1 1946, Combat, articles (1946–1950). Ni secret ni défense (19-20 mai 1946)
1 avec des agrafes de dossiers : « C’est un secret que nous gardons, c’est un dépôt sacré », disent-ils. Et sans l’avis d’au
2 ance industrielle de l’Amérique. C’est assez dire qu’ il n’est que temporaire. Quant au secret technique de la détonation, d
3 ielle de l’Amérique. C’est assez dire qu’il n’est que temporaire. Quant au secret technique de la détonation, dans quelques
4 tous ces faits. M. George Gallup vient d’établir que 71 % des citoyens de son pays « refusent de livrer le contrôle de la
5 ons unies », cependant que la même enquête révèle que 65 % sont persuadés que « le secret ne peut être gardé ». D’où je déd
6 ue la même enquête révèle que 65 % sont persuadés que « le secret ne peut être gardé ». D’où je déduis que la proportion de
7 « le secret ne peut être gardé ». D’où je déduis que la proportion des Américains raisonnables (j’entends capables de rapp
8 peu ou beaucoup pour un peuple ? Je n’en jugerais qu’ après un essai en Europe. Il est clair que l’opinion publique est égar
9 ugerais qu’après un essai en Europe. Il est clair que l’opinion publique est égarée par sa foi dans la science, que les sav
10 n publique est égarée par sa foi dans la science, que les savants sérieux ne partagent point. On parle de radars omniscient
11 ituation présente, en vérité, est bien plus folle qu’ on ne l’imagine. Car non seulement nous sommes sans défense, mais enco
12 attaque, nous ne saurons pas qui a tiré. Supposez qu’ un petit pays, disons la Suisse, manufacture une douzaine de bombes. C
13 éniosité et d’équipement technique, et vous savez que la Suisse possède tout cela. En fait, c’est à l’École polytechnique d
14 En fait, c’est à l’École polytechnique de Zurich que sont nés les travaux d’Einstein. Supposez maintenant que ce petit pay
15 t nés les travaux d’Einstein. Supposez maintenant que ce petit pays, pour se tirer d’un mauvais pas, envoie deux ou trois b
16 trop réelles.) L’Amérique ne doute pas un instant que les projectiles ne viennent de Russie. Il est trop tard pour échanger
17 du ciel bleu, — l’expression est devenue si vraie qu’ elle a cessé de nous frapper. Une apathie étrange me semble s’établir
18 monde n’a pas de gouvernement. Je ne suis pas sûr que les nations en aient. Et nous restons, les bras ballants… a. Rouge
2 1946, Combat, articles (1946–1950). Paralysie des hommes d’État (21 mai 1946)
19 de du milieu du xxe siècle est gouverné par ceux qu’ on nomme les trois Grands. Ils se composent d’un loup déguisé en mouto
20 ère, et du Brave Garçon, et de l’Esprit bourgeois que la Bombe doit être administrée. Notez que, si elle ne l’est pas, quel
21 urgeois que la Bombe doit être administrée. Notez que , si elle ne l’est pas, quelqu’un va nous l’administrer. L’alternative
22 ette impression, avec les masses contemporaines : que les chefs responsables de notre sort sont en réalité irresponsables ?
23 de notre sort sont en réalité irresponsables ? Et qu’ ils usurpent le nom de gouvernants ? J’essaie de me mettre à leur plac
24 ie. Sans doute sont-ils tous les trois convaincus qu’ ils aiment la paix en général, et pour elle-même, et qu’ils détestent
25 aiment la paix en général, et pour elle-même, et qu’ ils détestent la guerre : pourtant, ils s’y préparent. Ce qui domine e
26 sent donc comme des irresponsables, provoquant ce qu’ ils veulent éviter. Et le public a l’air de trouver cela normal, — ou
27 ore de les comprendre, avant de les traiter de ce qu’ ils ont l’air d’être, quand on voit ce qu’ils vont faire ou laisser fa
28 r de ce qu’ils ont l’air d’être, quand on voit ce qu’ ils vont faire ou laisser faire de nos vies. Irresponsables moins par
29 capacité — ils suffiraient aux tâches courantes — que par le fait du problème posé, qui les dépasse comme la Bombe dépasse
30 rien. Cette absence de pensée est plus dangereuse que n’importe quelle pensée fausse. Mais comment pourraient-ils penser ?
