1 1952, Arts, articles (1952-1965). Appel à ceux qui osent être différents (22 mai 1952)
1 rnativement ou simultané­ment — qu’il soit prêtre et iconoclaste, directeur de cons­cience et mauvaise tête, mage et scept
2 t prêtre et iconoclaste, directeur de cons­cience et mauvaise tête, mage et sceptique, écrivain public et accusateur publi
3 , directeur de cons­cience et mauvaise tête, mage et sceptique, écrivain public et accusateur public, créateur de son prop
4 mauvaise tête, mage et sceptique, écrivain public et accusateur public, créateur de son propre langage et succès de vente,
5 accusateur public, créateur de son propre langage et succès de vente, excentrique et engagé, monstre et vedette. Dans les
6 on propre langage et succès de vente, excentrique et engagé, monstre et vedette. Dans les périodes de crise, la société de
7 t succès de vente, excentrique et engagé, monstre et vedette. Dans les périodes de crise, la société devrait le fusiller o
8 iales les plus diverses, avec les masses immenses et formées au hasard d’auditeurs de radio, de lecteurs de journaux, de s
9 loigné du lieu commun, de ce que peuvent entendre et comprendre ces masses. Voilà qui constitue pour l’écrivain de notre t
10 seulement intellectuel, mais civique, mais moral, et enfin politique. Devant ce défi, certains sont tentés de fuir, de se
11 défi, certains sont tentés de fuir, de se dérober et de plaider irresponsable ; mais d’autres sont tentés de se conformer
12 rence, mais secrètement complices, du retrait pur et simple d’une part, ou du conformisme pur et simple d’autre part, l’un
13 t pur et simple d’une part, ou du conformisme pur et simple d’autre part, l’une et l’autre de ces démissions présentant l’
14 du conformisme pur et simple d’autre part, l’une et l’autre de ces démissions présentant l’avantage immédiat de supprimer
15 élée problématique. Je reconnais cette situation. Et je l’accepte. Je lui trouve une certaine analogie avec la situation d
16 dans le monde, selon la grande parole évangélique et paulinienne : « Soyez dans le monde comme n’étant pas du monde. » Et
17 Soyez dans le monde comme n’étant pas du monde. » Et cette formule, me semble-t-il, fournit la clé. Précisément parce que
18 r définition le symbole, le témoin de la liberté, et non seulement de la sienne propre ou de celle de son art, mais de la
19 de celle de son art, mais de la liberté de chacun et de ses conditions pour tous. Au monde comme n’étant pas du monde, dan
20 là sa liberté, qu’il s’agit maintenant d’assumer, et de défendre. Car un double péril la menace, l’un intérieur, l’autre e
21 s d’engagement personnel de l’écrivain comme tel. Et il n’est pas question non plus de réduire la littérature au témoignag
22 us de réduire la littérature au témoignage social et politique, mais bien de prendre conscience de ses implications réelle
23 devant toute espèce d’action publique, se croient et se sentent impuissants devant les forces brutales et collectives qui
24 se sentent impuissants devant les forces brutales et collectives qui mènent le monde. Mais je vois d’autre part que ces fo
25 ’œuvres écrites. Le nationalisme qui nous étrique et qui paralyse encore le régime des échanges de tout ordre en Europe, l
26 fut une création d’écrivains, de poètes, hélas ! et de philosophes. Ceci pour nous ; et, de l’autre côté, d’immenses pays
27 ètes, hélas ! et de philosophes. Ceci pour nous ; et , de l’autre côté, d’immenses pays et des centaines de millions d’homm
28 pour nous ; et, de l’autre côté, d’immenses pays et des centaines de millions d’hommes subissent aujourd’hui un régime is
29 r les yeux devant ces faits ? Comment nier encore et refuser notre pouvoir de changer le monde, j’entends de préparer, et
30 uvoir de changer le monde, j’entends de préparer, et parfois de créer des conditions intellectuelles et morales qui ménage
31 t parfois de créer des conditions intellectuelles et morales qui ménagent soit l’acceptation d’une tyrannie, à force de me
32 , soit au contraire de former une équipe, modeste et dure, de résistants, dont la seule existence modifie quelque chose, u
33 demain, qui sauront vous forcer à être totalement et uniquement du monde, de leur monde, et à clamer d’une de ces voix mor
34 totalement et uniquement du monde, de leur monde, et à clamer d’une de ces voix mornes et droguées, qu’on ne reconnaît plu
35 leur monde, et à clamer d’une de ces voix mornes et droguées, qu’on ne reconnaît plus pour la sienne, la louange de leur
36 être différents », Arts, Paris, 22 mai 1952, p. 1  et  13.
2 1957, Arts, articles (1952-1965). L’ère des loisirs commence (10 avril 1957)
37 le travail qui occupait l’essentiel de nos jours, et dont dépendait notre sort : salaire, nourriture et logement. Si la te
38 t dont dépendait notre sort : salaire, nourriture et logement. Si la technique, demain — comme elle le peut — permet à la
39 tous nos besoins « matériels » soient satisfaits ( et bien mieux qu’aujourd’hui) : alimentation et transports, habitation,
40 its (et bien mieux qu’aujourd’hui) : alimentation et transports, habitation, hygiène, et distractions. Je vois bien l’aspe
41 alimentation et transports, habitation, hygiène, et distractions. Je vois bien l’aspect théorique de ces calculs ; qu’ils
42 offrira de nouvelles « occasions de travail »2 ; et qu’enfin la guerre atomique peut tout compromettre dans l’œuf. Mais l
43 dans l’œuf. Mais l’œuf est là, portant son germe et notre avenir : cet avenir qu’il nous faut accepter de dévisager hardi
44 r nos descendants. Tout peut changer radicalement et d’ici peu, bien moins par suite de facteurs matériels que j’aurais ou
45 l’usage qu’un peuple a décidé d’en faire : chars et wagons en Occident, jouets et ornements chez les Aztèques.) Ce qui es
46 d’en faire : chars et wagons en Occident, jouets et ornements chez les Aztèques.) Ce qui est certain, c’est que le progrè
47 tions se manifesteront d’une manière transparente et seront suivis d’effets presque immédiats. Ce sont ces vœux et ces ori
48 ivis d’effets presque immédiats. Ce sont ces vœux et ces orientations que l’on peut essayer d’induire de notre état d’espr
49 médiatement vers les voyages, le sport, les jeux, et l’érotisme. L’expérience des vacances payées nous l’a fait voir à une
50 née par les populations du cercle arctique (Suède et Norvège), condamnées au loisir pendant six mois d’hiver : elles se to
51 plé ou centuplé pendant ce siècle les instruments et moyens de culture. On y publie plus de livres que jamais et à vil pri
52 de culture. On y publie plus de livres que jamais et à vil prix : les bibliothèques et les foyers de culture locaux se gén
53 vres que jamais et à vil prix : les bibliothèques et les foyers de culture locaux se généralisent ; toute la peinture mond
54 ute la musique nous vient à domicile par la radio et par le disque ; les conférences, causeries et discussions publiques s
55 dio et par le disque ; les conférences, causeries et discussions publiques se tiennent par dizaines de milliers dans nos p
56 izaines de milliers dans nos pays démocratiques ; et l’instruction publique est heureusement doublée par des centaines d’o
57 ment de l’histoire, découverte du monde, sciences et techniques, politiques, religions3… C’est dire que nous multiplions d
58 je dis seulement que tout y mène pour le meilleur et pour le pire. C’est dire que tout nous mène vers une ère religieuse.
59 créatrices, des mathématiques pures à la poterie, et de la métaphysique à la sculpture des meubles. C’est ainsi que la tec
60 ce, nous ramènera demain aux options religieuses. Et je n’imagine pas de drogue assez puissante pour en détourner le genre
61 ieuse la plus intense a signifié longtemps ascèse et renoncement, en Occident comme en Orient. (En fait, elle est surtout
62 ent comme en Orient. (En fait, elle est surtout — et devrait être — accession à la vérité, et peu importent les moyens.) O
63 urtout — et devrait être — accession à la vérité, et peu importent les moyens.) On voit donc mal, à première vue, comment
64 de retrait en deçà du dogme formulé ; mais l’une et l’autre s’appuyaient sur l’objet de leur renoncement et en dépendaien
65 utre s’appuyaient sur l’objet de leur renoncement et en dépendaient étroitement. L’ascèse de demain pourra difficilement p
66 nt qui nous permet ce retour en créant du loisir. Et quant à la mystique, elle suppose avant tout la connaissance précise
67 d — vit simplement sur les reliefs épars du dogme et de la liturgie dans la culture dont il est imprégné. Voilà pourquoi l
68 prégné. Voilà pourquoi la connaissance des dogmes et des opinions premières de nos religions sera demain la première condi
69 ns sera demain la première condition des hérésies et gnoses qui vont paraître : elles ne feraient autrement que répéter de
70 ctrines dont le style créateur a fait son temps5. Et je ne dis pas qu’elles s’en priveront. Mais je vois aussi que la cult
71 évision, la radio, apportant le monde à domicile, et les spectacles solennels organisés par l’art ou par le sport préparen
72 és par l’art ou par le sport préparent les masses et les individus à des liturgies imprévues. Les religions de « divertiss
73 otalitaires — en bénéficieront très certainement. Et l’on sait, d’autre part, que la passion pour l’occulte ne cesse de gr
74 eau, voilà qui nous oblige à reconsidérer le sens et la nature finale du Progrès. 1. L’Encyclopédie de 1765 définit le
75 tellectuelles, aux dépens des activités manuelles et mécaniques, entraîne et suppose un progrès culturel (qu’il soit appel
76 s des activités manuelles et mécaniques, entraîne et suppose un progrès culturel (qu’il soit appelé loisir ou travail). 3
77 ) L’intelligentsia berlinoise, puis new-yorkaise, et une partie de la parisienne, au xxe siècle, se crurent et furent dan
78 rtie de la parisienne, au xxe siècle, se crurent et furent dans une large mesure antireligieuse ou areligieuse. Le surréa
79 cessé de chercher une vision religieuse du monde et de la vie, bien plus antichrétien par cela même qu’un J.-P. Sartre, q
80 la littérature occidentale s’est amorcé dès 1919, et n’a pas cessé de s’amplifier. 5. Nos sectes orientalistes me font pa
81 sirs commence », Arts, Paris, 10 avril 1957, p. 1 et 5. c. Texte conclu par cette note : « Copyright Denis de Rougemont.
3 1960, Arts, articles (1952-1965). Remise en question par l’Afrique et l’Asie, la civilisation occidentale n’a pas encore de successeur (21 septembre 1960)
82 Remise en question par l’Afrique et l’Asie, la civilisation occidentale n’a pas encore de successeur (21
83 se : je veux parler d’une inquiétude fondamentale et d’un désordre permanent. Les Chinois et les Égyptiens, les Sumériens
84 damentale et d’un désordre permanent. Les Chinois et les Égyptiens, les Sumériens et les Romains, les Aztèques et les Maya
85 nent. Les Chinois et les Égyptiens, les Sumériens et les Romains, les Aztèques et les Mayas, avaient créé des ordres stabl
86 tiens, les Sumériens et les Romains, les Aztèques et les Mayas, avaient créé des ordres stables. Leurs prêtres et leurs pr
87 s, avaient créé des ordres stables. Leurs prêtres et leurs princes avaient réponse à tout. Nous, au contraire, en Occident
88 réponse à tout. Nous, au contraire, en Occident, et en Europe bien plus qu’en Amérique, nous souffrons d’une espèce d’inq
89 maquis de contradictions morales, intellectuelles et pratiques. D’où viennent cette inquiétude fondamentale et ce désordre
90 ques. D’où viennent cette inquiétude fondamentale et ce désordre permanent, que les meilleurs esprits déplorent depuis des
91 emontent aux sources vives de notre civilisation, et qu’ils en sont inséparables. Je les rattache à nos plus grandes tradi
92 à nos plus grandes traditions : le christianisme et l’esprit scientifique. Notre inquiétude provient de notre foi, et nos
93 ntifique. Notre inquiétude provient de notre foi, et nos incertitudes sont créées par la nature même de nos certitudes. Ce
94 es « qu’il n’y a pas un juste, pas même un seul » et que pourtant il devrait être saint. Il sait que le péché consiste à ê
95 éché consiste à être séparé de la Vérité vivante, et que tous les hommes sont pécheurs. Il cherche donc. Il cherche à se r
96 che donc. Il cherche à se rapprocher de la Vérité et de la sainteté. Dans cet effort sans fin ni cesse, il est pourtant so
97 de son inquiétude ; il sait qu’elle est normale, et non désespérée, puisqu’elle est produite par sa foi, c’est-à-dire par
98 établissent les écoles successives sont relatives et provisoires, ont été dépassées l’une après l’autre, et que pourtant l
99 ovisoires, ont été dépassées l’une après l’autre, et que pourtant la raison d’être de la science est de saisir des vérités
100 ant, il est soutenu par sa confiance en la raison et l’expérience vérifiante. La même exigence de rigueur qui, d’une part,
101 , d’être des hommes « qui ont cessé de chercher » et « qui se croient les détenteurs de la vérité absolue ». Il serait peu
102 ilisation. Définition par la culture : multiplier et populariser les moyens de la créer et de l’assimiler. Mais les plus g
103 multiplier et populariser les moyens de la créer et de l’assimiler. Mais les plus grands succès quantitatifs allant régul
104 mesure valable pour l’ensemble d’une civilisation et garantissant l’harmonie de nos moyens actuels et de nos buts derniers
105 et garantissant l’harmonie de nos moyens actuels et de nos buts derniers. Mais toutes les tentatives faites de nos jours
106 armonie ont causé le maximum de désordre sanglant et aggravé le chaos mondial. Ainsi l’idée de Progrès semble contradictoi
107 mouvement de la science qu’on ne peut pas achever et , enfin, de la Technique, dont l’Asie et l’Afrique ne paraissent nulle
108 s achever et, enfin, de la Technique, dont l’Asie et l’Afrique ne paraissent nullement disposées à refuser les dons ambigu
109 tion. Toutes les « hérésies du Progrès » sont bel et bien nées en Europe, encore qu’elles n’aient vraiment déployé leurs e
110 que dans les grands espaces humains des Amériques et de l’URSS. Là, comme extraites de leur contexte original, elles n’éta
111 es Soviets ont fait de la croyance en l’Histoire, et ce que les peuples de l’Orient proche et lointain risquent de faire d
112 istoire, et ce que les peuples de l’Orient proche et lointain risquent de faire du nationalisme — j’y vois le signe que l’
113 t pas blessé, rien ne réagirait ; s’il est blessé et réagit, c’est qu’il existe. J’essaierai donc d’en définir la nature e
114 l existe. J’essaierai donc d’en définir la nature et les exigences. L’Occident n’est pas né comme on nous dit que naissent
115 mme on nous dit que naissent les grandes cultures et civilisations, animées par un rêve qui fait leur destinée et qui comp
116 tions, animées par un rêve qui fait leur destinée et qui compense d’abord un sort inaccepté. Il est né comme une aventure,
117 st né comme une aventure, d’un fait très insolite et peu croyable, survenu au carrefour hasardeux de traditions diverses,
118 ux de traditions diverses, parfois incompatibles. Et ce fait initial nous semble accidentel, j’entends qu’il serait vain d
119 re ». Il porte à l’origine les stigmates du réel, et non pas les signes du mythe. Il n’est pas vraisemblable ; il est vrai
120 dain, une grande libération d’énergie spirituelle et morale, provoquée par l’intégration instantanée de deux réalités radi
121 réalités radicalement distinctes : le Verbe divin et la chair. Pour mesurer l’ampleur de cette révolution, il faut imagine
122 ent. La morale des Anciens est basée sur le rite, et dans le monde magique elle n’est que rite. Seule la croyance moderne
123 le la croyance moderne aux « lois de la science » et aux « nécessités techniques » en général peut nous donner l’idée de c
124 ue représente alors l’évidence magico-religieuse, et de ce qu’entraîne indiscutablement sa transgression. La faute commis
125 Semblablement, saint Augustin dira : « Aime Dieu et fais ce que tu voudras. » Or, ces phrases invalident, du point de vue
126 que, les traditions religieuses du Proche-Orient, et l’ordre impérial des Romains. Utilisant l’un de ces éléments, écartan
127 cartant l’autre, annexant au passage un troisième et souvent compromise à ce jeu, elle a tout remis en mouvement. Et ce mo
128 promise à ce jeu, elle a tout remis en mouvement. Et ce mouvement dans son ensemble, jusqu’à nous, c’est l’« Aventure occi
129 n’y est pas seule active, mais elle fut décisive et reste axiale : c’est par rapport à elle que nous pourrons mesurer nos
130 , la dérive de notre culture. Dialectique grecque et juridisme romain, catalysés par l’exigence chrétienne, ont produit le
131 duit le mot décisif. Mais les réalités politiques et sociales élaborées par ces trois mondes sont entrées elles aussi en s
132 rois mondes sont entrées elles aussi en symbiose, et cela d’une manière manifeste dès l’époque des conciles œcuméniques.
