1 1932, Esprit, articles (1932–1962). À l’index (Première liste) : Candide (octobre 1932)
1 : par la nécessité) la plus brûlante : Américains et Allemands chez nous. Laissons les Américains. Ils réussissent mal à n
2 Allemand, l’on doit reconnaître qu’il se surpasse et qu’il surpasse, mais il y a mis 16 ans — les plus fameux produits des
3 ncore de « faire durer le plaisir » jusqu’au bout et à tout prix ? Au niveau de jugement où nous place M. Hermann, tout A
4 crâne rasé, s’appelle Fritz, a volé des pendules et violé pour le moins une chaste fille de Montmartre. C’est une concept
5 t une conception de Français né paillard, décoré, et qui ne sait pas la géographie. Il faut tout de même que nos camarades
6 entes de l’état d’esprit candidard : les dessins, et plus encore les légendes de M. Hermann-Paul sont d’une imbécillité pr
7 Paul sont d’une imbécillité proprement répugnante et qu’il faudrait qualifier de criminelle si elle n’était avant tout veu
8 riminelle si elle n’était avant tout veule, plate et sénile, au point de perdre toute efficacité dès la 2e page. Il semble
9 nête dans son public soit à coup sûr d’écœurement et de mépris, devant cette déjection, grassement payée mais qui peut coû
2 1932, Esprit, articles (1932–1962). On oubliera les juges (novembre 1932)
10 évolutionnaires, c’est de ce point de vue central et seul efficacement critique que nous devons envisager les perspectives
11 ons envisager les perspectives de la vie publique et privée, dans l’état où se trouve la France en 1932. Est-ce à dire qu’
12 e, à seule fin d’en démontrer l’absurdité latente et souvent manifeste ? Ce serait faire la part trop belle au monde, que
13 telle, cette officielle dissociation de la pensée et de l’action apparaît particulièrement flagrante. C’est à ce titre et
14 raît particulièrement flagrante. C’est à ce titre et sous cet angle que l’affaire Jacques Martin prend pour nous une signi
15 Martin prend pour nous une signification précise, et que nous en parlons à cette place. André Bridoux, dans les remarques
16 déjà ! Elle ne l’est guère que dans nos cœurs, —  et toujours à recommencer. Ce que l’instant commande, dans le monde tel
17  » de nos comportements ? ⁂ Une conviction intime et péremptoire s’élabore et s’impose dans le silence d’une vie : la loi
18 ⁂ Une conviction intime et péremptoire s’élabore et s’impose dans le silence d’une vie : la loi de Dieu s’oppose à cette
19 : elle les juge. (Elle les avait jugés d’avance.) Et maintenant ils prennent leur revanche, dans la laideur de cette salle
20 . Une salle carrée, laide de cette laideur pauvre et presque abstraite qui symbolise assez bien le régime. Quatre gaillard
21 — maniement d’armes — dépose sur la table sabres et képis, s’assied pour écouter : tout est jugé d’avance. Deux heures du
22 é d’avance. Deux heures durant, quelques pasteurs et quelques écrivains vont faire appel aux principes suprêmes (c’est-à-d
23 d’ailleurs, sinon par la voix de leur président, et la mimique d’un jeune aviateur, dont la mâchoire furieuse remâche une
24 ère de fauve en cage — mais il n’y a pas de cage. Et chacun sait qu’au bout du compte il y aura un an de prison pour ce ga
25 il y aura un an de prison pour ce garçon sérieux et maître de lui, qui sourit parfois doucement derrière ses lunettes d’é
26 crasse hypocrisie par la bureaucratie bourgeoise et militaire qu’ils engendrèrent légitimement. Il fallait voir comment c
27 ette enceinte » un petit air anarcho ou pleurard… Et l’on parla pourtant de la conscience morale. On en parla, bien sûr, c
28 n sûr, comme d’une de ces célébrités respectables et séniles dont le nom sert encore de recommandation (pour ceux qui croi
29 ui croient aux « relations »). Cette vertu laïque et démodée, confectionnée par les idéologues de la Troisième République,
30 quelque prestige. Un je ne sais quoi de rassurant et d’avouable, qui fait qu’on invoque son nom dans tous les cas où il s’
31 mêle un jour de s’affirmer par une personnalité, et par là même de ne plus coïncider avec les intérêts, les habitudes de
32 er avec les intérêts, les habitudes de la classe, et la voilà jugée, raillée, emprisonnée — accusée d’attenter à la « caus
33 les idéaux pour lesquels nous nous ferions tuer, et les buts de ceux qui nous feraient volontiers tuer. Jean-Richard Bloc
34 rapport de trahison entre la religion chrétienne et la religion de l’Écho de Paris. « Nous avons proposé un maître à ce j
35 « que l’on n’est pas ici pour parler de théologie et de subtile philosophie ». André Philip, défenseur de Martin, lui répo
36 nce : « C’est faux ! Vous faites de la théologie, et vous ne faites même que cela ; c’est une tout autre théologie que la
37 e lâcheté entre les formes de la justice actuelle et les fins que lui assigne l’« ordre » bourgeois. Une manifestation com
38 les témoignages apportés, la plaidoirie puissante et prophétique d’André Philip ont posé au régime la question de confianc
39 lip ont posé au régime la question de confiance ; et qu’ils l’ont posée sur un plan où nul arrêt de la justice humaine dés
3 1933, Esprit, articles (1932–1962). Comment rompre ? (mars 1933)
40 1933)d Le faux rapport entre le christianisme et le christianisme de la chrétienté réside en ceci, que le christianism
41 l’Éternité, pense continuellement à l’Éternel, —  et que la chrétienté ensuite parle de la même façon, mais pense à cette
42 siècles de lutte sourde entre ces deux vouloirs, et tant que dure la lutte le christianisme vainc : sa victoire est d’êtr
43 nt à croire qu’il est une autre façon de vaincre, et que c’est de réduire l’adversaire à une paix avantageuse, à une paix
44 ale, — qu’enfin ils la bénissent, la sanctifient, et en son nom rendent grâces au ciel, alors éclate le scandale, car alor
45 la rendormir, mais en vain : elle s’est fait mal, et la douleur tient réveillé. On a essayé de nous faire croire que cet «
46 une chrétienté qui, loin d’avoir maudit la guerre et surtout ce qui l’a permise, prétend encore dominer sur l’Europe, et n
47 l’a permise, prétend encore dominer sur l’Europe, et ne peut maintenir cette apparence de règne qu’en confondant scandaleu
48 ienté ! Car ce cri est le témoignage d’un réveil. Et quand bien même il ne serait poussé que par quelques-uns, rien ni per
49 e fois qu’il est porté, rétablit le christianisme et sa nouveauté menaçante. ⁂ Que la passion qui nous arrache ce cri, nou
50 qui nous arrache ce cri, nous rende aussi lucides et efficaces ! Nous voulons rompre, et nous savons qu’il y faudra de la
51 aussi lucides et efficaces ! Nous voulons rompre, et nous savons qu’il y faudra de la violence. Mais où porter le coup ? q
52 r elle n’a pas pu se faire entre le christianisme et l’injustice de ce monde, l’un n’existant que pour autant qu’il exclut
53 èrent comme un privilège, le perdent par là même, et dérogent, mais s’obstinent à porter un titre désormais irrecevable. C
54 yants, l’élément le plus voyant, le plus officiel et le plus puissant de la chrétienté, — il n’est pas le christianisme, e
55 e la chrétienté, — il n’est pas le christianisme, et ce n’est pas à lui de rompre avec l’injustice dont il s’est fait le s
56 e avec l’injustice dont il s’est fait le soutien, et qui, depuis, assure son succès relatif. Une église « établie » établi
57 établissant à son tour un ordre injuste du monde et s’appuyant sur lui, en réalité n’est plus l’Église et n’a plus le dro
58 ’appuyant sur lui, en réalité n’est plus l’Église et n’a plus le droit de parler ; elle n’est plus qu’une précieuse auxili
59 un appel aux églises en tant que corps constitués et officiels1. Non, en présence du scandale de la chrétienté embourgeois
60 e la chrétienté embourgeoisée, patriotarde, riche et peureuse, les églises auraient beau multiplier les manifestations pub
61 ues, les vœux, les résolutions, les protestations et les collectes, elles ne pourront qu’attester par là même qu’elles ne
62 rupture, qu’elles ont passé au camp de l’ennemi, et depuis si longtemps qu’elles parlent maintenant sa langue, adoptent s
63 optent ses préjugés, singent ses pires faiblesses et bénissent ses canons. Bien moins encore que tout cela, nous attendons
64 Nous n’attendons rien d’aucun acte délibéré, pesé et calculé, tendant à désolidariser la « chrétienté » du désordre établi
65 solidariser la « chrétienté » du désordre établi. Et pourquoi ? Parce que c’est tout à fait impossible, parce que la « chr
66 ble, parce que la « chrétienté » est sécularisée, et qu’on ne peut demander à ce siècle de rompre avec lui-même, de s’arra
67 t se produire qu’entre le christianisme véritable et cette « chrétienté » qui s’en réclame encore au moment où elle le tra
68 oment où elle le trahit. Telle sera donc la forme et tel sera le premier lieu de la rupture nécessaire : la dénonciation d
69 aurions mal dirigées, compromises par maladresse, et que nous pourrions, par exemple, dégager de leurs complicités avec le
70  ? Car d’une part il ne peut pas la compromettre, et ce qu’il compromet, c’est toujours autre chose. Mais d’autre part, et
71 t, c’est toujours autre chose. Mais d’autre part, et pour la même raison, il ne peut s’en targuer pour fonder un « ordre c
72 s’en targuer pour fonder un « ordre chrétien » ; et s’il le fonde, c’est en réalité sur une tout autre force que celle de
73 la foi. Ce peut être sur une éthique de puissance et de service ; ou sur une éthique de bonheur ; ou sur un idéal humanita
74 ordre chrétien » ont été plus ou moins réalisées, et constituent dans leur ensemble, du Moyen Âge à l’Amérique moderne, la
75 e dont nous avons à dénoncer l’origine permanente et les manifestations actuelles. ⁂ Ne nous excusons pas d’avoir recours
76 es, puisque précisément, à l’origine du désordre, et plus encore dans son établissement, nous trouvons ce désir trop humai
77 eu de sa décision n’est pas le lieu des décisions et des calculs humains ; il est à l’intérieur de la religion. Les église
78 icter un « ordre chrétien », se fondaient toutes, et se fondent encore, sur une conception antichrétienne de la foi. La fo
79 force que l’Église aurait, une fois pour toutes. Et cette possession serait en quelque sorte garantie par des institution
80 es, se faire un avoir de la Pauvreté évangélique, et bientôt ne plus vivre que sur les intérêts de cet avoir. Mais si la f
81 térêts de cet avoir. Mais si la foi, don de Dieu, et gratuit — « afin que nul ne se glorifie » — est une participation ins
82 participation instantanée à l’éternel, elle juge et condamne ceux-là d’abord qui s’en réclament. Et c’est pourquoi il y a
83 e et condamne ceux-là d’abord qui s’en réclament. Et c’est pourquoi il y a un imposteur dans tout homme qui se dit chrétie
84 t son plan sans se soucier de la justice de Dieu. Et la voix du prophète s’élève contre l’Église : « Tes amis t’ont jouée,
85 qui mangeaient ton pain t’ont dressé des pièges — et tu n’as pas su t’en apercevoir ! — Toi qui t’assieds sur les hauteurs
86 apercevoir ! — Toi qui t’assieds sur les hauteurs et qui dis en toi-même : Qui me précipitera jusqu’à terre ? — Quand tu p
87 proche pour toutes les nations. » (Abdias II, 3-4 et 15). Ils ont prétendu rendre à Dieu ce qu’en réalité ils rendaient à
88 théologie se fait servante de la chose publique. Et que voit-on dès lors ? Présentement ? — On voit des Georges Goyau et
89 lors ? Présentement ? — On voit des Georges Goyau et autres « croyants » décorés, s’indigner de ce que les sans-Dieu parle
90 confisquer à leur profit « la primauté du Christ et celle de l’Europe 3 ». L’on voit des von Papen, délégués par l’indust
91 ques asperger des croiseurs, un Te Deum à Londres et un autre à Berlin pour célébrer le même massacre. On voit une nuée de
92 r le même massacre. On voit une nuée de piétistes et de bigots, demeurer agressifs dans leur volonté de confondre la moral
93 rale petite-bourgeoise avec les ordres de la foi. Et l’on a vu Babitt. Mais n’allons pas chercher si loin. Ouvrons un jour
94 sme qu’il décrit ainsi : « Dans cette philosophie et cette morale est délibérément supprimée toute idée de liberté, toute
95 , toute idée de propriété, toute idée de patrie… [ et l’énumération se poursuit jusqu’à ceci ] : Chose plus atroce encore,
96 s nous écrivent des romans contre le bolchévisme, et l’on donnera 50 000 fr. au mieux pensant. Et Figaro de conclure : «
97 sme, et l’on donnera 50 000 fr. au mieux pensant. Et Figaro de conclure : « En terminant, l’éminent religieux déclara qu
98 r à la sauvegarde des hautes valeurs spirituelles et des vérités saintes que l’Académie d’éducation et d’entraide sociale
99 et des vérités saintes que l’Académie d’éducation et d’entraide sociale a pour mission de servir et de faire rayonner. » —
100 on et d’entraide sociale a pour mission de servir et de faire rayonner. » — L’idée de propriété, l’idée chrétienne5, les h
101 e crois pas à vos paroles, chrétiens menteurs ! —  et je lui répondrai : Ta révolte est la mienne, mon humaine révolte. Mai
102 ’injustice établie. Tu ne crois pas à ces paroles et tu fais bien, même si tu en souffres ; mais j’ai encore plus à souffr
103 uelles régions spirituelles dont tout leur être — et cette maladie même ! — prouvent l’inexistence ou la disparition. On l
104 re connaissance de l’homme que l’on trahit ainsi, et , comment cette tactique, encore qu’inconsciente, lie partie sous-main
105 ion ecclésiastique, qui aujourd’hui prétend durer et se défendre contre le monde soulevé. Étrange illusion, certes, puisqu
106 Car le péché n’est pas le dérèglement de la chair et du sang, mais le consentement de l’esprit à ce dérèglement8 ». Et pou
107 le consentement de l’esprit à ce dérèglement8 ». Et pourtant, nous n’avons jamais à dresser notre christianisme contre le
108 uste. Car ce qui manifeste la foi, c’est le choix et non pas le système : il n’est de choix que personnel. Ainsi le rôle d
109 ster de porter sur le monde un jugement permanent et destructeur ; tandis que la révolution dans ce qu’elle a de nécessair
110 e véritable nom de la rupture, son lieu, son mode et son enjeu total : rétablir à chaque instant le christianisme, dans sa
111 uveauté prophétique, tel est l’Acte — le seul ! —  et tel est aussi le mystère ; car cette seule Rupture effective surpasse
112 1. L’Église « corps du Christ », en théologie ; et en réalité : corps officiellement constitué dans la Troisième Républi
113 ement constitué dans la Troisième République… 2. Et non pas au nom d’un « ordre social chrétien qui s’opposerait au désor
114 rien d’autre qu’un événement, un drame entre Dieu et l’homme. 6. Parce qu’on ne peut pas le défendre, cela n’a aucun sens
115 ’on ne peut pas le défendre, cela n’a aucun sens, et ceux qui prétendent le défendre mentent, et ne défendent que leur esp
116 sens, et ceux qui prétendent le défendre mentent, et ne défendent que leur esprit. On sait ce que c’est que l’esprit, en c
4 1933, Esprit, articles (1932–1962). Protestants (mars 1933)
117 Si le christianisme primitif est une révolution —  et la plus profonde de toute l’histoire —, le protestantisme se doit d’ê
118 débarrassé de tous les adoucissements dogmatiques et compromis ecclésiastiques, sans cesse renaissant dans la chrétienté.
119 nt devenues les officines d’un conformisme social et politique plus scandaleux encore que celui des églises catholiques, p
120 il se trouve condamné par la dogmatique réformée, et plus encore par la révolte de la foi réformée contre toutes les « syn
121 porte à croire que l’Amérique, demain, l’imitera, et même la France, si les questions économiques et sociales y prennent u
122 , et même la France, si les questions économiques et sociales y prennent un jour l’acuité qu’elles ont, depuis la guerre,
123 ür den Sozialismus sont des éléments protestants, et leur maître, Paul Tillich, exerce par ailleurs une influence intellec
124 ns européennes — dans le domaine du service civil et des camps de travailleurs. Mais les tentatives de rupture proprement
125 giques nous paraissent encore plus significatives et plus riches de possibilité. On a souvent reproché à la « théologie di
126 oché à la « théologie dialectique » de Karl Barth et de ses amis de justifier une sorte de désintéressement radical à l’en
127 ment radical à l’endroit des problèmes politiques et sociaux. La parution coup sur coup, de trois livres importants de Gog
128 e trois livres importants de Gogarten, de Brunner et de de Quervain sur la « théologie politique » fait justice de ce repr
129 théologie politique » fait justice de ce reproche et démontre une fois de plus que le paradoxe de la « politique du pessim
130 e tous les problèmes de l’heure avec une lucidité et un courage intellectuel qu’on rencontre rarement chez les écrivains p
131 » que systématique, sa doctrine pourrait éclairer et aérer beaucoup de nos polémiques byzantines autour du marxisme. Il le
132 rande majorité des ouvriers parle de Jésus-Christ et de l’Église comme de deux choses qui n’ont rien en commun. » Il const
133 promulguant des règles sur le dimanche, l’alcool et la moralité, mais qu’elle s’est arrêtée au moment où il semblait qu’e
134 rotestantisme américain de son piétisme optimiste et moralisant. Mais qu’entendent-ils par « christianisation, de l’ordre
135 sation de l’Évangile impliqué dans leur attitude, et qui les ferait retomber dans les vieilles erreurs du capitalisme puri
136 ement tout récent qui s’intitule Economic Justice et à la tête duquel on retrouve Jerome Davis et Francis A. Henson. Le bu
137 tice et à la tête duquel on retrouve Jerome Davis et Francis A. Henson. Le bulletin très vivant que publient ces jeunes ho
138 eunes hommes a pris pour tâche de faire connaître et de critiquer toutes les tentatives réformistes ou révolutionnaires ch
139 ses collaborateurs des noms d’évêques socialistes et d’essayistes à tendances philo-marxistes tels que Reinhold Niebuhr. O
140 l’un des personnages les plus influents du Japon, et l’on n’a pas oublié son fameux message aux peuples chinois, publié à
141 blié à Tokyo pendant le bombardement de Shanghai, et qui lui valut des menaces de mort. Plus radical que les socialistes,
142 xistes dont il rejette le matérialisme méthodique et le goût pour la violence dictatoriale. ⁂ En France, ce mouvement mond
143 otestantisme, s’attarde aux solutions réformistes et pacifistes, et n’a pas tenté jusqu’ici d’édifier une doctrine origina
144 ’attarde aux solutions réformistes et pacifistes, et n’a pas tenté jusqu’ici d’édifier une doctrine originale. Elle semble
145 tendu foncier touchant le problème de la violence et que seul parmi ses collaborateurs, André Philip tranche avec netteté,
146 e dans le mince bulletin du groupe Hic et Nunc , et dans certains articles du Semeur , organe de la fédération chrétienn
147 germe d’un mouvement qui demain peut se préciser et s’amplifier. Signalons enfin la revue internationale de la Fédération
148 ) Carlo Predella (Italie), N. Stufkens (Hollande) et F. Heuson (Amérique). C’est un document de premier ordre sur la « rup
5 1933, Esprit, articles (1932–1962). Loisir ou temps vide ? (juillet 1933)
149 que le « spiritualisme » du siècle dernier mérite et conditionne le « matérialisme » de ce siècle, de même que cette sépar
150 siècle, de même que cette séparation de l’esprit et de la matière dénature et dégrade à la fois l’esprit et la matière, e
151 séparation de l’esprit et de la matière dénature et dégrade à la fois l’esprit et la matière, et risque, à la limite, de
152 la matière dénature et dégrade à la fois l’esprit et la matière, et risque, à la limite, de les priver de toute raison d’ê
153 ture et dégrade à la fois l’esprit et la matière, et risque, à la limite, de les priver de toute raison d’être efficace, —
154 s priver de toute raison d’être efficace, — ainsi et parallèlement, de la corruption spirituelle des loisirs est née la pr
155 e amère contradiction : labeur forcé ou inaction. Et tout devient prétexte à récriminations : « je turbine » ou « je ne fo
156 e qui nous rabat au sol. L’homme dit « j’agis », et il trouve dans l’acte sa mesure, son rythme et sa joie. Une totalité.
157 », et il trouve dans l’acte sa mesure, son rythme et sa joie. Une totalité. Et s’il divise alors le temps de ses journées,
158 e sa mesure, son rythme et sa joie. Une totalité. Et s’il divise alors le temps de ses journées, c’est pour mieux dominer
159 gagne » ou « Je produis », ou bien « Je chôme », et ce sont autant de ruptures et de séparations hargneuses, de constats
160 bien « Je chôme », et ce sont autant de ruptures et de séparations hargneuses, de constats d’injustice, d’isolement et d’
161 hargneuses, de constats d’injustice, d’isolement et d’impuissance. La division de nos journées en 8 heures de travail et
162 a division de nos journées en 8 heures de travail et 8 heures de loisir est une dérision brutale des rythmes créateurs. El
163 oir follement décrétées autonomes : la production et la consommation. Cette division n’est pas humaine. Elle nous asservit
164 té du travail Les nécessités anonymes naissent et grandissent à la mesure exacte de nos démissions personnelles : genès
165 raît très supérieure. Les singes gagnent leur vie et ne font pas d’histoires. Ils ne font pas tant de publicité et de plan
166 as d’histoires. Ils ne font pas tant de publicité et de plans quinquennaux. Leurs moyens sont plus simples, plus élégants.
