1 1952, Arts, articles (1952-1965). Appel à ceux qui osent être différents (22 mai 1952)
1 écrivain public et accusateur public, créateur de son propre langage et succès de vente, excentrique et engagé, monstre et
2 er, avouant ainsi qu’elle ne sait plus quelle est sa juste place dans la cité. On lui a donné, au cours du xxe siècle, de
3 pectateurs de films ou de télévision. Mais jamais son langage d’artiste ou de penseur n’avait été plus éloigné du lieu comm
4 de jeu entre les rouages, un élément de liberté. Sa vraie fonction dans la cité serait ainsi de n’en point avoir de néces
5 non seulement de la sienne propre ou de celle de son art, mais de la liberté de chacun et de ses conditions pour tous. Au
6 le de son art, mais de la liberté de chacun et de ses conditions pour tous. Au monde comme n’étant pas du monde, dans la ci
7 ne insatiable question, voilà cet écrivain, voilà sa liberté, qu’il s’agit maintenant d’assumer, et de défendre. Car un do
8 et politique, mais bien de prendre conscience de ses implications réelles dans la vie de la cité. Je comprends très bien q
2 1957, Arts, articles (1952-1965). L’ère des loisirs commence (10 avril 1957)
9 mpromettre dans l’œuf. Mais l’œuf est là, portant son germe et notre avenir : cet avenir qu’il nous faut accepter de dévisa
10 était en fait une résistance à la technique sous ses formes primitives, comme la mystique était un mouvement de dépassemen
11 citer des doctrines dont le style créateur a fait son temps5. Et je ne dis pas qu’elles s’en priveront. Mais je vois aussi
12 protestante-libérale — quel que soit par ailleurs son athéisme. Le retour aux problèmes religieux dans la littérature occid
3 1960, Arts, articles (1952-1965). Remise en question par l’Afrique et l’Asie, la civilisation occidentale n’a pas encore de successeur (21 septembre 1960)
13 rt sans fin ni cesse, il est pourtant soutenu par sa foi dans la grâce. Il est donc un inquiet perpétuel, mais qui sait le
14 n inquiet perpétuel, mais qui sait les raisons de son inquiétude ; il sait qu’elle est normale, et non désespérée, puisqu’e
15 , et non désespérée, puisqu’elle est produite par sa foi, c’est-à-dire par sa certitude. Prenons ensuite l’exemple de l’ho
16 qu’elle est produite par sa foi, c’est-à-dire par sa certitude. Prenons ensuite l’exemple de l’homme scientifique. Celui-c
17 cher d’un but toujours fuyant, il est soutenu par sa confiance en la raison et l’expérience vérifiante. La même exigence d
18 le de l’idée du Progrès, est responsable aussi de sa rectification. Toutes les « hérésies du Progrès » sont bel et bien né
19 tique : nul ne peut démontrer qu’il soit venu « à son heure ». Il porte à l’origine les stigmates du réel, et non pas les s
20 religieuse, et de ce qu’entraîne indiscutablement sa transgression. La faute commise ne peut relever ni de l’opinion, ni
21 la réalité, elle appelle à grands cris non point sa repentance mais le châtiment restaurateur de l’ordre. Tel est le cadr
22 t, que la valeur d’un acte ne peut être jugée par sa conformité avec les règles du sacré ou du social, mais que son sens d
23 é avec les règles du sacré ou du social, mais que son sens dépend d’une attitude intime, d’une libre appréciation de la per
24 chrétienne n’est pas tout l’Occident. Elle prend son point de départ dans le choc décisif duquel nous datons notre histoir
25 e a tout remis en mouvement. Et ce mouvement dans son ensemble, jusqu’à nous, c’est l’« Aventure occidentale de l’homme ».
