1 1945, Carrefour, articles (1945–1947). L’Amérique de la vie quotidienne (19 octobre 1945)
1 lus libre de mœurs. L’Amérique ne se définit pas. Elle ne s’explique pas dans l’ensemble. Elle se sent. L’Amérique, c’est d’
2 init pas. Elle ne s’explique pas dans l’ensemble. Elle se sent. L’Amérique, c’est d’abord un sentiment. J’avais, avant d’y v
3 u tant de films et lu tant de romans américains : ils donnaient, je le sais aujourd’hui, des images vraies de la vie d’ici,
4 s pas l’Amérique dans ces photos et ces livres où elle est. Et quand j’y ai débarqué, je n’ai rien reconnu de ce qu’une douz
5 fiancé qui s’embarque pour une guerre lointaine : elle pleure un peu ou pas du tout, agite la main, s’en va d’un pas étrange
6 ée croyant son mari tué en Chine. On le retrouve. Elle déclare aux reporters : « Jim est simplement épatant, mais c’est Joe
7 ds, je vais me séparer de Jim, et je suis sûre qu’ il comprendra très bien… » Un mois plus tard. Jim et Joe boivent ensembl
8 Joe boivent ensemble à la santé du couple réuni. Ils aiment tout ce qui passe, fait sensation, va plus loin et se perd on
9 le rêve du bonheur d’un autre… Tout est possible. Il y en a pour tout le monde. La jalousie n’est pas américaine. Comment
10 res, matériellement ou moralement. Dès l’enfance, il s’arrange pour ménager du jeu dans sa conduite, dans ses relations, d
11 , pour tout dire, moins vu qu’en Europe. Parce qu’ ils sont moins conscients de leur vie et d’autrui, ils me tolèrent davant
12 ls sont moins conscients de leur vie et d’autrui, ils me tolèrent davantage. Ce n’est pas qu’ils m’ignorent ou le feignent,
13 utrui, ils me tolèrent davantage. Ce n’est pas qu’ ils m’ignorent ou le feignent, mais ils m’acceptent avant tout sans exame
14 n’est pas qu’ils m’ignorent ou le feignent, mais ils m’acceptent avant tout sans examen. Si je leur parais bizarre par mon
15 e par mon costume, par ma conduite ou mon accent, ils n’ont pas l’air d’en faire un cas, de se croire obligés de prendre po
16 l entreprenant. Cette nuance me paraît capitale : elle suffit à changer l’atmosphère. L’avouerai-je ? Aux premiers contacts,
17 je les trouvais tous un peu crazy les gens d’ici. Ils entraient et sortaient sans saluer, sans dire pourquoi ils étaient ve
18 ient et sortaient sans saluer, sans dire pourquoi ils étaient venus ; ils se versaient à boire, et, les pieds sur une chais
19 ns saluer, sans dire pourquoi ils étaient venus ; ils se versaient à boire, et, les pieds sur une chaise, me posaient avec
20 aine : le formalisme, une passion du décor dès qu’ il s’agit de manifestations publiques. Ceci compense cela, sans doute, p
21 t aux États-Unis, même depuis dix ou vingt ans, s’ il veut devenir Américain, doit se soumettre au rite suivant : il lui fa
22 ir Américain, doit se soumettre au rite suivant : il lui faut tout d’abord quitter le pays — un petit voyage au Canada ou
23 qu’une portée symbolique et rituelle. Autrement, elle ne sert à rien. Mais personne ne paraît s’en étonner, tant est puissa
24 événements, plus qu’aux incidents de la semaine. Il me semble assez important, pour faire comprendre à des Français certa
2 1945, Carrefour, articles (1945–1947). Le rêve américain (9 novembre 1945)
25 terbugs évoque, par moments, le vaudou, et, quand ils se mettent à crier, on les croirait au bord du délire collectif. Mais
26 arent un peu. Personne ne parle. Suit un tango où ils se glissent joue à joue, avec n’importe qui, comme sans se voir, dans
27 le vide. Peu ou point de plaisanteries échangées. Ils sont ici pour rêver, pour danser. Ils rêvent dans toutes les salles d
28 échangées. Ils sont ici pour rêver, pour danser. Ils rêvent dans toutes les salles de cinéma. Ils marchent dans la rue en
29 ser. Ils rêvent dans toutes les salles de cinéma. Ils marchent dans la rue en chantonnant leurs mélodies toujours si triste
30 mais avec un sourire de rêve heureux. Je crois qu’ ils sont bien moins conscients que nous. À quoi rêvent-ils ? À la vie lar
31 ont bien moins conscients que nous. À quoi rêvent- ils  ? À la vie large, toujours plus large devant eux, à la richesse et à
32 arge devant eux, à la richesse et à la liberté qu’ elle leur donnerait, croient-ils. À une aisance qui va venir. C’est là tou
33 e et à la liberté qu’elle leur donnerait, croient- ils . À une aisance qui va venir. C’est là tout le secret de ce que l’on n
34 n rêve. Non seulement les limites le gênent, mais il ne veut pas même admettre qu’elles existent, sinon pour être dépassée
35 s le gênent, mais il ne veut pas même admettre qu’ elles existent, sinon pour être dépassées. C’est contraire à sa tradition.
