1 1952, Arts, articles (1952-1965). Appel à ceux qui osent être différents (22 mai 1952)
1 pel à ceux qui osent être différents (22 mai 1952) a On attend de l’écrivain contemporain — alternativement ou simultan
2 us quelle est sa juste place dans la cité. On lui a donné, au cours du xxe siècle, des moyens formidables de communiquer
3 Mais jamais son langage d’artiste ou de penseur n’ avait été plus éloigné du lieu commun, de ce que peuvent entendre et compre
4 diction dans la structure sociale, comme ceux qui ont une fonction économique ou politique bien définie, précisément à caus
5 fonction dans la cité serait ainsi de n’en point avoir de nécessaire, de n’être point totalement absorbé par le social, de r
6 e partout : une telle littérature n’existe pas, n’ a jamais existé, ou bien elle se confond avec la propagande. Mais je cr
7 ns, au devoir de réciter toutes les réponses ! a . Rougemont Denis de, « Appel à ceux qui osent être différents », Art
2 1957, Arts, articles (1952-1965). L’ère des loisirs commence (10 avril 1957)
8 culture va devenir le sérieux de la vie. (Elle l’ a toujours été, mais cela se verra.) Jusqu’ici, c’était le travail qui
9 bien moins par suite de facteurs matériels que j’ aurais oubliés ou ne saurais prévoir, qu’en vertu de nos libres décisions. (
10 qui compte en soi, mais bien l’usage qu’un peuple a décidé d’en faire : chars et wagons en Occident, jouets et ornements
11 érotisme. L’expérience des vacances payées nous l’ a fait voir à une échelle réduite, mais dans un temps trop court pour q
12 ture. Or, il se trouve précisément que l’Occident a décuplé ou centuplé pendant ce siècle les instruments et moyens de cu
13 multiplions déjà — comme en vue de lendemains qui auront le temps de chanter — les occasions de mieux comprendre nos vies comm
14 e sais bien que la vie religieuse la plus intense a signifié longtemps ascèse et renoncement, en Occident comme en Orient
15 feraient autrement que répéter de l’ancien qui n’ a pas disparu sans raison, ou ressusciter des doctrines dont le style c
16 ressusciter des doctrines dont le style créateur a fait son temps5. Et je ne dis pas qu’elles s’en priveront. Mais je vo
17 ’en est rien, c’est que nos plus grands mystiques ont vécu dans les pires conditions matérielles. La technique ne peut rien
18 aire pour l’Esprit, ni le défaut de « confort » n’ a rien pu contre lui. Je dis seulement qu’elle va nous jeter dans une é
19 l est le vrai temps. Cette hiérarchie des valeurs a dominé jusqu’à nos jours. Elle explique en partie la résistance des s
20 e mépris affiché pour les questions religieuses n’ aura été qu’un phénomène transitoire de notre civilisation occidentale. (V
21 ivilisation occidentale. (Voir plus haut ce que j’ ai dit sur le matérialisme.) L’intelligentsia berlinoise, puis new-yorka
22 ondial jusqu’à la dernière guerre. André Breton n’ a pas cessé de chercher une vision religieuse du monde et de la vie, bi
23 ttérature occidentale s’est amorcé dès 1919, et n’ a pas cessé de s’amplifier. 5. Nos sectes orientalistes me font parfoi
3 1960, Arts, articles (1952-1965). Remise en question par l’Afrique et l’Asie, la civilisation occidentale n’a pas encore de successeur (21 septembre 1960)
24 ’Afrique et l’Asie, la civilisation occidentale n’ a pas encore de successeur (21 septembre 1960)d e La civilisation né
25 ptembre 1960)d e La civilisation née en Europe a dominé le monde pendant des siècles. Elle est encore, à notre époque,
26 ériens et les Romains, les Aztèques et les Mayas, avaient créé des ordres stables. Leurs prêtres et leurs princes avaient répon
27 es ordres stables. Leurs prêtres et leurs princes avaient réponse à tout. Nous, au contraire, en Occident, et en Europe bien pl
28 ssons de parler du « désarroi de l’époque ». Nous avons l’impression de vivre dans un chaos sans cesse croissant, dans un maq
29 tien. Il peut lire dans les Écritures « qu’il n’y a pas un juste, pas même un seul » et que pourtant il devrait être sain
30 écoles successives sont relatives et provisoires, ont été dépassées l’une après l’autre, et que pourtant la raison d’être d
31 leurs yeux rédhibitoire, d’être des hommes « qui ont cessé de chercher » et « qui se croient les détenteurs de la vérité a
32 sens dans nos vies personnelles : plus de joie à avoir ce qu’on a, à être ce qu’on est, à faire ce que l’on veut, à aimer ce
33 vies personnelles : plus de joie à avoir ce qu’on a , à être ce qu’on est, à faire ce que l’on veut, à aimer ce que l’on a
34 rté. Liberté pour tous, il va de soi, mais cela n’ a de sens concret que pour chacun. L’unité de mesure, ou mieux : l’orga
35 onne. Toutes les définitions concrètes du Progrès ont un caractère commun : elles aboutissent à des antinomies flagrantes a
36 de nos jours pour imposer un principe d’harmonie ont causé le maximum de désordre sanglant et aggravé le chaos mondial. Ai
37 l’oublier. Admettons que l’Europe, en la formant, ait « infecté » le monde entier : le monde ne s’en guérira plus. À suppos
38 ont bel et bien nées en Europe, encore qu’elles n’ aient vraiment déployé leurs effets que dans les grands espaces humains des
39 ourd’hui s’effraye de constater ce que l’Amérique a fait de certaines techniques (taylorisme ou psychanalyse), ce que les
40 (taylorisme ou psychanalyse), ce que les Soviets ont fait de la croyance en l’Histoire, et ce que les peuples de l’Orient
41 un troisième et souvent compromise à ce jeu, elle a tout remis en mouvement. Et ce mouvement dans son ensemble, jusqu’à n
42 isme romain, catalysés par l’exigence chrétienne, ont produit le mot décisif. Mais les réalités politiques et sociales élab
43 . Ainsi, c’est dans la mesure où le christianisme a signifié la fin des religions et des magies, nées de la peur, qu’il a
