1 1937, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Introduction au Journal d’un intellectuel en chômage (août 1937)
1 l en chômage (août 1937)a Tolstoï disait, vers la fin du siècle dernier : « L’artiste de l’avenir vivra la vie ordinair
2 Tolstoï disait, vers la fin du siècle dernier : «  L’ artiste de l’avenir vivra la vie ordinaire des hommes, gagnant son pai
3 t, vers la fin du siècle dernier : « L’artiste de l’ avenir vivra la vie ordinaire des hommes, gagnant son pain par un méti
4 du siècle dernier : « L’artiste de l’avenir vivra la vie ordinaire des hommes, gagnant son pain par un métier quelconque. 
5 agnant son pain par un métier quelconque. » C’est le contraire qui m’est arrivé : j’ai perdu mon « métier quelconque », et
6 t qui m’a permis de partager, pendant deux ans, «  la vie ordinaire des hommes ». Cas plus rare qu’on ne le pense pour un i
7 ie ordinaire des hommes ». Cas plus rare qu’on ne le pense pour un intellectuel. À Paris, on fréquente et on ignore qui l’
8 ellectuel. À Paris, on fréquente et on ignore qui l’ on veut. On se fait très facilement sa vie et son milieu parmi des gen
9 imple fait suffit à distinguer un tel milieu de «  la vie ordinaire » — la vie de la grande majorité des hommes. Or, en mêm
10 istinguer un tel milieu de « la vie ordinaire » — la vie de la grande majorité des hommes. Or, en même temps que mon gagne
11 un tel milieu de « la vie ordinaire » — la vie de la grande majorité des hommes. Or, en même temps que mon gagne-pain, j’a
12 , en même temps que mon gagne-pain, j’avais perdu la possibilité de vivre à Paris. J’eus l’idée de demander autour de moi
13 vais perdu la possibilité de vivre à Paris. J’eus l’ idée de demander autour de moi si l’on ne connaissait pas une maison v
14 Paris. J’eus l’idée de demander autour de moi si l’ on ne connaissait pas une maison vide quelque part… On me la trouva bi
15 nnaissait pas une maison vide quelque part… On me la trouva bien vite : au bout du monde, dans une île de la côte Atlantiq
16 uva bien vite : au bout du monde, dans une île de la côte Atlantique. J’allai m’y installer avec ma femme, au mois de nove
17 femme, au mois de novembre, et j’y restai jusqu’à l’ été. L’année suivante, ce fut le Midi : là encore une maison abandonné
18 au mois de novembre, et j’y restai jusqu’à l’été. L’ année suivante, ce fut le Midi : là encore une maison abandonnée qu’on
19 ’y restai jusqu’à l’été. L’année suivante, ce fut le Midi : là encore une maison abandonnée qu’on nous prêtait. Il y en a
20 mme cela des centaines, des milliers, dans toutes les provinces de la France. (Tandis que dans les villes, les jeunes ménag
21 aines, des milliers, dans toutes les provinces de la France. (Tandis que dans les villes, les jeunes ménages se ruinent à
22 utes les provinces de la France. (Tandis que dans les villes, les jeunes ménages se ruinent à payer leurs « petits deux-piè
23 vinces de la France. (Tandis que dans les villes, les jeunes ménages se ruinent à payer leurs « petits deux-pièces », agrém
24 payer leurs « petits deux-pièces », agrémentés de la TSF des voisins.) Chômeur, je me trouvais cependant rendu à mon trava
25 eur, je me trouvais cependant rendu à mon travail le plus réel, qui est d’écrire. Cette situation paradoxale m’a fait déco
26 vrir tout un monde. Elle m’a confronté au réel, à la vie quotidienne d’un peuple qui se trouvait tout ignorer de ma « qual
27 intellectuel. Elle m’a posé et reposé chaque jour le problème des relations possibles entre l’écrivain et le peuple, et au
28 ue jour le problème des relations possibles entre l’ écrivain et le peuple, et aussi le « problème des gens », c’est-à-dire
29 blème des relations possibles entre l’écrivain et le peuple, et aussi le « problème des gens », c’est-à-dire des voisins,
30 possibles entre l’écrivain et le peuple, et aussi le « problème des gens », c’est-à-dire des voisins, des autres, avec les
31 quels on se voit contraint de vivre sans avoir pu les choisir à son goût. J’ai traité ces deux grandes questions de la cult
32 n goût. J’ai traité ces deux grandes questions de la culture et de la communauté dans un ouvrage théorique intitulé Pense
33 té ces deux grandes questions de la culture et de la communauté dans un ouvrage théorique intitulé Penser avec les mains
34 ue j’y travaillais, je m’amusais à noter, au jour le jour, des anecdotes, des observations, des réflexions, déduites du dé
35 déduites du détail quotidien de mes contacts avec les gens, ou des soucis de mon état. Je ne pensais pas en faire un livre.
36 il me posait. Je m’exerçais à cette discipline de la description objective, qui est devenue tellement étrangère aux romant
37  » que nous sommes tous plus ou moins. Peu à peu, les feuillets s’entassaient… Si j’en publie une partie aujourd’hui, ce n’
38 ans quelques intentions précises. D’abord montrer l’ origine concrète des idées que j’exposais ailleurs sous une forme plus
39 une forme plus générale. Il ne s’agit ici que de la vie « commune », au double sens de ce mot ; il s’agit du réel que tou
40 le monde vit. Je crois que c’est là seulement que les idées deviennent graves. Il m’a paru aussi que les façons de vivre et
41 es idées deviennent graves. Il m’a paru aussi que les façons de vivre et de penser des hommes réels, peuplant la France rée
42 de vivre et de penser des hommes réels, peuplant la France réelle, étaient en somme peu connues : ni les romans, ni les j
43 France réelle, étaient en somme peu connues : ni les romans, ni les journaux, ni les théories politiques ne m’en avaient d
44 étaient en somme peu connues : ni les romans, ni les journaux, ni les théories politiques ne m’en avaient donné la moindre
45 peu connues : ni les romans, ni les journaux, ni les théories politiques ne m’en avaient donné la moindre idée exacte. J’a
46 ni les théories politiques ne m’en avaient donné la moindre idée exacte. J’ai décrit les paysans parmi lesquels je vivais
47 avaient donné la moindre idée exacte. J’ai décrit les paysans parmi lesquels je vivais, quelques instituteurs, des chauffeu
48 tout près. Il est au cœur même de leur vie et ils l’ ignorent le plus souvent. Quand on s’en aperçoit, on commence à compre
49 Il est au cœur même de leur vie et ils l’ignorent le plus souvent. Quand on s’en aperçoit, on commence à comprendre la por
50 Quand on s’en aperçoit, on commence à comprendre la portée infinie de cette parole si simple : « Ne jugez pas. » On est d
51 mple : « Ne jugez pas. » On est déjà tout près de l’ amour. On touche la vie, le grain de l’existence. Et c’est cela que je
52 as. » On est déjà tout près de l’amour. On touche la vie, le grain de l’existence. Et c’est cela que je voudrais faire tou
53 est déjà tout près de l’amour. On touche la vie, le grain de l’existence. Et c’est cela que je voudrais faire toucher. J’
54 ut près de l’amour. On touche la vie, le grain de l’ existence. Et c’est cela que je voudrais faire toucher. J’ai tenté d’é
55 chapper aux villes inhumaines. Et j’ai trouvé que la province ne vaut guère mieux, dans son état présent. Partout les jeun
56 vaut guère mieux, dans son état présent. Partout les jeunes vous disent : « C’est mort ici ! » Phrase si courante qu’on a
57 ci ! » Phrase si courante qu’on a cessé de sentir le drame immense qu’elle trahit. Province morte, et villes mortelles ! C
58 mais seulement des « voisins inévitables » (comme l’ a si bien dit Keyserling). En relisant mes notes, je m’aperçois que c’
59 ). En relisant mes notes, je m’aperçois que c’est la nostalgie d’une vraie communauté qui constitue leur trame profonde. M
60 constitue leur trame profonde. Mais il y a aussi la nature, l’océan et les landes désertes, et ces olivettes moirant les
61 leur trame profonde. Mais il y a aussi la nature, l’ océan et les landes désertes, et ces olivettes moirant les dernières p
62 profonde. Mais il y a aussi la nature, l’océan et les landes désertes, et ces olivettes moirant les dernières pentes des Cé
63 et les landes désertes, et ces olivettes moirant les dernières pentes des Cévennes. Il y a aussi de ces rencontres qui sou
64 — est-ce trop dire ? — une sorte de confiance en l’ homme. Il y a la liberté qu’assure la pauvreté. Ce goût qu’elle donne
65 ire ? — une sorte de confiance en l’homme. Il y a la liberté qu’assure la pauvreté. Ce goût qu’elle donne à l’attente du l
66 confiance en l’homme. Il y a la liberté qu’assure la pauvreté. Ce goût qu’elle donne à l’attente du lendemain et des signe
67 té qu’assure la pauvreté. Ce goût qu’elle donne à l’ attente du lendemain et des signes providentiels. Et toutes les joies
68 lendemain et des signes providentiels. Et toutes les joies qui n’ont pas de nom et dont personne ne songerait à parler, co
69 personne ne songerait à parler, contemplation de la terre, ou d’une bestiole à son travail, sentiment de la journée vide,
70 re, ou d’une bestiole à son travail, sentiment de la journée vide, du temps qui a pris le rythme des vies simples. Et la n
71 sentiment de la journée vide, du temps qui a pris le rythme des vies simples. Et la nuit retrouvée, la vraie nuit noire et
72 u temps qui a pris le rythme des vies simples. Et la nuit retrouvée, la vraie nuit noire et muette où rôdent les grandes m
73 le rythme des vies simples. Et la nuit retrouvée, la vraie nuit noire et muette où rôdent les grandes menaces originelles 
74 etrouvée, la vraie nuit noire et muette où rôdent les grandes menaces originelles ! On l’avait oubliée dans les villes. ⁂ L
75 te où rôdent les grandes menaces originelles ! On l’ avait oubliée dans les villes. ⁂ Là où l’on a coutume de placer dans u
76 des menaces originelles ! On l’avait oubliée dans les villes. ⁂ Là où l’on a coutume de placer dans un « journal » des effu
77 les ! On l’avait oubliée dans les villes. ⁂ Là où l’ on a coutume de placer dans un « journal » des effusions lyriques, des
78 idique. Je ne serais donc pas fâché qu’au lieu de le juger bien ou mal, on le considère tout simplement comme une « recett
79 pas fâché qu’au lieu de le juger bien ou mal, on le considère tout simplement comme une « recette pour vivre de peu ».
80 rnal d’un intellectuel en chômage  », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, août 1937, p. 126-128.
2 1937, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Pages inédites du Journal d’un intellectuel en chômage (octobre 1937)
81 sont peu de chose », s’écrie Bossuet (Sermon sur la mort, 22 mars 1662). Que dirions-nous alors du sort fait à celui qui
82 er aux hommes tel qu’il est ? S’entendre dire que l’ homme en général est peu de chose n’est pas trop humiliant pour qui se
83 ur qui se flatte d’une image de soi composée dans la solitude : tant qu’on ne s’est pas avoué devant les autres, on peut t
84 a solitude : tant qu’on ne s’est pas avoué devant les autres, on peut toujours s’estimer singulier, c’est-à-dire supérieur
85 urs s’estimer singulier, c’est-à-dire supérieur à la masse. Et ce n’est pas encore franchement s’avouer que de se comparer
86 s’avouer que de se comparer aux seuls humains que le métier ou notre rang social nous met en mesure d’approcher. L’épreuve
87 notre rang social nous met en mesure d’approcher. L’ épreuve décisive est celle que l’on subit au contact de voisins que ri
88 ure d’approcher. L’épreuve décisive est celle que l’ on subit au contact de voisins que rien en nous, que rien dans notre v
89 Ce n’est qu’au prix d’un désordre social — selon les préjugés du régime établi — que ces rencontres deviennent possibles,
90 t à la fois se reconnaître en vérité et rejoindre l’ humanité. ⁂ Chômage. — On dit souvent qu’il faut à l’homme un minimum
91 manité. ⁂ Chômage. — On dit souvent qu’il faut à l’ homme un minimum de confort ou d’aisance matérielle pour pouvoir réflé
92  intellectuel » au chômage absolu, c’est-à-dire à l’ arrêt de la pensée, tout au moins de la pensée créatrice. Mais quel es
93 el » au chômage absolu, c’est-à-dire à l’arrêt de la pensée, tout au moins de la pensée créatrice. Mais quel est ce certai
94 t-à-dire à l’arrêt de la pensée, tout au moins de la pensée créatrice. Mais quel est ce certain degré ? À quel niveau plac
95  ? À quel niveau placer cette limite inférieure ? La question paraît insoluble dès qu’on la pose dans le concret d’une vie
96 férieure ? La question paraît insoluble dès qu’on la pose dans le concret d’une vie connue. Prenons deux hommes qui furent
97 question paraît insoluble dès qu’on la pose dans le concret d’une vie connue. Prenons deux hommes qui furent tous deux de
98 qui ont écrit chacun une vingtaine de volumes en l’ espace de dix ans : Kierkegaard et Nietzsche. Le premier était riche e
99 il ne lui restait plus même une chemise entière : les morceaux du bras ayant servi à rapiécer les épaules et le plastron. L
100 ère : les morceaux du bras ayant servi à rapiécer les épaules et le plastron. Le peu d’argent de sa retraite de professeur
101 aux du bras ayant servi à rapiécer les épaules et le plastron. Le peu d’argent de sa retraite de professeur servait à paye
102 yant servi à rapiécer les épaules et le plastron. Le peu d’argent de sa retraite de professeur servait à payer ses logeuse
103 sent concevoir d’autres buts à leur existence que la recherche d’un gain précaire. Mais à ceux qui ont quelque chose, il f
104 ceux qui ont quelque chose, il faut rappeler que la recherche du confort est ce qui s’oppose le plus radicalement à toute
105 r que la recherche du confort est ce qui s’oppose le plus radicalement à toute culture véritable. ⁂ Île de R. — La nuit !