36 du Potomac par le rêve d’un pays sans limites, et il l’était vraiment pour ceux qui triomphaient des famines, des moustiqu
37 , des moustiques, des dysenteries et des Indiens. Ils avaient fui les étroitesses religieuses et politiques de l’Europe. Il
38 troitesses religieuses et politiques de l’Europe. Ils se trouvaient tout seuls devant leur chance. Tout dépendait de leur c
39 nt. Mais c’était une limite atteinte. Qu’allaient- ils faire des énergies mises en œuvre pour la conquête ? Ils se tournèren
40 re des énergies mises en œuvre pour la conquête ? Ils se tournèrent vers l’industrie. Ce fut leur nouvelle « frontière », l
41 on pays du fond du Pacifique ou de l’Europe, dont il n’a guère connu que les ruines et les amertumes, rêve simplement de s
42 s et les amertumes, rêve simplement de son foyer. Il voit sa maison blanche, sa femme et le drugstore du coin. Huit à neuf
43 . Huit à neuf fois sur dix, vis-à-vis des pays qu’ il vient de libérer au péril de sa vie, il garde une espèce de rancœur.
44 s pays qu’il vient de libérer au péril de sa vie, il garde une espèce de rancœur. Je ne pense pas que le mot soit trop for
45 ont trouvés mêlés au grand malheur des peuples qu’ ils aimaient de loin. Ils ont été courageux devant l’ennemi, mais non pas
46 rand malheur des peuples qu’ils aimaient de loin. Ils ont été courageux devant l’ennemi, mais non pas devant la misère de l
47 emi, mais non pas devant la misère de leurs amis. Ils rentrent en disant que la France est sale et en désordre, que tout y
48 t que les WC sont au milieu des places publiques. Ils demandent qu’on ne leur parle plus des indigènes européens, ces agité
49 s tricheurs. C’est ainsi, et je ne juge personne. Il faut verser ces injustices flagrantes, ces vérités mal à propos au co
50 bés par la vie quotidienne d’ici quelques années. Ils finiront bien par penser comme leur femme, leur patron, leurs concurr
51 des pionniers qui luttaient sur la « frontière ». Il pressent qu’il a fait son plein ou qu’il est bien près de le faire da
52 ui luttaient sur la « frontière ». Il pressent qu’ il a fait son plein ou qu’il est bien près de le faire dans les limites
53 tière ». Il pressent qu’il a fait son plein ou qu’ il est bien près de le faire dans les limites de son pays, « d’une côte
54 ites de son pays, « d’une côte à l’autre », comme il dit. Et ce pressentiment l’inquiète profondément. Or c’est bien cette
55 s étrangères de Roosevelt, avait prévue. Et c’est elle qu’il avait tenté de prévenir, non sans succès, en particulier par sa
56 ères de Roosevelt, avait prévue. Et c’est elle qu’ il avait tenté de prévenir, non sans succès, en particulier par sa polit
57 yant rejoint les frontières mêmes des États-Unis, il faut donc en sortir et deux voies sont possibles : répandre les produ
3 1945, Carrefour, articles (1945–1947). Hollywood n’a plus d’idées (13 décembre 1945)
58 r ma part, que Hollywood n’y trouvera rien, ou si elle y trouve un germe, le nettoiera. Car Hollywood n’est plus qu’une mach
59 ttoiera. Car Hollywood n’est plus qu’une machine. Elle transforme en argent tout ce qu’elle a envie de toucher, et c’est pou
60 une machine. Elle transforme en argent tout ce qu’ elle a envie de toucher, et c’est pourquoi son avidité même à se renouvele
61 uveler stérilise instantanément les nouveautés qu’ il semblerait facile d’y introduire, à première vue. Cette technique tro
62 s neutralisant l’originalité les uns des autres : elle suppose une telle application au détail matériel, au cadre, au son, à
63 l’éclairage, aux cravates et au faux-vrai luxe : elle doit tenir compte de tant d’exigences personnelles des stars, collect
64 le préjugés hérités de trente ans de triomphe, qu’ il n’est pas de génie assez coriace pour survivre à pareille torture au
65 s. Le rythme est cahotant, trop coupé, mais quand il s’établit sur une ou deux séquences, comme il entraîne ! Je rentre ap