44 s religions et des magies, nées de la peur, qu’il a permis le développement de la Science, recherche « impitoyable » de l
45 de ses juges. Suivons ici l’exégèse magistrale qu’ a donnée de la pensée nietzschéenne Karl Jaspers : Si les Grecs, qui f
46 aspers : Si les Grecs, qui fondèrent la science, ont pourtant ignoré la science universelle proprement dite, c’est que les
47 ituels et les impulsions morales nécessaires leur ont manqué. Au contraire, le chrétien a été capable de faire avancer cett
48 saires leur ont manqué. Au contraire, le chrétien a été capable de faire avancer cette science, grâce à son christianisme
49 contre chacune des formes objectives que celui-ci a pu revêtir. Essayons de mesurer l’envergure du succès de l’Occident
50 ain des raisons de réfuter la croyance que « nous aurions fait dans le monde, au cours des quelques derniers siècles, quelque c
51 es quelques derniers siècles, quelque chose qui n’ a pas de précédent ? » Alexandre n’avait conquis qu’un quart des contin
52 ue chose qui n’a pas de précédent ? » Alexandre n’ avait conquis qu’un quart des continents alors connus. S’il a cru que c’éta
53 uis qu’un quart des continents alors connus. S’il a cru que c’était le monde, il s’est trompé. Mais cette erreur ne peut
54 ompé. Mais cette erreur ne peut être la nôtre. Qu’ a fait l’Europe du xve siècle jusqu’à nos jours ? Elle a non seulement
55 l’Europe du xve siècle jusqu’à nos jours ? Elle a non seulement rayonné sur la totalité — enfin connue, et par elle seu
56 connue, et par elle seule — de la planète : elle a non seulement influencé, colonisé ou vassalisé selon les cas, la tota
57 degrés divers, mais pour le moins égaux à ceux qu’ avaient atteints dans leurs empires les Diadoques et les Khans mongols), mais
58 adoques et les Khans mongols), mais encore elle n’ a pas cessé de maintenir sur toutes les civilisations différentes de la
59 vilisation qui soit en état de surpasser celle qu’ a répandue l’Occident ? En même temps qu’il devient possible, le dialog
60 un C. G. Jung en Europe, ou un Aurobindo en Inde, a tenté d’entrevoir la nature. Au stade présent de l’Aventure occidenta
61 st de nature tangible ou mesurable. Les Orientaux ont multiplié les recettes (psychosomatiques, dirions-nous) d’immortalité
62 quoi le mandarin visitant nos usines : Quand vous aurez tout le temps, qu’en ferez-vous ? (Mais lui, s’il devenait immortel ?
63 ttitude utilitariste, l’efficience en un mot, qui ont permis au problème de se poser, sont précisément les qualités et atti
64 tales préparent au loisir et le supposent, mais n’ ont pu le procurer au grand nombre. Au moment même où l’Occident serait e
65 es valeurs propres, qui seraient celles dont nous aurions le plus grand besoin… L’âge des miracles Au stade présent de l’
66 évanouit. Elle échappe à notre raison, comme elle avait déjà échappé à nos sens. Dépassée la matière, qui était pourtant deve
67 , nous butons contre le mystère que cette science avait cru pouvoir éliminer. Le Cosmos tout entier se résout en un voile tis
68 s, au terme d’un voyage dont l’impulsion première avait pris pour tremplin la très ferme croyance en la réalité de la matière
69 lité de la matière ! Mais derrière ce voile, qu’y a-t -il ? Cette question n’a pas de sens, nous dit-on. Dans l’univers d’Ei
70 derrière ce voile, qu’y a-t-il ? Cette question n’ a pas de sens, nous dit-on. Dans l’univers d’Einstein (illimité-fini) v
71 t cela se meut-il ? Il est vrai que la question n’ a pas de sens : rien « au monde » ne peut y répondre ; mais aussi, elle
72 à l’anéantissement par une force étrangère. Je n’ ai pas eu d’autre intention que de mieux définir la question, en cela fi
73 éantissement par une force étrangère. Je n’ai pas eu d’autre intention que de mieux définir la question, en cela fidèle à
74 ir la question, en cela fidèle à l’Occident qui m’ a formé. Qui voudrait à tout prix une réponse, et refuserait de la trou
75 ette expérience humaine qui depuis deux-mille ans a forgé les destins, mais aussi fomenté les libres vocations de la race
76 ’Afrique et l’Asie, la civilisation occidentale n’ a pas encore de successeur », Arts, Paris, 21 septembre 1960, p. 1 et 1
4 1961, Arts, articles (1952-1965). L’Amour en cause (1er février 1961)
77 ean. Religion créée par un acte de l’amour « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique… » Religion dont tou
78 acte de l’amour « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique… » Religion dont toute la Loi est résumée par J
79 grande des trois, c’est l’Amour ». Et celui qui n’ a pas l’Amour « n’est qu’une cymbale qui retentit ». 2. Parce qu’il est
80 ur total (amour de Dieu, de Soi et du Prochain) n’ a pas de livre sacré sur l’Amour. Dans cet ensemble infiniment varié de
81 infiniment varié de phénomènes que l’Europe seule a désigné par le seul et même terme d’amour, considérons les raies extr
82 et les tortures morales… Les Églises chrétiennes ont toujours mieux réussi dans leurs efforts pour réprimer et contenir l’
83 en » (quant au salut) déclare saint Paul. Et l’on eut bien vite fait de réduire au sexuel le sens de « chair » qui, pour l’
84 uivies jusqu’à nos jours par les pouvoirs civils, ont développé dès la première génération apostolique une doctrine du mari
85 royantes : « Maris, aimez vos femmes comme Christ a aimé l’Église ». Tantôt, et plus souvent, il réduit le mariage à n’êt
86 . Toutefois, pour éviter l’impudicité, que chacun ait sa femme, et que chaque femme ait son mari… Je dis cela par condescen
87 ité, que chacun ait sa femme, et que chaque femme ait son mari… Je dis cela par condescendance, je n’en fais pas un ordre.
