1 1945, Carrefour, articles (1945–1947). L’Amérique de la vie quotidienne (19 octobre 1945)
1 quotidienne (19 octobre 1945)a Cinq ans déjà, et chaque matin je m’étonne encore de me réveiller en Amérique. J’ai véc
2 u en Suisse, en Autriche, en Italie, en Allemagne et en France : quelques mois et j’étais acclimaté. J’oubliais que le pay
3 Italie, en Allemagne et en France : quelques mois et j’étais acclimaté. J’oubliais que le pays n’était pas le mien. C’étai
4 le mien. C’était l’Europe. C’est ici l’Amérique, et je n’ai pas fini de m’en ébahir. Ce Nouveau Monde m’apparaît à chaque
5 peut en dire en général sera vrai selon les temps et les lieux, et tout sera contradictoire et rien ne sera suffisant. New
6 n général sera vrai selon les temps et les lieux, et tout sera contradictoire et rien ne sera suffisant. New York a les pl
7 s temps et les lieux, et tout sera contradictoire et rien ne sera suffisant. New York a les plus hauts gratte-ciel du mond
8 ant une heure dans la ville par des journalistes, et finalement interrogé sur ses impressions d’architecte, répondit, m’as
9 m’assure-t-on : « Les maisons sont trop basses. » Et c’était vrai, car la plupart ont trois étages. Ainsi du reste : ce pa
10 spirituel ; on y est tour à tour plus formaliste et plus sans façon qu’en Europe : plus avide de nouveauté et plus respec
11 sans façon qu’en Europe : plus avide de nouveauté et plus respectueusement conservateur ; plus réaliste et plus idéaliste 
12 lus respectueusement conservateur ; plus réaliste et plus idéaliste ; plus efficace dans la rationalisation et plus gaspil
13 idéaliste ; plus efficace dans la rationalisation et plus gaspilleur ; plus puritain et plus libre de mœurs. L’Amérique ne
14 ationalisation et plus gaspilleur ; plus puritain et plus libre de mœurs. L’Amérique ne se définit pas. Elle ne s’explique
15 iment. J’avais, avant d’y venir, vu tant de films et lu tant de romans américains : ils donnaient, je le sais aujourd’hui,
16 Mais je ne voyais pas l’Amérique dans ces photos et ces livres où elle est. Et quand j’y ai débarqué, je n’ai rien reconn
17 érique dans ces photos et ces livres où elle est. Et quand j’y ai débarqué, je n’ai rien reconnu de ce qu’une douzaine d’o
18 appris à l’avance. C’était cela, les gratte-ciel et Broadway, les grandes plaines couvertes d’usines, les villages aux ma
19 ien peignées, le drapeau de la boîte aux lettres… et c’était tout à fait autre chose — une autre civilisation. L’Amérique
20 ique est un continent dont je tiens pour possible et même facile de parler fort correctement sans y être jamais allé : la
21 justifiés, de même que les critiques à la Duhamel et les enthousiasmes à la Jules Romains ; mais rien de tout cela n’empêc
22 a vie quotidienne, comme celle du mythe politique et planétaire, est un immense glissement à travers le temps et l’espace.
23 ire, est un immense glissement à travers le temps et l’espace. Tout glisse et passe ici, vers l’oubli, vers la vie. La jeu
24 ement à travers le temps et l’espace. Tout glisse et passe ici, vers l’oubli, vers la vie. La jeune Américaine quitte son
25 ’aimais, je l’attends, je vais me séparer de Jim, et je suis sûre qu’il comprendra très bien… » Un mois plus tard. Jim et
26 il comprendra très bien… » Un mois plus tard. Jim et Joe boivent ensemble à la santé du couple réuni. Ils aiment tout ce q
27 t tout ce qui passe, fait sensation, va plus loin et se perd on ne sait où, dans un autre rêve naissant, dans le rêve du b
28 les passants, les voisins d’autobus ou de train… Et je me sens moins jugé, moins jaugé, pour tout dire, moins vu qu’en Eu
29 e. Parce qu’ils sont moins conscients de leur vie et d’autrui, ils me tolèrent davantage. Ce n’est pas qu’ils m’ignorent o
30 nières. Il y a tant de bizarreries dans le monde, et dans ce continent américain on en voit chaque jour tant d’exemples.