66 and il s’établit sur une ou deux séquences, comme il entraîne ! Je rentre après cela dans une salle de Broadway : tout y m
67 ’accepte pas que Hedy Lamarr soit mal habillée si elle joue une pauvresse, qu’Ingrid Bergman ressemble à la Suédoise qu’elle
68 sse, qu’Ingrid Bergman ressemble à la Suédoise qu’ elle est, plutôt qu’à une star comme les autres. N’insistons pas : la déca
69 voir que cela vaut le dérangement. Je me déplace. Elle entre sur ses talons plats, avec son chapeau de feutre gris souris re
70 ’eusse préféré ne la voir jamais, mais j’avoue qu’ elle est très jolie, malgré la minceur de ses lèvres. Un peu plus tard, c’
71 plus tard, un pas rapide dans l’escalier : c’est elle encore, en robe courte de soie grise, et déjà nous choquons nos petit
72 u’on fait parfois des souverains en voyage. Comme elle est gaie ! J’ai passé une demi-heure à causer avec elle, sur un sofa,
73 st gaie ! J’ai passé une demi-heure à causer avec elle , sur un sofa, et plus tard nous avons soupé, assis par terre, dans un
74 : je ne trouve rien à me remémorer de ses propos. Elle a le génie de ne rien dire qui la rende plus réelle qu’une image. Ne
75 à la fantaisie de toutes les imaginations. Comme elle est belle et comme elle est absente ! Quelle élégance dans l’irréalit
76 s les imaginations. Comme elle est belle et comme elle est absente ! Quelle élégance dans l’irréalité ! Comme elle est gaie
77 bsente ! Quelle élégance dans l’irréalité ! Comme elle est gaie pour un fantôme… ⁂ Revenons à nos moutons de Hollywood. Je n
78 uns des moyens d’expression radicalement neufs qu’ il permet : c’est Walt Disney. Les autres en sont encore à photographier
79 les rythmes habituels de notre vie. C’est dire qu’ ils oublient ou refusent de prendre avantage des possibilités uniques du
80 e entièrement partagée par les publics d’enfants, ils évoluent dans un univers de machines féroces, d’explosions, de flamme
81 erre, nous donnèrent seuls la sensation du Blitz. Ils sont de notre temps d’une manière plus profonde que leur auteur, sans
82 auteur, sans doute, n’eût osé le soupçonner. Car il n’est pas intelligent, s’il est génial. Disney, quand il se trompe, n
83 sé le soupçonner. Car il n’est pas intelligent, s’ il est génial. Disney, quand il se trompe, n’y va pas de main morte. Je
84 t pas intelligent, s’il est génial. Disney, quand il se trompe, n’y va pas de main morte. Je pense surtout à Fantasia, ess
85 utôt déprimés par la représentation de la veille. Il entre avec sa femme. Il a l’air d’un bon garçon bien correct et bien
86 résentation de la veille. Il entre avec sa femme. Il a l’air d’un bon garçon bien correct et bien banal. On essaie de parl
87 nsky — deux des principales victimes de son film. Il coupe court d’un ton neutre : « Mrs Walt Disney n’aime pas la musique
88 sique. » Un froid, et chacun pense : Que ne l’a-t- elle empêché de s’en occuper ! Son mauvais goût me paraît irrémédiable, ét
89 , n’est qu’une suite de cartes de bons vœux comme il s’en envoie des millions à chaque Noël en Amérique.) Mais il a le sec
90 oie des millions à chaque Noël en Amérique.) Mais il a le secret de ce rythme endiablé, cette ingéniosité foisonnante, fol
91 ions géniales de Disney remontent à la période où il travaillait seul, à l’aventure, avec des moyens peu coûteux. Les prod
92 ommes fabuleuses. Pour que ces sommes rapportent, il faut le plus grand public possible. Pour satisfaire ce plus grand pub
93 c possible. Pour satisfaire ce plus grand public, il faut se garder d’innover ou de faire plus vrai que la convention du j
94 rand public déteste autant que vous la nouveauté. Il a aimé Disney. Et qui sait s’il ne va point préférer les films europé
95 ous la nouveauté. Il a aimé Disney. Et qui sait s’ il ne va point préférer les films européens, dès qu’il pourra les voir ?
