectés à plus ou moins long terme par l’automatisation ». Mêmes ob
847
tre que la qualité du travail dans les industries
sera
fortement améliorée par l’informatisation des processus de production
848
ais libérer l’homme de l’esclavage des machines n’
est
rien encore si on ne lui offre en échange de la monotone manutention
849
e domaine du dessin industriel, par exemple, on s’
est
aperçu que leur créativité diminuait de 30 à 40 % pendant la première
850
ain de l’informatisation de l’industrie me paraît
être
de rendre plus urgente encore et dramatique la nécessité vitale d’une
851
écessité vitale d’une réponse à ma question. Nous
sommes
mis au défi d’inventer une nouvelle conception du travail qui ne soit
852
nventer une nouvelle conception du travail qui ne
soit
plus nécessairement liée à un emploi salarié — qui ne soit plus le co
853
nécessairement liée à un emploi salarié — qui ne
soit
plus le contraire du loisir créateur, mais qui puisse enfin satisfair
854
lement matérialité et intellect. Des études vont
être
entreprises à cette fin, dès cette année 1984, non seulement dans not
855
e de demain. Je vais choisir un seul auteur comme
étant
le plus lyrique de tous sur l’avenir des ordinateurs : il s’agit de S
856
e les propos les plus irresponsables en apparence
sont
souvent les plus révélateurs d’une personne. Interrogé sur l’intelli
857
puisque certaines notions de la psychanalyse lui
sont
applicables. Quand on lui demande si la machine peut éprouver des émo
858
la créativité, l’affectivité, l’intelligence, ne
sont
pas des termes scientifiques ». Et comme on lui fait observer qu’il r
859
l’a fait la religion dans le passé, l’ordinateur
est
en train d’amorcer une renaissance de la philosophie ». Là-dessus, de
860
tuels de l’informatique, Joseph Welzenbaum : « Il
est
difficile d’imaginer ce que cela pourrait signifier de dire qu’un ord
861
n’a pas d’espoir non plus, ni d’affectivité, et n’
est
donc pas humaine. CQFD. ⁂ Et j’en conclus sur l’avenir de l’informati
862
? à qui ? et dans quelle intention ? » À quoi il
serait
bon d’ajouter : « au bénéfice de qui ? et pour quel but final ? » Cet
863
» Cette question des Finalités de l’informatique
est
la seule qui mérite vraiment nos réflexions. Je voudrais qu’on la sub
864
ps d’évaluer les enjeux humains, obsédés que nous
sommes
par des gains immédiats. Je vous ai cité des chiffres effarants sur l
865
is que deux réponses possibles : — ou bien le but
est
la puissance de l’État et des pouvoirs économiques et militaires ; c’
866
itaires ; c’est donc la Guerre ; — ou bien le but
est
la liberté des personnes à la fois libres et responsables : et cela p
867
s à la fois libres et responsables : et cela peut
être
la Paix. Ce dilemme domine notre siècle, commande l’avenir de notre h
868
s symboliques de la civilisation du Moyen Âge ont
été
les cathédrales, ceux de notre époque seront les lourdes tours nucléa
869
Âge ont été les cathédrales, ceux de notre époque
seront
les lourdes tours nucléaires. Les cathédrales édifiées par la piété d
870
difiées par la piété des communautés urbaines ont
été
les sources puissantes de l’énergie spirituelle de l’Occident, cepend
871
urd’hui Le problème des centrales nucléaires n’
est
pas technologique, n’est pas économique, et il est encore moins énerg
872
s centrales nucléaires n’est pas technologique, n’
est
pas économique, et il est encore moins énergétique, car à ces trois n
873
st pas technologique, n’est pas économique, et il
est
encore moins énergétique, car à ces trois niveaux la cause est entend
874
ins énergétique, car à ces trois niveaux la cause
est
entendue : elle est perdue, comme le font voir les pages qui suivent.
875
à ces trois niveaux la cause est entendue : elle
est
perdue, comme le font voir les pages qui suivent. ⁂ III. Du point
876
locales, voire familiales, d’énergie solaire, ce
serait
restaurer la possibilité pour des millions de foyers, dans chacun de
877
ut-être qu’il le feignait, peut-être non : ce qui
est
certain, c’est qu’il peut se féliciter des résultats atteints ! Car e
878
hoses aller, il les a livrées à une logique qui s’
est
imposée à nous tous, celle du concept même de patrimoine culturel eur
879
courantes. Mais aucun de nous, je m’en assure, ne
serait
venu ici pour le seul plaisir de dresser un bilan ou pour célébrer le
880
ut faire pour éviter le pire, confrontés que nous
sommes
— même quand nous l’oublions — à la double possibilité ouverte pour l
881
our la première fois depuis que l’homme existe, —
soit
d’une fédération des peuples de la planète, d’abord par continents, p
882
itant du globe, y suffirait très largement.) Tel
étant
l’arrière-plan général de crise et donc d’urgence (pour dire le moins
883
notre objet spécifique. Le patrimoine européen s’
est
constitué du même mouvement à travers le temps et qui va des origines
884
de sa fille nordique, la Russie, et même plus à l’
est
de cette contrée qu’on nomme aujourd’hui le Liban, pour remonter à tr
885
Valéry d’une Europe purement méditerranéenne, qui
serait
née de la triple influence d’Athènes, de Rome et de Jérusalem. Je reg
886
assez fortement que trois influences originelles
sont
venues recouvrir un continent presque entièrement peuplé par les Germ
887
ntre ce que les polémiques politiques baptisent l’
Est
totalitaire et l’Ouest ploutocratique, mais que nous préférons nommer
888
centralisme démocratique, tel qu’il se nomme à l’
Est
, et les démocraties libérales telles qu’elles se veulent à l’Ouest. ⁂
889
ine, au sens de passé dont nous héritons, ne peut
être
maintenu, défendu, garanti, que par son renouvellement, sa recréation
890
e l’évolution de ce patrimoine. Je pense que nous
serons
tous d’accord pour constater qu’il s’agit là d’un processus dialectiq
891
rocessus dialectique, dont le principe m’apparaît
être
la coexistence, ou mieux : la co-action des contraires maintenus dans
892
, antinomies qu’il s’agit de rendre créatrices. «
Tenir
ensemble les deux bouts de la chaîne », disait Pascal. Il y voyait la
893
ouvée parmi les membres de ce colloque, tant de l’
Est
que de l’Ouest ou du Centre. C’est une des leçons réconfortantes que
894
t « qu’il a ses racines ». Mais en fait l’homme n’
est
pas un légume, c’est un animal, et quand il devient adulte, ce n’est
895
c’est un animal, et quand il devient adulte, ce n’
est
plus l’enracinement mais la mobilité qui le caractérise. On a beaucou
896
ateur du Blut und Boden des nazis… Mais l’homme n’
est
pas un légume, c’est un animal, en dépit de l’imagerie des poètes ter
897
s, celui qui a la plus grosse racine de tous, qui
est
même presque tout entier racine, est aussi celui qui a la plus mauvai
898
de tous, qui est même presque tout entier racine,
est
aussi celui qui a la plus mauvaise réputation en littérature : c’est
899
ces phrases caractérisent assez bien l’effort qui
est
fait aujourd’hui pour faire coopérer les intellectuels à la grande tâ
900
oupçonner à quel point leur politique de désunion
est
fatalement une simple politique d’entracte, on méconnaît et on déform
901
nouvelle synthèse, l’Européen de l’avenir. Ce ne
fut
qu’une fois devenus vieux, aux heures de faiblesse, qu’ils retombèren
902
n, Goethe, Beethoven, Stendhal, Schopenhauer, qui
sont
devenus de plus en plus nationalistes en vieillissant, et il y voit u
903
fondément déstabilisées, et dont le désarroi peut
être
exploité contre nous, y compris dans ce que notre culture a créé de m
904
t devenir action, sinon elle court le risque de n’
être
bientôt plus qu’une note en bas de page d’une chronique de ce temps,
905
problèmes économiques presque insolubles qu’elle
est
en train de créer dans toutes les sociétés qu’elle touche. Nous avons
906
us avons essayé de mieux nous connaître et nous y
sommes
arrivés quelquefois, en cernant mieux les variétés géographiques et h
907
ne se connaît bien qu’en se comparant à ce qui n’
est
pas soi. C’est dans cette idée de comparaison active, prospective, qu
908
Travail, chômage, loisirs. Comment ces réalités
sont
-elles vues et vécues dans les grandes cultures qui se partagent notre
909
ondialisé par le succès même de nos techniques ?
Serait
-il raisonnable de proposer à ce colloque qu’il prenne en compte cette
910
plus fructueux et encourageants auxquels il m’ait
été
donné de prendre part au cours de ces dernières années. ac. Rougem
911
ins en moins compatibles dans les faits. Le temps
est
venu de choisir entre les deux, en connaissance de cause, bien sûr, m
912
t pour la puissance, une minorité très restreinte
est
motivée par la volonté d’exercer le pouvoir sur autrui, d’être des ch
913
par la volonté d’exercer le pouvoir sur autrui, d’
être
des chefs ; la plupart cède tout simplement au besoin de sécurité, c’
914
urs droits à l’État, au parti ou au chef qui s’en
est
emparé. Quant à ceux qui optent pour la liberté, certains pensent y ê
915
ux qui optent pour la liberté, certains pensent y
être
conduits par quelque individualisme égoïste ou sont au contraire moti
916
re conduits par quelque individualisme égoïste ou
sont
au contraire motivés par un besoin de responsabilité assumée dans la
917
la communauté. Comment se sentir libre si l’on n’
est
responsable de rien ? Et comment serait-on responsable si l’on n’est
918
re si l’on n’est responsable de rien ? Et comment
serait
-on responsable si l’on n’est pas libre de ses actes ? N’allons pas cr
919
rien ? Et comment serait-on responsable si l’on n’
est
pas libre de ses actes ? N’allons pas croire pourtant qu’entre le bes
920
ulsions contraires coexistent en nous. Personne n’
est
jamais ni tout l’un ni tout l’autre. Et il n’existe pas non plus de l
921
roprement politique au sens le plus large du mot,
est
le choix d’une finalité. Il désigne l’aménagement des relations humai
922
e libre discussion. Le choix proprement politique
est
le choix d’une priorité, à laquelle les moyens ont pour devoir de con
923
ir. Choisir les centrales nucléaires — quelle que
soit
leur définition, eau pressurisée ou surgénérateurs — implique, entraî
924
dangereuses que nos pays, tout en jurant qu’elles
sont
inoffensives, ne les bâtissent qu’aussi loin que possible de leur cap
925
ntes de déclencher et d’entretenir une guerre. Il
est
clair comme le jour que le choix des centrales nucléaires et des usin
926
c’est-à-dire de la fin de l’histoire humaine. Il
est
non moins clair que le choix solaire est la condition même de la paix
927
aine. Il est non moins clair que le choix solaire
est
la condition même de la paix : car il signifie du même coup la fin de
928
qu’il faut voir, c’est que le but de la société n’
est
pas du tout d’assurer à quelques-uns la rentabilité de leur entrepris
929
personne. Le problème des centrales nucléaires n’
est
pas technologique, même pas économique, et il est encore moins financ
930
est pas technologique, même pas économique, et il
est
encore moins financier : car à ces trois niveaux, la cause est entend
931
ins financier : car à ces trois niveaux, la cause
est
entendue : elle est perdue. Quand les centrales nucléaires ne représe
932
à ces trois niveaux, la cause est entendue : elle
est
perdue. Quand les centrales nucléaires ne représenteraient aucun dang
933
er, quand elles s’avéreraient rentables, quand il
serait
réellement « impératif » que la consommation d’énergie double tous le
934
onsommation d’énergie double tous les dix ans, je
serais
contre, parce qu’elles sont les pièces principales d’un système qui c
935
ous les dix ans, je serais contre, parce qu’elles
sont
les pièces principales d’un système qui conduit à renforcer l’emprise
936
tions, c’est-à-dire les risques de guerre. Pluton
est
maître des Enfers, il est aveugle comme les taupes. Mais le soleil vi
937
sques de guerre. Pluton est maître des Enfers, il
est
aveugle comme les taupes. Mais le soleil vient du ciel, vient de Zeus
938
e de l’Est vaudois : avec Denis de Rougemont », L’
Est
vaudois, Montreux, 19 juin 1984, p. 6. ai. Précédé de cette note : «
939
la « génération des années 1930 » me semble avoir
été
déterminé par la nature particulière de l’affrontement de l’Est et de
940
par la nature particulière de l’affrontement de l’
Est
et de l’Ouest en Europe, affrontement si mal compris aujourd’hui. À l
