1 1938, Les Cahiers protestants, articles (1938–1968). La vraie défense contre l’esprit totalitaire (juillet 1938)
1 L’esprit totalitaire est pour nous une menace1. De récents événements l’auront fait voir aux plus naïfs. Mais il n’est p
2 coup plus grave, une tentation. Il flatte au cœur de notre angoisse morale et matérielle le désir lâche d’un « ordre » imp
3 otre angoisse morale et matérielle le désir lâche d’ un « ordre » imposé par la force, d’une « mise au pas » brutale qui no
4 e désir lâche d’un « ordre » imposé par la force, d’ une « mise au pas » brutale qui nous dispense de nous sentir les respo
5 , d’une « mise au pas » brutale qui nous dispense de nous sentir les responsables de la cité et de l’État. D’autre part, i
6 qui nous dispense de nous sentir les responsables de la cité et de l’État. D’autre part, il nous tente par la promesse d’u
7 nse de nous sentir les responsables de la cité et de l’État. D’autre part, il nous tente par la promesse d’une communauté
8 État. D’autre part, il nous tente par la promesse d’ une communauté restaurée, d’un coude-à-coude physique, d’une grande ca
9 tente par la promesse d’une communauté restaurée, d’ un coude-à-coude physique, d’une grande camaraderie. Et ce sont là les
10 ommunauté restaurée, d’un coude-à-coude physique, d’ une grande camaraderie. Et ce sont là les vraies raisons de sa puissan
11 nde camaraderie. Et ce sont là les vraies raisons de sa puissance. C’est sur ce terrain-là — non sur des champs de bataill
12 nce. C’est sur ce terrain-là — non sur des champs de bataille hypothétiques — que nous devons organiser nos résistances. ⁂
13 , me semble-t-il : D’abord il a utilisé le défaut de civisme qui résultait de la destruction de toute commune mesure dans
14 d il a utilisé le défaut de civisme qui résultait de la destruction de toute commune mesure dans la cité (ou d’un défaut t
15 défaut de civisme qui résultait de la destruction de toute commune mesure dans la cité (ou d’un défaut total d’éducation,
16 truction de toute commune mesure dans la cité (ou d’ un défaut total d’éducation, comme en Russie). Ensuite il a donné une
17 commune mesure dans la cité (ou d’un défaut total d’ éducation, comme en Russie). Ensuite il a donné une réponse à l’exigen
18 euples, déçue par les Églises chrétiennes. Défaut de civisme : j’en donnerai un seul exemple mais significatif. En Italie,
19 rai un seul exemple mais significatif. En Italie, de 1920 à 1922, le parti socialiste était le plus important : 35 % des é
20 aient sans être inquiétés. Et cela, des centaines de fois. Comment ces crimes ont-ils pu se produire ? C’est que la police
21 tions du peuple — réactions aussitôt qualifiées «  d’ odieuses provocations marxistes ». Si le fascisme s’est imposé, c’est
22 imposé, c’est donc d’abord grâce à la protection de la police. Mais cela supposait la complicité des ministères libéraux
23 ne rien dire, naturellement, des grands bailleurs de fonds bourgeois, banquiers et dirigeants de trusts. C’est donc à une
24 leurs de fonds bourgeois, banquiers et dirigeants de trusts. C’est donc à une complicité quasi universelle que le fascisme
25 complicité quasi universelle que le fascisme a dû de s’emparer de l’État. Un peu de civisme l’eût arrêté. Sa force n’a été
26 asi universelle que le fascisme a dû de s’emparer de l’État. Un peu de civisme l’eût arrêté. Sa force n’a été faite que de
27 civisme l’eût arrêté. Sa force n’a été faite que de lâchetés accumulées, et de calculs dits « réalistes » d’une bourgeois
28 orce n’a été faite que de lâchetés accumulées, et de calculs dits « réalistes » d’une bourgeoisie qui s’en repent peut-êtr
29 etés accumulées, et de calculs dits « réalistes » d’ une bourgeoisie qui s’en repent peut-être aujourd’hui…2 Ne croyez pas
30 pas que ce soit là une vue partiale et partisane de l’histoire : c’est la version très officielle des historiens fasciste
31 et 1921. 500 fascistes avaient débarqué à la gare de cette petite ville. Ils s’y heurtèrent à 8 gendarmes et 3 soldats, qu
32 armes et 3 soldats, qui pour une fois s’avisèrent de résister. Au premier coup de feu, la petite armée des chemises noires
33 e le rapport que fit à son sujet le chef fasciste de l’expédition. Il écrit en effet à la Centrale du Parti : « L’expéditi
34 en effet à la Centrale du Parti : « L’expédition de Sarzana n’est qu’un épisode normal : il devait survenir dès que le fa
35 us vrai : le totalitarisme ne saurait triompher «  de gens disposés à tenir bon » selon l’expression de l’Italien. Or qu’es
36 de gens disposés à tenir bon » selon l’expression de l’Italien. Or qu’est-ce qu’un homme décidé à tenir bon ? C’est un hom
37 idé à tenir bon ? C’est un homme qui a conscience de ses raisons de vivre. Ce n’est pas l’homme le mieux armé, mais celui
38  ? C’est un homme qui a conscience de ses raisons de vivre. Ce n’est pas l’homme le mieux armé, mais celui dont le moral e
39 trois grandes dictatures, on constate l’existence d’ une sorte de loi historique : le totalitarisme n’est fort que dans la
40 s dictatures, on constate l’existence d’une sorte de loi historique : le totalitarisme n’est fort que dans la mesure où le
41 ez nous, sa puissance ne sera que la somme exacte de nos lâchetés particulières. L’exemple de Sarzana nous le prouve forte
42 e exacte de nos lâchetés particulières. L’exemple de Sarzana nous le prouve fortement : ce n’est pas le nombre et l’armeme
43 aient plus, que les fascistes n’ont pas rencontré de résistance sérieuse. De ces deux causes du succès totalitaire, déduis
44 istes n’ont pas rencontré de résistance sérieuse. De ces deux causes du succès totalitaire, déduisons maintenant nos princ
45 s totalitaire, déduisons maintenant nos principes de conduite : 1° Il nous faut restaurer l’esprit de résistance civique.
46 de conduite : 1° Il nous faut restaurer l’esprit de résistance civique. Et cela suppose que nous reprenions conscience de
47 e. Et cela suppose que nous reprenions conscience de nos raisons de vivre dans la communauté, et des devoirs qu’impliquent
48 ose que nous reprenions conscience de nos raisons de vivre dans la communauté, et des devoirs qu’impliquent nos libertés a
49 totalitarisme ne sera jamais que la somme exacte de nos lâchetés individuelles, c’est-à-dire de nos égoïsmes. 2° Il nous
50 xacte de nos lâchetés individuelles, c’est-à-dire de nos égoïsmes. 2° Il nous faut refaire une commune mesure vivante. Si
51 ra. Soyons donc les premiers chez nous, répondons d’ une manière plus humaine que les totalitaires, plus vraie aussi, et pl
52 urs mystiques saura nous indiquer les vraies fins de la lutte. Conscience civique et conscience religieuse. J’illustrerai
53 par notre situation comme chrétiens. ⁂ L’exemple de la Suisse me tient à cœur à double titre : c’est ma patrie, et d’autr
54 pourrai le mieux faire saisir la portée immédiate de ce que j’entends quand je parle de conscience civique. Lorsque l’Alle
55 rtée immédiate de ce que j’entends quand je parle de conscience civique. Lorsque l’Allemagne totalitaire envahit l’Autrich
56 totalitaire envahit l’Autriche, nous fûmes saisis d’ une angoisse soudaine : pour la première fois, depuis des siècles, nou
57 , nous concevions la possibilité, même théorique, d’ un démembrement de notre État. La première réaction de notre opinion f
58 la possibilité, même théorique, d’un démembrement de notre État. La première réaction de notre opinion fut aussi la plus n
59 démembrement de notre État. La première réaction de notre opinion fut aussi la plus naturelle et la plus instinctive : « 
60 l du danger, armons-nous ! » L’instinct ancestral de l’homme, c’est de parer à la violence par une violence du même ordre.
61 s-nous ! » L’instinct ancestral de l’homme, c’est de parer à la violence par une violence du même ordre. Cette solution es
62 somme qu’un réflexe. Elle ne suppose aucun effort de l’esprit, aucune espèce d’imagination. Et c’est aussi pourquoi elle e
63 e suppose aucun effort de l’esprit, aucune espèce d’ imagination. Et c’est aussi pourquoi elle est de beaucoup la plus fréq
64 e d’imagination. Et c’est aussi pourquoi elle est de beaucoup la plus fréquente et la plus populaire. J’ai à cœur cependan
65 uente et la plus populaire. J’ai à cœur cependant de montrer son danger pour nous Suisses. Et je voudrais, à titre personn
66 ations qui glorifient la guerre ? La vraie raison de la course aux armements, c’est l’incapacité où se trouvent les États,
67 les États, capitalistes ou soviétique d’ailleurs, d’ occuper leurs chômeurs autrement qu’en leur faisant fabriquer des obus
68 n curieux, si l’on y réfléchit. Quand il y a trop de médecins dans un pays, et donc chômage dans la profession médicale, p
69 rofession médicale, personne n’a jamais eu l’idée de proposer qu’on donne la peste à toute la nation. Or c’est à peu près
70 c ce qui doit le faire mourir. C’est la politique de Gribouille : pour éviter la pluie, on se jette à l’eau. Autre danger
71 se jette à l’eau. Autre danger : si l’on accepte de jouer le jeu des armements, l’effrénée concurrence conduit l’État qui
72 peu près au niveau du voisin, à perdre la mesure de ce qu’il peut dépenser sans s’affaiblir. Les armements deviennent tro
73 supposez que cette question soit résolue au mieux de nos possibilités de vie normale. Il s’agira maintenant d’utiliser les
74 uestion soit résolue au mieux de nos possibilités de vie normale. Il s’agira maintenant d’utiliser les armes. Nul n’ignore
75 ossibilités de vie normale. Il s’agira maintenant d’ utiliser les armes. Nul n’ignore que la guerre moderne est devenue la
76 nue la guerre totale. C’est dire qu’il n’y a plus de distinction entre civils et militaires, selon la doctrine officielle
77 et militaires, selon la doctrine officielle dite de la nation armée. Mussolini l’a très bien dit : « La discipline milita
78 t nous mettre, les démocraties seront contraintes d’ adopter peu à peu un régime politique qui les transformera automatique
79 se que représente le fascisme, elles auront moins de dynamisme. Ainsi, sous prétexte de vivre, elles perdront leurs raison
80 s prétexte de vivre, elles perdront leurs raisons de vivre. Voici donc le dilemme que nous pose ce mimétisme totalitaire :
81 mais alors la guerre est moralement perdue avant d’ être livrée, puisque la conception totalitaire s’est déjà installée ch
82 ant que Suisses, car elle menace l’existence même de notre État. Réagir à la menace totalitaire sur le plan de la défense
83 État. Réagir à la menace totalitaire sur le plan de la défense armée, et tout subordonner à cela, c’est introduire chez n
84 nner à cela, c’est introduire chez nous le cheval de Troie. La guerre totale en effet suppose l’unification totalitaire d’
85 totale en effet suppose l’unification totalitaire d’ un pays. Ou sinon, c’est qu’elle est très mal préparée. Or ce processu
86 ition fédérale, tradition qui est la seule raison d’ être de notre État. Se placer sur le plan de la guerre totale et de sa
87 édérale, tradition qui est la seule raison d’être de notre État. Se placer sur le plan de la guerre totale et de sa prépar
88 aison d’être de notre État. Se placer sur le plan de la guerre totale et de sa préparation civile en temps de paix, cela é
89 tat. Se placer sur le plan de la guerre totale et de sa préparation civile en temps de paix, cela équivaut pratiquement à
90 uerre totale et de sa préparation civile en temps de paix, cela équivaut pratiquement à faire du nationalisme. Et il est a
91 tiquement à faire du nationalisme. Et il est aisé de voir que le nationalisme, en Suisse, signifierait bientôt le partage
92 lisme, en Suisse, signifierait bientôt le partage de notre État en trois nations. Ce serait la négation la plus radicale d
93 rait la négation la plus radicale des bases mêmes de la Confédération. Souvenons-nous du sort de l’Autriche ! Si ce pays a
94 mêmes de la Confédération. Souvenons-nous du sort de l’Autriche ! Si ce pays a succombé, ce n’est point tant qu’il ait céd
95 urtout, c’est essentiellement parce qu’il doutait de sa valeur propre et autonome, parce qu’il doutait de sa vocation, de
96 sa valeur propre et autonome, parce qu’il doutait de sa vocation, de sa raison d’être comme État ; parce qu’il était miné
97 et autonome, parce qu’il doutait de sa vocation, de sa raison d’être comme État ; parce qu’il était miné par une intime t
98 parce qu’il doutait de sa vocation, de sa raison d’ être comme État ; parce qu’il était miné par une intime tentation de s
99 ; parce qu’il était miné par une intime tentation de suicide totalitaire. Leçon capitale pour la Suisse ! Un État qui ne
100 oisin, un tel État ne peut pas compter sur l’aide d’ autrui. Nous ne pouvons compter sur cette aide que dans la mesure où n
101 représente et qui incarne le seul avenir possible d’ une Europe pacifique. Si nous restons cela, si nous prenons conscience
102 s cela, si nous prenons conscience tout à nouveau de la grandeur d’une pareille vocation, on nous laissera tranquilles, pa
103 prenons conscience tout à nouveau de la grandeur d’ une pareille vocation, on nous laissera tranquilles, parce qu’on saura
104 vile dont je vous parlais, et voilà la conscience de notre force véritable. Si nous avons le droit et le devoir de rester
105 ce véritable. Si nous avons le droit et le devoir de rester neutres, ce n’est pas comme on le dit trop souvent en vertu de
106 nos yeux, mais dont nos grands voisins n’ont pas de raisons de tenir le moindre compte. Si nous avons le droit d’être neu
107 mais dont nos grands voisins n’ont pas de raisons de tenir le moindre compte. Si nous avons le droit d’être neutres, ce n’
108 e tenir le moindre compte. Si nous avons le droit d’ être neutres, ce n’est pas en vertu d’un privilège divin, mais d’une m
109 ce n’est pas en vertu d’un privilège divin, mais d’ une mission bien définie dont nous sommes responsables devant l’Europe
110 alement devant l’Europe, pour pouvoir nous passer d’ une armée. Ce n’est pas le cas. Mais il n’en reste pas moins que notre
111 Mais il n’en reste pas moins que notre tâche est de tout mettre en œuvre pour échapper au cercle de la guerre totale. Je
112 t de tout mettre en œuvre pour échapper au cercle de la guerre totale. Je crois que le seul moyen sérieux de résister à l’
113 guerre totale. Je crois que le seul moyen sérieux de résister à l’emprise totalitaire sur le plan de la lutte directe, c’e
114 x de résister à l’emprise totalitaire sur le plan de la lutte directe, c’est d’inventer des formes de défense non militair
115 otalitaire sur le plan de la lutte directe, c’est d’ inventer des formes de défense non militaires, donc non totalitaires.
116 de la lutte directe, c’est d’inventer des formes de défense non militaires, donc non totalitaires. Je ne dis pas que je l
117 ue je les ai trouvées. Je dis que le salut serait de les trouver. La force des totalitaires c’est d’entraîner les démocrat
118 t de les trouver. La force des totalitaires c’est d’ entraîner les démocrates sur un terrain où ils se renient eux-mêmes. I
119 se renient eux-mêmes. Il est donc vital pour nous de refuser ce défi, de déjouer ce calcul, et de ne pas opposer à la viol
120 . Il est donc vital pour nous de refuser ce défi, de déjouer ce calcul, et de ne pas opposer à la violence une violence du
121 nous de refuser ce défi, de déjouer ce calcul, et de ne pas opposer à la violence une violence du même ordre, mais forcéme
122 tout simplement une énergie renouvelée. Essayons d’ inventer autre chose. Ne jouons pas le jeu. Imitons les paysans du Mor
123 tons les paysans du Morgarten : ils n’avaient pas d’ armures ni de lances : ils trichèrent donc au jeu où l’adversaire deva
124 ans du Morgarten : ils n’avaient pas d’armures ni de lances : ils trichèrent donc au jeu où l’adversaire devait gagner, et
125 ndirent avec leurs moyens propres : des quartiers de roche. Je ne veux pas dire, évidemment, que nous devions nous défendr
126 us défendre aujourd’hui encore avec des quartiers de roche ; je veux dire que la force du faible, c’est de refuser le jeu
127 oche ; je veux dire que la force du faible, c’est de refuser le jeu du fort, et de le déconcerter par ce refus. Je lis dan
128 ce du faible, c’est de refuser le jeu du fort, et de le déconcerter par ce refus. Je lis dans un ouvrage anglais quelques
129 ter nos recherches à cet égard : La non-violence de la victime, écrit l’auteur, agit comme le manque d’opposition physiqu
130 la victime, écrit l’auteur, agit comme le manque d’ opposition physique dans le jiu-jitsu : elle fait perdre son équilibre
131 l se trouve comme précipité dans un nouveau monde de valeurs, où il ne sait comment agir, et il y perd son assurance. Repr
132 absolue ; en réalité, ils se battent sur la base d’ un accord fondamental : la croyance à la validité de la violence. Si t
133 un accord fondamental : la croyance à la validité de la violence. Si tout d’un coup l’un des lutteurs supprime cet accord
134 la croyance à la validité de la violence. Si tout d’ un coup l’un des lutteurs supprime cet accord fondamental et prouve pa
135 t prouve par ses actes qu’il abandonne la méthode de lutte ancestrale, il n’est pas étonnant que l’autre soit déconcerté,
136 rce que ses instincts animaux ne lui dictent plus de conduite immédiate. Il vacille devant l’inconnu… Pour ma part, je ne
137 inconnu… Pour ma part, je ne suis pas adversaire de la violence en soi, mais bien de cette forme mécanique qu’elle revêt
138 s pas adversaire de la violence en soi, mais bien de cette forme mécanique qu’elle revêt dans la guerre moderne. Aussi bie
139 as la non-résistance, mais au contraire une forme de lutte nouvelle. C’est à cette sorte de jiu-jitsu moral que nous devri
140 une forme de lutte nouvelle. C’est à cette sorte de jiu-jitsu moral que nous devrions nous exercer. Si l’on y déployait l
141 vrions nous exercer. Si l’on y déployait le quart de l’énergie et de l’esprit de sacrifice qu’on met ordinairement dans le
142 cer. Si l’on y déployait le quart de l’énergie et de l’esprit de sacrifice qu’on met ordinairement dans le métier des arme
143 y déployait le quart de l’énergie et de l’esprit de sacrifice qu’on met ordinairement dans le métier des armes, il est ce
144 vous le dis pas seulement comme Suisse, convaincu de la mission fédéraliste de son pays ; je vous le dis aussi comme chrét
145 comme Suisse, convaincu de la mission fédéraliste de son pays ; je vous le dis aussi comme chrétien. Refuser le jeu de l’a
146 vous le dis aussi comme chrétien. Refuser le jeu de l’agresseur violent, c’est le premier devoir du chrétien. Déconcerter
147 us avons tous trahi le grand devoir communautaire de l’Église, parce que nous avons transformé le christianisme en quelque
148 vons transformé le christianisme en quelque chose de rassurant, de distingué, de commode et même de bourgeois. Alors les p
149 é le christianisme en quelque chose de rassurant, de distingué, de commode et même de bourgeois. Alors les païens russes e
150 isme en quelque chose de rassurant, de distingué, de commode et même de bourgeois. Alors les païens russes et les païens r
151 se de rassurant, de distingué, de commode et même de bourgeois. Alors les païens russes et les païens racistes ont fait ce
152 es païens racistes ont fait ce que nous refusions de faire. Ils l’ont fait mal, et contre nous. Ils représentent notre châ
153 s Berdiaev. Ce n’est pas à la méchanceté supposée d’ un Hitler ou d’un Staline que nous devons attribuer tout le mal, mais
154 n’est pas à la méchanceté supposée d’un Hitler ou d’ un Staline que nous devons attribuer tout le mal, mais aussi bien à la
155 r. Je ne veux, sous aucun prétexte pieux, exciter de la haine contre ceux qui adorent l’idole totalitaire. Je veux démasqu
156 n lui rend. Or je distingue dans ces raisons plus d’ angoisse que de méchanceté. J’ai reçu cet hiver, d’un jeune nazi, une
157 je distingue dans ces raisons plus d’angoisse que de méchanceté. J’ai reçu cet hiver, d’un jeune nazi, une lettre signific
158 ’angoisse que de méchanceté. J’ai reçu cet hiver, d’ un jeune nazi, une lettre significative, et à certains égards, fort ém
159 tains égards, fort émouvante. La raison profonde d’ un mouvement comme le nôtre — m’écrivait-il — est irrationnelle. Nous
160 satisfaisait plus depuis bien longtemps au besoin de croire de la majorité du peuple. Nous voulons croire à la mission du
161 it plus depuis bien longtemps au besoin de croire de la majorité du peuple. Nous voulons croire à la mission du peuple all
162 ngoisse dans ce peut-être ? Et dans cette volonté de croire à n’importe quoi et à tout prix, fût-ce à quelque chose d’auss
163 porte quoi et à tout prix, fût-ce à quelque chose d’ aussi peu croyable que l’immortalité d’un peuple ?… Or l’angoisse n’ap
164 lque chose d’aussi peu croyable que l’immortalité d’ un peuple ?… Or l’angoisse n’appelle pas la haine, mais au contraire l
165 des officielles et sous les vantardises effrénées de la propagande totalitaire. Tout cela n’exprime qu’un sentiment d’infé
166 totalitaire. Tout cela n’exprime qu’un sentiment d’ infériorité collective, un manque de foi réelle qui se déguise en défi
167 ’un sentiment d’infériorité collective, un manque de foi réelle qui se déguise en défi, par désespoir. Mais là encore, je
168 i, par désespoir. Mais là encore, je ne parle pas d’ une compassion sentimentale. Je parle d’une attitude virile et décidée
169 parle pas d’une compassion sentimentale. Je parle d’ une attitude virile et décidée, d’une volonté de libérer ces peuples e
170 ntale. Je parle d’une attitude virile et décidée, d’ une volonté de libérer ces peuples en leur donnant l’exemple, dans nos
171 e d’une attitude virile et décidée, d’une volonté de libérer ces peuples en leur donnant l’exemple, dans nos pays, d’une m
172 peuples en leur donnant l’exemple, dans nos pays, d’ une meilleure solution de leur problème. Contre les excès agaçants de
173 ’exemple, dans nos pays, d’une meilleure solution de leur problème. Contre les excès agaçants de la propagande soviétique
174 ution de leur problème. Contre les excès agaçants de la propagande soviétique et fasciste, toute espèce de tolérance polie
175 a propagande soviétique et fasciste, toute espèce de tolérance polie serait déjà une complicité. Ce n’est pas ainsi que je
176 t leur empereur, les chrétiens ne craignaient pas de passer pour athées : ils refusaient le culte de l’idole et s’en moqua
177 s de passer pour athées : ils refusaient le culte de l’idole et s’en moquaient. Nous aussi nous devons rire des idoles col
178 s infaillibles, je ne crois pas manquer au devoir de charité en jugeant parfaitement grotesque leur impossible prétention.
179 impossible prétention. Au fanatisme, il convient d’ opposer une certaine douceur amusée. Voltaire nous conte là-dessus une
180 grecque lui en sut très mauvais gré et lui en fit de vifs reproches à ses derniers moments. Mon oncle en fut affligé, et p
181 gé, et pour mourir en paix, il dit à l’archevêque d’ Astracan : « Allez, ne vous attristez pas. Ne voyez-vous pas que je vo
182 à cette immense question religieuse des peuples, d’ où sont issus les trois mouvements totalitaires, c’est la réponse vrai
183 ts totalitaires, c’est la réponse vraiment totale de notre foi. La foi chrétienne, pour les mystiques idolâtres, c’est un
184 nes au nom desquelles on veut réglementer le tout de l’homme, quand il s’agit en vérité des solutions et des doctrines d’u
185 l s’agit en vérité des solutions et des doctrines d’ un seul parti, d’une seule tendance, et la plus animale de l’homme. Se
186 é des solutions et des doctrines d’un seul parti, d’ une seule tendance, et la plus animale de l’homme. Seule a le droit d’
187 l parti, d’une seule tendance, et la plus animale de l’homme. Seule a le droit d’être totalitaire la vérité totale, qui n’
188 , et la plus animale de l’homme. Seule a le droit d’ être totalitaire la vérité totale, qui n’appartient qu’à Dieu. C’est d
189 sse aux vrais besoins du citoyen ou du soldat, ou de l’ouvrier, ou de l’aryen blond. C’est par cette seule mesure que nous
190 oins du citoyen ou du soldat, ou de l’ouvrier, ou de l’aryen blond. C’est par cette seule mesure que nous pourrons devenir
191 ’elles ont accepté pour vocation, et responsables de cette vocation devant la cité qui les protège. Je ne vous appellerai
192 iste, mais à une tâche constructive, qui se situe d’ une manière très précise dans le mouvement de l’Histoire occidentale.
193 itue d’une manière très précise dans le mouvement de l’Histoire occidentale. Trois siècles d’individualisme, de divinisati
194 ouvement de l’Histoire occidentale. Trois siècles d’ individualisme, de divinisation de l’homme, nous ont conduits à une di
195 oire occidentale. Trois siècles d’individualisme, de divinisation de l’homme, nous ont conduits à une dissolution presque
196 . Trois siècles d’individualisme, de divinisation de l’homme, nous ont conduits à une dissolution presque totale de la soc
197 ous ont conduits à une dissolution presque totale de la société. Nous ne sommes plus qu’une poussière de petits individus,
198 la société. Nous ne sommes plus qu’une poussière de petits individus, impuissants, isolés, anxieux. Allons-nous retomber
199 ’Histoire ne l’est pas moins. Il dépend en partie de nous que nous trouvions la solution de l’éternel problème individu-co
200 en partie de nous que nous trouvions la solution de l’éternel problème individu-communauté. Il dépend en partie de nous d
201 problème individu-communauté. Il dépend en partie de nous de refaire une société vivable, une commune mesure vivante sur l
202 individu-communauté. Il dépend en partie de nous de refaire une société vivable, une commune mesure vivante sur le fondem
203 able, une commune mesure vivante sur le fondement de la personne, c’est-à-dire de l’individu à la fois libre et engagé, au
204 nte sur le fondement de la personne, c’est-à-dire de l’individu à la fois libre et engagé, autonome et pourtant solidaire.
205 sirons, mais nous aurons du moins sauvé l’honneur de cette génération anxieuse. Et pour tout dire, je ne suis pas sans esp
206 suis pas sans espoir. Les faux dieux ne font pas de miracles. Je ne me lasserai jamais de le répéter — c’est mon delenda
207 ne font pas de miracles. Je ne me lasserai jamais de le répéter — c’est mon delenda Carthago : Là où l’homme veut être tot
208 tat ne sera jamais totalitaire. 1. Conclusions d’ une conférence prononcée à Genève au mois de mai 1938, sous les auspic
209 sions d’une conférence prononcée à Genève au mois de mai 1938, sous les auspices de Zofingue et de l’Association chrétienn
210 e à Genève au mois de mai 1938, sous les auspices de Zofingue et de l’Association chrétienne d’étudiants. Le thème général
211 ois de mai 1938, sous les auspices de Zofingue et de l’Association chrétienne d’étudiants. Le thème général était celui-ci
212 spices de Zofingue et de l’Association chrétienne d’ étudiants. Le thème général était celui-ci : les trois mouvements « to
213 ont pour but véritable — et souvent inconscient — de remplacer le christianisme défaillant par le culte social de l’État e
214 r le christianisme défaillant par le culte social de l’État et de son principe « sacral » : Prolétariat, Race, Empire. 2.
215 nisme défaillant par le culte social de l’État et de son principe « sacral » : Prolétariat, Race, Empire. 2. Quelques bou
216 rgeois veulent voir dans le fascisme le « rempart de l’ordre établi ». C’est bien touchant. Voici ce que dit à leur sujet
217 désormais sur nos épaules, et qu’ils feront mieux d’ avoir peur de nous que du communisme. » a. Rougemont Denis de, « La
218 nos épaules, et qu’ils feront mieux d’avoir peur de nous que du communisme. » a. Rougemont Denis de, « La vraie défense
219 de nous que du communisme. » a. Rougemont Denis de , « La vraie défense contre l’esprit totalitaire », Les Cahiers protes
2 1939, Les Cahiers protestants, articles (1938–1968). Nicolas de Flue et la Réforme (août 1939)
220 939)b Pour la très grande majorité des Suisses d’ aujourd’hui, surtout dans les cantons protestants, Nicolas de Flue est
221 t un souvenir scolaire. Nous n’avons guère retenu de son histoire que l’image d’un ermite à longue barbe qui rétablit la p
222 n’avons guère retenu de son histoire que l’image d’ un ermite à longue barbe qui rétablit la paix civile entre les vieux C
223 s vieux Confédérés, en prononçant devant la Diète de Stans un discours plein d’élévation. Comment prendre vraiment au séri
224 onçant devant la Diète de Stans un discours plein d’ élévation. Comment prendre vraiment au sérieux un drame qui se dénoue
225 se fasse attendre). Mais là, c’est l’autre aspect de la vie du « Frère Claus » qui est exalté : on parle surtout de ses mi
226 « Frère Claus » qui est exalté : on parle surtout de ses miracles, de son ascèse, de ses visions, et même parfois des prop
227 ui est exalté : on parle surtout de ses miracles, de son ascèse, de ses visions, et même parfois des prophéties qu’on lui
228 on parle surtout de ses miracles, de son ascèse, de ses visions, et même parfois des prophéties qu’on lui attribue sur la
229 sur la Réforme et ses « innovations ». Une suite de hasards m’ayant mis entre les mains, au cours de l’été dernier, quelq
230 el point que je n’hésitai pas à en faire le sujet d’ un drame, qui sera représenté à Zurich en septembre, et pour lequel Ar
231 omposé une importante partition chorale. Le choix de ce sujet n’a pas été sans surprendre certains de mes amis protestants
232 de ce sujet n’a pas été sans surprendre certains de mes amis protestants, et — pour d’autres raisons sans doute — certain
233 re que j’avançais dans mon travail, que la figure de Nicolas de Flue pouvait revêtir pour les Suisses d’aujourd’hui, et po
234 Nicolas de Flue pouvait revêtir pour les Suisses d’ aujourd’hui, et pour les protestants précisément, une signification pe
235 signification peut-être toute nouvelle. La vie de Nicolas Quel fut cet homme, en vérité ? Et peut-on le comprendre,
236 rs de son temps ? Il naquit à l’époque du concile de Constance, et mourut à la fin du xve siècle. Son existence coïncide
237 coïncide donc exactement avec la dernière période d’ unité de l’Église occidentale. Le concile de Constance venait de mettr
238 donc exactement avec la dernière période d’unité de l’Église occidentale. Le concile de Constance venait de mettre fin au
239 riode d’unité de l’Église occidentale. Le concile de Constance venait de mettre fin au Grand Schisme de la catholicité. Au
240 e Constance venait de mettre fin au Grand Schisme de la catholicité. Au pape d’Avignon, au pape de Rome, à l’antipape qu’o
241 e fin au Grand Schisme de la catholicité. Au pape d’ Avignon, au pape de Rome, à l’antipape qu’on avait tenté de leur oppos
242 sme de la catholicité. Au pape d’Avignon, au pape de Rome, à l’antipape qu’on avait tenté de leur opposer — et tous les tr
243 , au pape de Rome, à l’antipape qu’on avait tenté de leur opposer — et tous les trois s’excommuniaient réciproquement, ain
244 orte que toute la chrétienté se vit alors frappée d’ anathème ! — le concile avait substitué un pontife unique et romain. O
245 ss, le premier qui eût osé proclamer la nécessité d’ une réforme. On l’avait fait monter sur le bûcher au mépris de la paro
246 e. On l’avait fait monter sur le bûcher au mépris de la parole donnée. Il semblait que la chrétienté se regroupait, non sa
247 regroupait, non sans résignation, autour du siège de Saint-Pierre raffermi dans sa Primauté. Mais une discipline extérieur
248 e ne pouvait pas tromper les âmes. Et la vie même de Nicolas de Flue nous en donne une preuve édifiante. Dès son enfance,
249 fance, nous le voyons s’astreindre aux « œuvres » de la religion qui est alors celle de tous — mais avec une conscience bi
250 aux « œuvres » de la religion qui est alors celle de tous — mais avec une conscience bizarrement scrupuleuse. Il ne prend
251 ise ou pour les ordres. Mais non, parvenu à l’âge d’ homme, il s’engage dans les bandes armées qui guerroyaient alors contr
252 n natal pour y exercer les fonctions patriarcales de juge de paix, tout en cultivant son domaine. Un beau jour, certaine i
253 ice flagrante commise par ses collègues, au cours d’ un procès, le décide à déposer sa charge et à se retirer dans sa famil
254 retirer dans sa famille. C’est le deuxième temps de cette espèce de retraite concentrique — vers lui-même — qui est la fo
255 famille. C’est le deuxième temps de cette espèce de retraite concentrique — vers lui-même — qui est la forme de sa destin
256 e concentrique — vers lui-même — qui est la forme de sa destinée. Notons que ce capitaine, puis ce juge, puis ce père de f
257 tons que ce capitaine, puis ce juge, puis ce père de famille — il aura dix enfants — n’est pas un type exceptionnel parmi
258 s vieux confédérés, sinon par la rigueur inusitée de sa conscience. C’est un citoyen de bon sens et de bon conseil, un sol
259 gueur inusitée de sa conscience. C’est un citoyen de bon sens et de bon conseil, un solide paysan, les deux pieds sur la t
260 de sa conscience. C’est un citoyen de bon sens et de bon conseil, un solide paysan, les deux pieds sur la terre, et non pa
261 apaisement que devraient lui donner les pratiques d’ une extrême dévotion, ses proches ont bien senti le drame intime, long
262 des visions, peut-être a-t-il manqué sa vocation de prêtre, — déçu par les exemples qu’il avait sous les yeux. Peut-être
263 ve-t-il comme tout son siècle, et sans le savoir, d’ une piété plus intérieure, d’un contact plus direct, plus confiant ave
264 , et sans le savoir, d’une piété plus intérieure, d’ un contact plus direct, plus confiant avec Dieu… À cinquante ans, il n
265 n’y résiste plus : sa vocation profonde triomphe de tous ses doutes, et même de ses devoirs et attachements humains. Quel
266 ion profonde triomphe de tous ses doutes, et même de ses devoirs et attachements humains. Quelle vocation ? Celle des « fr
267 sur les routes, au hasard, abandonnés au souffle de l’Esprit. Il fait part à sa femme de cette terrible décision, et elle
268 s au souffle de l’Esprit. Il fait part à sa femme de cette terrible décision, et elle l’accepte au terme d’une lutte héroï
269 tte terrible décision, et elle l’accepte au terme d’ une lutte héroïque avec elle-même. Alors commence la vie de solitude e
270 te héroïque avec elle-même. Alors commence la vie de solitude et d’oraison que toute l’évolution intérieure de Nicolas sem
271 c elle-même. Alors commence la vie de solitude et d’ oraison que toute l’évolution intérieure de Nicolas semblait appeler c
272 ude et d’oraison que toute l’évolution intérieure de Nicolas semblait appeler comme une fin obscure et pourtant obsédante.