26 morts, les dieux et les démons. L’individu prend sa mesure, fragile et menacé, mortel et ignorant, il sait qu’il n’est pa
27 d’autant plus décidé à tirer le meilleur parti de sa condition. Entreprenant, curieux jusqu’au défi, navigateur, spéculate
28 tout, on le voit, même des dieux. D’où le sens de sa dignité, qui ne tient à rien qu’à lui-même, au seul fait qu’il existe
29 i-même, au seul fait qu’il existe, distinct. D’où son orgueil aussi, son astuce égoïste et, finalement, cette anarchie scep
30 t qu’il existe, distinct. D’où son orgueil aussi, son astuce égoïste et, finalement, cette anarchie sceptique qui, lorsque
31 le terme viril de citoyen. L’homme ne tient plus sa dignité unique de quelque essence indestructible, mais du personnage
32 a la grandeur de l’Empire et la pauvreté d’âme de ses sujets. Si la dissociation menaçait en permanence la cité grecque, c’
33 e vocation qui lui fait découvrir dans tout homme son prochain. Le narcissisme culturel Si la personne du chrétien, d
34 isme culturel Si la personne du chrétien, dans son équilibre en tension, unit le meilleur de Rome et de la Grèce, elle e
35 me paraît plus « chrétien » que l’indignation de ses juges. Suivons ici l’exégèse magistrale qu’a donnée de la pensée niet
36 é capable de faire avancer cette science, grâce à son christianisme et ensuite contre son christianisme — du moins contre c
37 ence, grâce à son christianisme et ensuite contre son christianisme — du moins contre chacune des formes objectives que cel
38 estait. Si, aujourd’hui, les peuples affectés par ses méthodes de pensée, de production matérielle ou d’organisation de l’É
39 j’y vois bien moins le signe d’une révolte contre ses méthodes importées, que la preuve décisive de leur succès. Les Grecs
40 , transmutons les métaux, dépassons la vitesse du son , prolongeons de deux à trois fois la durée moyenne de la vie, voyons
41 l’Orient se jette sur nos techniques et en oublie ses valeurs propres, qui seraient celles dont nous aurions le plus grand
42 explosion primitive, et qui reviendra peut-être à son point initial, vous n’irez pas plus loin ni plus longtemps que la plu
43 ve annoncerait donc la fin de notre civilisation, son épuisement intime, et toujours préalable à l’anéantissement par une f
4 1961, Arts, articles (1952-1965). L’Amour en cause (1er février 1961)
44 l’amour « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique… » Religion dont toute la Loi est résumée par Jésus-Chris
45 e. Les relations qu’il définit entre l’homme et «  son  » Dieu sont personnelles. Dieu est personnel. La Trinité est composée
46 ar l’appel qu’il reçoit de l’Amour. Cet appel est sa vocation, la vie nouvelle de sa personne. Cette vie demeure en partie
47 ur. Cet appel est sa vocation, la vie nouvelle de sa personne. Cette vie demeure en partie mystérieuse, étant « cachée ave
48 le tout de l’homme (corps, âme et intellect) dans sa réalité naturelle et déchue. En revanche, les Églises chrétiennes, su
49 se qu’il est bon pour l’homme de ne point toucher sa femme. Toutefois, pour éviter l’impudicité, que chacun ait sa femme,
50 utefois, pour éviter l’impudicité, que chacun ait sa femme, et que chaque femme ait son mari… Je dis cela par condescendan
51 que chacun ait sa femme, et que chaque femme ait son mari… Je dis cela par condescendance, je n’en fais pas un ordre. Car
52 uiète des choses du monde, des moyens de plaire à sa femme. » 4. Ainsi donc, exalté d’une part comme l’image de l’amour di
53 e en deçà du mariage) ne devait développer toutes ses complexités que dans une Europe travaillée par la doctrine et la mora
54 n ne saurait donc interpréter ce phénomène — dans son évolution au cours des siècles et dans sa situation contemporaine — q
55 — dans son évolution au cours des siècles et dans sa situation contemporaine — qu’à la lumière de ses origines religieuses
56 s sa situation contemporaine — qu’à la lumière de ses origines religieuses et de ses fins transnaturelles. Chrétiens tradit
57 qu’à la lumière de ses origines religieuses et de ses fins transnaturelles. Chrétiens traditionnels, moralistes laïques rat
58 fois décrit n’en demeure pas moins stupéfiant par sa soudaineté et son ampleur. Il est daté du premier tiers du xxe siècl
59 demeure pas moins stupéfiant par sa soudaineté et son ampleur. Il est daté du premier tiers du xxe siècle, et même si on l