31 n simple. Parce qu’ils gouvernent leur nation, et que c’est assez ou même trop pour un homme, tandis que le problème est mo
32 est un cas international, qui ne peut être résolu qu’ à une échelle planétaire : or, ces messieurs sont absorbés par la défe
33 ns, des banquets et des nominations. Il est clair que , pour gouverner les nations, la première condition requise est de n’ê
34 . Mais qui l’a dit, jusqu’à ce jour ? Chacun sait que l’arbitre d’un match n’est jamais le capitaine d’une des équipes. Qui
35 a rappelé au sujet des trois Grands ? Chacun sait que , pour arbitrer la lutte entre les continents, il faut d’autres talent
36 ents, il faut d’autres talents et un autre savoir que pour équilibrer les démocrates du Sud et ceux du Nord en présence des
37 urde, me disent-ils. — Eh quoi, c’est pourtant ce que nous offre, à quelques nuances près, le plan des Nations unies. Vos É
38 n des Nations unies. Vos États n’ont fait un pays qu’ en unissant leurs peuples, et non leurs chefs, qui se sont effacés dev
39 que c’est précisément aux dépens de ces intérêts que l’humanité pourra s’unir ? La fonction même de ces chefs d’État les d
40 oter. Leur métier même les rend inaptes à voir ce que le monde entier attend. Ils ne voient rien, c’est évident, car les vi
41 populaire, et qui n’auraient pas d’autre affaire que de considérer la Planète, puis de traiter de haut avec les chefs d’Ét
42 s Grands ne pas perdre la boule ! Car le fait est qu’ il n’y en a qu’une de boule, comme disait à peu près le regretté Willk
43 perdre la boule ! Car le fait est qu’il n’y en a qu’ une de boule, comme disait à peu près le regretté Willkie, et qu’une e
44 , comme disait à peu près le regretté Willkie, et qu’ une erreur unique, désormais, pourrait la rendre folle à tout jamais.
3 1946, Combat, articles (1946–1950). Tous démocrates (22 mai 1946)
45 er de rire.) Moi. — Quel beau programme ! Avouez que nous sortons enfin des petitesses de l’ère bourgeoise, succédant aux
46 e : tout monte et s’épanouit vers le ciel ! Notez que , dans ce système, la démocratie paraît supérieure au soviétisme et à
47 entends le diable ! D’ailleurs, on n’entend guère que lui dans ce siècle trois fois maudit. Je ne vois plus d’espoir sérieu
48 exception faite de deux pays de langue espagnole, que nous appellerons secondaires. Et voici mon espoir, dans cette situati
49 Et voici mon espoir, dans cette situation : c’est qu’ au lieu de défendre la Démocratie, en bloc, et comme une étiquette, co
50 aussitôt pour des fascistes. Lui. — Autant dire que votre mot démocratie a perdu tout son pouvoir ! Une étiquette qui s’a
51 a-t-elle tort, mais on n’a pas manqué de répondre que cette mesure est précisément celle qui fut prise en premier lieu par
52 on plus sur la défense d’un mot, d’un terme vague que personne n’attaque, mais sur la définition d’une réalité que ce terme
53 e n’attaque, mais sur la définition d’une réalité que ce terme symbolise et parfois dissimule : qu’est-ce que la liberté ?
54 ité que ce terme symbolise et parfois dissimule : qu’ est-ce que la liberté ? Et cela nous amènera bientôt à nous demander :
55 terme symbolise et parfois dissimule : qu’est-ce que la liberté ? Et cela nous amènera bientôt à nous demander : qu’est-ce
56  ? Et cela nous amènera bientôt à nous demander : qu’ est-ce que l’homme ? C’est le vrai débat. Si nous le reconnaissons, no
57 nous amènera bientôt à nous demander : qu’est-ce que l’homme ? C’est le vrai débat. Si nous le reconnaissons, nous aurons
58 s aurons fait un grand progrès, le seul peut-être que la guerre pouvait permettre… Lui. — Mais avouez qu’aussi longtemps q
59 la guerre pouvait permettre… Lui. — Mais avouez qu’ aussi longtemps que vos hommes d’État démocratiques n’auront pas abord
60 permettre… Lui. — Mais avouez qu’aussi longtemps que vos hommes d’État démocratiques n’auront pas abordé ouvertement et si
4 1946, Combat, articles (1946–1950). Les cochons en uniforme ou le nouveau Déluge (23 mai 1946)
61 , et de deux commerçants en poissons (mieux payés que les savants, dit-on) vient de partir pour l’île de Bikini. L’objet de
62 ivants sur l’île. C’est une mission fort analogue que Noé reçut du Seigneur peu de temps avant le Déluge. Cette fois-ci, le
63 émentaire, à propos des cochons : l’on a remarqué que la peau des cochons est fort semblable à celle de l’homme. La sensibi
64 e comportent sous le feu, et savent mourir. Quel que soit le résultat de l’opération, sur lequel nos savants se perdent en
65 us scientifique de ce terme. Quand je vous disais que la guerre est morte, la guerre des militaires, la vraie ! Quand je vo