273 une fin obscure et pourtant obsédante. Vie libre d’ un laïque chrétien, hors de tout ordre monastique, hors du clergé cons
274 monastique, hors du clergé constitué. À une heure de chez lui, dans la gorge du Ranft, il se construit une cellule, auprès
275 rge du Ranft, il se construit une cellule, auprès d’ une minuscule chapelle. Et le miracle, préparé dès son enfance, se réa
276 : Nicolas s’aperçoit soudain qu’il peut se passer de manger ! Une fois par semaine il s’en va communier dans un des villag
277 mme il le répétera souvent : « L’homme ne vit pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de mon Pèr
278 nt : « L’homme ne vit pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de mon Père »… Ni les espions plac
279 de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de mon Père »… Ni les espions placés autour de l’ermitage p
280 ement, mais de toute parole qui sort de la bouche de mon Père »… Ni les espions placés autour de l’ermitage par des autori
281 des autorités fort soupçonneuses, ni les envoyés de l’évêque n’ont jamais pu prendre en défaut le « Frère Claus » — ainsi
282 s par la curiosité, les autres par le grand désir de recevoir une parole simple et forte, un conseil, une révélation. (Bea
283 révélation. (Beaucoup nous ont laissé la relation de leur visite : unanimes dans l’admiration devant cet « homme de Dieu »
284 e : unanimes dans l’admiration devant cet « homme de Dieu » fruste et biblique.) Il n’est pas jusqu’aux princes des contré
285 lèguent auprès du Frère Claus des envoyés chargés d’ obtenir son appui : car son conseil est si puissant parmi les Suisses
286 est si puissant parmi les Suisses qu’on a coutume de s’adresser d’abord à lui lorsqu’il faut négocier un traité. C’est ain
287 ’est ainsi que le solitaire conseille aux Suisses de se montrer prudents dans l’affaire de Bourgogne, où l’Autriche et la
288 aux Suisses de se montrer prudents dans l’affaire de Bourgogne, où l’Autriche et la France complotent de les précipiter. I
289 Bourgogne, où l’Autriche et la France complotent de les précipiter. Il voit trop bien à quels dangers leur victoire même
290 erre pour s’enrichir, et s’ils apprennent le prix de l’or, c’en sera fait de leur union patriarcale. Mais la tentation est
291 s’ils apprennent le prix de l’or, c’en sera fait de leur union patriarcale. Mais la tentation est trop forte. Les Suisses
292 st trop forte. Les Suisses passent outre aux avis de l’ermite, et toutes ses prédictions se réalisent : victoires, pillage
293 édictions se réalisent : victoires, pillage, flot d’ or, et disputes sanglantes à propos du partage. Les choses s’envenimen
294 à tel point qu’en l’année 1486, quinze assemblées de la Diète des cantons n’ont pas suffi pour rétablir l’union. C’est alo
295 ssible, et les députés se séparent sur une menace de guerre civile entre cités et petits cantons. Mais voici l’heure de Ni
296 entre cités et petits cantons. Mais voici l’heure de Nicolas, l’heure qui donnera son plein sens à sa vie et à ses retrait
297 s retraites successives. Pendant la nuit, le curé de Stans monte au Ranft, et il adjure le solitaire de tenter un dernier
298 e Stans monte au Ranft, et il adjure le solitaire de tenter un dernier effort. On ne sait pas — on ne saura jamais — de qu
299 ier effort. On ne sait pas — on ne saura jamais — de quel message Nicolas l’a chargé. Ce que l’on sait, par ce qu’attesten
300 eur transmit dans une séance secrète les conseils de Nicolas. Miracle ? Ou résultat d’une combinaison particulièrement « p
301 te les conseils de Nicolas. Miracle ? Ou résultat d’ une combinaison particulièrement « politique » dont l’ermite eût donné
302 nné l’idée ? Il me paraît probable que l’autorité de Nicolas sur ses compatriotes suffit à calmer les esprits et à permett
303 si la paix avait été sauvée, et avec elle le sort de la fédération, on le devait par-dessus tout à l’action de l’ermite du
304 dération, on le devait par-dessus tout à l’action de l’ermite du Ranft. (Remarquons à ce propos que la seule chose que tou
305 propos que la seule chose que tout le monde sache de Nicolas, est en réalité la seule qu’il n’ait pas faite : sa venue en
306 ononcé !) La piété du Frère Claus Ce résumé d’ une existence peut suffire à nous étonner, peut-être même à nous faire
307 peut-être même à nous faire partager cette espèce de vénération que lui vouèrent les hommes du xve siècle. Mais on peut c
308 ècle. Mais on peut craindre aussi que l’essentiel de la personne nous échappe, si nous nous limitons au savoir historique.
309 ès difficile, sur les documents qui nous restent, de nous faire une idée, et mieux : un sentiment, de la foi du « pieux ho
310 de nous faire une idée, et mieux : un sentiment, de la foi du « pieux homme frère Claus ». Nous en sommes forcément rédui
311 approches tâtonnantes. Pour ma part, je tenterai de distinguer dans la vie religieuse de Nicolas trois tendances ou trois
312 je tenterai de distinguer dans la vie religieuse de Nicolas trois tendances ou trois courants qui permettront peut-être d
313 ances ou trois courants qui permettront peut-être de mieux situer cet homme par rapport à son temps tout d’abord, mais aus
314 lle que les catholiques mettent surtout en valeur de nos jours : la dévotion au Saint-Sacrement, à la Vierge et aux saints
315 x saints, l’ascétisme, les visions, les pratiques de piété. Beaucoup de documents indiscutables nous obligent à prendre au
316 e au sérieux cet aspect proprement « catholique » de la religion du Bienheureux. Toutefois, je ne puis me persuader qu’il
317 uvres qu’il pratique et d’autre part les troubles de conscience qui ne cessent de l’assiéger, comment ne point songer à la
318 re part les troubles de conscience qui ne cessent de l’assiéger, comment ne point songer à la piété du jeune Luther, et à
319 songer à la piété du jeune Luther, et à ce drame de Wittemberg dont la Réforme devait sortir ? Rappelez-vous le moine aug
320 s plus scrupuleuses : comme Nicolas, il espérait, de toute son âme, s’acquérir la sainteté par les voies qu’ordonnait l’Ég
321 é par les voies qu’ordonnait l’Église ; mais loin d’ y trouver l’apaisement, il sentait croître en lui l’inquiétude du salu
322 le soin dont j’étais capable, je me suis efforcé de les observer par le jeûne, les veilles, les oraisons et autres exerci
323 e persécutent, parce que je leur enlève la gloire de se justifier… J’imposais à mon corps plus d’efforts qu’il n’en pouvai
324 oire de se justifier… J’imposais à mon corps plus d’ efforts qu’il n’en pouvait fournir sans danger pour la santé… Tout ce
325 toute simplicité, par pur zèle et pour la gloire de Dieu. Toute ma vie n’était que jeûnes, veilles, oraisons, sueurs…  E
326 ritiques catholiques modernes reprochent à Luther d’ avoir « manqué de discrétion » dans ses pratiques. Mais ce reproche n’
327 ues modernes reprochent à Luther d’avoir « manqué de discrétion » dans ses pratiques. Mais ce reproche n’atteindrait-il pa
328 as davantage un Nicolas de Flue, jeûnant plus que de raison dès son enfance, et au-delà de toute « discrétion » imaginable
329 nt plus que de raison dès son enfance, et au-delà de toute « discrétion » imaginable pendant ses vingt dernières années ?
330 ne puis qu’esquisser, nous mettrait-il en mesure de deviner la raison spirituelle des inquiétudes que nourrit Nicolas jus
331 ? Toutes proportions gardées, il me paraît licite de voir dans le cas du paysan, illettré et simple fidèle, une sorte de p
332 s du paysan, illettré et simple fidèle, une sorte de préfiguration du drame qui se jouera un peu plus tard dans la conscie
333 nous pourrions précisément saisir, dans la piété de Nicolas, les éléments sinon « protestants » du moins pré-réformés qui
334 ent perçus par ses après-venants. On serait tenté de chercher ailleurs, à un niveau plus apparent, les manifestations de l
335 rs, à un niveau plus apparent, les manifestations de la tendance pré-réformée chez l’ermite. Les auteurs catholiques eux-m
336 sévères pour les abus et les trahisons du clergé de son siècle. On cite les répliques assez dures dont il gratifia plus d
337 e les répliques assez dures dont il gratifia plus d’ un évêque ou supérieur de couvent venu le voir par curiosité. Mais cet
338 es dont il gratifia plus d’un évêque ou supérieur de couvent venu le voir par curiosité. Mais cet anticléricalisme et ce d
339 curiosité. Mais cet anticléricalisme et ce désir de réformer les mœurs ecclésiastiques sont choses si courantes au Moyen
340 si courantes au Moyen Âge qu’il serait imprudent d’ y chercher un trait spécifique de la spiritualité de Nicolas. Un Franç
341 serait imprudent d’y chercher un trait spécifique de la spiritualité de Nicolas. Un François d’Assise, une Catherine de Si
342 y chercher un trait spécifique de la spiritualité de Nicolas. Un François d’Assise, une Catherine de Sienne, un Gerson, un
343 an Huss, avant Wiclef, élevé contre la corruption de Rome et du clergé des protestations autrement violentes. Quant à la v
344 estations autrement violentes. Quant à la volonté de vivre en dehors des cadres de l’Église, volonté que Nicolas a toujour
345 Quant à la volonté de vivre en dehors des cadres de l’Église, volonté que Nicolas a toujours affirmée, non seulement en r
346 as a toujours affirmée, non seulement en refusant de devenir prêtre, mais surtout en cherchant son salut dans une solitude
347 ut dans une solitude érémitique d’ailleurs pleine d’ activité autant que de contemplation3, je pense qu’il faut la rattache
348 rémitique d’ailleurs pleine d’activité autant que de contemplation3, je pense qu’il faut la rattacher surtout à une troisi
349 me tendance, la plus importante à mes yeux, celle de la mystique germanique. Nous savons que par sa mère et par certains a
350 Nous savons que par sa mère et par certains amis de celle-ci, tel le curé Matthias Hattinger, le jeune Nicolas avait subi
351 l’influence très profonde du mouvement des « Amis de Dieu ». Initié en Alsace par le marchand Rulman Merswin, au xive siè
352 mouvement plus ou moins hérétique n’est pas sans d’ intimes relations avec les doctrines mystiques de Suso et de Tauler, e
353 d’intimes relations avec les doctrines mystiques de Suso et de Tauler, et par eux, de Maître Eckhart. On sait que Luther,
354 relations avec les doctrines mystiques de Suso et de Tauler, et par eux, de Maître Eckhart. On sait que Luther, de son côt
355 rines mystiques de Suso et de Tauler, et par eux, de Maître Eckhart. On sait que Luther, de son côté, fut assez fortement
356 t par eux, de Maître Eckhart. On sait que Luther, de son côté, fut assez fortement influencé par ces mêmes doctrines. Cepe
357 mêmes doctrines. Cependant, il serait très abusif de ramener à une forme larvée de protestantisme cette piété d’un type to
358 serait très abusif de ramener à une forme larvée de protestantisme cette piété d’un type tout à fait original, proprement
359 à une forme larvée de protestantisme cette piété d’ un type tout à fait original, proprement germanique, ou plus préciséme
360 , au sens moderne, et qui se rapprocherait plutôt de celle des sectes mystiques qui foisonnèrent en Occident à partir du x
361 u xiie siècle et du mouvement cathare. Plusieurs de ses principaux représentants vécurent en Suisse allemande du xiiie a
362 n peut l’expliquer — si l’on ne tenait pas compte de cet environnement spirituel, et des contacts qu’il dut avoir avec cer
363 t des contacts qu’il dut avoir avec certains Amis de Dieu. Lorsqu’il quitta sa femme et ses enfants, son idée n’était-ell
364 a femme et ses enfants, son idée n’était-elle pas de se rendre en Alsace, pour y rejoindre des communautés d’Amis de Dieu
365 endre en Alsace, pour y rejoindre des communautés d’ Amis de Dieu dont Hattinger lui avait parlé ? Et la première visite qu
366 n Alsace, pour y rejoindre des communautés d’Amis de Dieu dont Hattinger lui avait parlé ? Et la première visite qu’il reç
367 reçut au Ranft ne fut-elle pas précisément celle d’ un pèlerin « ami de Dieu », peut-être délégué par le mouvement ? Les p
368 fut-elle pas précisément celle d’un pèlerin « ami de Dieu », peut-être délégué par le mouvement ? Les plus récents histori
369  ? Les plus récents historiens l’ont admis, après de nombreux tâtonnements. D’autre part, la fameuse « petite prière » de
370 ments. D’autre part, la fameuse « petite prière » de Nicolas (das Gebetlein) popularisée par la littérature hagiographique
371 ature hagiographique est en réalité la paraphrase d’ un texte du mystique Heinrich Suso : Mon Seigneur et mon Dieu, ôte de
372 ue Heinrich Suso : Mon Seigneur et mon Dieu, ôte de moi tout ce qui m’éloigne de toi ! Mon Seigneur et mon Dieu, donne-
373 eur et mon Dieu, ôte de moi tout ce qui m’éloigne de toi ! Mon Seigneur et mon Dieu, donne-moi tout ce qui me rapproche
374 r et mon Dieu, donne-moi tout ce qui me rapproche de toi ! Mon Seigneur et mon Dieu, arrache-moi à moi-même et donne-moi
375 moi tout entier à toi seul ! Il n’est pas facile de caractériser en quelques mots cette « piété germanique », de forme pr
376 iser en quelques mots cette « piété germanique », de forme proprement mystique. Qu’il suffise d’indiquer qu’elle représent
377 ue », de forme proprement mystique. Qu’il suffise d’ indiquer qu’elle représentait, face à l’Église établie, une aspiration
378 es pratiques ou malgré elles, une intériorisation de la foi, mais aussi une volonté de communion et presque de communisme
379 intériorisation de la foi, mais aussi une volonté de communion et presque de communisme spirituel et matériel ; bref, une
380 i, mais aussi une volonté de communion et presque de communisme spirituel et matériel ; bref, une certaine déviation « spi
381  ; bref, une certaine déviation « spiritualiste » de la foi, mais compensée par un salutaire redressement du sens moral et
382 taire. Le réalisme très paysan et très helvétique de Nicolas le préserva des excès de la secte — c’est ainsi qu’il ne romp
383 très helvétique de Nicolas le préserva des excès de la secte — c’est ainsi qu’il ne rompit jamais avec l’Église, tout en
384 que ses propos et son action relèvent directement de cette espèce de réaction intérieure au formalisme romain, qu’ont repr
385 t son action relèvent directement de cette espèce de réaction intérieure au formalisme romain, qu’ont représenté les Amis
386 au formalisme romain, qu’ont représenté les Amis de Dieu. Et l’on conçoit que ce mouvement, rectifié et rendu plus sobre
387 le mouvement assez voisin des Vaudois, ou Pauvres de Lyon, se confondit sans nulle difficulté avec le calvinisme.) Nico
388 olas de Flue et les réformés La contre-épreuve de ces diverses hypothèses m’a été fournie d’une manière très convaincan
389 preuve de ces diverses hypothèses m’a été fournie d’ une manière très convaincante par la lecture des deux grands recueils
390 vaincante par la lecture des deux grands recueils de documents sur Nicolas que publiait, au lendemain de la guerre, Robert
391 documents sur Nicolas que publiait, au lendemain de la guerre, Robert Dürrer, historien du canton d’Unterwald. C’est une
392 de la guerre, Robert Dürrer, historien du canton d’ Unterwald. C’est une véritable somme critique de tout ce que la tradit
393 n d’Unterwald. C’est une véritable somme critique de tout ce que la tradition nous a livré concernant le pacificateur de l
394 tradition nous a livré concernant le pacificateur de la Suisse. On ne saurait en louer assez la science, et surtout l’honn
395 un doute à cette dernière qualité que nous devons de pouvoir redécouvrir aujourd’hui, malgré certain accaparement de Nicol
396 écouvrir aujourd’hui, malgré certain accaparement de Nicolas de Flue par l’Église romaine, la signification qu’il eut, en
397 u’il eut, en fait, pour les premières générations de la Réforme. Ce n’est pas sans un joyeux étonnement que je suis tombé,
398 peine les gros volumes ouverts, sur une abondance de citations de Luther, de Zwingli, de Vadian, de Bullinger, d’Œcolampad
399 s volumes ouverts, sur une abondance de citations de Luther, de Zwingli, de Vadian, de Bullinger, d’Œcolampade, unanimes à
400 uverts, sur une abondance de citations de Luther, de Zwingli, de Vadian, de Bullinger, d’Œcolampade, unanimes à revendique
401 une abondance de citations de Luther, de Zwingli, de Vadian, de Bullinger, d’Œcolampade, unanimes à revendiquer l’exemple
402 ce de citations de Luther, de Zwingli, de Vadian, de Bullinger, d’Œcolampade, unanimes à revendiquer l’exemple de Nicolas
403 s de Luther, de Zwingli, de Vadian, de Bullinger, d’ Œcolampade, unanimes à revendiquer l’exemple de Nicolas de Flue à l’ap
404 r, d’Œcolampade, unanimes à revendiquer l’exemple de Nicolas de Flue à l’appui de leur œuvre de réforme de l’Église. Et ce
405 xemple de Nicolas de Flue à l’appui de leur œuvre de réforme de l’Église. Et ce n’est pas sans un léger mouvement de triom
406 icolas de Flue à l’appui de leur œuvre de réforme de l’Église. Et ce n’est pas sans un léger mouvement de triomphe, je l’a
407 l’Église. Et ce n’est pas sans un léger mouvement de triomphe, je l’avoue, que j’ai trouvé ce fait, très généralement igno
408 es drames protestants, composés par des disciples de Zwingli, voire dans des intentions de polémique antiromaine (lesquell
409 s disciples de Zwingli, voire dans des intentions de polémique antiromaine (lesquelles d’ailleurs sont loin de nous réjoui
410 la Réforme). Il n’est peut-être pas sans intérêt de donner ici un aperçu rapide de cette littérature réformée sur Nicolas
411 e pas sans intérêt de donner ici un aperçu rapide de cette littérature réformée sur Nicolas. Je la diviserai en trois rubr
412 . 1. Chroniques. — La première en date est celle de Heinrich Glarean, écrite en latin, et commentée par Myconius, Lucerno
413 e par Myconius, Lucernois réformé, sur la demande de Zwingli et de Vadian. C’est encore un ami de Vadian, Hermann Miles (o
414 , Lucernois réformé, sur la demande de Zwingli et de Vadian. C’est encore un ami de Vadian, Hermann Miles (ou Ritter) de S
415 ande de Zwingli et de Vadian. C’est encore un ami de Vadian, Hermann Miles (ou Ritter) de Saint-Gall, qui mentionne le Frè
416 ncore un ami de Vadian, Hermann Miles (ou Ritter) de Saint-Gall, qui mentionne le Frère Claus avec de grands éloges dans u
417 de Saint-Gall, qui mentionne le Frère Claus avec de grands éloges dans un ouvrage daté de 1522. (Nous sommes donc aux tou
418 Claus avec de grands éloges dans un ouvrage daté de 1522. (Nous sommes donc aux tout premiers jours de la Réforme.) En 15
419 e 1522. (Nous sommes donc aux tout premiers jours de la Réforme.) En 1529, un protestant bernois, Valerius Anshelm, nous d
420 elm, nous donne la première biographie importante de Nicolas, sur le ton le plus enthousiaste. Il est suivi en 1546 par St
421 . En 1556, Matthias Flacius Illyricus, professeur d’ hébreu à Wittenberg, et parfois nommé le père de l’histoire des église
422 r d’hébreu à Wittenberg, et parfois nommé le père de l’histoire des églises protestantes, mentionne longuement Nicolas dan
423 longuement Nicolas dans son Catalogue des témoins de la foi qui se sont dressés avant Martin Luther, par la parole et par
424 Puis en 1524, il rappelle les conseils politiques de l’ermite, ses mises en garde répétées contre le service mercenaire à
425 ire à l’étranger. Et comme Johannes Faber tentait de lui opposer une parole de Nicolas conjurant les Suisses de garder la
426 Johannes Faber tentait de lui opposer une parole de Nicolas conjurant les Suisses de garder la foi de leurs pères, Zwingl
427 poser une parole de Nicolas conjurant les Suisses de garder la foi de leurs pères, Zwingli réplique que les réformés sont
428 de Nicolas conjurant les Suisses de garder la foi de leurs pères, Zwingli réplique que les réformés sont les véritables di
429 des Apôtres, et se sont refusés à faire commerce de leur religion. De 1526 à 1574, nous trouvons de nombreuses mentions d
430 e sont refusés à faire commerce de leur religion. De 1526 à 1574, nous trouvons de nombreuses mentions du Frère Claus dans
431 e de leur religion. De 1526 à 1574, nous trouvons de nombreuses mentions du Frère Claus dans les sermons et traités de Bul
432 ntions du Frère Claus dans les sermons et traités de Bullinger (successeur de Zwingli à Zurich) ; de Vadian (Joachim von W
433 s les sermons et traités de Bullinger (successeur de Zwingli à Zurich) ; de Vadian (Joachim von Watt, réformateur de Saint
434 s de Bullinger (successeur de Zwingli à Zurich) ; de Vadian (Joachim von Watt, réformateur de Saint-Gall et grand humanist
435 urich) ; de Vadian (Joachim von Watt, réformateur de Saint-Gall et grand humaniste) ; d’Œcolampade (réformateur de Bâle) ;
436 , réformateur de Saint-Gall et grand humaniste) ; d’ Œcolampade (réformateur de Bâle) ; d’Ulrich Campell, pasteur de Coire.
437 l et grand humaniste) ; d’Œcolampade (réformateur de Bâle) ; d’Ulrich Campell, pasteur de Coire. Ajoutons qu’en 1585, une
438 humaniste) ; d’Œcolampade (réformateur de Bâle) ; d’ Ulrich Campell, pasteur de Coire. Ajoutons qu’en 1585, une délégation
439 (réformateur de Bâle) ; d’Ulrich Campell, pasteur de Coire. Ajoutons qu’en 1585, une délégation des cantons réformés se re
440 569. 3. Satires et drames. — La première mention de Nicolas dans une satire catholique date de 1522. Chose curieuse, elle
441 ention de Nicolas dans une satire catholique date de 1522. Chose curieuse, elle est extrêmement défavorable au Bienheureux
442 défavorable au Bienheureux. On y sent l’agacement de l’auteur à voir le nom et les conseils du Frère sans cesse revendiqué
443 chacun reste sur son fumier !). Vous feriez mieux de le croire et de ne point innover, etc. Par contre, un Narrenspiel zwi
444 son fumier !). Vous feriez mieux de le croire et de ne point innover, etc. Par contre, un Narrenspiel zwinglien de 1526 e
445 nnover, etc. Par contre, un Narrenspiel zwinglien de 1526 et une satire intitulée Etter Heini, de Jakob Ruf (1538), exploi
446 lien de 1526 et une satire intitulée Etter Heini, de Jakob Ruf (1538), exploitent, avec beaucoup de verve et quelque gross
447 verve et quelque grossièreté, les fameux conseils de Nicolas, qui se trouvent condamner toute la politique des cantons cat
448 à la Réforme, afin de les brûler ; dans la liste de ceux qui furent détruits figure un Jeu de Frère Claus et de Frère Tel
449 a liste de ceux qui furent détruits figure un Jeu de Frère Claus et de Frère Tell ! Mais la pièce la plus importante de ce
450 i furent détruits figure un Jeu de Frère Claus et de Frère Tell ! Mais la pièce la plus importante de cette série est cell
451 de Frère Tell ! Mais la pièce la plus importante de cette série est celle que fit jouer à Bâle, en 1550, le protestant Va
452 centrale symbolisant l’idée confédérale créatrice de la Suisse. Les cantons personnifiés prenaient la parole tour à tour,
453 tour, comme à la Diète (Uri se contentant parfois de sonner sa fameuse corne !), et Moïse ou Élie intervenaient dans les d
454 fit jouer à Lucerne, cette année-là, une Comoedia de vita Nicolai Underwaldii Eremitæ Helvetii, écrite en latin et représe
455 érêt dramatique ni sans verve, mais on est frappé de constater une fois de plus que seule la piété d’allure monacale du Fr
456 de constater une fois de plus que seule la piété d’ allure monacale du Frère Claus y est mise en valeur, tandis que son rô
457 nait l’Église, remarque Dürrer.) Il y aurait lieu de citer enfin le libelle de Luther sur la « vision des épées », que Nic
458 rrer.) Il y aurait lieu de citer enfin le libelle de Luther sur la « vision des épées », que Nicolas avait fait peindre au
459 es épées », que Nicolas avait fait peindre au mur de sa cellule. Luther l’interprétait comme une prophétie contre le pape,
460 tête, dans l’image traditionnelle, est environnée de trois glaives, l’un d’eux appuyé contre ses lèvres comme pour l’empêc
461 itionnelle, est environnée de trois glaives, l’un d’ eux appuyé contre ses lèvres comme pour l’empêcher de dire la Parole.
462 ux appuyé contre ses lèvres comme pour l’empêcher de dire la Parole. Mais à partir de 1536, les catholiques à leur tour ut
463 non sans supprimer la tiare papale) en une vision de la Trinité. Les historiens ne sont guère d’accord, et je n’ai pas qua
464 tes, bien entendu, n’ont aucunement la prétention d’ annexer Nicolas de Flue à je ne sais quel « parti de la Réforme » ! El
465 annexer Nicolas de Flue à je ne sais quel « parti de la Réforme » ! Elles ne visent qu’à faire mieux connaître une grande
466 faire mieux connaître une grande figure que trop de protestants ignorent, et qu’ils ignorent le plus souvent du simple fa
467 que les catholiques l’exaltent. Tel est l’esprit de parti, même parmi les chrétiens ! Que de richesses les réformés n’ont
468 l’esprit de parti, même parmi les chrétiens ! Que de richesses les réformés n’ont-ils pas laissé perdre de la sorte, et n’
469 ichesses les réformés n’ont-ils pas laissé perdre de la sorte, et n’ont-ils pas laissé dénaturer ! Mon désir n’est nulleme
470 pas laissé dénaturer ! Mon désir n’est nullement d’ enlever le Frère Claus aux catholiques — il ne peut leur faire que du
471 liques — il ne peut leur faire que du bien — mais de le rendre aussi aux protestants, comme une part de leur héritage. Dan
472 e le rendre aussi aux protestants, comme une part de leur héritage. Dans une période où le sens fédéral paraît renaître pa
473 mblé que la vie du Frère Claus prenait une valeur de symbole, et non seulement pour l’ordre politique, mais aussi sur le p
474 r le plan religieux. Nicolas pauvre et se privant de pain à l’époque même où les Suisses sont tentés par les richesses étr
475 t qu’il rappelle aux « centralistes » que le bien de tous suppose le bien de chacun ; Nicolas témoin de la foi dans une ép
476 entralistes » que le bien de tous suppose le bien de chacun ; Nicolas témoin de la foi dans une époque où toute la chrétie
477 e tous suppose le bien de chacun ; Nicolas témoin de la foi dans une époque où toute la chrétienté était encore extérieure
478 ncêtre commun, et j’ajouterais : comme le parrain de cette « défense spirituelle du pays » que nous devons approuver comme
479 , en particulier par Vadian. b. Rougemont Denis de , « Nicolas de Flue et la Réforme », Les Cahiers protestants, Lausanne
3 1940, Les Cahiers protestants, articles (1938–1968). La bataille de la culture (janvier-février 1940)
480 La bataille de la culture (janvier-février 1940)c d Le fait même que nous éprouvi
481 e nous éprouvions tous un doute sur l’opportunité d’ une conférence en temps de guerre, ce fait est significatif. Il prouve
482 doute sur l’opportunité d’une conférence en temps de guerre, ce fait est significatif. Il prouve que nous tenons la cultur
483 uve que nous tenons la culture pour quelque chose d’ un peu moins sérieux que l’action, ou que la guerre, par exemple, ou s
484 se nationale. Or je vois là le signe très certain d’ une crise, — et d’une crise qui met en question les fondements mêmes d
485 e vois là le signe très certain d’une crise, — et d’ une crise qui met en question les fondements mêmes de la culture en Oc
486 ne crise qui met en question les fondements mêmes de la culture en Occident. Je voudrais vous montrer ce soir que cette cr
487 uences pratiques ; qu’elle est l’une des origines de la présente guerre ; et que cette guerre n’est, en fin de compte, mal
488 s ses prétextes matériels, qu’un épisode tragique d’ une bataille bien plus vaste, la millénaire bataille de la culture.