88 itatif des temps de loisir, accroît aussi comme l’ avait dit Baudelaire avec plus de précision que le proverbe antique sur l’o
89 t voir apparaître le sens réel du phénomène que j’ ai rappelé, et qui n’est guère en soi que l’écume d’une vague profonde s
90 victorienne, qu’après tout la jeunesse actuelle n’ a pas connue dans sa vigueur, et dont elle n’a guère pu souffrir. Il es
91 le n’a pas connue dans sa vigueur, et dont elle n’ a guère pu souffrir. Il est vrai qu’une révolution n’éclate jamais qu’a
92 ne est-elle morte ? Sans doute et tout d’abord, d’ avoir eu peur de l’instinct qu’elle voulait réprimer. Au lieu de justifier
93 -elle morte ? Sans doute et tout d’abord, d’avoir eu peur de l’instinct qu’elle voulait réprimer. Au lieu de justifier ses
94 union mystique mais la sobriété spirituelle, elle a voulu fermer les yeux sur la réalité même du sexe : interdit d’en par
95 sur la mauvaise conscience d’une bourgeoise qui n’ avait plus le courage de ses partis pris, la vulgarisation de la psychanaly
96 partis pris, la vulgarisation de la psychanalyse a beaucoup fait pour dévaloriser les notions mêmes de répression et de
97 n et de censure. Les abus dénoncés par Freud nous ont rendus méfiants quant à l’usage des disciplines éducatives élémentair
98 complexes et de névroses. D’où la tolérance que j’ ai dite, et qui effraye tant d’observateurs. Avant de nous effrayer à no
99 imbaud. Cette espèce-là de révolution psychique n’ a qu’un précédent dans l’histoire de la culture occidentale : il se sit
100 e siècle. Depuis la fin de l’Empire romain, on n’ avait plus écrit de poèmes d’amour ni de traités de mystiques originaux. La
101 s effets atteignent nos sens avant que les causes aient émergé à nos consciences. D’où le scandale, et c’est peu dire — d’où
102 celle des acteurs érotiques, quoique ces derniers aient les motifs inverses d’être indignés, inquiets ou angoissés. Les deux
103 pline sexuelle que les tendances dites puritaines ont su nous imposer dès les débuts de l’Europe, il n’y aurait rien de plu
104 u nous imposer dès les débuts de l’Europe, il n’y aurait rien de plus dans notre civilisation que dans celles des nations qu’o
105 it sous-développées, et sans doute moins : il n’y aurait pas le travail, l’effort organisé, ni la technique, qui ont fait le m
106 travail, l’effort organisé, ni la technique, qui ont fait le monde actuel. Il n’y aurait pas non plus le problème de l’éro
107 a technique, qui ont fait le monde actuel. Il n’y aurait pas non plus le problème de l’érotisme ! Les auteurs érotiques l’oubl
108 t-elle mieux que celle qu’un Staline et qu’un Mao ont tenté d’imposer par décrets ? Elle serait strictement adaptée à la pr
109 rature érotique réagit à des phénomènes qu’elle n’ a pas provoqués, qui la dépassent, mais dont elle tente de formuler et
110 s de Rougemont, auteur de L’Amour et l’Occident a bien voulu accepter de participer à l’étude que nous commençons cette
5 1961, Arts, articles (1952-1965). Les quatre amours (9 mai 1961)
111 ous attende une révélation du bonheur pur : qu’il ait suffi de l’inflexion d’une voix pour que cette rencontre, demain, soi
112 on. Le miracle est qu’il y ait des formes ! Qu’il ait de la consistance, des paysages, des visages, une Nature autour de no
113 ais grâce et don, miraculeuse ; et que la vacuité ait pu donner naissance à la plénitude des corps, que la lumière soit dev
114 « ailleurs » dont les siècles derniers croyaient avoir banni jusqu’à la possibilité : elle les calcule exactement. Que sont-
115 reflet ! Un poète mineur et parfait de ce temps l’ a découvert un jour non sans stupeur : « Il y a un autre monde, mais il
116 mais il est dans celui-là. » Qu’entendait-il ? Qu’ avait -il vu ? Quel autre monde ? Et pourquoi n’y en aurait-il qu’un ? Il y
117 ait-il vu ? Quel autre monde ? Et pourquoi n’y en aurait -il qu’un ? Il y a le monde du Vide, l’autre monde de la science ; il
118 ge qui sera « notre effigie » au cercle de feu qu’ a vu Dante. Et par quelle parabole le représenterons-nous ? « Il est se
119 es semences qui sont sur la terre, mais lorsqu’il a été semé, il monte… et pousse de grandes branches, en sorte que les o
120 a vu. Quand tu le sais, l’amour commence, l’amour a déjà commencé, car c’est lui qui le sait dans toi. À la question fon
121 us pouvons aimer ces formes parce que l’amour les a formées : nous le reconnaissons en elle, comme il les appelait en nou
122 eul peut donc dire : je suis. Sans l’amour il n’y aurait pas même le vide. L’amour a créé le vide en déployant l’attrait, que
123 s l’amour il n’y aurait pas même le vide. L’amour a créé le vide en déployant l’attrait, que l’on nomme énergie ou désir,
124 ofondeur des bois, ici, nulle part, et pourquoi l’ ai -je aimé ? Pourquoi pas rien ? Parce que ce coin de sentier m’a fait u
125 ourquoi pas rien ? Parce que ce coin de sentier m’ a fait un signe et fut un signe à cet instant pour moi, existant dans m
126 en vérité ; rien d’autre au monde ne m’appelle. J’ ai pu douter de l’être et du devenir, et de toutes nos idées sur « Dieu 
127 evenir, et de toutes nos idées sur « Dieu », je n’ ai jamais douté de l’amour même. J’ai pu douter jusqu’au vertige de pres
128 « Dieu », je n’ai jamais douté de l’amour même. J’ ai pu douter jusqu’au vertige de presque toutes les vérités de la morale
129 x comprises, au retour d’un Orient de l’esprit. J’ ai douté de la plupart des vérités successivement démontrées par nos sci
130 ourcis, et qu’on trouvera !) Mais je crois bien n’ avoir jamais douté de tout cela, qu’en vertu et au nom de l’Amour. Il est l
131 nom de l’Amour. Il est la grâce indubitable. Je n’ ai pas d’autre foi certaine, d’autre espérance, et je ne vois pas de sen
132 e. Nul ne peut distinguer le bien d’autrui s’il n’ a su distinguer d’abord son propre bien. Qui s’aime mal, comme l’égoïst
