1
st arrivé : j’ai perdu mon « métier quelconque »,
et
c’est cela justement qui m’a permis de partager, pendant deux ans, «
2
pense pour un intellectuel. À Paris, on fréquente
et
on ignore qui l’on veut. On se fait très facilement sa vie et son mil
3
qui l’on veut. On se fait très facilement sa vie
et
son milieu parmi des gens qui écrivent ou qui lisent des livres, ou q
4
m’y installer avec ma femme, au mois de novembre,
et
j’y restai jusqu’à l’été. L’année suivante, ce fut le Midi : là encor
5
r de ma « qualité » d’intellectuel. Elle m’a posé
et
reposé chaque jour le problème des relations possibles entre l’écriva
6
problème des relations possibles entre l’écrivain
et
le peuple, et aussi le « problème des gens », c’est-à-dire des voisin
7
elations possibles entre l’écrivain et le peuple,
et
aussi le « problème des gens », c’est-à-dire des voisins, des autres,
8
i traité ces deux grandes questions de la culture
et
de la communauté dans un ouvrage théorique intitulé Penser avec les
9
de mon état. Je ne pensais pas en faire un livre.
Et
pourtant ce n’était pas du tout ce qu’on nomme un « journal intime ».
10
lais pas de mes sentiments, mais de mon entourage
et
des questions qu’il me posait. Je m’exerçais à cette discipline de la
11
graves. Il m’a paru aussi que les façons de vivre
et
de penser des hommes réels, peuplant la France réelle, étaient en som
12
que de tout près. Il est au cœur même de leur vie
et
ils l’ignorent le plus souvent. Quand on s’en aperçoit, on commence à
13
amour. On touche la vie, le grain de l’existence.
Et
c’est cela que je voudrais faire toucher. J’ai tenté d’échapper aux v
14
her. J’ai tenté d’échapper aux villes inhumaines.
Et
j’ai trouvé que la province ne vaut guère mieux, dans son état présen
15
le drame immense qu’elle trahit. Province morte,
et
villes mortelles ! C’est qu’on ne sait plus y trouver son prochain, m
16
me profonde. Mais il y a aussi la nature, l’océan
et
les landes désertes, et ces olivettes moirant les dernières pentes de
17
aussi la nature, l’océan et les landes désertes,
et
ces olivettes moirant les dernières pentes des Cévennes. Il y a aussi
18
é. Ce goût qu’elle donne à l’attente du lendemain
et
des signes providentiels. Et toutes les joies qui n’ont pas de nom et
19
attente du lendemain et des signes providentiels.
Et
toutes les joies qui n’ont pas de nom et dont personne ne songerait à
20
entiels. Et toutes les joies qui n’ont pas de nom
et
dont personne ne songerait à parler, contemplation de la terre, ou d’
21
, du temps qui a pris le rythme des vies simples.
Et
la nuit retrouvée, la vraie nuit noire et muette où rôdent les grande
22
imples. Et la nuit retrouvée, la vraie nuit noire
et
muette où rôdent les grandes menaces originelles ! On l’avait oubliée
23
mer singulier, c’est-à-dire supérieur à la masse.
Et
ce n’est pas encore franchement s’avouer que de se comparer aux seuls
24
rien en nous, que rien dans notre vie n’attendait
et
ne prévoyait. Ce n’est qu’au prix d’un désordre social — selon les pr
25
asser », c’est à la fois se reconnaître en vérité
et
rejoindre l’humanité. ⁂ Chômage. — On dit souvent qu’il faut à l’hom
26
e de volumes en l’espace de dix ans : Kierkegaard
et
Nietzsche. Le premier était riche et dépensait sans compter1. Le seco
27
Kierkegaard et Nietzsche. Le premier était riche
et
dépensait sans compter1. Le second était si pauvre, au moment où il é
28
rceaux du bras ayant servi à rapiécer les épaules
et
le plastron. Le peu d’argent de sa retraite de professeur servait à p
29
fesseur servait à payer ses logeuses successives,
et
des remèdes contre ses effroyables maux de tête. De plus, il était à
30
ête. De plus, il était à demi aveugle… ⁂ Confort
et
culture. — À ceux qui n’ont rien, il faut donner du confort, afin qu’
31
dont il faut redouter je ne sais quelle invisible
et
brusque vie tout près. Nuit des villes, rouge et circulante, pleine d
32
et brusque vie tout près. Nuit des villes, rouge
et
circulante, pleine de rumeurs, comparable à la fièvre. Plus lucide so
33
, tout repose complètement. Un silence implacable
et
mat enserre l’homme qui chemine sur la route incertaine, au milieu de
34
s. Par temps clair, les étoiles sont très grosses
et
molles au-dessus du jardin. Mais il arrive que le noir soit compact.
35
rues du village, illuminées comme un décor blanc
et
vert. Des chiens surgissent des coins d’ombre, aboient horriblement,
36
ournent autour de moi, me flairent avec angoisse,
et
fuient soudain en gémissant. J’ai des lettres à porter à l’autobus. I
37
l faut s’éloigner du village. De nouveau le noir,
et
l’écho de mes pas contre les murs des maisons mortes. Je me glisse da
38
Je me glisse dans le hangar de la grosse voiture
et
tâte ses flancs jusqu’à ce que je rencontre l’ouverture de la boîte a
39
bas, éclairent quelques façades blanches, carrés
et
rectangles détachés violemment au bas de l’énorme nuit. On ne voit qu
40
éométriques, dominées par le clocher à toit plat,
et
des fragments de silhouettes d’arbres devant les maisons. La rumeur d
41
ange écho des pas, si proche dans les rues vides,
et
ces mêmes chiens qui reviennent, et pas une âme. — « Vallée de l’ombr
42
s rues vides, et ces mêmes chiens qui reviennent,
et
pas une âme. — « Vallée de l’ombre de la mort… étranger et voyageur s
43
e âme. — « Vallée de l’ombre de la mort… étranger
et
voyageur sur la terre… » — Jamais plus que dans cette nuit. ⁂ Fin de
44
lace. Je garderai toutefois le plan d’aménagement
et
de décoration des trois chambres du premier étage, on ne sait jamais…
45
incer le sommier au tournant, entre la balustrade
et
les parois de la cage d’escalier — au surplus fortement rayées — nous
46
descendre mes caisses de livres à la gare, etc.,
et
le train part dans une heure. Quand la propriétaire reviendra pour l’
47
à ce sommier monumental dans sa pose scandaleuse,
et
ma réputation sera faite ! Fuyons, fuyons ! ⁂ (Été à Paris.) Impossi
48
du libre-échange humain. — Considération irritée
et
décevante des « gens » en général — quand je ne fais que les jauger d
49
l — quand je ne fais que les jauger d’un regard —
et
sympathie violente, « élan vers », dès que mon regard s’attache un pe
50
s’attache un peu longuement à un visage, au corps
et
aux vêtements, aux mains, à l’attitude distraite et vraie d’un être i
51
aux vêtements, aux mains, à l’attitude distraite
et
vraie d’un être isolé près de moi. Je prends le métro, malgré l’odeur
52
. Je prends le métro, malgré l’odeur de buanderie
et
ce relent de fauves de certains parfums de femmes, rien que pour rega
53
fums de femmes, rien que pour regarder des êtres,
et
vivre un moment auprès d’eux, le temps de trois stations, le temps d’
54
elles que j’en ai sans doute vécues, adolescent —
et
sûrement ce serait bien autre chose… La femme descend sans se retourn
55
autre chose, à quelque chose qui n’est pas d’ici.