941
ope, affrontement si mal compris aujourd’hui. À l’
Est
, trois dictatures d’un type nouveau, qu’on commençait à définir par l
942
es de Roumanie, de Yougoslavie et de Grèce, qui n’
étaient
plus guère des démocraties, mais qui se réclamaient encore de l’Ouest
943
notre âge nous condamnerait à faire, mais qui ne
serait
pas notre guerre, car nous sentions déjà — comme Koestler le dira si
944
ra si bien quelques années plus tard — qu’elle ne
serait
que la guerre entre un mensonge total — à l’Est — et une demi-vérité,
945
erait que la guerre entre un mensonge total — à l’
Est
— et une demi-vérité, à l’Ouest. Telle était la situation peu tenable
946
— à l’Est — et une demi-vérité, à l’Ouest. Telle
était
la situation peu tenable dans laquelle l’histoire nous sommait de nou
947
l’histoire nous sommait de nous débrouiller. Nous
étions
contre beaucoup de choses, dans cette époque. Contre le capitalisme,
948
e toutes les formes d’État totalitaire, quels que
fussent
leurs prétextes, prolétarien, nationaliste ou raciste, à l’Est. Mais
949
textes, prolétarien, nationaliste ou raciste, à l’
Est
. Mais alors, nous étions pour quoi ? Un jour, ce devait être en 1931,
950
ationaliste ou raciste, à l’Est. Mais alors, nous
étions
pour quoi ? Un jour, ce devait être en 1931, chez le critique Charles
951
alors, nous étions pour quoi ? Un jour, ce devait
être
en 1931, chez le critique Charles Du Bos, un jeune homme à l’accent n
952
lettres majuscules, ces quelques mots : Nous ne
sommes
ni individualistes ni collectivistes, nous sommes personnalistes Ce
953
sommes ni individualistes ni collectivistes, nous
sommes
personnalistes Ce fut le trait de lumière. J’en serai à tout jamais
954
i collectivistes, nous sommes personnalistes Ce
fut
le trait de lumière. J’en serai à tout jamais reconnaissant à mon ami
955
personnalistes Ce fut le trait de lumière. J’en
serai
à tout jamais reconnaissant à mon ami Alexandre Marc, le même qui all
956
— dans un groupe de discussion œcuménique qui se
tenait
au premier étage d’un café, rue du Moulin-Vert, proche de la porte d’
957
de l’Ouest et le faux ordre des totalitaires de l’
Est
; entre la dissolution individualiste de toute communauté vivante à l
958
tz de communauté totalitaire qui triomphaient à l’
Est
, nous refusions tous de choisir. Il nous restait à inventer un ordre
959
re humain, et à refaire une vraie communauté. Ce
fut
l’ordre que catholiques et protestants, juifs, agnostiques et nietzsc
960
idegger —, l’époque ne fit que peu d’écho. Nous n’
étions
guère que ce que l’on appellera plus tard des « groupuscules ». Mais
961
esclavage le prolétariat industriel —, ces idées
sont
devenues aujourd’hui plus fécondantes et plus urgentes encore qu’elle
962
s et plus urgentes encore qu’elles ne pouvaient l’
être
dans les années 1932 à 1939. Et là-dessus, deux précisions d’actualit
963
deux précisions d’actualité. 1. On a dit que nous
étions
« totalement négatifs ». Et c’est un fait que, face à nos « démocrati
964
est un fait que, face à nos « démocraties », nous
étions
inquiets, agacés, exaspérés parfois et finalement déçus. Mais quand n
965
nifiait pas centrisme ou neutralisme, ni que tout
était
faux des deux côtés. C’était un refus de penser qu’une chose est bonn
966
ux côtés. C’était un refus de penser qu’une chose
est
bonne ou mauvaise parce qu’on lui colle telle ou telle étiquette. Nou
967
la guerre et de l’État totalitaire dénoncé comme
étant
l’« état de guerre en permanence » — phrase illustrée tout récemment
968
ul programme constructif des années 1930. Et il l’
est
encore plus aujourd’hui. Mais dans le cas des régimes totalitaires, d
969
ement de comprendre les motivations — ce qui nous
fut
stupidement reproché —, nous ne proposions aucune réforme : nous dema
970
ur suppression totale, dans la mesure même où ils
étaient
totalitaires. 2. On a dit que nous étions « fascinés » par les jeunes
971
où ils étaient totalitaires. 2. On a dit que nous
étions
« fascinés » par les jeunes fascistes, et que nous faisions devant eu
972
bruns — un « complexe d’infériorité ». La vérité
est
que nous étions bien convaincus que les régimes dictatoriaux de l’Est
973
complexe d’infériorité ». La vérité est que nous
étions
bien convaincus que les régimes dictatoriaux de l’Est ne faisaient gu
974
bien convaincus que les régimes dictatoriaux de l’
Est
ne faisaient guère plus, en réalité concrète, que prolonger les vices
975
u et que tout le monde utilise aujourd’hui). Nous
étions
typiquement des « jeunes gens en colère » — en colère contre tout ce
976
té de résistance de l’Ouest et des libertés qu’il
était
censé défendre. (C’est ainsi que nous fûmes tous contre Munich.) Mais
977
qu’il était censé défendre. (C’est ainsi que nous
fûmes
tous contre Munich.) Mais il est ridicule de parler à ce propos de co
978
ainsi que nous fûmes tous contre Munich.) Mais il
est
ridicule de parler à ce propos de complexe d’infériorité, au sens jou
979
sciente, fascination qui n’ose pas s’avouer. Nous
étions
au contraire en pleine prise de conscience du péril totalitaire et de
980
nos propres États-nations. Le fond de l’affaire n’
était
donc pas de choisir entre la gauche et la droite, catégories très spé
981
même ! que l’expression d’« État totalitaire » a
été
introduite par Mussolini, qui venait de faire sa carrière politique c
982
; que la dictature militaro-policière de Staline
est
née du marxisme-léninisme, plus encore que du tsarisme ; et, enfin, q
983
u tsarisme ; et, enfin, que la guerre, en 1939, a
été
déclenchée par le pacte scélérat entre nazis et communistes, sous les
984
acclamations d’Aragon. La seule question sérieuse
était
de choisir non pas entre une gauche et une droite mal discernables et
985
iste ». Je voudrais seulement rappeler que telles
étaient
alors nos motivations, qu’ainsi nous avons vécu notre époque, dans le
986
oque, dans les années 1930. Il me semble que nous
étions
d’à peu près cinquante ans en avance sur l’évolution de notre siècle
987
d’Esprit. On vient de nous dire comment il avait
été
perçu. Si les notes que j’ai prises pendant qu’il parlait sont exacte
988
i les notes que j’ai prises pendant qu’il parlait
sont
exactes, John Hellman voit dans le personnalisme, dans celui d’Esprit
989
gauchisants […] dont les liens avec le fascisme n’
étaient
pas tellement définis ». Cette opinion s’appuie beaucoup moins sur no
990
ements du cardinal Verdier sur Esprit, qui aurait
été
en tant que Troisième force un curieux centre, à mi-chemin entre le f
991
onc, à en croire Hellman, comment notre mouvement
était
« perçu » dans les années 1932 à 1940. Mais il ne faudrait tout de mê
992
fondre le « perçu » et la réalité ! Le perçu peut
être
tout simplement du mal-compris, mal-vu, mal-senti, et par suite mal-i
993
, mal-senti, et par suite mal-interprété. Il peut
être
aussi un acte de mauvaise foi délibéré, comme le montrent certains de
994
irrésistible — que la description de John Hellman
est
celle d’un certain « perçu-nalisme », plutôt que du personnalisme que
995
un « fascisme antifasciste ». L’erreur de lecture
est
évidente et elle est aussi grave que possible. J’ai souvent mis en ga
996
ciste ». L’erreur de lecture est évidente et elle
est
aussi grave que possible. J’ai souvent mis en garde, en effet, contre
997
d’avance, c’est tout de même un peu différent, n’
est
-ce pas ? Au reste, le problème était sérieux. Beaucoup craignaient qu
998
u différent, n’est-ce pas ? Au reste, le problème
était
sérieux. Beaucoup craignaient que résister à Hitler par des moyens de
999
par des moyens de lutte comparables aux siens, ce
fût
courir le risque de perdre, pour survivre, les raisons de vivre. (Et
1000
ns de vivre. (Et propter vitam, etc.) Le problème
est
très vieux. Il est traité déjà dans le livre biblique des Proverbes 6
1001
opter vitam, etc.) Le problème est très vieux. Il
est
traité déjà dans le livre biblique des Proverbes 6 en deux versets qu
1002
Nizan, que je citais tout à l’heure, parce qu’il
est
le plus éclairant et le plus pathétique sans nul doute. Quand j’ai pu
1003
que « toutes les positions d’un fascisme français
étaient
définies dans ce livre ». C’est ainsi que les communistes m’avaient s
1004
hait fortement, écrire sur son petit carnet qu’il
tenait
de côté, comme cela, à gauche, les douze noms, suivis de l’indication
1005
précis ». Voilà qui montre au moins que nous nous
sommes
compris : si opposés que soient les mots d’ordre du PC et les positio
1006
ins que nous nous sommes compris : si opposés que
soient
les mots d’ordre du PC et les positions personnalistes, il y avait pe
1007
lisme et contre le fascisme, par exemple, et ce n’
est
pas exactement rien !… Le « Cahier de revendications » paraît le 1er
1008
ans inlassablement réitérés des communistes. C’en
est
trop pour le PCF. Le 15 janvier 1933, la revue Europe, dirigée par Je
1009
ent recruteur du fascisme français ». Le mensonge
était
énorme, total, totalitaire. Et je me suis vu contraint de mesurer, ce
1010
nsonge était énorme, total, totalitaire. Et je me
suis
vu contraint de mesurer, ce jour-là, pour la première fois si duremen
1011
re, peut réduire un esprit honnête, pour lequel j’
étais
prêt à ressentir tout autre chose qu’une sympathie politique : une am
1012
voudrais dire à John Hellman, en terminant, qu’il
est
faux d’écrire aujourd’hui que Paul Nizan a « perçu » le personnalisme
1013
éparant les voies du fascisme français. La vérité
est
qu’en pleine connaissance de cause, par un mensonge délibéré, il nous
1014
elle du vécu, — ce vécu dont il nous appartient d’
être
encore aujourd’hui les témoins au sens le plus actif du terme. 6. P
1015
t devant l’une, très longue et vraiment belle, se
tient
Michaux, tout à fait immobile. Je m’arrête auprès, je me tais. Après
1016
ques moments, Michaux dit lentement : « Ici, ce n’
est
qu’une belle voiture. En Orient, on se tiendrait longtemps devant un
1017
, ce n’est qu’une belle voiture. En Orient, on se
tiendrait
longtemps devant un tel objet… Pour l’adorer. » Tout en haut de l’es
1018
NRF — Henri Michaux. Il m’arrête d’un geste : «
Est
-ce que vous sentez toujours des battements de cœur, ici, avant d’entr
1019
ferai honte. » Malices de Jean Paulhan Il
est
vrai que « le bureau de Paulhan » était un lieu sacré de ma mythologi
1020
lhan Il est vrai que « le bureau de Paulhan »
était
un lieu sacré de ma mythologie, « lieu propice aux surprises, piège à
1021
Gide, Claudel, Valéry, Proust, Saint-John Perse…)
était
assez petit, de plafond bas, occupé par trois chaises, une petite tab
1022
des. Ainsi, un jour de 1932, comme j’entre : « Ah
tiens
! Rougemont, bonjour ! Je suis content de vous voir. Mais est-ce vrai
1023
me j’entre : « Ah tiens ! Rougemont, bonjour ! Je
suis
content de vous voir. Mais est-ce vrai ce que l’on dit, que c’est vou
1024
ont, bonjour ! Je suis content de vous voir. Mais
est
-ce vrai ce que l’on dit, que c’est vous qui avez écrit le dernier rec
1025
r les Éditions « Je sers », petite maison dont je
suis
responsable depuis un an. Une autre fois : « Il vient de m’arriver qu
1026
ons de Commerce 9. On m’a dit que la revue allait
être
reprise par vos Éditions “Je sers”… » — « C’est vrai, dis-je sans hés
1027
industrie. » Nous passâmes à un autre sujet. J’en
étais
arrivé à penser que diriger la NRF était sans doute une tâche si co
1028
. J’en étais arrivé à penser que diriger la NRF
était
sans doute une tâche si complexe, et à tant d’égards périlleuse, que
1029
périlleuse, que ces petites bouffées de non-sens
étaient
indispensables à l’hygiène mentale de notre ami. Cet humour bref étai
1030
à l’hygiène mentale de notre ami. Cet humour bref
était
peut-être aussi une manière de couper court aux confidences, plaintes
1031
gardésao : le 12 octobre 1949 Cher ami Merci. Je
suis
ravi de ces pages. J’attends la circulaire. Bien amicalement Jean P.
1032
n P. (1939) Cher ami, votre article du Figaro
est
vraiment admirable10. Nous le citerons (et je voudrais bien l’avoir é
1033
avoir écrit). amicalement J. P. Les N. C. 11 ne
sont
pas seulement assommants (depuis qq. temps). Ils ont je ne sais quoi
1034
besoin du Saint-John Perse avant le 10 septembre.