133 ti. Nul ne voit la personne chez autrui s’il ne l’ a vu d’abord en soi : or, aimer c’est vouloir que la personne unique s’
134 l’amour émotif animique n’apparaît pas sans que l’ ait éveillé un regard de l’intuition. Les très jeunes gens l’ignorent enc
135 s gens l’ignorent encore ; la plupart des adultes ont cessé de le sentir ; mais un homme qui se connaît bien et les femmes
136 tant qu’il ne serait qu’un instinct animal, il n’ aurait rien à voir avec l’amour. Les animaux ne font pas l’amour, mais subis
137 sages de l’Inde et de la Grèce, et que Dante dit avoir contemplées au prix de sa vue « consumée » mais déjà mon désir et ma
138 ’agit pas d’un hasard ou d’une fantaisie, comme l’ ont montré les belles études de l’indianiste Heinrich Zimmer). On aura re
139 elles études de l’indianiste Heinrich Zimmer). On aura reconnu au passage les quatre fonctions fondamentales de C. G. Jung :
140 Déviations typiques : Masochisme. (Seul celui qui a une âme, et le sait, a lieu d’être masochiste et de s’en réjouir). Go
6 1962, Arts, articles (1952-1965). Sartre contre l’Europe (17 janvier 1962)
141 ite. La candidature anglaise au Marché commun les a subitement alertés. Le Marché commun, c’est la création de Jean Monne
142 n fonctionne, puisque la Grande-Bretagne, après l’ avoir traité par le mépris, supplie d’y entrer. Donc c’est Jean Monnet qui
143 s, supplie d’y entrer. Donc c’est Jean Monnet qui a vu juste. Donc il faut voir l’Europe comme il l’a vue d’avance : prem
144 a vu juste. Donc il faut voir l’Europe comme il l’ a vue d’avance : première étape d’une organisation mondiale dont elle s
145 tent tous nos records. Sauf en Italie, le chômage a disparu, en dépit des progrès de l’automation. Une confiance nouvelle
146 r l’ensemble atlantique d’ici dix ans… L’Amérique avait donc raison ? Mais voici un ouvrage, un seul, qui contredit brutaleme
147 danger de crever », qu’elle « agonise », qu’elle a fait « eau de toutes parts », qu’elle est « au plus bas », que « c’es
148 évidences, mais de la lecture d’un pamphlet qui l’ a mis dans tous ses états. Il le préface et il exhorte « les Européens 
149 ous passer dans le camp de ses ennemis. Ceux-ci n’ auront qu’à nous assassiner « pour devenir hommes », on le précise à la page
150 mes », on le précise à la page 17. Au pire, ils n’ auront plus personne sur qui tirer. D’où fin des guerres. Ce nouveau plan de
151 tout y est faux. La colonisation par les Blancs n’ a pas duré « des siècles » en Afrique, mais environ, et en moyenne, qua
152 neuf dixièmes du continent. Cette colonisation n’ a pas été faite au nom d’une « prétendue aventure spirituelle » — nulle
153 nt tout simplement un état de fait que l’Europe n’ avait pas créé, et qui, loin de résulter de la colonisation, comme M. Fanon
154 de continuelle décadence. Qu’est-ce que l’Europe a « étouffé » dans le tiers-monde colonisé ? (Qui est fort loin de repr
155 de considérée.) La culture de l’Inde ? L’Europe l’ a sauvée. L’industrie africaine ? Elle l’a fondée. La démocratie de l’A
156 Europe l’a sauvée. L’industrie africaine ? Elle l’ a fondée. La démocratie de l’Arabie saoudite ou du Yémen ? Le respect d
157 ivez pas. M. Fanon, et J.-P. Sartre derrière lui, ont grand tort de crier aux « siècles d’oppression ». Avant de leur laiss
158 lorsque le roi Agadja et son régiment de femmes, ayant battu les Popos aidés par l’Anglais Testefole, s’emparent de Ouidah,
159  celui qui s’occupe des Blancs »), titre que l’on a traduit, « avec toute l’emphase diplomatique réglementaire, par minis
160 se signale par d’horribles sacrifices humains. Il a une armée de femmes. Le Dahomey n’a pas 1 million d’habitants, dont 2
161 s humains. Il a une armée de femmes. Le Dahomey n’ a pas 1 million d’habitants, dont 20 000 à peine sont libres. La France
162 nts, dont 20 000 à peine sont libres. La France y a un établissement sur la côte ». La colonisation de cet heureux pays d
163 ent que le royaume de Ghana et l’empire du Mali n’ ont pas été détruits par les Arabes almoravides puis par les sultans maro
164 ans marocains, mais par les Européens, lesquels n’ ont occupé, plusieurs siècles plus tard et pendant soixante-dix ans, que
165 ules. Je leur laisse aussi à démontrer — mais ils auront beaucoup à faire, décidément — que c’est la violence, et elle seule,
166 ément — que c’est la violence, et elle seule, qui a libéré l’Inde des Anglais, conformément à leur thèse préférée qui, au
167 re, c’est que le colonialisme, malgré ses crimes, a réveillé les peuples du tiers-monde dans le très bref espace de deux
168 le très bref espace de deux générations. Il leur a présenté des possibilités de développement telles qu’ils ont découver
169 é des possibilités de développement telles qu’ils ont découvert qu’ils étouffaient dans leurs régimes traditionnels. Au nom
170 nis, qui les sauvent alors de la faillite — elles ont , l’une après l’autre, « décroché ». Qu’est-il advenu de l’Europe cons
171 . Sartre renchérit : c’est avec cela que l’Europe a fait non seulement ses capitales industrielles, mais ses cathédrales 
172 our y croire : p. 23). D’ailleurs, « l’Européen n’ a pu se faire homme qu’en fabriquant des esclaves » (eh quoi ! n’était-
173 e siècle ?) En quittant le tiers-monde, l’Europe aurait donc signé son arrêt de mort économique et de rapide déshumanisation 
174 déshumanisation ? Les adversaires du colonialisme auraient donc été les avocats du suicide de l’Europe ? Mais au nom de quelles
175 ibérées de la charge écrasante de leurs colonies, ont commencé à découvrir l’Europe et la nécessité de son union. Et que, d
176 que, de leur union naissante — le Marché commun n’ a que deux ans — a résulté presque aussitôt une prospérité stupéfiante.