60 on lui trouvait des parallèles en d’autres temps, ses moyens d’expression, eux, sont sans précédent. La culture commerciali
61 ans précédent. La culture commercialisée, qui est son véhicule principal, le rend sans doute irréversible, et les cultures
62 phénomène est donc vain. Il s’agit de comprendre ses causes, et sur tout ce dont il est signe. Et d’abord, il s’agit de lu
63 il est signe. Et d’abord, il s’agit de lui donner son vrai nom. C’est l’érotisme qui travaille les sociétés occidentales, d
64 rès tout la jeunesse actuelle n’a pas connue dans sa vigueur, et dont elle n’a guère pu souffrir. Il est vrai qu’une révol
65 ct qu’elle voulait réprimer. Au lieu de justifier ses rigueurs en décrivant dans sa réalité le danger que la licence sexuel
66 lieu de justifier ses rigueurs en décrivant dans sa réalité le danger que la licence sexuelle fait courir à toute société
67 d’impureté. C’était vider la morale puritaine de sa vertu, moins religieuse d’ailleurs que civilisatrice. D’où l’effet de
68 e d’une bourgeoise qui n’avait plus le courage de ses partis pris, la vulgarisation de la psychanalyse a beaucoup fait pour
69 le sexe, mais l’érotisme, ni la sensualité, mais son aveu public, sa projection devant nous qui soudain, nous provoquent à
70 érotisme, ni la sensualité, mais son aveu public, sa projection devant nous qui soudain, nous provoquent à une prise de co
71 re grande révolution de l’Amour, si soudaine dans son explosion, fut lente à propager ses effets bouleversants dans les mœu
72 soudaine dans son explosion, fut lente à propager ses effets bouleversants dans les mœurs de la masse inculte et dans les h
73 celle du xiie siècle, submerge quelques-unes de ses conquêtes, mais surtout la déborde largement. Elle éclate dans une so
74 r aussi complètement que possible d’un sujet sous ses divers aspects. Denis de Rougemont, auteur de L’Amour et l’Occident
5 1961, Arts, articles (1952-1965). Les quatre amours (9 mai 1961)
75 et stable s’étende autour de nous qui allons dans sa durée ; qu’il y ait donc tout cela, mais le vide, tout cela dans le v
76 la chair, et le désir qui ne s’arrêtera plus dans sa lancée vers un au-delà de plénitude, vers le Plérôme. Car cette natur
77 t nous ne le voyons pas, quoique étant assurés de sa présence instante. Il n’est pas nous. Mais il y a en nous le Royaume 
78 oiseaux du ciel (les anges) peuvent habiter sous son ombre. » Il n’est pas dans l’espace et le temps, qui étendent le Vide
79 divin, venant de Dieu retourne à Dieu, posant en son point de réflexion et de résonance dans la créature, un moi nouveau q
80 , — et que j’espère banale (au sens propre), dans sa forme du moins — me suggère quatre états que l’on peut distinguer par
81 r le bien d’autrui s’il n’a su distinguer d’abord son propre bien. Qui s’aime mal, comme l’égoïste, ne peut que mal aimer l
82 , seconde forme de l’amour procède de l’âme. Dans sa genèse, elle correspond, quel que soit l’âge, à l’état de première ad
83 l’amour, mais subissent la sexualité quand vient son temps. Les confusions de notre langage courant semblent parfois assim
84 se garde de la déclarer, mais trahit constamment son intime conviction par des jugements et des indignations qui ressemble
85 avec le Soi, qui fait l’amour au Soi, qui atteint son plaisir dans le Soi, devient son propre maître et se meut à sa fantai
86 Soi, qui atteint son plaisir dans le Soi, devient son propre maître et se meut à sa fantaisie parmi les mondes. Mais celui
87 ns le Soi, devient son propre maître et se meut à sa fantaisie parmi les mondes. Mais celui qui pense autrement reste dépe
88 homme spirituel doit atteindre avec l’ensemble de ses facultés.) La sexualité en elle-même ne me paraît pas indifférente po
89 ce, et que Dante dit avoir contemplées au prix de sa vue « consumée » mais déjà mon désir et ma volonté étaient mus — com
90 re exigeant l’échange, le maintien de chacun dans ses justes limites. h. Rougemont Denis de, « Les quatre amours », Ar
6 1962, Arts, articles (1952-1965). Sartre contre l’Europe (17 janvier 1962)
91 ouvelle, née des promesses du Marché commun et de ses premiers succès, permet de multiplier les ententes industrielles, san
92 mais un éloquent moraliste, Jean-Paul Sartre ; et sa fureur ne jaillit pas d’un quelconque examen des évidences, mais de l
93 de la lecture d’un pamphlet qui l’a mis dans tous ses états. Il le préface et il exhorte « les Européens » à le lire, au no
