1 1952, Arts, articles (1952-1965). Appel à ceux qui osent être différents (22 mai 1952)
1 la cité. On lui a donné, au cours du xxe siècle, des moyens formidables de communiquer avec les couches sociales les plus
2 oilà qui constitue pour l’écrivain de notre temps un défi d’une ampleur inconnue jusqu’alors, une possibilité sans précéde
3 onstitue pour l’écrivain de notre temps un défi d’ une ampleur inconnue jusqu’alors, une possibilité sans précédent de jouer
4 temps un défi d’une ampleur inconnue jusqu’alors, une possibilité sans précédent de jouer un rôle public, ou tout au moins,
5 ns, de contribuer dans l’immédiat à la création d’ un climat non seulement intellectuel, mais civique, mais moral, et enfin
6 -nous dépasser, surmonter ces contradictions, par un effort de libre création ? L’écrivain, ferment de liberté Notre
7 s cette situation. Et je l’accepte. Je lui trouve une certaine analogie avec la situation du chrétien dans le monde, selon
8 ion dans la structure sociale, comme ceux qui ont une fonction économique ou politique bien définie, précisément à cause de
9 récisément à cause de cela, l’écrivain représente un élément de jeu entre les rouages, un élément de liberté. Sa vraie fon
10 n représente un élément de jeu entre les rouages, un élément de liberté. Sa vraie fonction dans la cité serait ainsi de n’
11 étant pas du monde, dans la cité, oui, mais comme un problème vivant, comme une insatiable question, voilà cet écrivain, v
12 a cité, oui, mais comme un problème vivant, comme une insatiable question, voilà cet écrivain, voilà sa liberté, qu’il s’ag
13 s’agit maintenant d’assumer, et de défendre. Car un double péril la menace, l’un intérieur, l’autre extérieur à la cité d
14 u monde où nous sommes vivants. Je ne crois pas à une « littérature engagée », selon l’expression qui traine partout : une
15 ngagée », selon l’expression qui traine partout : une telle littérature n’existe pas, n’a jamais existé, ou bien elle se co
16 e vois d’autre part que ces forces furent d’abord des idées, sont nées d’œuvres écrites. Le nationalisme qui nous étrique e
17 qui nous étrique et qui paralyse encore le régime des échanges de tout ordre en Europe, le nationalisme fut une création d’
18 nges de tout ordre en Europe, le nationalisme fut une création d’écrivains, de poètes, hélas ! et de philosophes. Ceci pour
19 ur nous ; et, de l’autre côté, d’immenses pays et des centaines de millions d’hommes subissent aujourd’hui un régime issu d
20 taines de millions d’hommes subissent aujourd’hui un régime issu de gros ouvrages savants, de petits traités polémiques, d
21 cafés, régime donc fabriqué de toutes pièces par des intellectuels invétérés. Comment fermer les yeux devant ces faits ? C
22 monde, j’entends de préparer, et parfois de créer des conditions intellectuelles et morales qui ménagent soit l’acceptation
23 lles et morales qui ménagent soit l’acceptation d’ une tyrannie, à force de mensonges tolérés en silence (on nous en abreuve
24 euve ces jours-ci !), soit au contraire de former une équipe, modeste et dure, de résistants, dont la seule existence modif
25 s, dont la seule existence modifie quelque chose, un je ne sais quoi dans l’atmosphère qui peut se révéler décisif pour be
26 uniquement du monde, de leur monde, et à clamer d’ une de ces voix mornes et droguées, qu’on ne reconnaît plus pour la sienn
27 mporte de se rassembler. Non pas du tout, non pas un seul instant dans l’idée qui m’est répugnante de constituer un front
28 nt dans l’idée qui m’est répugnante de constituer un front commun, sous lequel disparaîtraient tous les visages particulie
29 es visages particuliers. Non pas du tout, non pas un seul instant dans l’idée d’opposer à ces totalitaires de toute couleu
30 dée d’opposer à ces totalitaires de toute couleur des certitudes de propagande, ou je ne sais quelle mystique qui serait, a
31 je ne sais quelle mystique qui serait, au mieux, un peu plus virulente que la leur. Un congrès d’écrivains, aujourd’hui,
32 ait, au mieux, un peu plus virulente que la leur. Un congrès d’écrivains, aujourd’hui, ou bien c’est une opération de poli
33 n congrès d’écrivains, aujourd’hui, ou bien c’est une opération de police d’État, ou bien c’est un rassemblement d’hommes a
34 est une opération de police d’État, ou bien c’est un rassemblement d’hommes attachés au droit fondamental de différer. Mai
35 ences, mais à cause d’elles. Je pressens, je sens une grande force dans ce rassemblement d’hommes qui préfèrent le droit de
2 1957, Arts, articles (1952-1965). L’ère des loisirs commence (10 avril 1957)
36 L’ère des loisirs commence (10 avril 1957)b c Nous sommes au seuil des temps
37 mmence (10 avril 1957)b c Nous sommes au seuil des temps où la culture va devenir le sérieux de la vie. (Elle l’a toujou
38 trente ans, selon certains experts, il suffira qu’ un tiers de la population (fortement accrue) de la planète donne 4 heure
39 t qu’au type occidental de vie ; qu’ils supposent une distribution socialisée des biens produits en abondance à très bas pr
40 ie ; qu’ils supposent une distribution socialisée des biens produits en abondance à très bas prix ; que la mise en valeur d
41  ; que la mise en valeur de l’Afrique, de l’Asie, des régions polaires offrira de nouvelles « occasions de travail »2 ; et
42 e la roue qui compte en soi, mais bien l’usage qu’ un peuple a décidé d’en faire : chars et wagons en Occident, jouets et o
43 certain, c’est que le progrès technique va faire un saut sans précédent, créant une situation où nos vrais vœux, nos vrai
44 technique va faire un saut sans précédent, créant une situation où nos vrais vœux, nos vraies orientations, nos vraies opti
45 ientations, nos vraies options se manifesteront d’ une manière transparente et seront suivis d’effets presque immédiats. Ce
46 nduire de notre état d’esprit actuel. L’exemple des pays nordiques Libéré du labeur matériel, l’Occident se tourne imm
47 , le sport, les jeux, et l’érotisme. L’expérience des vacances payées nous l’a fait voir à une échelle réduite, mais dans u
48 périence des vacances payées nous l’a fait voir à une échelle réduite, mais dans un temps trop court pour qu’on distingue l
49 us l’a fait voir à une échelle réduite, mais dans un temps trop court pour qu’on distingue la suite. Une expérience un peu
50 n temps trop court pour qu’on distingue la suite. Une expérience un peu plus longue nous est donnée par les populations du
51 urt pour qu’on distingue la suite. Une expérience un peu plus longue nous est donnée par les populations du cercle arctiqu
52 instruction publique est heureusement doublée par des centaines d’ouvrages de vulgarisation qui permettent aux Occidentaux,
53 pour la première fois dans l’Histoire, de prendre une vue d’ensemble de leur propre aventure : sentiment de l’histoire, déc
54 pour le pire. C’est dire que tout nous mène vers une ère religieuse. La technique nous ramène à la religion Car la c
55 ion Car la culture n’est, en fin de compte, qu’ un prisme diffracteur du sentiment religieux dans nos activités dites cr
56 nt religieux dans nos activités dites créatrices, des mathématiques pures à la poterie, et de la métaphysique à la sculptur
57 la poterie, et de la métaphysique à la sculpture des meubles. C’est ainsi que la technique, pratiquement, comme la science
58 oyens.) On voit donc mal, à première vue, comment une ère technique conduirait aux religions. L’ascèse était en fait une ré
59 conduirait aux religions. L’ascèse était en fait une résistance à la technique sous ses formes primitives, comme la mystiq
60 us ses formes primitives, comme la mystique était un mouvement de dépassement ou de retrait en deçà du dogme formulé ; mai
61 de demain pourra difficilement prendre la forme d’ un retour à la nature — au métier à tisser de Gandhi, par exemple — puis
62 t il est imprégné. Voilà pourquoi la connaissance des dogmes et des opinions premières de nos religions sera demain la prem
63 gné. Voilà pourquoi la connaissance des dogmes et des opinions premières de nos religions sera demain la première condition
64 e nos religions sera demain la première condition des hérésies et gnoses qui vont paraître : elles ne feraient autrement qu
65 n qui n’a pas disparu sans raison, ou ressusciter des doctrines dont le style créateur a fait son temps5. Et je ne dis pas
66 ais je vois aussi que la culture répand déjà dans un public naguère totalement ignorant de ce genre de réalités certaines
67 le sport préparent les masses et les individus à des liturgies imprévues. Les religions de « divertissement » — au sens pa
68 aucoup d’esprits légers s’imaginent l’homme comme une sorte de ballon qui ne demande qu’à « s’élever » dès qu’il est délivr
69 e demande qu’à « s’élever » dès qu’il est délivré des soucis quotidiens. La preuve qu’il n’en est rien, c’est que nos plus
70 lui. Je dis seulement qu’elle va nous jeter dans une époque où les questions religieuses deviendront plus sérieuses que ne
71 Art lui-même. Quant à savoir si cela représentera un progrès ou un risque nouveau, voilà qui nous oblige à reconsidérer le
72 Quant à savoir si cela représentera un progrès ou un risque nouveau, voilà qui nous oblige à reconsidérer le sens et la na
73 ue le travail est le vrai temps. Cette hiérarchie des valeurs a dominé jusqu’à nos jours. Elle explique en partie la résist
74 nos jours. Elle explique en partie la résistance des syndicats aux techniques créatrices de loisirs (automation) c’est-à-d
75 ribués aux ouvriers non seulement sous la forme d’ une diminution des heures de travail, mais sous la forme d’une diminution
76 iers non seulement sous la forme d’une diminution des heures de travail, mais sous la forme d’une diminution du prix de la
77 ution des heures de travail, mais sous la forme d’ une diminution du prix de la vie, compensant au moins les heures de salai
78 ndispensable au rendement, comme à la répartition des produits, des usines automatisées devrait augmenter dans une proporti
79 u rendement, comme à la répartition des produits, des usines automatisées devrait augmenter dans une proportion presque inf
80 s, des usines automatisées devrait augmenter dans une proportion presque infinie : or elle peut à peine doubler (Cf. Le Gra
81 0). Cependant, l’augmentation « tertiaire », donc des activités intellectuelles, aux dépens des activités manuelles et méca
82 », donc des activités intellectuelles, aux dépens des activités manuelles et mécaniques, entraîne et suppose un progrès cul
83 ités manuelles et mécaniques, entraîne et suppose un progrès culturel (qu’il soit appelé loisir ou travail). 3. Je ne par
84 parle pas ici de la télévision, qui nous apporte des pays lointains, sans leur odeur ni leur température, sans le goût de
85 iché pour les questions religieuses n’aura été qu’ un phénomène transitoire de notre civilisation occidentale. (Voir plus h
86 ’intelligentsia berlinoise, puis new-yorkaise, et une partie de la parisienne, au xxe siècle, se crurent et furent dans un
87 re guerre. André Breton n’a pas cessé de chercher une vision religieuse du monde et de la vie, bien plus antichrétien par c
88 e la vie, bien plus antichrétien par cela même qu’ un J.-P. Sartre, qui se place au niveau de la morale dans le prolongemen
89 place au niveau de la morale dans le prolongement des exigences « existentielles » d’une éthique protestante-libérale — que
90 e prolongement des exigences « existentielles » d’ une éthique protestante-libérale — quel que soit par ailleurs son athéism
91 e font parfois penser à quelqu’un qui inventerait une machine à monter les escaliers, au lieu de prendre l’ascenseur. 6. D
92 re l’ascenseur. 6. D’où le succès sans précédent des livres proposant des recettes de bonheur, de télépathie, d’érotisme,
93 ’où le succès sans précédent des livres proposant des recettes de bonheur, de télépathie, d’érotisme, de paix de l’âme ou d
94 tisme, de paix de l’âme ou d’exaltation ; demain, des règles de yoga « scientifique », à l’Occidentale. b. Rougemont Deni
95 à l’Occidentale. b. Rougemont Denis de, « L’ère des loisirs commence », Arts, Paris, 10 avril 1957, p. 1 et 5. c. Texte
96 ght Denis de Rougemont. Cette étude paraîtra dans un essai publié aux Éditions Albin Michel sous le titre L’Aventure occi
3 1960, Arts, articles (1952-1965). Remise en question par l’Afrique et l’Asie, la civilisation occidentale n’a pas encore de successeur (21 septembre 1960)
97 ilisation née en Europe a dominé le monde pendant des siècles. Elle est encore, à notre époque, celle qu’on imite partout m
98 ue par deux grands traits généralement tenus pour des causes de faiblesse : je veux parler d’une inquiétude fondamentale et
99 s pour des causes de faiblesse : je veux parler d’ une inquiétude fondamentale et d’un désordre permanent. Les Chinois et le
100 je veux parler d’une inquiétude fondamentale et d’ un désordre permanent. Les Chinois et les Égyptiens, les Sumériens et le
101 Romains, les Aztèques et les Mayas, avaient créé des ordres stables. Leurs prêtres et leurs princes avaient réponse à tout
102 Europe bien plus qu’en Amérique, nous souffrons d’ une espèce d’inquiétude essentielle. Nous ne cessons de parler du « désar
103 l’époque ». Nous avons l’impression de vivre dans un chaos sans cesse croissant, dans un maquis de contradictions morales,
104 de vivre dans un chaos sans cesse croissant, dans un maquis de contradictions morales, intellectuelles et pratiques. D’où
105 anent, que les meilleurs esprits déplorent depuis des siècles ? Ils ne peuvent être accidentels. Je pense même qu’ils remon
106 même de nos certitudes. Ce paradoxe s’explique d’ une manière assez simple. Prenons l’exemple de l’homme chrétien. Il peut
107 Il peut lire dans les Écritures « qu’il n’y a pas un juste, pas même un seul » et que pourtant il devrait être saint. Il s
108 es Écritures « qu’il n’y a pas un juste, pas même un seul » et que pourtant il devrait être saint. Il sait que le péché co
109 ant soutenu par sa foi dans la grâce. Il est donc un inquiet perpétuel, mais qui sait les raisons de son inquiétude ; il s
110 de l’homme scientifique. Celui-ci lit l’histoire des sciences. Elle lui fait voir que toutes les « vérités » qu’établissen
111 tant la raison d’être de la science est de saisir des vérités certaines. Dans cet effort sans fin ni cesse — ici encore — p
112 ns fin ni cesse — ici encore — pour s’approcher d’ un but toujours fuyant, il est soutenu par sa confiance en la raison et
113 ’on croyait acquises, d’autre part, est le gage d’ un progrès vers le vrai. Ainsi donc, du désordre vers un certain ordre,
114 rogrès vers le vrai. Ainsi donc, du désordre vers un certain ordre, puis un nouveau désordre, vers une nouvelle façon plus
115 nsi donc, du désordre vers un certain ordre, puis un nouveau désordre, vers une nouvelle façon plus large de l’interpréter
116 un certain ordre, puis un nouveau désordre, vers une nouvelle façon plus large de l’interpréter, la science avance. La p
117 es le reproche, à leurs yeux rédhibitoire, d’être des hommes « qui ont cessé de chercher » et « qui se croient les détenteu
118 é d’en déduire que l’Occidental nie l’existence d’ une vérité en soi : simplement, il se refuse à croire qu’un homme puisse
119 ité en soi : simplement, il se refuse à croire qu’ un homme puisse vraiment y accéder (l’Hindou le croit). L’intérêt de l’h
