1 1937, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Introduction au Journal d’un intellectuel en chômage (août 1937)
1 Introduction au Journal d’ un intellectuel en chômage (août 1937)a Tolstoï disait, vers la fin
2 sait, vers la fin du siècle dernier : « L’artiste de l’avenir vivra la vie ordinaire des hommes, gagnant son pain par un m
3 lconque », et c’est cela justement qui m’a permis de partager, pendant deux ans, « la vie ordinaire des hommes ». Cas plus
4 t du moins — ou croient savoir — ce que c’est que d’ écrire des livres. Ce simple fait suffit à distinguer un tel milieu de
5 Ce simple fait suffit à distinguer un tel milieu de « la vie ordinaire » — la vie de la grande majorité des hommes. Or, e
6 er un tel milieu de « la vie ordinaire » — la vie de la grande majorité des hommes. Or, en même temps que mon gagne-pain,
7 que mon gagne-pain, j’avais perdu la possibilité de vivre à Paris. J’eus l’idée de demander autour de moi si l’on ne conn
8 rdu la possibilité de vivre à Paris. J’eus l’idée de demander autour de moi si l’on ne connaissait pas une maison vide que
9 trouva bien vite : au bout du monde, dans une île de la côte Atlantique. J’allai m’y installer avec ma femme, au mois de n
10 que. J’allai m’y installer avec ma femme, au mois de novembre, et j’y restai jusqu’à l’été. L’année suivante, ce fut le Mi
11 entaines, des milliers, dans toutes les provinces de la France. (Tandis que dans les villes, les jeunes ménages se ruinent
12 à payer leurs « petits deux-pièces », agrémentés de la TSF des voisins.) Chômeur, je me trouvais cependant rendu à mon tr
13 pendant rendu à mon travail le plus réel, qui est d’ écrire. Cette situation paradoxale m’a fait découvrir tout un monde. E
14 Elle m’a confronté au réel, à la vie quotidienne d’ un peuple qui se trouvait tout ignorer de ma « qualité » d’intellectue
15 tidienne d’un peuple qui se trouvait tout ignorer de ma « qualité » d’intellectuel. Elle m’a posé et reposé chaque jour le
16 le qui se trouvait tout ignorer de ma « qualité » d’ intellectuel. Elle m’a posé et reposé chaque jour le problème des rela
17 s, des autres, avec lesquels on se voit contraint de vivre sans avoir pu les choisir à son goût. J’ai traité ces deux gran
18 son goût. J’ai traité ces deux grandes questions de la culture et de la communauté dans un ouvrage théorique intitulé Pe
19 raité ces deux grandes questions de la culture et de la communauté dans un ouvrage théorique intitulé Penser avec les mai
20 ons, des réflexions, déduites du détail quotidien de mes contacts avec les gens, ou des soucis de mon état. Je ne pensais
21 dien de mes contacts avec les gens, ou des soucis de mon état. Je ne pensais pas en faire un livre. Et pourtant ce n’était
22 n nomme un « journal intime ». Je n’y parlais pas de mes sentiments, mais de mon entourage et des questions qu’il me posai
23 ime ». Je n’y parlais pas de mes sentiments, mais de mon entourage et des questions qu’il me posait. Je m’exerçais à cette
24 qu’il me posait. Je m’exerçais à cette discipline de la description objective, qui est devenue tellement étrangère aux rom
25 ous une forme plus générale. Il ne s’agit ici que de la vie « commune », au double sens de ce mot ; il s’agit du réel que
26 git ici que de la vie « commune », au double sens de ce mot ; il s’agit du réel que tout le monde vit. Je crois que c’est
27 viennent graves. Il m’a paru aussi que les façons de vivre et de penser des hommes réels, peuplant la France réelle, étaie
28 ves. Il m’a paru aussi que les façons de vivre et de penser des hommes réels, peuplant la France réelle, étaient en somme
29 je vivais, quelques instituteurs, des chauffeurs d’ autocars, un pasteur, une femme de ménage, des communistes, des propri
30 des chauffeurs d’autocars, un pasteur, une femme de ménage, des communistes, des propriétaires… Ce sont des êtres mystéri
31 tres mystérieux. Mais leur mystère n’apparaît que de tout près. Il est au cœur même de leur vie et ils l’ignorent le plus
32 n’apparaît que de tout près. Il est au cœur même de leur vie et ils l’ignorent le plus souvent. Quand on s’en aperçoit, o
33 rçoit, on commence à comprendre la portée infinie de cette parole si simple : « Ne jugez pas. » On est déjà tout près de l
34 tout près de l’amour. On touche la vie, le grain de l’existence. Et c’est cela que je voudrais faire toucher. J’ai tenté
35 st cela que je voudrais faire toucher. J’ai tenté d’ échapper aux villes inhumaines. Et j’ai trouvé que la province ne vaut
36 est mort ici ! » Phrase si courante qu’on a cessé de sentir le drame immense qu’elle trahit. Province morte, et villes mor
37 t mes notes, je m’aperçois que c’est la nostalgie d’ une vraie communauté qui constitue leur trame profonde. Mais il y a au
38 t les dernières pentes des Cévennes. Il y a aussi de ces rencontres qui soudain vous rendraient — est-ce trop dire ? — une
39 vous rendraient — est-ce trop dire ? — une sorte de confiance en l’homme. Il y a la liberté qu’assure la pauvreté. Ce goû
40 providentiels. Et toutes les joies qui n’ont pas de nom et dont personne ne songerait à parler, contemplation de la terre
41 ont personne ne songerait à parler, contemplation de la terre, ou d’une bestiole à son travail, sentiment de la journée vi
42 songerait à parler, contemplation de la terre, ou d’ une bestiole à son travail, sentiment de la journée vide, du temps qui
43 terre, ou d’une bestiole à son travail, sentiment de la journée vide, du temps qui a pris le rythme des vies simples. Et l
44 t oubliée dans les villes. ⁂ Là où l’on a coutume de placer dans un « journal » des effusions lyriques, des analyses du mo
45 alyses du moi, j’ai cru qu’il serait plus discret de donner, par exemple, mes comptes, ou quelques chiffres qui peuvent êt
46 re tout simplement comme une « recette pour vivre de peu ». a. Rougemont Denis de, « Introduction au Journal d’un intel
47 ecette pour vivre de peu ». a. Rougemont Denis de , « Introduction au Journal d’un intellectuel en chômage  », Bulletin
48 a. Rougemont Denis de, « Introduction au Journal d’ un intellectuel en chômage  », Bulletin de la Guilde du livre, Lausann
49 Journal d’un intellectuel en chômage  », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, août 1937, p. 126-128.
2 1937, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Pages inédites du Journal d’un intellectuel en chômage (octobre 1937)
50 Pages inédites du Journal d’ un intellectuel en chômage (octobre 1937)b Note pour une préface.
51 une préface. — « C’est une entreprise hardie que d’ aller dire aux hommes qu’ils sont peu de chose », s’écrie Bossuet (Ser
52 chose n’est pas trop humiliant pour qui se flatte d’ une image de soi composée dans la solitude : tant qu’on ne s’est pas a
53 pas trop humiliant pour qui se flatte d’une image de soi composée dans la solitude : tant qu’on ne s’est pas avoué devant
54 . Et ce n’est pas encore franchement s’avouer que de se comparer aux seuls humains que le métier ou notre rang social nous
55 le métier ou notre rang social nous met en mesure d’ approcher. L’épreuve décisive est celle que l’on subit au contact de v
56 euve décisive est celle que l’on subit au contact de voisins que rien en nous, que rien dans notre vie n’attendait et ne p
57 n’attendait et ne prévoyait. Ce n’est qu’au prix d’ un désordre social — selon les préjugés du régime établi — que ces ren
58 — On dit souvent qu’il faut à l’homme un minimum de confort ou d’aisance matérielle pour pouvoir réfléchir, se poser des
59 ent qu’il faut à l’homme un minimum de confort ou d’ aisance matérielle pour pouvoir réfléchir, se poser des problèmes nouv
60 éfléchir, se poser des problèmes nouveaux, créer… D’ où résulterait qu’un certain degré de pauvreté ou de misère physique c
61 eaux, créer… D’où résulterait qu’un certain degré de pauvreté ou de misère physique condamnerait même un « intellectuel »
62 où résulterait qu’un certain degré de pauvreté ou de misère physique condamnerait même un « intellectuel » au chômage abso
63 ctuel » au chômage absolu, c’est-à-dire à l’arrêt de la pensée, tout au moins de la pensée créatrice. Mais quel est ce cer
64 ’est-à-dire à l’arrêt de la pensée, tout au moins de la pensée créatrice. Mais quel est ce certain degré ? À quel niveau p
65 araît insoluble dès qu’on la pose dans le concret d’ une vie connue. Prenons deux hommes qui furent tous deux de prodigieux
66 connue. Prenons deux hommes qui furent tous deux de prodigieux producteurs d’idées ; deux hommes qui ont écrit chacun une
67 es qui furent tous deux de prodigieux producteurs d’ idées ; deux hommes qui ont écrit chacun une vingtaine de volumes en l
68  ; deux hommes qui ont écrit chacun une vingtaine de volumes en l’espace de dix ans : Kierkegaard et Nietzsche. Le premier
69 écrit chacun une vingtaine de volumes en l’espace de dix ans : Kierkegaard et Nietzsche. Le premier était riche et dépensa
70 rvi à rapiécer les épaules et le plastron. Le peu d’ argent de sa retraite de professeur servait à payer ses logeuses succe
71 iécer les épaules et le plastron. Le peu d’argent de sa retraite de professeur servait à payer ses logeuses successives, e
72 es et le plastron. Le peu d’argent de sa retraite de professeur servait à payer ses logeuses successives, et des remèdes c
73 r d’autres buts à leur existence que la recherche d’ un gain précaire. Mais à ceux qui ont quelque chose, il faut rappeler
74 rès. Nuit des villes, rouge et circulante, pleine de rumeurs, comparable à la fièvre. Plus lucide souvent que les jours. I
75 entre les rosiers. Je trouve, à tâtons, le verrou de la porte du fond, dans l’odeur des lauriers épais. Voici les rues du
76 or blanc et vert. Des chiens surgissent des coins d’ ombre, aboient horriblement, tournent autour de moi, me flairent avec
77 loigner du village. De nouveau le noir, et l’écho de mes pas contre les murs des maisons mortes. Je me glisse dans le hang
78 s des maisons mortes. Je me glisse dans le hangar de la grosse voiture et tâte ses flancs jusqu’à ce que je rencontre l’ou
79 es flancs jusqu’à ce que je rencontre l’ouverture de la boîte aux lettres. De loin, le village apparaît fantastique : les
80 je rencontre l’ouverture de la boîte aux lettres. De loin, le village apparaît fantastique : les becs de gaz, très bas, éc
81 nées par le clocher à toit plat, et des fragments de silhouettes d’arbres devant les maisons. La rumeur de la mer arrive p
82 cher à toit plat, et des fragments de silhouettes d’ arbres devant les maisons. La rumeur de la mer arrive par bouffées. Pu
83 ilhouettes d’arbres devant les maisons. La rumeur de la mer arrive par bouffées. Puis c’est de nouveau cet étrange écho de
84 chiens qui reviennent, et pas une âme. — « Vallée de l’ombre de la mort… étranger et voyageur sur la terre… » — Jamais plu
85 reviennent, et pas une âme. — « Vallée de l’ombre de la mort… étranger et voyageur sur la terre… » — Jamais plus que dans
86 erre… » — Jamais plus que dans cette nuit. ⁂ Fin de séjour à A… (Gard). — Tout est en place. Je garderai toutefois le pla
87  Tout est en place. Je garderai toutefois le plan d’ aménagement et de décoration des trois chambres du premier étage, on n
88 e. Je garderai toutefois le plan d’aménagement et de décoration des trois chambres du premier étage, on ne sait jamais… Le
89 n ne sait jamais… Les vingt-deux pièces du dessus de cheminée ont été replacées au millimètre, dans une symétrie impeccabl
90 , dans une symétrie impeccable. Mais tout l’effet de notre labeur risque d’être détruit par une odieuse malice du sort. No
91 eccable. Mais tout l’effet de notre labeur risque d’ être détruit par une odieuse malice du sort. Nous avions descendu du d
92 est étroit. La descente s’était opérée sans trop de mal, lors de notre arrivée. Mais nous n’avions pas prévu la remontée 
93 as prévu la remontée ! Épuisés par une demi-heure d’ efforts haletants, qui n’ont abouti qu’à coincer le sommier au tournan
94 er au tournant, entre la balustrade et les parois de la cage d’escalier — au surplus fortement rayées — nous avons couru i
95 rtement rayées — nous avons couru implorer l’aide de Simard. « Ce cochon-là » refuse, prétextant une hernie ; sa femme aus
96 ant sa jambe « coupée ». (Bonne occasion pourtant de la décrocher un peu pour toucher davantage à l’assurance !) Il a bien
97 que nous avons infligés à la maison. Pas question d’ aller quérir du renfort à A. Il faut encore boucler les valises, desce
98 encore boucler les valises, descendre mes caisses de livres à la gare, etc., et le train part dans une heure. Quand la pro
99 ns » en général — quand je ne fais que les jauger d’ un regard — et sympathie violente, « élan vers », dès que mon regard s
100 ments, aux mains, à l’attitude distraite et vraie d’ un être isolé près de moi. Je prends le métro, malgré l’odeur de buand
101 é près de moi. Je prends le métro, malgré l’odeur de buanderie et ce relent de fauves de certains parfums de femmes, rien