94 ope » en nous faisant tous passer dans le camp de ses ennemis. Ceux-ci n’auront qu’à nous assassiner « pour devenir hommes 
95 lan de paix perpétuelle est fait pour éblouir par sa logique brutale certaine jeunesse dégoûtée de nos « valeurs » et qui
96 oûtée de nos « valeurs » et qui exige grands cris son lavage de cerveau. « Voici des siècles qu’au nom d’une prétendue aven
97 péenne remontent à 1729, lorsque le roi Agadja et son régiment de femmes, ayant battu les Popos aidés par l’Anglais Testefo
98 de l’histoire, c’est que le colonialisme, malgré ses crimes, a réveillé les peuples du tiers-monde dans le très bref espac
99 é ». Qu’est-il advenu de l’Europe considérée dans son ensemble ? « L’Europe est littéralement la création du tiers-monde »,
100 lement la création du tiers-monde », écrit Fanon. Ses richesses ne proviendraient que de ses vols, c’est-à-dire de son expl
101 rit Fanon. Ses richesses ne proviendraient que de ses vols, c’est-à-dire de son exploitation du sol africain et du sol asia
102 e proviendraient que de ses vols, c’est-à-dire de son exploitation du sol africain et du sol asiatique : or, métaux, pétrol
103 e, caoutchouc (le paysan serait-il la création de sa terre et des richesses qu’elle contient ?). Sartre renchérit : c’est
104 c’est avec cela que l’Europe a fait non seulement ses capitales industrielles, mais ses cathédrales ! (lisez-le pour y croi
105 t non seulement ses capitales industrielles, mais ses cathédrales ! (lisez-le pour y croire : p. 23). D’ailleurs, « l’Europ
106 ittant le tiers-monde, l’Europe aurait donc signé son arrêt de mort économique et de rapide déshumanisation ? Les adversair
107 commencé à découvrir l’Europe et la nécessité de son union. Et que, de leur union naissante — le Marché commun n’a que deu
108 grandit puissamment. C’est tant pis pour Fanon et son marxisme — d’ailleurs emprunté à l’Europe. Mais qu’en est-il de Sartr
109 ma faute si cette phrase est de Michel Debré dans son Projet de pacte pour les États-Unis d’Europe, publié en 1950 chez Nag
110 n 1950 chez Nagel. Sartre arrive un peu tard avec sa diatribe contre un régime que plus personne ne défend, pas même les R
111 d, pas même les Russes, qui le pratiquent encore. Sa préface ne représente, en fait, qu’un appendice pour le moins superfl
112 encore, sinon pour le plaisir de se vautrer dans son masochisme, ou simplement pour embêter de Gaulle, qui a pourtant prés
7 1962, Arts, articles (1952-1965). Le miracle européen a créé le monde civilisé (6 juin 1962)
113 désormais, avec celles de la civilisation née de ses œuvres, qu’elle a propagée sans prudence ni plan d’ensemble, dont ell
114 thèse centrale, cette définition de l’Europe par sa fonction mondialisante. Car cela revient en somme à définir le phénom
115 ient en somme à définir le phénomène européen par ses effets, alors qu’on s’est toujours efforcé jusqu’ici de l’expliquer p
116 re, nous n’arriverons jamais à le comprendre dans son mouvement, sa signification et sa tendance générale en partant des do
117 verons jamais à le comprendre dans son mouvement, sa signification et sa tendance générale en partant des données physique
118 omprendre dans son mouvement, sa signification et sa tendance générale en partant des données physiques et naturelles de n
119 econnaît que l’Europe historique n’est pas née de sa géographie. Je me plais à citer sa description de l’Europe, dont Valé
120 est pas née de sa géographie. Je me plais à citer sa description de l’Europe, dont Valéry me paraît bien s’être inspiré da
121 u près 60 % de la population du globe sur 15 % de sa superficie solide). Mais l’Europe de la Renaissance, celle des grand
122 ubissait aucune pression démographique, même dans ses pays les plus prospères et entreprenants. Ainsi, de 1328 à 1700, selo
123 christianisme, comme voulut le faire Novalis dans son célèbre essai intitulé Die Christenheit oder Europa, c’est faire tort
124 pleine ambiguïté : ces données ont agi, chacune à sa manière, mais aucune n’apparaît suffisante pour rendre compte du phén
125 e devant la vie. L’explication d’un phénomène par ses causes a dominé notre xixe siècle, mais c’était aux dépens de la com
126 ou collectif, ne pouvait être bien saisi que dans son mouvement créateur, dans son archétype, dans son mythe. Or, ce mouvem
127 bien saisi que dans son mouvement créateur, dans son archétype, dans son mythe. Or, ce mouvement créateur de l’Europe, je