96 ne va point préférer les films européens, dès qu’ il pourra les voir ? Tous les signes sont là. Dépêchez-vous ! Mais peut-
97 signes sont là. Dépêchez-vous ! Mais peut-être qu’ il est trop tard : et qu’ils s’en doutent. L’importance des studios de N
98 vous ! Mais peut-être qu’il est trop tard : et qu’ ils s’en doutent. L’importance des studios de New York s’accroît sans ces
99 bandits, et des sujets de scénarios historiques. Il se peut que Hollywood, après sa mort, devienne une merveilleuse « idé
100 écran sous la forme du chef-d’œuvre que, vivante, elle n’a fait que rêver. c. Rougemont Denis de, « Hollywood n’a plus d’
4 1945, Carrefour, articles (1945–1947). Les enfants américains réclament des bombes atomiques (20 décembre 1945)
101 uter le monde. Les trois Grands, à Moscou, seront- ils plus adroits dans ce même jeu ? On ne le croirait pas à les voir. Cur
102 on, c’est Miss Hepburn ! » — « C’est moi ! », dit- elle en lui pinçant la joue, et la vendeuse nous planta là. Il neigeait su
103 i pinçant la joue, et la vendeuse nous planta là. Il neigeait sur la Cinquième Avenue, sur les paquets enrubannés, sur les
104 , transporté avec toutes ses racines d’un parc où il sera replanté dès janvier, n’ayant coûté que cent dollars de location
105 de rivaliser dans la dépense en fin d’année, est- elle comme chez les primitifs la manière de conjurer le sort ? Plus que di
106 encore très bien compris les traditions, parce qu’ elle les respecte un peu trop… Times Square, tous ses feux allumés, semble
107 aériens. Déjà la télévision en couleurs prouve qu’ elle ne le cède en rien à la photographie pour « le brillant et la précisi
108 e, bonne volonté de Dieu envers les hommes ». Est- il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et de
109 de bonne volonté ? La plupart sont involontaires. Ils ne font que subir leur condition. À Times Square, dans une foule comp
5 1946, Carrefour, articles (1945–1947). Deux presses, deux méthodes : l’Américain expose, le Français explique (4 avril 1946)
110 araissait meilleure que celle de France, parce qu’ elle donnait plus de nouvelles du monde, et d’une manière plus objective,
111 ribue par erreur à l’autruche. Je suis certain qu’ il avait tort, comme la suite l’a prouvé d’ailleurs. Le directeur de Car
112 d’ailleurs. Le directeur de Carrefour admettra-t- il que je récidive, à propos cette fois-ci de l’exemple américain ? Ex
113 de points de vue contradictoires, et je précise : ils l’admettent justement à l’occasion des débats les plus graves et les
114 rites respectifs des personnes en présence ? Et s’ il s’agit d’une grève de vastes dimensions, comme celle qui vient d’inte
115 ournal. Ceci me paraît très important. En France, il arrive trop souvent que le débat réel reste mal défini, les positions
116 ayant pas été déclarées dans les termes exacts où elles s’arrêtent. Ce que l’on trouve dans son journal, c’est un débat à pro
117 la presse — au sujet d’un problème qui, semble-t- il , importe moins en soi que ce qu’en disent les partis. Ainsi l’on peut
118 . Et je savais que quel que fût le problème posé, ils resteraient attachés « indéfectiblement », comme des moules, à leurs
119 la dénonciation personnelle ou le scandale. Quand ils s’y lancent, ils n’y vont pas de main morte. Mais leur objectif princ
120 ersonnelle ou le scandale. Quand ils s’y lancent, ils n’y vont pas de main morte. Mais leur objectif principal, ou si l’on
121 . Le grand reporter français cherche à expliquer, il tend à l’essai. Le correspondant américain cherche à faire voir, il t
122 Le correspondant américain cherche à faire voir, il tend au roman. Sa gloire et son statut social éclipsent bien souvent
123 passe, n’eût pas trouvé de meilleur expédient : s’ ils demandent des nouvelles, contez-leur une histoire. « S’ils n’ont pas
124 dent des nouvelles, contez-leur une histoire. « S’ ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent des brioches ! » Le siècle est en r
125 -leur une histoire. « S’ils n’ont pas de pain, qu’ ils mangent des brioches ! » Le siècle est en révolution, l’Europe en rui
126 formé, je ne mettrai pas en doute l’utilité. Mais elle ne possède pas d’organes d’information dignes du nom. Sur quoi peut b
127 quoi peut bien régner ce ministère ? J’imagine qu’ il a pris à tâche de créer un nouvel esprit, un nouveau sens des devoirs
128 s termes à la moyenne ou même au pire de l’autre. Il resterait à opposer la tenue littéraire, mettons du Figaro à la vul
129 la vulgarité totale du Journal and American. Mais il est difficile d’être à la fois juste et utile, en temps de crise. Et
6 1946, Carrefour, articles (1945–1947). Une bureaucratie sans ronds-de-cuir (23 mai 1946)