102 e métro, malgré l’odeur de buanderie et ce relent de fauves de certains parfums de femmes, rien que pour regarder des être
103 algré l’odeur de buanderie et ce relent de fauves de certains parfums de femmes, rien que pour regarder des êtres, et vivr
104 nderie et ce relent de fauves de certains parfums de femmes, rien que pour regarder des êtres, et vivre un moment auprès d
105 our regarder des êtres, et vivre un moment auprès d’ eux, le temps de trois stations, le temps d’imaginer une rencontre, un
106 êtres, et vivre un moment auprès d’eux, le temps de trois stations, le temps d’imaginer une rencontre, un échange spontan
107 uprès d’eux, le temps de trois stations, le temps d’ imaginer une rencontre, un échange spontané, une de ces découvertes fr
108 ’imaginer une rencontre, un échange spontané, une de ces découvertes frémissantes telles que j’en ai sans doute vécues, ad
109 uoi j’ai eu ce fort désir soudain, dans le métro, de tutoyer mes compagnons de route. Était-ce envie de donner ou de recev
110 soudain, dans le métro, de tutoyer mes compagnons de route. Était-ce envie de donner ou de recevoir ? Il me semble mainten
111 e tutoyer mes compagnons de route. Était-ce envie de donner ou de recevoir ? Il me semble maintenant que j’écris, que c’es
112 compagnons de route. Était-ce envie de donner ou de recevoir ? Il me semble maintenant que j’écris, que c’est profondémen
113 ent le même mouvement, l’amour. La même déception de l’amour, parce que rien ne s’est produit, rien ne peut se produire, p
114 lution ! » — Ce substitut, ce renvoi aux calendes de la Grande Communication… ⁂ Montparnasse. — Stupidité triste, parfois
115 — Stupidité triste, parfois insolente, et lourde, de cette population de mannequins vides et mal truqués. Figures grises d
116 parfois insolente, et lourde, de cette population de mannequins vides et mal truqués. Figures grises devant des mentes fau
117 occuper des « petits-faits-vrais » vaut mieux que de les ignorer. Mais l’excellent, c’est de parvenir à les ignorer avec f
118 mieux que de les ignorer. Mais l’excellent, c’est de parvenir à les ignorer avec force, une fois qu’on les a bien connus,
119 e, une grande idée embrassée avec force au mépris de soi-même et de l’utilité. Car elle peut devenir le fait dominateur. E
120 dée embrassée avec force au mépris de soi-même et de l’utilité. Car elle peut devenir le fait dominateur. En vérité, il n’
121 venir le fait dominateur. En vérité, il n’y a pas de faits grands ou petits en soi et par comparaison. Il y a dans chaque
122 en soi et par comparaison. Il y a dans chaque vie d’ homme à peu près digne de ce nom un fait qui commande tous les autres
123 . Il y a dans chaque vie d’homme à peu près digne de ce nom un fait qui commande tous les autres et qui est la mesure de t
124 qui commande tous les autres et qui est la mesure de tout. Quand tu l’auras connu et accepté — tu es le seul à le connaîtr
125 travers les paroles qu’ils croient dire ; essaie de les comprendre quand ils se plaignent ou quand ils rient : tu ne verr
126 i. Car il est tout ce que le monde attend, attend de toute éternité pour aujourd’hui et de toi seul — et c’est ta foi. ⁂
127 end, attend de toute éternité pour aujourd’hui et de toi seul — et c’est ta foi. ⁂ Post-scriptum. — En même temps que les
128 Post-scriptum. — En même temps que les épreuves de mon journal, je reçois une note à l’encre rouge, signée du correcteur
129 is une note à l’encre rouge, signée du correcteur de l’imprimerie. Je la recopie : « “Épicerie et spécialiste”2 — L’auteur
130 Nous sommes dans le Midi, où un sentiment obscur de latinité a survécu. Et épices (d’où épicerie) et espèce (d’où spécial
131 entiment obscur de latinité a survécu. Et épices ( d’ où épicerie) et espèce (d’où spécialiste) sont le même mot. Tous deux
132 é a survécu. Et épices (d’où épicerie) et espèce ( d’ où spécialiste) sont le même mot. Tous deux remontent à species (latin
133 que 250 fr. dans le coffre. 2. Voir la page 140 de l’édition de la Guilde du Livre. b. Rougemont Denis de, « Pages iné
134 dans le coffre. 2. Voir la page 140 de l’édition de la Guilde du Livre. b. Rougemont Denis de, « Pages inédites du Jour
135 ition de la Guilde du Livre. b. Rougemont Denis de , « Pages inédites du Journal d’un intellectuel en chômage  », Bulleti
136 Rougemont Denis de, « Pages inédites du Journal d’ un intellectuel en chômage  », Bulletin de la Guilde du livre, Lausann
137 Journal d’un intellectuel en chômage  », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, octobre 1937, p. 150-153.
3 1938, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Caquets d’une vieille poule noire (août 1938)
138 Caquets d’ une vieille poule noire (août 1938)c d Eh bien ! en ont-ils fait de
139 s feuilles, et je me vengerais bien si ce n’était de lui que dépend, après tout, mon existence. Ont-ils pu se moquer de mo
140 , après tout, mon existence. Ont-ils pu se moquer de mon aventure, tous les feuilletonistes indiscrets auxquels ce satané
141 s allez pouvoir en juger. Dans un grand quotidien de Bordeaux, il a paru tout un article intitulé sur trois colonnes — et
142 es — et j’en sens ma crête en rougir — « La poule de M. de Rougemont ». Voici le début de ce libelle : Dans le livre si…
143 — « La poule de M. de Rougemont ». Voici le début de ce libelle : Dans le livre si… si… et si… (je supprime des adjectifs
144 ectifs élogieux, tout à fait déplacés à mon avis) de M. de Rougemont, Journal d’un intellectuel en chômage , il y a une p
145 déplacés à mon avis) de M. de Rougemont, Journal d’ un intellectuel en chômage , il y a une poule. C’est une poule noire,
146 du jardin, cette poule. Elle n’a pas fait parler d’ elle depuis le mois de novembre. Soudain, le 10 avril, elle se met à p
147 e. Elle n’a pas fait parler d’elle depuis le mois de novembre. Soudain, le 10 avril, elle se met à pondre, et avec tant d’
148 , le 10 avril, elle se met à pondre, et avec tant d’ ardeur que, dès le 16, elle a treize gros œufs, que sans désemparer el
149 eur « dans un monde où l’on pardonnera aux poules d’ avoir des mœurs un peu bizarres, parce que les hommes en auront de plu
150 s bizarres » ! Quel toupet ! Et le plus révoltant de l’affaire, c’est que mon auteur a ri très fort de cet article et s’es
151 de l’affaire, c’est que mon auteur a ri très fort de cet article et s’est lâchement refusé à prendre la défense de ma vert
152 hement refusé à prendre la défense de ma vertu et de mon honneur vilipendés. Il s’en fiche, il s’amuse à mes dépens après
153 roît ne sont pas bien malins ! Il était si facile de répliquer à mon calomniateur bordelais que c’est lui qui ne connaît r
154 ux mœurs des poules ! Que nous n’avons pas besoin d’ un coq pour pondre un œuf quand cela nous chante3 ; que nous ne couvon
155 se et scandaleuse des prétendus trente-huit jours de couvée prouve simplement que mon auteur a négligé de vérifier ses dat
156 couvée prouve simplement que mon auteur a négligé de vérifier ses dates ! Enfin, mon innocence éclate à tous les yeux. Ce
157 able en vérité qu’à l’ignorance presque touchante de ce critique aussi présomptueux que bordelais. Que dire des autres ! F
158 es autres ! Figurez-vous que j’ai eu la curiosité d’ aller picorer parmi les dossiers de mon auteur, épars sur son bureau,
159 u la curiosité d’aller picorer parmi les dossiers de mon auteur, épars sur son bureau, sur son divan, et jusque sur le sol
160 r son bureau, sur son divan, et jusque sur le sol de la pièce où il travaille (toujours ce désordre !). À ma stupéfaction,
161 e !). À ma stupéfaction, j’ai trouvé des dizaines d’ articles pleins d’éloges pour ce maudit Journal . Il est vrai qu’ils
162 ction, j’ai trouvé des dizaines d’articles pleins d’ éloges pour ce maudit Journal . Il est vrai qu’ils étaient signés de
163 udit Journal . Il est vrai qu’ils étaient signés de noms que je crois fort obscurs, comme Mauriac, Ramuz, Halévy, Duhamel
164 lévy, Duhamel. Tout cela ne compte guère aux yeux d’ une poule. Ce qui compte, c’est l’énorme étude de neuf colonnes parue,
165 d’une poule. Ce qui compte, c’est l’énorme étude de neuf colonnes parue, pour ma vengeance, dans Curieux. Nul n’ignore qu
166 tenu le concours régulier du plus fameux critique de Romorantin (Loir-et-Cher). Non pas que la Suisse romande manque de cr
167 ir-et-Cher). Non pas que la Suisse romande manque de critiques très qualifiés, mais quand on a l’aubaine de publier des pa
168 itiques très qualifiés, mais quand on a l’aubaine de publier des pages signées V. Meylan-Malécot, il convient de faire pas
169 des pages signées V. Meylan-Malécot, il convient de faire passer au second plan les considérations locales, toujours un p
170 ire et ses treize poussins. Certains en sourient, de votre poule noire ; moi, je lui trouve une vertu particulière. Voilà
171 ilà au moins un sujet substantiel, et qui a tenté de fort bons auteurs. Ce qu’on peut critiquer chez vous, ce n’est pas le
172 , c’est votre manière par trop naïve et enfantine de le traiter. Est-ce que, par hasard, il n’y aurait pas de poules dans
173 raiter. Est-ce que, par hasard, il n’y aurait pas de poules dans votre pays ? Ou bien est-ce que vous ne les aviez jamais
174 e, j’étais « un sujet substantiel, et qui a tenté de fort bons auteurs ». Mon malheur a voulu que j’aie tenté aussi un aut
175 les mots » à tel point que Mme Meylan peut écrire de son livre : « Il est difficile d’accumuler plus d’âneries en moins de
176 lan peut écrire de son livre : « Il est difficile d’ accumuler plus d’âneries en moins de phrases. » Ça c’est tapé ! Je n’a
177 e son livre : « Il est difficile d’accumuler plus d’ âneries en moins de phrases. » Ça c’est tapé ! Je n’aurais pas dit mie
178 est difficile d’accumuler plus d’âneries en moins de phrases. » Ça c’est tapé ! Je n’aurais pas dit mieux. Mais la dame cr
179 Je n’aurais pas dit mieux. Mais la dame critique de Romorantin (Loir-et-Cher) ne se contente pas de fustiger les apparenc
180 e de Romorantin (Loir-et-Cher) ne se contente pas de fustiger les apparences du vice : allant droit au fait, elle distingu
181 roit au fait, elle distingue à l’origine du livre de mon persécuteur la haine farouche de tout ce qui est beau et noble. L
182 ine du livre de mon persécuteur la haine farouche de tout ce qui est beau et noble. Le génie seul a les yeux si perçants,
183 nts, le génie seul pouvait déjouer la ruse infâme de mon auteur. Car, sous prétexte de décrire une poule noire, savez-vous
184 coup, je m’y reconnais : cette logique est celle de la race. On sent des siècles de cartésianisme derrière ce cri sublime
185 logique est celle de la race. On sent des siècles de cartésianisme derrière ce cri sublime et désintéressé. Naturellement,
186 s, a cru devoir hausser les épaules. Dans le fond de son cœur, toutefois, il a dû se sentir atteint. Et comment ne pas adm
187 tir atteint. Et comment ne pas admirer le courage de cette Française4 qui, du fond de son Romorantin, se dresse, seule, co
188 mirer le courage de cette Française4 qui, du fond de son Romorantin, se dresse, seule, contre toute l’opinion — quitte à p
189 Helvète ! J’ai eu un autre vengeur en la personne de M. François Porché. Mais j’avoue que cet article de Parisien est moin
190 M. François Porché. Mais j’avoue que cet article de Parisien est moins heureux que celui de la Romorantine. M. Porché est
191 t article de Parisien est moins heureux que celui de la Romorantine. M. Porché estime que dans le Journal « tout est fau
192 lui-même n’a pas été si loin : il s’est contenté de se débrouiller avec sa pauvreté et, loin de la croire sacrée, il a es
193 auvreté et, loin de la croire sacrée, il a essayé d’ en sortir. Je signale le cas de M. Porché à la vigilance de Mme Meylan
194 acrée, il a essayé d’en sortir. Je signale le cas de M. Porché à la vigilance de Mme Meylan, défenseur des rentes. Pour fi
195 ir. Je signale le cas de M. Porché à la vigilance de Mme Meylan, défenseur des rentes. Pour finir, je vous confierai un re
196 prix. Beaucoup de critiques ont accusé mon auteur d’ avoir usurpé le « titre » de chômeur (comme l’écrit curieusement M. Br
197 ont accusé mon auteur d’avoir usurpé le « titre » de chômeur (comme l’écrit curieusement M. Brasillach). Ils disaient qu’u
198 orme : Denis de Rougemont. 3. Me permettra-t-on d’ ajouter ma petite remarque aux déclarations judicieuses de ma poule no
199 r ma petite remarque aux déclarations judicieuses de ma poule noire ? Ce ne sont pas seulement les poules qui jouissent de
200 Ce ne sont pas seulement les poules qui jouissent de cette faculté. Il y a plus de mots que d’idées fécondes dans ce monde
201 oules qui jouissent de cette faculté. Il y a plus de mots que d’idées fécondes dans ce monde. 4. Il est vrai qu’on la dit
202 uissent de cette faculté. Il y a plus de mots que d’ idées fécondes dans ce monde. 4. Il est vrai qu’on la dit Lausannoise
203 journal Curieux a présenté sa lettre comme celle d’ une Française offensée, et moi je crois tout ce qui est imprimé. c.