128 son mouvement créateur, dans son archétype, dans son mythe. Or, ce mouvement créateur de l’Europe, je le trouve d’abord et
129 a mer et l’aventure que l’Europe légendaire prend son départ. Le mythe de l’enlèvement d’une princesse de Tyr par le grand
130 s probable étymologie du nom d’Europe. Plus tard, sa religion dominante lui viendra du pays le plus proche de ce rivage ph
131 it été enlevée l’héroïne éponyme, celle qui donna son nom au continent. On sait cela, mais on connaît moins la suite de ce
132 le d’Agénor, roi de Tyr. Celui-ci donna l’ordre à ses cinq fils de partir à la quête de leur sœur enlevée. Chacun fit voile
133 en Thrace ; et comme il désespérait de retrouver sa sœur pour la ramener aux rives maternelles de l’Asie, il alla demande
134 urope que les navigateurs phéniciens découvrirent sa réalité géographique. Mais c’est aussi en renonçant à la trouver tell
135 n renonçant à la trouver telle qu’elle était dans son souvenir que Cadmus entreprit de la construire. On voit combien, dès
136 toute faite et donnée par l’histoire : car c’est sa quête elle-même qui la crée. Rechercher l’Europe, c’est la faire ! El
137 rcher l’Europe, c’est la faire ! Elle existe dans sa recherche à l’infini, et c’est ce que je nomme Aventure. Mais elle es
138 e, si l’on en croit la seconde légende relative à ses origines : celle de Japhet. Selon la Genèse commentée par les Pères d
139 e l’Église primitive, Noé partagea le monde entre ses fils Sem, Cham et Japhet. À Cham, l’Afrique mais aussi l’esclavage, p
140 aussi l’esclavage, pour le punir d’avoir surpris son père en pleine ivresse sans songer comme ses frères à le couvrir d’un
141 pris son père en pleine ivresse sans songer comme ses frères à le couvrir d’un manteau ; à Sem, l’Asie et la vie spirituell
142 conflit latent ou en guerre ouverte. L’Europe et sa culture résulteront de cette fusion jamais achevée, toujours instable
143 ces contradictoires. Pendant tout le Moyen Âge et ses luttes meurtrières, opposant l’Église à l’Empire, l’empereur et les r
144 est ici que l’aventure mondiale de l’Europe prend son départ, au matin de Palos de Moguer, sur les petites caravelles de Co
145 -on, et pour en ramener les trésors avec lesquels son roi comptait payer l’ultime croisade et délivrer Jérusalem. C’est tou
146 ire — mais pour d’autres… Tout en lui, et d’abord son vrai nom qui est Colón, et son prénom Christophe, porteur du Christ —
147 en lui, et d’abord son vrai nom qui est Colón, et son prénom Christophe, porteur du Christ — en vérité, porteur de l’histoi
148 de l’Ouest fût lié plus qu’un autre aux mers, que son sol fût pauvre en métaux, que l’islam occupât Byzance après Jérusalem
149 cle, on peut dire que l’Europe a placé sur orbite sa civilisation. Mais les étages de la fusée porteuse sont retombés l’un
150 couverts et régis par l’Europe se sont libérés de sa tutelle. L’Amérique du Nord la première, dès la fin du xviiie siècle
151 vait permis à l’humanité de prendre conscience de son unité. L’idée d’universalité, l’idée même de genre humain — genus hum
152 réduite à elle-même, ramenée dans les limites de son cap asiatique, et pas plus grande, notons-le bien, qu’elle ne le fut
153 Moyen Âge. Elle reste le cœur d’un Occident né de ses œuvres, mais où deux grands empires lui disputent la primauté — l’un
154 u total, à faire le monde, mais à le faire contre ses auteurs, c’est-à-dire contre l’Occident ? Il semble qu’un des héros d
155 se homérique, le personnage central de l’Odyssée. Son départ pour une sorte de croisade contre Troie, ville du Proche-Orien
156 plus tard, celui de l’Église primitive, envoyant ses évangélistes jusqu’en Chine, vers l’est ; et vers l’ouest, jusqu’en I
157 eux et le rusé, préférait secrètement le voyage à son but, les épreuves de la route à l’arrivée heureuse, et les risques sa
158 près de Pénélope. Maîtriser les éléments, mesurer ses forces contre des adversaires visibles ou invisibles, aller toujours
159 de lui-même enfin, — à l’aventure ! Transcendant son destin, et même ses intérêts, au nom d’une vocation universelle. Abra
160 — à l’aventure ! Transcendant son destin, et même ses intérêts, au nom d’une vocation universelle. Abraham, « le père des c
161 » était parti sans savoir où il allait, parce que son Dieu, sa vérité la plus intime, lui disait de marcher vers l’inconnu.