120 . Toutes les définitions concrètes du Progrès ont un caractère commun : elles aboutissent à des antinomies flagrantes auss
121 rès ont un caractère commun : elles aboutissent à des antinomies flagrantes aussitôt qu’elles sont appliquées. Le progrè
122 machines. Mais parmi ces machines, il s’en trouve une qui peut causer en peu d’instants la mort certaine de notre civilisat
123 i-culture. Définition par la religion : restaurer une commune mesure valable pour l’ensemble d’une civilisation et garantis
124 urer une commune mesure valable pour l’ensemble d’ une civilisation et garantissant l’harmonie de nos moyens actuels et de n
125 s les tentatives faites de nos jours pour imposer un principe d’harmonie ont causé le maximum de désordre sanglant et aggr
126 ne s’en guérira plus. À supposer qu’il la refoule un jour, elle renaîtrait irrésistiblement du sentiment de l’Histoire qu’
127 leurs effets que dans les grands espaces humains des Amériques et de l’URSS. Là, comme extraites de leur contexte original
128 anciennes ou de limitations posées en partie par des excès contraires. Si l’Europe d’aujourd’hui s’effraye de constater ce
129 is le signe que l’Europe détient encore le sens d’ un équilibre intime : si ce sens n’était pas blessé, rien ne réagirait ;
130 es grandes cultures et civilisations, animées par un rêve qui fait leur destinée et qui compense d’abord un sort inaccepté
131 ve qui fait leur destinée et qui compense d’abord un sort inaccepté. Il est né comme une aventure, d’un fait très insolite
132 mpense d’abord un sort inaccepté. Il est né comme une aventure, d’un fait très insolite et peu croyable, survenu au carrefo
133 n sort inaccepté. Il est né comme une aventure, d’ un fait très insolite et peu croyable, survenu au carrefour hasardeux de
134 tends qu’il serait vain d’essayer de le déduire d’ une certaine situation d’ensemble ou d’un appel monté du monde antique :
135 déduire d’une certaine situation d’ensemble ou d’ un appel monté du monde antique : nul ne peut démontrer qu’il soit venu
136 ait pas, il est là. Ainsi naît l’Occident : comme un drame, dont on peut contester après coup l’unité d’action, non le cho
137 coup l’unité d’action, non le choc. Car il y eut un choc initial, un commencement soudain, une grande libération d’énergi
138 ction, non le choc. Car il y eut un choc initial, un commencement soudain, une grande libération d’énergie spirituelle et
139 l y eut un choc initial, un commencement soudain, une grande libération d’énergie spirituelle et morale, provoquée par l’in
140 e sacré, ce qu’il est encore en Orient. La morale des Anciens est basée sur le rite, et dans le monde magique elle n’est qu
141 ute commise ne peut relever ni de l’opinion, ni d’ un jury. Elle est plutôt comme une grossière erreur de calcul, de montag
142 de l’opinion, ni d’un jury. Elle est plutôt comme une grossière erreur de calcul, de montage ou d’aiguillage, c’est-à-dire
143 elle. Elles impliquent, en effet, que la valeur d’ un acte ne peut être jugée par sa conformité avec les règles du sacré ou
144 du sacré ou du social, mais que son sens dépend d’ une attitude intime, d’une libre appréciation de la personne quant à savo
145 mais que son sens dépend d’une attitude intime, d’ une libre appréciation de la personne quant à savoir si l’acte exprime l’
146 tons notre histoire. Mais elle s’est engagée dans un monde bien réel, déjà fortement structuré à la fois par la pensée gre
147 religieuses du Proche-Orient, et l’ordre impérial des Romains. Utilisant l’un de ces éléments, écartant l’autre, annexant a
148 s sont entrées elles aussi en symbiose, et cela d’ une manière manifeste dès l’époque des conciles œcuméniques. Apport grec
149 ose, et cela d’une manière manifeste dès l’époque des conciles œcuméniques. Apport grec. — L’homme se détache du corps mag
150 les ne sont pas ». Juge de tout, on le voit, même des dieux. D’où le sens de sa dignité, qui ne tient à rien qu’à lui-même,
151 que se perdra la révérence à l’égard des dieux et des lois, livrera la cité « atomisée » à la brutale mise au pas du Romain
152 dans la cité maintenue par les cadres du Droit et des Institutions dûment hiérarchisées. Ce puritanisme social, cette moral
153 é dont les structures rigides n’encadrent plus qu’ une anarchie latente, parce que ces disciplines ne sont pas celles de l’â
154 dividuelle — libère tout homme, noble ou esclave, des liens sacrés de la caste ou du clan ; en même temps, elle le met au s
155 elle le met au service du prochain. Entrant dans une communauté chrétienne, l’esclave y trouve la dignité morale qui était
156 ui était celui du citoyen romain. Il devient donc un paradoxe vivant : à la fois libre et responsable, vraiment distinct e
157 le est aussi menacée, dans le monde du péché, par un double péril simultané : celui de la fuite vers le salut individuel,
158 s la mesure où le christianisme a signifié la fin des religions et des magies, nées de la peur, qu’il a permis le développe
159 christianisme a signifié la fin des religions et des magies, nées de la peur, qu’il a permis le développement de la Scienc
160 ontre son christianisme — du moins contre chacune des formes objectives que celui-ci a pu revêtir. Essayons de mesurer l’e
161 lorsqu’il tire de l’exemple du monde gréco-romain des raisons de réfuter la croyance que « nous aurions fait dans le monde,
162 e que « nous aurions fait dans le monde, au cours des quelques derniers siècles, quelque chose qui n’a pas de précédent ? »
163 pas de précédent ? » Alexandre n’avait conquis qu’ un quart des continents alors connus. S’il a cru que c’était le monde, i
164 écédent ? » Alexandre n’avait conquis qu’un quart des continents alors connus. S’il a cru que c’était le monde, il s’est tr
165 assalisé selon les cas, la totalité de l’Afrique, des deux Amériques et de l’Océanie, et la partie sud de l’Asie (à des deg
166 es et de l’Océanie, et la partie sud de l’Asie (à des degrés divers, mais pour le moins égaux à ceux qu’avaient atteints da
167 toutes les civilisations différentes de la sienne une supériorité intellectuelle et technique que personne ne lui contestai
168 ment indépendants, j’y vois bien moins le signe d’ une révolte contre ses méthodes importées, que la preuve décisive de leur
169 ès. Les Grecs et les Romains ne disposaient pas d’ une marge de supériorité incontestable sur les Hindous et les Chinois. Ma
170 ois. Mais où trouver dans le monde du xxe siècle une autre civilisation qui soit en état de surpasser celle qu’a répandue
171 e dialogue apparaît nécessaire. Et j’entends bien un vrai dialogue au niveau des religions et des philosophies, c’est-à-di
172 ire. Et j’entends bien un vrai dialogue au niveau des religions et des philosophies, c’est-à-dire au niveau créateur des ci
173 bien un vrai dialogue au niveau des religions et des philosophies, c’est-à-dire au niveau créateur des civilisations et de
174 des philosophies, c’est-à-dire au niveau créateur des civilisations et des cultures. Dès lors que les échanges se multiplie
175 st-à-dire au niveau créateur des civilisations et des cultures. Dès lors que les échanges se multiplient en fait, que l’Asi
176 de voyages cesse de nous séparer (nous faisons en un jour d’avion un trajet qui prenait deux ans du temps de Plan Carpin e
177 de nous séparer (nous faisons en un jour d’avion un trajet qui prenait deux ans du temps de Plan Carpin et de Marco Polo)
178 u’ils seraient féconds), ou bien il faut chercher un principe transcendant, dont un C. G. Jung en Europe, ou un Aurobindo
179 n il faut chercher un principe transcendant, dont un C. G. Jung en Europe, ou un Aurobindo en Inde, a tenté d’entrevoir la
180 pe transcendant, dont un C. G. Jung en Europe, ou un Aurobindo en Inde, a tenté d’entrevoir la nature. Au stade présent de
181 enture occidentale, on dirait qu’il n’est plus qu’ un seul des rêves constants de l’humanité qui ne soit pas théoriquement
182 ccidentale, on dirait qu’il n’est plus qu’un seul des rêves constants de l’humanité qui ne soit pas théoriquement réalisabl
183 les autres : voler dans la hauteur, nager au fond des mers, faire de l’or, rajeunir, voyager dans la lune, lire les pensées
184 oyons ce qui se passe aux antipodes, parlons avec des invisibles, tuons à grande distance, et dialoguons avec la lune. Conf
185 miracles d’abord (changer l’eau en vin, ou guérir un paralytique) puis les expériences concluantes (l’avion vole, la bombe
186 hniques, l’attitude utilitariste, l’efficience en un mot, qui ont permis au problème de se poser, sont précisément les qua
187 dont nous aurions le plus grand besoin… L’âge des miracles Au stade présent de l’Aventure occidentale, dont la scien
188 voir éliminer. Le Cosmos tout entier se résout en un voile tissé d’ondes animant le Vide. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent
189 artir de l’hydrogène. Le noyau de l’hydrogène est un proton. Cet ultime substrat de l’univers physique est un « nœud d’éne
190 on. Cet ultime substrat de l’univers physique est un « nœud d’énergie » qui se produit dans un « champ » au sein duquel ag
191 que est un « nœud d’énergie » qui se produit dans un « champ » au sein duquel agissent on ne sait quels archétypes formate
192 pes formateurs… Le monde phénoménal n’est plus qu’ une apparence flottant sur l’océan sans rivages et sans fond de l’immatér
193 mmatérielle Énergie. Voici donc retrouvée la Maya des hindous, au terme d’un voyage dont l’impulsion première avait pris po
194 ci donc retrouvée la Maya des hindous, au terme d’ un voyage dont l’impulsion première avait pris pour tremplin la très fer
195 er cela, et vous verrez bientôt que la question d’ un au-delà ne se pose plus. Dans l’univers en expansion de l’abbé Lemaît
196 en expansion de l’abbé Lemaître et de Gamov, né d’ une explosion primitive, et qui reviendra peut-être à son point initial,
197 ime, et toujours préalable à l’anéantissement par une force étrangère. Je n’ai pas eu d’autre intention que de mieux défini
198 ’Occident qui m’a formé. Qui voudrait à tout prix une réponse, et refuserait de la trouver lui-même, dès lors qu’il sait qu
199 e 1960, p. 1 et 15. e. Cet article fait partie d’ un dossier de la revue Arts intitulé : « Quel est l’avenir de la race bl
4 1961, Arts, articles (1952-1965). L’Amour en cause (1er février 1961)
200 en cause (1er février 1961)f g Éros, qui était un dieu pour les Anciens, est un problème pour les Modernes. Le dieu éta
201 Éros, qui était un dieu pour les Anciens, est un problème pour les Modernes. Le dieu était ailé, charmant, et secondai
202 nonyme de perversité non seulement dans le jargon des lois de l’État laïque, mais aux yeux des chrétiens exigeants et sincè
203 e jargon des lois de l’État laïque, mais aux yeux des chrétiens exigeants et sincères, depuis des siècles ? Pour comprendre
204 yeux des chrétiens exigeants et sincères, depuis des siècles ? Pour comprendre la situation problématique de notre temps,
205 istianisme est la religion de l’Amour. Religion d’ un Dieu que l’Ancien Testament définissait comme l’Être originel, le Cré
206 Testament révèle au cœur de tous les hommes, et d’ une manière radicalement nouvelle : « Dieu est Amour », répète saint Jean
207 st Amour », répète saint Jean. Religion créée par un acte de l’amour « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils un
208 Foi, l’Espérance et l’Amour : mais la plus grande des trois, c’est l’Amour ». Et celui qui n’a pas l’Amour « n’est qu’une c
209 ’Amour ». Et celui qui n’a pas l’Amour « n’est qu’ une cymbale qui retentit ». 2. Parce qu’il est religion de l’Amour, le ch
210 t, vraie vocation et vrai individu, c’est-à-dire, une personne distincte, mais reliée en même temps par ce qui la distingue
211 c le Christ en Dieu », mais elle se manifeste par des actes, dans l’amour du prochain comme de soi-même. 3. Cette religion
212 ur divin, s’est développée très tardivement, dans des formes et selon des voies presque toujours suspectes aux yeux de l’or
213 loppée très tardivement, dans des formes et selon des voies presque toujours suspectes aux yeux de l’orthodoxie. Notre éthi
214 sexuelle parce que contraire à la fécondation) et des gros livres de casuistiques des xvie et xviie siècles, la plupart d
215 a fécondation) et des gros livres de casuistiques des xvie et xviie siècles, la plupart des écrits par des moines et à l’
216 vie et xviie siècles, la plupart des écrits par des moines et à l’usage des confesseurs, on ne voit pas un seul équivalen
217 la plupart des écrits par des moines et à l’usage des confesseurs, on ne voit pas un seul équivalent chrétien — existant ou
218 ines et à l’usage des confesseurs, on ne voit pas un seul équivalent chrétien — existant ou imaginable — du « Kamasutra »,
219 tien — existant ou imaginable — du « Kamasutra », des « tantras », de tant d’autres traités d’érotisme dans les Vedas et le
220 shads, reliant le sexuel au divin ; encore moins, des célèbres sculptures aux façades des grands temples hindous, illustran
221 encore moins, des célèbres sculptures aux façades des grands temples hindous, illustrant de la manière la plus précise les
222 lustrant de la manière la plus précise les unions des dieux et de leurs femmes, à des fins didactiques et religieuses. Poin
223 récise les unions des dieux et de leurs femmes, à des fins didactiques et religieuses. Point de méthodes secrètes ni de mag
224 s et de conseils d’hygiène vagues ou aberrants. D’ un côté, le rite et les sévices physiques, qui règlent tout ; de l’autre
225 es, voire hérétiques) pour cultiver et ordonner à des buts spirituels, l’érotisme même dans les limites du mariage. C’est q
226 l’Éros divinise sans la grâce et peut conduire à des révélations. « La chair ne sert de rien » (quant au salut) déclare sa
227 développé dès la première génération apostolique une doctrine du mariage tout à fait spécifique, et que la Gnose ignore, s
228 ificativement. Elle se fonde sur quelques versets des épîtres et des évangiles qui dans l’ensemble définissent une éthique
229 Elle se fonde sur quelques versets des épîtres et des évangiles qui dans l’ensemble définissent une éthique cohérente de ty
230 et des évangiles qui dans l’ensemble définissent une éthique cohérente de type personnaliste, et non plus sociale ou sacré
231 e se contredisent chez saint Paul. Tantôt il pose une sorte d’analogie mystique entre l’amour des sexes dans le mariage et
232 pose une sorte d’analogie mystique entre l’amour des sexes dans le mariage et l’amour de Jésus pour l’ensemble des âmes cr
233 ns le mariage et l’amour de Jésus pour l’ensemble des âmes croyantes : « Maris, aimez vos femmes comme Christ a aimé l’Égli
234 et plus souvent, il réduit le mariage à n’être qu’ une concession à la nature, une discipline contre l’incontinence : « Je p
235 e mariage à n’être qu’une concession à la nature, une discipline contre l’incontinence : « Je pense qu’il est bon pour l’ho
236 Je dis cela par condescendance, je n’en fais pas un ordre. Car il vaut mieux se marier que de brûler. » Il n’en reste pas
237 Celui qui n’est pas marié s’inquiète du Seigneur, des moyens de plaire au Seigneur, et celui qui est marié s’inquiète des c
238 re au Seigneur, et celui qui est marié s’inquiète des choses du monde, des moyens de plaire à sa femme. » 4. Ainsi donc, ex
239 lui qui est marié s’inquiète des choses du monde, des moyens de plaire à sa femme. » 4. Ainsi donc, exalté d’une part comme