177 n naissante — le Marché commun n’a que deux ans — a résulté presque aussitôt une prospérité stupéfiante. L’Europe n’est p
178 en garde contre notre expansion inévitable. Ils n’ ont sauvé de la sorte que nos principes, compromis ou trahis par nos prat
179 s ou trahis par nos pratiques. L’ère colonialiste a pris fin, pour des raisons qu’ils ne pouvaient prévoir. Pourquoi crie
180 chisme, ou simplement pour embêter de Gaulle, qui a pourtant présidé non sans grandeur à la liquidation d’un empire colon
181 deur à la liquidation d’un empire colonial ? Nous avons mieux à faire qu’un mea culpa traduisant nos complexes personnels. De
182 s-monde et pour l’Europe qui doit l’aider. Nous n’ avons pas le droit de frustrer la jeunesse soviétique, et les autres, au mo
183 a face aux yeux de l’histoire, ce seront ceux qui auront dit que l’Europe est finie, quand il s’agissait de la faire. j. Ro
7 1962, Arts, articles (1952-1965). Le miracle européen a créé le monde civilisé (6 juin 1962)
184 Le miracle européen a créé le monde civilisé (6 juin 1962)k L’avenir de l’Europe est une
185 ntière. L’Europe est cette partie-là du monde qui a fait « le Monde », ayant été le foyer de l’idée de « genre humain »,
186 cette partie-là du monde qui a fait « le Monde », ayant été le foyer de l’idée de « genre humain », ayant été aussi la condit
187 ayant été le foyer de l’idée de « genre humain », ayant été aussi la condition instrumentale et nécessaire d’une véritable hi
188 les de la civilisation née de ses œuvres, qu’elle a propagée sans prudence ni plan d’ensemble, dont elle n’est plus propr
189 t elle garde encore certains secrets vitaux. Je n’ aurai pas trop de quatre leçons pour établir cette thèse centrale, cette dé
190 donne tout de suite trois exemples : 1. L’Europe a découvert la terre entière, et personne n’est jamais venu la découvri
191 sonne n’est jamais venu la découvrir. 2. L’Europe a dominé sur tous les continents successivement, et n’a jamais été domi
192 miné sur tous les continents successivement, et n’ a jamais été dominée jusqu’ici par une seule puissance d’outre-mer. 3.
193 par une seule puissance d’outre-mer. 3. L’Europe a produit une civilisation que le monde entier est en train d’imiter, t
194 s que la plupart des historiens me paraissent les avoir négligées jusqu’ici — ce phénomène européen sans précédent et sans pa
195 tes pour rendre compte du phénomène dans ce qu’il a de spécifique.) Certes, le découpage profond des côtes, propice à la
196 ens au climat tempéré qui — je le cite — « semble avoir tout fait pour hâter les progrès de la civilisation ». Plus réaliste,
197 t des mains de la nature, notre partie du monde n’ avait reçu aucun titre à cette glorieuse prééminence qui la distingue aujou
198 de l’esprit humain : cette région que la nature n’ avait ornée que de forêts immenses s’est peuplée de nations puissantes, s’e
199 nc le contraire de ce que l’Occident craint !), n’ aient guère participé à l’histoire du monde que par leur faculté de se lais
200 xpansion colonialiste, du xviiie au xxe siècle, a été, de toute évidence, plus européenne que chrétienne. Assimiler l’E
201 it la définir par une vérité éternelle, qu’elle n’ a pas mérité d’incarner, sur laquelle elle n’a pas de copyright… Reste
202 le n’a pas mérité d’incarner, sur laquelle elle n’ a pas de copyright… Reste le fait que le christianisme a très puissamme
203 de copyright… Reste le fait que le christianisme a très puissamment contribué à la synthèse européenne. Notre idée de la
204 enne. Notre idée de la science en dérive, comme l’ a montré Jaspers, commentant Nietzsche (ce très lucide antichrétien) et
205 nos principes d’égalité, de liberté et de justice ont sans doute été décisifs dans l’aventure mondiale de l’Europe. Retenon
206 e vais laisser sans réponse : — Pourquoi l’Europe a-t -elle été la seule ou la première partie du monde qui ait adopté cette
207 e été la seule ou la première partie du monde qui ait adopté cette religion, venue d’ailleurs, du Proche-Orient et non d’el
208 s nous laissent en pleine ambiguïté : ces données ont agi, chacune à sa manière, mais aucune n’apparaît suffisante pour ren
209 le déroulement d’un plan, dont nul ne voit qui l’ aurait calculé et imposé. Et ce n’est pas l’incarnation de quelque idée plat
210 vie. L’explication d’un phénomène par ses causes a dominé notre xixe siècle, mais c’était aux dépens de la compréhensio
211 nomène lui-même, qu’on voyait mal. Le xxe siècle a découvert qu’un phénomène, individuel ou collectif, ne pouvait être b
212 ures rupestres de Lascaux et d’Altamira, l’Europe a été lentement repeuplée par des colons venus d’une part de l’Asie Min
213 u pays le plus proche de ce rivage phénicien d’où avait été enlevée l’héroïne éponyme, celle qui donna son nom au continent.
214 l’Afrique mais aussi l’esclavage, pour le punir d’ avoir surpris son père en pleine ivresse sans songer comme ses frères à le
215 Proche-Orient dans la péninsule d’Occident. Nous avons vu que les populations, les religions, les procédés techniques et les
216 arco Polo, Rubrukis ou Jean de Plan Carpin — leur ont décrit les richesses fabuleuses. Ils ont tenté plusieurs sorties, les
217 n — leur ont décrit les richesses fabuleuses. Ils ont tenté plusieurs sorties, les croisades, et ils ont échoué. Comment fo
218 nt tenté plusieurs sorties, les croisades, et ils ont échoué. Comment forcer le verrou de l’islam ? Comment apporter la Bon
219 les titres prestigieux de « vice-roi des Îles qui ont été découvertes dans les Indes » et de « Grand amiral de la mer Océan
220 d amiral de la mer Océane », il fallait que Jason eût été en Colchide à la poursuite d’une chimère dorée, que le continent
221 rant la route de l’Asie, que les rois catholiques eussent besoin d’or non pour eux-mêmes mais pour payer une dernière croisade
222 l’exaltation des Ibériques. Tous ces motifs mêlés eurent pour effet la découverte par erreur des Amériques, et ce fut le début
223 n’est pas un échec ! D’innombrables connaissances ont été récoltées en route, elles font désormais partie non seulement de
224 t de notre xxe siècle, on peut dire que l’Europe a placé sur orbite sa civilisation. Mais les étages de la fusée porteus
225 puis presque toute l’Afrique vers 1960. L’Europe avait commencé par mettre en relation toutes les parties de la terre qui, a
226 orance la plus complète les unes des autres. Elle avait permis à l’humanité de prendre conscience de son unité. L’idée d’univ
227 cienne. Dans ce sens, on peut dire que l’Europe «  a fait le monde ». Mais une fois le monde fait par elle, elle l’a perdu
228 e ». Mais une fois le monde fait par elle, elle l’ a perdu. Le monde s’est révolté contre elle au nom même des valeurs de
229 et de respect pour toutes les personnes, qu’elle avait elle-même formulées et diffusés sans en calculer leurs conséquences.