106 alement à toute culture véritable. ⁂ Île de R. —  La nuit ! Je l’avais oubliée à Paris. La nuit des villes n’est pas cette
107 te culture véritable. ⁂ Île de R. — La nuit ! Je l’ avais oubliée à Paris. La nuit des villes n’est pas cette mort opaque
108 Île de R. — La nuit ! Je l’avais oubliée à Paris. La nuit des villes n’est pas cette mort opaque dont il faut redouter je
109 ge et circulante, pleine de rumeurs, comparable à la fièvre. Plus lucide souvent que les jours. Ici, tout repose complètem
110 , comparable à la fièvre. Plus lucide souvent que les jours. Ici, tout repose complètement. Un silence implacable et mat en
111 omplètement. Un silence implacable et mat enserre l’ homme qui chemine sur la route incertaine, au milieu des menaces origi
112 implacable et mat enserre l’homme qui chemine sur la route incertaine, au milieu des menaces originelles. Par temps clair,
113 milieu des menaces originelles. Par temps clair, les étoiles sont très grosses et molles au-dessus du jardin. Mais il arri
114 et molles au-dessus du jardin. Mais il arrive que le noir soit compact. Je me dirige à peu près le long de l’allée unique,
115 soit compact. Je me dirige à peu près le long de l’ allée unique, entre les rosiers. Je trouve, à tâtons, le verrou de la
116 irige à peu près le long de l’allée unique, entre les rosiers. Je trouve, à tâtons, le verrou de la porte du fond, dans l’o
117 e unique, entre les rosiers. Je trouve, à tâtons, le verrou de la porte du fond, dans l’odeur des lauriers épais. Voici le
118 re les rosiers. Je trouve, à tâtons, le verrou de la porte du fond, dans l’odeur des lauriers épais. Voici les rues du vil
119 ve, à tâtons, le verrou de la porte du fond, dans l’ odeur des lauriers épais. Voici les rues du village, illuminées comme
120 e du fond, dans l’odeur des lauriers épais. Voici les rues du village, illuminées comme un décor blanc et vert. Des chiens
121 soudain en gémissant. J’ai des lettres à porter à l’ autobus. Il faut s’éloigner du village. De nouveau le noir, et l’écho
122 utobus. Il faut s’éloigner du village. De nouveau le noir, et l’écho de mes pas contre les murs des maisons mortes. Je me
123 aut s’éloigner du village. De nouveau le noir, et l’ écho de mes pas contre les murs des maisons mortes. Je me glisse dans
124 . De nouveau le noir, et l’écho de mes pas contre les murs des maisons mortes. Je me glisse dans le hangar de la grosse voi
125 re les murs des maisons mortes. Je me glisse dans le hangar de la grosse voiture et tâte ses flancs jusqu’à ce que je renc
126 es maisons mortes. Je me glisse dans le hangar de la grosse voiture et tâte ses flancs jusqu’à ce que je rencontre l’ouver
127 re et tâte ses flancs jusqu’à ce que je rencontre l’ ouverture de la boîte aux lettres. De loin, le village apparaît fantas
128 flancs jusqu’à ce que je rencontre l’ouverture de la boîte aux lettres. De loin, le village apparaît fantastique : les bec
129 tre l’ouverture de la boîte aux lettres. De loin, le village apparaît fantastique : les becs de gaz, très bas, éclairent q
130 ttres. De loin, le village apparaît fantastique : les becs de gaz, très bas, éclairent quelques façades blanches, carrés et
131 arrés et rectangles détachés violemment au bas de l’ énorme nuit. On ne voit que ces figures géométriques, dominées par le
132 e voit que ces figures géométriques, dominées par le clocher à toit plat, et des fragments de silhouettes d’arbres devant
133 , et des fragments de silhouettes d’arbres devant les maisons. La rumeur de la mer arrive par bouffées. Puis c’est de nouve
134 ments de silhouettes d’arbres devant les maisons. La rumeur de la mer arrive par bouffées. Puis c’est de nouveau cet étran
135 ouettes d’arbres devant les maisons. La rumeur de la mer arrive par bouffées. Puis c’est de nouveau cet étrange écho des p
136 nouveau cet étrange écho des pas, si proche dans les rues vides, et ces mêmes chiens qui reviennent, et pas une âme. — « V
137 ens qui reviennent, et pas une âme. — « Vallée de l’ ombre de la mort… étranger et voyageur sur la terre… » — Jamais plus q
138 iennent, et pas une âme. — « Vallée de l’ombre de la mort… étranger et voyageur sur la terre… » — Jamais plus que dans cet
139 e de l’ombre de la mort… étranger et voyageur sur la terre… » — Jamais plus que dans cette nuit. ⁂ Fin de séjour à A… (Ga
140 Gard). — Tout est en place. Je garderai toutefois le plan d’aménagement et de décoration des trois chambres du premier éta
141 ois chambres du premier étage, on ne sait jamais… Les vingt-deux pièces du dessus de cheminée ont été replacées au millimèt
142 llimètre, dans une symétrie impeccable. Mais tout l’ effet de notre labeur risque d’être détruit par une odieuse malice du
143 euxième un lourd sommier, pour en faire un divan. L’ escalier est étroit. La descente s’était opérée sans trop de mal, lors
144 r, pour en faire un divan. L’escalier est étroit. La descente s’était opérée sans trop de mal, lors de notre arrivée. Mais
145 rs de notre arrivée. Mais nous n’avions pas prévu la remontée ! Épuisés par une demi-heure d’efforts haletants, qui n’ont
146 ’efforts haletants, qui n’ont abouti qu’à coincer le sommier au tournant, entre la balustrade et les parois de la cage d’e
147 abouti qu’à coincer le sommier au tournant, entre la balustrade et les parois de la cage d’escalier — au surplus fortement
148 er le sommier au tournant, entre la balustrade et les parois de la cage d’escalier — au surplus fortement rayées — nous avo
149 au tournant, entre la balustrade et les parois de la cage d’escalier — au surplus fortement rayées — nous avons couru impl
150 plus fortement rayées — nous avons couru implorer l’ aide de Simard. « Ce cochon-là » refuse, prétextant une hernie ; sa fe
151 sa jambe « coupée ». (Bonne occasion pourtant de la décrocher un peu pour toucher davantage à l’assurance !) Il a bien fa
152 t de la décrocher un peu pour toucher davantage à l’ assurance !) Il a bien fallu se rendre à l’évidence : ce sommier impla
153 tage à l’assurance !) Il a bien fallu se rendre à l’ évidence : ce sommier implacable restera dans l’escalier comme témoin
154 à l’évidence : ce sommier implacable restera dans l’ escalier comme témoin des bouleversements que nous avons infligés à la
155 oin des bouleversements que nous avons infligés à la maison. Pas question d’aller quérir du renfort à A. Il faut encore bo
156 ler quérir du renfort à A. Il faut encore boucler les valises, descendre mes caisses de livres à la gare, etc., et le train
157 er les valises, descendre mes caisses de livres à la gare, etc., et le train part dans une heure. Quand la propriétaire re
158 scendre mes caisses de livres à la gare, etc., et le train part dans une heure. Quand la propriétaire reviendra pour l’été
159 are, etc., et le train part dans une heure. Quand la propriétaire reviendra pour l’été, elle se heurtera à ce sommier monu
160 s une heure. Quand la propriétaire reviendra pour l’ été, elle se heurtera à ce sommier monumental dans sa pose scandaleuse
161 te des « gens » en général — quand je ne fais que les jauger d’un regard — et sympathie violente, « élan vers », dès que mo
162 n visage, au corps et aux vêtements, aux mains, à l’ attitude distraite et vraie d’un être isolé près de moi. Je prends le
163 e et vraie d’un être isolé près de moi. Je prends le métro, malgré l’odeur de buanderie et ce relent de fauves de certains
164 tre isolé près de moi. Je prends le métro, malgré l’ odeur de buanderie et ce relent de fauves de certains parfums de femme
165 arder des êtres, et vivre un moment auprès d’eux, le temps de trois stations, le temps d’imaginer une rencontre, un échang
166 moment auprès d’eux, le temps de trois stations, le temps d’imaginer une rencontre, un échange spontané, une de ces décou
167 lescent — et sûrement ce serait bien autre chose… La femme descend sans se retourner ; l’homme déplie un journal que je n’
168 autre chose… La femme descend sans se retourner ; l’ homme déplie un journal que je n’aime pas, qu’il a peut-être acheté to
169 plus pourquoi j’ai eu ce fort désir soudain, dans le métro, de tutoyer mes compagnons de route. Était-ce envie de donner o
170 le maintenant que j’écris, que c’est profondément le même mouvement, l’amour. La même déception de l’amour, parce que rien
171 ’écris, que c’est profondément le même mouvement, l’ amour. La même déception de l’amour, parce que rien ne s’est produit,
172 ue c’est profondément le même mouvement, l’amour. La même déception de l’amour, parce que rien ne s’est produit, rien ne p
173 le même mouvement, l’amour. La même déception de l’ amour, parce que rien ne s’est produit, rien ne peut se produire, pour
174 es que nous tous. — Et alors, dira-t-on : « Faire la révolution ! » — Ce substitut, ce renvoi aux calendes de la Grande Co
175 ion ! » — Ce substitut, ce renvoi aux calendes de la Grande Communication… ⁂ Montparnasse. — Stupidité triste, parfois in
176 , « bagnoles », « Paris-Soir », « on se défend… » La grosse petite bonne qui tire sa robe à fleurs sur le quai désert du m
177 grosse petite bonne qui tire sa robe à fleurs sur le quai désert du métro, enfin un être vrai. ⁂ (Conclusion.) — S’occupe
178 uper des « petits-faits-vrais » vaut mieux que de les ignorer. Mais l’excellent, c’est de parvenir à les ignorer avec force
179 faits-vrais » vaut mieux que de les ignorer. Mais l’ excellent, c’est de parvenir à les ignorer avec force, une fois qu’on
180 es ignorer. Mais l’excellent, c’est de parvenir à les ignorer avec force, une fois qu’on les a bien connus, dans leur réali
181 parvenir à les ignorer avec force, une fois qu’on les a bien connus, dans leur réalité sordide. Un petit fait vrai vaut plu
182 embrassée avec force au mépris de soi-même et de l’ utilité. Car elle peut devenir le fait dominateur. En vérité, il n’y a
183 e soi-même et de l’utilité. Car elle peut devenir le fait dominateur. En vérité, il n’y a pas de faits grands ou petits en
184 eu près digne de ce nom un fait qui commande tous les autres et qui est la mesure de tout. Quand tu l’auras connu et accept
185 m un fait qui commande tous les autres et qui est la mesure de tout. Quand tu l’auras connu et accepté — tu es le seul à l
186 les autres et qui est la mesure de tout. Quand tu l’ auras connu et accepté — tu es le seul à le connaître — lève-toi et re
187 e tout. Quand tu l’auras connu et accepté — tu es le seul à le connaître — lève-toi et regarde les choses, les gestes inco
188 and tu l’auras connu et accepté — tu es le seul à le connaître — lève-toi et regarde les choses, les gestes incongrus et m
189 u es le seul à le connaître — lève-toi et regarde les choses, les gestes incongrus et mécaniques des autres ; écoute bien c
190 à le connaître — lève-toi et regarde les choses, les gestes incongrus et mécaniques des autres ; écoute bien ce qu’ils dis
191 s autres ; écoute bien ce qu’ils disent à travers les paroles qu’ils croient dire ; essaie de les comprendre quand ils se p
192 avers les paroles qu’ils croient dire ; essaie de les comprendre quand ils se plaignent ou quand ils rient : tu ne verras,
193 qui est plus fort que toi. Car il est tout ce que le monde attend, attend de toute éternité pour aujourd’hui et de toi seu
194 est ta foi. ⁂ Post-scriptum. — En même temps que les épreuves de mon journal, je reçois une note à l’encre rouge, signée d
195 les épreuves de mon journal, je reçois une note à l’ encre rouge, signée du correcteur de l’imprimerie. Je la recopie : « “
196 une note à l’encre rouge, signée du correcteur de l’ imprimerie. Je la recopie : « “Épicerie et spécialiste”2 — L’auteur pa
197 e rouge, signée du correcteur de l’imprimerie. Je la recopie : « “Épicerie et spécialiste”2 — L’auteur paraît croire à un
198 e. Je la recopie : « “Épicerie et spécialiste”2 — L’ auteur paraît croire à un rapprochement absurde. Il fait erreur. Nous
199 chement absurde. Il fait erreur. Nous sommes dans le Midi, où un sentiment obscur de latinité a survécu. Et épices (d’où é
200 (d’où épicerie) et espèce (d’où spécialiste) sont le même mot. Tous deux remontent à species (latin). — Les espèces, deven
201 ême mot. Tous deux remontent à species (latin). —  Les espèces, devenues épices, étaient : gingembre, muscade, cannelle, poi
202 étaient : gingembre, muscade, cannelle, poivre. “ Les quatre espèces” (épices). J’amenderais cette partie, si j’étais l’aut
203 ” (épices). J’amenderais cette partie, si j’étais l’ auteur, esprit remarquable. » (Merci au correcteur ! Mais on ne pouvai
204 au correcteur ! Mais on ne pouvait plus modifier la mise en pages.) 1. Kierkegaard avait déposé sa fortune, réalisée en
205 était adversaire du prêt à intérêt, condamné par l’ église primitive. Il donnait à qui voulait. Après sa mort, on s’aperçu
206 t, on s’aperçut qu’il ne restait que 250 fr. dans le coffre. 2. Voir la page 140 de l’édition de la Guilde du Livre. b.
207 l ne restait que 250 fr. dans le coffre. 2. Voir la page 140 de l’édition de la Guilde du Livre. b. Rougemont Denis de,
208 e 250 fr. dans le coffre. 2. Voir la page 140 de l’ édition de la Guilde du Livre. b. Rougemont Denis de, « Pages inédit
209 s le coffre. 2. Voir la page 140 de l’édition de la Guilde du Livre. b. Rougemont Denis de, « Pages inédites du Journal
210 rnal d’un intellectuel en chômage  », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, octobre 1937, p. 150-153.
3 1938, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Caquets d’une vieille poule noire (août 1938)
211 istoire ! Je vivais ignorée et sereine. C’est par la faute de mon auteur que j’ai paru dans toutes les feuilles, et je me
212 la faute de mon auteur que j’ai paru dans toutes les feuilles, et je me vengerais bien si ce n’était de lui que dépend, ap
213 tence. Ont-ils pu se moquer de mon aventure, tous les feuilletonistes indiscrets auxquels ce satané Journal livrait ma vi
214 crets auxquels ce satané Journal livrait ma vie la plus intime ! Vous allez pouvoir en juger. Dans un grand quotidien de
215 is colonnes — et j’en sens ma crête en rougir — «  La poule de M. de Rougemont ». Voici le début de ce libelle : Dans le l
216 n rougir — « La poule de M. de Rougemont ». Voici le début de ce libelle : Dans le livre si… si… et si… (je supprime des
217 Rougemont ». Voici le début de ce libelle : Dans le livre si… si… et si… (je supprime des adjectifs élogieux, tout à fait
218 s dit-on, dont nous faisons connaissance page 92. L’ auteur habite avec sa femme une maison prêtée ; avec la maison, il y a
219 eur habite avec sa femme une maison prêtée ; avec la maison, il y a un jardin ; au fond du jardin, cette poule. Elle n’a p
220 tte poule. Elle n’a pas fait parler d’elle depuis le mois de novembre. Soudain, le 10 avril, elle se met à pondre, et avec
221 arler d’elle depuis le mois de novembre. Soudain, le 10 avril, elle se met à pondre, et avec tant d’ardeur que, dès le 16,
222 e se met à pondre, et avec tant d’ardeur que, dès le 16, elle a treize gros œufs, que sans désemparer elle se met à couver
223 ette que M. de Rougemont ne nous ait pas présenté le coq, même par la plus discrète allusion. Puis on attend. M. de Rougem
224 ugemont ne nous ait pas présenté le coq, même par la plus discrète allusion. Puis on attend. M. de Rougemont écrit des pag
225 t écrit des pages pénétrantes à propos de Goethe. La poule couve, la poule couve toujours. 14 mai, 16 mai, 21 mai, rien, t
226 s pénétrantes à propos de Goethe. La poule couve, la poule couve toujours. 14 mai, 16 mai, 21 mai, rien, toujours rien. M.
227 ugemont cite Spinoza — mais il est inquiet : dans la nuit du 21 mai, n’y tenant plus, il retourne au poulailler, dérange l
228 y tenant plus, il retourne au poulailler, dérange la poule, aperçoit enfin un poulet… « C’est beau. C’est fascinant. C’est
229 rois semaines est en effet assez mystérieuse… Et l’ article se termine par une nouvelle impertinence à mon égard : le crit
230 rmine par une nouvelle impertinence à mon égard : le critique prétend que ce livre peut introduire le lecteur « dans un mo
231 le critique prétend que ce livre peut introduire le lecteur « dans un monde où l’on pardonnera aux poules d’avoir des mœu
232 vre peut introduire le lecteur « dans un monde où l’ on pardonnera aux poules d’avoir des mœurs un peu bizarres, parce que
233 ules d’avoir des mœurs un peu bizarres, parce que les hommes en auront de plus naturelles et de plus droites ». Voyez-vous
234 cela : « des mœurs bizarres » ! Quel toupet ! Et le plus révoltant de l’affaire, c’est que mon auteur a ri très fort de c
235 izarres » ! Quel toupet ! Et le plus révoltant de l’ affaire, c’est que mon auteur a ri très fort de cet article et s’est l
236 e cet article et s’est lâchement refusé à prendre la défense de ma vertu et de mon honneur vilipendés. Il s’en fiche, il s
237 e, il s’amuse à mes dépens après m’avoir livrée à la risée publique ! Comme si le ridicule jeté sur moi ne l’atteignait pa
238 rès m’avoir livrée à la risée publique ! Comme si le ridicule jeté sur moi ne l’atteignait pas, lui aussi ! Mais, chômeurs
239 e publique ! Comme si le ridicule jeté sur moi ne l’ atteignait pas, lui aussi ! Mais, chômeurs ou non, — j’y reviendrai —
240 : que je n’avais donc pas eu à fabriquer moi-même les treize œufs et que cette histoire honteuse et scandaleuse des prétend
241 er ses dates ! Enfin, mon innocence éclate à tous les yeux. Ce qu’on me reproche n’est imputable en vérité qu’à l’ignorance
242 qu’on me reproche n’est imputable en vérité qu’à l’ ignorance presque touchante de ce critique aussi présomptueux que bord
243 s. Que dire des autres ! Figurez-vous que j’ai eu la curiosité d’aller picorer parmi les dossiers de mon auteur, épars sur
244 us que j’ai eu la curiosité d’aller picorer parmi les dossiers de mon auteur, épars sur son bureau, sur son divan, et jusqu
245 pars sur son bureau, sur son divan, et jusque sur le sol de la pièce où il travaille (toujours ce désordre !). À ma stupéf
246 on bureau, sur son divan, et jusque sur le sol de la pièce où il travaille (toujours ce désordre !). À ma stupéfaction, j’
247 guère aux yeux d’une poule. Ce qui compte, c’est l’ énorme étude de neuf colonnes parue, pour ma vengeance, dans Curieux.
248 pour ma vengeance, dans Curieux. Nul n’ignore que l’ hebdomadaire neuchâtelois a obtenu le concours régulier du plus fameux
249 n’ignore que l’hebdomadaire neuchâtelois a obtenu le concours régulier du plus fameux critique de Romorantin (Loir-et-Cher
250 ritique de Romorantin (Loir-et-Cher). Non pas que la Suisse romande manque de critiques très qualifiés, mais quand on a l’
251 nque de critiques très qualifiés, mais quand on a l’ aubaine de publier des pages signées V. Meylan-Malécot, il convient de
252 lécot, il convient de faire passer au second plan les considérations locales, toujours un peu mesquines. Donc, cette dame d
253 et, s’adressant courageusement à mon auteur, elle l’ apostrophe dans ces termes : Il y a d’autres choses bien instructives
254 s » est ironique) — dans votre expérience. Témoin la fameuse poule noire et ses treize poussins. Certains en sourient, de
255 . Ce qu’on peut critiquer chez vous, ce n’est pas le sujet, c’est votre manière par trop naïve et enfantine de le traiter.
256 ’est votre manière par trop naïve et enfantine de le traiter. Est-ce que, par hasard, il n’y aurait pas de poules dans vot
257 ules dans votre pays ? Ou bien est-ce que vous ne les aviez jamais regardées qu’il vous faille aller en Vendée pour voir éc
258 des poussins ? Voilà ! « Par trop naïf », c’est le mot qu’il fallait dire. Et l’on reconnaît enfin que moi, poule noire,
259 trop naïf », c’est le mot qu’il fallait dire. Et l’ on reconnaît enfin que moi, poule noire, j’étais « un sujet substantie
260 ulu que j’aie tenté aussi un auteur qui « malmène les mots » à tel point que Mme Meylan peut écrire de son livre : « Il est
261 » Ça c’est tapé ! Je n’aurais pas dit mieux. Mais la dame critique de Romorantin (Loir-et-Cher) ne se contente pas de fust
262 tin (Loir-et-Cher) ne se contente pas de fustiger les apparences du vice : allant droit au fait, elle distingue à l’origine
263 du vice : allant droit au fait, elle distingue à l’ origine du livre de mon persécuteur la haine farouche de tout ce qui e
264 distingue à l’origine du livre de mon persécuteur la haine farouche de tout ce qui est beau et noble. Le génie seul a les
265 haine farouche de tout ce qui est beau et noble. Le génie seul a les yeux si perçants, le génie seul pouvait déjouer la r
266 de tout ce qui est beau et noble. Le génie seul a les yeux si perçants, le génie seul pouvait déjouer la ruse infâme de mon
267 u et noble. Le génie seul a les yeux si perçants, le génie seul pouvait déjouer la ruse infâme de mon auteur. Car, sous pr
268 s yeux si perçants, le génie seul pouvait déjouer la ruse infâme de mon auteur. Car, sous prétexte de décrire une poule no
269 noire, savez-vous qu’il s’en prenait en vérité à la petite épargne, aux petits rentiers ! C’est ce que personne n’avait s
270 ait su deviner, avant Mme Malécot. « Mais vous ne les aurez pas, ces petits rentiers ! » clame-t-elle. Et pour le coup, je
271 as, ces petits rentiers ! » clame-t-elle. Et pour le coup, je m’y reconnais : cette logique est celle de la race. On sent
272 up, je m’y reconnais : cette logique est celle de la race. On sent des siècles de cartésianisme derrière ce cri sublime et
273 on auteur, une fois de plus, a cru devoir hausser les épaules. Dans le fond de son cœur, toutefois, il a dû se sentir attei
274 s de plus, a cru devoir hausser les épaules. Dans le fond de son cœur, toutefois, il a dû se sentir atteint. Et comment ne
275 a dû se sentir atteint. Et comment ne pas admirer le courage de cette Française4 qui, du fond de son Romorantin, se dresse
276 de son Romorantin, se dresse, seule, contre toute l’ opinion — quitte à passer pour Dieu sait quoi — et rive son clou à l’i
277 à passer pour Dieu sait quoi — et rive son clou à l’ insolent Helvète ! J’ai eu un autre vengeur en la personne de M. Franç
278 l’insolent Helvète ! J’ai eu un autre vengeur en la personne de M. François Porché. Mais j’avoue que cet article de Paris
279 rticle de Parisien est moins heureux que celui de la Romorantine. M. Porché estime que dans le Journal « tout est faux-s
280 elui de la Romorantine. M. Porché estime que dans le Journal « tout est faux-semblant, illusion… » et « demeure en dehor
281 À quoi j’applaudis des deux pattes. Mais voici où les choses se gâtent. L’auteur, conclut M. Porché, « a joué à la pauvreté
282 deux pattes. Mais voici où les choses se gâtent. L’ auteur, conclut M. Porché, « a joué à la pauvreté ; quel sacrilège ! »
283 e gâtent. L’auteur, conclut M. Porché, « a joué à la pauvreté ; quel sacrilège ! » Or, sacrilège veut dire : qui lèse le s
284 sacrilège ! » Or, sacrilège veut dire : qui lèse le sacré. On en déduit que M. Porché tient la pauvreté pour sacrée. Là,
285 i lèse le sacré. On en déduit que M. Porché tient la pauvreté pour sacrée. Là, j’avoue que je ne puis le suivre. Ce serait
286 pauvreté pour sacrée. Là, j’avoue que je ne puis le suivre. Ce serait donner dans les pires utopies. Et mon auteur lui-mê
287 e que je ne puis le suivre. Ce serait donner dans les pires utopies. Et mon auteur lui-même n’a pas été si loin : il s’est
288 té de se débrouiller avec sa pauvreté et, loin de la croire sacrée, il a essayé d’en sortir. Je signale le cas de M. Porch
289 roire sacrée, il a essayé d’en sortir. Je signale le cas de M. Porché à la vigilance de Mme Meylan, défenseur des rentes.