133 se mêlaient sans fin ni formes nettes les vivants et les morts, les dieux et les démons. L’individu prend sa mesure, fragi
134 formes nettes les vivants et les morts, les dieux et les démons. L’individu prend sa mesure, fragile et menacé, mortel et
135 t les démons. L’individu prend sa mesure, fragile et menacé, mortel et ignorant, il sait qu’il n’est pas dieu, ne rêve pas
136 dividu prend sa mesure, fragile et menacé, mortel et ignorant, il sait qu’il n’est pas dieu, ne rêve pas de le devenir, ma
137 tous égards celui qui définit — l’homme du Verbe et de l’épithète, « la mesure de toutes choses », dira Protagoras, « de
138 tinct. D’où son orgueil aussi, son astuce égoïste et , finalement, cette anarchie sceptique qui, lorsque se perdra la révér
139 orsque se perdra la révérence à l’égard des dieux et des lois, livrera la cité « atomisée » à la brutale mise au pas du Ro
140 êt dans la cité maintenue par les cadres du Droit et des Institutions dûment hiérarchisées. Ce puritanisme social, cette m
141 u service de l’État, fera la grandeur de l’Empire et la pauvreté d’âme de ses sujets. Si la dissociation menaçait en perma
142 disciplines ne sont pas celles de l’âme, que naît et se répand le christianisme. Apport chrétien. — La conversion — révol
143 le qui était celle de l’individu selon les Grecs, et l’honneur de servir, qui était celui du citoyen romain. Il devient do
144 devient donc un paradoxe vivant : à la fois libre et responsable, vraiment distinct et vraiment relié, et singularisé par
145 à la fois libre et responsable, vraiment distinct et vraiment relié, et singularisé par la même vocation qui lui fait déco
146 responsable, vraiment distinct et vraiment relié, et singularisé par la même vocation qui lui fait découvrir dans tout hom
147 on équilibre en tension, unit le meilleur de Rome et de la Grèce, elle est aussi menacée, dans le monde du péché, par un d
148 ané : celui de la fuite vers le salut individuel, et celui de l’abandon au sacré collectif — maladie « grecque » et maladi
149 ’abandon au sacré collectif — maladie « grecque » et maladie « romaine » de la personne. Ainsi, c’est dans la mesure où le
150 le christianisme a signifié la fin des religions et des magies, nées de la peur, qu’il a permis le développement de la Sc
151 semble nuire au groupe, à la tribu, à leurs lois et coutumes sacrées, que l’on prend pour l’Ordre et le Bien. L’« eppur »
152 et coutumes sacrées, que l’on prend pour l’Ordre et le Bien. L’« eppur » de Galilée me paraît plus « chrétien » que l’ind
153 proprement dite, c’est que les mobiles spirituels et les impulsions morales nécessaires leur ont manqué. Au contraire, le
154 avancer cette science, grâce à son christianisme et ensuite contre son christianisme — du moins contre chacune des formes
155 seulement rayonné sur la totalité — enfin connue, et par elle seule — de la planète : elle a non seulement influencé, colo
156 cas, la totalité de l’Afrique, des deux Amériques et de l’Océanie, et la partie sud de l’Asie (à des degrés divers, mais p
157 de l’Afrique, des deux Amériques et de l’Océanie, et la partie sud de l’Asie (à des degrés divers, mais pour le moins égau
158 avaient atteints dans leurs empires les Diadoques et les Khans mongols), mais encore elle n’a pas cessé de maintenir sur t
159 entes de la sienne une supériorité intellectuelle et technique que personne ne lui contestait. Si, aujourd’hui, les peuple
160 que la preuve décisive de leur succès. Les Grecs et les Romains ne disposaient pas d’une marge de supériorité incontestab
161 arge de supériorité incontestable sur les Hindous et les Chinois. Mais où trouver dans le monde du xxe siècle une autre c
162 evient possible, le dialogue apparaît nécessaire. Et j’entends bien un vrai dialogue au niveau des religions et des philos
163 nds bien un vrai dialogue au niveau des religions et des philosophies, c’est-à-dire au niveau créateur des civilisations e
164 c’est-à-dire au niveau créateur des civilisations et des cultures. Dès lors que les échanges se multiplient en fait, que l
165 multiplient en fait, que l’Asie s’industrialise, et que le temps de voyages cesse de nous séparer (nous faisons en un jou
166 ajet qui prenait deux ans du temps de Plan Carpin et de Marco Polo), il devient urgent de corriger les aberrations résulta
167 ruire autant que féconder. L’adoption de machines et de certaines croyances, déduites de notre science de la matière, peut
168 s sciences spirituelles ou physio-psychologiques. Et cela, au moment même où l’Occident commence à soupçonner que ces autr
169 es autres sciences peuvent être « vraies » aussi, et même devenir vitales. L’Aventure s’approchant de la Voie, l’une doit
170 ons avec des invisibles, tuons à grande distance, et dialoguons avec la lune. Confronté à l’Orient, l’Occident apparaît co
171 s cherchons plutôt les moyens de gagner du temps, et les trouvons par la technique. Sur quoi le mandarin visitant nos usin
172 demain. Par notre fait, dans la réalité sérieuse et quotidienne. Mais voici le paradoxe concret : les qualités techniques
173 oblème de se poser, sont précisément les qualités et attitudes qui prédisposent le moins à l’usage fécond du loisir. À l’i
174 verse, les valeurs orientales préparent au loisir et le supposent, mais n’ont pu le procurer au grand nombre. Au moment mê
175 , tandis que l’Orient se jette sur nos techniques et en oublie ses valeurs propres, qui seraient celles dont nous aurions
176 nt de la matière cosmique consistent en hydrogène et en hélium, produit à partir de l’hydrogène. Le noyau de l’hydrogène e
177 u’une apparence flottant sur l’océan sans rivages et sans fond de l’immatérielle Énergie. Voici donc retrouvée la Maya des
178 d’Einstein (illimité-fini) vous iriez aussi loin et longtemps que vous voulez, droit devant vous, pour revenir au même po
179 ur revenir au même point. Essayez de penser cela, et vous verrez bientôt que la question d’un au-delà ne se pose plus. Dan
180 s. Dans l’univers en expansion de l’abbé Lemaître et de Gamov, né d’une explosion primitive, et qui reviendra peut-être à
181 maître et de Gamov, né d’une explosion primitive, et qui reviendra peut-être à son point initial, vous n’irez pas plus loi
182 ù elle va, qu’on regarde d’abord d’où elle vient, et comment, jusqu’ici, elle est allée. On verra que la question même est
183 fin de notre civilisation, son épuisement intime, et toujours préalable à l’anéantissement par une force étrangère. Je n’a
184 m’a formé. Qui voudrait à tout prix une réponse, et refuserait de la trouver lui-même, dès lors qu’il sait qu’il n’en est
185 il sait qu’il n’en est point de vraiment générale et transposable — il quitterait en esprit cette expérience humaine qui d
186 mont Denis de, « Remise en question par l’Afrique et l’Asie, la civilisation occidentale n’a pas encore de successeur », A
187 uccesseur », Arts, Paris, 21 septembre 1960, p. 1 et 15. e. Cet article fait partie d’un dossier de la revue Arts intitul
4 1961, Arts, articles (1952-1965). L’Amour en cause (1er février 1961)
188 pour les Modernes. Le dieu était ailé, charmant, et secondaire ; le problème est sérieux, complexe et encombrant. Mais ce
189 et secondaire ; le problème est sérieux, complexe et encombrant. Mais cela n’est vrai qu’en Occident, car on n’observe rie
190 e ou en Afrique. Comment nous expliquer ce fait ? Et pourquoi l’érotisme est-il devenu synonyme de perversité non seulemen
191 tat laïque, mais aux yeux des chrétiens exigeants et sincères, depuis des siècles ? Pour comprendre la situation problémat
192 ssait comme l’Être originel, le Créateur du monde et le sauveur d’Israël, mais que le Nouveau Testament révèle au cœur de
193 veau Testament révèle au cœur de tous les hommes, et d’une manière radicalement nouvelle : « Dieu est Amour », répète sain
194 t résumée par Jésus-Christ lui-même, dans le seul et unique commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu… et ton proch
195 commandement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu… et ton prochain comme toi-même ». Religion qui met au premier rang de to
196 ces trois choses demeurent : la Foi, l’Espérance et l’Amour : mais la plus grande des trois, c’est l’Amour ». Et celui qu
197 : mais la plus grande des trois, c’est l’Amour ». Et celui qui n’a pas l’Amour « n’est qu’une cymbale qui retentit ». 2. P
198 st religion de l’Amour, le christianisme implique et pose la réalité de la personne. Les relations qu’il définit entre l’h
199 rsonne. Les relations qu’il définit entre l’homme et « son » Dieu sont personnelles. Dieu est personnel. La Trinité est co
200 Marie — Jésus Christ étant à la fois « vrai Dieu et vrai homme » selon le Credo. D’où suit immédiatement que tout homme c
201 dans l’imitation de Jésus-Christ, vraie vocation et vrai individu, c’est-à-dire, une personne distincte, mais reliée en m
202 jet même de l’amour, auquel on voudrait être uni. Et pour que l’homme puisse aimer Dieu et tout d’abord en être aimé, il f
203 t être uni. Et pour que l’homme puisse aimer Dieu et tout d’abord en être aimé, il faut que Dieu soit personnel et qu’il s
204 ord en être aimé, il faut que Dieu soit personnel et qu’il soit « tout autre » que l’homme. Et enfin pour que l’homme puis
205 rsonnel et qu’il soit « tout autre » que l’homme. Et enfin pour que l’homme puisse s’aimer lui-même, il faut qu’il y ait e
206 qu’il y ait en lui dualité entre l’homme naturel et l’homme nouveau, recréé par l’appel qu’il reçoit de l’Amour. Cet appe
207 religion de l’Amour total (amour de Dieu, de Soi et du Prochain) n’a pas de livre sacré sur l’Amour. Dans cet ensemble in
208 énomènes que l’Europe seule a désigné par le seul et même terme d’amour, considérons les raies extrêmes du spectre : l’ult
209 extrêmes du spectre : l’ultraviolet du spirituel et l’infrarouge du sexuel. Notre mystique, science de l’amour divin, s’e
210 ’est développée très tardivement, dans des formes et selon des voies presque toujours suspectes aux yeux de l’orthodoxie.
211 ngtemps réduite à quelques interdits élémentaires et que l’on trouve dans presque toutes les sociétés constituées. En dépi
212 re sexuelle parce que contraire à la fécondation) et des gros livres de casuistiques des xvie et xviie siècles, la plupa
213 ion) et des gros livres de casuistiques des xvie et xviie siècles, la plupart des écrits par des moines et à l’usage des
214 ie siècles, la plupart des écrits par des moines et à l’usage des confesseurs, on ne voit pas un seul équivalent chrétien
215 e tant d’autres traités d’érotisme dans les Vedas et les upanishads, reliant le sexuel au divin ; encore moins, des célèbr
216 e la manière la plus précise les unions des dieux et de leurs femmes, à des fins didactiques et religieuses. Point de méth
217 dieux et de leurs femmes, à des fins didactiques et religieuses. Point de méthodes secrètes ni de magie sexuelle, point d
218 arier depuis mille ans les traités du hatha yoga. Et pas de traces non plus, dans le christianisme, de ces cérémonies init
219 atiques, comme à la plupart des autres religions, et où l’on sait que les relations entre les sexes jouent un rôle décisif
220 itain se contente de conseils moraux très sévères et de conseils d’hygiène vagues ou aberrants. D’un côté, le rite et les
221 d’hygiène vagues ou aberrants. D’un côté, le rite et les sévices physiques, qui règlent tout ; de l’autre, les problèmes e
222 ues, qui règlent tout ; de l’autre, les problèmes et les tortures morales… Les Églises chrétiennes ont toujours mieux réus
223 urs mieux réussi dans leurs efforts pour réprimer et contenir l’instinct sexuel que dans leurs tentatives (rares et périph
224 ’instinct sexuel que dans leurs tentatives (rares et périphériques, voire hérétiques) pour cultiver et ordonner à des buts
225 et périphériques, voire hérétiques) pour cultiver et ordonner à des buts spirituels, l’érotisme même dans les limites du m
226 u’on pût croire que l’Éros divinise sans la grâce et peut conduire à des révélations. « La chair ne sert de rien » (quant
227 rt de rien » (quant au salut) déclare saint Paul. Et l’on eut bien vite fait de réduire au sexuel le sens de « chair » qui
228 ’Apôtre, désignait le tout de l’homme (corps, âme et intellect) dans sa réalité naturelle et déchue. En revanche, les Égli
229 orps, âme et intellect) dans sa réalité naturelle et déchue. En revanche, les Églises chrétiennes, suivies jusqu’à nos jou
230 e une doctrine du mariage tout à fait spécifique, et que la Gnose ignore, significativement. Elle se fonde sur quelques ve
231 t. Elle se fonde sur quelques versets des épîtres et des évangiles qui dans l’ensemble définissent une éthique cohérente d
232 sent une éthique cohérente de type personnaliste, et non plus sociale ou sacrée comme dans les autres religions. Il n’en e
233 les motivations spirituelles du mariage diffèrent et même se contredisent chez saint Paul. Tantôt il pose une sorte d’anal
234 mystique entre l’amour des sexes dans le mariage et l’amour de Jésus pour l’ensemble des âmes croyantes : « Maris, aimez
235 os femmes comme Christ a aimé l’Église ». Tantôt, et plus souvent, il réduit le mariage à n’être qu’une concession à la na
236 our éviter l’impudicité, que chacun ait sa femme, et que chaque femme ait son mari… Je dis cela par condescendance, je n’e
237 te pas moins qu’aux yeux de l’Apôtre, la chasteté et le célibat conduiraient seuls à la vie spirituelle : « Celui qui n’es
238 te du Seigneur, des moyens de plaire au Seigneur, et celui qui est marié s’inquiète des choses du monde, des moyens de pla
239 dans les seules limites du mariage le plus strict et consacré — tout le reste étant laissé en friche et très sommairement
240 t consacré — tout le reste étant laissé en friche et très sommairement condamné sous les noms de luxure et d’impudicité ou
241 rès sommairement condamné sous les noms de luxure et d’impudicité ou de « prostitution spirituelle », l’amour humain devai
242 des esprits selon la tripartition traditionnelle et non moins paulinienne que gnostique, soulignons-le) se trouvait lié d
243 à la dialectique du salut, c’est-à-dire du péché et de la grâce, et valorisé à l’extrême. Ceci ne pouvait se produire — e
244 e du salut, c’est-à-dire du péché et de la grâce, et valorisé à l’extrême. Ceci ne pouvait se produire — et ne s’est pas p
245 lorisé à l’extrême. Ceci ne pouvait se produire — et ne s’est pas produit — en dehors de la sphère d’influence du christia
246 e mariage d’amour, la passion mystique de Tristan et la licence impie de Don Juan (l’une au-delà et l’autre en deçà du mar
247 an et la licence impie de Don Juan (l’une au-delà et l’autre en deçà du mariage) ne devait développer toutes ses complexit
248 és que dans une Europe travaillée par la doctrine et la morale chrétiennes, séculairement aux prises avec leurs exigences
249 ns une Europe formée par l’Église ou contre elle, et longtemps confondue avec « la chrétienté ». On ne saurait donc interp
250 énomène — dans son évolution au cours des siècles et dans sa situation contemporaine — qu’à la lumière de ses origines rel
251 ine — qu’à la lumière de ses origines religieuses et de ses fins transnaturelles. Chrétiens traditionnels, moralistes laïq
252 onnels, moralistes laïques rationalistes libéraux et communistes orthodoxes s’unissent pour déplorer l’invasion de nos vie
253 affiches dans les rues, les bureaux, les métros, et tout au long des autostrades, les magazines illustrés et les films, l
254 au long des autostrades, les magazines illustrés et les films, les romans noirs et les albums de nus, les journaux popula
255 agazines illustrés et les films, les romans noirs et les albums de nus, les journaux populaires et les bandes dessinées, l
256 irs et les albums de nus, les journaux populaires et les bandes dessinées, les chansons à la mode, les danses et les strip
257 des dessinées, les chansons à la mode, les danses et les strip-teases : il suffit de regarder le décor des journées et des
258 ses : il suffit de regarder le décor des journées et des nuits citadines pour vérifier l’omniprésence de l’appel au désir
259 en demeure pas moins stupéfiant par sa soudaineté et son ampleur. Il est daté du premier tiers du xxe siècle, et même si
260 eur. Il est daté du premier tiers du xxe siècle, et même si on lui trouvait des parallèles en d’autres temps, ses moyens
261 icule principal, le rend sans doute irréversible, et les cultures totalitaires (ou dirigées) normalement puritaines seront
262 ébordées. Au surplus, l’accroissement quantitatif et plus encore qualitatif des temps de loisir, accroît aussi comme l’ava
263 st donc vain. Il s’agit de comprendre ses causes, et sur tout ce dont il est signe. Et d’abord, il s’agit de lui donner so
264 dre ses causes, et sur tout ce dont il est signe. Et d’abord, il s’agit de lui donner son vrai nom. C’est l’érotisme qui t
265 non pas la sexualité proprement dite, instinctive et procréatrice. Et les moyens de l’érotisme sont la littérature, les « 
266 ité proprement dite, instinctive et procréatrice. Et les moyens de l’érotisme sont la littérature, les « salles obscures »
267 ques (dont la photographie), la musique populaire et la danse, et même certaines philosophies plus poétiques que systémati
268 photographie), la musique populaire et la danse, et même certaines philosophies plus poétiques que systématiques : milieu
269 que la pensée des spirituels se trouve aux prises et peut entrer en polémique intime. Ce n’est pas l’immoralité plus ou mo
270 aître le sens réel du phénomène que j’ai rappelé, et qui n’est guère en soi que l’écume d’une vague profonde surgie de l’â
271 jeunesse actuelle n’a pas connue dans sa vigueur, et dont elle n’a guère pu souffrir. Il est vrai qu’une révolution n’écla
272 des vrais tyrans, contre leurs héritiers débiles et qui assurent que ce n’est pas de leur faute. Mais de quoi la morale v
273 la morale victorienne est-elle morte ? Sans doute et tout d’abord, d’avoir eu peur de l’instinct qu’elle voulait réprimer.