230 . Serait-ce la fin de l’aventure occidentale, qui aurait donc consisté, dans l’ensemble et au total, à faire le monde, mais à
231 la, c’est l’Iliade, « poème de la force » comme l’ a bien nommé Simone Weil. Mais ce qu’il y a de plus typiquement occiden
232 t savoir où il allait, et ce qu’il cherchait : il avait calculé qu’il y serait en trente jours. Mais tous ses calculs étaient
233 l fallut désormais aller toujours plus loin, sans avoir calculé la dépense, j’entends sans avoir mesuré les conséquences loin
234 in, sans avoir calculé la dépense, j’entends sans avoir mesuré les conséquences lointaines, indéfinies, de découvertes matéri
235 enture de l’Europe commence : le miracle européen a créé le monde civilisé », Arts, Paris, 6 juin 1962, p. 1-2.
8 1962, Arts, articles (1952-1965). L’Europe détient les secrets de l’avenir, mais a-t-elle la volonté de vivre ? (13 juin 1962)
236 L’Europe détient les secrets de l’avenir, mais a-t -elle la volonté de vivre ? (13 juin 1962)l Tout pronostic relatif
237 nde. De là le nom d’hémisphère privilégié que lui ont donné les géographes. L’autre moitié du globe, ainsi déterminée, ne c
238 communication maritimes et surtout aériennes qui ont permis au genre humain de vérifier son unité concrète, et d’en prendr
239 ortion de sa surface, n’oublions pas que l’Europe a les plus longues côtes (7 000 km de plus que l’Afrique), les ports le
240 ment le plus égal : c’est le seul continent qui n’ ait point de déserts. Plaines conquises sur la mer, fleuves aux méandres
241 des pionniers arrêtés un soir, à l’étape, et qui auraient décidé d’en rester là. En Asie, les maisons s’assemblent en essaims.
242 dont il serait toujours facile de dire qu’elles n’ ont guère été mises en pratique et qu’il s’agit d’une Europe idéale, qu’o
243 s, lieux hors du bourg originel et défensif — qui a marqué et manifesté l’accession des Européens à la réalité communauta
244 es militarisées — la populace ni le despote — qui ont aménagé au cours des siècles ces espaces mesurés par l’usage. Les dic
245 fés que le Spectator d’Addison, un peu plus tard, a l’ambition de faire pénétrer la philosophie, enfin sortie des cabinet
246 e passe-t-il dans cette église, et que l’Orient n’ a jamais connu ? Le prêtre parle, entonne, et le peuple répond, et le c
247 -même tout autant qu’aux grands lieux communs qui ont formé la cité, qui la maintiennent, et qu’il faut critiquer pour les
248 tion. (L’Orient et les cultures traditionnelles n’ ont guère connu jusqu’à nos jours d’autre forme d’éducation qu’initiatiqu
249 vivante de la loi de l’offre et de la demande, il a fourni la désinence symbolique de toute l’économie européenne jusqu’à
250 péenne jusqu’à nos jours. (Même après que le port eut pris plus d’importance pour le commerce que le marché citadin-rural.)
251 ne doctrine et d’une vie spirituelle que l’Europe a mieux su maintenir face à l’État et face aux modes du jour. Les Améri
252 e la formation des esprits. L’URSS elle-même, qui avait tout sacrifié pendant la période stalinienne à l’enseignement des tec
253 ommune, qui est le cadre concret du civisme. Elle a survécu, tant bien que mal, à plus d’un siècle d’empiètements de l’Ét
254 qui occupe le centre de la place, on sait qu’il n’ a jamais été plus prospère qu’aujourd’hui, et cela dans tous nos pays,
255 ns précédent, c’est cela l’Europe, c’est cela qui a fait le monde. L’Europe, c’est très peu de choses plus une culture. C
256 voire des déserts, la civilisation technologique a pu développer ses effets sans résistances sérieuses, et comme sur tab
257 , de fronde populaire et de revendications, qui l’ ont freinée dans son élan et l’ont contrainte peu à peu à tenir compte du
258 endications, qui l’ont freinée dans son élan et l’ ont contrainte peu à peu à tenir compte du milieu humain, à ne pas se com
259 ns un verger. Certes, les freins et les écluses n’ ont pas toujours joué à temps, et la conscience sociale a été lente à s’é
260 s toujours joué à temps, et la conscience sociale a été lente à s’éveiller dans les élites responsables. La première révo
261 ielle, celle qui tirait son énergie du charbon, n’ a pas seulement créé le décor sale et sans âme des faubourgs de nos cap
262 et sans âme des faubourgs de nos capitales, elle a créé le prolétariat, elle a soumis toute une classe d’hommes à la mac
263 e nos capitales, elle a créé le prolétariat, elle a soumis toute une classe d’hommes à la machine encore très imparfaite,
264 re très imparfaite, faisant de l’ouvrier, comme l’ a dit Marx, « le complément vivant d’un mécanisme mort », et l’obligean
265 morale. Cette pre­mière explosion de la technique a fait beaucoup plus de mal à notre espèce que les explosions nucléaire
266 sine transparente entourée de verdure, l’Europe n’ a pas seulement rapproché la technique de sa vraie fin, qui est de libé
267 i est de libérer l’homme du travail servile, elle a pris conscience la première des problèmes sociaux et moraux, éducatif
268 œuvres, posent désormais à tous les hommes. Elle a formulé, la première par ses meilleurs esprits, le problème de l’équi
269 « L’Europe détient les secrets de l’avenir, mais a-t -elle la volonté de vivre ? », Arts, Paris, 13 juin 1962, p. 2.
