1 1937, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Introduction au Journal d’un intellectuel en chômage (août 1937)
1 u Journal d’un intellectuel en chômage (août 1937) a Tolstoï disait, vers la fin du siècle dernier : « L’artiste de l’a
2 conque. » C’est le contraire qui m’est arrivé : j’ ai perdu mon « métier quelconque », et c’est cela justement qui m’a perm
3 étier quelconque », et c’est cela justement qui m’ a permis de partager, pendant deux ans, « la vie ordinaire des hommes »
4 s hommes. Or, en même temps que mon gagne-pain, j’ avais perdu la possibilité de vivre à Paris. J’eus l’idée de demander autou
5 j’avais perdu la possibilité de vivre à Paris. J’ eus l’idée de demander autour de moi si l’on ne connaissait pas une maiso
6 une maison abandonnée qu’on nous prêtait. Il y en a comme cela des centaines, des milliers, dans toutes les provinces de
7 l, qui est d’écrire. Cette situation paradoxale m’ a fait découvrir tout un monde. Elle m’a confronté au réel, à la vie qu
8 radoxale m’a fait découvrir tout un monde. Elle m’ a confronté au réel, à la vie quotidienne d’un peuple qui se trouvait t
9 ignorer de ma « qualité » d’intellectuel. Elle m’ a posé et reposé chaque jour le problème des relations possibles entre
10 avec lesquels on se voit contraint de vivre sans avoir pu les choisir à son goût. J’ai traité ces deux grandes questions de
11 de vivre sans avoir pu les choisir à son goût. J’ ai traité ces deux grandes questions de la culture et de la communauté d
12 à seulement que les idées deviennent graves. Il m’ a paru aussi que les façons de vivre et de penser des hommes réels, peu
13 les journaux, ni les théories politiques ne m’en avaient donné la moindre idée exacte. J’ai décrit les paysans parmi lesquels
14 s ne m’en avaient donné la moindre idée exacte. J’ ai décrit les paysans parmi lesquels je vivais, quelques instituteurs, d
15 e. Et c’est cela que je voudrais faire toucher. J’ ai tenté d’échapper aux villes inhumaines. Et j’ai trouvé que la provinc
16 J’ai tenté d’échapper aux villes inhumaines. Et j’ ai trouvé que la province ne vaut guère mieux, dans son état présent. Pa
17 t : « C’est mort ici ! » Phrase si courante qu’on a cessé de sentir le drame immense qu’elle trahit. Province morte, et v
18 is seulement des « voisins inévitables » (comme l’ a si bien dit Keyserling). En relisant mes notes, je m’aperçois que c’e
19 s signes providentiels. Et toutes les joies qui n’ ont pas de nom et dont personne ne songerait à parler, contemplation de l
20 avail, sentiment de la journée vide, du temps qui a pris le rythme des vies simples. Et la nuit retrouvée, la vraie nuit
21 où rôdent les grandes menaces originelles ! On l’ avait oubliée dans les villes. ⁂ Là où l’on a coutume de placer dans un « j
22 On l’avait oubliée dans les villes. ⁂ Là où l’on a coutume de placer dans un « journal » des effusions lyriques, des ana
23  » des effusions lyriques, des analyses du moi, j’ ai cru qu’il serait plus discret de donner, par exemple, mes comptes, ou
24 lement comme une « recette pour vivre de peu ». a . Rougemont Denis de, « Introduction au Journal d’un intellectuel en
2 1937, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Pages inédites du Journal d’un intellectuel en chômage (octobre 1937)
25 prodigieux producteurs d’idées ; deux hommes qui ont écrit chacun une vingtaine de volumes en l’espace de dix ans : Kierke
26 s même une chemise entière : les morceaux du bras ayant servi à rapiécer les épaules et le plastron. Le peu d’argent de sa re
27 mi aveugle… ⁂ Confort et culture. — À ceux qui n’ ont rien, il faut donner du confort, afin qu’ils puissent concevoir d’aut
28 la recherche d’un gain précaire. Mais à ceux qui ont quelque chose, il faut rappeler que la recherche du confort est ce qu
29 culture véritable. ⁂ Île de R. — La nuit ! Je l’ avais oubliée à Paris. La nuit des villes n’est pas cette mort opaque dont
30 avec angoisse, et fuient soudain en gémissant. J’ ai des lettres à porter à l’autobus. Il faut s’éloigner du village. De n
31 mais plus que dans cette nuit. ⁂ Fin de séjour à A … (Gard). — Tout est en place. Je garderai toutefois le plan d’aménage
32 mais… Les vingt-deux pièces du dessus de cheminée ont été replacées au millimètre, dans une symétrie impeccable. Mais tout