Et
déjà je ne comprends plus pourquoi j’ai eu ce fort désir soudain, dan
56
ses raisons qui sont plus fortes que nous tous. —
Et
alors, dira-t-on : « Faire la révolution ! » — Ce substitut, ce renvo
57
tparnasse. — Stupidité triste, parfois insolente,
et
lourde, de cette population de mannequins vides et mal truqués. Figur
58
t lourde, de cette population de mannequins vides
et
mal truqués. Figures grises devant des mentes fausses. « Fric », « ba
59
e idée embrassée avec force au mépris de soi-même
et
de l’utilité. Car elle peut devenir le fait dominateur. En vérité, il
60
té, il n’y a pas de faits grands ou petits en soi
et
par comparaison. Il y a dans chaque vie d’homme à peu près digne de c
61
ne de ce nom un fait qui commande tous les autres
et
qui est la mesure de tout. Quand tu l’auras connu et accepté — tu es
62
qui est la mesure de tout. Quand tu l’auras connu
et
accepté — tu es le seul à le connaître — lève-toi et regarde les chos
63
accepté — tu es le seul à le connaître — lève-toi
et
regarde les choses, les gestes incongrus et mécaniques des autres ; é
64
e-toi et regarde les choses, les gestes incongrus
et
mécaniques des autres ; écoute bien ce qu’ils disent à travers les pa
65
ou quand ils rient : tu ne verras, tu n’entendras
et
tu ne comprendras jamais qu’un appel à devenir toi-même ce fait qui e
66
attend, attend de toute éternité pour aujourd’hui
et
de toi seul — et c’est ta foi. ⁂ Post-scriptum. — En même temps que
67
toute éternité pour aujourd’hui et de toi seul —
et
c’est ta foi. ⁂ Post-scriptum. — En même temps que les épreuves de m
68
teur de l’imprimerie. Je la recopie : « “Épicerie
et
spécialiste”2 — L’auteur paraît croire à un rapprochement absurde. Il
69
di, où un sentiment obscur de latinité a survécu.
Et
épices (d’où épicerie) et espèce (d’où spécialiste) sont le même mot.
70
de latinité a survécu. Et épices (d’où épicerie)
et
espèce (d’où spécialiste) sont le même mot. Tous deux remontent à spe
71
toires sur ma petite histoire ! Je vivais ignorée
et
sereine. C’est par la faute de mon auteur que j’ai paru dans toutes l
72
on auteur que j’ai paru dans toutes les feuilles,
et
je me vengerais bien si ce n’était de lui que dépend, après tout, mon
73
aru tout un article intitulé sur trois colonnes —
et
j’en sens ma crête en rougir — « La poule de M. de Rougemont ». Voici
74
i le début de ce libelle : Dans le livre si… si…
et
si… (je supprime des adjectifs élogieux, tout à fait déplacés à mon a
75
, il y a une poule. C’est une poule noire, triste
et
digne nous dit-on, dont nous faisons connaissance page 92. L’auteur h
76
mbre. Soudain, le 10 avril, elle se met à pondre,
et
avec tant d’ardeur que, dès le 16, elle a treize gros œufs, que sans
77
oulet… « C’est beau. C’est fascinant. C’est grave
et
mystérieux… » Cette poule qui met trente-huit jours à une tâche que s
78
n trois semaines est en effet assez mystérieuse…
Et
l’article se termine par une nouvelle impertinence à mon égard : le c
79
parce que les hommes en auront de plus naturelles
et
de plus droites ». Voyez-vous cela : « des mœurs bizarres » ! Quel to
80
ous cela : « des mœurs bizarres » ! Quel toupet !
Et
le plus révoltant de l’affaire, c’est que mon auteur a ri très fort d
81
’est que mon auteur a ri très fort de cet article
et
s’est lâchement refusé à prendre la défense de ma vertu et de mon hon
82
lâchement refusé à prendre la défense de ma vertu
et
de mon honneur vilipendés. Il s’en fiche, il s’amuse à mes dépens apr
83
’y reviendrai — ces intellectuels sont sans pitié
et
par surcroît ne sont pas bien malins ! Il était si facile de réplique
84
donc pas eu à fabriquer moi-même les treize œufs
et
que cette histoire honteuse et scandaleuse des prétendus trente-huit
85
me les treize œufs et que cette histoire honteuse
et
scandaleuse des prétendus trente-huit jours de couvée prouve simpleme
86
mon auteur, épars sur son bureau, sur son divan,
et
jusque sur le sol de la pièce où il travaille (toujours ce désordre !
87
me de Romorantin a pris en main ma cause méprisée
et
, s’adressant courageusement à mon auteur, elle l’apostrophe dans ces
88
s votre expérience. Témoin la fameuse poule noire
et
ses treize poussins. Certains en sourient, de votre poule noire ; moi
89
articulière. Voilà au moins un sujet substantiel,
et
qui a tenté de fort bons auteurs. Ce qu’on peut critiquer chez vous,
90
pas le sujet, c’est votre manière par trop naïve
et
enfantine de le traiter. Est-ce que, par hasard, il n’y aurait pas de
91
Par trop naïf », c’est le mot qu’il fallait dire.