Est
-ce trop vous demander ? Je vous en prie. On vous la donne, votre Euro
1035
urope. Tout de même, j’imagine vaguement que vous
êtes
déçu. Et moi, je serais plus tranquille si vous étiez à Strasbourg, à
1036
’imagine vaguement que vous êtes déçu. Et moi, je
serais
plus tranquille si vous étiez à Strasbourg, à la place de ces 87 parl
1037
s déçu. Et moi, je serais plus tranquille si vous
étiez
à Strasbourg, à la place de ces 87 parlementaires. affectueusement à
1038
llets. Diriger une revue avec génie, c’est cela :
être
partout présent, toujours à temps, maintenir tout son monde en alerte
1039
le. Cruel dilemme d’Artaud Un soir que nous
étions
dans ce même bureau, Artaud, Henri Michaux et moi, Paulhan propose d’
1040
ement en grinçant des dents : « Lequel… des deux…
est
-ce que j’tue ? » (geste de lancer le poignard). Gagner un peu de temp
1041
estion ! Difficile de répondre… Attendez… Michaux
est
très mince… » Je lui prends le bras doucement. Il est haletant, sa bo
1042
très mince… » Je lui prends le bras doucement. Il
est
haletant, sa bouche écume. « Comment allez-vous faire ? Lancer le tru
1043
ndes se passent. Je lâche son bras. Nos deux amis
sont
arrivés dans la lumière de l’entrée du bistrot. Artaud se calme. Nous
1044
à l’automne de 1946. C’était au Café de Flore. Il
était
assis seul sur la banquette à droite du tourniquet d’entrée. Mes amis
1045
ourniquet d’entrée. Mes amis m’ayant quitté, j’ai
été
m’asseoir à son côté. Je le salue. Il me prend la main. Moment de sil
1046
r ! » s’écrie-t-il, et il ajoute, théâtral : « Ce
sont
de ces conneries… (haussant le ton)… et que l’on expie ! » Il dit ens
1047
les trois announcers — comme on dit ici, speaker
étant
un nom purement français dans cet usage — seront Breton, Lévi-Strauss
1048
r étant un nom purement français dans cet usage —
seront
Breton, Lévi-Strauss et le peintre Ozenfant. Deux ans d’amitié sans
1049
et me dit d’entrée de jeu : « Votre dernier livre
est
un livre dangereux ! J’ai pu le voir, par les réactions d’Elisa ! » (
1050
llemands. Des propos quelque peu obscurs qu’il me
tient
ensuite, il apparaît que l’approche théologique des auteurs dont je p
1051
l’approche théologique des auteurs dont je parle
est
trop engagée — et peut-être engageante dans le cas d’Elisa pour avoir
1052
ut-être engageante dans le cas d’Elisa pour avoir
été
tolérée par ses jeunes amis du groupe surréaliste reformé à New York.
1053
arlons, difficilement… Son désir de ne pas rompre
est
évident, mais il faut bien sauver la face… L’athéisme flamboyant a to
1054
sauver la face… L’athéisme flamboyant a toujours
été
l’un des dogmes de la secte surréaliste. Tout d’un coup, il a trouvé
1055
à Marcel de trancher le différend. » Rendez-vous
est
fixé aussitôt pour un dîner à trois, dans un bistrot français de la 5
1056
ançais de la 54e Rue, demain soir, 20 heures. J’y
suis
à 20 h 03. Duchamp est là, sur la terrasse, « toujours un peu plus qu
1057
main soir, 20 heures. J’y suis à 20 h 03. Duchamp
est
là, sur la terrasse, « toujours un peu plus qu’exact », me dit-il, co
1058
’excuser. Aussitôt assis : « Il semble que Breton
soit
très gêné par votre dernier livre. Trop chrétien, sans doute, à ses y
1059
yez ?… Remarquez l’amphibologie du verbe… Mais qu’
est
-ce que cela peut bien lui faire ? Avec ça qu’il n’a pas fait une reli
1060
a pas fait une religion de son surréalisme ! » Ce
sera
tout. Commande des menus. Propos légers. Vers 20 h 15 arrive Breton,
1061
urieux croisement. Mots de Léon-Paul Fargue
Serais
-je le seul dépositaire de la plus belle contrepèterie du siècle ? Je
1062
epuis une semaine, il se plaint chez Paulhan de n’
être
pas sur la liste des nouveaux commandeurs de la Légion d’honneur. « J
1063
as pour moi, c’est pour ma mère ! La pauvre, elle
est
morte il y a douze ans…” » Ce matin même, j’ai lu dans un journal qu’
1064
, je n’ose plus vous serrer la main ! J’ai peur d’
être
Don Juan au dernier acte… » Il s’arrête. « June homme ! Moi, je vais
1065
an », peu après la libération de Paris, Léon-Paul
est
frappé d’une syncope et tombe sous la table. On le relève après quelq
1066
ria, sans date comme d’habitude, mais qui ne peut
être
que du printemps de 1940 : Cher ami N’écrivez pas à Cully. Je n’y s
1067
e 1940 : Cher ami N’écrivez pas à Cully. Je n’y
suis
plus et pour cause, et si de la correspondance m’y parvient, elle ser
1068
se, et si de la correspondance m’y parvient, elle
sera
probablement exterminée. C’est moi qui vous écrirai plutôt dans quelq
1069
dîner au Buffet. « Voilà, me dit-il dès que nous
sommes
installés, l’explication de ma dernière lettre. Comme vous le savez,
1070
la pièce à côté. Je me précipite. Mais l’appareil
est
invisible. Je cherche. Je vois un fil sur le parquet, je le suis ! Il
1071
Je cherche. Je vois un fil sur le parquet, je le
suis
! Il aboutit dans une valise ! Fermée à clé ! Le téléphone sonne touj
1072
eut dire… J’ai quitté la maison de Budry, et j’ai
été
m’installer de l’autre côté de la place, dans un petit hôtel. J’ai un
1073
9. 11. Les Nouveaux Cahiers , bimensuel dont j’
étais
rédacteur en chef. an. Rougemont Denis de, « Quelques‑uns de mes éc
1074
’intégrale de la correspondance Paulhan-Rougemont
est
en ligne sur notre site.
1075
nous venions de choisir, mon premier mouvement a
été
de joyeuse acceptation, et puis un scrupule m’est venu, presque un do
1076
été de joyeuse acceptation, et puis un scrupule m’
est
venu, presque un doute : étais-je vraiment l’homme de la circonstance
1077
t puis un scrupule m’est venu, presque un doute :
étais
-je vraiment l’homme de la circonstance ? Car il me semblait, tout d’u
1078
mis, celui que nous allions couronner se trouvait
être
— à tout le moins par ses vertus, exactement le contraire de moi, de
1079
tus, exactement le contraire de moi, de ce que je
fus
dans ma jeunesse et suis resté à tant d’égards. Je m’explique par que
1080
aire de moi, de ce que je fus dans ma jeunesse et
suis
resté à tant d’égards. Je m’explique par quelques exemples. Jean Star
1081
Staro », comme on l’appelle dans toute l’Europe,
est
conservateur par sagesse, au plus beau sens de l’expression, et moi c
1082
pression, et moi contestateur par indignation. Il
est
prudent et circonspect en tous domaines, je ne l’ai jamais été, hélas
1083
t circonspect en tous domaines, je ne l’ai jamais
été
, hélas, dans aucun. Il est analytique et méthodique, moi plutôt polém
1084
nes, je ne l’ai jamais été, hélas, dans aucun. Il
est
analytique et méthodique, moi plutôt polémique et passionné. Autant i
1085
dans ses écrits et son comportement, autant il m’
est
arrivé de céder à la rabies theologica, ou simplement à mes humeurs.
1086
masquer des lacunes trop certaines. Enfin, Staro
est
un pur citadin, et je me sens de plus en plus un campagnard… Les meil
1087
aient donc pas réunies, de mon côté. Pourtant, je
suis
ici ce soir, vous m’en voyez heureux, tous scrupules apaisés : Que s’
1088
’en voyez heureux, tous scrupules apaisés : Que s’
est
-il donc passé dans l’entretemps ? Deux choses. D’abord, comme chaque
1089
chaque fois que je me sens dans l’impasse, je me
suis
dit : voyons un peu plus large. Ensuite, j’ai lu ce Montaigne en mouv
1090
x apparemment fortuit mais secrètement délibéré s’
est
révélé plein de sens et de conséquences : à cause de lui, c’est du mê
1091
littérature française, nous avons l’un et l’autre
été
nourris par l’Europe germanique et le monde anglo-saxon avec ses prol
1092
s et cette formule européenne : le sens de ce qui
est
dû à la cité. En dépit de sa méfiance justifiée à l’endroit de l’enga
1093
inski n’a jamais négligé le devoir civique : c’en
était
un pour lui que de présider quinze ans durant les Rencontres internat
1094
similitude, non le moins significatif : quel que
soit
le sujet à traiter, nous le faisons l’un et l’autre en écrivains d’ab
1095
e cherche la simplicité. La critique doit pouvoir
être
rigoureuse sans être aride, elle peut satisfaire aux exigences de la
1096
té. La critique doit pouvoir être rigoureuse sans
être
aride, elle peut satisfaire aux exigences de la science sans offenser
1097
écrit en prose dans ce pays. Et Jean Starobinski
est
certainement le critique le plus littéraire de notre temps, dès lors
1098
resser un éloge accessoire sans doute, mais qu’il
est
aujourd’hui l’un des très rares à mériter : il n’a jamais cédé à la m
1099
ues de linguistique et de psychanalyse ! Mais il
est
temps d’en venir au grand essai sur l’inventeur des Essais qui couron
1100
Ce thème central, comme il l’indique lui-même, n’
est
autre que l’antithèse traditionnelle de l’être et du paraître dans l’
1101
, n’est autre que l’antithèse traditionnelle de l’
être
et du paraître dans l’homme. Thème majeur qui implique et appelle deu
1102
ème des masques et celui du regard — L’Œil vivant
est
l’un de ses titres. Au thème majeur sont consacrés les deux temps for
1103
il vivant est l’un de ses titres. Au thème majeur
sont
consacrés les deux temps forts jusqu’ici, de son œuvre : Jean-Jacques
1104
er paru qui me retiendra ce soir. L’essentiel en
est
annoncé dans le titre. Il ne s’agit nullement de biographie ni de cri
1105
er temps, Montaigne se prend pour sujet : « Je me
suis
présenté moi-même à moi, pour argument et pour sujet. » Il s’agit d’u
1106
assez duré… Le plus voisin mal qui nous menace n’
est
pas altération de la masse entière… mais sa dissipation »… On dirait
1107
out répandue, le danger couru à tout instant ; ce
sont
autant d’incitations pressantes à la feinte et à la dissimulation… Le
1108
à la dissimulation… Le monde qu’accuse Montaigne
est
un labyrinthe où les faux-semblants ont, pour ainsi dire, cours légal
1109
ets de mensonge universel se manifestent : « tout
est
piperie et batelage », nous dit Montaigne. Le monde n’est qu’un théât
1110
rie et batelage », nous dit Montaigne. Le monde n’
est
qu’un théâtre, tout n’y est que masques ! Montaigne prend alors le pa
1111
Montaigne. Le monde n’est qu’un théâtre, tout n’y
est
que masques ! Montaigne prend alors le parti de l’être vrai, de son i
1112
que masques ! Montaigne prend alors le parti de l’
être
vrai, de son identité foncière aux prises avec le mensonge universel.