33 être détruit par une odieuse malice du sort. Nous avions descendu du deuxième un lourd sommier, pour en faire un divan. L’esca
34 s trop de mal, lors de notre arrivée. Mais nous n’ avions pas prévu la remontée ! Épuisés par une demi-heure d’efforts haletant
35 sés par une demi-heure d’efforts haletants, qui n’ ont abouti qu’à coincer le sommier au tournant, entre la balustrade et le
36 e d’escalier — au surplus fortement rayées — nous avons couru implorer l’aide de Simard. « Ce cochon-là » refuse, prétextant
37 un peu pour toucher davantage à l’assurance !) Il a bien fallu se rendre à l’évidence : ce sommier implacable restera dan
38 scalier comme témoin des bouleversements que nous avons infligés à la maison. Pas question d’aller quérir du renfort à A. Il
39 e de ces découvertes frémissantes telles que j’en ai sans doute vécues, adolescent — et sûrement ce serait bien autre chos
40 ’homme déplie un journal que je n’aime pas, qu’il a peut-être acheté tout par hasard, comme il m’arrive à moi aussi, mais
41 as d’ici. Et déjà je ne comprends plus pourquoi j’ ai eu ce fort désir soudain, dans le métro, de tutoyer mes compagnons de
42 d’ici. Et déjà je ne comprends plus pourquoi j’ai eu ce fort désir soudain, dans le métro, de tutoyer mes compagnons de ro
43 enir à les ignorer avec force, une fois qu’on les a bien connus, dans leur réalité sordide. Un petit fait vrai vaut plus
44 eut devenir le fait dominateur. En vérité, il n’y a pas de faits grands ou petits en soi et par comparaison. Il y a dans
45 s autres et qui est la mesure de tout. Quand tu l’ auras connu et accepté — tu es le seul à le connaître — lève-toi et regarde
46 dans le Midi, où un sentiment obscur de latinité a survécu. Et épices (d’où épicerie) et espèce (d’où spécialiste) sont
47 plus modifier la mise en pages.) 1. Kierkegaard avait déposé sa fortune, réalisée en argent liquide, chez son beau-frère. I
3 1938, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Caquets d’une vieille poule noire (août 1938)
48 ieille poule noire (août 1938)c d Eh bien ! en ont -ils fait des histoires sur ma petite histoire ! Je vivais ignorée et
49 t sereine. C’est par la faute de mon auteur que j’ ai paru dans toutes les feuilles, et je me vengerais bien si ce n’était
50 ait de lui que dépend, après tout, mon existence. Ont -ils pu se moquer de mon aventure, tous les feuilletonistes indiscrets
51 en juger. Dans un grand quotidien de Bordeaux, il a paru tout un article intitulé sur trois colonnes — et j’en sens ma cr
52 n jardin ; au fond du jardin, cette poule. Elle n’ a pas fait parler d’elle depuis le mois de novembre. Soudain, le 10 avr
53 ondre, et avec tant d’ardeur que, dès le 16, elle a treize gros œufs, que sans désemparer elle se met à couver. On regret
54 à couver. On regrette que M. de Rougemont ne nous ait pas présenté le coq, même par la plus discrète allusion. Puis on atte
55 r « dans un monde où l’on pardonnera aux poules d’ avoir des mœurs un peu bizarres, parce que les hommes en auront de plus nat
56 es mœurs un peu bizarres, parce que les hommes en auront de plus naturelles et de plus droites ». Voyez-vous cela : « des mœur
57 plus révoltant de l’affaire, c’est que mon auteur a ri très fort de cet article et s’est lâchement refusé à prendre la dé
58 s. Il s’en fiche, il s’amuse à mes dépens après m’ avoir livrée à la risée publique ! Comme si le ridicule jeté sur moi ne l’a
59 ne connaît rien aux mœurs des poules ! Que nous n’ avons pas besoin d’un coq pour pondre un œuf quand cela nous chante3 ; que
60 » que nos maîtres achètent à cet effet : que je n’ avais donc pas eu à fabriquer moi-même les treize œufs et que cette histoir
61 es achètent à cet effet : que je n’avais donc pas eu à fabriquer moi-même les treize œufs et que cette histoire honteuse e
62 jours de couvée prouve simplement que mon auteur a négligé de vérifier ses dates ! Enfin, mon innocence éclate à tous le
63 rdelais. Que dire des autres ! Figurez-vous que j’ ai eu la curiosité d’aller picorer parmi les dossiers de mon auteur, épa
64 lais. Que dire des autres ! Figurez-vous que j’ai eu la curiosité d’aller picorer parmi les dossiers de mon auteur, épars