Et
l’on reconnaît enfin que moi, poule noire, j’étais « un sujet substan
92
moi, poule noire, j’étais « un sujet substantiel,
et
qui a tenté de fort bons auteurs ». Mon malheur a voulu que j’aie ten
93
écuteur la haine farouche de tout ce qui est beau
et
noble. Le génie seul a les yeux si perçants, le génie seul pouvait dé
94
aurez pas, ces petits rentiers ! » clame-t-elle.
Et
pour le coup, je m’y reconnais : cette logique est celle de la race.
95
siècles de cartésianisme derrière ce cri sublime
et
désintéressé. Naturellement, mon auteur, une fois de plus, a cru devo
96
e son cœur, toutefois, il a dû se sentir atteint.
Et
comment ne pas admirer le courage de cette Française4 qui, du fond de
97
l’opinion — quitte à passer pour Dieu sait quoi —
et
rive son clou à l’insolent Helvète ! J’ai eu un autre vengeur en la p
98
e Journal « tout est faux-semblant, illusion… »
et
« demeure en dehors des conditions normales, composé, arrangé, factic
99
suivre. Ce serait donner dans les pires utopies.
Et
mon auteur lui-même n’a pas été si loin : il s’est contenté de se déb
100
s’est contenté de se débrouiller avec sa pauvreté
et
, loin de la croire sacrée, il a essayé d’en sortir. Je signale le cas
101
ctuel ne peut chômer totalement, puisqu’il pense,
et
donc travaille toujours. Mais c’était faire la part trop belle à mon
102
eures entières à nous regarder amoureusement, moi
et
mes poussins ? Je sais bien que je suis un « sujet substantiel », mai
103
é sa lettre comme celle d’une Française offensée,
et
moi je crois tout ce qui est imprimé. c. Rougemont Denis de, « Caqu
104
aginait, qu’on redoutait, qu’on croyait préparer,
et
qui nous trouvent sans peur et sans préparation dès l’instant qu’elle
105
croyait préparer, et qui nous trouvent sans peur
et
sans préparation dès l’instant qu’elles deviennent présentes, cessent
106
ses de l’Europe, les grandes lignes de la guerre,
et
çà et là, dans nos frontières, des secteurs minuscules, comme au hasa
107
l’Europe, les grandes lignes de la guerre, et çà
et
là, dans nos frontières, des secteurs minuscules, comme au hasard, qu
108
s, mais c’est très bien ainsi, Denis de Rougemont
et
le directeur de la Guilde « en campagne », car nous sommes n’importe
109
itaires. Deux ou trois chiffres pour les initiés,
et
cette mention si belle, quand on y pense, dans son élémentaire grande
110
x parois, des versets bibliques, lettres d’argent
et
myosotis, autour de la photo jaunie du Chœur mixte en 1913. Deux bons
111
perasses. Revanche sur des journées de discipline
et
de paquetages alignés au cordeau. Partirons-nous au milieu de la nuit
112
n. Les dames croient volontiers que c’est parades
et
bottes, fanfares, rythmes virils, flatteuses géométries garantissant
113
’armée c’est tout d’abord un cliquetis de casques
et
d’ustensiles grossiers ; des mouvements brusques en tout sens, tissan
114
re confusion qui se révèle ordonnée à l’heure H ;
et
beaucoup de choses très lourdes, bouclées et trimballées dans une hât
115
H ; et beaucoup de choses très lourdes, bouclées
et
trimballées dans une hâte hargneuse et fouaillée de jurons, précipita
116
, bouclées et trimballées dans une hâte hargneuse
et
fouaillée de jurons, précipitant des hommes mal réveillés vers des at
117
constater quoi que ce soit, hors l’envie de boire
et
de se coucher. Eh bien ! de tout cela se dégage un lyrisme. De cela p
118
taculaire, qui n’a pas sa photo dans les feuilles
et
qu’on peut seulement ressentir quand on a les pieds dans la boue, ver
119
e la poésie n’existe qu’héroïque ou sentimentale,
et
l’on ne sait plus la reconnaître au ras du sol, au niveau des choses
120
naître au ras du sol, au niveau des choses brutes
et
brutales. Pourtant, rien n’est plus poétique qu’un rassemblement dans
121
la nuit, grouillant de casques, de reflets sourds
et
de gamelles entrechoquées. Et, plus tard, au matin, quand l’attaque s
122
, de reflets sourds et de gamelles entrechoquées.
Et
, plus tard, au matin, quand l’attaque se prépare, un « à terre » prol
123
d’une profonde affinité entre la vie en uniforme
et
ce que l’on nomme par convention le mauvais temps. La pluie en ville
124
ar convention le mauvais temps. La pluie en ville
et
la pluie « en campagne » sont deux phénomènes bien distincts, aussi d
125
bien distincts, aussi distincts que la vie civile
et
la vie militaire en général. La pluie civile n’est guère qu’un embête
126
aire, comment dire, c’est quelque chose d’immense
et
de sérieux. On y pénètre de tout son corps, de tout son sentiment cha
127
mme tire la toile de tente qui couvre ses épaules
et
cherche à la caler sous son coude droit. Il sait que, d’une seconde à
128
Alors on vit à plein. On sent le goût des choses.
Et
l’on est prêt à tout abandonner au premier signe du destin, parce qu’
129
parce qu’on vient de remplir les limites du réel
et
d’accomplir un seul instant parfait. e. Rougemont Denis de, « Puis
130
Billet d’aller
et
retour (décembre 1939)f Je l’ai pourtant quittée, cette chambre pa
131
e paysanne, mais j’y suis pour peu que j’y pense,
et
c’est souvent. Faites le compte de vos heures et vous découvrirez que
132
et c’est souvent. Faites le compte de vos heures
et
vous découvrirez que tout homme rêve une bonne part de sa vie. Mais i
133
sa vie. Mais il arrive aussi que certains rêves,
et
certains cauchemars, soient vécus ; j’ai connu cela trois jours plus
134
t l’arrêt, à la recherche d’un buffet quelconque,
et
je n’avais trouvé qu’un abri souterrain au bout du quai. Pendant ce t
135
Dans la bleuâtre obscurité, nul écriteau lisible
et
nul visage reconnaissable. Une course haletante et bousculée dans le
136
t nul visage reconnaissable. Une course haletante
et
bousculée dans le dédale des passages sous voie encombrés de sacs de
137
roits couloirs où je coudoyais des soldats sourds
et
muets — tous les numéros arrachés — tandis que des sifflets annonçaie
138
être le mien, mais je l’avais quitté presque vide
et
il est plein de dormeurs débraillés, de musettes et de masques à gaz.