290 ayé d’en sortir. Je signale le cas de M. Porché à la vigilance de Mme Meylan, défenseur des rentes. Pour finir, je vous co
291 de critiques ont accusé mon auteur d’avoir usurpé le « titre » de chômeur (comme l’écrit curieusement M. Brasillach). Ils
292 eur d’avoir usurpé le « titre » de chômeur (comme l’ écrit curieusement M. Brasillach). Ils disaient qu’un intellectuel ne
293 e, et donc travaille toujours. Mais c’était faire la part trop belle à mon auteur ! Je puis affirmer, d’après mon expérien
294 mon expérience, qu’il est plus paresseux qu’on ne le croit. Ne passait-il pas des heures entières à nous regarder amoureus
295 uses de ma poule noire ? Ce ne sont pas seulement les poules qui jouissent de cette faculté. Il y a plus de mots que d’idée
296 ées fécondes dans ce monde. 4. Il est vrai qu’on la dit Lausannoise, mais enfin le journal Curieux a présenté sa lettre c
297 Il est vrai qu’on la dit Lausannoise, mais enfin le journal Curieux a présenté sa lettre comme celle d’une Française offe
298  Caquets d’une vieille poule noire », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, août 1938, p. 115-117. d. Précédé du chap
299 8, p. 115-117. d. Précédé du chapeau suivant : «  L’ auteur du Journal d’un intellectuel en chômage nous remet ces pages
300 avoir été écrites (ou, comme on dit, pondues) par la vieille poule noire mise en scène p. 92 de son livre. Nos lecteurs ju
301 euve nouvelle d’une grossière supercherie. » Dans l’ édition Albin Michel que nous avons mis en ligne, c’est en pages 98-99
302 ligne, c’est en pages 98-99 qu’est mise en scène la poule noire.
4 1939, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Puisque je suis un militaire… (septembre 1939)
303 un camarade. — Pas trop. Mais pour sûr on y est ! L’ impression générale, c’est qu’on nous a « mis dedans ». (Je dis on, je
304 ns ». (Je dis on, je ne sais pas qui c’est. Comme le brave paysan vaudois, après la grêle, qui désignait d’un doigt le cie
305 s qui c’est. Comme le brave paysan vaudois, après la grêle, qui désignait d’un doigt le ciel coupable : « Je n’accuse pers
306 vaudois, après la grêle, qui désignait d’un doigt le ciel coupable : « Je n’accuse personne, mais c’est dégoûtant ! ») Nou
307 ’est dégoûtant ! ») Nous voilà faits, refaits par l’ événement, plongés d’un coup dans le détail technique de ces grandes c
308 , refaits par l’événement, plongés d’un coup dans le détail technique de ces grandes choses terribles qu’on imaginait, qu’
309 i nous trouvent sans peur et sans préparation dès l’ instant qu’elles deviennent présentes, cessent d’être imaginées, ou mê
310 même imaginables. Tout de même, après huit jours, les choses commencent à se situer. Les grandes masses de l’Europe, les gr
311 ès huit jours, les choses commencent à se situer. Les grandes masses de l’Europe, les grandes lignes de la guerre, et çà et
312 ses commencent à se situer. Les grandes masses de l’ Europe, les grandes lignes de la guerre, et çà et là, dans nos frontiè
313 cent à se situer. Les grandes masses de l’Europe, les grandes lignes de la guerre, et çà et là, dans nos frontières, des se
314 grandes masses de l’Europe, les grandes lignes de la guerre, et çà et là, dans nos frontières, des secteurs minuscules, co
315 tandis qu’Albert Mermoud, en travers de son lit, les hottes pendantes, dépouille le courrier de la Guilde… Je ne puis pas
316 avers de son lit, les hottes pendantes, dépouille le courrier de la Guilde… Je ne puis pas vous dire où cela se trouve san
317 t, les hottes pendantes, dépouille le courrier de la Guilde… Je ne puis pas vous dire où cela se trouve sans contrevenir a
318 ire où cela se trouve sans contrevenir aux ordres les plus stricts, mais c’est très bien ainsi, Denis de Rougemont et le di
319 mais c’est très bien ainsi, Denis de Rougemont et le directeur de la Guilde « en campagne », car nous sommes n’importe où,
320 bien ainsi, Denis de Rougemont et le directeur de la Guilde « en campagne », car nous sommes n’importe où, sans raison rai
321 raison raisonnable ou prévisible. J’aime beaucoup les adresses militaires. Deux ou trois chiffres pour les initiés, et cett
322 adresses militaires. Deux ou trois chiffres pour les initiés, et cette mention si belle, quand on y pense, dans son élémen
323 ndeur : En campagne. Entendez : quelque part dans le pays, dans les champs anonymes, sous la pluie, dans les vergers où l’
324 pagne. Entendez : quelque part dans le pays, dans les champs anonymes, sous la pluie, dans les vergers où l’on écrase des p
325 part dans le pays, dans les champs anonymes, sous la pluie, dans les vergers où l’on écrase des pommes mal mûres, dans des
326 ys, dans les champs anonymes, sous la pluie, dans les vergers où l’on écrase des pommes mal mûres, dans des cuisines de fer
327 amps anonymes, sous la pluie, dans les vergers où l’ on écrase des pommes mal mûres, dans des cuisines de ferme, dans cette
328 ibliques, lettres d’argent et myosotis, autour de la photo jaunie du Chœur mixte en 1913. Deux bons lits de bois aux « duv
329 bons lits de bois aux « duvets » écrasants. Pour le reste, un désordre exemplaire, courroies, bandes molletières, cigaret
330 s alignés au cordeau. Partirons-nous au milieu de la nuit ? Ou passerons-nous l’hiver ici ? Plus rien ne dépend de nous. C
331 ons-nous au milieu de la nuit ? Ou passerons-nous l’ hiver ici ? Plus rien ne dépend de nous. C’est notre liberté. Pendant
332 ai bien envie de vous dire un peu de quoi se fait la vie à l’armée, dans les débuts d’une mobilisation. Les dames croient
333 nvie de vous dire un peu de quoi se fait la vie à l’ armée, dans les débuts d’une mobilisation. Les dames croient volontier
334 ire un peu de quoi se fait la vie à l’armée, dans les débuts d’une mobilisation. Les dames croient volontiers que c’est par
335 ie à l’armée, dans les débuts d’une mobilisation. Les dames croient volontiers que c’est parades et bottes, fanfares, rythm
336 ythmes virils, flatteuses géométries garantissant l’ ordre social contre le mystérieux Esprit de subversion. Ces dames sont
337 ses géométries garantissant l’ordre social contre le mystérieux Esprit de subversion. Ces dames sont en retard d’au moins
338 erres ou victimes d’expressions telles que « sous les drapeaux ». En vérité, l’armée c’est tout d’abord un cliquetis de cas
339 ions telles que « sous les drapeaux ». En vérité, l’ armée c’est tout d’abord un cliquetis de casques et d’ustensiles gross
340 ant une sombre confusion qui se révèle ordonnée à l’ heure H ; et beaucoup de choses très lourdes, bouclées et trimballées
341 al réveillés vers des attentes inexplicables sous la pluie. Mangeailles, arrêts, ahans, monotonie, ignorance des ensembles
342 ensembles, objets numérotés, perdus, récupérés à la volée, c’est tout ce que l’homme dans le rang peut constater, si tout
343 , perdus, récupérés à la volée, c’est tout ce que l’ homme dans le rang peut constater, si toutefois la fatigue lui laisse
344 upérés à la volée, c’est tout ce que l’homme dans le rang peut constater, si toutefois la fatigue lui laisse la faculté de
345 l’homme dans le rang peut constater, si toutefois la fatigue lui laisse la faculté de constater quoi que ce soit, hors l’e
346 eut constater, si toutefois la fatigue lui laisse la faculté de constater quoi que ce soit, hors l’envie de boire et de se
347 se la faculté de constater quoi que ce soit, hors l’ envie de boire et de se coucher. Eh bien ! de tout cela se dégage un l
348 rien de spectaculaire, qui n’a pas sa photo dans les feuilles et qu’on peut seulement ressentir quand on a les pieds dans
349 lles et qu’on peut seulement ressentir quand on a les pieds dans la boue, vers quatre heures du matin, après l’alarme. La p
350 eut seulement ressentir quand on a les pieds dans la boue, vers quatre heures du matin, après l’alarme. La plupart des hom
351 dans la boue, vers quatre heures du matin, après l’ alarme. La plupart des hommes le ressentent, presque aucun n’oserait l
352 s du matin, après l’alarme. La plupart des hommes le ressentent, presque aucun n’oserait l’avouer. On croit que la poésie
353 des hommes le ressentent, presque aucun n’oserait l’ avouer. On croit que la poésie n’existe qu’héroïque ou sentimentale, e
354 t, presque aucun n’oserait l’avouer. On croit que la poésie n’existe qu’héroïque ou sentimentale, et l’on ne sait plus la
355 a poésie n’existe qu’héroïque ou sentimentale, et l’ on ne sait plus la reconnaître au ras du sol, au niveau des choses bru
356 qu’héroïque ou sentimentale, et l’on ne sait plus la reconnaître au ras du sol, au niveau des choses brutes et brutales. P
357 rien n’est plus poétique qu’un rassemblement dans la nuit, grouillant de casques, de reflets sourds et de gamelles entrech
358 les entrechoquées. Et, plus tard, au matin, quand l’ attaque se prépare, un « à terre » prolongé à la lisière d’un bois, ce
359 d l’attaque se prépare, un « à terre » prolongé à la lisière d’un bois, cela peut être un des plus beaux moments de notre
360 une pluie fine. Ce n’est pas seulement à cause de la saison qu’il convient de parler de la pluie. C’est à cause d’une prof
361 à cause de la saison qu’il convient de parler de la pluie. C’est à cause d’une profonde affinité entre la vie en uniforme
362 luie. C’est à cause d’une profonde affinité entre la vie en uniforme et ce que l’on nomme par convention le mauvais temps.
363 fonde affinité entre la vie en uniforme et ce que l’ on nomme par convention le mauvais temps. La pluie en ville et la plui
364 e en uniforme et ce que l’on nomme par convention le mauvais temps. La pluie en ville et la pluie « en campagne » sont deu
365 e que l’on nomme par convention le mauvais temps. La pluie en ville et la pluie « en campagne » sont deux phénomènes bien
366 convention le mauvais temps. La pluie en ville et la pluie « en campagne » sont deux phénomènes bien distincts, aussi dist
367 ux phénomènes bien distincts, aussi distincts que la vie civile et la vie militaire en général. La pluie civile n’est guèr
368 n distincts, aussi distincts que la vie civile et la vie militaire en général. La pluie civile n’est guère qu’un embêtemen
369 que la vie civile et la vie militaire en général. La pluie civile n’est guère qu’un embêtement dont on se préserve comme s
370 ’isole avec soin, avec dédain, des éléments. Mais la pluie militaire, comment dire, c’est quelque chose d’immense et de sé
371 tout son corps, de tout son sentiment charnel, on l’ accepte avec toute la nature, sans préjugés ni fausse pudeur. Couché d
372 ut son sentiment charnel, on l’accepte avec toute la nature, sans préjugés ni fausse pudeur. Couché dans l’herbe grasse, é
373 ture, sans préjugés ni fausse pudeur. Couché dans l’ herbe grasse, écrasé par son sac, l’homme observe l’avant-terrain par-
374 . Couché dans l’herbe grasse, écrasé par son sac, l’ homme observe l’avant-terrain par-dessous la visière d’acier régulière
375 herbe grasse, écrasé par son sac, l’homme observe l’ avant-terrain par-dessous la visière d’acier régulièrement ourlée de g
376 sac, l’homme observe l’avant-terrain par-dessous la visière d’acier régulièrement ourlée de gouttes. Le vent siffle à tra
377 visière d’acier régulièrement ourlée de gouttes. Le vent siffle à travers les trous du casque. L’homme tire la toile de t
378 ement ourlée de gouttes. Le vent siffle à travers les trous du casque. L’homme tire la toile de tente qui couvre ses épaule
379 es. Le vent siffle à travers les trous du casque. L’ homme tire la toile de tente qui couvre ses épaules et cherche à la ca
380 iffle à travers les trous du casque. L’homme tire la toile de tente qui couvre ses épaules et cherche à la caler sous son
381 oile de tente qui couvre ses épaules et cherche à la caler sous son coude droit. Il sait que, d’une seconde à l’autre, peu
382 Il sait que, d’une seconde à l’autre, peut venir l’ ordre de bondir. Ça ne l’empêche pas de s’installer comme s’il n’avait
383 de à l’autre, peut venir l’ordre de bondir. Ça ne l’ empêche pas de s’installer comme s’il n’avait rien d’autre à faire pen
384 faire pendant des heures. (Est-ce une parabole de la vie ?) Il est bien. Merveilleusement bien. Libéré. Sans passé, sans a
385 ement bien. Libéré. Sans passé, sans avenir. Tout le présent limité par ces herbes où circulent des bestioles maladroites.
386 es herbes où circulent des bestioles maladroites. Le drap du pantalon colle au mollet, les doigts sont rouges sur le fusil
387 maladroites. Le drap du pantalon colle au mollet, les doigts sont rouges sur le fusil luisant. Les gouttes de la visière gl
388 talon colle au mollet, les doigts sont rouges sur le fusil luisant. Les gouttes de la visière glissent d’un coup sur la ga
389 let, les doigts sont rouges sur le fusil luisant. Les gouttes de la visière glissent d’un coup sur la gauche quand on lève
390 sont rouges sur le fusil luisant. Les gouttes de la visière glissent d’un coup sur la gauche quand on lève un peu le nez
391 Les gouttes de la visière glissent d’un coup sur la gauche quand on lève un peu le nez pour voir si rien ne vient. Non, r
392 sent d’un coup sur la gauche quand on lève un peu le nez pour voir si rien ne vient. Non, rien ne vient. Grisaille, monoto
393 en ne vient. Grisaille, monotonie, envoûtement de l’ esprit par le corps – pourvu que ça dure encore quelques secondes, ça
394 Grisaille, monotonie, envoûtement de l’esprit par le corps – pourvu que ça dure encore quelques secondes, ça ressemble tel
395 , ça ressemble tellement au bonheur ! Un cri dans le vent va tout détruire. Oui, c’est bien ça, c’est toujours ça, le bonh
396 détruire. Oui, c’est bien ça, c’est toujours ça, le bonheur : un instant de répit sous la menace. Alors on vit à plein. O
397 oujours ça, le bonheur : un instant de répit sous la menace. Alors on vit à plein. On sent le goût des choses. Et l’on est
398 pit sous la menace. Alors on vit à plein. On sent le goût des choses. Et l’on est prêt à tout abandonner au premier signe
399 rs on vit à plein. On sent le goût des choses. Et l’ on est prêt à tout abandonner au premier signe du destin, parce qu’on
400 ier signe du destin, parce qu’on vient de remplir les limites du réel et d’accomplir un seul instant parfait. e. Rougemo
401 e, « Puisque je suis un militaire… », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, septembre 1939, p. 131-133.
5 1939, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Billet d’aller et retour (décembre 1939)
402 Billet d’aller et retour (décembre 1939)f Je l’ ai pourtant quittée, cette chambre paysanne, mais j’y suis pour peu qu
403 pour peu que j’y pense, et c’est souvent. Faites le compte de vos heures et vous découvrirez que tout homme rêve une bonn
404 ope qui ne sait plus répondre aux menaces que par l’ extinction des lumières, — de toutes les lumières humaines. J’avais qu
405 es que par l’extinction des lumières, — de toutes les lumières humaines. J’avais quitté mon train pendant l’arrêt, à la rec
406 mières humaines. J’avais quitté mon train pendant l’ arrêt, à la recherche d’un buffet quelconque, et je n’avais trouvé qu’
407 ines. J’avais quitté mon train pendant l’arrêt, à la recherche d’un buffet quelconque, et je n’avais trouvé qu’un abri sou
408 bri souterrain au bout du quai. Pendant ce temps, l’ express avait changé de voie. Dans la bleuâtre obscurité, nul écriteau
409 nt ce temps, l’express avait changé de voie. Dans la bleuâtre obscurité, nul écriteau lisible et nul visage reconnaissable
410 naissable. Une course haletante et bousculée dans le dédale des passages sous voie encombrés de sacs de sable, au long d’é
411 ù je coudoyais des soldats sourds et muets — tous les numéros arrachés — tandis que des sifflets annonçaient un départ. À l
412 tandis que des sifflets annonçaient un départ. À la fin, je retrouve un wagon qui me paraît être le mien, mais je l’avais
413 ouve un wagon qui me paraît être le mien, mais je l’ avais quitté presque vide et il est plein de dormeurs débraillés, de m
414 t de masques à gaz. Déjà nous roulons lourdement. Le nom de cette gare — comme de toutes les autres — était camouflé, illi
415 ourdement. Le nom de cette gare — comme de toutes les autres — était camouflé, illisible. Je ne saurai jamais si j’ai rêvé.