167 icielle de la Troisième République, de l’Amérique et des Soviets. Nous croyons ici que la dignité de l’homme consiste à me
168 ituel » n’a pas d’autre sens pour nous. Bourgeois et marxistes partent de la nécessité du gain, — gagner sa vie. Nous part
169 ragique l’opposition toute relative du communisme et du capitalisme. ⁂ Ils partent donc de la nécessité. Ils n’arriveront
170 eau l’intensifier10 : la tâche grandira d’autant. Et la tristesse. « Le temps vuide » Il semble que la condamnation
171 Je gagne mon bifteck » — de la morale bourgeoise, et de l’idéalisme socialiste, démocratisation du confort moyen et de la
172 isme socialiste, démocratisation du confort moyen et de la TSF dans un monde où le libre divertissement de chacun sera la
173 oisir qui découlent de cette erreur spirituelle ; et principalement la conception abstraite et négative qui sévit aujourd’
174 uelle ; et principalement la conception abstraite et négative qui sévit aujourd’hui. On peut en dater l’origine. Dans l’En
175 . Mais nous savons le vrai nom du « temps vuide » et c’est chômage. Tout le mal est venu d’une séparation, d’une disjoncti
176 ne est symbolisé par cette disjonction du travail et du loisir, dont il faut maintenant déceler la lâcheté originelle. Car
177 le loisir est simplement le contraire du travail, et son but ; si le labeur et le repos n’ont plus de finalité commune ; s
178 e contraire du travail, et son but ; si le labeur et le repos n’ont plus de finalité commune ; s’il n’y a plus de loisir d
179 qui les confronte, il n’y a plus que du désordre et des souffrances pour le corps qui les subit. L’acte ordonnateur, o
180 r cartésianiste11, la séparation de la « pensée » et de l’« action ». Nous réapprendrons à penser en hommes responsables,
181 ravail, ce n’est pas le loisir, mais la création. Et le but du loisir, ce n’est pas la jouissance, mais la création. Nous
182 ’avons pas le goût du vide. Par cet acte, travail et loisir retrouveront leur commun sens : dans l’actualité de l’être, où
183 homme tendu assume dans ses desseins la nécessité et le jeu, les combinant selon sa loi pour créer un risque nouveau. Le t
184 risque nouveau. Le temps de cet homme est plein, et nul n’y pourrait distinguer des heures « creuses » ou des efforts sté
185 douleur, non plus que sans volupté. Mais le sens et la fin seuls importent, et fondent l’œuvre en dignité. Dignité du tem
186 volupté. Mais le sens et la fin seuls importent, et fondent l’œuvre en dignité. Dignité du temps de l’homme. ⁂ Un jour, l
187 be ». — « Il me faut vingt ans », dit le peintre. Et pendant vingt ans, l’empereur subvient à l’existence du peintre. Cepe
188 es pinceaux ». On fait cela, on déroule une soie. Et d’un seul trait miraculeux…   P.-S. — Cette histoire de la Chine se s
189 ordre, immédiatement consécutif, des institutions et des lois, je ne vois rien de plus néfaste que la fameuse législation
190 , de satisfaire les exigences artificielles. 11. Et non pas cartésienne, comme on le dit souvent. f. Rougemont Denis de
6 1934, Esprit, articles (1932–1962). Préface à une littérature (octobre 1934)
191 ittérature (octobre 1934)g D’un présent confus et mauvais, qu’allons-nous tirer, mes amis, sinon la négation d’un mal,
192 nous tirer, mes amis, sinon la négation d’un mal, et ce n’est pas encore le bien sauveur ! Voici notre erreur perpétuelle 
193 devra son éclat moins à lui-même qu’à nos ombres, et moins à sa jeunesse incomparable qu’au souvenir récent de nos décrépi
194 u’anathème au présent, où serait notre création ? Et si l’ordre que nous voulons n’était rien d’autre que la subversion du
195 blesses, non point pour les confondre éloquemment et périr ensuite avec elles, mais pour restaurer le pouvoir qui nous dés
196 igne en même temps les méfaits du désordre établi et le principe vivant du nouvel ordre. Ce pouvoir, nous le connaissons,
197 ns. Mais cette mesure est peut-être assez faible. Et c’est pourquoi nous avons tant de peine à définir et nommer clairemen
198 c’est pourquoi nous avons tant de peine à définir et nommer clairement les maux dont nous souffrons, et le bien qui nous l
199 t nommer clairement les maux dont nous souffrons, et le bien qui nous les révèle. En vérité, nous connaissons bien mieux c
200 usieurs générations mener cette course épuisante, et s’abattre à la fin dans les colonnes des magazines de gauche, pâture
201 ue l’on sache d’abord au nom de quoi l’on parle ! Et qu’on le dise ! Toute la bassesse de la « littérature » moderne se ré
202 en dire. Elle n’est occupée qu’à « bien » dire, —  et c’est pourquoi elle parle mal. Or ceux qui l’ont attaquée jusqu’ici n
203 ns la fin d’un art au nom de ce qui juge l’art, —  et le recrée. Nos griefs ne sont pas littéraires ; ils sont, ils veulent
204 ois aime leurs œuvres, parce qu’il s’y retrouve ; et le peuple les aime, parce qu’elles décrivent ses désirs réalisés. Cet
205  »12, pour éviter, en fait, de résoudre le drame. Et c’est la bonne conscience idéaliste du régime. « Littérature », opium
206 incroyants. Notre troisième espèce est plus rare, et vaut un peu mieux, si l’on estime ses seuls moyens. Elle comprend la
207 es, ceux qui méprisent la vie bourgeoise, l’amour et le mariage bourgeois, l’idéalisme romantique, la croyance vulgaire au
208 ux qu’il ne saurait le faire ses propres révoltes et ses rêves. Ils lui en font une espèce de gloire. Le voilà justifié da
209 igueur obstinée. Nous pourrions simplifier encore et dire : il y a d’une part les moralistes bourgeois — mais personne ne
210 nfluencent au hasard, entraînent les jeunes à hue et à dia, lancent des modes, les renient, se persuadent de l’importance
211 nne bourgeoisie a perdu tout prestige à nos yeux. Et les critères « nouveaux » de l’immoralisme bourgeois trahissent la dé
212 arle plutôt que de celui dont il faudrait parler, et qu’on ignore. Elle ne juge plus : elle traduit la rumeur des salons,
213 tère général qui nous permît d’évaluer les œuvres et leur influence sur les hommes, je crois bien qu’il faudrait le cherch
214 aujourd’hui dans une science que je n’aime guère, et qui s’appelle la sociologie. La grande faiblesse de la littérature ac
215 marxistes. « L’art pour l’art » reste sa méthode, et lui tient lieu de justification ; or cette doctrine est proprement bo
216 ce, en fait, des valeurs établies ; liée, en fait et par ses conséquences pratiques, à l’établissement des bourgeois. Mais
217 t dire enfin que c’est l’homme en tant qu’homme — et pas seulement le non-bourgeois — qui pâtit du désordre établi. Notre
218 ité, tombent sous le coup des lois publicitaires. Et la publicité traduit les exigences d’une classe bourgeoise très capri
219 é intérieure, — c’est-à-dire sans message positif et populaire — n’ait été finalement utilisée par des puissances qu’elle
220 e visée humaine, elle n’est plus que littérature, et les fameuses « valeurs » littéraires, on sait qu’elles sont de peu de
221 l’imprévisible Une littérature n’est valable — et son influence efficace — que si elle ordonne ses œuvres à une commune
222 de l’ère finissante ne sont plus que malentendus, et la seule convention qui subsiste, c’est de les accepter pour tels. « 
223 te, c’est de les accepter pour tels. « Philosophe et guerrier, écrit Rudolf Kassner, n’ont presque plus en commun que des
224 ature de ces banalités ? L’aventure du romantisme et l’équivoque libérale ayant rapidement achevé de disqualifier l’esprit
225 e reste à nos « hommes d’action » d’autres normes et d’autre mesure que l’argent, ce symbole unique de la puissance sans v
226 er qu’il n’y a plus de mesure commune à la pensée et à l’action, — hors la monnaie. Un monde sans mesure, comme le nôtre,
227 a mesure de tout soit désormais dans la personne, et non plus dans les intérêts d’un pouvoir ou d’une classe, voilà bien l
228 atique, si l’on entend ce terme au sens originel, et non point au sens dévié de l’individualisme politique. « Dernière heu
229 connaissent la mesure connaîtront bientôt l’ordre et la culture que nous voulons. Nous rejoignons ici le propos de ces pag
230 il se concrétise en relations de responsabilité. Et voilà bien le seul fondement d’une communauté vivante. L’écrivain ser
231 tant plus personnel, d’autant plus responsable, —  et d’autant plus profondément enraciné dans la commune condition humaine
232 littérature rénovée, qu’aurions-nous la témérité et la naïveté de prévoir ? On ne prévoit pas un chef-d’œuvre, et la litt
233 é de prévoir ? On ne prévoit pas un chef-d’œuvre, et la littérature, c’est d’abord les chefs-d’œuvre. Mais avant l’œuvre,
234 e désir invoque. Je vois un grand dessin véhément et humble de Rembrandt, des amas d’ombres grouillants d’êtres révélés et
235 dt, des amas d’ombres grouillants d’êtres révélés et saisis par le droit flot de la lumière, les replis de la vie quotidie
236 ouillés comme un cauchemar par le brusque soleil, et l’homme au centre, campé dans sa stature réelle, ouvrant les yeux sur
237 unit dans un même regard les apparences actuelles et l’ordonnance finale qui les informe et qui les juge. J’imagine d’abor
238 actuelles et l’ordonnance finale qui les informe et qui les juge. J’imagine d’abord ce réalisme comme une énorme satire à
239 jaillir à la moindre comparaison de nos coutumes et de nos idéaux. Il nous faut une équipe d’écrivains qui entreprennent
240 i avec les buts qu’ils croient viser, d’une part, et d’autre part avec les buts qui leur sont réellement assignés par leur
241 ls ont en tête trente-six morales contradictoires et autant de modèles qu’ils voudraient égaler, et cependant ils suivent
242 es et autant de modèles qu’ils voudraient égaler, et cependant ils suivent la coutume bourgeoise, qui est la négation de t
243 e genre, minutieuse confrontation de l’idéal rêvé et du sordide quotidien. Mais Joyce est justement le plus parfait exempl
244 ensée bourgeoise, vice qui le lie au monde ancien et le condamne à passer avec lui : il décrit l’anarchie intime de l’homm
245 ature romanesque décrit depuis cent ans nos mœurs et nos malheurs avec une croissante application à la stupidité, j’entend
246 a bourgeoisie n’ose plus défendre ses vrais buts, et préfère parler d’autre chose. Tous nos romans ne sont que diversions,
247 — erreur soviétique. Mais bien à hauteur d’homme, et c’est la vérité personnaliste. Enseigner, c’est rappeler aux hommes l
248 n autant de talent qu’en exige notre littérature, et quelques vertus d’homme et de « penseur » en plus. J’indiquerai trois
249 ige notre littérature, et quelques vertus d’homme et de « penseur » en plus. J’indiquerai trois de ces vertus qui me parai
250 arne, parce qu’elle tiendra la mesure de l’humain et qu’elle créera dans la perspective commune. Restaurer le prestige de
251 engage en puissance notre être tout entier, corps et âme sans distinction. Apprenons à penser comme des hommes responsable
252 bscurcissent ou trahissent les buts de l’écrivain et le séparent de l’humanité. Une littérature personnaliste rétablira la
253 éveloppera naturellement en un art communautaire, et que les moindres œuvres, traduisant même sans talent la vocation auth
254 rendront cette valeur humaine qu’ont les mémoires et « livres de raison » rédigés sans littérature. Voilà qui est banal ?
255 a définition de l’homme. Une nouvelle discipline. Et une nouvelle aisance. 12. Un éditeur introduit en ces termes une c
256 s’assigner des buts constructifs échoue toujours, et fatalement, dans un conformisme nouveau (AEAR). Tout de même qu’une r
7 1934, Esprit, articles (1932–1962). Sur une nouvelle de Jean Giono (novembre 1934)
257 aphies pauvrettes, des « variétés » publicitaires et en général de la littérature de Prisunic ; 3° parce qu’ils flanquent
258 ls flanquent le cafard aux hommes sobres d’esprit et passionnent les indiscrets. Je le dis comme je le sens — parce que je
259 e le sens — parce que je les lis, naturellement — et je vous laisse le soin de me classer, si vous y tenez. Pour être just
260 qui les conte assez mal — Giono s’en mêle trop — et qui a cherché à s’en tirer par ses moyens. Je cite : J’essayai de me
261 disent non à la vie. C’est facile d’être négatif. Et je n’avais pas besoin qu’on m’y aide. Pourquoi n’avez-vous jamais eu
262 la vie, c’est surtout une formule nietzschéenne, et qui signifie chez Nietzsche à peu près le contraire de ce que cette f
263 losophes sont sans cesse repris par les simples — et aussi par les autres, bien sûr — et détournés de leur sens primitif,
264 les simples — et aussi par les autres, bien sûr — et détournés de leur sens primitif, de sorte qu’ils trahissent la pensée
265 dette de reconnaissance à payer à M. Johan Bojer, et s’il était là, je lui ferais ma belle révérence paysanne et je lui di
266 ait là, je lui ferais ma belle révérence paysanne et je lui dirais : — Asseyez-vous. — Et je lui ferais le café, et j’irai
267 nce paysanne et je lui dirais : — Asseyez-vous. —  Et je lui ferais le café, et j’irais lui chercher mon plus beau pot de c
268 ais : — Asseyez-vous. — Et je lui ferais le café, et j’irais lui chercher mon plus beau pot de confitures… Elle voudrait
269 de confitures… Elle voudrait voir aussi Reymont, et Gorki. « Dites, monsieur Gorki, comment avez-vous fait pour savoir ?…
270 is vous citer non seulement à cause de sa beauté ( et parce qu’il faut faire un sort à ces choses-là quand on en trouve), m
271 ient avec des automobiles, des divans, des hommes et des femmes qui couchaient tellement ensemble qu’ils en étaient perpét
272 par les pauvres. Non. Vous me laissez désespérée et sans secours devant le féroce maraudeur rouge. — D’autres sont venus,
273 res de mon logis, l’autre jour, pressé de rentrer et ne disposant d’aucun moyen rapide, je hèle une auto. Le conducteur es
274 e en face l’église du village, vous voyez d’ici ! Et toutes les combines que ça amène, ah ! mais alors, vous savez, tout y
275 tout y est, c’est attrapé, le curé, la politique et tout15 !… » Les éditeurs s’efforcent de répondre à la demande du publ
276 andent. Mais savent-ils bien ce qu’ils demandent, et pourquoi ils le demandent ? Est-ce que le rôle des éditeurs, mais sur
277 t ? Est-ce que le rôle des éditeurs, mais surtout et d’abord des écrivains, ne serait pas justement de savoir un peu mieux
278 peu mieux que « les gens » de quoi ils ont besoin et ce qu’ils demandent réellement ? Car les gens ne demandent pas ce qu’
279 ne demandent pas ce qu’ils ont l’air de demander, et ce qu’on se montre si pressé de leur donner à bon marché. Ils s’expri
280 abêtis par l’école, par la presse, par les partis et par le cinéma. Mais croyez-vous vraiment que mon bagnolard, mon lecte
281 à sa façon vulgaire, avec son rire insupportable, et fallait-il être bien fin pour le comprendre ? 15. Je n’ai pas suivi
282 15. Je n’ai pas suivi le conseil de cet homme, et n’ai pas lu le livre. Je lui laisse donc la responsabilité du compte
8 1934, Esprit, articles (1932–1962). Définition de la personne (décembre 1934)
283 é des idées défendues par les deux groupes cités ( et qui sont absolument indépendants l’un de l’autre). Cet exposé traduit
284 mer que les objets que nous touchons de nos mains et voyons de nos yeux soient du tout plus concrets que l’acte qui consis
285 us concrets que l’acte qui consiste à les toucher et à les voir. Car un objet que personne n’a vu ni touché appartient à l
286 her, ou à la connaissance, une réalité suffisante et détachée de toute action particulière. (Ainsi rêve l’idéalisme.) Pour
287 tant où elle rencontre une occasion de s’exercer, et la saisit. Par ces deux phrases, nous n’avons pas encore défini le co
288 x équations dont le concret constitue l’inconnue, et décrit la manière dont l’entendement le prévoit. Peut-on vraiment fai
289 nement seul a la vertu de concrétiser le concret, et de manifester à l’évidence son mystère. Or l’événement ne naît jamais
290 cende nos définitions. Elles sont jugées par lui, et non point lui par elles. Et c’est de lui qu’elles tirent leur justifi
291 sont jugées par lui, et non point lui par elles. Et c’est de lui qu’elles tirent leur justification, et non l’inverse. En
292 c’est de lui qu’elles tirent leur justification, et non l’inverse. En d’autres termes, lorsque nous parlons du concret, n
293 poser, transforme l’équation sujet en vrai sujet, et l’équation objet en vrai objet. 2. Le concret, c’est la présence d
294 tout au contraire, il les révèle bien distincts, et agissant chacun à leur manière ; car autrement, où serait l’événement
295 oquer aucune présence. C’est là le rôle du sujet, et sa nature. La manière d’être du sujet est essentiellement provocante.