274 ce sexuelle fait courir à toute société militaire et laborieuse, dont la plus haute valeur n’est pas l’union mystique mais
275 interdit d’en parler, sauf du haut de la chaire, et sous le seul nom d’impureté. C’était vider la morale puritaine de sa
276 pour dévaloriser les notions mêmes de répression et de censure. Les abus dénoncés par Freud nous ont rendus méfiants quan
277 nnemi mais le refoulement générateur de complexes et de névroses. D’où la tolérance que j’ai dite, et qui effraye tant d’o
278 et de névroses. D’où la tolérance que j’ai dite, et qui effraye tant d’observateurs. Avant de nous effrayer à notre tour
279 ous le répète, que « la sensualité envahit tout » et que la sexualité défoulée « se déchaîne » ? Bien sûr que non. L’insti
280 e mariage ne posait que des problèmes d’héritages et de consanguinités souvent invraisemblables, justifiant des divorces c
281 ausés par l’intérêt mais jamais par le sentiment. Et , subitement, voici les troubadours et l’invention du désir sublimé, S
282 sentiment. Et, subitement, voici les troubadours et l’invention du désir sublimé, Saint Bernard de Clairvaux et la mystiq
283 tion du désir sublimé, Saint Bernard de Clairvaux et la mystique d’amour, Héloïse et la passion vécue, Tristan et la passi
284 nard de Clairvaux et la mystique d’amour, Héloïse et la passion vécue, Tristan et la passion rêvée, le culte de la Dame et
285 que d’amour, Héloïse et la passion vécue, Tristan et la passion rêvée, le culte de la Dame et le culte de la Vierge, les h
286 Tristan et la passion rêvée, le culte de la Dame et le culte de la Vierge, les hérésies gnostiques ravivées et le cynisme
287 te de la Vierge, les hérésies gnostiques ravivées et le cynisme libertin naissant, le célibat des prêtres et les « Lois d’
288 cynisme libertin naissant, le célibat des prêtres et les « Lois d’Amour », bref, le lyrisme, l’érotisme et la mystique déc
289 es « Lois d’Amour », bref, le lyrisme, l’érotisme et la mystique déchaînés sur l’Europe entière, et parlant une même langu
290 me et la mystique déchaînés sur l’Europe entière, et parlant une même langue nouvelle, rénovant d’un seul coup pour des si
291 novant d’un seul coup pour des siècles la musique et la poésie, le roman, la piété et les mœurs. Tout cela se passait dans
292 ècles la musique et la poésie, le roman, la piété et les mœurs. Tout cela se passait dans les élites cultivées — les jongl
293 passait dans les élites cultivées — les jongleurs et prédicateurs étant les seuls « moyens de diffusion » permettant de to
294 bouleversants dans les mœurs de la masse inculte et dans les habitudes de pensée. Le travail de décantation, d’adaptation
295 ravail de décantation, d’adaptation psychologique et de remise en ordre morale et spirituelle devait prendre des siècles,
296 tation psychologique et de remise en ordre morale et spirituelle devait prendre des siècles, et n’est pas terminé. Car la
297 morale et spirituelle devait prendre des siècles, et n’est pas terminé. Car la révolution que nous sommes en train de vivr
298 éclate dans une société beaucoup moins cloisonnée et protégée, et où toute pulsation enregistrable est instantanément prop
299 ne société beaucoup moins cloisonnée et protégée, et où toute pulsation enregistrable est instantanément propagée. L’impri
300 ntanément propagée. L’imprimé bon marché, le film et la radio ne laissent plus de délais ni d’angles morts. Les effets att
301 aient émergé à nos consciences. D’où le scandale, et c’est peu dire — d’où l’angoisse et la mauvaise conscience qui caract
302 le scandale, et c’est peu dire — d’où l’angoisse et la mauvaise conscience qui caractérisent à la fois ceux qui expriment
303 risent à la fois ceux qui expriment la révolution et ceux qui en subissent les effets. Prenez un Européen cultivé — homme
304 t ou non, plus ou moins respectueux de la science et du progrès, donc normal et moyen selon les standards du siècle : conf
305 pectueux de la science et du progrès, donc normal et moyen selon les standards du siècle : confrontez-le avec les œuvres a
306 les œuvres apparues depuis cinquante ans de Freud et des écoles qui en dérivent, de Proust et de Joyce, de D. H. Lawrence
307 de Freud et des écoles qui en dérivent, de Proust et de Joyce, de D. H. Lawrence et de Jean Genêt, d’André Breton et de Ro
308 érivent, de Proust et de Joyce, de D. H. Lawrence et de Jean Genêt, d’André Breton et de Robert Musil, d’Henry Miller et d
309 e D. H. Lawrence et de Jean Genêt, d’André Breton et de Robert Musil, d’Henry Miller et de Lawrence Durrel, pour ne citer
310 d’André Breton et de Robert Musil, d’Henry Miller et de Lawrence Durrel, pour ne citer que très peu de noms des plus connu
311 euse Histoire d’O, les essais de Georges Bataille et de Pierre Klossowski pour les initiés ; les romans policiers de l’éco
312 itiés ; les romans policiers de l’école « noire » et les films des metteurs en scène suédois, français et italiens, pour l
313 les films des metteurs en scène suédois, français et italiens, pour le grand public. Que verra dans tout cela, de prime ab
314 dans tout cela, de prime abord, le témoin normal et moyen ? La libido partout à l’œuvre, la névrose prise pour thème norm
315 exaltées comme étant la vraie pureté ; le sadisme et le masochisme, l’homosexualité et l’inceste ; et toutes les formes d’
316 té ; le sadisme et le masochisme, l’homosexualité et l’inceste ; et toutes les formes d’exhibitionnisme et de raffinement
317 et le masochisme, l’homosexualité et l’inceste ; et toutes les formes d’exhibitionnisme et de raffinement pervers qui att
318 ’inceste ; et toutes les formes d’exhibitionnisme et de raffinement pervers qui attendent encore leur nom : bref, la luxur
319 e vraie tendresse mais de « saine gauloiserie » ? Et comment pourrait-on y voir ce « soulèvement de l’âme », ce retour des
320 ques — étouffés depuis des siècles entre l’esprit et la matière, le physique et le spirituel — dont certains esprits aberr
321 siècles entre l’esprit et la matière, le physique et le spirituel — dont certains esprits aberrants osent parler ? Lui dir
322 qui le tente. Devant « l’indiscipline des mœurs » et la « pornographie » qui en serait la cause, il se sent indigné et inq
323 phie » qui en serait la cause, il se sent indigné et inquiet. S’il est sérieux, s’il voit plus loin, cela peut aller jusqu
324 ssés. Les deux camps se rendent bien leur mépris, et chacun refuse de tolérer fût-ce un instant, par simple hypothèse de d
325 a littérature contemporaine méprise les puritains et les tient pour des fous à la fois ridicules et dangereux. Mais je n’o
326 ns et les tient pour des fous à la fois ridicules et dangereux. Mais je n’oublie pas que sans la discipline sexuelle que l
327 ns celles des nations qu’on dit sous-développées, et sans doute moins : il n’y aurait pas le travail, l’effort organisé, n
328 life — comme l’Anglais nomme les faits sexuels — et leurs multiples liens avec l’économie la société et la culture. En re
329 leurs multiples liens avec l’économie la société et la culture. En revanche, sans l’érotisme et les libertés qu’il suppos
330 ciété et la culture. En revanche, sans l’érotisme et les libertés qu’il suppose, notre culture vaudrait-elle mieux que cel
331 lture vaudrait-elle mieux que celle qu’un Staline et qu’un Mao ont tenté d’imposer par décrets ? Elle serait strictement a
332 roduction matérielle, à la production socialisée. Et cela, nos puritains l’oublient non moins souvent. La littérature érot
333 que la morale bourgeoise ne voulait en connaître, et que le puritanisme n’en tolère. Or, ces réalités, quoi qu’on en juge,
334 i qu’on en juge, sont au moins aussi quotidiennes et obsédantes que les réalités économiques qui, d’ailleurs, en dépendent
335 nt des tabous sexuels, l’accroissement du confort et des loisirs, le birth control, les mass médias, tout agit dans le mêm
336 nt en question l’ensemble des rapports personnels et sociaux, éthiques et spirituels qui constituent l’amour, la littératu
337 mble des rapports personnels et sociaux, éthiques et spirituels qui constituent l’amour, la littérature érotique réagit à
338 ui la dépassent, mais dont elle tente de formuler et d’illustrer les exigences encore désordonnées. Et je vois bien que du
339 et d’illustrer les exigences encore désordonnées. Et je vois bien que du désordre inévitable résultant d’une évolution aus
340 on aussi rapide, on ne pourra sortir qu’en avant, et non point par des retours aux disciplines d’antan. Il s’agit d’explic
341 ar là même comparable. Entre les siècles du corps et celles de l’esprit, entre la biologie et la morale sociale, au-delà d
342 du corps et celles de l’esprit, entre la biologie et la morale sociale, au-delà des nécessités de l’espèce, mais en deçà d
343 des nécessités de l’espèce, mais en deçà du bien et du mal. Apprendre à lire en filigrane le jeu des mythes, dans les tro
344 le jeu des mythes, dans les troubles complexités et les intrigues apparemment insanes de l’érotique contemporaine. Je pro
345 ent aux personnes, mais aux personnages de l’art, et à certaines formules de vie ; l’objet immédiat d’une telle méthode ét
346 méthode étant d’élucider les motifs de nos choix et leurs implications trop souvent inconsciemment spirituelles autant qu
347 ux les mythes qui nous tentent, d’où ils viennent et vers quoi leur logique nous conduit, peut-être serons-nous un peu mie
348 rir notre risque personnel, d’assumer notre amour et d’aller vers nous-mêmes. Peut-être serons-nous un peu plus libres.
349 r en cause », Arts, Paris, 1–6 février 1961, p. 1 et 4. g. Présenté par cette note : « Le succès de notre série “Les idée
350 s aspects. Denis de Rougemont, auteur de L’Amour et l’Occident a bien voulu accepter de participer à l’étude que nous co
351 thes majeurs de l’érotique occidentale : Don Juan et Tristan, en suivant leurs métamorphoses dans la vie et l’œuvre de Kie
352 istan, en suivant leurs métamorphoses dans la vie et l’œuvre de Kierkegaard, Nietzsche et Gide et dans la création des per
353 dans la vie et l’œuvre de Kierkegaard, Nietzsche et Gide et dans la création des personnages imaginaires des plus grands
354 vie et l’œuvre de Kierkegaard, Nietzsche et Gide et dans la création des personnages imaginaires des plus grands romans c
5 1961, Arts, articles (1952-1965). Les quatre amours (9 mai 1961)
355 uspendue dans le vide, nous marchions sur du vide et vers le vide, n’étant nous même que furtifs agrégats d’infimes tourbi
356 ce, milliards d’années terrestres dans le temps), et qu’au fond du réel calculé soit le Vide — mais que, scintillements d’
357 s civilisations passées nous apparaissent grandes et majestueuses, bien plus, qu’au détour d’un sentier suivi dans la forê
358 on à prendre ; qu’un monde coloré, déployé, dense et stable s’étende autour de nous qui allons dans sa durée ; qu’il y ait
359 c tout cela, mais le vide, tout cela dans le vide et composé de vide, compénétré et imprégné de vacuité, ce vertige accomp
360 cela dans le vide et composé de vide, compénétré et imprégné de vacuité, ce vertige accompagne en silence la pensée des h
361 gne en silence la pensée des hommes d’aujourd’hui et leur action. Le miracle est qu’il y ait des formes ! Qu’il ait de la
362 ture autour de nous, qui apparaît désormais grâce et don, miraculeuse ; et que la vacuité ait pu donner naissance à la plé
363 ui apparaît désormais grâce et don, miraculeuse ; et que la vacuité ait pu donner naissance à la plénitude des corps, que
364 vision, l’énergie sentiment, la structure mythe, et la gravitation désir. Ce qui trouble d’abord et enfin scandalise l’es
365 , et la gravitation désir. Ce qui trouble d’abord et enfin scandalise l’esprit du mystique oriental, c’est cela justement
366 e oriental, c’est cela justement qui fait ma joie et c’est le passage du tourbillon de billions d’agrégats divisibles au d
367 ême coup la couleur, le toucher, la vue lointaine et la musique, la souple résistance de la chair, et le désir qui ne s’ar
368 et la musique, la souple résistance de la chair, et le désir qui ne s’arrêtera plus dans sa lancée vers un au-delà de plé
369 s formes demeurent allusives, ces corps souffrent et meurent, ces sentiments s’égarent, ce désir exige un Ailleurs où la p
370 le nôtre en creux ? Mais nous voulons l’au-delà, et non pas le contraire de nos angoisses et de nos joies, l’au-delà qui
371 au-delà, et non pas le contraire de nos angoisses et de nos joies, l’au-delà qui transforme et non pas un reflet ! Un poèt
372 goisses et de nos joies, l’au-delà qui transforme et non pas un reflet ! Un poète mineur et parfait de ce temps l’a découv
373 transforme et non pas un reflet ! Un poète mineur et parfait de ce temps l’a découvert un jour non sans stupeur : « Il y a
374 ntendait-il ? Qu’avait-il vu ? Quel autre monde ? Et pourquoi n’y en aurait-il qu’un ? Il y a le monde du Vide, l’autre mo
375 autre monde de la science ; il est là, parmi nous et tout autour de nous, ici et maintenant, et nous ne le voyons pas, quo
376 il est là, parmi nous et tout autour de nous, ici et maintenant, et nous ne le voyons pas, quoique étant assurés de sa pré
377 i nous et tout autour de nous, ici et maintenant, et nous ne le voyons pas, quoique étant assurés de sa présence instante.