416 rêvé. Mais au matin, oui, c’était bien Paris, et les sirènes d’une fin d’alerte. ⁂ Imaginez un Paris englouti dans l’épais
417 e fin d’alerte. ⁂ Imaginez un Paris englouti dans l’ épaisse nuit des campagnes, mais une nuit sans clair de lune, sans arb
418 res et sans abois lointains. On y rôde en frôlant les murs, heurtant des corps, guettant des phares sans reflet sur le maca
419 nt des corps, guettant des phares sans reflet sur le macadam. Tout au bas, tout au fond de l’ombre, dans la pierre et dans
420 flet sur le macadam. Tout au bas, tout au fond de l’ ombre, dans la pierre et dans les vestiges d’une civilisation qui dése
421 cadam. Tout au bas, tout au fond de l’ombre, dans la pierre et dans les vestiges d’une civilisation qui déserte… Je me sui
422 , tout au fond de l’ombre, dans la pierre et dans les vestiges d’une civilisation qui déserte… Je me suis enfermé dans ma c
423 eut-être plus, qui était réduit à se défendre par le suicide, la Hollande inondée, disait-on. ⁂ Et voici sous la pluie et
424 s, qui était réduit à se défendre par le suicide, la Hollande inondée, disait-on. ⁂ Et voici sous la pluie et la brume, à
425 , la Hollande inondée, disait-on. ⁂ Et voici sous la pluie et la brume, à l’horizon des marécages, une confusion de silhou
426 e inondée, disait-on. ⁂ Et voici sous la pluie et la brume, à l’horizon des marécages, une confusion de silhouettes griffu
427 isait-on. ⁂ Et voici sous la pluie et la brume, à l’ horizon des marécages, une confusion de silhouettes griffues : moulins
428 e briques et de verreries. C’est Rotterdam. C’est le chaos d’une Renaissance américanisée ! Le train passe au-dessus des p
429 . C’est le chaos d’une Renaissance américanisée ! Le train passe au-dessus des ports, dans la puissante vibration d’un pon
430 anisée ! Le train passe au-dessus des ports, dans la puissante vibration d’un pont de fer, au-dessus de canaux reflétant l
431 n d’un pont de fer, au-dessus de canaux reflétant les décors d’une grandiose activité marchande. Ici, les sirènes annoncent
432 s décors d’une grandiose activité marchande. Ici, les sirènes annoncent l’approche des richesses de la terre. ⁂ Une connais
433 se activité marchande. Ici, les sirènes annoncent l’ approche des richesses de la terre. ⁂ Une connaissance intime et perso
434 les sirènes annoncent l’approche des richesses de la terre. ⁂ Une connaissance intime et personnelle de ce que l’on appell
435 Une connaissance intime et personnelle de ce que l’ on appellera l’âme hollandaise, je doute qu’elle en apprenne au voyage
436 ce intime et personnelle de ce que l’on appellera l’ âme hollandaise, je doute qu’elle en apprenne au voyageur davantage qu
437 antage qu’une vision intense du paysage urbain de la Hollande. Tout ce que je sais de ce pays, après deux semaines de voya
438 voyage et une centaine de conversations, je puis le lire et le relire dans l’architecture d’Amsterdam, de Rotterdam, ou d
439 une centaine de conversations, je puis le lire et le relire dans l’architecture d’Amsterdam, de Rotterdam, ou des petites
440 conversations, je puis le lire et le relire dans l’ architecture d’Amsterdam, de Rotterdam, ou des petites cités du centre
441 cités du centre. Je vois côte à côte un palais de la Renaissance flamande, un hôtel du xviiie siècle, un gratte-ciel et d
442 formes ultramodernes, puis se perd peu à peu dans la campagne, par des courbes douces et nettes. Nul disparate en tout cel
443 ces et nettes. Nul disparate en tout cela : voilà le miracle hollandais. Je ne crois pas que la lumière fauve et le grenat
444 voilà le miracle hollandais. Je ne crois pas que la lumière fauve et le grenat des façades de briques renversées dans l’e
445 llandais. Je ne crois pas que la lumière fauve et le grenat des façades de briques renversées dans l’eau jaune des canaux
446 le grenat des façades de briques renversées dans l’ eau jaune des canaux suffisent à expliquer cette harmonie solide, luxu
447 xueusement nourrie de contrastes et de surprises. Le grand secret de ce pays, ce qu’il faut lire sur ces façades à la fois
448 ades à la fois patinées et toujours neuves, c’est la continuité d’une tradition et d’une volonté créatrice qui n’ont jamai
449 et d’une volonté créatrice qui n’ont jamais perdu la mesure de l’humain. Point de coupure ici, point de Révolution, point
450 nté créatrice qui n’ont jamais perdu la mesure de l’ humain. Point de coupure ici, point de Révolution, point de scission d
451 re ici, point de Révolution, point de scission de l’ Histoire et de la nation en deux camps longuement irréductibles et app
452 Révolution, point de scission de l’Histoire et de la nation en deux camps longuement irréductibles et appauvris chacun de
453 acun de tout ce que l’autre annexe. Ce mariage de l’ ancien et du moderne n’est pas seulement une réussite technique, une h
454 té si intérieure à chaque individu qu’elle permet la plus grande diversité dans les formes qui la manifestent. Quand je so
455 vidu qu’elle permet la plus grande diversité dans les formes qui la manifestent. Quand je songe à l’ennui, au désespoir qu’
456 rmet la plus grande diversité dans les formes qui la manifestent. Quand je songe à l’ennui, au désespoir qu’expriment les
457 s les formes qui la manifestent. Quand je songe à l’ ennui, au désespoir qu’expriment les quartiers ouvriers les plus moder
458 and je songe à l’ennui, au désespoir qu’expriment les quartiers ouvriers les plus modernes des villes allemandes, je compre
459 au désespoir qu’expriment les quartiers ouvriers les plus modernes des villes allemandes, je comprends, que dis-je : je vo
460 es allemandes, je comprends, que dis-je : je vois l’ opposition tragique dont cette guerre est sortie, et qui est celle des
461 t qui est celle des deux grandes conceptions de «  l’ ordre » qui se partagent notre Europe : harmonie intérieure ou uniform
462 ralisme ou totalitarisme. Je comprends et je vois le secret de la paix : c’est une victoire de tous les jours, et de chacu
463 talitarisme. Je comprends et je vois le secret de la paix : c’est une victoire de tous les jours, et de chacun, sur l’espr
464 le secret de la paix : c’est une victoire de tous les jours, et de chacun, sur l’esprit de laisser-aller d’où naissent les
465 une victoire de tous les jours, et de chacun, sur l’ esprit de laisser-aller d’où naissent les réactions désespérées, les m
466 acun, sur l’esprit de laisser-aller d’où naissent les réactions désespérées, les mises au pas brutalisantes et le triomphe
467 er-aller d’où naissent les réactions désespérées, les mises au pas brutalisantes et le triomphe des caporaux autodidactes e
468 ns désespérées, les mises au pas brutalisantes et le triomphe des caporaux autodidactes et simplificateurs. Les petits peu
469 phe des caporaux autodidactes et simplificateurs. Les petits peuples protestants de l’Europe ont réalisé ce miracle de l’éq
470 implificateurs. Les petits peuples protestants de l’ Europe ont réalisé ce miracle de l’équilibre entre l’Un et le Divers.
471 protestants de l’Europe ont réalisé ce miracle de l’ équilibre entre l’Un et le Divers. Ils ont la charge de créer les seul
472 t réalisé ce miracle de l’équilibre entre l’Un et le Divers. Ils ont la charge de créer les seules bases vivantes de la pa
473 e de l’équilibre entre l’Un et le Divers. Ils ont la charge de créer les seules bases vivantes de la paix. Ils ont la char
474 tre l’Un et le Divers. Ils ont la charge de créer les seules bases vivantes de la paix. Ils ont la charge de tout le xxe s
475 t la charge de créer les seules bases vivantes de la paix. Ils ont la charge de tout le xxe siècle. Mais nous reparlerons
476 éer les seules bases vivantes de la paix. Ils ont la charge de tout le xxe siècle. Mais nous reparlerons de toutes ces ch
477 es vivantes de la paix. Ils ont la charge de tout le xxe siècle. Mais nous reparlerons de toutes ces choses. Et de la Sui
478 Mais nous reparlerons de toutes ces choses. Et de la Suisse, telle qu’on la voit de loin, dans sa vérité séculaire. La dép
479 e toutes ces choses. Et de la Suisse, telle qu’on la voit de loin, dans sa vérité séculaire. La déprimante architecture de
480 qu’on la voit de loin, dans sa vérité séculaire. La déprimante architecture de notre Palais fédéral — où je termine ces n
481 ir. On dirait une école primaire démesurée. C’est le contraire de ce qui fonde nos vraies valeurs et notre raison d’être ;
482 nos vraies valeurs et notre raison d’être ; c’est l’ image même en pierre verdâtre, de ce qu’il nous faut combattre impitoy
483 nis de, « Billet d’aller et retour », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, décembre 1939, p. 190-191.
6 1946, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Beekman Place (octobre 1946)
484 Beekman Place (octobre 1946)g h Parallèle à l’ East-River dont la sépare une rangée d’hôtels particuliers à cinq étag
485 octobre 1946)g h Parallèle à l’East-River dont la sépare une rangée d’hôtels particuliers à cinq étages, cette rue très
486 fois ne portent pas de numéro et ne coupent point les avenues à angle droit. Hors-série, modèle de grand luxe, elle s’orne
487 grands portiers galonnés. Une buée bleue, pendant l’ été, emplit cet espace fermé par les hauts bâtiments de la 51e rue, en
488 bleue, pendant l’été, emplit cet espace fermé par les hauts bâtiments de la 51e rue, en brique vernie, tous luisants de fen
489 mplit cet espace fermé par les hauts bâtiments de la 51e rue, en brique vernie, tous luisants de fenêtres dépourvues d’orn
490 d’ornements. Beekman Place est un de ces lieux où l’ exilé s’écrie : « Mais c’est l’Europe ! » parce qu’il y trouve un char
491 un de ces lieux où l’exilé s’écrie : « Mais c’est l’ Europe ! » parce qu’il y trouve un charme, simplement. Mais quand je l
492 ’il y trouve un charme, simplement. Mais quand je la vois du haut de mon douzième étage, en enfilade, petite tranchée d’as
493 … Si je me retourne un peu sur ma terrasse, voici la perspective de l’East River jusqu’à Brooklyn. Un paysage immense de m
494 e un peu sur ma terrasse, voici la perspective de l’ East River jusqu’à Brooklyn. Un paysage immense de minéral et d’eau. L
495 Brooklyn. Un paysage immense de minéral et d’eau. La rivière, sillonnée de remorqueurs toussotants, luit d’un éclat d’étai
496 queurs toussotants, luit d’un éclat d’étain pâli. Les ponts immenses, vers Brooklyn, font une dentelle d’un kilomètre, tout
497 ont une dentelle d’un kilomètre, toute menue dans la distance. Cheminées, mâts, clochers, usines plates, basses, et réclam
498 es, basses, et réclames lumineuses en plein jour. Le seul vestige de nature — car l’eau même est canalisée — ce sont ces t
499 es en plein jour. Le seul vestige de nature — car l’ eau même est canalisée — ce sont ces trois îlots de granit noir couver
500 eux petits phares dont clignotent irrégulièrement le feu vert — cinq secondes de révolution — et le feu rouge — six ou sep
501 nt le feu vert — cinq secondes de révolution — et le feu rouge — six ou sept secondes. Tout ce qu’embrasse mon regard, tou
502 e mon regard, tout est fait de main d’homme, sauf les mouettes. Qu’on ne me parle plus des lois économiques et de leurs fat
503 miques et de leurs fatales réalités : car ce sont les réalités d’un monde tout artificiel que nous, les hommes, avons bâti
504 les réalités d’un monde tout artificiel que nous, les hommes, avons bâti selon nos caprices, nos passions et nos raisons fo
505 e paysage se transformerait. Si je me tourne vers le nord, je vois un monde de terrasses, du dixième au trentième étage du
506 xième au trentième étage du River Club, où vivent les milliardaires et les acteurs. Et tout près, ces jardins suspendus où
507 age du River Club, où vivent les milliardaires et les acteurs. Et tout près, ces jardins suspendus où circulent de jeunes f
508 es… Quelques jeunes gens viennent boire un verre, le soir. Un violoniste s’escrime à vingt reprises sur le deuxième Concer
509 artèlent ce Tchaïkovski qu’on entend siffler dans la rue… Je me souviens de ce que j’ai sous les yeux : je le vois déjà co
510 r dans la rue… Je me souviens de ce que j’ai sous les yeux : je le vois déjà comme je me le rappellerai, une fois de retour
511 Je me souviens de ce que j’ai sous les yeux : je le vois déjà comme je me le rappellerai, une fois de retour en Europe. J
512 j’ai sous les yeux : je le vois déjà comme je me le rappellerai, une fois de retour en Europe. J’en connais par avance la
513 fois de retour en Europe. J’en connais par avance la nostalgie. Le soir vient dans un luxe américain d’ocres, de roses, d’
514 en Europe. J’en connais par avance la nostalgie. Le soir vient dans un luxe américain d’ocres, de roses, d’argents et d’é
515 d’ocres, de roses, d’argents et d’éclats d’or sur les fenêtres des usines. Des fumées traînent, les ponts s’éteignent, le s
516 sur les fenêtres des usines. Des fumées traînent, les ponts s’éteignent, le sommet des gratte-ciel se met à luire sous la l
517 ines. Des fumées traînent, les ponts s’éteignent, le sommet des gratte-ciel se met à luire sous la lune, au-dessus des pre
518 nt, le sommet des gratte-ciel se met à luire sous la lune, au-dessus des premiers nuages. Une grande nuit s’ouvre au trava
519 t sors. Je me promène sur cette terrasse qui fait le tour de mes chambres blanches, posées sur le onzième étage et festonn
520 nzième étage et festonnées de tuiles provençales. La brique est chaude encore sous mes pieds nus. À ma hauteur, et un peu
521 un peu plus bas, et puis beaucoup plus bas, dans les buildings voisins séparés de ma terrasse par un gouffre profond mais
522 , en peignoir rose, ouvre son frigidaire, sort de la glace, ôte enfin le peignoir, il fait trop chaud. Des rires viennent
523 ouvre son frigidaire, sort de la glace, ôte enfin le peignoir, il fait trop chaud. Des rires viennent d’une terrasse obscu
524 asse obscure, un cliquetis de tiges de verre dans les highballs. Je rentre et j’aligne mes mots. Petits matins déjà doux de
525 s. Petits matins déjà doux des terrasses, moments les plus aigus de la vie, au jour qui point, quand toutes choses et les s
526 éjà doux des terrasses, moments les plus aigus de la vie, au jour qui point, quand toutes choses et les souvenirs d’hier c
527 la vie, au jour qui point, quand toutes choses et les souvenirs d’hier changent de poids et de millésime, quand les mouette
528 s d’hier changent de poids et de millésime, quand les mouettes éclosent du rocher, quand les premiers remorqueurs se metten
529 miers remorqueurs se mettent à souffler fort dans la brume d’été flottant sur la rivière… Une langue de lumière orangée vi
530 à souffler fort dans la brume d’été flottant sur la rivière… Une langue de lumière orangée vient râper doucement le crépi
531 e langue de lumière orangée vient râper doucement le crépi des murs bas, sur la terrasse toute voisine. Un autre jour, le
532 vient râper doucement le crépi des murs bas, sur la terrasse toute voisine. Un autre jour, le même amour, mais le cœur s’
533 as, sur la terrasse toute voisine. Un autre jour, le même amour, mais le cœur s’ouvre — l’aube est l’heure du pardon déliv
534 toute voisine. Un autre jour, le même amour, mais le cœur s’ouvre — l’aube est l’heure du pardon délivrant — et je me donn
535 autre jour, le même amour, mais le cœur s’ouvre — l’ aube est l’heure du pardon délivrant — et je me donne au jour américai
536 le même amour, mais le cœur s’ouvre — l’aube est l’ heure du pardon délivrant — et je me donne au jour américain ! Sur le
537 élivrant — et je me donne au jour américain ! Sur le grand fond sonore à bouche fermée des usines de l’autre rive, les sir
538 onore à bouche fermée des usines de l’autre rive, les sirènes des ferry-boats poussaient leur solo de désastre, de faux dés
539 tre, de faux désastre et d’appel commercial, dans le matin strident de l’East River. Un quadrimoteur argenté passait très
540 et d’appel commercial, dans le matin strident de l’ East River. Un quadrimoteur argenté passait très haut entre deux tours
541 r arroser au tuyau ses arbustes. Soudain, passant la tranche ocrée d’un bâtiment de trente étages, à mi-hauteur, sur la ri
542 d’un bâtiment de trente étages, à mi-hauteur, sur la rivière, une proue grise et ses canons glissait sans bruit, un énorme
543 ait sans bruit, un énorme croiseur défilait, tout l’ équipage en fête saluant New York d’adieux, filant pavois au vent vers
544 ant New York d’adieux, filant pavois au vent vers l’ Europe et la guerre… g. Rougemont Denis de, « Beekman Place », Bull
545 d’adieux, filant pavois au vent vers l’Europe et la guerre… g. Rougemont Denis de, « Beekman Place », Bulletin de la G
546 ougemont Denis de, « Beekman Place », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, octobre 1946, p. 243-245. h. Précédé de l
547 ausanne, octobre 1946, p. 243-245. h. Précédé de la note suivante : « Fragment du Journal des deux mondes qui paraîtra
548 gment du Journal des deux mondes qui paraîtra à la Guilde du Livre. »
7 1946, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Souvenir d’un orage en Virginie (novembre 1946)
549 plateaux onduleux et livrés aux chevaux, jusqu’à l’ horizon bleu des Appalaches. Pendant que nous roulons sur une route de
550 ns sur une route de campagne, au creux des haies, le ciel se couvre. « C’est là-haut, me dit-on, à mi-pente des coteaux. »
551 ngue pas encore cette maison célèbre, cachée dans les bosquets au bout d’une longue allée qui monte entre des barrières bla