1113
pur et simple et de l’impossible repliement sur l’
être
en soi. Tout au long des « essais » qui couvrent son expérience, il v
1114
tant que manifestation sincère et véridique de l’
être
, en tant, dirais-je, qu’acceptation de l’incarnation nécessaire des i
1115
taigne : premier temps, le refus de tout ce qui n’
est
pas moi ; deuxième temps, la prise de conscience du fait que je me co
1116
dirions-nous, mais dans la seule mesure où elles
sont
maîtrisées, soumises à l’être, à la personne libre et responsable, et
1117
ule mesure où elles sont maîtrisées, soumises à l’
être
, à la personne libre et responsable, et non pas au mensonge officiel
1118
encore moins à des « impératifs du futur » qui ne
sont
que publicité pour des intérêts immédiats. Combien j’aimerais vous re
1119
ritique et prend la parole en son nom. Ce passage
est
pour moi bien émouvant. Je cite : « L’acte ultime de la critique est
1120
mouvant. Je cite : « L’acte ultime de la critique
est
de signaler que le choix politico-religieux n’est pas de son ressort,
1121
est de signaler que le choix politico-religieux n’
est
pas de son ressort, mais qu’il doit néanmoins avoir lieu. » Suivent d
1122
ir. Je cite encore : « Le malaise de notre siècle
est
dû pour une large part au poids excessif des impératifs d’avenir, au
1123
u pouvoir dictatorial d’un futur dont le triomphe
est
de faire oublier qu’il est exercé à partir du présent par des hommes
1124
futur dont le triomphe est de faire oublier qu’il
est
exercé à partir du présent par des hommes qui se trouvent enchaînés à
1125
e de la sorte pour nous faire croire qu’elle nous
est
extérieure, pour n’avoir pas à s’avouer nôtre… Tout cela prolonge les
1126
ar Rembrandt ont tous un air de ressemblance, qui
est
le sien. Ainsi va-t-il de Montaigne copiant les Anciens, de Starobins
1127
l dont plusieurs des Pensées les plus célèbres ne
sont
que des notes de lecture, des résumés de phrases de Montaigne. (Ainsi
1128
umés de phrases de Montaigne. (Ainsi, « l’homme n’
est
ni ange ni bête », thème qui revient vingt fois dans les Essais.) Si
1129
qui revient vingt fois dans les Essais.) Si vous
êtes
curieux de notre lauréat, lisez son livre sur Montaigne : c’est le me
1130
e jour de Jean Starobinski. Après ce livre, je ne
serais
pas trop surpris de le voir céder — s’en rendant compte à peine — à l
1131
indre à son tour à propos de ce qui se passe, qui
est
pire encore qu’au xvie siècle — et de nous donner un jour ce livre d
1132
ur-prétexte, il nous ferait voir son vrai moi. Ce
serait
, j’en suis sûr, son chef-d’œuvre. ak. Rougemont Denis de, « Éloge
1133
il nous ferait voir son vrai moi. Ce serait, j’en
suis
sûr, son chef-d’œuvre. ak. Rougemont Denis de, « Éloge de Jean Sta
1134
ux communs. Pour former un groupe, il ne faut pas
être
trop ni trop peu. Il y a un optimum à trouver. Trop peu ce serait une
1135
rop peu. Il y a un optimum à trouver. Trop peu ce
serait
une famille ou un complot. Trop nombreux, c’est le brouhaha. La foule
1136
foule étouffe toute possibilité d’échange qui ne
soit
pas de hurlements ou de coups. L’agora est la meilleure définition d’
1137
ui ne soit pas de hurlements ou de coups. L’agora
est
la meilleure définition d’un espace dans lequel des citoyens peuvent
1138
yens peuvent échanger leurs vues, dialoguer. Elle
est
donc le fondement historique de la démocratie à l’européenne, en tant
1139
blique qui lui paraissaient nécessaires pour qu’y
soient
représentées les composantes fondamentales d’une communauté civique.
1140
ourd’hui que le pacte de 1291, dit du « Grütli »,
fut
écrit dans un latin assez particulier, celui des greffiers qui rédige
1141
unes italiennes, garantis par le Saint-Empire. Ce
sont
ces greffiers-là, passant le col ouvert vers 1240, qui ont fourni aux
1142
s les Waldstätten, mais le plus souvent urbaine s’
est
répandue dans les Allemagnes et en Angleterre, en Bourgogne et jusqu’
1143
respecter si l’on veut que l’agora fonctionne ont
été
formulées par Aristote, notamment dans sa politique. La première règl
1144
e, notamment dans sa politique. La première règle
est
celle de la dimension, que nous avons signalée tout à l’heure : il s’
1145
t de pouvoir entendre la voix d’un homme « qui ne
serait
pas nécessairement Stentor », précise Aristote. On répond aujourd’hui
1146
lle nationale, n’ayant que sa voix naturelle ? Il
est
évident qu’un Mussolini en 1922 ou surtout un Hitler dix ans plus tar
1147
00 places assises entourée d’un parc immense où s’
est
massée une foule de 100 000 personnes — selon les journaux du lendema
1148
, par opposition à l’individu irresponsable qui n’
est
qu’un grain de cette poussière avec laquelle l’État totalitaire fera
1149
re de leur population ». La liberté, selon lui, n’
est
assurée que par les petites dimensions, car elles seules permettent a
1150
tif, donc d’exercer des responsabilités civiques.
Soit
dit en passant : toutes les sottises monumentales qu’on a pu écrire c
1151
critiquer, de questionner et de proposer, ce qui
est
l’exercice du civisme et qui permet aux hommes d’être libres dans la
1152
l’exercice du civisme et qui permet aux hommes d’
être
libres dans la mesure même où ils peuvent assumer leur responsabilité
1153
nt assumer leur responsabilité civique. Voilà qui
est
simple et clair, je crois bien. Les vraies difficultés commencent lor
1154
quer ces principes à nos sociétés telles qu’elles
sont
devenues : démesurées en fait, qu’on le veuille ou non, par les tâche
1155
us vastes, lourdes et dispendieuses dont elles se
sont
chargées et dont elles abandonnent la responsabilité à l’État, c’est-
1156
mblées d’hommes en contact. Un meilleur substitut
serait
sans doute le journal, et surtout le journal local, professionnel, mu
1157
, proportionné à la taille du groupe dont il veut
être
le lieu de rencontre. Un substitut écrit aux échanges vocaux sur une
1158
ations reçues. Si bien que les échanges par écrit
sont
souvent plus réels, moins schématiques que les répliques improvisées
1159
mprovisées dans l’assemblée réelle. Votre journal
est
donc, dans ce sens, un substitut virtuellement très valable à l’agora
1160
que c’est par le mot « universitates » qu’elles y
sont
désignées ? 5. L’historien E. Gagliardi estime que la Suisse est le
1161
5. L’historien E. Gagliardi estime que la Suisse
est
le dernier témoin vivant du mouvement des communes italiennes, qui fu
1162
vivant du mouvement des communes italiennes, qui
fut
écrasé partout ailleurs par l’essor des nationalismes, culminant dans
1163
e 1985)ap aq À deux titres au moins, la Suisse
tient
en Europe un rôle d’exception radicale, par là même peut-être exempla
1164
icale, par là même peut-être exemplaire : I. Elle
est
le modèle encore inégalé d’une communauté politique née de la libre a
1165
ière Constitution ne remonte qu’à 1848. La Suisse
est
donc le seul État d’Europe intégralement fédéraliste de par ses origi
1166
loppement et ses institutions actuelles. II. Elle
est
aussi le seul pays d’Europe qui n’a pas de culture nationale — et cel
1167
Europe qui n’a pas de culture nationale — et cela
tient
à sa structure fédéraliste non moins qu’à la pluralité de ses origine
1168
à la Renaissance, apports bibliques : « La Bible
est
notre Antiquité », écrit Ramuz. À quoi s’ajoute — si même il n’en rés
1169
cause même de ces données originelles, la Suisse
est
devenue le pays le plus cultivé du continent, si l’on en juge aux ind
1170
bel de sciences par million d’habitants12. Quelle
est
alors cette culture si vivante, si créatrice, qui pourtant n’est pas
1171
culture si vivante, si créatrice, qui pourtant n’
est
pas nationale ? Une seule réponse demeure possible : c’est la culture
1172
s multiples à l’échelle continentale, la Suisse l’
est
aussi des formules d’évolution de la création culturelle de l’Europe
1173
l’Europe considérée dans son ensemble, la Suisse
est
un espace de culture dont le centre est partout et la circonférence n
1174
la Suisse est un espace de culture dont le centre
est
partout et la circonférence nulle part — surtout pas aux frontières é
1175
oyenne qu’environ deux-cents ans d’existence : où
était
donc la culture avant eux ? En Suisse, point de ville capitale, donc
1176
e couleurs et en intensités lumineuses… La Suisse
serait
sans doute l’un des lieux les plus colorés et scintillants du tableau
1177
ivent Fuseli et dont va procéder William Blake) —
sont
nées dans le cercle du Doyen Bodmer : intensité lumineuse maxima ! Un
1178
a Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
fut
l’œuvre des trois secrétaires genevois de Mirabeau, Étienne Dumont, d
1179
du nom du château de Necker où Germaine de Staël
tient
sa cour, que vont passer d’est en ouest les grands courants européens
1180
ermaine de Staël tient sa cour, que vont passer d’
est
en ouest les grands courants européens du romantisme et du libéralism
1181
aujourd’hui dans l’Occident tout entier, comme l’
est
aussi la pensée de Jean Piaget, l’un des premiers disciples de l’Inst
1182
plus grands noms de l’aventure intellectuelle qu’
est
l’Europe — noms de Suisses par naissance ou par choix. Mais on l’aura
1183
, Mozart ou Rubens, Shakespeare ou Dostoïevski ne
seraient
guère pensables en tant que Suisses. Une certaine démesure, un grand
1184
e tout souci d’obligation « morale » leur eussent
été
probablement refusés par nos coutumes les plus invétérées. En revanch
1185
che, la plupart des grands noms que j’ai cités ne
seraient
guère pensables hors du complexe suisse. Et c’est à eux que la Suisse
1186
ine, Karl Barth. Son canton — ou l’Europe. Et il
est
vrai que nos meilleurs esprits, hors du compartiment natal, iront che
1187
e des sociétés humaines, dont le Contrat social n’
est
qu’un fragment : Rousseau. Vue générale du genre humain : Jean de Mül
1188
e l’inconscient collectif : C. G. Jung. Mais ce n’
est
pas en grimpant sur nos Alpes que ces hommes s’illustrèrent et apprir
1189
ait le principal de leur carrière en Suisse, ce n’
est
pas la Suisse qui a découvert et propagé leur nom dans le monde ; c’e
1190
oisins ou de l’Amérique, que leur réputation nous
est
revenue, comme importée. « Son canton — ou l’Europe », c’est la formu
1191
mme de culture en tant que tel, le stade national
est
sauté. Cas unique, dans l’Europe moderne. J’ose y voir le plus grand
1192
le plus grand privilège des Suisses : quelle que
soit
leur petite patrie locale, s’ils la dépassent c’est pour rejoindre im
1193
. « … l’Unité intelligible d’étude historique » n’
est
ni un État-nation (a Nation-state) ni l’humanité prise comme un tout,
1194
is de Rougemont (1986)at au Denis de Rougemont
est
un écrivain personnaliste et chrétien. Il n’est sans doute pas inutil
1195
t est un écrivain personnaliste et chrétien. Il n’
est
sans doute pas inutile de le rappeler, car l’immense succès de L’Amo
1196
té les premiers écrits politiques16. Ces derniers
sont
, aujourd’hui, souvent introuvables, faute d’avoir été réédités. Rouge
1197
aujourd’hui, souvent introuvables, faute d’avoir
été
réédités. Rougemont dénonçait, dès le début des années 1930, l’inviab
1198
et de droite, ce qui ne saurait surprendre : tel
est
le sort des non-conformistes18. On a peut-être trop négligé la dimens
1199
ion téléologique de son système de pensée, qui en
est
pourtant la composante fondamentale. Un demi-siècle plus tard, les gr
1200
t, en France, sur le déclin. On proclame que Marx
est
mort, alors qu’on aurait pu penser, pour l’avoir tellement entendu ré
1201
our l’avoir tellement entendu répéter, que Dieu l’
était
. Le retour de Dieu, précisément, se confirme dans la pensée philosoph
1202