65 le (toujours ce désordre !). À ma stupéfaction, j’ ai trouvé des dizaines d’articles pleins d’éloges pour ce maudit Journa
66 eux. Nul n’ignore que l’hebdomadaire neuchâtelois a obtenu le concours régulier du plus fameux critique de Romorantin (Lo
67 manque de critiques très qualifiés, mais quand on a l’aubaine de publier des pages signées V. Meylan-Malécot, il convient
68 un peu mesquines. Donc, cette dame de Romorantin a pris en main ma cause méprisée et, s’adressant courageusement à mon a
69 ière. Voilà au moins un sujet substantiel, et qui a tenté de fort bons auteurs. Ce qu’on peut critiquer chez vous, ce n’e
70 ine de le traiter. Est-ce que, par hasard, il n’y aurait pas de poules dans votre pays ? Ou bien est-ce que vous ne les aviez
71 dans votre pays ? Ou bien est-ce que vous ne les aviez jamais regardées qu’il vous faille aller en Vendée pour voir éclore d
72 ule noire, j’étais « un sujet substantiel, et qui a tenté de fort bons auteurs ». Mon malheur a voulu que j’aie tenté aus
73 t qui a tenté de fort bons auteurs ». Mon malheur a voulu que j’aie tenté aussi un auteur qui « malmène les mots » à tel
74 de fort bons auteurs ». Mon malheur a voulu que j’ aie tenté aussi un auteur qui « malmène les mots » à tel point que Mme Me
75 eries en moins de phrases. » Ça c’est tapé ! Je n’ aurais pas dit mieux. Mais la dame critique de Romorantin (Loir-et-Cher) ne
76 e de tout ce qui est beau et noble. Le génie seul a les yeux si perçants, le génie seul pouvait déjouer la ruse infâme de
77 ne, aux petits rentiers ! C’est ce que personne n’ avait su deviner, avant Mme Malécot. « Mais vous ne les aurez pas, ces peti
78 su deviner, avant Mme Malécot. « Mais vous ne les aurez pas, ces petits rentiers ! » clame-t-elle. Et pour le coup, je m’y re
79 ssé. Naturellement, mon auteur, une fois de plus, a cru devoir hausser les épaules. Dans le fond de son cœur, toutefois,
80 épaules. Dans le fond de son cœur, toutefois, il a dû se sentir atteint. Et comment ne pas admirer le courage de cette F
81 quoi — et rive son clou à l’insolent Helvète ! J’ ai eu un autre vengeur en la personne de M. François Porché. Mais j’avou
82 oi — et rive son clou à l’insolent Helvète ! J’ai eu un autre vengeur en la personne de M. François Porché. Mais j’avoue q
83 choses se gâtent. L’auteur, conclut M. Porché, «  a joué à la pauvreté ; quel sacrilège ! » Or, sacrilège veut dire : qui
84 dans les pires utopies. Et mon auteur lui-même n’ a pas été si loin : il s’est contenté de se débrouiller avec sa pauvret
85 avec sa pauvreté et, loin de la croire sacrée, il a essayé d’en sortir. Je signale le cas de M. Porché à la vigilance de
86 our finir, je vous confierai un renseignement qui a bien son prix. Beaucoup de critiques ont accusé mon auteur d’avoir us
87 nement qui a bien son prix. Beaucoup de critiques ont accusé mon auteur d’avoir usurpé le « titre » de chômeur (comme l’écr
88 ix. Beaucoup de critiques ont accusé mon auteur d’ avoir usurpé le « titre » de chômeur (comme l’écrit curieusement M. Brasill
89 la dit Lausannoise, mais enfin le journal Curieux a présenté sa lettre comme celle d’une Française offensée, et moi je cr
90 el en chômage nous remet ces pages qu’il prétend avoir été écrites (ou, comme on dit, pondues) par la vieille poule noire mi
91 percherie. » Dans l’édition Albin Michel que nous avons mis en ligne, c’est en pages 98-99 qu’est mise en scène la poule noir
4 1939, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Puisque je suis un militaire… (septembre 1939)
92 n y est ! L’impression générale, c’est qu’on nous a « mis dedans ». (Je dis on, je ne sais pas qui c’est. Comme le brave
93 ant que Mermoud compose son Bulletin de guerre, j’ ai bien envie de vous dire un peu de quoi se fait la vie à l’armée, dans
94 a se dégage un lyrisme. De cela précisément qui n’ a pas de nom, qui n’a rien de spectaculaire, qui n’a pas sa photo dans
95 me. De cela précisément qui n’a pas de nom, qui n’ a rien de spectaculaire, qui n’a pas sa photo dans les feuilles et qu’o
96 pas de nom, qui n’a rien de spectaculaire, qui n’ a pas sa photo dans les feuilles et qu’on peut seulement ressentir quan
97 uilles et qu’on peut seulement ressentir quand on a les pieds dans la boue, vers quatre heures du matin, après l’alarme.