296 qui lui donne occasion de manifester son pouvoir. Et son angoisse est de n’en pas trouver ; sa joie, de provoquer le corps
297 n lui qui le pousse à chercher ce dont il manque, et n’a pas d’existence. Il ne devient objet que lorsque j’en fais mon ob
298 ’est le moment de la présence de l’homme au monde et à soi-même conjointement. Et c’est ainsi que le concret naît d’une dé
299 de l’homme au monde et à soi-même conjointement. Et c’est ainsi que le concret naît d’une décision de l’homme provocateur
300 e l’angoisse est le signe de son absence au monde et à soi-même. Dire que l’homme est, concrètement, c’est dire qu’il souf
301 homme est, concrètement, c’est dire qu’il souffre et qu’il jubile, — qu’il agit. C’est pourquoi ils se trompent du tout, c
302 parlent n’est pas un homme, mais une chose faible et petite dont ils ignorent la nature. Ceux qui calculent avec les homme
303 Les lois qu’ils imaginent sont celles de la mort, et d’abord de leur propre mort. Car l’essence de l’homme, en tant qu’hom
304 culable, si l’homme est un événement, une rupture et une création, un fauteur de nouveauté pure, un poseur de questions, u
305 uté pure, un poseur de questions, un « prochain » et non pas un problème à résoudre à distance ; en un mot, si l’homme est
306 ies échouent dans leur effort pour décrire l’acte et rendre compte de ses déterminations suffisantes. Ce qui revient à rec
307 gulier, c’est-à-dire de l’inhumain (à la limite), et c’est encore à dire qu’une « science de l’homme » qui se veut puremen
308 celle de l’homme abstrait dans l’ordre politique. Et l’extension de cette science mesure assez exactement l’ampleur de not
309 exactement l’ampleur de notre défection au monde et à nous-mêmes. Dans l’homme entièrement humain, il n’y aurait pas plac
310 e est liée à l’angoisse, c’est-à-dire à l’absence et au recul devant l’acte. Dans l’homme entièrement humain, tout serait
311 ain, tout serait histoire, présence, illustration et non explication, incarnation et non concept. Mais la psychologie fait
312 nce, illustration et non explication, incarnation et non concept. Mais la psychologie fait de l’homme son « objet », et pa
313 ais la psychologie fait de l’homme son « objet », et par là même le déshumanise. Elle pose l’homme comme un problème, et p
314 déshumanise. Elle pose l’homme comme un problème, et pour autant elle est bien obligée de prendre du recul par rapport à l
315 omme concret : mais alors il n’est plus concret ! Et c’est ainsi que l’existence du psychologue repose sur un sophisme qu’
316 un sophisme qu’il faut qualifier d’inversion pure et simple de l’humain. Le droit usage de l’entendement n’est pas l’étude
317 pur, il ne sera jamais un objet de l’entendement. Et c’est pourquoi rien ne peut l’expliquer. Mais qu’il paraisse, aussitô
318 e, aussitôt les objets s’ordonnent à sa décision, et deviennent saisissables pour l’entendement. 5. L’acte est la perso
319 sommes agissants. L’acte seul témoigne de l’acte, et joue en nous le rôle de l’homme. C’est lui qui rend l’homme visible à
320 me. C’est lui qui rend l’homme visible à l’homme, et nous sculpte un visage lisible. Sur la scène du monde, où nous avons
321 it sont les acteurs qui jouent leur rôle d’hommes et qui créent leur destin : ceux-là seuls sont les dramatis personae, ce
322 itions de son apparition, j’entends à la présence et à l’engagement : la personne n’est jamais seule, elle est essentielle
323 s l’acteur les provoque autant qu’il leur répond, et la même raison qui fait qu’il est lui-même, fait aussi qu’il n’est pl
324 , tout bien compté, est aussi vaste que le monde, et qu’il n’est pas de réduit si secret où l’on se cache, qui ne soit jus
325 encore que ce drame puisse être qualifié de jeu, et légèrement pris par toute espèce de sceptiques ou d’heureux ignorants
326 ptiques ou d’heureux ignorants, — il est le seul. Et l’on n’en peut sortir sans quitter, du même pas, la vie. C’est pourqu
327 as, la vie. C’est pourquoi le drame est sérieux ; et notre vie n’est pas une farce, pour la simple raison qu’elle est uniq
328 farce, pour la simple raison qu’elle est unique, et qu’on ne peut changer de rôle : on peut seulement refuser de jouer. M
329 igue insaisissable devient tout à coup un acteur, et se met à se comporter tout comme s’il connaissait le fil du drame. D’
330 mes résignés, pour revêtir un vrai visage, un nom et une autorité, une attitude d’auteur de son propre destin ? C’est ce q
331 personne. Ma personne, c’est ma présence au monde et à moi-même conjointement ; aux vrais objets, aux vrais humains, et à
332 jointement ; aux vrais objets, aux vrais humains, et à ma vraie responsabilité. C’est à bon droit, nous l’avons vu, que no
333 font figure de coups de force contre toute raison et causalité claire. Ils sont là en dépit de la forme du monde, et par e
334 laire. Ils sont là en dépit de la forme du monde, et par eux seuls s’opèrent ces transformations qui scandent la durée, qu
335 ité, de cela qui échappe au temps, marque sa fin, et le recrée. De ce mystère, je puis seul témoigner dans l’instant où il
336 is seul témoigner dans l’instant où il me saisit, et seulement en lui obéissant ; car le connaître, c’est le connaître irr
337 ar le connaître, c’est le connaître irrésistible. Et comment ai-je su qu’il venait me saisir ? C’est parce que j’en ai tém
338 alité la raison même, déclare sa permanente crise et ses limites humiliantes. L’éternel est dans le présent, et non point
339 mites humiliantes. L’éternel est dans le présent, et non point dans l’intemporel, parce que l’éternel vient à nous, dans n
340 pas en dehors de l’appel qu’elle nous adresse ici et maintenant, et qui nous meut. Nous avons établi que la présence est l
341 e l’appel qu’elle nous adresse ici et maintenant, et qui nous meut. Nous avons établi que la présence est le fait de l’hom
342 el ne touche le temps que par l’individu en acte, et qui devient à cet instant une personne. L’homme n’est un vrai sujet q
343 a personne est le témoignage d’une vocation reçue et obéie. Je suis personne dans la mesure où mon action relève de ma voc
344 est proprement la sujétion de l’homme à l’éternel et de l’objet à l’homme, on peut dire que la personne est l’impensable i
345 personne pure serait ainsi la coïncidence absolue et manifeste d’une vocation et d’un individu, dans chaque action de cet
346 a coïncidence absolue et manifeste d’une vocation et d’un individu, dans chaque action de cet individu. Ou bien encore l’a
347 u bien encore l’apparition d’une vocation en lieu et place d’un individu. La psychologie de la personne parfaite se réduir
348 gie de la personne parfaite se réduirait purement et simplement à son histoire, à l’énoncé des témoignages visibles qu’ell
349 roblématique. Or, nous nous connaissons complexes et impurs, pleins de problèmes, peuplés de fantômes et séparés par eux d
350 impurs, pleins de problèmes, peuplés de fantômes et séparés par eux de nous-mêmes et du monde. Nous nous voyons dominés f
351 plés de fantômes et séparés par eux de nous-mêmes et du monde. Nous nous voyons dominés fréquemment par les objets que nou
352 ar les objets que nous imaginons sans les saisir, et notre « individu » n’est certes pas le moindre. Dans l’espoir incerta
353 mêmes de notre absence, celles du monde abandonné et qui paraît déterminé de soi, puisqu’il est vu précisément comme n’éta
354 a plupart de nos gestes, loin d’être ordonnateurs et créateurs, sont simplement déterminés par une mécanique impersonnelle
355 utres, d’un procès anonyme étranger à notre être, et que nous baptisons fatalité, parce que nous sommes ses impuissants ob
356 d’hommes, de ce qui nous traite en objets neutres et en objets d’autant moins résistants qu’ils ont cru concevoir, dans ce
357 n raison. D’où vient alors l’idée de la personne, et ce regret d’une dignité que la raison des peuples et des clercs s’acc
358 ce regret d’une dignité que la raison des peuples et des clercs s’accorde à révoquer en doute ? L’imagination de la person
359 le rend concret, c’est-à-dire présent à lui-même et aux autres dans un même élan. Tout acte personnel est participation à
360 ist nous est donné, dit Calvin, « comme substance et fondement de tout », nous avons à connaître cette vérité de la person
361 etenant avec les autres que des rapports distants et virtuels est une contradiction in terminis. L’aspect communautaire d
362 idus libres au terme d’une évolution scientifique et organisée (thèse de Marx et de Lasalle) la conception personnaliste o
363 volution scientifique et organisée (thèse de Marx et de Lasalle) la conception personnaliste oppose mieux qu’un scepticism
364 l’ordre des valeurs établies par le rationalisme et le collectivisme, elle prend pour mesure de tout la présence effectiv
365 mité : l’œuvre, le mariage, la famille, le métier et l’éducation. C’est à la sauvegarde de ces réalités prochaines que doi
366 mes yeux la règle d’or de toute doctrine sociale et politique. Est-ce à dire que le bien de tous doive être mis au servic
367 nne abritée par la loi perde à la fois son risque et son pouvoir de création (démocratie libérale). Le droit de la personn
368 dans l’absolu, mais la fin de tout droit humain, et peut-être son contraire. La formule du rapport social ne doit pas con
369 en s’il n’est pas l’extension naturelle du risque et du concret de l’homme qui se dépasse. Qu’importe l’honneur d’un pays,
370 ion première de la personne, fondement nécessaire et suffisant de toute communauté vivante et progressive. 9. Deux néga
371 cessaire et suffisant de toute communauté vivante et progressive. 9. Deux négations de la personne Et maintenant, si
372 ogressive. 9. Deux négations de la personne Et maintenant, si nous savons ce que nous appelons : personne, si nous s
373 us savons qu’elle est la lumière de nos lumières, et le soleil que rien ne peut décrire, mais qui fait voir le monde et ch
374 rien ne peut décrire, mais qui fait voir le monde et chasse nos fantômes, notre devoir n’est pas de revenir vers les ténèb
375 nes humaines qui s’entrebattent dans la confusion et nourrissent des haines bavardes. Je veux parler ici de deux d’entre e
376 is qu’on voit partout inséparables : matérialisme et spiritualisme. Voici l’aspect de vérité que la personne éclaire en eu
377 me ne se produit en fait qu’au niveau des objets, et que tout ce qui est doit pouvoir être vu, être touché, consister sous
378 qu’il est un corps jeté au milieu d’autres corps, et que c’est un orgueil assez court que de prétendre l’ignorer ; il a co
379 carnation. Il y a une santé dans le matérialisme, et une humilité où la personne retrouve l’un des pôles de sa tension. Pe
380 ritualisme : c’est qu’il nous a fait plus de mal, et que l’erreur matérialiste est bâtarde de ses excès. Ceci pourtant doi
381 tre que l’homme est un sujet (au sens initiateur, et non pas ironique !) et qu’il dépend de lui que l’objet soit ou non pr
382 sujet (au sens initiateur, et non pas ironique !) et qu’il dépend de lui que l’objet soit ou non présent. Mais alors le ma
383 ns des limites objectives. Il veut se garder pur, et reste virtuel. Il se croit maître de tous les objets, mais néglige d’
384 témoigner de notre liberté. Dans le plan d’ombre et d’abstractions, parfois violentes, où se poursuit ce vieux débat, auc
385 emeure abstrait ou impuissant. Dans l’acte, l’une et l’autre se mesurent et se réalisent : la charité de la personne est d
386 issant. Dans l’acte, l’une et l’autre se mesurent et se réalisent : la charité de la personne est d’ordonner ce corps-à-co
387 ou plutôt son lieu naturel, en séparant le corps et l’âme : c’est qu’il les a mal distingués. Du point de vue de la perso
388 tingués. Du point de vue de la personne, le corps et l’âme sont deux aspects de l’homme concret, dont la nature réelle n’a
389 t nos contacts, comme aussi de n’en pas choisir. ( Et c’est dans ce débat qu’apparaît la conscience.) Mais ni le corps de l
390 stance particulière qui le forme, le tient debout et le dirige, ni l’âme n’est humainement imaginable hors de la consistan
391 t imaginable hors de la consistance qui la révèle et l’effectue. Corps et âme sont un seul et même être ; ils naissent ens
392 la consistance qui la révèle et l’effectue. Corps et âme sont un seul et même être ; ils naissent ensemble et meurent ense
393 a révèle et l’effectue. Corps et âme sont un seul et même être ; ils naissent ensemble et meurent ensemble, ils sont une s
394 sont un seul et même être ; ils naissent ensemble et meurent ensemble, ils sont une seule et même « chair ». C’est une étr
395 ensemble et meurent ensemble, ils sont une seule et même « chair ». C’est une étrange erreur que de nommer « esprit » l’a
396 étrange erreur que de rêver l’âme immortelle19 ; et c’est au nom de cette erreur qu’on croit pouvoir séparer l’âme du cor
397 science insinuée comme un retard entre l’individu et sa pressante vocation. L’âme immortelle n’est rien que l’illusion d’u
398 que l’esprit ? Cet esprit qui souffle où il veut, et nous mourons où nous pouvons, cet esprit qui dansait sur les eaux pri
399 , cet esprit qui dansait sur les eaux primitives, et les lois de mon corps sont celles de la poussière ? — Rien, l’esprit
400 la poussière ? — Rien, l’esprit n’est plus rien, et comprendre n’est rien qu’envisager les modes de notre esclavage. — Ju
401 t acte, que soudain j’ai fait ! Car je l’ai fait, et je ne sais rien d’autre. J’ai reçu l’ordre, et ce pouvoir ordonnateur
402 t, et je ne sais rien d’autre. J’ai reçu l’ordre, et ce pouvoir ordonnateur, irréfutablement est là, rendu visible. J’ai f
403 ous, n’est rien — hors la démonstration charnelle et déchiffrable d’une action. Jésus-Christ est le verbe incarné, la voca
404 t de l’avoir obéie dans un instant indescriptible et manifeste. Au commencement était le Verbe, et il demeure l’initiation
405 ble et manifeste. Au commencement était le Verbe, et il demeure l’initiation fondamentale de toute histoire. C’est par le
406 ret cesse d’être une idée, que la personne existe et que l’acte transforme. Ce qui témoigne en moi de l’indicible réceptio
407 , cette mort cachée dans la vie, cette insensible et peu croyable distraction du monstre moi, qui suffit bien à l’éternell
408 nant quelque chose s’est passé, un risque est là, et ma vie est en lui. L’ai-je accepté ? Déjà tout recommence. Car la dur
409 la durée n’ajoute rien à l’éternel. Ce pas petit et triomphal à peine fait, je le reperds si je n’en fais pas un second.
410 ait, je le reperds si je n’en fais pas un second. Et pourtant mon espoir est gagé sur une promesse aussi certaine que ma m
411 gagé sur une promesse aussi certaine que ma mort et que la mort du temps lui-même au Jugement. Ni la foi ne court sur son
412 otalement, parce qu’il est totalement « chair » ; et ce ne sont que des morts qui ressusciteront, non pas des endormis ou
9 1934, Esprit, articles (1932–1962). André Breton, Point du jour (décembre 1934)
413 Le surréalisme s’est présenté comme révolution, et comme tel il a bénéficié pendant plusieurs années, auprès de la criti
414 ntion d’autant plus sympathique qu’il criait fort et bien, mais mordait peu. C’est le surréalisme, en somme, qui demeure r
415 nc mettre une barre sous la rubrique surréalisme, et verser tout cela au compte des profits et pertes d’une « élite » bour
416 alisme, et verser tout cela au compte des profits et pertes d’une « élite » bourgeoise en faillite ? Comptabilité bonne pe
417 x — ont certainement connu le désespoir de vivre, et c’est cela qu’ils ont voulu traduire. Mais c’est cela aussi que l’hom
418 mer un désespoir décoratif, un désespoir postiche et stylisé, à l’abri duquel on pouvait faire encore de la littérature, c
419 est empêtré par le scrupule de ce qu’il se doit ! Et qu’il est attentif à sa propre démarche ! « Il me paraît absolument n
420 peu. C’est très bien de ne pas faire le modeste, et même de prendre de grands airs, si l’on a quelque chose de grand à di
421 par un discours lyrique « sur le peu de réalité » et se termine par des considérations décousues sur quelques résultats ré
422 de transcender ? ) « la distinction du subjectif et de l’objectif ». Idée platonicienne et surtout romantique, et qui vau
423 subjectif et de l’objectif ». Idée platonicienne et surtout romantique, et qui vaut bien qu’on la prenne au sérieux, fût-
424 ctif ». Idée platonicienne et surtout romantique, et qui vaut bien qu’on la prenne au sérieux, fût-ce après ce Schelling d
425 désirée revient en dernière analyse au refus pur et simple d’agir et de créer, j’entends, de se poser comme auteur respon
426 en dernière analyse au refus pur et simple d’agir et de créer, j’entends, de se poser comme auteur responsable de son acte
427 ente son sujet, en partant d’un donné très réduit et de quelques rythmes lyriques, son style est large, ses périodes font
428 s données scientifiques ; sa syntaxe s’embarrasse et s’alourdit dès qu’il aborde une matière tant soit peu résistante par
429 e matière tant soit peu résistante par elle-même, et dont il ne saurait avoir raison en quelques tours de phrases élégants
430 voir raison en quelques tours de phrases élégants et péremptoires, et l’on se demande alors si ce bel « abattage » n’a pas
431 elques tours de phrases élégants et péremptoires, et l’on se demande alors si ce bel « abattage » n’a pas dissimulé, aux y
432 vont-ils reconnaître le sérieux réel de ce jeu ? Et qu’il y va vraiment de tout, c’est-à-dire d’un peu plus que de la plu
10 1935, Esprit, articles (1932–1962). André Rouveyre, Singulier (janvier 1935)
433 r 1935)k l L’amour d’un homme de cinquante ans et d’une jeune femme forme l’unique sujet de cette méditation. Deux être
434 ous ont révélé des dessins cruellement dépouillés et des essais à coup de griffes sur Gide et Balthazar Gracian. La jeune
435 pouillés et des essais à coup de griffes sur Gide et Balthazar Gracian. La jeune femme qu’il aime et qu’il entreprend de c
436 e et Balthazar Gracian. La jeune femme qu’il aime et qu’il entreprend de conduire à la maîtrise de soi-même, il nous en do
437 inutieux, tendre cette fois, d’un trait classique et volontaire. Je ne sais rien de plus émouvant que l’effort vers eux-mê
438 ien de plus émouvant que l’effort vers eux-mêmes, et l’un par l’autre, de ces deux êtres dont la vocation paraît inséparab
439 nventé cela. On peut toutefois ne pas les croire, et le spectacle d’un pareil tragique ne perdra rien de sa grandeur lucid
440 aisse pas un instant de faire sentir qu’il écrit, et l’on aime jusqu’au retors de cette écriture contractée. Dans son prog
441 araudage21. De temps en temps, il change de mèche et recommence aux mêmes points, plus avant. Fermeté de la main, regard s
442 eux pôles de l’être, entre l’énergie exploratrice et le repliement amer. Enfin, un courage sérieux, nietzschéen sans exalt
443 sans exaltation. La lecture d’un tel livre, lente et souvent reprise, donne du cœur à l’intelligence. Et l’austérité tendr
444 souvent reprise, donne du cœur à l’intelligence. Et l’austérité tendre de son « inquisition » rend un sens à l’amour huma
445 e d’aujourd’hui par trop d’indiscrétions excitées et vulgaires. Que dire encore qui fasse un peu sentir la qualité, voisin
11 1935, Esprit, articles (1932–1962). Maurice Meunier, Idoles (février 1935)
446 l’on apprend comment un nommé Jean aima, de loin et à 15 ans, des petites filles ; d’un peu plus près et à vingt ans, une
447 à 15 ans, des petites filles ; d’un peu plus près et à vingt ans, une étudiante ; et pour de bon, deux ans plus tard, une
448 ’un peu plus près et à vingt ans, une étudiante ; et pour de bon, deux ans plus tard, une femme mariée. Enfin il retrouve
449 , une femme mariée. Enfin il retrouve l’étudiante et l’épouse en vitesse au dernier paragraphe. Tout cela d’une vérité pro
12 1935, Esprit, articles (1932–1962). Albert Soulillou, Nitro (février 1935)
450 eur a voulu romancer ce documentaire authentique, et il en a saboté le rythme. Dès qu’il part dans l’idéologie, la critiqu
451 aiblit, la critique littéraire reprend ses droits et proteste une fois de plus contre les poncifs populistes. Ce qui manqu
452 ’un sujet impose sa forme propre, ses proportions et ses « valeurs », dirait un peintre. Il est remarquable que presque to
13 1935, Esprit, articles (1932–1962). Roger Breuil, Les Uns les Autres (avril 1935)
453 rlé le mieux, je crois, avec le plus de sympathie et de pénétration du deuxième livre de Roger Breuil est Marcel Arland. S
454 x, entre des jeunes bourgeois, des jeunes paysans et ouvriers plus ou moins « déclassés » comme le sont aujourd’hui presqu
455 jamais su faire vibrer un tel accord des paysages et des êtres — de ces vastes paysages maritimes des Charentes et de ces
456 — de ces vastes paysages maritimes des Charentes et de ces âmes et de ces corps tout frémissants de nostalgies naïves et
457 s paysages maritimes des Charentes et de ces âmes et de ces corps tout frémissants de nostalgies naïves et de jeunes ruses
458 e ces corps tout frémissants de nostalgies naïves et de jeunes ruses. On sent que Breuil est mêlé de très près à l’existen
459 é de très près à l’existence de ses personnages : et le « nous » qui apparaît parfois dans certains chapitres lyriques — l
460 tre son que le « je » des Vivants : plus complice et plus fraternel. Le défaut de Les Uns les Autres, c’est peut-être qu’i
461 he parfois trop furtive, d’autres fois si précise et heureuse, comment ne pas distinguer avec joie la plupart des thèmes h
462 ens du concret spirituel, cette amitié des hommes et du pays, qui permettra peut-être un jour prochain, de parler de nouve
463 rie. Il y a vraiment du nouveau dans cette œuvre, et c’est à nous plus qu’à quiconque qu’il appartient de le reconnaître.
464 une saison, si j’en crois l’amitié, les visages, et les couleurs si pures qu’il laisse dans le souvenir. o. Rougemont
14 1935, Esprit, articles (1932–1962). Kasimir Edschmid, Destin allemand (mai 1935)
465 e cesserons de protester ici contre la négligence et la frivolité désastreuse de la critique littéraire d’aujourd’hui. Voi
466 nne n’en a parlé : on s’occupait du prix Goncourt et des travaux d’amateurs de quelques dames lettrées. Pourtant, ce roman
467 passions profondes le mouvement hitlérien est né et a pris son élan. C’est une admirable réussite littéraire, c’est aussi
468 ite littéraire, c’est aussi un roman d’aventures, et un roman d’idées, et une description étonnante de l’Amérique qu’il no
469 aussi un roman d’aventures, et un roman d’idées, et une description étonnante de l’Amérique qu’il nous reste à découvrir 
470 que cette patrie pour laquelle ils se sont battus et qui n’a plus la force d’utiliser leurs énergies, est incapable de les
471 parler haut. « Nous avons perdu la guerre, Bell, et dans la situation où nous sommes, nous ne pouvons plus nous affirmer
472 s nous affirmer que par le sacrifice. » Sacrifice et fidélité, voilà ce qui définit leur dernière dignité d’Allemands dans
473 ieuse, profonde, bouleversée, broyée, souffrante, et pourtant fière d’être allemand, de garder la tête haute pour l’Allema
474 llemand, de garder la tête haute pour l’Allemagne et de participer au destin qui lui était échu pour un temps. » Pour un t
475 s une tranchée sous les murs d’un fort brésilien. Et la haute statue de Pillau, le ministre d’Allemagne à La Paz — celui q
476 qui ont écrit les pages héroïques de l’histoire, et non les gens âgés qui possédaient tout. Ces jeunes Allemands qui doiv
477 ble. Car voyez-vous, Bell, rien ne rend aussi dur et aussi ardent que le malheur. Rien ne rend aussi brave et aussi passio
478 i ardent que le malheur. Rien ne rend aussi brave et aussi passionné, aussi modeste et aussi endurant que le malheur. Et r
479 end aussi brave et aussi passionné, aussi modeste et aussi endurant que le malheur. Et rien ne fonde une communauté comme
480 , aussi modeste et aussi endurant que le malheur. Et rien ne fonde une communauté comme le malheur. La communauté des gens
481 je crois le problème central qu’impose ce livre, et l’on admettra bien, quelque opinion qu’on ait sur le point de vue rac
482 lides ; moins intellectuel, moins impressionniste et complaisant dans la description des douleurs physiques. Au total, Eds
15 1935, Esprit, articles (1932–1962). Tristan Tzara, Grains et Issues (juin 1935)
483 Tristan Tzara, Grains et Issues (juin 1935)q Ce livre comporte une partie poétique précieus
484 Ce livre comporte une partie poétique précieuse et somnifère, et une partie critique dont l’intérêt dépasse tout ce que
485 porte une partie poétique précieuse et somnifère, et une partie critique dont l’intérêt dépasse tout ce que les surréalist
486 é jusqu’ici. Il y a là une puissance de réflexion et de synthèse, dont les ouvrages de Breton illustraient glorieusement l
487 271 que « les formes de langage sont… symboliques et sont sujettes aux critiques que l’on est en droit de formuler quant à
488 bulaire disparate, faite de grandiloquence imagée et de copules et incidences abstraites, s’appelant de proche en proche,
489 ate, faite de grandiloquence imagée et de copules et incidences abstraites, s’appelant de proche en proche, mécaniquement.