139
il est plein de dormeurs débraillés, de musettes
et
de masques à gaz. Déjà nous roulons lourdement. Le nom de cette gare
140
’ai rêvé. Mais au matin, oui, c’était bien Paris,
et
les sirènes d’une fin d’alerte. ⁂ Imaginez un Paris englouti dans l’é
141
es, mais une nuit sans clair de lune, sans arbres
et
sans abois lointains. On y rôde en frôlant les murs, heurtant des cor
142
t au bas, tout au fond de l’ombre, dans la pierre
et
dans les vestiges d’une civilisation qui déserte… Je me suis enfermé
143
serte… Je me suis enfermé dans ma chambre d’hôtel
et
j’ai écrit pendant deux jours ces conférences que j’allais faire, abs
144
par le suicide, la Hollande inondée, disait-on. ⁂
Et
voici sous la pluie et la brume, à l’horizon des marécages, une confu
145
ande inondée, disait-on. ⁂ Et voici sous la pluie
et
la brume, à l’horizon des marécages, une confusion de silhouettes gri
146
inées, au-dessus de faubourgs luisants de briques
et
de verreries. C’est Rotterdam. C’est le chaos d’une Renaissance améri
147
richesses de la terre. ⁂ Une connaissance intime
et
personnelle de ce que l’on appellera l’âme hollandaise, je doute qu’e
148
je sais de ce pays, après deux semaines de voyage
et
une centaine de conversations, je puis le lire et le relire dans l’ar
149
et une centaine de conversations, je puis le lire
et
le relire dans l’architecture d’Amsterdam, de Rotterdam, ou des petit
150
mande, un hôtel du xviiie siècle, un gratte-ciel
et
des entrepôts de marchandises venues des Indes. Cette même rue se pro
151
eu à peu dans la campagne, par des courbes douces
et
nettes. Nul disparate en tout cela : voilà le miracle hollandais. Je
152
hollandais. Je ne crois pas que la lumière fauve
et
le grenat des façades de briques renversées dans l’eau jaune des cana
153
rmonie solide, luxueusement nourrie de contrastes
et
de surprises. Le grand secret de ce pays, ce qu’il faut lire sur ces
154
u’il faut lire sur ces façades à la fois patinées
et
toujours neuves, c’est la continuité d’une tradition et d’une volonté
155
jours neuves, c’est la continuité d’une tradition
et
d’une volonté créatrice qui n’ont jamais perdu la mesure de l’humain.
156
nt de Révolution, point de scission de l’Histoire
et
de la nation en deux camps longuement irréductibles et appauvris chac
157
la nation en deux camps longuement irréductibles
et
appauvris chacun de tout ce que l’autre annexe. Ce mariage de l’ancie
158
out ce que l’autre annexe. Ce mariage de l’ancien
et
du moderne n’est pas seulement une réussite technique, une habileté d
159
des architectes. Il suppose une culture profonde
et
populaire, et plus encore, un arrière-plan spirituel, des assises rel
160
es. Il suppose une culture profonde et populaire,
et
plus encore, un arrière-plan spirituel, des assises religieuses fonda
161
opposition tragique dont cette guerre est sortie,
et
qui est celle des deux grandes conceptions de « l’ordre » qui se part
162
e : harmonie intérieure ou uniformité géométrique
et
militaire — fédéralisme ou totalitarisme. Je comprends et je vois le
163
aire — fédéralisme ou totalitarisme. Je comprends
et
je vois le secret de la paix : c’est une victoire de tous les jours,
164
e la paix : c’est une victoire de tous les jours,
et
de chacun, sur l’esprit de laisser-aller d’où naissent les réactions
165
tions désespérées, les mises au pas brutalisantes
et
le triomphe des caporaux autodidactes et simplificateurs. Les petits
166
lisantes et le triomphe des caporaux autodidactes
et
simplificateurs. Les petits peuples protestants de l’Europe ont réali
167
ont réalisé ce miracle de l’équilibre entre l’Un
et
le Divers. Ils ont la charge de créer les seules bases vivantes de la
168
ècle. Mais nous reparlerons de toutes ces choses.
Et
de la Suisse, telle qu’on la voit de loin, dans sa vérité séculaire.
169
t le contraire de ce qui fonde nos vraies valeurs
et
notre raison d’être ; c’est l’image même en pierre verdâtre, de ce qu
170
paix. f. Rougemont Denis de, « Billet d’aller
et
retour », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, décembre 1939, p.
171
anhattan — qui à la fois ne portent pas de numéro
et
ne coupent point les avenues à angle droit. Hors-série, modèle de gra
172
e de grand luxe, elle s’orne d’arbres, de silence
et
de grands portiers galonnés. Une buée bleue, pendant l’été, emplit ce
173
me étage, en enfilade, petite tranchée d’asphalte
et
de brique jaune et rose dans un chaos géométrique, c’est bien New Yor
174
de, petite tranchée d’asphalte et de brique jaune
et
rose dans un chaos géométrique, c’est bien New York… Si je me retourn
175
r jusqu’à Brooklyn. Un paysage immense de minéral
et
d’eau. La rivière, sillonnée de remorqueurs toussotants, luit d’un éc
176
Cheminées, mâts, clochers, usines plates, basses,
et
réclames lumineuses en plein jour. Le seul vestige de nature — car l’
177
s trois îlots de granit noir couverts de mouettes
et
signalés par deux petits phares dont clignotent irrégulièrement le fe
178
ement le feu vert — cinq secondes de révolution —
et
le feu rouge — six ou sept secondes. Tout ce qu’embrasse mon regard,
179
ttes. Qu’on ne me parle plus des lois économiques
et
de leurs fatales réalités : car ce sont les réalités d’un monde tout
180
mmes, avons bâti selon nos caprices, nos passions
et
nos raisons folles. Si nous changions un jour de goûts et d’ambition,
181
aisons folles. Si nous changions un jour de goûts
et
d’ambition, ce paysage se transformerait. Si je me tourne vers le nor
182
étage du River Club, où vivent les milliardaires
et
les acteurs. Et tout près, ces jardins suspendus où circulent de jeun
183
Club, où vivent les milliardaires et les acteurs.