98 . Ça ne l’empêche pas de s’installer comme s’il n’ avait rien d’autre à faire pendant des heures. (Est-ce une parabole de la v
5 1939, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Billet d’aller et retour (décembre 1939)
99 Billet d’aller et retour (décembre 1939)f Je l’ ai pourtant quittée, cette chambre paysanne, mais j’y suis pour peu que
100 s rêves, et certains cauchemars, soient vécus ; j’ ai connu cela trois jours plus tard, dans une grande gare de cette Europ
101 es lumières, — de toutes les lumières humaines. J’ avais quitté mon train pendant l’arrêt, à la recherche d’un buffet quelconq
102 t, à la recherche d’un buffet quelconque, et je n’ avais trouvé qu’un abri souterrain au bout du quai. Pendant ce temps, l’exp
103 rain au bout du quai. Pendant ce temps, l’express avait changé de voie. Dans la bleuâtre obscurité, nul écriteau lisible et n
104 ve un wagon qui me paraît être le mien, mais je l’ avais quitté presque vide et il est plein de dormeurs débraillés, de musett
105 ait camouflé, illisible. Je ne saurai jamais si j’ ai rêvé. Mais au matin, oui, c’était bien Paris, et les sirènes d’une fi
106 … Je me suis enfermé dans ma chambre d’hôtel et j’ ai écrit pendant deux jours ces conférences que j’allais faire, absurdem
107 d’une tradition et d’une volonté créatrice qui n’ ont jamais perdu la mesure de l’humain. Point de coupure ici, point de Ré
108 teurs. Les petits peuples protestants de l’Europe ont réalisé ce miracle de l’équilibre entre l’Un et le Divers. Ils ont la
109 racle de l’équilibre entre l’Un et le Divers. Ils ont la charge de créer les seules bases vivantes de la paix. Ils ont la c
110 e créer les seules bases vivantes de la paix. Ils ont la charge de tout le xxe siècle. Mais nous reparlerons de toutes ces
6 1946, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Beekman Place (octobre 1946)
111 d’un monde tout artificiel que nous, les hommes, avons bâti selon nos caprices, nos passions et nos raisons folles. Si nous
112 d siffler dans la rue… Je me souviens de ce que j’ ai sous les yeux : je le vois déjà comme je me le rappellerai, une fois
7 1946, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Souvenir d’un orage en Virginie (novembre 1946)
113 arrières blanches. « Et vous verrez ce qu’elle en a fait ! C’est sa manière de se venger de J. car c’était la maison de s
114 e des ifs géants, comme des ailes noires. Je n’en ai jamais vu d’aussi grands, ils montent jusqu’aux fenêtres du deuxième
115 prairies dorées. Soudain, un coup de vent violent a jeté contre la façade et nos visages un tourbillon de feuilles et de
116 sur son cheval, nous considère avec hostilité. Il a les yeux d’un bleu très pâle et dur. Il n’a pas salué. Son silence no
117 é. Il a les yeux d’un bleu très pâle et dur. Il n’ a pas salué. Son silence nous supprime. C’est sans doute le nouvel inte
118 ore les rideaux. « Les orages me rendent folle, j’ ai tellement peur, et vous ? Vous êtes muets ? Vous avez soif ? » Les co
119 tellement peur, et vous ? Vous êtes muets ? Vous avez soif ? » Les coups de tonnerre se succèdent sans répit, et parfois le
120 e vous joue du piano ? Pour faire croire que je n’ ai pas peur… » — Eh bien ? m’ont demandé mes amis dans la voiture qui n
121 ire croire que je n’ai pas peur… » — Eh bien ? m’ ont demandé mes amis dans la voiture qui nous emporte sous la pluie, qu’e
122 us emporte sous la pluie, qu’en pensez-vous ? — J’ ai pensé que, pour la première fois de ma vie, je me sens tenté d’écrire
8 1946, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Noël à New York (décembre 1946)