nt prophétique et indiscutablement actuel20. Il n’
était
donc pas inopportun de demander à Denis de Rougemont de préciser cert
1203
lectuel d’aujourd’hui. Vos écrits des années 1930
sont
une condamnation sans équivoque possible du totalitarisme sous toutes
1204
du fascisme donc, et aussi du marxisme. Je ne me
suis
pas borné à condamner ; j’ai proposé les principes d’une société pers
1205
le stalinisme totalitaire. Certes, je n’ai jamais
été
marxiste, mais il y a beaucoup de choses que Marx a découvertes, qui
1206
a beaucoup de choses que Marx a découvertes, qui
sont
entrées dans le domaine commun, et qui sont désormais acquises par to
1207
, qui sont entrées dans le domaine commun, et qui
sont
désormais acquises par tous les politologues, quel que soit leur bord
1208
mais acquises par tous les politologues, quel que
soit
leur bord politique. Même si on est d’extrême droite on ne peut pas n
1209
es, quel que soit leur bord politique. Même si on
est
d’extrême droite on ne peut pas nier l’existence de la lutte des clas
1210
nous avait révélés Arnaud Dandieu, alors qu’ils n’
étaient
qu’à peine connus et pas encore traduits en français : il s’agit des
1211
rançais : il s’agit des écrits de 1842 à 1844 qui
sont
souvent admirables, surtout ceux d’avant sa brouille avec Proudhon. M
1212
c Proudhon. Mais au-delà des écrits de 1844, nous
étions
entièrement du côté de Proudhon, de son socialisme fédéraliste ainsi
1213
ires et en particulier du régime soviétique. Nous
étions
parfaitement conscients que le fascisme et le nazisme n’étaient pas d
1214
tement conscients que le fascisme et le nazisme n’
étaient
pas des réactions « de droite » contre les communistes. Au contraire,
1215
ite » contre les communistes. Au contraire, ils s’
étaient
beaucoup inspirés du bolchévisme et ils étaient expressément socialis
1216
s’étaient beaucoup inspirés du bolchévisme et ils
étaient
expressément socialistes à l’origine. Ensuite il a pu y avoir des con
1217
its entre Hitler, Mussolini et Staline, mais ce n’
étaient
pas des conflits fondamentaux. Ils étaient tous pour l’État d’abord,
1218
s ce n’étaient pas des conflits fondamentaux. Ils
étaient
tous pour l’État d’abord, unitaire et centralisé : « Ein Volk, ein Re
1219
n Führer » (un peuple, un empire, un chef). Telle
était
la devise de Hitler. Devise jacobine dans ses deux premiers termes, e
1220
apoléonienne par son troisième. Et c’est cela qui
est
tout à fait contraire à votre mouvement de pensée. Tout à fait l’inve
1221
plement le contraire de ce que nous voulions, qui
était
le fédéralisme intégral, poussé jusqu’à la commune, jusqu’à l’atelier
1222
n sens concret, actif, c’est-à-dire où le citoyen
soit
appelé à se prononcer continuellement, pas seulement lorsqu’il vote,
1223
l y a beaucoup trop de communes, par exemple, qui
sont
trop petites pour entretenir une école, en France surtout. Mais même
1224
culier : les écoles, les égouts, les forêts… Tout
tient
uniquement aux dimensions des tâches. Nous insistions énormément là-d
1225
es. Tout dépend des dimensions des tâches dont on
est
responsable ; c’est d’après cela qu’on doit organiser la société. D’o
1226
l’étatisme ? Cela c’est très important. Mais on s’
est
souvent trompé sur ce que nous appelions l’État. On a cru que nous vo
1227
ulement préciser et limiter ses fonctions. Nous n’
étions
pas du tout des anarchistes. Nous considérions l’État comme une fonct
1228
ste déjà dans le couple — c’est une théorie qui m’
est
un peu particulière. Dans le couple, celui qui fait les comptes, qui
1229
elui qui fait les comptes, qui paye les factures,
tient
le rôle de l’État. La « fonction étatique » est parfaitement respecta
1230
tient le rôle de l’État. La « fonction étatique »
est
parfaitement respectable, et même indispensable. Mais l’État n’a aucu
1231
’on voit tout le temps revenir en France : « Il a
été
un grand serviteur de l’État ». C’est l’État qui est un service ; on
1232
un grand serviteur de l’État ». C’est l’État qui
est
un service ; on n’est pas serviteur de l’État. On peut et on doit êtr
1233
l’État ». C’est l’État qui est un service ; on n’
est
pas serviteur de l’État. On peut et on doit être serviteur de la comm
1234
n’est pas serviteur de l’État. On peut et on doit
être
serviteur de la communauté, ce qui est tout à fait différent. Ce term
1235
t on doit être serviteur de la communauté, ce qui
est
tout à fait différent. Ce terme de « communauté » est chez vous un te
1236
tout à fait différent. Ce terme de « communauté »
est
chez vous un terme clé. La communauté, c’est une réalité. L’État est
1237
rme clé. La communauté, c’est une réalité. L’État
est
une mesure, une fonction convenue. La communauté est une vérité vivan
1238
une mesure, une fonction convenue. La communauté
est
une vérité vivante : les gens tels qu’ils sont, en chair, en os et en
1239
uté est une vérité vivante : les gens tels qu’ils
sont
, en chair, en os et en esprit, qui doivent normalement partager un se
1240
ce (cela commence déjà dans le règne animal). Ils
sont
du même pays, ils sont de la même langue, ils ont des liens de parent
1241
dans le règne animal). Ils sont du même pays, ils
sont
de la même langue, ils ont des liens de parenté, ils ont des traditio
1242
ment un tissu social, donc une communauté. Ils ne
sont
plus des individus isolés, séparés. Ils sont « reliés ». Ils ont des
1243
s ne sont plus des individus isolés, séparés. Ils
sont
« reliés ». Ils ont des prochains, non plus seulement des « voisins i
1244
interprétation du terme. On a pu croire que vous
étiez
contre l’individualisme, au sens d’une limitation des libertés indivi
1245
semblait une manière plutôt abstraite d’isoler un
être
, d’en faire un simple exemplaire de l’espèce, interchangeable, un num
1246
ire de l’espèce, interchangeable, un numéro. Nous
étions
contre cette conception rationaliste, réifiée de l’homme que suppose
1247
suppose la coutume française centralisée, et qui
est
foncièrement in-civique. Nous dénoncions le système napoléonien et ja
1248
nien et jacobin comme modèle de tout ce qui avait
été
fortement aggravé par Mussolini : l’État au-dessus de tout. C’est Mus
1249
yeux l’achèvement suprême de l’Histoire. L’homme
était
au service de l’État. Cela a été repris en bonne partie par Hitler, q
1250
toire. L’homme était au service de l’État. Cela a
été
repris en bonne partie par Hitler, qui a tout de même insisté beaucou
1251
s renier leur croyance. Il y avait aussi ceux qui
étaient
nietzschéens, comme on disait à l’époque. Cela voulait dire qu’ils se
1252
schéenne, d’une critique « au marteau », qui peut
être
très constructive. C’est d’ailleurs dans Nietzsche que nous avons lu
1253
se trouve dans Par-delà le bien et le mal, où il
est
dit que tout va vers l’union de l’Europe, que les meilleurs esprits d
1254
a, vers une république européenne, qui a toujours
été
le rêve et l’idéal des grands esprits : c’est seulement quand ils dev
1255
nationalistes21. Parce que nietzschéens, certains
étaient
antichrétiens. Moi, c’était tout à fait différent puisque j’étais de
1256
ens. Moi, c’était tout à fait différent puisque j’
étais
de tradition protestante, fils de pasteur et petit-fils d’un professe
1257
considérais comme la meilleure de l’époque. Elle
était
dirigée par Paul Valéry, Léon-Paul Fargue et Valery Larbaud. Pour le
1258
e et Valery Larbaud. Pour le jeune écrivain que j’
étais
, pour qui le sommet de la vie littéraire et intellectuelle du siècle
1259
de la vie littéraire et intellectuelle du siècle
était
le groupe de la Nouvelle Revue française , je ne pouvais rêver quelq
1260
mière fois le nom de Kierkegaard. À quelle époque
est
-ce que cela remonte ? Ça remonte aux années 1927 à 1930. Je devais do
1261
7 à 1930. Je devais donc avoir 21 à 24 ans. Je me
suis
mis à chercher ce qui était traduit de Kierkegaard en français : il n
1262
oir 21 à 24 ans. Je me suis mis à chercher ce qui
était
traduit de Kierkegaard en français : il n’y avait à peu près rien. Ma
1263
j’ai trouvé une belle anthologie en allemand. Ce
fut
une lecture enthousiasmante. Je suis convaincu que si Nietzsche avait
1264
allemand. Ce fut une lecture enthousiasmante. Je
suis
convaincu que si Nietzsche avait pu lire Kierkegaard, tout aurait cha
1265
lettre (je donne ce détail en passant parce qu’il
est
amusant) de Georg Brandes, un philosophe danois, grand interprète de
1266
Kierkegaard, professeur à Copenhague où il avait
été
le premier à donner des cours sur lui. Il écrivait souvent à Nietzsch
1267
it deux hommes qu’il devait absolument lire, l’un
était
Dostoïevski, l’autre Kierkegaard. Que serait-il arrivé si Nietzsche n
1268
l’un était Dostoïevski, l’autre Kierkegaard. Que
serait
-il arrivé si Nietzsche n’était pas devenu fou juste un mois après avo
1269
Kierkegaard. Que serait-il arrivé si Nietzsche n’
était
pas devenu fou juste un mois après avoir reçu cette lettre ? Question
1270
te une génération d’intellectuels européens qui n’
étaient
par ailleurs ni kierkegaardiens ni protestants. Enfin, j’ai découvert
1271
découvert peu après, vers 1930, une théologie qui
était
nettement inspirée de Kierkegaard et qui était en même temps sociale,
1272
ui était nettement inspirée de Kierkegaard et qui
était
en même temps sociale, c’était celle de Karl Barth, membre actif du p
1273
actif du parti socialiste (ce que je n’ai jamais
été
), mais enfin cela indiquait une certaine direction, une application d
1274
i aux masses, mais à la personne, comme nous nous
sommes
mis à dire très vite, et aussi à la communauté. Votre première défin
1275
ns lesquels il montrait comment le mot personne a
été
conçu, a été imaginé, pour désigner les trois êtres de même « substan
1276
l montrait comment le mot personne a été conçu, a
été
imaginé, pour désigner les trois êtres de même « substance », mais de
1277
été conçu, a été imaginé, pour désigner les trois
êtres
de même « substance », mais de fonctions différentes, formant la trin
1278
ui convenait. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit
étaient
de même nature, mais il fallait les distinguer. Ils étaient un en tro
1279
même nature, mais il fallait les distinguer. Ils
étaient
un en trois. Comment dire cela ? Ce fut le grand problème des pères d
1280
. Ils étaient un en trois. Comment dire cela ? Ce
fut
le grand problème des pères de l’Église à partir du concile de Nicée,
1281
partir du concile de Nicée, et cela a finalement
été
résolu cent-vingt-cinq ans plus tard au concile de Chalcédoine. Ils o
1282
eur. Le masque ! Oui, le masque. Mais le même mot
était
devenu un terme juridique beaucoup plus large. Il y a, par exemple, c
1283
hrase importante dans le droit romain : « Persona
est
sui juris », la personne est sujet de son droit, mais « Servus non es
1284
t romain : « Persona est sui juris », la personne
est
sujet de son droit, mais « Servus non est persona », l’esclave n’est
1285
ersonne est sujet de son droit, mais « Servus non
est
persona », l’esclave n’est pas une personne. L’esclave ne peut être u
1286
oit, mais « Servus non est persona », l’esclave n’
est
pas une personne. L’esclave ne peut être une personne puisqu’il n’est
1287
esclave n’est pas une personne. L’esclave ne peut
être
une personne puisqu’il n’est pas autonome. Cela indiquait très bien c
1288
. L’esclave ne peut être une personne puisqu’il n’
est
pas autonome. Cela indiquait très bien ce que nous cherchions, qui n’
1289
indiquait très bien ce que nous cherchions, qui n’
était
pas l’individu, produit d’une division, comme l’atome, ce que Marx av
1290
sait en France. Individualisme voulait dire qu’on
était
contre l’État tout en lui demandant de faire tout le travail, « chacu