490 Tzara « l’acte de connaissance, qui est quantité, et que nous désignons sous le nom de poésie ». On peut toujours évidemme
491 poétique ne serait plus qu’un vaste télescopage, et les livres de M. Tzara se réduiraient peut-être, logiquement et en fa
492 de M. Tzara se réduiraient peut-être, logiquement et en fait, à un seul mot. Je force le raisonnement à l’absurde pour fai
493 arisée. Le langage est précisément ce qui sépare, et non ce qui confond. C’est le verbe (qui est acte) qui distingue et ca
494 fond. C’est le verbe (qui est acte) qui distingue et caractérise les choses et les êtres, dans le magma larvaire de la réa
495 est acte) qui distingue et caractérise les choses et les êtres, dans le magma larvaire de la réalité non encore informée p
496 ous ces « barrages », de confondre à nouveau rêve et veille, et de ressusciter le type primitif des sociétés irrationnelle
497 arrages », de confondre à nouveau rêve et veille, et de ressusciter le type primitif des sociétés irrationnelles, « sous u
498 ue. Cette croyance que la vie se fera toute seule et que des « lois » inexorables se chargent de transformer le monde, cet
499 est troublant de constater cette erreur capitale, et stérilisante pour l’action, chez un homme dont la pensée paraît souve
500 mme dont la pensée paraît souvent plus audacieuse et subversive. Tzara critique avec vigueur la poésie de propagande et le
501 ara critique avec vigueur la poésie de propagande et le désir secret de « sécurité » qu’elle trahit. Il veut que l’esprit
502 ahit. Il veut que l’esprit soit un risque (p. 284 et suiv.). Nous le voulons aussi. Mais ce n’est pas là, n’est-ce pas, ce
503 mné Einstein. Il semble bien que ces « barrages » et ce conformisme brutal soient en train de provoquer chez Tzara une pri
504 hez Tzara une prise de conscience toute nouvelle, et qu’à cette réflexion, plus réellement dramatique, l’on puisse attribu
505 travers un nouvel ordre économique, c’est l’homme et sa libération qui en reste l’enjeu et le but ; il serait donc vain et
506 est l’homme et sa libération qui en reste l’enjeu et le but ; il serait donc vain et dangereux qu’au lieu de combattre la
507 en reste l’enjeu et le but ; il serait donc vain et dangereux qu’au lieu de combattre la société actuelle, tout en prépar
508 Denis de, « [Compte rendu] Tristan Tzara, Grains et Issues  », Esprit, Paris, juin 1935, p. 430-433.
16 1935, Esprit, articles (1932–1962). « L’Esprit n’a pas son palais » (octobre 1935)
509 affirmer sa vitalité, sa puissance d’assimilation et de création, le génie de ses ouvriers, de ses artisans, de ses artist
510 rtisans, de ses artistes, de ses « découvreurs », et confronter son effort vers le mieux-être et le mieux-connaître avec l
511 rs », et confronter son effort vers le mieux-être et le mieux-connaître avec l’effort des autres peuples. Dans un cadre ch
512 s autres peuples. Dans un cadre chargé d’histoire et rayonnant de beauté, au bord de la Seine royale, les enchantements et
513 té, au bord de la Seine royale, les enchantements et les tentations feront pâlir les rêves des conteurs. Ce sera, dans la
514 rs. Ce sera, dans la féerie de l’eau des lumières et des couleurs, le ballet vertigineux des ondes. Ce sera aussi la fête
515 acre le triomphe des puissances d’audace ordonnée et de mesure, celles de l’intelligence… C’est dire que l’esprit créateur
516 rquoi la Commission de coopération intellectuelle et la Commission de l’enseignement de l’Exposition demandent que, parmi
517 mmédiat les applications pratiques, la production et le gain, qui, par leurs explorations et leurs découvertes dans le dom
518 roduction et le gain, qui, par leurs explorations et leurs découvertes dans le domaine de la nature, de la vie, de l’évolu
519 s, forme les esprits aux méthodes de la recherche et de la science, qui, au degré supérieur, par ses laboratoires, ses sub
520 ques, des littératures, depuis Lavoisier, Faraday et Champollion, jusqu’aux maîtres glorieux d’aujourd’hui, se sont déroul
521 iècles, ont amené au jour les vérités créatrices. Et , dans cette présentation sous un même toit de ces activités intellect
522 per à Paris, d’amphithéâtres pour les conférences et pour les congrès, il sera, pendant la durée de l’Exposition, le centr
523 hercheurs, toujours prêt à accueillir les savants et leurs découvertes, à ajouter des maillons à la chaîne sans fin. Nous
524 fin. Nous le léguerons à l’avenir comme le témoin et le symbole de notre génération. I. Résidence de l’Esprit dans la c
525 enfin, poser la question en apparence inoffensive et toute pratique, de l’emplacement et de la dotation d’un palais consac
526 e inoffensive et toute pratique, de l’emplacement et de la dotation d’un palais consacré à l’esprit, c’est poser en réalit
527 uestion des relations qu’entretiennent notre cité et la nation des clercs. C’est mettre en discussion l’un des rapports fo
528 la réponse à ces questions dépendront l’existence et l’emplacement du Palais de l’Esprit. Il est clair que de telles quest
529 , dont on sait bien qu’elle est partout chez elle et partout reconnue à des signes certains — et qui donc aurait même l’id
530 elle et partout reconnue à des signes certains — et qui donc aurait même l’idée d’un pavillon de la Richesse ? ou du Succ
531 ce le veut. Mais pratiquement, mais sérieusement, et dans l’intérêt général, ne vaudrait-il pas mieux le mettre à part ? L
532 nt d’une « distinction » tout à la fois flatteuse et rassurante. Et qui sait, ce Palais de l’Esprit ne va-t-il pas « réali
533 inction » tout à la fois flatteuse et rassurante. Et qui sait, ce Palais de l’Esprit ne va-t-il pas « réaliser » un vieux
534 a-t-il pas « réaliser » un vieux rêve positiviste et donner corps à l’utopie d’un sanctuaire de la Pensée laïque ? Il faud
535 hissent un doute infiniment curieux sur la nature et sur le rôle de l’esprit qu’on dit créateur ? Serait-ce donc qu’on ne
536 meux romancier —, à sa place qui est la première, et de l’y mettre en pleine clarté. Cela dit, tout le monde perçoit l’ext
537 ne faible valeur représentative ou démonstrative. Et pourtant, c’est l’esprit qu’il faut honorer, c’est bien à lui qu’il f
538 c’est bien à lui qu’il faut élever un sanctuaire et non à telle ou telle de ses extrêmes applications. L’accord parfait
539 out que le romancier se montrât moins littérateur et beaucoup plus précis dans ses projets que le politicien, sans doute i
540 éponse est simple. L’esprit s’exprime par l’écrit et la parole. Un sanctuaire de l’esprit sera donc un sanctuaire du livre
541 aire de l’esprit sera donc un sanctuaire du livre et de la parole. » Il y aurait donc une bibliothèque et un palais de la
542 de la parole. » Il y aurait donc une bibliothèque et un palais de la parole. M. Duhamel affirmait au surplus que son « san
543 les idées pures, ce ne serait jamais qu’un musée. Et créé par l’État, et contrôlé par lui, ce ne serait jamais qu’un musée
544 ne serait jamais qu’un musée. Et créé par l’État, et contrôlé par lui, ce ne serait jamais qu’un musée des lieux communs d
545 fficilement, mais bien de ceux que l’on enseigne, et qui composent la notion courante de l’esprit pur : ce sont ces lieux
546 sprit pur : ce sont ces lieux communs inoffensifs et soigneusement vidés de toute espèce de « basse » réalité qui alimente
547 éalité qui alimentent les discours des parlements et des académies. La bibliothèque-sanctuaire-ruche active offrirait donc
548 ux visiteurs lassés l’œuvre complet de M. Duhamel et les articles de M. Ducos, reliés « en dur » probablement25. Quant au
549 er « le triomphe des puissances d’audace ordonnée et de mesure » que le Palais-Bourbon, pour les raisons qu’on sait, honor
550 e, sans doute, c’est qu’ils croyaient bien faire. Et personne à ma connaissance n’a mis en question leur sérieux, ce qui p
551 aît remarquable. L’accueil flatteur — ou flatté — et poli qu’on a coutume de réserver à ces délirants pataquès, voilà le s
552  », d’un abandon, voire d’un mépris de la culture et de l’esprit qui marque à son insu l’élite bourgeoise, et confirme sa
553 ’esprit qui marque à son insu l’élite bourgeoise, et confirme sa décadence. Ils me diraient : « Honorer l’esprit pur ? Quo
554 prie ? Quoi de plus naturel que de le célébrer ? Et plutôt que de ricaner, vous que ces problèmes occupent, que ne louez-
555 que ne louez-vous le désintéressement d’un député et d’un littérateur qui se consacrent à la défense du spirituel ? La grâ
556 eur ? » — Je réponds simplement que dans l’action et les écrits des commissaires susnommés, l’utilitarisme grossier trouve
557 résente de l’esprit comble si bien notre paresse, et peut-être certains intérêts, qu’il ne faut pas trop s’étonner de son
558 ont que l’esprit est une espèce de luxe vénérable et volatil, une entité qui plane au-dessus de nos vies, abandonnées, il
559 ordre27. L’esprit paraît d’autant plus spirituel, et partant, d’autant plus respectable, qu’il est plus dégagé du réel, ou
560 atiques ». Laissant entendre ainsi que la science et les arts sont enfermés dans ce dilemme : ou l’esprit pur — comprenez
561 sprit n’est plus que « la poussière des livres », et le « réel », une marchandise. Ils ne voient pas que dès l’instant que
562 prit ne peut être qu’un palais vide, ou un musée. Et les objets qu’on y conservera, et les discours qu’on y « diffusera »
563 e, ou un musée. Et les objets qu’on y conservera, et les discours qu’on y « diffusera » seront aussi peu de l’esprit que n
564 esprit », dans cette entreprise, soit mis à part, et honoré en soi. Un écrivain fameux, gloire du roman français à l’étran
565 it pur ne peut être en réalité qu’un palais vide. Et ce vide que d’ailleurs il qualifie de bibliothèque, ne lui paraît pas
566 facile. C’est que la grossièreté même de l’écart, et le fait qu’on l’ait négligé, me paraissent propres à fixer l’attentio
567 es vieux artisans passionnés du travail bien fait et les conquêtes des humanistes, ouvre les temps modernes et reste la ch
568 onquêtes des humanistes, ouvre les temps modernes et reste la charte de la clarté française, de la recherche scientifique
569 la clarté française, de la recherche scientifique et de la raison universelle, donnera à notre Exposition son sens et sa p
570 universelle, donnera à notre Exposition son sens et sa portée. Je répugne à rendre Descartes responsable de tout le mal
571 ble de tout le mal qu’ont répandu les cartésiens. Et je sais bien que de ceux-ci au cartésianisme vulgaire qui traîne dans
572 r initiale des clercs. Descartes revenant à Paris et visitant le Palais de l’Esprit ne manquerait pas de redire le mot fam
573 Il n’a jamais voulu cette séparation de la pensée et de l’action que le Palais doit célébrer, et que l’on estime conforme
574 ensée et de l’action que le Palais doit célébrer, et que l’on estime conforme à la religion de l’esprit. Mais ce que Desca
575 que Descartes a voulu, c’est que l’esprit « clair et distinct » fût séparé absolument du corps. Ce que Descartes a proposé
576 iste » de l’esprit. Voilà l’erreur métaphysique — et nous y reviendrons plus tard tout à loisir, soit pour marquer les cau
577 n siècle d’enseignement s’est appliqué à le fixer et à l’étendre. Mais il demeure certain que l’ouvrier et l’artisan, le p
578 l’étendre. Mais il demeure certain que l’ouvrier et l’artisan, le paysan et le boutiquier ont une tendance naturelle à es
579 ure certain que l’ouvrier et l’artisan, le paysan et le boutiquier ont une tendance naturelle à estimer que la « pensée »
580 étier, peu soucieux par exemple de qui l’inventa, et de la place qui lui revient dans l’économie générale29. De là à se fi
581 ociale privilégiée — le pas est aisément franchi. Et Descartes n’y est pour rien. Il faudrait bien plutôt s’en prendre au
582 s, c’est le vouer au culte d’une élite inféconde, et au juste mépris des masses. V. Situation faite aux intellectuels
583 s effet. Séparer soigneusement l’esprit du corps, et glorifier cet esprit distingué, c’est aussi laisser ce corps à lui-mê
584 s de mains, c’est libérer de son pouvoir arbitral et animateur le domaine de l’action quotidienne. Plus on élève le spirit
585 ent consister que dans l’affirmation d’un idéal : et rien n’est plus utile aux « réalistes » que la croyance commune à la
586 oite font aux clercs « spiritualistes » l’honneur et le crime d’avoir prémédités, avec l’appui des Loges et des Sages de S
587 crime d’avoir prémédités, avec l’appui des Loges et des Sages de Sion. Et par exemple, la bonne foi des inventeurs du Pal
588 tés, avec l’appui des Loges et des Sages de Sion. Et par exemple, la bonne foi des inventeurs du Palais de l’Esprit me par
589 rop désintéressée de l’esprit, qu’ont les clercs, et d’une notion moins désintéressée de l’action, qu’ont les capitaines d
590 complicité. Pour l’instant, négligeant les causes et les visées lointaines, observons le présent tel que nous le vivons. D
591 il, les réveiller. Toute notre formation scolaire et universitaire repose sur une maxime d’autant plus efficace qu’elle es
592 axime d’autant plus efficace qu’elle est inavouée et peut-être inconsciente : l’esprit est une pure description 32. On ass
593 pprime le risque de penser dans la réalité lourde et « mal compassée » (Descartes). Et plus rien ne s’oppose alors aux spé
594 réalité lourde et « mal compassée » (Descartes). Et plus rien ne s’oppose alors aux spécialisations les plus artificielle
595 x découpages à l’infini de la « matière » vivante et organique, à la multiplication des points de vue irréels, mais logiqu
596 lication des points de vue irréels, mais logiques et simples. (C’est ainsi que l’on a cru pouvoir « appliquer » la méthode
597 ainsi que l’histoire devient un ensemble de lois, et non plus une chronique des actes. On tend à ne garder de ceux-ci que
598 t matérialiste, tantôt idéaliste, tantôt marxiste et tantôt hégélienne, mais toujours — après coup ! — déterministe : or,
599 lus propre à nous aveugler sur la réalité absurde et magnifique, enseignante et désordonnée des gestes de l’humanité. Pour
600 sur la réalité absurde et magnifique, enseignante et désordonnée des gestes de l’humanité. Pour la philosophie, non conten
601 le — par des inventions personnelles, passionnées et irréductibles, auxquelles on attribue le rôle d’exceptions malheureus
602 les on attribue le rôle d’exceptions malheureuses et légèrement inconvenantes. On cherche à réduire la pensée à des « cour
603 roblèmes : à savoir la physiologie des sensations et la classification des maladies nerveuses. Pour la psychologie concrèt
604 lutte contre une réalité qu’il s’agit de modifier et non pas seulement de décrire, on fera bien d’aller la chercher à cent
605 disciplines que l’on enseigne aux jeunes clercs : et c’est la volonté, consciente ou non, d’esquiver l’engagement pratique
606 sionnaire, de la pensée. La seule critique solide et efficace des doctrines intellectualistes, c’est celle qui consisterai
607 e penser le réel pour l’informer. Pour l’informer et non pour le décrire ! Pour le gêner, pour l’accuser, pour l’inventer,
608 ! Pour le gêner, pour l’accuser, pour l’inventer, et non pour constater ces fameuses « lois » qu’on lui attribue après cou
609 fameuses « lois » qu’on lui attribue après coup, et qui viennent comme par hasard justifier la noble impuissance de la pe
610 Cette image s’interpose entre la pensée « pure » et le réel confus et dangereux qui échappe à ses prises prudentes. Et ce
611 erpose entre la pensée « pure » et le réel confus et dangereux qui échappe à ses prises prudentes. Et ces lois confirment
612 et dangereux qui échappe à ses prises prudentes. Et ces lois confirment le penseur dans l’idée que l’esprit « distinct »
613 i paraît évident que l’engagement est impossible. Et plus il se persuade que sa nature est essentiellement « distinguée »,
614 nes, écrit Renan, sont un à peu près sans sérieux et sans précision, c’est un grand résultat pour la philosophie ; mais c’
615 es « choses humaines » — oui, celles-là justement et non pas d’autres — ces choses encore informes, difficiles et vivantes
616 d’autres — ces choses encore informes, difficiles et vivantes, ces choses « mal compassées » que Descartes déjà méprisait…
617 t là que les rudiments de la morale de leur état. Et personne n’a jamais contesté la grandeur d’un désintéressement de cet
618 . C’est affirmer que l’esprit n’est pas du monde, et que les intérêts du monde réel sont pour lui comme inexistants. Ce qu
619 Que d’autres, moins désabusés, perdent leur temps et leur esprit peu raffiné à combattre des injustices au nom de la justi
620 ’adonne au culte solitaire des choses « sérieuses et précises ». Et que le monde suive le cours de ses passions ! Pour sa
621 e solitaire des choses « sérieuses et précises ». Et que le monde suive le cours de ses passions ! Pour sa part, il s’en l
622 ce gouverneur eût été dans son rôle en agissant, et qu’il trahissait sa fonction en alléguant un argument de clerc. Il y
623 le refus de Pilate, chargé d’un pouvoir séculier, et le refus de l’intellectuel, dégagé par nature de toute responsabilité
624 ait : car l’intellectuel, comme tout autre homme, et parce qu’il est homme, simplement, est bel et bien engagé dans le mon
625 me, et parce qu’il est homme, simplement, est bel et bien engagé dans le monde. Supposer un clerc pur, c’est encore une fo
626 rit n’est né dégagé de tous liens, irresponsable. Et s’il existe en apparence des êtres qui méritent le nom de clercs parf
627 t trahi leur fonction propre, qui était de juger, et de juger effectivement, dans le monde des corps et des sanctions de f
628 t de juger effectivement, dans le monde des corps et des sanctions de fait, non pas seulement de « dire le vrai » dans le
629 l’eau, se lava les mains en présence de la foule et dit : Je suis innocent du sang de ce juste. Cela vous regarde. » Ne v
630 on déguisée. Le soupçon de Renan trahit un doute, et un doute sur la vérité : ce qui est « peut-être triste », insondablem
631 , c’est que « peut-être » la vérité n’existe pas. Et si la vérité n’existe pas, comment serions-nous donc fondés à juger,
632 un hochement de tête sur la plèbe qui les admire. Et comment cette pauvre plèbe n’aurait-elle pas d’admiration pour la sag
633 s qui se lavent les mains avec tant d’élégance, —  et l’abandonnent libéralement à sa passion ? Mais en face de Pilate : « 
634 on ? Mais en face de Pilate : « Voici l’homme » ! Et que dit cet homme ? « Je suis né et je suis venu dans le monde pour r
635 i l’homme » ! Et que dit cet homme ? « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. » Unan
636 e lui des clercs de droite, des clercs de gauche, et de la foule. Pourquoi n’a-t-il pas dit seulement : Mon royaume n’est
637 pond plus : il est la vérité, la réponse en chair et en os. Il faudrait se « boucher les yeux… » Cet homme est l’Esprit in
638 e ce monde. C’est le royaume des lois « sérieuses et précises » que la pensée peut arriver à reconnaître, mais sur lesquel
639 t, déléguant le soin des discours à ces touchants et graves coryphées parlementaires ou bicornés dont on vient d’estimer l
640 une sorte d’implacable agencement, celui du doit et de l’avoir, contrôlé tôt ou tard par la constatation du rendement ou
641 erte. Le clerc qui ne sert à rien, c’est flatteur et c’est distingué, mais il faut encore le nourrir. Une logique vulgaire
642 e cartésien : on admet que l’esprit ne peut rien, et on l’en loue, parce que c’est très commode, mais on exige par surcroî
643 de l’art qu’il a sucé. Si l’ouvrage est « sérieux et précis » selon les clercs, l’éditeur, le jugeant invendable, exigera
644 arrhes jamais récupérées sur la très maigre vente et le mépris du directeur commercial. Je suppose mon clerc peu fortuné.