130 u’un agent d’assurances du Connecticut affirme qu’ elle jouit d’un gouvernement pratiquement idéal, le Contrôleur général des
131 dière. » Ce fonctionnaire sait à peu près de quoi il parle, — et je dis à peu près pour dire comme lui. Car son travail co
132 me lui. Car son travail consiste, nous explique-t- il , à maintenir les agences de l’État dans les limites de leurs prérogat
133 prérogatives et de leur budget particulier, mais il avoue que c’est une tâche impossible. Dans le domaine des transports,
134 comités successifs pour étudier cette situation. Il est concevable qu’un dixième comité ait pour objet d’examiner l’activ
135 mploi ou des anciens ministres de n’importe quoi. Il sera plutôt un homme d’affaires dans la quarantaine, le vice-présiden
136 et voyons ce que le coming man va nous sortir. S’ il réussit, sa gloire sera grande pendant plusieurs semaines au moins, à
137 moins, à condition que la presse l’ait adopté. S’ il rate, il sera vidé sans autres formes qu’une lettre personnelle du pr
138 condition que la presse l’ait adopté. S’il rate, il sera vidé sans autres formes qu’une lettre personnelle du président,
139 formes qu’une lettre personnelle du président, qu’ il pourra lire le jour même dans le journal : « Mon cher Bill, au moment
140 ohérente. (Pour un esprit infiniment intelligent, il n’y aurait jamais de désordre, mais seulement des complexités.) Le fa
141 n. Mais ce n’est pas beaucoup dire, de nos jours. Il choisit ses ministres et ses tsars. Mais il doit tenir compte, pour c
142 ours. Il choisit ses ministres et ses tsars. Mais il doit tenir compte, pour ce choix, de l’équilibre des républicains, de
143 es trois chefs des syndicats les plus puissants ; il doit tenir compte des pressure groups de Washington ; des agences et
144 épendants des ministères ; de la Finance (bien qu’ elle perde du terrain) ; enfin de l’opinion publique, car nous sommes en d
145 inion publique, car nous sommes en démocratie, et il faut bien que cela se marque quelque part… et en quelque manière. Les
146 nombreuses (quelques milliers) ; si provisoires ( elles durent de trois ans à trois mois) ; et de statut si variable (allant
147 e non régulier à celui d’expédient de crise) ; qu’ il n’y a pas homme au monde qui ait le temps ou les moyens intellectuels
148 intellectuels de s’y retrouver : à peine y serait- il parvenu que le tableau changerait en quelques jours. D’où la gabegie
149 artements fédéraux qui se font la guerre, sans qu’ il existe un seul centre capable de dresser l’inventaire de ce domaine g
150 ossède pas d’école de fonctionnaires spécialisés. Elle ne produit pas plus d’inspecteurs des Finances que de ronds-de-cuir d
151 ite, tous ces fonctionnaires d’occasion savent qu’ ils peuvent être aisément révoqués, et l’acceptent non moins aisément, en
152 l’acceptent non moins aisément, en principe, car ils ont par ailleurs une profession qu’ils pourront reprendre au premier
153 ncipe, car ils ont par ailleurs une profession qu’ ils pourront reprendre au premier jour. J’ai fait partie de la troupe et
154 ord un général, puis un commentateur de la radio. Il avait sous ses ordres des écrivains, des journalistes, des banquiers,
155 vous prenez, au lieu de l’OWI, le NWLB ou l’OPA, il suffira de transposer écrivains en ingénieurs, journalistes en busine
156 tionnaires ? La société entière se transformera-t- elle en un cauchemar de statistiques, de directives, de formulaires, de fi
157 son temps à rédiger de longs rapports prouvant qu’ elle est indispensable. Ici et là, quelques énergumènes s’aviseront de tra
158 épondra oui. L’expérience lui répondra non. Car s’ il n’y avait plus de grands bureaux dans une démocratie, quelques hommes
159 bles… Facilement désignés à la vindicte publique, ils n’auraient plus de choix qu’entre la démission et la tyrannie déclaré
160 ine inefficace et le Scylla du pouvoir personnel, ils choisissent le naufrage commun dans le détroit des Délais ou la mer d
7 1946, Carrefour, articles (1945–1947). L’Amérique est-elle nationaliste ? (29 août 1946)
161 L’Amérique est- elle nationaliste ? (29 août 1946)h Vont-ils devenir nationalistes à la
162 e est-elle nationaliste ? (29 août 1946)h Vont- ils devenir nationalistes à la manière des Européens ? C’est, à mon sens,
163 ublique, chez eux, en tient la place. Se pourrait- il qu’un jour prochain, cette opinion publique, reine des États-Unis, de
164 înt nationaliste à notre image européenne ? Et qu’ elle décidât d’imposer au monde entier la loi yankee ? Il faudrait tout d’
165 décidât d’imposer au monde entier la loi yankee ? Il faudrait tout d’abord que l’Amérique se formât une conscience nationa
166 formât une conscience nationale. Le phénomène est- il probable ? Et s’il l’est, devons-nous le redouter ? Je répondrai que