66 e des militaires, la vraie ! Quand je vous disais que ses règles sacrées sont toutes violées sans exception par l’usage de
67 ception par l’usage de la bombe atomique… J’avoue que je n’avais pas pensé à l’uniforme et au respect que nous lui devions
68 e je n’avais pas pensé à l’uniforme et au respect que nous lui devions naguère. Les savants, eux, ne l’ont pas raté. Ce n’e
69 va sombrer. Il vaut la peine de remarquer, enfin, que pas une voix ne s’est élevée, du côté des fervents de l’Armée, pour p
70 n contre les essais projetés. Cette Ligue demande qu’ au lieu de sacrifier tant d’innocentes victimes, et dans une posture s
5 1946, Combat, articles (1946–1950). Post-scriptum (24 mai 1946)
71 riptum (24 mai 1946)e Un dernier mot. (Et dire que j’allais l’oublier !) La Bombe n’est pas dangereuse du tout. — Êtes-
72 ous dans vos articles précédents ? Faut-il penser que vous vous moquiez du monde ? — J’étais sérieux. Je prenais au sérieux
73 t là sans doute votre manière paradoxale d’avouer que vous exagériez. Savez-vous que beaucoup l’ont pensé, sans vous le dir
74 aradoxale d’avouer que vous exagériez. Savez-vous que beaucoup l’ont pensé, sans vous le dire ? Il est bien naturel que l’é
75 nt pensé, sans vous le dire ? Il est bien naturel que l’événement d’Hiroshima nous ait jetés pour quelque temps dans un éta
76 avons repris nos sens. Certains pressentent déjà que la bombe est en train de se dégonfler, pour ainsi dire. Après tout, n
77 rce que tout le monde en avait une peur bleue, et que personne, même pas Hitler, n’a eu le courage de commencer. À plus for
78 recours aux gaz, c’est entendu. Mais pensez-vous qu’ une timidité subite l’ait arrêté, ou quelque amour tardif de notre hum
79 in de compenser, même à ses yeux, le risque moral qu’ il eût couru à l’employer. Le cas de la Bombe est différent. Je vous r
80 Le cas de la Bombe est différent. Je vous répète qu’ elle supprimera la possibilité de riposter, c’est-à-dire jouera milita
81 y a pas de punition à redouter. Il est donc clair qu’ on l’emploiera, au risque de faire sauter la Terre. — Alors, pourquoi
82 i seul qui se prépare à l’employer. Quand je vois qu’ on nomme des comités pour la retenir ! Comme si elle était tombée du c
83 t d’un comique démesuré. Le contrôle de la Bombe, que l’on discute à longueur de colonne, dans toute la presse, est la plus
84 clair. Elle se tiendra bien coite dans sa caisse. Qu’ on ne nous raconte donc pas d’histoires. Ce qu’il nous faut, c’est un
85 e. Qu’on ne nous raconte donc pas d’histoires. Ce qu’ il nous faut, c’est un contrôle de l’homme. — Ah ! ça, c’est une autre
86 . C’est la seule. On ne peut plus l’éviter depuis que la Bombe nous menace et nous tente à la foi. Et voilà bien le progrès
6 1946, Combat, articles (1946–1950). Bikini bluff (2 juillet 1946)
87 Bikini bluff (2 juillet 1946)f g À l’heure qu’ il est, on ne sait rien des cochons. Peut-être les prières dites en l’
88 ouffrances » n’ont-elles point été sans effet. Ce qu’ on sait, de source officielle, c’est que l’amiral Blandy se déclare sa
89 effet. Ce qu’on sait, de source officielle, c’est que l’amiral Blandy se déclare satisfait. « L’expérience, déclare-t-il, a
90 ux. Et sa valeur ne saurait être exagérée, encore qu’ elle soit aisément « estimable » : elle peut se chiffrer assez exactem
91 de Bikini. Tout cela n’était, nous disaient-ils, qu’ un complot pseudo-scientifique pour démontrer la valeur éternelle des
92 d danger, le vrai danger de l’expérience, c’était qu’ elle ratât, conformément aux prévisions des amiraux, et qu’elle rassur
93 atât, conformément aux prévisions des amiraux, et qu’ elle rassurât faussement les peuples quant aux risques institués par l
94 nt aux risques institués par la bombe. Il se peut que cette campagne ait été orchestrée par les services de l’Armée de Terr
95 a question du commandement unique. Il est certain que les savants sérieux se sont tous rangés du côté des adversaires de l’
96 isée par les services publicitaires de la Marine. Qu’ on se rappelle, à ce sujet, les déclarations faites à la presse par le
97 , au cours de l’hiver dernier. « La bombe ne fait que décupler l’importance de l’armée de terre », disait devant le Sénat l
98 ances sur les fantassins et les marins, suggérait que l’aviation seule restait indispensable, puisque c’est elle qui transp
99 ois équipes. Mais sans doute ne l’a-t-elle gagnée qu’ aux yeux de l’opinion publique. Les vrais arbitres restent les savants
100 et mille fois surpassée par les récents modèles, qu’ ils sont seuls à connaître. Et c’est leur point de vue qui m’importe.