162 rti sans savoir où il allait, parce que son Dieu, sa vérité la plus intime, lui disait de marcher vers l’inconnu. Il trouv
163 que Dieu lui réservait, et ce fut là le terme de son aventure, mais le début d’une autre histoire, dont nous sommes bien l
164 calculé qu’il y serait en trente jours. Mais tous ses calculs étaient faux, il trouva les Antilles au lieu de Xipango ; et,
165 tilles au lieu de Xipango ; et, finalement, c’est sa foi seule qui le soutint, car les deux grands problèmes qu’il tentait
166 r la dernière croisade, ne furent pas résolus par son expédition. Il trouva d’autres terres, d’autres îles, comme Ulysse, e
167 Occident, de Kepler à Einstein, de Léonard — avec son homme volant — aux biologistes contemporains — avec leur homme synthé
168 est, je crois, la vraie formule du Progrès, dans sa définition occidentale. Et l’on voit qu’elle est ambiguë : qu’il suff
8 1962, Arts, articles (1952-1965). L’Europe détient les secrets de l’avenir, mais a-t-elle la volonté de vivre ? (13 juin 1962)
169 sur l’examen de trois facteurs déterminants pour ses chances d’avenir : sa vitalité intrinsèque, sa volonté de vivre, enfi
170 facteurs déterminants pour ses chances d’avenir : sa vitalité intrinsèque, sa volonté de vivre, enfin sa fonction dans le
171 r ses chances d’avenir : sa vitalité intrinsèque, sa volonté de vivre, enfin sa fonction dans le monde ou vocation. La si
172 vitalité intrinsèque, sa volonté de vivre, enfin sa fonction dans le monde ou vocation. La situation géoéconomique de no
173 iennes qui ont permis au genre humain de vérifier son unité concrète, et d’en prendre une conscience utile, opérative. Au c
174 s fleuves aisément traversables. En proportion de sa surface, n’oublions pas que l’Europe a les plus longues côtes (7 000
175 cadre de nos vies. Europe présentée non point par sa philosophie mais bien par sa morphologie. La tentative est assez nouv
176 sentée non point par sa philosophie mais bien par sa morphologie. La tentative est assez nouvelle, et ne nous dissimulons
177 ve est assez nouvelle, et ne nous dissimulons pas ses risques, mais il se peut qu’elle donne quelques idées fécondes à de j
178 u cordeau, de tyrannie. Le square anglais, malgré son nom, répugne autant à l’angle droit que le Palio de Sienne, la Piazza
179 l’est en général — c’est bien de là qu’elle tire son sens originel. Les partis qui décident de la composition des conseils
180 et le chœur chanté, et dans l’église, manifeste à son tour la structure essentiellement polyphonique et dialectique qui déf
181 polyphonique et dialectique qui définit l’Europe, sa grandeur et son drame. Il serait tentant, partant de là, de reconstit
182 dialectique qui définit l’Europe, sa grandeur et son drame. Il serait tentant, partant de là, de reconstituer toute la phi
183 rme et des Ordres, à la Renaissance. Aujourd’hui, ses instituteurs, qui dépendent de la mairie, sont souvent plus sensibles
184 me, à la tension entre le particulier sous toutes ses formes — fussent-elles nationales — et l’universel dans toutes ses ex
185 ent-elles nationales — et l’universel dans toutes ses exigences — fussent-elles représentées par la révolte d’un seul, d’un
186 ie ou d’un saint contre toute une cité, au nom de ses principes indiscutés. Voici donc définie par ses formes une Europe pl
187 ses principes indiscutés. Voici donc définie par ses formes une Europe pluraliste et non pas unitaire dans son principe co
188 es une Europe pluraliste et non pas unitaire dans son principe comme le furent les grandes civilisations traditionnelles et
189 formées sur le modèle du chœur, de l’harmonie des sons complémentaires, voire de la dissonance calculée et dirigée vers une
190 tures et les nationalismes clos, qui représentent ses courts-circuits ; dans la mesure ou se développe, ne fût-ce qu’une pa
191 fécondes diversités et imposer au continent et à ses peuples un visage uniforme et anonyme, comparable au portrait-robot d
192 age et la santé de l’économie technicienne, selon ses meilleurs spécialistes, veulent à la fois des regroupements industrie
193 re, résume les secrets de l’Europe. L’Europe sans sa culture n’est qu’un cap de l’Asie, assez pauvre en richesses naturell
194 épète, que l’Inde ou que la Chine. Mais ce cap et ses habitants, longuement travaillés, tourmentés, fécondés par une doctri