645 rières s’ouvrent à lui : celle des accommodements et celle du chômage. La carrière des accommodements offre à « l’esprit »
646 fre à « l’esprit » des perspectives innombrables, et très diversement rétribuées, de démission. Car l’esprit, lui aussi, m
647 quoi s’ajoute depuis peu une possibilité nouvelle et symbolique : les licenciés seuls peuvent briguer l’inspectorat de la
648 hebdomadaire, sur un sujet littéraire à la mode, et tenant compte de la frivolité du genre, vous serez payé 200 fr. la co
649 ité du genre, vous serez payé 200 fr. la colonne. Et si vous descendez jusqu’au journal d’information, les prix seront enc
650 i-heure à l’aide d’un répertoire de lieux communs et d’idées fausses mais courantes39. Or il se trouve, par un curieux has
651 e trouve, par un curieux hasard, que l’Esprit pur et le Palais de l’Esprit pur ne sont jamais si lyriquement loués que dan
652 agréments, s’il est vrai que la liberté de penser et d’écrire à sa guise, la pauvreté, le risque matériel, le nomadisme, l
653 matériel, le nomadisme, le contact avec le peuple et ses difficultés souvent sordides et parfois émouvantes, enfin l’espèc
654 vec le peuple et ses difficultés souvent sordides et parfois émouvantes, enfin l’espèce d’incertitude insouciante du lende
655 rir de son irréalisme. Une pratique assez longue, et d’ailleurs imposée, de cet état me permet d’affirmer sans ironie qu’i
656 qu’on nomme la vie pratique, avec ses résistances et ses aspérités, ses rencontres, ses courtes habitudes (louées par Niet
657 inertie fascinante, cette vie faite d’embêtements et de fécondes coïncidences est plus conforme aux rythmes de l’esprit cr
658 ement sous la coupe de la publicité capitaliste ; et d’autre part, les intellectuels jetés au chômage par la crise — plutô
659 s d’un fascisme culturel, de droite ou de gauche, et qui saura leur imposer un conformisme monstrueux, ou le silence. Il n
660 ce goût de positif que mes contemporains, à tort et à travers, opposent à toute critique un peu trop perspicace. Ils ont
661 lle créée par le décret de séparation de l’esprit et du corps, de la raison pure et de la morale pratique, décret prononcé
662 ration de l’esprit et du corps, de la raison pure et de la morale pratique, décret prononcé par Descartes en 1637 — aggrav
663 ique inaugurée par le krach de Wall Street (1930) et nommée crise ; vu la commercialisation croissante de l’esprit, condit
664 ée par ladite crise ; vu l’existence de la presse et la puissance de la publicité ; vu le chômage des intellectuels et ses
665 de la publicité ; vu le chômage des intellectuels et ses suites politiques inévitables et prochaines ; vu la panique natio
666 ntellectuels et ses suites politiques inévitables et prochaines ; vu la panique nationaliste dont la culture du dernier si
667 n de l’esprit dans sa charge effective, créatrice et régulatrice ; vu les revendications de la jeunesse qui repousse à l’u
668 ture étant responsable de concentrer, d’humaniser et de transmettre les doctrines des clercs de tous ordres qui devaient r
669 clercs de tous ordres qui devaient régir la cité et qui se vendent ou se désintéressent ; que ce problème n’est plus jama
670 us jamais posé que par des penseurs sans audience et sans prestige dans l’État ; — et décide en conséquence : la construct
671 rs sans audience et sans prestige dans l’État ; — et décide en conséquence : la construction d’un Palais de l’Esprit desti
672 ntes : a) définition de la culture, de ses moyens et de son but final. b) qu’est-elle devenue en théorie et en pratique so
673 son but final. b) qu’est-elle devenue en théorie et en pratique sous les divers régimes actuels ? a-t-elle encore un sens
674 r autorité — si elle existe en fait ou en droit — et quels doivent être ses moyens ? Les discussions seront introduites ch
675 e plus, chatouiller avec de grands mots dépréciés et abstraits la plaque sensible d’un micro devant une foule élégante et
676 que sensible d’un micro devant une foule élégante et muette, — c’est une chose, c’est même celle qu’on fera. Mais c’est to
677 e de l’esprit, à poser des questions bien simples et bien grossières, celles que les clercs prudents ne posent jamais, cel
678 nécessaires, mais il y a un temps pour les rêver et un temps pour les appliquer, un temps pour critiquer finement ce qui
679 temps pour critiquer finement ce qui s’est fait, et un temps pour saisir à pleines mains les instruments de construction,
680 voir hic et nunc où peut s’insérer notre action, et comment elle doit s’orienter. Je ne nie pas que les interventions pas
681 . Je ne nie pas que les interventions passionnées et simplistes du public ne puissent être un puissant rappel à la « réali
682 ir les faits n’est pas tout, il faut voir au-delà et plus profond que ne peut voir la foule. Il faut donner un sens à sa v
683 re culture par exemple. C’est croire à cette fin, et prouver qu’on y croit. C’est prophétiser pour agir. Seuls les prophèt
684 ’est prophétiser pour agir. Seuls les prophètes — et non les techniciens — sont en mesure de conduire l’action, si conduir
685 re c’est savoir où l’on va. Seuls les prophètes — et non pas les poètes — peuvent en vérité « donner un sens plus pur aux
686 avant de parler il faut savoir le sens des mots. Et pour que les mots aient un sens, un sens commun, et entendu de tous,
687 pour que les mots aient un sens, un sens commun, et entendu de tous, il faut que le terme — la fin — soit proclamé par de
688 regard de ce qu’ils ont à dire, qui les dépasse, et personnes parfaitement responsables de ce qu’elles ont à donner, qui
689 s inutilement la Bibliothèque nationale, ou bien, et c’est le plus probable, elle contiendra ce que je dis : les témoignag
690 ission. 26. « Cette façon de dégrader la culture et d’en faire une chose à côté, tout en l’“élevant” au rang de suprastru
691 té, tout en l’“élevant” au rang de suprastructure et en la privant par là de sa relation essentielle avec la constitution
692 petite 5 chevaux. Quant au salut, il est gratuit. Et je ne pense pas que M. Duhamel compte acheter son « immortalité » aca
693 euple, à tous ceux qui ne sont pas intellectuels, et qui sont les premiers à souffrir de la carence de l’esprit. 29. De c
694 de l’esprit. 29. De ce mépris de la pensée pure et des discours vient l’engouement pour ceux qu’on nomme les « technicie
695 fait sur un malentendu. On respecte le technicien et on le pousse dans les conseils de la cité sur la foi du seul nom qu’o
696 e la cité sur la foi du seul nom qu’on lui donne, et en vertu du préjugé praticiste : technicien signifiant pour le peuple
697 pour le peuple : homme de métier, esprit pratique et informé. Or, la plupart de ceux qu’on nomme ainsi sont justement des
698 ent des théoriciens — ingénieurs ou économistes — et de l’espèce la plus amie des abstractions, des solutions mathématique
699 ns, des solutions mathématiques, des statistiques et des plans fabuleux. 30. « Ford, c’est Descartes descendu dans la rue
700 Descartes descendu dans la rue », écrivaient Aron et Dandieu dans Le Cancer américain. 31. Dans un ouvrage intitulé Pens
701 de nombreuses déclarations l’actualité incessante et constitutive de la pensée. Mais le cartésianisme du xviiie siècle a
702 déduit pratiquement de la séparation de l’esprit et du corps, la thèse suivante : l’esprit représente dans l’homme la fon
703 de Rauh (Avant-propos des Études de morale). 35. Et sans doute d’abord chez les grands convertisseurs chrétiens, — mais c
704 hie, c’est-à-dire la science qui recherche le but et les conditions de la société. La révolution de l’avenir sera le triom
705 la vérité contraignante de la foi), l’affirmation et la prédication de ce droit n’entraînant aucun risque ni aucune modifi
706 es clercs, « l’esprit » ne passe jamais à l’acte. Et le dieu Progrès ne rend plus. Peu à peu, Renan découvre (« grand résu
707 qu’elles joueraient automatiquement en sa faveur. Et le peuple qui croit les clercs, croit aussi qu’ils ne peuvent rien fa
708 clercs, croit aussi qu’ils ne peuvent rien faire, et bientôt les méprise cordialement, tout en les honorant par habitude,
709 cordialement, tout en les honorant par habitude, et pour la même raison : en tant qu’hommes inutiles, distingués, libérés
710 : en tant qu’hommes inutiles, distingués, libérés et savants. En tant que saints laïques, inoffensifs. Les clercs savent b
711 ifs. Les clercs savent bien que ce mépris cordial et ces honneurs rendus au mythe du Progrès, plus qu’à eux-mêmes, sont au
712 ur leurs privilèges usurpés. 37. « Le difficile et l’essentiel pour un philosophe, ce n’est pas d’arriver le plus vite p
713 ire, de la reculer aussi longtemps qu’on le peut, et en quelque sorte de se boucher les yeux pour ne la voir pas, mais de
714 ain montre très bien comment le souci d’honnêteté et de sérieux de la pensée universitaire aboutit nécessairement à un fau
715 qu’un clerc doit faire, selon nos grands docteurs et leurs petits disciples. Mais encore : il a dit le droit en spécifiant
716 ue ce mot soulève chez nos clercs, il traduit bel et bien leur attitude de fait devant le monde : s’ils croyaient sérieuse
717 ire les interprètes du public auprès de l’auteur, et non l’inverse, qui serait normal. Tout profit commercial se calcule d
718 calcule de la sorte aux dépens de l’intelligence et de la valeur créatrice. 40. Formule d’introduction d’usage courant a
719 ntroduction d’usage courant aux environs de 1935, et dépourvue de toute signification définie. 41. Et remarquons l’étran
720 t dépourvue de toute signification définie. 41. Et remarquons l’étrange accident qu’elle risquerait de provoquer : la la
721 erait de provoquer : la lassitude, le défaitisme, et les dégoûts mal formulés qui semblent déprimer depuis deux ans l’inte
722 urraient bien se résoudre, au cours de ces débats et sous la pression populaire, en une espèce de nuit du 4 août de la pen
17 1936, Esprit, articles (1932–1962). Francfort, 16 mars 1936 (avril 1936)
723 ique dans un pays qui a fait la Révolution de 89, et qui est déjà une nation. Mais condamner le « fascisme » allemand, et
724 nation. Mais condamner le « fascisme » allemand, et fonder sur cette condamnation une politique européenne, c’est à peu p
725 nt que de se déclarer l’adversaire des avalanches et des marées, pour des raisons idéologiques. On entend des gens à Paris
726 est qu’une révolution de masses, au sens moderne. Et que ça n’a pas le moindre rapport avec la « politique » au sens habit
727 onnu des mouvements aussi totalement « étranges » et « profonds », et qui transcendent toutes les catégories de pensée rat
728 ts aussi totalement « étranges » et « profonds », et qui transcendent toutes les catégories de pensée rationnelles, indivi
729 e places assises dans une halle de 30 000 places, et qui attendait, massée au fond, dans les travées et les porches, depui
730 t qui attendait, massée au fond, dans les travées et les porches, depuis quatre grandes heures, l’arrivée du Führer. Et au
731 epuis quatre grandes heures, l’arrivée du Führer. Et au-dehors, battant les murs de la halle, cent-mille hommes et femmes
732 , battant les murs de la halle, cent-mille hommes et femmes attendaient sous les haut-parleurs. Et sur toutes les places d
733 mes et femmes attendaient sous les haut-parleurs. Et sur toutes les places de la ville, depuis le matin, et dans 45 salles
734 r toutes les places de la ville, depuis le matin, et dans 45 salles où les formations d’assaut avaient leur « appel généra
735 r qui des premières galeries menait à la tribune, et dans la lueur d’un faible projecteur, il parut. Souriant comme en ext
736 ue les cris de mes voisins sur un fond de tempête et de battements sourds — avec des gestes de prêtre, avec une sorte de d
737 , avec une sorte de douceur… Pendant six minutes. Et quand ce hurlement d’amour s’apaisa, on entendait encore une rumeur d
738 uple allemand est sans cesse renforcée par la foi et la confiance du Peuple en moi ! — un seul cri des masses confessant l
739 ie collective, d’irrationalisme germanique, etc., et représentent Hitler comme un tribun déchaîné exploitant les haines le
740 nables, parfois avec ironie, mais sans amertume ; et ses gestes sont souples, n’ont plus rien de la brutalité des années d
741 mais de religion, mais de cérémonies monumentales et sacrales en l’honneur d’un Dieu nouveau, l’âme de la masse, l’obscur
742 ur d’un Dieu nouveau, l’âme de la masse, l’obscur et puissant esprit de la nation, que le Führer est venu incarner, lui le
743 r est venu incarner, lui le pur, le simple, l’ami et le libérateur invincible… « Une ère nouvelle commence ici. » ⁂ Chréti
18 1936, Esprit, articles (1932–1962). Vues sur C. F. Ramuz (mai 1936)
744 ance à sa fin. On n’imagine pas d’aborder l’œuvre et la personne de Ramuz d’une façon systématique. Non que cette œuvre et
745 muz d’une façon systématique. Non que cette œuvre et cette personne ne comportent aucun système : mais il est si totalemen
746 feste ; rien ne se manifeste hors d’un mouvement. Et tout mouvement provient de la lumière qui crée les formes en même tem
747 us. Non seulement elle doit avoir un commencement et une fin, mais des contours, et non seulement des contours, mais un re
748 ir un commencement et une fin, mais des contours, et non seulement des contours, mais un relief et un volume. Elle doit no
749 rs, et non seulement des contours, mais un relief et un volume. Elle doit non seulement être vue, mais touchée, et puis em
750 . Elle doit non seulement être vue, mais touchée, et puis embrassée, puis finalement soulevée, ayant un poids à elle et un
751 , puis finalement soulevée, ayant un poids à elle et une densité », écrit Ramuz. Le peuple dit, encore plus simplement : «
752 vrai, ça se verrait. » Telle est la loi nouvelle et la réalité d’une ère dominée par ce fait historique : l’Incarnation d
753 Parole. Les grands docteurs chrétiens l’ont su ; et Paracelse ; et les poètes du xvie siècle ; puis Goethe et certains r
754 ands docteurs chrétiens l’ont su ; et Paracelse ; et les poètes du xvie siècle ; puis Goethe et certains romantiques alle
755 lse ; et les poètes du xvie siècle ; puis Goethe et certains romantiques allemands ; puis Rimbaud qui voulait « posséder
756 aud qui voulait « posséder la vérité dans une âme et un corps ». Aujourd’hui, c’est un Rilke, un Claudel, un Ramuz qui dét
757 les simples par quoi nous guérirons du platonisme et du cartésianisme. Les clercs s’écrient : Esprit ! Esprit43 ! Mais je
758 se manifeste dans la main qui réalise une vision. Et dans le visage qui conditionne le regard, et se modèle selon les pris
759 ion. Et dans le visage qui conditionne le regard, et se modèle selon les prises du regard. (En allemand, le seul mot Gesic
760 ul mot Gesicht signifie à la fois visage, vision, et vue au sens d’idée.) ⁂ Ouvrez un livre de Ramuz : les choses « vienne
761 t », le monde « vient » (à nous), le ciel, le lac et les montagnes « viennent » : et on les voit venir ainsi à la rencontr
762 , le ciel, le lac et les montagnes « viennent » : et on les voit venir ainsi à la rencontre d’un regard qui les invente et
763 ainsi à la rencontre d’un regard qui les invente et les dénombre et les connaît dans leur sens primitif, dans le sens de
764 ontre d’un regard qui les invente et les dénombre et les connaît dans leur sens primitif, dans le sens de la création qui
765 tes : elles s’approchaient pour recevoir leur nom et leur emploi. Il faut toujours remonter à ce mythe si l’on veut saisir
766 remonter à ce mythe si l’on veut saisir la genèse et l’ambition secrète de l’art de Ramuz. Un personnage de Ramuz, c’est d
767 oit sortir des bois dans le rose du lever du jour et ils sont roses dans le ciel rose, avec des gouttes de rosée qui leur
768 s gouttes de rosée qui leur pendent à chaque poil et des souliers qui brillent. » Il y en a dans presque tous les livres d
769 ait s’amuser à recomposer le pays autour d’eux44. Et l’on verrait alors que ces bonshommes ne sont point décrits « de l’ex
770 entique », est microcosme d’un pays, d’un paysage et d’un ensemble de coutumes. Les rythmes du temps s’y inscrivent aussi
771 ous porte en arrière, parce qu’on l’a mal calculé et il faut d’abord qu’on le corrige. » Et Ramuz ajoute : « C’est comme m
772 al calculé et il faut d’abord qu’on le corrige. » Et Ramuz ajoute : « C’est comme moi. » C’est comme lui quand il écrit. C
773 crit. Car sa vision est harmonie avec ces formes, et son langage avec les rythmes qu’elles traduisent. ⁂ Une forme, une im
774 n’est ni du dedans ni du dehors, qui est contact, et littéralement drame entre la vision et l’objet, entre la position de
775 t contact, et littéralement drame entre la vision et l’objet, entre la position de l’homme et la proposition du monde. C’e
776 a vision et l’objet, entre la position de l’homme et la proposition du monde. C’est la région de la rencontre et de la for
777 osition du monde. C’est la région de la rencontre et de la forme. Et non point de la forme toute faite, cadre imposé aux j
778 . C’est la région de la rencontre et de la forme. Et non point de la forme toute faite, cadre imposé aux jeux d’une invent
779 mais de la forme en devenir, expressive du dedans et du dehors en même temps, dans le temps de leur lutte. Ici le spiritue
780 e spirituel devient tangible, le matériel lisible et significatif. Nous sommes ici au lieu de l’incarnation des images — o
781 es, choisir le moins savant, le moins « lyrique » et le plus matériel, parler d’un ciel au bleu de lessive, plutôt que de
782 rculation d’idées qui « représentent » les choses et le concret, comme les billets représentent l’or de la réserve. Le mot
783 t décontenancé le langage des hommes de ce temps, et par là même, ils nous démoralisent plus sûrement que ne le font les s
784 e fameux « pratique » dont ils s’occupent si mal, et de plus en plus mal à mesure que le « pratique » s’éloigne davantage
785 en les hypnotisant sur la possession de l’argent et les bienfaits qui en découlent.) Si j’étais dictateur, je nommerais R
786 eur, je nommerais Ramuz président de ce tribunal. Et nous aurions enfin un langage « châtié », comme on disait dans les sa
787 peut-elle signifier dans ce monde physionomique, et par quoi va-t-elle s’exprimer dans une vision qui ne veut rien connaî
788 de la forme ? La psychologie d’école, qui domina et qui domine encore tous les romans à la Bourget, consiste à rattacher
789 tion, presque par accident, une série d’attitudes et de causes « morales » à une série parallèle d’attitudes et de faits v
790 ses « morales » à une série parallèle d’attitudes et de faits visibles ; l’accent étant porté sur la causalité, et les fai
791 visibles ; l’accent étant porté sur la causalité, et les faits se réduisant peu à peu au rôle de simples vérifications d’u
792 anecdotes ou exemples à l’appui d’une laborieuse et schématique reconstruction des âmes. Il est entendu désormais qu’un a
793 ie du roman policier : il n’a pas de psychologie. Et la critique parle beaucoup de subjectivité et d’objectivité. Dans le
794 ie. Et la critique parle beaucoup de subjectivité et d’objectivité. Dans le monde de Ramuz, ces deux mots n’ont plus aucun
795 e par ses relations organiques à d’autres formes. Et c’est encore l’office de l’imagination c’est-à-dire de l’activité qui
796 concepts, plus d’idées générales. Tout est images et complexes d’images. Tout est mythes 45. ⁂ Ainsi la mythologie, chez R
797 muz, déloge l’analyse abstraite des psychologues. Et l’on découvre à chacune de ses œuvres une signification mythologique.