101 st leur point de vue qui m’importe. Les problèmes que nous pose la bombe restent intacts, autant que les palmiers de Bikini
102 es que nous pose la bombe restent intacts, autant que les palmiers de Bikini. Et si les amiraux sont rassurés, conformément
103 raux sont rassurés, conformément à tous les plans qu’ ils ont tirés, l’humanité en général n’a pas lieu de se réjouir trop b
104 ris ne seront point protégés aussi méthodiquement que le budget de la Marine américaine. Et le faux soulagement produit par
105 t produit par le grand « four » de Bikini ne peut qu’ augmenter le danger. La seule défense contre la bombe reste le gouvern
106 ui pourrait être l’ONU si elle existait autrement que sous forme d’initiales — c’est d’augmenter parmi les peuples le senti
107 e leur interdépendance. Quand nous aurons compris que toute guerre, aujourd’hui, n’est possible qu’avec toutes nos complici
108 ris que toute guerre, aujourd’hui, n’est possible qu’ avec toutes nos complicités et ne saurait être qu’une guerre civile qu
109 qu’avec toutes nos complicités et ne saurait être qu’ une guerre civile que le genre humain se fait « à lui-même », les prem
110 mplicités et ne saurait être qu’une guerre civile que le genre humain se fait « à lui-même », les premières bases psycholog
7 1946, Combat, articles (1946–1950). Les intellectuels sont-ils responsables ? (5 juillet 1946)
111 utons enragés. Fatigués de leur innocence, voyant que l’herbe se faisait rare sous leurs pieds et qu’ils n’avaient plus de
112 t que l’herbe se faisait rare sous leurs pieds et qu’ ils n’avaient plus de berger, aux éclairs de chaleur d’une révolution
113 pas mieux, l’intelligence n’y gagne guère. ⁂ Tant que les écrivains mettaient leur soin à vivre en marge de tous les confli
114 achée, irresponsable par définition. Il n’y a pas que du mal à en dire : cela nous a valu quelques œuvres durables, mineure
115 mps ont changé. La crise nous a fait voir soudain que les positions intellectuelles héritées du libéralisme conduisaient à
116 libéralisme conduisaient à ce régime de faillite qu’ on nomme l’État totalitaire. Nous avons constaté que rien, ni la pensé
117 ’on nomme l’État totalitaire. Nous avons constaté que rien, ni la pensée, ni l’acte individuel, n’est en réalité gratuit. Q
118 , ni l’acte individuel, n’est en réalité gratuit. Que tout se paye. Que notre liberté de penser n’importe quoi, sans tenir
119 duel, n’est en réalité gratuit. Que tout se paye. Que notre liberté de penser n’importe quoi, sans tenir compte de l’époque
120 ion entretenue par l’apparente paix sociale, mais que l’échéance ne pouvait être indéfiniment repoussée et que les dettes c
121 chéance ne pouvait être indéfiniment repoussée et que les dettes contractées par l’esprit ne laissaient même plus une possi
122 . Toute la confusion vient de là. Car la culture qu’ on nous propose de défendre, c’est elle, précisément, qui est responsa
123 e réel et l’actuel, et de surmonter enfin ce vice qu’ est la distinction libérale entre la pensée et l’action. Au lieu de pr
124 ans le réel, il ne faut pas ni ne saurait suffire qu’ elle se soumette à des réalités dont elle ignore ou répudie la loi int
125 tilisation accidentelle et partisane d’une pensée que réside son engagement. C’est, au contraire, dans sa démarche intime,
126 n’est pas faire payer sa prose par Ce Soir plutôt que par l’Intransigeant. Ce n’est pas signer ici plutôt que là. Ce n’est
127 r l’Intransigeant. Ce n’est pas signer ici plutôt que là. Ce n’est pas passer de l’esclavage d’une mode à celui d’une tacti
128 sa liberté. Il peut sembler paradoxal de soutenir que l’engagement d’une pensée suppose sa libération. En vérité, c’est le
129 vérité, c’est le libéralisme qui a répandu l’idée que l’engagement ne peut être qu’un esclavage. La liberté réelle n’a pas
130 ui a répandu l’idée que l’engagement ne peut être qu’ un esclavage. La liberté réelle n’a pas de pires ennemis que les libér
131 avage. La liberté réelle n’a pas de pires ennemis que les libéraux ; sinon en intention, du moins en fait. Les penseurs les
132 réalité. Et cela suffirait bien à définir le sens que nous donnons à ce mot d’engagement. ⁂ Je l’ai dit ailleurs : un gant
133 r si peu un penseur engagé. Et il ne faudrait pas que ces trahisons insignes ridiculisent toute espèce d’engagement. Une pe
