1 1937, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Introduction au Journal d’un intellectuel en chômage (août 1937)
1 un métier quelconque. » C’est le contraire qui m’ est arrivé : j’ai perdu mon « métier quelconque », et c’est cela justemen
2 mme, au mois de novembre, et j’y restai jusqu’à l’ été . L’année suivante, ce fut le Midi : là encore une maison abandonnée q
3 et j’y restai jusqu’à l’été. L’année suivante, ce fut le Midi : là encore une maison abandonnée qu’on nous prêtait. Il y en
4 s cependant rendu à mon travail le plus réel, qui est d’écrire. Cette situation paradoxale m’a fait découvrir tout un monde
5 e pensais pas en faire un livre. Et pourtant ce n’ était pas du tout ce qu’on nomme un « journal intime ». Je n’y parlais pas
6 cette discipline de la description objective, qui est devenue tellement étrangère aux romantiques, aux partisans, aux « enf
7 ntiques, aux partisans, aux « enfermés » que nous sommes tous plus ou moins. Peu à peu, les feuillets s’entassaient… Si j’en p
8 ient… Si j’en publie une partie aujourd’hui, ce n’ est pas sans quelques intentions précises. D’abord montrer l’origine conc
9 nser des hommes réels, peuplant la France réelle, étaient en somme peu connues : ni les romans, ni les journaux, ni les théorie
10 de ménage, des communistes, des propriétaires… Ce sont des êtres mystérieux. Mais leur mystère n’apparaît que de tout près.
11 , des communistes, des propriétaires… Ce sont des êtres mystérieux. Mais leur mystère n’apparaît que de tout près. Il est au
12 Mais leur mystère n’apparaît que de tout près. Il est au cœur même de leur vie et ils l’ignorent le plus souvent. Quand on
13 de cette parole si simple : « Ne jugez pas. » On est déjà tout près de l’amour. On touche la vie, le grain de l’existence.
14 i de ces rencontres qui soudain vous rendraient — est -ce trop dire ? — une sorte de confiance en l’homme. Il y a la liberté
15 ons lyriques, des analyses du moi, j’ai cru qu’il serait plus discret de donner, par exemple, mes comptes, ou quelques chiffre
16 le, mes comptes, ou quelques chiffres qui peuvent être utiles à ceux qui voudraient vivre cette vie-là. Mon livre est véridi
17 ceux qui voudraient vivre cette vie-là. Mon livre est véridique. Je ne serais donc pas fâché qu’au lieu de le juger bien ou
18 ivre cette vie-là. Mon livre est véridique. Je ne serais donc pas fâché qu’au lieu de le juger bien ou mal, on le considère to
2 1937, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Pages inédites du Journal d’un intellectuel en chômage (octobre 1937)
19 reprise hardie que d’aller dire aux hommes qu’ils sont peu de chose », s’écrie Bossuet (Sermon sur la mort, 22 mars 1662). Q
20 à celui qui doit se montrer aux hommes tel qu’il est  ? S’entendre dire que l’homme en général est peu de chose n’est pas t
21 u’il est ? S’entendre dire que l’homme en général est peu de chose n’est pas trop humiliant pour qui se flatte d’une image
22 re dire que l’homme en général est peu de chose n’ est pas trop humiliant pour qui se flatte d’une image de soi composée dan
23 e soi composée dans la solitude : tant qu’on ne s’ est pas avoué devant les autres, on peut toujours s’estimer singulier, c’
24 ulier, c’est-à-dire supérieur à la masse. Et ce n’ est pas encore franchement s’avouer que de se comparer aux seuls humains
25 ous met en mesure d’approcher. L’épreuve décisive est celle que l’on subit au contact de voisins que rien en nous, que rien
26 dans notre vie n’attendait et ne prévoyait. Ce n’ est qu’au prix d’un désordre social — selon les préjugés du régime établi
27 , tout au moins de la pensée créatrice. Mais quel est ce certain degré ? À quel niveau placer cette limite inférieure ? La
28 concret d’une vie connue. Prenons deux hommes qui furent tous deux de prodigieux producteurs d’idées ; deux hommes qui ont écr
29 de dix ans : Kierkegaard et Nietzsche. Le premier était riche et dépensait sans compter1. Le second était si pauvre, au momen
30 était riche et dépensait sans compter1. Le second était si pauvre, au moment où il écrivit ses plus grandes œuvres, qu’il ne