31 ue jour tant d’exemples. Tant d’espèces de gens, et de gens sans espèce ; tant de races et de mélanges de races ; tant de
32 s de gens, et de gens sans espèce ; tant de races et de mélanges de races ; tant de fous qui réussissent ou qui amusent ;
33 s ; tant de fous qui réussissent ou qui amusent ; et aussi tant d’efforts gaspillés pour se faire remarquer, pour être dif
34 différent, car ici différent veut dire original ; et crazy, qui veut dire toqué, loufoque, n’est pas un adjectif dépréciat
35 s tous un peu crazy les gens d’ici. Ils entraient et sortaient sans saluer, sans dire pourquoi ils étaient venus ; ils se
36 uoi ils étaient venus ; ils se versaient à boire, et , les pieds sur une chaise, me posaient avec naturel des questions fol
37 appelaient par mon prénom au bout de cinq minutes et sortaient tout d’un coup avec un signe de la main, so long ! un bye b
38 ’en finirait pas d’énumérer les exemples courants et voyants de leur goût baroque des fêtes et de leur respect de la mise
39 ourants et voyants de leur goût baroque des fêtes et de leur respect de la mise en scène solennelle. Je me borne à citer d
40 es sacerdotaux, des drapeaux, des chœurs en robes et des processions, jusque dans les églises protestantes de la campagne 
41 s matchs de football ; les cérémonies d’ouverture et de clôture des universités ; et « l’Inauguration » des présidents… Qu
42 onies d’ouverture et de clôture des universités ; et « l’Inauguration » des présidents… Qu’il y ait là quelque chose de ty
43 ation. Je les crois sans exemple dans l’histoire, et sans équivalent dans nul autre pays. Un étranger résidant aux États-U
44 deux ou trois jours plus tard en qualité formelle et déclarée de candidat à la citoyenneté. Cette opération, fort coûteuse
45 e, n’a de toute évidence qu’une portée symbolique et rituelle. Autrement, elle ne sert à rien. Mais personne ne paraît s’e
46 un club. Cette remarque explique bien des choses, et , en particulier, le paradoxe qu’on vient de relever. L’entrée dans le
47 tout naturellement d’opérations conventionnelles et d’un cérémonial d’initiation, calculé de manière à inspirer le respec
48 de manière à inspirer le respect de l’institution et de l’orgueil d’y appartenir. Mais aussitôt que vous serez un membre r
49 ez tous les droits, on ne s’occupera plus de vous et vous vivrez à votre guise dans toute l’enceinte démesurée du club. ⁂
50 aux courants de sensibilité plus qu’aux chiffres et aux statistiques ; à ce qui prépare et fait mûrir lentement les événe
51 x chiffres et aux statistiques ; à ce qui prépare et fait mûrir lentement les événements, plus qu’aux incidents de la sema
52 la diplomatie américaine, de parler tout d’abord et surtout de ce qu’on ne dit pas dans les dépêches, de ce qui n’est pas
53 s dépêches, de ce qui n’est pas matière d’enquête et de reportages, de ces nuances de sentiments ou de coutumes qui qualif
54 e sentiments ou de coutumes qui qualifient la vie et la vision d’un peuple, et qui par là vont peut-être expliquer l’histo
55 s qui qualifient la vie et la vision d’un peuple, et qui par là vont peut-être expliquer l’histoire du siècle, notre histo
56 est le russe — dont toutes les réactions intimes et sautes d’humeur vont affecter notre sort matériel, aussi directement
57 dienne », Carrefour, Paris, 19 octobre 1945, p. 1 et 5.
2 1945, Carrefour, articles (1945–1947). Le rêve américain (9 novembre 1945)
58 ue des jitterbugs évoque, par moments, le vaudou, et , quand ils se mettent à crier, on les croirait au bord du délire coll
59 ge, toujours plus large devant eux, à la richesse et à la liberté qu’elle leur donnerait, croient-ils. À une aisance qui v
60 ancêtres ont été amenés sur les rives de l’Hudson et du Potomac par le rêve d’un pays sans limites, et il l’était vraiment
61 et du Potomac par le rêve d’un pays sans limites, et il l’était vraiment pour ceux qui triomphaient des famines, des moust
62 ient des famines, des moustiques, des dysenteries et des Indiens. Ils avaient fui les étroitesses religieuses et politique
63 iens. Ils avaient fui les étroitesses religieuses et politiques de l’Europe. Ils se trouvaient tout seuls devant leur chan
64 dait de leur courage, de leur esprit d’entreprise et de leur foi. Cette situation, dépassée par les faits, domine encore l
65 conscient collectif des Américains d’aujourd’hui. Et leur grand rêve, leur american dream, prolonge vers l’avenir cette tr
66 sans cesse mouvante, entre les terres colonisées et les prairies sauvages parcourues d’Indiens indomptés. Pendant des siè
67 re », leur nouveau front, dirait-on de nos jours. Et ce fut l’ère des fortunes, et des cités, et des usines colossales, pu
68 it-on de nos jours. Et ce fut l’ère des fortunes, et des cités, et des usines colossales, puis des gratte-ciel à cent étag
69 ours. Et ce fut l’ère des fortunes, et des cités, et des usines colossales, puis des gratte-ciel à cent étages. « Le ciel
70 onquis en trente ans. Encore une limite atteinte. Et les voici, vers ce milieu du xxe siècle, presque à l’étroit entre le
71 , presque à l’étroit entre les rives du Pacifique et de l’Atlantique, mais encore débordants d’énergies qui soudain ne tro
72 urtant, c’est bien le même rêve qui les tourmente et les anime : aller plus loin, vers une vie toujours plus large. Le sol
73 l’Europe, dont il n’a guère connu que les ruines et les amertumes, rêve simplement de son foyer. Il voit sa maison blanch
74 de son foyer. Il voit sa maison blanche, sa femme et le drugstore du coin. Huit à neuf fois sur dix, vis-à-vis des pays qu
75 is. Ils rentrent en disant que la France est sale et en désordre, que tout y est cher pour eux et que les WC sont au milie
76 sale et en désordre, que tout y est cher pour eux et que les WC sont au milieu des places publiques. Ils demandent qu’on n
77 agités, ces nerveux, ces tricheurs. C’est ainsi, et je ne juge personne. Il faut verser ces injustices flagrantes, ces vé
78 s, ces vérités mal à propos au compte des profits et pertes d’une guerre moderne, à l’échelle planétaire. Mais il y a le r
79 helle planétaire. Mais il y a le rêve des civils. Et c’est lui qui va dominer, nécessairement. Les vétérans seront absorbé
80 son pays, « d’une côte à l’autre », comme il dit. Et ce pressentiment l’inquiète profondément. Or c’est bien cette situati
81 s Affaires étrangères de Roosevelt, avait prévue. Et c’est elle qu’il avait tenté de prévenir, non sans succès, en particu
82 s dans le nom même de l’agence qui l’administrait et qui s’intitulait : Office de coordination des relations commerciales
83 Office de coordination des relations commerciales et culturelles interaméricaines. Cette dénomination m’a longtemps intrig
84 caines. Cette dénomination m’a longtemps intrigué et choqué. Aujourd’hui, je me l’explique de la manière suivante : le rêv