9 1962, Arts, articles (1952-1965). Le monde entier irrite l’Europe et la méprise autant qu’il la jalouse ! (20 juin 1962)
270 rs des quinze années pendant lesquelles nos États ont perdu leurs empires, que l’Europe s’est mise à s’unir. Les dates de
271 iples de Rousseau, puis Herder, Bentham et Fichte avaient dénoncé l’expansion coloniale comme un péché mortel de l’Europe, en c
272 ouchés outre-mer — un espace vital, dira Hitler — a joué un rôle important à l’origine des deux guerres mondiales. Mais c
273 es deux guerres mondiales. Mais ces mêmes guerres ont déclenché deux séries de réactions de sens contraire : d’une part, el
274 e réactions de sens contraire : d’une part, elles ont répandu aux quatre coins de la terre l’idée du droit des peuples à di
275 u nom de laquelle les Alliés s’étaient battus, et avaient conclu les traités de 1919, et ceci devait amener les colonies à récl
276 du nationalisme ; d’autre part, ces mêmes guerres ont fait comprendre aux Européens qu’il était temps de juguler leurs sang
277 lants chauvinismes, et cela devait amener, nous l’ avons vu, le réveil des projets d’union. Accessoirement, il ne serait pas s
278 oire en offre peu d’exemples. Car en effet, s’ils avaient eu raison, le retrait colonial eût signifié l’arrêt de mort de notre
279 offre peu d’exemples. Car en effet, s’ils avaient eu raison, le retrait colonial eût signifié l’arrêt de mort de notre éco
280 fet, s’ils avaient eu raison, le retrait colonial eût signifié l’arrêt de mort de notre économie. Or ce retrait se trouve c
281 semble du continent. Jamais notre cap de l’Asie n’ avait connu croissance économique aussi rapide que depuis qu’il a renoncé,
282 oissance économique aussi rapide que depuis qu’il a renoncé, bon gré, mal gré, à ses possessions d’outre-mer. Décolonisat
283 s rivaux, pour criminelle qu’on veuille la juger, a réveillé en fait les peuples du tiers-monde. Ils ont découvert qu’ils
284 réveillé en fait les peuples du tiers-monde. Ils ont découvert qu’ils étouffaient dans leurs régimes traditionnels. Au nom
285 , qui les sauvaient alors de la faillite —, elles ont l’une après l’autre « décroché ». Mais dans le même temps, et pour le
286 s le même temps, et pour les mêmes raisons, elles ont compris ce qu’elles refusaient de comprendre depuis près de six-cent-
287 cinquante ans : la nécessité de leur union. Elles ont perdu le monde et retrouvé l’Europe. Mais voici le deuxième grand fai
288 notre civilisation par le tiers-monde. L’Europe a fait le monde, et cela non seulement parce qu’elle a découvert la Ter
289 ait le monde, et cela non seulement parce qu’elle a découvert la Terre entière, mais surtout parce qu’elle lui a donné sa
290 la Terre entière, mais surtout parce qu’elle lui a donné sa première civilisation effectivement universelle. Cette civil
291 Mais ceci n’empêche pas qu’elle soit la seule qui ait su se rendre transportable et intégrable hors du contexte de ses orig
292 dénoncent l’Occident. Nulle autre civilisation n’ avait été mondiale de cette manière. Là-dessus, l’historien Toynbee m’arrêt
293 leurs peuples que nos armées et nos missions n’en ont jamais détruites ou dénaturées. Mais alors, le retrait de l’Europe qu
294 nies libérées. Le retrait des Anglais de l’Inde n’ a pas été suivi par le rejet du parlementarisme britannique, aussitôt a
295 on trois fois millénaire à laquelle les Anglais n’ avaient jamais touché. Les partis politiques prolifèrent, l’industrie lourde
296 us occidentale que n’était l’Inde colonisée. Elle a peut-être tort, mais c’est ainsi. En Afrique noire, récemment libérée
297 s pays parce qu’on y est obligé, mais parce qu’on a besoin de cette langue, qu’elle est devenue un facteur de cohésion na
298 rtout, dans les nations neuves du tiers-monde, il a suffi que nos administrateurs civils et militaires s’en aillent, pour
299 st qu’ils valaient sans doute mieux que nous ne l’ avions cru, et mieux que nous : tant pis pour nous, et tant mieux pour nos i
300 Jamais l’Europe, jamais l’Occident tout entier n’ ont autant progressé dans l’âme et dans les mœurs des peuples hier encore
301 roisième grand fait : nos idéaux et nos pratiques ont été diffusés en désordre, sans aucun plan, sans nulle sagesse régulat
302 ère-plan religieux, philosophique et culturel qui a permis non seulement les sciences et la technique, mais aussi leur in
303 libérées. Ces nouveaux venus dans le tiers-monde ont des notions beaucoup plus simples du progrès, tant social et moral qu
304 al et moral que purement matériel. Les premiers n’ ont pas les scrupules et la mauvaise conscience qui étaient le fait des é
305 lonisation et le respect des cultures indigènes n’ a jamais arrêté les seconds, pas plus dans leur empire qu’en Afrique ou
306  » Et pourtant, le tiers-monde, en cette affaire, a bien plus à perdre que nous. Ses meilleurs esprits le découvrent. Mai
307 sous-développés imitent maladroitement tout ce qu’ a fait l’Occident, ce professeur rendait l’Europe responsable de tous l
308 à ceux qui nous tiennent ce langage : pourquoi n’ avez -vous pas adopté nos vertus, dont la liste est aussi facile à faire ?