134 vient pas libératrice et responsable du seul fait qu’ elle se met « au service » d’une doctrine de lutte politique. Faire la
135 effort un peu plus grand, et d’une autre nature, que l’effort de signer un manifeste ou de s’inscrire dans les rangs d’une
136 manifeste de Ce Soir) ont exprimé en toute clarté qu’ ils étaient de vrais libéraux, irresponsables nés2, égarés pour un tem
137 et des vrais engagements. 1. Baudelaire voulait que la critique des poètes — qu’il opposait à celle des philosophes libér
138 . Baudelaire voulait que la critique des poètes — qu’ il opposait à celle des philosophes libéraux — fût partiale, pleine de
139 is exception pour deux ou trois d’entre eux, tels que Bernanos et Schlumberger, dont la bonne foi a été surprise, — comme o
140 s attitudes assez confuses, il est vrai néanmoins que les impératifs partisans pèsent de plus en plus lourdement sur l’acti
141 l’activité intellectuelle. Aussi avons-nous pensé qu’ il serait intéressant de demander à un certain nombre d’écrivains leur
142 cle suivant, dont il est intéressant de souligner qu’ il fut écrit et publié dans une revue en 1938, sous le titre : « Trop
8 1947, Combat, articles (1946–1950). « La tâche française c’est d’inventer la paix » (26 décembre 1947)
143 nis de Rougemont me reçoit dans l’agréable maison qu’ il occupe à la sortie du village de Ferney, désormais et pour toujours
144 et pour toujours, prénommé Voltaire. Il me semble que mon hôte n’est pas fâché d’habiter sous cette ombre. Il y a quelque c
145 u conquérir Paris voici une quinzaine d’années et que des ouvrages brillants et profonds comme Penser avec les mains et
146 nce, mais les hommes qui l’utilisent. Ce sont eux qu’ il faut contrôler ». Je pense à cela tandis que notre entretien prend,
147 notre entretien prend, comme de lui-même, le tour que je désirais lui imprimer. » C’est l’homme qui fait son destin, me dit
148 ent à la bombe ou à la paix. Il n’y a de fatalité que lorsque l’homme démissionne. Et c’est ce qui est grave en ce moment :
149 ce qui est grave en ce moment : on a l’impression que personne n’est décidé à arrêter la folle machine ou, plutôt, à la rem
150 és vers la France et nous constatons avec stupeur que la France ne fait rien et se perd dans une sorte d’amer byzantinisme.
151 e dépendance. Ce n’est donc pas de ses dirigeants que nous attendons quoi que ce soit. Mais l’initiative intellectuelle ? S
152 ais l’initiative intellectuelle ? Si on peut dire qu’ actuellement elle ne l’a pas davantage que l’initiative politique, il
153 ut dire qu’actuellement elle ne l’a pas davantage que l’initiative politique, il faut ajouter aussitôt que personne ne l’a
154 l’initiative politique, il faut ajouter aussitôt que personne ne l’a reprise à sa place. Cette initiative-là, on la perd d
155  ? Du conflit qui « devient » fatal si on ne fait que l’attendre. C’est bien l’impression désespérante que nous avons. L’in
156 l’attendre. C’est bien l’impression désespérante que nous avons. L’intelligence française est comme paralysée, neutralisée
157 Il faut, précisément, reprend Denis de Rougemont, que cette double négation devienne une affirmation, sous peine de voir le
158 est une invention des propagandes. Ils n’existent que dans la mesure où on veut bien leur accorder du crédit. Voilà bien le
159 Voilà bien le cercle vicieux et l’on n’en sortira qu’ en sautant à pieds joints par-dessus la ligne du mensonge. Inventer
160 par la situation dans laquelle elle se trouve, et que ses refus mêmes, s’ils n’étaient pas exploités sur le plan passionnel
161 nçaise — c’est dans ces circonstances historiques que nous venons de dire, « d’inventer » la paix. Si elle ne le fait pas,
162 de mais aussi une faute de français. Il faut donc que l’affirmation française, si elle éclate, comme je le souhaite, trouve
163 ve immédiatement son champ d’action. Je n’en vois qu’ un mais il est immense et à sa portée : l’Europe. C’est seulement par
164 a portée : l’Europe. C’est seulement par l’Europe que nous pourrons agir sur les USA ou l’URSS. Il est temps que nous en pr
165 pourrons agir sur les USA ou l’URSS. Il est temps que nous en prenions conscience : nous ne sommes pas des petits garçons,
166 ommes aussi forts et aussi riches de possibilités qu’ aucun des « colosses » du monde. Mais il faut que nous existions et qu
167 qu’aucun des « colosses » du monde. Mais il faut que nous existions et que nous sachions que nous existons. « Pessimism