489 bataille bien plus vaste, la millénaire bataille de la culture. L’adversaire est en nous Mais d’abord, essayons d’éc
490 ’adversaire est en nous Mais d’abord, essayons d’ écarter un malentendu menaçant. La bataille dont je vais vous parler n
491 uels belligérants, et il n’est pas question, ici, de confondre l’un des partis avec la cause de la culture, l’autre étant
492 , ici, de confondre l’un des partis avec la cause de la culture, l’autre étant le parti de l’anti-culture. Ce genre d’oppo
493 ec la cause de la culture, l’autre étant le parti de l’anti-culture. Ce genre d’opposition est très tentant, je l’avoue, e
494 ’autre étant le parti de l’anti-culture. Ce genre d’ opposition est très tentant, je l’avoue, et aujourd’hui plus que jamai
495 hui plus que jamais. C’est malgré tout un procédé de propagande de guerre. Un fameux général autrichien disait un jour : T
496 amais. C’est malgré tout un procédé de propagande de guerre. Un fameux général autrichien disait un jour : Tout ce qui n’e
497 mes encore neutres, et nous avons encore le droit de ne pas nous livrer à ce genre de simplifications brutales. Notre prem
498 encore le droit de ne pas nous livrer à ce genre de simplifications brutales. Notre premier devoir est, aujourd’hui, de d
499 brutales. Notre premier devoir est, aujourd’hui, de défendre l’intelligence contre un certain primitivisme qui se réveill
500 in primitivisme qui se réveille toujours en temps de guerre. Les primitifs ont l’habitude de personnifier les forces mauva
501 en temps de guerre. Les primitifs ont l’habitude de personnifier les forces mauvaises qui les menacent. S’ils sont malade
502 ’ils sont malades, ils pensent que c’est la faute d’ un objet maléfique, ou d’un sorcier, ou d’un esprit qui rôde autour de
503 nsent que c’est la faute d’un objet maléfique, ou d’ un sorcier, ou d’un esprit qui rôde autour de leur maison. Toujours, l
504 a faute d’un objet maléfique, ou d’un sorcier, ou d’ un esprit qui rôde autour de leur maison. Toujours, la cause du mal, c
505 sous l’influence du christianisme, s’est efforcée de nous faire comprendre que la vraie cause de nos malheurs est presque
506 orcée de nous faire comprendre que la vraie cause de nos malheurs est presque toujours en nous-mêmes. Il faut reconnaître,
507 a manie des primitifs : nous rendons responsables de nos maux — les autres, uniquement les autres, ceux d’un autre parti,
508 os maux — les autres, uniquement les autres, ceux d’ un autre parti, ceux d’une autre nation… Nous faisons tous comme les p
509 niquement les autres, ceux d’un autre parti, ceux d’ une autre nation… Nous faisons tous comme les petits enfants qui batte
510 e ils se sont heurtés. Il est facile et rassurant de noircir le voisin pour mieux se blanchir soi-même. Mais en réalité, n
511 nos adversaires ne diffèrent pas essentiellement de nous. Tout homme porte en soi les microbes de toutes les maladies ima
512 ent de nous. Tout homme porte en soi les microbes de toutes les maladies imaginables. Et cet ennemi qui nous menace, il ne
513 qui nous menace, il ne serait nullement suffisant de l’anéantir pour nous en délivrer. Car la tendance qu’il personnifie à
514 t, pour nous défendre, c’est en nous qu’il s’agit de l’attaquer, et avant tout, de la reconnaître. Disharmonies et impu
515 n nous qu’il s’agit de l’attaquer, et avant tout, de la reconnaître. Disharmonies et impuissance de l’esprit Songean
516 de la reconnaître. Disharmonies et impuissance de l’esprit Songeant à notre civilisation moderne, je suis de plus en
517 une étonnante disharmonie entre les divers ordres de nos activités, — d’autre part, une angoissante impuissance de l’espri
518 ités, — d’autre part, une angoissante impuissance de l’esprit devant ce monde. Tel grand chimiste scandinave invente, dans
519 ceux qui travaillèrent pour la paix. Mais l’état de notre culture est tel que l’invention sera utilisée pour détruire cet
520 cifique verra retomber sur sa tête, sous la forme d’ une bombe de 1000 kg son invention humanitaire. Par quelle fatalité ma
521 a retomber sur sa tête, sous la forme d’une bombe de 1000 kg son invention humanitaire. Par quelle fatalité mauvaise tous
522 re. Par quelle fatalité mauvaise tous les progrès de notre science contribuent-ils à ravager la civilisation qui les produ
523 ous posé cette question-là. Mais il ne suffit pas de se la poser et ensuite de se lamenter. Il faut voir ce que signifie u
524 . Mais il ne suffit pas de se la poser et ensuite de se lamenter. Il faut voir ce que signifie une si cruelle disharmonie,
525 xiste des remèdes. Car il ne serait pas suffisant de n’accuser que la méchanceté des hommes : c’est l’esprit même de la cu
526 ue la méchanceté des hommes : c’est l’esprit même de la culture moderne, et son défaut de sagesse générale qui se trouve i
527 ’esprit même de la culture moderne, et son défaut de sagesse générale qui se trouve ici mis à nu. Un autre fait, dans ce m
528 entions techniques est double : il est d’une part d’ économiser du travail d’hommes par les machines, et donc de créer du l
529 ouble : il est d’une part d’économiser du travail d’ hommes par les machines, et donc de créer du loisir ; d’autre part, d’
530 ser du travail d’hommes par les machines, et donc de créer du loisir ; d’autre part, d’élever le niveau général du confort
531 hines, et donc de créer du loisir ; d’autre part, d’ élever le niveau général du confort. Or chacun sait que les résultats
532 les résultats pratiques du machinisme ne sont pas d’ augmenter les loisirs, mais bien d’augmenter le chômage, et qu’au lieu
533 me ne sont pas d’augmenter les loisirs, mais bien d’ augmenter le chômage, et qu’au lieu d’élever le niveau général, l’indu
534 eu d’élever le niveau général, l’industrie a créé d’ immenses masses misérables, déracinées et démoralisées. Enfin je vous
535 n cas individuel assez typique. Un grand banquier de Paris, membre d’un comité de bienfaisance, fut interrogé un jour, dev
536 assez typique. Un grand banquier de Paris, membre d’ un comité de bienfaisance, fut interrogé un jour, devant moi, par un d
537 e. Un grand banquier de Paris, membre d’un comité de bienfaisance, fut interrogé un jour, devant moi, par un de ses collèg
538 isance, fut interrogé un jour, devant moi, par un de ses collègues. Était-il vrai, lui demandait-on, que sa banque finançâ
539 ar tout ce que j’ai à voir, ce sont deux colonnes de chiffres, dont la balance est favorable à ma maison. — L’exemple peut
540 plus, il illustre à merveille le vice fondamental de notre société et aussi de notre culture : c’est une absence totale de
541 lle le vice fondamental de notre société et aussi de notre culture : c’est une absence totale de vue d’ensemble. Ce qui no
542 aussi de notre culture : c’est une absence totale de vue d’ensemble. Ce qui nous manque absolument, c’est un grand princip
543 e notre culture : c’est une absence totale de vue d’ ensemble. Ce qui nous manque absolument, c’est un grand principe d’uni
544 i nous manque absolument, c’est un grand principe d’ unité entre notre pensée et nos actions. Cette absence d’un principe d
545 entre notre pensée et nos actions. Cette absence d’ un principe d’unité est si totale qu’on ne la ressent même plus comme
546 ensée et nos actions. Cette absence d’un principe d’ unité est si totale qu’on ne la ressent même plus comme un scandale. E
547 vait disharmonie, contradiction, entre son comité de bienfaisance, les intérêts de sa banque, et le massacre des Chinois.
548 n, entre son comité de bienfaisance, les intérêts de sa banque, et le massacre des Chinois. Chacune de ces activités lui p
549 de sa banque, et le massacre des Chinois. Chacune de ces activités lui paraissait, en somme, justifiable en elle-même, pou
550 t pas tout mélanger… Et en effet, nous mélangeons de moins en moins notre pensée à notre action. L’impuissance de la pensé
551 moins notre pensée à notre action. L’impuissance de la pensée sur la conduite générale des affaires, tel est le dogme fon
552 nérale des affaires, tel est le dogme fondamental de la mentalité moderne. C’est plus qu’un dogme, c’est une croyance spon
553 Il est admis, dans notre société, que les hommes de la pensée n’ont rien à dire d’utile aux hommes de l’action, aux capit
554 té, que les hommes de la pensée n’ont rien à dire d’ utile aux hommes de l’action, aux capitaines de l’industrie ou de la g
555 de la pensée n’ont rien à dire d’utile aux hommes de l’action, aux capitaines de l’industrie ou de la guerre. Le divorce a
556 re d’utile aux hommes de l’action, aux capitaines de l’industrie ou de la guerre. Le divorce a été prononcé entre la cultu
557 mes de l’action, aux capitaines de l’industrie ou de la guerre. Le divorce a été prononcé entre la culture et l’action, en
558 ction, entre le cerveau et la main. Les résultats de ce divorce sont infinis. Mais le plus décisif, sans doute, est celui-
559 a culture apparaît aujourd’hui comme une activité de luxe, et l’action seule est tenue pour sérieuse. En voici la preuve.
560 e. Quand la situation devient grave, comme en cas de guerre par exemple, tout le monde trouve parfaitement naturel que la
561 sée abdique sa liberté et se soumette aux besoins de l’action, du haut en bas de l’échelle de nos occupations. Tout le mon
562 soumette aux besoins de l’action, du haut en bas de l’échelle de nos occupations. Tout le monde trouve parfaitement natur
563 besoins de l’action, du haut en bas de l’échelle de nos occupations. Tout le monde trouve parfaitement naturel de cesser
564 ations. Tout le monde trouve parfaitement naturel de cesser d’acheter des livres : c’est la première économie que l’on fer
565 ut le monde trouve parfaitement naturel de cesser d’ acheter des livres : c’est la première économie que l’on fera. De même
566 mière économie que l’on fera. De même qu’en temps de restrictions alimentaires on trouve tout naturel de se priver d’abord
567 restrictions alimentaires on trouve tout naturel de se priver d’abord de dessert. Oui, la culture est devenue pour nous q
568 aires on trouve tout naturel de se priver d’abord de dessert. Oui, la culture est devenue pour nous quelque chose comme un
569 . Elle n’est plus un pain quotidien. Quand on dit de quelqu’un : c’est un intellectuel ! cela signifie : c’est un monsieur
570 i ne vaut rien pour conduire la cité, pour gagner de l’argent, pour faire des choses sérieuses… Et cependant, une société
571 rieuses… Et cependant, une société où les valeurs de la pensée n’ont plus aucun rapport avec les lois de l’action, une soc
572 la pensée n’ont plus aucun rapport avec les lois de l’action, une société qui manque à ce point d’harmonie, et où ce manq
573 is de l’action, une société qui manque à ce point d’ harmonie, et où ce manque n’est même plus ressenti comme un scandale,
574 sera toujours le seul aboutissement. L’esprit de Ponce Pilate Mais alors, qui est responsable de ce divorce entre l
575 e Ponce Pilate Mais alors, qui est responsable de ce divorce entre la main et le cerveau ? Nous voyons bien où il nous
576 u ? Nous voyons bien où il nous a menés. Essayons de voir d’où il vient. Le phénomène le plus remarquable des débuts du xi
577 voyons bien où il nous a menés. Essayons de voir d’ où il vient. Le phénomène le plus remarquable des débuts du xixe sièc
578 des machines a brusquement accru nos possibilités d’ action sur la matière. L’industrie et le commerce ont provoqué la brus
579 e et le commerce ont provoqué la brusque création de villes énormes, dix ou cent fois plus grandes que celles qu’on connai
580 uparavant. Ainsi Berlin passe, en un demi-siècle, de 25 000 habitants à 4 millions. Dans ces villes, se sont entassées des
581 celles des monstres antédiluviens. La population de l’Europe a plus que doublé en cent ans, ses richesses ont été décuplé
582 tous ces éléments réunis ont provoqué la création d’ armées considérables, agrandissant le phénomène de la guerre, brusquem
583 d’armées considérables, agrandissant le phénomène de la guerre, brusquement, aux proportions de la nation entière. Voici d
584 nomène de la guerre, brusquement, aux proportions de la nation entière. Voici donc, dans tous les domaines, que nos pouvoi
585 ci donc, dans tous les domaines, que nos pouvoirs d’ agir matériellement grandissent, par une mutation brusque, dans la pro
586 ent, par une mutation brusque, dans la proportion de 1 à 100. Que va faire la pensée, en présence de cet essor fulgurant d
587 ire la pensée, en présence de cet essor fulgurant de l’action ? Et que va faire la culture ? Il semble que la société devi
588 ciété devienne trop gigantesque pour être dominée d’ un seul regard. Une seule intelligence ne peut plus en comprendre et e
589 menacent et souffrent. Tout cela échappe aux vues de l’esprit rationaliste. Le panorama de la société devient confus. Plus
590 pe aux vues de l’esprit rationaliste. Le panorama de la société devient confus. Plus rien n’est à la mesure de l’homme ind
591 ciété devient confus. Plus rien n’est à la mesure de l’homme individuel. Quand nous regardons en arrière, nous nous disons
592 ient dû faire à ce moment-là un formidable effort de mise en ordre : ils auraient dû être saisis tout à la fois d’angoisse
593 rdre : ils auraient dû être saisis tout à la fois d’ angoisse et d’enthousiasme devant ce monde démesuré, porteur de tels p
594 aient dû être saisis tout à la fois d’angoisse et d’ enthousiasme devant ce monde démesuré, porteur de tels pouvoirs de vie
595 d’enthousiasme devant ce monde démesuré, porteur de tels pouvoirs de vie et de mort. Songez donc : si tous ces pouvoirs a
596 evant ce monde démesuré, porteur de tels pouvoirs de vie et de mort. Songez donc : si tous ces pouvoirs avaient été coordo
597 onde démesuré, porteur de tels pouvoirs de vie et de mort. Songez donc : si tous ces pouvoirs avaient été coordonnés, orie
598 tés par une vue générale, par une notion générale de l’homme et des buts de sa destinée, ils pouvaient créer une belle vie
599 e, par une notion générale de l’homme et des buts de sa destinée, ils pouvaient créer une belle vie ! Mais si ces mêmes po
600 onnés à l’anarchie, s’ils se développaient chacun de son côté sans tenir compte d’aucune harmonie ni d’aucune mesure humai
601 éveloppaient chacun de son côté sans tenir compte d’ aucune harmonie ni d’aucune mesure humaine, ils ne pouvaient créer qu’
602 e son côté sans tenir compte d’aucune harmonie ni d’ aucune mesure humaine, ils ne pouvaient créer qu’une vie fausse, une v
603 uvaise, antihumaine. C’eût été le rôle des hommes de la pensée que d’avertir les hommes d’action. Ils avaient là une chanc
604 ne. C’eût été le rôle des hommes de la pensée que d’ avertir les hommes d’action. Ils avaient là une chance et un devoir vi
605 des hommes de la pensée que d’avertir les hommes d’ action. Ils avaient là une chance et un devoir vital. Or, ils ont perd
606 ance. Ils n’ont pas vu le danger, ils ont eu peur de le prévoir. Et c’est ici que nous allons découvrir le grand ennemi de
607 est ici que nous allons découvrir le grand ennemi de la culture ; c’est chez les philosophes et les penseurs qu’il s’est d
608 t d’abord manifesté. Et je le nommerai : l’esprit de démission, de non-intervention, ou la démission de l’esprit. C’est l’
609 festé. Et je le nommerai : l’esprit de démission, de non-intervention, ou la démission de l’esprit. C’est l’esprit même d’
610 e démission, de non-intervention, ou la démission de l’esprit. C’est l’esprit même d’un Ponce Pilate, le sceptique qui se
611 ou la démission de l’esprit. C’est l’esprit même d’ un Ponce Pilate, le sceptique qui se lave les mains et laisse les chos
612 , et par ce qu’ils appelaient le désintéressement de la pensée. Ils ont renoncé à leur mission de directeurs spirituels de
613 ment de la pensée. Ils ont renoncé à leur mission de directeurs spirituels de la cité. Bien sûr, ils n’ont pas dit : notre
614 t renoncé à leur mission de directeurs spirituels de la cité. Bien sûr, ils n’ont pas dit : notre pensée, à partir d’aujou
615 n sûr, ils n’ont pas dit : notre pensée, à partir d’ aujourd’hui, renonce à agir, mais ils ont dit : la dignité de la pensé
616 ui, renonce à agir, mais ils ont dit : la dignité de la pensée réside dans son détachement de toute action, dans son désin
617 dignité de la pensée réside dans son détachement de toute action, dans son désintéressement scientifique. Ils n’ont pas d
618 s n’ont pas dit : nous ne voulons plus rien faire d’ utile, mais ils ont dit : on ne peut plus rien faire, car l’histoire e
619 angoissant des faits, ils ont opposé des milliers de pages de rhétorique sur le Progrès. Merveilleuse doctrine que celle-l
620 t des faits, ils ont opposé des milliers de pages de rhétorique sur le Progrès. Merveilleuse doctrine que celle-là ! Car e
621 lle justifie tout, endort l’esprit et le dispense de toute intervention active. Pourquoi s’inquiéter des effets futurs de
622 on active. Pourquoi s’inquiéter des effets futurs de ces capitaux accumulés ou du sort de ces masses humaines rassemblées 
623 ffets futurs de ces capitaux accumulés ou du sort de ces masses humaines rassemblées ? Primo : notre esprit est trop disti
624 ui réponds que sa croyance au Progrès est l’opium de la culture. S’il fallait résumer rapidement les caractères généraux p
625 ères généraux par lesquels se trahit la démission de l’esprit, je dirais : goût des automatismes, croyance aux fatalités d
626 s : goût des automatismes, croyance aux fatalités de l’Histoire et de l’Économie, manie des organisations trop vastes et u
627 matismes, croyance aux fatalités de l’Histoire et de l’Économie, manie des organisations trop vastes et uniformes, optimis
628 formes, optimisme trop confortable, enfin, manque d’ imagination. Or la plupart de ces choses ont paru magnifiques et série
629 e Kierkegaard et Nietzsche pour protester du fond de leur solitude. Kierkegaard qui osa écrire ce blasphème contre les pré
630 s préjugés du siècle : « Le plus grand adversaire de l’esprit, c’est la presse quotidienne. On ne peut plus prêcher le chr
631 dans un monde où règne la presse. » Et Nietzsche, de son côté, dénonçait la manie d’organiser et de centraliser en écrivan
632 . » Et Nietzsche, de son côté, dénonçait la manie d’ organiser et de centraliser en écrivant : « L’État est le plus froid p
633 e, de son côté, dénonçait la manie d’organiser et de centraliser en écrivant : « L’État est le plus froid parmi les monstr
634 abandonné à son mouvement fatal. Le développement de l’industrie a produit évidemment beaucoup d’automobiles, de téléphone
635 ment de l’industrie a produit évidemment beaucoup d’ automobiles, de téléphones et de frigidaires, mais il a aussi produit
636 trie a produit évidemment beaucoup d’automobiles, de téléphones et de frigidaires, mais il a aussi produit beaucoup de can
637 idemment beaucoup d’automobiles, de téléphones et de frigidaires, mais il a aussi produit beaucoup de canons et de masques
638 es, mais il a aussi produit beaucoup de canons et de masques à gaz. Il a produit beaucoup de confort, mais il a également
639 te catastrophe humaine, l’un des désastres moraux de l’Histoire. Tout cela, faute d’harmonie et de mesure humaine, faute d
640 désastres moraux de l’Histoire. Tout cela, faute d’ harmonie et de mesure humaine, faute d’un grand principe directeur, sp
641 aux de l’Histoire. Tout cela, faute d’harmonie et de mesure humaine, faute d’un grand principe directeur, spirituel ou cul
642 ela, faute d’harmonie et de mesure humaine, faute d’ un grand principe directeur, spirituel ou culturel. Tout cela parce qu
643 infaillible, et que la seule tâche sérieuse était de gagner de l’argent en attendant que les choses s’arrangent d’elles-mê
644 e, et que la seule tâche sérieuse était de gagner de l’argent en attendant que les choses s’arrangent d’elles-mêmes. Or, e
645 l’argent en attendant que les choses s’arrangent d’ elles-mêmes. Or, en réalité, rien ne s’est arrangé. Et voici où nous
646 e n’a plus en fait l’initiative, ce sont les lois de la production et de la guerre qui imposent leurs nécessités à notre p
647 ’initiative, ce sont les lois de la production et de la guerre qui imposent leurs nécessités à notre pensée impuissante. Q
648 rde pas à se défaire. Dès que la pensée se sépare de l’action, les hommes se trouvent séparés les uns des autres. Chacun,
649 cées par des principes contradictoires et privées de commune mesure. Décadence de la communauté Je préciserai ce que
650 toires et privées de commune mesure. Décadence de la communauté Je préciserai ce que j’appelle ici la commune mesure
651 préciserai ce que j’appelle ici la commune mesure d’ une civilisation : c’est le principe qui doit harmoniser toutes les ac
652 principe qui doit harmoniser toutes les activités d’ une société donnée. Dans la cité grecque, par exemple, tout était rapp
653 que, par exemple, tout était rapporté à la mesure de l’individu raisonnable. Dans l’Empire romain, tout était réglé par le
654 ns l’Empire romain, tout était réglé par le droit d’ État. Chez les Juifs, c’était la Loi de Moïse qui ordonnait toute l’ex
655 r le droit d’État. Chez les Juifs, c’était la Loi de Moïse qui ordonnait toute l’existence dans ses plus minutieux détails
656 enant que tout, dans le monde, échappe aux prises de l’esprit humain, il ne reste qu’un seul principe pour mesurer la vale
657 reste qu’un seul principe pour mesurer la valeur de nos actes : c’est l’Argent. Et quand il n’y a plus d’argent, c’est la
658 os actes : c’est l’Argent. Et quand il n’y a plus d’ argent, c’est la misère. Et quand la misère est trop grande, alors c’e
659 ande, alors c’est l’État-providence qui se charge de tout mettre au pas. Le malheur, c’est que l’Argent et l’État sont des
660 des principes qui ne valent rien dans le domaine de l’esprit. Et dès lors, la culture en chômage se corrompt rapidement,
661 servit. Je vous en donnerai un exemple que chacun de vous peut vérifier quotidiennement. Le fondement et le symbole de tou
662 ifier quotidiennement. Le fondement et le symbole de toute culture, c’est le langage. Or nous assistons aujourd’hui à une
663 pays. Au cours des siècles précédents, les hommes d’ une même société s’entendaient sur le sens de certains mots fondamenta
664 mmes d’une même société s’entendaient sur le sens de certains mots fondamentaux que j’appellerai les lieux communs. C’étai
665 appellerai les lieux communs. C’était sur la base de ces mots définis une fois pour toutes que les échanges d’idées pouvai
666 ots définis une fois pour toutes que les échanges d’ idées pouvaient se produire sans erreur ni malentendu. Les lieux commu
667 entendu. Les lieux communs étaient donc à la base de toute la vie sociale du siècle. Que sont-ils devenus parmi nous ? Pre
668 es plus fréquents dans les discours et les écrits de notre époque : esprit, liberté et ordre. Je constate que le mot espri
669 à vingt-neuf sens différents dans le dictionnaire de Littré. Mais cela n’est pas un mal, car ces sens, justement, sont exa
670 esprit, mais pour certains, c’est le Saint-Esprit de la théologie, pour d’autres, c’est la raison humaine ou l’ensemble de
671 r d’autres, c’est la raison humaine ou l’ensemble de la culture. Pour celui-ci, l’esprit signifiera le luxe des délicats,
672 naire des créateurs. Si j’affirme que mon but est de sauver l’esprit, le marxiste en déduira que je néglige la vie concrèt
673 évade dans le spiritualisme, alors que je ne vois de salut pour l’esprit que dans la présence effective de la pensée et de
674 alut pour l’esprit que dans la présence effective de la pensée et de la foi à toutes les misères de ce monde. La liberté :
675 it que dans la présence effective de la pensée et de la foi à toutes les misères de ce monde. La liberté : tout le monde l
676 ve de la pensée et de la foi à toutes les misères de ce monde. La liberté : tout le monde l’invoque, n’est-ce pas ? Mais p
677 pour l’économiste libéral, cela signifie le droit de ruiner le voisin par le jeu de la concurrence ; pour l’individualiste
678 signifie le droit de ruiner le voisin par le jeu de la concurrence ; pour l’individualiste anarchisant, ce sera le refus
679 ur l’individualiste anarchisant, ce sera le refus d’ obéir à l’État ; dans tel pays, la liberté consiste à s’armer jusqu’au
680 la liberté signifiera le droit pour le plus fort de s’annexer un voisin faible ; dans un troisième pays, la liberté sera
681 ys, la liberté sera tout simplement la permission de dire à haute voix ce que l’on pense. Et quand ces trois pays se feron
682 al, si absurde qu’il soit, tantôt l’établissement d’ une hiérarchie nouvelle au prix d’une révolution, tantôt la suppressio
683 l’établissement d’une hiérarchie nouvelle au prix d’ une révolution, tantôt la suppression physique de tous ceux qui critiq
684 d’une révolution, tantôt la suppression physique de tous ceux qui critiquent le désordre établi, tantôt le fait qu’on n’a
685 plus dans la rue mais seulement dans les prisons d’ État. Je n’hésite pas à le dire : l’une des causes principales de la m
686 site pas à le dire : l’une des causes principales de la mésentente des peuples réside dans ce désordre du langage, et dans
687 de dans ce désordre du langage, et dans l’absence de toute autorité morale capable d’y porter remède. Car qui peut fixer a
688 t dans l’absence de toute autorité morale capable d’ y porter remède. Car qui peut fixer aujourd’hui le véritable sens des
689 léry, un Gide ou un Claudel ont quelques milliers de lecteurs, tandis que la presse du soir et la radio atteignent chaque
690 r et la radio atteignent chaque jour des millions d’ hommes, et c’est tout un domaine du langage que l’écrivain ne contrôle
691 ne forme pas, n’atteint même pas. Ainsi se créent d’ énormes zones d’échanges verbaux incontrôlés. Et plus on y échange de
692 atteint même pas. Ainsi se créent d’énormes zones d’ échanges verbaux incontrôlés. Et plus on y échange de mots, plus ils p
693 changes verbaux incontrôlés. Et plus on y échange de mots, plus ils perdent leur force et leur sens, et leur délicatesse d
694 dent leur force et leur sens, et leur délicatesse d’ appel. Alors les écrivains, qui n’ont pas d’autres armes que les mots,
695 pas d’autres armes que les mots, se voient privés de tout moyen d’agir. Leurs conseils, leurs appels ne portent plus. Les
696 rmes que les mots, se voient privés de tout moyen d’ agir. Leurs conseils, leurs appels ne portent plus. Les hommes échange
697 omme fait à un homme, et qui engage quelque chose de son être, c’est l’amitié humaine qui se détruit, le fondement même de
698 ’amitié humaine qui se détruit, le fondement même de toute communauté. Alors paraît le règne de la force ! Si nulle autori
699 t même de toute communauté. Alors paraît le règne de la force ! Si nulle autorité spirituelle ne peut fixer le sens des mo
700 gera. À la place des grands lieux communs chargés de sens traditionnel, nous aurons des slogans, des mots d’ordre simplist
701 sens des mots sept fois par an, selon les besoins de la cause. C’est ainsi que tout récemment le ministre d’une grande pui
702 cause. C’est ainsi que tout récemment le ministre d’ une grande puissance, le camarade Molotov, déclarait que le mot d’agre
703 ssance, le camarade Molotov, déclarait que le mot d’ agression avait changé de sens depuis ce printemps, « les événements l
704 ov, déclarait que le mot d’agression avait changé de sens depuis ce printemps, « les événements lui ayant donné un contenu
705 contenu historique nouveau », exactement inverse de l’ancien… Cela me fit songer irrésistiblement à un dialogue d’Alice a
706 Cela me fit songer irrésistiblement à un dialogue d’ Alice au pays des Merveilles (qui est un de mes livres préférés), dial
707 alogue d’Alice au pays des Merveilles (qui est un de mes livres préférés), dialogue dont voici trois répliques : « Quand j
708 e dont voici trois répliques : « Quand je me sers d’ un mot, dit Humpty Dumpty d’un ton méprisant, il signifie exactement c
709  : « Quand je me sers d’un mot, dit Humpty Dumpty d’ un ton méprisant, il signifie exactement ce que je veux qu’il signifie
710 ’il signifie… ni plus ni moins. — La question est de savoir, dit Alice, si vous pouvez faire que les mêmes mots signifient
711 ifient des choses différentes ? — La question est de savoir, dit Humpty Dumpty, qui est le plus fort… et c’est tout. » Nou
712 artout. L’appel au dictateur Or maintenant, de cette angoisse monte un appel, le formidable et inconscient appel des
713 novée dans son esprit et dans ses signes, l’appel de toute l’Europe du xxe siècle vers une commune mesure restaurée et vi