Et
tout près, ces jardins suspendus où circulent de jeunes femmes en mai
184
ns un luxe américain d’ocres, de roses, d’argents
et
d’éclats d’or sur les fenêtres des usines. Des fumées traînent, les p
185
au travail paisible. D’heure en heure, je me lève
et
sors. Je me promène sur cette terrasse qui fait le tour de mes chambr
186
es chambres blanches, posées sur le onzième étage
et
festonnées de tuiles provençales. La brique est chaude encore sous me
187
t chaude encore sous mes pieds nus. À ma hauteur,
et
un peu plus bas, et puis beaucoup plus bas, dans les buildings voisin
188
mes pieds nus. À ma hauteur, et un peu plus bas,
et
puis beaucoup plus bas, dans les buildings voisins séparés de ma terr
189
gouffre profond mais étroit, je vois des couples
et
des solitaires éteindre et rallumer leurs lampes. Une blonde platinée
190
t, je vois des couples et des solitaires éteindre
et
rallumer leurs lampes. Une blonde platinée, en peignoir rose, ouvre s
191
s de tiges de verre dans les highballs. Je rentre
et
j’aligne mes mots. Petits matins déjà doux des terrasses, moments les
192
de la vie, au jour qui point, quand toutes choses
et
les souvenirs d’hier changent de poids et de millésime, quand les mou
193
choses et les souvenirs d’hier changent de poids
et
de millésime, quand les mouettes éclosent du rocher, quand les premie
194
’ouvre — l’aube est l’heure du pardon délivrant —
et
je me donne au jour américain ! Sur le grand fond sonore à bouche fer
195
oussaient leur solo de désastre, de faux désastre
et
d’appel commercial, dans le matin strident de l’East River. Un quadri
196
l’une phallique, l’autre en Moïse de Michel-Ange.
Et
sur une terrasse dormante, deux ou trois étages plus bas, quelqu’un s
197
es, à mi-hauteur, sur la rivière, une proue grise
et
ses canons glissait sans bruit, un énorme croiseur défilait, tout l’é
198
ork d’adieux, filant pavois au vent vers l’Europe
et
la guerre… g. Rougemont Denis de, « Beekman Place », Bulletin de l
199
inie (novembre 1946)i Grands plateaux onduleux
et
livrés aux chevaux, jusqu’à l’horizon bleu des Appalaches. Pendant qu
200
e allée qui monte entre des barrières blanches. «
Et
vous verrez ce qu’elle en a fait ! C’est sa manière de se venger de J
201
Trois grands longs chiens sortent, le museau bas,
et
l’un vient vomir à nos pieds des morceaux de cire mal mâchés. Une ser
202
ite, en contrebas, deux hommes en veste de chasse
et
deux jeunes femmes très blondes boivent des whiskies, sans se dérange
203
large galerie ouverte, encombrée de vieux meubles
et
de pièces de bois sculptées, stalles d’églises, aigles de lutrin. De
204
vert sombre enclos de murs. Du lierre partout. Çà
et
là, des statues de faunes et de chiens gisent le nez dans l’herbe, pr
205
u lierre partout. Çà et là, des statues de faunes
et
de chiens gisent le nez dans l’herbe, près d’un socle brisé. Le pré s
206
ns l’herbe, près d’un socle brisé. Le pré s’élève
et
s’ouvre sur la cour sablée des écuries. Celles-ci se déploient en dem
207
déploient en demi-cercle, ornées d’une colonnade
et
d’un clocheton de brique portant l’œil blanc d’un énorme cadran. Voic
208
. Du portique, entre les hautes colonnes blanches
et
ces ifs dramatiques, on domine un paysage de pluies lointaines et de
209
tiques, on domine un paysage de pluies lointaines
et
de prairies dorées. Soudain, un coup de vent violent a jeté contre la
210
, un coup de vent violent a jeté contre la façade
et
nos visages un tourbillon de feuilles et de grosses gouttes obliques.
211
a façade et nos visages un tourbillon de feuilles
et
de grosses gouttes obliques. Entrée de l’automne ! The Fall, la Chute
212
de ferme. C’est le chenil. Le parc s’arrête ici,
et
s’ouvrent les espaces de pâturages nus, en pente douce. Très loin, en
213
au galop. Ils disparaissent dans un vallonnement,
et
maintenant remontent vers nous sans ralentir. Une femme en jaune, sui
214
ochent, on voit qu’elle tient la bride d’une main
et
de l’autre porte à sa bouche une pomme qu’elle mord en galopant. Nouv
215
he de leur maîtresse ? Les cavaliers ralentissent
et
s’arrêtent devant la barre du portail. Elle pousse son cheval, le por
216
portail. Elle pousse son cheval, le portail cède
et
lui livre passage. C’est une grande femme bottée, sauvage et belle, q
217
e passage. C’est une grande femme bottée, sauvage
et
belle, qui mord une pomme, et son torse paraît nu dans un fin sweater
218
mme bottée, sauvage et belle, qui mord une pomme,
et
son torse paraît nu dans un fin sweater jaune. Elle rit, jette la pom
219
s un fin sweater jaune. Elle rit, jette la pomme,
et
nous salue de la main. Le jeune homme mince, immobile sur son cheval,
220
avec hostilité. Il a les yeux d’un bleu très pâle
et
dur. Il n’a pas salué. Son silence nous supprime. C’est sans doute le
221
« Je vous retrouve à la maison ! », crie-t-elle.
Et
, piquant son cheval, penchée sur l’encolure, elle disparaît dans le t
222
ses traces en aboyant. Au fond d’une pièce vaste
et
noire une petite lampe fait une flaque rose. « Je ne trouve pas les p
223
nfin s’allume par degrés. Elle court aux fenêtres
et
ferme avec fracas des volets intérieurs, en chêne clair, puis elle ti
224
Les orages me rendent folle, j’ai tellement peur,
et
vous ? Vous êtes muets ? Vous avez soif ? » Les coups de tonnerre se
225
» Les coups de tonnerre se succèdent sans répit,
et
parfois les lumières vacillent, baissent, remontent… Paraît dans la p
226
de whisky à la main. Deux femmes blondes entrent
et
vont s’asseoir un peu à l’écart de notre groupe. Un autre homme appor
227
rte un plateau. On le renvoie chercher des verres
et
des bouteilles. Qui sont ces gens ? Elle dit : « Je ne le sais pas pl
228
ls sont dans la maison depuis deux ou trois jours
et
se disent les amis de Jim. — Mais où est Jim ? — Je ne sais pas ? Il
229
Des chiens se glissent entre les meubles, humides
et
tremblants. « Mais je ne sais pas recevoir ! dit-elle moqueuse. Voule
230
le Yuletide, la saison de Noël. Nous sommes le 15
et
les rayons de jouets sont déjà presque vides à New York. Cet an de gr
231
éjà ? La guerre encore ? Interférences de disette
et
de luxe, d’appétits ranimés et d’amertumes durables. Et Noël va tombe
232
érences de disette et de luxe, d’appétits ranimés
et
d’amertumes durables. Et Noël va tomber au milieu de l’An Un d’une èr
233
luxe, d’appétits ranimés et d’amertumes durables.