31 contre ses effroyables maux de tête. De plus, il était à demi aveugle… ⁂ Confort et culture. — À ceux qui n’ont rien, il fa
32 ose, il faut rappeler que la recherche du confort est ce qui s’oppose le plus radicalement à toute culture véritable. ⁂ Îl
33 Je l’avais oubliée à Paris. La nuit des villes n’ est pas cette mort opaque dont il faut redouter je ne sais quelle invisib
34 menaces originelles. Par temps clair, les étoiles sont très grosses et molles au-dessus du jardin. Mais il arrive que le noi
35 s au-dessus du jardin. Mais il arrive que le noir soit compact. Je me dirige à peu près le long de l’allée unique, entre les
36 cette nuit. ⁂ Fin de séjour à A… (Gard). — Tout est en place. Je garderai toutefois le plan d’aménagement et de décoratio
37 … Les vingt-deux pièces du dessus de cheminée ont été replacées au millimètre, dans une symétrie impeccable. Mais tout l’ef
38 cable. Mais tout l’effet de notre labeur risque d’ être détruit par une odieuse malice du sort. Nous avions descendu du deuxi
39 lourd sommier, pour en faire un divan. L’escalier est étroit. La descente s’était opérée sans trop de mal, lors de notre ar
40 re un divan. L’escalier est étroit. La descente s’ était opérée sans trop de mal, lors de notre arrivée. Mais nous n’avions pa
41 une heure. Quand la propriétaire reviendra pour l’ été , elle se heurtera à ce sommier monumental dans sa pose scandaleuse, e
42 mental dans sa pose scandaleuse, et ma réputation sera faite ! Fuyons, fuyons ! ⁂ (Été à Paris.) Impossibilité du libre-éch
43 t ma réputation sera faite ! Fuyons, fuyons ! ⁂ ( Été à Paris.) Impossibilité du libre-échange humain. — Considération irri
44 , aux mains, à l’attitude distraite et vraie d’un être isolé près de moi. Je prends le métro, malgré l’odeur de buanderie et
45 ins parfums de femmes, rien que pour regarder des êtres , et vivre un moment auprès d’eux, le temps de trois stations, le temp
46 ai sans doute vécues, adolescent — et sûrement ce serait bien autre chose… La femme descend sans se retourner ; l’homme déplie
47 rs, je pense à autre chose, à quelque chose qui n’ est pas d’ici. Et déjà je ne comprends plus pourquoi j’ai eu ce fort dési
48 ans le métro, de tutoyer mes compagnons de route. Était -ce envie de donner ou de recevoir ? Il me semble maintenant que j’écr
49 La même déception de l’amour, parce que rien ne s’ est produit, rien ne peut se produire, pour tant de mauvaises raisons qui
50 t se produire, pour tant de mauvaises raisons qui sont plus fortes que nous tous. — Et alors, dira-t-on : « Faire la révolut
51 be à fleurs sur le quai désert du métro, enfin un être vrai. ⁂ (Conclusion.) — S’occuper des « petits-faits-vrais » vaut mi
52 pas qu’il vaut moins qu’un grand fait vrai, comme serait , par exemple, une grande idée embrassée avec force au mépris de soi-m
53 e nom un fait qui commande tous les autres et qui est la mesure de tout. Quand tu l’auras connu et accepté — tu es le seul
54 e de tout. Quand tu l’auras connu et accepté — tu es le seul à le connaître — lève-toi et regarde les choses, les gestes i
55 jamais qu’un appel à devenir toi-même ce fait qui est plus fort que toi. Car il est tout ce que le monde attend, attend de
56 oi-même ce fait qui est plus fort que toi. Car il est tout ce que le monde attend, attend de toute éternité pour aujourd’hu
57 à un rapprochement absurde. Il fait erreur. Nous sommes dans le Midi, où un sentiment obscur de latinité a survécu. Et épices
58 ices (d’où épicerie) et espèce (d’où spécialiste) sont le même mot. Tous deux remontent à species (latin). — Les espèces, de
59 species (latin). — Les espèces, devenues épices, étaient  : gingembre, muscade, cannelle, poivre. “Les quatre espèces” (épices)
60 spèces” (épices). J’amenderais cette partie, si j’ étais l’auteur, esprit remarquable. » (Merci au correcteur ! Mais on ne pou
61 alisée en argent liquide, chez son beau-frère. Il était adversaire du prêt à intérêt, condamné par l’église primitive. Il don