798 ar la souffrance (La Guérison des Maladies), etc. Et le roman n’a pas d’autre mouvement que le mouvement même des images p
799 qu’on peut le définir par le divorce de ses idées et de ses actes. D’où naît une certaine littérature d’intrigues pour laq
800 e même que revêt chez Ramuz la faculté d’imaginer et de penser dans l’ordre de l’incarnation, devait le conduire à créer u
801 ations abstraites inventées par les psychologues, et dans lesquelles vit le bourgeois46. Ce milieu, c’est le peuple ramuzi
802 u pays. Il participe de cette lourdeur originelle et unanime d’un peuple en communion avec les éléments. Ce n’est point là
803 que, qui s’avance dès le matin à travers le pays, et offre à tous la Parole « ayant l’aspect d’une brochure à couverture b
804 e, les maladies, la famine, la révolte, la guerre et la mortalité. Caille s’avance dans la journée, et l’angoisse grandit
805 et la mortalité. Caille s’avance dans la journée, et l’angoisse grandit autour de lui. De partout l’orage s’amasse. Vers l
806 iquement. Est-ce la Fin ? Grande heure de terreur et de prière… Puis, « la page du ciel a été tournée », ils se relèvent :
807 as morts ! » Le monde renaît dans une soirée pure et le baiser d’un couple heureux. Rarement la forme authentique de Ramuz
808 t naissant, rugueux, décapé de toute rhétorique47 et de toute explication intellectuelle, atteignant par là une unité de s
809 et ». Certes, je vois les défauts de cette forme, et le poncif qu’elle peut instituer ; ces détails parfois trop volontair
810 est qu’une page de Ramuz — même pas très réussie, et il y en a, il faut le dire, qui ont un air raté, un air de pastiche d
811 u’elle impose, nous replace dans la vision grande et efficace des gestes les plus simples de la vie. 2. Formule d’une p
812 objet. » Mais on peut dire cela de Goethe aussi ? Et de bien d’autres réalistes de la forme ? — De Goethe surtout. Il y a
813 i direct que possible ». Goethe sait mal le grec, et connaît les statues par l’estampe. Il lui faut les intermédiaires de
814 entérinée, tout un système délicat de conventions et de prudences… Ramuz commence là où tous les intermédiaires sont suppr
815 in mais aussi garantir son unité concrète, esprit et corps. Les niveaux respectifs auxquels se placent un Goethe et un Ram
816 niveaux respectifs auxquels se placent un Goethe et un Ramuz déterminent deux formes d’expérience apparemment incomparabl
817 elligence sans prises, d’une pensée sans risques, et d’un art sans pitié. ⁂ Ramuz en veut à l’école, aux journaux, au lang
818 ir que le « gazouillis » des oiseaux pouvait être et était souvent le plus brutal des tintamarres, fait « d’un bruit de vi
819 n caillou, d’un mélange de toux sèches ou rauques et de coups de pioche ou de marteau ». Les glaciers ne sont pas « sublim
820 blimes » comme on chante dans les écoles suisses. Et il est faux de « chanter » la montagne : les montagnards l’appellent
821 es ne peuvent pas nourrir une réaction créatrice. Et ce n’est point en haine de la facilité qu’un homme recherchera jamais
822 s aides tendent à supprimer ce contact le plus nu et cette condition la plus humaine : ce contact avec la matière résistan
823 s humaine : ce contact avec la matière résistante et ce risque de l’homme créateur de sa forme. Si Ramuz n’aime pas les ma
824 rt est le concret de l’homme49. Saisir les choses et les êtres, tels qu’ils sont et tels qu’ils se montrent, dégradés, dés
825 Saisir les choses et les êtres, tels qu’ils sont et tels qu’ils se montrent, dégradés, désunis, informes ; et par l’effor
826 qu’ils se montrent, dégradés, désunis, informes ; et par l’effort d’une imagination qui retrouve leur raison d’être, les p
827 — c’est le mouvement unique de l’œuvre de Ramuz, et la définition de sa personne en exercice. « Je ne distingue l’être qu
828 e que l’homme est le plus humain là où les choses et les êtres attendent tout de son pouvoir restaurateur : leur nom, leur
829 son pouvoir restaurateur : leur nom, leur nombre et leur emploi. Parce que le sens de tout acte humain, pour autant qu’il
830 ouvé pour un instant) : où on a en commun un Père et une Mère, où la grande parenté des hommes est entr’aperçue pour un in
831 cevoir pour un instant que tendent tous les arts, et à nulle autre chose ; à quoi tendent les notes et à nulle autre chose
832 et à nulle autre chose ; à quoi tendent les notes et à nulle autre chose ; tous les mots qu’on écrit, les tableaux qu’on p
833 ents a comporté ensuite une bifurcation nouvelle, et celle-ci une autre, et ainsi de suite à l’infini, de sorte que pour f
834 une bifurcation nouvelle, et celle-ci une autre, et ainsi de suite à l’infini, de sorte que pour finir on est chacun tout
835 t chacun tout seul sur son petit bout de sentier. Et il y a aussi cette malédiction, où on sent bien qu’on est (car rien a
836 ivre n’est parfait, aucun tableau n’est parfait ; et tout travail d’abord est dur, tout travail difficile, tout travail, t
837 pèce de travail se fait d’abord contre nous-mêmes et contre Quelqu’un, tout travail est malédiction), jusqu’à ce que tout
838 tion de la personne dans la tension entre l’objet et la volonté formatrice. Rédemption par l’effort créateur… Autant de fo
839 tale de sa vie, non point certes aux contingences et au décor de son apparition. Aussi bien la suite du passage nous ramèn
840 du confort. J’aime que les choses vous résistent et vous contredisent, comme par exemple une maison trop grande, un feu d
841 a fois les lois d’un art, la coutume d’un peuple, et l’authentique raison d’être, l’identité d’une personne en communion,
842 se à borner sa vision à son acte. Voilà l’utile ; et qu’on taise le reste, tout cela qui échappe à nos prises. Ainsi fait
843 cela qui échappe à nos prises. Ainsi fait Goethe, et c’est là sa vertu. Mais notre siècle pose d’autres questions, des que
844 e se voit mis en demeure de déclarer ses origines et ses fins. Voici le temps où l’homme est attaqué par des puissances qu
845 prendre cet embrassement, cette saisie des choses et des êtres, cette présence au monde et à soi-même, — l’originalité de
846 des choses et des êtres, cette présence au monde et à soi-même, — l’originalité de l’homme « radical ». Ramuz l’a fait pl
847 moigner, c’est peut-être risquer en dépit de tout et de soi, ce qu’aucune sagesse n’a jamais justifié… 42. Le Grand Pr
848 existante. « La figure a été faite sur la vérité, et la vérité a été reconnue sur la figure » (Pascal, cité par Ramuz). 4
849 t polémique, dirigé contre la religion des Grecs, et justifié par la seule connaissance qu’on a du premier sens. 46. C’es
850 ’est le ton de la musique de Stravinsky, du Sacre et des Noces. Le ton de la création du monde. 48. Il dit des personnage
851 sulte d’une mise en présence effective de l’homme et de ce qui résiste à l’homme. C’est le contraire de l’activisme au sen
19 1936, Esprit, articles (1932–1962). Culture et commune mesure (novembre 1936)
852 Culture et commune mesure (novembre 1936)v w I. La culture soviétique Lo
853 ne révolution. Angoissés par la crise occidentale et l’isolement où ils se voient ; séduits par certains résultats matérie
854 voient ; séduits par certains résultats matériels et même moraux, et par l’euphorie juvénile qui paraît bien s’être emparé
855 par certains résultats matériels et même moraux, et par l’euphorie juvénile qui paraît bien s’être emparée d’une partie d
856 ; assez ignorants au surplus des théories de Marx et de Lénine, ces intellectuels estiment injuste et ridicule de reproche
857 et de Lénine, ces intellectuels estiment injuste et ridicule de reprocher au régime des Soviets certaines erreurs d’ordre
858 us avons dit souvent sur quelle notion bourgeoise et libérale de l’esprit se fonde une pareille indulgence.) L’important,
859 la prospérité générale, la productivité accrue ; et que les ouvriers se mettent à lire leurs livres, et viennent acclamer
860 que les ouvriers se mettent à lire leurs livres, et viennent acclamer leurs discours, au lieu de croire aux sornettes des
861 rien ici ne peut donner l’idée ; mais c’est aussi et d’une manière fort imprévue, la renaissance d’un certain humanisme, d
862 amis de l’URSS citent souvent Diderot, Helvétius et Voltaire, à l’appui de leur foi nouvelle. Ce n’est pas sans raison qu
863 ettent à glorifier les mythes du Progrès indéfini et du Bonheur : la révolution russe a eu ce résultat au moins curieux de
864 nel, qu’ils étaient justement en train de perdre. Et pourtant Marx avait été un peu plus loin ! Et l’on s’interdirait de r
865 re. Et pourtant Marx avait été un peu plus loin ! Et l’on s’interdirait de rien comprendre à l’évolution nécessaire de la
866 Ni qu’elles soient actuellement plus importantes et plus dignes de nous retenir que l’élan titanique du Troisième Plan. J
867 adés que la critique d’un clerc y perd ses droits et n’est plus à l’échelle du phénomène… Raison de plus, chance de plus,
868 ance de plus, d’essayer d’élargir cette critique, et notre idée de la culture s’il le faut. Quand l’esprit « perd ses droi
869 it rien qu’un « reflet » du processus économique, et de la lutte des classes qui en résulte. De là sa théorie de la cultur
870 ure prolétarienne, censée naître automatiquement, et comme un produit accessoire de la dictature économique des prolétaire
871 guration d’une Idée par des hommes qui y croient, et qui, à cause de cette foi, voudraient en remplir le prolétariat.53
872 pouvoir créateur d’une élite guidant les masses. Et cette évolution s’est trouvée confirmée par les récents congrès d’écr
873 i l’on ordonne les deux tâches, lutte des classes et configuration de la vie, sous la même loi supérieure de la fin propos
874 rme commune de la vie, dont l’activité économique et politique ne constitue qu’une partie tout comme la production scienti
875 ’une partie tout comme la production scientifique et artistique »54. Ceci revient à dire que la lutte des classes, — consi
876 classes, — considérée comme symbole de l’action — et la configuration de la vie, qui requiert surtout la pensée — doivent
877 nom de cette mesure, son incarnation très visible et ses moyens d’action ou même de contrainte : c’est le Plan55. Ainsi do
878 p plus opportuniste que doctrinal, plus « russe » et plus léniniste que marxiste, et qui comporte même une négation précis
879 l, plus « russe » et plus léniniste que marxiste, et qui comporte même une négation précise de la croyance originelle en l
880 énéralisations de la critique, les rapprochements et les oppositions sommaires. Mais un fait demeure hors de doute et surp
881 ons sommaires. Mais un fait demeure hors de doute et surpasse l’ordre des erreurs possibles : c’est que le Plan est l’inst
882 ar la dictature communiste pour unifier la pensée et l’action du peuple et de ses conducteurs en vue d’une fin à laquelle
883 iste pour unifier la pensée et l’action du peuple et de ses conducteurs en vue d’une fin à laquelle tout doit s’ordonner.
884 ut doit s’ordonner. L’assimilation de la culture ( et donc de sa mesure) au Plan est même si radicale, si naïve, que les So
885 s à confondre sans l’ombre d’un doute « culture » et « production » en général. Étonnante réaction contre les conceptions
886 ro de Moscou, le plus beau du monde disaient-ils. Et l’on peut lire chaque jour dans la presse russe des déclarations de c
887 ’établir un rapport entre la qualité des semelles et la culture générale. C’est très bien de pousser jusque-là le fanatism
888 e diraient les nazis — des activités spirituelles et pratiques. Mais la conception qui assimile l’élévation du niveau de l
889 si toutefois l’on refuse de confondre révolution et stupidité crasse. Or le danger de cette assimilation n’est pas niable
890 s plus tentées de l’opérer, avec une bonne humeur et une bonne volonté qui devraient empêcher que l’on en rie… Poursuivons
891 finalité commune à toutes les œuvres spirituelles et matérielles ? La réponse me paraît évidente. Tous les témoignages que
892 puissance de l’inquisition intellectuelle, morale et policière exercée par ce Parti d’autre part, nous permettent d’affirm
893 is universel. C’est au nom de ces fins dernières, et de la conscience aiguë qu’ils en possèdent, que les jeunes komsomols
894 guë qu’ils en possèdent, que les jeunes komsomols et brigadiers de choc s’imposent une morale ascétique, acceptent des pri
895 étique, acceptent des privations de toute nature, et supportent avec enthousiasme un régime de travail parfois beaucoup pl
896 ndividuelles qu’elle situe dans un tout grandiose et coloré ainsi d’héroïsme, éclate alors à tous les yeux. Si les Russes
897 tous les yeux. Si les Russes sont de bonne humeur et si nous sommes de mauvaise humeur, c’est qu’ils savent pourquoi ils t
898 eur, c’est qu’ils savent pourquoi ils travaillent et que nous l’ignorons généralement ; c’est qu’ils acceptent les buts de
899 c’est qu’ils acceptent les buts de leur travail, et que nous nous méfions généralement des buts obscurs, peut-être crimin
900 ellement le tout de l’homme ? Le rappel permanent et la conscience actuelle de ce but final suffisent-ils à animer toutes
901 lines fécondes, ou au contraire, des conformismes et des poncifs ? Il ressort des aveux mêmes, faits à titre d’autocritiqu
902 is une forme assez basse de propagande politique, et de publicité industrielle. La seule littérature digne du nom qu’ait p
903 ression sur les « décrets culturels » de Staline. Et je ne dis pas, ou pas encore contre le Plan, mais en vertu de tout au
904 renait à les lire. Cette situation exceptionnelle et provisoire a créé une communauté d’intérêts immédiats et vitaux entre
905 isoire a créé une communauté d’intérêts immédiats et vitaux entre les producteurs et les consommateurs de la culture. Tant
906 ntérêts immédiats et vitaux entre les producteurs et les consommateurs de la culture. Tant qu’il ne s’agissait que de cons
907 construire des tracteurs, les poètes du tracteur et ceux qui le conduisaient parlaient naturellement le même langage qui
908 Plan. Mais cet accord était en somme très limité et ce langage essentiellement technique. Car le Plan était avant tout, c
909 a naturellement le besoin d’une langue plus riche et plus vivante, apte à décrire les passions, et la nature et la diversi
910 che et plus vivante, apte à décrire les passions, et la nature et la diversité des êtres. Il fallait désormais recourir à
911 ivante, apte à décrire les passions, et la nature et la diversité des êtres. Il fallait désormais recourir à une mesure qu
912 l’exprimer ou l’inventer, on chercha des modèles et des trucs dans les littératures bourgeoises, au hasard des tendances
913 r la nouvelle école soviétique, l’unité du peuple et des clercs n’est pas « quelque chose de donné »… mais « quelque chose
914 ée nietzschéenne, c’est l’aventure, le romantisme et l’utopie, enfin le risque créateur qui reviennent tenter l’esprit. Il
915 t vain de le nier : la mesure imposée par le Plan et qui régit encore l’action pratique des communistes, est d’ores et déj
916 ttue par une mesure spirituelle toute différente, et à certains égards, contraire. C’est tout le drame de la culture d’opp
917 i d’un principe qu’il tirait logiquement de Marx, et dont il entendait faire la mesure commune de la pensée et de l’action
918 il entendait faire la mesure commune de la pensée et de l’action : « Donnez d’abord le pain à tous, et le reste viendra pa
919 et de l’action : « Donnez d’abord le pain à tous, et le reste viendra par-dessus. » Telle fut la grande maxime du Plan. Ca
920 an. Car, disait-on, il faut parer au plus pressé, et la culture ne vient qu’après. Ainsi tout se trouva soumis à des fins
921 une culture populaire. C’était viser trop court, et sous-estimer l’ennemi, j’entends la part de l’homme qui résiste, en c
922 de dictature. De cette insuffisance de l’idéal — et non pas des moyens mis en œuvre pour l’atteindre — devait résulter un
923 pour l’atteindre — devait résulter une scission, et le désir d’une mesure plus vivante. La scission vient de s’opérer, et
924 sure plus vivante. La scission vient de s’opérer, et seule l’inquisition intellectuelle exercée par les chefs soviétiques
925 même temps que son déguisement. Mythe plus vaste et plus vague que celui des économistes, mythe créé par l’angoisse et l’
926 celui des économistes, mythe créé par l’angoisse et l’orgueil des prisonniers d’une raison brutale : il aura sans doute l
927 e la vie dure, comme tout ce qui est irrationnel, et c’est la faute de la raison. Car cette raison, simple servante de l’a
928 tout l’homme. Mais l’homme résiste à son emprise et à sa prétention totalitaire. Il ne veut pas se laisser mutiler. Fût-c
929 orgueil n’est encore qu’une immense caricature ; et que les fins qu’elle lui propose ne valent pas le prix qu’on les paye
930 es conquêtes matérielles. Alors il met son espoir et sa foi dans ce miracle qui résoudrait seul le conflit du calcul et du
931 miracle qui résoudrait seul le conflit du calcul et du rêve, du matériel et de l’humain, de la nécessité et de l’orgueil5
932 seul le conflit du calcul et du rêve, du matériel et de l’humain, de la nécessité et de l’orgueil59 : l’apparition d’un ho
933 rêve, du matériel et de l’humain, de la nécessité et de l’orgueil59 : l’apparition d’un homme nouveau au faîte de l’édific
934 uelques milliers de tracteurs, d’avions, de tanks et de parachutes, cette illusion philosophique ? Il est vrai que le mond
935 rgeois justement tourmentés dans leur conscience, et qui se rassurent en glorifiant l’URSS. Pour moi, je me bornerai à tir
936 incapable de maintenir l’unité vraie de la pensée et de l’action. Elle est déjà divisée contre elle-même. Elle n’est plus
937 commune, encore qu’elle soit réellement imposée. Et je ne préjuge rien de l’avenir d’un peuple qui dispose de ressources
938 il ne s’agit plus de découvrir les semelles-crêpe et le métro. Notre espérance est au-delà de ces réussites utiles. Vis-à-
939 oui à tout ; c’est un devoir de critique lucide, et j’ajouterai de critique méfiante, dans la mesure où les jeunes commun
940 cette morgue que l’on disait naguère américaine, et qui ressemble à celle des nouveaux riches de tous les temps. Nous avo
941 périences dont ils ne soupçonnent pas la gravité, et moins encore la vanité. Ils les feront avant longtemps. Ils retrouver
942 ure De tout ce qui précède, il serait ridicule et vain de tirer une « condamnation » des conceptions culturelles russes
943 t consciemment anarchique, en vertu d’une volonté et d’un idéal déclaré. Le libéralisme n’a le droit de critiquer la dicta
944 dictature que lorsqu’il assure une liberté réelle et plus féconde que la contrainte. Les surréalistes sont fondés à parler
945 emne, facilité qui consiste à assimiler dictature et crime, discipline sociale et brutalité, volonté de servir et trahison
946 assimiler dictature et crime, discipline sociale et brutalité, volonté de servir et trahison des clercs, etc., tout cela
947 iscipline sociale et brutalité, volonté de servir et trahison des clercs, etc., tout cela au nom d’une conception de l’esp
948 Le composé hitlérien d’irrationalisme romantique et de positivisme jacobin, et d’autre part les ressources humaines colos
949 ationalisme romantique et de positivisme jacobin, et d’autre part les ressources humaines colossales et jamais encore expl
950 t d’autre part les ressources humaines colossales et jamais encore exploitées dont dispose l’URSS ; la pression des nouvel
951 mpréhensibles » ; les transformations économiques et morales incalculables provoquées par le socialisme d’État ; enfin le
952 er par la force une commune mesure pour la pensée et l’action. La démonstration que j’ai esquissée à propos de la tentativ
953 deux régimes, alors que leurs fins sont hostiles et leurs situations de départ différentes, prouve que la mesure réelle,
954 fférentes, prouve que la mesure réelle, dans l’un et l’autre cas n’est pas la doctrine mais la technique de l’action sur l
955 e l’on veut imposer au tout, y compris la culture et la morale. Ce sont les nécessités de la propagande, identiques dans l
956 ien que le but soit ici la société prolétarienne, et là la nation allemande, — qui sont censées configurer la culture. 2.