378 yaume ! Le Royaume « qui n’est pas de ce monde », et qui pourtant est « au-dedans de nous », car il est plus nous-mêmes qu
379 « notre effigie » au cercle de feu qu’a vu Dante. Et par quelle parabole le représenterons-nous ? « Il est semblable à un
380 ur la terre, mais lorsqu’il a été semé, il monte… et pousse de grandes branches, en sorte que les oiseaux du ciel (les ang
381 iter sous son ombre. » Il n’est pas dans l’espace et le temps, qui étendent le Vide aux dimensions de l’univers ; il n’est
382 st la Nature, la Parabole — mais ici, maintenant, et en toi-même. Le Royaume du ciel est un point, le point d’éternité pos
383 à venir, quand « la figure de ce monde passera », et que l’invisible sera vu. Quand tu le sais, l’amour commence, l’amour
384 ée ne trouve pas de réponse, elle se rend au vide et s’annule. Ce qui peut la retenir au bord du rien, c’est l’intuition d
385 mour qu’il y a quelque chose, que le vide s’anime et se différencie, qu’il y a des forces qui s’attirent et se repoussent,
386 différencie, qu’il y a des forces qui s’attirent et se repoussent, donc se composent, qu’il y a par suite forme et mouvem
387 ent, donc se composent, qu’il y a par suite forme et mouvement proche et lointain dans l’espace et le temps, monde et pers
388 nt, qu’il y a par suite forme et mouvement proche et lointain dans l’espace et le temps, monde et personne, désir, souffra
389 rme et mouvement proche et lointain dans l’espace et le temps, monde et personne, désir, souffrance et joie. Et nous pouvo
390 oche et lointain dans l’espace et le temps, monde et personne, désir, souffrance et joie. Et nous pouvons aimer ces formes
391 et le temps, monde et personne, désir, souffrance et joie. Et nous pouvons aimer ces formes parce que l’amour les a formée
392 ps, monde et personne, désir, souffrance et joie. Et nous pouvons aimer ces formes parce que l’amour les a formées : nous
393 les appelait en nous. L’amour seul explique tout, et l’être-en-soi n’est qu’un mot désignant l’inconcevable : ce qui serai
394 gie ou désir, selon l’ordre physique ou animique. Et cela seul donne un sens à tout : au vide cosmique où danse tel brouil
395 nse tel brouillard d’électrons empruntés à droite et à gauche et qui tout d’un coup peut dire moi, peut dire toi quand il
396 illard d’électrons empruntés à droite et à gauche et qui tout d’un coup peut dire moi, peut dire toi quand il voit le moi
397 perdu dans la forêt d’avril, petit monde complexe et fortuit, terre et pierres, herbe humide, ciel clair entre les branche
398 t d’avril, petit monde complexe et fortuit, terre et pierres, herbe humide, ciel clair entre les branches, aubépines, prof
399 aubépines, profondeur des bois, ici, nulle part, et pourquoi l’ai-je aimé ? Pourquoi pas rien ? Parce que ce coin de sent
400  ? Parce que ce coin de sentier m’a fait un signe et fut un signe à cet instant pour moi, existant dans ma re-connaissance
401 stant pour moi, existant dans ma re-connaissance, et que tout signe ou sens manifeste l’amour ; et rien d’autre n’importe
402 ce, et que tout signe ou sens manifeste l’amour ; et rien d’autre n’importe en vérité ; rien d’autre au monde ne m’appelle
403 e au monde ne m’appelle. J’ai pu douter de l’être et du devenir, et de toutes nos idées sur « Dieu », je n’ai jamais douté
404 ’appelle. J’ai pu douter de l’être et du devenir, et de toutes nos idées sur « Dieu », je n’ai jamais douté de l’amour mêm
405 ertige de presque toutes les vérités de la morale et de la culture occidentale, avant d’en retrouver quelques-unes mieux c
406 ités successivement démontrées par nos sciences ; et je ne cesse de douter de notre image du monde, du vide et des distanc
407 cesse de douter de notre image du monde, du vide et des distances inconcevables calculées à partir de nos formes. (Je pre
408 r de nos formes. (Je pressens trop de raccourcis, et qu’on trouvera !) Mais je crois bien n’avoir jamais douté de tout cel
409 en n’avoir jamais douté de tout cela, qu’en vertu et au nom de l’Amour. Il est la grâce indubitable. Je n’ai pas d’autre f
410 n’ai pas d’autre foi certaine, d’autre espérance, et je ne vois pas de sens hors d’elle, ni d’autres raisons de douter, je
411 retourne à Dieu, posant en son point de réflexion et de résonance dans la créature, un moi nouveau qui transcende l’ancien
412 u qui transcende l’ancien parce qu’il le totalise et l’ordonne à l’esprit. (Cette action d’ordonnance, d’orientation de so
413 s demander mais s’orienter, de manière à recevoir et à réaliser.) Le mot posé, quelle est la voie de l’amour en l’homme ?
414 e de l’amour en l’homme ? L’expérience méditée, —  et que j’espère banale (au sens propre), dans sa forme du moins — me sug
415 guer par leur ordre d’apparition. Ils se mêleront et combineront dans l’homme achevé. La vision intuitive, forme de l’amo
416 uitive, forme de l’amour est l’acte de l’esprit ; et elle est connaissance active en même temps que reconnaissance. Elle n
417 ctive en même temps que reconnaissance. Elle naît et se développe quand je découvre en moi, mais devine aussitôt dans l’au
418 comme l’égoïste, ne peut que mal aimer les autres et penser que « l’enfer c’est les autres » : c’est qu’il se croit inacce
419 les autres » : c’est qu’il se croit inacceptable et se voudrait (inconsciemment) anéanti. Nul ne voit la personne chez au
420 ans celui de l’érotique que l’éducation, l’amitié et le mariage. L’émotion, ou l’Éros, seconde forme de l’amour procède de
421 nt le cœur », oppresse le souffle, brûle en rêve, et reste loin d’imaginer la possession. Mais s’il précède le désir dit
422 de le sentir ; mais un homme qui se connaît bien et les femmes surtout savent cela : une certaine perception instantanée
423 tion instantanée du secret singulier de l’autre —  et surtout s’il paraît lui-même l’ignorer — est la condition nécessaire
424 domaine de l’âme intermédiaire entre le spirituel et le sensuel, les risques d’erreur sont plus grands, parce que l’émotio
425 tre fonction à la volonté de l’intellect, à l’âme et à l’imaginaire et qu’en tant qu’il ne serait qu’un instinct animal, i
426 volonté de l’intellect, à l’âme et à l’imaginaire et qu’en tant qu’il ne serait qu’un instinct animal, il n’aurait rien à
427 e climat des milieux bien-pensants dans le peuple et la bourgeoisie, catholiques, protestants ou laïques. Cette morale tie
428 ue chrétienne, ou plus religieuse que rationnelle et « scientifique », elle se garde de la déclarer, mais trahit constamme
429 nstamment son intime conviction par des jugements et des indignations qui ressemblent à s’y méprendre à des réflexes condi
430 on plaisir dans le Soi, devient son propre maître et se meut à sa fantaisie parmi les mondes. Mais celui qui pense autreme
431 épendant. Il demeure dans les sphères périssables et ne peut en sortir quand il veut. (Chandogya upanishad, 7, 25.) Pense
432 te ici entre l’acte de la connaissance religieuse et l’acte de l’union sexuelle, rabaisse le spirituel ou élève l’érotique
433 nt que fonction, je la verrais moralement neutre. Et cependant, dès qu’elle accède à la liberté de l’érotisme (qui transce
434 l’érotisme (qui transcende la fonction naturelle et vitale) elle devient justiciable à la fois de la morale et de l’espri
435 ) elle devient justiciable à la fois de la morale et de l’esprit, comme tout autre élément impliqué dans la synthèse de la
436 èse de la personne. L’amour qui meut le soleil et les étoiles L’Énergie cosmique, dernière forme de l’amour n’est a
437 matière que l’on dit brute, mais encore tangible et sensible, elle découvre, et mesure l’énergie et le mystère de l’attra
438 mais encore tangible et sensible, elle découvre, et mesure l’énergie et le mystère de l’attraction universelle. Et il est
439 e et sensible, elle découvre, et mesure l’énergie et le mystère de l’attraction universelle. Et il est beau que l’aventure
440 nergie et le mystère de l’attraction universelle. Et il est beau que l’aventure de l’intellect, descendant des clartés ins
441 à l’obscur de la chair, à l’opaque de la matière et au noir absolu de l’espace électronique, débouche enfin sur des lueur
442 -être celles qu’entrevoyaient les sages de l’Inde et de la Grèce, et que Dante dit avoir contemplées au prix de sa vue « c
443 entrevoyaient les sages de l’Inde et de la Grèce, et que Dante dit avoir contemplées au prix de sa vue « consumée » mais
444 prix de sa vue « consumée » mais déjà mon désir et ma volonté étaient mus — comme une roue tournant d’une manière unifor
445 e uniforme — par l’Amour qui meut aussi le soleil et les autres étoiles. L’extrême : la vue mystique La forme de pe
446 la fois le phénomène humain, les lois cosmiques, et l’amour créateur. Théorie de l’amour unifiant c’est autant dire de l’
447 explication unitaire des phénomènes énergétiques et magnétiques, mais elle met que l’affectif demeure pour elle le plus i
448 andes « écoles » de mathématiciens, de physiciens et d’astronomes, reconnaissent qu’elles diffèrent essentiellement par le
449 if, de la passion de savoir, d’inventer le savoir et d’y soumettre la pensée, poussé jusqu’au dernier degré de l’abstracti
450 e, poussé jusqu’au dernier degré de l’abstraction et de l’audace logique, semble en voie de rejoindre en perspective l’ext
451 ’idéogramme. C’est trop sérieux pour les joueurs, et pour les sérieux ce n’est qu’un jeu. Pourtant, si l’on regarde un mom
452 t aux quatre amours que nous venons d’identifier ( et si l’on remonte aux tarots, on verra qu’il ne s’agit pas d’un hasard
453 on différente, traduisant la logique particulière et l’ontogenèse de l’amour. Ces quatre fonctions coexistent dans la vie
454 tuition-sensation (signes noirs du jeu de cartes) et sentiment-pensée (signes rouges) se retrouvent. Cœur La forme
455 l’âme », dit Siméon à Marie). Correspond à l’Âme et au sentiment (Amour-passion, tendresse. Éros). Tempérament : émotif-
456 typiques : Masochisme. (Seul celui qui a une âme, et le sait, a lieu d’être masochiste et de s’en réjouir). Goût de la mor
457 i a une âme, et le sait, a lieu d’être masochiste et de s’en réjouir). Goût de la mort à deux. Paranoïa. Conception de l’
458 t, blesser, tuer, féconder. Correspond à l’Esprit et à l’intuition (l’Amour spirituel, regard inquiet, spirituel, Agapè).
459 autoritaire. Déviations typiques : impérialisme et sadisme, ou à l’inverse, ascétisme et goût de l’autosacrifice vers l’
460 mpérialisme et sadisme, ou à l’inverse, ascétisme et goût de l’autosacrifice vers l’autre : crime, vers soi : suicide. Co
461 mensions (esprit, âme, chair) Correspond au Corps et à la sensation. (« Toute chair est comme l’herbe. » Amour de la chair
462 be. » Amour de la chair pour ce qui la transcende et l’anime, car la poussée vient d’en bas, mais l’éclosion et l’épanouis
463 e, car la poussée vient d’en bas, mais l’éclosion et l’épanouissement dépendent de la lumière reçue, de l’air et de la ros
464 uissement dépendent de la lumière reçue, de l’air et de la rosée. Tempérament : sensuel-impulsif-curieux ; prédateur-excl
465 d’arbalète, une flèche à quatre pans), contredire et mettre en parallèle, opposer pour équilibrer. Correspond à l’intellec
466 eur, classique, impudent, inventif (de structures et de concepts). Déviations typiques : Schizophrénie. Goût du viol. Imp
467 ui qui est coupé de l’âme, ou ne sait qu’en faire et la nie). Conception de l’amour : l’équilibre exigeant l’échange, le
468 quatre amours », Arts, Paris, 9 mai 1961, p. 1, 4 et 5. i. Présenté par cette note : « Qu’est-ce que “le Royaume du ciel”
469 ur, force de révélation, base de la vie, de l’art et de la foi. L’auteur publiera prochainement sous le titre de Comme to
6 1962, Arts, articles (1952-1965). Sartre contre l’Europe (17 janvier 1962)
470 bdos, revues, gros livres, milieux universitaires et milieux dirigeants de Washington ; ils découvrent l’Europe unie. À le
471 dont elle serait à la fois le centre d’animation et l’organe d’équilibre. Je reviens en Europe, « notre patrie » — comme
472 toutes nos langues, sur l’intégration de l’Europe et sur les relations nouvelles à établir entre une Europe unie et le tie
473 lations nouvelles à établir entre une Europe unie et le tiers-monde. Pleins d’idées et de chiffres, d’un optimisme sobre,
474 une Europe unie et le tiers-monde. Pleins d’idées et de chiffres, d’un optimisme sobre, d’un réalisme constructif. Les tau
475 ructif. Les taux d’accroissement de la production et de l’exportation battent tous nos records. Sauf en Italie, le chômage
476 ance nouvelle, née des promesses du Marché commun et de ses premiers succès, permet de multiplier les ententes industriell
477 qu’elle est « au plus bas », que « c’est la fin » et que nous voici tous « enchaînés, humiliés, malades de peur ». Ce n’es
478 a, mais un éloquent moraliste, Jean-Paul Sartre ; et sa fureur ne jaillit pas d’un quelconque examen des évidences, mais d
479 et qui l’a mis dans tous ses états. Il le préface et il exhorte « les Européens » à le lire, au nom du raisonnement suivan
480 me criminel ; donc cette lecture leur fera honte, et la honte pousse à la révolution ; or la révolution guérit de tous les
481 r la violence qu’elle fait subir à leurs fauteurs et qu’elle permet à leurs victimes de libérer. Joignons donc le FLN, les
482 es de libérer. Joignons donc le FLN, les Angolais et autres Balubas qui « massacrent à vue les Européens ». Car, ce faisan
483 , ce faisant, « ils font l’histoire de l’homme », et nous serons ainsi du bon côté. Je n’invente pas : je cite et je conde
484 ons ainsi du bon côté. Je n’invente pas : je cite et je condense cette dialectique humanitaire qui nous offre « un moyen d
485 ale certaine jeunesse dégoûtée de nos « valeurs » et qui exige grands cris son lavage de cerveau. « Voici des siècles qu’a
486 ume, le Martiniquais Frantz Fanon. Sartre la cite et il ajoute, impressionné : « Ce ton est neuf. » Moi, ce qui m’impressi
487 as duré « des siècles » en Afrique, mais environ, et en moyenne, quatre-vingts ans — de 1882 à nos jours pour les neuf dix
488 urs — mais pour d’autres raisons plus grossières, et qui ne sont pas toutes honteuses pour nous. La première et la plus im
489 sont pas toutes honteuses pour nous. La première et la plus importante étant tout simplement un état de fait que l’Europe
490 nt un état de fait que l’Europe n’avait pas créé, et qui, loin de résulter de la colonisation, comme M. Fanon le répète, l
491 arler de l’état d’arriération économique, sociale et politique des régions qui devinrent pour un temps colonies, et qui pr
492 des régions qui devinrent pour un temps colonies, et qui prennent sous nos yeux leur essor, après des siècles d’immobilité
493 e humaine chez les cannibales ? Vous voulez rire, et vous n’y arrivez pas. M. Fanon, et J.-P. Sartre derrière lui, ont gra
494 s voulez rire, et vous n’y arrivez pas. M. Fanon, et J.-P. Sartre derrière lui, ont grand tort de crier aux « siècles d’op
495 uropéenne remontent à 1729, lorsque le roi Agadja et son régiment de femmes, ayant battu les Popos aidés par l’Anglais Tes
496 ort de mer. Ils massacrent tout ce qui s’y trouve et instituent une nouvelle charge dans l’État, celle du Yévogan (« celui
497 ux Yorubas, se rattrapent en imposant les Houédas et en battant périodiquement les Popos. En 1884, le dictionnaire de Grég
498 t couvert de forêts. Malheureusement, l’industrie et l’agriculture sont étouffées par l’effrayant despotisme auquel le pay
499 1960 par la création d’une république souveraine et démocratique de plus de 2 millions d’habitants, dont le président est
500 pompe à l’Élysée en 1961. Je laisse à MM. Sartre et Fanon le soin de démontrer que cet exemple n’infirme en rien leurs th
501 démontrer dialectiquement que le royaume de Ghana et l’empire du Mali n’ont pas été détruits par les Arabes almoravides pu
502 esquels n’ont occupé, plusieurs siècles plus tard et pendant soixante-dix ans, que les restes de ces États préalablement e
503 que les restes de ces États préalablement envahis et soumis par les Touareg et par les Peules. Je leur laisse aussi à démo
504 s préalablement envahis et soumis par les Touareg et par les Peules. Je leur laisse aussi à démontrer — mais ils auront be
505 coup à faire, décidément — que c’est la violence, et elle seule, qui a libéré l’Inde des Anglais, conformément à leur thès
506 rien, car la passion ne s’embarrasse pas de faits et leur passion veut la mort du pécheur, qui est uniquement l’Européen,
507 en, comme chacun sait. La vérité, selon les faits et dans la perspective de l’histoire, c’est que le colonialisme, malgré
508 ue l’égalité, la liberté, la dignité, la personne et le droit à l’éducation), mais aussi de nos folies les plus contagieus
509 nos folies les plus contagieuses, le nationalisme et la fureur idéologique, ces peuples se sont mis à revendiquer les avan
510 à revendiquer les avantages de notre civilisation et la souveraineté de leurs États. Quant aux nations colonialistes de l’
511 éduquée par leurs soins dans les pays colonisés, et de leurs intérêts mieux compris — un peu poussées aussi par les États
512 c’est-à-dire de son exploitation du sol africain et du sol asiatique : or, métaux, pétrole, caoutchouc (le paysan serait-
513 houc (le paysan serait-il la création de sa terre et des richesses qu’elle contient ?). Sartre renchérit : c’est avec cela
514 pe aurait donc signé son arrêt de mort économique et de rapide déshumanisation ? Les adversaires du colonialisme auraient
515 leurs colonies, ont commencé à découvrir l’Europe et la nécessité de son union. Et que, de leur union naissante — le March
516 découvrir l’Europe et la nécessité de son union. Et que, de leur union naissante — le Marché commun n’a que deux ans — a
517 éplaise à nos furieux, mais elle commence à peine et grandit puissamment. C’est tant pis pour Fanon et son marxisme — d’ai
518 et grandit puissamment. C’est tant pis pour Fanon et son marxisme — d’ailleurs emprunté à l’Europe. Mais qu’en est-il de S
519 isme. Sartre se meut dans un village intellectuel et projette sur l’« Europe » des hargnes provinciales. Quand il écrit Eu
520 s. Quand il écrit Europe, il ne pense que France, et quand il pense France, il ne voit que le drame algérien. « Quittons n
521 ux dire notre nation », voudrait-on lui répéter ; et ce n’est pas ma faute si cette phrase est de Michel Debré dans son Pr
522 rent condamner le colonialisme à l’état naissant, et qui le firent non pas contre l’Europe, mais au nom des valeurs europé
523 ait l’Europe pour « la vraie fin de l’Histoire », et d’Auguste Comte qui voyait en elle « le privilège effectif du princip
524 complexes personnels. Devant la crise économique et la fièvre nationaliste du tiers-monde, devant la crise morale de l’UR
525 aleurs, mais de les prendre nous-mêmes au sérieux et d’en tirer les conséquences pratiques, pour le tiers-monde et pour l’
526 r les conséquences pratiques, pour le tiers-monde et pour l’Europe qui doit l’aider. Nous n’avons pas le droit de frustrer
527 pas le droit de frustrer la jeunesse soviétique, et les autres, au moment où elles se tournent obscurément vers nous. Ce
528 ent vers nous. Ce que nous devons offrir au monde et à nos fils, non, ce n’est pas notre mauvaise conscience, notre rage a
529 ple réussi de dépassement de l’ère nationaliste — et donc de l’ère colonialiste — par le moyen d’une grande fédération. Ce
530 re l’Europe », Arts, Paris, 17 janvier 1962, p. 1 et 4.