Et
Noël va tomber au milieu de l’An Un d’une ère de paix profonde sur la
234
es voir. Curieux trio : un loup déguisé en mouton
et
deux moutons vêtus de leur vraie peau. Mais rien n’empêche le Waldorf
235
t d’apparaître une jeune femme au visage anguleux
et
couvert de taches de rousseur, la tête serrée dans un foulard de soie
236
« C’est moi ! », dit-elle en lui pinçant la joue,
et
la vendeuse nous planta là. Il neigeait sur la Cinquième Avenue, sur
237
arleurs répandaient sans relâche l’Adeste Fideles
et
des carols transformés en jazz hot par les klaxons d’interminables em
238
e rêve américain, le clinquant, l’irréel, le rose
et
le doré. Rêve d’enfance et d’innocence universelle, bercé de musiques
239
ant, l’irréel, le rose et le doré. Rêve d’enfance
et
d’innocence universelle, bercé de musiques nostalgiques. Noël, ici, d
240
, ici, devient la fête du Bébé Cadum des réclames
et
non plus de cet Enfant vrai qui naquit tant bien que mal dans la pail
241
oppés de papiers brillants, verts, rouges, argent
et
mordorés. Pourquoi ces échanges éperdus ? Est-ce en souvenir du seul
242
hez les primitifs une manière de conjurer le sort
et
de se rendre l’an nouveau propice ? Plus que dix jours pour s’assurer
243
des familles, un droit à la chaleur des groupes.
Et
ceux qui seront laissés dehors, ceux qui n’appartiennent pas à une ce
244
hanteront des carols avant la procession du chœur
et
du clergé, précédée de porteurs de torches à la Burne Jones. Et, comm
245
précédée de porteurs de torches à la Burne Jones.
Et
, comme chaque année, j’entendrai le Credo de Gretchaninov et le motet
246
haque année, j’entendrai le Credo de Gretchaninov
et
le motet de Prætorius, Une rose est née… Et je me dirai que l’Amériqu
247
ninov et le motet de Prætorius, Une rose est née…
Et
je me dirai que l’Amérique n’a pas encore très bien compris les tradi
248
maire de New York. Tammany reviendra au pouvoir.
Et
Roosevelt n’est pas remplacé… Et toutes les utopies prévues par l’ava
249
ndra au pouvoir. Et Roosevelt n’est pas remplacé…
Et
toutes les utopies prévues par l’avant-guerre entreront dans la voie
250
ent sans descendre de sa voiture. Déjà les biches
et
les daims sont amenés dans les forêts de chasse au moyen de taxis aér
251
cède en rien à la photographie pour « le brillant
et
la précision du détail », qualités préférées de l’Américain. Déjà l’o
252
ron, contre les grèves irrégulières. Car la force
et
l’initiative ont changé de camp, et les vainqueurs se montrent génére
253
Car la force et l’initiative ont changé de camp,
et
les vainqueurs se montrent généreux. Et déjà les pasteurs et les prêt
254
de camp, et les vainqueurs se montrent généreux.
Et
déjà les pasteurs et les prêtres se préparent à parler du message de
255
queurs se montrent généreux. Et déjà les pasteurs
et
les prêtres se préparent à parler du message de Noël aux « hommes de
256
) envers les hommes ». Est-il besoin de la bombe,
et
des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre endémique dan
257
mmes ». Est-il besoin de la bombe, et des grèves,
et
de la famine européenne, et de la guerre endémique dans tout l’Orient
258
bombe, et des grèves, et de la famine européenne,
et
de la guerre endémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la
259
ne, et de la guerre endémique dans tout l’Orient,
et
de la méfiance et de la peur réciproques qui président aux rapports d
260
e endémique dans tout l’Orient, et de la méfiance
et
de la peur réciproques qui président aux rapports des nations, et de
261
ciproques qui président aux rapports des nations,
et
de l’antisémitisme, et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme
262
aux rapports des nations, et de l’antisémitisme,
et
de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l’Europe, pour que n
263
s, et de l’antisémitisme, et de l’antisoviétisme,
et
de l’antiaméricanisme de l’Europe, pour que nous comprenions que les
264
condition. À Times Square, dans la foule compacte
et
lente, dans la rumeur assourdissante des petites trompettes de foire
265
ur assourdissante des petites trompettes de foire
et
des crécelles, GI Joe, le combattant moyen, se dira : « Well, c’était
266
er. Elle part luxueusement de la Cinquième Avenue
et
de Central Park, traverse en direction de l’est de beaux quartiers gr
267
de beaux quartiers gris clair d’un gothique sobre
et
astiqué, change subitement d’aspect et tourne au populaire un demi-bl
268
ique sobre et astiqué, change subitement d’aspect
et
tourne au populaire un demi-block après Lexington Avenue, perd toute
269
-ball parmi des seaux d’ordures plus hauts qu’eux
et
des tourbillons fous de papiers sales, pour s’ouvrir enfin toute béan
270
au terme d’un parcours rectiligne d’un kilomètre
et
demi, sans changer de largeur. (Seuls les trottoirs se rétrécissent.)
271
e, parsemée de vieilles lettres, de bouts de bois
et
d’éclats de verre. Des tas de neige noircissent au rebord des trottoi
272
es goudronnés. Flammes gaies sur le couchant rose
et
fuligineux, en rectangle au bout de la rue, légèrement mordue par la
273
. Portes étroites, ouvrant sur des couloirs hauts
et
profonds où deux personnes peuvent à peine se croiser. L’angoisse me
274
r l’appartement, une espèce de baignoire couverte
et
fort étroite se dresse sur quatre pieds de fonte : il faudrait monter
275
nce dans les journaux : « cinq pièces, eau chaude
et
bains ». Il existe dans Manhattan des centaines de milliers de logis
276
s sur ce même type : deux pièces claires sur cour
et
sur rue, reliées par deux ou trois alvéoles aveugles. Tout l’East Sid
277
ordes tendues sur l’abîme supportent des lessives
et
de grands draps claquants. Du haut en bas des façades de brique zigza
278
les radios nostalgiques, des fenêtres s’allument
et
s’éteignent. On peut vivre ici comme ailleurs, mais dans un cadre str
279
’on voit sont des rectangles, à part les chiffons
et
les chats. Les façades, hauts rectangles troués de lumières et de scè
280
Les façades, hauts rectangles troués de lumières
et
de scènes du soir, s’étagent en silhouettes sur le ciel rouge. Une ra
281
de aussi deux-cents gratte-ciel pour les bureaux,
et
quelques belles avenues de résidences pour les directeurs de bureaux.