714 ner — avant les intellectuels ! — la vraie nature de l’angoisse des foules, pour lui donner une réponse à la fois frappant
715 bien simple. Nous allons proclamer que l’intérêt de l’État dont nous sommes devenus les maîtres est la seule règle de tou
716 ous sommes devenus les maîtres est la seule règle de toute activité, culturelle, politique, ou même religieuse. » C’était
717 politique, ou même religieuse. » C’était un coup de génie, si le génie consiste à deviner et à prévenir les inconscients
718 e à deviner et à prévenir les inconscients désirs d’ une nation. Mais on peut avoir du génie et faire de grosses fautes de
719 ’une nation. Mais on peut avoir du génie et faire de grosses fautes de calcul. Surtout quand on est très pressé. Or il est
720 on peut avoir du génie et faire de grosses fautes de calcul. Surtout quand on est très pressé. Or il est certain que ces c
721 des principes qui étaient partiels. La discipline d’ État, ou le sang, ou la classe, ce sont certes des réalités. Mais des
722 ple nos petits États neutres, ne nous faisons pas d’ illusions : tôt ou tard, là aussi, cet appel exigera une réponse. Rest
723 r les essayer sur nous d’abord. À la recherche de l’homme réel … Sur quel principe pourrions-nous rebâtir un monde q
724 nous rebâtir un monde qui soit vraiment à hauteur d’ homme ? Un monde où la pensée, la culture et l’esprit soient de nouvea
725 la culture et l’esprit soient de nouveau capables d’ agir ? Et quelle est l’attitude de pensée qui peut nous orienter dès à
726 ouveau capables d’agir ? Et quelle est l’attitude de pensée qui peut nous orienter dès à présent vers une communauté solid
727 faut rapprendre à penser, à penser dans le train de l’action, oui, à penser avec les mains. Il nous faut voir que tout dé
728 Il nous faut voir que tout dépend en premier lieu de notre état d’esprit. S’il change, tout commence à changer. S’il ne ch
729 bien se sont trompés sur sa nature. Ils ont perdu de vue sa définition même. Leur point de départ est faux, et c’est pourq
730 s ont perdu de vue sa définition même. Leur point de départ est faux, et c’est pourquoi leurs efforts, même les plus sincè
731 s, même les plus sincères, aboutissent au malheur de l’homme. Dans ce monde qui a perdu la mesure, le seul devoir des inte
732 — et j’ajouterai : leur seul pouvoir — c’est donc de rechercher l’homme perdu. Or l’histoire nous apprend que l’homme ne t
733 supposait que l’humanité n’était qu’un assemblage d’ individus, d’hommes qui avaient surtout des droits légaux, et très peu
734 l’humanité n’était qu’un assemblage d’individus, d’ hommes qui avaient surtout des droits légaux, et très peu de devoirs n
735 ationaliste, c’était un homme in abstracto, privé d’ attaches avec le sol, la patrie et l’hérédité. C’était un homme libéré
736 tait un homme libéré des servitudes et des tabous de la tribu, mais en même temps privé de relations concrètes. Or la comm
737 des tabous de la tribu, mais en même temps privé de relations concrètes. Or la communauté des hommes se fonde d’abord sur
738 doctrine antisociale. Elle a pour effet mécanique de dissocier toute communauté naturelle. Et alors se produit le phénomèn
739 ne auquel nous avons assisté depuis une trentaine d’ années. L’homme isolé, dans un monde trop vaste, ne se sent plus porté
740 pe. Déraciné, il flotte, il erre, il n’offre plus de résistance aux courants d’opinion, aux modes, à la publicité des gran
741 erre, il n’offre plus de résistance aux courants d’ opinion, aux modes, à la publicité des grandes firmes et des grands pa
742 oduit fatalement ce que j’appellerai un sentiment de vide social. C’est une sorte d’angoisse diffuse, d’où naît le besoin
743 erai un sentiment de vide social. C’est une sorte d’ angoisse diffuse, d’où naît le besoin d’un coude à coude où l’individu
744 vide social. C’est une sorte d’angoisse diffuse, d’ où naît le besoin d’un coude à coude où l’individu isolé retrouve des
745 une sorte d’angoisse diffuse, d’où naît le besoin d’ un coude à coude où l’individu isolé retrouve des contraintes qui le r
746 ssurent. Appel à une communauté : c’est le secret de toute révolution. Alors, d’un coup de balancier, nous nous trouvons p
747 uté : c’est le secret de toute révolution. Alors, d’ un coup de balancier, nous nous trouvons portés à l’autre pôle, qui es
748 t le secret de toute révolution. Alors, d’un coup de balancier, nous nous trouvons portés à l’autre pôle, qui est le pôle
749 , qui est le pôle collectiviste. Toute l’histoire de l’Europe peut être ramenée à ces grands balancements d’un pôle à l’au
750 urope peut être ramenée à ces grands balancements d’ un pôle à l’autre. À l’anarchie individualiste de la Grèce répond l’ét
751 d’un pôle à l’autre. À l’anarchie individualiste de la Grèce répond l’étatisme romain. Au collectivisme sacral du Moyen Â
752 ral du Moyen Âge répond la révolte individualiste de la Renaissance. Et aujourd’hui, nouvelle oscillation du balancier : l
753 ssante réaction collective. Sortirons-nous jamais de cette dialectique, dont les phases et les renversements menacent aujo
754 phases et les renversements menacent aujourd’hui d’ anéantir l’Europe ? Il s’agit de résoudre enfin l’éternel problème que
755 acent aujourd’hui d’anéantir l’Europe ? Il s’agit de résoudre enfin l’éternel problème que nous posent les relations de l’
756 l’éternel problème que nous posent les relations de l’individu et de la collectivité. Il s’agit de voir que l’homme concr
757 me que nous posent les relations de l’individu et de la collectivité. Il s’agit de voir que l’homme concret n’est pas le R
758 ns de l’individu et de la collectivité. Il s’agit de voir que l’homme concret n’est pas le Robinson d’une île déserte, ni
759 de voir que l’homme concret n’est pas le Robinson d’ une île déserte, ni l’anonyme numéro d’un rang, mais qu’il est à la fo
760 e Robinson d’une île déserte, ni l’anonyme numéro d’ un rang, mais qu’il est à la fois un être unique et un être qui a des
761 e un homme libre et pourtant relié, c’est l’idéal de l’homme occidental. N’allons pas dire que c’est une utopie ! Car ce p
762 e a été résolu, cet idéal réalisé, au ier siècle de notre ère, par les communautés de l’Église primitive. Le chrétien pri
763 au ier siècle de notre ère, par les communautés de l’Église primitive. Le chrétien primitif est un homme qui, du fait de
764 e. Le chrétien primitif est un homme qui, du fait de sa conversion, se trouve chargé d’une vocation particulière qui le di
765 e qui, du fait de sa conversion, se trouve chargé d’ une vocation particulière qui le distingue de tous ses voisins ; mais
766 argé d’une vocation particulière qui le distingue de tous ses voisins ; mais d’autre part, cette vocation unique le met en
767 dont nous souffrons sont avant tout des maladies de la personne. Quand l’homme oublie qu’il est responsable de sa vocatio
768 sonne. Quand l’homme oublie qu’il est responsable de sa vocation envers ses prochains, il devient individualiste. Et quand
769 ualiste. Et quand il oublie qu’il est responsable de sa vocation envers lui-même, il devient collectiviste. L’homme comple
770 et réel, c’est celui qui se sait à la fois libre d’ être soi-même vis-à-vis de l’ensemble, et engagé vis-à-vis de cet ense
771 t engagé vis-à-vis de cet ensemble par l’exercice d’ une vocation qui le relie à ses prochains. C’est pour cet homme réel q
772 ré que c’est justement cet homme-là qui a le plus de peine à subsister ou à se former dans le monde moderne. Car supposez
773 posez qu’un homme se sente une vocation et décide de la réaliser. Il se trouve en présence d’un monde que l’histoire et la
774 onde que l’histoire et la sociologie ont encombré de lois fatales. Que peut-il seul, contre ces lois ? Il faut donc, s’il
775 bit une discipline qui ne s’accommode pas du tout de sa vocation personnelle. Voici donc le dilemme où nous placent la cul
776 en tu veux faire quelque chose, mais alors, cesse d’ être toi-même ! Comment sortir de ce cercle vicieux ? Par un changemen
777 ais alors, cesse d’être toi-même ! Comment sortir de ce cercle vicieux ? Par un changement d’état d’esprit aussi bien chez
778 t sortir de ce cercle vicieux ? Par un changement d’ état d’esprit aussi bien chez les intellectuels créateurs que chez les
779 les intellectuels créateurs que chez les amateurs de vraie culture, les lecteurs, le public cultivé. Car c’est de ce chang
780 lture, les lecteurs, le public cultivé. Car c’est de ce changement d’état d’esprit que sortira la possibilité de repenser
781 rs, le public cultivé. Car c’est de ce changement d’ état d’esprit que sortira la possibilité de repenser une société. R
782 gement d’état d’esprit que sortira la possibilité de repenser une société. Raisons d’espérer : la culture et les groupe
783 a possibilité de repenser une société. Raisons d’ espérer : la culture et les groupes Je voudrais vous dire, maintena
784 drais vous dire, maintenant, les raisons que j’ai d’ espérer, après avoir tant critiqué. Je voudrais vous énumérer les prem
785 r les premiers succès remportés, dans la bataille de la culture moderne, par l’esprit créateur sur l’esprit fataliste. Ce
786 alysait les intellectuels qui sentaient le besoin d’ agir sur les destins de la cité, c’était, depuis Hegel, Auguste Comte,
787 ls qui sentaient le besoin d’agir sur les destins de la cité, c’était, depuis Hegel, Auguste Comte, et Marx, l’idée que l’
788 la retraite dans les bibliothèques. Or cette idée de lois fatales avait été empruntée à la science, et transportée abusive
789 portée abusivement dans les domaines plus humains de l’histoire, de la sociologie, et même de la psychologie. Et voici que
790 ent dans les domaines plus humains de l’histoire, de la sociologie, et même de la psychologie. Et voici que cette idée par
791 humains de l’histoire, de la sociologie, et même de la psychologie. Et voici que cette idée paralysante est en train de s
792 s coups décisifs : ce sont précisément les hommes de science qui, les premiers, cessent d’y croire. Ils ont reconnu, depui
793 les hommes de science qui, les premiers, cessent d’ y croire. Ils ont reconnu, depuis quelques années, que la notion de lo
794 nt reconnu, depuis quelques années, que la notion de lois tout objectives, de lois absolument indépendantes de l’homme, n’
795 es années, que la notion de lois tout objectives, de lois absolument indépendantes de l’homme, n’était qu’une illusion rat
796 tout objectives, de lois absolument indépendantes de l’homme, n’était qu’une illusion rationaliste. Qu’il me suffise de ra
797 it qu’une illusion rationaliste. Qu’il me suffise de rappeler ici les découvertes de la physique des quanta : elle a prouv
798 Qu’il me suffise de rappeler ici les découvertes de la physique des quanta : elle a prouvé que l’observation microscopiqu
799 s fameuses lois scientifiques ne sont en fait que de commodes conventions, dépendant des systèmes de mesures inventés par
800 e de commodes conventions, dépendant des systèmes de mesures inventés par l’esprit humain. Or si la science elle-même vien
801 même dans l’ordre matériel, il n’est plus permis de concevoir une observation impartiale, à combien plus forte raison pou
802 étendaient décrire objectivement les lois rigides de notre société. En vérité, il n’est de lois fatales que là où l’espri
803 is rigides de notre société. En vérité, il n’est de lois fatales que là où l’esprit démissionne. Toute action créatrice d
804 à où l’esprit démissionne. Toute action créatrice de l’homme normal inflige un démenti aux lois et fait mentir les statist
805 s et fait mentir les statistiques. Ainsi les lois de la publicité ne sont exactes que dans la mesure où l’homme n’est qu’u
806 qu’un homme redevient conscient des vrais besoins de sa personne. Il n’y a de loi, répétons-le, que là où l’homme renonce
807 scient des vrais besoins de sa personne. Il n’y a de loi, répétons-le, que là où l’homme renonce à se manifester selon sa
808 ue les États totalitaires justifient les rigueurs de leur régime au nom de lois économiques, ou historiques, ou biologique
809 nnent vraies, qu’en vertu d’une immense démission de l’esprit civique dans les trop grands pays. Elles ne traduisent en fa
810 e affaissement du sens personnel dans les parties de l’humanité contemporaine exténuées par la misère. Les solutions total
811 l on les prône, ne sont en fait que des solutions de paresse intellectuelle, des solutions de misère, fardées de rhétoriqu
812 olutions de paresse intellectuelle, des solutions de misère, fardées de rhétorique héroïque. Le seul moyen de prévenir ces
813 intellectuelle, des solutions de misère, fardées de rhétorique héroïque. Le seul moyen de prévenir ces simplifications vi
814 re, fardées de rhétorique héroïque. Le seul moyen de prévenir ces simplifications violentes qui jouent la comédie de l’éne
815 s simplifications violentes qui jouent la comédie de l’énergie, c’est de développer soi-même une énergie normale et souple
816 olentes qui jouent la comédie de l’énergie, c’est de développer soi-même une énergie normale et souple. Or nous savons mai
817 ore et de nouveau possible. Notre culture libérée de la superstition des lois fatales peut envisager de nouveau d’influenc
818 tition des lois fatales peut envisager de nouveau d’ influencer le monde réel, ramené en droit, — sinon déjà en fait — aux
819 en droit, — sinon déjà en fait — aux proportions de l’esprit humain et de ses prises. Mais quelles seront alors les direc
820 à en fait — aux proportions de l’esprit humain et de ses prises. Mais quelles seront alors les directives de cette action
821 prises. Mais quelles seront alors les directives de cette action redevenue possible ? Je ne voudrais pas, ici, partir dan
822 e. Je ne pense pas que les principes fondamentaux d’ une société plus harmonieuse puissent être formulés dès maintenant com
823 t être formulés dès maintenant comme un programme de parti politique. Ils doivent mûrir, et lentement se dégager de l’ense
824 tique. Ils doivent mûrir, et lentement se dégager de l’ensemble de mille efforts orientés par une même espérance. L’effort
825 vent mûrir, et lentement se dégager de l’ensemble de mille efforts orientés par une même espérance. L’effort des Églises,
826 sme, les Églises ont été les grandes pourvoyeuses de lieux communs pour la cité. La théologie médiévale, par les Sommes de
827 r la cité. La théologie médiévale, par les Sommes de Thomas d’Aquin, fixait à la pensée et à l’action des règles véritable
828 temps de la Réformation, l’Institution chrétienne de Jean Calvin. Mais dans l’époque moderne les Églises ont paru, elles a
829 e les Églises ont paru, elles aussi, se détourner de toute action régulatrice sur la cité. Elles ont assisté sans mot dire
830 masses ouvrières, c’est parce qu’il s’est chargé de la mission sociale qu’avaient trahie toutes les Églises. Nicolas Berd
831 aev l’a bien vu : le bolchévisme fut le châtiment d’ un christianisme devenu passif devant le monde. Or il me semble que, l
832 Églises. Elles ont compris qu’il ne suffisait pas de dénoncer les doctrines païennes mais qu’il fallait répondre mieux que
833 es à la question posée par l’angoisse des foules. D’ où les encycliques sociales données par les deux derniers papes. Et le
834 nnées par les deux derniers papes. Et les congrès de Stockholm et d’Oxford ont montré que les autres Églises n’entendaient
835 ux derniers papes. Et les congrès de Stockholm et d’ Oxford ont montré que les autres Églises n’entendaient pas demeurer en
836 , c’est qu’enfin les Églises retrouvent leur rôle de direction dans tous les ordres de la pensée et de l’action. J’ai insi
837 uvent leur rôle de direction dans tous les ordres de la pensée et de l’action. J’ai insisté sur le rôle des Églises parce
838 de direction dans tous les ordres de la pensée et de l’action. J’ai insisté sur le rôle des Églises parce qu’elles sont le
839 type même des groupes au sein desquels la culture d’ Occident a toujours trouvé ses mesures. Bien d’autres groupes, je le s
840 je le sais, sont à l’œuvre, Mouvement des groupes d’ Oxford, mouvement des groupes personnalistes, répandus en France et en
841 et vingt autres mouvements analogues, tous animés de cet esprit d’équipe qui seul peut nous guérir de l’individualisme, to
842 s mouvements analogues, tous animés de cet esprit d’ équipe qui seul peut nous guérir de l’individualisme, tout en prévenan
843 de cet esprit d’équipe qui seul peut nous guérir de l’individualisme, tout en prévenant la maladie collectiviste. C’est d
844 a maladie collectiviste. C’est dans cette volonté de recréer des groupes à la mesure de la personne, matériellement et mor
845 cette volonté de recréer des groupes à la mesure de la personne, matériellement et moralement, que je vois la commune mes
846 ment et moralement, que je vois la commune mesure de la cité qu’il nous faut rebâtir. Cité solide et pourtant libérale : c
847 as beaucoup la tolérance, vertu qui naît en somme d’ un scepticisme, car elle suppose que la pensée de l’autre, qu’on tolèr
848 d’un scepticisme, car elle suppose que la pensée de l’autre, qu’on tolère, ne passera jamais dans les actes. Je n’aime pa
849 i veut tout uniformiser, et qui est donc une mort de l’esprit. La tolérance était la pâle vertu des libéraux individualist
850 est la sombre vertu des partisans collectivistes. De leur lutte est sortie la guerre. Le seul moyen de dépasser cette mauv
851 De leur lutte est sortie la guerre. Le seul moyen de dépasser cette mauvaise position du problème, c’est de prévoir pour l
852 passer cette mauvaise position du problème, c’est de prévoir pour la cité et la culture une structure fédéraliste. Le fédé
853 ifiés, et par là même il offre tous les avantages de la tolérance libérale, mais non pas ses inconvénients : car chacun da
854 le groupe qu’il a choisi, peut donner le meilleur de soi-même, aller au terme de sa pensée, jusqu’à l’acte qui la rend sér
855 ut donner le meilleur de soi-même, aller au terme de sa pensée, jusqu’à l’acte qui la rend sérieuse. Refaire un monde et u
856 euse. Refaire un monde et une culture sur la base de la diversité des personnes et des vocations, — c’est aujourd’hui le s
857 des vocations, — c’est aujourd’hui le seul moyen de préparer une paix solide. Car, après tout, qu’est-ce que la guerre ac
858 ctuelle ? C’est la rançon fatale du gigantisme et de la démission de la culture. C’est la faillite des systèmes centralist
859 la rançon fatale du gigantisme et de la démission de la culture. C’est la faillite des systèmes centralistes et de l’espri
860 e. C’est la faillite des systèmes centralistes et de l’esprit d’uniformisation. Or le contraire exact de cet esprit, c’est
861 faillite des systèmes centralistes et de l’esprit d’ uniformisation. Or le contraire exact de cet esprit, c’est justement l
862 l’esprit d’uniformisation. Or le contraire exact de cet esprit, c’est justement l’esprit fédéraliste, avec sa devise para
863 gigantesques. C’est la guerre la plus antisuisse de toute l’histoire. C’est donc pour nous la pire menace. Mais en même t
864 la solution suisse et fédérale est seule capable de fonder la paix, puisque l’autre aboutit à la guerre. Ce n’est pas not
865 édéraliste en politique et dans tous les domaines de la culture, le seul avenir possible de l’Europe. Le seul lieu où cet
866 s domaines de la culture, le seul avenir possible de l’Europe. Le seul lieu où cet avenir soit, d’ores et déjà, un présent
867 oit, d’ores et déjà, un présent. Il ne s’agit pas de grands mots, de lyrisme ou d’idéalisme. Il s’agit de voir qu’en fait,
868 éjà, un présent. Il ne s’agit pas de grands mots, de lyrisme ou d’idéalisme. Il s’agit de voir qu’en fait, si nous sommes
869 t. Il ne s’agit pas de grands mots, de lyrisme ou d’ idéalisme. Il s’agit de voir qu’en fait, si nous sommes là, au service
870 grands mots, de lyrisme ou d’idéalisme. Il s’agit de voir qu’en fait, si nous sommes là, au service du pays, ce n’est pas
871 ’est pas pour défendre des fromages, des conseils d’ administration, notre confort et nos hôtels. (D’autres — on sait qui —
872 it fort bien Karl Barth, pour protéger nos « lacs d’ azur » et nos « glaciers sublimes ». (Certain ministre de la propagand
873 » et nos « glaciers sublimes ». (Certain ministre de la propagande se chargerait très volontiers de ce travail de Heimatsc
874 re de la propagande se chargerait très volontiers de ce travail de Heimatschutz.) Si nous sommes là, c’est pour exécuter l
875 gande se chargerait très volontiers de ce travail de Heimatschutz.) Si nous sommes là, c’est pour exécuter la mission dont
876 des siècles, devant l’Europe. Nous sommes chargés de la défendre contre elle-même, de garder son trésor, d’affirmer sa san
877 s sommes chargés de la défendre contre elle-même, de garder son trésor, d’affirmer sa santé, et de sauver son avenir. Si n
878 défendre contre elle-même, de garder son trésor, d’ affirmer sa santé, et de sauver son avenir. Si nous trahissons cette m
879 me, de garder son trésor, d’affirmer sa santé, et de sauver son avenir. Si nous trahissons cette mission, si nous n’en pre
880 ivique et culturelle nous a dressés pour ce genre de mission. On parle un peu partout de fédérer l’Europe. Cela ne se fera
881 pour ce genre de mission. On parle un peu partout de fédérer l’Europe. Cela ne se fera pas en un jour, ni même pendant les
882 ni même pendant les quelques semaines fiévreuses d’ un congrès de la paix improvisé dans l’épuisement général. Cela ne se
883 ant les quelques semaines fiévreuses d’un congrès de la paix improvisé dans l’épuisement général. Cela ne se fera que si d
884 re entreprennent, dès maintenant, un gros travail de déblaiement, d’études précises, de calculs réalistes. Ces hommes ne p
885 , dès maintenant, un gros travail de déblaiement, d’ études précises, de calculs réalistes. Ces hommes ne peuvent guère exi
886 n gros travail de déblaiement, d’études précises, de calculs réalistes. Ces hommes ne peuvent guère exister et travailler
887 chez nous tout d’abord, puisqu’il s’agit en somme d’ utiliser notre expérience, et de tirer des leçons non pas seulement de
888 l s’agit en somme d’utiliser notre expérience, et de tirer des leçons non pas seulement de ses succès mais aussi de ses éc
889 érience, et de tirer des leçons non pas seulement de ses succès mais aussi de ses échecs, que nous connaissons mieux que p
890 leçons non pas seulement de ses succès mais aussi de ses échecs, que nous connaissons mieux que personne. Tout mon espoir
891 out mon espoir est qu’il se forme ici des équipes de fédérateurs, d’hommes qui comprennent enfin que l’heure est venue pou
892 st qu’il se forme ici des équipes de fédérateurs, d’ hommes qui comprennent enfin que l’heure est venue pour nous autres Su
893 n que l’heure est venue pour nous autres Suisses, de voir grand, de voir aux proportions de l’Europe moderne, tout en gard
894 st venue pour nous autres Suisses, de voir grand, de voir aux proportions de l’Europe moderne, tout en gardant la mesure d
895 s Suisses, de voir grand, de voir aux proportions de l’Europe moderne, tout en gardant la mesure de notre histoire, la mes
896 ns de l’Europe moderne, tout en gardant la mesure de notre histoire, la mesure de l’individu engagé dans la communauté. Ce
897 en gardant la mesure de notre histoire, la mesure de l’individu engagé dans la communauté. Cette œuvre n’est pas utopique.
898 sceptiques professionnels, par tous les paresseux d’ esprit qui se prétendent réalistes. Encore faut-il — et je termine là-
899 se pas sur une erreur profonde quant aux pouvoirs de l’homme et à ses fins terrestres. En appelant et préparant de toutes
900 t à ses fins terrestres. En appelant et préparant de toutes nos forces une Europe fédéralisée, nous ne demanderons pas un
901 rons simplement un monde humain. Non pas un monde d’ utopie où toutes les luttes s’apaiseraient par miracle, mais un monde
902 t fatalement à des catastrophes cosmiques. La vie de la cité et de la culture, ce sera toujours une bataille. Entre l’espr
903 des catastrophes cosmiques. La vie de la cité et de la culture, ce sera toujours une bataille. Entre l’esprit de lourdeur
904 re, ce sera toujours une bataille. Entre l’esprit de lourdeur, comme disait Nietzsche, et les forces de création, la lutte
905 e lourdeur, comme disait Nietzsche, et les forces de création, la lutte sera toujours ouverte, tant qu’il y aura du péché
906 tion du prophète Isaïe : « Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? » La sentinelle a répondu : « Le matin vient, et la nuit au
907 vons invoquer ne peut pas être une simple absence de guerre. Spirituellement, une vraie paix sera toujours plus difficile
908 . Mais qu’elle nous donne au moins la possibilité de rendre un sens aux conflits éternels, — un sens, et s’il se peut, une
909 les autres font la guerre, ils n’ont pas le temps de préparer un monde humain. Mais nous qui avons encore su conserver une
910 ui avons encore su conserver une cité à la mesure de la personne, nous qui sommes encore épargnés, ne perdons pas notre dé
911 ommes encore épargnés, ne perdons pas notre délai de grâce : c’est à nous de gagner la vraie paix, c’est à nous d’engager
912 e perdons pas notre délai de grâce : c’est à nous de gagner la vraie paix, c’est à nous d’engager sans illusion le vrai co
913 ’est à nous de gagner la vraie paix, c’est à nous d’ engager sans illusion le vrai combat qui nous maintienne humains. Tout
914 ous maintienne humains. Tout cela, un jeune poète de génie, Arthur Rimbaud, l’a dit d’un seul trait prophétique : « Le com
915 un jeune poète de génie, Arthur Rimbaud, l’a dit d’ un seul trait prophétique : « Le combat spirituel est aussi brutal que
916 combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’ hommes, mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul. »
917 i brutal que la bataille d’hommes, mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul. » c. Rougemont Denis de,
918 mmes, mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul. » c. Rougemont Denis de, « La bataille de la culture »
919 le plaisir de Dieu seul. » c. Rougemont Denis de , « La bataille de la culture », Les Cahiers protestants, Lausanne, ja
920 seul. » c. Rougemont Denis de, « La bataille de la culture », Les Cahiers protestants, Lausanne, janvier–février 1940
921 athaus de Zurich, le 15 janvier 1940. — Le manque de place nous a contraint d’abréger. »
922 nvier 1940. — Le manque de place nous a contraint d’ abréger. »
4 1940, Les Cahiers protestants, articles (1938–1968). L’heure sévère (juin 1940)
923 es faits dans le monde, mais seulement sur l’état de leurs nerfs. Sans intérêt. Ce qu’il nous faut à l’heure que nous vivo
924 ivons, ce sont des pessimistes réfléchis, maîtres d’ eux-mêmes et objectifs. Je dirai plus : ce qu’il nous faut, ce sont de
925 ent à la maxime du Taciturne : « Pas n’est besoin d’ espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. » Or cette e
926  Pas n’est besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer. » Or cette espèce est rare en Suisse, comme
927 ù l’ère bourgeoise, ère du « confort moderne » et de l’absence d’imagination, prolonge encore une existence brutalement co
928 eoise, ère du « confort moderne » et de l’absence d’ imagination, prolonge encore une existence brutalement condamnée par c
929 ns lequel nous étions installés nous mettait hors d’ état d’imaginer à la fois le sublime et le pire. « Trop beau pour être
930 el nous étions installés nous mettait hors d’état d’ imaginer à la fois le sublime et le pire. « Trop beau pour être vrai »
931 le pire. « Trop beau pour être vrai », c’était un de nos proverbes. Et lorsqu’on nous avertissait de certains dangers form
932 n de nos proverbes. Et lorsqu’on nous avertissait de certains dangers formidables qui menaçaient l’existence même de l’hér
933 ngers formidables qui menaçaient l’existence même de l’héritage européen, nous répondions : « C’est trop affreux pour être
934 « réalistes ». Nous étions simplement incapables d’ imaginer quelque chose d’excessif par rapport à nos sécurités. Cette i
935 ns simplement incapables d’imaginer quelque chose d’ excessif par rapport à nos sécurités. Cette inconscience j’en dirai la
936 iable, et ne sait pas le reconnaître. À l’origine de notre aveuglement, il y a incrédulité. Si Dieu existait, pleurons-nou
937 Si nous avions su croire en lui pendant le temps de sa patience, nous aurions eu « des yeux pour voir », et pour connaîtr
938 et pour connaître les démons. Voici venu le temps de la colère, le temps des plaies d’Égypte, où les cœurs s’endurcissent.