3 1938, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Caquets d’une vieille poule noire (août 1938)
62 tes les feuilles, et je me vengerais bien si ce n’ était de lui que dépend, après tout, mon existence. Ont-ils pu se moquer de
63 ours rien. M. de Rougemont cite Spinoza — mais il est inquiet : dans la nuit du 21 mai, n’y tenant plus, il retourne au pou
64 ères accomplissent généralement en trois semaines est en effet assez mystérieuse… Et l’article se termine par une nouvelle
65 que mon auteur a ri très fort de cet article et s’ est lâchement refusé à prendre la défense de ma vertu et de mon honneur v
66 eurs ou non, — j’y reviendrai — ces intellectuels sont sans pitié et par surcroît ne sont pas bien malins ! Il était si faci
67 intellectuels sont sans pitié et par surcroît ne sont pas bien malins ! Il était si facile de répliquer à mon calomniateur
68 itié et par surcroît ne sont pas bien malins ! Il était si facile de répliquer à mon calomniateur bordelais que c’est lui qui
69 ce éclate à tous les yeux. Ce qu’on me reproche n’ est imputable en vérité qu’à l’ignorance presque touchante de ce critique
70 cles pleins d’éloges pour ce maudit Journal . Il est vrai qu’ils étaient signés de noms que je crois fort obscurs, comme M
71 oges pour ce maudit Journal . Il est vrai qu’ils étaient signés de noms que je crois fort obscurs, comme Mauriac, Ramuz, Halév
72 tres choses bien instructives — (« instructives » est ironique) — dans votre expérience. Témoin la fameuse poule noire et s
73 auteurs. Ce qu’on peut critiquer chez vous, ce n’ est pas le sujet, c’est votre manière par trop naïve et enfantine de le t
74 anière par trop naïve et enfantine de le traiter. Est -ce que, par hasard, il n’y aurait pas de poules dans votre pays ? Ou
75 ’y aurait pas de poules dans votre pays ? Ou bien est -ce que vous ne les aviez jamais regardées qu’il vous faille aller en
76 . Et l’on reconnaît enfin que moi, poule noire, j’ étais « un sujet substantiel, et qui a tenté de fort bons auteurs ». Mon ma
77 nt que Mme Meylan peut écrire de son livre : « Il est difficile d’accumuler plus d’âneries en moins de phrases. » Ça c’est
78 mon persécuteur la haine farouche de tout ce qui est beau et noble. Le génie seul a les yeux si perçants, le génie seul po
79 Et pour le coup, je m’y reconnais : cette logique est celle de la race. On sent des siècles de cartésianisme derrière ce cr
80 Porché. Mais j’avoue que cet article de Parisien est moins heureux que celui de la Romorantine. M. Porché estime que dans
81 ne. M. Porché estime que dans le Journal « tout est faux-semblant, illusion… » et « demeure en dehors des conditions norm
82 e : qui lèse le sacré. On en déduit que M. Porché tient la pauvreté pour sacrée. Là, j’avoue que je ne puis le suivre. Ce ser
83 sacrée. Là, j’avoue que je ne puis le suivre. Ce serait donner dans les pires utopies. Et mon auteur lui-même n’a pas été si
84 les pires utopies. Et mon auteur lui-même n’a pas été si loin : il s’est contenté de se débrouiller avec sa pauvreté et, lo
85 Et mon auteur lui-même n’a pas été si loin : il s’ est contenté de se débrouiller avec sa pauvreté et, loin de la croire sac
86 ! Je puis affirmer, d’après mon expérience, qu’il est plus paresseux qu’on ne le croit. Ne passait-il pas des heures entièr
87 sement, moi et mes poussins ? Je sais bien que je suis un « sujet substantiel », mais tout de même… Je croyais qu’un intelle
88 éclarations judicieuses de ma poule noire ? Ce ne sont pas seulement les poules qui jouissent de cette faculté. Il y a plus
89 e mots que d’idées fécondes dans ce monde. 4. Il est vrai qu’on la dit Lausannoise, mais enfin le journal Curieux a présen
90 e Française offensée, et moi je crois tout ce qui est imprimé. c. Rougemont Denis de, « Caquets d’une vieille poule noire
91 chômage nous remet ces pages qu’il prétend avoir été écrites (ou, comme on dit, pondues) par la vieille poule noire mise e
92 nous avons mis en ligne, c’est en pages 98-99 qu’ est mise en scène la poule noire.