7 1962, Arts, articles (1952-1965). Le miracle européen a créé le monde civilisé (6 juin 1962)
531 ain », ayant été aussi la condition instrumentale et nécessaire d’une véritable histoire universelle, celle où nous sommes
532 le histoire universelle, celle où nous sommes bel et bien engagés dans cette seconde moitié du xxe siècle, en sorte que l
533 es causes, qui seraient tantôt, selon les auteurs et selon les modes, géographiques ou climatiques, économiques ou démogra
534 mples : 1. L’Europe a découvert la terre entière, et personne n’est jamais venu la découvrir. 2. L’Europe a dominé sur tou
535 a dominé sur tous les continents successivement, et n’a jamais été dominée jusqu’ici par une seule puissance d’outre-mer.
536 ue dénotent ces constatations — tellement simples et tellement évidentes que la plupart des historiens me paraissent les a
537 jusqu’ici — ce phénomène européen sans précédent et sans parallèle dans l’histoire, nous n’arriverons jamais à le compren
538 e comprendre dans son mouvement, sa signification et sa tendance générale en partant des données physiques et naturelles d
539 endance générale en partant des données physiques et naturelles de notre petit continent, comme le veut une pensée héritée
540 t une pensée héritée d’un xixe siècle scientiste et dans l’ensemble, sans le savoir, plus marxiste que scientifique. (Non
541 gation, le cloisonnement des terres par montagnes et fleuves favorisant la formation de communautés bien distinctes et sol
542 isant la formation de communautés bien distinctes et solidement enracinées, le climat tempéré, dans le centre du moins, pe
543 ides d’un extrême à l’autre stimulent les esprits et les arrachent à l’insouciance ». Mais un autre Grec, Strabon, écrivan
544 réaliste, la Géographie universelle, de Mantelle et Brun, publiée à Paris en 1816, reconnaît que l’Europe historique n’es
545 humain. Voilà donc l’importance de la géographie et du climat minimisée, presque niée. Serait-ce alors à la démographie q
546 gions privilégiées à cet égard : la Chine, l’Inde et l’Europe, lesquelles comptent chacune, au xxe siècle, entre 500 et 6
547 elles comptent chacune, au xxe siècle, entre 500 et 600 millions d’habitants (soit ensemble à peu près 60 % de la populat
548 ssance, celle des grandes découvertes précisément et de l’expansion vers le monde, était bien moins peuplée que la Chine e
549 s le monde, était bien moins peuplée que la Chine et que l’Inde, et ne subissait aucune pression démographique, même dans
550 it bien moins peuplée que la Chine et que l’Inde, et ne subissait aucune pression démographique, même dans ses pays les pl
551 ographique, même dans ses pays les plus prospères et entreprenants. Ainsi, de 1328 à 1700, selon Charles Morazé, la France
552 Europe de l’Ouest, mais bien plus riche en hommes et en matières premières, n’offre guère aux yeux de l’historien qu’une d
553 e temps même où l’Europe faisait le tour du monde et dominait sur la plupart des nations de l’époque, Inde comprise ? Comm
554 taient pourtant le tiers de l’humanité vers 1850, et qui en sont encore près du quart aujourd’hui (ils n’en seront sans do
555 nde que par leur faculté de se laisser conquérir, et d’absorber leurs conquérants, Huns ou Mongols ? Les causes physiques
556 nquérants, Huns ou Mongols ? Les causes physiques et naturelles ne pouvant rendre compte des destins de l’Europe, faudra-t
557 iques contemporains ? Cela se discute. Hippocrate et Strabon, nous venons de le voir, mais aussi Hérodote, Platon et Arist
558 us venons de le voir, mais aussi Hérodote, Platon et Aristote nous parlent déjà d’une Europe et la contrastent même avec l
559 Platon et Aristote nous parlent déjà d’une Europe et la contrastent même avec l’Asie, mais cette Europe ne connaît pas enc
560 e de notre ère, obéit à l’ordre du Christ : Allez et évangélisez toutes les nations. Cette injonction envoie ceux qui l’ac
561 i l’acceptent sur les terres les plus lointaines, et cela dès le ive siècle en Afrique du Nord, en Inde du Sud — sur la c
562 u Nord, en Inde du Sud — sur la côte de Malabar — et jusqu’en Extrême-Orient — on compte plus de soixante évêchés nestorie
563 la Chine du ixe siècle, sous la dynastie Tang — et vers l’ouest, en Islande, au Labrador, en Amérique du Nord, peut-être
564 u Nord, peut-être même jusqu’au Yucatan des Mayas et jusqu’au Pérou des Incas. Mais c’est une expansion chrétienne et non
565 ou des Incas. Mais c’est une expansion chrétienne et non spécifiquement européenne. En revanche l’expansion colonialiste,
566 ort à la prétention universelle du christianisme, et ce n’est pas définir l’Europe, puisque ce serait la définir par une v
567 ommentant Nietzsche (ce très lucide antichrétien) et nos principes politiques en dérivent. Or notre idée de la science et
568 litiques en dérivent. Or notre idée de la science et nos principes d’égalité, de liberté et de justice ont sans doute été
569 la science et nos principes d’égalité, de liberté et de justice ont sans doute été décisifs dans l’aventure mondiale de l’
570 ette religion, venue d’ailleurs, du Proche-Orient et non d’elle-même ? Existait-il une prédisposition européenne au christ
571 hristianisme ? Ceci nous laisse en plein mystère. Et les autres explications du phénomène européen par des données physiqu
572 s du phénomène européen par des données physiques et matérielles nous laissent en pleine ambiguïté : ces données ont agi,
573 d’un plan, dont nul ne voit qui l’aurait calculé et imposé. Et ce n’est pas l’incarnation de quelque idée platonicienne,
574 dont nul ne voit qui l’aurait calculé et imposé. Et ce n’est pas l’incarnation de quelque idée platonicienne, ni la démon
575 vement créateur de l’Europe, je le trouve d’abord et déjà dans la légende originelle de l’Enlèvement d’Europe par Zeus. C’
576 par Zeus. C’est dans un bond vers l’ouest, la mer et l’aventure que l’Europe légendaire prend son départ. Le mythe de l’en
577 n presque totale « des premiers habitants du bois et du rocher » (comme dit Vigny) dont ne nous restent plus que les peint
578 stent plus que les peintures rupestres de Lascaux et d’Altamira, l’Europe a été lentement repeuplée par des colons venus d
579 us d’une part de l’Asie Mineure le long du Vardar et du Danube, jusqu’en Rhénanie et en France, d’autre part du delta du N
580 le long du Vardar et du Danube, jusqu’en Rhénanie et en France, d’autre part du delta du Nil, le long des côtes, remontant
581 et d’apports successifs intellectuels, techniques et religieux, créés en Mésopotamie, en Égypte et en Phénicie et de là tr
582 ues et religieux, créés en Mésopotamie, en Égypte et en Phénicie et de là transférés en Crète d’abord — où la princesse Eu
583 x, créés en Mésopotamie, en Égypte et en Phénicie et de là transférés en Crète d’abord — où la princesse Europe engendra u
584 ie, les Minoens — puis, par la mer Égée en Grèce, et de là, sur les terres du Couchant, que les langues sémitiques nomment
585 . Chacun fit voile dans une direction différente. Et l’un fonda Carthage, tandis que d’autres découvraient les rives du co
586 plus fameux, s’en fut à Rhodes, puis en Thrace ; et comme il désespérait de retrouver sa sœur pour la ramener aux rives m
587 as pas, répondit la Pythie. Suis plutôt une vache et pousse-la devant toi sans lui laisser de répit : là où elle tombera d
588 divines, ménageant notre liberté d’interprétation et de décision… Voici ce que l’on peut en tirer : c’est en poursuivant l
589 end seulement la ramener un beau jour toute faite et donnée par l’histoire : car c’est sa quête elle-même qui la crée. Rec
590 faire ! Elle existe dans sa recherche à l’infini, et c’est ce que je nomme Aventure. Mais elle est autre chose encore, si
591 e, Noé partagea le monde entre ses fils Sem, Cham et Japhet. À Cham, l’Afrique mais aussi l’esclavage, pour le punir d’avo
592 frères à le couvrir d’un manteau ; à Sem, l’Asie et la vie spirituelle ; à Japhet, l’Europe et les armes, et la promesse
593 l’Asie et la vie spirituelle ; à Japhet, l’Europe et les armes, et la promesse d’une expansion indéfinie : dilatatio, lati
594 ie spirituelle ; à Japhet, l’Europe et les armes, et la promesse d’une expansion indéfinie : dilatatio, latitudo, selon la
595 indéfinie : dilatatio, latitudo, selon la Vulgate et les Pères. Dilatatio, expansion, c’est le mot-clé. Retraçons maintena
596 siècles, elles évoquent les mouvements de systole et de diastole d’un cœur humain, quoique fort inégales de durée. Premier
597 mouvement : concentration des valeurs religieuses et culturelles du Proche-Orient dans la péninsule d’Occident. Nous avons
598 pulations, les religions, les procédés techniques et les rudiments de la science, tout est venu de l’Est vers l’Europe, to
599 e constitue en Grèce. L’Empire de Rome la diffuse et la transforme. À l’individualisme qui régnait dans les cités grecques
600 s cités grecques, il substitue le culte de l’État et des grandes institutions centralisées, et il étend leur autorité sur
601 l’État et des grandes institutions centralisées, et il étend leur autorité sur toute l’Europe de l’Ouest. Dans le cadre d
602 mpire se trouvent inclus des Celtes, des Germains et des Slaves, des « barbares » toujours plus nombreux, et de traditions
603 Slaves, des « barbares » toujours plus nombreux, et de traditions très opposées à celles de Rome, mais progressivement in
604 sept ou huit traditions différentes : orientales et nordiques, continentales et maritimes, individualistes et communautai
605 férentes : orientales et nordiques, continentales et maritimes, individualistes et communautaires, rationalistes et magiqu
606 ques, continentales et maritimes, individualistes et communautaires, rationalistes et magiques. Et c’est l’Église qui va t
607 individualistes et communautaires, rationalistes et magiques. Et c’est l’Église qui va tenter d’opérer la synthèse improb
608 tes et communautaires, rationalistes et magiques. Et c’est l’Église qui va tenter d’opérer la synthèse improbable de toute
609 en conflit latent ou en guerre ouverte. L’Europe et sa culture résulteront de cette fusion jamais achevée, toujours insta
610 e cette fusion jamais achevée, toujours instable, et dont la grande originalité — si on la compare aux cultures de l’Asie 
611 ange dynamique d’éléments de provenances diverses et de tendances contradictoires. Pendant tout le Moyen Âge et ses luttes
612 dances contradictoires. Pendant tout le Moyen Âge et ses luttes meurtrières, opposant l’Église à l’Empire, l’empereur et l
613 trières, opposant l’Église à l’Empire, l’empereur et les rois aux féodaux, les cités aux princes et l’orthodoxie aux hérés
614 ur et les rois aux féodaux, les cités aux princes et l’orthodoxie aux hérésies, cette fermentation se poursuit en vase clo
615 tions régulières avec les civilisations de l’Inde et de la Chine, dont quelques rares voyageurs — Marco Polo, Rubrukis ou
616 . Ils ont tenté plusieurs sorties, les croisades, et ils ont échoué. Comment forcer le verrou de l’islam ? Comment apporte
617 a Bonne Nouvelle aux peuplades païennes de l’Asie et de l’Afrique ? Comment échapper à ces guerres sans fin, à ces querell
618 es guerres sans fin, à ces querelles théologiques et scolastiques qui se terminent trop souvent sur le bûcher ? Comment ré
619 ental, au surplus rétrécies par les Turcs à l’est et par les Arabes au sud-ouest. Christophe Colomb n’est pas parti pour t
620 i pour trouver l’Amérique, car il n’y croyait pas et ne pouvait donc la chercher. Il est parti pour trouver l’Inde fabuleu
621 Inde fabuleuse, aux cités pavées d’or, disait-on, et pour en ramener les trésors avec lesquels son roi comptait payer l’ul
622 lesquels son roi comptait payer l’ultime croisade et délivrer Jérusalem. C’est tout un arrière-plan de foi religieuse, de
623 out un arrière-plan de foi religieuse, de chances et de malchances géographiques, d’ambitions impériales, de science mythi
624 ques, d’ambitions impériales, de science mythique et de nostalgie de la quête que résume d’un seul coup l’aventure exempla
625 se au cœur chrétien, probablement juif d’origine, et fondateur d’empire — mais pour d’autres… Tout en lui, et d’abord son
626 ateur d’empire — mais pour d’autres… Tout en lui, et d’abord son vrai nom qui est Colón, et son prénom Christophe, porteur
627 ut en lui, et d’abord son vrai nom qui est Colón, et son prénom Christophe, porteur du Christ — en vérité, porteur de l’hi
628 Europe, légendaire, historique, physique, païenne et chrétienne à la fois : l’homme du mythe, le marin, le chercheur de tr
629 e marin, le chercheur de trésors, le missionnaire et le croisé. Pour qu’apparût l’aventurier fiévreux qui allait revêtir l
630 des Îles qui ont été découvertes dans les Indes » et de « Grand amiral de la mer Océane », il fallait que Jason eût été en
631 forces créatrices de l’Occident : la Grèce, Rome et Jérusalem, la magie celte, l’inquiétude hébraïque, la science alleman
632 our effet la découverte par erreur des Amériques, et ce fut le début de l’expansion séculaire, économique, politique et re
633 t de l’expansion séculaire, économique, politique et religieuse, d’un petit cap de l’Asie rongé de mers et de Turcs, qui o
634 eligieuse, d’un petit cap de l’Asie rongé de mers et de Turcs, qui occupe moins de 5 % des terres du globe et qui allait c
635 urcs, qui occupe moins de 5 % des terres du globe et qui allait conquérir, tour à tour, toutes les autres. L’aventure mond
636 , mise à feu d’étages successifs, mise en orbite, et après quelques tours de la Terre, retombée rapide vers le sol. Mais c
637 mais de la conscience du genre humain, agrandies et modifiées à jamais. Ces étages mis à feu successivement, ces étapes d
638 u Proche-Orient puis des Indes au xviiie siècle, et de l’Indonésie, la colonisation de l’immense Sibérie par les Russes,
639 n. De siècle en siècle, les continents découverts et régis par l’Europe se sont libérés de sa tutelle. L’Amérique du Nord
640  ; l’Inde, l’Indonésie, tout le Sud-Est asiatique et le Proche-Orient au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, puis pr
641 le au nom même des valeurs de liberté, de justice et d’égalité pour tous les peuples, et de respect pour toutes les person
642 é, de justice et d’égalité pour tous les peuples, et de respect pour toutes les personnes, qu’elle avait elle-même formulé
643 les personnes, qu’elle avait elle-même formulées et diffusés sans en calculer leurs conséquences. La voici réduite à elle
644 e, ramenée dans les limites de son cap asiatique, et pas plus grande, notons-le bien, qu’elle ne le fut au Moyen Âge. Elle
645 ’autre avec amitié — tandis que l’Afrique, l’Asie et le monde arabe tentent de grouper leurs forces renaissantes contre l’
646 entale, qui aurait donc consisté, dans l’ensemble et au total, à faire le monde, mais à le faire contre ses auteurs, c’est
647 roche-Orient, afin de sauver l’honneur occidental et de reconquérir Hélène, symbole de la vertu et de la beauté, préfigure
648 tal et de reconquérir Hélène, symbole de la vertu et de la beauté, préfigure l’idéal missionnaire qui sera, quinze à vingt
649 ant ses évangélistes jusqu’en Chine, vers l’est ; et vers l’ouest, jusqu’en Islande et aux côtes atlantiques de l’Amérique
650 e, vers l’est ; et vers l’ouest, jusqu’en Islande et aux côtes atlantiques de l’Amérique. La victoire militaire des Grecs
651 et interminable voyage vers la sagesse originelle et éternelle, vers le pays natal, Ithaque, ce passionnant vagabondage, c
652 u long de l’épopée, comme si Ulysse, le courageux et le rusé, préférait secrètement le voyage à son but, les épreuves de l
653 t, les épreuves de la route à l’arrivée heureuse, et les risques sans cesse renouvelés au bonheur calme auprès de Pénélope
654 nnu, en naviguant avec astuce entre les Charybdes et les Scyllas des excès contraires, telle est la passion maîtresse d’Ul
655 ntraires, telle est la passion maîtresse d’Ulysse et ce sera, identiquement, la passion des grands créateurs de la culture
656 enfin, — à l’aventure ! Transcendant son destin, et même ses intérêts, au nom d’une vocation universelle. Abraham, « le p
657 nconnu. Il trouva le pays que Dieu lui réservait, et ce fut là le terme de son aventure, mais le début d’une autre histoir
658 ère des Découvreurs, croyait savoir où il allait, et ce qu’il cherchait : il avait calculé qu’il y serait en trente jours.