167 ce nationale. Le phénomène est-il probable ? Et s’ il l’est, devons-nous le redouter ? Je répondrai que le phénomène est no
168 lir sous nos yeux. Pourtant, je reste persuadé qu’ il ne comporte rien de redoutable. Une nation prend conscience d’elle-mê
169 e. Une nation prend conscience d’elle-même lorsqu’ elle atteint ses limites naturelles et qu’elle se heurte à des voisins org
170 lorsqu’elle atteint ses limites naturelles et qu’ elle se heurte à des voisins organisés. Or c’est le cas de l’Amérique, vir
171 , comme pour mieux marquer le coup ; et, de plus, elle l’a gagnée avec une arme qu’elle se trouve seule à posséder pour le m
172 p ; et, de plus, elle l’a gagnée avec une arme qu’ elle se trouve seule à posséder pour le moment. Voilà bien des raisons de
173 e. La terre entière aurait de quoi trembler. Mais il ne s’agit pas d’une nation comme les autres. Je voudrais, pour vous l
174 ion, une certaine conduite, une certaine opinion, il a coutume de dire, depuis quelques années, pour marquer sa réprobatio
175 essairement ascendants vers une vie meilleure. Et il ne s’agit pas d’une déclaration d’anti quelque chose, mais au contrai
176 d’une communion planétaire dans la même liberté. Ils ont envie d’ouvrir le monde à leur jeunesse, non pas de refermer sur
177 unesse, non pas de refermer sur lui leurs serres. Ils ont envie de nous faire bénéficier de leur style de vie, de leur way
178 vie, de leur way of life, parce qu’ainsi, croient- ils , tout le monde (et eux compris, bien entendu) se sentira plus en sécu
179 r là que cette dernière n’est plus très saine, qu’ elle « sent » déjà. Il est grand temps qu’on la mette dans la glace. De mê
180 ère n’est plus très saine, qu’elle « sent » déjà. Il est grand temps qu’on la mette dans la glace. De même, le commerce am
181 des États-Unis nous a fait moins de mal, semble-t- il , que « l’intelligence » inhumaine de certains chefs européens qui pro
182 heter, et secundo, une fois l’automobile achetée, il ne dépendait que de lui d’aller à pied quand cela lui chantait. Mais
183 Mais je m’avise ici d’une contradiction étrange. Il semble bien que ce sont les mêmes personnes qui vitupèrent l’impérial
184 ’Amérique envoie, on parle d’impérialisme ; quand elle n’envoie pas, on parle d’égoïsme et d’hypocrisie puritaine. Et il arr
185 on parle d’égoïsme et d’hypocrisie puritaine. Et il arrive même trop souvent que l’on parle des deux à la fois. Je voudra
186 ’être là et, pour comble, de n’être pas là. Quand elle fait une crise d’isolationnisme, on l’accuse de myopie, d’inertie, d’
187 n mondiale et d’orgueil inqualifiable. Mais quand elle fait une crise d’idéalisme et qu’elle intervient dans les affaires d’
188 Mais quand elle fait une crise d’idéalisme et qu’ elle intervient dans les affaires d’Europe, comme en 1917 et en 1943, on l
189 1917 et en 1943, on l’accuse de se mêler de ce qu’ elle ne peut comprendre. Ce qu’on voudrait, en somme, c’est que les Améric
190 es choses vont très mal — par notre faute — et qu’ ils vident les lieux en vitesse, comme des intrus et sans remerciements,
191 e, comme des intrus et sans remerciements, dès qu’ ils nous ont tirés d’affaire. « Eh quoi ! deux ans pour débarquer ! » (C’
192 quoi ! trois mois déjà que nous sommes libérés et ils infestent encore nos bars ! » ⁂ Autre exemple de cette même contradic
193 olitique d’occupation américaine en Allemagne : «  Ils sont trop doux, ils sont naïfs, ils ne comprennent rien aux problèmes
194 n américaine en Allemagne : « Ils sont trop doux, ils sont naïfs, ils ne comprennent rien aux problèmes de l’Europe, de quo
195 Allemagne : « Ils sont trop doux, ils sont naïfs, ils ne comprennent rien aux problèmes de l’Europe, de quoi se mêlent-ils 
196 rien aux problèmes de l’Europe, de quoi se mêlent- ils  ? » Intimidés, conscients d’avoir fait quelques gaffes à la Patton, l
197 e de s’en aller. Mais aussitôt : « Ah ! bien sûr, ils vont nous laisser seuls avec toute la charge de l’occupation sur les
198 pas le flanc à des critiques de ce genre parce qu’ ils ne publient rien, interdisent les reportages, agissent en conquérants
199 es mesures proposées ou soutenues par son pays. — Ils sont bien maladroits, disait-il en souriant, car à force de nous cont
200 par son pays. — Ils sont bien maladroits, disait- il en souriant, car à force de nous contrecarrer, ils vont nous obliger
201 il en souriant, car à force de nous contrecarrer, ils vont nous obliger à faire enfin de la politique étrangère dont nous n
202 tique américaine hésite parfois. D’autant plus qu’ il existe bel et bien aux États-Unis des fractions isolationnistes et de
203 e nom. h. Rougemont Denis de, « L’Amérique est- elle nationaliste ? », Carrefour, Paris, 26 août 1946, p. 1.