240 uelle », l’amour humain devait fatalement devenir une source intarissable de problèmes, tant pour la société que pour l’ind
241 , l’amour sexuel, sentimental ou spirituel (amour des corps, des âmes ou des esprits selon la tripartition traditionnelle e
242 exuel, sentimental ou spirituel (amour des corps, des âmes ou des esprits selon la tripartition traditionnelle et non moins
243 mental ou spirituel (amour des corps, des âmes ou des esprits selon la tripartition traditionnelle et non moins paulinienne
244 devait développer toutes ses complexités que dans une Europe travaillée par la doctrine et la morale chrétiennes, séculaire
245 ns cesse mieux codifiées par les casuistes), dans une Europe formée par l’Église ou contre elle, et longtemps confondue ave
246 préter ce phénomène — dans son évolution au cours des siècles et dans sa situation contemporaine — qu’à la lumière de ses o
247 s’unissent pour déplorer l’invasion de nos vies d’ une sexualité « obsédante » : les affiches dans les rues, les bureaux, le
248 es rues, les bureaux, les métros, et tout au long des autostrades, les magazines illustrés et les films, les romans noirs e
249 les strip-teases : il suffit de regarder le décor des journées et des nuits citadines pour vérifier l’omniprésence de l’app
250  : il suffit de regarder le décor des journées et des nuits citadines pour vérifier l’omniprésence de l’appel au désir sexu
251 tiers du xxe siècle, et même si on lui trouvait des parallèles en d’autres temps, ses moyens d’expression, eux, sont sans
252 croissement quantitatif et plus encore qualitatif des temps de loisir, accroît aussi comme l’avait dit Baudelaire avec plus
253 ision que le proverbe antique sur l’oisiveté mère des vices — les chances pratiques de l’érotisme. Déplorer le phénomène es
254 « l’éternelle luxure » sans horizon que la pensée des spirituels se trouve aux prises et peut entrer en polémique intime. C
255 ; enfin, ce sont certaines notions de l’homme, qu’ une élite inconnue de la foule élabore à l’abri de toute sanction sociale
256 rappelé, et qui n’est guère en soi que l’écume d’ une vague profonde surgie de l’âme collective. Derrière les apparences de
257 naguère pornographie, il y a tout autre chose qu’ une réaction contre la période victorienne, qu’après tout la jeunesse act
258 t dont elle n’a guère pu souffrir. Il est vrai qu’ une révolution n’éclate jamais qu’après la mort des vrais tyrans, contre
259 u’une révolution n’éclate jamais qu’après la mort des vrais tyrans, contre leurs héritiers débiles et qui assurent que ce n
260 ait parler. Brochant sur la mauvaise conscience d’ une bourgeoise qui n’avait plus le courage de ses partis pris, la vulgari
261 ar Freud nous ont rendus méfiants quant à l’usage des disciplines éducatives élémentaires. Ce n’est plus la licence qui est
262 ne » ? Bien sûr que non. L’instinct ne dépend pas des modes ni la nature de la culture — du moins pas si directement. Ce qu
263 e libéré c’est l’expression, la manière de parler des choses de l’amour, de spéculer à leur propos ou de les montrer sur l’
264 ection devant nous qui soudain, nous provoquent à une prise de conscience trop longtemps différée. C’est l’amour qui est re
265 d. Cette espèce-là de révolution psychique n’a qu’ un précédent dans l’histoire de la culture occidentale : il se situe de
266 e à l’obscure animalité. Le mariage ne posait que des problèmes d’héritages et de consanguinités souvent invraisemblables,
267 nsanguinités souvent invraisemblables, justifiant des divorces causés par l’intérêt mais jamais par le sentiment. Et, subit
268 ivées et le cynisme libertin naissant, le célibat des prêtres et les « Lois d’Amour », bref, le lyrisme, l’érotisme et la m
269 stique déchaînés sur l’Europe entière, et parlant une même langue nouvelle, rénovant d’un seul coup pour des siècles la mus
270 ême langue nouvelle, rénovant d’un seul coup pour des siècles la musique et la poésie, le roman, la piété et les mœurs. Tou
271 ise en ordre morale et spirituelle devait prendre des siècles, et n’est pas terminé. Car la révolution que nous sommes en t
272 is surtout la déborde largement. Elle éclate dans une société beaucoup moins cloisonnée et protégée, et où toute pulsation
273 ution et ceux qui en subissent les effets. Prenez un Européen cultivé — homme ou femme — formé par la morale bourgeoise, d
274 œuvres apparues depuis cinquante ans de Freud et des écoles qui en dérivent, de Proust et de Joyce, de D. H. Lawrence et d
275 wrence Durrel, pour ne citer que très peu de noms des plus connus ; sans oublier la fameuse Histoire d’O, les essais de Geo
276 omans policiers de l’école « noire » et les films des metteurs en scène suédois, français et italiens, pour le grand public
277 distinguerait-il, dans tout cela, autre chose qu’ une immense dépravation, qu’un manque de tenue mais aussi de légèreté, de
278 cela, autre chose qu’une immense dépravation, qu’ un manque de tenue mais aussi de légèreté, de vraie tendresse mais de « 
279 -on y voir ce « soulèvement de l’âme », ce retour des pouvoirs animiques — étouffés depuis des siècles entre l’esprit et la
280 e retour des pouvoirs animiques — étouffés depuis des siècles entre l’esprit et la matière, le physique et le spirituel — d
281 st aussi ce qui le tente. Devant « l’indiscipline des mœurs » et la « pornographie » qui en serait la cause, il se sent ind
282 dispositions se trouvent être les mêmes que celle des acteurs érotiques, quoique ces derniers aient les motifs inverses d’ê
283 n leur mépris, et chacun refuse de tolérer fût-ce un instant, par simple hypothèse de dialogue, les bonnes raisons que peu
284 emporaine méprise les puritains et les tient pour des fous à la fois ridicules et dangereux. Mais je n’oublie pas que sans
285 n de plus dans notre civilisation que dans celles des nations qu’on dit sous-développées, et sans doute moins : il n’y aura
286 e, notre culture vaudrait-elle mieux que celle qu’ un Staline et qu’un Mao ont tenté d’imposer par décrets ? Elle serait st
287 vaudrait-elle mieux que celle qu’un Staline et qu’ un Mao ont tenté d’imposer par décrets ? Elle serait strictement adaptée
288 sychologie. Une fois reconnues, elles nous posent des problèmes qu’on ne résoudra plus en les niant. Les découvertes de l’a
289 a plus en les niant. Les découvertes de l’analyse des profondeurs, l’affaiblissement des tabous sexuels, l’accroissement du
290 s de l’analyse des profondeurs, l’affaiblissement des tabous sexuels, l’accroissement du confort et des loisirs, le birth c
291 des tabous sexuels, l’accroissement du confort et des loisirs, le birth control, les mass médias, tout agit dans le même se
292 vois bien qu’en remettant en question l’ensemble des rapports personnels et sociaux, éthiques et spirituels qui constituen
293 tituent l’amour, la littérature érotique réagit à des phénomènes qu’elle n’a pas provoqués, qui la dépassent, mais dont ell
294 vois bien que du désordre inévitable résultant d’ une évolution aussi rapide, on ne pourra sortir qu’en avant, et non point
295 on ne pourra sortir qu’en avant, et non point par des retours aux disciplines d’antan. Il s’agit d’expliciter des motifs re
296 s aux disciplines d’antan. Il s’agit d’expliciter des motifs religieux généralement refoulés ou tout simplement ignorés. Mé
297 , entre la biologie et la morale sociale, au-delà des nécessités de l’espèce, mais en deçà du bien et du mal. Apprendre à l
298 n et du mal. Apprendre à lire en filigrane le jeu des mythes, dans les troubles complexités et les intrigues apparemment in
299 t insanes de l’érotique contemporaine. Je propose une mythanalyse, qui puisse être appliquée non seulement aux personnes, m
300 à certaines formules de vie ; l’objet immédiat d’ une telle méthode étant d’élucider les motifs de nos choix et leurs impli
301 leur logique nous conduit, peut-être serons-nous un peu mieux en mesure de courir notre risque personnel, d’assumer notre
302 et d’aller vers nous-mêmes. Peut-être serons-nous un peu plus libres. f. Rougemont Denis de, « L’Amour en cause », Arts
303 eurs, à traiter aussi complètement que possible d’ un sujet sous ses divers aspects. Denis de Rougemont, auteur de L’Amour
304 de Rougemont se propose de publier prochainement un ouvrage : Comme toi-même (Albin Michel) qui présentera une interpré
305  : Comme toi-même (Albin Michel) qui présentera une interprétation de l’amour moderne à la lumière des mythes majeurs de
306 ierkegaard, Nietzsche et Gide et dans la création des personnages imaginaires des plus grands romans contemporains. »
307 e et dans la création des personnages imaginaires des plus grands romans contemporains. »
5 1961, Arts, articles (1952-1965). Les quatre amours (9 mai 1961)
308 matière du cosmos, rassemblée, puisse tenir dans un dé ; que sur cette petite Terre suspendue dans le vide, nous marchion
309 calculé soit le Vide — mais que, scintillements d’ une seconde dans l’histoire de ce grain, notre Terre, des civilisations p
310 seconde dans l’histoire de ce grain, notre Terre, des civilisations passées nous apparaissent grandes et majestueuses, bien
311 randes et majestueuses, bien plus, qu’au détour d’ un sentier suivi dans la forêt d’avril nous attende une révélation du bo
312 sentier suivi dans la forêt d’avril nous attende une révélation du bonheur pur : qu’il ait suffi de l’inflexion d’une voix
313 du bonheur pur : qu’il ait suffi de l’inflexion d’ une voix pour que cette rencontre, demain, soit soudain le point de la vi
314 s où nous sommes convaincus que « tout » dépend d’ une décision à prendre ; qu’un monde coloré, déployé, dense et stable s’é
315 que « tout » dépend d’une décision à prendre ; qu’ un monde coloré, déployé, dense et stable s’étende autour de nous qui al
316 cuité, ce vertige accompagne en silence la pensée des hommes d’aujourd’hui et leur action. Le miracle est qu’il y ait des f
317 rd’hui et leur action. Le miracle est qu’il y ait des formes ! Qu’il ait de la consistance, des paysages, des visages, une
318 l y ait des formes ! Qu’il ait de la consistance, des paysages, des visages, une Nature autour de nous, qui apparaît désorm
319 rmes ! Qu’il ait de la consistance, des paysages, des visages, une Nature autour de nous, qui apparaît désormais grâce et d
320 ait de la consistance, des paysages, des visages, une Nature autour de nous, qui apparaît désormais grâce et don, miraculeu
321 la vacuité ait pu donner naissance à la plénitude des corps, que la lumière soit devenue vision, l’énergie sentiment, la st
322 llon de billions d’agrégats divisibles au désir d’ un corps animé, d’une forme libérée pour un peu de temps de cette transp
323 ’agrégats divisibles au désir d’un corps animé, d’ une forme libérée pour un peu de temps de cette transparence incolore qui
324 désir qui ne s’arrêtera plus dans sa lancée vers un au-delà de plénitude, vers le Plérôme. Car cette nature qui nous para
325 ature qui nous paraît miraculeuse n’est encore qu’ un mirage reflété sur le Vide, si elle n’est pas une parabole de l’étern
326 ’un mirage reflété sur le Vide, si elle n’est pas une parabole de l’éternel. Ces formes demeurent allusives, ces corps souf
327 meurent, ces sentiments s’égarent, ce désir exige un Ailleurs où la possession soit entière. Certes, la science nous donn
328 . Certes, la science nous donne, dès maintenant, des « ailleurs » dont les siècles derniers croyaient avoir banni jusqu’à
329 de nos joies, l’au-delà qui transforme et non pas un reflet ! Un poète mineur et parfait de ce temps l’a découvert un jour
330 , l’au-delà qui transforme et non pas un reflet ! Un poète mineur et parfait de ce temps l’a découvert un jour non sans st
331 poète mineur et parfait de ce temps l’a découvert un jour non sans stupeur : « Il y a un autre monde, mais il est dans cel
332 l’a découvert un jour non sans stupeur : « Il y a un autre monde, mais il est dans celui-là. » Qu’entendait-il ? Qu’avait-
333 uel autre monde ? Et pourquoi n’y en aurait-il qu’ un  ? Il y a le monde du Vide, l’autre monde de la science ; il est là, p
334 ole le représenterons-nous ? « Il est semblable à un grain de sénevé, la plus petite de toutes les semences qui sont sur l
335 il n’est pas loin d’ici ou d’à présent, du monde des formes, qui est la Nature, la Parabole — mais ici, maintenant, et en
336 aintenant, et en toi-même. Le Royaume du ciel est un point, le point d’éternité posé dans toi, la semeuse du Plérôme à ven
337 que le vide s’anime et se différencie, qu’il y a des forces qui s’attirent et se repoussent, donc se composent, qu’il y a
338 our seul explique tout, et l’être-en-soi n’est qu’ un mot désignant l’inconcevable : ce qui serait sans l’amour, « ce qui e
339 l’ordre physique ou animique. Et cela seul donne un sens à tout : au vide cosmique où danse tel brouillard d’électrons em
340 rons empruntés à droite et à gauche et qui tout d’ un coup peut dire moi, peut dire toi quand il voit le moi dans l’autre,
341 l clair entre les branches, aubépines, profondeur des bois, ici, nulle part, et pourquoi l’ai-je aimé ? Pourquoi pas rien ?
342 pas rien ? Parce que ce coin de sentier m’a fait un signe et fut un signe à cet instant pour moi, existant dans ma re-con
343 e que ce coin de sentier m’a fait un signe et fut un signe à cet instant pour moi, existant dans ma re-connaissance, et qu
344 rouver quelques-unes mieux comprises, au retour d’ un Orient de l’esprit. J’ai douté de la plupart des vérités successiveme
345 sse de douter de notre image du monde, du vide et des distances inconcevables calculées à partir de nos formes. (Je pressen
346 r, je veux dire : de chercher jusqu’au bout ce qu’ un jour nous pourrons aimer de tout notre être enfin réalisé dans le Tou
347 nt de réflexion et de résonance dans la créature, un moi nouveau qui transcende l’ancien parce qu’il le totalise et l’ordo
348 if animique n’apparaît pas sans que l’ait éveillé un regard de l’intuition. Les très jeunes gens l’ignorent encore ; la pl
349 plupart des adultes ont cessé de le sentir ; mais un homme qui se connaît bien et les femmes surtout savent cela : une cer
350 connaît bien et les femmes surtout savent cela : une certaine perception instantanée du secret singulier de l’autre — et s
351 t à l’imaginaire et qu’en tant qu’il ne serait qu’ un instinct animal, il n’aurait rien à voir avec l’amour. Les animaux ne
352 similer l’amour au sexe, mais elles proviennent d’ une contamination en sens inverse : si la sexualité peut signifier l’amou
353 mme, autre chose que l’instinct, elle s’ordonne à des fins nouvelles qui ne sont plus celles de l’espèce mais de la personn
354 difiée, longuement invétérée) qui forme le climat des milieux bien-pensants dans le peuple et la bourgeoisie, catholiques,
355 sexe pour mauvais en principe. Comme elle sent qu’ une telle attitude est plus hérétique que chrétienne, ou plus religieuse
356 mais trahit constamment son intime conviction par des jugements et des indignations qui ressemblent à s’y méprendre à des r
357 amment son intime conviction par des jugements et des indignations qui ressemblent à s’y méprendre à des réflexes condition
358 es indignations qui ressemblent à s’y méprendre à des réflexes conditionnels. Voici un test : à la lecture des phrases suiv
359 s’y méprendre à des réflexes conditionnels. Voici un test : à la lecture des phrases suivantes comment allez-vous réagir ?