552 ! C’est sa manière de se venger de J. car c’était la maison de ses ancêtres, à lui. Elle la déteste. Elle n’aime vraiment
553 ar c’était la maison de ses ancêtres, à lui. Elle la déteste. Elle n’aime vraiment que ses chevaux… » L’auto s’arrête deva
554 déteste. Elle n’aime vraiment que ses chevaux… » L’ auto s’arrête devant un haut portique. Deux colonnes blanches entre de
555 s du deuxième étage. Une odeur écœurante vient de la porte dont un battant s’entrouvre devant nous. Trois grands longs chi
556 e devant nous. Trois grands longs chiens sortent, le museau bas, et l’un vient vomir à nos pieds des morceaux de cire mal
557 eds des morceaux de cire mal mâchés. Une servante les poursuit armée d’une cravache. Elle crie qu’ils viennent encore de ma
558 vache. Elle crie qu’ils viennent encore de manger les bougies du carrosse de George Washington. (C’est une pièce de musée q
559 pièce de musée que nous allons voir, remisée sous la colonnade des écuries.) Nous pénétrons dans un vestibule sombre. La m
560 curies.) Nous pénétrons dans un vestibule sombre. La maîtresse de maison est sortie à cheval. Promenons-nous en l’attendan
561 de maison est sortie à cheval. Promenons-nous en l’ attendant. L’odeur des chiens imprègne les corridors. Dans un fumoir,
562 t sortie à cheval. Promenons-nous en l’attendant. L’ odeur des chiens imprègne les corridors. Dans un fumoir, à droite, en
563 -nous en l’attendant. L’odeur des chiens imprègne les corridors. Dans un fumoir, à droite, en contrebas, deux hommes en ves
564 whiskies, sans se déranger. Nous traversons toute la maison, puis une large galerie ouverte, encombrée de vieux meubles et
565 et là, des statues de faunes et de chiens gisent le nez dans l’herbe, près d’un socle brisé. Le pré s’élève et s’ouvre su
566 statues de faunes et de chiens gisent le nez dans l’ herbe, près d’un socle brisé. Le pré s’élève et s’ouvre sur la cour sa
567 isent le nez dans l’herbe, près d’un socle brisé. Le pré s’élève et s’ouvre sur la cour sablée des écuries. Celles-ci se d
568 s d’un socle brisé. Le pré s’élève et s’ouvre sur la cour sablée des écuries. Celles-ci se déploient en demi-cercle, ornée
569 une colonnade et d’un clocheton de brique portant l’ œil blanc d’un énorme cadran. Voici le carrosse de Washington, à l’aba
570 que portant l’œil blanc d’un énorme cadran. Voici le carrosse de Washington, à l’abandon. La peinture craquelée tombe par
571 énorme cadran. Voici le carrosse de Washington, à l’ abandon. La peinture craquelée tombe par morceaux, les coussins de vel
572 an. Voici le carrosse de Washington, à l’abandon. La peinture craquelée tombe par morceaux, les coussins de velours rouge
573 bandon. La peinture craquelée tombe par morceaux, les coussins de velours rouge sont moisis. Nous redescendons. Le ciel est
574 de velours rouge sont moisis. Nous redescendons. Le ciel est devenu noir. Du portique, entre les hautes colonnes blanches
575 dons. Le ciel est devenu noir. Du portique, entre les hautes colonnes blanches et ces ifs dramatiques, on domine un paysage
576 s. Soudain, un coup de vent violent a jeté contre la façade et nos visages un tourbillon de feuilles et de grosses gouttes
577 euilles et de grosses gouttes obliques. Entrée de l’ automne ! The Fall, la Chute, comme ils l’appellent… Premiers éclairs
578 gouttes obliques. Entrée de l’automne ! The Fall, la Chute, comme ils l’appellent… Premiers éclairs sur les prairies. Par
579 trée de l’automne ! The Fall, la Chute, comme ils l’ appellent… Premiers éclairs sur les prairies. Par la charmille, où il
580 hute, comme ils l’appellent… Premiers éclairs sur les prairies. Par la charmille, où il fait presque nuit — mais on devine
581 appellent… Premiers éclairs sur les prairies. Par la charmille, où il fait presque nuit — mais on devine encore quelques s
582 re quelques statues décapitées ou renversées dans les branchages — nous arrivons au coin d’un bâtiment de ferme. C’est le c
583 us arrivons au coin d’un bâtiment de ferme. C’est le chenil. Le parc s’arrête ici, et s’ouvrent les espaces de pâturages n
584 au coin d’un bâtiment de ferme. C’est le chenil. Le parc s’arrête ici, et s’ouvrent les espaces de pâturages nus, en pent
585 est le chenil. Le parc s’arrête ici, et s’ouvrent les espaces de pâturages nus, en pente douce. Très loin, en silhouette su
586 nus, en pente douce. Très loin, en silhouette sur la crête d’une colline, nous voyons deux chevaux au galop. Ils disparais
587 me. Comme ils s’approchent, on voit qu’elle tient la bride d’une main et de l’autre porte à sa bouche une pomme qu’elle mo
588 qu’elle mord en galopant. Nouveaux éclairs. Tous les chiens du chenil se sont mis à hurler ensemble. Est-ce l’orage ou l’a
589 s du chenil se sont mis à hurler ensemble. Est-ce l’ orage ou l’approche de leur maîtresse ? Les cavaliers ralentissent et
590 se sont mis à hurler ensemble. Est-ce l’orage ou l’ approche de leur maîtresse ? Les cavaliers ralentissent et s’arrêtent
591 Est-ce l’orage ou l’approche de leur maîtresse ? Les cavaliers ralentissent et s’arrêtent devant la barre du portail. Elle
592 ? Les cavaliers ralentissent et s’arrêtent devant la barre du portail. Elle pousse son cheval, le portail cède et lui livr
593 vant la barre du portail. Elle pousse son cheval, le portail cède et lui livre passage. C’est une grande femme bottée, sau
594 aît nu dans un fin sweater jaune. Elle rit, jette la pomme, et nous salue de la main. Le jeune homme mince, immobile sur s
595 jaune. Elle rit, jette la pomme, et nous salue de la main. Le jeune homme mince, immobile sur son cheval, nous considère a
596 le rit, jette la pomme, et nous salue de la main. Le jeune homme mince, immobile sur son cheval, nous considère avec hosti
597 r son cheval, nous considère avec hostilité. Il a les yeux d’un bleu très pâle et dur. Il n’a pas salué. Son silence nous s
598 alué. Son silence nous supprime. C’est sans doute le nouvel intendant. « Je vous retrouve à la maison ! », crie-t-elle. Et
599 s doute le nouvel intendant. « Je vous retrouve à la maison ! », crie-t-elle. Et, piquant son cheval, penchée sur l’encolu
600 crie-t-elle. Et, piquant son cheval, penchée sur l’ encolure, elle disparaît dans le tunnel de la charmille, tandis qu’une
601 eval, penchée sur l’encolure, elle disparaît dans le tunnel de la charmille, tandis qu’une meute de chiens de toutes les t
602 sur l’encolure, elle disparaît dans le tunnel de la charmille, tandis qu’une meute de chiens de toutes les tailles s’élan
603 harmille, tandis qu’une meute de chiens de toutes les tailles s’élance sur ses traces en aboyant. Au fond d’une pièce vaste
604 te lampe fait une flaque rose. « Je ne trouve pas les prises ! explique-t-elle, je ne mets jamais les pieds dans ce dégoûta
605 s les prises ! explique-t-elle, je ne mets jamais les pieds dans ce dégoûtant salon ! » Des éclairs illuminent longuement l
606 ûtant salon ! » Des éclairs illuminent longuement les meubles lourds, une bibliothèque, des boiseries. Le lustre enfin s’al
607 meubles lourds, une bibliothèque, des boiseries. Le lustre enfin s’allume par degrés. Elle court aux fenêtres et ferme av
608 intérieurs, en chêne clair, puis elle tire encore les rideaux. « Les orages me rendent folle, j’ai tellement peur, et vous 
609 chêne clair, puis elle tire encore les rideaux. «  Les orages me rendent folle, j’ai tellement peur, et vous ? Vous êtes mue
610 r, et vous ? Vous êtes muets ? Vous avez soif ? » Les coups de tonnerre se succèdent sans répit, et parfois les lumières va
611 s de tonnerre se succèdent sans répit, et parfois les lumières vacillent, baissent, remontent… Paraît dans la porte du fond
612 ières vacillent, baissent, remontent… Paraît dans la porte du fond un homme en veste de chasse qui tient des verres de whi
613 veste de chasse qui tient des verres de whisky à la main. Deux femmes blondes entrent et vont s’asseoir un peu à l’écart
614 femmes blondes entrent et vont s’asseoir un peu à l’ écart de notre groupe. Un autre homme apporte un plateau. On le renvoi
615 tre groupe. Un autre homme apporte un plateau. On le renvoie chercher des verres et des bouteilles. Qui sont ces gens ? El
616 outeilles. Qui sont ces gens ? Elle dit : « Je ne le sais pas plus que vous. Ils sont dans la maison depuis deux ou trois
617 « Je ne le sais pas plus que vous. Ils sont dans la maison depuis deux ou trois jours et se disent les amis de Jim. — Mai
618 la maison depuis deux ou trois jours et se disent les amis de Jim. — Mais où est Jim ? — Je ne sais pas ? Il est parti. » J
619 im ? — Je ne sais pas ? Il est parti. » Jim était l’ intendant, une sorte de géant toujours en bottes, qu’elle emmenait par
620 egard d’acier du jeune homme silencieux de tout à l’ heure. Des chiens se glissent entre les meubles, humides et tremblants
621 x de tout à l’heure. Des chiens se glissent entre les meubles, humides et tremblants. « Mais je ne sais pas recevoir ! dit-
622 peur… » — Eh bien ? m’ont demandé mes amis dans la voiture qui nous emporte sous la pluie, qu’en pensez-vous ? — J’ai pe
623 dé mes amis dans la voiture qui nous emporte sous la pluie, qu’en pensez-vous ? — J’ai pensé que, pour la première fois de
624 remière fois de ma vie, je me sens tenté d’écrire la suite du roman. i. Rougemont Denis de, « Souvenir d’un orage en Vi
625 « Souvenir d’un orage en Virginie », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, novembre 1946, p. 282-284.
8 1946, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Noël à New York (décembre 1946)
626 k (décembre 1946)j New York, 15 décembre 1945. Le 1er décembre au matin, la ruée vers les magasins s’est déclenchée dan
627 York, 15 décembre 1945. Le 1er décembre au matin, la ruée vers les magasins s’est déclenchée dans toute l’Amérique, inaugu
628 mbre 1945. Le 1er décembre au matin, la ruée vers les magasins s’est déclenchée dans toute l’Amérique, inaugurant officiell
629 uée vers les magasins s’est déclenchée dans toute l’ Amérique, inaugurant officiellement le Yuletide, la saison de Noël. No
630 dans toute l’Amérique, inaugurant officiellement le Yuletide, la saison de Noël. Nous sommes le 15 et les rayons de jouet
631 ’Amérique, inaugurant officiellement le Yuletide, la saison de Noël. Nous sommes le 15 et les rayons de jouets sont déjà p
632 ement le Yuletide, la saison de Noël. Nous sommes le 15 et les rayons de jouets sont déjà presque vides à New York. Cet an
633 Yuletide, la saison de Noël. Nous sommes le 15 et les rayons de jouets sont déjà presque vides à New York. Cet an de grâce
634 nnée 1945 se termine en pleine équivoque : est-ce la paix déjà ? La guerre encore ? Interférences de disette et de luxe, d
635 rmine en pleine équivoque : est-ce la paix déjà ? La guerre encore ? Interférences de disette et de luxe, d’appétits ranim
636 mertumes durables. Et Noël va tomber au milieu de l’ An Un d’une ère de paix profonde sur la plus grande menace de toute l’
637 milieu de l’An Un d’une ère de paix profonde sur la plus grande menace de toute l’Histoire. Les enfants, comme les gouver
638 paix profonde sur la plus grande menace de toute l’ Histoire. Les enfants, comme les gouvernements, demandent pour leur No
639 de sur la plus grande menace de toute l’Histoire. Les enfants, comme les gouvernements, demandent pour leur Noël de petites
640 de menace de toute l’Histoire. Les enfants, comme les gouvernements, demandent pour leur Noël de petites bombes atomiques.
641 re blessés sérieusement, en jouant à faire sauter le monde. Les trois Grands, à Moscou, seront-ils plus adroits dans ce mê
642 sérieusement, en jouant à faire sauter le monde. Les trois Grands, à Moscou, seront-ils plus adroits dans ce même jeu ? On
643 seront-ils plus adroits dans ce même jeu ? On ne le croirait pas, à les voir. Curieux trio : un loup déguisé en mouton et
644 roits dans ce même jeu ? On ne le croirait pas, à les voir. Curieux trio : un loup déguisé en mouton et deux moutons vêtus
645 ons vêtus de leur vraie peau. Mais rien n’empêche le Waldorf-Astoria d’annoncer que sa nuit de l’An « promet d’être la plu
646 êche le Waldorf-Astoria d’annoncer que sa nuit de l’ An « promet d’être la plus grande nuit de l’histoire de l’hôtel — à pa
647 ia d’annoncer que sa nuit de l’An « promet d’être la plus grande nuit de l’histoire de l’hôtel — à partir de $ 20 la place
648 it de l’An « promet d’être la plus grande nuit de l’ histoire de l’hôtel — à partir de $ 20 la place ». Nous fûmes hier che
649 romet d’être la plus grande nuit de l’histoire de l’ hôtel — à partir de $ 20 la place ». Nous fûmes hier chez Schwartz, gr
650 nuit de l’histoire de l’hôtel — à partir de $ 20 la place ». Nous fûmes hier chez Schwartz, grand magasin de jouets de la
651 suave, quelque chose qui ressemble à un modèle de la bombe atomique pour les enfants ? » La vendeuse ouvrit la bouche, pui
652 i ressemble à un modèle de la bombe atomique pour les enfants ? » La vendeuse ouvrit la bouche, puis ses yeux s’écarquillèr
653 modèle de la bombe atomique pour les enfants ? » La vendeuse ouvrit la bouche, puis ses yeux s’écarquillèrent largement :
654 atomique pour les enfants ? » La vendeuse ouvrit la bouche, puis ses yeux s’écarquillèrent largement : devant nous venait
655 visage anguleux et couvert de taches de rousseur, la tête serrée dans un foulard de soie rose feu. « Papa, me dit mon peti
656 rn ! » — « C’est moi ! », dit-elle en lui pinçant la joue, et la vendeuse nous planta là. Il neigeait sur la Cinquième Av
657 ’est moi ! », dit-elle en lui pinçant la joue, et la vendeuse nous planta là. Il neigeait sur la Cinquième Avenue, sur le
658 nta là. Il neigeait sur la Cinquième Avenue, sur les paquets enrubannés, sur les fourrures, sur l’arbre immense du Rockefe
659 Cinquième Avenue, sur les paquets enrubannés, sur les fourrures, sur l’arbre immense du Rockefeller Plaza, transporté avec
660 ur les paquets enrubannés, sur les fourrures, sur l’ arbre immense du Rockefeller Plaza, transporté avec toutes ses racines
661 sait. Des haut-parleurs répandaient sans relâche l’ Adeste Fideles et des carols transformés en jazz hot par les klaxons d
662 Fideles et des carols transformés en jazz hot par les klaxons d’interminables embarras de trafic. Aux vitrines triomphait l
663 ables embarras de trafic. Aux vitrines triomphait le rêve américain, le clinquant, l’irréel, le rose et le doré. Rêve d’en
664 rafic. Aux vitrines triomphait le rêve américain, le clinquant, l’irréel, le rose et le doré. Rêve d’enfance et d’innocenc
665 rines triomphait le rêve américain, le clinquant, l’ irréel, le rose et le doré. Rêve d’enfance et d’innocence universelle,
666 mphait le rêve américain, le clinquant, l’irréel, le rose et le doré. Rêve d’enfance et d’innocence universelle, bercé de
667 êve américain, le clinquant, l’irréel, le rose et le doré. Rêve d’enfance et d’innocence universelle, bercé de musiques no
668 ercé de musiques nostalgiques. Noël, ici, devient la fête du Bébé Cadum des réclames et non plus de cet Enfant vrai qui na
669 cet Enfant vrai qui naquit tant bien que mal dans la paille, sous le souffle d’un bœuf malodorant. Plus que dix jours pour
670 qui naquit tant bien que mal dans la paille, sous le souffle d’un bœuf malodorant. Plus que dix jours pour acquérir dans c
671 jours pour acquérir dans cette aimable bousculade la bonne conscience que représente une table de famille chargée de cadea
672 en souvenir du seul cadeau de paix jamais fait à l’ humanité ? Ou bien cette fièvre de rivaliser dans la dépense, en fin d
673 humanité ? Ou bien cette fièvre de rivaliser dans la dépense, en fin d’année, est-elle comme chez les primitifs une manièr
674 s la dépense, en fin d’année, est-elle comme chez les primitifs une manière de conjurer le sort et de se rendre l’an nouvea
675 comme chez les primitifs une manière de conjurer le sort et de se rendre l’an nouveau propice ? Plus que dix jours pour s
676 s une manière de conjurer le sort et de se rendre l’ an nouveau propice ? Plus que dix jours pour s’assurer une place dans
677 Plus que dix jours pour s’assurer une place dans le monde des familles, un droit à la chaleur des groupes. Et ceux qui se
678 une place dans le monde des familles, un droit à la chaleur des groupes. Et ceux qui seront laissés dehors, ceux qui n’ap
679 ppartiennent pas à une cellule sociale, formeront la foule de Times Square. Le coudoiement universel leur tiendra lieu d’i
680 lule sociale, formeront la foule de Times Square. Le coudoiement universel leur tiendra lieu d’intimité… Pour moi, j’irai
681 d’intimité… Pour moi, j’irai comme chaque année à la messe de minuit des protestants, dans la plus grande église gothique
682 année à la messe de minuit des protestants, dans la plus grande église gothique du monde, la Cathédrale de Saint-Jean-de-
683 ts, dans la plus grande église gothique du monde, la Cathédrale de Saint-Jean-de-Dieu, siège de l’évêque anglican de New Y
684 de, la Cathédrale de Saint-Jean-de-Dieu, siège de l’ évêque anglican de New York. Dix mille personnes y chanteront des caro
685 Dix mille personnes y chanteront des carols avant la procession du chœur et du clergé, précédée de porteurs de torches à l
686 r et du clergé, précédée de porteurs de torches à la Burne Jones. Et, comme chaque année, j’entendrai le Credo de Gretchan
687 Burne Jones. Et, comme chaque année, j’entendrai le Credo de Gretchaninov et le motet de Prætorius, Une rose est née… Et
688 ue année, j’entendrai le Credo de Gretchaninov et le motet de Prætorius, Une rose est née… Et je me dirai que l’Amérique n
689 e Prætorius, Une rose est née… Et je me dirai que l’ Amérique n’a pas encore très bien compris les traditions, parce qu’ell