939 i venu le temps de la colère, le temps des plaies d’ Égypte, où les cœurs s’endurcissent. Voici venue l’heure sévère. Ouvro
940 re. Ouvrons les yeux et apprenons ce qu’il en est de notre châtiment. ⁂ L’Europe est en train de payer le prix d’un siècle
941 âtiment. ⁂ L’Europe est en train de payer le prix d’ un siècle d’abandon à l’optimisme du Progrès. Pendant un siècle, elle
942 ’Europe est en train de payer le prix d’un siècle d’ abandon à l’optimisme du Progrès. Pendant un siècle, elle fit la sourd
943 t irritante, n’est-ce pas, aux yeux de qui refuse d’ envisager la vie comme une totalité orientée par l’esprit. L’esprit pr
944 ’aviation n’a nullement transformé les conditions de notre bonheur, mais bien celles de notre malheur. Mais l’optimisme du
945 les conditions de notre bonheur, mais bien celles de notre malheur. Mais l’optimisme du matérialiste modéré ne veut prévoi
946 matérialiste modéré ne veut prévoir que le profit d’ argent et l’augmentation du confort. Il refuse de se demander à quoi s
947 d’argent et l’augmentation du confort. Il refuse de se demander à quoi servira cet argent ou si le confort matériel favor
948 atériel favorise un bien spirituel. À la première de ces questions, il n’oserait pas répondre en toute franchise ; et à la
949 pressent bien qu’on ne pourrait que répondre non. D’ où sa myopie et son imprévision systématique des maux prochains. J’écr
950 maux prochains. J’écris ceci pendant la bataille de France. Est-il trop tard pour répéter ces vérités élémentaires, que l
951 aires, que le sérieux des gouvernants, des hommes d’ affaires, des penseurs officiels et des bourgeois moyens, a refusé pen
952 t des bourgeois moyens, a refusé pendant cent ans d’ envisager ? Pourtant, les plus grands hommes du dernier siècle furent
953 aintenant nous surprend. Nous avons eu bien assez de prophètes. Nous n’avons pas le droit de gémir que les avertissements
954 ien assez de prophètes. Nous n’avons pas le droit de gémir que les avertissements nous ont manqué. Le dossier de ces avert
955 ue les avertissements nous ont manqué. Le dossier de ces avertissements est écrasant pour la conscience européenne : vous
956 uropéenne : vous y trouverez les plus grands noms de la pensée, qui furent aussi les plus cyniquement méconnus. Vous y tro
957 pposés, unanimes dans la critique du « réalisme » de leur temps, et dans la prédiction des maux à venir — ceux qui fondent
958 nir — ceux qui fondent sur nous aujourd’hui. Quoi de commun entre un Burckhardt, un Kierkegaard, un Vinet ou un Nietzsche 
959 persiste à ne prendre au sérieux que les valeurs de bourse et la « prosperity ». Kierkegaard nous décrit le règne de la m
960 « prosperity ». Kierkegaard nous décrit le règne de la masse comme celui des lâchetés individuelles additionnées, créant
961 monde moderne est en train d’adopter « une morale de commerçants », et qu’il sera vaincu par des ascètes féroces. Vinet pr
962 pirituel ne les oriente, aboutiront au despotisme de l’État. Et contre tout l’« économisme » de son temps, il ose écrire :
963 otisme de l’État. Et contre tout l’« économisme » de son temps, il ose écrire : « Si quelque chose aujourd’hui menace la l
964 du côté de la tyrannie. » Et qu’il suffise enfin d’ une allusion aux prophéties de Burckhardt sur les « terribles simplifi
965 qu’il suffise enfin d’une allusion aux prophéties de Burckhardt sur les « terribles simplificateurs », qui viendront impos
966 mplificateurs », qui viendront imposer à l’Europe d’ impitoyables dictatures militaires au nom de la liberté et du bonheur
967 liberté et du bonheur des masses. Cette unanimité d’ esprits partout ailleurs irréductiblement divers, je répète qu’elle es
968 xcuses. Nous avons été avertis. Nous avons refusé d’ écouter. Et maintenant il faut payer. Non point parce que l’injustice
969 n châtiment. Il faut payer. Nous adorions l’idole de la prospérité, et l’idole du confort, et l’idole du progrès — ce prog
970 « sauver » nos vies mêmes, nous voilà condamnés, de la manière la plus tragi-comique, à sacrifier notre prospérité, notre
971 confort et nos progrès aux nécessités impérieuses de la défense nationale. Pour avoir refusé les sacrifices qu’eût entraîn
972 ce soit notre confort, notre profit, nos égoïsmes de nations, nous voici contraints brutalement à des sacrifices mille foi
973 lent parfaitement « possibles ». Dès qu’il s’agit de sauver notre peau, dès qu’il s’agit de défense nationale, nous accept
974 ’il s’agit de sauver notre peau, dès qu’il s’agit de défense nationale, nous acceptons des mesures qui, hier encore, passa
975 ables et impraticables aux yeux des « réalistes » de l’économie : prélèvement sur le capital ou caisse de compensation, — 
976 l’économie : prélèvement sur le capital ou caisse de compensation, — et je ne prends là que de petits exemples…4 Nous avo
977 caisse de compensation, — et je ne prends là que de petits exemples…4 Nous avons critiqué sans merci comme des « utopies
978 pas seulement en Suisse, mais dans tous les pays de l’Europe ; non seulement sur le plan social, mais sur le plan des rel
979 ur le plan social, mais sur le plan des relations de peuple à peuple. Tout ce que nous jugions impossible quand il s’agiss
980 bien si la peur et la guerre sont seules capables d’ obtenir de nous un dépassement de nos égoïsmes que nous refusions à l’
981 peur et la guerre sont seules capables d’obtenir de nous un dépassement de nos égoïsmes que nous refusions à l’amour, pou
982 seules capables d’obtenir de nous un dépassement de nos égoïsmes que nous refusions à l’amour, pourquoi donc voulez-vous
983 portunes, à l’heure où nous cherchons des raisons d’ espérer ! Mais nul espoir n’est plus possible, sachons-le, si nous ref
984 e, sachons-le, si nous refusons maintenant encore d’ envisager les causes du désastre. Envisager, c’est regarder en plein v
985 et le dernier possible — quelle que soit l’issue de la guerre — dépend de notre capacité d’accepter des vérités dures. Ca
986 e — quelle que soit l’issue de la guerre — dépend de notre capacité d’accepter des vérités dures. Car tout le mal est venu
987 t l’issue de la guerre — dépend de notre capacité d’ accepter des vérités dures. Car tout le mal est venu de les avoir refu
988 aginer le mal parce qu’ils croyaient au bien fait de main d’homme. « Mea culpa » des militaristes, qui n’ont pas su imagin
989 e mal parce qu’ils croyaient au bien fait de main d’ homme. « Mea culpa » des militaristes, qui n’ont pas su imaginer un au
990 ner un autre bien que la défense toute matérielle d’ un ordre de choses vicié dans son principe ; ou la conquête, mais qui
991 e bien que la défense toute matérielle d’un ordre de choses vicié dans son principe ; ou la conquête, mais qui tue ce qu’e
992 tue ce qu’elle conquiert. « Mea culpa » des gens de droite, qui croyaient pouvoir conserver des privilèges hérités, tout
993 rousser au bout du compte. « Mea culpa » des gens de gauche, dont le programme de bonheur obligatoire était le même — avec
994 Mea culpa » des gens de gauche, dont le programme de bonheur obligatoire était le même — avec moins de franchise — que cel
995 de bonheur obligatoire était le même — avec moins de franchise — que celui de l’ennemi fasciste contre lequel ils excitaie
996 ait le même — avec moins de franchise — que celui de l’ennemi fasciste contre lequel ils excitaient les masses. « Mea culp
997 des Suisses, qui voulaient profiter des avantages de la folie moderne, et qui se plaignent aujourd’hui de devoir payer leu
998 la folie moderne, et qui se plaignent aujourd’hui de devoir payer leur part minime dans la banqueroute européenne. « Mea c
999 , mais qui se tinrent apparemment pour satisfaits de leur succès de librairie : « mea culpa ». Mais quelles fautes avaient
1000 inrent apparemment pour satisfaits de leur succès de librairie : « mea culpa ». Mais quelles fautes avaient donc commises
1001 quelles fautes avaient donc commises ces millions de femmes et d’enfants en fuite sur les routes de France ? Nous n’avons
1002 s avaient donc commises ces millions de femmes et d’ enfants en fuite sur les routes de France ? Nous n’avons plus qu’un se
1003 ns de femmes et d’enfants en fuite sur les routes de France ? Nous n’avons plus qu’un seul espoir — quelle que soit l’issu
1004 plus qu’un seul espoir — quelle que soit l’issue de la guerre : obtenir pour l’Europe un statut sursitaire, une espèce de
1005 ir pour l’Europe un statut sursitaire, une espèce de concordat qui nous laisserait la possibilité de rebâtir. Mais on n’ac
1006 e de concordat qui nous laisserait la possibilité de rebâtir. Mais on n’accorde un concordat qu’à celui qui se déclare en
1007 Suisses ont quelque chose à faire, quelque chose de précis, que je veux dire à temps. Ils sont encore à l’écart de la gue
1008 e je veux dire à temps. Ils sont encore à l’écart de la guerre, et peut-être y resteront-ils. Ils ont encore ce bref délai
1009 tre y resteront-ils. Ils ont encore ce bref délai de grâce dont je parlais aux Hollandais, en novembre de l’an dernier — e
1010 grâce dont je parlais aux Hollandais, en novembre de l’an dernier — et c’est fini —, dont je parlais aux Suisses en janvie
1011 st fini —, dont je parlais aux Suisses en janvier de cette année, et cela fait déjà cinq mois passés. Ce délai nous permet
1012 fait déjà cinq mois passés. Ce délai nous permet de comprendre, d’avouer nos fautes et celles de notre monde, de dire la
1013 mois passés. Ce délai nous permet de comprendre, d’ avouer nos fautes et celles de notre monde, de dire la vérité que les
1014 rmet de comprendre, d’avouer nos fautes et celles de notre monde, de dire la vérité que les peuples en guerre n’ont plus l
1015 re, d’avouer nos fautes et celles de notre monde, de dire la vérité que les peuples en guerre n’ont plus le pouvoir de rec
1016 é que les peuples en guerre n’ont plus le pouvoir de reconnaître, dans le fracas des chars, sous les bombardements, quand
1017 l’homme sort toujours retrempé. Avouer les fautes de ceux qu’on aime et dont on attend la victoire comme la permission de
1018 et dont on attend la victoire comme la permission de revivre, c’est une épreuve encore, on ose à peine le dire, une épreuv
1019 si nous en triomphons, elle nous donnera la force de préparer l’avenir. Il est dur de reconnaître ces fautes, parce que no
1020 donnera la force de préparer l’avenir. Il est dur de reconnaître ces fautes, parce que nous en sommes les complices, et qu
1021 lices, et que nous aimons les fautifs. Il est dur de les avouer, parce que les fautes contraires des autres, en face, nous
1022 tout de même, ou à cause de cela même. Il est dur de reconnaître que ce châtiment, qui nous atteint aussi, est mérité ; et
1023 s qui auront su répudier les illusions flatteuses de l’ère bourgeoise. Car ceux-là seuls sauront alors ce qui mérite d’êtr
1024 se. Car ceux-là seuls sauront alors ce qui mérite d’ être sauvé ou recréé. Non pas le droit et la justice dont se réclamaie
1025 ocraties ont la victoire. Non pas le bonheur fait de laisser-aller et d’insouciance du prochain, car nous le payons mainte
1026 oire. Non pas le bonheur fait de laisser-aller et d’ insouciance du prochain, car nous le payons maintenant, une fois pour
1027 lités, est pulvérisé par les bombes. Au plus fort de la persécution entreprise par Julien l’Apostat contre la chrétienté n
1028 c’est un petit nuage, il passera. Ce n’était pas de l’optimisme. Athanase prévoyait qu’avec le « petit nuage » passerait
1029  » passerait aussi, probablement, sa vie et celle de tant de frères. Mais au-delà de l’optimisme humain toujours bafoué, a
1030 , sa vie et celle de tant de frères. Mais au-delà de l’optimisme humain toujours bafoué, au-delà du pessimisme lâche, il y
1031 foi dans l’éternel, il y a l’amour et l’espérance de l’éternel. À quoi se raccrocher, que faire encore ? Quelle était l’as
1032 cher, que faire encore ? Quelle était l’assurance d’ éternité qui permettait à Athanase de dire : c’est un petit nuage, il
1033 l’assurance d’éternité qui permettait à Athanase de dire : c’est un petit nuage, il passera ? La grandeur de cette heure
1034  : c’est un petit nuage, il passera ? La grandeur de cette heure sévère, c’est que par la force des choses, par la brutali
1035 ainte. » Quoi qu’il arrive. 4. Le budget annuel de la « défense spirituelle » de la Suisse représente à peu près le prix
1036 4. Le budget annuel de la « défense spirituelle » de la Suisse représente à peu près le prix de deux chars d’assaut. On tr
1037 elle » de la Suisse représente à peu près le prix de deux chars d’assaut. On trouvera de l’argent pour 40 chars, mais si j
1038 uisse représente à peu près le prix de deux chars d’ assaut. On trouvera de l’argent pour 40 chars, mais si je demande qu’o
1039 près le prix de deux chars d’assaut. On trouvera de l’argent pour 40 chars, mais si je demande qu’on double un budget cul
1040 à l’instant où j’écris ceci. e. Rougemont Denis de , « L’heure sévère », Les Cahiers protestants, Lausanne, juin 1940, p.
1041 isé à reproduire cet article paru dans son numéro de juin 1940. L’auteur — qui est un de nos collaborateurs — se voit cont
1042 ns son numéro de juin 1940. L’auteur — qui est un de nos collaborateurs — se voit contraint par les circonstances à ne pas
5 1940, Les Cahiers protestants, articles (1938–1968). L’Église et la Suisse (août 1940)
1043 uisse (août 1940)g h Je vous parlerai ce matin de l’Église visible et non pas de l’Église en général. Je vous parlerai
1044 parlerai ce matin de l’Église visible et non pas de l’Église en général. Je vous parlerai des Églises telles que nous les
1045 Églises telles que nous les voyons en Suisse ; et de la Suisse, telle que nous la voyons en ce mois de juillet de 1940. Ce
1046 de la Suisse, telle que nous la voyons en ce mois de juillet de 1940. Ce ne sera pas une conférence bien bâtie, je tiens à
1047 e, telle que nous la voyons en ce mois de juillet de 1940. Ce ne sera pas une conférence bien bâtie, je tiens à vous le di
1048 t de suite, mais une simple introduction, un plan de travail, une invite à la discussion. Je vous ferai part de certaines
1049 l, une invite à la discussion. Je vous ferai part de certaines critiques et de certaines suggestions, critiques peut-être
1050 ion. Je vous ferai part de certaines critiques et de certaines suggestions, critiques peut-être dures, mais qu’il est temp
1051 , critiques peut-être dures, mais qu’il est temps de formuler pour préparer la voie d’un renouveau, ou les moyens d’une ré
1052 qu’il est temps de formuler pour préparer la voie d’ un renouveau, ou les moyens d’une résistance efficace. Et d’abord, une
1053 ur préparer la voie d’un renouveau, ou les moyens d’ une résistance efficace. Et d’abord, une parole de confiance. Tout cra
1054 d’une résistance efficace. Et d’abord, une parole de confiance. Tout craque autour de nous, mais ce n’est pas une raison d
1055 aque autour de nous, mais ce n’est pas une raison de se lamenter ou de se décourager, bien au contraire. C’est une grande
1056 s, mais ce n’est pas une raison de se lamenter ou de se décourager, bien au contraire. C’est une grande occasion de travai
1057 ger, bien au contraire. C’est une grande occasion de travailler. Voyons d’abord la situation de notre pays. « Au cœur de
1058 casion de travailler. Voyons d’abord la situation de notre pays. « Au cœur de la révolution européenne, la Suisse est réd
1059 ns d’abord la situation de notre pays. « Au cœur de la révolution européenne, la Suisse est réduite à elle-même. Elle n’a
1060 la Suisse est réduite à elle-même. Elle n’a plus d’ autre garantie humaine que son armée, plus d’autre allié que son terra
1061 plus d’autre garantie humaine que son armée, plus d’ autre allié que son terrain, plus d’autre espoir que son travail. Cont
1062 n armée, plus d’autre allié que son terrain, plus d’ autre espoir que son travail. Contrairement à ce que beaucoup croient,
1063 pas nouvelle dans notre histoire. Elle fut celle de nos grandes victoires et de nos grands renouvellements.6 » Aujourd’hu
1064 toire. Elle fut celle de nos grandes victoires et de nos grands renouvellements.6 » Aujourd’hui, comme aux heures héroïque
1065 ments.6 » Aujourd’hui, comme aux heures héroïques de l’ancienne Confédération, sachons voir et saisir notre chance et les
1066 r et saisir notre chance et les chances nouvelles de l’Esprit ! Quand toutes les positions morales et matérielles sont ébr
1067 alors sonne une heure favorable pour les examens de conscience, pour les réformes, et dans le cas présent, pour une nouve
1068 ouvelle Réformation communautaire. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : fonder à nouveau la cité, pour qu’elle résiste et
1069 ive, oui même si le pire arrive. Au cœur physique de notre Confédération se dresse le massif du Gothard, mystérieux et ine
1070 hard, mystérieux et inexpugnable. Bastion naturel de la Suisse, cœur de l’Europe et rendez-vous des races, le Gothard est
1071 inexpugnable. Bastion naturel de la Suisse, cœur de l’Europe et rendez-vous des races, le Gothard est le grand symbole de
1072 z-vous des races, le Gothard est le grand symbole de notre mission politique et de notre sécurité. Et s’il fallait qu’un j
1073 st le grand symbole de notre mission politique et de notre sécurité. Et s’il fallait qu’un jour la Suisse fût envahie, j’i
1074 n’atteignent ni chars ni avions, dans cet Alcazar de l’Europe, quelques dizaines de milliers d’hommes tiennent encore, mon
1075 , dans cet Alcazar de l’Europe, quelques dizaines de milliers d’hommes tiennent encore, montant la garde aux derniers somm
1076 lcazar de l’Europe, quelques dizaines de milliers d’ hommes tiennent encore, montant la garde aux derniers sommets libres,
1077 rde aux derniers sommets libres, autour du trésor de la Suisse. Oui, nous serions courbés, mais le grondement lointain des
1078 dement lointain des canons du Gothard nous dirait d’ espérer. Maintenant, je poserai cette question : dans la situation ext
1079 xistence permanente — même secrète — et la parole de nos Églises aux catacombes suffiraient-elles à ranimer notre espéranc
1080 ourages ? Nos Églises trouveraient-elles le moyen de subsister et de s’organiser par l’initiative des laïques, comme elles
1081 lises trouveraient-elles le moyen de subsister et de s’organiser par l’initiative des laïques, comme elles l’ont fait dans
1082 qu’on voit ce qui était vraiment solide. L’Église de Suisse est-elle vraiment solide ? Saura-t-elle résister comme un roc 
1083 Dieu le sait, et l’événement seul fera la preuve de notre force ou de nos faiblesses. En attendant, mettons-nous au trava
1084 l’événement seul fera la preuve de notre force ou de nos faiblesses. En attendant, mettons-nous au travail pour qu’au jour
1085 spectons avec soin nos défenses, ayons le courage de dire franchement : ici ou là, nous sommes encore faibles. C’est ici e
1086 ort. Aujourd’hui ou jamais, notre Église a besoin d’ une rigoureuse critique, d’une critique utile et positive, qui prépare
1087 notre Église a besoin d’une rigoureuse critique, d’ une critique utile et positive, qui prépare et qui définisse les recon
1088 econstructions nécessaires. ⁂ La grande faiblesse de notre Église visible, de nos diverses Églises suisses, c’est qu’elles
1089 s. ⁂ La grande faiblesse de notre Église visible, de nos diverses Églises suisses, c’est qu’elles ont cessé d’être ou n’on
1090 iverses Églises suisses, c’est qu’elles ont cessé d’ être ou n’ont jamais été de véritables communautés. Voilà le fait qui
1091 est qu’elles ont cessé d’être ou n’ont jamais été de véritables communautés. Voilà le fait qui me paraît le plus grave, ét
1092 ons prévoir. Une Église devrait être le type même de la communauté vivante. Posons tout de suite un repère : les paroisses
1093 e. Posons tout de suite un repère : les paroisses de l’Église primitive étaient de vraies communautés. On y mettait tout e
1094 ère : les paroisses de l’Église primitive étaient de vraies communautés. On y mettait tout en commun, même les richesses,
1095 turel, parce que le but et le fondement spirituel d’ une paroisse étaient alors plus importants que tout. La ferveur de la
1096 taient alors plus importants que tout. La ferveur de la foi nouvelle liait les esprits et les cœurs avec une telle puissan
1097 ices matériels devenaient simplement des services d’ amitié, de ces services qui vont de soi entre les membres d’une famill
1098 iels devenaient simplement des services d’amitié, de ces services qui vont de soi entre les membres d’une famille. Et je n
1099 de ces services qui vont de soi entre les membres d’ une famille. Et je ne parle même pas du « partage » spirituel, qui dev
1100 ge » spirituel, qui devait être le pain quotidien de ces communautés souvent persécutées. Certes, il ne faudrait pas s’ima
1101 familles qu’ils formaient ne connaissaient jamais de querelles de familles ! Les épîtres de Paul suffiraient à dissiper ce
1102 ls formaient ne connaissaient jamais de querelles de familles ! Les épîtres de Paul suffiraient à dissiper cette illusion.
1103 ent jamais de querelles de familles ! Les épîtres de Paul suffiraient à dissiper cette illusion. Il n’en reste pas moins q
1104 monté toutes les persécutions grâce à la cohésion de leurs paroisses, grâce à l’esprit communautaire qui les soutenait. Pe
1105 unautaire qui les soutenait. Pendant la décadence de l’Empire romain, ces paroisses ont constitué les cellules de base d’u
1106 romain, ces paroisses ont constitué les cellules de base d’une nouvelle société7, les noyaux des cités futures, les refug
1107 ces paroisses ont constitué les cellules de base d’ une nouvelle société7, les noyaux des cités futures, les refuges de la
1108 ciété7, les noyaux des cités futures, les refuges de la vraie liberté. Nos paroisses actuelles, nos paroisses de Suisse, s
1109 e liberté. Nos paroisses actuelles, nos paroisses de Suisse, seraient-elles capables de jouer pareil rôle, de nos jours ?
1110 nos paroisses de Suisse, seraient-elles capables de jouer pareil rôle, de nos jours ? Souvent, en sortant d’un de nos cul
1111 se, seraient-elles capables de jouer pareil rôle, de nos jours ? Souvent, en sortant d’un de nos cultes, je regarde les ge
1112 r pareil rôle, de nos jours ? Souvent, en sortant d’ un de nos cultes, je regarde les gens qui se dispersent, et je me pose
1113 eil rôle, de nos jours ? Souvent, en sortant d’un de nos cultes, je regarde les gens qui se dispersent, et je me pose cett
1114 prêts à mettre en commun autre chose que la pièce de monnaie qu’ils viennent de déposer dans le « sachet », avec l’air de
1115 iennent de déposer dans le « sachet », avec l’air de ne pas y toucher ? Sont-ils prêts à « partager » autre chose que des
1116 roisses décrètent du jour au lendemain le partage de tous les biens et décident d’établir un régime communiste, au sens li
1117 endemain le partage de tous les biens et décident d’ établir un régime communiste, au sens littéral de ce mot. Mais je me d
1118 d’établir un régime communiste, au sens littéral de ce mot. Mais je me demande seulement si elles sont prêtes à envisager
1119 t si elles sont prêtes à envisager certains actes de solidarité pratique ; si elles acceptent, au moins en théorie, de fai
1120 atique ; si elles acceptent, au moins en théorie, de faire quelque chose dans ce sens, à supposer que les circonstances l’
1121 nt un jour prochain. Je me demande si les fidèles de nos cultes se sentent plus fortement liés aux autres membres de l’Égl
1122 se sentent plus fortement liés aux autres membres de l’Église qu’ils ne sont liés à leur parti, ou à leur classe, ou à leu
1123 nombreux, qu’il y a parmi leurs membres beaucoup d’ individus vraiment croyants, capables de faire pour leur part des acte
1124 beaucoup d’individus vraiment croyants, capables de faire pour leur part des actes quotidiens de charité chrétienne. Mais
1125 bles de faire pour leur part des actes quotidiens de charité chrétienne. Mais une administration, des auditoires et un cer
1126 ministration, des auditoires et un certain nombre d’ individualités chrétiennes, agissant pour leur compte — plus qu’au nom
1127 , si beaux soient-ils, cela ne fait pas un esprit de corps, — et l’expression « esprit de corps » devrait pouvoir s’appliq
1128 as un esprit de corps, — et l’expression « esprit de corps » devrait pouvoir s’appliquer à l’Église plus qu’à nulle autre
1129 se une fois reconnue et confessée, ne perdons pas de temps à nous lamenter ou à critiquer vainement. Mettons-nous au trava
1130 r vainement. Mettons-nous au travail pour essayer de refaire, avec ce dont nous disposons, quelque chose de plus solide, d
1131 ent des communautés véritables. Mais il est trois de ces conditions, entre vingt autres8, qui me paraissent à la fois indi
1132 aire, il faut : 1° qu’elles reprennent conscience de la nature éternelle et du but transcendant de l’Église ; 2° qu’elles
1133 nce de la nature éternelle et du but transcendant de l’Église ; 2° qu’elles développent ou réveillent en elles le sens mis
1134 ’intérieur du pays ; 3° qu’elles aient le courage d’ être franchement des Églises visibles, organisées, douées d’une discip
1135 nchement des Églises visibles, organisées, douées d’ une discipline et de formes cultuelles fixes. I Le premier de ces
1136 visibles, organisées, douées d’une discipline et de formes cultuelles fixes. I Le premier de ces trois points est av
1137 et de formes cultuelles fixes. I Le premier de ces trois points est avant tout théologique. Je n’insisterai donc pas
1138 ualifiés que moi pour définir l’essence et le but de l’Église. Je me contenterai de quelques remarques sur les rapports de
1139 ’essence et le but de l’Église. Je me contenterai de quelques remarques sur les rapports de l’Église et de la Suisse, en t
1140 ontenterai de quelques remarques sur les rapports de l’Église et de la Suisse, en tant qu’État. D’abord ceci : notre Églis
1141 uelques remarques sur les rapports de l’Église et de la Suisse, en tant qu’État. D’abord ceci : notre Église suisse doit ê
1142 Église suisse doit être, ou redevenir une Église de Dieu, et non pas la société des braves gens. Par exemple, on ne doit
1143 raves gens. Par exemple, on ne doit plus discuter de son administration et de ses rapports avec l’État comme s’il s’agissa
1144 on ne doit plus discuter de son administration et de ses rapports avec l’État comme s’il s’agissait d’un parti ou d’une fo
1145 de ses rapports avec l’État comme s’il s’agissait d’ un parti ou d’une fondation de bienfaisance avec des traditions de fam
1146 s avec l’État comme s’il s’agissait d’un parti ou d’ une fondation de bienfaisance avec des traditions de famille et des do
1147 mme s’il s’agissait d’un parti ou d’une fondation de bienfaisance avec des traditions de famille et des donateurs attachés
1148 une fondation de bienfaisance avec des traditions de famille et des donateurs attachés à leurs souvenirs. L’Église n’est p
1149 os affaires d’abord, mais les affaires du Royaume de Dieu. Il me paraît profondément indécent que ces affaires soient déba
1150 onseils, par des hommes qui parfois ignorent tout de la réalité de l’Église, corps du Christ. Ensuite, sur les rapports de
1151 es hommes qui parfois ignorent tout de la réalité de l’Église, corps du Christ. Ensuite, sur les rapports de l’Église et d
1152 glise, corps du Christ. Ensuite, sur les rapports de l’Église et de l’État, je vous proposerai deux formules : 1° Le servi
1153 Christ. Ensuite, sur les rapports de l’Église et de l’État, je vous proposerai deux formules : 1° Le service unique et su
1154 isant que l’Église doit rendre à la Suisse, c’est de rester ou de devenir une vraie Église, une Église de Dieu et non pas
1155 glise doit rendre à la Suisse, c’est de rester ou de devenir une vraie Église, une Église de Dieu et non pas une Église pa
1156 rester ou de devenir une vraie Église, une Église de Dieu et non pas une Église patriotique ou une puissance d’ordre polit
1157 t non pas une Église patriotique ou une puissance d’ ordre politique. 2° Le service que l’État suisse doit en retour, à l’É
1158 e l’État suisse doit en retour, à l’Église, c’est de la laisser être une vraie Église de Dieu et non pas une Église de l’É
1159 Église, c’est de la laisser être une vraie Église de Dieu et non pas une Église de l’État suisse. Il est bien vrai que not
1160 re une vraie Église de Dieu et non pas une Église de l’État suisse. Il est bien vrai que notre État fédéral ne saurait se
1161 fonder concrètement que sur des bases chrétiennes de tolérance et d’amour du prochain. Mais je tiens à redire ici ce que j
1162 ent que sur des bases chrétiennes de tolérance et d’ amour du prochain. Mais je tiens à redire ici ce que je disais cet hiv
1163 ce que nous sommes Suisses, mais nous devons être de bons Suisses parce que nous sommes chrétiens d’abord. Gardons-nous du
1164 parler j’opposerai cette déclaration prophétique d’ un homme dont la pensée me paraît plus actuelle que jamais, Alexandre
1165 eulement pour tout le monde, faites-nous la grâce de n’en point vouloir ». Car « la société qui veut m’ôter ma religion, m
1166 communauté, c’est que l’Église soit indépendante de l’État, je veux dire par là : constituée face à l’État comme une auto
1167 remémore les événements qui ont amené la création de l’Église confessionnelle en Allemagne, on comprendra ce que je veux d
1168 es à l’intérieur du pays, dans toutes les couches de notre peuple suisse. Pour mille raisons qui tiennent à l’évolution so
1169 des villes, et dans beaucoup de villages. Même si de nombreuses familles d’ouvriers en font encore partie, c’est un fait q
1170 ucoup de villages. Même si de nombreuses familles d’ ouvriers en font encore partie, c’est un fait que le ton des sermons,
1171 ue populaires. C’est sans doute l’une des raisons de la désaffection de la classe ouvrière vis-à-vis de l’Église depuis pl
1172 t sans doute l’une des raisons de la désaffection de la classe ouvrière vis-à-vis de l’Église depuis plus d’un siècle : el
1173 classe ouvrière vis-à-vis de l’Église depuis plus d’ un siècle : elle ne s’y sent pas tout à fait chez elle ; elle n’y reco
1174 son langage. Il y a là certainement quelque chose d’ anormal. L’Église n’aurait jamais dû prendre le ton et l’accent d’un m
1175 ise n’aurait jamais dû prendre le ton et l’accent d’ un milieu social plutôt que d’un autre. Elle devrait aujourd’hui aband
1176 le ton et l’accent d’un milieu social plutôt que d’ un autre. Elle devrait aujourd’hui abandonner résolument cette espèce
1177 it aujourd’hui abandonner résolument cette espèce d’ éloquence conventionnelle qu’on appelle le ton de la chaire et qui pro
1178 d’éloquence conventionnelle qu’on appelle le ton de la chaire et qui produit sur l’auditeur occasionnel de nos sermons un
1179 chaire et qui produit sur l’auditeur occasionnel de nos sermons une impression fâcheuse de démodé, d’inactuel, d’irréalis
1180 ccasionnel de nos sermons une impression fâcheuse de démodé, d’inactuel, d’irréaliste. Il n’y a vraiment aucune raison val
1181 de nos sermons une impression fâcheuse de démodé, d’ inactuel, d’irréaliste. Il n’y a vraiment aucune raison valable pour q
1182 ns une impression fâcheuse de démodé, d’inactuel, d’ irréaliste. Il n’y a vraiment aucune raison valable pour que notre pré
1183 nne abandonne aux tribuns politiques le privilège de savoir parler à la foule, de savoir la toucher par des paroles direct
1184 itiques le privilège de savoir parler à la foule, de savoir la toucher par des paroles directes. Vous me direz peut-être q
1185 asteurs. Je n’en suis pas sûr. C’est une question d’ atmosphère spirituelle, de disposition des esprits. C’est aussi notre
1186 sûr. C’est une question d’atmosphère spirituelle, de disposition des esprits. C’est aussi notre affaire à nous laïques. No
1187 able. Nous oublions trop facilement que la Parole de l’Église n’est pas réservée seulement à nos « milieux ecclésiastiques
1188 milieux ecclésiastiques », mais à tous les hommes d’ où qu’ils viennent, qui ont faim et soif de vérité, sans le savoir le
1189 hommes d’où qu’ils viennent, qui ont faim et soif de vérité, sans le savoir le plus souvent. Il est grand temps que nous f
1190 r et puissent entendre sans éprouver le sentiment de s’être égarés dans un milieu où ils sont déplacés. Que nos Églises se
1191 és. Que nos Églises se préoccupent donc davantage d’ être vraiment ouvertes à tous ! C’est une question de foi et de mainti
1192 tre vraiment ouvertes à tous ! C’est une question de foi et de maintien, de tact humain, de charité. C’est aussi, et c’est
1193 nt ouvertes à tous ! C’est une question de foi et de maintien, de tact humain, de charité. C’est aussi, et c’est avant tou
1194 tous ! C’est une question de foi et de maintien, de tact humain, de charité. C’est aussi, et c’est avant tout, une questi
1195 e question de foi et de maintien, de tact humain, de charité. C’est aussi, et c’est avant tout, une question de zèle missi
1196 é. C’est aussi, et c’est avant tout, une question de zèle missionnaire, d’amour des âmes. Si nous avons ce zèle et ce souc
1197 st avant tout, une question de zèle missionnaire, d’ amour des âmes. Si nous avons ce zèle et ce souci, l’atmosphère un peu
1198 e zèle et ce souci, l’atmosphère un peu renfermée de certaines de nos paroisses se dissipera d’elle-même, se fera plus acc
1199 souci, l’atmosphère un peu renfermée de certaines de nos paroisses se dissipera d’elle-même, se fera plus accueillante. L’
1200 fermée de certaines de nos paroisses se dissipera d’ elle-même, se fera plus accueillante. L’étranger qui entrera dans nos
1201 z les braves gens, mais accueilli dans une maison de Dieu. Ce que je voudrais dire encore sur ce sujet est peut-être un pe
1202 que à nos pasteurs, avec l’espoir que les laïques de cet auditoire l’appuieront pratiquement dans leurs paroisses. Je voud
1203 ales. Elle demande des vérités sûres, les vérités de la Bible, qui sont toujours les plus actuelles, et qui sont seules à
1204 s plus actuelles, et qui sont seules à la hauteur de la situation présente. Ce ne sont jamais nos idées personnelles, nos
1205 il y a quelques semaines, une parole qui m’a fait de l’impression. C’était dans un sermon, et le pasteur disait : « Laisso
1206 Parole profonde, parole qui devrait libérer plus d’ un pasteur de ses soucis, et résoudre en partie le problème du samedi
1207 nde, parole qui devrait libérer plus d’un pasteur de ses soucis, et résoudre en partie le problème du samedi soir… Encore
1208 simple ! Jamais il ne pourra se rapprocher assez de la simplicité des paroles de la Bible. « Nous ne sommes pas convainca
1209 se rapprocher assez de la simplicité des paroles de la Bible. « Nous ne sommes pas convaincants », disait le pasteur que
1210 la plupart des auditeurs n’auraient pas eu l’idée de faire. Comme laïque, je ne demande pas qu’on me persuade de croire, m
1211 Comme laïque, je ne demande pas qu’on me persuade de croire, mais simplement qu’on nourrisse ma foi. J’attends qu’on me pa
1212 entuels. Notre génération n’est pas si tourmentée de doutes. Elle n’a guère la manie de discuter. Elle attend des directio
1213 si tourmentée de doutes. Elle n’a guère la manie de discuter. Elle attend des directions positives. Elle est prête à croi
1214 prête à croire, et elle demande à la prédication de parler à sa foi, non à son doute, avec la tranquille et familière ass
1215 doute, avec la tranquille et familière assurance de la foi. Car la conviction seule est convaincante. Tout ceci ne veut p
1216 re d’ailleurs que notre Église n’ait pas le droit d’ aborder l’actualité sociale ou politique. Pour être missionnaire, l’Ég
1217 ssionnaire, l’Église doit d’abord être convaincue de la valeur et de la nouveauté perpétuelle d’un message purement bibliq
1218 lise doit d’abord être convaincue de la valeur et de la nouveauté perpétuelle d’un message purement biblique. C’est le pre
1219 incue de la valeur et de la nouveauté perpétuelle d’ un message purement biblique. C’est le premier point. Mais cela étant
1220 étant acquis, pourquoi l’Église se priverait-elle de souligner l’actualité de son enseignement ? Pourquoi ne parlerait-ell
1221 Église se priverait-elle de souligner l’actualité de son enseignement ? Pourquoi ne parlerait-elle pas de politique, si el
1222 son enseignement ? Pourquoi ne parlerait-elle pas de politique, si elle le fait sur la seule base de la Bible ? On ne lui
1223 s de politique, si elle le fait sur la seule base de la Bible ? On ne lui demande pas une théorie originale, surtout pas !