4 1939, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Puisque je suis un militaire… (septembre 1939)
93 Puisque je suis un militaire… (septembre 1939)e Puisque je suis un militaire, Il
94 is un militaire… (septembre 1939)e Puisque je suis un militaire, Il faut bien faire mon état. Chanson du xviiie siècle.
95 ? dit un camarade. — Pas trop. Mais pour sûr on y est  ! L’impression générale, c’est qu’on nous a « mis dedans ». (Je dis o
96 ’instant qu’elles deviennent présentes, cessent d’ être imaginées, ou même imaginables. Tout de même, après huit jours, les c
97 directeur de la Guilde « en campagne », car nous sommes n’importe où, sans raison raisonnable ou prévisible. J’aime beaucoup
98 tre le mystérieux Esprit de subversion. Ces dames sont en retard d’au moins deux guerres ou victimes d’expressions telles qu
99 ue lui laisse la faculté de constater quoi que ce soit , hors l’envie de boire et de se coucher. Eh bien ! de tout cela se dé
100 u des choses brutes et brutales. Pourtant, rien n’ est plus poétique qu’un rassemblement dans la nuit, grouillant de casques
101 erre » prolongé à la lisière d’un bois, cela peut être un des plus beaux moments de notre furtive existence. Surtout quand i
102 ence. Surtout quand il tombe une pluie fine. Ce n’ est pas seulement à cause de la saison qu’il convient de parler de la plu
103 ps. La pluie en ville et la pluie « en campagne » sont deux phénomènes bien distincts, aussi distincts que la vie civile et
104 et la vie militaire en général. La pluie civile n’ est guère qu’un embêtement dont on se préserve comme sans y penser. On ou
105 n’avait rien d’autre à faire pendant des heures. ( Est -ce une parabole de la vie ?) Il est bien. Merveilleusement bien. Libé
106 des heures. (Est-ce une parabole de la vie ?) Il est bien. Merveilleusement bien. Libéré. Sans passé, sans avenir. Tout le
107 . Le drap du pantalon colle au mollet, les doigts sont rouges sur le fusil luisant. Les gouttes de la visière glissent d’un
108 vit à plein. On sent le goût des choses. Et l’on est prêt à tout abandonner au premier signe du destin, parce qu’on vient
109 t parfait. e. Rougemont Denis de, « Puisque je suis un militaire… », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, septembre
5 1939, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Billet d’aller et retour (décembre 1939)
110 ourtant quittée, cette chambre paysanne, mais j’y suis pour peu que j’y pense, et c’est souvent. Faites le compte de vos heu
111 aussi que certains rêves, et certains cauchemars, soient vécus ; j’ai connu cela trois jours plus tard, dans une grande gare d
112 art. À la fin, je retrouve un wagon qui me paraît être le mien, mais je l’avais quitté presque vide et il est plein de dorme
113 e mien, mais je l’avais quitté presque vide et il est plein de dormeurs débraillés, de musettes et de masques à gaz. Déjà n
114 nom de cette gare — comme de toutes les autres — était camouflé, illisible. Je ne saurai jamais si j’ai rêvé. Mais au matin,
115 es vestiges d’une civilisation qui déserte… Je me suis enfermé dans ma chambre d’hôtel et j’ai écrit pendant deux jours ces
116 , dans un pays qui n’existait peut-être plus, qui était réduit à se défendre par le suicide, la Hollande inondée, disait-on.