85 ve américain évoque une vie sans cesse plus large et libre. Mais la « frontière » ayant rejoint les frontières mêmes des É
86 ères mêmes des États-Unis, il faut donc en sortir et deux voies sont possibles : répandre les produits américains sur tous
87 c’est-à-dire multiplier les échanges commerciaux, et , en même temps, répandre dans tous les pays du monde l’idéal de la dé
88 réer les conditions nécessaires au libre-échange, et en retour ce libre-échange paraît propre à favoriser l’établissement
89 de la démocratie dans les pays où les difficultés et les injustices économiques donnent aux dictateurs leurs prétextes les
90 ux dictateurs leurs prétextes les plus frappants. Et voilà pourquoi l’Amérique, malgré le choc en retour inévitable que pr
91 rée massive des vétérans, doit cesser de s’isoler et doit littéralement sortir d’elle-même par une nécessité profonde : le
92 le même sens, illustre un même mouvement profond et général vers la vie libre, vers l’avenir. On pourrait définir l’Améri
93 os rêveurs nous paraissent terriblement pratiques et parfaitement conscients de leurs intérêts… Voilà qui est vrai, en app
3 1945, Carrefour, articles (1945–1947). Hollywood n’a plus d’idées (13 décembre 1945)
94 ujours plus impeccables du point de vue technique et toujours plus coûteux, de plus en plus semblables les uns aux autres
95 ux, de plus en plus semblables les uns aux autres et de plus en plus fades jusque dans leurs brutalités stéréotypées, voil
96 de la guerre. Les critiques, les échos de presse, et même les spectateurs, sont unanimes : Hollywood est à court d’inventi
97 rme en argent tout ce qu’elle a envie de toucher, et c’est pourquoi son avidité même à se renouveler stérilise instantaném
98 faite n’est obtenue qu’au prix de telles dépenses et d’une telle quantité de spécialistes neutralisant l’originalité les u
99 el, au cadre, au son, à l’éclairage, aux cravates et au faux-vrai luxe : elle doit tenir compte de tant d’exigences person
100 t d’exigences personnelles des stars, collectives et supposées du public, tatillonnes et insanes du Comité de moralité, et
101 , collectives et supposées du public, tatillonnes et insanes du Comité de moralité, et de mille préjugés hérités de trente
102 ic, tatillonnes et insanes du Comité de moralité, et de mille préjugés hérités de trente ans de triomphe, qu’il n’est pas
103 à New York, me semble en comparaison fait de bric et de broc et de ficelles partout visibles, mais touchant aux larmes, sp
104 me semble en comparaison fait de bric et de broc et de ficelles partout visibles, mais touchant aux larmes, spirituel jus
105 hant aux larmes, spirituel jusque dans l’émotion, et tout crépitant d’inventions étonnantes. Le rythme est cahotant, trop
106 s cela dans une salle de Broadway : tout y marche et ronronne comme un moteur de luxe, tout est faux, tout le monde est be
107 hoc, pour tant de coups de poing, de coups de feu et de coups de théâtre. C’est que le public, me disent les producers, n’
108 euses ou accidentelles. Ses causes sont évidentes et inéluctables : ce sont celles-là mêmes qui firent son succès, et non
109  : ce sont celles-là mêmes qui firent son succès, et non pas d’autres. Pour mes cadets, d’ici dix ans, Hollywood ne sera p
110 son chapeau de feutre gris souris relevé de côté, et le profil du rêve. J’eusse préféré ne la voir jamais, mais j’avoue qu
111 tôt, vous aurez une surprise. » J’arrive très tôt et ne trouve qu’un géant, Robert Sherwood, le dramaturge et l’un des con
112 rouve qu’un géant, Robert Sherwood, le dramaturge et l’un des conseillers intimes de Roosevelt. Mais une minute plus tard,
113 c’est elle encore, en robe courte de soie grise, et déjà nous choquons nos petits verres de vodka. On l’a présentée comme
114 é une demi-heure à causer avec elle, sur un sofa, et plus tard nous avons soupé, assis par terre, dans une foule, mais dos
115 assis par terre, dans une foule, mais dos à dos, et voici l’étonnant de l’histoire : je ne trouve rien à me remémorer de
116 de toutes les imaginations. Comme elle est belle et comme elle est absente ! Quelle élégance dans l’irréalité ! Comme ell
117 me nous pouvons en voir sans l’aide d’une caméra, et sur les rythmes habituels de notre vie. C’est dire qu’ils oublient ou
118 tesse ou la lenteur folle, les objets qui montent et volent au lieu de tomber, les déformations expressives, les superposi
119 s par transparence, la synchronisation des gestes et de la musique, vingt autres procédés moins faciles à définir, en deux
120 seul a le courage d’explorer aujourd’hui. Mickey et Donald le Canard font partie de la légende de ce siècle. Je les vois
121 ts de l’Inconscient moderne. Battus comme plâtre, et toujours Tartarins, cupides ou entravés comme les figures du rêve, pa
122 de monstres sadiques, souvent sadiques eux-mêmes et avec quelle joie entièrement partagée par les publics d’enfants, ils
123 es féroces, d’explosions, de flammes instantanées et de bruits déchirants qui, bien avant la dernière guerre, nous donnère
124 re blanche, les mains précieuses ou la nuque rose et violacée de Stokowsky. Par malchance, c’est au lendemain de la premiè
125 sa femme. Il a l’air d’un bon garçon bien correct et bien banal. On essaie de parler musique, Mozart et Stravinsky — deux
126 t bien banal. On essaie de parler musique, Mozart et Stravinsky — deux des principales victimes de son film. Il coupe cour
127 sney n’aime pas la musique classique. » Un froid, et chacun pense : Que ne l’a-t-elle empêché de s’en occuper ! Son mauvai
128 étant celui de l’Américain moyen en matière d’art et surtout de peinture. (La fin de Fantasia, sur l’Ave Maria de Schubert
129 tte ingéniosité foisonnante, follement gaspillée, et cette maîtrise impitoyable dans l’agencement d’une suite de catastrop
130 e catastrophes qui laissent le spectateur soulagé et heureux, parce que son inconscient a pu se déchaîner devant lui, bien
131 tupidement respectée par tous les nouveaux venus, et qui exige des sommes fabuleuses. Pour que ces sommes rapportent, il f
132 Je vais leur donner gratis le moyen d’en sortir, et mon idée tient en trois mots : — Messieurs, sabrez vos budgets ! Essa
133 e autant que vous la nouveauté. Il a aimé Disney. Et qui sait s’il ne va point préférer les films européens, dès qu’il pou
134 êchez-vous ! Mais peut-être qu’il est trop tard : et qu’ils s’en doutent. L’importance des studios de New York s’accroît s
135 i s’opposent à l’entrée des films russes, anglais et français, cèderont au jour… Et j’imagine alors Hollywood déserté, une
136 ms russes, anglais et français, cèderont au jour… Et j’imagine alors Hollywood déserté, une ghost town pareille à ces vill
137 ue fit surgir dans le Colorado la ruée vers l’or, et qui n’offrent plus aujourd’hui qu’un asile délabré aux bandits, et de