204 ois tout ce qui est imprimé. c. Rougemont Denis de , « Caquets d’une vieille poule noire », Bulletin de la Guilde du livr
205 i est imprimé. c. Rougemont Denis de, « Caquets d’ une vieille poule noire », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, a
206 , « Caquets d’une vieille poule noire », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, août 1938, p. 115-117. d. Précédé du c
207 écédé du chapeau suivant : « L’auteur du Journal d’ un intellectuel en chômage nous remet ces pages qu’il prétend avoir é
208 s) par la vieille poule noire mise en scène p. 92 de son livre. Nos lecteurs jugeront eux-mêmes s’il faut voir là une preu
209 t eux-mêmes s’il faut voir là une preuve nouvelle d’ une grossière supercherie. » Dans l’édition Albin Michel que nous avon
4 1939, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Puisque je suis un militaire… (septembre 1939)
210 ave paysan vaudois, après la grêle, qui désignait d’ un doigt le ciel coupable : « Je n’accuse personne, mais c’est dégoûta
211 ous voilà faits, refaits par l’événement, plongés d’ un coup dans le détail technique de ces grandes choses terribles qu’on
212 ement, plongés d’un coup dans le détail technique de ces grandes choses terribles qu’on imaginait, qu’on redoutait, qu’on
213 l’instant qu’elles deviennent présentes, cessent d’ être imaginées, ou même imaginables. Tout de même, après huit jours, l
214 choses commencent à se situer. Les grandes masses de l’Europe, les grandes lignes de la guerre, et çà et là, dans nos fron
215 es grandes masses de l’Europe, les grandes lignes de la guerre, et çà et là, dans nos frontières, des secteurs minuscules,
216 secteurs minuscules, comme au hasard, qu’on voit d’ un coup avec une précision quasi absurde. Cette chambre paysanne ou j’
217 r quadrillé, tandis qu’Albert Mermoud, en travers de son lit, les hottes pendantes, dépouille le courrier de la Guilde… Je
218 lit, les hottes pendantes, dépouille le courrier de la Guilde… Je ne puis pas vous dire où cela se trouve sans contreveni
219 ès bien ainsi, Denis de Rougemont et le directeur de la Guilde « en campagne », car nous sommes n’importe où, sans raison
220 on écrase des pommes mal mûres, dans des cuisines de ferme, dans cette chambre boisée… Confort paysan, seul authentique en
221 pays. Aux parois, des versets bibliques, lettres d’ argent et myosotis, autour de la photo jaunie du Chœur mixte en 1913.
222 oto jaunie du Chœur mixte en 1913. Deux bons lits de bois aux « duvets » écrasants. Pour le reste, un désordre exemplaire,
223 courroies, bandes molletières, cigarettes, boîtes de conserve, tuniques mouillées, paperasses. Revanche sur des journées d
224 mouillées, paperasses. Revanche sur des journées de discipline et de paquetages alignés au cordeau. Partirons-nous au mil
225 asses. Revanche sur des journées de discipline et de paquetages alignés au cordeau. Partirons-nous au milieu de la nuit ?
226 passerons-nous l’hiver ici ? Plus rien ne dépend de nous. C’est notre liberté. Pendant que Mermoud compose son Bulletin d
227 liberté. Pendant que Mermoud compose son Bulletin de guerre, j’ai bien envie de vous dire un peu de quoi se fait la vie à
228 d compose son Bulletin de guerre, j’ai bien envie de vous dire un peu de quoi se fait la vie à l’armée, dans les débuts d’
229 de quoi se fait la vie à l’armée, dans les débuts d’ une mobilisation. Les dames croient volontiers que c’est parades et bo
230 issant l’ordre social contre le mystérieux Esprit de subversion. Ces dames sont en retard d’au moins deux guerres ou victi
231 ux Esprit de subversion. Ces dames sont en retard d’ au moins deux guerres ou victimes d’expressions telles que « sous les
232 ont en retard d’au moins deux guerres ou victimes d’ expressions telles que « sous les drapeaux ». En vérité, l’armée c’est
233 n vérité, l’armée c’est tout d’abord un cliquetis de casques et d’ustensiles grossiers ; des mouvements brusques en tout s
234 mée c’est tout d’abord un cliquetis de casques et d’ ustensiles grossiers ; des mouvements brusques en tout sens, tissant u
235 trimballées dans une hâte hargneuse et fouaillée de jurons, précipitant des hommes mal réveillés vers des attentes inexpl
236 er, si toutefois la fatigue lui laisse la faculté de constater quoi que ce soit, hors l’envie de boire et de se coucher. E
237 culté de constater quoi que ce soit, hors l’envie de boire et de se coucher. Eh bien ! de tout cela se dégage un lyrisme.
238 stater quoi que ce soit, hors l’envie de boire et de se coucher. Eh bien ! de tout cela se dégage un lyrisme. De cela préc
239 hors l’envie de boire et de se coucher. Eh bien ! de tout cela se dégage un lyrisme. De cela précisément qui n’a pas de no
240 her. Eh bien ! de tout cela se dégage un lyrisme. De cela précisément qui n’a pas de nom, qui n’a rien de spectaculaire, q
241 égage un lyrisme. De cela précisément qui n’a pas de nom, qui n’a rien de spectaculaire, qui n’a pas sa photo dans les feu
242 cela précisément qui n’a pas de nom, qui n’a rien de spectaculaire, qui n’a pas sa photo dans les feuilles et qu’on peut s
243 ique qu’un rassemblement dans la nuit, grouillant de casques, de reflets sourds et de gamelles entrechoquées. Et, plus tar
244 assemblement dans la nuit, grouillant de casques, de reflets sourds et de gamelles entrechoquées. Et, plus tard, au matin,
245 nuit, grouillant de casques, de reflets sourds et de gamelles entrechoquées. Et, plus tard, au matin, quand l’attaque se p
246 se prépare, un « à terre » prolongé à la lisière d’ un bois, cela peut être un des plus beaux moments de notre furtive exi
247 un bois, cela peut être un des plus beaux moments de notre furtive existence. Surtout quand il tombe une pluie fine. Ce n’
248 pas seulement à cause de la saison qu’il convient de parler de la pluie. C’est à cause d’une profonde affinité entre la vi
249 ent à cause de la saison qu’il convient de parler de la pluie. C’est à cause d’une profonde affinité entre la vie en unifo
250 ’il convient de parler de la pluie. C’est à cause d’ une profonde affinité entre la vie en uniforme et ce que l’on nomme pa
251 luie militaire, comment dire, c’est quelque chose d’ immense et de sérieux. On y pénètre de tout son corps, de tout son sen
252 e, comment dire, c’est quelque chose d’immense et de sérieux. On y pénètre de tout son corps, de tout son sentiment charne
253 elque chose d’immense et de sérieux. On y pénètre de tout son corps, de tout son sentiment charnel, on l’accepte avec tout
254 se et de sérieux. On y pénètre de tout son corps, de tout son sentiment charnel, on l’accepte avec toute la nature, sans p
255 me observe l’avant-terrain par-dessous la visière d’ acier régulièrement ourlée de gouttes. Le vent siffle à travers les tr
256 r-dessous la visière d’acier régulièrement ourlée de gouttes. Le vent siffle à travers les trous du casque. L’homme tire l
257 ravers les trous du casque. L’homme tire la toile de tente qui couvre ses épaules et cherche à la caler sous son coude dro
258 che à la caler sous son coude droit. Il sait que, d’ une seconde à l’autre, peut venir l’ordre de bondir. Ça ne l’empêche p
259 que, d’une seconde à l’autre, peut venir l’ordre de bondir. Ça ne l’empêche pas de s’installer comme s’il n’avait rien d’
260 peut venir l’ordre de bondir. Ça ne l’empêche pas de s’installer comme s’il n’avait rien d’autre à faire pendant des heure
261 mpêche pas de s’installer comme s’il n’avait rien d’ autre à faire pendant des heures. (Est-ce une parabole de la vie ?) Il
262 à faire pendant des heures. (Est-ce une parabole de la vie ?) Il est bien. Merveilleusement bien. Libéré. Sans passé, san
263 gts sont rouges sur le fusil luisant. Les gouttes de la visière glissent d’un coup sur la gauche quand on lève un peu le n
264 fusil luisant. Les gouttes de la visière glissent d’ un coup sur la gauche quand on lève un peu le nez pour voir si rien ne
265 rien ne vient. Grisaille, monotonie, envoûtement de l’esprit par le corps – pourvu que ça dure encore quelques secondes,
266 en ça, c’est toujours ça, le bonheur : un instant de répit sous la menace. Alors on vit à plein. On sent le goût des chose
267 rce qu’on vient de remplir les limites du réel et d’ accomplir un seul instant parfait. e. Rougemont Denis de, « Puisque
268 ir un seul instant parfait. e. Rougemont Denis de , « Puisque je suis un militaire… », Bulletin de la Guilde du livre, L
269 s de, « Puisque je suis un militaire… », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, septembre 1939, p. 131-133.
5 1939, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Billet d’aller et retour (décembre 1939)
270 Billet d’ aller et retour (décembre 1939)f Je l’ai pourtant quittée, cette ch
271 que j’y pense, et c’est souvent. Faites le compte de vos heures et vous découvrirez que tout homme rêve une bonne part de
272 us découvrirez que tout homme rêve une bonne part de sa vie. Mais il arrive aussi que certains rêves, et certains cauchema
273 cela trois jours plus tard, dans une grande gare de cette Europe qui ne sait plus répondre aux menaces que par l’extincti
274 aux menaces que par l’extinction des lumières, —  de toutes les lumières humaines. J’avais quitté mon train pendant l’arrê
275 quitté mon train pendant l’arrêt, à la recherche d’ un buffet quelconque, et je n’avais trouvé qu’un abri souterrain au bo
276 du quai. Pendant ce temps, l’express avait changé de voie. Dans la bleuâtre obscurité, nul écriteau lisible et nul visage
277 e dans le dédale des passages sous voie encombrés de sacs de sable, au long d’étroits couloirs où je coudoyais des soldats
278 e dédale des passages sous voie encombrés de sacs de sable, au long d’étroits couloirs où je coudoyais des soldats sourds
279 ges sous voie encombrés de sacs de sable, au long d’ étroits couloirs où je coudoyais des soldats sourds et muets — tous le
280 is je l’avais quitté presque vide et il est plein de dormeurs débraillés, de musettes et de masques à gaz. Déjà nous roulo
281 sque vide et il est plein de dormeurs débraillés, de musettes et de masques à gaz. Déjà nous roulons lourdement. Le nom de
282 est plein de dormeurs débraillés, de musettes et de masques à gaz. Déjà nous roulons lourdement. Le nom de cette gare — c
283 sques à gaz. Déjà nous roulons lourdement. Le nom de cette gare — comme de toutes les autres — était camouflé, illisible.