659 faux, il trouva les Antilles au lieu de Xipango ; et , finalement, c’est sa foi seule qui le soutint, car les deux grands p
660 ésoudre : atteindre l’Inde en contournant l’islam et financer la dernière croisade, ne furent pas résolus par son expéditi
661 uva d’autres terres, d’autres îles, comme Ulysse, et qui allaient poser d’autres problèmes, littéralement incalculables. I
662 que — ne font en somme pas autre chose que Colomb et qu’Ulysse avant lui : ils partent vers des buts proches ou lointains
663 pent sur les buts de leurs voyages, ou sur le nom et la nature de leur objet. Et ce qu’ils trouvent pose de nouveaux probl
664 oyages, ou sur le nom et la nature de leur objet. Et ce qu’ils trouvent pose de nouveaux problèmes, tous imprévus, comprom
665 lige à repenser tout ce qu’on tenait pour acquis, et à chercher toujours plus loin, au prix de risques toujours plus grand
666 risques toujours plus grands. Chercher plus loin, et de la sorte créer autant de risques qu’on résout de problèmes, telle
667 rmule du Progrès, dans sa définition occidentale. Et l’on voit qu’elle est ambiguë : qu’il suffise de citer, pour l’illust
668 , mais qu’en est-il de nos moyens de la maîtriser et de la faire servir au bonheur, à la justice, à la sagesse ? Préférer
669 esse immuable, c’est tout le génie de l’Occident, et c’est par là que l’Occident, aventureuse moitié du monde, s’oppose le
8 1962, Arts, articles (1952-1965). L’Europe détient les secrets de l’avenir, mais a-t-elle la volonté de vivre ? (13 juin 1962)
670 on peut tracer sur notre globe, il en existe un — et un seul ! — qui se trouve contenir à la fois le 94 % de l’humanité ac
671 contenir à la fois le 94 % de l’humanité actuelle et le 98 % de la production totale du monde. De là le nom d’hémisphère p
672 éterminée, ne contient donc que 6 % des habitants et 2 % de la production du monde, n’étant guère occupée que par les océa
673 es océans, le continent antarctique, la Patagonie et l’Australie méridionale. Or voici le fait qui me frappe : c’est que l
674 pondant aux antipodes, on ne verrait que de l’eau et des déserts, et seulement sur les bords, des traces de l’œuvre humain
675 podes, on ne verrait que de l’eau et des déserts, et seulement sur les bords, des traces de l’œuvre humaine. Voici donc un
676 humilité d’Européens, un fait aisément vérifiable et dont les données objectives se lisent sur nos mappemondes et cartes é
677 données objectives se lisent sur nos mappemondes et cartes économiques, en attendant d’être photographiées par quelque sa
678 quelque satellite artificiel : L’Europe est bel et bien le centre du monde humain, le lieu géométrique, le carrefour nat
679 urel des grandes voies de communication maritimes et surtout aériennes qui ont permis au genre humain de vérifier son unit
680 s au genre humain de vérifier son unité concrète, et d’en prendre une conscience utile, opérative. Au cœur de l’hémisphère
681 e en graphique, la fonction mondiale de l’Europe. Et voilà qui est déterminant, pour qui suppute les chances futures de l’
682 our qui suppute les chances futures de l’Occident et de l’esprit européen, constater que l’Europe actuelle, amputée des pl
683 russes, tiendrait près de neuf fois dans l’Asie, et six fois dans l’Afrique. En revanche, ce plus petit continent est le
684 tous : le plus profondément découpé par les mers et le plus richement cloisonné par des plis montagneux de moyenne altitu
685 sonné par des plis montagneux de moyenne altitude et des fleuves aisément traversables. En proportion de sa surface, n’oub
686 eux, le plus riche réseau de voies d’eau (fleuves et canaux), la plus grande densité de villes et de villages, et le peupl
687 uves et canaux), la plus grande densité de villes et de villages, et le peuplement le plus égal : c’est le seul continent
688 la plus grande densité de villes et de villages, et le peuplement le plus égal : c’est le seul continent qui n’ait point
689 ndres simplifiés par des canaux, tunnels routiers et ferroviaires, innombrables ponts et chaussées, travail infini des cam
690 nels routiers et ferroviaires, innombrables ponts et chaussées, travail infini des campagnes. Regardez à la loupe cette ph
691 ous y distinguez des villages, des petites villes et des fermes isolées, des châteaux et des usines, des routes, des voies
692 etites villes et des fermes isolées, des châteaux et des usines, des routes, des voies ferrées et des canaux, des forêts e
693 eaux et des usines, des routes, des voies ferrées et des canaux, des forêts et des champs quadrillés — partout les traces
694 utes, des voies ferrées et des canaux, des forêts et des champs quadrillés — partout les traces de l’homme et du travail h
695 champs quadrillés — partout les traces de l’homme et du travail humain, et nulle part aussi concentrées. Anciens villages
696 rtout les traces de l’homme et du travail humain, et nulle part aussi concentrées. Anciens villages et villes d’Europe, vo
697 et nulle part aussi concentrées. Anciens villages et villes d’Europe, vous n’en trouverez pas deux dont les plans soient s
698 ouverts des pionniers arrêtés un soir, à l’étape, et qui auraient décidé d’en rester là. En Asie, les maisons s’assemblent
699 nautés bien ancrées, bien nettement individuelles et pourtant richement reliées et régionalement fédérées. Et voici que to
700 ement individuelles et pourtant richement reliées et régionalement fédérées. Et voici que tout se résume en un coup d’œil.
701 tant richement reliées et régionalement fédérées. Et voici que tout se résume en un coup d’œil. Car autour de la place d’u
702 ’un simple village d’Europe vous trouvez l’église et la mairie, souvent l’école et les cafés, et le marché et la circulati
703 us trouvez l’église et la mairie, souvent l’école et les cafés, et le marché et la circulation. À partir de cette place, b
704 glise et la mairie, souvent l’école et les cafés, et le marché et la circulation. À partir de cette place, banale et donc
705 airie, souvent l’école et les cafés, et le marché et la circulation. À partir de cette place, banale et donc typique, un s
706 t la circulation. À partir de cette place, banale et donc typique, un savant débarqué de Mars ou de Vénus pourrait reconst
707 irituelle, le règne de la loi, le respect général et tacite des institutions, l’éducation publique, l’échange des opinions
708 ions individuelles (de préférence contradictoires et subversives) et l’échange des produits du travail — toute une vitalit
709 es (de préférence contradictoires et subversives) et l’échange des produits du travail — toute une vitalité librement ordo
710 ortrait composé non point à partir de définitions et d’analyses intellectuelles de principes et de doctrines — dont il ser
711 itions et d’analyses intellectuelles de principes et de doctrines — dont il serait toujours facile de dire qu’elles n’ont
712 e dire qu’elles n’ont guère été mises en pratique et qu’il s’agit d’une Europe idéale, qu’on refuse de reconnaître, qui es
713 autre parti — mais à partir des réalités visibles et tangibles, qui sont le cadre de nos vies. Europe présentée non point
714 sa morphologie. La tentative est assez nouvelle, et ne nous dissimulons pas ses risques, mais il se peut qu’elle donne qu
715 jeunes sociologues qui la pousseraient plus loin, et qu’elle suggère une méthode inédite d’un enseignement de notre vie ci
716 ignement de notre vie civique, basée sur la photo et sur le film, et permettant beaucoup de comparaisons révélatrices avec
717 e vie civique, basée sur la photo et sur le film, et permettant beaucoup de comparaisons révélatrices avec la réalité des
718 rope en partant de la place communale. Nos villes et nos villages ne sont pas nés autour de places préalablement dessinées
719 ourgs — fori burgus, lieux hors du bourg originel et défensif — qui a marqué et manifesté l’accession des Européens à la r
720 hors du bourg originel et défensif — qui a marqué et manifesté l’accession des Européens à la réalité communautaire, fonde
721 ut au contraire : la Place centrale de nos villes et villages est rarement régulière, hors des périodes de relâchement civ
722 pio, le Rathaus) soit ou non bâtie sur la place — et il se trouve qu’elle l’est en général — c’est bien de là qu’elle tire
723 la libre discussion, sur le libre jeu des partis, et sur la liberté de l’opposition, majorité possible de demain… Or les p
724 ition, majorité possible de demain… Or les partis et l’opinion, et l’opposition notamment, se manifestent par la Presse, d
725 é possible de demain… Or les partis et l’opinion, et l’opposition notamment, se manifestent par la Presse, dans l’ère mode
726 t par la Presse, dans l’ère moderne de l’Europe ; et la presse, dès le début, fut étroitement liée à cet autre élément néc
727 à qu’elle se parle d’abord, s’écrit bien souvent, et se lit. C’est dans les cafés de Hollande que se réunissent les réfugi
728 entière, en dépit des censures de l’absolutisme, et qui préparent le siècle des Lumières et la Révolution française. C’es
729 olutisme, et qui préparent le siècle des Lumières et la Révolution française. C’est dans les tavernes anglaises que se lis
730 nal que Daniel Defoe rédige seul, de 1704 à 1713. Et c’est encore dans les cafés que le Spectator d’Addison, un peu plus t
731 a philosophie, enfin sortie des cabinets d’études et de l’école. N’oublions donc pas, sur la place, la présence du kiosque
732 d’insertion de la rumeur du monde, entre le café et le marché. Face à l’hôtel de ville, l’église. Le temple grec sur l’ag
733 e chrétienne ou ecclesia (qui veut dire assemblée et non plus temple), représentent l’autre pôle de la cité : celui de l’u
734 e, qui doit transcender les partis, les ambitions et les doctrines en vogue. Si l’on en juge seulement par les structures
735 on en juge seulement par les structures sensibles et visibles — comme j’entends le faire aujourd’hui — que se passe-t-il d
736 ujourd’hui — que se passe-t-il dans cette église, et que l’Orient n’a jamais connu ? Le prêtre parle, entonne, et le peupl
737 ient n’a jamais connu ? Le prêtre parle, entonne, et le peuple répond, et le chœur chanté, et dans l’église, manifeste à s
738  ? Le prêtre parle, entonne, et le peuple répond, et le chœur chanté, et dans l’église, manifeste à son tour la structure
739 entonne, et le peuple répond, et le chœur chanté, et dans l’église, manifeste à son tour la structure essentiellement poly
740 on tour la structure essentiellement polyphonique et dialectique qui définit l’Europe, sa grandeur et son drame. Il serait
741 et dialectique qui définit l’Europe, sa grandeur et son drame. Il serait tentant, partant de là, de reconstituer toute la
742 ne, c’est-à-dire de l’individu à la fois autonome et engagé — engagé, dans la communauté… Mais cette démonstration sortira
743 ue de l’Église, au Moyen Âge ; puis de la Réforme et des Ordres, à la Renaissance. Aujourd’hui, ses instituteurs, qui dépe
744 d’une part communiquer les connaissances acquises et le respect des valeurs communes, et elle doit d’autre part éveiller l
745 nces acquises et le respect des valeurs communes, et elle doit d’autre part éveiller le sens critique et le jugement indiv
746 elle doit d’autre part éveiller le sens critique et le jugement individuel. Éduquer, c’est e-ducere, conduire dehors. Con
747 mmuns qui ont formé la cité, qui la maintiennent, et qu’il faut critiquer pour les garder vivants, mais au nom des princip
748 é se résume donc par les deux termes l’initiation et l’initiative, qui marquent les deux pôles de notre éducation. (L’Orie
749 uent les deux pôles de notre éducation. (L’Orient et les cultures traditionnelles n’ont guère connu jusqu’à nos jours d’au
750 ce, lieu de rencontre des produits de la campagne et des besoins de la ville, et en même temps figuration vivante de la lo
751 oduits de la campagne et des besoins de la ville, et en même temps figuration vivante de la loi de l’offre et de la demand
752 ême temps figuration vivante de la loi de l’offre et de la demande, il a fourni la désinence symbolique de toute l’économi
753 êts contradictoires mais solidaires du producteur et du consom­mateur, des droits acquis et des règles d’arbitrage, des in
754 producteur et du consom­mateur, des droits acquis et des règles d’arbitrage, des initiatives et des coutumes, des conditio
755 acquis et des règles d’arbitrage, des initiatives et des coutumes, des conditions locales et des exigences collectives — e
756 itiatives et des coutumes, des conditions locales et des exigences collectives — en perpétuelle tension, lutte et concilia
757 ences collectives — en perpétuelle tension, lutte et conciliation, antinomique et pleinement valable. À cela s’ajoutent le
758 uelle tension, lutte et conciliation, antinomique et pleinement valable. À cela s’ajoutent les multiples tensions, non seu
759 entre la commune (née de leur composition locale) et la région, puis entre la région et la nation, la nation et l’Europe,
760 sition locale) et la région, puis entre la région et la nation, la nation et l’Europe, l’Europe et le monde ; tout se rame
761 ion, puis entre la région et la nation, la nation et l’Europe, l’Europe et le monde ; tout se ramenant, en somme, à la ten
762 ion et la nation, la nation et l’Europe, l’Europe et le monde ; tout se ramenant, en somme, à la tension entre le particul
763 us toutes ses formes — fussent-elles nationales — et l’universel dans toutes ses exigences — fussent-elles représentées pa
764 donc définie par ses formes une Europe pluraliste et non pas unitaire dans son principe comme le furent les grandes civili
765 furent les grandes civilisations traditionnelles et statiques de l’Asie, et aussi de l’Amérique précolombienne, et comme
766 lisations traditionnelles et statiques de l’Asie, et aussi de l’Amérique précolombienne, et comme veulent l’être les régim
767 de l’Asie, et aussi de l’Amérique précolombienne, et comme veulent l’être les régimes totalitaires de notre temps. Civilis
768 toujours renouvelés ; civilisation de discussion et de contestation dont la passion maîtresse paraît bien être la remise
769 ise en question permanente des données naturelles et des relations humaines, du Destin et du sens de vie. Quand l’une des
770 s naturelles et des relations humaines, du Destin et du sens de vie. Quand l’une des réalités antagonistes — la liberté ou
771 discipline sociale, etc.— prétend s’imposer seule et détruire l’autre au nom d’un ordre simplificateur ou d’une doctrine p
772 plificateur ou d’une doctrine prétendument totale et unitaire, il en résulte guerres, révolutions, massacres, explosions d
773 dictatures — une histoire plus intense, violente et polémique que n’en relatent les chroniques d’aucune autre région du m
774 la maîtrise, évitant à la fois le lugubre unisson et la cacophonie intolérable — alors paraissent les créations les plus t
775 complémentaires, voire de la dissonance calculée et dirigée vers une « résolution » future. Ainsi de la commune, de la fé
776 nsi de la commune, de la fédération, du parlement et du régime bicaméral, des syndicats et des coopératives ; ainsi de l’é
777 u parlement et du régime bicaméral, des syndicats et des coopératives ; ainsi de l’éducation elle-même et, finalement, de
778 des coopératives ; ainsi de l’éducation elle-même et , finalement, de l’idée du progrès. Dans la mesure où cet immense comp
779 éprimé ou dévasté par les guerres, les dictatures et les nationalismes clos, qui représentent ses courts-circuits ; dans l
780 sistible. Tel est le secret du dynamisme européen et des périodes de diastole planétaire de notre civilisation. Sommes-nou
781 s rapidement effacer nos plus fécondes diversités et imposer au continent et à ses peuples un visage uniforme et anonyme,
782 plus fécondes diversités et imposer au continent et à ses peuples un visage uniforme et anonyme, comparable au portrait-r
783 au continent et à ses peuples un visage uniforme et anonyme, comparable au portrait-robot du producteur moyen russe ou am
784 e réponse motivée à cette question — trop souvent et trop facilement tranchée au nom de partis pris réactionnaires ou prog