138 plus aujourd’hui qu’un asile délabré aux bandits, et des sujets de scénarios historiques. Il se peut que Hollywood, après
139 mort, devienne une merveilleuse « idée de film », et renaisse à l’écran sous la forme du chef-d’œuvre que, vivante, elle n
4 1945, Carrefour, articles (1945–1947). Les enfants américains réclament des bombes atomiques (20 décembre 1945)
140 ficiellement la saison de Noël. Nous sommes le 13 et les rayons de jouets sont déjà presque vides à New York. La conversio
141 presque vides à New York. La conversion des tanks et des forteresses volantes en pacotille de nursery exige plus qu’un ins
142 otille de nursery exige plus qu’un instant de foi et d’abandon… Cet an de grâce rationné 1945 se termine en pleine équivoq
143 éjà ? La guerre encore ? Interférences de disette et de luxe, d’appétits ranimés et d’amertumes durables. Et Noël va tombe
144 érences de disette et de luxe, d’appétits ranimés et d’amertumes durables. Et Noël va tomber au milieu de l’an I d’une ère
145 luxe, d’appétits ranimés et d’amertumes durables. Et Noël va tomber au milieu de l’an I d’une ère de paix fondée sur la pl
146 es voir. Curieux trio : un loup déguisé en mouton et deux moutons vêtus de leur vraie peau. Mais rien n’empêche le Waldorf
147 t d’apparaître une jeune femme au visage anguleux et couvert de taches de rousseur, la tête serrée dans un foulard de soie
148 « C’est moi ! », dit-elle en lui pinçant la joue, et la vendeuse nous planta là. Il neigeait sur la Cinquième Avenue, sur
149 e rêve américain, le clinquant, l’irréel, le rose et le doré, le rêve d’enfance et d’innocence universelle, bercé de musiq
150 , l’irréel, le rose et le doré, le rêve d’enfance et d’innocence universelle, bercé de musiques nostalgiques. Noël ici dev
151 ël ici devient la fête du bébé Cadum des réclames et non plus de cet enfant vrai qui naquit tant bien que mal dans la pail
152 loppés de papiers brillants, verts, rouge, argent et mordorés. Pourquoi ces échanges éperdus ? Est-ce un souvenir du seul
153 des familles, un droit à la chaleur des groupes. Et ceux qui seront laissés dehors, ceux qui n’appartiennent pas à une ce
154 hanteront des hymnes avant la procession du chœur et du clergé, précédés de porteurs de torches à la Burne Jones. Et comme
155 précédés de porteurs de torches à la Burne Jones. Et comme chaque année, j’entendrai le Credo de Gretchaninoff et le motet
156 aque année, j’entendrai le Credo de Gretchaninoff et le motet de Prætorius, Une rose est née… et je me dirai que l’Amériqu
157 inoff et le motet de Prætorius, Une rose est née… et je me dirai que l’Amérique n’a pas encore très bien compris les tradi
158 bre, nous perdrons le meilleur maire de New York. Et Roosevelt n’est pas remplacé… Et toutes les utopies prévues par l’ava
159 ire de New York. Et Roosevelt n’est pas remplacé… Et toutes les utopies prévues par l’avant-guerre entreront dans la voie
160 ent sans descendre de sa voiture. Déjà les biches et les daims sont amenés dans la forêt de chasse au moyen de taxis aérie
161 cède en rien à la photographie pour « le brillant et la précision du détail », qualités préférées de l’Américain. Déjà l’o
162 gera contre les grèves irrégulières, car la force et l’initiative ont changé de camp et les vainqueurs se montrent généreu
163 , car la force et l’initiative ont changé de camp et les vainqueurs se montrent généreux. Et déjà les pasteurs et les prêt
164 é de camp et les vainqueurs se montrent généreux. Et déjà les pasteurs et les prêtres se préparent à parler du message de
165 queurs se montrent généreux. Et déjà les pasteurs et les prêtres se préparent à parler du message de Noël « aux hommes de
166 u envers les hommes ». Est-il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre endémique dan
167 mmes ». Est-il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre endémique dans tout l’Orient
168 bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre endémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la
169 ne, et de la guerre endémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la peur réciproques qui président aux rapports d
170 e endémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la peur réciproques qui président aux rapports des nations, et de
171 ciproques qui président aux rapports des nations, et de l’antisémitisme, et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme,
172 aux rapports des nations, et de l’antisémitisme, et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme, pour que nous compreni
173 s, et de l’antisémitisme, et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme, pour que nous comprenions que les hommes ont f
174 ondition. À Times Square, dans une foule compacte et lente, dans la rumeur assourdissante des petites trompettes de foire
175 ur assourdissante des petites trompettes de foire et des crécelles, GI Joe, le combattant moyen, se dira : « Well, c’était
5 1946, Carrefour, articles (1945–1947). Deux presses, deux méthodes : l’Américain expose, le Français explique (4 avril 1946)
176 parce qu’elle donnait plus de nouvelles du monde, et d’une manière plus objective, du fait même que ses partis pris étaien
177 , du fait même que ses partis pris étaient connus et déclarés. Le directeur du journal en question censura cette partie de
178 lonnes l’exposé de points de vue contradictoires, et je précise : ils l’admettent justement à l’occasion des débats les pl
179 justement à l’occasion des débats les plus graves et les plus passionnés, tels que ceux que provoquent une période de grèv
180 ner une page entière au discours de son candidat, et une page entière, en regard, au discours de son adversaire ? Cependan
181 es mérites respectifs des personnes en présence ? Et s’il s’agit d’une grève de vastes dimensions, comme celle qui vient d
182 les jours les points de vue affrontés du patronat et de l’union syndicale, dont les déclarations officielles seront citées
183 ceci, Durand déclare cela, mais l’un est radical et l’autre communiste, je le savais bien, parbleu ! comme dirait Gide. E
184 , je le savais bien, parbleu ! comme dirait Gide. Et je savais que quel que fût le problème posé, ils resteraient attachés
185 leurs vieux principes. Mais le problème subsiste et je voudrais qu’on me dise comment le résoudre pratiquement. Au lieu d
186 ournal se compose de dépêches d’agences, récrites et délayées sous forme d’articles signés, et d’articles de correspondant
187 écrites et délayées sous forme d’articles signés, et d’articles de correspondants spéciaux publiés sous forme de longues d
188 issent le même jour dans vingt autres journaux) ; et des rubriques régulières : sports, religion, finance, livres, théâtre
189 cherche à faire voir, il tend au roman. Sa gloire et son statut social éclipsent bien souvent ceux des grands romanciers.