360 lexes conditionnels. Voici un test : à la lecture des phrases suivantes comment allez-vous réagir ? Celui qui voit, qui co
361 teinte que par la pensée, mais à travers le monde des sensations, lorsque au-delà des corps à notre échelle, au-delà du dom
362 travers le monde des sensations, lorsque au-delà des corps à notre échelle, au-delà du domaine de l’individuation, au-delà
363 st beau que l’aventure de l’intellect, descendant des clartés instantanées de l’esprit intuitif au clair-obscur de l’âme, à
364 solu de l’espace électronique, débouche enfin sur des lueurs nouvelles qui sont peut-être celles qu’entrevoyaient les sages
365 déjà mon désir et ma volonté étaient mus — comme une roue tournant d’une manière uniforme — par l’Amour qui meut aussi le
366 a volonté étaient mus — comme une roue tournant d’ une manière uniforme — par l’Amour qui meut aussi le soleil et les autres
367 qui se révèle ici transcende la recherche moderne des secrets d’un champ unifié. Elle implique l’équation plus générale enc
368 ici transcende la recherche moderne des secrets d’ un champ unifié. Elle implique l’équation plus générale encore qui embra
369 tuition d’Einstein, conçoit déjà la possibilité d’ une explication unitaire des phénomènes énergétiques et magnétiques, mais
370 it déjà la possibilité d’une explication unitaire des phénomènes énergétiques et magnétiques, mais elle met que l’affectif
371 l’affectif demeure pour elle le plus impénétrable des mystères. Il est capital qu’elle l’admette. Ce qui était écarté depui
372 tal qu’elle l’admette. Ce qui était écarté depuis des siècles, renvoyé au chapitre des magies puériles, redevient l’objet f
373 it écarté depuis des siècles, renvoyé au chapitre des magies puériles, redevient l’objet fascinant des spéculations créatri
374 des magies puériles, redevient l’objet fascinant des spéculations créatrices. Déjà, les grandes « écoles » de mathématicie
375 pour les joueurs, et pour les sérieux ce n’est qu’ un jeu. Pourtant, si l’on regarde un moment, mais sans jouer, les « coul
376 eux ce n’est qu’un jeu. Pourtant, si l’on regarde un moment, mais sans jouer, les « couleurs » du jeu de cartes ordinaire,
377 emonte aux tarots, on verra qu’il ne s’agit pas d’ un hasard ou d’une fantaisie, comme l’ont montré les belles études de l’
378 ts, on verra qu’il ne s’agit pas d’un hasard ou d’ une fantaisie, comme l’ont montré les belles études de l’indianiste Heinr
379 , intuition, sentiments, bien que placés ici dans une succession différente, traduisant la logique particulière et l’ontoge
380 ilater, être vulnérable ou blessé, transpercé par une pique (« Une épée te transpercera l’âme », dit Siméon à Marie). Corre
381 vulnérable ou blessé, transpercé par une pique («  Une épée te transpercera l’âme », dit Siméon à Marie). Correspond à l’Âme
382 viations typiques : Masochisme. (Seul celui qui a une âme, et le sait, a lieu d’être masochiste et de s’en réjouir). Goût d
383 re 1. Elle suggère : pénétrer, traverser, voler d’ un trait, blesser, tuer, féconder. Correspond à l’Esprit et à l’intuitio
384 ime, vers soi : suicide. Conception de l’amour : un roi de pique dira que « l’Amour n’est pas un sentiment, mais la situa
385 ur : un roi de pique dira que « l’Amour n’est pas un sentiment, mais la situation totale de celui qui aime, orienté vers l
386 gles aiguisés, rappelant que ce carré fut d’abord un carreau d’arbalète, une flèche à quatre pans), contredire et mettre e
387 t que ce carré fut d’abord un carreau d’arbalète, une flèche à quatre pans), contredire et mettre en parallèle, opposer pou
388 note : « Qu’est-ce que “le Royaume du ciel” pour un Occidental ? Qu’est-ce que la Communion pour un homme moderne ? Comme
389 r un Occidental ? Qu’est-ce que la Communion pour un homme moderne ? Comment l’intelligence nourrie de science peut-elle r
390 r “les Religions au xxe siècle”, nous présentons une remarquable étude de Denis de Rougemont sur les valeurs de l’amour, f
391 a prochainement sous le titre de Comme toi-même un important ouvrage aux Éditions Albin Michel.
6 1962, Arts, articles (1952-1965). Sartre contre l’Europe (17 janvier 1962)
392 éation de Jean Monnet, pensent-ils en simplifiant un peu. Or le Marché commun fonctionne, puisque la Grande-Bretagne, aprè
393 rope comme il l’a vue d’avance : première étape d’ une organisation mondiale dont elle serait à la fois le centre d’animatio
394 pe et sur les relations nouvelles à établir entre une Europe unie et le tiers-monde. Pleins d’idées et de chiffres, d’un op
395 le tiers-monde. Pleins d’idées et de chiffres, d’ un optimisme sobre, d’un réalisme constructif. Les taux d’accroissement
396 s d’idées et de chiffres, d’un optimisme sobre, d’ un réalisme constructif. Les taux d’accroissement de la production et de
397 a disparu, en dépit des progrès de l’automation. Une confiance nouvelle, née des promesses du Marché commun et de ses prem
398 grès de l’automation. Une confiance nouvelle, née des promesses du Marché commun et de ses premiers succès, permet de multi
399 es ententes industrielles, sans plus tenir compte des frontières. L’OCDE annonce une expansion globale de 50 % pour l’ensem
400 plus tenir compte des frontières. L’OCDE annonce une expansion globale de 50 % pour l’ensemble atlantique d’ici dix ans… L
401 ix ans… L’Amérique avait donc raison ? Mais voici un ouvrage, un seul, qui contredit brutalement tout le reste. Il proclam
402 érique avait donc raison ? Mais voici un ouvrage, un seul, qui contredit brutalement tout le reste. Il proclame que l’Euro
403 haînés, humiliés, malades de peur ». Ce n’est pas un expert, esclave des faits, qui nous dit cela, mais un éloquent morali
404 alades de peur ». Ce n’est pas un expert, esclave des faits, qui nous dit cela, mais un éloquent moraliste, Jean-Paul Sartr
405 xpert, esclave des faits, qui nous dit cela, mais un éloquent moraliste, Jean-Paul Sartre ; et sa fureur ne jaillit pas d’
406 Jean-Paul Sartre ; et sa fureur ne jaillit pas d’ un quelconque examen des évidences, mais de la lecture d’un pamphlet qui
407 t sa fureur ne jaillit pas d’un quelconque examen des évidences, mais de la lecture d’un pamphlet qui l’a mis dans tous ses
408 conque examen des évidences, mais de la lecture d’ un pamphlet qui l’a mis dans tous ses états. Il le préface et il exhorte
409 se cette dialectique humanitaire qui nous offre «  un moyen de guérir l’Europe » en nous faisant tous passer dans le camp d
410 ls n’auront plus personne sur qui tirer. D’où fin des guerres. Ce nouveau plan de paix perpétuelle est fait pour éblouir pa
411 exige grands cris son lavage de cerveau. « Voici des siècles qu’au nom d’une prétendue aventure spirituelle l’Europe étouf
412 avage de cerveau. « Voici des siècles qu’au nom d’ une prétendue aventure spirituelle l’Europe étouffe la quasi-totalité de
413 ère plus neuf que la propagande communiste depuis une quarantaine d’années, mais c’est le contenu de la phrase : tout y est
414 ux. La colonisation par les Blancs n’a pas duré «  des siècles » en Afrique, mais environ, et en moyenne, quatre-vingts ans
415 nt. Cette colonisation n’a pas été faite au nom d’ une « prétendue aventure spirituelle » — nullement « prétendue » d’ailleu
416 mière et la plus importante étant tout simplement un état de fait que l’Europe n’avait pas créé, et qui, loin de résulter
417 at d’arriération économique, sociale et politique des régions qui devinrent pour un temps colonies, et qui prennent sous no
418 ciale et politique des régions qui devinrent pour un temps colonies, et qui prennent sous nos yeux leur essor, après des s
419 , et qui prennent sous nos yeux leur essor, après des siècles d’immobilité ou de continuelle décadence. Qu’est-ce que l’Eur
420 ésenter « la quasi-totalité de l’humanité », mais un tiers au plus, durant la période considérée.) La culture de l’Inde ?
421 conseillera de l’apprendre. Voyons celle de l’une des nations récemment libérées de « l’exploitation » européenne : le Daho
422 s massacrent tout ce qui s’y trouve et instituent une nouvelle charge dans l’État, celle du Yévogan (« celui qui s’occupe d
423 ns l’État, celle du Yévogan (« celui qui s’occupe des Blancs »), titre que l’on a traduit, « avec toute l’emphase diplomati
424 ngères ». (Il faut lire tout cela dans l’Histoire des peuples de l’Afrique noire que publie Robert Corvenin.) Les successeu
425 ccesseurs d’Agadja s’enrichissent par le commerce des esclaves, dont ils se fournissent chez le voisin, payent un tribut au
426 s, dont ils se fournissent chez le voisin, payent un tribut aux Yorubas, se rattrapent en imposant les Houédas et en batta
427 uel le pays est soumis. Le roi, qui est l’objet d’ une espèce d’adoration, se signale par d’horribles sacrifices humains. Il
428 signale par d’horribles sacrifices humains. Il a une armée de femmes. Le Dahomey n’a pas 1 million d’habitants, dont 20 00
429 s, dont 20 000 à peine sont libres. La France y a un établissement sur la côte ». La colonisation de cet heureux pays date
430 e 1892. Elle se termine en 1960 par la création d’ une république souveraine et démocratique de plus de 2 millions d’habitan
431 t la violence, et elle seule, qui a libéré l’Inde des Anglais, conformément à leur thèse préférée qui, autrement, ne vaut p
432 ef espace de deux générations. Il leur a présenté des possibilités de développement telles qu’ils ont découvert qu’ils étou
433 refaire leur bilan, cédant à la triple pression d’ une opinion mondiale formée par leurs principes, d’une classe nouvelle éd
434 ne opinion mondiale formée par leurs principes, d’ une classe nouvelle éduquée par leurs soins dans les pays colonisés, et d
435 s colonisés, et de leurs intérêts mieux compris — un peu poussées aussi par les États-Unis, qui les sauvent alors de la fa
436 c (le paysan serait-il la création de sa terre et des richesses qu’elle contient ?). Sartre renchérit : c’est avec cela que
437 l’Européen n’a pu se faire homme qu’en fabriquant des esclaves » (eh quoi ! n’était-il pas humain avant le xvie siècle ?)
438 mun n’a que deux ans — a résulté presque aussitôt une prospérité stupéfiante. L’Europe n’est pas « finie », n’en déplaise à
439 aut expliquer l’anachronisme. Sartre se meut dans un village intellectuel et projette sur l’« Europe » des hargnes provinc
440 village intellectuel et projette sur l’« Europe » des hargnes provinciales. Quand il écrit Europe, il ne pense que France,
441 ’Europe, publié en 1950 chez Nagel. Sartre arrive un peu tard avec sa diatribe contre un régime que plus personne ne défen
442 Sartre arrive un peu tard avec sa diatribe contre un régime que plus personne ne défend, pas même les Russes, qui le prati
443 ent encore. Sa préface ne représente, en fait, qu’ un appendice pour le moins superflu à la longue tradition des excellents
444 dice pour le moins superflu à la longue tradition des excellents esprits qui surent condamner le colonialisme à l’état nais
445 ui le firent non pas contre l’Europe, mais au nom des valeurs européennes : Voltaire, Rousseau, Herder, Fichte, Bentham. À
446 os pratiques. L’ère colonialiste a pris fin, pour des raisons qu’ils ne pouvaient prévoir. Pourquoi crier encore, sinon pou
447 tant présidé non sans grandeur à la liquidation d’ un empire colonial ? Nous avons mieux à faire qu’un mea culpa traduisant
448 ’un empire colonial ? Nous avons mieux à faire qu’ un mea culpa traduisant nos complexes personnels. Devant la crise économ
449 utopunitive ou l’alliance de nos reniements, mais un exemple réussi de dépassement de l’ère nationaliste — et donc de l’èr
450 — et donc de l’ère colonialiste — par le moyen d’ une grande fédération. Ceux qui perdront la face aux yeux de l’histoire,
7 1962, Arts, articles (1952-1965). Le miracle européen a créé le monde civilisé (6 juin 1962)
451 vilisé (6 juin 1962)k L’avenir de l’Europe est une aventure décisive pour l’humanité tout entière. L’Europe est cette pa
452 aussi la condition instrumentale et nécessaire d’ une véritable histoire universelle, celle où nous sommes bel et bien enga
453 sivement, et n’a jamais été dominée jusqu’ici par une seule puissance d’outre-mer. 3. L’Europe a produit une civilisation q
454 eule puissance d’outre-mer. 3. L’Europe a produit une civilisation que le monde entier est en train d’imiter, tandis que l’
455 signification et sa tendance générale en partant des données physiques et naturelles de notre petit continent, comme le ve
456 aturelles de notre petit continent, comme le veut une pensée héritée d’un xixe siècle scientiste et dans l’ensemble, sans
457 tit continent, comme le veut une pensée héritée d’ un xixe siècle scientiste et dans l’ensemble, sans le savoir, plus marx
458 te que scientifique. (Non que je nie l’importance des données naturelles : je les trouve simplement insuffisantes pour rend
459 il a de spécifique.) Certes, le découpage profond des côtes, propice à la navigation, le cloisonnement des terres par monta
460 côtes, propice à la navigation, le cloisonnement des terres par montagnes et fleuves favorisant la formation de communauté
461 imat tempéré, dans le centre du moins, permettant une économie d’énergies fondamentales, ce sont là des atouts, mais qui so
462 une économie d’énergies fondamentales, ce sont là des atouts, mais qui sont loin d’inscrire, dans notre sol, l’histoire mon
463 ire mondiale qui sera la nôtre. On ne peut y lire un destin. Chaque géographe en tire d’ailleurs ce qu’il lui plaît. C’est
464 au ve siècle avant J.-C. explique la supériorité des Européens sur les Asiatiques par le fait que les Asiatiques vivaient
465 ques par le fait que les Asiatiques vivaient dans un climat trop égal, tandis qu’en Europe, dit-il, « les passages rapides
466 is qu’en Europe, dit-il, « les passages rapides d’ un extrême à l’autre stimulent les esprits et les arrachent à l’insoucia
467 esprits et les arrachent à l’insouciance ». Mais un autre Grec, Strabon, écrivant sous Tibère, attribue au contraire cett
468 ère, attribue au contraire cette même supériorité des Européens au climat tempéré qui — je le cite — « semble avoir tout fa
469 passage fameux où il parle de l’Europe comme « d’ une sorte de cap du vieux continent, d’un appendice occidental de l’Asie 
470 comme « d’une sorte de cap du vieux continent, d’ un appendice occidental de l’Asie », mais n’en serait pas moins « la par
471 rs terrestre, la perle de la sphère, le cerveau d’ un vaste corps ». Voici le passage : En sortant des mains de la nature,
472 ’un vaste corps ». Voici le passage : En sortant des mains de la nature, notre partie du monde n’avait reçu aucun titre à
473 rte de cités magnifiques, s’est enrichie du butin des deux mondes ; cette étroite presqu’île, qui ne figure sur le globe qu
474 presqu’île, qui ne figure sur le globe que comme un appendice de l’Asie, devenue la métropole du genre humain. Voilà don
475 er demander le secret de l’expansion européenne ? Un coup d’œil sur la carte des densités de peuplement de la terre nous f
476 expansion européenne ? Un coup d’œil sur la carte des densités de peuplement de la terre nous fait voir que l’humanité s’es
477 solide). Mais l’Europe de la Renaissance, celle des grandes découvertes précisément et de l’expansion vers le monde, étai
478 emières, n’offre guère aux yeux de l’historien qu’ une décadence millénaire, dans le temps même où l’Europe faisait le tour
479 physiques et naturelles ne pouvant rendre compte des destins de l’Europe, faudra-t-il leur chercher des causes spirituelle
480 es destins de l’Europe, faudra-t-il leur chercher des causes spirituelles ? L’Europe serait-elle, par exemple, une création
481 spirituelles ? L’Europe serait-elle, par exemple, une création du christianisme, comme le soutient une très nombreuse école
482 une création du christianisme, comme le soutient une très nombreuse école d’excellents historiens catholiques contemporain