690 i que l’Amérique n’a pas encore très bien compris les traditions, parce qu’elle les respecte un peu trop… Times Square, tou
691 e très bien compris les traditions, parce qu’elle les respecte un peu trop… Times Square, tous ses feux rallumés, semblera
692 lera célébrer un V Day, une nouvelle victoire sur le temps, comme si ce n’était pas lui qui gagne à tous les coups. Qu’app
693 mps, comme si ce n’était pas lui qui gagne à tous les coups. Qu’apportera cette fin d’année ? Un dernier speech de La Guard
694 pportera cette fin d’année ? Un dernier speech de La Guardia à la radio, révélant une dernière recette aux ménagères pour
695 e fin d’année ? Un dernier speech de La Guardia à la radio, révélant une dernière recette aux ménagères pour cuire la dind
696 ant une dernière recette aux ménagères pour cuire la dinde. Politicien rusé autant qu’honnête, gros petit homme à la face
697 ticien rusé autant qu’honnête, gros petit homme à la face de clown, Fiorello, la Fleurette ou le Chapeau, comme le peuple
698 e, gros petit homme à la face de clown, Fiorello, la Fleurette ou le Chapeau, comme le peuple l’a baptisé, saisissant la b
699 mme à la face de clown, Fiorello, la Fleurette ou le Chapeau, comme le peuple l’a baptisé, saisissant la baguette des main
700 lown, Fiorello, la Fleurette ou le Chapeau, comme le peuple l’a baptisé, saisissant la baguette des mains du chef dirigera
701 ello, la Fleurette ou le Chapeau, comme le peuple l’ a baptisé, saisissant la baguette des mains du chef dirigera pour la d
702 Chapeau, comme le peuple l’a baptisé, saisissant la baguette des mains du chef dirigera pour la dernière fois l’orchestre
703 des mains du chef dirigera pour la dernière fois l’ orchestre ou la fanfare d’un grand meeting. Sur le coup de minuit, le
704 hef dirigera pour la dernière fois l’orchestre ou la fanfare d’un grand meeting. Sur le coup de minuit, le 31 décembre, no
705 l’orchestre ou la fanfare d’un grand meeting. Sur le coup de minuit, le 31 décembre, nous perdrons le meilleur maire de Ne
706 anfare d’un grand meeting. Sur le coup de minuit, le 31 décembre, nous perdrons le meilleur maire de New York. Tammany rev
707 le coup de minuit, le 31 décembre, nous perdrons le meilleur maire de New York. Tammany reviendra au pouvoir. Et Roosevel
708 uvoir. Et Roosevelt n’est pas remplacé… Et toutes les utopies prévues par l’avant-guerre entreront dans la voie des réalisa
709 t pas remplacé… Et toutes les utopies prévues par l’ avant-guerre entreront dans la voie des réalisations. Déjà l’on met en
710 utopies prévues par l’avant-guerre entreront dans la voie des réalisations. Déjà l’on met en vente la « bicyclette du ciel
711 rre entreront dans la voie des réalisations. Déjà l’ on met en vente la « bicyclette du ciel », un petit avion de 1000 doll
712 la voie des réalisations. Déjà l’on met en vente la « bicyclette du ciel », un petit avion de 1000 dollars. Déjà les banq
713 e du ciel », un petit avion de 1000 dollars. Déjà les banques de Buffalo ouvrent des guichets extérieurs où l’on peut dépos
714 ues de Buffalo ouvrent des guichets extérieurs où l’ on peut déposer de l’argent sans descendre de sa voiture. Déjà les bic
715 t des guichets extérieurs où l’on peut déposer de l’ argent sans descendre de sa voiture. Déjà les biches et les daims sont
716 er de l’argent sans descendre de sa voiture. Déjà les biches et les daims sont amenés dans les forêts de chasse au moyen de
717 sans descendre de sa voiture. Déjà les biches et les daims sont amenés dans les forêts de chasse au moyen de taxis aériens
718 re. Déjà les biches et les daims sont amenés dans les forêts de chasse au moyen de taxis aériens. Déjà la télévision en cou
719 forêts de chasse au moyen de taxis aériens. Déjà la télévision en couleurs prouve qu’elle ne le cède en rien à la photogr
720 Déjà la télévision en couleurs prouve qu’elle ne le cède en rien à la photographie pour « le brillant et la précision du
721 n en couleurs prouve qu’elle ne le cède en rien à la photographie pour « le brillant et la précision du détail », qualités
722 ’elle ne le cède en rien à la photographie pour «  le brillant et la précision du détail », qualités préférées de l’América
723 e en rien à la photographie pour « le brillant et la précision du détail », qualités préférées de l’Américain. Déjà l’on n
724 t la précision du détail », qualités préférées de l’ Américain. Déjà l’on nous annonce de Hollywood un superfilm sur la bom
725 détail », qualités préférées de l’Américain. Déjà l’ on nous annonce de Hollywood un superfilm sur la bombe atomique, où le
726 à l’on nous annonce de Hollywood un superfilm sur la bombe atomique, où le love interest ne manquera pas ; cependant que d
727 Hollywood un superfilm sur la bombe atomique, où le love interest ne manquera pas ; cependant que déjà le New Yorker se m
728 ove interest ne manquera pas ; cependant que déjà le New Yorker se moque des clichés à la mode au sujet de cette invention
729 ant que déjà le New Yorker se moque des clichés à la mode au sujet de cette invention « qui signifie la fin de l’humanité
730 a mode au sujet de cette invention « qui signifie la fin de l’humanité ou l’aube d’un âge d’or » à votre choix. Déjà, le S
731 sujet de cette invention « qui signifie la fin de l’ humanité ou l’aube d’un âge d’or » à votre choix. Déjà, le Syndicat de
732 invention « qui signifie la fin de l’humanité ou l’ aube d’un âge d’or » à votre choix. Déjà, le Syndicat des ouvriers de
733 té ou l’aube d’un âge d’or » à votre choix. Déjà, le Syndicat des ouvriers de l’industrie automobile offre à Ford un contr
734 à votre choix. Déjà, le Syndicat des ouvriers de l’ industrie automobile offre à Ford un contrat collectif qui le protéger
735 automobile offre à Ford un contrat collectif qui le protégera, lui le patron, contre les grèves irrégulières. Car la forc
736 à Ford un contrat collectif qui le protégera, lui le patron, contre les grèves irrégulières. Car la force et l’initiative
737 collectif qui le protégera, lui le patron, contre les grèves irrégulières. Car la force et l’initiative ont changé de camp,
738 ui le patron, contre les grèves irrégulières. Car la force et l’initiative ont changé de camp, et les vainqueurs se montre
739 , contre les grèves irrégulières. Car la force et l’ initiative ont changé de camp, et les vainqueurs se montrent généreux.
740 r la force et l’initiative ont changé de camp, et les vainqueurs se montrent généreux. Et déjà les pasteurs et les prêtres
741 , et les vainqueurs se montrent généreux. Et déjà les pasteurs et les prêtres se préparent à parler du message de Noël aux
742 urs se montrent généreux. Et déjà les pasteurs et les prêtres se préparent à parler du message de Noël aux « hommes de bonn
743 ec M. Romains une grave erreur de traduction. Car l’ Évangile dans le texte original dit simplement : « Paix sur la terre,
744 e grave erreur de traduction. Car l’Évangile dans le texte original dit simplement : « Paix sur la terre, bonne volonté (d
745 ans le texte original dit simplement : « Paix sur la terre, bonne volonté (de Dieu) envers les hommes ». Est-il besoin de
746 Paix sur la terre, bonne volonté (de Dieu) envers les hommes ». Est-il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine e
747 é (de Dieu) envers les hommes ». Est-il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre end
748 . Est-il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre endémique dans tout l’Orient, et d
749 et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre endémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la peur
750 e européenne, et de la guerre endémique dans tout l’ Orient, et de la méfiance et de la peur réciproques qui président aux
751 de la guerre endémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la peur réciproques qui président aux rapports des nat
752 mique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la peur réciproques qui président aux rapports des nations, et de l’anti
753 ues qui président aux rapports des nations, et de l’ antisémitisme, et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l’E
754 apports des nations, et de l’antisémitisme, et de l’ antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l’Europe, pour que nous co
755 de l’antisémitisme, et de l’antisoviétisme, et de l’ antiaméricanisme de l’Europe, pour que nous comprenions que les hommes
756 de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l’ Europe, pour que nous comprenions que les hommes ont fort peu de bonne
757 anisme de l’Europe, pour que nous comprenions que les hommes ont fort peu de bonne volonté ? La plupart sont involontaires.
758 nt que subir leur condition. À Times Square, dans la foule compacte et lente, dans la rumeur assourdissante des petites tr
759 mes Square, dans la foule compacte et lente, dans la rumeur assourdissante des petites trompettes de foire et des crécelle
760 tes trompettes de foire et des crécelles, GI Joe, le combattant moyen, se dira : « Well, c’était donc pour tout cela… »
761 gemont Denis de, « Noël à New York », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, décembre 1946, p. 295-296.
9 1947, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Slums (janvier 1947)
762 Slums (janvier 1947)k l La 75e rue n’a rien de particulier. Elle part luxueusement de la Cinquiè
763 enue et de Central Park, traverse en direction de l’ est de beaux quartiers gris clair d’un gothique sobre et astiqué, chan
764 n Avenue, perd toute tenue dès qu’elle a traversé les piliers du métro aérien qui longe encore la Troisième Avenue, s’anime
765 piers sales, pour s’ouvrir enfin toute béante sur les fumées de l’East River, au terme d’un parcours rectiligne d’un kilomè
766 our s’ouvrir enfin toute béante sur les fumées de l’ East River, au terme d’un parcours rectiligne d’un kilomètre et demi,
767 ilomètre et demi, sans changer de largeur. (Seuls les trottoirs se rétrécissent.) Cette rue, comme cent autres pareilles, f
768 , comme cent autres pareilles, fait voir en coupe la société américaine. C’est une coupe mégaloscopique — le contraire de
769 iété américaine. C’est une coupe mégaloscopique — le contraire de microscopique — permettant l’examen à l’œil nu. Décrivon
770 ique — le contraire de microscopique — permettant l’ examen à l’œil nu. Décrivons sa partie inférieure. La rue huileuse, p
771 ontraire de microscopique — permettant l’examen à l’ œil nu. Décrivons sa partie inférieure. La rue huileuse, parsemée de
772 amen à l’œil nu. Décrivons sa partie inférieure. La rue huileuse, parsemée de vieilles lettres, de bouts de bois et d’écl
773 tas de neige noircissent au rebord des trottoirs. Les enfants qui ne jouent plus à la balle parce que la nuit vient de desc
774 d des trottoirs. Les enfants qui ne jouent plus à la balle parce que la nuit vient de descendre — depuis cinq ans que je c
775 s enfants qui ne jouent plus à la balle parce que la nuit vient de descendre — depuis cinq ans que je circule dans cette v
776 mmenses cartonnages goudronnés. Flammes gaies sur le couchant rose et fuligineux, en rectangle au bout de la rue, légèreme
777 chant rose et fuligineux, en rectangle au bout de la rue, légèrement mordue par la silhouette des escaliers de sauvetage.
778 ectangle au bout de la rue, légèrement mordue par la silhouette des escaliers de sauvetage. Ces grands seaux à ordures en
779 ment ou mal vidés dans ce quartier, débordent sur la neige entre les escaliers de quatre marches qui conduisent aux portes
780 és dans ce quartier, débordent sur la neige entre les escaliers de quatre marches qui conduisent aux portes d’entrée. Porte
781 nds où deux personnes peuvent à peine se croiser. L’ angoisse me prend chaque fois que j’y pénètre. (Rappel inconscient de
782 aque fois que j’y pénètre. (Rappel inconscient de la naissance, me dirait un psychanalyste.) Les boîtes à lettres portent
783 ent de la naissance, me dirait un psychanalyste.) Les boîtes à lettres portent des noms en cek, nous sommes dans le quartie
784 lettres portent des noms en cek, nous sommes dans le quartier slovaque. Je gravis l’escalier jusqu’au troisième. La porte
785 nous sommes dans le quartier slovaque. Je gravis l’ escalier jusqu’au troisième. La porte donne dans la cuisine. En face d
786 lovaque. Je gravis l’escalier jusqu’au troisième. La porte donne dans la cuisine. En face du fourneau à charbon, qui est c
787 ’escalier jusqu’au troisième. La porte donne dans la cuisine. En face du fourneau à charbon, qui est censé chauffer l’appa
788 ace du fourneau à charbon, qui est censé chauffer l’ appartement, une espèce de baignoire couverte et fort étroite se dress
789 faudrait monter sur une chaise pour y entrer. De la cuisine, on passe par une baie sans porte dans le front room, qui don
790 la cuisine, on passe par une baie sans porte dans le front room, qui donne sur la rue. De l’autre côté de la cuisine, deux
791 baie sans porte dans le front room, qui donne sur la rue. De l’autre côté de la cuisine, deux petites chambres sans fenêtr
792 nt room, qui donne sur la rue. De l’autre côté de la cuisine, deux petites chambres sans fenêtres ni portes, suivies d’une
793 portes, suivies d’une autre pièce plus large sur la cour. Ce logis, qui n’est guère qu’un corridor légèrement cloisonné,
794 ’un corridor légèrement cloisonné, s’annonce dans les journaux : « cinq pièces, eau chaude et bains ». Il existe dans Manha
795 reliées par deux ou trois alvéoles aveugles. Tout l’ East Side populaire est ainsi, sur une vingtaine de kilomètres. Je me
796 , sur une vingtaine de kilomètres. Je me penche à la fenêtre, au-dessus de la cour. Le sol est jonché de plâtras, de journ
797 lomètres. Je me penche à la fenêtre, au-dessus de la cour. Le sol est jonché de plâtras, de journaux, de chiffons qui boug
798 Je me penche à la fenêtre, au-dessus de la cour. Le sol est jonché de plâtras, de journaux, de chiffons qui bougent, ou c
799 sont peut-être des chats. Des cordes tendues sur l’ abîme supportent des lessives et de grands draps claquants. Du haut en
800 . Du haut en bas des façades de brique zigzaguent les noirs escaliers de sauvetage. Dans un sous-sol violemment éclairé, je
801 se femme en peignoir qui se farde à gestes menus. Le concierge irlandais hurle dans l’escalier. Des enfants pleurent parmi
802 à gestes menus. Le concierge irlandais hurle dans l’ escalier. Des enfants pleurent parmi les radios nostalgiques, des fenê
803 hurle dans l’escalier. Des enfants pleurent parmi les radios nostalgiques, des fenêtres s’allument et s’éteignent. On peut
804 ais dans un cadre strictement rectangulaire. Tous les objets qu’on voit sont des rectangles, à part les chiffons et les cha
805 les objets qu’on voit sont des rectangles, à part les chiffons et les chats. Les façades, hauts rectangles troués de lumièr
806 voit sont des rectangles, à part les chiffons et les chats. Les façades, hauts rectangles troués de lumières et de scènes
807 des rectangles, à part les chiffons et les chats. Les façades, hauts rectangles troués de lumières et de scènes du soir, s’
808 t de scènes du soir, s’étagent en silhouettes sur le ciel rouge. Une radio clame Amapola, plus fort que tout, dans la cour
809 Une radio clame Amapola, plus fort que tout, dans la cour où les draps au vent font de grands gestes frénétiques. New York
810 lame Amapola, plus fort que tout, dans la cour où les draps au vent font de grands gestes frénétiques. New York possède aus
811 ew York possède aussi deux-cents gratte-ciel pour les bureaux, et quelques belles avenues de résidences pour les directeurs
812 ux, et quelques belles avenues de résidences pour les directeurs de bureaux. C’est ce qu’on en voit de l’étranger. k. Ro
813 directeurs de bureaux. C’est ce qu’on en voit de l’ étranger. k. Rougemont Denis de, « Slums », Bulletin de la Guilde d
814 k. Rougemont Denis de, « Slums », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, janvier 1947, p. 15-16. l. Précédé de la
815 Lausanne, janvier 1947, p. 15-16. l. Précédé de la note suivante : « Extrait du Journal des deux mondes . »
10 1947, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Consolation à Me Duperrier sur un procès perdu (décembre 1947)
816 Ta douleur, du Périer, sera donc éternelle ? Et les tristes discours… … Est-ce quelque dédale où ta raison perdue Ne se r
817 e se retrouve pas ? Malherbe Différence entre les Accusations et les Calomnies. On ne peut donner aux gardiens de la li
818 Malherbe Différence entre les Accusations et les Calomnies. On ne peut donner aux gardiens de la liberté d’un État un
819 les Calomnies. On ne peut donner aux gardiens de la liberté d’un État un droit plus utile et plus nécessaire que celui de
820 essaire que celui de pouvoir accuser, soit devant le peuple, soit devant un magistrat ou tribunal quelconque, les citoyens
821 soit devant un magistrat ou tribunal quelconque, les citoyens qui auraient commis un délit contre cette liberté… Mais auta
822 cusations sont utiles dans une république, autant les calomnies sont dangereuses et sans but… On accuse les citoyens devant
823 calomnies sont dangereuses et sans but… On accuse les citoyens devant les magistrats, on les calomnie sur les places publiq
824 reuses et sans but… On accuse les citoyens devant les magistrats, on les calomnie sur les places publiques, dans les assemb
825 On accuse les citoyens devant les magistrats, on les calomnie sur les places publiques, dans les assemblées particulières.