284 roulons lourdement. Le nom de cette gare — comme de toutes les autres — était camouflé, illisible. Je ne saurai jamais si
285 au matin, oui, c’était bien Paris, et les sirènes d’ une fin d’alerte. ⁂ Imaginez un Paris englouti dans l’épaisse nuit des
286 oui, c’était bien Paris, et les sirènes d’une fin d’ alerte. ⁂ Imaginez un Paris englouti dans l’épaisse nuit des campagnes
287 reflet sur le macadam. Tout au bas, tout au fond de l’ombre, dans la pierre et dans les vestiges d’une civilisation qui d
288 d de l’ombre, dans la pierre et dans les vestiges d’ une civilisation qui déserte… Je me suis enfermé dans ma chambre d’hôt
289 n qui déserte… Je me suis enfermé dans ma chambre d’ hôtel et j’ai écrit pendant deux jours ces conférences que j’allais fa
290 a brume, à l’horizon des marécages, une confusion de silhouettes griffues : moulins, clochers, grues, cheminées, au-dessus
291  : moulins, clochers, grues, cheminées, au-dessus de faubourgs luisants de briques et de verreries. C’est Rotterdam. C’est
292 grues, cheminées, au-dessus de faubourgs luisants de briques et de verreries. C’est Rotterdam. C’est le chaos d’une Renais
293 es, au-dessus de faubourgs luisants de briques et de verreries. C’est Rotterdam. C’est le chaos d’une Renaissance américan
294 et de verreries. C’est Rotterdam. C’est le chaos d’ une Renaissance américanisée ! Le train passe au-dessus des ports, dan
295 au-dessus des ports, dans la puissante vibration d’ un pont de fer, au-dessus de canaux reflétant les décors d’une grandio
296 des ports, dans la puissante vibration d’un pont de fer, au-dessus de canaux reflétant les décors d’une grandiose activit
297 a puissante vibration d’un pont de fer, au-dessus de canaux reflétant les décors d’une grandiose activité marchande. Ici,
298 de fer, au-dessus de canaux reflétant les décors d’ une grandiose activité marchande. Ici, les sirènes annoncent l’approch
299 i, les sirènes annoncent l’approche des richesses de la terre. ⁂ Une connaissance intime et personnelle de ce que l’on app
300 a terre. ⁂ Une connaissance intime et personnelle de ce que l’on appellera l’âme hollandaise, je doute qu’elle en apprenne
301 davantage qu’une vision intense du paysage urbain de la Hollande. Tout ce que je sais de ce pays, après deux semaines de v
302 aysage urbain de la Hollande. Tout ce que je sais de ce pays, après deux semaines de voyage et une centaine de conversatio
303 ut ce que je sais de ce pays, après deux semaines de voyage et une centaine de conversations, je puis le lire et le relire
304 ys, après deux semaines de voyage et une centaine de conversations, je puis le lire et le relire dans l’architecture d’Ams
305 je puis le lire et le relire dans l’architecture d’ Amsterdam, de Rotterdam, ou des petites cités du centre. Je vois côte
306 ire et le relire dans l’architecture d’Amsterdam, de Rotterdam, ou des petites cités du centre. Je vois côte à côte un pal
307 es cités du centre. Je vois côte à côte un palais de la Renaissance flamande, un hôtel du xviiie siècle, un gratte-ciel e
308 u xviiie siècle, un gratte-ciel et des entrepôts de marchandises venues des Indes. Cette même rue se prolonge par des vil
309 Indes. Cette même rue se prolonge par des villas d’ une incroyable variété de formes ultramodernes, puis se perd peu à peu
310 prolonge par des villas d’une incroyable variété de formes ultramodernes, puis se perd peu à peu dans la campagne, par de
311 pas que la lumière fauve et le grenat des façades de briques renversées dans l’eau jaune des canaux suffisent à expliquer
312 iquer cette harmonie solide, luxueusement nourrie de contrastes et de surprises. Le grand secret de ce pays, ce qu’il faut
313 nie solide, luxueusement nourrie de contrastes et de surprises. Le grand secret de ce pays, ce qu’il faut lire sur ces faç
314 ie de contrastes et de surprises. Le grand secret de ce pays, ce qu’il faut lire sur ces façades à la fois patinées et tou
315 patinées et toujours neuves, c’est la continuité d’ une tradition et d’une volonté créatrice qui n’ont jamais perdu la mes
316 rs neuves, c’est la continuité d’une tradition et d’ une volonté créatrice qui n’ont jamais perdu la mesure de l’humain. Po
317 olonté créatrice qui n’ont jamais perdu la mesure de l’humain. Point de coupure ici, point de Révolution, point de scissio
318 i n’ont jamais perdu la mesure de l’humain. Point de coupure ici, point de Révolution, point de scission de l’Histoire et
319 a mesure de l’humain. Point de coupure ici, point de Révolution, point de scission de l’Histoire et de la nation en deux c
320 Point de coupure ici, point de Révolution, point de scission de l’Histoire et de la nation en deux camps longuement irréd
321 upure ici, point de Révolution, point de scission de l’Histoire et de la nation en deux camps longuement irréductibles et
322 de Révolution, point de scission de l’Histoire et de la nation en deux camps longuement irréductibles et appauvris chacun
323 amps longuement irréductibles et appauvris chacun de tout ce que l’autre annexe. Ce mariage de l’ancien et du moderne n’es
324 chacun de tout ce que l’autre annexe. Ce mariage de l’ancien et du moderne n’est pas seulement une réussite technique, un
325 ie, et qui est celle des deux grandes conceptions de « l’ordre » qui se partagent notre Europe : harmonie intérieure ou un
326 totalitarisme. Je comprends et je vois le secret de la paix : c’est une victoire de tous les jours, et de chacun, sur l’e
327 je vois le secret de la paix : c’est une victoire de tous les jours, et de chacun, sur l’esprit de laisser-aller d’où nais
328 a paix : c’est une victoire de tous les jours, et de chacun, sur l’esprit de laisser-aller d’où naissent les réactions dés
329 ire de tous les jours, et de chacun, sur l’esprit de laisser-aller d’où naissent les réactions désespérées, les mises au p
330 ours, et de chacun, sur l’esprit de laisser-aller d’ où naissent les réactions désespérées, les mises au pas brutalisantes
331 t simplificateurs. Les petits peuples protestants de l’Europe ont réalisé ce miracle de l’équilibre entre l’Un et le Diver
332 es protestants de l’Europe ont réalisé ce miracle de l’équilibre entre l’Un et le Divers. Ils ont la charge de créer les s
333 ilibre entre l’Un et le Divers. Ils ont la charge de créer les seules bases vivantes de la paix. Ils ont la charge de tout
334 ont la charge de créer les seules bases vivantes de la paix. Ils ont la charge de tout le xxe siècle. Mais nous reparler
335 ules bases vivantes de la paix. Ils ont la charge de tout le xxe siècle. Mais nous reparlerons de toutes ces choses. Et d
336 rge de tout le xxe siècle. Mais nous reparlerons de toutes ces choses. Et de la Suisse, telle qu’on la voit de loin, dans
337 e. Mais nous reparlerons de toutes ces choses. Et de la Suisse, telle qu’on la voit de loin, dans sa vérité séculaire. La
338 ces choses. Et de la Suisse, telle qu’on la voit de loin, dans sa vérité séculaire. La déprimante architecture de notre P
339 s sa vérité séculaire. La déprimante architecture de notre Palais fédéral — où je termine ces notes de voyage — me découra
340 de notre Palais fédéral — où je termine ces notes de voyage — me décourage un peu, ce soir. On dirait une école primaire d
341 une école primaire démesurée. C’est le contraire de ce qui fonde nos vraies valeurs et notre raison d’être ; c’est l’imag
342 e ce qui fonde nos vraies valeurs et notre raison d’ être ; c’est l’image même en pierre verdâtre, de ce qu’il nous faut co
343 n d’être ; c’est l’image même en pierre verdâtre, de ce qu’il nous faut combattre impitoyablement si nous voulons mériter
344 voulons mériter notre paix. f. Rougemont Denis de , « Billet d’aller et retour », Bulletin de la Guilde du livre, Lausan
345 er notre paix. f. Rougemont Denis de, « Billet d’ aller et retour », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, décembre
346 Denis de, « Billet d’aller et retour », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, décembre 1939, p. 190-191.
6 1946, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Beekman Place (octobre 1946)
347 arallèle à l’East-River dont la sépare une rangée d’ hôtels particuliers à cinq étages, cette rue très courte est l’une des
348 ois dans Manhattan — qui à la fois ne portent pas de numéro et ne coupent point les avenues à angle droit. Hors-série, mod
349 int les avenues à angle droit. Hors-série, modèle de grand luxe, elle s’orne d’arbres, de silence et de grands portiers ga
350 it. Hors-série, modèle de grand luxe, elle s’orne d’ arbres, de silence et de grands portiers galonnés. Une buée bleue, pen
351 érie, modèle de grand luxe, elle s’orne d’arbres, de silence et de grands portiers galonnés. Une buée bleue, pendant l’été
352 e grand luxe, elle s’orne d’arbres, de silence et de grands portiers galonnés. Une buée bleue, pendant l’été, emplit cet e
353 , emplit cet espace fermé par les hauts bâtiments de la 51e rue, en brique vernie, tous luisants de fenêtres dépourvues d’
354 ts de la 51e rue, en brique vernie, tous luisants de fenêtres dépourvues d’ornements. Beekman Place est un de ces lieux où
355 ique vernie, tous luisants de fenêtres dépourvues d’ ornements. Beekman Place est un de ces lieux où l’exilé s’écrie : « Ma
356 tres dépourvues d’ornements. Beekman Place est un de ces lieux où l’exilé s’écrie : « Mais c’est l’Europe ! » parce qu’il
357 charme, simplement. Mais quand je la vois du haut de mon douzième étage, en enfilade, petite tranchée d’asphalte et de bri
358 mon douzième étage, en enfilade, petite tranchée d’ asphalte et de brique jaune et rose dans un chaos géométrique, c’est b
359 étage, en enfilade, petite tranchée d’asphalte et de brique jaune et rose dans un chaos géométrique, c’est bien New York…
360 urne un peu sur ma terrasse, voici la perspective de l’East River jusqu’à Brooklyn. Un paysage immense de minéral et d’eau
361 l’East River jusqu’à Brooklyn. Un paysage immense de minéral et d’eau. La rivière, sillonnée de remorqueurs toussotants, l
362 usqu’à Brooklyn. Un paysage immense de minéral et d’ eau. La rivière, sillonnée de remorqueurs toussotants, luit d’un éclat
363 mmense de minéral et d’eau. La rivière, sillonnée de remorqueurs toussotants, luit d’un éclat d’étain pâli. Les ponts imme
364 vière, sillonnée de remorqueurs toussotants, luit d’ un éclat d’étain pâli. Les ponts immenses, vers Brooklyn, font une den
365 onnée de remorqueurs toussotants, luit d’un éclat d’ étain pâli. Les ponts immenses, vers Brooklyn, font une dentelle d’un
366 ponts immenses, vers Brooklyn, font une dentelle d’ un kilomètre, toute menue dans la distance. Cheminées, mâts, clochers,
367 éclames lumineuses en plein jour. Le seul vestige de nature — car l’eau même est canalisée — ce sont ces trois îlots de gr
368 ’eau même est canalisée — ce sont ces trois îlots de granit noir couverts de mouettes et signalés par deux petits phares d
369 — ce sont ces trois îlots de granit noir couverts de mouettes et signalés par deux petits phares dont clignotent irréguliè
370 otent irrégulièrement le feu vert — cinq secondes de révolution — et le feu rouge — six ou sept secondes. Tout ce qu’embra
371 es. Tout ce qu’embrasse mon regard, tout est fait de main d’homme, sauf les mouettes. Qu’on ne me parle plus des lois écon
372 ce qu’embrasse mon regard, tout est fait de main d’ homme, sauf les mouettes. Qu’on ne me parle plus des lois économiques
373 s. Qu’on ne me parle plus des lois économiques et de leurs fatales réalités : car ce sont les réalités d’un monde tout art
374 leurs fatales réalités : car ce sont les réalités d’ un monde tout artificiel que nous, les hommes, avons bâti selon nos ca
375 et nos raisons folles. Si nous changions un jour de goûts et d’ambition, ce paysage se transformerait. Si je me tourne ve
376 ons folles. Si nous changions un jour de goûts et d’ ambition, ce paysage se transformerait. Si je me tourne vers le nord,
377 t. Si je me tourne vers le nord, je vois un monde de terrasses, du dixième au trentième étage du River Club, où vivent les
378 Et tout près, ces jardins suspendus où circulent de jeunes femmes en maillot de bain. Elles se penchent sur leurs géraniu
379 uspendus où circulent de jeunes femmes en maillot de bain. Elles se penchent sur leurs géraniums, elles ajustent des lunet
380 qu’on entend siffler dans la rue… Je me souviens de ce que j’ai sous les yeux : je le vois déjà comme je me le rappellera
381 le vois déjà comme je me le rappellerai, une fois de retour en Europe. J’en connais par avance la nostalgie. Le soir vient
382 a nostalgie. Le soir vient dans un luxe américain d’ ocres, de roses, d’argents et d’éclats d’or sur les fenêtres des usine
383 ie. Le soir vient dans un luxe américain d’ocres, de roses, d’argents et d’éclats d’or sur les fenêtres des usines. Des fu
384 r vient dans un luxe américain d’ocres, de roses, d’ argents et d’éclats d’or sur les fenêtres des usines. Des fumées traîn
385 un luxe américain d’ocres, de roses, d’argents et d’ éclats d’or sur les fenêtres des usines. Des fumées traînent, les pont
386 méricain d’ocres, de roses, d’argents et d’éclats d’ or sur les fenêtres des usines. Des fumées traînent, les ponts s’éteig
387 ges. Une grande nuit s’ouvre au travail paisible. D’ heure en heure, je me lève et sors. Je me promène sur cette terrasse q
388 Je me promène sur cette terrasse qui fait le tour de mes chambres blanches, posées sur le onzième étage et festonnées de t
389 anches, posées sur le onzième étage et festonnées de tuiles provençales. La brique est chaude encore sous mes pieds nus. À