1291
lesse congénitale d’une démocratie individualiste
est
de dire « non », simplement. Une chose qui m’avait aussi beaucoup fra
1292
stidigitation. Un magicien hypnotise les gens. Il
est
sur la scène et il les appelle dans la salle. Il leur ordonne de fair
1293
Mais quelqu’un se lève dans la salle et dit qu’il
est
scandalisé de voir qu’on prive les hommes de leur volonté. Lui, on ne
1294
e l’aura pas ! Il dira non jusqu’au bout. Mais il
est
hypnotisé comme les autres. Le narrateur donne alors l’explication :
1295
re les gens), qui dit simplement « non, moi je ne
suis
tenu par rien », l’égoïste. La personne, au contraire, c’est l’être e
1296
s gens), qui dit simplement « non, moi je ne suis
tenu
par rien », l’égoïste. La personne, au contraire, c’est l’être en rel
1297
», l’égoïste. La personne, au contraire, c’est l’
être
en relation, qui est non seulement assuré de sa vocation, de son unic
1298
onne, au contraire, c’est l’être en relation, qui
est
non seulement assuré de sa vocation, de son unicité, mais par cette v
1299
ion, de son unicité, mais par cette vocation même
est
mis en relation avec la société, créateur de la relation sociale. Là,
1300
l’importance de la foi tout en affirmant que ce n’
est
pas, que ce ne doit pas être un idéal. Absolument pas. Cela peut prêt
1301
en affirmant que ce n’est pas, que ce ne doit pas
être
un idéal. Absolument pas. Cela peut prêter à confusion. Pourriez-vous
1302
vous préciser ce que vous entendez par foi ? Cela
est
absolument fondamental pour moi. C’est ce que je développerai dans un
1303
est ce que je développerai dans un livre qui doit
être
, à mon sens, le plus important de ceux que j’aurai écrits, mais qui n
1304
important de ceux que j’aurai écrits, mais qui n’
est
pas encore achevé. J’en ai une première version écrite en 1945-1946,
1305
version écrite en 1945-1946, mais qui n’a jamais
été
publiée. Elle n’a que 120 pages, et depuis lors j’ai accumulé au moin
1306
New York24. Ils trouvaient cela insensé. Ma thèse
était
que seul le but peut dicter les moyens, qui ne sont que les moyens de
1307
it que seul le but peut dicter les moyens, qui ne
sont
que les moyens de le rejoindre. C’est lui qui les crée. C’est-à-dire
1308
oyens, dans la mesure où elle crée les moyens qui
sont
déterminés pour la rejoindre, elle seule. On a toujours triché avec c
1309
nt au domaine des moyens. Toute la morale de Kant
est
une morale des moyens. Eh bien non, c’est la fin qui importe. Mais la
1310
us des formes négatives. Il y a des choses qui me
sont
proposées, offertes, par des gens, par des circonstances, qui sont te
1311
ffertes, par des gens, par des circonstances, qui
sont
tentantes à bien des égards, et tout d’un coup quelque chose en moi d
1312
tout d’un coup quelque chose en moi dit non, ce n’
est
pas ta voie, tu ne peux pas aller par là, et cela en dépit de toute r
1313
on ne sait pas exactement le définir), et ce doit
être
le même but pour tous les hommes. Moi, ça m’allait très bien d’appele
1314
ur tous les hommes. Qu’on le connaisse ou non, il
est
là. Et il m’appelle. C’est cet appel qui crée la personne. Alors je d
1315
la rejoindre. C’est la raison pour laquelle vous
êtes
aussi opposé à l’idée de révolution matérialiste. Dès vos premiers éc
1316
us en attaquez le principe même. En ce sens, vous
êtes
antimarxiste. Dans ce sens oui : radicalement anticollectiviste. Il n
1317
e le même chemin pour aller vers le même but, qui
est
l’Absolu, puisque chacun part d’un endroit qui est sans précédent, po
1318
st l’Absolu, puisque chacun part d’un endroit qui
est
sans précédent, pour devenir une personne. Chacun est différent de to
1319
sans précédent, pour devenir une personne. Chacun
est
différent de tout ce qui a jamais existé, de tout ce qui existera jam
1320
chemin. Je retrouvais beaucoup de métaphores qui
sont
déjà dans les psaumes de l’Ancien Testament, par exemple cette phrase
1321
ette phrase qui m’a toujours frappé : « Ta parole
est
une lampe à mes pieds, une lumière sur mon sentier », qui exprime d’u
1322
mesure où j’ai le courage d’avancer, puisqu’elle
est
comme attachée à mon pied : elle n’éclaire rien, sauf si j’avance. J’
1323
c’est mon moyen. Là j’ai retrouvé des choses qui
sont
dans Nietzsche, la création de soi en vertu d’une fin qui est encore
1324
tzsche, la création de soi en vertu d’une fin qui
est
encore indicible, mais qui agit. Il est bon qu’elle agisse, sans ça q
1325
e fin qui est encore indicible, mais qui agit. Il
est
bon qu’elle agisse, sans ça qu’est-ce qui me donnerait le courage d’i
1326
s qui agit. Il est bon qu’elle agisse, sans ça qu’
est
-ce qui me donnerait le courage d’inventer mon chemin ? Voilà donc la
1327
s moyens très souvent détournés et négatifs (tu n’
es
pas fait pour faire cela, tu dois refuser). C’est plus fréquent que l
1328
a réalise donc parmi les hommes, puisqu’elle doit
être
tout acte. La personne est prise dans le mouvement même de cette auto
1329
mes, puisqu’elle doit être tout acte. La personne
est
prise dans le mouvement même de cette autocréation — « deviens qui tu
1330
ent même de cette autocréation — « deviens qui tu
es
! », disait Goethe — qui est en fait une télé-création parce que comm
1331
on — « deviens qui tu es ! », disait Goethe — qui
est
en fait une télé-création parce que commandée par mon But, non par mo
1332
tudes, on les dépasse en action. Vous voyez, nous
sommes
ici assez loin du catéchisme traditionnel, et en même temps, en plein
1333
en ce moment, intitulé Journal d’un Européen, qui
est
la conclusion de mon « journal non intime », comme je l’ai appelé, pa
1334
révolution matérialiste, fasciste ou communiste,
est
vouée à l’échec. Cela est très important, et on le redit maintenant,
1335
fasciste ou communiste, est vouée à l’échec. Cela
est
très important, et on le redit maintenant, depuis plusieurs années. V
1336
ieurs années. Votre prise de position de l’époque
est
donc très actuelle. Oui, la révolution au sens marxiste comme au sens
1337
lution au sens marxiste comme au sens romantique,
est
vouée à l’échec structurellement et systémiquement. Elle ne peut pas
1338
pas réussir, puisque la seule révolution valable
serait
une révolution qui augmenterait la liberté, donc la responsabilité de
1339
esponsabilité des gens. C’est une autre chose qui
est
tout à fait essentielle dans tout ce que nous disions26, mais peut-êt
1340
, mais peut-être plus claire chez moi que ça ne l’
est
chez d’autres personnalistes, peut-être par une certaine ambition lit
1341
tion littéraire que d’autres n’avaient pas, qui n’
était
pas dans leurs préoccupations maîtresses. Moi je me suis toujours con
1342
s dans leurs préoccupations maîtresses. Moi je me
suis
toujours considéré avant tout comme écrivain. La littérature était ma
1343
nsidéré avant tout comme écrivain. La littérature
était
ma préoccupation fondamentale. Ce qui m’a fait découvrir Kierkegaard,
1344
cupation de formulation et de communication. J’ai
été
amené à discuter ces choses avec des gens qui étaient surtout des int
1345
été amené à discuter ces choses avec des gens qui
étaient
surtout des intellectuels. Peu à peu je me suis mis à connaître des h
1346
taient surtout des intellectuels. Peu à peu je me
suis
mis à connaître des hommes politiques, mais je ne les ai jamais admir
1347
des écrivains. Un de ceux qui m’a le plus marqué
est
Paul Valéry, que j’ai à peine rencontré. Il y en a d’autres que j’ai
1348
avait entièrement convaincu Bataille. Enfin, nous
étions
en bons termes, mais je l’ai assez peu connu. Et Caillois ? Caillois,
1349
ale du But , mais pour le moment, j’y ai renoncé…
Êtes
-vous toujours en rapport avec certains écrivains personnalistes ? Il
1350
e sens pas du tout vieux, mais je découvre que je
suis
un des derniers survivants de cette génération qui s’est déclarée ent
1351
des derniers survivants de cette génération qui s’
est
déclarée entre 1932 et 1939. Quelques-uns ont été tués, beaucoup sont
1352
est déclarée entre 1932 et 1939. Quelques-uns ont
été
tués, beaucoup sont morts depuis, et avec Alexandre Marc, je suis à p
1353
1932 et 1939. Quelques-uns ont été tués, beaucoup
sont
morts depuis, et avec Alexandre Marc, je suis à peu près le dernier s
1354
oup sont morts depuis, et avec Alexandre Marc, je
suis
à peu près le dernier survivant des personnalistes de la première gén
1355
sent enfin s’inscrire dans les faits, pour ce qui
est
, tout au moins, de l’Europe. Le 5 août 1984 15. Lors de sa parution
1356
Occident provoqua de nombreuses réactions qui ne
furent
pas toujours favorables. L’édition dite « définitive » (Paris : Plon,
1357
ion. L’ouvrage, traduit en 14 langues, ne cesse d’
être
réédité et discuté, quarante-cinq ans après sa première édition. 16.
1358
s années 1930 (Paris : Seuil, 1969). 19. Si Marx
est
mort — titre de Jean-Marie Benoist (Paris : Gallimard, 1970) — Dieu e
1359
oist (Paris : Gallimard, 1970) — Dieu et l’Absolu
sont
revenus en force avec Maurice Clavel, par exemple, ou même Guy Lardre
1360
Rougemont ainsi que les erreurs d’interprétation
sont
patentes. 21. Le passage de Par-delà le bien et le mal dont il est q
1361
Le passage de Par-delà le bien et le mal dont il
est
question est intégralement cité dans Vingt-huit siècles d’Europe (Pa
1362
e Par-delà le bien et le mal dont il est question
est
intégralement cité dans Vingt-huit siècles d’Europe (Paris : Payot,
1363
he dit : « S’ils appartinrent à une patrie, ce ne
fut
jamais que par les régions superficielles de leur intelligence, ou au
1364
journa aux États-Unis de 1940 à 1946. Alors qu’il
était
lieutenant dans l’armée suisse, il écrivit un article jugé injurieux
1365
du pays pour « insulte à chef d’État étranger »,
fut
condamné à 15 jours de forteresse. La peine lui fut épargnée, mais on
1366
t condamné à 15 jours de forteresse. La peine lui
fut
épargnée, mais on préféra alors l’envoyer aux États-Unis où il travai
1367
oésie, roman, théâtre, et que création littéraire
serait
synonyme de fiction. Voilà qui est méconnaître à tout le moins l’hist
1368
littéraire serait synonyme de fiction. Voilà qui
est
méconnaître à tout le moins l’histoire de la littérature française. L
1369
ma bibliothèque française. Seul Benjamin Constant
est
meilleur dans Adolphe que dans ses écrits politiques. Paul Valéry me
1370
’un écrivain, sa maîtrise de la langue, non, ce n’
est
pas à ses romans mais bien à ses essais qu’on le jugera. Rendons leur
1371
urnées, depuis plus de trente ans, à l’action. Qu’
est
-ce à dire ? Action pour l’Europe fédérée dès 1946, fondation et direc
1372
es ont dit ou écrit que mes engagements européens
étaient
« au détriment de mon œuvre littéraire ». Je serais perdu pour la lit
1373
ient « au détriment de mon œuvre littéraire ». Je
serais
perdu pour la littérature… Le prix Schiller que je reçois aujourd’hui
1374
, de pacifisme ? Je passe donc aux aveux : ils ne
seront
pas complets, faute de temps, mais candides. Deux séries de motifs po
1375
, mais candides. Deux séries de motifs pourraient
être
évoquées ici : d’une part, les défis de l’Histoire auxquels toute ma
1376
face, et d’autre part l’évolution intérieure qui
fut
la mienne dans le même temps, je veux dire dans les années 1930 à 194
1377
années 1930 à 1940. Durant cette décennie tout s’
est
joué, à la fois hors de moi et en moi. Ce qui m’importe ici, c’est de
1378
à relever. Arthur Koestler l’a fort bien dit : ce
fut
l’affrontement entre un mensonge total, celui des dictatures à l’Est,
1379
entre un mensonge total, celui des dictatures à l’
Est
, et une demi-vérité à l’Ouest, celle des États-nations démocratiques.