123 grand magasin de jouets de la Cinquième Avenue. «  Auriez -vous, dis-je d’un ton suave, quelque chose qui ressemble à un modèle
124 ines d’un parc où il sera replanté dès janvier, n’ ayant coûté que 100 dollars de location à Mr. John D. Rockefeller, car tout
125 Une rose est née… Et je me dirai que l’Amérique n’ a pas encore très bien compris les traditions, parce qu’elle les respec
126 lo, la Fleurette ou le Chapeau, comme le peuple l’ a baptisé, saisissant la baguette des mains du chef dirigera pour la de
127 grèves irrégulières. Car la force et l’initiative ont changé de camp, et les vainqueurs se montrent généreux. Et déjà les p
128 ’Europe, pour que nous comprenions que les hommes ont fort peu de bonne volonté ? La plupart sont involontaires. Ils ne fon
9 1947, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Slums (janvier 1947)
129 Slums (janvier 1947)k l La 75e rue n’ a rien de particulier. Elle part luxueusement de la Cinquième Avenue et
130 ès Lexington Avenue, perd toute tenue dès qu’elle a traversé les piliers du métro aérien qui longe encore la Troisième Av
131 is cinq ans que je circule dans cette ville, je n’ ai jamais été touché, ils sont d’une folle brutalité, mais surpassée par
10 1947, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Consolation à Me Duperrier sur un procès perdu (décembre 1947)
132 agistrat ou tribunal quelconque, les citoyens qui auraient commis un délit contre cette liberté… Mais autant ces accusations son
133 it à la cour l’admirable morceau que de Rougemont a dédié à Paris envahi par les Allemands et qui, paru dans la Gazette e
134 lui valut une sanction de la censure. L’écrivain ayant quitté peu après la Suisse pour les États-Unis, l’avocat se croit dès
135 ation à celle de son client. « Si ces deux hommes ont pris ensuite des chemins opposés, le départ est le même », affirme l’
136 ivité d’homme de lettres à la radio américaine. J’ ai l’honneur, M. le procureur général, s’écrie Me Duperrier, de me faire
137 l se demande si, ce faisant, Denis de Rougemont n’ a pas mis la sécurité du pays en danger. Une calomnie Peu de tem
138 temps auparavant, les Éditions Fontaine, à Paris, avaient publié le recueil des conférences prononcées l’hiver dernier en Sorbo
139 age 100 de ce recueil, M. Aragon déclare que je n’ ai « jamais cessé au temps de Vichy d’être publié en France », et il ins
140 Qui croire ? Ainsi donc, selon Me Duperrier, j’ ai passé le temps de la guerre à « mettre en danger la sécurité de mon p
141 activité antinazie, tandis que, d’après Aragon, j’ aurais passé le même temps à « passer sous silence » le nazisme et l’antisém
142 Me Duperrier, en me dénonçant devant un tribunal, a brandi ses preuves : mon Journal dans l’édition reliée de la Guilde.
143 Aragon, devant une « assemblée particulière », n’ a rien brandi du tout, ni rien prouvé, et il en eût été bien empêché, c
144 n’a rien brandi du tout, ni rien prouvé, et il en eût été bien empêché, car si quelqu’un n’a pas cessé d’être publié sous V
145 et il en eût été bien empêché, car si quelqu’un n’ a pas cessé d’être publié sous Vichy, c’est lui et non pas moi ; et si
146 Vichy, c’est lui et non pas moi ; et si quelqu’un a vu ses livres censurés en Suisse, c’est moi et non pas lui. Avec Tite
147 . Où je me vois sommé de répondre Lorsque j’ ai lu de quoi l’on accusait Georges Oltramare, quelques jours avant son
148 ever ? » Et puis les circonstances de ma vie ne m’ ont plus laissé le loisir d’y penser, ni même de bien lire les journaux.