390 coup plus bas, dans les buildings voisins séparés de ma terrasse par un gouffre profond mais étroit, je vois des couples e
391 née, en peignoir rose, ouvre son frigidaire, sort de la glace, ôte enfin le peignoir, il fait trop chaud. Des rires vienne
392 peignoir, il fait trop chaud. Des rires viennent d’ une terrasse obscure, un cliquetis de tiges de verre dans les highball
393 res viennent d’une terrasse obscure, un cliquetis de tiges de verre dans les highballs. Je rentre et j’aligne mes mots. Pe
394 ent d’une terrasse obscure, un cliquetis de tiges de verre dans les highballs. Je rentre et j’aligne mes mots. Petits mati
395 s déjà doux des terrasses, moments les plus aigus de la vie, au jour qui point, quand toutes choses et les souvenirs d’hie
396 r qui point, quand toutes choses et les souvenirs d’ hier changent de poids et de millésime, quand les mouettes éclosent du
397 nd toutes choses et les souvenirs d’hier changent de poids et de millésime, quand les mouettes éclosent du rocher, quand l
398 oses et les souvenirs d’hier changent de poids et de millésime, quand les mouettes éclosent du rocher, quand les premiers
399 orqueurs se mettent à souffler fort dans la brume d’ été flottant sur la rivière… Une langue de lumière orangée vient râper
400 a brume d’été flottant sur la rivière… Une langue de lumière orangée vient râper doucement le crépi des murs bas, sur la t
401 r le grand fond sonore à bouche fermée des usines de l’autre rive, les sirènes des ferry-boats poussaient leur solo de dés
402 les sirènes des ferry-boats poussaient leur solo de désastre, de faux désastre et d’appel commercial, dans le matin strid
403 des ferry-boats poussaient leur solo de désastre, de faux désastre et d’appel commercial, dans le matin strident de l’East
404 saient leur solo de désastre, de faux désastre et d’ appel commercial, dans le matin strident de l’East River. Un quadrimot
405 tre et d’appel commercial, dans le matin strident de l’East River. Un quadrimoteur argenté passait très haut entre deux to
406 u ses arbustes. Soudain, passant la tranche ocrée d’ un bâtiment de trente étages, à mi-hauteur, sur la rivière, une proue
407 . Soudain, passant la tranche ocrée d’un bâtiment de trente étages, à mi-hauteur, sur la rivière, une proue grise et ses c
408 éfilait, tout l’équipage en fête saluant New York d’ adieux, filant pavois au vent vers l’Europe et la guerre… g. Rougem
409 vers l’Europe et la guerre… g. Rougemont Denis de , « Beekman Place », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, octobre
410 Rougemont Denis de, « Beekman Place », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, octobre 1946, p. 243-245. h. Précédé d
411 , Lausanne, octobre 1946, p. 243-245. h. Précédé de la note suivante : « Fragment du Journal des deux mondes qui paraît
7 1946, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Souvenir d’un orage en Virginie (novembre 1946)
412 Souvenir d’ un orage en Virginie (novembre 1946)i Grands plateaux onduleux et l
413 ppalaches. Pendant que nous roulons sur une route de campagne, au creux des haies, le ciel se couvre. « C’est là-haut, me
414 us verrez ce qu’elle en a fait ! C’est sa manière de se venger de J. car c’était la maison de ses ancêtres, à lui. Elle la
415 qu’elle en a fait ! C’est sa manière de se venger de J. car c’était la maison de ses ancêtres, à lui. Elle la déteste. Ell
416 manière de se venger de J. car c’était la maison de ses ancêtres, à lui. Elle la déteste. Elle n’aime vraiment que ses ch
417 nts, comme des ailes noires. Je n’en ai jamais vu d’ aussi grands, ils montent jusqu’aux fenêtres du deuxième étage. Une od
418 bas, et l’un vient vomir à nos pieds des morceaux de cire mal mâchés. Une servante les poursuit armée d’une cravache. Elle
419 cire mal mâchés. Une servante les poursuit armée d’ une cravache. Elle crie qu’ils viennent encore de manger les bougies d
420 d’une cravache. Elle crie qu’ils viennent encore de manger les bougies du carrosse de George Washington. (C’est une pièce
421 viennent encore de manger les bougies du carrosse de George Washington. (C’est une pièce de musée que nous allons voir, re
422 u carrosse de George Washington. (C’est une pièce de musée que nous allons voir, remisée sous la colonnade des écuries.) N
423 oir, à droite, en contrebas, deux hommes en veste de chasse et deux jeunes femmes très blondes boivent des whiskies, sans
424 maison, puis une large galerie ouverte, encombrée de vieux meubles et de pièces de bois sculptées, stalles d’églises, aigl
425 ge galerie ouverte, encombrée de vieux meubles et de pièces de bois sculptées, stalles d’églises, aigles de lutrin. De nou
426 ouverte, encombrée de vieux meubles et de pièces de bois sculptées, stalles d’églises, aigles de lutrin. De nouveau des i
427 x meubles et de pièces de bois sculptées, stalles d’ églises, aigles de lutrin. De nouveau des ifs non taillés sur un pré d
428 èces de bois sculptées, stalles d’églises, aigles de lutrin. De nouveau des ifs non taillés sur un pré d’un vert sombre en
429 lutrin. De nouveau des ifs non taillés sur un pré d’ un vert sombre enclos de murs. Du lierre partout. Çà et là, des statue
430 fs non taillés sur un pré d’un vert sombre enclos de murs. Du lierre partout. Çà et là, des statues de faunes et de chiens
431 de murs. Du lierre partout. Çà et là, des statues de faunes et de chiens gisent le nez dans l’herbe, près d’un socle brisé
432 ierre partout. Çà et là, des statues de faunes et de chiens gisent le nez dans l’herbe, près d’un socle brisé. Le pré s’él
433 nes et de chiens gisent le nez dans l’herbe, près d’ un socle brisé. Le pré s’élève et s’ouvre sur la cour sablée des écuri
434 es. Celles-ci se déploient en demi-cercle, ornées d’ une colonnade et d’un clocheton de brique portant l’œil blanc d’un éno
435 ploient en demi-cercle, ornées d’une colonnade et d’ un clocheton de brique portant l’œil blanc d’un énorme cadran. Voici l
436 -cercle, ornées d’une colonnade et d’un clocheton de brique portant l’œil blanc d’un énorme cadran. Voici le carrosse de W
437 e et d’un clocheton de brique portant l’œil blanc d’ un énorme cadran. Voici le carrosse de Washington, à l’abandon. La pei
438 l’œil blanc d’un énorme cadran. Voici le carrosse de Washington, à l’abandon. La peinture craquelée tombe par morceaux, le
439 inture craquelée tombe par morceaux, les coussins de velours rouge sont moisis. Nous redescendons. Le ciel est devenu noir
440 ches et ces ifs dramatiques, on domine un paysage de pluies lointaines et de prairies dorées. Soudain, un coup de vent vio
441 ues, on domine un paysage de pluies lointaines et de prairies dorées. Soudain, un coup de vent violent a jeté contre la fa
442 eté contre la façade et nos visages un tourbillon de feuilles et de grosses gouttes obliques. Entrée de l’automne ! The Fa
443 açade et nos visages un tourbillon de feuilles et de grosses gouttes obliques. Entrée de l’automne ! The Fall, la Chute, c
444 e feuilles et de grosses gouttes obliques. Entrée de l’automne ! The Fall, la Chute, comme ils l’appellent… Premiers éclai
445 rsées dans les branchages — nous arrivons au coin d’ un bâtiment de ferme. C’est le chenil. Le parc s’arrête ici, et s’ouvr
446 branchages — nous arrivons au coin d’un bâtiment de ferme. C’est le chenil. Le parc s’arrête ici, et s’ouvrent les espace
447 l. Le parc s’arrête ici, et s’ouvrent les espaces de pâturages nus, en pente douce. Très loin, en silhouette sur la crête
448 ente douce. Très loin, en silhouette sur la crête d’ une colline, nous voyons deux chevaux au galop. Ils disparaissent dans
449 rs nous sans ralentir. Une femme en jaune, suivie d’ un homme. Comme ils s’approchent, on voit qu’elle tient la bride d’une
450 ils s’approchent, on voit qu’elle tient la bride d’ une main et de l’autre porte à sa bouche une pomme qu’elle mord en gal
451 ent, on voit qu’elle tient la bride d’une main et de l’autre porte à sa bouche une pomme qu’elle mord en galopant. Nouveau
452 s à hurler ensemble. Est-ce l’orage ou l’approche de leur maîtresse ? Les cavaliers ralentissent et s’arrêtent devant la b
453 er jaune. Elle rit, jette la pomme, et nous salue de la main. Le jeune homme mince, immobile sur son cheval, nous considèr
454 val, nous considère avec hostilité. Il a les yeux d’ un bleu très pâle et dur. Il n’a pas salué. Son silence nous supprime.
455 hée sur l’encolure, elle disparaît dans le tunnel de la charmille, tandis qu’une meute de chiens de toutes les tailles s’é
456 ns le tunnel de la charmille, tandis qu’une meute de chiens de toutes les tailles s’élance sur ses traces en aboyant. Au f
457 el de la charmille, tandis qu’une meute de chiens de toutes les tailles s’élance sur ses traces en aboyant. Au fond d’une
458 illes s’élance sur ses traces en aboyant. Au fond d’ une pièce vaste et noire une petite lampe fait une flaque rose. « Je n
459  ? Vous êtes muets ? Vous avez soif ? » Les coups de tonnerre se succèdent sans répit, et parfois les lumières vacillent,
460 t… Paraît dans la porte du fond un homme en veste de chasse qui tient des verres de whisky à la main. Deux femmes blondes
461 un homme en veste de chasse qui tient des verres de whisky à la main. Deux femmes blondes entrent et vont s’asseoir un pe
462 londes entrent et vont s’asseoir un peu à l’écart de notre groupe. Un autre homme apporte un plateau. On le renvoie cherch
463 depuis deux ou trois jours et se disent les amis de Jim. — Mais où est Jim ? — Je ne sais pas ? Il est parti. » Jim était
464 Il est parti. » Jim était l’intendant, une sorte de géant toujours en bottes, qu’elle emmenait partout avec elle. Je pens
465 le emmenait partout avec elle. Je pense au regard d’ acier du jeune homme silencieux de tout à l’heure. Des chiens se gliss
466 pense au regard d’acier du jeune homme silencieux de tout à l’heure. Des chiens se glissent entre les meubles, humides et
467 ez-vous ? — J’ai pensé que, pour la première fois de ma vie, je me sens tenté d’écrire la suite du roman. i. Rougemont
468 pour la première fois de ma vie, je me sens tenté d’ écrire la suite du roman. i. Rougemont Denis de, « Souvenir d’un or
469 d’écrire la suite du roman. i. Rougemont Denis de , « Souvenir d’un orage en Virginie », Bulletin de la Guilde du livre,
470 te du roman. i. Rougemont Denis de, « Souvenir d’ un orage en Virginie », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, nove
471 de, « Souvenir d’un orage en Virginie », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, novembre 1946, p. 282-284.
8 1946, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Noël à New York (décembre 1946)
472 inaugurant officiellement le Yuletide, la saison de Noël. Nous sommes le 15 et les rayons de jouets sont déjà presque vid
473 a saison de Noël. Nous sommes le 15 et les rayons de jouets sont déjà presque vides à New York. Cet an de grâce rationnée
474 jouets sont déjà presque vides à New York. Cet an de grâce rationnée 1945 se termine en pleine équivoque : est-ce la paix
475 e la paix déjà ? La guerre encore ? Interférences de disette et de luxe, d’appétits ranimés et d’amertumes durables. Et No
476  ? La guerre encore ? Interférences de disette et de luxe, d’appétits ranimés et d’amertumes durables. Et Noël va tomber a
477 rre encore ? Interférences de disette et de luxe, d’ appétits ranimés et d’amertumes durables. Et Noël va tomber au milieu
478 nces de disette et de luxe, d’appétits ranimés et d’ amertumes durables. Et Noël va tomber au milieu de l’An Un d’une ère d
479 durables. Et Noël va tomber au milieu de l’An Un d’ une ère de paix profonde sur la plus grande menace de toute l’Histoire
480 Et Noël va tomber au milieu de l’An Un d’une ère de paix profonde sur la plus grande menace de toute l’Histoire. Les enfa
481 ne ère de paix profonde sur la plus grande menace de toute l’Histoire. Les enfants, comme les gouvernements, demandent pou
482 comme les gouvernements, demandent pour leur Noël de petites bombes atomiques. Trois d’entre eux, à Brooklyn, viennent d’ê
483 tomiques. Trois d’entre eux, à Brooklyn, viennent d’ être blessés sérieusement, en jouant à faire sauter le monde. Les troi
484 : un loup déguisé en mouton et deux moutons vêtus de leur vraie peau. Mais rien n’empêche le Waldorf-Astoria d’annoncer qu
485 raie peau. Mais rien n’empêche le Waldorf-Astoria d’ annoncer que sa nuit de l’An « promet d’être la plus grande nuit de l’
486 empêche le Waldorf-Astoria d’annoncer que sa nuit de l’An « promet d’être la plus grande nuit de l’histoire de l’hôtel — à
487 f-Astoria d’annoncer que sa nuit de l’An « promet d’ être la plus grande nuit de l’histoire de l’hôtel — à partir de $ 20 l
488 nuit de l’An « promet d’être la plus grande nuit de l’histoire de l’hôtel — à partir de $ 20 la place ». Nous fûmes hier
489 « promet d’être la plus grande nuit de l’histoire de l’hôtel — à partir de $ 20 la place ». Nous fûmes hier chez Schwartz,
490 e ». Nous fûmes hier chez Schwartz, grand magasin de jouets de la Cinquième Avenue. « Auriez-vous, dis-je d’un ton suave,
491 fûmes hier chez Schwartz, grand magasin de jouets de la Cinquième Avenue. « Auriez-vous, dis-je d’un ton suave, quelque ch
492 ets de la Cinquième Avenue. « Auriez-vous, dis-je d’ un ton suave, quelque chose qui ressemble à un modèle de la bombe atom
493 on suave, quelque chose qui ressemble à un modèle de la bombe atomique pour les enfants ? » La vendeuse ouvrit la bouche,
494 x s’écarquillèrent largement : devant nous venait d’ apparaître une jeune femme au visage anguleux et couvert de taches de
495 tre une jeune femme au visage anguleux et couvert de taches de rousseur, la tête serrée dans un foulard de soie rose feu.