826 toyens devant les magistrats, on les calomnie sur les places publiques, dans les assemblées particulières. Machiavel : Dis
827 s, on les calomnie sur les places publiques, dans les assemblées particulières. Machiavel : Discours sur la Première Décad
828 ade de Tite-Live, chap. VII. Une accusation Le 13 novembre 1947, on pouvait lire dans notre presse de copieux compte
829 re dans notre presse de copieux comptes rendus de la plaidoirie prononcée par Me Duperrier lors du procès de son client Ge
830 rocès de son client Georges Oltramare. Ainsi dans la Gazette de Lausanne  : Un rapprochement surprenant Me Duperrier, br
831 approchement surprenant Me Duperrier, brandissant le livre de Denis de Rougemont, Journal des deux mondes , se lance alor
832 dans une accusation qui ne laisse pas de susciter l’ étonnement de l’auditoire. Après s’être livré à quelques persiflages d
833 ion qui ne laisse pas de susciter l’étonnement de l’ auditoire. Après s’être livré à quelques persiflages de fort mauvais g
834 quelques persiflages de fort mauvais goût contre l’ écrivain neuchâtelois auquel il décerne faussement le titre de corresp
835 crivain neuchâtelois auquel il décerne faussement le titre de correspondant attitré de notre journal, il lit à la cour l’a
836 correspondant attitré de notre journal, il lit à la cour l’admirable morceau que de Rougemont a dédié à Paris envahi par
837 ondant attitré de notre journal, il lit à la cour l’ admirable morceau que de Rougemont a dédié à Paris envahi par les Alle
838 rceau que de Rougemont a dédié à Paris envahi par les Allemands et qui, paru dans la Gazette en juin 1940, lui valut une sa
839 Paris envahi par les Allemands et qui, paru dans la Gazette en juin 1940, lui valut une sanction de la censure. L’écrivai
840 a Gazette en juin 1940, lui valut une sanction de la censure. L’écrivain ayant quitté peu après la Suisse pour les États-U
841 juin 1940, lui valut une sanction de la censure. L’ écrivain ayant quitté peu après la Suisse pour les États-Unis, l’avoca
842 de la censure. L’écrivain ayant quitté peu après la Suisse pour les États-Unis, l’avocat se croit dès lors fondé à assimi
843 L’écrivain ayant quitté peu après la Suisse pour les États-Unis, l’avocat se croit dès lors fondé à assimiler sa situation
844 t quitté peu après la Suisse pour les États-Unis, l’ avocat se croit dès lors fondé à assimiler sa situation à celle de son
845 deux hommes ont pris ensuite des chemins opposés, le départ est le même », affirme l’avocat qui cite longuement les passag
846 t pris ensuite des chemins opposés, le départ est le même », affirme l’avocat qui cite longuement les passages où Denis de
847 chemins opposés, le départ est le même », affirme l’ avocat qui cite longuement les passages où Denis de Rongement relate s
848 t le même », affirme l’avocat qui cite longuement les passages où Denis de Rongement relate son activité d’homme de lettres
849 ongement relate son activité d’homme de lettres à la radio américaine. J’ai l’honneur, M. le procureur général, s’écrie Me
850 té d’homme de lettres à la radio américaine. J’ai l’ honneur, M. le procureur général, s’écrie Me Duperrier, de me faire ic
851 lettres à la radio américaine. J’ai l’honneur, M. le procureur général, s’écrie Me Duperrier, de me faire ici le dénonciat
852 ur général, s’écrie Me Duperrier, de me faire ici le dénonciateur de Denis de Rougemont. et dans la Feuille d’Avis de Neu
853 i le dénonciateur de Denis de Rougemont. et dans la Feuille d’Avis de Neuchâtel : Les plaidoiries au procès Oltramare :
854 emont. et dans la Feuille d’Avis de Neuchâtel : Les plaidoiries au procès Oltramare : où il est question de Denis de Roug
855 ramare : où il est question de Denis de Rougemont L’ avocat fait ensuite un parallèle entre l’attitude de son client et cel
856 ougemont L’avocat fait ensuite un parallèle entre l’ attitude de son client et celle de l’écrivain Denis de Rougemont qui,
857 allèle entre l’attitude de son client et celle de l’ écrivain Denis de Rougemont qui, constate le défenseur d’Oltramare, es
858 le de l’écrivain Denis de Rougemont qui, constate le défenseur d’Oltramare, est allé se mettre au service de la BBO. Il se
859 eur d’Oltramare, est allé se mettre au service de la BBO. Il se demande si, ce faisant, Denis de Rougemont n’a pas mis la
860 de si, ce faisant, Denis de Rougemont n’a pas mis la sécurité du pays en danger. Une calomnie Peu de temps auparava
861 ger. Une calomnie Peu de temps auparavant, les Éditions Fontaine, à Paris, avaient publié le recueil des conférences
862 t, les Éditions Fontaine, à Paris, avaient publié le recueil des conférences prononcées l’hiver dernier en Sorbonne sous l
863 ient publié le recueil des conférences prononcées l’ hiver dernier en Sorbonne sous les auspices de l’Unesco. À la page 100
864 ences prononcées l’hiver dernier en Sorbonne sous les auspices de l’Unesco. À la page 100 de ce recueil, M. Aragon déclare
865 l’hiver dernier en Sorbonne sous les auspices de l’ Unesco. À la page 100 de ce recueil, M. Aragon déclare que je n’ai « j
866 nier en Sorbonne sous les auspices de l’Unesco. À la page 100 de ce recueil, M. Aragon déclare que je n’ai « jamais cessé
867 nce », et il insinue que si j’attaque aujourd’hui le nationalisme, c’est pour mieux « passer sous silence l’hitlérisme ».
868 ionalisme, c’est pour mieux « passer sous silence l’ hitlérisme ». Qui croire ? Ainsi donc, selon Me Duperrier, j’ai
869 e ? Ainsi donc, selon Me Duperrier, j’ai passé le temps de la guerre à « mettre en danger la sécurité de mon pays », et
870 donc, selon Me Duperrier, j’ai passé le temps de la guerre à « mettre en danger la sécurité de mon pays », et cela par mo
871 passé le temps de la guerre à « mettre en danger la sécurité de mon pays », et cela par mon activité antinazie, tandis qu
872 nazie, tandis que, d’après Aragon, j’aurais passé le même temps à « passer sous silence » le nazisme et l’antisémitisme, e
873 ais passé le même temps à « passer sous silence » le nazisme et l’antisémitisme, et cela pour publier mes livres sous Vich
874 ême temps à « passer sous silence » le nazisme et l’ antisémitisme, et cela pour publier mes livres sous Vichy, c’est-à-dir
875 tribunal, a brandi ses preuves : mon Journal dans l’ édition reliée de la Guilde. Tandis que M. Aragon, devant une « assemb
876 es preuves : mon Journal dans l’édition reliée de la Guilde. Tandis que M. Aragon, devant une « assemblée particulière »,
877 Avec Tite-Live et son commentateur, je suis pour les accusations mais contre les calomnies, parce que je suis pour la libe
878 ntateur, je suis pour les accusations mais contre les calomnies, parce que je suis pour la liberté qui est du courage mais
879 mais contre les calomnies, parce que je suis pour la liberté qui est du courage mais contre la licence qui est du fanatism
880 is pour la liberté qui est du courage mais contre la licence qui est du fanatisme, ou de la lâcheté, ou simplement (reston
881 ais contre la licence qui est du fanatisme, ou de la lâcheté, ou simplement (restons courtois) de l’étourderie. Où je m
882 e la lâcheté, ou simplement (restons courtois) de l’ étourderie. Où je me vois sommé de répondre Lorsque j’ai lu de q
883 vois sommé de répondre Lorsque j’ai lu de quoi l’ on accusait Georges Oltramare, quelques jours avant son procès, je me
884 me suis dit, songeant à ma propre action pendant la guerre : « Quel curieux parallèle et quel joli contraste ! Se trouver
885 joli contraste ! Se trouvera-t-il quelqu’un pour les relever ? » Et puis les circonstances de ma vie ne m’ont plus laissé
886 uvera-t-il quelqu’un pour les relever ? » Et puis les circonstances de ma vie ne m’ont plus laissé le loisir d’y penser, ni
887 les circonstances de ma vie ne m’ont plus laissé le loisir d’y penser, ni même de bien lire les journaux. Mais voici ce m
888 laissé le loisir d’y penser, ni même de bien lire les journaux. Mais voici ce matin sur mon bureau une de ces lettres-éclai
889 une de ces lettres-éclair de notre directeur : «  Les journalistes, dit-il, m’accablent de téléphones et dérangent mon trav
890 emander mon opinion sur cette affaire… » Il joint l’ extrait de la Gazette qu’on vient de lire et m’enjoint de « saisir l
891 pinion sur cette affaire… » Il joint l’extrait de la Gazette qu’on vient de lire et m’enjoint de « saisir l’occasion d’u
892 tte qu’on vient de lire et m’enjoint de « saisir l’ occasion d’un papier ». Si je comprends bien, il veut sa paix, et me l
893 je comprends bien, il veut sa paix, et me laisse le soin de répondre aux téléphones. OK ! disent les Américains. Pendant
894 e le soin de répondre aux téléphones. OK ! disent les Américains. Pendant qu’il administre, amusons-nous. Où je réponds
895 ministre, amusons-nous. Où je réponds Voici le raisonnement qu’a tenu devant la cour le bouillant Me Duperrier : — R
896 réponds Voici le raisonnement qu’a tenu devant la cour le bouillant Me Duperrier : — Rougemont s’est mis au service d’u
897 Voici le raisonnement qu’a tenu devant la cour le bouillant Me Duperrier : — Rougemont s’est mis au service d’une propa
898 pagande étrangère, comme Oltramare ; il a parlé à la radio, comme Oltramare ; et hors de Suisse, comme Oltramare encore. L
899 mare ; et hors de Suisse, comme Oltramare encore. Les deux cas étant identiques, il faut donc condamner Rougemont, mais il
900 n est pas un, mais combine deux absurdités. 1. Si l’ on admet avec cet avocat que j’ai vraiment agi comme son client, l’alt
901 et avocat que j’ai vraiment agi comme son client, l’ alternative est la suivante : ou bien je suis coupable, mais alors Olt
902 vraiment agi comme son client, l’alternative est la suivante : ou bien je suis coupable, mais alors Oltramare l’est aussi
903  : ou bien je suis coupable, mais alors Oltramare l’ est aussi, la plaidoirie devient un réquisitoire, et l’avocat fait une
904 suis coupable, mais alors Oltramare l’est aussi, la plaidoirie devient un réquisitoire, et l’avocat fait une drôle de fig
905 aussi, la plaidoirie devient un réquisitoire, et l’ avocat fait une drôle de figure. Ou bien il faut acquitter Oltramare,
906 ce discours retombe à plat, et notre avocat perd la face. 2. Mais où est l’homme sain d’esprit qui peut admettre que j’a
907 at, et notre avocat perd la face. 2. Mais où est l’ homme sain d’esprit qui peut admettre que j’aie vraiment agi comme Olt
908 ie vraiment agi comme Oltramare ? Nous avons tous les deux écrit pour la radio, hors de Suisse, sur la politique. Soit. Mai
909 e Oltramare ? Nous avons tous les deux écrit pour la radio, hors de Suisse, sur la politique. Soit. Mais un avocat qui veu
910 les deux écrit pour la radio, hors de Suisse, sur la politique. Soit. Mais un avocat qui veut s’en tenir à la seule ressem
911 tique. Soit. Mais un avocat qui veut s’en tenir à la seule ressemblance des mots tombe dans le calembour juridique. Car il
912 tenir à la seule ressemblance des mots tombe dans le calembour juridique. Car il est vrai que les deux cas s’énoncent et s
913 dans le calembour juridique. Car il est vrai que les deux cas s’énoncent et se prononcent de même, mais par ce procédé l’o
914 ent et se prononcent de même, mais par ce procédé l’ on pourrait accuser la ville de Lyon des méfaits d’un lion du désert,
915 e même, mais par ce procédé l’on pourrait accuser la ville de Lyon des méfaits d’un lion du désert, et Malherbe d’avoir co
916 consolé Duperrier — celui qui a perdu son procès. La seule question sérieuse qui se posait, notre avocat s’est bien gardé
917 e qui se posait, notre avocat s’est bien gardé de la formuler : c’est celle du contenu des émissions. Oltramare a parlé en
918 nazis, ennemis jurés de toute démocratie, donc de la Suisse. J’écrivais contre les nazis, pour les démocraties, donc pour
919 démocratie, donc de la Suisse. J’écrivais contre les nazis, pour les démocraties, donc pour la Suisse. Il en résulte à l’é
920 c de la Suisse. J’écrivais contre les nazis, pour les démocraties, donc pour la Suisse. Il en résulte à l’évidence que je f
921 contre les nazis, pour les démocraties, donc pour la Suisse. Il en résulte à l’évidence que je faisais en Amérique exactem
922 démocraties, donc pour la Suisse. Il en résulte à l’ évidence que je faisais en Amérique exactement le contraire d’Oltramar
923 l’évidence que je faisais en Amérique exactement le contraire d’Oltramare à Paris. Si Me Duperrier ne sent pas la différe
924 d’Oltramare à Paris. Si Me Duperrier ne sent pas la différence, essayons de l’éclairer par une fable. Fable J’ai ta
925 Duperrier ne sent pas la différence, essayons de l’ éclairer par une fable. Fable J’ai tant et si bien parlé à la ra
926 e fable. Fable J’ai tant et si bien parlé à la radio américaine, qu’à la fin les nazis ont occupé la Suisse. Voilà c
927 tant et si bien parlé à la radio américaine, qu’à la fin les nazis ont occupé la Suisse. Voilà ce que c’est ! On m’y ramèn
928 si bien parlé à la radio américaine, qu’à la fin les nazis ont occupé la Suisse. Voilà ce que c’est ! On m’y ramène sous b
929 adio américaine, qu’à la fin les nazis ont occupé la Suisse. Voilà ce que c’est ! On m’y ramène sous bonne escorte. Le Gau
930 ce que c’est ! On m’y ramène sous bonne escorte. Le Gauleiter, un nommé Oltramare, me fait emprisonner, puis juger sommai
931 ond que ça ne prend pas, que j’ai fait exactement le contraire. On me fusille et on le pend d’office. Fin de la douleur de
932 fait exactement le contraire. On me fusille et on le pend d’office. Fin de la douleur de Duperrier. Mais voilà… Les
933 ire. On me fusille et on le pend d’office. Fin de la douleur de Duperrier. Mais voilà… Les Américains ont gagné la g
934 Fin de la douleur de Duperrier. Mais voilà… Les Américains ont gagné la guerre. La Suisse subsiste, intacte et libre.
935 rrier. Mais voilà… Les Américains ont gagné la guerre. La Suisse subsiste, intacte et libre. On n’a pas fusillé Oltr
936 ais voilà… Les Américains ont gagné la guerre. La Suisse subsiste, intacte et libre. On n’a pas fusillé Oltramare, on s
937 e. On n’a pas fusillé Oltramare, on s’est borné à le punir un peu. Son avocat garde le droit de me dénoncer pour avoir com
938 n s’est borné à le punir un peu. Son avocat garde le droit de me dénoncer pour avoir combattu l’hitlérisme, et Aragon le d
939 garde le droit de me dénoncer pour avoir combattu l’ hitlérisme, et Aragon le droit de me calomnier sous un prétexte exacte
940 oncer pour avoir combattu l’hitlérisme, et Aragon le droit de me calomnier sous un prétexte exactement inverse. Je garde l
941 ier sous un prétexte exactement inverse. Je garde le droit de répondre, et même de rire. Et vous, lecteurs, vous gardez le
942 , et même de rire. Et vous, lecteurs, vous gardez le droit de juger toute cette affaire, mon livre en main, selon votre co
943 re en main, selon votre conscience de citoyens de la plus vieille démocratie du monde. Jugez donc ! et dites avec moi que
944 du monde. Jugez donc ! et dites avec moi que nous l’ avons échappé belle ! Et que le désordre tolérable et tolérant où nous
945 avec moi que nous l’avons échappé belle ! Et que le désordre tolérable et tolérant où nous voici tout de même encore viva
946 els esclaves honteux de vivre. À Ferney-Voltaire, le 20 novembre 1947. m. Rougemont Denis de, « Consolation à Me Duper
947 à Me Duperrier sur un procès perdu », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, décembre 1947, p. 326‑328.
11 1948, Bulletin de la Guilde du livre, articles (1937–1948). Lacs (août 1948)
948 ux rives glauques ! sans rien d’alpestre, et dont les eaux, comme celles d’un marécage, longtemps se mêlent à la terre, et
949 comme celles d’un marécage, longtemps se mêlent à la terre, et filtrent entre les roseaux. L’Immoraliste. Près de ces ea
950 longtemps se mêlent à la terre, et filtrent entre les roseaux. L’Immoraliste. Près de ces eaux, ma vie sentimentale est n
951 êlent à la terre, et filtrent entre les roseaux. L’ Immoraliste. Près de ces eaux, ma vie sentimentale est née. Et depuis
952 depuis lors elle est restée lacustre. « Odeur de l’ eau pour toute la vie », écrivait un Paysan du Danube , et vingt ans
953 est restée lacustre. « Odeur de l’eau pour toute la vie », écrivait un Paysan du Danube , et vingt ans ne l’ont pas déme
954 , écrivait un Paysan du Danube , et vingt ans ne l’ ont pas démenti. Je dénombre mes lacs et ne puis retrouver que du bonh
955 Non qu’ils me parlent tous de jours heureux, mais la mémoire des plus amers ou des plus seuls a gardé le charme des eaux.
956 mémoire des plus amers ou des plus seuls a gardé le charme des eaux. Faut-il penser que la souffrance au bord d’un lac n’
957 ls a gardé le charme des eaux. Faut-il penser que la souffrance au bord d’un lac n’est jamais sans quelque douceur ? Cherc
958 erchant d’où vient cet agrément, et pourquoi dans le monde lacustre on ressent la vie mieux qu’ailleurs, plus savoureuse e
959 nt, et pourquoi dans le monde lacustre on ressent la vie mieux qu’ailleurs, plus savoureuse et plus présente, je me dis :
960 un vrai lac est un univers clos, si grands soient les miroirs qu’il offre aux ciels changeants, et si profonds ses lointain
961 ngeants, et si profonds ses lointains de lumière. La pente derrière moi, l’horizon des collines, sont le cadre qui donne a
962 ses lointains de lumière. La pente derrière moi, l’ horizon des collines, sont le cadre qui donne au tableau sa significat
963 pente derrière moi, l’horizon des collines, sont le cadre qui donne au tableau sa signification privilégiée. Ici le cœur
964 onne au tableau sa signification privilégiée. Ici le cœur et l’âme ont leur théâtre pur, où tout est sens, écho, dialogue
965 leau sa signification privilégiée. Ici le cœur et l’ âme ont leur théâtre pur, où tout est sens, écho, dialogue à l’infini.