483 Hérodote, Platon et Aristote nous parlent déjà d’ une Europe et la contrastent même avec l’Asie, mais cette Europe ne conna
484 encore le christianisme. L’expansion missionnaire des chrétiens, durant le premier millénaire de notre ère, obéit à l’ordre
485 Amérique du Nord, peut-être même jusqu’au Yucatan des Mayas et jusqu’au Pérou des Incas. Mais c’est une expansion chrétienn
486 même jusqu’au Yucatan des Mayas et jusqu’au Pérou des Incas. Mais c’est une expansion chrétienne et non spécifiquement euro
487 des Mayas et jusqu’au Pérou des Incas. Mais c’est une expansion chrétienne et non spécifiquement européenne. En revanche l’
488 éfinir l’Europe, puisque ce serait la définir par une vérité éternelle, qu’elle n’a pas mérité d’incarner, sur laquelle ell
489 du Proche-Orient et non d’elle-même ? Existait-il une prédisposition européenne au christianisme ? Ceci nous laisse en plei
490 les autres explications du phénomène européen par des données physiques et matérielles nous laissent en pleine ambiguïté :
491 les faits. Ce n’est pas le déroulement logique d’ une série de causes naturelles produisant des effets où elles s’épuisent 
492 gique d’une série de causes naturelles produisant des effets où elles s’épuisent : ce n’est pas le déroulement d’un plan, d
493 elles s’épuisent : ce n’est pas le déroulement d’ un plan, dont nul ne voit qui l’aurait calculé et imposé. Et ce n’est pa
494 quelque idée platonicienne, ni la démonstration d’ un esprit hégélien marchant au pas rythmé de la dialectique — thèse, ant
495 pas rythmé de la dialectique — thèse, antithèse, une , deux, une, deux. C’est au contraire une aventure indéfinie, mais qui
496 de la dialectique — thèse, antithèse, une, deux, une , deux. C’est au contraire une aventure indéfinie, mais qui traduit un
497 tithèse, une, deux, une, deux. C’est au contraire une aventure indéfinie, mais qui traduit une certaine attitude constante
498 ontraire une aventure indéfinie, mais qui traduit une certaine attitude constante devant la vie. L’explication d’un phénomè
499 attitude constante devant la vie. L’explication d’ un phénomène par ses causes a dominé notre xixe siècle, mais c’était au
500 , qu’on voyait mal. Le xxe siècle a découvert qu’ un phénomène, individuel ou collectif, ne pouvait être bien saisi que da
501 lle de l’Enlèvement d’Europe par Zeus. C’est dans un bond vers l’ouest, la mer et l’aventure que l’Europe légendaire prend
502 aire prend son départ. Le mythe de l’enlèvement d’ une princesse de Tyr par le grand dieu des Grecs, transformé en taureau,
503 lèvement d’une princesse de Tyr par le grand dieu des Grecs, transformé en taureau, traduit l’Histoire : notre Europe est e
504 che-Orient. Après la disparition presque totale «  des premiers habitants du bois et du rocher » (comme dit Vigny) dont ne n
505 ’Altamira, l’Europe a été lentement repeuplée par des colons venus d’une part de l’Asie Mineure le long du Vardar et du Dan
506 n Crète d’abord — où la princesse Europe engendra une dynastie, les Minoens — puis, par la mer Égée en Grèce, et de là, sur
507 quête de leur sœur enlevée. Chacun fit voile dans une direction différente. Et l’un fonda Carthage, tandis que d’autres déc
508 la trouveras pas, répondit la Pythie. Suis plutôt une vache et pousse-la devant toi sans lui laisser de répit : là où elle
509 de répit : là où elle tombera d’épuisement, bâtis une ville ! » Ainsi Cadmus fonda Thèbes. Fable ambiguë, comme toutes les
510 t l’Europe », si l’on entend seulement la ramener un beau jour toute faite et donnée par l’histoire : car c’est sa quête e
511 resse sans songer comme ses frères à le couvrir d’ un manteau ; à Sem, l’Asie et la vie spirituelle ; à Japhet, l’Europe et
512 à Japhet, l’Europe et les armes, et la promesse d’ une expansion indéfinie : dilatatio, latitudo, selon la Vulgate et les Pè
513 ette expansion planétaire. Vues dans le raccourci des siècles, elles évoquent les mouvements de systole et de diastole d’un
514 oquent les mouvements de systole et de diastole d’ un cœur humain, quoique fort inégales de durée. Premier mouvement : conc
515 gales de durée. Premier mouvement : concentration des valeurs religieuses et culturelles du Proche-Orient dans la péninsule
516 ités grecques, il substitue le culte de l’État et des grandes institutions centralisées, et il étend leur autorité sur tout
517 t. Dans le cadre de cet empire se trouvent inclus des Celtes, des Germains et des Slaves, des « barbares » toujours plus no
518 adre de cet empire se trouvent inclus des Celtes, des Germains et des Slaves, des « barbares » toujours plus nombreux, et d
519 re se trouvent inclus des Celtes, des Germains et des Slaves, des « barbares » toujours plus nombreux, et de traditions trè
520 nt inclus des Celtes, des Germains et des Slaves, des « barbares » toujours plus nombreux, et de traditions très opposées à
521 e cadre de l’empire que se répand très rapidement une religion qui, elle aussi, vient du Proche-Orient par la Méditerranée 
522 are aux cultures de l’Asie — est justement d’être un mélange dynamique d’éléments de provenances diverses et de tendances
523 ette fermentation se poursuit en vase clos : dans une espèce de creuset d’alchimiste, où s’opèrent les transmutations les p
524 ériales héritées de Rome, les rêveries enfiévrées des savants cosmographes, la vocation missionnaire des croyants ? Les voi
525 es savants cosmographes, la vocation missionnaire des croyants ? Les voies terrestres sont barrées. Restent les voies de l’
526 sur les petites caravelles de Colomb. La période des grandes découvertes fut une sorte d’explosion du composé Europe, macé
527 de Colomb. La période des grandes découvertes fut une sorte d’explosion du composé Europe, macéré depuis près de mille ans
528 ultime croisade et délivrer Jérusalem. C’est tout un arrière-plan de foi religieuse, de chances et de malchances géographi
529 lait revêtir les titres prestigieux de « vice-roi des Îles qui ont été découvertes dans les Indes » et de « Grand amiral de
530 it que Jason eût été en Colchide à la poursuite d’ une chimère dorée, que le continent de l’Ouest fût lié plus qu’un autre a
531 orée, que le continent de l’Ouest fût lié plus qu’ un autre aux mers, que son sol fût pauvre en métaux, que l’islam occupât
532 nt besoin d’or non pour eux-mêmes mais pour payer une dernière croisade utopique. Derrière l’audace inouïe de Colomb, nous
533 ude hébraïque, la science allemande, l’exaltation des Ibériques. Tous ces motifs mêlés eurent pour effet la découverte par
534 mêlés eurent pour effet la découverte par erreur des Amériques, et ce fut le début de l’expansion séculaire, économique, p
535 séculaire, économique, politique et religieuse, d’ un petit cap de l’Asie rongé de mers et de Turcs, qui occupe moins de 5 
536 ongé de mers et de Turcs, qui occupe moins de 5 % des terres du globe et qui allait conquérir, tour à tour, toutes les autr
537 e de l’Europe se déroule, à partir de Colomb, sur un rythme assez comparable à celui d’une fusée porteuse de satellite : d
538 Colomb, sur un rythme assez comparable à celui d’ une fusée porteuse de satellite : départ très lent, accélération croissan
539 ers le sol. Mais ce retour du satellite n’est pas un échec ! D’innombrables connaissances ont été récoltées en route, elle
540 e peuplement de l’Amérique du Nord, la découverte des côtes africaines, la soumission du Proche-Orient puis des Indes au xv
541 s africaines, la soumission du Proche-Orient puis des Indes au xviiie siècle, et de l’Indonésie, la colonisation de l’imme
542 enfin la colonisation de l’Afrique noire à partir des années 1880 à 1900. Au début de notre xxe siècle, on peut dire que l
543 vaient dans l’ignorance la plus complète les unes des autres. Elle avait permis à l’humanité de prendre conscience de son u
544 ’idée même de genre humain — genus humanum — sont des créations de l’Europe gréco-romaine, puis de l’Europe chrétienne, pui
545 u. Le monde s’est révolté contre elle au nom même des valeurs de liberté, de justice et d’égalité pour tous les peuples, et
546 elle ne le fut au Moyen Âge. Elle reste le cœur d’ un Occident né de ses œuvres, mais où deux grands empires lui disputent
547 rs, c’est-à-dire contre l’Occident ? Il semble qu’ un des héros de la plus ancienne poésie grecque symbolise au mieux la pa
548 c’est-à-dire contre l’Occident ? Il semble qu’un des héros de la plus ancienne poésie grecque symbolise au mieux la passio
549 personnage central de l’Odyssée. Son départ pour une sorte de croisade contre Troie, ville du Proche-Orient, afin de sauve
550 atlantiques de l’Amérique. La victoire militaire des Grecs sur les Troyens préfigure les expéditions militaires des Europé
551 les Troyens préfigure les expéditions militaires des Européens sur les quatre autres continents. Cela, c’est l’Iliade, « p
552 vagabondage, cette longue errance, qui est aussi une longue « erreur », selon le sens latin du mot. Tout se passe, au long
553 Maîtriser les éléments, mesurer ses forces contre des adversaires visibles ou invisibles, aller toujours plus loin dans l’i
554 nt avec astuce entre les Charybdes et les Scyllas des excès contraires, telle est la passion maîtresse d’Ulysse et ce sera,
555 se d’Ulysse et ce sera, identiquement, la passion des grands créateurs de la culture occidentale. L’Occidental est l’homme
556 al est l’homme qui va toujours plus loin, au-delà des conditions données par la nature, au-delà des traditions fixées par l
557 elà des conditions données par la nature, au-delà des traditions fixées par les ancêtres, au-delà de lui-même enfin, — à l’
558 endant son destin, et même ses intérêts, au nom d’ une vocation universelle. Abraham, « le père des croyants » était parti s
559 om d’une vocation universelle. Abraham, « le père des croyants » était parti sans savoir où il allait, parce que son Dieu,
560 fut là le terme de son aventure, mais le début d’ une autre histoire, dont nous sommes bien loin d’être quittes. Christophe
561 n loin d’être quittes. Christophe Colomb, le père des Découvreurs, croyait savoir où il allait, et ce qu’il cherchait : il
562 Colomb et qu’Ulysse avant lui : ils partent vers des buts proches ou lointains qu’ils rêvaient avec précision, ils se trom
563 rer le risque créateur à la méditation prudente d’ une sagesse immuable, c’est tout le génie de l’Occident, et c’est par là
8 1962, Arts, articles (1952-1965). L’Europe détient les secrets de l’avenir, mais a-t-elle la volonté de vivre ? (13 juin 1962)
564 oyons donc les faits mesurables. Parmi l’infinité des hémisphères qu’on peut tracer sur notre globe, il en existe un — et u
565 s qu’on peut tracer sur notre globe, il en existe un — et un seul ! — qui se trouve contenir à la fois le 94 % de l’humani
566 peut tracer sur notre globe, il en existe un — et un seul ! — qui se trouve contenir à la fois le 94 % de l’humanité actue
567 globe, ainsi déterminée, ne contient donc que 6 % des habitants et 2 % de la production du monde, n’étant guère occupée que
568 en Europe, exactement au sud de Nantes. Ainsi, d’ un point choisi au zénith de Nantes, assez loin de la Terre pour qu’avec
569 tes, assez loin de la Terre pour qu’avec l’aide d’ un télescope le regard embrasse tout l’hémisphère privilégié, on pourrai
570 dant aux antipodes, on ne verrait que de l’eau et des déserts, et seulement sur les bords, des traces de l’œuvre humaine. V
571 l’eau et des déserts, et seulement sur les bords, des traces de l’œuvre humaine. Voici donc un fait mesurable qui ne dépend
572 bords, des traces de l’œuvre humaine. Voici donc un fait mesurable qui ne dépend ni de notre orgueil ni de notre humilité
573 e notre orgueil ni de notre humilité d’Européens, un fait aisément vérifiable et dont les données objectives se lisent sur
574 humain, le lieu géométrique, le carrefour naturel des grandes voies de communication maritimes et surtout aériennes qui ont
575 n de vérifier son unité concrète, et d’en prendre une conscience utile, opérative. Au cœur de l’hémisphère privilégié appar
576 uropéen, constater que l’Europe actuelle, amputée des plaines russes, tiendrait près de neuf fois dans l’Asie, et six fois
577 é par les mers et le plus richement cloisonné par des plis montagneux de moyenne altitude et des fleuves aisément traversab
578 né par des plis montagneux de moyenne altitude et des fleuves aisément traversables. En proportion de sa surface, n’oublion
579 s sur la mer, fleuves aux méandres simplifiés par des canaux, tunnels routiers et ferroviaires, innombrables ponts et chaus
580 , innombrables ponts et chaussées, travail infini des campagnes. Regardez à la loupe cette photo d’une région qui peut être
581 des campagnes. Regardez à la loupe cette photo d’ une région qui peut être allemande, française, luxembourgeoise, belge ou
582 embourgeoise, belge ou suisse : vous y distinguez des villages, des petites villes et des fermes isolées, des châteaux et d
583 belge ou suisse : vous y distinguez des villages, des petites villes et des fermes isolées, des châteaux et des usines, des
584 y distinguez des villages, des petites villes et des fermes isolées, des châteaux et des usines, des routes, des voies fer
585 llages, des petites villes et des fermes isolées, des châteaux et des usines, des routes, des voies ferrées et des canaux,
586 tes villes et des fermes isolées, des châteaux et des usines, des routes, des voies ferrées et des canaux, des forêts et de
587 t des fermes isolées, des châteaux et des usines, des routes, des voies ferrées et des canaux, des forêts et des champs qua
588 isolées, des châteaux et des usines, des routes, des voies ferrées et des canaux, des forêts et des champs quadrillés — pa
589 x et des usines, des routes, des voies ferrées et des canaux, des forêts et des champs quadrillés — partout les traces de l
590 nes, des routes, des voies ferrées et des canaux, des forêts et des champs quadrillés — partout les traces de l’homme et du
591 s, des voies ferrées et des canaux, des forêts et des champs quadrillés — partout les traces de l’homme et du travail humai
592 ité paradoxale qui permettra de définir l’Europe. Une unité non point faite d’uniformité, mais au contraire de variété des
593 faite d’uniformité, mais au contraire de variété des formes, de complexité des structures. En Amérique, les villages naiss
594 au contraire de variété des formes, de complexité des structures. En Amérique, les villages naissent comme au hasard, le lo
595 en marche. Ces maisons boisées, espacées, bordant une route, on dirait les wagons couverts des pionniers arrêtés un soir, à
596 bordant une route, on dirait les wagons couverts des pionniers arrêtés un soir, à l’étape, et qui auraient décidé d’en res
597 dirait les wagons couverts des pionniers arrêtés un soir, à l’étape, et qui auraient décidé d’en rester là. En Asie, les
598 es clairières ou s’égrènent le long de la berge d’ un fleuve. L’Europe seule présente un réseau de communautés bien ancrées
599 de la berge d’un fleuve. L’Europe seule présente un réseau de communautés bien ancrées, bien nettement individuelles et p
600 nalement fédérées. Et voici que tout se résume en un coup d’œil. Car autour de la place d’un simple village d’Europe vous
601 résume en un coup d’œil. Car autour de la place d’ un simple village d’Europe vous trouvez l’église et la mairie, souvent l
602 À partir de cette place, banale et donc typique, un savant débarqué de Mars ou de Vénus pourrait reconstituer sans trop d
603 es structures essentielles de notre civilisation. Un service religieux, une séance du conseil municipal, une heure de clas
604 lles de notre civilisation. Un service religieux, une séance du conseil municipal, une heure de classe, les discussions aut