496 une femme au visage anguleux et couvert de taches de rousseur, la tête serrée dans un foulard de soie rose feu. « Papa, me
497 aches de rousseur, la tête serrée dans un foulard de soie rose feu. « Papa, me dit mon petit garçon, c’est Miss Hepburn ! 
498 efeller Plaza, transporté avec toutes ses racines d’ un parc où il sera replanté dès janvier, n’ayant coûté que 100 dollars
499 planté dès janvier, n’ayant coûté que 100 dollars de location à Mr. John D. Rockefeller, car tout se sait. Des haut-parleu
500 es carols transformés en jazz hot par les klaxons d’ interminables embarras de trafic. Aux vitrines triomphait le rêve amér
501 jazz hot par les klaxons d’interminables embarras de trafic. Aux vitrines triomphait le rêve américain, le clinquant, l’ir
502 le clinquant, l’irréel, le rose et le doré. Rêve d’ enfance et d’innocence universelle, bercé de musiques nostalgiques. No
503 , l’irréel, le rose et le doré. Rêve d’enfance et d’ innocence universelle, bercé de musiques nostalgiques. Noël, ici, devi
504 Rêve d’enfance et d’innocence universelle, bercé de musiques nostalgiques. Noël, ici, devient la fête du Bébé Cadum des r
505 nt la fête du Bébé Cadum des réclames et non plus de cet Enfant vrai qui naquit tant bien que mal dans la paille, sous le
506 tant bien que mal dans la paille, sous le souffle d’ un bœuf malodorant. Plus que dix jours pour acquérir dans cette aimabl
507 lade la bonne conscience que représente une table de famille chargée de cadeaux enveloppés de papiers brillants, verts, ro
508 ience que représente une table de famille chargée de cadeaux enveloppés de papiers brillants, verts, rouges, argent et mor
509 ne table de famille chargée de cadeaux enveloppés de papiers brillants, verts, rouges, argent et mordorés. Pourquoi ces éc
510 anges éperdus ? Est-ce en souvenir du seul cadeau de paix jamais fait à l’humanité ? Ou bien cette fièvre de rivaliser dan
511 x jamais fait à l’humanité ? Ou bien cette fièvre de rivaliser dans la dépense, en fin d’année, est-elle comme chez les pr
512 cette fièvre de rivaliser dans la dépense, en fin d’ année, est-elle comme chez les primitifs une manière de conjurer le so
513 ée, est-elle comme chez les primitifs une manière de conjurer le sort et de se rendre l’an nouveau propice ? Plus que dix
514 les primitifs une manière de conjurer le sort et de se rendre l’an nouveau propice ? Plus que dix jours pour s’assurer un
515 ent pas à une cellule sociale, formeront la foule de Times Square. Le coudoiement universel leur tiendra lieu d’intimité…
516 quare. Le coudoiement universel leur tiendra lieu d’ intimité… Pour moi, j’irai comme chaque année à la messe de minuit des
517 é… Pour moi, j’irai comme chaque année à la messe de minuit des protestants, dans la plus grande église gothique du monde,
518 us grande église gothique du monde, la Cathédrale de Saint-Jean-de-Dieu, siège de l’évêque anglican de New York. Dix mille
519 monde, la Cathédrale de Saint-Jean-de-Dieu, siège de l’évêque anglican de New York. Dix mille personnes y chanteront des c
520 de Saint-Jean-de-Dieu, siège de l’évêque anglican de New York. Dix mille personnes y chanteront des carols avant la proces
521 ant la procession du chœur et du clergé, précédée de porteurs de torches à la Burne Jones. Et, comme chaque année, j’enten
522 ssion du chœur et du clergé, précédée de porteurs de torches à la Burne Jones. Et, comme chaque année, j’entendrai le Cred
523 nes. Et, comme chaque année, j’entendrai le Credo de Gretchaninov et le motet de Prætorius, Une rose est née… Et je me dir
524 j’entendrai le Credo de Gretchaninov et le motet de Prætorius, Une rose est née… Et je me dirai que l’Amérique n’a pas en
525 ui gagne à tous les coups. Qu’apportera cette fin d’ année ? Un dernier speech de La Guardia à la radio, révélant une derni
526 u’apportera cette fin d’année ? Un dernier speech de La Guardia à la radio, révélant une dernière recette aux ménagères po
527 usé autant qu’honnête, gros petit homme à la face de clown, Fiorello, la Fleurette ou le Chapeau, comme le peuple l’a bapt
528 a pour la dernière fois l’orchestre ou la fanfare d’ un grand meeting. Sur le coup de minuit, le 31 décembre, nous perdrons
529 tre ou la fanfare d’un grand meeting. Sur le coup de minuit, le 31 décembre, nous perdrons le meilleur maire de New York.
530 , le 31 décembre, nous perdrons le meilleur maire de New York. Tammany reviendra au pouvoir. Et Roosevelt n’est pas rempla
531 n vente la « bicyclette du ciel », un petit avion de 1000 dollars. Déjà les banques de Buffalo ouvrent des guichets extéri
532 un petit avion de 1000 dollars. Déjà les banques de Buffalo ouvrent des guichets extérieurs où l’on peut déposer de l’arg
533 rent des guichets extérieurs où l’on peut déposer de l’argent sans descendre de sa voiture. Déjà les biches et les daims s
534 s où l’on peut déposer de l’argent sans descendre de sa voiture. Déjà les biches et les daims sont amenés dans les forêts
535 s biches et les daims sont amenés dans les forêts de chasse au moyen de taxis aériens. Déjà la télévision en couleurs prou
536 t et la précision du détail », qualités préférées de l’Américain. Déjà l’on nous annonce de Hollywood un superfilm sur la
537 préférées de l’Américain. Déjà l’on nous annonce de Hollywood un superfilm sur la bombe atomique, où le love interest ne
538 au sujet de cette invention « qui signifie la fin de l’humanité ou l’aube d’un âge d’or » à votre choix. Déjà, le Syndicat
539 ion « qui signifie la fin de l’humanité ou l’aube d’ un âge d’or » à votre choix. Déjà, le Syndicat des ouvriers de l’indus
540 signifie la fin de l’humanité ou l’aube d’un âge d’ or » à votre choix. Déjà, le Syndicat des ouvriers de l’industrie auto
541 r » à votre choix. Déjà, le Syndicat des ouvriers de l’industrie automobile offre à Ford un contrat collectif qui le proté
542 gulières. Car la force et l’initiative ont changé de camp, et les vainqueurs se montrent généreux. Et déjà les pasteurs et
543 s et les prêtres se préparent à parler du message de Noël aux « hommes de bonne volonté », répétant sans scrupules avec M.
544 réparent à parler du message de Noël aux « hommes de bonne volonté », répétant sans scrupules avec M. Romains une grave er
545 t sans scrupules avec M. Romains une grave erreur de traduction. Car l’Évangile dans le texte original dit simplement : « 
546 simplement : « Paix sur la terre, bonne volonté ( de Dieu) envers les hommes ». Est-il besoin de la bombe, et des grèves,
547 onté (de Dieu) envers les hommes ». Est-il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre
548 s ». Est-il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre endémique dans tout l’Orient, e
549 be, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre endémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la pe
550 et de la guerre endémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la peur réciproques qui président aux rapports des
551 ndémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la peur réciproques qui président aux rapports des nations, et de l’a
552 roques qui président aux rapports des nations, et de l’antisémitisme, et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de
553 x rapports des nations, et de l’antisémitisme, et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l’Europe, pour que nous
554 et de l’antisémitisme, et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l’Europe, pour que nous comprenions que les hom
555 et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l’Europe, pour que nous comprenions que les hommes ont fort peu de bo
556 s la rumeur assourdissante des petites trompettes de foire et des crécelles, GI Joe, le combattant moyen, se dira : « Well
557 tait donc pour tout cela… » j. Rougemont Denis de , « Noël à New York », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, décem
558 Rougemont Denis de, « Noël à New York », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, décembre 1946, p. 295-296.
9 1947, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Slums (janvier 1947)
559 Slums (janvier 1947)k l La 75e rue n’a rien de particulier. Elle part luxueusement de la Cinquième Avenue et de Cent
560 e n’a rien de particulier. Elle part luxueusement de la Cinquième Avenue et de Central Park, traverse en direction de l’es
561 Elle part luxueusement de la Cinquième Avenue et de Central Park, traverse en direction de l’est de beaux quartiers gris
562 Avenue et de Central Park, traverse en direction de l’est de beaux quartiers gris clair d’un gothique sobre et astiqué, c
563 t de Central Park, traverse en direction de l’est de beaux quartiers gris clair d’un gothique sobre et astiqué, change sub
564 direction de l’est de beaux quartiers gris clair d’ un gothique sobre et astiqué, change subitement d’aspect et tourne au
565 d’un gothique sobre et astiqué, change subitement d’ aspect et tourne au populaire un demi-block après Lexington Avenue, pe
566 la Troisième Avenue, s’anime alors dangereusement d’ enfants s’exerçant au base-ball parmi des seaux d’ordures plus hauts q
567 d’enfants s’exerçant au base-ball parmi des seaux d’ ordures plus hauts qu’eux et des tourbillons fous de papiers sales, po
568 ordures plus hauts qu’eux et des tourbillons fous de papiers sales, pour s’ouvrir enfin toute béante sur les fumées de l’E
569 , pour s’ouvrir enfin toute béante sur les fumées de l’East River, au terme d’un parcours rectiligne d’un kilomètre et dem
570 e béante sur les fumées de l’East River, au terme d’ un parcours rectiligne d’un kilomètre et demi, sans changer de largeur
571 e l’East River, au terme d’un parcours rectiligne d’ un kilomètre et demi, sans changer de largeur. (Seuls les trottoirs se
572 s rectiligne d’un kilomètre et demi, sans changer de largeur. (Seuls les trottoirs se rétrécissent.) Cette rue, comme cent
573 ne. C’est une coupe mégaloscopique — le contraire de microscopique — permettant l’examen à l’œil nu. Décrivons sa partie i
574 sa partie inférieure. La rue huileuse, parsemée de vieilles lettres, de bouts de bois et d’éclats de verre. Des tas de n
575 . La rue huileuse, parsemée de vieilles lettres, de bouts de bois et d’éclats de verre. Des tas de neige noircissent au r
576 huileuse, parsemée de vieilles lettres, de bouts de bois et d’éclats de verre. Des tas de neige noircissent au rebord des
577 parsemée de vieilles lettres, de bouts de bois et d’ éclats de verre. Des tas de neige noircissent au rebord des trottoirs.