149 ous. Où je réponds Voici le raisonnement qu’ a tenu devant la cour le bouillant Me Duperrier : — Rougemont s’est mis
150 d’une propagande étrangère, comme Oltramare ; il a parlé à la radio, comme Oltramare ; et hors de Suisse, comme Oltramar
151 bsurdités. 1. Si l’on admet avec cet avocat que j’ ai vraiment agi comme son client, l’alternative est la suivante : ou bie
152 est l’homme sain d’esprit qui peut admettre que j’ aie vraiment agi comme Oltramare ? Nous avons tous les deux écrit pour la
153 tre que j’aie vraiment agi comme Oltramare ? Nous avons tous les deux écrit pour la radio, hors de Suisse, sur la politique.
154 on des méfaits d’un lion du désert, et Malherbe d’ avoir consolé Duperrier — celui qui a perdu son procès. La seule question s
155 et Malherbe d’avoir consolé Duperrier — celui qui a perdu son procès. La seule question sérieuse qui se posait, notre avo
156 : c’est celle du contenu des émissions. Oltramare a parlé en faveur des nazis, ennemis jurés de toute démocratie, donc de
157 sayons de l’éclairer par une fable. Fable J’ ai tant et si bien parlé à la radio américaine, qu’à la fin les nazis on
158 arlé à la radio américaine, qu’à la fin les nazis ont occupé la Suisse. Voilà ce que c’est ! On m’y ramène sous bonne escor
159 Que va-t-il dire ? Il n’hésite pas : il dit que j’ ai fait comme Oltramare, notre infaillible führer suisse. On lui répond
160 suisse. On lui répond que ça ne prend pas, que j’ ai fait exactement le contraire. On me fusille et on le pend d’office. F
161 ur de Duperrier. Mais voilà… Les Américains ont gagné la guerre. La Suisse subsiste, intacte et libre. On n’a pas fus
162 uerre. La Suisse subsiste, intacte et libre. On n’ a pas fusillé Oltramare, on s’est borné à le punir un peu. Son avocat g
163 eu. Son avocat garde le droit de me dénoncer pour avoir combattu l’hitlérisme, et Aragon le droit de me calomnier sous un pré
164 monde. Jugez donc ! et dites avec moi que nous l’ avons échappé belle ! Et que le désordre tolérable et tolérant où nous voic
11 1948, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Lacs (août 1948)
165 écrivait un Paysan du Danube , et vingt ans ne l’ ont pas démenti. Je dénombre mes lacs et ne puis retrouver que du bonheur
166 mais la mémoire des plus amers ou des plus seuls a gardé le charme des eaux. Faut-il penser que la souffrance au bord d’
167 a signification privilégiée. Ici le cœur et l’âme ont leur théâtre pur, où tout est sens, écho, dialogue à l’infini. Ici la
168 eux, de comparer, de contempler sans fin, où l’on a reconnu l’amour, comme il aime à s’y retrouver. Je nage à Baveno dans
169 mon enfance. Je le trouvais bien beau. Pourquoi l’ ai -je quitté ? … Et nous n’irons jamais au lac d’Amatitlan, au pied du f
170 res sans remords, s’il est vrai que d’aucuns je n’ ai su tant d’histoires et qu’il détient certains de mes secrets. Je déno
171 reuve d’initiation d’une société de collégiens. J’ ai refusé de raconter devant tous, debout sur un tonneau comme le veut l
172 coutume, l’histoire de mes Premières Amours. On m’ a conspué. J’ai 16 ans. C’est horrible. Mon seul amour doit rester mon
173 stoire de mes Premières Amours. On m’a conspué. J’ ai 16 ans. C’est horrible. Mon seul amour doit rester mon secret. Je la
174 u. Je suis dépareillé, passons, passez, Madame… J’ ai 19 ans. Je n’aime encore que la nature, et ma solitude avec elle. Et
175 tude avec elle. Et vraiment, à cet âge, elle me l’ a bien rendu. (Quand on revient la voir à deux, plus tard, aux mêmes li
176 ers l’ouest — que par cet or lointain que l’eau n’ a point doublé, déjà prise de nuit, rêvant jusqu’à mes pieds. Par une c
177 r l’effort et la vitesse. Mais soudain la tempête a fait silence autour de lui, et seul reste distinct le bruit profond d
178 qu’est-ce qu’il m’arrive ? se dit-il. Il faut en avoir le cœur net. (Tout son orgueil réside en la maîtrise de soi, idéal de
179 ut est facile et violent quand les portes du cœur ont cédé ! Le lac était d’un bleu très sombre, le ciel bas, des éclairs d
180 ers les roseaux, qu’avant le rendez-vous ce qui l’ avait rejoint, c’était cette chose absurde et magnifique, entre haut mal et