605 rvice religieux, une séance du conseil municipal, une heure de classe, les discussions autour d’une table de bistrot ou d’u
606 al, une heure de classe, les discussions autour d’ une table de bistrot ou d’un étalage de marché lui permettraient de trouv
607 es discussions autour d’une table de bistrot ou d’ un étalage de marché lui permettraient de trouver quelques-uns des secre
608 marché lui permettraient de trouver quelques-uns des secrets (pour nous trop évidents) du dynamisme européen. C’est-à-dire
609 le règne de la loi, le respect général et tacite des institutions, l’éducation publique, l’échange des opinions individuel
610 des institutions, l’éducation publique, l’échange des opinions individuelles (de préférence contradictoires et subversives)
611 ence contradictoires et subversives) et l’échange des produits du travail — toute une vitalité librement ordonnée, faite de
612 ves) et l’échange des produits du travail — toute une vitalité librement ordonnée, faite de tensions multiples, entrecroisé
613 ont guère été mises en pratique et qu’il s’agit d’ une Europe idéale, qu’on refuse de reconnaître, qui est celle des autres,
614 déale, qu’on refuse de reconnaître, qui est celle des autres, de l’autre école ou de l’autre parti — mais à partir des réal
615 l’autre école ou de l’autre parti — mais à partir des réalités visibles et tangibles, qui sont le cadre de nos vies. Europe
616 qui la pousseraient plus loin, et qu’elle suggère une méthode inédite d’un enseignement de notre vie civique, basée sur la
617 us loin, et qu’elle suggère une méthode inédite d’ un enseignement de notre vie civique, basée sur la photo et sur le film,
618 coup de comparaisons révélatrices avec la réalité des autres continents. Essayons donc de reconstruire l’Europe en partant
619 réalablement dessinées, mais bien plutôt autour d’ une citadelle, d’un Burg, défendant un lieu stratégique ; toutefois, c’es
620 inées, mais bien plutôt autour d’une citadelle, d’ un Burg, défendant un lieu stratégique ; toutefois, c’est bien la créati
621 utôt autour d’une citadelle, d’un Burg, défendant un lieu stratégique ; toutefois, c’est bien la création organique de la
622 défensif — qui a marqué et manifesté l’accession des Européens à la réalité communautaire, fondement de notre civilisation
623 tre civilisation. On sent bien que ce ne sont pas des masses informes, ni des masses militarisées — la populace ni le despo
624 t bien que ce ne sont pas des masses informes, ni des masses militarisées — la populace ni le despote — qui ont aménagé au
625 populace ni le despote — qui ont aménagé au cours des siècles ces espaces mesurés par l’usage. Les dictatures ne font que d
626 dictatures ne font que de la géométrie, alignent des façades bureaucratiques autour d’un cercle vide ou d’un quadrilatère
627 ie, alignent des façades bureaucratiques autour d’ un cercle vide ou d’un quadrilatère évoquant de lourdes parades. Tout au
628 ades bureaucratiques autour d’un cercle vide ou d’ un quadrilatère évoquant de lourdes parades. Tout au contraire : la Plac
629 s villes et villages est rarement régulière, hors des périodes de relâchement civique, précisément, c’est-à-dire d’étatisme
630 uant à l’ancêtre du forum lui-même, c’est l’agora des Grecs, où naquit le civisme occidental. Que la mairie (l’hôtel de vil
631 iginel. Les partis qui décident de la composition des conseils de la cité, se forment tout d’abord sur l’agora, sur le foru
632 forum de la Rome républicaine, puis sur la place des communes médiévales. Il n’est pas de démocratie, au sens européen du
633 repose sur la libre discussion, sur le libre jeu des partis, et sur la liberté de l’opposition, majorité possible de demai
634 ures de l’absolutisme, et qui préparent le siècle des Lumières et la Révolution française. C’est dans les tavernes anglaise
635 encore dans les cafés que le Spectator d’Addison, un peu plus tard, a l’ambition de faire pénétrer la philosophie, enfin s
636 on de faire pénétrer la philosophie, enfin sortie des cabinets d’études et de l’école. N’oublions donc pas, sur la place, l
637 de l’Église, au Moyen Âge ; puis de la Réforme et des Ordres, à la Renaissance. Aujourd’hui, ses instituteurs, qui dépenden
638 café qu’aux objurgations de la chaire. Voici donc une nouvelle tension qui s’institue. Mais la fonction de l’école est deme
639 muniquer les connaissances acquises et le respect des valeurs communes, et elle doit d’autre part éveiller le sens critique
640 ut critiquer pour les garder vivants, mais au nom des principes qu’elle enseigne. La fonction de l’école dans la cité se ré
641 i occupe le centre de la place, lieu de rencontre des produits de la campagne et des besoins de la ville, et en même temps
642 lieu de rencontre des produits de la campagne et des besoins de la ville, et en même temps figuration vivante de la loi de
643 e marché citadin-rural.) Ici se noue le jeu serré des intérêts contradictoires mais solidaires du producteur et du consom­m
644 ais solidaires du producteur et du consom­mateur, des droits acquis et des règles d’arbitrage, des initiatives et des coutu
645 ducteur et du consom­mateur, des droits acquis et des règles d’arbitrage, des initiatives et des coutumes, des conditions l
646 eur, des droits acquis et des règles d’arbitrage, des initiatives et des coutumes, des conditions locales et des exigences
647 uis et des règles d’arbitrage, des initiatives et des coutumes, des conditions locales et des exigences collectives — en pe
648 les d’arbitrage, des initiatives et des coutumes, des conditions locales et des exigences collectives — en perpétuelle tens
649 atives et des coutumes, des conditions locales et des exigences collectives — en perpétuelle tension, lutte et conciliation
650 ces — fussent-elles représentées par la révolte d’ un seul, d’un génie ou d’un saint contre toute une cité, au nom de ses p
651 nt-elles représentées par la révolte d’un seul, d’ un génie ou d’un saint contre toute une cité, au nom de ses principes in
652 sentées par la révolte d’un seul, d’un génie ou d’ un saint contre toute une cité, au nom de ses principes indiscutés. Voic
653 d’un seul, d’un génie ou d’un saint contre toute une cité, au nom de ses principes indiscutés. Voici donc définie par ses
654 pes indiscutés. Voici donc définie par ses formes une Europe pluraliste et non pas unitaire dans son principe comme le fure
655 paraît bien être la remise en question permanente des données naturelles et des relations humaines, du Destin et du sens de
656 en question permanente des données naturelles et des relations humaines, du Destin et du sens de vie. Quand l’une des réal
657 umaines, du Destin et du sens de vie. Quand l’une des réalités antagonistes — la liberté ou l’autorité, l’autonomie locale
658 tend s’imposer seule et détruire l’autre au nom d’ un ordre simplificateur ou d’une doctrine prétendument totale et unitair
659 ire l’autre au nom d’un ordre simplificateur ou d’ une doctrine prétendument totale et unitaire, il en résulte guerres, révo
660 es, explosions d’anarchie suivies de dictatures — une histoire plus intense, violente et polémique que n’en relatent les ch
661 du monde. Quand les antagonismes se composent en une conciliation pratique, gagée par une institution, ou assurée par une
662 composent en une conciliation pratique, gagée par une institution, ou assurée par une méthode qui ne supprime pas la tensio
663 atique, gagée par une institution, ou assurée par une méthode qui ne supprime pas la tension mais la maîtrise, évitant à la
664 ait formées sur le modèle du chœur, de l’harmonie des sons complémentaires, voire de la dissonance calculée et dirigée vers
665 , voire de la dissonance calculée et dirigée vers une « résolution » future. Ainsi de la commune, de la fédération, du parl
666 fédération, du parlement et du régime bicaméral, des syndicats et des coopératives ; ainsi de l’éducation elle-même et, fi
667 arlement et du régime bicaméral, des syndicats et des coopératives ; ainsi de l’éducation elle-même et, finalement, de l’id
668 ts ; dans la mesure ou se développe, ne fût-ce qu’ une part du potentiel accumulé par ces tensions, on conçoit qu’il fonctio
669 n conçoit qu’il fonctionne alors comme le foyer d’ une expansion énergétique irrésistible. Tel est le secret du dynamisme eu
670 tible. Tel est le secret du dynamisme européen et des périodes de diastole planétaire de notre civilisation. Sommes-nous au
671 ire de notre civilisation. Sommes-nous au seuil d’ une telle période ? Ou au contraire, l’état de santé de l’Europe est-il a
672 versités et imposer au continent et à ses peuples un visage uniforme et anonyme, comparable au portrait-robot du producteu
673 ducteur moyen russe ou américain ? Les éléments d’ une réponse motivée à cette question — trop souvent et trop facilement tr
674 s ou progressistes — pour­raient être fournis par une auscultation des organes principaux de la cité, c’est-à-dire des inst
675 s — pour­raient être fournis par une auscultation des organes principaux de la cité, c’est-à-dire des institutions traditio
676 n des organes principaux de la cité, c’est-à-dire des institutions traditionnelles que concrétisent nos bâtiments — symbole
677 dans nos villages, qui n’en possèdent pourtant qu’ une seule le plus souvent, alors qu’en Amérique elles sont pleines chaque
678 e, et on en trouve en général quatre ou cinq pour une commune rurale moyenne de 2000 à 3000 habitants. L’église, en Amériqu
679 mieux que chez nous le centre de la vie sociale d’ un village. Elle y joue un grand rôle politique et civique. Mais c’est p
680 entre de la vie sociale d’un village. Elle y joue un grand rôle politique et civique. Mais c’est peut-être aux dépens de l
681 . Mais c’est peut-être aux dépens de la rigueur d’ une doctrine et d’une vie spirituelle que l’Europe a mieux su maintenir f
682 être aux dépens de la rigueur d’une doctrine et d’ une vie spirituelle que l’Europe a mieux su maintenir face à l’État et fa
683 n redécouvre les vertus de la culture générale et des humanités, et d’une pédagogie plus ferme, pour ne pas dire autoritair
684 tus de la culture générale et des humanités, et d’ une pédagogie plus ferme, pour ne pas dire autoritaire, si bien que l’Eur
685 taire, si bien que l’Europe redevient le modèle d’ un meilleur équilibre, si relatif soit-il, entre les exigences immédiate
686 iens et la stratégie à long terme de la formation des esprits. L’URSS elle-même, qui avait tout sacrifié pendant la période
687 é pendant la période stalinienne à l’enseignement des techniques, revient aux études générales et se rapproche, dans cette
688 isme. Elle a survécu, tant bien que mal, à plus d’ un siècle d’empiètements de l’État et de centralisation systématique dan
689 pouvait croire que l’ère technique, qui est celle des plans à grande échelle, allait lui porter le coup de grâce. Bien au c
690 lon ses meilleurs spécialistes, veulent à la fois des regroupements industriels et une répartition plus décentralisée de la
691 eulent à la fois des regroupements industriels et une répartition plus décentralisée de la production, poussant à la mise e
692 poussant à la mise en valeur, par l’intermédiaire des communes, des régions défavorisées du territoire. Même dans les natio
693 mise en valeur, par l’intermédiaire des communes, des régions défavorisées du territoire. Même dans les nations les plus ce
694 es, comme la France, le mouvement de restauration des compétences communales se prononce chaque année plus nettement. Au pl
695 nnée plus nettement. Au plan européen, le Conseil des communes d’Europe, l’Union des villes et des pouvoirs locaux, apparus
696 ropéen, le Conseil des communes d’Europe, l’Union des villes et des pouvoirs locaux, apparus depuis la dernière guerre, ne
697 seil des communes d’Europe, l’Union des villes et des pouvoirs locaux, apparus depuis la dernière guerre, ne livrent pas un
698 apparus depuis la dernière guerre, ne livrent pas un combat d’arrière-garde contre l’État, mais au contraire sont les pion
699 re l’État, mais au contraire sont les pionniers d’ un renouveau de l’autonomie municipale. Quant au marché, qui occupe le c
700 ns tous nos pays, qu’il s’agisse du Marché commun des Six, ou de l’économie des pays neutres. Quant à la presse, enfin, et
701 agisse du Marché commun des Six, ou de l’économie des pays neutres. Quant à la presse, enfin, et au café dont elle est née,
702 é dont elle est née, je dirai que la prospérité d’ une presse libre et le prestige des cafés littéraires dans nos grandes vi
703 e la prospérité d’une presse libre et le prestige des cafés littéraires dans nos grandes villes, ces deux faits, inégaux d’
704 tance mais très typiques de notre Europe, restent des signes peu trompeurs de la vitalité d’une culture moderne, mêlée à l’
705 restent des signes peu trompeurs de la vitalité d’ une culture moderne, mêlée à l’existence sociale, capable de critique, do
706 ts de l’Europe. L’Europe sans sa culture n’est qu’ un cap de l’Asie, assez pauvre en richesses naturelles, et moins peuplé,
707 , longuement travaillés, tourmentés, fécondés par une doctrine et une inquiétude religieuses, par des formes de pensée phil
708 vaillés, tourmentés, fécondés par une doctrine et une inquiétude religieuses, par des formes de pensée philosophique, et pa
709 r une doctrine et une inquiétude religieuses, par des formes de pensée philosophique, et par une vo­lonté d’aventure ration
710 s, par des formes de pensée philosophique, et par une vo­lonté d’aventure rationnelle d’où sont issues la science et la tec
711 e d’où sont issues la science et la technique, et des arts florissants, et des institutions, et des formes d’existence soci
712 ence et la technique, et des arts florissants, et des institutions, et des formes d’existence sociale, et une puissance éco
713 et des arts florissants, et des institutions, et des formes d’existence sociale, et une puissance économique sans précéden
714 stitutions, et des formes d’existence sociale, et une puissance économique sans précédent, c’est cela l’Europe, c’est cela
715 le monde. L’Europe, c’est très peu de choses plus une culture. Cette définition simple me rappelle l’équation la plus célèb
716 n — on ne sait jamais… — qu’il ne s’agit pas là d’ une démonstration faussement mathématique, mais seulement d’une illustrat
717 tration faussement mathématique, mais seulement d’ une illustration…) C’est grâce à cette densité remarquable d’institutions
718 on, que l’Europe s’est montrée capable d’intégrer un peu mieux que d’autres la technique. Ailleurs, en Amérique et en Russ
719 echnique. Ailleurs, en Amérique et en Russie, sur des grandes plaines, peu peuplées, voire des déserts, la civilisation tec
720 sie, sur des grandes plaines, peu peuplées, voire des déserts, la civilisation technologique a pu développer ses effets san
721 omme sur table rase. En Europe, elle est née dans un contexte serré de principes vénérés et de droits garantis, dans un fo
722 de principes vénérés et de droits garantis, dans un fouillis de coutumes séculaires, artisanales et paysannes, de chicane
723 ans le magasin de porcelaine ou le bulldozer dans un verger. Certes, les freins et les écluses n’ont pas toujours joué à t
724 n’a pas seulement créé le décor sale et sans âme des faubourgs de nos capitales, elle a créé le prolétariat, elle a soumis
725 , elle a créé le prolétariat, elle a soumis toute une classe d’hommes à la machine encore très imparfaite, faisant de l’ouv
726 ier, comme l’a dit Marx, « le complément vivant d’ un mécanisme mort », et l’obligeant à travailler quinze heures par jour,
727 ligeant à travailler quinze heures par jour, dans des conditions inhumaines du point de vue de l’hygiène autant que de la m
728 ’en parlait pas, et ses effets se sont étalés sur un siècle.) Mais en développant la technique par la science, en humanisa