578 de vieilles lettres, de bouts de bois et d’éclats de verre. Des tas de neige noircissent au rebord des trottoirs. Les enfa
579 s, de bouts de bois et d’éclats de verre. Des tas de neige noircissent au rebord des trottoirs. Les enfants qui ne jouent
580 cette ville, je n’ai jamais été touché, ils sont d’ une folle brutalité, mais surpassée par leur adresse — allument des fe
581 leur adresse — allument des feux avec des arbres de Noël roussis, des morceaux de caisses, d’immenses cartonnages goudron
582 eux avec des arbres de Noël roussis, des morceaux de caisses, d’immenses cartonnages goudronnés. Flammes gaies sur le couc
583 arbres de Noël roussis, des morceaux de caisses, d’ immenses cartonnages goudronnés. Flammes gaies sur le couchant rose et
584 légèrement mordue par la silhouette des escaliers de sauvetage. Ces grands seaux à ordures en métal, rarement ou mal vidés
585 rtier, débordent sur la neige entre les escaliers de quatre marches qui conduisent aux portes d’entrée. Portes étroites, o
586 liers de quatre marches qui conduisent aux portes d’ entrée. Portes étroites, ouvrant sur des couloirs hauts et profonds où
587 chaque fois que j’y pénètre. (Rappel inconscient de la naissance, me dirait un psychanalyste.) Les boîtes à lettres porte
588 qui est censé chauffer l’appartement, une espèce de baignoire couverte et fort étroite se dresse sur quatre pieds de font
589 uverte et fort étroite se dresse sur quatre pieds de fonte : il faudrait monter sur une chaise pour y entrer. De la cuisin
590 il faudrait monter sur une chaise pour y entrer. De la cuisine, on passe par une baie sans porte dans le front room, qui
591 s porte dans le front room, qui donne sur la rue. De l’autre côté de la cuisine, deux petites chambres sans fenêtres ni po
592 front room, qui donne sur la rue. De l’autre côté de la cuisine, deux petites chambres sans fenêtres ni portes, suivies d’
593 petites chambres sans fenêtres ni portes, suivies d’ une autre pièce plus large sur la cour. Ce logis, qui n’est guère qu’u
594 t bains ». Il existe dans Manhattan des centaines de milliers de logis construits sur ce même type : deux pièces claires s
595 l existe dans Manhattan des centaines de milliers de logis construits sur ce même type : deux pièces claires sur cour et s
596 ’East Side populaire est ainsi, sur une vingtaine de kilomètres. Je me penche à la fenêtre, au-dessus de la cour. Le sol e
597 kilomètres. Je me penche à la fenêtre, au-dessus de la cour. Le sol est jonché de plâtras, de journaux, de chiffons qui b
598 fenêtre, au-dessus de la cour. Le sol est jonché de plâtras, de journaux, de chiffons qui bougent, ou ce sont peut-être d
599 -dessus de la cour. Le sol est jonché de plâtras, de journaux, de chiffons qui bougent, ou ce sont peut-être des chats. De
600 cour. Le sol est jonché de plâtras, de journaux, de chiffons qui bougent, ou ce sont peut-être des chats. Des cordes tend
601 es tendues sur l’abîme supportent des lessives et de grands draps claquants. Du haut en bas des façades de brique zigzague
602 rands draps claquants. Du haut en bas des façades de brique zigzaguent les noirs escaliers de sauvetage. Dans un sous-sol
603 façades de brique zigzaguent les noirs escaliers de sauvetage. Dans un sous-sol violemment éclairé, je vois quelques Chin
604 t les chats. Les façades, hauts rectangles troués de lumières et de scènes du soir, s’étagent en silhouettes sur le ciel r
605 s façades, hauts rectangles troués de lumières et de scènes du soir, s’étagent en silhouettes sur le ciel rouge. Une radio
606 que tout, dans la cour où les draps au vent font de grands gestes frénétiques. New York possède aussi deux-cents gratte-c
607 ciel pour les bureaux, et quelques belles avenues de résidences pour les directeurs de bureaux. C’est ce qu’on en voit de
608 belles avenues de résidences pour les directeurs de bureaux. C’est ce qu’on en voit de l’étranger. k. Rougemont Denis
609 les directeurs de bureaux. C’est ce qu’on en voit de l’étranger. k. Rougemont Denis de, « Slums », Bulletin de la Guild
610 u’on en voit de l’étranger. k. Rougemont Denis de , « Slums », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, janvier 1947, p
611 er. k. Rougemont Denis de, « Slums », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, janvier 1947, p. 15-16. l. Précédé de
612 re, Lausanne, janvier 1947, p. 15-16. l. Précédé de la note suivante : « Extrait du Journal des deux mondes . »
10 1947, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Consolation à Me Duperrier sur un procès perdu (décembre 1947)
613 et les Calomnies. On ne peut donner aux gardiens de la liberté d’un État un droit plus utile et plus nécessaire que celui
614 ies. On ne peut donner aux gardiens de la liberté d’ un État un droit plus utile et plus nécessaire que celui de pouvoir ac
615 un droit plus utile et plus nécessaire que celui de pouvoir accuser, soit devant le peuple, soit devant un magistrat ou t
616 res. Machiavel : Discours sur la Première Décade de Tite-Live, chap. VII. Une accusation Le 13 novembre 1947, on po
617 novembre 1947, on pouvait lire dans notre presse de copieux comptes rendus de la plaidoirie prononcée par Me Duperrier lo
618 lire dans notre presse de copieux comptes rendus de la plaidoirie prononcée par Me Duperrier lors du procès de son client
619 idoirie prononcée par Me Duperrier lors du procès de son client Georges Oltramare. Ainsi dans la Gazette de Lausanne  :
620 client Georges Oltramare. Ainsi dans la Gazette de Lausanne  : Un rapprochement surprenant Me Duperrier, brandissant le
621 ent surprenant Me Duperrier, brandissant le livre de Denis de Rougemont, Journal des deux mondes , se lance alors à corps
622 corps perdu dans une accusation qui ne laisse pas de susciter l’étonnement de l’auditoire. Après s’être livré à quelques p
623 sation qui ne laisse pas de susciter l’étonnement de l’auditoire. Après s’être livré à quelques persiflages de fort mauvai
624 itoire. Après s’être livré à quelques persiflages de fort mauvais goût contre l’écrivain neuchâtelois auquel il décerne fa
625 euchâtelois auquel il décerne faussement le titre de correspondant attitré de notre journal, il lit à la cour l’admirable
626 erne faussement le titre de correspondant attitré de notre journal, il lit à la cour l’admirable morceau que de Rougemont
627 s la Gazette en juin 1940, lui valut une sanction de la censure. L’écrivain ayant quitté peu après la Suisse pour les État
628 t dès lors fondé à assimiler sa situation à celle de son client. « Si ces deux hommes ont pris ensuite des chemins opposés
629 assages où Denis de Rongement relate son activité d’ homme de lettres à la radio américaine. J’ai l’honneur, M. le procureu
630 où Denis de Rongement relate son activité d’homme de lettres à la radio américaine. J’ai l’honneur, M. le procureur généra
631 r, M. le procureur général, s’écrie Me Duperrier, de me faire ici le dénonciateur de Denis de Rougemont. et dans la Feuil
632 rie Me Duperrier, de me faire ici le dénonciateur de Denis de Rougemont. et dans la Feuille d’Avis de Neuchâtel : Les pl
633 iateur de Denis de Rougemont. et dans la Feuille d’ Avis de Neuchâtel : Les plaidoiries au procès Oltramare : où il est q
634 de Denis de Rougemont. et dans la Feuille d’Avis de Neuchâtel : Les plaidoiries au procès Oltramare : où il est question
635 idoiries au procès Oltramare : où il est question de Denis de Rougemont L’avocat fait ensuite un parallèle entre l’attitud
636 avocat fait ensuite un parallèle entre l’attitude de son client et celle de l’écrivain Denis de Rougemont qui, constate le
637 parallèle entre l’attitude de son client et celle de l’écrivain Denis de Rougemont qui, constate le défenseur d’Oltramare,
638 ain Denis de Rougemont qui, constate le défenseur d’ Oltramare, est allé se mettre au service de la BBO. Il se demande si,
639 enseur d’Oltramare, est allé se mettre au service de la BBO. Il se demande si, ce faisant, Denis de Rougemont n’a pas mis
640 ées l’hiver dernier en Sorbonne sous les auspices de l’Unesco. À la page 100 de ce recueil, M. Aragon déclare que je n’ai
641 onne sous les auspices de l’Unesco. À la page 100 de ce recueil, M. Aragon déclare que je n’ai « jamais cessé au temps de
642 lare que je n’ai « jamais cessé au temps de Vichy d’ être publié en France », et il insinue que si j’attaque aujourd’hui le
643 nsi donc, selon Me Duperrier, j’ai passé le temps de la guerre à « mettre en danger la sécurité de mon pays », et cela par
644 mps de la guerre à « mettre en danger la sécurité de mon pays », et cela par mon activité antinazie, tandis que, d’après A
645 blier mes livres sous Vichy, c’est-à-dire du côté d’ Oltramare. Ces deux griefs s’accordant mal, qui devons-nous croire ? R
646 i ses preuves : mon Journal dans l’édition reliée de la Guilde. Tandis que M. Aragon, devant une « assemblée particulière 
647 été bien empêché, car si quelqu’un n’a pas cessé d’ être publié sous Vichy, c’est lui et non pas moi ; et si quelqu’un a v
648 e mais contre la licence qui est du fanatisme, ou de la lâcheté, ou simplement (restons courtois) de l’étourderie. Où j
649 u de la lâcheté, ou simplement (restons courtois) de l’étourderie. Où je me vois sommé de répondre Lorsque j’ai lu d
650 courtois) de l’étourderie. Où je me vois sommé de répondre Lorsque j’ai lu de quoi l’on accusait Georges Oltramare,
651 ù je me vois sommé de répondre Lorsque j’ai lu de quoi l’on accusait Georges Oltramare, quelques jours avant son procès
652 un pour les relever ? » Et puis les circonstances de ma vie ne m’ont plus laissé le loisir d’y penser, ni même de bien lir
653 nstances de ma vie ne m’ont plus laissé le loisir d’ y penser, ni même de bien lire les journaux. Mais voici ce matin sur m
654 e m’ont plus laissé le loisir d’y penser, ni même de bien lire les journaux. Mais voici ce matin sur mon bureau une de ces
655 journaux. Mais voici ce matin sur mon bureau une de ces lettres-éclair de notre directeur : « Les journalistes, dit-il, m
656 ce matin sur mon bureau une de ces lettres-éclair de notre directeur : « Les journalistes, dit-il, m’accablent de téléphon
657 recteur : « Les journalistes, dit-il, m’accablent de téléphones et dérangent mon travail pour me demander mon opinion sur
658 n opinion sur cette affaire… » Il joint l’extrait de la Gazette qu’on vient de lire et m’enjoint de « saisir l’occasion
659 de la Gazette qu’on vient de lire et m’enjoint de « saisir l’occasion d’un papier ». Si je comprends bien, il veut sa p
660 vient de lire et m’enjoint de « saisir l’occasion d’ un papier ». Si je comprends bien, il veut sa paix, et me laisse le so
661 rends bien, il veut sa paix, et me laisse le soin de répondre aux téléphones. OK ! disent les Américains. Pendant qu’il ad
662 t Me Duperrier : — Rougemont s’est mis au service d’ une propagande étrangère, comme Oltramare ; il a parlé à la radio, com
663 vient un réquisitoire, et l’avocat fait une drôle de figure. Ou bien il faut acquitter Oltramare, mais alors il n’y avait
664 itter Oltramare, mais alors il n’y avait pas lieu de me dénoncer, tout ce discours retombe à plat, et notre avocat perd la
665 avocat perd la face. 2. Mais où est l’homme sain d’ esprit qui peut admettre que j’aie vraiment agi comme Oltramare ? Nous
666 ais par ce procédé l’on pourrait accuser la ville de Lyon des méfaits d’un lion du désert, et Malherbe d’avoir consolé Dup
667 ’on pourrait accuser la ville de Lyon des méfaits d’ un lion du désert, et Malherbe d’avoir consolé Duperrier — celui qui a
668 Lyon des méfaits d’un lion du désert, et Malherbe d’ avoir consolé Duperrier — celui qui a perdu son procès. La seule quest
669 euse qui se posait, notre avocat s’est bien gardé de la formuler : c’est celle du contenu des émissions. Oltramare a parlé
670 ramare a parlé en faveur des nazis, ennemis jurés de toute démocratie, donc de la Suisse. J’écrivais contre les nazis, pou
671 es nazis, ennemis jurés de toute démocratie, donc de la Suisse. J’écrivais contre les nazis, pour les démocraties, donc po
672 ue je faisais en Amérique exactement le contraire d’ Oltramare à Paris. Si Me Duperrier ne sent pas la différence, essayons
673 Me Duperrier ne sent pas la différence, essayons de l’éclairer par une fable. Fable J’ai tant et si bien parlé à la
674 uger sommairement, et Me Duperrier se voit chargé d’ office de ma défense. Que va-t-il dire ? Il n’hésite pas : il dit que
675 airement, et Me Duperrier se voit chargé d’office de ma défense. Que va-t-il dire ? Il n’hésite pas : il dit que j’ai fait
676 ctement le contraire. On me fusille et on le pend d’ office. Fin de la douleur de Duperrier. Mais voilà… Les Américai
677 traire. On me fusille et on le pend d’office. Fin de la douleur de Duperrier. Mais voilà… Les Américains ont gagné l
678 fusille et on le pend d’office. Fin de la douleur de Duperrier. Mais voilà… Les Américains ont gagné la guerre. La S
679 orné à le punir un peu. Son avocat garde le droit de me dénoncer pour avoir combattu l’hitlérisme, et Aragon le droit de m
680 r avoir combattu l’hitlérisme, et Aragon le droit de me calomnier sous un prétexte exactement inverse. Je garde le droit d
681 un prétexte exactement inverse. Je garde le droit de répondre, et même de rire. Et vous, lecteurs, vous gardez le droit de
682 t inverse. Je garde le droit de répondre, et même de rire. Et vous, lecteurs, vous gardez le droit de juger toute cette af
683 de rire. Et vous, lecteurs, vous gardez le droit de juger toute cette affaire, mon livre en main, selon votre conscience
684 ffaire, mon livre en main, selon votre conscience de citoyens de la plus vieille démocratie du monde. Jugez donc ! et dite
685 livre en main, selon votre conscience de citoyens de la plus vieille démocratie du monde. Jugez donc ! et dites avec moi q
686 s des morts, ou je ne sais quels esclaves honteux de vivre. À Ferney-Voltaire, le 20 novembre 1947. m. Rougemont Denis
687 aire, le 20 novembre 1947. m. Rougemont Denis de , « Consolation à Me Duperrier sur un procès perdu », Bulletin de la G
688 on à Me Duperrier sur un procès perdu », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, décembre 1947, p. 326‑328.