282
Ta douleur, du Périer, sera donc éternelle ?
Et
les tristes discours… … Est-ce quelque dédale où ta raison perdue Ne
283
s ? Malherbe Différence entre les Accusations
et
les Calomnies. On ne peut donner aux gardiens de la liberté d’un État
284
diens de la liberté d’un État un droit plus utile
et
plus nécessaire que celui de pouvoir accuser, soit devant le peuple,
285
république, autant les calomnies sont dangereuses
et
sans but… On accuse les citoyens devant les magistrats, on les calomn
286
ougemont a dédié à Paris envahi par les Allemands
et
qui, paru dans la Gazette en juin 1940, lui valut une sanction de la
287
faire ici le dénonciateur de Denis de Rougemont.
et
dans la Feuille d’Avis de Neuchâtel : Les plaidoiries au procès Oltr
288
suite un parallèle entre l’attitude de son client
et
celle de l’écrivain Denis de Rougemont qui, constate le défenseur d’O
289
essé au temps de Vichy d’être publié en France »,
et
il insinue que si j’attaque aujourd’hui le nationalisme, c’est pour m
290
e à « mettre en danger la sécurité de mon pays »,
et
cela par mon activité antinazie, tandis que, d’après Aragon, j’aurais
291
e même temps à « passer sous silence » le nazisme
et
l’antisémitisme, et cela pour publier mes livres sous Vichy, c’est-à-
292
ser sous silence » le nazisme et l’antisémitisme,
et
cela pour publier mes livres sous Vichy, c’est-à-dire du côté d’Oltra
293
lière », n’a rien brandi du tout, ni rien prouvé,
et
il en eût été bien empêché, car si quelqu’un n’a pas cessé d’être pub
294
n’a pas cessé d’être publié sous Vichy, c’est lui
et
non pas moi ; et si quelqu’un a vu ses livres censurés en Suisse, c’e
295
tre publié sous Vichy, c’est lui et non pas moi ;
et
si quelqu’un a vu ses livres censurés en Suisse, c’est moi et non pas
296
’un a vu ses livres censurés en Suisse, c’est moi
et
non pas lui. Avec Tite-Live et son commentateur, je suis pour les acc
297
Suisse, c’est moi et non pas lui. Avec Tite-Live
et
son commentateur, je suis pour les accusations mais contre les calomn
298
tion pendant la guerre : « Quel curieux parallèle
et
quel joli contraste ! Se trouvera-t-il quelqu’un pour les relever ? »
299
! Se trouvera-t-il quelqu’un pour les relever ? »
Et
puis les circonstances de ma vie ne m’ont plus laissé le loisir d’y p
300
s journalistes, dit-il, m’accablent de téléphones
et
dérangent mon travail pour me demander mon opinion sur cette affaire…
301
int l’extrait de la Gazette qu’on vient de lire
et
m’enjoint de « saisir l’occasion d’un papier ». Si je comprends bien,
302
papier ». Si je comprends bien, il veut sa paix,
et
me laisse le soin de répondre aux téléphones. OK ! disent les América
303
ramare ; il a parlé à la radio, comme Oltramare ;
et
hors de Suisse, comme Oltramare encore. Les deux cas étant identiques
304
est aussi, la plaidoirie devient un réquisitoire,
et
l’avocat fait une drôle de figure. Ou bien il faut acquitter Oltramar
305
de me dénoncer, tout ce discours retombe à plat,
et
notre avocat perd la face. 2. Mais où est l’homme sain d’esprit qui
306
ique. Car il est vrai que les deux cas s’énoncent
et
se prononcent de même, mais par ce procédé l’on pourrait accuser la v
307
la ville de Lyon des méfaits d’un lion du désert,
et
Malherbe d’avoir consolé Duperrier — celui qui a perdu son procès. La
308
e l’éclairer par une fable. Fable J’ai tant
et
si bien parlé à la radio américaine, qu’à la fin les nazis ont occupé
309
re, me fait emprisonner, puis juger sommairement,
et
Me Duperrier se voit chargé d’office de ma défense. Que va-t-il dire
310
j’ai fait exactement le contraire. On me fusille
et
on le pend d’office. Fin de la douleur de Duperrier. Mais voilà…
311
ont gagné la guerre. La Suisse subsiste, intacte
et
libre. On n’a pas fusillé Oltramare, on s’est borné à le punir un peu
312
de me dénoncer pour avoir combattu l’hitlérisme,
et
Aragon le droit de me calomnier sous un prétexte exactement inverse.
313
xactement inverse. Je garde le droit de répondre,
et
même de rire. Et vous, lecteurs, vous gardez le droit de juger toute
314
. Je garde le droit de répondre, et même de rire.
Et
vous, lecteurs, vous gardez le droit de juger toute cette affaire, mo
315
la plus vieille démocratie du monde. Jugez donc !
et
dites avec moi que nous l’avons échappé belle ! Et que le désordre to
316
t dites avec moi que nous l’avons échappé belle !
Et
que le désordre tolérable et tolérant où nous voici tout de même enco
317
vons échappé belle ! Et que le désordre tolérable
et
tolérant où nous voici tout de même encore vivants et libres, vaut mi
318
olérant où nous voici tout de même encore vivants
et
libres, vaut mieux que leur « ordre » où nous serions des morts, ou j
319
ce lac aux rives glauques ! sans rien d’alpestre,
et
dont les eaux, comme celles d’un marécage, longtemps se mêlent à la t
320
es d’un marécage, longtemps se mêlent à la terre,
et
filtrent entre les roseaux. L’Immoraliste. Près de ces eaux, ma vie
321
. Près de ces eaux, ma vie sentimentale est née.