1380
Nous aurions à la faire, vu notre âge, mais ce ne
serait
pas notre guerre. Entre les régimes totalitaires et les régimes dits
1381
es machines, tout en nous refusait le choix. Nous
étions
condamnés à inventer, dans un temps ridiculement bref, une troisième
1382
n temps ridiculement bref, une troisième voie. Ce
fut
celle du personnalisme. Un jour, chez des amis, un jeune Russe que je
1383
le : Ni individualistes, ni collectivistes, nous
sommes
personnalistes. Un trait de lumière dans mon esprit : cette formule
1384
à Paris, à la fondation et à la vie desquelles je
fus
étroitement associé dès 1931 jusqu’à la guerre. Car la guerre arriva,
1385
ans nos pays et leurs armées parfois ennemies. Je
fus
mobilisé d’abord dans le Jura, puis attaché au service Armée et Foyer
1386
gé d’une mission de conférences sur la Suisse. Je
serais
moins gênant, et même plus utile là-bas, pensait-on sans doute en hau
1387
ler. Et dès mon retour définitif en Suisse, je me
suis
trouvé, sans savoir trop comment, engagé dans la lutte militante pour
1388
istes, puis inspiré la Résistance, j’ai dit que j’
étais
prêt à donner à leur cause deux ans de ma vie, et tant pis pour mon œ
1389
s pour mon œuvre littéraire. C’était en 1947. J’y
suis
encore, les deux ans sont devenus trente-cinq ans, et pourtant je ne
1390
e. C’était en 1947. J’y suis encore, les deux ans
sont
devenus trente-cinq ans, et pourtant je ne regrette rien, pour les ra
1391
, pour les raisons tout intérieures auxquelles il
est
temps que je vienne. Vers ma vingt-quatrième année, j’avais découvert
1392
atrième année, j’avais découvert deux auteurs qui
furent
décisifs pour ma vie : Kierkegaard et Karl Barth. À travers eux j’all
1393
Classe ; mais qu’en revanche un type d’homme qui
serait
à la fois pleinement libre et pleinement responsable de ses actes, ch
1394
hacun de ces termes conditionnant l’autre : nul n’
est
tenu pour responsable de ses actes si ceux-ci n’ont pas été accomplis
1395
n de ces termes conditionnant l’autre : nul n’est
tenu
pour responsable de ses actes si ceux-ci n’ont pas été accomplis libr
1396
our responsable de ses actes si ceux-ci n’ont pas
été
accomplis librement (les juristes connaissent bien cela) et à l’inver
1397
connaissent bien cela) et à l’inverse, personne n’
est
vraiment libre de ses décisions si celles-ci ne peuvent entraîner auc
1398
rvions — nous, les personnalistes — que l’homme n’
est
responsable qu’au sein d’une communauté où sa voix puisse porter et o
1399
l d’une fédération de l’Europe. L’idée générale n’
étant
pas de créer une puissance nouvelle — un « troisième Grand » dans le
1400
pas que l’on déduisît de mes propos que mon œuvre
est
issue d’un système ou d’une dialectique rationnelle. La cohérence et
1401
ue de l’Europe et l’évolution de mes idées, je ne
suis
en droit de les déduire qu’après coup, d’une analyse de ce que j’ai v
1402
vécu. Mais dans le fait, au jour le jour, tout s’
est
passé autrement, par hasard. Certains moments décisifs de ma vie ont
1403
r hasard. Certains moments décisifs de ma vie ont
été
décidés par des coups d’émotion, et d’autres par des décisions longue
1404
lture. Or il se trouve que ces deux petits écrits
sont
ceux dont, en les relisant, je suis le moins mécontent, d’un point de
1405
petits écrits sont ceux dont, en les relisant, je
suis
le moins mécontent, d’un point de vue purement littéraire ! ⁂ Mais la
1406
ons un moment, pour finir, de cette Europe qui me
tient
au cœur, au corps et à l’âme. Un mot domine sa situation, un petit mo
1407
collectifs et de passion de la liberté, l’Europe
est
aujourd’hui menacée dans ses raisons d’être et dans ses possibilités
1408
Europe est aujourd’hui menacée dans ses raisons d’
être
et dans ses possibilités de persévérer en son être. La situation poli
1409
tre et dans ses possibilités de persévérer en son
être
. La situation politique mondiale est en train de faire des Européens,
1410
érer en son être. La situation politique mondiale
est
en train de faire des Européens, jadis maîtres des trois-quarts des t
1411
sation au milieu du xxe , ils courent le risque d’
être
occupés demain, non seulement militairement, mais économiquement et m
1412
troisième guerre mondiale qui, cette fois-ci, ne
serait
pas déclenchée par eux. La crise mondiale actuelle est née des œuvres
1413
as déclenchée par eux. La crise mondiale actuelle
est
née des œuvres de l’Europe, qui a répandu sur toute la Terre ce qu’el
1414
crise ? Laissons de côté les plus probables, qui
sont
, comme il est trop facile de l’imaginer, l’aggravation universelle de
1415
ns de côté les plus probables, qui sont, comme il
est
trop facile de l’imaginer, l’aggravation universelle des conflits int
1416
au plus bas niveau moral et matériel. Et quelles
sont
les issues souhaitables ? Il en est une au moins — la seule peut-être
1417
. Et quelles sont les issues souhaitables ? Il en
est
une au moins — la seule peut-être — qui dépend de l’Europe et de son
1418
de la souveraineté absolue des États-nations. Il
est
devenu parfaitement clair qu’on ne peut pas fonder l’union de l’Europ
1419
ffirmant la vouloir. L’Europe des nationalismes a
été
responsable de deux guerres mondialisées. Elle a été aussi l’agent mo
1420
responsable de deux guerres mondialisées. Elle a
été
aussi l’agent mondialisant d’une forme de culture technico-scientifiq
1421
t responsables. Dans le monde d’aujourd’hui, tout
est
fait de main d’homme (sauf les tremblements de terre, jusqu’ici). Non
1422
ité existe et dont le mieux qu’on puisse attendre
est
qu’elle ne serve jamais à rien : nous sommes fous. Pourquoi notre ave
1423
ttendre est qu’elle ne serve jamais à rien : nous
sommes
fous. Pourquoi notre avenir vaudrait-il mieux que ce que nous sommes,
1424
oi notre avenir vaudrait-il mieux que ce que nous
sommes
, nous qui le laissons faire, nous qui le faisons ? Je ne suis pas, en
1425
ui le laissons faire, nous qui le faisons ? Je ne
suis
pas, en rappelant ces faits, victime de quelque sinistrose, mais tout
1426
mplement réaliste. Plusieurs signes, d’ailleurs,
sont
de nature à réveiller un peu d’espoir : notre action de fédéralistes,
1427
péens, marque chaque année des progrès. La guerre
est
devenue impensable entre deux peuples de l’Europe : fait capital, don
1428
ulsions, ses désirs inavoués, les plus actifs. Je
serai
content si j’ai pu contribuer par mes écrits et mon action à une pris
1429
e de conscience dont dépend notre avenir : car il
sera
ce que nous voulons au fond de nous-mêmes. Ce n’est qu’en chacun de n
1430
a ce que nous voulons au fond de nous-mêmes. Ce n’
est
qu’en chacun de nous qu’il peut être sauvé. Denis de Rougemont 26 oct
1431
s-mêmes. Ce n’est qu’en chacun de nous qu’il peut
être
sauvé. Denis de Rougemont 26 octobre 1982 ar. Rougemont Denis de,
1432
Agora (1994)av L’agora
est
la meilleure définition d’un espace où des citoyens puissent échanger
1433
ens puissent échanger leurs vues, dialoguer. Elle
est
donc le fondement historique de la démocratie à l’européenne, en tant
1434
blique qui lui paraissaient nécessaires pour qu’y
soient
représentées les composantes d’une communauté civique, de l’espace ou
1435
. Les bâtiments constants qui délimitent la place
sont
, chez les Grecs, le temple — ou au moins l’enceinte des autels —, le
1436
ourd’hui que le Pacte de 1291, dit du « Grütli »,
fut
écrit dans un latin assez particulier, celui des greffiers qui rédige
1437
unes italiennes, garantis par le Saint-Empire. Ce
sont
ces greffiers-là, passant le col ouvert vers 1240, qui ont fourni aux
1438
les Waldstätten, mais le plus souvent urbaine — s’
est
répandue dans les Allemagnes et en Angleterre, en Bourgogne et jusqu’
1439
specter, si l’on veut que l’agora fonctionne, ont
été
formulées par Aristote, notamment dans sa Politique. La première règl
1440
e, notamment dans sa Politique. La première règle
est
celle de la dimension. Il s’agit de trouver un optimum entre trop pet
1441
t de pouvoir entendre la voix d’un homme « qui ne
serait
pas nécessairement Stentor », précise Aristote. L’agora reste donc le
1442
critiquer, de questionner et de proposer, ce qui
est
l’exercice du civisme et qui permet aux hommes d’être libres dans la
1443
l’exercice du civisme et qui permet aux hommes d’
être
libres dans la mesure même où ils peuvent assumer leur responsabilité
1444
quer ces principes à nos sociétés telles qu’elles
sont
devenues : démesurées en fait, qu’on le veuille ou non, par les tâche
1445
us vastes, lourdes et dispendieuses dont elles se
sont
chargées et dont elles abandonnent la responsabilité à l’État, c’est-
1446
xante premières années de son existence, l’URSS a
été
dotée par les chefs du Parti communiste de quatre constitutions diffé
1447
publiques soviétiques qui pourront naître ». Elle
est
formée au départ de quatre républiques : Russie, Ukraine, Biélorussie
1448
entrée en vigueur au moment de la mort de Lénine,
sera
remplacée plus tard par la Constitution de 1936, intitulée Loi fondam
1449
Ier sur l’Organisation sociale annonce que l’URSS
est
un État socialiste des ouvriers et des paysans, dont « la base politi
1450
ouvriers et des paysans, dont « la base politique
est
constituée par les soviets [conseils] de députés des travailleurs qui
1451
de députés des travailleurs qui ont grandi et se
sont
affermis […] grâce à la conquête de la dictature du prolétariat » (ar
1452
é personnels, de même que le droit d’héritage […]
sont
protégés par la loi. » L’art. 11 déclare que « la vie économique de l
1453
art. 11 déclare que « la vie économique de l’URSS
est
déterminée et dirigée par le plan d’État » en vue d’affermir l’indépe
1454
renforcer sa capacité de défense. Résumons : tout
est
« la propriété de l’État, c’est-à-dire le bien du peuple tout entier
1455
et 141) que, pratiquement, ces députés ne peuvent
être
proposés à l’élection que par le Parti. Le chapitre II sur l’Organisa
1456
s précisément fédéralistes de cette constitution.
Sont
du ressort de l’Union, selon l’art. 14, les compétences caractéristiq
1457
i joue ». Ici encore, dans la pratique, et compte
tenu
du rôle omniprésent du Parti à tous les échelons de l’organisation et
1458
roits attribués à l’Union » (art. 14) et qui « ne
sont
pas de la compétence des organes du pouvoir de l’URSS dépendant du So
1459
s-Unis et de la Suisse, notamment. Mais voici qui
est
nouveau : à l’art. 48 apparaît le Présidium du Soviet suprême de l’UR
1460
ministratif supérieur du pouvoir d’État de l’URSS
est
le Conseil des commissaires du peuple de l’URSS, responsable devant l
1461
(Défense, Affaires étrangères, etc.), les autres
étant
du ressort des « Commissaires du peuple fédéraux, républicains et féd
1462
parquet, qui ne contient rien d’original, si ce n’
est
le droit de « contrôle de l’activité judiciaire de tous les organes j
1463
donné à la Cour suprême de l’URSS. Plus original
est
le chapitre X qui traite des Droits et devoirs fondamentaux des citoy
1464
s citoyens. Les citoyens de l’URSS bénéficient et
sont
assurés par l’État des droits suivants (art. 118 à 126) : — droit au
1465
réduction du travail à 7 h par jour) ; — droit d’
être
assurés (vieillesse, maladie, perte de capacité de travail) ; — droit
1466
ortèges et démonstrations dans la rue. Ces droits
sont
assurés par « la mise à la disposition des travailleurs » des imprime
1467
inviolabilité du domicile et de la correspondance
sont
« garanties aux citoyens de l’URSS » et « protégées par la loi ». Le
1468
(syndicats, coopératives, sports, culture, etc.)
est
également assuré aux citoyens, « alors que les citoyens les plus acti
1469
’unissent dans le Parti communiste de l’URSS, qui
est
l’avant-garde des travailleurs dans leur lutte pour l’affermissement
1470
nent à celui de « service militaire général » qui
est
une loi mais aussi « un devoir d’honneur pour les citoyens de l’URSS
1471
’honneur pour les citoyens de l’URSS ». Le trahir
serait
« le pire forfait », aux yeux de la loi. Le chapitre XI, sur le Systè
1472
précise que « le droit de présenter les candidats
est
garanti aux organisations sociales et aux associations de travailleur
1473
La Constitution de 1977, dite « de Brejnev »,
est
pour l’essentiel une révision de la Constitution « de Staline », qu’e
1474
es principes directeurs de la révision paraissent
être
: a) une volonté de rendre les textes constitutionnels de 1936 mieux
1475
ntale, 750 000 propositions de rectifications ont
été
envoyées à la presse, 650 000 meetings d’entreprises ont eu lieu réun
1476
a organisé 180 000 meetings de ses adhérents. Il
est
intéressant de relever qu’au cours de ces débats, selon la presse sov
1477
aient pas compris que « le socialisme développé n’
est
pas encore le communisme », et demandaient « des salaires égaux pour
1478
, publié le 4 juin 1977 par la presse soviétique,
est
annoncé comme « devant tenir compte de tous les changements intervenu
1479
du prolétariat ». L’art. 1 proclame que « l’URSS
est
un État socialiste du peuple tout entier » et non plus seulement, com
1480
’en donnait la Pravda (26 mai 1977), l’insistance
est
mise sur « le rôle essentiel et dirigeant du PC ». La contradiction f
1481
organes du pouvoir d’État, de la base au sommet,
sont
élus et doivent rendre compte de leur activité au peuple. Les décisio
1482
é au peuple. Les décisions des organes supérieurs
sont
obligatoires pour les organes inférieurs. Le centralisme démocratique
1483
et de chaque fonctionnaire pour la tâche qui leur
est
assignée ». Il est certain — sinon clairement dit — que l’équilibre e
1484
onnaire pour la tâche qui leur est assignée ». Il
est
certain — sinon clairement dit — que l’équilibre entre centralisation
1485
e centralisation fédéraliste et autonomie de base
est
désormais rompu au profit des « organes supérieurs de l’État », comme
1486
omme le confirme l’art. 6 : « le Parti communiste
est
la force qui dirige et oriente la société soviétique, c’est l’élément
1487
Certes, le droit de « quitter librement l’Union »
est
maintenu pour chaque république fédérée, mais tout comme les droits g
1488
s tout comme les droits garantis aux citoyens, il
est
soumis à la restriction fondamentale posée par l’art. 39 : « L’exerci
1489
laquelle « toute poursuite pour fait de critique
est
interdite. Les personnes qui s’en rendent coupables ont à en répondre
1490
ait-on déduire de ces articles que les dissidents
étaient
en liberté, que les camps du goulag étaient vides, et que l’URSS étai
1491
dents étaient en liberté, que les camps du goulag
étaient
vides, et que l’URSS était une démocratie fédéraliste ? Bibliograp
1492
les camps du goulag étaient vides, et que l’URSS
était
une démocratie fédéraliste ? Bibliographie Feldbrugge F. J. M.