190 ue de vulgarisation. Ce qui suppose un état-major et un personnel gigantesques, spécialisés à l’infini ; des pages de publ
191 e dernier, que nous appelons le roman-feuilleton, et que je vois encore, en pleine période de disette de papier, encombrer
192 sette de papier, encombrer le tiers de la seconde et dernière page de plusieurs journaux parisiens. Le censeur astucieux,
193 presse, une école de reportage, un journal type… et surtout des campagnes d’information. Je me permettrais, dans ce cas,
194 i préféré ne point parler de la « presse Hearst » et des journaux de McCormick, qui règnent sur le Middle West, et dont le
195 aux de McCormick, qui règnent sur le Middle West, et dont les tares les plus connues sont la brutalité de langage, la hain
196 oosevelt, l’isolationnisme impénitent, le racisme et le préjugé antieuropéen. Toutes les comparaisons du genre de celles q
197 can. Mais il est difficile d’être à la fois juste et utile, en temps de crise. Et j’ai voulu courir au plus pressé. e.
198 être à la fois juste et utile, en temps de crise. Et j’ai voulu courir au plus pressé. e. Rougemont Denis de, « Deux p
6 1946, Carrefour, articles (1945–1947). Une bureaucratie sans ronds-de-cuir (23 mai 1946)
199 que l’Amérique est le seul pays décent au monde, et qu’un agent d’assurances du Connecticut affirme qu’elle jouit d’un go
200 fonctionnaire sait à peu près de quoi il parle, —  et je dis à peu près pour dire comme lui. Car son travail consiste, nous
201 de l’État dans les limites de leurs prérogatives et de leur budget particulier, mais il avoue que c’est une tâche impossi
202 s, recrutent des employés, font des statistiques, et se battent entre eux. Depuis douze ans, les chambres ont nommé neuf c
203 a un Board national, chargé de coordonner comités et agences, et baptisé de quelques initiales pour initiés. Après quoi le
204 ational, chargé de coordonner comités et agences, et baptisé de quelques initiales pour initiés. Après quoi le Sénat fera
205 séances d’enquêtes, les responsables de ce board. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que le président, ayant reçu cent-mille le
206 sporter, avant même de faire vivre leurs bureaux, et nomme un tsar qui supervise le tout, avec pouvoirs dictatoriaux. Le
207 rnaux donneront le chiffre de ses revenus anciens et celui de son nouveau salaire. Et puis en avant, et voyons ce que le c
208 revenus anciens et celui de son nouveau salaire. Et puis en avant, et voyons ce que le coming man va nous sortir. S’il ré
209 t celui de son nouveau salaire. Et puis en avant, et voyons ce que le coming man va nous sortir. S’il réussit, sa gloire s
210 ir compter sur vous en cas de besoin. » Dans l’un et l’autre cas, succès ou échec, ce tsar reprendra son ancienne professi
211 profession, avec ou sans augmentation de salaire et de rang. Et c’est ainsi que dans le désordre éperdument organisé, la
212 avec ou sans augmentation de salaire et de rang. Et c’est ainsi que dans le désordre éperdument organisé, la bureaucratie
213 oûteuse du monde finit par jouer dans l’ensemble, et obtient certains résultats dont la victoire sur les nazis et le Japon
214 certains résultats dont la victoire sur les nazis et le Japon n’est que le premier exemple qui me vienne à l’esprit. J’ai
215 esprit n’arrive pas à se former une image claire et cohérente. (Pour un esprit infiniment intelligent, il n’y aurait jama
216 coup dire, de nos jours. Il choisit ses ministres et ses tsars. Mais il doit tenir compte, pour ce choix, de l’équilibre d
217 quilibre des républicains, des démocrates du Sud, et du Travail, représenté par les trois chefs des syndicats les plus pui
218 e des pressure groups de Washington ; des agences et bureaux d’État indépendants des ministères ; de la Finance (bien qu’e
219 ’opinion publique, car nous sommes en démocratie, et il faut bien que cela se marque quelque part… et en quelque manière.