117 re annexe. Ce mariage de l’ancien et du moderne n’ est pas seulement une réussite technique, une habileté des architectes. I
118 : je vois l’opposition tragique dont cette guerre est sortie, et qui est celle des deux grandes conceptions de « l’ordre »
119 ion tragique dont cette guerre est sortie, et qui est celle des deux grandes conceptions de « l’ordre » qui se partagent no
120 ce qui fonde nos vraies valeurs et notre raison d’ être  ; c’est l’image même en pierre verdâtre, de ce qu’il nous faut combat
6 1946, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Beekman Place (octobre 1946)
121 particuliers à cinq étages, cette rue très courte est l’une des rares — j’en connais trois dans Manhattan — qui à la fois n
122 ands portiers galonnés. Une buée bleue, pendant l’ été , emplit cet espace fermé par les hauts bâtiments de la 51e rue, en br
123 de fenêtres dépourvues d’ornements. Beekman Place est un de ces lieux où l’exilé s’écrie : « Mais c’est l’Europe ! » parce
124 jour. Le seul vestige de nature — car l’eau même est canalisée — ce sont ces trois îlots de granit noir couverts de mouett
125 ige de nature — car l’eau même est canalisée — ce sont ces trois îlots de granit noir couverts de mouettes et signalés par d
126 pt secondes. Tout ce qu’embrasse mon regard, tout est fait de main d’homme, sauf les mouettes. Qu’on ne me parle plus des l
127 économiques et de leurs fatales réalités : car ce sont les réalités d’un monde tout artificiel que nous, les hommes, avons b
128 ge et festonnées de tuiles provençales. La brique est chaude encore sous mes pieds nus. À ma hauteur, et un peu plus bas, e
129 queurs se mettent à souffler fort dans la brume d’ été flottant sur la rivière… Une langue de lumière orangée vient râper do
130 our, le même amour, mais le cœur s’ouvre — l’aube est l’heure du pardon délivrant — et je me donne au jour américain ! Sur
7 1946, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Souvenir d’un orage en Virginie (novembre 1946)
131 dans un vestibule sombre. La maîtresse de maison est sortie à cheval. Promenons-nous en l’attendant. L’odeur des chiens im
132 tombe par morceaux, les coussins de velours rouge sont moisis. Nous redescendons. Le ciel est devenu noir. Du portique, entr
133 urs rouge sont moisis. Nous redescendons. Le ciel est devenu noir. Du portique, entre les hautes colonnes blanches et ces i
134 un homme. Comme ils s’approchent, on voit qu’elle tient la bride d’une main et de l’autre porte à sa bouche une pomme qu’elle
135 t. Nouveaux éclairs. Tous les chiens du chenil se sont mis à hurler ensemble. Est-ce l’orage ou l’approche de leur maîtresse
136 s chiens du chenil se sont mis à hurler ensemble. Est -ce l’orage ou l’approche de leur maîtresse ? Les cavaliers ralentisse
137 endent folle, j’ai tellement peur, et vous ? Vous êtes muets ? Vous avez soif ? » Les coups de tonnerre se succèdent sans ré
138 la porte du fond un homme en veste de chasse qui tient des verres de whisky à la main. Deux femmes blondes entrent et vont s
139 envoie chercher des verres et des bouteilles. Qui sont ces gens ? Elle dit : « Je ne le sais pas plus que vous. Ils sont dan
140 Elle dit : « Je ne le sais pas plus que vous. Ils sont dans la maison depuis deux ou trois jours et se disent les amis de Ji
141 ois jours et se disent les amis de Jim. — Mais où est Jim ? — Je ne sais pas ? Il est parti. » Jim était l’intendant, une s
142 est Jim ? — Je ne sais pas ? Il est parti. » Jim était l’intendant, une sorte de géant toujours en bottes, qu’elle emmenait
8 1946, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Noël à New York (décembre 1946)
143 er décembre au matin, la ruée vers les magasins s’ est déclenchée dans toute l’Amérique, inaugurant officiellement le Yuleti
144 ficiellement le Yuletide, la saison de Noël. Nous sommes le 15 et les rayons de jouets sont déjà presque vides à New York. Cet
145 e Noël. Nous sommes le 15 et les rayons de jouets sont déjà presque vides à New York. Cet an de grâce rationnée 1945 se term
146 e rationnée 1945 se termine en pleine équivoque : est -ce la paix déjà ? La guerre encore ? Interférences de disette et de l
147 miques. Trois d’entre eux, à Brooklyn, viennent d’ être blessés sérieusement, en jouant à faire sauter le monde. Les trois Gr
148 aire sauter le monde. Les trois Grands, à Moscou, seront -ils plus adroits dans ce même jeu ? On ne le croirait pas, à les voir
149 Astoria d’annoncer que sa nuit de l’An « promet d’ être la plus grande nuit de l’histoire de l’hôtel — à partir de $ 20 la pl
150 re de l’hôtel — à partir de $ 20 la place ». Nous fûmes hier chez Schwartz, grand magasin de jouets de la Cinquième Avenue. «
151 ransporté avec toutes ses racines d’un parc où il sera replanté dès janvier, n’ayant coûté que 100 dollars de location à Mr.