168 es » du monde. Mais il faut que nous existions et que nous sachions que nous existons. « Pessimisme actif » Cette Eur
169 s il faut que nous existions et que nous sachions que nous existons. « Pessimisme actif » Cette Europe unie, sous l’i
170 oi je suis résolument fédéraliste. Il est évident que le rôle de la France ne sera pas celui d’un conquérant. Le voudrait-e
171 sera pas celui d’un conquérant. Le voudrait-elle qu’ elle n’en a pas les moyens. Ce n’est pas une « francisation » de l’Eur
172 ns. Ce n’est pas une « francisation » de l’Europe qu’ il s’agit de réaliser, mais que la France devienne et soit la conscien
173 tion » de l’Europe qu’il s’agit de réaliser, mais que la France devienne et soit la conscience d’une Europe à naître. Voyez
174 tre minorité y est particulièrement active. C’est que nous sommes un pays fédéraliste. Le fédéralisme n’est pas un système
175 ons profiter. Quant aux Russes, je suis convaincu qu’ ils n’ont qu’à y gagner. Mais s’ils persistent dans leur attitude ombr
176 Quant aux Russes, je suis convaincu qu’ils n’ont qu’ à y gagner. Mais s’ils persistent dans leur attitude ombrageuse, eh bi
177 ui que ce soit pour nous décider à agir. Je crois que l’Europe se fera, envers et contre tout et tous. Vous voyez que ma ré
178 e fera, envers et contre tout et tous. Vous voyez que ma réponse est optimiste. Dites bien cependant que je reste fidèle à
9 1948, Combat, articles (1946–1950). Message aux Européens (14 mai 1948)
179 de nos pays ne peut résoudre, seul, les problèmes que lui pose l’économie moderne. À défaut d’une union librement consentie
180 de la communauté, afin d’ouvrir au monde la voie qu’ il cherche, la voie des libertés organisées. Elle est de ranimer ses p
181 si pour en élargir le bénéfice à tous les hommes, que nous voulons l’union de notre continent. Sur cette union l’Europe jou
182 lui de la paix du monde. Soit donc notoire à tous que nous, Européens, rassemblés pour donner une voix à tous les peuples d
183 rtés de pensée, de réunion et d’expression, ainsi que le libre exercice d’une opposition politique. 3° Nous voulons une Cou
184 s et résume clairement ses volontés. Nous pensons qu’ il ne laissera pas nos lecteurs indifférents. »
10 1950, Combat, articles (1946–1950). Messieurs, n’oubliez pas l’exemple de la Suisse (3 octobre 1950)
185 ut le monde croit l’avoir vue et s’en va répétant qu’ il a fallu plus de cinq-cents ans pour sceller son union fédérale. Tou
186 ins Au début de 1848, la Confédération n’était qu’ un pacte d’alliance entre vingt-cinq États absolument souverains. Poin
187 ant la guerre entre les États membres. Niera-t-on que ce fût là, trait pour trait, un état comparable à celui de notre Euro
188 il extérieur, qui n’était rien au regard de celui que nous courons ? Une partie de l’opinion réclamait une autorité fédéral
189 anières. La routine rétorquait, chiffres en main, que la liberté d’échanges ne manquerait pas de causer quelques dommages l
190 utopistes qui proposaient d’éteindre l’incendie, que l’eau peut abîmer les meubles. Il y eut une guerre civile entre canto
191 erains. Le 15 mai, la Diète est saisie du projet, qu’ elle adopte le 27 juin. Pendant le mois d’août le peuple vote dans les
192 s les cantons. Le 12 septembre, la Diète proclame que la Constitution est acceptée par près de deux tiers des États et plus
193 s et dûment calculées ne se produisirent. L’essor que prit la Suisse, dès cet instant, n’a pas fléchi durant un siècle. Mes
194 ffi pour fédérer 25 États souverains. Pensez-vous que l’Histoire vous en laisse un peu plus, pour unir vos États dans un pl
195 grand péril ? Vous me direz… Vous me direz que l’Europe est plus grande que la Suisse ; qu’il fallut une bonne guerr
196 ez… Vous me direz que l’Europe est plus grande que la Suisse ; qu’il fallut une bonne guerre pour briser le tabou des so
197 irez que l’Europe est plus grande que la Suisse ; qu’ il fallut une bonne guerre pour briser le tabou des souverainetés cant
198 le tabou des souverainetés cantonales absolues ; que les cantons suisses vivaient ensemble depuis des siècles ; que les pr
199 ns suisses vivaient ensemble depuis des siècles ; que les problèmes économiques sont plus complexes ; et qu’on ne peut comp
200 es problèmes économiques sont plus complexes ; et qu’ on ne peut comparer, sans offense, nos modestes sagesses et les folies