957 st totalement impuissant à provoquer la création, et à la régler, étant de par son origine coupé des sources mêmes de tout
958 ersonne, de l’aventure personnelle, de la liberté et du risque personnels. 3. La constatation de cet échec s’impose non se
959 faire autre chose. Nos circonstances économiques et historiques étaient telles qu’il fallait une dictature pour y mettre
960 it une dictature pour y mettre un minimum d’ordre et permettre à la vie de continuer. Il est incontestable que nous avons
961 aille plus dans nos rues, l’État combat la misère et le chômage, nous avons supprimé les partis et leurs luttes épuisantes
962 ère et le chômage, nous avons supprimé les partis et leurs luttes épuisantes et stériles. Le corps social était malade, il
963 ns supprimé les partis et leurs luttes épuisantes et stériles. Le corps social était malade, il fallait l’opérer d’urgence
964 it malade, il fallait l’opérer d’urgence, à chaud et nous y avons porté le fer d’une main assurée. Vos critiques ne nous t
965 uffrez vous aussi, dans vos démocraties libérales et parlementaires, des maux qui étaient devenus aigus chez nous : luttes
966 miques, décadence d’une culture séparée du peuple et divisée contre elle-même, grabuge des factions partisanes, vieillards
967 des grands trusts, anarchie dans l’enseignement, et dix morales contradictoires dont aucune ne sait plus, ou n’ose plus a
968 rcés de commencer par rétablir l’ordre extérieur. Et vous ferez du collectivisme. C’est la seule « base commune » puissant
969 l’avantage important d’une tradition de liberté. Et vos premières expériences nous enseignent. Toute la question est alor
970 de savoir si nous saurons utiliser ces avantages, et le temps de réflexion ou de manœuvre qui nous reste, pour calculer et
971 xion ou de manœuvre qui nous reste, pour calculer et préparer spirituellement une révolution qui soit nôtre, sans brutalit
972 s voulons rétablir une mesure commune à la pensée et à l’action. Car un ordre extérieur n’est solide et fécond que s’il ré
973 t à l’action. Car un ordre extérieur n’est solide et fécond que s’il résulte d’un ordre intérieur. Et cet ordre intérieur
974 et fécond que s’il résulte d’un ordre intérieur. Et cet ordre intérieur ne se crée pas à coups de décrets d’urgence et de
975 rieur ne se crée pas à coups de décrets d’urgence et de propagande de masses. Pas d’ordre spirituel sans un minimum matéri
976 ériel au spirituel. C’est encore là une évidence, et qui n’est pas moins actuelle. III. L’appel à la commune mesure, ou
977 ns anciennes fondées sur des mesures déterminées, et tirant justement de ces mesures ce que nous appelons leur grandeur. L
978 leur grandeur. L’Inde ancienne, la Grèce d’Homère et la Grèce de Périclès, et la Rome des Césars, et la France de Louis XI
979 ienne, la Grèce d’Homère et la Grèce de Périclès, et la Rome des Césars, et la France de Louis XIV, et les empires égyptie
980 e et la Grèce de Périclès, et la Rome des Césars, et la France de Louis XIV, et les empires égyptiens et aztèques, et la C
981 et la Rome des Césars, et la France de Louis XIV, et les empires égyptiens et aztèques, et la Chine des longues dynasties 
982 la France de Louis XIV, et les empires égyptiens et aztèques, et la Chine des longues dynasties : grands empires et grand
983 Louis XIV, et les empires égyptiens et aztèques, et la Chine des longues dynasties : grands empires et grandes cultures q
984 t la Chine des longues dynasties : grands empires et grandes cultures qu’un grand dessein pouvait seul maintenir. Mais pou
985 e de ce dessein, il fallait des symboles visibles et dont le sens fût reconnu de tous, prince et sujets, clercs, soldats e
986 ibles et dont le sens fût reconnu de tous, prince et sujets, clercs, soldats et marchands législateurs et pédagogues. Ains
987 econnu de tous, prince et sujets, clercs, soldats et marchands législateurs et pédagogues. Ainsi l’histoire ou l’action de
988 sujets, clercs, soldats et marchands législateurs et pédagogues. Ainsi l’histoire ou l’action des « grands desseins » peut
989 signes visibles qui symbolisaient leur grandeur. Et l’histoire des mesures communes ordonnées à ces grands desseins et or
990 mesures communes ordonnées à ces grands desseins et ordonnant toutes choses à leur service, c’est l’histoire des objets,
991 squels s’incarnèrent des mesures, selon les temps et les lieux, ou les astres. Cependant, une mesure n’est rien, et ses sy
992 ou les astres. Cependant, une mesure n’est rien, et ses symboles ne signifient rien, si l’on oublie les fins dernières, l
993 , le grand dessein, la religion qui la supportent et l’utilisent, qui la créent et qui meurent avec elle. L’Arche d’allian
994 n qui la supportent et l’utilisent, qui la créent et qui meurent avec elle. L’Arche d’alliance n’est rien s’il n’y a pas l
995 ncarnation d’une mesure commune à tous les ordres et qui les harmonise. La question de la mesure d’une civilisation est sa
996 que plus ou moins fidèle à la fin qu’elle prépare et représente. Seul, le jugement porté sur cette fin déterminera notre j
997 e toute mesure : il faudra commencer par la fin ! Et non pas emprunter ici ou là, dans les temps révolus, ou l’espace étra
998 crois à l’appel des faits. Considérons les temps et les lieux où nous vivons, la situation précise qui nous est faite, et
999 vivons, la situation précise qui nous est faite, et l’appel concret qui en résulte ; et après cela jugeons, c’est-à-dire
1000 us est faite, et l’appel concret qui en résulte ; et après cela jugeons, c’est-à-dire choisissons nos buts prochains au no
1001 ontingences. Voilà la tension créatrice : réalité et vérité assumées dans une seule volonté. Il reste à remplacer chacun d
1002 e par un fait ou un nom contemporains.   1. Temps et lieux : l’Europe d’aujourd’hui. Dans cette Europe, deux espèces de na
1003 x espèces de nations : celles qu’on dit vieilles, et celles qui se disent rajeunies. Les vieilles nations mènent encore un
1004 nent encore une vie à bien des égards plus facile et plus libre que les nouvelles. Elles ont gardé un certain nombre de po
1005 ombreuse que la militaire, un gouvernement faible et des vieillards puissants. Leur opinion publique est incertaine, facil
1006 de contradictions en apparence mais dans le fond et dans l’ensemble cynique, sceptique et pessimiste. Facilités virtuelle
1007 ans le fond et dans l’ensemble cynique, sceptique et pessimiste. Facilités virtuelles et pessimisme de fait : ces deux tra
1008 ue, sceptique et pessimiste. Facilités virtuelles et pessimisme de fait : ces deux traits définissent l’atmosphère des nat
1009 ait qu’il n’y a plus rien à faire, qu’à attendre. Et l’on s’occupe en attendant à critiquer les nations « rajeunies ». C’e
1010 e révolution de masses. Elles mènent une vie dure et s’en disent fières. Certes, elles ont sacrifié un certain nombre de p
1011 e d’opposition, ni partis, ni civils indifférents et inutilisables, ni chômeurs de profession, ni crises de gouvernement,
1012 jeunesse disciplinée, fanatisée, toute puissante et toute dévouée aux seuls intérêts de l’État. (Des « soldats politiques
1013 ne.) Leur opinion publique est dictée par l’État, et l’opinion privée, bon gré mal gré, se rapporte à ces seuls décrets. P
1014 e rapporte à ces seuls décrets. Partout des gênes et des interdictions, mais toujours présentées aux masses comme les gage
1015 s aux masses comme les gages d’un bonheur à venir et d’une grandeur digne de tous les sacrifices. Et comment ne croirait-o
1016 r et d’une grandeur digne de tous les sacrifices. Et comment ne croirait-on pas à la grandeur, même ou surtout la plus myt
1017 , en Italie, il n’est question que de renaissance et de construction. « Dictature », « tyrannie », « conformisme brutal »,
1018 écessaires pour assurer à chaque homme du travail et pour supprimer finalement les raisons matérielles de se plaindre. Et
1019 inalement les raisons matérielles de se plaindre. Et après cela, commencera la conquête d’un avenir de joie et de force. O
1020 cela, commencera la conquête d’un avenir de joie et de force. On a touché le fond de la misère, on l’a vécue, on a cela d
1021 on apprend à fuir dans les mystiques collectives. Et l’on se rassure en attendant par de faciles railleries à l’adresse de
1022 ibéralisme, à l’origine des dictatures, une seule et même situation matérielle : la misère. L’un des systèmes la redoute e
1023 érielle : la misère. L’un des systèmes la redoute et la prépare, l’autre en résulte et s’en souvient. L’ersatz de commune
1024 èmes la redoute et la prépare, l’autre en résulte et s’en souvient. L’ersatz de commune mesure, dans les régimes bourgeois
1025 stes, c’était l’argent. Mais le crédit s’écroule, et la mesure devient le manque d’argent. C’est cette angoisse avant tout
1026 où peut-être on retrouvera des raisons sérieuses et urgentes, enfin solides de s’aimer ? La commune mesure des États neuf
1027 rrière les grandes façades aux symboles religieux et orgueilleux, je retrouve la misère matérielle. Car à toutes les objec
1028 est ce régime qui nous a délivrés de la misère61. Et cela suffit à le justifier pour le moment. La misère, dernier argumen
1029 e tous nos drames, de nos pensées, de nos actions et même de nos utopies. La dictature de cette crise sur nos esprits et s
1030 pies. La dictature de cette crise sur nos esprits et sur nos corps signifie sans erreur possible que toute commune mesure
1031 le que toute commune mesure est morte parmi nous, et que nulle mesure vraie n’est encore restaurée.   3. L’appel. De ces
1032 eule crainte qui les unit encore, s’élève un même et formidable appel profond des peuples. Il a jailli de la misère, mais
1033 l exige bien davantage que la fin de cette misère et de ses causes immédiates. Il n’exige pas seulement le bien-être physi
1034 té sans classe… Si l’on veut comprendre ce temps, et l’ère nouvelle, incalculablement, qu’il inaugure, il faut se rappeler
1035 nnal, alors que la famine régnait sur la Russie ; et l’écrasante majorité en faveur de l’Allemagne hitlérienne lors du plé
1036 pe moderne ont découvert le sens de leur histoire et l’avenir de leur génie. (France de la fin du xviiie , Russie de 1917,
1037 e de la fin du xviiie , Russie de 1917, Allemagne et Italie de l’après-guerre.) Ainsi l’opposition des deux Europes se ram
1038 existait déjà, la crise est bien moins virulente, et la réponse a plus de peine à se dégager. Pourtant, il faudra bien qu’
1039 ception du monde fondée sur la raison, l’individu et la science cartésienne. Nous savons aujourd’hui que la raison n’est p
1040 l’individu n’est rien que la liberté du désespoir et qu’il meurt de son isolement, ou du refus de se dépasser ; qu’il n’y
1041 qu’il n’y a pas de lignes droites dans l’univers, et qu’une vitesse ou une grandeur quelconques dépendent à la fois des me
1042 ndeur quelconques dépendent à la fois des mesures et du lieu et du temps où on les mesure. Seuls donc les groupes de force
1043 onques dépendent à la fois des mesures et du lieu et du temps où on les mesure. Seuls donc les groupes de forces ou d’homm
1044 ul l’homme déterminé par ses relations prochaines et actives peut se sentir à la mesure des temps nouveaux. Sinon il n’est
1045 re des temps nouveaux. Sinon il n’est qu’angoisse et arbitraire, isolement, irréalité. Cette situation cosmique nouvelle e
1046 e dans son actualité (dans son être de relation), et la pensée dans ses effets. Elle agit dans la théologie, qui affirme à
1047 l’Église en tant que société de ceux qui croient, et qui revient à la doctrine du bien commun. Elle agit dans le mouvement
1048 n commun. Elle agit dans le mouvement œcuménique. Et dans le mouvement des Groupes d’Oxford et dans le domaine pédagogique
1049 énique. Et dans le mouvement des Groupes d’Oxford et dans le domaine pédagogique. C’est elle enfin qui pousse des milliers
1050 communautaire ont été les révolutions communistes et nationalistes.   4. Les premières réponses. C’est pour avoir deviné c
1051 ières réponses. C’est pour avoir deviné cet appel et pressenti l’ampleur de l’angoisse qu’il trahit, c’est pour l’avoir ép
1052 ’angoisse qu’il trahit, c’est pour l’avoir épousé et guidé, et même à demi satisfait, que triomphent les dictateurs. Ils o
1053 qu’il trahit, c’est pour l’avoir épousé et guidé, et même à demi satisfait, que triomphent les dictateurs. Ils ont agi au
1054 omme s’éprouve de nouveau réel, actif, nécessaire et relié. Tout jugement politique ou idéologique sur les réponses qu’ils
1055 de donner — classe ou nation — reste superficiel et arbitraire tant qu’il ne tient pas compte des dimensions profondes du
1056 dimensions profondes du phénomène collectiviste, et de la nécessité cosmique qu’il exprime. Les criticailleries libérales
1057 ire. Elles ne sont qu’une tentation superficielle et passagère, elles se réduisent à des poussées de fièvre politique ou i
1058 x masses qui les suivent un invincible dynamisme. Et dans leur communion avec ces masses, les chefs puisent une énergie oc
1059 sent une énergie occulte, une efficacité d’action et d’agression qui désarme instantanément les hommes d’État que nous leu
1060 aires professionnels, coupés de la nation vivante et prisonniers d’une tradition qui survit sans grandeur à ses racines. N
1061 munauté libre. Notre chance est dans l’invention, et non dans la défense, ou dans l’imitation. À la force vivante de desti
1062 s des droits que justement toute la crise dénonce et rend caducs, mais une force nouvelle qui résolve la crise dans le sen
1063 Je parle ici de forces totales, de crise totale, et de destins communs : forces, crise et destins qui sont tout à la fois
1064 ise totale, et de destins communs : forces, crise et destins qui sont tout à la fois politiques et culturels. L’Europe des
1065 ise et destins qui sont tout à la fois politiques et culturels. L’Europe des religions nouvelles nous met au défi de résou
1066 e que voici : — ou bien nous perdrons notre temps et notre chance dans l’histoire à critiquer ce que d’autres ont dû faire
1067 stoire à critiquer ce que d’autres ont dû faire ; et alors, d’ici vingt ou cent ans, nous serons réduits à l’état de colon
1068 s serons réduits à l’état de colonies économiques et culturelles par l’expansion normale de nos voisins ; — ou bien nous r
1069 dre. Mais nous avons surtout des valeurs à créer, et que nous seuls pouvons créer. Nous ne sommes pas en retard sur les So
1070 randioses. Ces symboles nous paraissent barbares, et cela est juste. Nous pouvons éprouver la puissance de ces nouvelles r
1071 ge, ici règne une nation dont nous ne sommes pas, et qui nous est hostile, non point par volonté méchante, ni par avidité
1072 is en être, nous sommes nés sous d’autres astres, et notre vocation est différente. Nous ne sommes pas de ces religions. L
1073 emeure impénétrable. Nos fins sont d’autres fins, et la mesure qui doit les incarner ne sera inventée que par nous. Non se
1074 ’un acte de foi contraire. Elles veulent la force et nous voulons la vérité. Elles veulent la force du grand nombre, et no
1075 a vérité. Elles veulent la force du grand nombre, et nous voulons la force personnelle, celle que donne la vérité. Notre m
1076 toujours nouvelles le vieux conflit de l’individu et de la masse.   6. La violence nécessaire. Car notre force est personn
1077 lence nécessaire. Car notre force est personnelle et non pas collective. Elle réside dans les petits groupes, non dans l’É
1078 use encore ce nom — la fédération, non la masse ; et non la tyrannie d’un seul, et non le gigantisme national. La société
1079 ion, non la masse ; et non la tyrannie d’un seul, et non le gigantisme national. La société doit être un corps, non pas un
1080 tre un corps, non pas une construction mécanisée. Et la santé et la force d’un corps supposent l’harmonie de fonctions div
1081 , non pas une construction mécanisée. Et la santé et la force d’un corps supposent l’harmonie de fonctions diversifiées, s
1082 sent l’harmonie de fonctions diversifiées, saines et fortes. C’est une harmonie « fédérale ». Restaurer, recréer cette for
1083 cette force, bâtir cette fédération de personnes et de groupes organiques, c’est obéir à notre vocation présente, mais c’
1084 une polémique antichrétienne. Voir David Strauss et L. Feuerbach. 53. De Man, L’Idée socialiste, p. 27-28. 54. Ibid.,
1085 , L’Idée socialiste, p. 27-28. 54. Ibid., p. 29 et 33. 55. Le troisième Plan sera consacré plus spécialement à l’édific
1086 mouvement stakhanoviste. 59. Le conflit de Marx et de Nietzsche chez plusieurs jeunes hommes d’aujourd’hui. 60. Dans le
1087 Les Russes ajoutent : de l’oppression tsariste ; et les Allemands : du déshonneur. v. Rougemont Denis de, « Culture et
1088 du déshonneur. v. Rougemont Denis de, « Culture et commune mesure », Esprit, Paris, novembre 1936, p. 251-273. w. Une n
20 1936, Esprit, articles (1932–1962). Henri Petit, Un homme veut rester vivant (novembre 1936)
1089 a provision de bon air contre du papier noirci », et il rapporte 300 pages, qui resteront sans doute comme l’un des docume
1090 comme l’un des documents humains les plus féconds et authentiques de ce siècle. J’imagine l’historien futur étudiant l’inv
1091 en plus que des faits : les réactions d’un esprit et d’une âme — le corps, ici, a peu de part, nous sommes en France — au
1092 re les deux sens du mot « vivre » : gagner sa vie et mériter sa vie ; et peut-être entre les deux sens du mot « gagner » :
1093 mot « vivre » : gagner sa vie et mériter sa vie ; et peut-être entre les deux sens du mot « gagner » : gagner le monde ou
1094 s peut-être au contraire parce qu’ici tout porte, et nous met du coup en présence du concret d’une vie située. Il faut s’a
1095 longue médiation sur les maîtres d’une génération et le passé de la race qu’ils prolongent (Barrès, Péguy, Romain Rolland)
1096 sur le journalisme, la condition du fonctionnaire et le « moyen de parvenir » qui parurent ici même l’an dernier ; de cett
1097 ette mesure constamment observée — voilà sa ruse— et qui nourrit enfin, comme sans le vouloir, le plus féroce réquisitoire
1098 une critique de l’État — « Le Tous contre un » — et de son emprise sur nos vies. Critique dont la portée directe et l’évi
1099 ise sur nos vies. Critique dont la portée directe et l’évidence insupportable naissent non point d’une vue théorique sur q
1100 autrement, je n’en finirais pas, dans cette note, et j’ignore même si j’en viendrais jamais à bout dans mon esprit. Voici 
1101 trésors de la « spiritualité », qu’une dernière, et subtile, et modeste défense — la plus orgueilleuse sans doute — contr
1102 la « spiritualité », qu’une dernière, et subtile, et modeste défense — la plus orgueilleuse sans doute — contre la questio
1103 e à l’homme pécheur le Dieu-homme. Mais ceci dit, et maintenu, — j’admire qu’un incroyant ait su donner à notre position p
1104 monde n’a plus pour moi le caractère intelligible et nécessaire qu’il avait pour mes ancêtres », il sait aussi, et il nous
1105 e qu’il avait pour mes ancêtres », il sait aussi, et il nous fait savoir, que c’est à nous de recréer un monde où notre vi
1106 . Puis j’ai trouvé ce cri : « Tout me concerne », et ce sous-titre, vers la fin : « Retour à la passion ». Et maintenant n
1107 ous-titre, vers la fin : « Retour à la passion ». Et maintenant nos routes se joignent. x. Rougemont Denis de, « [Compt
21 1936, Esprit, articles (1932–1962). Note sur nos notes (novembre 1936)
1108 e social qui l’a laissée devenir ce qu’elle est ; et plus encore à chacun de nous dans le cœur duquel ce régime plonge ses
1109 lus aujourd’hui, qu’il faut commencer par refaire et qui suppose le développement sur tous les plans de la révolution pers
1110 ré, aux mêmes questions : pourquoi écrivez-vous ? et pour quoi, et pour qui ? Or on ne peut poser ces questions-là que si
1111 questions : pourquoi écrivez-vous ? et pour quoi, et pour qui ? Or on ne peut poser ces questions-là que si l’on sait, pou
22 1936, Esprit, articles (1932–1962). Erskine Caldwell, Le Petit Arpent du Bon Dieu (novembre 1936)
1112 prit gaulois aux conventions de l’amour courtois, et à y voir la conception naturaliste de l’amour, en opposition avec la
1113 ylisée. Elle doit représenter la réalité complexe et pénible sous une forme simplifiée et illusoire. Tout ce qui constitue
1114 ité complexe et pénible sous une forme simplifiée et illusoire. Tout ce qui constitue la gauloiserie : la licence fantaisi
1115 le dédain de toutes les complications naturelles et sociales de l’amour, l’indulgence pour les mensonges et les égoïsmes
1116 iales de l’amour, l’indulgence pour les mensonges et les égoïsmes de la vie sexuelle, la vision d’une jouissance infinie,
1117 C’est un idéal quand même : celui de la luxure. Et c’est encore une évasion, encore un exotisme à l’usage d’une générati
23 1936, Esprit, articles (1932–1962). André Gide, Retour de l’URSS (décembre 1936)
1118 ier de cet objet, je veux dire son message unique et par là même généralement humain. Gide retrouve la manière classique d
1119 ne permanente correction que par scrupule humain, et par prudence aussi, il oppose à ses entraînements. L’âge venant, je
1120 s de curiosité pour les paysages, beaucoup moins, et si beaux qu’ils soient ; mais de plus en plus pour les hommes. Voilà
1121 cepté Saint-Marc. Il y a de quoi faire au-dehors, et la foule m’intéresse infiniment… » Goethe poursuit : « Aujourd’hui je
1122 j’ai observé les gens, comment ils marchandaient et achetaient avec une convoitise, une attention et une astuce inexprima
1123 et achetaient avec une convoitise, une attention et une astuce inexprimables…63 » Mais voici Gide de son côté, observant
1124 s voici Gide de son côté, observant les acheteurs et l’étalage du bazar de Moscou : « Les marchandises sont, à bien peu pr
1125 rmandise. » (Il est plaisant de rapprocher Goethe et Gide ; mais comparez aussi, Venise et Moscou — 1786 et 1936 —, et ces
1126 cher Goethe et Gide ; mais comparez aussi, Venise et Moscou — 1786 et 1936 —, et ces deux peuples : la convoitise et l’ast
1127 de ; mais comparez aussi, Venise et Moscou — 1786 et 1936 —, et ces deux peuples : la convoitise et l’astuce attentive de
1128 omparez aussi, Venise et Moscou — 1786 et 1936 —, et ces deux peuples : la convoitise et l’astuce attentive de l’un, la ré
1129 86 et 1936 —, et ces deux peuples : la convoitise et l’astuce attentive de l’un, la résignation de l’autre… Nathanaël, gou
1130 connaître Gide, l’avant-propos de son petit livre et cette espèce de happy end que figure le dernier paragraphe, il paraît
1131 pilogue : « L’URSS n’a pas fini de nous instruire et de nous étonner. » Précautions, je sais bien. Mais ici, sont-elles ef
1132 cela. Mais c’est aussi plus clair que la préface et l’épilogue ne le donneraient à penser. Parlons net : il s’agit ici d’
1133 e ce qu’il faut bien appeler le bluff stalinien ; et je ne dis pas du tout : d’une critique de ce qu’il y a de profond dan
1134 onciation des slogans d’exportation qui ont fait, et font encore, les trois-quarts du succès de l’URSS auprès des intellec
1135 u tout au moins l’indifférence, que ceux qui sont et qui se sentent du “bon côté”, marquent à l’égard des “inférieurs”, de
1136 eurs”, des domestiques, des manœuvres, des hommes et femmes “de journée”, et j’allais dire : des pauvres. Il n’y a plus de
1137 des manœuvres, des hommes et femmes “de journée”, et j’allais dire : des pauvres. Il n’y a plus de classes en URSS, c’est
1138 (en tant que « cellule sociale »), de l’héritage, et du legs64, le goût du lucre, de la possession particulière, reprennen
1139 t le pas sur le besoin de camaraderie, de partage et de vie commune. » On ricanait quand Berdiaev prophétisait l’apparitio
1140 telle théorie est conforme à cette ligne sacrée. Et malheur à qui chercherait à pousser plus loin ! » Je demande alors si
1141 nticlérical. Seulement, la dissociation de la foi et des œuvres de l’Église est relativement aisée pour un esprit qui reco
1142 ès lors qu’une doctrine se veut purement humaine, et historiquement valable, elle est comptable de ses déviations humaines
1143 le, elle est comptable de ses déviations humaines et historiques. Elle est jugée par ces déviations. Elle est jugée par ce
1144 Elle est jugée par ce que les hommes en ont fait, et par la réussite ou bien l’échec de ses prévisions pratiques. Gide le
1145 rapport au marxisme] n’est peut-être qu’apparent, et si ce qui nous apparaît comme une dérogation n’est pas une conséquenc
1146 r.) C’est ici tout le problème que pose ce livre, et qu’il laisse encore en suspens. Les staliniens auront beau jeu : ils
1147 ide de bourgeois libéral, de monsieur susceptible et réactionnaire. Si l’on accepte vraiment le marxisme, pourquoi s’indig
1148 toucher le fond réel de la situation historique. Et la droite, si elle était honnête, serait encore plus gênée que la gau
1149 que la gauche par ce portrait de l’URSS fascisée et embourgeoisée. Mais nous, personnalistes, que dirons-nous ? Le livre
1150 déguisée en nourrice. Elle veut en faire un dieu, et pour cela le couche chaque soir sur un lit de braises. « Il supporte
1151 de braises. « Il supporte l’ardeur des charbons, et cette épreuve le fortifie. » Mais la mère, Métaneire, fait irruption.