Et
depuis lors elle est restée lacustre. « Odeur de l’eau pour toute la
322
r toute la vie », écrivait un Paysan du Danube ,
et
vingt ans ne l’ont pas démenti. Je dénombre mes lacs et ne puis retro
323
gt ans ne l’ont pas démenti. Je dénombre mes lacs
et
ne puis retrouver que du bonheur à ces souvenirs. Non qu’ils me parle
324
lque douceur ? Cherchant d’où vient cet agrément,
et
pourquoi dans le monde lacustre on ressent la vie mieux qu’ailleurs,
325
ressent la vie mieux qu’ailleurs, plus savoureuse
et
plus présente, je me dis : c’est qu’un vrai lac est un univers clos,
326
ent les miroirs qu’il offre aux ciels changeants,
et
si profonds ses lointains de lumière. La pente derrière moi, l’horizo
327
tableau sa signification privilégiée. Ici le cœur
et
l’âme ont leur théâtre pur, où tout est sens, écho, dialogue à l’infi
328
on des ciels bas, la passion des orages complets,
et
la peine une baie secrète, où les cris des oiseaux dans la brume s’oc
329
iété des objets, des lumières, des premiers plans
et
des éloignements qu’un peu de vent déplace, illumine ou éteint, voilà
330
s’y retrouver. Je nage à Baveno dans l’eau tiède
et
dorée, c’est la fin de l’après-midi, devant la proue de l’Isola Bella
331
violoneux du village viennent donner la sérénade.
Et
nous montons à ce balcon sur l’eau, accroché aux très hautes muraille
332
Cyprès au pied des Alpes, tendresse des collines
et
brusque sauvagerie des hautes pentes, échevelées de châtaigniers. Con
333
ur l’autre rive, un orage s’illumine par moments,
et
dans l’échappée vers la plaine, où l’eau rejoint presque le ciel, le
334
nfin se meurt dans l’aube, à l’horizon des landes
et
de la mer… Tyrol, et ce lac sombre au fond de la vallée, où tournoyai
335
aube, à l’horizon des landes et de la mer… Tyrol,
et
ce lac sombre au fond de la vallée, où tournoyaient des voiles inclin
336
ne aux eaux fades, environné de collines pointues
et
de valses aux jardins publics — là j’étais seul… Rade de Genève par u
337
ôtel à Vevey, à Montreux, patries du roman russe.
Et
le bleu de l’air matinal, l’argent transparent des montagnes, le scin
338
des eaux sous la brume légère, tout était si pur
et
si frais qu’il semblait que le monde venait de s’éveiller, luisant et
339
mblait que le monde venait de s’éveiller, luisant
et
neuf, de la première nuit… Et ces deux grands étés américains, dans l
340
s’éveiller, luisant et neuf, de la première nuit…
Et
ces deux grands étés américains, dans les demeures trop vastes du Lak
341
lacs, mais il était surtout celui d’Œil de faucon
et
du dernier des Mohicans de mon enfance. Je le trouvais bien beau. Pou
342
e trouvais bien beau. Pourquoi l’ai-je quitté ? …
Et
nous n’irons jamais au lac d’Amatitlan, au pied du fabuleux volcan de
343
est vrai que d’aucuns je n’ai su tant d’histoires
et
qu’il détient certains de mes secrets. Je dénombre mes lacs, et la mé
344
nt certains de mes secrets. Je dénombre mes lacs,
et
la mémoire encore investit du charme des eaux l’adolescence même, aux
345
. Je suis sur la jetée, près du hangar des trams,
et
l’eau n’est pas plus noire que mon cœur humilié. Dans ce « local » em
346
lié. Dans ce « local » empuanti de tabac de pipes
et
de bière renversée, je viens de subir l’épreuve d’initiation d’une so
347
. Si je rencontrais ses yeux, que deviendrais-je,
et
si elle devinait mon sentiment ? Pourtant la semaine prochaine, l’épr
348
u qui dort, pénétrante, amicale. Un poisson saute
et
ride un moment le miroir… Non, je ne vais pas me suicider. Je mentira
349
ur un banc près du port, la promenade est déserte
et
mon cœur assoiffé. Personne ne passe jamais, voilà la vie ! Mais si c
350
ame… J’ai 19 ans. Je n’aime encore que la nature,
et
ma solitude avec elle. Et vraiment, à cet âge, elle me l’a bien rendu
351
e encore que la nature, et ma solitude avec elle.
Et
vraiment, à cet âge, elle me l’a bien rendu. (Quand on revient la voi
352
au fond du ciel. Sommets d’où l’on voit l’Italie…
Et
le rêve s’éteint, guirlande morte, un peu de temps diaphane à l’horiz
353
de temps diaphane à l’horizon. Paysage emphatique
et
sombre, tout cerné de prodiges sévères, et l’œil ne s’en évade au bas
354
atique et sombre, tout cerné de prodiges sévères,
et
l’œil ne s’en évade au bas du ciel — vers l’ouest — que par cet or lo
355
, simplement vêtu d’un pantalon de flanelle grise
et
d’un chandail au col roulé, pédale à longues pesées sur le chemin de
356
e vers le lac qu’on aperçoit entre les peupliers,
et
dont les longues vagues limoneuses accablent sans relâche les roseaux
357
tes courent très bas, tirant des pluies au large,
et
le cœur du jeune homme bondit dans sa poitrine, exalté par l’effort e
358
omme bondit dans sa poitrine, exalté par l’effort
et
la vitesse. Mais soudain la tempête a fait silence autour de lui, et
359
soudain la tempête a fait silence autour de lui,
et
seul reste distinct le bruit profond des vagues. Il roule maintenant
360
es vagues. Il roule maintenant dans l’ombre tiède
et
abritée d’un bois de pins. Que vient-il donc chercher sur ces rivages
361
puritain.) Il ralentit, pose un pied sur le sol,
et
s’appuie de la main au tronc d’un pin. Ce qui lui arrive est solennel
362
les grands mots impossibles, dans un fol abandon,
et
ce sera vrai. Comme tout est facile et violent quand les portes du cœ
363
l abandon, et ce sera vrai. Comme tout est facile
et
violent quand les portes du cœur ont cédé ! Le lac était d’un bleu tr
364
, des éclairs de chaleur palpitaient dans la nue,
et
le jeune homme savait en repartant sur le sentier obscur, vers les ro
365
qui l’avait rejoint, c’était cette chose absurde
et
magnifique, entre haut mal et bien suprême, qu’on nomme si légèrement
366
cette chose absurde et magnifique, entre haut mal
et
bien suprême, qu’on nomme si légèrement l’amour. n. Rougemont Deni
367
uite neuchâteloise , admirablement édité par Ides
et
Calendes. »