220 et il faut bien que cela se marque quelque part… et en quelque manière. Les agences d’État à initiales sont si nombreuses
221 soires (elles durent de trois ans à trois mois) ; et de statut si variable (allant du rang de ministère non régulier à cel
222 uvernement, c’est-à-dire de trente-quatre agences et d’une douzaine de départements fédéraux qui se font la guerre, sans q
223 es bureaux gouvernementaux est sans cesse ventilé et renouvelé, au physique comme au figuré. Peu ou point de fonctionnaire
224 eu ou point de fonctionnaires de carrière, aigris et stéréotypés. Peu ou point d’esprit de corps, de traditions administra
225 d’esprit de corps, de traditions administratives, et d’institutions « vénérables », formalistes et inefficaces. Ensuite, t
226 es, et d’institutions « vénérables », formalistes et inefficaces. Ensuite, tous ces fonctionnaires d’occasion savent qu’il
227 ion savent qu’ils peuvent être aisément révoqués, et l’acceptent non moins aisément, en principe, car ils ont par ailleurs
228 re au premier jour. J’ai fait partie de la troupe et parle en connaissance de cause. L’Office d’information de guerre (OWI
229 e guerre (OWI) qui tenait le rang d’un ministère, et où j’ai travaillé pendant près de deux ans, ne comptait qu’une infime
230 tes, des dactylos, des étudiants, des professeurs et des acteurs. Trente mille en tout. Presque tous, aujourd’hui, sont re
231 occupations habituelles. Cet exemple est courant, et c’est pourquoi je le donne. Si vous prenez, au lieu de l’OWI, le NWLB
232 ngénieurs, journalistes en businessmen, cinéastes et acteurs en experts du travail ou du commerce. Tout cela change l’air
233 du commerce. Tout cela change l’air des bureaux, et l’esprit d’une bureaucratie, pour ceux qui en sont comme pour les vis
234 formulaires, de fiches, de doubles bien classés, et de coups de tampon sur des notes de service ? C’est fort possible. Pe
235 rapports prouvant qu’elle est indispensable. Ici et là, quelques énergumènes s’aviseront de travailler. Et cela suffira b
236 , quelques énergumènes s’aviseront de travailler. Et cela suffira bien : car c’est, en fait, par très peu d’hommes que les
237 ls n’auraient plus de choix qu’entre la démission et la tyrannie déclarée. Les bureaux à l’américaine semblent avoir été c
238 nt à la fois le Charybde de la routine inefficace et le Scylla du pouvoir personnel, ils choisissent le naufrage commun da
239 sses, aux frais de l’État qui payera l’assurance. Et c’est la sagesse politique, au siècle du collectivisme. g. Rougem
7 1946, Carrefour, articles (1945–1947). L’Amérique est-elle nationaliste ? (29 août 1946)
240 llemands sous Hitler, les Français sous Louis XIV et sous Napoléon, les Italiens sous Mussolini. Les Américains n’ont pas
241 s, devînt nationaliste à notre image européenne ? Et qu’elle décidât d’imposer au monde entier la loi yankee ? Il faudrait
242 science nationale. Le phénomène est-il probable ? Et s’il l’est, devons-nous le redouter ? Je répondrai que le phénomène e
243 e-même lorsqu’elle atteint ses limites naturelles et qu’elle se heurte à des voisins organisés. Or c’est le cas de l’Améri
244 e deux océans au-delà desquels régnaient le Japon et l’Europe ; et deux territoires géographiquement américains, mais hist
245 au-delà desquels régnaient le Japon et l’Europe ; et deux territoires géographiquement américains, mais historiquement étr
246 yankee : le Mexique latin, le Canada britannique et français. Couronnant le tout, voici que le monde germanique vient déc
247 oncurrence déclarée avec la production américaine et l’idéal démocratique d’un Roosevelt. L’Amérique atteignant ses limite
248 non plus avec sa nature, ses déserts, ses émigrés et ses Indiens, mais avec le monde entier organisé en groupes solides ;
249 aré la guerre, comme pour mieux marquer le coup ; et , de plus, elle l’a gagnée avec une arme qu’elle se trouve seule à pos
250 nation, avec tout ce que cela comporte d’orgueil et de volonté de régenter le monde, puisqu’on est au surplus victorieux
251 ter le monde, puisqu’on est au surplus victorieux et tout-puissants du premier coup. Imaginez qu’un grand pays européen ai
252 l’idéal commun vers quoi tendent les Américains, et qui les fait devenir vraiment Américains, quelles que soient, par ail
253 nécessairement ascendants vers une vie meilleure. Et il ne s’agit pas d’une déclaration d’anti quelque chose, mais au cont
254 uelque chose, mais au contraire d’une exhortation et d’un rappel qu’on adresse à soi-même autant qu’aux autres, afin que c
255 américain. Voilà donc un nationalisme « ouvert » et pour qui la nation est en avant dans un élan, un rêve, une liberté fu
256 as dans le passé, comme chez Barrès dans la terre et les morts, ou comme chez Rosenberg dans le sang et le sol. Ce qu’il y
257 t les morts, ou comme chez Rosenberg dans le sang et le sol. Ce qu’il y a de répugnant dans le nationalisme européen, c’es
258 au voisin ses propres limitations traditionnelles et de lui faire subir la loi d’un village qui n’est pas le sien. Au cont
259 bération qu’on vient de découvrir pour son compte et qui seront bien plus efficaces appliqués à l’échelle mondiale. Ici, l
260 life, parce qu’ainsi, croient-ils, tout le monde ( et eux compris, bien entendu) se sentira plus en sécurité et plus à l’ai
261 ompris, bien entendu) se sentira plus en sécurité et plus à l’aise. Je pense aux Russes. Je vous laisse comparer. Chacun s
262 ppines. J’entends d’ici nos méfiants à moustaches et à col dur : « Le commerce américain va nous submerger et détruire nos
263 l dur : « Le commerce américain va nous submerger et détruire nos coutumes d’économie paysanne ; on achètera nos âmes avec
264 âmes contre des frigidaires, ce sera notre faute et non pas celle de l’industrie américaine qui aura mis dans un coin de
265 uisines ces appareils où tout respire l’innocence et ronronne l’hygiène. Ceux qui voient dans le frigidaire une menace pou
266 de produits que nous aurons bien voulu acheter ; et si son rythme plus rapide met en péril certaines coutumes avares, ce
267 e son automobile, le blâme en retombe sur l’homme et non sur la machine. Car primo, on ne l’a pas forcé à l’acheter, et se
268 hine. Car primo, on ne l’a pas forcé à l’acheter, et secundo, une fois l’automobile achetée, il ne dépendait que de lui d’
269 mpérialisme commercial de l’Amérique, d’une part, et qui se plaignent de ce que l’Amérique ne leur vende pas assez de blé,
270 sme ; quand elle n’envoie pas, on parle d’égoïsme et d’hypocrisie puritaine. Et il arrive même trop souvent que l’on parle
271 as, on parle d’égoïsme et d’hypocrisie puritaine. Et il arrive même trop souvent que l’on parle des deux à la fois. Je vou
272 érique, en Europe, l’accusent à la fois d’être là et , pour comble, de n’être pas là. Quand elle fait une crise d’isolation
273 ertie, d’incompréhension de la situation mondiale et d’orgueil inqualifiable. Mais quand elle fait une crise d’idéalisme e
274 iable. Mais quand elle fait une crise d’idéalisme et qu’elle intervient dans les affaires d’Europe, comme en 1917 et en 19
275 ervient dans les affaires d’Europe, comme en 1917 et en 1943, on l’accuse de se mêler de ce qu’elle ne peut comprendre. Ce
276 uand les choses vont très mal — par notre faute — et qu’ils vident les lieux en vitesse, comme des intrus et sans remercie
277 ils vident les lieux en vitesse, comme des intrus et sans remerciements, dès qu’ils nous ont tirés d’affaire. « Eh quoi !