152 gent et mordorés. Pourquoi ces échanges éperdus ? Est -ce en souvenir du seul cadeau de paix jamais fait à l’humanité ? Ou b
153 vre de rivaliser dans la dépense, en fin d’année, est -elle comme chez les primitifs une manière de conjurer le sort et de s
154 s, un droit à la chaleur des groupes. Et ceux qui seront laissés dehors, ceux qui n’appartiennent pas à une cellule sociale, f
155 le de Times Square. Le coudoiement universel leur tiendra lieu d’intimité… Pour moi, j’irai comme chaque année à la messe de mi
156 e Gretchaninov et le motet de Prætorius, Une rose est née… Et je me dirai que l’Amérique n’a pas encore très bien compris l
157 une nouvelle victoire sur le temps, comme si ce n’ était pas lui qui gagne à tous les coups. Qu’apportera cette fin d’année ?
158 ork. Tammany reviendra au pouvoir. Et Roosevelt n’ est pas remplacé… Et toutes les utopies prévues par l’avant-guerre entrer
159 endre de sa voiture. Déjà les biches et les daims sont amenés dans les forêts de chasse au moyen de taxis aériens. Déjà la t
160 rre, bonne volonté (de Dieu) envers les hommes ». Est -il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et
161 hommes ont fort peu de bonne volonté ? La plupart sont involontaires. Ils ne font que subir leur condition. À Times Square,
9 1947, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Slums (janvier 1947)
162 ue et de Central Park, traverse en direction de l’ est de beaux quartiers gris clair d’un gothique sobre et astiqué, change
163 s que je circule dans cette ville, je n’ai jamais été touché, ils sont d’une folle brutalité, mais surpassée par leur adres
164 dans cette ville, je n’ai jamais été touché, ils sont d’une folle brutalité, mais surpassée par leur adresse — allument des
165 es boîtes à lettres portent des noms en cek, nous sommes dans le quartier slovaque. Je gravis l’escalier jusqu’au troisième. L
166 ns la cuisine. En face du fourneau à charbon, qui est censé chauffer l’appartement, une espèce de baignoire couverte et for
167 tre pièce plus large sur la cour. Ce logis, qui n’ est guère qu’un corridor légèrement cloisonné, s’annonce dans les journau
168 ois alvéoles aveugles. Tout l’East Side populaire est ainsi, sur une vingtaine de kilomètres. Je me penche à la fenêtre, au
169 penche à la fenêtre, au-dessus de la cour. Le sol est jonché de plâtras, de journaux, de chiffons qui bougent, ou ce sont p
170 tras, de journaux, de chiffons qui bougent, ou ce sont peut-être des chats. Des cordes tendues sur l’abîme supportent des le
171 ctement rectangulaire. Tous les objets qu’on voit sont des rectangles, à part les chiffons et les chats. Les façades, hauts
10 1947, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Consolation à Me Duperrier sur un procès perdu (décembre 1947)
172 perdu (décembre 1947)m Ta douleur, du Périer, sera donc éternelle ? Et les tristes discours… … Est-ce quelque dédale où
173 sera donc éternelle ? Et les tristes discours… … Est -ce quelque dédale où ta raison perdue Ne se retrouve pas ? Malherbe
174 et plus nécessaire que celui de pouvoir accuser, soit devant le peuple, soit devant un magistrat ou tribunal quelconque, le
175 celui de pouvoir accuser, soit devant le peuple, soit devant un magistrat ou tribunal quelconque, les citoyens qui auraient
176 contre cette liberté… Mais autant ces accusations sont utiles dans une république, autant les calomnies sont dangereuses et
177 utiles dans une république, autant les calomnies sont dangereuses et sans but… On accuse les citoyens devant les magistrats
178 de susciter l’étonnement de l’auditoire. Après s’ être livré à quelques persiflages de fort mauvais goût contre l’écrivain n