8 1947, Carrefour, articles (1945–1947). L’art dirigé [Réponse à une enquête] (23 janvier 1947)
204 e la production mécanique relève de l’imitation — il est clair qu’il ne peut exister d’art dirigé, pas plus qu’on ne peut
205 mécanique relève de l’imitation — il est clair qu’ il ne peut exister d’art dirigé, pas plus qu’on ne peut prévoir l’imprév
206 a production de cartes postales en couleur. Ce qu’ ils appellent diriger l’art, c’est d’une part exercer une censure (mais l
207 occupe d’être immédiatement accessible au peuple, il faut qu’il se maintienne au niveau de la presse du savoir et de la ra
208 re immédiatement accessible au peuple, il faut qu’ il se maintienne au niveau de la presse du savoir et de la radio (libres
209 du savoir et de la radio (libres ou dirigées) et il cessera d’être un artiste. Sinon, il se voit contraint d’inventer son
210 dirigées) et il cessera d’être un artiste. Sinon, il se voit contraint d’inventer son langage, sa rhétorique, ses sujets,
211 iste individualiste, et c’est trop pour un homme. Il s’agit pour nous, au xxe , d’appeler et de créer des « communautés »
212 emet en question toute notre culture, et derrière elle toute la structure sociale et la politique de l’époque. Je ne vois pa
213 n artiste pourrait s’en désintéresser, ni comment il pourrait ne point s’efforcer de modifier les structures existantes et
214 hysique au temps du romantisme allemand. En fait, il ne s’agit pas d’idéologies, mais de tactiques, pas de styles mais de
215 s trois questions suivantes : « 1. L’artiste peut- il s’exprimer dans les limites d’un art dirigé ? 2. Estimez-vous que l’a
216 t accessible au plus grand nombre ? 3. L’art peut- il être au service d’une idéologie ? »
9 1947, Carrefour, articles (1945–1947). Fédération ou dictature mondiale ? (9 avril 1947)
217 se de discuter le sujet. En Europe, au contraire, il m’apparaît que l’idée d’un gouvernement mondial se heurte au sceptici
218 is demandé l’avis des peuples, et pourquoi furent- ils jamais prêts ? L’étaient-ils pour le christianisme ? Pour la terreur 
219 , et pourquoi furent-ils jamais prêts ? L’étaient- ils pour le christianisme ? Pour la terreur ? Pour le capitalisme ? Pour
220 Pour le capitalisme ? Pour la bombe atomique ? S’ ils avaient été prêts pour l’une de ces grandes causes ou grandes actions
221 r l’une de ces grandes causes ou grandes actions, il n’y aurait pas eu de martyrs, ni de tyrans, ni d’adversaires de la Ré
222 général. L’argument est au moins léger. De plus, il est inexact dans le cas particulier. Vous dites que les peuples ne so
223 riez : le projet paraît juste et nécessaire, donc il faut que les peuples se préparent à le réaliser. Passons aux objectio
224 er, avant de le rejeter, le projet qu’on propose. Elles se ramènent à deux types d’argument : le gouvernement mondial serait
225 e gouvernement mondial serait impuissant, ou bien il serait trop puissant. À l’appui de la thèse de l’impuissance, on cite
226 s des nations et aux dépens de leur souveraineté. Il naîtrait de l’abandon même, par les nations, de leurs prérogatives de
227 ’est aussitôt opposé au projet, pour la raison qu’ il comportait « une atteinte aux souverainetés nationales ». Et les Amér
228 Américains ont répondu que c’était bien là ce qu’ ils voulaient. Cet incident résume tout le problème. D’une part, il perme
229 Cet incident résume tout le problème. D’une part, il permet d’observer le processus de la naissance d’un pouvoir mondial.