785 u’en Amérique elles sont pleines chaque dimanche, et on en trouve en général quatre ou cinq pour une commune rurale moyenn
786 d’un village. Elle y joue un grand rôle politique et civique. Mais c’est peut-être aux dépens de la rigueur d’une doctrine
787 peut-être aux dépens de la rigueur d’une doctrine et d’une vie spirituelle que l’Europe a mieux su maintenir face à l’État
788 e que l’Europe a mieux su maintenir face à l’État et face aux modes du jour. Les Américains le sentent bien, et c’est pour
789 ux modes du jour. Les Américains le sentent bien, et c’est pourquoi leurs pasteurs et leurs prêtres s’inspirent de plus en
790 le sentent bien, et c’est pourquoi leurs pasteurs et leurs prêtres s’inspirent de plus en plus de nos théologiens. Prenons
791 tard sur l’époque, trop attachées aux traditions, et cette critique demeure en partie justifiée. Mais, en Amérique, on red
792 , on redécouvre les vertus de la culture générale et des humanités, et d’une pédagogie plus ferme, pour ne pas dire autori
793 s vertus de la culture générale et des humanités, et d’une pédagogie plus ferme, pour ne pas dire autoritaire, si bien que
794 gences immédiates de l’instruction de techniciens et la stratégie à long terme de la formation des esprits. L’URSS elle-mê
795 ment des techniques, revient aux études générales et se rapproche, dans cette mesure du moins, de nos formules européennes
796 mal, à plus d’un siècle d’empiètements de l’État et de centralisation systématique dans l’ensemble de nos pays. On pouvai
797 le coup de grâce. Bien au contraire. Le bon usage et la santé de l’économie technicienne, selon ses meilleurs spécialistes
798 , veulent à la fois des regroupements industriels et une répartition plus décentralisée de la production, poussant à la mi
799 Conseil des communes d’Europe, l’Union des villes et des pouvoirs locaux, apparus depuis la dernière guerre, ne livrent pa
800 u’il n’a jamais été plus prospère qu’aujourd’hui, et cela dans tous nos pays, qu’il s’agisse du Marché commun des Six, ou
801 nomie des pays neutres. Quant à la presse, enfin, et au café dont elle est née, je dirai que la prospérité d’une presse li
802 ée, je dirai que la prospérité d’une presse libre et le prestige des cafés littéraires dans nos grandes villes, ces deux f
803 de l’Asie, assez pauvre en richesses naturelles, et moins peuplé, je le répète, que l’Inde ou que la Chine. Mais ce cap e
804 e répète, que l’Inde ou que la Chine. Mais ce cap et ses habitants, longuement travaillés, tourmentés, fécondés par une do
805 travaillés, tourmentés, fécondés par une doctrine et une inquiétude religieuses, par des formes de pensée philosophique, e
806 igieuses, par des formes de pensée philosophique, et par une vo­lonté d’aventure rationnelle d’où sont issues la science e
807 ’aventure rationnelle d’où sont issues la science et la technique, et des arts florissants, et des institutions, et des fo
808 elle d’où sont issues la science et la technique, et des arts florissants, et des institutions, et des formes d’existence
809 science et la technique, et des arts florissants, et des institutions, et des formes d’existence sociale, et une puissance
810 ue, et des arts florissants, et des institutions, et des formes d’existence sociale, et une puissance économique sans préc
811 institutions, et des formes d’existence sociale, et une puissance économique sans précédent, c’est cela l’Europe, c’est c
812 t l’Europe par E, sa petite masse physique par m, et sa culture par c. E = mc2 se lit alors comme suit : Europe égal cap d
813 emarquable d’institutions pluralistes en tension, et à cette lutte toujours ouverte entre tradition et innovation, que l’E
814 et à cette lutte toujours ouverte entre tradition et innovation, que l’Europe s’est montrée capable d’intégrer un peu mieu
815 que d’autres la technique. Ailleurs, en Amérique et en Russie, sur des grandes plaines, peu peuplées, voire des déserts,
816 développer ses effets sans résistances sérieuses, et comme sur table rase. En Europe, elle est née dans un contexte serré
817 t née dans un contexte serré de principes vénérés et de droits garantis, dans un fouillis de coutumes séculaires, artisana
818 s un fouillis de coutumes séculaires, artisanales et paysannes, de chicanes légales ou fiscales, de fronde populaire et de
819 chicanes légales ou fiscales, de fronde populaire et de revendications, qui l’ont freinée dans son élan et l’ont contraint
820 e revendications, qui l’ont freinée dans son élan et l’ont contrainte peu à peu à tenir compte du milieu humain, à ne pas
821 u le bulldozer dans un verger. Certes, les freins et les écluses n’ont pas toujours joué à temps, et la conscience sociale
822 s et les écluses n’ont pas toujours joué à temps, et la conscience sociale a été lente à s’éveiller dans les élites respon
823 du charbon, n’a pas seulement créé le décor sale et sans âme des faubourgs de nos capitales, elle a créé le prolétariat,
824 rx, « le complément vivant d’un mécanisme mort », et l’obligeant à travailler quinze heures par jour, dans des conditions
825 ourd’hui. (Seulement, la presse n’en parlait pas, et ses effets se sont étalés sur un siècle.) Mais en développant la tech
826 passant de l’époque noire du charbon, de la mine et des fabriques enfumées, à l’époque blanche et propre de l’électricité
827 ine et des fabriques enfumées, à l’époque blanche et propre de l’électricité, de l’aviation, et de l’usine transparente en
828 lanche et propre de l’électricité, de l’aviation, et de l’usine transparente entourée de verdure, l’Europe n’a pas seuleme
829 pris conscience la première des problèmes sociaux et moraux, éducatifs et spirituels qu’une technique et une science, nées
830 emière des problèmes sociaux et moraux, éducatifs et spirituels qu’une technique et une science, nées de ses œuvres, posen
831 moraux, éducatifs et spirituels qu’une technique et une science, nées de ses œuvres, posent désormais à tous les hommes.
832 e de l’équilibre indispensable entre la tradition et l’innovation, et c’est le problème fondamental de notre temps. Or ell
833 indispensable entre la tradition et l’innovation, et c’est le problème fondamental de notre temps. Or elle est seule à dis
834 ganes du patient nommé Europe l’un après l’autre, et si l’on détermine son métabolisme, il y a toutes les raisons objectiv
835 qu’il se portera beaucoup mieux qu’on ne le dit, et que souvent il ne le pense lui-même. Mais veut-il vivre ? Saura-t-il
836 on seulement à ses problèmes — éducatifs, sociaux et politiques — mais aussi aux nouvelles tâches mondiales que lui impose
837 lui impose la diffusion de sa propre civilisation et de ses propres idéaux ? Saura-t-il, enfin, prévenir ces affreux accid
838 révenir ces affreux accidents de sa santé mentale et de son existence physique que symbolise, sur la place du village, un
839 e en même temps que la notion d’un sacré national et non chrétien, dans beaucoup de pays voisins du nôtre — le monument au
9 1962, Arts, articles (1952-1965). Le monde entier irrite l’Europe et la méprise autant qu’il la jalouse ! (20 juin 1962)
840 Le monde entier irrite l’Europe et la méprise autant qu’il la jalouse ! (20 juin 1962)m n L’appel du
841 je voudrais maintenant mettre en valeur la nature et les relations. Premier fait : c’est au cours des quinze années pendan
842 u Proche-Orient, de l’Inde, du Sud-Est asiatique, et de l’Afrique, sont les mêmes dates, exactement, que celles de nos pre
843 de nos premières étapes vers l’union 1945 à 1962, et tout porte à prévoir que les deux processus s’achèveront simultanémen
844 dance des derniers îlots de colonies subsistants, et l’autre par la mise en place d’institutions politiques communes. Coïn
845 olitiques communes. Coïncidence très remarquable, et qui mériterait de susciter des études sérieuses. Il y aurait lieu de
846 s, ils ne résultent pas tous les deux d’une seule et même évolution dialectique : celle du nationalisme. Dès la fin du xvi
847 , les disciples de Rousseau, puis Herder, Bentham et Fichte avaient dénoncé l’expansion coloniale comme un péché mortel de
848 dissolution du corps européen en nations rivales. Et de fait, la nécessité alléguée par les États colonialistes de s’ouvri
849 e au nom de laquelle les Alliés s’étaient battus, et avaient conclu les traités de 1919, et ceci devait amener les colonie
850 nt battus, et avaient conclu les traités de 1919, et ceci devait amener les colonies à réclamer leur émancipation, voire à
851 it temps de juguler leurs sanglants chauvinismes, et cela devait amener, nous l’avons vu, le réveil des projets d’union. A
852 la dignité de la personne, l’égalité des peuples et des races — mais aussi de quelques-unes de nos folies les plus contag
853 à revendiquer les avantages de notre civilisation et la souveraineté de leurs États, pour la plupart créés par nous. Quant
854 éduquée par leurs soins dans les pays colonisés, et de leur intérêt mieux compris — un peu poussées aussi par les États-U
855 ès l’autre « décroché ». Mais dans le même temps, et pour les mêmes raisons, elles ont compris ce qu’elles refusaient de c
856 nécessité de leur union. Elles ont perdu le monde et retrouvé l’Europe. Mais voici le deuxième grand fait, non moins parad
857 on par le tiers-monde. L’Europe a fait le monde, et cela non seulement parce qu’elle a découvert la Terre entière, mais s
858 soit la seule qui ait su se rendre transportable et intégrable hors du contexte de ses origines raciales, politiques et r
859 du contexte de ses origines raciales, politiques et religieuses. Nous savons tous aussi comment s’est opérée sa diffusion
860 opérée sa diffusion mondiale dès la Renaissance, et par quels procédés, qui ne furent pas tous chrétiens. Animés par les
861 plement aventurières, les Européens, en désordre, et sans le moindre plan d’ensemble, du xvie au xixe siècle fondent sur
862 iècle fondent sur tous les continents des églises et des comptoirs, des cités et des industries, des écoles et des plantat
863 ontinents des églises et des comptoirs, des cités et des industries, des écoles et des plantations, des journaux et des pa
864 omptoirs, des cités et des industries, des écoles et des plantations, des journaux et des parlements. S’imposant par la fo
865 ries, des écoles et des plantations, des journaux et des parlements. S’imposant par la force ou reçus comme des dieux — ai
866 stice, dans l’immense processus chargé d’humanité et de charité héroïque autant que de crimes et de cupidité, d’une aventu
867 anité et de charité héroïque autant que de crimes et de cupidité, d’une aventure dont le bilan est encore très loin d’être
868 e dont le bilan est encore très loin d’être fait. Et rien ne prouve que ce bilan sera finalement négatif : c’est en somme
869 l’historien Toynbee m’arrête : Alexandre le Grand et les empereurs chinois s’imaginaient, eux aussi, qu’ils dominaient le
870 ment est explorée dans toutes ses grandes lignes, et l’archéologie occidentale ressuscite inlassablement bien plus de trad
871 ditions oubliées par leurs peuples que nos armées et nos missions n’en ont jamais détruites ou dénaturées. Mais alors, le
872 . En Afrique noire, récemment libérée, la culture et les langues européennes font des progrès spectaculaires. Je cite le d
873 comme ailleurs, plus efficace que la contrainte. Et partout, dans les nations neuves du tiers-monde, il a suffi que nos a
874 -monde, il a suffi que nos administrateurs civils et militaires s’en aillent, pour que soit décrétée l’adoption immédiate
875 crétée l’adoption immédiate de mesures politiques et sociales, hygiéniques, urbanistes, techniques, industrielles, tout si
876 ndigène. Ces idéaux, on les retourne contre nous, et contre nos pratiques trop souvent immorales : c’est qu’ils valaient s
877 laient sans doute mieux que nous ne l’avions cru, et mieux que nous : tant pis pour nous, et tant mieux pour nos idéaux !
878 ions cru, et mieux que nous : tant pis pour nous, et tant mieux pour nos idéaux ! Je ne les vois, pour ma part, nullement
879 ent tout entier n’ont autant progressé dans l’âme et dans les mœurs des peuples hier encore colonisés. Mais voici le trois
880 . Mais voici le troisième grand fait : nos idéaux et nos pratiques ont été diffusés en désordre, sans aucun plan, sans nul
881 ue notre civilisation ne s’est rendue assimilable et transportable qu’au prix d’une périlleuse disjonction entre ses produ
882 use disjonction entre ses produits de tous ordres et ses valeurs fondamentales. Le monde accepte nos machines et quelques-
883 eurs fondamentales. Le monde accepte nos machines et quelques-uns de nos slogans, mais non pas l’arrière-plan religieux, p
884 s non pas l’arrière-plan religieux, philosophique et culturel qui a permis non seulement les sciences et la technique, mai
885 culturel qui a permis non seulement les sciences et la technique, mais aussi leur intégration, bon an mal an, dans le com
886 , bon an mal an, dans le complexe de nos coutumes et de nos équilibres humains. Il faut l’admettre : les versions simplifi
887 le. D’où l’avantage incontestable des Américains, et surtout des Soviétiques, lorsqu’il s’agit de moderniser — c’est-à-dir
888 st-à-dire d’occidentaliser — d’une manière rapide et massive, les colonies récemment libérées. Ces nouveaux venus dans le
889 ons beaucoup plus simples du progrès, tant social et moral que purement matériel. Les premiers n’ont pas les scrupules et
890 nt matériel. Les premiers n’ont pas les scrupules et la mauvaise conscience qui étaient le fait des élites européennes pen
891 nes pendant les derniers temps de la colonisation et le respect des cultures indigènes n’a jamais arrêté les seconds, pas
892 dit des nôtres : « C’est du néo-colonialisme ! » Et pourtant, le tiers-monde, en cette affaire, a bien plus à perdre que
893 timents du tiers-monde à l’égard de notre culture et de sa diffusion désordonnée. Rappelant que les pays sous-développés i
894 pe responsable de tous les maux qui en résultent, et de la reviviscence, en Asie et en Afrique, de ce qu’il appelait « les
895 qui en résultent, et de la reviviscence, en Asie et en Afrique, de ce qu’il appelait « les conceptions partielles ou disc
896 litarisme à la Bentham, un collectivisme militant et un socialisme messianique, un libéralisme à la Hayek, l’adoration de
897 à la Hayek, l’adoration de la puissance militaire et politique, une bureaucratie qu’on ne pourra plus extirper, la multipl
898 t, le culte du cynisme, la concurrence sans frein et le philistinisme culturel. C’est une assez bonne liste de nos vices,
899 vertus, dont la liste est aussi facile à faire ? Et pourquoi nous imitez-vous, en général ? Pourquoi nous reprochez-vous
900 ral ? Pourquoi nous reprochez-vous notre athéisme et plus encore, notre matérialisme, quand c’est notre aide matérielle qu
901 re aide matérielle que vous exigez à grands cris, et pas du tout nos missionnaires ? Cette réponse serait trop facile, car
902 envoyons outre-mer, mais des agents de nos États et de nos firmes, qui transportent là-bas toutes nos rivalités, des assi
903 avent pas grand-chose du milieu où ils vont agir, et moins encore de ce que l’Europe peut signifier dans son ensemble et v
904 ce que l’Europe peut signifier dans son ensemble et vue de loin, des agitateurs politiques, des commerçants incultes et n
905 s agitateurs politiques, des commerçants incultes et nos plus mauvais films. Nous exportons pêle-mêle nos sous-produits, n
906 tons pêle-mêle nos sous-produits, nos aventuriers et nos livres, nos querelles nationales, nos machines et nos dogmes, dan
907 os livres, nos querelles nationales, nos machines et nos dogmes, dans l’irresponsabilité la plus totale, sans respect ni p
908  ; mais il n’en tire pas le meilleur, loin de là, et nous méprise autant qu’il nous jalouse. C’est en fin de compte notre
909 ion répondant à l’ampleur des exigences du siècle et de nos responsabilités mondiales. La question qui se pose est dès lor
910 encore réagir ? En a-t-elle les moyens matériels et moraux ? m. Rougemont Denis de, « Le monde entier irrite l’Europe
911 emont Denis de, « Le monde entier irrite l’Europe et la méprise autant qu’il la jalouse ! », Arts, Paris, 20 juin 1962, p.