1493
« Plaise aux dieux que je
sois
un faux prophète » (automne 1996)ax ay « … Je sens venir des catas
1494
oique inconscients », écrivez-vous dans L’Avenir
est
notre affaire . Vous êtes bien l’anti-Pangloss. Pourquoi cet éternel
1495
ivez-vous dans L’Avenir est notre affaire . Vous
êtes
bien l’anti-Pangloss. Pourquoi cet éternel pessimisme ? Éternel c’est
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errai que je puis faire quelque chose. Quel qu’en
soit
d’ailleurs, le succès ! Attitude qui n’est pas différente de celle qu
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qu’en soit d’ailleurs, le succès ! Attitude qui n’
est
pas différente de celle que j’annonçais dans mon premier article trai
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u’on a beaucoup reprise…) Mon attitude générale n’
est
pas celle d’un pessimiste et je ne suis pas un prophète de malheur. J
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générale n’est pas celle d’un pessimiste et je ne
suis
pas un prophète de malheur. J’aime beaucoup cette expression latine «
1500
cette expression latine « plaise aux dieux que je
sois
un faux prophète » (utinam vates falsus sim). Je dis à mes contempora
1501
les désastres ! Je ne crois pas que notre avenir
soit
fatal. L’avenir est fait de main d’homme de nos jours. Regardez ce qu
1502
e crois pas que notre avenir soit fatal. L’avenir
est
fait de main d’homme de nos jours. Regardez ce qui nous entoure : tou
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de nos jours. Regardez ce qui nous entoure : tout
est
fait de main d’homme, maison, route, paysage — seuls les tremblements
1504
artificiels. Les crises dont tout le monde parle
sont
notre fait. Elles ne sont pas tombées du ciel. Mais voilà, l’homme au
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ont tout le monde parle sont notre fait. Elles ne
sont
pas tombées du ciel. Mais voilà, l’homme aujourd’hui a une curieuse p
1506
ui arrive de mauvais dans le monde, il dit : « qu’
est
-ce qu’ils ont encore fait ? » « Ils » ou l’État ou les lois économiqu
1507
ls » ou l’État ou les lois économiques, tout nous
est
bon. Qu’est-ce qui fait la force de l’État ? C’est la somme des démis
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at ou les lois économiques, tout nous est bon. Qu’
est
-ce qui fait la force de l’État ? C’est la somme des démissions des ci
1509
s citoyens. C’est une très vieille histoire. Elle
est
déjà racontée au chapitre III de la Genèse. Ève a mangé la pomme et e
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en Eden, vers le soir, et appelle l’homme : « où
es
-tu ? » Adam et Ève se sont cachés dans les arbres. C’est tout juste s
1511
t appelle l’homme : « où es-tu ? » Adam et Ève se
sont
cachés dans les arbres. C’est tout juste s’ils ne disent pas : « je n
1512
s. C’est tout juste s’ils ne disent pas : « je ne
suis
pas là ! » Yahvé les trouve et demande à l’homme : « Qu’as-tu fait ?
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à l’homme : « Qu’as-tu fait ? » Adam dit : « Ce n’
est
pas moi, c’est Ève qui m’a forcé ». Ève dit : « Ce n’est pas moi, c’e
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moi, c’est Ève qui m’a forcé ». Ève dit : « Ce n’
est
pas moi, c’est le serpent qui m’a séduite ». Et le serpent, bien sûr,
1515
ent qui m’a séduite ». Et le serpent, bien sûr, n’
est
plus là. Il n’est pas vrai de dire, aujourd’hui, que les centrales nu
1516
e ». Et le serpent, bien sûr, n’est plus là. Il n’
est
pas vrai de dire, aujourd’hui, que les centrales nucléaires « qu’on l
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centrales nucléaires « qu’on le veuille ou non »
sont
nécessaires. Les problèmes quelles seraient censées résoudre, c’est n
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ou non » sont nécessaires. Les problèmes quelles
seraient
censées résoudre, c’est nous qui les avons créés, tout comme le pluto
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quitte à s’en plaindre sans arrêt, avoir un roi —
fût
-il de Gaulle — quitte à lui couper la tête quand cela se présente. Je
1520
lui couper la tête quand cela se présente. Je ne
suis
pas pessimiste parce que je ne crois pas à ces fatalités. Je ne suis
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parce que je ne crois pas à ces fatalités. Je ne
suis
pas optimiste non plus parce que je ne crois pas avec Rousseau que l’
1522
rce que je ne crois pas avec Rousseau que l’homme
est
bon. Il est bête et méchant, c’est dans ses chromosomes. Tout le prob
1523
e crois pas avec Rousseau que l’homme est bon. Il
est
bête et méchant, c’est dans ses chromosomes. Tout le problème politiq
1524
dans ses chromosomes. Tout le problème politique
est
de l’empêcher de faire de grandes bêtises. Vous êtes bête et méchant
1525
t de l’empêcher de faire de grandes bêtises. Vous
êtes
bête et méchant ? Je fais comme tout le monde, je vais dans le sens d
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se réaliser comme lui seul peut le faire. Chacun
est
un cas sans précédent. Chacun doit donc inventer son chemin vers Dieu
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rême de tous les hommes. Vous dites dans L’Avenir
est
notre affaire que deux finalités s’offrent à l’homme d’aujourd’hui, l
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t de voir les statistiques des Nations unies. Ils
sont
les premiers pour le revenu par tête, le nombre de téléphones, de sal
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es bêtises, donc de grandes guerres. Les hommes y
sont
plus heureux. Et surtout ils peuvent s’occuper de leurs affaires, pre
1530
urs affaires, prendre en main leur destin, ce qui
est
exclu dans les grands États. Autrement dit, ils peuvent faire de la p
1531
es les relations humaines de la cité au lieu de n’
être
que les spectateurs passifs de débats entre politiciens — un peu comm
1532
ifs de débats entre politiciens — un peu comme on
est
sportif parce qu’on regarde un match à la TV. Être un citoyen, c’est
1533
est sportif parce qu’on regarde un match à la TV.
Être
un citoyen, c’est être responsable de la vie de la cité. C’est se gou
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regarde un match à la TV. Être un citoyen, c’est
être
responsable de la vie de la cité. C’est se gouverner soi-même. J’aime
1535
an well governed » (mieux vaut se gouverner que d’
être
bien gouverné)… Votre définition de la région ? Est-ce une ethnie ou
1536
e bien gouverné)… Votre définition de la région ?
Est
-ce une ethnie ou une langue comme la Bretagne ou le Pays basque, ou u
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que de l’Europe. Aristote voulait que la ville ne
soit
pas plus grande que la portée de la voix d’un homme criant sur l’agor
1538
ours crier, personne ne vous entendra. On ne peut
être
libre que si l’on est responsable et l’inverse est vrai. Devant un tr
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vous entendra. On ne peut être libre que si l’on
est
responsable et l’inverse est vrai. Devant un tribunal, si votre avoca
1540
re libre que si l’on est responsable et l’inverse
est
vrai. Devant un tribunal, si votre avocat peut prouver que vous n’éti
1541
tribunal, si votre avocat peut prouver que vous n’
étiez
pas libre quand vous avez commis un délit, on vous acquitte. Mais on
1542
ommis un délit, on vous acquitte. Mais on ne peut
être
responsable que dans une communauté à la taille de l’homme, où chacun
1543
des problèmes à résoudre. Mon système fédéraliste
est
en somme très simple. Il consiste à faire correspondre la taille des
1544
lac Léman, pollué par les Suisses et les Français
est
un problème régional, transfrontalier. Le sauvetage du Rhin, poubelle
1545
belle de l’Europe, pollué par au moins cinq pays,
est
un problème européen, continental. Et le sauvetage des océans pollués
1546
el fabrique 4/5e de l’oxygène que nous respirons,
est
un problème mondial, qui appelle une agence mondiale. Les enfants com
1547
ution. Pour l’écologie, nos frontières nationales
sont
absurdes, n’existent simplement pas. Vous voyez ici comment s’appelle
1548
s… Une thèse centrale : c’est que l’amour-passion
est
l’invention du xiie siècle européen, que la passion se nourrit d’obs
1549
t les suscite au besoin et que l’obstacle suprême
étant
la mort, c’est dans la mort que les amants légendaires, Tristan et Is
1550
and mythe de Tristan et Iseut dont le sens ultime
est
que Tristan n’aime pas Iseut dans sa réalité. Ce qu’il aime, c’est ai
1551
seut dans sa réalité. Ce qu’il aime, c’est aimer,
être
aimé, être intoxiqué de la passion d’amour. Le fameux philtre est vra
1552
a réalité. Ce qu’il aime, c’est aimer, être aimé,
être
intoxiqué de la passion d’amour. Le fameux philtre est vraiment une d
1553
ntoxiqué de la passion d’amour. Le fameux philtre
est
vraiment une drogue. Or, passion signifie souffrance, c’est ce que l’
1554
la guerre et enfin dans la crise du mariage, qui
est
en somme la crise de l’amour. D’où l’influence multiforme que ce livr
1555
-je me le reprocher ? Toute prise de conscience n’
est
-elle pas un progrès ? Ainsi le cas d’André Gide. Apprenant que je che
1556
e en regardant nos valises et dit : « tout cela s’
est
arrangé si soudainement. Cela me ferait presque croire à la providenc
1557
ont, quand on saura que vous habitez chez moi, qu’
est
-ce qu’on va dire ? » Et il répète à travers ses dents serrées : « qu’
1558
» Et il répète à travers ses dents serrées : « qu’
est
-ce qu’on va dire ? » Je me garde bien de répondre, je m’amuse trop. F
1559
e fois, plus détendu : « Vous allez penser que je
suis
obsédé, mais je ne puis m’empêcher de croire que vos troubadours étai
1560
ne puis m’empêcher de croire que vos troubadours
étaient
homosexuels. » Je lui dis qu’en effet, plusieurs semblent l’avoir été
1561
e lui dis qu’en effet, plusieurs semblent l’avoir
été
que cela n’a rien de surprenant : ils mettaient la femme, la Dame sur
1562
ez homosexuel. Le fils aime sa mère, mais le père
est
le maître qui interdit de la posséder. Il ne reste qu’à la diviniser.
1563
éaire ? Attention à ce genre de question. Nous ne
sommes
pas là pour prévoir l’avenir, mais pour le faire. Nous ne sommes pas
1564
our prévoir l’avenir, mais pour le faire. Nous ne
sommes
pas des parieurs, qui assistons passifs, mais des joueurs, en pleine
1565
n ce qui concerne les centrales nucléaires, je me
suis
exprimé on ne peut plus clairement : même si l’on me démontrait — ce
1566
clairement : même si l’on me démontrait — ce qui
est
rigoureusement exclu — qu’elles sont inoffensives, rentables et néces
1567
rait — ce qui est rigoureusement exclu — qu’elles
sont
inoffensives, rentables et nécessaires, je serais contre parce qu’ell
1568
s sont inoffensives, rentables et nécessaires, je
serais
contre parce qu’elles impliquent un État de plus en plus centralisé e
1569
chose, qu’on change de cap… Mais n’avez-vous pas
été
le premier à plaider en faveur du CERN ? Oui bien sûr et je m’en hono
1570
du CERN ? Oui bien sûr et je m’en honore. Le CERN
est
un laboratoire qui étudie la constitution de la matière, ce n’est pas
1571
re qui étudie la constitution de la matière, ce n’
est
pas une usine à bombes atomiques. Mais puisque vous revenez irrésisti
1572
je vous dirai ceci : les promoteurs du nucléaire
sont
suicidaires et le savent. L’avenir que nous voulons, c’est le solaire
1573
faut vingt ans encore pour que l’énergie solaire
soit
compétitive. Pendant ce temps, l’énergie nucléaire devient de plus en
1574
cette résistance des États ? Parce que le soleil
est
à tout le monde et que demain vous pourrez avoir un four solaire sur
1575
des enfers et de la richesse contre Zeus. Pluton
était
aveugle comme une taupe et s’ennuyait tellement qu’il voulait voir mo
1576
qu’il voulait voir mourir les hommes afin de lui
tenir
compagnie. Zeus qu’Homère appelle parfois Europeos (qui voit très loi
1577
ère appelle parfois Europeos (qui voit très loin)
est
le dieu du soleil. Mon choix est clair. Celui des États ne l’est pas
1578
voit très loin) est le dieu du soleil. Mon choix
est
clair. Celui des États ne l’est pas moins. Êtes-vous un utopiste ? J
1579
soleil. Mon choix est clair. Celui des États ne l’
est
pas moins. Êtes-vous un utopiste ? Je ne le pense pas. L’utopie maje
1580
x est clair. Celui des États ne l’est pas moins.
Êtes
-vous un utopiste ? Je ne le pense pas. L’utopie majeure consiste à cr
1581
ste à croire qu’on peut continuer comme ça. Je me
tiens
pour un réaliste quand je pose une question comme celle-là. Que ferez
1582
: « il ne suffit pas de ne pas avoir d’idées pour
être
réaliste ». ax. Rougemont Denis de, « [Entretien] Plaise aux dieux
1583
t Denis de, « [Entretien] Plaise aux dieux que je
sois
un faux prophète », Temps européens, Genève, 1996, p. 34-41. ay. Pro
1584
Ferney-Voltaire. Ces entretiens dont chaque page
fut
relue et corrigée par Denis de Rougemont, n’ont jamais été publiés. N
1585
et corrigée par Denis de Rougemont, n’ont jamais
été
publiés. Nous en présentons ici de larges extraits. »