309 e. C’est en fin de compte notre faute, car nous n’ avons jamais conçu une politique de civilisation répondant à l’ampleur des
310 rs authentiques ? Ou peut-elle encore réagir ? En a-t -elle les moyens matériels et moraux ? m. Rougemont Denis de, « Le
10 1962, Arts, articles (1952-1965). L’Europe est un colosse qui s’ignore (encore) (27 juin 1962)
311 e Spengler à Toynbee et de Sorel à Sartre, semble avoir persuadé nos élites comme nos masses que l’Europe est une pauvre chos
312 ue par une vague et stupide tradition ce que nous avons été. En 1847, Sainte-Beuve résume ainsi l’opinion de l’historien Ado
313 l’opinion de l’historien Adolphe Thiers : Il n’y a plus que deux peuples. La Russie, c’est barbare encore, mais c’est gr
314 rbare encore, mais c’est grand… La vieille Europe aura à compter avec cette jeunesse. L’autre jeunesse, c’est l’Amérique… L’
315 enir. Ils sont là. Mesurons leur taille réelle. J’ ai inventé un petit jeu graphique, très simple. Prenez une feuille de pa
316 nez trois rectangles verticaux posés côte à côte, ayant chacun pour base dix carrés. Celui de gauche a dix-huit carrés de hau
317 yant chacun pour base dix carrés. Celui de gauche a dix-huit carrés de hauteur, celui de droite vingt-deux carrés et celu
318 tatistiques, mais dans notre conscience. L’Europe a tout ce qu’il faut pour être encore la première puissance de la Terre
319 st en pleine décadence morale, et surtout qu’il n’ a plus d’idéal à opposer aux valeurs neuves et conquérantes du communis
320 e pas d’invention russe. Ce n’est pas Popov qui l’ a créé, mais c’est Karl Marx. Et qui était Marx ? Un juif allemand, don
321 Herald Tribune. (Ces articles, réunis plus tard, ont fourni de nombreux chapitres de Das Kapital.) Marx est l’un des produ
322 ns matériels cela va de soi, puisque l’Europe les a créés, ces échanges, les a institués au lendemain des grandes découve
323 , puisque l’Europe les a créés, ces échanges, les a institués au lendemain des grandes découvertes, et que seules les tec
324 découvertes, et que seules les techniques qu’elle a su inventer sont en mesure de les entretenir. L’Europe reste le cœur
325 s nôtres : ce n’est point par hasard que l’Europe a créé l’ethnographie et l’archéologie, et la science des religions com
326 rance, en Suisse que les techniques industrielles ont pris le départ à l’orée du xixe siècle : c’est aussi là qu’elles ont
327 l’orée du xixe siècle : c’est aussi là qu’elles ont trouvé des résistances traditionnelles et coutumières qui les ont obl
328 ésistances traditionnelles et coutumières qui les ont obligées lentement à s’intégrer aux rythmes de la vie. Adaptation trè
329 s-monde comme de lui-même. Car c’est l’Europe qui a répandu dans le monde entier le virus du nationalisme, dont elle a bi
330 monde entier le virus du nationalisme, dont elle a bien failli périr elle-même à deux reprises. Et ce mal enfièvre aujou
331 ’une grande fédération. Dans la coïncidence que j’ ai relevée entre la fin de notre impérialisme colonial, les débuts de no
332 venu de les prendre nous-mêmes au sérieux. Nous n’ avons pas simplement le droit de répondre à l’attente des jeunes nations et
333 ote de la rédaction précise : « Une coquille nous a fait écrire que le chiffre de la population de l’Europe de l’Ouest ét
11 1962, Arts, articles (1952-1965). Un refus d’aimer (3 octobre 1962)
334 opter vis-à-vis de l’érotisme m’indiffèrent, et j’ ai même quelque répugnance à y songer. q. Rougemont Denis de, « [Répo
12 1965, Arts, articles (1952-1965). Le déferlement de l’érotisme : pour une nouvelle théologie (5-11 mai 1965)
335 t leur succès relatif : le siècle de Voltaire les avait négligés ; mais il n’eût pas mieux accueilli les romans catholiques e
336 siècle de Voltaire les avait négligés ; mais il n’ eût pas mieux accueilli les romans catholiques et les Vies de Jésus dont
337 cultateurs de notre époque, au point que certains ont parlé d’une révolution dans les mœurs. C’est beaucoup dire pour un pe
338 ion discutée au concile du Vatican. Quelque chose a changé ; mais quoi ? Il est peu vraisemblable que l’énergie sexuelle
339 ? Il est peu vraisemblable que l’énergie sexuelle ait varié en intensité depuis deux siècles, sous l’effet des modes cultur
340 res de parler des choses du sexe et de l’érotisme ont entièrement changé en un demi-siècle. En 1906, Freud croit devoir pré
341 le lecteur pudique pourra se convaincre que je n’ ai pas reculé devant la discussion avec une jeune fille de tels sujets e
342 ic cultivé. Je suis de la première génération qui a découvert la psychanalyse à 20 ans, inscrite au programme des études
343 ante du donné intellectuel dans lequel l’étudiant avait à s’orienter. Mais quatre-vingt-dix pour cent de nos plus de 60 ans c
344 disciplines sexuelles. 2. Les plaisirs érotiques ont leurs lois très subtiles, qui ne sont pas celles de la technique et d
345 sexuelle » durant le premier tiers du xixe . (Il avait formé le projet « d’organiser les libertés amoureuses », et distingué
346 surtout une affaire gratuite, bonne pour ceux qui ont rempli leur rôle physiologique. Mais voilà, l’importance de ce rôle v
347 le va sans doute diminuer, pour les raisons que j’ ai dites, et le seuil de l’érotisme va s’abaisser d’autant. Je vois veni
348 dant à quelque ruse de l’espèce, ou parce qu’il n’ aura pu choisir entre ceux qui se figurent encore que le péché originel es
349 pensent avec un certain évêque bogomile qu’il n’y a « pas de péché au-dessous du nombril », ou ceux qui croient bonnement
350 ement avec un chansonnier de mes amis « qu’il n’y a pas de mal à se faire du bien » ? Ou encore — hypothèse optimiste — a
351 s évolutions que je viens de décrire, la police n’ a pas plus de prise que sur les marées. Elle peut nuire à la diffusion
352 pays, et à tout le monde en France, les Hindous l’ ont sculpté au fronton de leurs temples, pour que nul n’en ignore s’il dé
353 aires de l’érotisme sont à peu près les seuls qui aient retenu l’attention du public français et par suite de la censure. Mai
354 uables essais sur les problèmes de civilisations, a montré dans L’Amour et l’Occident comment le mythe de l’amour s’est
355 de l’amour s’est formé en Europe au Moyen Âge et a distingué dans Comme toi-même tout ce qui sépare sexualité. »