912 de s’unir, pour des raisons à la fois séculaires et modernes. Trois écoles, il est vrai, s’opposent encore quand il s’agi
913 lliance des États, celle de l’intégration totale, et celle de la fédération. Mais une raison nouvelle doit forcer leur acc
914 orcer leur accord : c’est la nécessité matérielle et morale de répondre aux appels que le monde nous adresse, par sa faim,
915 le monde nous adresse, par sa faim, par sa peur, et même par sa haine. C’est la nécessité de nous porter enfin à la haute
10 1962, Arts, articles (1952-1965). L’Europe est un colosse qui s’ignore (encore) (27 juin 1962)
916 ertain défaitisme européen, de Spengler à Toynbee et de Sorel à Sartre, semble avoir persuadé nos élites comme nos masses
917 eront (le monde) : la Russie du côté de l’Orient, et l’Amérique, devenue libre de nos jours, du côté de l’Occident ; et no
918 venue libre de nos jours, du côté de l’Occident ; et nous autres, peuple du noyau, nous serons trop dégradés, trop avilis
919 op avilis pour savoir autrement que par une vague et stupide tradition ce que nous avons été. En 1847, Sainte-Beuve résum
920 r du monde est là, entre ces deux grands mondes. Et vingt autres, ainsi, y compris Tocqueville, durant tout le xixe sièc
921 date exactement de la fin de la dernière guerre, et au plan mondial. L’Europe se sentait écrasée entre deux colosses à ve
922 rés de hauteur, celui de droite vingt-deux carrés et celui du milieu quarante-cinq carrés. Il est donc à lui seul plus gra
923 ncore le meilleur ouvrier, le meilleur philosophe et le meilleur artiste — vous avouerez qu’il est au moins curieux que l’
924 beaucoup plus rapide en Europe qu’aux États-Unis. Et quant aux chiffres absolus, l’Europe occupe le premier rang pour la p
925 de la fonte, de la houille, du ciment, du beurre et du lait — produits de base — les États-Unis tenant le deuxième rang e
926 de base — les États-Unis tenant le deuxième rang et l’URSS le troisième. Voilà pour la quantité. Pour la qualité, l’évalu
927 lus malaisée. Voici cependant un exemple chiffré, et qui ne me paraît pas dénué de toute signification : production de sav
928 1901 — date la création du prix — à 1961 : Russie et démocratie populaire : 10 lauréats. États-Unis : 61. Europe de l’Oues
929 nouveau. C’est que l’Europe unie n’est pas faite et qu’il nous faut donc absolument la faire, pour que notre capacité glo
930 mais par son potentiel démographique, économique et culturel. Cependant, le sort d’une civilisation ne dépend pas seuleme
931 n assumée par ceux qui en sont les responsables — et d’autre part, de la puissance d’autres cultures ou civilisations qui
932 e occidentale désespère bruyamment de nos valeurs et dénie toute espèce de vocation à l’Occident, tel que le représentent
933 l que le représentent l’Europe en train de s’unir et les États-Unis. Il est courant d’entendre que l’Occident est en plein
934 re que l’Occident est en pleine décadence morale, et surtout qu’il n’a plus d’idéal à opposer aux valeurs neuves et conqué
935 ’il n’a plus d’idéal à opposer aux valeurs neuves et conquérantes du communisme. À cela, je vais répondre en renvoyant aux
936 de plus : la prospérité économique de l’Occident et sa vitalité intellectuelle, que rien ne dépasse et n’atteint même de
937 t sa vitalité intellectuelle, que rien ne dépasse et n’atteint même de loin, ni en Orient, ni en Afrique, indiquent une re
938 Orient, ni en Afrique, indiquent une renaissance et non une décadence. Mais il y a plus : on nous dit que les valeurs nou
939 s valeurs nouvelles capables d’entraîner le monde et de lui rendre un idéal sont celles que représente le communisme russe
940 présente le communisme russe. Je demande à voir — et je ne vois rien de neuf. Qu’est-ce, au total, que le communisme sovié
941 Un mélange de 50 % de tradition proprement russes et même tsaristes, comme le rôle de la police et des fonctionnaires, ou
942 ses et même tsaristes, comme le rôle de la police et des fonctionnaires, ou l’habitude de réécrire l’histoire tous les vin
943 est pas Popov qui l’a créé, mais c’est Karl Marx. Et qui était Marx ? Un juif allemand, dont le père s’était fait protesta
944 f allemand, dont le père s’était fait protestant, et qui écrivait en Angleterre des articles pour le New York Herald Tribu
945 typiques des débats philosophiques, théologiques et politiques qui définissent l’esprit européen au xixe siècle. Ce sont
946 sses nous renvoient aujourd’hui, fort simplifiées et appauvries d’ailleurs, sous le nom de marxisme dialectique. Qu’en ser
947 e constate. Le Sud-Est de l’Asie jalouse la Chine et voudrait secrètement l’imiter ; mais la Chine court après la Russie,
948 e, en espérant la battre sur son propre terrain ; et la Russie proclame depuis trente ans qu’elle fera mieux que l’Amériqu
949 e ne traduit rien qu’une division de nos forces — et nous sommes en bon train de les unir — mais non pas une absence de fo
950 — mais non pas une absence de forces potentielle. Et ces crimes, qui furent ceux de nos nationalismes, du racisme, et, dan
951 qui furent ceux de nos nationalismes, du racisme, et , dans une certaine mesure, du colonialisme, exigent de nous bien autr
952 t de nous bien autre chose qu’un mea culpa rageur et masochiste, tellement plus facile que l’action. Les vertus et les vic
953 e, tellement plus facile que l’action. Les vertus et les vices de l’Europe, son passé et son expérience, la rendent double
954 n. Les vertus et les vices de l’Europe, son passé et son expérience, la rendent doublement responsable — au sens actif du
955 e ne saurait la relever, dont nulle autre culture et nul autre régime ne me paraissent posséder les moyens de se charger,
956 a institués au lendemain des grandes découvertes, et que seules les techniques qu’elle a su inventer sont en mesure de les
957 reste le cœur de tout système d’échanges mondiaux et cela, non seulement à cause de la place qu’elle occupe au centre de l
958 en valeur plus du double de celui des États-Unis, et près de dix fois celui de l’URSS. La vocation mondiale de l’Europe es
959 ns représentent à peu près 40 % de notre commerce et nos importations atteignent le même taux, cependant que les États-Uni
960 -Unis, bien moins encore pour la Russie actuelle. Et quant aux échanges culturels, voire spirituels, tout désigne l’Europe
961 out désigne l’Europe pour les mettre en mouvement et pour les orienter vers un dialogue fécond. Tout, et d’abord nos tradi
962 pour les orienter vers un dialogue fécond. Tout, et d’abord nos traditions, non seulement de curiosité mais de respect de
963 té mais de respect des valeurs spirituelles, même et parfois surtout différentes des nôtres : ce n’est point par hasard qu
964 int par hasard que l’Europe a créé l’ethnographie et l’archéologie, et la science des religions comparées, dont on ne trou
965 l’Europe a créé l’ethnographie et l’archéologie, et la science des religions comparées, dont on ne trouve pas une trace a
966 te, mais les initiatives sont venues de l’Europe, et c’est vers elle, naturellement, que je vois se tourner les élites du
967 travers l’Europe qu’elles conçoivent la nécessité et les moyens de dialoguer, non seulement avec nous, mais entre elles.
968 de la vocation de l’Europe. Équilibrer technique et tradition, par exemple. C’est en Allemagne, en Angleterre, en France,
969 ’elles ont trouvé des résistances traditionnelles et coutumières qui les ont obligées lentement à s’intégrer aux rythmes d
970 ralisme, syndicalisme, planification, orientation et formation professionnelle. Adaptation pénible mais féconde, marquée t
971 nible mais féconde, marquée tout au début, à Lyon et à Zurich, par les révoltes ouvrières contre les machines à tisser, pu
972 puis contre les chaînes de production en Amérique et , récemment, contre l’automation à Coventry : tout cela représente une
973 proche en proche ses traditions les plus valables et ses équilibres psychiques, par les champs de force invisibles qu’elle
974 es transportent, à la manière du cheval de Troie. Et cela nous conduit naturellement au troisième verbe typique de notre v
975 ique de notre vocation, qui est fédérer. Défendre et illustrer le fédéralisme, c’est peut-être la plus grande tâche dont l
976 le a bien failli périr elle-même à deux reprises. Et ce mal enfièvre aujourd’hui la plupart des pays du tiers-monde, les p
977 -monde, les pousse aux pires excès du chauvinisme et à des mesures économiques ou politiques visiblement indéfendables du
978 es. L’Europe se doit donc de produire, d’attester et de diffuser les anticorps de ce virus mortel, hérité du xixe siècle.
979 nationalisme, du chauvinisme, racial ou partisan, et finalement des dictatures totalitaires qui en sont l’aboutissement lo
980 ement logique dans notre siècle, c’est l’attitude et la pratique fédéralistes : l’union dans la diversité, l’équilibre viv
981 iversité, l’équilibre vivant des libertés locales et des obligations communautaires et la mise en commun des droits « souv
982 ibertés locales et des obligations communautaires et la mise en commun des droits « souverains » qu’aucun de nos pays n’es
983 sme colonial, les débuts de notre union fédérale, et l’essor de notre économie, il y a sans doute une grande leçon pour le
984 une grande leçon pour le tiers-monde, mais aussi et , peut-être d’abord, pour l’ensemble de l’Occident — Amérique et Russi
985 d’abord, pour l’ensemble de l’Occident — Amérique et Russie comprises — pour l’ensemble d’un Occident, s’il veut enfin se
986 droit de répondre à l’attente des jeunes nations et de la jeunesse soviétique, obscurément tournées vers l’Occident, par
987 scurément tournées vers l’Occident, par un tardif et impuissant mea culpa. Nous ne sommes pas seuls en cause dans cette af
988 re, dans les données constitutives de l’Occident, et que tout appelle dans le monde de cette seconde moitié du xxe siècle
989 olume, en septembre aux Éditions de la Baconnière et chez Albin Michel. o. Rougemont Denis de, « L’Europe est un colosse
990 fait au total avec ses satellites : 430 millions et non 450. » Nous rectifions l’article de Rougemont qui porte bien le c
11 1962, Arts, articles (1952-1965). Un refus d’aimer (3 octobre 1962)
991 rain. Il est attesté par le cinéma, la publicité, et le succès de vente des auteurs qui en parlent. Il est donc en partie
992 rêvé par qui ?) Les enquêtes sur « la Jeunesse » et ses attitudes sentimentales, dans la faible mesure où elles sont conc
993 de conscience plus vraie de l’amour. Cela s’opère et se décide au secret d’une personne, et donc échappe, par nature, à to
994 la s’opère et se décide au secret d’une personne, et donc échappe, par nature, à toute espèce de généralisation ou de stat
995 és adopter vis-à-vis de l’érotisme m’indiffèrent, et j’ai même quelque répugnance à y songer. q. Rougemont Denis de, « 
996 ite par ces mots : « Denis de Rougemont ( L’Amour et l’Occident , Comme toi-même ), adopte, vis-à-vis de l’érotisme, une
12 1965, Arts, articles (1952-1965). Le déferlement de l’érotisme : pour une nouvelle théologie (5-11 mai 1965)
997 », on cite le triomphe en librairie de Fanny Hill et Justine en livre de poche aux États-Unis. Il ne faudrait tout de même
998 n’eût pas mieux accueilli les romans catholiques et les Vies de Jésus dont les tirages dominent notre marché du livre, sa
999 ’étalage étudié du nu « suggestif » dans nos rues et au cinéma, les scènes obligées « d’amour » physique dans les romans d
1000 lus que tout cela — qui relève parfois de la mode et n’engage pas toujours une politique morale — les cours d’éducation se
1001 e sont pas les produits de cet instinct universel et primordial : elles y font appel, comme on dit, mais restent sans pouv
1002 comme on dit, mais restent sans pouvoir sur lui, et il ne va pas « déborder » pour si peu qu’une augmentation du tirage d
1003 vanche, nos manières de parler des choses du sexe et de l’érotisme ont entièrement changé en un demi-siècle. En 1906, Freu
1004 sexuels sont franchement discutés ; les fonctions et les organes sexuels sont appelés par leur nom ». Et il ajoute : « D’a
1005 les organes sexuels sont appelés par leur nom ». Et il ajoute : « D’après mon exposé, le lecteur pudique pourra se convai
1006 la discussion avec une jeune fille de tels sujets et en un tel langage. Faut-il me justifier aussi de cette accusation ? »
1007 i de cette accusation ? » Entre de tels scrupules et le battage publicitaire fait autour du rapport de Kinsey, entre la Po
1008 tour du rapport de Kinsey, entre la Porte étroite et Notre-Dame des Fleurs ou Le Silence de Bergman, ce qui s’est passé d’
1009 veau proprement culturel qui est celui de l’étude et de l’expression des réalités de la « chair », dans leurs aspects phys
1010 sordre, créant de fortes inégalités d’information et par suite de jugement parmi les moralistes, eux-mêmes mis en question
1011 parmi les moralistes, eux-mêmes mis en question, et dans le public cultivé. Je suis de la première génération qui a décou
1012 nalyse à 20 ans, inscrite au programme des études et formant une part importante du donné intellectuel dans lequel l’étudi
1013 de nos plus de 60 ans confondent encore freudisme et pornographie. D’étranges méprises persistent chez des esprits formés
1014 i le Sexe demeure synonyme de péché pour Mauriac, et d’amour pour Simone de Beauvoir, si j’en juge par leurs derniers écri
1015 bien savent distinguer la sexualité de l’érotisme et la passion de l’amour vrai ? Cette turbulence de défis parfois sadiqu
1016 s ou moins masochistes, de découvertes excitantes et de problématiques libérations appelle une mise en ordre, et d’abord s
1017 lématiques libérations appelle une mise en ordre, et d’abord sémantique. Laissant l’étude du sexe au biologiste, l’écrivai
1018 de la Nouvelle Héloïse au milieu du xxe siècle), et tout d’un coup il s’aperçoit que l’amour seul poussait à dire, à chan
1019 mour seul poussait à dire, à chanter, à exprimer, et permettait de communiquer, et cela des troubadours jusqu’aux surréali
1020 hanter, à exprimer, et permettait de communiquer, et cela des troubadours jusqu’aux surréalistes. La sexualité, c’est l’in
1021 a passion est le désir infini, lié à un individu. Et l’amour est la fin suprême, l’accomplissement de la personne totale.
1022 e nos jours, ce ne peut donc pas être l’instinct, et ce n’est pas la passion, on le sait de reste. C’est l’érotisme, c’est
1023 sexualité au service du plaisir, des beaux-arts, et surtout de la littérature. Quelles sont les causes de ce phénomène ?
1024 solument indépendants. 1. L’autorisation initiale et décisive fut donnée par la psychanalyse quand son succès devint publi
1025 répandirent la terreur chez les parents cultivés et chez les moralistes oublieux du fait que le refoulement — non moins q
1026 un des mécanismes fondamentaux de toute culture, et que la culture occidentale en particulier doit beaucoup de son dynami
1027 subtiles, qui ne sont pas celles de la technique et de ses horaires, mais plutôt celles du rêve et de ses associations. D
1028 ue et de ses horaires, mais plutôt celles du rêve et de ses associations. Disant la menace de l’ère technologique imminent
1029 arti du rêve pour étudier les ruses de la libido. Et Jung élargissait au monde entier des cultures et des mythes l’empire
1030 Et Jung élargissait au monde entier des cultures et des mythes l’empire des archétypes illustrés par le rêve. Nous voilà
1031 e projet « d’organiser les libertés amoureuses », et distingué cent-quatorze espèces d’adultères, dans sa Hiérarchie du co
1032 rois hommes au mètre carré dans quelques siècles, et en tout cas d’un doublement de l’humanité (bouches à nourrir et bras
1033 d’un doublement de l’humanité (bouches à nourrir et bras à occuper) dès les environs de l’an 2000, n’est pas sans déclenc
1034 ionnels ne fonctionnent plus. La peste, la famine et la guerre déjà neutralisées ou en voie de l’être, restent les discipl
1035 de l’être, restent les disciplines contraceptives et certains phénomènes encore très mal connus de réduction spontanée d’u
1036 me la nature à la culture, l’instinct à l’hygiène et aux passions, et la procréation à la création ou au plaisir cultivé p
1037 culture, l’instinct à l’hygiène et aux passions, et la procréation à la création ou au plaisir cultivé pour lui-même, don
1038 vieux », disent beaucoup de jeunes autour de moi. Et , à vrai dire, c’est une affaire complexe et lente, quand la sexualité
1039 moi. Et, à vrai dire, c’est une affaire complexe et lente, quand la sexualité était simple et rapide ; et surtout une aff
1040 omplexe et lente, quand la sexualité était simple et rapide ; et surtout une affaire gratuite, bonne pour ceux qui ont rem
1041 ente, quand la sexualité était simple et rapide ; et surtout une affaire gratuite, bonne pour ceux qui ont rempli leur rôl
1042 doute diminuer, pour les raisons que j’ai dites, et le seuil de l’érotisme va s’abaisser d’autant. Je vois venir le temps
1043 mme dans son désir : il le reçoit de la publicité et il subit un rêve qui n’est plus le sien. Va-t-il découvrir l’érotisme
1044 allons-nous vers une ère classique, scientifique et hygiénique, où le problème numéro un de la jeunesse ne sera plus du t
1045 e du passé culturel européen, de même que la faim et la peur ne sont plus, dans nos pays riches, des problèmes fondamentau
1046 aux moins de 18 ans dans la plupart de nos pays, et à tout le monde en France, les Hindous l’ont sculpté au fronton de le
1047 s qui aient retenu l’attention du public français et par suite de la censure. Mais ce sont des études sociologiques et bio
1048 la censure. Mais ce sont des études sociologiques et biologiques sur les relations entre l’érotisme et la démographie qu’i
1049 et biologiques sur les relations entre l’érotisme et la démographie qu’il faudrait entreprendre désormais, en même temps q
1050 mais, en même temps que des études psychologiques et éthiques, voire, comme le demandait l’autre jour un psychiatre améric
1051 roblèmes de civilisations, a montré dans L’Amour et l’Occident comment le mythe de l’amour s’est formé en Europe au Moye
1052 the de l’amour s’est formé en Europe au Moyen Âge et a distingué dans Comme toi-même tout ce qui sépare sexualité. »