1224 riginale, surtout pas ! On lui demande simplement d’ appliquer à telle ou telle situation les paroles éternelles de l’Évang
1225 à telle ou telle situation les paroles éternelles de l’Évangile et des prophètes : par exemple, pour exhorter les fidèles
1226 exhorter les fidèles à renoncer à leurs préjugés de partis, ou à leurs intérêts de classe ; ou pour montrer à notre peupl
1227 r à leurs préjugés de partis, ou à leurs intérêts de classe ; ou pour montrer à notre peuple sa mission positive dans l’Eu
1228 à notre peuple sa mission positive dans l’Europe d’ aujourd’hui. Toutes ces choses peuvent et doivent être dites du haut d
1229 ces choses peuvent et doivent être dites du haut de la chaire, à condition, je le répète et j’y insiste, qu’il ne s’agiss
1230 gisse jamais des idées personnelles du pasteur ou de quelque écrivain qu’il cite, mais du seul et unique point de vue de l
1231 n qu’il cite, mais du seul et unique point de vue de la Bible. En résumé, la deuxième condition indispensable pour que l’É
1232 nauté, c’est que l’Église ne parle pas le langage d’ un seul groupe social, ou d’une seule classe ; ou le langage d’une que
1233 parle pas le langage d’un seul groupe social, ou d’ une seule classe ; ou le langage d’une quelconque philosophie à la mod
1234 upe social, ou d’une seule classe ; ou le langage d’ une quelconque philosophie à la mode ou déjà démodée ; ou le langage p
1235 la mode ou déjà démodée ; ou le langage personnel de Monsieur X, pasteur ou même théologien célèbre, — mais qu’elle parle
1236 qu’elle parle uniquement et simplement le langage de la Bible, qui appartient à tous, qui est frappant pour tous, et dans
1237 uvent communier. III La troisième condition d’ une vraie communauté, je la définissais tout à l’heure comme suit : qu
1238 ure comme suit : que nos Églises aient le courage d’ être franchement des Églises visibles — solidement organisées, — douée
1239 glises visibles — solidement organisées, — douées d’ une discipline et de formes de culte fixes. Je ne soulèverai pas ici l
1240 lidement organisées, — douées d’une discipline et de formes de culte fixes. Je ne soulèverai pas ici le problème de l’épis
1241 rganisées, — douées d’une discipline et de formes de culte fixes. Je ne soulèverai pas ici le problème de l’épiscopat, enc
1242 culte fixes. Je ne soulèverai pas ici le problème de l’épiscopat, encore que je sois persuadé qu’il se posera pour nous au
1243 re développé encore, afin de décharger le pasteur d’ un lourd travail de bienfaisance. Je me bornerai au seul problème des
1244 , afin de décharger le pasteur d’un lourd travail de bienfaisance. Je me bornerai au seul problème des formes du culte, au
1245 au seul problème des formes du culte, au problème de la liturgie protestante. C’est un laïque qui parle ici, je le répète.
1246 de l’Église ! Les théologiens élèveront peut-être de fortes objections contre ce que je vais dire. Je suis prêt à les écou
1247 ce. Mais je cherchais depuis longtemps l’occasion de formuler certaines propositions qui trouveront aujourd’hui, peut-être
1248 opositions qui trouveront aujourd’hui, peut-être, de l’écho. J’ai passé plusieurs années en France, et je me suis fortemen
1249 ement attaché à la liturgie des Églises réformées de ce pays. J’entends ici par liturgie : la partie du culte qui n’est pa
1250 tour en Suisse j’éprouve avec intensité l’absence de toute espèce de liturgie sérieuse dans nos cultes, à quelques rares e
1251 ’éprouve avec intensité l’absence de toute espèce de liturgie sérieuse dans nos cultes, à quelques rares exceptions près10
1252 tions près10. Et ce n’est pas seulement le défaut de liturgie qui me choque, mais le manque de sens liturgique que manifes
1253 défaut de liturgie qui me choque, mais le manque de sens liturgique que manifestent les essais tentés ici ou là, pour rem
1254 , pour remédier à cette absence. Nous avons bien, de temps à autre, des cultes que nous appelons « liturgiques » et qui co
1255 n lectures bibliques ou littéraires, entrecoupées de chants et de jeux d’orgue. Eh bien, le seul fait de qualifier de « li
1256 bliques ou littéraires, entrecoupées de chants et de jeux d’orgue. Eh bien, le seul fait de qualifier de « liturgiques » c
1257 ou littéraires, entrecoupées de chants et de jeux d’ orgue. Eh bien, le seul fait de qualifier de « liturgiques » ces manif
1258 chants et de jeux d’orgue. Eh bien, le seul fait de qualifier de « liturgiques » ces manifestations — peut-être parce qu’
1259 jeux d’orgue. Eh bien, le seul fait de qualifier de « liturgiques » ces manifestations — peut-être parce qu’on ne saurait
1260 l’évidence que nous ignorons le sens et la portée de la liturgie véritable. Celle-ci suppose des formes fixes et invariabl
1261 suppose des formes fixes et invariables, connues de tous, et auxquelles tout l’auditoire participe d’une manière à la foi
1262 de tous, et auxquelles tout l’auditoire participe d’ une manière à la fois spontanée et réglée d’avance. Or nos cultes soi-
1263 icipe d’une manière à la fois spontanée et réglée d’ avance. Or nos cultes soi-disant liturgiques sont exactement le contra
1264 oulent pas d’après un plan traditionnel et chargé de sens dogmatique, mais font se succéder, dans un ordre plus ou moins a
1265 ire, des textes souvent inconnus, et des morceaux de musique dont la signification reste imprécise… Voici un détail signif
1266 récise… Voici un détail significatif, à mes yeux, de ce même défaut de sens liturgique : lorsqu’il arrive qu’on lise, au d
1267 étail significatif, à mes yeux, de ce même défaut de sens liturgique : lorsqu’il arrive qu’on lise, au début d’un de nos c
1268 iturgique : lorsqu’il arrive qu’on lise, au début d’ un de nos cultes, une prière liturgique isolée, comme la confession de
1269 ique : lorsqu’il arrive qu’on lise, au début d’un de nos cultes, une prière liturgique isolée, comme la confession des péc
1270 ertains pasteurs paraissent craindre la monotonie de ce vieux texte, et croient bien faire en y apportant quelques variant
1271 apportant quelques variantes personnelles, au gré de leur théologie ou de leur conception du style. Or justement, la valeu
1272 riantes personnelles, au gré de leur théologie ou de leur conception du style. Or justement, la valeur liturgique d’un tex
1273 tion du style. Or justement, la valeur liturgique d’ un texte réside dans son invariabilité. C’est grâce à cette invariabil
1274 ue la liturgie crée dans l’auditoire un sentiment de communion, ou de communauté spirituelle. Une vraie liturgie doit être
1275 ée dans l’auditoire un sentiment de communion, ou de communauté spirituelle. Une vraie liturgie doit être invariable ; de
1276 auditeurs, et pleinement significative en chacune de ses parties. Elle doit former un ensemble, un tout cohérent et indivi
1277 n tout cohérent et indivisible. Prenons l’exemple de la liturgie des Églises réformées de France. Je vais vous la décrire
1278 ns l’exemple de la liturgie des Églises réformées de France. Je vais vous la décrire dans ses principaux traits. I. Invoca
1279 œur ou l’assemblée chante : « Seigneur, aie pitié de nous ! Christ, aie pitié de nous !… »). V. Promesses de grâce et abso
1280 « Seigneur, aie pitié de nous ! Christ, aie pitié de nous !… »). V. Promesses de grâce et absolution collective (l’assembl
1281 s ! Christ, aie pitié de nous !… »). V. Promesses de grâce et absolution collective (l’assemblée debout chante : « Ô qu’he
1282 culte, après l’Oraison dominicale, chant spontané d’ une strophe du Te Deum : « Gloire soit au Saint-Esprit… » Puis bénédic
1283 e collectif non seulement des dogmes fondamentaux de la foi réformée, mais aussi du drame chrétien dans son déroulement bi
1284 ntance, la grâce accordée, et enfin le témoignage de la foi. À mon sens, cette liturgie est une des plus belles, dans sa s
1285 es, dans sa simplicité, et des plus justes aussi, de toutes celles qu’utilisent les différentes confessions chrétiennes. J
1286 maine. Comme toute société humaine, elle a besoin de signes extérieurs et de symboles collectifs qui manifestent publiquem
1287 té humaine, elle a besoin de signes extérieurs et de symboles collectifs qui manifestent publiquement sa cohésion spiritue
1288 négliger sans risques graves. Tous les fondateurs de régimes savent que pour créer une communauté nouvelle, il faut créer
1289 té à des cérémonies hitlériennes qui étaient déjà de véritables liturgies païennes. Ces abus manifestes ne doivent pas nou
1290 ous faire négliger le bon usage, l’usage chrétien d’ une liturgie chrétienne. La science consommée des chefs totalitaires d
1291 otalitaires doit nous rendre attentifs à certains de nos défauts, afin que nous puissions les corriger à temps. Un peuple
1292 es corriger à temps. Un peuple complètement privé de toute manifestation de ce genre risque d’être une proie facile pour l
1293 peuple complètement privé de toute manifestation de ce genre risque d’être une proie facile pour les caricatures de litur
1294 t privé de toute manifestation de ce genre risque d’ être une proie facile pour les caricatures de liturgie que les païens
1295 sque d’être une proie facile pour les caricatures de liturgie que les païens viendront lui offrir un jour, et qui seront a
1296 spécifiquement chrétien. Je dirais même qu’il est d’ ordre sermonnaire. Je m’explique. Imaginez une personne qui n’a jamais
1297 une personne qui n’a jamais mis les pieds dans un de nos temples, qui ne sait rien du protestantisme, ou qui est incroyant
1298 réussissez à l’amener, un beau dimanche, au culte d’ une de nos paroisses suisses. Elle sera d’abord, probablement, dépaysé
1299 ssez à l’amener, un beau dimanche, au culte d’une de nos paroisses suisses. Elle sera d’abord, probablement, dépaysée, com
1300 le ton du pasteur et le maintien un peu compassé de l’auditoire. Mais cela n’est rien encore : si elle est de bonne volon
1301 itoire. Mais cela n’est rien encore : si elle est de bonne volonté et avide de vérité, elle ne se laissera pas arrêter par
1302 en encore : si elle est de bonne volonté et avide de vérité, elle ne se laissera pas arrêter par ces détails. Ce qui est p
1303 ’il n’est pas exceptionnellement bon, risque bien de la laisser sur sa faim. En sortant de là, elle ne saura pas exactemen
1304 risque bien de la laisser sur sa faim. En sortant de là, elle ne saura pas exactement ce que nous croyons, elle pourra s’i
1305 s fausses. Ou bien encore, elle aura l’impression d’ avoir surpris une réunion d’initiés, habitués à un certain langage, do
1306 lle aura l’impression d’avoir surpris une réunion d’ initiés, habitués à un certain langage, dont personne ne lui aura donn
1307 sermon du pasteur, elle le situe dans l’ensemble de nos dogmes, et elle rappelle notre Credo. Bref, quand le sermon comme
1308 , tout le monde, et même un étranger, peut savoir de quoi il s’agit. J’avoue que pour ma part, et je ne pense pas être le
1309 que pour ma part, et je ne pense pas être le seul de mon espèce, j’éprouve le besoin d’entendre répéter chaque dimanche le
1310 s être le seul de mon espèce, j’éprouve le besoin d’ entendre répéter chaque dimanche les grandes vérités de la foi, j’épro
1311 endre répéter chaque dimanche les grandes vérités de la foi, j’éprouve le besoin de participer, par le chant ou la récitat
1312 es grandes vérités de la foi, j’éprouve le besoin de participer, par le chant ou la récitation, à ce témoignage collectif,
1313 on, à ce témoignage collectif, dans la communauté de mes frères, connus ou inconnus. Après cela, même si le sermon n’est p
1314 pas des meilleurs, j’ai tout de même le sentiment d’ avoir approuvé mon Église, et d’en avoir reçu le message essentiel. En
1315 même le sentiment d’avoir approuvé mon Église, et d’ en avoir reçu le message essentiel. Enfin, ma troisième raison se rapp
1316 s surprendra peut-être : le peuple suisse souffre d’ un défaut qu’il me faut bien nommer le sans-gêne spirituel. Je ne sais
1317 nous, et qu’il subsiste dans nos Églises pas mal de traces d’un piétisme affadi. Je n’oserais pas suggérer que nous tenon
1318 qu’il subsiste dans nos Églises pas mal de traces d’ un piétisme affadi. Je n’oserais pas suggérer que nous tenons à rester
1319 que, Seigneur et Roi des rois, à toutes les pages de notre Bible. Le fait est que nous manquons d’un certain respect relig
1320 ges de notre Bible. Le fait est que nous manquons d’ un certain respect religieux, de même que nous passons, à l’étranger,
1321 qui frise peut-être la caricature. J’ai entendu, de mes oreilles, un jeune pasteur remercier Dieu, du haut de la chaire,
1322 reilles, un jeune pasteur remercier Dieu, du haut de la chaire, de ce que Dieu « nous a permis de lui parler tout simpleme
1323 une pasteur remercier Dieu, du haut de la chaire, de ce que Dieu « nous a permis de lui parler tout simplement, d’homme à
1324 haut de la chaire, de ce que Dieu « nous a permis de lui parler tout simplement, d’homme à homme »… Je reste persuadé, po
1325 eu « nous a permis de lui parler tout simplement, d’ homme à homme »… Je reste persuadé, pour ma part, que nous devons plu
1326 uadé, pour ma part, que nous devons plutôt parler d’ homme à Dieu, et que nous ferions bien de nous pénétrer de cette vérit
1327 t parler d’homme à Dieu, et que nous ferions bien de nous pénétrer de cette vérité fondamentale et même d’y conformer notr
1328 à Dieu, et que nous ferions bien de nous pénétrer de cette vérité fondamentale et même d’y conformer notre maintien. Sans
1329 ous pénétrer de cette vérité fondamentale et même d’ y conformer notre maintien. Sans aller jusqu’à imiter les génuflexions
1330 russes, qui se prosternent jusqu’à toucher le sol de leur front, pourquoi refuserions-nous de nous agenouiller pour la pri
1331 r le sol de leur front, pourquoi refuserions-nous de nous agenouiller pour la prière publique, ou pendant la lecture de la
1332 er pour la prière publique, ou pendant la lecture de la confession des péchés, par exemple, comme cela se fait dans les Ég
1333 le, comme cela se fait dans les Églises réformées de Paris ? Aurions-nous trop de dignité pour consentir à cette marque pu
1334 es Églises réformées de Paris ? Aurions-nous trop de dignité pour consentir à cette marque publique d’humiliation ? Nous c
1335 de dignité pour consentir à cette marque publique d’ humiliation ? Nous chantons dans un chant patriotique : « Devant Dieu
1336 assis… Ne pensez pas, surtout, que ces questions d’ attitude soient futiles, ou trahissent je ne sais quelle déviation cat
1337 tholique. Toutes les Églises ont toujours attaché de l’importance à ces choses-là, et je pense qu’elles avaient de bonnes
1338 nce à ces choses-là, et je pense qu’elles avaient de bonnes raisons de le faire. Elles savaient qu’une certaine participat
1339 à, et je pense qu’elles avaient de bonnes raisons de le faire. Elles savaient qu’une certaine participation personnelle, p
1340 estes qui manifestent, visiblement, la communauté de la foi, de l’humiliation, ou de la joie chrétienne. Ce sont des geste
1341 anifestent, visiblement, la communauté de la foi, de l’humiliation, ou de la joie chrétienne. Ce sont des gestes, enfin, q
1342 nt, la communauté de la foi, de l’humiliation, ou de la joie chrétienne. Ce sont des gestes, enfin, qui favorisent l’oubli
1343 Ce sont des gestes, enfin, qui favorisent l’oubli de soi et qui libèrent des fausses pudeurs. Pour en finir sur ce sujet,
1344 s. Pour en finir sur ce sujet, je vous demanderai de vous poser à vous-même cette seule question : alors que les orthodoxe
1345 les calvinistes français jugent nécessaire et bon d’ avoir une liturgie, comment se fait-il que nos Églises suisses soient
1346 ent pouvoir s’en passer, sans dommage ? L’absence de liturgie, remarquez-le, est un obstacle assez considérable à notre ra
1347 sans cesse croissante.) Et pourtant, les Églises de Suisse devraient avoir à cœur ce rapprochement, plus qu’aucune autre
1348 t nous préparer tout spécialement à cette mission de compréhension d’autrui, de rapprochement, de mutuelle instruction, qu
1349 out spécialement à cette mission de compréhension d’ autrui, de rapprochement, de mutuelle instruction, qui est la mission
1350 lement à cette mission de compréhension d’autrui, de rapprochement, de mutuelle instruction, qui est la mission du jeune m
1351 sion de compréhension d’autrui, de rapprochement, de mutuelle instruction, qui est la mission du jeune mouvement œcuméniqu
1352 thèses — critiques et suggestions — que je viens d’ esquisser devant vous. Je vous ai indiqué tout d’abord que la situatio
1353 iqué tout d’abord que la situation actuelle exige de nos Églises un grand effort vers la communauté vivante. Ce sera peut-
1354 ommunauté vivante. Ce sera peut-être une question de vie ou de mort, dans le monde qui se prépare. Je vous ai suggéré troi
1355 vivante. Ce sera peut-être une question de vie ou de mort, dans le monde qui se prépare. Je vous ai suggéré trois directio
1356 i se prépare. Je vous ai suggéré trois directions d’ effort à la fois nécessaires et possibles : revenir d’abord à une comp
1357 r d’abord à une compréhension moins superficielle de la nature de nos Églises, qui sont les membres du Corps de Christ, et
1358 ne compréhension moins superficielle de la nature de nos Églises, qui sont les membres du Corps de Christ, et non pas des
1359 ure de nos Églises, qui sont les membres du Corps de Christ, et non pas des associations comme les autres. Avoir ensuite l
1360 ciations comme les autres. Avoir ensuite le souci de « désembourgeoiser » notre atmosphère, notre ton, nos manières de prê
1361 oiser » notre atmosphère, notre ton, nos manières de prêcher ou d’écouter, afin de rendre possible une action missionnaire
1362 atmosphère, notre ton, nos manières de prêcher ou d’ écouter, afin de rendre possible une action missionnaire dans toutes l
1363 e une action missionnaire dans toutes les couches de notre peuple. Poser enfin très sérieusement le problème de la liturgi
1364 peuple. Poser enfin très sérieusement le problème de la liturgie, tant à nos bons théologiens qu’aux laïques, généralement
1365 héologiens qu’aux laïques, généralement ignorants de cette question, ou retenus par des préjugés à son égard. Je me suis b
1366 travail plutôt qu’à l’éloquence. 6. Manifeste de la Ligue du Gothard, juillet 1940. 7. On sait que l’organisation des
1367 peu pour leur compte les charges des gouverneurs de provinces ou comes, lors de la décadence des ive et ve siècles. 8.
1368 héologique (elle est en plein essor) ; confession de foi (on en parle beaucoup) ; doctrine des sacrements… 9. Je n’entend
1369 es problèmes tels que les prestations financières de l’État à l’Église, qui sont pour le moins secondaires. « Indépendante
1370 s secondaires. « Indépendante » veux dire : libre de se gouverner elle-même, comme lorsqu’on parle de « l’indépendance » d
1371 de se gouverner elle-même, comme lorsqu’on parle de « l’indépendance » de la Suisse. 10. Canton de Genève. g. Rougemon
1372 même, comme lorsqu’on parle de « l’indépendance » de la Suisse. 10. Canton de Genève. g. Rougemont Denis de, « L’Église
1373 e de « l’indépendance » de la Suisse. 10. Canton de Genève. g. Rougemont Denis de, « L’Église et la Suisse », Les Cahie
1374 isse. 10. Canton de Genève. g. Rougemont Denis de , « L’Église et la Suisse », Les Cahiers protestants, Lausanne, août 1
1375 ts, Lausanne, août 1940, p. 321-342. h. Une note de la rédaction précise : « Deuxième conférence du Camp aîné de Vaumarcu
1376 tion précise : « Deuxième conférence du Camp aîné de Vaumarcus. Les suivantes : L’Église et l’Europe, l’Église et le Royau
1377 es : L’Église et l’Europe, l’Église et le Royaume de Dieu, l’Église, c’est nous, paraîtront successivement au cours des pr
6 1941, Les Cahiers protestants, articles (1938–1968). Autocritique de la Suisse (février 1941)
1378 Autocritique de la Suisse (février 1941)i j Nul pays à ma connaissance, n’a été pl
1379 aire et suppose donc la connaissance très vivante d’ une autre espèce d’union, sans cesse à recréer. Or l’inertie des masse
1380 c la connaissance très vivante d’une autre espèce d’ union, sans cesse à recréer. Or l’inertie des masses et l’à-peu-près i
1381 ntellectuel s’opposent sans cesse à cette reprise de conscience. D’où la nécessité d’une vigilante autocritique, si l’on n
1382 pposent sans cesse à cette reprise de conscience. D’ où la nécessité d’une vigilante autocritique, si l’on ne veut pas déch
1383 à cette reprise de conscience. D’où la nécessité d’ une vigilante autocritique, si l’on ne veut pas déchoir ou se laisser
1384 e qui suppose l’équilibre vivant entre les droits de chaque région et ses devoirs envers l’ensemble, il n’est pas absurde
1385 s devoirs envers l’ensemble, il n’est pas absurde de nommer « fédéraliste » un parti qui n’a d’autre programme que la défe
1386 bsurde de nommer « fédéraliste » un parti qui n’a d’ autre programme que la défense des intérêts locaux contre le centre. C
1387 es cantonaux. Ceux qui insistent sur la nécessité de l’union centrale auraient peut-être plus de droits à revendiquer le n
1388 ssité de l’union centrale auraient peut-être plus de droits à revendiquer le nom de fédéralistes, dans son sens étymologiq
1389 ent peut-être plus de droits à revendiquer le nom de fédéralistes, dans son sens étymologique. (fœdus = traité, serment, u
1390 régionalistes, nomment « fédéral » ce qui procède de Berne. Il en résulte que leur fédéralisme se résume à combattre tout
1391 qui pourra ! Cette confusion verbale, symbolique de tant d’autres, est à la base de la plupart de nos conflits politiques
1392 rbale, symbolique de tant d’autres, est à la base de la plupart de nos conflits politiques, économiques, parlementaires.
1393 conomiques, parlementaires. i. Rougemont Denis de , « Autocritique de la Suisse », Les Cahiers protestants, Lausanne, fé
1394 ntaires. i. Rougemont Denis de, « Autocritique de la Suisse », Les Cahiers protestants, Lausanne, février 1941, p. 127-
1395 r 1941, p. 127-128. j. Une note précise : « Tiré de Mission ou démission de la Suisse . »
1396 ne note précise : « Tiré de Mission ou démission de la Suisse . »
7 1950, Les Cahiers protestants, articles (1938–1968). Europe unie et neutralité suisse (novembre-décembre 1950)
1397 s-nous justifier, aux yeux de l’Europe qui essaie de se fédérer, cette raison de nous tenir à l’écart ou de bénéficier d’u
1398 e l’Europe qui essaie de se fédérer, cette raison de nous tenir à l’écart ou de bénéficier d’un traitement tout spécial, q
1399 fédérer, cette raison de nous tenir à l’écart ou de bénéficier d’un traitement tout spécial, que nos autorités et nos jou
1400 e raison de nous tenir à l’écart ou de bénéficier d’ un traitement tout spécial, que nos autorités et nos journaux ne se la
1401 e nos autorités et nos journaux ne se lassent pas d’ invoquer — comme si cela allait de soi — chaque fois qu’on nous propos
1402 la allait de soi — chaque fois qu’on nous propose d’ entrer dans une forme quelconque d’union européenne ? Le fait est que
1403 n nous propose d’entrer dans une forme quelconque d’ union européenne ? Le fait est que nos voisins d’Europe comprennent de
1404 d’union européenne ? Le fait est que nos voisins d’ Europe comprennent de moins en moins notre neutralité. Le fait est que
1405 Le fait est que nos voisins d’Europe comprennent de moins en moins notre neutralité. Le fait est que les Américains ne la
1406 ait donc temps qu’en Suisse au moins, l’on essaie de comprendre un peu mieux les raisons véritables de ce statut spécial,
1407 de comprendre un peu mieux les raisons véritables de ce statut spécial, qui ne résulte pas d’une loi éternelle de la natur
1408 ritables de ce statut spécial, qui ne résulte pas d’ une loi éternelle de la nature, ni d’un commandement de Moïse, ni d’un
1409 t spécial, qui ne résulte pas d’une loi éternelle de la nature, ni d’un commandement de Moïse, ni d’un droit divin des Hel
1410 résulte pas d’une loi éternelle de la nature, ni d’ un commandement de Moïse, ni d’un droit divin des Helvètes, bref, qui
1411 loi éternelle de la nature, ni d’un commandement de Moïse, ni d’un droit divin des Helvètes, bref, qui n’est pas tombé du
1412 e de la nature, ni d’un commandement de Moïse, ni d’ un droit divin des Helvètes, bref, qui n’est pas tombé du ciel et qui
1413 n’est pas tombé du ciel et qui ne va pas du tout de soi. Je suis bien obligé de l’avouer publiquement : pour beaucoup de
1414 qui ne va pas du tout de soi. Je suis bien obligé de l’avouer publiquement : pour beaucoup de mes compatriotes, la neutral
1415 ue un tabou, aussi sacré que l’égoïsme. On refuse de la discuter, parce qu’on craint que cette discussion n’aboutisse à de
1416 des conclusions gênantes et n’oblige à des prises de position. On n’aime pas cela… Ce qu’on veut, c’est la paix chez soi e
1417 ttre avec personne, tout en échappant au reproche d’ égoïsme par des œuvres philanthropiques. Il faut bien le reconnaître,
1418 ment intéressé, qui tient parfois du raisonnement de l’autruche, et parfois d’une sagesse rusée, a parfaitement réussi jus
1419 parfois du raisonnement de l’autruche, et parfois d’ une sagesse rusée, a parfaitement réussi jusqu’ici, matériellement par
1420 rlant. Quant aux effets moraux, sur notre peuple, de ce tour de force prolongé, ils sont hélas plus discutables. Et si vra
1421 t aux effets moraux, sur notre peuple, de ce tour de force prolongé, ils sont hélas plus discutables. Et si vraiment notre
1422 les. Et si vraiment notre neutralité n’était rien d’ autre que ce que le Suisse moyen semble croire aujourd’hui, il ne faud
1423 onde. Comment les Suisses, si jalousement ennemis de privilèges dans leur pays, peuvent-ils prétendre avoir en bloc ce pri
1424 en bloc ce privilège exorbitant ? Pour commencer de répondre à cette question, je me contenterai ce soir d’un rapide aper
1425 ondre à cette question, je me contenterai ce soir d’ un rapide aperçu sur l’histoire de notre neutralité, car je soupçonne
1426 enterai ce soir d’un rapide aperçu sur l’histoire de notre neutralité, car je soupçonne qu’elle n’est pas bien connue de l
1427 é, car je soupçonne qu’elle n’est pas bien connue de la plupart de nos contemporains. Aux origines lointaines de notre Éta
1428 art de nos contemporains. Aux origines lointaines de notre État, il y a le Pacte de 1291. Ce pacte fut juré par les représ
1429 rigines lointaines de notre État, il y a le Pacte de 1291. Ce pacte fut juré par les représentants des trois communautés d
1430 coopératives forestières. Le pacte avait pour but de maintenir les libertés impériales acquises par ces communautés. Et ce
1431 mpire. Ainsi donc, dès le début, ce premier noyau de la Suisse a reçu un statut spécial dans l’intérêt de l’Europe entière
1432 la Suisse a reçu un statut spécial dans l’intérêt de l’Europe entière, au moins autant que pour lui-même. La première idée
1433 moins autant que pour lui-même. La première idée d’ une neutralité négative des Confédérés apparaît vers 1648, lorsque la
1434 s apparaît vers 1648, lorsque la Suisse se sépare de l’Empire par le traité de Westphalie. L’expérience de la guerre de Tr
1435 que la Suisse se sépare de l’Empire par le traité de Westphalie. L’expérience de la guerre de Trente Ans a montré que les
1436 ’Empire par le traité de Westphalie. L’expérience de la guerre de Trente Ans a montré que les cantons ne peuvent rester un
1437 e traité de Westphalie. L’expérience de la guerre de Trente Ans a montré que les cantons ne peuvent rester unis que s’ils
1438 ns ne peuvent rester unis que s’ils s’abstiennent de prendre part aux guerres entre rois catholiques et protestants — puis
1439 sions. Mais ce n’est qu’en 1815 que la neutralité de la Suisse se voit proclamée, sanctionnée par les Puissances et déclar
1440 un aspect positif. On sait en effet que le traité de Vienne dit en tous termes que « la neutralité et l’inviolabilité de l
1441 ous termes que « la neutralité et l’inviolabilité de la Suisse […] sont dans les vrais intérêts de l’Europe entière ». En
1442 ité de la Suisse […] sont dans les vrais intérêts de l’Europe entière ». En 1914, on retrouve ce même mélange d’intérêt pr
1443 e entière ». En 1914, on retrouve ce même mélange d’ intérêt propre et d’intérêt européen dans notre abstention du conflit.