201 s nations contemporaines. Mais il n’est pas exact que l’Europe d’aujourd’hui soit plus grande que la Suisse d’alors : vous
202 exact que l’Europe d’aujourd’hui soit plus grande que la Suisse d’alors : vous êtes venus de Stockholm à Strasbourg — ou de
203 ou de Rome, ou même d’Ankara — en moins de temps qu’ il n’en fallait, il y a cent ans, pour aller de Genève ou des Grisons
204 e depuis autant de siècles, et souvent davantage, que nos cantons. Leurs sorts ne sont pas moins liés, si vous regardez l’E
205 sont pas plus nombreux, ni moins strangulatoires, que ne l’étaient les nôtres. Et vos économies ne sont pas plus disparates
206 res. Et vos économies ne sont pas plus disparates que celles de Zurich, par exemple, et de ses petits voisins paysans. Les
207 araisse dans la bouche même de ceux qui affirment que nos réalités sont tellement différentes… Certes, comparaison n’est pa
208 faire restent les mêmes quoi qu’il arrive, c’est qu’ elles traduisent une certaine forme d’esprit, une cécité partielle dev
209 cécité partielle devant les leçons de l’Histoire, que j’ai plus d’une raison de nommer le daltonisme politique. Messieurs l
210 isse : elle existe en dépit de tous les arguments qu’ on oppose aujourd’hui à l’Europe. Son exemple vivant tend à nous démon
211 ’Europe. Son exemple vivant tend à nous démontrer que la solution fédéraliste n’est pas seulement praticable en principe, m
212 s’arrêter devant ce fait, pour mieux se persuader qu’ on peut aller très vite. Car le temps fait beaucoup à l’affaire. Celui
213 te. Car le temps fait beaucoup à l’affaire. Celui que vous n’auriez pas, Staline le prend : c’est le temps de méditer avant
214 ’est le temps de méditer avant d’agir. Mais celui que vous risquez de perdre, cet été, soyez bien sûrs qu’il le retrouvera 
215 vous risquez de perdre, cet été, soyez bien sûrs qu’ il le retrouvera : c’est le temps de modifier non pas des paragraphes,
216 publions deux importants extraits de cinq lettres que notre ami Denis de Rougemont écrivit à l’intention des députés réunis
11 1950, Combat, articles (1946–1950). Messieurs, on vous attend encore au pied du mur ! (4 octobre 1950)
217 d du mur ! (4 octobre 1950)p q Ceux qui disent que « l’Europe sera socialiste ou ne sera pas » savent très bien qu’à ce
218 cela vaut pour tous ceux qui pourraient déclarer que l’Europe sera toute catholique, ou protestante, ou française, ou alle
219 lle dure, dans ses diversités de tous les ordres, que l’on ne peut préserver que par l’union et que l’unification tuerait.
220 és de tous les ordres, que l’on ne peut préserver que par l’union et que l’unification tuerait. Mais sans sacrifices d’amou
221 es, que l’on ne peut préserver que par l’union et que l’unification tuerait. Mais sans sacrifices d’amour-propre, sans repl
222 nécessité, il nous reste à leur faire comprendre que le pire obstacle, c’est eux-mêmes. Ils nous disent : « Je veux bien,
223 nion, par exemple, n’est pas mûre, et chacun sait qu’ on ne peut rien faire sans elle ». C’est qu’ils se prennent pour l’opi
224 sait qu’on ne peut rien faire sans elle ». C’est qu’ ils se prennent pour l’opinion, qu’ils ont négligé d’écouter. Tous les
225 elle ». C’est qu’ils se prennent pour l’opinion, qu’ ils ont négligé d’écouter. Tous les sondages précis réfutent leurs cra
226 plus pour fédérer la Suisse. Mais l’opinion veut qu’ on l’entraîne. « On suit ceux qui marchent », dit Péguy. Elle ne vous
227 rmontables. Il y a deux sortes d’opinions : celle que l’on invoque, et la vraie. L’une qui sert d’alibi aux démagogues, et
228 , l’autre qui vote. La première est exactement ce que la presse et la radio déclarent qu’elle est. Presse et radio voudraie
229 exactement ce que la presse et la radio déclarent qu’ elle est. Presse et radio voudraient que Dewey soit élu : on dit alors
230 déclarent qu’elle est. Presse et radio voudraient que Dewey soit élu : on dit alors qu’il a pour lui toute l’opinion. Truma
231 ait avant cela, bien sûr, mais elle n’a pu parler que dans le secret des urnes. L’opinion d’aujourd’hui, je la sens, c’est
232 l de l’Europe murmurer pudiquement, chaque année, qu’ il reste désireux d’envisager l’étude de quelques mesures préalables t
233 important vers l’union ». Et les Anglais jugeront qu’ ils ne peuvent s’associer à ces engagements téméraires avant d’avoir p