966 r théâtre pur, où tout est sens, écho, dialogue à l’ infini. Ici la joie trouve un espace où se déployer sans se perdre, la
967 où tout est sens, écho, dialogue à l’infini. Ici la joie trouve un espace où se déployer sans se perdre, la méditation de
968 e trouve un espace où se déployer sans se perdre, la méditation des ciels bas, la passion des orages complets, et la peine
969 oyer sans se perdre, la méditation des ciels bas, la passion des orages complets, et la peine une baie secrète, où les cri
970 des ciels bas, la passion des orages complets, et la peine une baie secrète, où les cris des oiseaux dans la brume s’occup
971 orages complets, et la peine une baie secrète, où les cris des oiseaux dans la brume s’occupent d’une vie bien différente…
972 ne une baie secrète, où les cris des oiseaux dans la brume s’occupent d’une vie bien différente… Enfin la variété des obje
973 brume s’occupent d’une vie bien différente… Enfin la variété des objets, des lumières, des premiers plans et des éloigneme
974 raster, de voiler puis de découvrir, de plonger à l’ abandonnée, de s’écarter, de revenir, de boire des yeux, de comparer,
975 des yeux, de comparer, de contempler sans fin, où l’ on a reconnu l’amour, comme il aime à s’y retrouver. Je nage à Baveno
976 mparer, de contempler sans fin, où l’on a reconnu l’ amour, comme il aime à s’y retrouver. Je nage à Baveno dans l’eau tièd
977 me il aime à s’y retrouver. Je nage à Baveno dans l’ eau tiède et dorée, c’est la fin de l’après-midi, devant la proue de l
978 Je nage à Baveno dans l’eau tiède et dorée, c’est la fin de l’après-midi, devant la proue de l’Isola Bella, vaisseau de rê
979 Baveno dans l’eau tiède et dorée, c’est la fin de l’ après-midi, devant la proue de l’Isola Bella, vaisseau de rêve aux nom
980 de et dorée, c’est la fin de l’après-midi, devant la proue de l’Isola Bella, vaisseau de rêve aux nombreux ponts chargés d
981 c’est la fin de l’après-midi, devant la proue de l’ Isola Bella, vaisseau de rêve aux nombreux ponts chargés de dieux, pas
982 ssus de jardins en terrasses pleins de lucioles à la nuit, quand les violoneux du village viennent donner la sérénade. Et
983 en terrasses pleins de lucioles à la nuit, quand les violoneux du village viennent donner la sérénade. Et nous montons à c
984 t, quand les violoneux du village viennent donner la sérénade. Et nous montons à ce balcon sur l’eau, accroché aux très ha
985 nner la sérénade. Et nous montons à ce balcon sur l’ eau, accroché aux très hautes murailles qui sans raison, grandiloquent
986 railles qui sans raison, grandiloquentes, bordent la rive. (Elles furent élevées, dit-on, par un ministre fou.) Cyprès au
987 hautes pentes, échevelées de châtaigniers. Contre les flancs du noir Monte Baldo coiffé de neige, sur l’autre rive, un orag
988 re rive, un orage s’illumine par moments, et dans l’ échappée vers la plaine, où l’eau rejoint presque le ciel, le petit ph
989 e s’illumine par moments, et dans l’échappée vers la plaine, où l’eau rejoint presque le ciel, le petit phare de la baie d
990 ar moments, et dans l’échappée vers la plaine, où l’ eau rejoint presque le ciel, le petit phare de la baie de Sirmione… Su
991 échappée vers la plaine, où l’eau rejoint presque le ciel, le petit phare de la baie de Sirmione… Sur les lacs sinueux de
992 vers la plaine, où l’eau rejoint presque le ciel, le petit phare de la baie de Sirmione… Sur les lacs sinueux de la Prusse
993 l’eau rejoint presque le ciel, le petit phare de la baie de Sirmione… Sur les lacs sinueux de la Prusse-Orientale, nous a
994 ciel, le petit phare de la baie de Sirmione… Sur les lacs sinueux de la Prusse-Orientale, nous allions ramer vers minuit,
995 e de la baie de Sirmione… Sur les lacs sinueux de la Prusse-Orientale, nous allions ramer vers minuit, heure où le crépusc
996 ientale, nous allions ramer vers minuit, heure où le crépuscule enfin se meurt dans l’aube, à l’horizon des landes et de l
997 inuit, heure où le crépuscule enfin se meurt dans l’ aube, à l’horizon des landes et de la mer… Tyrol, et ce lac sombre au
998 re où le crépuscule enfin se meurt dans l’aube, à l’ horizon des landes et de la mer… Tyrol, et ce lac sombre au fond de la
999 e meurt dans l’aube, à l’horizon des landes et de la mer… Tyrol, et ce lac sombre au fond de la vallée, où tournoyaient de
1000 et de la mer… Tyrol, et ce lac sombre au fond de la vallée, où tournoyaient des voiles inclinées… Balaton, lac de plaine
1001 l à Vevey, à Montreux, patries du roman russe. Et le bleu de l’air matinal, l’argent transparent des montagnes, le scintil
1002 à Montreux, patries du roman russe. Et le bleu de l’ air matinal, l’argent transparent des montagnes, le scintillement des
1003 ries du roman russe. Et le bleu de l’air matinal, l’ argent transparent des montagnes, le scintillement des eaux sous la br
1004 ’air matinal, l’argent transparent des montagnes, le scintillement des eaux sous la brume légère, tout était si pur et si
1005 ent des montagnes, le scintillement des eaux sous la brume légère, tout était si pur et si frais qu’il semblait que le mon
1006 tout était si pur et si frais qu’il semblait que le monde venait de s’éveiller, luisant et neuf, de la première nuit… Et
1007 re nuit… Et ces deux grands étés américains, dans les demeures trop vastes du Lake George, nommé jadis lac du Saint Sacreme
1008 George, nommé jadis lac du Saint Sacrement « pour la pureté lustrale de ses eaux »… Il me rappelait un peu de tous mes aut
1009 con et du dernier des Mohicans de mon enfance. Je le trouvais bien beau. Pourquoi l’ai-je quitté ? … Et nous n’irons jamai
1010 e mon enfance. Je le trouvais bien beau. Pourquoi l’ ai-je quitté ? … Et nous n’irons jamais au lac d’Amatitlan, au pied du
1011 au pied du fabuleux volcan de Sant’Anna, mais je l’ emporte avec les autres sans remords, s’il est vrai que d’aucuns je n’
1012 uleux volcan de Sant’Anna, mais je l’emporte avec les autres sans remords, s’il est vrai que d’aucuns je n’ai su tant d’his
1013 certains de mes secrets. Je dénombre mes lacs, et la mémoire encore investit du charme des eaux l’adolescence même, aux ch
1014 et la mémoire encore investit du charme des eaux l’ adolescence même, aux chagrins taciturnes. Souffrir auprès d’un lac n’
1015 s d’un lac n’est jamais sans douceur. Je suis sur la jetée, près du hangar des trams, et l’eau n’est pas plus noire que mo
1016 e suis sur la jetée, près du hangar des trams, et l’ eau n’est pas plus noire que mon cœur humilié. Dans ce « local » empua
1017 de pipes et de bière renversée, je viens de subir l’ épreuve d’initiation d’une société de collégiens. J’ai refusé de racon
1018 raconter devant tous, debout sur un tonneau comme le veut la coutume, l’histoire de mes Premières Amours. On m’a conspué.
1019 devant tous, debout sur un tonneau comme le veut la coutume, l’histoire de mes Premières Amours. On m’a conspué. J’ai 16
1020 , debout sur un tonneau comme le veut la coutume, l’ histoire de mes Premières Amours. On m’a conspué. J’ai 16 ans. C’est h
1021 rrible. Mon seul amour doit rester mon secret. Je la guette à midi, quand elle descend dans le cortège des jeunes filles s
1022 ret. Je la guette à midi, quand elle descend dans le cortège des jeunes filles sortant de l’école des Terreaux. Nous, les
1023 cend dans le cortège des jeunes filles sortant de l’ école des Terreaux. Nous, les garçons, tenons notre « colloque » sur l
1024 nes filles sortant de l’école des Terreaux. Nous, les garçons, tenons notre « colloque » sur la place de l’Hôtel-de-Ville.
1025 Nous, les garçons, tenons notre « colloque » sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Nous parlons entre nous d’un air grave, d’
1026 arçons, tenons notre « colloque » sur la place de l’ Hôtel-de-Ville. Nous parlons entre nous d’un air grave, d’un air de ne
1027 nous d’un air grave, d’un air de ne pas regarder les filles qui passent, mais je la vois venir de loin. Elle porte un gran
1028 e ne pas regarder les filles qui passent, mais je la vois venir de loin. Elle porte un grand chapeau flottant d’un rose so
1029 un grand chapeau flottant d’un rose sombre. Tout la distingue infiniment du troupeau bavardant de ses compagnes. Si je re
1030 -je, et si elle devinait mon sentiment ? Pourtant la semaine prochaine, l’épreuve recommencera. Odeur de l’eau qui dort, p
1031 it mon sentiment ? Pourtant la semaine prochaine, l’ épreuve recommencera. Odeur de l’eau qui dort, pénétrante, amicale. Un
1032 maine prochaine, l’épreuve recommencera. Odeur de l’ eau qui dort, pénétrante, amicale. Un poisson saute et ride un moment
1033 ante, amicale. Un poisson saute et ride un moment le miroir… Non, je ne vais pas me suicider. Je mentirai ! Je suis assis
1034 entirai ! Je suis assis sur un banc près du port, la promenade est déserte et mon cœur assoiffé. Personne ne passe jamais,
1035 on cœur assoiffé. Personne ne passe jamais, voilà la vie ! Mais si ce soir une femme venait à moi comme le miracle que j’a
1036 ie ! Mais si ce soir une femme venait à moi comme le miracle que j’attends, je lui dirais : c’est un malentendu. Je suis d
1037 passez, Madame… J’ai 19 ans. Je n’aime encore que la nature, et ma solitude avec elle. Et vraiment, à cet âge, elle me l’a
1038 litude avec elle. Et vraiment, à cet âge, elle me l’ a bien rendu. (Quand on revient la voir à deux, plus tard, aux mêmes l
1039 et âge, elle me l’a bien rendu. (Quand on revient la voir à deux, plus tard, aux mêmes lieux, elle se réserve… Elle ne ser
1040 soir, elle est encore d’une présence envoûtante. Le soleil s’est caché derrière le Trou de Bourgogne. La grande rougeur d
1041 ésence envoûtante. Le soleil s’est caché derrière le Trou de Bourgogne. La grande rougeur du lac s’est retirée, de vague e
1042 soleil s’est caché derrière le Trou de Bourgogne. La grande rougeur du lac s’est retirée, de vague en vague vers l’autre r
1043 vague vers l’autre rive. Elle caresse en passant l’ épaule des collines, elle monte, elle embrase longtemps d’une sereine
1044 lle embrase longtemps d’une sereine incandescence les Alpes déployées au fond du ciel. Sommets d’où l’on voit l’Italie… Et
1045 les Alpes déployées au fond du ciel. Sommets d’où l’ on voit l’Italie… Et le rêve s’éteint, guirlande morte, un peu de temp
1046 déployées au fond du ciel. Sommets d’où l’on voit l’ Italie… Et le rêve s’éteint, guirlande morte, un peu de temps diaphane
1047 fond du ciel. Sommets d’où l’on voit l’Italie… Et le rêve s’éteint, guirlande morte, un peu de temps diaphane à l’horizon.
1048 eint, guirlande morte, un peu de temps diaphane à l’ horizon. Paysage emphatique et sombre, tout cerné de prodiges sévères,
1049 que et sombre, tout cerné de prodiges sévères, et l’ œil ne s’en évade au bas du ciel — vers l’ouest — que par cet or loint
1050 res, et l’œil ne s’en évade au bas du ciel — vers l’ ouest — que par cet or lointain que l’eau n’a point doublé, déjà prise
1051 ciel — vers l’ouest — que par cet or lointain que l’ eau n’a point doublé, déjà prise de nuit, rêvant jusqu’à mes pieds. Pa
1052 handail au col roulé, pédale à longues pesées sur le chemin de la plaine, luttant contre un vent impétueux. L’orage est im
1053 l roulé, pédale à longues pesées sur le chemin de la plaine, luttant contre un vent impétueux. L’orage est imminent. Notre
1054 n de la plaine, luttant contre un vent impétueux. L’ orage est imminent. Notre héros, qui paraît âgé d’une vingtaine d’anné
1055 raît âgé d’une vingtaine d’années, se dirige vers le lac qu’on aperçoit entre les peupliers, et dont les longues vagues li
1056 nnées, se dirige vers le lac qu’on aperçoit entre les peupliers, et dont les longues vagues limoneuses accablent sans relâc
1057 e lac qu’on aperçoit entre les peupliers, et dont les longues vagues limoneuses accablent sans relâche les roseaux de la ba
1058 longues vagues limoneuses accablent sans relâche les roseaux de la baie. Des nuées menaçantes courent très bas, tirant des
1059 limoneuses accablent sans relâche les roseaux de la baie. Des nuées menaçantes courent très bas, tirant des pluies au lar
1060 courent très bas, tirant des pluies au large, et le cœur du jeune homme bondit dans sa poitrine, exalté par l’effort et l
1061 u jeune homme bondit dans sa poitrine, exalté par l’ effort et la vitesse. Mais soudain la tempête a fait silence autour de
1062 e bondit dans sa poitrine, exalté par l’effort et la vitesse. Mais soudain la tempête a fait silence autour de lui, et seu
1063 , exalté par l’effort et la vitesse. Mais soudain la tempête a fait silence autour de lui, et seul reste distinct le bruit
1064 ait silence autour de lui, et seul reste distinct le bruit profond des vagues. Il roule maintenant dans l’ombre tiède et a
1065 ruit profond des vagues. Il roule maintenant dans l’ ombre tiède et abritée d’un bois de pins. Que vient-il donc chercher s
1066 ent-il donc chercher sur ces rivages désertés par le crépuscule ? Quelle est cette hâte inconnue, qu’il se flattait de n’é
1067 t-ce qu’il m’arrive ? se dit-il. Il faut en avoir le cœur net. (Tout son orgueil réside en la maîtrise de soi, idéal de sp
1068 en avoir le cœur net. (Tout son orgueil réside en la maîtrise de soi, idéal de sportif plus que de puritain.) Il ralentit,
1069 s que de puritain.) Il ralentit, pose un pied sur le sol, et s’appuie de la main au tronc d’un pin. Ce qui lui arrive est
1070 ralentit, pose un pied sur le sol, et s’appuie de la main au tronc d’un pin. Ce qui lui arrive est solennel, comme l’atten
1071 c d’un pin. Ce qui lui arrive est solennel, comme l’ attente du pays sous le ciel orageux. Oui, c’est bien cela qu’il sent,
1072 arrive est solennel, comme l’attente du pays sous le ciel orageux. Oui, c’est bien cela qu’il sent, il ne peut s’y tromper
1073 st bien cela qu’il sent, il ne peut s’y tromper : la brûlure douce au cœur, le sang plus vite, le soulèvement plus ample d
1074 l ne peut s’y tromper : la brûlure douce au cœur, le sang plus vite, le soulèvement plus ample de la respiration. Tout ce
1075 er : la brûlure douce au cœur, le sang plus vite, le soulèvement plus ample de la respiration. Tout ce que disent les poèt
1076 , le sang plus vite, le soulèvement plus ample de la respiration. Tout ce que disent les poètes qu’il dédaigne, tous leurs
1077 plus ample de la respiration. Tout ce que disent les poètes qu’il dédaigne, tous leurs clichés, c’était donc vrai ? Il ne
1078 hés, c’était donc vrai ? Il ne sait quelle ardeur le pénètre… Mais il sent qu’il va dire les grands mots impossibles, dans
1079 lle ardeur le pénètre… Mais il sent qu’il va dire les grands mots impossibles, dans un fol abandon, et ce sera vrai. Comme
1080 sera vrai. Comme tout est facile et violent quand les portes du cœur ont cédé ! Le lac était d’un bleu très sombre, le ciel
1081 le et violent quand les portes du cœur ont cédé ! Le lac était d’un bleu très sombre, le ciel bas, des éclairs de chaleur
1082 ur ont cédé ! Le lac était d’un bleu très sombre, le ciel bas, des éclairs de chaleur palpitaient dans la nue, et le jeune
1083 ciel bas, des éclairs de chaleur palpitaient dans la nue, et le jeune homme savait en repartant sur le sentier obscur, ver
1084 es éclairs de chaleur palpitaient dans la nue, et le jeune homme savait en repartant sur le sentier obscur, vers les rosea
1085 la nue, et le jeune homme savait en repartant sur le sentier obscur, vers les roseaux, qu’avant le rendez-vous ce qui l’av
1086 e savait en repartant sur le sentier obscur, vers les roseaux, qu’avant le rendez-vous ce qui l’avait rejoint, c’était cett
1087 sur le sentier obscur, vers les roseaux, qu’avant le rendez-vous ce qui l’avait rejoint, c’était cette chose absurde et ma
1088 vers les roseaux, qu’avant le rendez-vous ce qui l’ avait rejoint, c’était cette chose absurde et magnifique, entre haut m
1089 ut mal et bien suprême, qu’on nomme si légèrement l’ amour. n. Rougemont Denis de, « Lacs », Bulletin de la Guilde du li
1090 . n. Rougemont Denis de, « Lacs », Bulletin de la Guilde du livre, Lausanne, août 1948, p. 192-194. o. Le titre appell
1091 de du livre, Lausanne, août 1948, p. 192-194. o. Le titre appelle cette note de la rédaction : « Tiré de Suite neuchâtel
1092 8, p. 192-194. o. Le titre appelle cette note de la rédaction : « Tiré de Suite neuchâteloise , admirablement édité par