1444 , on retrouve ce même mélange d’intérêt propre et d’ intérêt européen dans notre abstention du conflit. Si la Suisse avait
1445 ent que notre neutralité dépendait donc, au début de ce siècle, du fameux « équilibre européen ». Mais déjà en 1939, la q
1446 ’hui ? Tout est changé. Les conflits qui menacent d’ éclater n’opposeront plus les catholiques aux protestants, comme penda
1447 holiques aux protestants, comme pendant la guerre de Trente Ans ; ni la France à l’Allemagne, ou l’Autriche à l’Italie, co
1448 ni même des Européens à d’autres Européens comme de 1939 à 1945. Il n’est donc plus question pour la Suisse d’essayer de
1449 1945. Il n’est donc plus question pour la Suisse d’ essayer de maintenir sa place centrale et réservée dans le jeu des pui
1450 n’est donc plus question pour la Suisse d’essayer de maintenir sa place centrale et réservée dans le jeu des puissances vo
1451 ans le jeu des puissances voisines. Il n’y a plus d’ équilibre européen. Il y a l’Europe entière qui essaie de survivre et
1452 ibre européen. Il y a l’Europe entière qui essaie de survivre et de s’unir contre un danger commun. Nous sommes tous dans
1453 Il y a l’Europe entière qui essaie de survivre et de s’unir contre un danger commun. Nous sommes tous dans le même sac, si
1454 eule question réelle qui se pose désormais, c’est de savoir si la neutralité de notre pays est encore « dans les vrais int
1455 pose désormais, c’est de savoir si la neutralité de notre pays est encore « dans les vrais intérêts de l’Europe entière »
1456 e notre pays est encore « dans les vrais intérêts de l’Europe entière ». Apporte-t-elle, ou non, une contribution effectiv
1457 , une contribution effective à la défense commune de l’Europe ? II Avant tout essai de réponse, on fera bien de se d
1458 e commune de l’Europe ? II Avant tout essai de réponse, on fera bien de se demander d’abord : Quels sont, en somme,
1459 II Avant tout essai de réponse, on fera bien de se demander d’abord : Quels sont, en somme, les vrais intérêts de l’E
1460 ’abord : Quels sont, en somme, les vrais intérêts de l’Europe entière ? Sont-ils les mêmes aujourd’hui qu’il y a cent-cinq
1461 e ne le pense pas. Ce que les auteurs des traités de 1815 entendaient par l’intérêt de l’Europe, c’était un certain degré
1462 urs des traités de 1815 entendaient par l’intérêt de l’Europe, c’était un certain degré de concorde entre nos pays et leur
1463 r l’intérêt de l’Europe, c’était un certain degré de concorde entre nos pays et leurs régimes, concorde qui ne semblait po
1464 es puissances du continent. Il s’agit aujourd’hui d’ autre chose. L’idée d’une guerre prochaine entre pays européens n’empê
1465 nent. Il s’agit aujourd’hui d’autre chose. L’idée d’ une guerre prochaine entre pays européens n’empêche personne de dormir
1466 prochaine entre pays européens n’empêche personne de dormir. Mais tout le monde pense à deux dangers communs : l’un idéolo
1467 lleure solution que l’union. « Les vrais intérêts de l’Europe entière », c’est donc tout simplement que l’Europe devienne
1468 Or, peut-on dire que l’attitude plus que réservée de la Suisse contribue sérieusement à promouvoir l’union ? Peut-on dire
1469 l’union ? Peut-on dire que la Suisse, en refusant de se risquer à Strasbourg, contribue à renforcer le Conseil de l’Europe
1470 Europe ? Certes, nous avons fini par adhérer avec d’ infinies précautions, à quelques entreprises internationales, telles q
1471 érêt bien compris. Il serait donc un peu excessif de citer nos adhésions tardives et réticentes comme autant de contributi
1472 nos adhésions tardives et réticentes comme autant de contributions à l’unité. Sur ce plan général, il semble difficile de
1473 l’unité. Sur ce plan général, il semble difficile de soutenir que la neutralité représente un apport positif à la fédérati
1474 ire à ses vrais intérêts. Mais sur le plan précis de la défense de l’Europe, la situation est différente. M. Churchill a p
1475 est différente. M. Churchill a parlé à Strasbourg de créer une armée européenne. M. Pleven a fait voter un projet similair
1476 mbre française. Et déjà, l’on commence à regarder de travers cette petite Suisse qui prétend rester neutre quand tout le m
1477 rité, c’est que la Suisse neutre est le seul pays d’ Europe qui soit matériellement et moralement prêt à se défendre en cas
1478 iellement et moralement prêt à se défendre en cas d’ attaque, demain. Je sais très bien que la seule mention de l’armée sui
1479 e, demain. Je sais très bien que la seule mention de l’armée suisse a le don de provoquer des sourires légèrement ironique
1480 n que la seule mention de l’armée suisse a le don de provoquer des sourires légèrement ironiques ou incrédules chez certai
1481 légèrement ironiques ou incrédules chez certains de nos voisins. Qu’ils comptent plutôt leurs divisions ! Nous en avons,
1482 plus qu’eux tous réunis. Il n’y a qu’un seul coin de l’Europe qui soit sérieusement défendu, et le fait est, paradoxal mai
1483 petit coin, c’est la Suisse neutre. Quand l’armée de l’Europe commencera d’exister, il sera temps d’aborder la question d’
1484 isse neutre. Quand l’armée de l’Europe commencera d’ exister, il sera temps d’aborder la question d’un plan de défense unif
1485 e de l’Europe commencera d’exister, il sera temps d’ aborder la question d’un plan de défense unifié. Vous le voyez, la rép
1486 ra d’exister, il sera temps d’aborder la question d’ un plan de défense unifié. Vous le voyez, la réponse que j’essaie de t
1487 er, il sera temps d’aborder la question d’un plan de défense unifié. Vous le voyez, la réponse que j’essaie de trouver n’e
1488 se unifié. Vous le voyez, la réponse que j’essaie de trouver n’est pas simple. Si l’effort militaire considérable que nous
1489 litaire considérable que nous impose notre statut de neutralité est une contribution réelle à la défense du continent, on
1490 continent, on ne saurait vraiment en dire autant de notre attitude méfiante et presque négative à l’égard de l’union néce
1491 e l’union nécessaire. À la question qu’on me pose de tous côtés : Êtes-vous pour l’abandon de notre neutralité ? je ne pui
1492 me pose de tous côtés : Êtes-vous pour l’abandon de notre neutralité ? je ne puis donc répondre oui ou non. Le problème n
1493 raison grande et forte, c’est en somme au profit de quoi la Suisse devrait éventuellement renoncer à sa neutralité. Je ré
1494 ur ma part que cela ne pourrait être qu’au profit de l’Europe entière, c’est-à-dire au profit de son union fédérale, et de
1495 rofit de l’Europe entière, c’est-à-dire au profit de son union fédérale, et de cela seul. Encore faut-il que cette union p
1496 c’est-à-dire au profit de son union fédérale, et de cela seul. Encore faut-il que cette union prenne forme, et qu’en son
1497 États-Unis, soit le Conseil de l’Europe s’il sort de son impasse, soit encore une menace de guerre contre le continent tou
1498 s’il sort de son impasse, soit encore une menace de guerre contre le continent tout entier, nous poseront ces questions p
1499 evant des options graves qu’il lui sera difficile de trancher, ne sachant pas ce que pense le peuple suisse. Il ne faut pa
1500 nous surprenne, endormis dans la fausse sécurité d’ une tradition qui a peut-être fait son temps, endormis derrière la neu
1501 rne à proposer, pour l’orienter, un seul principe de jugement politique. Le voici : Tant que la neutralité de la Suisse se
1502 ment politique. Le voici : Tant que la neutralité de la Suisse se révèle utile à l’Europe — comme aujourd’hui sur le plan
1503 traire elle devient un prétexte à freiner l’union de l’Europe et à ne pas y prendre notre part, elle est contraire à l’esp
1504 re notre part, elle est contraire à l’esprit même de son statut, et elle peut donc demain devenir une trahison. Car je le
1505 été reconnue par les puissances « dans l’intérêt de l’Europe entière », et non pas comme un privilège qu’il n’y aurait pl
1506 ons : en neutralité entre l’Europe et les ennemis de l’Europe — entre l’Europe unie et l’URSS par exemple — ceux-là sont i
1507 Ils violent notre statut légal, et l’esprit même de nos institutions. Je me promets de revenir sur ce point capital, que
1508 l’esprit même de nos institutions. Je me promets de revenir sur ce point capital, que personne encore n’a touché, tout au
1509 u moins à ma connaissance. k. Rougemont Denis de , « Europe unie et neutralité suisse », Les Cahiers protestants, Lausa
1510 , novembre–décembre 1950, p. 309-316. l. Précédé de la note suivante : « L’Europe est en danger. Les efforts pour unir l’
1511 é un questionnaire qui sera envoyé à quelques-uns de ceux que le problème préoccupe et nous ouvrons ainsi une rubrique où
1512 nses reçues. Voici le questionnaire. Il est suivi d’ une première réponse de M. Denis de Rougemont aux questions IV et V :
1513 uestionnaire. Il est suivi d’une première réponse de M. Denis de Rougemont aux questions IV et V : […] — Quelle attitude,
1514 dite fédération ? Une conception trop restrictive de cette neutralité n’empêche-t-elle pas notre pays d’assumer actuelleme
1515 cette neutralité n’empêche-t-elle pas notre pays d’ assumer actuellement la tâche de conciliation qui serait conforme à so
1516 le pas notre pays d’assumer actuellement la tâche de conciliation qui serait conforme à son génie ? — En faveur du maintie
1517 t conforme à son génie ? — En faveur du maintien, de l’assouplissement ou de l’abandon de cette neutralité, tenez-vous cer
1518 — En faveur du maintien, de l’assouplissement ou de l’abandon de cette neutralité, tenez-vous certains arguments comme pa
1519 du maintien, de l’assouplissement ou de l’abandon de cette neutralité, tenez-vous certains arguments comme particulièremen
1520 les 30 octobre et 6 novembre 1950, dans le cadre de l’émission ‟Destins du monde : Demain l’Europe !” ».
8 1951, Les Cahiers protestants, articles (1938–1968). Réplique à M. Lasserre (mars-avril 1951)
1521 ormer, et qu’il ait apporté à sa réfutation moins de scrupule que d’humeur. J’avais pourtant pris soin de souligner la com
1522 ait apporté à sa réfutation moins de scrupule que d’ humeur. J’avais pourtant pris soin de souligner la complexité du probl
1523 scrupule que d’humeur. J’avais pourtant pris soin de souligner la complexité du problème. Je parlais de « ce mélange d’int
1524 e souligner la complexité du problème. Je parlais de « ce mélange d’intérêt propre et d’intérêt européen » qui a toujours
1525 omplexité du problème. Je parlais de « ce mélange d’ intérêt propre et d’intérêt européen » qui a toujours caractérisé notr
1526 e. Je parlais de « ce mélange d’intérêt propre et d’ intérêt européen » qui a toujours caractérisé notre neutralité et qui
1527 ire ». J’ai naturellement insisté sur « l’intérêt de l’Europe entière » parce que c’était par ce biais-là que je pouvais a
1528 aborder le problème suisse, dans le cadre général de ma chronique intitulée « Demain l’Europe ». Je n’ai nullement nié ou
1529 Je n’ai nullement nié ou méconnu l’intérêt propre de la Suisse. Il serait toutefois bien léger de penser, ou de laisser cr
1530 opre de la Suisse. Il serait toutefois bien léger de penser, ou de laisser croire, que ce propre intérêt soit seul en caus
1531 sse. Il serait toutefois bien léger de penser, ou de laisser croire, que ce propre intérêt soit seul en cause dans le jeu
1532 t seul en cause dans le jeu des forces politiques de notre temps ! Où donc ai-je soutenu « sans réserve » que la Suisse de
1533 i dit seulement que si la Suisse un jour décidait de renoncer à sa neutralité, ce ne pourrait être qu’au profit de l’Europ
1534 à sa neutralité, ce ne pourrait être qu’au profit de l’Europe entière et de son union fédérale ; et j’ai ajouté : « Encore
1535 pourrait être qu’au profit de l’Europe entière et de son union fédérale ; et j’ai ajouté : « Encore faut-il que cette unio
1536 un tabou.) Je m’étonne davantage qu’un professeur d’ histoire puisse paraître assimiler la Russie de 1815 et l’URSS de Stal
1537 ur d’histoire puisse paraître assimiler la Russie de 1815 et l’URSS de Staline, lorsqu’il s’agit de leurs relations avec l
1538 ie de 1815 et l’URSS de Staline, lorsqu’il s’agit de leurs relations avec l’Europe ; qu’il tienne l’URSS — malgré elle ! —
1539 européenne ; qu’il fasse état, très sérieusement, de ce que l’OECE « reste ouverte » aux pays de l’Est ; et qu’enfin tous
1540 ment, de ce que l’OECE « reste ouverte » aux pays de l’Est ; et qu’enfin tous les chiffres et proportions qu’il cite vers
1541 es chiffres et proportions qu’il cite vers la fin de son article soient erronés, — ceci pour deux motifs, l’un d’interprét
1542 cle soient erronés, — ceci pour deux motifs, l’un d’ interprétation, l’autre de fait. Tout d’abord, il est clair que je n’a
1543 pour deux motifs, l’un d’interprétation, l’autre de fait. Tout d’abord, il est clair que je n’ai pas pu « confondre systé
1544 uls à la base. Finalement, quelle est la position de M. Lasserre sur le fond du problème, tel qu’il est défini par les poi
1545 lème, tel qu’il est défini par les points IV et V de votre questionnaire ?o On voit que mes thèses l’irritent. Et puis apr
1546 que mes thèses l’irritent. Et puis après ? Tenter de me réfuter ne supprime pas le problème du rôle actuel et futur de la
1547 supprime pas le problème du rôle actuel et futur de la Suisse dans la construction de l’Europe. C’est sur ce point qu’il
1548 actuel et futur de la Suisse dans la construction de l’Europe. C’est sur ce point qu’il eût été intéressant d’entendre l’h
1549 ope. C’est sur ce point qu’il eût été intéressant d’ entendre l’historien respecté de Lausanne. m. Rougemont Denis de, «
1550 t été intéressant d’entendre l’historien respecté de Lausanne. m. Rougemont Denis de, « Réplique à M. Lasserre », Les C
1551 orien respecté de Lausanne. m. Rougemont Denis de , « Réplique à M. Lasserre », Les Cahiers protestants, Lausanne, mars–
1552 vril 1951, p. 117-118. n. À propos de la réponse de David Lasserre publiée comme réponse à l’enquête des Cahiers sur « La
9 1968, Les Cahiers protestants, articles (1938–1968). Pour une morale de la vocation (1968)
1553 Pour une morale de la vocation (1968)p q On a parfois décrit la situation présente du
1554 hristianisme (protestant surtout) comme l’inverse de celle du xixe siècle. Alors, dit-on, c’était la théologie qui faisai
1555 stion, la morale était évidente. Le principe même de la dogmatique paraissait difficile à justifier, mais non pas les prin
1556 ésormais et au surplus indispensables au maintien de l’ordre social. Aujourd’hui, poursuit-on, la théologie a été solideme
1557 logie a été solidement reconstruite sur les bases de la dogmatique des Pères et des réformateurs ou de Thomas d’Aquin. Ses
1558 de la dogmatique des Pères et des réformateurs ou de Thomas d’Aquin. Ses problèmes centraux peuvent être tenus pour résolu
1559 it dire encore, et au nom de quoi. Le « moralisme de grand-papa » est encore plus mal vu chez les théologiens rigoureux qu
1560 ens rigoureux que chez les jeunes gens en colère. De cette morale que l’on disait chrétienne et qui se confondait, du moin
1561 ue reste-t-il après la triple attaque convergente de la sociologie (surtout marxiste), de la psychologie (surtout freudien
1562 convergente de la sociologie (surtout marxiste), de la psychologie (surtout freudienne) et de l’ethnologie comparée (de L
1563 xiste), de la psychologie (surtout freudienne) et de l’ethnologie comparée (de Lévy-Bruhl à Lévi-Strauss) ? Théoriquement
1564 (surtout freudienne) et de l’ethnologie comparée ( de Lévy-Bruhl à Lévi-Strauss) ? Théoriquement et théologiquement, nous s
1565 mmes et à quels dogmes nous croyons. Mais au plan de la morale, nous vivons dans la plus incroyable confusion de systèmes
1566 le, nous vivons dans la plus incroyable confusion de systèmes hétéroclites, d’époques, de styles, de visées différentes ;
1567 us incroyable confusion de systèmes hétéroclites, d’ époques, de styles, de visées différentes ; nous pataugeons dans l’imp
1568 le confusion de systèmes hétéroclites, d’époques, de styles, de visées différentes ; nous pataugeons dans l’impur, dans l’
1569 n de systèmes hétéroclites, d’époques, de styles, de visées différentes ; nous pataugeons dans l’impur, dans l’hybride, da
1570 des religions, des préjugés sociaux et nationaux, de l’obscurantisme et du rationalisme, du piétisme et de l’existentialis
1571 ’obscurantisme et du rationalisme, du piétisme et de l’existentialisme, etc. Y a-t-il encore une morale chrétienne ? Osera
1572 de, morale problématique ; est-ce bien la réalité de notre temps ? Oui sans doute, si nous bornons l’enquête aux élites de
1573 sans doute, si nous bornons l’enquête aux élites de nos églises en Europe. Mais dans le reste du monde, déjà — et ce sera
1574 héma, comme un nouveau renversement, annonciateur d’ une situation de nouveau comparable à celle du siècle passé, mais radi
1575 x États-Unis et en Grande-Bretagne la « théologie de la mort de Dieu » (ses échos remplissent depuis un an la presse intel
1576 s et en Grande-Bretagne la « théologie de la mort de Dieu » (ses échos remplissent depuis un an la presse intellectuelle a
1577 presse intellectuelle anglo-saxonne, en attendant de se répandre dans nos pays), cette théologie-là bouleverse le fondemen
1578 cette théologie-là bouleverse le fondement commun de toutes nos orthodoxies, qu’elles soient d’empreinte barthienne ou tho
1579 commun de toutes nos orthodoxies, qu’elles soient d’ empreinte barthienne ou thomiste, et les notions mêmes d’orthodoxie et
1580 inte barthienne ou thomiste, et les notions mêmes d’ orthodoxie et de révélation ; néanmoins, cette école (ou ce mouvement)
1581 ou thomiste, et les notions mêmes d’orthodoxie et de révélation ; néanmoins, cette école (ou ce mouvement) veut conserver
1582 onserver l’amour du Christ, c’est-à-dire la forme d’ existence personnelle et sociale la plus conforme aux évangiles, l’ins
1583 conforme aux évangiles, l’inspiration évangélique d’ une éthique. D’autre part, les prétentions de la science occidentale
1584 que d’une éthique. D’autre part, les prétentions de la science occidentale deviennent universelles, pour ne pas dire tota
1585 ue depuis peu — se mettent en devoir et en mesure de remplacer les préceptes et coutumes de la morale traditionnelle, dite
1586 en mesure de remplacer les préceptes et coutumes de la morale traditionnelle, dite « chrétienne », et sont déjà en bon tr
1587 e, dite « chrétienne », et sont déjà en bon train d’ y parvenir dans plusieurs domaines importants. Au lieu de sermons cont
1588 impureté », on donne à nos adolescents des leçons d’ initiation sexuelle ; au lieu de menaces d’aller en enfer et d’exorcis
1589 leçons d’initiation sexuelle ; au lieu de menaces d’ aller en enfer et d’exorcismes, on prescrit une psychanalyse, certains
1590 sexuelle ; au lieu de menaces d’aller en enfer et d’ exorcismes, on prescrit une psychanalyse, certains médicaments, ou div
1591 nalyse, certains médicaments, ou divers processus d’ adaptation, d’ajustement social, voire politique, selon les pays. Rece
1592 ns médicaments, ou divers processus d’adaptation, d’ ajustement social, voire politique, selon les pays. Recettes, régimes,
1593 , les feux rouges, le chef de l’État, les rythmes de la consommation ou de la productivité — c’est cela qui fonctionne auj
1594 chef de l’État, les rythmes de la consommation ou de la productivité — c’est cela qui fonctionne aujourd’hui, de mieux en
1595 uctivité — c’est cela qui fonctionne aujourd’hui, de mieux en mieux, qui persuade, qui agit, et qui contraint. En regard d
1596 i agit, et qui contraint. En regard de ce progrès de la Science sur tous les fronts, moralisme et immoralisme, vertus et v
1597 qui est sérieux, ce qui intéresse, c’est le mode d’ emploi de notre univers actuel et le rendement des procédés et des con
1598 sérieux, ce qui intéresse, c’est le mode d’emploi de notre univers actuel et le rendement des procédés et des conduites, —
1599 t des procédés et des conduites, — qu’il s’agisse de s’assurer contre l’imprévu ou au contraire de mieux courir son risque
1600 u contraire de mieux courir son risque personnel, de guérir, ou d’améliorer son statut social, ses possibilités de travail
1601 mieux courir son risque personnel, de guérir, ou d’ améliorer son statut social, ses possibilités de travail et de loisirs
1602 u d’améliorer son statut social, ses possibilités de travail et de loisirs, donc aussi sa culture et sa liberté. Nous tend
1603 son statut social, ses possibilités de travail et de loisirs, donc aussi sa culture et sa liberté. Nous tendons de la sort
1604 donc aussi sa culture et sa liberté. Nous tendons de la sorte, dans les pays techniquement avancés, vers une société qui s
1605 inée, normalisée et préconditionnée dès le secret de la cellule, dès le programme chromosomique, immunisée et psychanalysé
1606 évisé, testé et remis au point à l’aide de pièces de rechange, comme une voiture. Pour la première fois dans l’Histoire de
1607 ne voiture. Pour la première fois dans l’Histoire de nos civilisations, ce n’est pas l’anarchie croissante des mœurs que n
1608 traire l’universelle et rigoureuse réglementation de nos conduites par les ordinateurs électroniques. (On les verra peut-ê
1609 uite du bon vieux temps qu’auront été les siècles de luttes passionnantes entre le « péché » et la « grâce », c’est-à-dire
1610 t la « grâce », c’est-à-dire entre les tentations de la « chair » et les refus déchirants d’y céder — sujet privilégié et
1611 entations de la « chair » et les refus déchirants d’ y céder — sujet privilégié et presque unique des romans de François Ma
1612 r — sujet privilégié et presque unique des romans de François Mauriac, par exemple.) Les conséquences de cette situation —
1613 François Mauriac, par exemple.) Les conséquences de cette situation — qu’il faut imaginer réalisées dans un avenir pas tr
1614 : à supposer que demain, ce soit un collège formé de généticiens, de psychologues, de démographes et d’économistes ou de p
1615 demain, ce soit un collège formé de généticiens, de psychologues, de démographes et d’économistes ou de politologues qui
1616 un collège formé de généticiens, de psychologues, de démographes et d’économistes ou de politologues qui décide de certain
1617 e généticiens, de psychologues, de démographes et d’ économistes ou de politologues qui décide de certaines conduites sexue
1618 psychologues, de démographes et d’économistes ou de politologues qui décide de certaines conduites sexuelles (comme la co
1619 es et d’économistes ou de politologues qui décide de certaines conduites sexuelles (comme la contraception) dans une socié
1620 nnelle du prêtre ou du pasteur — alors les crises de conscience, les débats intérieurs ou conjugaux, les remords lancinant
1621 décisions farouches, tout ce pathos traditionnel de l’existence morale va s’évaporer ! Exécuter une prescription médicale
1622 cuter une prescription médicale, même s’il s’agit d’ une intervention douloureuse comme peut l’être une extraction dentaire
1623 use comme peut l’être une extraction dentaire, ou d’ une privation pénible comme de cesser de fumer, cela ne pose pas de pr
1624 action dentaire, ou d’une privation pénible comme de cesser de fumer, cela ne pose pas de problème, on le fait sans bargui
1625 taire, ou d’une privation pénible comme de cesser de fumer, cela ne pose pas de problème, on le fait sans barguigner, sans
1626 énible comme de cesser de fumer, cela ne pose pas de problème, on le fait sans barguigner, sans avoir à résoudre de confli
1627 on le fait sans barguigner, sans avoir à résoudre de conflits intérieurs dramatiques, on ne parle pas de « sacrifices » pl
1628 conflits intérieurs dramatiques, on ne parle pas de « sacrifices » plus ou moins « joyeusement consentis », de « tortures
1629 ifices » plus ou moins « joyeusement consentis », de « tortures morales », de « tentation surmontée », etc. Sans délai, sa
1630 joyeusement consentis », de « tortures morales », de « tentation surmontée », etc. Sans délai, sans débat, sans le moindre
1631 lieu de se débattre interminablement avec la voix de sa conscience, les conseils du prêtre, ou simplement l’opinion des pr
1632 malheur, voire une catastrophe, cette probabilité d’ une sécularisation croissante des normes de nos conduites, sociales d’
1633 bilité d’une sécularisation croissante des normes de nos conduites, sociales d’abord, individuelles finalement. Pense-t-on
1634 on, peut-être, que la morale tomberait alors dans de très mauvaises mains, serait en quelque sorte livrée au « monde » ? C
1635 ité et dans la famille. Des spécialistes, revêtus de l’autorité incontestée de la Science, et sans doute de l’État, s’en v
1636 s spécialistes, revêtus de l’autorité incontestée de la Science, et sans doute de l’État, s’en voyant chargés à la satisfa
1637 autorité incontestée de la Science, et sans doute de l’État, s’en voyant chargés à la satisfaction des masses (pour ne pas
1638 e ne les partage nullement quant à l’appréciation de ces faits. La prise en charge progressive par la Science socialisée d
1639 e en charge progressive par la Science socialisée de l’ensemble des règles, prescriptions et conseils intéressant les cond
1640 umaines et naguère désignées par le terme général de morale, me paraît comporter à presque tous les égards, plus d’avantag
1641 paraît comporter à presque tous les égards, plus d’ avantages que d’inconvénients, tant pour la Société que pour l’Église
1642 r à presque tous les égards, plus d’avantages que d’ inconvénients, tant pour la Société que pour l’Église elle-même. Au li
1643 ivrer une longue bataille en retraite pour tenter de sauver ce qui pourrait l’être de ce qu’on appelait « morale chrétienn
1644 aite pour tenter de sauver ce qui pourrait l’être de ce qu’on appelait « morale chrétienne », au lieu de se cramponner à u
1645 ésuétude, les Églises ne feraient-elles pas mieux d’ admettre que la compétence des savants et des praticiens en matière de
1646 ants et des praticiens en matière de psychologie, d’ hygiène mentale, de démographie, de mécanismes sociaux ou économiques,
1647 ens en matière de psychologie, d’hygiène mentale, de démographie, de mécanismes sociaux ou économiques, de prévention de l
1648 e psychologie, d’hygiène mentale, de démographie, de mécanismes sociaux ou économiques, de prévention de la criminalité et
1649 émographie, de mécanismes sociaux ou économiques, de prévention de la criminalité et des maladies dites « sociales », etc.
1650 mécanismes sociaux ou économiques, de prévention de la criminalité et des maladies dites « sociales », etc. — que cette c
1651 e rôle que l’on sait dans la prédication, la cure d’ âme et la littérature morale des pays protestants, depuis la fin du xv
1652 a, en Suisse romande, si j’en crois mes souvenirs de jeunesse. Si les Églises (et pas seulement celle de Rome, dans la lan
1653 jeunesse. Si les Églises (et pas seulement celle de Rome, dans la lancée de Vatican II) se décident à rendre à César, c’e
1654 s (et pas seulement celle de Rome, dans la lancée de Vatican II) se décident à rendre à César, c’est-à-dire au « siècle »,
1655 ndre à César, c’est-à-dire au « siècle », le soin de la réglementation et de la régulation de la conduite quotidienne des
1656 re au « siècle », le soin de la réglementation et de la régulation de la conduite quotidienne des membres d’une société, e
1657 le soin de la réglementation et de la régulation de la conduite quotidienne des membres d’une société, elles pourront se
1658 régulation de la conduite quotidienne des membres d’ une société, elles pourront se consacrer d’autant mieux à leur mission
1659 embres d’une société, elles pourront se consacrer d’ autant mieux à leur mission proprement spirituelle, qui est à mon sens
1660 sion proprement spirituelle, qui est à mon sens : de rappeler à l’homme son but final, sa destination ultime, sa vocation.
1661 ultime, sa vocation. Car les règles et les moyens de la vie sociale sont séculiers, par nature et destination, et dans ce
1662 n, et dans ce sens sont à César, mais la vocation de la personne est à Dieu, vient de Dieu et conduit à Lui, ce qu’aucune
1663 es. Je disais tout à l’heure que laisser le soin de la « morale » à César, c’est-à-dire aux sciences séculières plus ou m
1664 l est capital. Supposez, dans x années, une forme d’ existence humaine suffisamment adaptée aux fonctions sociales (dans le
1665 s la société envisagée, serait alors mise en état de pilotage automatique, comme disent les aviateurs et les cybernéticien
1666 nsemble purement empirique et traditionnel, plein de contradictions intenables, que forment les préceptes du Décalogue et
1667 es du Décalogue et des sédimentations millénaires de nos coutumes serait avantageusement remplacé par un jeu complexe et p
1668 ageusement remplacé par un jeu complexe et précis d’ informations constamment vérifiées et mises à jour, toute question tro
1669 sa réponse quasi instantanée par la consultation d’ un ordinateur, les recours ultimes pouvant être présentés à la « Machi
1670 M que nous supposerons directrice ou correctrice de tous les « cerveaux automatiques » d’une nation, ou d’un continent, o
1671 correctrice de tous les « cerveaux automatiques » d’ une nation, ou d’un continent, ou d’une culture. Une question et une s
1672 us les « cerveaux automatiques » d’une nation, ou d’ un continent, ou d’une culture. Une question et une seule demeure alor
1673 utomatiques » d’une nation, ou d’un continent, ou d’ une culture. Une question et une seule demeure alors sans réponse : la
1674 demeure alors sans réponse : la question du sens de ma vie sur cette terre et après ma mort ; la question de ma relation
1675 ie sur cette terre et après ma mort ; la question de ma relation à la transcendance. Elle demeure sans réponse, non point
1676 ponse, non point par accident, mais par nécessité de méthode. Car la grande Machine directrice la déclare sans objet, mal
1677 le et vide quant à l’information, non susceptible d’ un traitement logique, et ne pouvant aboutir qu’à une série infinie de
1678 que, et ne pouvant aboutir qu’à une série infinie de zéros à la sortie des circuits. Dans cette société que je suppose en
1679 ans cette société que je suppose en parfait ordre de marche, il devient à peu près impossible, parce qu’impensable dans le
1680 s admis et inexprimable par les codes en vigueur, de justifier encore la singularité, la vocation d’une personne unique. S
1681 , de justifier encore la singularité, la vocation d’ une personne unique. Si les ordinateurs disent les règles et les norme
1682 isantes, uniformes ou uniformisantes, réductrices de l’imprévu, du non conforme, de l’original et du « libre » (alors que
1683 antes, réductrices de l’imprévu, du non conforme, de l’original et du « libre » (alors que d’autre part ces notions d’orig
1684 du « libre » (alors que d’autre part ces notions d’ originalité de vocation, etc., ont déjà été minées par la psychologie
1685 (alors que d’autre part ces notions d’originalité de vocation, etc., ont déjà été minées par la psychologie de l’inconscie
1686 ion, etc., ont déjà été minées par la psychologie de l’inconscient réduisant les « voix intérieures », naguère tenues pour
1687 es pour « divines », à des structures ou pulsions de l’instinct) — comment valoriser encore la personne ? Le vieux conflit
1688 ve ici radicalisé à la limite. Mais alors le rôle de l’Église apparaît subitement précisé à l’extrême par toute cette néga
1689 par toute cette négativité. Alors qu’aux origines de l’Europe et au Moyen Âge encore, l’Église formait les mœurs, édictait
1690 , l’Église formait les mœurs, édictait les canons de la morale, éduquait l’homme pour les y ajuster, tandis que les cherch
1691 spirituelles. Elle est là pour défendre le droit de la personne à différer, le droit à l’hérésie, si c’en est une de croi
1692 à différer, le droit à l’hérésie, si c’en est une de croire que le but de l’homme transcende tout conditionnement et tout
1693 à l’hérésie, si c’en est une de croire que le but de l’homme transcende tout conditionnement et tout asservissement automa
1694 devenir chrétien, devra-t-il s’exiler moralement de cette société trop bien ajustée, se désadapter exprès, ou saboter la
1695 Machine directrice, ou simplement faire la grève de la « créativité des loisirs » ? Ces gestes et attitudes romantiques s
1696 sitôt comment corriger le fonctionnement aberrant de cet individu. Je le vois plutôt, ce candidat chrétien, comme celui qu
1697 cieusement la Loi prescrite, ne pourra s’empêcher de se poser la Question, celle qui est réputée nulle et vide. Chrétien e
1698 en en cela qu’il cherchera ce sens dans les voies de l’amour, qui implique l’existence des autres, plutôt que dans l’avent
1699 t que dans l’aventure solitaire du mysticisme, ou de la connaissance au sens hindou. Amour et recherche du sens seront à l
1700 ens seront à la fois le contenu et les conditions de ce qu’il nommera sa « liberté ». Cela sera vu et ressenti comme un re
1701 iberté ». Cela sera vu et ressenti comme un refus de la « solution définitive et universelle » proposée par la Science et
1702 ar la Science et imposée par la Machine. Cet acte d’ hérésie objective, de résistance, ne se manifestera pas nécessairement
1703 sée par la Machine. Cet acte d’hérésie objective, de résistance, ne se manifestera pas nécessairement sous une forme agres
1704 manent (et qui pourra rester souriant d’ailleurs) d’ une non-satisfaction dernière, d’un non-contentement essentiel. Ce ne
1705 iant d’ailleurs) d’une non-satisfaction dernière, d’ un non-contentement essentiel. Ce ne sera pas une attitude de révolté
1706 ntentement essentiel. Ce ne sera pas une attitude de révolté à gilet rouge, mais le droit qu’on demande et qu’on prend de
1707 rouge, mais le droit qu’on demande et qu’on prend de poser toujours et encore une question au-delà de toute réponse et de
1708 de poser toujours et encore une question au-delà de toute réponse et de toute permission d’interroger. Ce droit de demand
1709 t encore une question au-delà de toute réponse et de toute permission d’interroger. Ce droit de demander que ma vie ait un
1710 n au-delà de toute réponse et de toute permission d’ interroger. Ce droit de demander que ma vie ait un sens, même si je ne
1711 nse et de toute permission d’interroger. Ce droit de demander que ma vie ait un sens, même si je ne trouve ou ne reçois ja
1712 un sens, même si je ne trouve ou ne reçois jamais de réponse certaine, cette demande, cette recherche en elle-même est mon
1713 en moralisé que nous préparent avec tant de zèle, de compétence, d’astuce technique les savants, les gouvernements et les
1714 nous préparent avec tant de zèle, de compétence, d’ astuce technique les savants, les gouvernements et les nécessités touj
1715 vernements et les nécessités toujours croissantes de la production pour une humanité qui double tous les quarante ans. ⁂ A
1716 r à grands traits, j’avais écrit dès 1945 — l’été d’ Hiroshima — un manuscrit de quelque deux-cents pages intitulé La Mora
1717 écrit dès 1945 — l’été d’Hiroshima — un manuscrit de quelque deux-cents pages intitulé La Morale du But , que je n’ai pas
1718 sement. En effet, depuis vingt ans, je n’ai cessé d’ accumuler des notes (en vue d’ajouts indispensables), des objections t
1719 ans, je n’ai cessé d’accumuler des notes (en vue d’ ajouts indispensables), des objections très graves à mes propres thèse
1720 ons très graves à mes propres thèses, des raisons de désespérer de mon entreprise, et d’autres raisons (pour l’instant lég
1721 s à mes propres thèses, des raisons de désespérer de mon entreprise, et d’autres raisons (pour l’instant légèrement majori
1722 raisons (pour l’instant légèrement majoritaires) de penser au contraire qu’elle peut contribuer à débrouiller un peu nos
1723 t primitif, mon ouvrage s’ouvre par le bref récit d’ une modeste expérience, pour moi très importante, que j’ai faite au se
1724 ersion finale du livre. Elles sont intitulées : «  De la Visée » : J’ai appris le tir au fusil dans un pays qui, traditio
1725 tionnellement, fournissait au monde les champions de cet art ; et comme j’étais alors une jeune recrue animée d’un extrême
1726  ; et comme j’étais alors une jeune recrue animée d’ un extrême désir d’être promu au grade de lieutenant, et d’acquérir de
1727 alors une jeune recrue animée d’un extrême désir d’ être promu au grade de lieutenant, et d’acquérir de la sorte au plus t
1728 e animée d’un extrême désir d’être promu au grade de lieutenant, et d’acquérir de la sorte au plus tôt le droit de faire t
1729 ême désir d’être promu au grade de lieutenant, et d’ acquérir de la sorte au plus tôt le droit de faire taire les sergents
1730 ’être promu au grade de lieutenant, et d’acquérir de la sorte au plus tôt le droit de faire taire les sergents harcelants,
1731 t, et d’acquérir de la sorte au plus tôt le droit de faire taire les sergents harcelants, je m’appliquais de toutes mes fo
1732 re taire les sergents harcelants, je m’appliquais de toutes mes forces à bien tirer. Mais je suivais les conseils d’ordonn
1733 forces à bien tirer. Mais je suivais les conseils d’ ordonnance, et tirais aussi mal que possible. Car je me trouvais embar
1734 i mal que possible. Car je me trouvais embarrassé de tant de recettes et d’ordres assénés qu’il me semblait, d’un exercice
1735 je me trouvais embarrassé de tant de recettes et d’ ordres assénés qu’il me semblait, d’un exercice à l’autre, n’avoir fai
1736 e recettes et d’ordres assénés qu’il me semblait, d’ un exercice à l’autre, n’avoir fait de progrès que dans la découverte
1737 e semblait, d’un exercice à l’autre, n’avoir fait de progrès que dans la découverte d’une maladresse naguère insoupçonnée.