234 temps d’étudier leur contenu et de s’être assurés qu’ en tous les cas cela ne peut les conduire absolument à rien. Soyons fr
235 ncipes, a fait jusqu’ici pratiquement plus de mal que de bien à notre cause à tous. On me dira que si l’on se contente d’af
236 mal que de bien à notre cause à tous. On me dira que si l’on se contente d’affirmer des principes sans les mettre en prati
237 pe qui se moque des principes vaut beaucoup moins qu’ une Amérique qui les professe, et ne vaut rien en face des Russes qui
238 rase est vague. Les actes sont parfois plus vains que les paroles. Lancer un timbre européen, ce serait un acte enfin, quel
239 peu déçus, et Staline très content. Voici l’acte que je vous propose, au nom de l’opinion qui ne parle pas encore. Messieu
240 l’Europe sans informer ses peuples, et du danger qu’ ils courent, et de la parade puissante que pourrait constituer notre f
241 danger qu’ils courent, et de la parade puissante que pourrait constituer notre fédération. On n’informera pas les peuples
242 ’agitation, d’émulation, de polémique européenne, que nulle autre méthode ne saurait provoquer. Si vous me dites… La
243 telle campagne, c’est de faire sentir aux peuples qu’ elle comporte un enjeu, et que leur sort peut changer, matériellement
244 sentir aux peuples qu’elle comporte un enjeu, et que leur sort peut changer, matériellement aussi, selon l’issue des élect
245 ’issue des élections. En d’autres termes, il faut que le Parlement issu des élections ait quelque chose à faire. Qu’un but
246 ent issu des élections ait quelque chose à faire. Qu’ un but concret soit assigné à ses travaux. Je n’en vois pour ma part q
247 assigné à ses travaux. Je n’en vois pour ma part qu’ un seul : discuter et voter un projet bien précis de Constitution fédé
248 s n’acceptez pas, vous ne trouverez derrière vous que le vide et l’indifférence ; et devant vous, le rire des hommes d’acie
249 ous, le rire des hommes d’acier. Si vous me dites que c’est prématuré, je vous supplierai de déclarer clairement à quel mom
250 , cela cessera d’être prématuré. Si vous me dites que c’est très joli, mais qu’il faut qu’on vous laisse du temps, je vous
251 aturé. Si vous me dites que c’est très joli, mais qu’ il faut qu’on vous laisse du temps, je vous proposerai de l’obtenir de
252 ous me dites que c’est très joli, mais qu’il faut qu’ on vous laisse du temps, je vous proposerai de l’obtenir de Staline. C
253 r en Europe il y en a peu. Si vous me dites enfin que c’est plus difficile que je n’ai l’air de le penser dans ma candeur n
254 . Si vous me dites enfin que c’est plus difficile que je n’ai l’air de le penser dans ma candeur naïve, je vous demanderai
255 que chose au monde est plus difficile à concevoir que le maintien du statu quo, que la vie, la durée de notre Europe divisé
256 fficile à concevoir que le maintien du statu quo, que la vie, la durée de notre Europe divisée, devant toutes les menaces q
257 e notre Europe divisée, devant toutes les menaces que vous savez : un régime social déficient, le chômage étendu, la ruine
258 ions de l’armée rouge. D’une part, on peut penser qu’ au point où nous en sommes, il n’y a presque plus rien à perdre. Que r
259 s en sommes, il n’y a presque plus rien à perdre. Que risquez-vous à tenter l’impossible ? D’autre part, il est sûr qu’il y
260 à tenter l’impossible ? D’autre part, il est sûr qu’ il y aurait tout à perdre, même l’espoir, à ne point risquer la derniè
261 ! Messieurs les députés, faut-il vous dire encore que je ne suis rien qu’une voix presque désespérée, et sans autre pouvoir
262 tés, faut-il vous dire encore que je ne suis rien qu’ une voix presque désespérée, et sans autre pouvoir que de vous adjurer
263 ne voix presque désespérée, et sans autre pouvoir que de vous adjurer de la part des millions qui se taisent mais qui ont p
264 rès bien qu’une partie d’entre vous m’approuve et qu’ une autre ne dit pas non. Dans un mouvement de passion, je m’écriais l
265 e ne pourra la défendre. Personne ne veut mourir, que pour des raisons de vivre. Mozart n’en est plus une pour les chômeurs
266 ire, si quelqu’un nous propose une autre solution que l’Autorité fédérale, souveraine au-dessus des États. Messieurs les dé
267 extrait des cinq Lettres aux députés européens que Denis de Rougemont écrivit à l’occasion de la session de Strasbourg.