195 terme en désignant naturellement l’Europe par E, sa petite masse physique par m, et sa culture par c. E = mc2 se lit alor
196 ’Europe par E, sa petite masse physique par m, et sa culture par c. E = mc2 se lit alors comme suit : Europe égal cap de l
197 ts, la civilisation technologique a pu développer ses effets sans résistances sérieuses, et comme sur table rase. En Europe
198 aire et de revendications, qui l’ont freinée dans son élan et l’ont contrainte peu à peu à tenir compte du milieu humain, à
199 remière révolution industrielle, celle qui tirait son énergie du charbon, n’a pas seulement créé le décor sale et sans âme
200 d’hui. (Seulement, la presse n’en parlait pas, et ses effets se sont étalés sur un siècle.) Mais en développant la techniqu
201 oppant la technique par la science, en humanisant son emploi par les lois sociales, en passant de l’époque noire du charbon
202 urope n’a pas seulement rapproché la technique de sa vraie fin, qui est de libérer l’homme du travail servile, elle a pris
203 irituels qu’une technique et une science, nées de ses œuvres, posent désormais à tous les hommes. Elle a formulé, la premiè
204 tous les hommes. Elle a formulé, la première par ses meilleurs esprits, le problème de l’équilibre indispensable entre la
205 é Europe l’un après l’autre, et si l’on détermine son métabolisme, il y a toutes les raisons objectives de penser qu’il se
206 ais veut-il vivre ? Saura-t-il rassembler à temps ses forces vives, pour faire face non seulement à ses problèmes — éducati
207 ses forces vives, pour faire face non seulement à ses problèmes — éducatifs, sociaux et politiques — mais aussi aux nouvell
208 s tâches mondiales que lui impose la diffusion de sa propre civilisation et de ses propres idéaux ? Saura-t-il, enfin, pré
209 pose la diffusion de sa propre civilisation et de ses propres idéaux ? Saura-t-il, enfin, prévenir ces affreux accidents de
210 ra-t-il, enfin, prévenir ces affreux accidents de sa santé mentale et de son existence physique que symbolise, sur la plac
211 r ces affreux accidents de sa santé mentale et de son existence physique que symbolise, sur la place du village, un monumen
9 1962, Arts, articles (1952-1965). Le monde entier irrite l’Europe et la méprise autant qu’il la jalouse ! (20 juin 1962)
212 e que depuis qu’il a renoncé, bon gré, mal gré, à ses possessions d’outre-mer. Décolonisation, union, prospérité simultanée
213 e entière, mais surtout parce qu’elle lui a donné sa première civilisation effectivement universelle. Cette civilisation,
214 e transportable et intégrable hors du contexte de ses origines raciales, politiques et religieuses. Nous savons tous aussi
215 uses. Nous savons tous aussi comment s’est opérée sa diffusion mondiale dès la Renaissance, et par quels procédés, qui ne
216 lusion. La Terre est connue désormais dans toutes ses dimensions physiques, nous ne pouvons plus faire d’erreurs de cette t
217 ne pouvons plus faire d’erreurs de cette taille ; son histoire également est explorée dans toutes ses grandes lignes, et l’
218 ; son histoire également est explorée dans toutes ses grandes lignes, et l’archéologie occidentale ressuscite inlassablemen
219 ble qu’au prix d’une périlleuse disjonction entre ses produits de tous ordres et ses valeurs fondamentales. Le monde accept
220 disjonction entre ses produits de tous ordres et ses valeurs fondamentales. Le monde accepte nos machines et quelques-uns
221 en cette affaire, a bien plus à perdre que nous. Ses meilleurs esprits le découvrent. Mais aussitôt, ils nous accablent de
222 s du tiers-monde à l’égard de notre culture et de sa diffusion désordonnée. Rappelant que les pays sous-développés imitent
223 ins encore de ce que l’Europe peut signifier dans son ensemble et vue de loin, des agitateurs politiques, des commerçants i
224 la suivante : l’Europe va-t-elle être évincée par ses produits les plus vendables, par ses slogans les plus démagogiques, a
225 évincée par ses produits les plus vendables, par ses slogans les plus démagogiques, au seul profit de leurs exploitants ou
226 caces ? Va-t-elle être évincée du tiers-monde par ses vices, au détriment de ses valeurs authentiques ? Ou peut-elle encore
227 cée du tiers-monde par ses vices, au détriment de ses valeurs authentiques ? Ou peut-elle encore réagir ? En a-t-elle les m