1738 e, n’avoir fait de progrès que dans la découverte d’ une maladresse naguère insoupçonnée. Je faisais tout ce que l’on me pr
1739 is faire aux autres. Je prenais avec soin le cran d’ arrêt, bloquais mon souffle, visais d’un œil, reposant l’arme de temps
1740 oin le cran d’arrêt, bloquais mon souffle, visais d’ un œil, reposant l’arme de temps à autre pour respirer et calmer ma ne
1741 ais mon souffle, visais d’un œil, reposant l’arme de temps à autre pour respirer et calmer ma nervosité, et lorsque enfin
1742 égligeait les autres, et je me résolus à profiter de ce répit pour trouver par moi-même le secret de mes erreurs et le moy
1743 r de ce répit pour trouver par moi-même le secret de mes erreurs et le moyen de les corriger, sans plus tenir compte des p
1744 par moi-même le secret de mes erreurs et le moyen de les corriger, sans plus tenir compte des préceptes reçus. Je ne tarda
1745 quelques points, sauvant l’honneur sinon l’espoir de me réhabiliter aux yeux de mes supérieurs. L’un d’entre eux cependant
1746 ouceur froide, au moment même où je me félicitais d’ avoir encore marqué un point, loin du noir, mais enfin dans la cible.
1747 main, ni à ce que fait l’index qui a pris le cran d’ arrêt. Laissez-vous simplement hypnotiser par ce petit disque noir à t
1748 noir à trois-cents mètres qui danse sur la ligne de mire. Quand vous serez assez concentré, sans que vous l’ayez voulu, l
1749 rêtait, dansait de nouveau, s’embuait. J’essayais de le rejoindre du regard, de l’aspirer, de le fasciner vers moi tandis
1750 s’embuait. J’essayais de le rejoindre du regard, de l’aspirer, de le fasciner vers moi tandis que je gonflais mes poumons
1751 essayais de le rejoindre du regard, de l’aspirer, de le fasciner vers moi tandis que je gonflais mes poumons. Soudain il m
1752 Et quand je levai les yeux, un petit disque blanc d’ où pendait un mince fanion rouge surgit du bas de la cible, hésita une
1753 d’où pendait un mince fanion rouge surgit du bas de la cible, hésita une seconde, et marqua le centre du noir. Trois jour
1754 je gagnais le fameux galon, insigne des champions de l’école de tir, et l’arborais sur la manche droite de ma tunique. Qua
1755 le fameux galon, insigne des champions de l’école de tir, et l’arborais sur la manche droite de ma tunique. Quant aux cons
1756 ’école de tir, et l’arborais sur la manche droite de ma tunique. Quant aux conséquences plus lointaines et aux implication
1757 s, décisives à mon sens, du conseil en trois mots de ce jeune officier — « pensez au noir » —, elles ne devaient m’apparaî
1758 ait, en un instant, posé et vérifié pour le reste de mes jours, sous une forme ultracondensée, la juste relation des moyen
1759 entrer saurait les illustrer dans maints domaines de ma conduite ou de ma réflexion. Je les consigne ici, fort brièvement,
1760 illustrer dans maints domaines de ma conduite ou de ma réflexion. Je les consigne ici, fort brièvement, réservant pour la
1761 fort brièvement, réservant pour la suite le soin d’ en formuler les fondements théoriques et le mode d’emploi. 1. La consi
1762 ’en formuler les fondements théoriques et le mode d’ emploi. 1. La considération minutieuse des moyens, la stricte applicat
1763 ion minutieuse des moyens, la stricte application d’ une méthode réglant l’ordre et l’usage de ces moyens, la maîtrise d’un
1764 lication d’une méthode réglant l’ordre et l’usage de ces moyens, la maîtrise d’une technique éprouvée, l’obéissance aux pr
1765 ant l’ordre et l’usage de ces moyens, la maîtrise d’ une technique éprouvée, l’obéissance aux préceptes légaux et coutumier
1766 dération envoûtante du but dicte ainsi les moyens de l’atteindre et les oriente plus strictement qu’aucune méthode ou aucu
1767 ecte bouddhiste du zen fait grand usage du Tir et de la méditation sur cet art. Il s’agit du tir à l’arc. Le tireur zen do
1768 ifier au but (à la cible), à avoir ce but en soi, de telle sorte qu’il arrive un jour à mettre une flèche dans le noir les
1769 es yeux fermés, et une deuxième dans la tige même de la première. À ce moment, l’initiation a réussi). Partant de cette ex
1770 ère. À ce moment, l’initiation a réussi). Partant de cette expérience, et des maximes que j’en déduis, je propose dans la
1771 et l’évaluation des conduites humaines. Je pose d’ un côté ce que j’appelle les Règles du Jeu, l’ensemble des moyens de v
1772 ’appelle les Règles du Jeu, l’ensemble des moyens de vivre. Et je pose de l’autre côté la Vocation, le Sérieux final, le B
1773 u Jeu, l’ensemble des moyens de vivre. Et je pose de l’autre côté la Vocation, le Sérieux final, le But ultime de notre vi
1774 côté la Vocation, le Sérieux final, le But ultime de notre vie personnelle. Les Règles du Jeu comprennent, dans ma définit
1775 s méthodes et des rites, des codes et conventions de toute espèce qu’une société se donne pour guider les conduites de ses
1776 qu’une société se donne pour guider les conduites de ses membres. Cela va des règles du jeu d’échecs à la prohibition de l
1777 nduites de ses membres. Cela va des règles du jeu d’ échecs à la prohibition de l’inceste chez les tribus sauvages, des rit
1778 la va des règles du jeu d’échecs à la prohibition de l’inceste chez les tribus sauvages, des rituels liturgiques aux lois
1779 distinguer d’une part ce qui relève expressément de l’artifice et de la convention donnée pour telle, et d’autre part ce
1780 part ce qui relève expressément de l’artifice et de la convention donnée pour telle, et d’autre part ce qui répond à des
1781 ologiques profondes, correspondant aux archétypes de l’inconscient collectif selon Jung, notamment, et c’est pourquoi il e
1782 notamment, et c’est pourquoi il est si difficile de les modifier ; en revanche, quantité de préceptes moraux que tel peup
1783 difficile de les modifier ; en revanche, quantité de préceptes moraux que tel peuple tient pour la traduction directe des
1784 la traduction directe des réalités fondamentales de la Nature ont pour origine des nécessités commerciales, par exemple,
1785 iales, économiques, climatériques ou religieuses, de peuples que la Nature a fait semblables physiquement. Je me borne à m
1786 quement. Je me borne à mentionner ici le principe de cette analyse, parce qu’il autorise quelques conclusions intéressante
1787 artir de Rousseau et du romantisme, on a dit trop de mal des conventions, en ce sens qu’on en a dit seulement du mal, oubl
1788 est-à-dire à toute vie humaine. Les règles du jeu d’ échecs sont des conventions, c’est clair, mais elles font tout l’intér
1789 ions, c’est clair, mais elles font tout l’intérêt de cette activité. En effet, déplacer un bout de bois d’un carré blanc s
1790 rêt de cette activité. En effet, déplacer un bout de bois d’un carré blanc sur un carré noir est le type même du geste ins
1791 ette activité. En effet, déplacer un bout de bois d’ un carré blanc sur un carré noir est le type même du geste insignifian
1792 avec passion pendant une heure, car il est chargé de sens par les règles du jeu. Quant aux feux verts et aux feux rouges,
1793 es ou profanes sous prétexte qu’elles ne sont que de « simples conventions », se trompent doublement : car premièrement, o
1794 nt, on peut démontrer que les règles et préceptes de toutes les morales humaines sont conventionnels, et non pas « naturel
1795 on des normes et prescriptions morales aux règles d’ un jeu ne signifie nullement qu’il faille les prendre à la légère, ni
1796 les prendre à la légère, ni qu’on montre beaucoup d’ intelligence en trichant avec elles : aux échecs, par exemple, la moin
1797 u, puisque cet intérêt tient aux règles et à rien d’ autre. S’il est admis que les normes de la morale sont des règles d’un
1798 et à rien d’autre. S’il est admis que les normes de la morale sont des règles d’un jeu, toute espèce de laxisme est exclu
1799 admis que les normes de la morale sont des règles d’ un jeu, toute espèce de laxisme est exclu, toute faute doit être exact
1800 la morale sont des règles d’un jeu, toute espèce de laxisme est exclu, toute faute doit être exactement pénalisée, par un
1801 aute doit être exactement pénalisée, par un recul de pions, une perte de points, une pièce soufflée, un coup franc contre
1802 ement pénalisée, par un recul de pions, une perte de points, une pièce soufflée, un coup franc contre le camp fautif (qui
1803 c contre le camp fautif (qui sont diverses formes d’ amende), voire par la disqualification (qui correspond au bannissement
1804 au bannissement, à la prison à vie ou à la peine de mort). Mais si la morale est considérée comme un système de normes co
1805 Mais si la morale est considérée comme un système de normes conventionnelles adoptées par une société, et que l’on convien
1806 tées par une société, et que l’on conviendra donc d’ observer rigoureusement, comme on le fait des règles d’un jeu, il faut
1807 erver rigoureusement, comme on le fait des règles d’ un jeu, il faut souligner aussitôt que ces conventions ne sauraient êt
1808 les, ni évidemment néfastes soit pour l’intégrité de l’individu, soit pour la santé et l’équilibre d’une communauté. Or en
1809 de l’individu, soit pour la santé et l’équilibre d’ une communauté. Or en fait notre société occidentale christianisée est
1810 iété occidentale christianisée est tout encombrée de règles contradictoires entre elles, ou impraticables, ou néfastes, et
1811 u impraticables, ou néfastes, et il est important de les soumettre à une critique systématique et scientifique. Ce qui ren
1812 a plupart des cas, c’est la confusion déplorable ( de laquelle nos Églises sont largement responsables) qui fait que l’on a
1813 es âges et finalement considéré comme des vérités de foi, révélées et indiscutables, des coutumes qui nous venaient d’un p
1814 et indiscutables, des coutumes qui nous venaient d’ un peu partout, aux hasards de l’histoire, et qui avaient été les conv
1815 s qui nous venaient d’un peu partout, aux hasards de l’histoire, et qui avaient été les conventions utiles d’autres sociét
1816 t la seule grande religion qui n’ait pas institué de morale codifiée, devait fournir un terrain de choix pour cette confus
1817 tué de morale codifiée, devait fournir un terrain de choix pour cette confusion : il ne disposait que de la loi mosaïque e
1818 choix pour cette confusion : il ne disposait que de la loi mosaïque et de son sommaire, le commandement sur l’amour de Di
1819 usion : il ne disposait que de la loi mosaïque et de son sommaire, le commandement sur l’amour de Dieu et du prochain comm
1820 e et de son sommaire, le commandement sur l’amour de Dieu et du prochain comme de soi-même. Or l’amour est une attitude fo
1821 andement sur l’amour de Dieu et du prochain comme de soi-même. Or l’amour est une attitude fondamentale, de valeur univers
1822 i-même. Or l’amour est une attitude fondamentale, de valeur universelle et instigatrice d’action, certes ; c’est l’inspira
1823 ndamentale, de valeur universelle et instigatrice d’ action, certes ; c’est l’inspiration morale au degré suprême ; mais ce
1824  ; mais ce n’est pas un code, une loi, un recueil de règles, et c’est même ce qui devrait permettre de se passer de code,
1825 de règles, et c’est même ce qui devrait permettre de se passer de code, de lois, de règles… « Ama et fac quod vis » est sa
1826 c’est même ce qui devrait permettre de se passer de code, de lois, de règles… « Ama et fac quod vis » est sans doute le s
1827 me ce qui devrait permettre de se passer de code, de lois, de règles… « Ama et fac quod vis » est sans doute le summum de
1828 devrait permettre de se passer de code, de lois, de règles… « Ama et fac quod vis » est sans doute le summum de la morale
1829 « Ama et fac quod vis » est sans doute le summum de la morale mais c’est aussi sa négation. Quant au Décalogue, c’est bie
1830 n code, mais rudimentaire et lacunaire, à l’usage de propriétaires du type patriarcal, et qui met notamment sur le même pl
1831 patriarcal, et qui met notamment sur le même plan d’ objets (dont il faut préserver la possession) esclaves, femmes et béta
1832 et civique, ni une morale sexuelle, ni un système de valeurs, ni une méthode pour bien conduire la pensée et l’action dans
1833 bien conduire la pensée et l’action dans la cité. De là l’obligation de recourir à d’autres sources, — presque toutes vena
1834 nsée et l’action dans la cité. De là l’obligation de recourir à d’autres sources, — presque toutes venant d’autres religio
1835 rces, — presque toutes venant d’autres religions. De là aussi la confusion inévitable que j’ai dite, l’attribution à la « 
1836 table que j’ai dite, l’attribution à la « volonté de Dieu » ou à la Nature des choses de tout ce que la société juge indis
1837 la « volonté de Dieu » ou à la Nature des choses de tout ce que la société juge indispensable à son bien : tantôt l’escla
1838 rgé bénissant des canons et priant pour le succès de telle équipe nationale de tueurs sur telle autre. Je ne rappelle pas
1839 t priant pour le succès de telle équipe nationale de tueurs sur telle autre. Je ne rappelle pas ces choses par masochisme
1840 le pas ces choses par masochisme ou par une sorte de démagogie, mais il faut bien le reconnaître : ces scandales trop conn
1841 que les Églises ont cru devoir édicter la morale de leur siècle, généralement au nom des intérêts (traduits en vertus) de
1842 ralement au nom des intérêts (traduits en vertus) de la société du siècle précédent, confondue par la masse des fidèles av
1843 c la tradition chrétienne. Je résume cette partie de mon argument : 1. j’estime qu’il y a tout avantage à considérer les p
1844 tout avantage à considérer les préceptes et codes de la morale comme les règles du jeu d’une société ; 2. ceci implique —
1845 tes et codes de la morale comme les règles du jeu d’ une société ; 2. ceci implique — et facilite d’ailleurs — une stricte
1846 , comme il va de soi dans tous les jeux et sports d’ équipe ; 3. ceci exclut, du même mouvement, la sacralisation de ces pr
1847 ceci exclut, du même mouvement, la sacralisation de ces préceptes et recettes, et la prétention tout à fait abusive à les
1848 ou la loi naturelle, à les assimiler aux « voies de la providence » ou à la « volonté de Dieu lui-même » ; 4. enfin, et j
1849 aux « voies de la providence » ou à la « volonté de Dieu lui-même » ; 4. enfin, et j’introduis ici une remarque nouvelle,
1850 fractions commises par un joueur n’entraînent pas de jugement sur sa valeur en tant que personne. Il est entendu que si l’
1851 u mauvais : simplement on joue bien ou mal. Point de « péché » dans le monde des règles du jeu, mais seulement des erreurs
1852 , mais seulement des erreurs, maladresses, fautes de calcul, déficiences physiques ou psychiques, un style défectueux, ou
1853 n style défectueux, ou une mauvaise tenue (manque de fair play ou d’objectivité, coups bas, etc.). La notion de péché n’ap
1854 ux, ou une mauvaise tenue (manque de fair play ou d’ objectivité, coups bas, etc.). La notion de péché n’apparaît qu’à part
1855 lay ou d’objectivité, coups bas, etc.). La notion de péché n’apparaît qu’à partir du moment où se trouve posée la question
1856 à partir du moment où se trouve posée la question de nos fins dernières. Elle est liée à la vocation. ⁂ On pourrait défini
1857 ée à la vocation. ⁂ On pourrait définir une sorte de vocation générale du genre humain, de vocation de tout homme en tant
1858 r une sorte de vocation générale du genre humain, de vocation de tout homme en tant qu’homme, et qui serait, selon l’Évang
1859 de vocation générale du genre humain, de vocation de tout homme en tant qu’homme, et qui serait, selon l’Évangile, l’appel
1860 serait, selon l’Évangile, l’appel et la puissance de l’amour. À travers l’action dans la communauté, c’est-à-dire à traver
1861 chain, l’amour au sens chrétien est l’orientation de tout être, et de tout mon être vers Dieu, source et sujet de tout amo
1862 sens chrétien est l’orientation de tout être, et de tout mon être vers Dieu, source et sujet de tout amour. Mais la vocat
1863 e, et de tout mon être vers Dieu, source et sujet de tout amour. Mais la vocation dont je voudrais vous parler, c’est la v
1864 particulière qui s’adresse à un individu et fait de lui une personne distincte et unique. Obéir à ma vocation, c’est suiv
1865 t suivre le chemin qui va me conduire à la source de l’appel que j’ai cru percevoir, que je cherche à entendre, à capter d
1866 . Mais ce chemin sans précédent, — puisqu’il part de moi seul pour me conduire là où convergent tous les chemins de l’espr
1867 our me conduire là où convergent tous les chemins de l’esprit, — oui, tous convergent et se rejoindront en Dieu, mais il y
1868 ’y engage, répondant à l’appel sans penser à rien d’ autre. Il n’est pas jalonné, comme les grandes voies publiques, de sig
1869 t pas jalonné, comme les grandes voies publiques, de signes bien lisibles pour n’importe qui, puisque personne encore n’a
1870 r moi seul ! Cette unicité et singularité absolue de mon sentier personnel, qui le rend à peine discernable pour ma foi se
1871 ma foi seule, va permettre à mes voisins soucieux de mon sort de mettre en doute ou de nier son existence — sauf s’ils ont
1872 , va permettre à mes voisins soucieux de mon sort de mettre en doute ou de nier son existence — sauf s’ils ont fait, eux a
1873 oisins soucieux de mon sort de mettre en doute ou de nier son existence — sauf s’ils ont fait, eux aussi, l’expérience de
1874 ce — sauf s’ils ont fait, eux aussi, l’expérience de cet appel invraisemblable — et ils vont me conseiller « pour mon bien
1875 le — et ils vont me conseiller « pour mon bien », de m’en tenir aux chemins communs, bien fréquentés, bien surveillés par
1876 ien surveillés par la police, là où règne le Code de la route, qui est aussi fait pour moi, ajouteront-ils, sévères. Oui,
1877 ela. Seul pourrait me relier à mon but le sentier de ma vocation, qui est au sens littéral improbable. Les grandes voies p
1878 iques, bien que réglées par la Loi, ne me servent de rien pour « faire mon salut » comme disait la piété classique. Il me
1879 institué pour moi seul. Et dans tout cela je n’ai d’ autre soutien que ma croyance par éclairs, ma « foi » dans l’existence
1880 croyance par éclairs, ma « foi » dans l’existence de ce But qu’on ne peut voir et que personne n’a jamais vu. N’ayant d’au
1881 e personne n’a jamais vu. N’ayant d’autres moyens de répondre à son appel, de le rejoindre, que ceux que me suggère, inexp
1882 N’ayant d’autres moyens de répondre à son appel, de le rejoindre, que ceux que me suggère, inexplicablement, ma foi en lu
1883 st donc le But qui me communique les seuls moyens d’ aller vers lui, dans la seule mesure où j’y crois, et où j’arrive par
1884 ts à oublier tout ce qui me fait douter du But et de l’appel et du chemin, quand je m’abandonne à l’élan, à l’attrait advi
1885 a donnés. Je disais tout à l’heure que la notion de péché n’a pas sa place dans le monde des règles du jeu, mais prend so
1886 règles du jeu, mais prend son sens dans le monde de la vocation. Voici comment je crois qu’il faut l’entendre. Par rappor
1887 re. Par rapport à la vocation humaine et générale de l’amour (sommaire de toute la Loi), il est clair que le péché en géné
1888 vocation humaine et générale de l’amour (sommaire de toute la Loi), il est clair que le péché en général est de faillir à
1889 la Loi), il est clair que le péché en général est de faillir à l’amour, de le blesser, ou de le dénaturer — par exemple de
1890 que le péché en général est de faillir à l’amour, de le blesser, ou de le dénaturer — par exemple de le réduire à un pur s
1891 néral est de faillir à l’amour, de le blesser, ou de le dénaturer — par exemple de le réduire à un pur sentiment ou désir,
1892 , de le blesser, ou de le dénaturer — par exemple de le réduire à un pur sentiment ou désir, alors qu’il est action. Mais
1893 désir, alors qu’il est action. Mais dans le monde de la vocation, mon péché particulier, c’est ce qui m’empêche de répondr
1894 on, mon péché particulier, c’est ce qui m’empêche de répondre à l’appel que j’ai cru entendre, c’est le refus d’y croire s
1895 e à l’appel que j’ai cru entendre, c’est le refus d’ y croire sans preuve dont je puisse faire état « objectivement ». Mon
1896 se faire état « objectivement ». Mon péché, c’est de me mettre par ma conduite, par ma pensée, ou par quelque attitude int
1897 , c’est ce qui obscurcit ma visée, me fait perdre de vue le but, m’en fait douter quand il est invisible, bref, me détourn
1898 douter quand il est invisible, bref, me détourne d’ agir ma vocation. Et je découvre, à ce propos, que le mot désignant le
1899 le but » ; et en grec : « ce qui passe au-dessus de la ligne normale », ou : « ce qui tombe à côté ». Voilà qui correspon
1900 mbe à côté ». Voilà qui correspond, n’est-ce pas, d’ une manière assez frappante, à mes images initiales du tireur au fusil
1901 si l’esprit des réponses que l’on pourrait tenter d’ y faire. La dichotomie proposée entre les règles du jeu d’une part, et
1902 tique — il est évident qu’elle provoque une série de questions, de doutes et de reproches hélas bien faciles à prévoir. Le
1903 évident qu’elle provoque une série de questions, de doutes et de reproches hélas bien faciles à prévoir. Le psychologue m
1904 lle provoque une série de questions, de doutes et de reproches hélas bien faciles à prévoir. Le psychologue me dira (et il
1905 n’est pas tout simplement l’expression symbolique d’ une pulsion de l’inconscient ? — Eh bien non, je n’en suis jamais sûr 
1906 simplement l’expression symbolique d’une pulsion de l’inconscient ? — Eh bien non, je n’en suis jamais sûr ! La foi sans
1907 dis aussi) : Si vous abandonnez la responsabilité d’ établir le code moral au « monde », c’est-à-dire aujourd’hui et en fai
1908 et en fait aux savants et à l’État, vous risquez de laisser s’établir une société totalitaire. Et vous privez le monde de
1909 té totalitaire. Et vous privez le monde des aides de la Révélation. — À quoi je réponds que le risque est très grand, je l
1910 ui croyaient dur comme fer que leur mission était de régler la conduite morale de nos peuples n’ont pas réussi à empêcher
1911 e leur mission était de régler la conduite morale de nos peuples n’ont pas réussi à empêcher ni même à retarder sérieuseme
1912 patauger dans des domaines aussi vitaux que ceux de la contraception ou de la guerre, je me demande de quoi elles privera
1913 ines aussi vitaux que ceux de la contraception ou de la guerre, je me demande de quoi elles priveraient le monde si elles
1914 e la contraception ou de la guerre, je me demande de quoi elles priveraient le monde si elles cessaient de lui prodiguer d
1915 uoi elles priveraient le monde si elles cessaient de lui prodiguer des conseils ou des ordres au moins aussi contradictoir
1916 ra (et je ne suis pas du tout sûr qu’il ait tort) d’ ouvrir les portes toutes grandes au subjectivisme intégral, à l’illumi
1917 tous les malades dont la psychose prend la forme d’ une mission qu’ils affirment reçue de Dieu. — À quoi je pense qu’on do
1918 end la forme d’une mission qu’ils affirment reçue de Dieu. — À quoi je pense qu’on doit répondre par une vigilance redoubl
1919 oublée dans l’examen des marques ou des « notes » de l’authenticité d’une vocation, selon l’expérience des Pères, des réfo
1920 en des marques ou des « notes » de l’authenticité d’ une vocation, selon l’expérience des Pères, des réformateurs, et aussi
1921 réformateurs, et aussi des meilleurs psychologues de ce temps, qui peuvent au moins déceler les fausses vocations… Mais le
1922 ent, je ne les minimise pas : ce sont les risques de la Foi et de la confiance dans le Saint-Esprit. Je souligne seulement
1923 s minimise pas : ce sont les risques de la Foi et de la confiance dans le Saint-Esprit. Je souligne seulement que les risq
1924 souligne seulement que les risques inverses, nés de l’exigence exclusive de ce que l’on nomme « objectivité scientifique 
1925 les risques inverses, nés de l’exigence exclusive de ce que l’on nomme « objectivité scientifique », et qui évacue de la r
1926 nomme « objectivité scientifique », et qui évacue de la réalité tout ce qui ne peut être enregistré par la mémoire d’une m
1927 out ce qui ne peut être enregistré par la mémoire d’ une machine électronique, que cet objectivisme-là est au moins aussi o
1928 xtrêmes du désert et du déluge, du doute aride et de l’émotivité prompte aux larmes, du positivisme et de l’illuminisme ?
1929 l’émotivité prompte aux larmes, du positivisme et de l’illuminisme ? Un troisième théologien, prenant acte de ce que je ne
1930 luminisme ? Un troisième théologien, prenant acte de ce que je ne crois pas du tout à une morale révélée, ni directement n
1931 e révélée, ni directement ni au travers des tours de passe-passe théologiques, regrettera peut-être au secret de son cœur,
1932 asse théologiques, regrettera peut-être au secret de son cœur, l’époque où l’on pouvait brûler des gens comme moi. Je lui
1933 selon vos meilleurs docteurs, le critère externe de la Révélation ; elle dit ceci : « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu
1934 n ; elle dit ceci : « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu, et le reste vous sera donné par-dessus. » Or chercher le Royaum
1935 ai moi. » Au sociologue, alors, qui me reprochera de verser dans un individualisme anarchisant, je répondrai qu’il a bien
1936 répondrai qu’il a bien mal compris la définition de la personne : l’homme chargé par la vocation même qui le distingue de
1937 omme chargé par la vocation même qui le distingue de la communauté, d’une action qui le relie à cette communauté et qui l’
1938 vocation même qui le distingue de la communauté, d’ une action qui le relie à cette communauté et qui l’insère dans ses ré
1939 tes. Aux démocrates ombrageux qui m’accuseraient de proposer une éthique à l’usage exclusif d’une petite élite spirituell
1940 raient de proposer une éthique à l’usage exclusif d’ une petite élite spirituelle, d’un groupe d’élus, je rappellerais les
1941 l’usage exclusif d’une petite élite spirituelle, d’ un groupe d’élus, je rappellerais les paroles de Jésus sur le sel de l
1942 lusif d’une petite élite spirituelle, d’un groupe d’ élus, je rappellerais les paroles de Jésus sur le sel de la Terre et s
1943 , d’un groupe d’élus, je rappellerais les paroles de Jésus sur le sel de la Terre et sa saveur. Mais j’ajouterais, paraphr
1944 , je rappellerais les paroles de Jésus sur le sel de la Terre et sa saveur. Mais j’ajouterais, paraphrasant Teilhard de Ch
1945 e Chardin : chaque homme n’est pas appelé à faire de grandes choses, c’est vrai, mais, par sa solidarité avec une grandeur
1946 nt déceler ma vocation, puisque selon vous le But d’ où elle m’est adressée reste invisible, inouï, incalculable, et c’est
1947 nous meut à prier. Les « soupirs inexprimables » de la prière en nous répondent seuls à la réalité de l’indicible ; or to
1948 de la prière en nous répondent seuls à la réalité de l’indicible ; or toute vocation est d’abord indicible, parce qu’elle
1949 indicible, parce qu’elle n’a pas et ne peut avoir de précédent, parce qu’il n’y a pas deux hommes pareils, donc pas deux c
1950 mes pareils, donc pas deux chemins pareils allant d’ un homme à Dieu. Mais je pressens que les objections les plus gênantes
1951 nt celles que je n’ai pas prévues… Je les attends de votre part et vous en dis d’avance ma gratitude. Ma recherche est enc
1952 vues… Je les attends de votre part et vous en dis d’ avance ma gratitude. Ma recherche est encore bien loin des conclusions
1953 es et impératives. Quant aux laïques et au clergé de l’Église chrétienne, je pense que leur rôle spécifique et leur vocati
1954 isteront plutôt à poser des questions qu’à tenter d’ imposer des réponses ; à poser avant tout, en temps et hors de temps,
1955 us faire entendre ce matin. p. Rougemont Denis de , « Pour une morale de la vocation », Les Cahiers protestants, Lausann
1956 atin. p. Rougemont Denis de, « Pour une morale de la vocation », Les Cahiers protestants, Lausanne, 1968, p. 5-29. q.
1957 rotestants, Lausanne, 1968, p. 5-29. q. Une note de la rédaction précise : « Ce texte est celui d’une conférence, prononc
1958 te de la rédaction précise : « Ce texte est celui d’ une conférence, prononcée à Neuchâtel en septembre 1966, devant la Soc