179 s ont pris ensuite des chemins opposés, le départ est le même », affirme l’avocat qui cite longuement les passages où Denis
180 el : Les plaidoiries au procès Oltramare : où il est question de Denis de Rougemont L’avocat fait ensuite un parallèle ent
181 Rougemont qui, constate le défenseur d’Oltramare, est allé se mettre au service de la BBO. Il se demande si, ce faisant, De
182 re que je n’ai « jamais cessé au temps de Vichy d’ être publié en France », et il insinue que si j’attaque aujourd’hui le nat
183 rien brandi du tout, ni rien prouvé, et il en eût été bien empêché, car si quelqu’un n’a pas cessé d’être publié sous Vichy
184 té bien empêché, car si quelqu’un n’a pas cessé d’ être publié sous Vichy, c’est lui et non pas moi ; et si quelqu’un a vu se
185 n pas lui. Avec Tite-Live et son commentateur, je suis pour les accusations mais contre les calomnies, parce que je suis pou
186 cusations mais contre les calomnies, parce que je suis pour la liberté qui est du courage mais contre la licence qui est du
187 calomnies, parce que je suis pour la liberté qui est du courage mais contre la licence qui est du fanatisme, ou de la lâch
188 rté qui est du courage mais contre la licence qui est du fanatisme, ou de la lâcheté, ou simplement (restons courtois) de l
189 Oltramare, quelques jours avant son procès, je me suis dit, songeant à ma propre action pendant la guerre : « Quel curieux p
190 s. Où je réponds Voici le raisonnement qu’a tenu devant la cour le bouillant Me Duperrier : — Rougemont s’est mis au s
191 la cour le bouillant Me Duperrier : — Rougemont s’ est mis au service d’une propagande étrangère, comme Oltramare ; il a par
192 s de Suisse, comme Oltramare encore. Les deux cas étant identiques, il faut donc condamner Rougemont, mais il faut acquitter
193 ? Ni moi non plus. C’est que ce raisonnement n’en est pas un, mais combine deux absurdités. 1. Si l’on admet avec cet avoca
194 j’ai vraiment agi comme son client, l’alternative est la suivante : ou bien je suis coupable, mais alors Oltramare l’est au
195 lient, l’alternative est la suivante : ou bien je suis coupable, mais alors Oltramare l’est aussi, la plaidoirie devient un
196 ou bien je suis coupable, mais alors Oltramare l’ est aussi, la plaidoirie devient un réquisitoire, et l’avocat fait une dr
197 à plat, et notre avocat perd la face. 2. Mais où est l’homme sain d’esprit qui peut admettre que j’aie vraiment agi comme
198 pour la radio, hors de Suisse, sur la politique. Soit . Mais un avocat qui veut s’en tenir à la seule ressemblance des mots
199 la politique. Soit. Mais un avocat qui veut s’en tenir à la seule ressemblance des mots tombe dans le calembour juridique. C
200 es mots tombe dans le calembour juridique. Car il est vrai que les deux cas s’énoncent et se prononcent de même, mais par c
201 e question sérieuse qui se posait, notre avocat s’ est bien gardé de la formuler : c’est celle du contenu des émissions. Olt
202 acte et libre. On n’a pas fusillé Oltramare, on s’ est borné à le punir un peu. Son avocat garde le droit de me dénoncer pou
203 et libres, vaut mieux que leur « ordre » où nous serions des morts, ou je ne sais quels esclaves honteux de vivre. À Ferney-Vo
11 1948, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Lacs (août 1948)
204 moraliste. Près de ces eaux, ma vie sentimentale est née. Et depuis lors elle est restée lacustre. « Odeur de l’eau pour t
205 ma vie sentimentale est née. Et depuis lors elle est restée lacustre. « Odeur de l’eau pour toute la vie », écrivait un P