228 épondre aux appels que le monde nous adresse, par sa faim, par sa peur, et même par sa haine. C’est la nécessité de nous p
229 ppels que le monde nous adresse, par sa faim, par sa peur, et même par sa haine. C’est la nécessité de nous porter enfin à
230 us adresse, par sa faim, par sa peur, et même par sa haine. C’est la nécessité de nous porter enfin à la hauteur de notre
10 1962, Arts, articles (1952-1965). L’Europe est un colosse qui s’ignore (encore) (27 juin 1962)
231 plus petits qu’elle, qui n’atteindraient même pas sa taille en montant l’un sur l’autre. Mais vous me direz que la puissan
232 nce réelle de l’Europe n’est pas en proportion de sa population. C’est exact en ce sens que, par tête d’habitant, la produ
233 encore la première puissance de la Terre, non par ses dimensions, mais par son potentiel démographique, économique et cultu
234 nce de la Terre, non par ses dimensions, mais par son potentiel démographique, économique et culturel. Cependant, le sort d
235 tte espèce-là de chance. Il dépend tout autant de sa vocation native — j’entends de la prise de conscience de cette vocati
236 autres cultures ou civilisations qui prétendent à sa succession. Je ne vous apprendrai rien en vous rappelant qu’une bonne
237 plus : la prospérité économique de l’Occident et sa vitalité intellectuelle, que rien ne dépasse et n’atteint même de loi
238 court après la Russie, en espérant la battre sur son propre terrain ; et la Russie proclame depuis trente ans qu’elle fera
239 ue l’action. Les vertus et les vices de l’Europe, son passé et son expérience, la rendent doublement responsable — au sens
240 Les vertus et les vices de l’Europe, son passé et son expérience, la rendent doublement responsable — au sens actif du mot,
241 centre de l’hémisphère privilégié, mais parce que son commerce international représente en valeur plus du double de celui d
242 e dans l’ensemble, mais non moins dramatique dans ses péripéties, qui s’appelleront socialisme, marxisme, libéralisme, synd
243 ter qu’elles peuvent détruire de proche en proche ses traditions les plus valables et ses équilibres psychiques, par les ch
244 che en proche ses traditions les plus valables et ses équilibres psychiques, par les champs de force invisibles qu’elles tr
245 es de notre impérialisme, ils copient puérilement ses tares les plus visibles. L’Europe se doit donc de produire, d’atteste
246 venu, réussit à s’unir librement, achevant ainsi son aventure : à faire le monde en se faisant. Le nouvel idéal que réclam
247 l est de 335 millions : ce qui fait au total avec ses satellites : 430 millions et non 450. » Nous rectifions l’article de
11 1962, Arts, articles (1952-1965). Un refus d’aimer (3 octobre 1962)
248 vé par qui ?) Les enquêtes sur « la Jeunesse » et ses attitudes sentimentales, dans la faible mesure où elles sont concluan
12 1965, Arts, articles (1952-1965). Le déferlement de l’érotisme : pour une nouvelle théologie (5-11 mai 1965)
249 et décisive fut donnée par la psychanalyse quand son succès devint public, au lendemain de la Première Guerre mondiale. Bi
250 blieux du fait que le refoulement — non moins que son inverse, l’autosatisfaction — est un des mécanismes fondamentaux de t
251 lture occidentale en particulier doit beaucoup de son dynamisme à ses disciplines sexuelles. 2. Les plaisirs érotiques ont
252 e en particulier doit beaucoup de son dynamisme à ses disciplines sexuelles. 2. Les plaisirs érotiques ont leurs lois très
253 les, qui ne sont pas celles de la technique et de ses horaires, mais plutôt celles du rêve et de ses associations. Disant l
254 de ses horaires, mais plutôt celles du rêve et de ses associations. Disant la menace de l’ère technologique imminente, l’in
255 distingué cent-quatorze espèces d’adultères, dans sa Hiérarchie du cocuage.) 3. Enfin, la perspective d’une densité moyenn
256 s’il est vrai que trop de vies peuvent entraîner sa mort. Les freins traditionnels ne fonctionnent plus. La peste, la fam
257 it peur à mes cadets ; où l’excès du désir, c’est son insuffisance ; où l’obsession sexuelle (janséniste, puritaine), l’ina
258 cts, le jeune homme d’aujourd’hui ne produit plus son type de femme dans son désir : il le reçoit de la publicité et il sub
259 ujourd’hui ne produit plus son type de femme dans son désir : il le reçoit de la publicité et il subit un rêve qui n’est pl