729 ssant de l’époque noire du charbon, de la mine et des fabriques enfumées, à l’époque blanche et propre de l’électricité, de
730 avail servile, elle a pris conscience la première des problèmes sociaux et moraux, éducatifs et spirituels qu’une technique
731 mes sociaux et moraux, éducatifs et spirituels qu’ une technique et une science, nées de ses œuvres, posent désormais à tous
732 raux, éducatifs et spirituels qu’une technique et une science, nées de ses œuvres, posent désormais à tous les hommes. Elle
733 Or elle est seule à disposer, pour le résoudre, d’ une expérience séculaire. Si l’on ausculte les organes du patient nommé E
734 physique que symbolise, sur la place du village, un monument qui réintroduit dans le tableau toute l’absurdité de l’Histo
735 rdité de l’Histoire en même temps que la notion d’ un sacré national et non chrétien, dans beaucoup de pays voisins du nôtr
736 de pays voisins du nôtre — le monument aux morts des dernières guerres ? 7. Voir Arts n° 872. l. Rougemont Denis de,
9 1962, Arts, articles (1952-1965). Le monde entier irrite l’Europe et la méprise autant qu’il la jalouse ! (20 juin 1962)
737 e, provoqué par nos œuvres, atteint l’Europe dans une situation qui me paraît définie par trois grands faits dont je voudra
738 e et les relations. Premier fait : c’est au cours des quinze années pendant lesquelles nos États ont perdu leurs empires, q
739 nt d’ici quelques années, l’un par l’indépendance des derniers îlots de colonies subsistants, et l’autre par la mise en pla
740 e très remarquable, et qui mériterait de susciter des études sérieuses. Il y aurait lieu de vérifier d’abord s’il existe de
741 Il y aurait lieu de vérifier d’abord s’il existe des liens latéraux de cause à effet entre les deux phénomènes, ou si plut
742 je le crois, ils ne résultent pas tous les deux d’ une seule et même évolution dialectique : celle du nationalisme. Dès la f
743 ichte avaient dénoncé l’expansion coloniale comme un péché mortel de l’Europe, en ce sens qu’il devait aggraver la dissolu
744 alléguée par les États colonialistes de s’ouvrir des débouchés outre-mer — un espace vital, dira Hitler — a joué un rôle i
745 lonialistes de s’ouvrir des débouchés outre-mer —  un espace vital, dira Hitler — a joué un rôle important à l’origine des
746 ira Hitler — a joué un rôle important à l’origine des deux guerres mondiales. Mais ces mêmes guerres ont déclenché deux sér
747 andu aux quatre coins de la terre l’idée du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, idée au nom de laquelle les Alliés s’
748 et cela devait amener, nous l’avons vu, le réveil des projets d’union. Accessoirement, il ne serait pas sans intérêt de sou
749 que l’Europe n’était riche que de l’exploitation des colonies, disaient les uns, de leur pillage, disaient les autres, son
750 e, disaient les autres, sont en train de recevoir un démenti tel que l’histoire en offre peu d’exemples. Car en effet, s’i
751 ïncider non seulement avec notre union, mais avec une prospérité sans précédent de l’ensemble du continent. Jamais notre ca
752  la liberté, la dignité de la personne, l’égalité des peuples et des races — mais aussi de quelques-unes de nos folies les
753 dignité de la personne, l’égalité des peuples et des races — mais aussi de quelques-unes de nos folies les plus contagieus
754 ées de refaire leur bilan, cédant à la pression d’ une opinion mondiale formée par leurs principes, d’une classe nouvelle éd
755 ne opinion mondiale formée par leurs principes, d’ une classe nouvelle éduquée par leurs soins dans les pays colonisés, et d
756 ays colonisés, et de leur intérêt mieux compris —  un peu poussées aussi par les États-Unis, qui les sauvaient alors de la
757 au xixe siècle fondent sur tous les continents des églises et des comptoirs, des cités et des industries, des écoles et
758 le fondent sur tous les continents des églises et des comptoirs, des cités et des industries, des écoles et des plantations
759 tous les continents des églises et des comptoirs, des cités et des industries, des écoles et des plantations, des journaux
760 inents des églises et des comptoirs, des cités et des industries, des écoles et des plantations, des journaux et des parlem
761 es et des comptoirs, des cités et des industries, des écoles et des plantations, des journaux et des parlements. S’imposant
762 toirs, des cités et des industries, des écoles et des plantations, des journaux et des parlements. S’imposant par la force
763 et des industries, des écoles et des plantations, des journaux et des parlements. S’imposant par la force ou reçus comme de
764 s, des écoles et des plantations, des journaux et des parlements. S’imposant par la force ou reçus comme des dieux — ainsi
765 arlements. S’imposant par la force ou reçus comme des dieux — ainsi Cortés à Mexico —, voulant sauver des âmes ou exploiter
766 s dieux — ainsi Cortés à Mexico —, voulant sauver des âmes ou exploiter des mines, ils conquièrent, civilisent, pillent, év
767 à Mexico —, voulant sauver des âmes ou exploiter des mines, ils conquièrent, civilisent, pillent, évangélisent, font trafi
768 t, civilisent, pillent, évangélisent, font trafic des esclaves, ouvrent des hôpitaux, répandent des théories humanitaires q
769 , évangélisent, font trafic des esclaves, ouvrent des hôpitaux, répandent des théories humanitaires qu’ils ne pratiquent pa
770 fic des esclaves, ouvrent des hôpitaux, répandent des théories humanitaires qu’ils ne pratiquent pas toujours sans réserve,
771 réclamer contre eux, mais libèrent en même temps des peuples entiers, habitués depuis des siècles aux plus cruels régimes
772 n même temps des peuples entiers, habitués depuis des siècles aux plus cruels régimes d’oppression autochtone. C’est tout c
773 C’est tout cela que l’on confond aujourd’hui dans un seul mot : colonialisme. Je n’en connais pas de plus injuste, puisqu’
774 é héroïque autant que de crimes et de cupidité, d’ une aventure dont le bilan est encore très loin d’être fait. Et rien ne p
775 peine. Mais tous les signes vérifiables indiquent une tendance prononcée vers l’expansion de notre culture dans les colonie
776 re culture dans les colonies libérées. Le retrait des Anglais de l’Inde n’a pas été suivi par le rejet du parlementarisme b
777 adopté tel quel, mais bien par l’abolition légale des castes, tradition trois fois millénaire à laquelle les Anglais n’avai
778 ent, l’industrie lourde se développe, le contrôle des naissances s’acclimate… Au total, l’Inde indépendante se veut bien pl
779 bérée, la culture et les langues européennes font des progrès spectaculaires. Je cite le directeur des affaires culturelles
780 des progrès spectaculaires. Je cite le directeur des affaires culturelles françaises, qui disait en janvier de cette année
781 e parle le français, alors que dans la génération des hommes de quarante à cinquante ans, celle de l’époque coloniale, seul
782 ’on a besoin de cette langue, qu’elle est devenue un facteur de cohésion nationale, qu’elle constitue en outre un moyen d’
783 de cohésion nationale, qu’elle constitue en outre un moyen d’accès aisé à la vie internationale… L’intérêt paraît ici, com
784 ont autant progressé dans l’âme et dans les mœurs des peuples hier encore colonisés. Mais voici le troisième grand fait : n
785 rendue assimilable et transportable qu’au prix d’ une périlleuse disjonction entre ses produits de tous ordres et ses valeu
786 version originale. D’où l’avantage incontestable des Américains, et surtout des Soviétiques, lorsqu’il s’agit de modernise
787 avantage incontestable des Américains, et surtout des Soviétiques, lorsqu’il s’agit de moderniser — c’est-à-dire d’occident
788 de moderniser — c’est-à-dire d’occidentaliser — d’ une manière rapide et massive, les colonies récemment libérées. Ces nouve
789 érées. Ces nouveaux venus dans le tiers-monde ont des notions beaucoup plus simples du progrès, tant social et moral que pu
790 les et la mauvaise conscience qui étaient le fait des élites européennes pendant les derniers temps de la colonisation et l
791 s derniers temps de la colonisation et le respect des cultures indigènes n’a jamais arrêté les seconds, pas plus dans leur
792 ipe. Il ne dit pas de leurs dons, comme il le dit des nôtres : « C’est du néo-colonialisme ! » Et pourtant, le tiers-monde,
793 . Mais aussitôt, ils nous accablent de reproches. Un professeur indien, le Dr Raghavan Iyer, enseignant à Oxford, lors d’u
794 le Dr Raghavan Iyer, enseignant à Oxford, lors d’ un tout récent congrès européen, entendait se faire l’écho des ressentim
795 écent congrès européen, entendait se faire l’écho des ressentiments du tiers-monde à l’égard de notre culture et de sa diff
796 ci : L’évangile du progrès matériel automatique, un nationalisme agressif, voire une haine raciale à peine dissimulée, un
797 riel automatique, un nationalisme agressif, voire une haine raciale à peine dissimulée, un utilitarisme à la Bentham, un co
798 ssif, voire une haine raciale à peine dissimulée, un utilitarisme à la Bentham, un collectivisme militant et un socialisme
799 à peine dissimulée, un utilitarisme à la Bentham, un collectivisme militant et un socialisme messianique, un libéralisme à
800 arisme à la Bentham, un collectivisme militant et un socialisme messianique, un libéralisme à la Hayek, l’adoration de la
801 lectivisme militant et un socialisme messianique, un libéralisme à la Hayek, l’adoration de la puissance militaire et poli
802 adoration de la puissance militaire et politique, une bureaucratie qu’on ne pourra plus extirper, la multiplication des bes
803 qu’on ne pourra plus extirper, la multiplication des besoins nouveaux, une consommation stupéfiante, la passion du bizarre
804 extirper, la multiplication des besoins nouveaux, une consommation stupéfiante, la passion du bizarre, des prétentions à l’
805 consommation stupéfiante, la passion du bizarre, des prétentions à l’exclusivité dans le domaine religieux, un fanatisme i
806 ntions à l’exclusivité dans le domaine religieux, un fanatisme idéologique, un athéisme arrogant, le culte du cynisme, la
807 s le domaine religieux, un fanatisme idéologique, un athéisme arrogant, le culte du cynisme, la concurrence sans frein et
808 e sans frein et le philistinisme culturel. C’est une assez bonne liste de nos vices, tels qu’ils se sont manifestés, du mo
809 tels qu’ils se sont manifestés, du moins à partir des débuts de l’ère industrielle. Il serait trop facile de répondre à ceu
810 op facile, car nous sommes largement responsables des erreurs que commet le tiers-monde quand il nous juge. Ce ne sont pas
811 nos meilleurs représentants, les plus conscients des vraies valeurs européennes, que nous envoyons outre-mer, mais des age
812 rs européennes, que nous envoyons outre-mer, mais des agents de nos États et de nos firmes, qui transportent là-bas toutes
813 es, qui transportent là-bas toutes nos rivalités, des assistants techniques qui ne savent pas grand-chose du milieu où ils
814 peut signifier dans son ensemble et vue de loin, des agitateurs politiques, des commerçants incultes et nos plus mauvais f
815 semble et vue de loin, des agitateurs politiques, des commerçants incultes et nos plus mauvais films. Nous exportons pêle-m
816 uiner, coïncide avec notre union, laquelle promet une prospérité sans précédent ; le monde entier se met à l’école de notre
817 compte notre faute, car nous n’avons jamais conçu une politique de civilisation répondant à l’ampleur des exigences du sièc
818 e politique de civilisation répondant à l’ampleur des exigences du siècle et de nos responsabilités mondiales. La question
819 ugemont : « L’Europe est en train de s’unir, pour des raisons à la fois séculaires et modernes. Trois écoles, il est vrai,
820 en venir à l’union politique. Celle de l’alliance des États, celle de l’intégration totale, et celle de la fédération. Mais
821 tégration totale, et celle de la fédération. Mais une raison nouvelle doit forcer leur accord : c’est la nécessité matériel
10 1962, Arts, articles (1952-1965). L’Europe est un colosse qui s’ignore (encore) (27 juin 1962)
822 L’Europe est un colosse qui s’ignore (encore) (27 juin 1962)o p Un certain défaiti
823 olosse qui s’ignore (encore) (27 juin 1962)o p Un certain défaitisme européen, de Spengler à Toynbee et de Sorel à Sart
824 uadé nos élites comme nos masses que l’Europe est une pauvre chose écrasée entre deux colosses. Cette conviction, ou cette
825 goisse, m’apparaissent curieusement indépendantes des faits. Dès le xviiie siècle, elle hantait nos esprits. Voici ce qu’é
826 gradés, trop avilis pour savoir autrement que par une vague et stupide tradition ce que nous avons été. En 1847, Sainte-Be
827 tout le xixe siècle, donc bien avant l’ascension des deux grands, qui date exactement de la fin de la dernière guerre, et
828 ont là. Mesurons leur taille réelle. J’ai inventé un petit jeu graphique, très simple. Prenez une feuille de papier quadri
829 venté un petit jeu graphique, très simple. Prenez une feuille de papier quadrillé. Dessinez trois rectangles verticaux posé
830 ntre les « deux grands ». Chaque carré représente un million d’habitants. L’Europe à l’ouest du rideau de fer en compte 33
831 ise est évidemment plus malaisée. Voici cependant un exemple chiffré, et qui ne me paraît pas dénué de toute signification
832 t que vous ne vous sentez pas encore le citoyen d’ une nation de 335 millions, voire de 430 millions d’habitants (en comptan
833 européens de l’URSS), mais seulement le citoyen d’ un petit État de 10 ou de 50 millions qui n’est plus à l’échelle du mond
834 que, économique et culturel. Cependant, le sort d’ une civilisation ne dépend pas seulement de cette espèce-là de chance. Il
835 e de loin, ni en Orient, ni en Afrique, indiquent une renaissance et non une décadence. Mais il y a plus : on nous dit que
836 , ni en Afrique, indiquent une renaissance et non une décadence. Mais il y a plus : on nous dit que les valeurs nouvelles c
837 es capables d’entraîner le monde et de lui rendre un idéal sont celles que représente le communisme russe. Je demande à vo
838 ’est-ce, au total, que le communisme soviétique ? Un mélange de 50 % de tradition proprement russes et même tsaristes, com
839 et même tsaristes, comme le rôle de la police et des fonctionnaires, ou l’habitude de réécrire l’histoire tous les vingt-c
840 a créé, mais c’est Karl Marx. Et qui était Marx ? Un juif allemand, dont le père s’était fait protestant, et qui écrivait
841 it fait protestant, et qui écrivait en Angleterre des articles pour le New York Herald Tribune. (Ces articles, réunis plus
842 nombreux chapitres de Das Kapital.) Marx est l’un des produits les plus typiques des débats philosophiques, théologiques et
843 al.) Marx est l’un des produits les plus typiques des débats philosophiques, théologiques et politiques qui définissent l’e
844 t l’esprit européen au xixe siècle. Ce sont donc des valeurs qui nous sont propres que les Russes nous renvoient aujourd’h
845 de marxisme dialectique. Qu’en serait-il alors d’ un autre successeur, hypothétique, reprenant de nos mains débiles ce qu’
846 Là encore, je ne le distingue pas. Je ne vois pas une seule culture, indépendante de la nôtre, foncièrement différente de l
847 is, dans l’ère technique, l’obligation première d’ une civilisation. Un regard sur le globe nous fait voir, au contraire, qu
848 hnique, l’obligation première d’une civilisation. Un regard sur le globe nous fait voir, au contraire, que les peuples nou
849 nd ils l’injurient en la copiant. Pour le dire en une phrase, voici ce que je constate. Le Sud-Est de l’Asie jalouse la Chi
850 mieux que l’Amérique — laquelle est, après tout, une création de l’Europe ! Le cycle se referme, nous ramenant à l’Europe.