278 Eh quoi ! trois mois déjà que nous sommes libérés et ils infestent encore nos bars ! » ⁂ Autre exemple de cette même contr
279 terdisent les reportages, agissent en conquérants et claquent les portes dès que se produit la moindre divergence. À ce pr
280 re ces reproches contradictoires d’isolationnisme et d’impérialisme, la politique américaine hésite parfois. D’autant plus
281 ne hésite parfois. D’autant plus qu’il existe bel et bien aux États-Unis des fractions isolationnistes et des fractions im
282 bien aux États-Unis des fractions isolationnistes et des fractions impérialistes et que ces minorités, d’ailleurs plus bru
283 ns isolationnistes et des fractions impérialistes et que ces minorités, d’ailleurs plus bruyantes qu’efficaces, se confond
8 1947, Carrefour, articles (1945–1947). L’art dirigé [Réponse à une enquête] (23 janvier 1947)
284 ulent diriger n’est pas l’art, mais la propagande et la production de cartes postales en couleur. Ce qu’ils appellent diri
285 ’a jamais prétendu « diriger » la correspondance) et d’autre part favoriser les artistes inscrits au parti. Or les lettres
286 il se maintienne au niveau de la presse du savoir et de la radio (libres ou dirigées) et il cessera d’être un artiste. Sin
287 sse du savoir et de la radio (libres ou dirigées) et il cessera d’être un artiste. Sinon, il se voit contraint d’inventer
288 ’inventer son langage, sa rhétorique, ses sujets, et peu à peu son public : c’est l’ambition romantique, c’est le destin d
289 que, c’est le destin de l’artiste individualiste, et c’est trop pour un homme. Il s’agit pour nous, au xxe , d’appeler et
290 un homme. Il s’agit pour nous, au xxe , d’appeler et de créer des « communautés » véritables, au sein desquelles le langag
291 Mais cela remet en question toute notre culture, et derrière elle toute la structure sociale et la politique de l’époque.
292 ture, et derrière elle toute la structure sociale et la politique de l’époque. Je ne vois pas comment un artiste pourrait
293 s’efforcer de modifier les structures existantes et d’en inventer de nouvelles, soit par son art, soit en tant que citoye
294 ologie » ou pour mieux dire exprime une théologie et une métaphysique, qu’on le veuille et le sache, ou non. Je pense que
295 e théologie et une métaphysique, qu’on le veuille et le sache, ou non. Je pense que cela va mieux en le sachant. Mais les
9 1947, Carrefour, articles (1945–1947). Fédération ou dictature mondiale ? (9 avril 1947)
296  ». Cette ligue compte déjà 18 000 membres actifs et plus de 70 000 sympathisants. Plusieurs savants, chroniqueurs influen
297 s, chroniqueurs influents de la radio, magistrats et écrivains réputés, font partie de son comité. La presse américaine en
298 comité. La presse américaine en a beaucoup parlé et ne cesse de discuter le sujet. En Europe, au contraire, il m’apparaît
299 rnement mondial se heurte au scepticisme général, et même, pour peu que l’on insiste, provoque une curieuse impatience. Ex
300 uramment. Je trouve d’abord un réflexe de fatigue et de méfiance facilement explicable : on voudrait écarter l’idée en la
301 i, tout fut d’abord une utopie : le christianisme et l’aviation, le marxisme et l’utilisation de l’électricité, la découve
302 pie : le christianisme et l’aviation, le marxisme et l’utilisation de l’électricité, la découverte de l’Amérique et la tra
303 ion de l’électricité, la découverte de l’Amérique et la transmission instantanée de la parole d’un continent à l’autre. Tr
304 euples étaient prêts pour la guerre, par exemple, et pour la mort en grande série ? Ce qui est vrai, c’est qu’on les y pré
305 istoire a-t-on jamais demandé l’avis des peuples, et pourquoi furent-ils jamais prêts ? L’étaient-ils pour le christianism
306 e vaut rien, vous diriez : le projet paraît juste et nécessaire, donc il faut que les peuples se préparent à le réaliser.