206 ut-il penser que la souffrance au bord d’un lac n’ est jamais sans quelque douceur ? Cherchant d’où vient cet agrément, et p
207 t plus présente, je me dis : c’est qu’un vrai lac est un univers clos, si grands soient les miroirs qu’il offre aux ciels c
208 est qu’un vrai lac est un univers clos, si grands soient les miroirs qu’il offre aux ciels changeants, et si profonds ses loin
209 e. La pente derrière moi, l’horizon des collines, sont le cadre qui donne au tableau sa signification privilégiée. Ici le cœ
210 ci le cœur et l’âme ont leur théâtre pur, où tout est sens, écho, dialogue à l’infini. Ici la joie trouve un espace où se d
211 raison, grandiloquentes, bordent la rive. (Elles furent élevées, dit-on, par un ministre fou.) Cyprès au pied des Alpes, tend
212 pointues et de valses aux jardins publics — là j’ étais seul… Rade de Genève par un beau temps cruel, qui faisait fête à des
213 scintillement des eaux sous la brume légère, tout était si pur et si frais qu’il semblait que le monde venait de s’éveiller,
214 rappelait un peu de tous mes autres lacs, mais il était surtout celui d’Œil de faucon et du dernier des Mohicans de mon enfan
215 s je l’emporte avec les autres sans remords, s’il est vrai que d’aucuns je n’ai su tant d’histoires et qu’il détient certai
216 x chagrins taciturnes. Souffrir auprès d’un lac n’ est jamais sans douceur. Je suis sur la jetée, près du hangar des trams,
217 rir auprès d’un lac n’est jamais sans douceur. Je suis sur la jetée, près du hangar des trams, et l’eau n’est pas plus noire
218 ur la jetée, près du hangar des trams, et l’eau n’ est pas plus noire que mon cœur humilié. Dans ce « local » empuanti de ta
219 rtant de l’école des Terreaux. Nous, les garçons, tenons notre « colloque » sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Nous parlons ent
220 Non, je ne vais pas me suicider. Je mentirai ! Je suis assis sur un banc près du port, la promenade est déserte et mon cœur
221 suis assis sur un banc près du port, la promenade est déserte et mon cœur assoiffé. Personne ne passe jamais, voilà la vie 
222 ’attends, je lui dirais : c’est un malentendu. Je suis dépareillé, passons, passez, Madame… J’ai 19 ans. Je n’aime encore qu
223 s tard, aux mêmes lieux, elle se réserve… Elle ne sera plus jamais tout à fait comme avant.) Ce soir, elle est encore d’une
224 us jamais tout à fait comme avant.) Ce soir, elle est encore d’une présence envoûtante. Le soleil s’est caché derrière le T
225 est encore d’une présence envoûtante. Le soleil s’ est caché derrière le Trou de Bourgogne. La grande rougeur du lac s’est r
226 le Trou de Bourgogne. La grande rougeur du lac s’ est retirée, de vague en vague vers l’autre rive. Elle caresse en passant
227 plaine, luttant contre un vent impétueux. L’orage est imminent. Notre héros, qui paraît âgé d’une vingtaine d’années, se di
228 r ces rivages désertés par le crépuscule ? Quelle est cette hâte inconnue, qu’il se flattait de n’éprouver jamais, bien au
229 e crier : « J’accours ! Attends !… » Ah ! mais qu’ est -ce qu’il m’arrive ? se dit-il. Il faut en avoir le cœur net. (Tout so
230 e de la main au tronc d’un pin. Ce qui lui arrive est solennel, comme l’attente du pays sous le ciel orageux. Oui, c’est bi
231 ands mots impossibles, dans un fol abandon, et ce sera vrai. Comme tout est facile et violent quand les portes du cœur ont c
232 dans un fol abandon, et ce sera vrai. Comme tout est facile et violent quand les portes du cœur ont cédé ! Le lac était d’
233 iolent quand les portes du cœur ont cédé ! Le lac était d’un bleu très sombre, le ciel bas, des éclairs de chaleur palpitaien