851 dans tout cela, nos successeurs ? Je ne vois que des imitateurs un peu en retard qui, bien souvent, caricaturent nos pires
852 , nos successeurs ? Je ne vois que des imitateurs un peu en retard qui, bien souvent, caricaturent nos pires défauts. Non,
853 on en prétextant notre faiblesse, ou ces crimes d’ un passé récent dont le tiers-monde nous tient pour responsables. Car ce
854 ponsables. Car cette faiblesse ne traduit rien qu’ une division de nos forces — et nous sommes en bon train de les unir — ma
855 us sommes en bon train de les unir — mais non pas une absence de forces potentielle. Et ces crimes, qui furent ceux de nos
856 colonialisme, exigent de nous bien autre chose qu’ un mea culpa rageur et masochiste, tellement plus facile que l’action. L
857 ctif du mot, cette fois — d’assumer face au monde une vocation dont personne ne saurait la relever, dont nulle autre cultur
858 créés, ces échanges, les a institués au lendemain des grandes découvertes, et que seules les techniques qu’elle a su invent
859 onal représente en valeur plus du double de celui des États-Unis, et près de dix fois celui de l’URSS. La vocation mondiale
860 a vocation mondiale de l’Europe est inscrite dans des faits de ce genre : Nos exportations représentent à peu près 40 % de
861 les mettre en mouvement et pour les orienter vers un dialogue fécond. Tout, et d’abord nos traditions, non seulement de cu
862 tions, non seulement de curiosité mais de respect des valeurs spirituelles, même et parfois surtout différentes des nôtres 
863 spirituelles, même et parfois surtout différentes des nôtres : ce n’est point par hasard que l’Europe a créé l’ethnographie
864 éé l’ethnographie et l’archéologie, et la science des religions comparées, dont on ne trouve pas une trace avant elle sur T
865 ce des religions comparées, dont on ne trouve pas une trace avant elle sur Terre. L’Amérique, en tout cela, apporte une aid
866 elle sur Terre. L’Amérique, en tout cela, apporte une aide puissante, mais les initiatives sont venues de l’Europe, et c’es
867 xixe siècle : c’est aussi là qu’elles ont trouvé des résistances traditionnelles et coutumières qui les ont obligées lente
868 re l’automation à Coventry : tout cela représente une expérience humaine dont le tiers-monde devrait beaucoup apprendre, lu
869 e, les pousse aux pires excès du chauvinisme et à des mesures économiques ou politiques visiblement indéfendables du point
870 ent pour le prestige. Sous prétexte de se libérer des dernières traces de notre impérialisme, ils copient puérilement ses t
871 du chauvinisme, racial ou partisan, et finalement des dictatures totalitaires qui en sont l’aboutissement logique dans notr
872 s : l’union dans la diversité, l’équilibre vivant des libertés locales et des obligations communautaires et la mise en comm
873 rsité, l’équilibre vivant des libertés locales et des obligations communautaires et la mise en commun des droits « souverai
874 s obligations communautaires et la mise en commun des droits « souverains » qu’aucun de nos pays n’est plus en mesure d’exe
875 t donc offrir au monde nouveau l’exemple réussi d’ une grande fédération. Dans la coïncidence que j’ai relevée entre la fin
876 , et l’essor de notre économie, il y a sans doute une grande leçon pour le tiers-monde, mais aussi et, peut-être d’abord, p
877 Amérique et Russie comprises — pour l’ensemble d’ un Occident, s’il veut enfin se réconcilier avec lui-même. Nous pourrons
878 s pas simplement le droit de répondre à l’attente des jeunes nations et de la jeunesse soviétique, obscurément tournées ver
879 étique, obscurément tournées vers l’Occident, par un tardif et impuissant mea culpa. Nous ne sommes pas seuls en cause dan
880 e dans cette affaire. Nous sommes pour les autres un espoir, qu’il s’agit de ne pas frustrer. L’avenir de l’Europe est gag
881 ope est gagé sur de grands faits géoéconomiques d’ une portée désormais mondiale. Il me paraît ensuite gagé sur une fonction
882 désormais mondiale. Il me paraît ensuite gagé sur une fonction universelle, qui l’enracine dans le passé de notre culture,
883 Les vraies chances de l’Europe ne dépendent pas d’ une juste prévision de ce que d’autres feront. Elles dépendent de l’espri
884 n Michel. o. Rougemont Denis de, « L’Europe est un colosse qui s’ignore (encore) », Arts, Paris, 27 juin 1962, p. 2. p.
885 (encore) », Arts, Paris, 27 juin 1962, p. 2. p. Une note de la rédaction précise : « Une coquille nous a fait écrire que
886 2, p. 2. p. Une note de la rédaction précise : «  Une coquille nous a fait écrire que le chiffre de la population de l’Euro
11 1962, Arts, articles (1952-1965). Un refus d’aimer (3 octobre 1962)
887 Un refus d’aimer (3 octobre 1962)q r Le prestige généralisé de l’érot
888 ar le cinéma, la publicité, et le succès de vente des auteurs qui en parlent. Il est donc en partie mesurable. En revanche,
889 surable. En revanche, la décadence de l’amour est une hypothèse absolument invérifiable. (Je réitère : de quel amour s’agit
890 faible mesure où elles sont concluantes, donnent des indications inverses de celles qu’on tirerait de Sagan. L’érotisme tr
891 irerait de Sagan. L’érotisme traduit certainement une décadence de l’amour idéalisé, tel que le concevaient nos grands-pare
892  » à ce cliché d’époque. L’érotisme peut traduire un refus d’aimer, ou, au contraire, une prise de conscience plus vraie d
893 peut traduire un refus d’aimer, ou, au contraire, une prise de conscience plus vraie de l’amour. Cela s’opère et se décide
894 de l’amour. Cela s’opère et se décide au secret d’ une personne, et donc échappe, par nature, à toute espèce de généralisati
895 y songer. q. Rougemont Denis de, « [Réponse à une enquête] Un refus d’aimer », Arts, Paris, 3 octobre 1962, p. 18. r.
896 q. Rougemont Denis de, « [Réponse à une enquête] Un refus d’aimer », Arts, Paris, 3 octobre 1962, p. 18. r. Il s’agit d’
897 ts, Paris, 3 octobre 1962, p. 18. r. Il s’agit d’ une réponse à une enquête sur l’érotisme, introduite par ces mots : « Den
898 ctobre 1962, p. 18. r. Il s’agit d’une réponse à une enquête sur l’érotisme, introduite par ces mots : « Denis de Rougemon
899 omme toi-même ), adopte, vis-à-vis de l’érotisme, une attitude plus nuancée. »
12 1965, Arts, articles (1952-1965). Le déferlement de l’érotisme : pour une nouvelle théologie (5-11 mai 1965)
900 Le déferlement de l’érotisme : pour une nouvelle théologie (5-11 mai 1965)s t Pour illustrer l’invasion du
901 hé du livre, sans que personne y voie la preuve d’ une sanctification quelconque de notre époque. Reste que l’étalage étudié
902 s romans de série, noire ou autre, la suppression des « pudeurs de langage », mais plus que tout cela — qui relève parfois
903 elève parfois de la mode et n’engage pas toujours une politique morale — les cours d’éducation sexuelle dans les écoles, en
904 e notre époque, au point que certains ont parlé d’ une révolution dans les mœurs. C’est beaucoup dire pour un peu plus de nu
905 ié en intensité depuis deux siècles, sous l’effet des modes culturelles. Les audaces de nos écrivains, de nos cinéastes ne
906 lui, et il ne va pas « déborder » pour si peu qu’ une augmentation du tirage des classiques libertins dans quelques pays de
907 order » pour si peu qu’une augmentation du tirage des classiques libertins dans quelques pays de l’Occident. En revanche, n
908 e l’Occident. En revanche, nos manières de parler des choses du sexe et de l’érotisme ont entièrement changé en un demi-siè
909 u sexe et de l’érotisme ont entièrement changé en un demi-siècle. En 1906, Freud croit devoir préciser que dans le petit o
910 que je n’ai pas reculé devant la discussion avec une jeune fille de tels sujets et en un tel langage. Faut-il me justifier
911 cussion avec une jeune fille de tels sujets et en un tel langage. Faut-il me justifier aussi de cette accusation ? » Entre
912 t de Kinsey, entre la Porte étroite et Notre-Dame des Fleurs ou Le Silence de Bergman, ce qui s’est passé d’important se si
913 turel qui est celui de l’étude et de l’expression des réalités de la « chair », dans leurs aspects physio-psychologiques. M
914 ysio-psychologiques. Mais cela s’est produit dans un très grand désordre, créant de fortes inégalités d’information et par
915 t la psychanalyse à 20 ans, inscrite au programme des études et formant une part importante du donné intellectuel dans lequ
916 ans, inscrite au programme des études et formant une part importante du donné intellectuel dans lequel l’étudiant avait à
917 pornographie. D’étranges méprises persistent chez des esprits formés par les catégories morales du xixe . Ainsi le Sexe dem
918 citantes et de problématiques libérations appelle une mise en ordre, et d’abord sémantique. Laissant l’étude du sexe au bio
919 elle Héloïse au milieu du xxe siècle), et tout d’ un coup il s’aperçoit que l’amour seul poussait à dire, à chanter, à exp
920 à exprimer, et permettait de communiquer, et cela des troubadours jusqu’aux surréalistes. La sexualité, c’est l’instinct or
921 rocréateur. La passion est le désir infini, lié à un individu. Et l’amour est la fin suprême, l’accomplissement de la pers
922 biologique de la sexualité au service du plaisir, des beaux-arts, et surtout de la littérature. Quelles sont les causes de
923 phénomène ? En voici trois, prises à dessein dans des domaines absolument indépendants. 1. L’autorisation initiale et décis
924 ine équivalait à « refouler l’instinct », à créer des névroses, à « donner des complexes ». Ces expressions erronées répand
925 er l’instinct », à créer des névroses, à « donner des complexes ». Ces expressions erronées répandirent la terreur chez les
926 n moins que son inverse, l’autosatisfaction — est un des mécanismes fondamentaux de toute culture, et que la culture occid
927 oins que son inverse, l’autosatisfaction — est un des mécanismes fondamentaux de toute culture, et que la culture occidenta
928 nt occidental fit déferler dans les années 1920 «  une vague de rêves », selon le titre de l’un des manifestes surréalistes.
929 20 « une vague de rêves », selon le titre de l’un des manifestes surréalistes. Freud, lui aussi, était parti du rêve pour é
930 de la libido. Et Jung élargissait au monde entier des cultures et des mythes l’empire des archétypes illustrés par le rêve.
931 Jung élargissait au monde entier des cultures et des mythes l’empire des archétypes illustrés par le rêve. Nous voilà loin
932 monde entier des cultures et des mythes l’empire des archétypes illustrés par le rêve. Nous voilà loin de Fourier, qui fut
933 Fourier, qui fut le premier, je crois, à parler d’ une « question sexuelle » durant le premier tiers du xixe . (Il avait for
934 iérarchie du cocuage.) 3. Enfin, la perspective d’ une densité moyenne de trois hommes au mètre carré dans quelques siècles,
935 tre carré dans quelques siècles, et en tout cas d’ un doublement de l’humanité (bouches à nourrir et bras à occuper) dès le
936 environs de l’an 2000, n’est pas sans déclencher des mécanismes psychophysiologiques d’autorégulation démographique. Quest
937 s encore très mal connus de réduction spontanée d’ une espèce, que certains biologistes américains étudient notamment sur le
938 ûr pour l’individu. « L’érotisme, c’est l’affaire des vieux », disent beaucoup de jeunes autour de moi. Et, à vrai dire, c’
939 p de jeunes autour de moi. Et, à vrai dire, c’est une affaire complexe et lente, quand la sexualité était simple et rapide 
940 la sexualité était simple et rapide ; et surtout une affaire gratuite, bonne pour ceux qui ont rempli leur rôle physiologi
941 er d’autant. Je vois venir le temps du changement des problèmes. Où mes aînés redoutaient la tentation, c’est l’échec qui f
942 désir : il le reçoit de la publicité et il subit un rêve qui n’est plus le sien. Va-t-il découvrir l’érotisme par le biai
943 sien. Va-t-il découvrir l’érotisme par le biais d’ un problème sexuel très nouveau, né de la dégradation des obstacles soci
944 roblème sexuel très nouveau, né de la dégradation des obstacles sociaux comme des interdits de la morale ? Va-t-il sombrer
945 né de la dégradation des obstacles sociaux comme des interdits de la morale ? Va-t-il sombrer dans l’apathie sexuelle, céd
946 el est « l’acte de chair », ceux qui pensent avec un certain évêque bogomile qu’il n’y a « pas de péché au-dessous du nomb
947 du nombril », ou ceux qui croient bonnement avec un chansonnier de mes amis « qu’il n’y a pas de mal à se faire du bien »
948 u encore — hypothèse optimiste — allons-nous vers une ère classique, scientifique et hygiénique, où le problème numéro un d
949 scientifique et hygiénique, où le problème numéro un de la jeunesse ne sera plus du tout la sexualité mais par exemple le
950 du tout la sexualité mais par exemple le choix d’ une vocation, où ces tortures morales seront une bizarrerie du passé cult
951 ix d’une vocation, où ces tortures morales seront une bizarrerie du passé culturel européen, de même que la faim et la peur
952 im et la peur ne sont plus, dans nos pays riches, des problèmes fondamentaux, liés comme tels à la spiritualité, à la tenta
953 largies qu’il faut juger les efforts déployés par une censure conditionnée par la morale victorienne, préfreudienne. Sur le
954 s la censure ne saurait empêcher l’instauration d’ un vaste programme de recherches, dans lequel l’Amérique nous précède de
955 rches, dans lequel l’Amérique nous précède depuis une trentaine d’années. Les aspects littéraires de l’érotisme sont à peu
956 français et par suite de la censure. Mais ce sont des études sociologiques et biologiques sur les relations entre l’érotism
957 audrait entreprendre désormais, en même temps que des études psychologiques et éthiques, voire, comme le demandait l’autre
958 éthiques, voire, comme le demandait l’autre jour un psychiatre américain, une « théologie de l’érotisme ». Car l’érotisme
959 e demandait l’autre jour un psychiatre américain, une « théologie de l’érotisme ». Car l’érotisme dépend, en fin de compte,
960 que du sexuel. s. Rougemont Denis de, « Pour une nouvelle théologie », Arts, Paris, 5–11 mai 1965, p. 2. t. Précédé d