307 e bien entendu l’échec de la Société des Nations, et l’on rappelle qu’à chaque conflit sérieux les nations se sont divisée
308 la Ligue qu’au nom de leurs intérêts individuels et de leurs alliances particulières. Cet argument porte à coup sûr contr
309 soin la souveraineté absolue des nations, source et condition même de toutes les guerres modernes. Cette faiblesse taxe i
310 dernes. Cette faiblesse taxe identiquement l’ONU, et c’est précisément pour cette raison que beaucoup éprouvent l’urgence
311 uerres, devrait être établi au-dessus des nations et aux dépens de leur souveraineté. Il naîtrait de l’abandon même, par l
312 chargé d’inspecter dans tous les pays les usines et les laboratoires, et qui serait seul dépositaire des secrets de fabri
313 ans tous les pays les usines et les laboratoires, et qui serait seul dépositaire des secrets de fabrication actuellement d
314 it « une atteinte aux souverainetés nationales ». Et les Américains ont répondu que c’était bien là ce qu’ils voulaient. C
315 ure des forces qui s’y opposent : le nationalisme et l’esprit totalitaire. Sur quoi les adversaires du gouvernement mondia
316 e l’abandon partiel des souverainetés nationales, et armé de la bombe atomique, serait au contraire trop puissant. Et, en
317 ombe atomique, serait au contraire trop puissant. Et , en effet, on peut redouter qu’un tel pouvoir soit tenté d’imposer à
318 un dirigisme mitigé, plus ou moins scientifique, et reposant sur une conception naïvement matérialiste de l’homme.) Ainsi
319 u’au prix d’une sorte de paralysie de l’histoire, et d’un appauvrissement peut-être irréparable des perspectives de l’aven
320 le problème insoluble, celle-ci le suppose résolu et tente d’évaluer la situation qui en résulterait probablement. Pour y
321 près les modes d’élection du gouvernement mondial et les limites de son pouvoir. En effet, si les membres de l’exécutif mo
322 au contraire ils étaient désignés par les peuples et secondés par un Parlement mondial, la possibilité d’une opposition no
323 quatre libertés est dans la liberté d’opposition, et que celle-ci suffit à distinguer la démocratie de ses contrefaçons to
324 st-à-dire de limiter les souverainetés nationales et de distribuer plus équitablement les richesses de la planète. Guerre,
325 t souverains, nous aurons des menaces de guerre : et réciproquement, tant qu’il y aura des menaces de guerre, les États te
326 ats tendront à l’autarcie, les frontières closes, et le blé, le riz, le café pourriront, les pommes de terre pourriront pa
327 t les difficultés que rencontre son établissement et les dangers en partie imprévisibles qui en résulteraient (comme de to
328 s, entraînant celle des idéologies, tout se tient et se mêle inextricablement, la persistance d’États-nations souverains d
329 nous sommes incapables de briser cette féodalité et d’adapter nos structures politiques aux réalités du xxe siècle, qui
330 cipite les conflits plus qu’elle ne les retarde.) Et si la guerre éclate — militaire ou non —, il en résultera l’hégémonie
331 pour l’autre. Ce qui est certain, c’est que l’une et l’autre ne peuvent plus être désormais qu’aux dimensions de la planèt
332 ondiale ? », Carrefour, Paris, 9 avril 1947, p. 1 et 3.
10 1947, Carrefour, articles (1945–1947). « Jean-Paul Sartre vous parle… et ce qu’en pensent… » (29 octobre 1947)
333 « Jean-Paul Sartre vous parle… et ce qu’en pensent… » (29 octobre 1947)l m Émission plus ambiguë en
334 rie soviétique, laquelle prévoit un conflit fatal et violent entre la dictature marxiste et la démocratie capitaliste. Mer
335 flit fatal et violent entre la dictature marxiste et la démocratie capitaliste. Merleau-Ponty a raison de dire qu’il « fau
336 faudrait faire appel à la démocratie américaine » et de se taire prudemment sur tout appel à la « démocratie » russe. S. d
337 ponse à une enquête] Jean-Paul Sartre vous parle… et ce qu’en pensent… », Carrefour, Paris, 29 octobre 1947, p. 7. m. Rép
11 1947, Carrefour, articles (1945–1947). La France est assez grande pour n’être pas ingrate (26 novembre 1947)
338 mais la manière dont nous sollicitons cette aide et la vilipendons du même mouvement. « Payez, messieurs, et veuillez agr
339 ilipendons du même mouvement. « Payez, messieurs, et veuillez agréer les assurances de notre ingratitude anticipée. » C’es
340 as des discours officiels, mais des conversations et de beaucoup d’articles, de jugements que nous portons chaque jour sur
341 s que nous portons chaque jour sur les Américains et leur action. Il y a trente ans que nous les abreuvons de récriminatio
342 ente ans que nous les abreuvons de récriminations et de dédains, de demandes d’emprunts et de refus de rembourser, de reco
343 riminations et de dédains, de demandes d’emprunts et de refus de rembourser, de recours à leurs capitaux et de dénonciatio
344 refus de rembourser, de recours à leurs capitaux et de dénonciations de leur capitalisme. Il y a trente ans que nous les
345 les appelons au secours quand l’Europe est à feu et à sang (par notre faute, si je ne me trompe) : il y a trente ans que
346 réer de toutes pièces l’armée de notre libération et pour la débarquer en Algérie !) ; il y a trente ans que, lorsqu’ils a
347 n pas seulement quand ils s’isolent, mais surtout et précisément quand ils nous offrent leur appui ! J’entends dire couram
348 nt : « C’est entendu, ils nous fournissent du blé et de l’argent pour l’acheter, mais croyez-vous que ce soit par pure phi
349 L’intérêt de l’Amérique, c’est que l’Europe vive et ne tombe pas aux mains des Russes ; c’est qu’elle soit forte et donc
350 s aux mains des Russes ; c’est qu’elle soit forte et donc unique, puisque les autres comptent sur sa faiblesse. Mais au li
351 nner comme ça, pour le plaisir, n’importe comment et à n’importe qui… On leur fait un grief d’avoir une politique, un crim
352 s phrases ce que les Russes promettent aux masses et ne leur donnent pas. On va plus loin encore, s’il est possible. À cro
353 e ne sait plus où vendre ses produits, la pauvre, et tente de prolonger l’agonie de son système en s’ouvrant des marchés e
354 arts qui reviennent à l’Amérique latine, à l’Asie et à la Russie, on voit ce qui reste pour l’Europe — pour la solidité de
355 sur nos besoins concrets, négligeant nos humeurs et préjugés. On ne nous demande pas de dire merci. Mais justement, puisq
356 n’en parlons plus. Quant à l’indépendance morale et politique que nous devons affirmer ou regagner, c’est dans l’union fé
357 grate », Carrefour, Paris, 26 novembre 1947, p. 1 et 5.