230 la naissance d’un pouvoir mondial. D’autre part, il révèle la vraie nature des forces qui s’y opposent : le nationalisme
231 gouvernement mondial renversent leurs batteries. Ils remarquaient tout à l’heure avec raison qu’une ligue de gouvernants e
232 ent en même temps les chefs des États en conflit. Ils déclarent maintenant qu’un pouvoir mondial indépendant de ces gouvern
233 humain l’idéologie la plus répandue au moment où il se formerait. (Ce serait aujourd’hui, probablement, un dirigisme miti
234 qui en résulterait probablement. Pour y répondre, il s’agirait de considérer de plus près les modes d’élection du gouverne
235 ture d’une idéologie majoritaire. Si au contraire ils étaient désignés par les peuples et secondés par un Parlement mondial
236 t mondial serait alors de type démocratique. (Car il apparaît de plus en plus clairement que la clé des quatre libertés es
237 itaires.) Quant aux fonctions du pouvoir mondial, elles seraient définies par la nécessité même qui nous fait souhaiter qu’il
238 par la nécessité même qui nous fait souhaiter qu’ il existe : la nécessité urgente d’empêcher la guerre, c’est-à-dire de l
239 rre, pratiquement, précipite les conflits plus qu’ elle ne les retarde.) Et si la guerre éclate — militaire ou non —, il en r
240 de.) Et si la guerre éclate — militaire ou non —, il en résultera l’hégémonie mondiale du vainqueur, c’est-à-dire de l’Uso
10 1947, Carrefour, articles (1945–1947). « Jean-Paul Sartre vous parle… et ce qu’en pensent… » (29 octobre 1947)
241 ie capitaliste. Merleau-Ponty a raison de dire qu’ il « faudrait faire appel à la démocratie américaine » et de se taire pr
242 ison de défendre la liberté de penser, mais quand elle dit « qu’on peut toujours trouver les circonstances qui amènent à déc
243 arer que telle ou telle liberté est dangereuse », elle s’appuie sans doute sur l’exemple soviétique, incontestable, mais qui
244 écessairement contre le gaullisme en puissance, s’ il vaut à plein contre le communisme en exercice. l. Rougemont Denis
11 1947, Carrefour, articles (1945–1947). La France est assez grande pour n’être pas ingrate (26 novembre 1947)
245 ces de notre ingratitude anticipée. » C’est ce qu’ il me semble entendre un peu partout depuis que je suis rentré dans ce v
246 depuis que je suis rentré dans ce vieux monde. Or il ne s’agit pas d’une attitude nouvelle, ou qui serait le seul fait des
247 uer en Algérie !) ; il y a trente ans que, lorsqu’ ils arrivent enfin, lorsqu’ils nous sauvent, nous leur disons : « De quoi
248 trente ans que, lorsqu’ils arrivent enfin, lorsqu’ ils nous sauvent, nous leur disons : « De quoi vous mêlez-vous ? » Bref,
249 sombres motifs égoïstes, non pas seulement quand ils s’isolent, mais surtout et précisément quand ils nous offrent leur ap
250 ils s’isolent, mais surtout et précisément quand ils nous offrent leur appui ! J’entends dire couramment : « C’est entendu
251 ui ! J’entends dire couramment : « C’est entendu, ils nous fournissent du blé et de l’argent pour l’acheter, mais croyez-vo
252 que ce soit par pure philanthropie ? Soyez sûr qu’ ils y trouvent leur intérêt ! » Que voudrait-on qu’ils y trouvent d’autre
253 ls y trouvent leur intérêt ! » Que voudrait-on qu’ ils y trouvent d’autre ? L’intérêt de l’Amérique, c’est que l’Europe vive
254 e et ne tombe pas aux mains des Russes ; c’est qu’ elle soit forte et donc unique, puisque les autres comptent sur sa faibles
255 et ne leur donnent pas. On va plus loin encore, s’ il est possible. À croire la propagande des staliniens, c’est nous qui s
256 sauverions l’Amérique de la ruine en acceptant qu’ elle nous avance une vingtaine de milliards de dollars ! C’est l’Amérique,
257 ’Amérique, dit-on, qui a besoin de l’Europe ! Car elle est à la veille d’une crise épouvantable, Staline l’a dit ; elle ne s
258 eille d’une crise épouvantable, Staline l’a dit ; elle ne sait plus où vendre ses produits, la pauvre, et tente de prolonger
259 a solidité de l’argument stalinien ! Par bonheur, elles n’y suffiront pas. Le plan Marshall se fonde sur nos besoins concrets
260 t pas en cause, pour le seul honneur de l’Europe, il serait temps que nous prenions un peu de tenue. Si nous étions francs
261 la vraie menace contre l’indépendance européenne, elle ne vient pas de l’Amérique, mais de nous-mêmes. La vraie, ce n’est pa
262 er, c’est dans l’union fédérative du continent qu’ elle trouvera sa seule garantie. Nous serons guéris de notre mauvaise cons