11 1948, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Lacs (août 1948)
689 ien j’aimai ce lac aux rives glauques ! sans rien d’ alpestre, et dont les eaux, comme celles d’un marécage, longtemps se m
690 s rien d’alpestre, et dont les eaux, comme celles d’ un marécage, longtemps se mêlent à la terre, et filtrent entre les ros
691 Et depuis lors elle est restée lacustre. « Odeur de l’eau pour toute la vie », écrivait un Paysan du Danube , et vingt a
692 nheur à ces souvenirs. Non qu’ils me parlent tous de jours heureux, mais la mémoire des plus amers ou des plus seuls a gar
693 lac n’est jamais sans quelque douceur ? Cherchant d’ où vient cet agrément, et pourquoi dans le monde lacustre on ressent l
694 ux ciels changeants, et si profonds ses lointains de lumière. La pente derrière moi, l’horizon des collines, sont le cadre
695 où les cris des oiseaux dans la brume s’occupent d’ une vie bien différente… Enfin la variété des objets, des lumières, de
696 satisfait comme nul autre paysage ce goût profond de composer, de contraster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’
697 me nul autre paysage ce goût profond de composer, de contraster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée, d
698 ysage ce goût profond de composer, de contraster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de
699 rofond de composer, de contraster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir, de bo
700 oser, de contraster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux,
701 ler puis de découvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux, de comparer, de contempler
702 couvrir, de plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux, de comparer, de contempler sans fin, où l
703 plonger à l’abandonnée, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux, de comparer, de contempler sans fin, où l’on a reconn
704 née, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux, de comparer, de contempler sans fin, où l’on a reconnu l’amour, comme il
705 rter, de revenir, de boire des yeux, de comparer, de contempler sans fin, où l’on a reconnu l’amour, comme il aime à s’y r
706 à Baveno dans l’eau tiède et dorée, c’est la fin de l’après-midi, devant la proue de l’Isola Bella, vaisseau de rêve aux
707 ée, c’est la fin de l’après-midi, devant la proue de l’Isola Bella, vaisseau de rêve aux nombreux ponts chargés de dieux,
708 -midi, devant la proue de l’Isola Bella, vaisseau de rêve aux nombreux ponts chargés de dieux, passagers immobiles, un bra
709 ella, vaisseau de rêve aux nombreux ponts chargés de dieux, passagers immobiles, un bras levé… J’habite au lac de Garde un
710 assagers immobiles, un bras levé… J’habite au lac de Garde un palais délabré, au-dessus de jardins en terrasses pleins de
711 bite au lac de Garde un palais délabré, au-dessus de jardins en terrasses pleins de lucioles à la nuit, quand les violoneu
712 délabré, au-dessus de jardins en terrasses pleins de lucioles à la nuit, quand les violoneux du village viennent donner la
713 brusque sauvagerie des hautes pentes, échevelées de châtaigniers. Contre les flancs du noir Monte Baldo coiffé de neige,
714 ers. Contre les flancs du noir Monte Baldo coiffé de neige, sur l’autre rive, un orage s’illumine par moments, et dans l’é
715 où l’eau rejoint presque le ciel, le petit phare de la baie de Sirmione… Sur les lacs sinueux de la Prusse-Orientale, nou
716 hare de la baie de Sirmione… Sur les lacs sinueux de la Prusse-Orientale, nous allions ramer vers minuit, heure où le crép
717 n se meurt dans l’aube, à l’horizon des landes et de la mer… Tyrol, et ce lac sombre au fond de la vallée, où tournoyaient
718 des et de la mer… Tyrol, et ce lac sombre au fond de la vallée, où tournoyaient des voiles inclinées… Balaton, lac de plai
719 ù tournoyaient des voiles inclinées… Balaton, lac de plaine aux eaux fades, environné de collines pointues et de valses au
720 Balaton, lac de plaine aux eaux fades, environné de collines pointues et de valses aux jardins publics — là j’étais seul…
721 aux eaux fades, environné de collines pointues et de valses aux jardins publics — là j’étais seul… Rade de Genève par un b
722 alses aux jardins publics — là j’étais seul… Rade de Genève par un beau temps cruel, qui faisait fête à des adieux… Petits
723 es adieux… Petits déjeuners suisses sur un balcon d’ hôtel à Vevey, à Montreux, patries du roman russe. Et le bleu de l’air
724 y, à Montreux, patries du roman russe. Et le bleu de l’air matinal, l’argent transparent des montagnes, le scintillement d
725 e le monde venait de s’éveiller, luisant et neuf, de la première nuit… Et ces deux grands étés américains, dans les demeur
726 lac du Saint Sacrement « pour la pureté lustrale de ses eaux »… Il me rappelait un peu de tous mes autres lacs, mais il é
727 tous mes autres lacs, mais il était surtout celui d’ Œil de faucon et du dernier des Mohicans de mon enfance. Je le trouvai
728 es autres lacs, mais il était surtout celui d’Œil de faucon et du dernier des Mohicans de mon enfance. Je le trouvais bien
729 celui d’Œil de faucon et du dernier des Mohicans de mon enfance. Je le trouvais bien beau. Pourquoi l’ai-je quitté ? … Et
730 l’ai-je quitté ? … Et nous n’irons jamais au lac d’ Amatitlan, au pied du fabuleux volcan de Sant’Anna, mais je l’emporte
731 is au lac d’Amatitlan, au pied du fabuleux volcan de Sant’Anna, mais je l’emporte avec les autres sans remords, s’il est v
732 e avec les autres sans remords, s’il est vrai que d’ aucuns je n’ai su tant d’histoires et qu’il détient certains de mes se
733 mords, s’il est vrai que d’aucuns je n’ai su tant d’ histoires et qu’il détient certains de mes secrets. Je dénombre mes la
734 ’ai su tant d’histoires et qu’il détient certains de mes secrets. Je dénombre mes lacs, et la mémoire encore investit du c
735 ce même, aux chagrins taciturnes. Souffrir auprès d’ un lac n’est jamais sans douceur. Je suis sur la jetée, près du hangar
736 que mon cœur humilié. Dans ce « local » empuanti de tabac de pipes et de bière renversée, je viens de subir l’épreuve d’i
737 cœur humilié. Dans ce « local » empuanti de tabac de pipes et de bière renversée, je viens de subir l’épreuve d’initiation
738 . Dans ce « local » empuanti de tabac de pipes et de bière renversée, je viens de subir l’épreuve d’initiation d’une socié
739 t de bière renversée, je viens de subir l’épreuve d’ initiation d’une société de collégiens. J’ai refusé de raconter devant
740 nversée, je viens de subir l’épreuve d’initiation d’ une société de collégiens. J’ai refusé de raconter devant tous, debout
741 ens de subir l’épreuve d’initiation d’une société de collégiens. J’ai refusé de raconter devant tous, debout sur un tonnea
742 itiation d’une société de collégiens. J’ai refusé de raconter devant tous, debout sur un tonneau comme le veut la coutume,
743 r un tonneau comme le veut la coutume, l’histoire de mes Premières Amours. On m’a conspué. J’ai 16 ans. C’est horrible. Mo
744 descend dans le cortège des jeunes filles sortant de l’école des Terreaux. Nous, les garçons, tenons notre « colloque » su
745 s garçons, tenons notre « colloque » sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Nous parlons entre nous d’un air grave, d’un air de
746 lace de l’Hôtel-de-Ville. Nous parlons entre nous d’ un air grave, d’un air de ne pas regarder les filles qui passent, mais
747 de-Ville. Nous parlons entre nous d’un air grave, d’ un air de ne pas regarder les filles qui passent, mais je la vois veni
748 Nous parlons entre nous d’un air grave, d’un air de ne pas regarder les filles qui passent, mais je la vois venir de loin
749 nir de loin. Elle porte un grand chapeau flottant d’ un rose sombre. Tout la distingue infiniment du troupeau bavardant de
750 out la distingue infiniment du troupeau bavardant de ses compagnes. Si je rencontrais ses yeux, que deviendrais-je, et si
751 semaine prochaine, l’épreuve recommencera. Odeur de l’eau qui dort, pénétrante, amicale. Un poisson saute et ride un mome
752 out à fait comme avant.) Ce soir, elle est encore d’ une présence envoûtante. Le soleil s’est caché derrière le Trou de Bou
753 nvoûtante. Le soleil s’est caché derrière le Trou de Bourgogne. La grande rougeur du lac s’est retirée, de vague en vague
754 ourgogne. La grande rougeur du lac s’est retirée, de vague en vague vers l’autre rive. Elle caresse en passant l’épaule de
755 des collines, elle monte, elle embrase longtemps d’ une sereine incandescence les Alpes déployées au fond du ciel. Sommets
756 ence les Alpes déployées au fond du ciel. Sommets d’ où l’on voit l’Italie… Et le rêve s’éteint, guirlande morte, un peu de
757 horizon. Paysage emphatique et sombre, tout cerné de prodiges sévères, et l’œil ne s’en évade au bas du ciel — vers l’oues
758 r lointain que l’eau n’a point doublé, déjà prise de nuit, rêvant jusqu’à mes pieds. Par une chaude soirée du mois d’août
759 jusqu’à mes pieds. Par une chaude soirée du mois d’ août 192…, un jeune homme, simplement vêtu d’un pantalon de flanelle g
760 mois d’août 192…, un jeune homme, simplement vêtu d’ un pantalon de flanelle grise et d’un chandail au col roulé, pédale à
761 2…, un jeune homme, simplement vêtu d’un pantalon de flanelle grise et d’un chandail au col roulé, pédale à longues pesées
762 implement vêtu d’un pantalon de flanelle grise et d’ un chandail au col roulé, pédale à longues pesées sur le chemin de la
763 col roulé, pédale à longues pesées sur le chemin de la plaine, luttant contre un vent impétueux. L’orage est imminent. No
764 L’orage est imminent. Notre héros, qui paraît âgé d’ une vingtaine d’années, se dirige vers le lac qu’on aperçoit entre les
765 nent. Notre héros, qui paraît âgé d’une vingtaine d’ années, se dirige vers le lac qu’on aperçoit entre les peupliers, et d
766 ues limoneuses accablent sans relâche les roseaux de la baie. Des nuées menaçantes courent très bas, tirant des pluies au
767 Il roule maintenant dans l’ombre tiède et abritée d’ un bois de pins. Que vient-il donc chercher sur ces rivages désertés p
768 aintenant dans l’ombre tiède et abritée d’un bois de pins. Que vient-il donc chercher sur ces rivages désertés par le crép
769 Quelle est cette hâte inconnue, qu’il se flattait de n’éprouver jamais, bien au contraire, avant un rendez-vous ? Cette en
770 au contraire, avant un rendez-vous ? Cette envie de crier : « J’accours ! Attends !… » Ah ! mais qu’est-ce qu’il m’arrive
771 cœur net. (Tout son orgueil réside en la maîtrise de soi, idéal de sportif plus que de puritain.) Il ralentit, pose un pie
772 t son orgueil réside en la maîtrise de soi, idéal de sportif plus que de puritain.) Il ralentit, pose un pied sur le sol,
773 en la maîtrise de soi, idéal de sportif plus que de puritain.) Il ralentit, pose un pied sur le sol, et s’appuie de la ma
774 Il ralentit, pose un pied sur le sol, et s’appuie de la main au tronc d’un pin. Ce qui lui arrive est solennel, comme l’at
775 pied sur le sol, et s’appuie de la main au tronc d’ un pin. Ce qui lui arrive est solennel, comme l’attente du pays sous l
776 œur, le sang plus vite, le soulèvement plus ample de la respiration. Tout ce que disent les poètes qu’il dédaigne, tous le
777 quand les portes du cœur ont cédé ! Le lac était d’ un bleu très sombre, le ciel bas, des éclairs de chaleur palpitaient d
778 t d’un bleu très sombre, le ciel bas, des éclairs de chaleur palpitaient dans la nue, et le jeune homme savait en repartan
779 omme si légèrement l’amour. n. Rougemont Denis de , « Lacs », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, août 1948, p. 19
780 our. n. Rougemont Denis de, « Lacs », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, août 1948, p. 192-194. o. Le titre app
781 1948, p. 192-194. o. Le titre appelle cette note de la rédaction : « Tiré de Suite neuchâteloise , admirablement édité p
782 titre appelle cette note de la rédaction : « Tiré de Suite neuchâteloise , admirablement édité par Ides et Calendes. »