1152 aneire, fait irruption. « Elle repoussa la déesse et tout le surhumain qui se forgeait, écarta les braises et, pour sauver
1153 le surhumain qui se forgeait, écarta les braises et , pour sauver l’enfant, perdit le dieu. » La légende est belle. C’est
1154 eu qui est en lui, c’est que l’homme est pécheur, et ne peut pas outrepasser les limites de sa condition. Qui veut faire l
1155 que nous éprouvons à voir Gide, en dépit de tout, et avec tant de courage malgré tant de prudences, persévérer dans une vo
1156 , c’est Gide « qui n’a pas fini de nous instruire et de nous étonner ». 63. Journal de voyage en Italie, 29 septembre 17
1157 eptembre 1786. 64. Pends-toi, brave Kérillis ! —  et si les nazis savaient cela ! 65. Certes, Gide ne se prive pas d’admi
1158 talinisme, ou ce qu’il en admire, ce sont excuses et admirations que nous proposent identiquement les régimes fascistes (a
1159 es régimes fascistes (autarchie nécessaire, p. 50 et 51, démocratisation du luxe, p. 60, etc.). aa. Rougemont Denis de,
24 1937, Esprit, articles (1932–1962). Défense de la culture (janvier 1937)
1160 ducs d’Albe a été détruit par les obus de Franco, et Commune, par la voix d’Aragon, exprime sa juste indignation. Crime co
1161 nt restés ici avec les communistes, écrit Aragon. Et le petit chien du duc, qui figure sur le portrait du gentilhomme, fai
1162 en France, où rien n’entrave la liberté d’éditer et de vendre tout ce que l’on imagine. Ce n’est pas le « fascisme » qui
1163 ien, donner sa feuille de salade verte au canari. Et nous ne sommes pas « communistes » pour si peu. Je constate simplemen
1164 ulture, achète des livres, fréquente les théâtres et les concerts, bref, se cultive avec cette sorte de passion que le Fra
1165 son régime de liberté, à la lecture de Paris-Soir et Paris-Sports, quand ce n’est pas Paris-Soir-Dimanche. Quels chiffres
1166 chert, ont atteint quatre-vingts, soixante-quinze et cent-mille. Et c’est un écrivain de classe ! L’essai de Gedat intitul
1167 int quatre-vingts, soixante-quinze et cent-mille. Et c’est un écrivain de classe ! L’essai de Gedat intitulé Un chrétien d
1168 trois-centième-mille un an après sa publication. Et les poètes ne restent pas en arrière : le jeune Gerhard Schuhmann, qu
1169 mann, qui est nazi, a des tirages de douze-mille, et le vieux Ch. Morgenstern, qui ne l’est pas, un tirage de cinquante-mi
1170 ports de la politique, de l’économie de la nation et de la culture sont un peu moins simplets que ces partisans ne le croi
1171 u moins simplets que ces partisans ne le croient. Et que ce n’est pas d’abord contre le fascisme à l’étranger, mais d’abor
25 1937, Esprit, articles (1932–1962). La fièvre romanesque (janvier 1937)
1172 débutant : « Les personnages n’y semblent naître et se nourrir que de la fièvre de l’auteur. » N’est-ce pas, en somme, to
1173 omme, toujours ainsi que les personnages naissent et se nourrissent ? Mais on a convenu de n’en rien laisser paraître. Oui
1174 oderne nous propose, mais très diversement vêtue, et il essaie de nous intéresser d’abord aux vêtements. Il entend bien no
1175 , chargées de nous distraire pendant l’opération, et de nous faire croire que ce n’est pas lui qui agit… Pourtant ses pers
1176 Je n’ignore pas que des visions parfois bizarres et amusantes, ou émouvantes, souvent fort incertaines et monotones, s’im
1177 musantes, ou émouvantes, souvent fort incertaines et monotones, s’imposent de cette manière au déprimé fiévreux. La questi
1178 d’ignorer qu’elles sont anxieusement souhaitées, et cultivées avec des soins jaloux, si par hasard on les obtient.) Qu’on
1179 rieux de l’homme contre ses servitudes naturelles et les illusions qu’elles entraînent : Goethe ou Balzac n’ont rien fait
26 1937, Esprit, articles (1932–1962). Jean Blanzat, Septembre (janvier 1937)
1180 , par masochisme. Un jeune mari trouble sa femme, et la perd enfin, à force de souffrir d’une infidélité qu’elle pourrait
1181 e détails intimes semblent destinés à faire vrai, et à prouver que l’on n’invente rien de ce tourment. Est-ce donc un témo
1182 ien de ce tourment. Est-ce donc un témoignage pur et simple — ni si pur ni si simple d’ailleurs, — la relation volontairem
1183 ivre n’est ni passionnant, ni indifférent, habile et sensible à la fois. On le lit sans savoir pourquoi ; peut-être pour c
1184 e ou amuser. (Comme on l’exige de nouveau en URSS et en Allemagne.) Mais nos romans ne veulent plus de morale — à cause de
1185 e veulent plus de morale — à cause de « l’art » — et l’art consiste à vous faire partager des tourments aussi déprimants q
27 1937, Esprit, articles (1932–1962). Robert Briffaut, Europe (janvier 1937)
1186 Dos Passos le procédé des biographies parallèles, et Franz Lehar les décors d’opérette. Catalogue illustré des vices les p
1187 pectacle où Jaurès, Mussolini, Lénine, d’Annunzio et Nietzsche viennent faire de petits sketches non dénués d’à-propos, al
1188 anesques retrouvent enfin leur vérité originelle. Et l’on se laisse aller à de vieux trucs trop éprouvés, ahuri et charmé
1189 aisse aller à de vieux trucs trop éprouvés, ahuri et charmé de découvrir qu’ils jouent, pour une fois, sans tricher. Mais
1190 ité réelle, c’est-à-dire plus de radicale dureté. Et renoncer à la charmer, ou à se laisser charmer — ceci pour moi lecteu
28 1937, Esprit, articles (1932–1962). Paul Vaillant-Couturier, Au service de l’Esprit (février 1937)
1191 ais, le 16 octobre 1936. C’est donc un manifeste, et un texte officiel. Il convient d’en parler avec sérieux. Tout d’abord
1192 bord quelques citations : L’homme ne peut penser et créer que s’il est libre. — Nous avons toujours admis la légitimité d
1193 re — ce qu’il y a d’humain dans l’attendrissement et dans le besoin de bonté de la charité. — Tout le problème est là : me
1194 irituelle absolue, par suite rejet du capitalisme et du fascisme ; liberté nécessaire de la culture ; enfin, subordination
1195 lante, compréhensive, rayonnante, toute de mesure et de goût. — Nous sommes attachés à cette sélection de grâce et de mesu
1196 — Nous sommes attachés à cette sélection de grâce et de mesure qui s’appelle la politesse française. Ensuite parce que le
1197 résoudre les problèmes de la paix, de la liberté et du pain des hommes. » Autant dire qu’il ne fait plus confiance à Marx
1198 attaques marxistes contre les positions d’Esprit et de l’ON depuis quatre ans, n’avaient pas même l’excuse de la sincérit
1199 me : étatisme, dictature, déterminisme économique et pas un mot de l’oppression stalinienne. Et pas un mot de la « dialect
1200 omique et pas un mot de l’oppression stalinienne. Et pas un mot de la « dialectique ». Et puis, qu’est-ce que l’Esprit qu’
1201 stalinienne. Et pas un mot de la « dialectique ». Et puis, qu’est-ce que l’Esprit qu’il veut servir ? La majuscule ne suff
1202 de mal au parti stalinien que les livres de Gide et de Céline.   P.-S. — On a corrigé par un erratum manuscrit la faute d
29 1937, Esprit, articles (1932–1962). Vassily Photiadès, Marylène ou à qui le dire ? (février 1937)
1203 nt des souvenirs d’enfance, fort bien réinventés, et contés dans un style un peu chantant, voilé, énigmatique par endroits
30 1937, Esprit, articles (1932–1962). Albert Thibaudet, Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours (mars 1937)
1204 aisse d’idées, carte des vins commentée, bonhomie et rosseries négligentes, vagabondages, passages, glissements, liaisons,
1205 venait, où il allait), ce bergsonien pittoresque et succulent, devisant à la terrasse des Deux Magots, n’a pas eu le temp
1206 Nietzsche. Nous disons « existence » (dure, naïve et banale) quand il parle d’élan vital. (Heidegger succède à Bergson.) N
1207 fournir un « rapprochement », une « référence », et ne sont qualifiés, en passant, que par rapport au snobisme furtif d’u
1208 eux de lire enfin un manuel où Rimbaud, Sénancour et Stendhal trouvent leur place. Mais que dire de l’absence de Proudhon,
1209 e de Proudhon, grand écrivain français pourtant ; et de celle de Georges Sorel ? Et même de celle de Nietzsche, sans qui G
1210 rançais pourtant ; et de celle de Georges Sorel ? Et même de celle de Nietzsche, sans qui Gide et tant d’autres nous demeu
1211 el ? Et même de celle de Nietzsche, sans qui Gide et tant d’autres nous demeurent inexplicables ? Ceci dit, l’on pourra d
1212 sujet. Son chapitre sur Balzac a de la grandeur, et touche même au délire poétique : reportez-vous à la phrase de 16 lign
1213 la phrase de 16 lignes qui termine la page 229 ! Et personne n’a jamais manié la métaphore continuée avec une fantaisie (
1214 esquels montent, l’un pinçant l’autre, le calicot et la grisette, vers un génie prétentieux qui est lui-même sujet de chan
1215 rtier d’histoire populaire, celui de Juillet 1789 et de Juillet 1830. » De tels passages — et ils foisonnent — donnent la
1216 let 1789 et de Juillet 1830. » De tels passages — et ils foisonnent — donnent la mesure de l’écrivain et de l’artiste, du
1217 ils foisonnent — donnent la mesure de l’écrivain et de l’artiste, du conteur, du fabulateur d’idées que reste pour nous T
31 1937, Esprit, articles (1932–1962). Jacques Benoist-Méchin, Histoire de l’armée allemande depuis l’armistice (mars 1937)
1218 r. Du point de vue de la tactique révolutionnaire et contre-révolutionnaire, je ne connais pas d’ouvrage plus riche et plu
1219 tionnaire, je ne connais pas d’ouvrage plus riche et plus précis, sinon les mémoires de Trotski. Deux personnages retiendr
1220 rps francs qui réduisirent les révoltes ouvrières et séparatistes, — et Noske, commissaire du peuple devenu ministre de la
1221 isirent les révoltes ouvrières et séparatistes, —  et Noske, commissaire du peuple devenu ministre de la Guerre, figure cla
1222 l’homme à poigne » touché par la grâce nationale, et qui se charge d’écraser la révolution avec une brutalité qu’aucun bou
32 1937, Esprit, articles (1932–1962). Retour de Nietzsche (mai 1937)
1223 enne, qui marque un léger retrait dans les revues et la librairie — en attendant la publication en volume des importantes
1224 lles précèdent toujours des événements politiques et sociaux plus profonds que le jeu apparent et confus des partis ou des
1225 ques et sociaux plus profonds que le jeu apparent et confus des partis ou des classes. Si Kierkegaard a été découvert, dan
1226 ur interaction, cependant que leur cause générale et commune n’apparaîtra sans doute qu’à nos après-venants. Ce qui semble
1227 ité de l’intelligence étant, à l’époque présente, et en France, beaucoup plus vive et juste que celle des masses ou des po
1228 époque présente, et en France, beaucoup plus vive et juste que celle des masses ou des politiciens. (Je ne dis pas qu’elle
1229 e, raillé le nationalisme, dénoncé le socialisme, et déclaré que l’État est le plus froid des monstres froids. À part cela
1230 n exaltation de la volonté humaine, de l’athéisme et de la force, qui sont devenus les valeurs fondamentales du stalinisme
1231 digne de ce nom. « La seule société pleine de vie et de force, écrit G. Bataille, la seule société libre est la société bi
1232 ce point, qui est central, l’accord de Nietzsche et de ses disciples avec le personnalisme paraît beaucoup plus facile à
1233 te autre doctrine politique66. Mais pour Bataille et ses amis, l’« acéphalité » est aussi une doctrine métaphysique antich
1234 nettement des tendances nietzschéennes d’Acéphale et de certains membres du groupe d’Inquisitions, comme R. Caillois, c’es
1235 ue, mais « sévissant à travers la terre entière » et « portant la vie au comble de la volonté de puissance et de l’ironie 
1236 rtant la vie au comble de la volonté de puissance et de l’ironie ». Il me paraît que c’est bien à quoi devait aboutir le v
1237 que c’est bien à quoi devait aboutir le véritable et intégral nietzschéisme dans le plan politico-social. Historiquement,
1238 masochique volupté les « hommes de quarante ans » et certains jeunes qui ne les valent pas. Je ne pressens rien de créateu
1239 études de revues sur Nietzsche : le Zarathoustra et la Volonté de Puissance 67. Beaucoup mieux traduites que les œuvres p
1240 8, ces trois volumes donnent une image définitive et nouvelle de la pensée nietzschéenne. Ils permettent en particulier de
1241 lace centrale la conception du « retour éternel » et de la volonté d’éternisation, qui est le véritable message « religieu
1242 ble message « religieux » de Nietzsche. Les notes et aphorismes traduits pour la première fois à la suite du Zarathoustra
1243 leur fait d’être pauvres en amour du prochain » ; et  : « Toute création est communication. Celui qui connaît, celui qui cr
1244 onté humaine, qui doit vouloir son destin éternel et nécessaire… Enfin, dernier événement nietzschéen : L’Introduction à l
1245 unauté unitaire que la personne emprunte sa forme et son être. » Les trois derniers mots définissent exactement le pseudo-
33 1937, Esprit, articles (1932–1962). Journal d’un intellectuel en chômage (fragments) (juin 1937)
1246 À A… (Gard), 15 janvier Matinées d’hiver au midi Et voici par la grâce du soleil de janvier qu’un mot devient le plus bea
1247 a dit par les trois syllabes de ce mot qui décrit et embrasse les trois dimensions de la joie, est dit aussi par le vallon
1248 la joie, est dit aussi par le vallon des oliviers et par sa jeune nudité. Pas une vapeur ne s’élève de l’herbe pauvre des
1249 rbe pauvre des terrasses, ni de ces arbres moirés et allègres. Tout est vu du premier regard, doucement compris, approuvé.
1250 ne proximité des choses vues, un langage innocent et raisonnable ; voilà le monde à son contentement ; à la mesure de l’am
1251 vant une piste par jeu. Le ciel est d’un bleu sec et pur, tranché au sommet du vallon par un cyprès grandiloquent. Et cett
1252 au sommet du vallon par un cyprès grandiloquent. Et cette maison couleur de terre et festonnée de tuiles roses, elle est
1253 s grandiloquent. Et cette maison couleur de terre et festonnée de tuiles roses, elle est bien à la ressemblance des vieill
1254 blance des vieilles paysannes de par ici, recuite et mordue par le temps, sobre et gaie, pauvre et spirituelle… 28 janvier
1255 de par ici, recuite et mordue par le temps, sobre et gaie, pauvre et spirituelle… 28 janvier Avoir la veine « J’avais pris
1256 ite et mordue par le temps, sobre et gaie, pauvre et spirituelle… 28 janvier Avoir la veine « J’avais pris un billet de la
1257 parce que la gauche, c’est le parti de la Raison et du Progrès, qui naît de la Science. C’est ce mari-là qui aura payé le
1258 ondamentales de notre science la plus élémentaire et la plus sûre, l’arithmétique. Mais qui s’avise d’une telle contradict
1259 e concevoir la vérité simultanée de notre science et de la « veine » individuelle. C’est l’un ou l’autre ; ou mieux, l’un
1260 la veine. Mais notre jacobin ne croit à la Raison et à la Science mère du Progrès, que dans la mesure où cela lui permet d
1261 . Ciel gris mouvant, une barre jaune à l’horizon. Et sur le petit toit au-dessous de moi, tout près, soudain je vois un pi
1262 appelle, il donne quelques coups de tête furtifs, et se détourne. D’où vient-il ? On m’a dit qu’il n’y a pas de pigeons pa
1263 me voir ? Il se tient là des heures, sans bouger, et s’envole d’un coup vers le soir. Le lendemain, il est là de nouveau,
1264 tre, au-dessus du poulailler, elle a vu le pigeon et m’a appelé. — Il a vraiment l’air de vouloir dire quelque chose ! Il
1265 iver quelque chose par là ? Du côté de Marseille… Et soudain je me suis souvenu de la conférence que je dois donner à Mars
1266 demment absurde, cette histoire. Je le vois bien. Et en même temps, je vois que je mentirais si j’écrivais que je n’y croi
1267 ns quotidiennes est faite de croyances spontanées et absolues en des « raisons » qui n’en sont pas, mais qui m’ont toujour
1268 s qui m’ont toujours convaincu beaucoup plus vite et beaucoup mieux que les autres. Tout ce que j’ai fait à cause d’un chi
1269 coïncidence d’un sentiment ou d’un pressentiment et d’un hasard tout extérieur, à cause d’un certain jeu que je poursuis,
1270 porte à la défense de mes intérêts « objectifs »… Et ce jeu-là, je suis tellement le seul à en connaître les règles et les
1271 suis tellement le seul à en connaître les règles et les interdictions que je n’imagine pas pouvoir jamais m’en « rendre c
1272 mais m’en « rendre compte » en langage ordinaire, et surtout en français. On admet facilement que les Césars jettent les d
1273 ns profonds qui m’unissent à ce peuple de paysans et d’ouvriers, si délibérément superstitieux dans leur conduite et dans
1274 si délibérément superstitieux dans leur conduite et dans leurs opinions. On dit bien : l’exception confirme la règle. Oui
1275 n, un type spécial, différent de tous les autres… Et ce n’est guère qu’à l’instant où l’on découvre que tous les autres en
1276 ne prendre qu’un seul exemple : que de tourments et de secrets désespoirs chez les adolescents troublés par le désir, s’a
1277 ent que leur état jugé par eux « exceptionnel » — et dont la honte alors les opprimait — est justement l’état de l’homme v
1278 — est justement l’état de l’homme vraiment homme, et le signe d’une accession à la condition générale ! Avouer ses superst
1279 en un éclair, que chaque homme est irréductible, et que chaque homme a ses aveux à faire. Et l’on comprend ainsi, soudain
1280 uctible, et que chaque homme a ses aveux à faire. Et l’on comprend ainsi, soudain, que l’on est un homme « comme les autre
1281 aint d’ordinaire d’avouer sa réalité individuelle et ses superstitions, c’est sans doute en vertu d’une prudence qui est l
1282 qui est le fondement même de toute « politique ». Et si j’avoue et légitime la réalité de mes superstitions, il faut tout
1283 dement même de toute « politique ». Et si j’avoue et légitime la réalité de mes superstitions, il faut tout de suite que j
1284 e pourrait pas. Ma loi vaut tout juste pour moi. ( Et s’il fallait tenir compte de toutes les bizarreries auxquelles les ho
1285 it aller à l’encontre de la réalité individuelle, et c’est pour elle la seule manière d’être en vérité « réaliste ». Je cr
1286 personne. Elle doit tenir compte de la personne, et finalement favoriser son développement, mais d’une manière négative,
1287 st à ce prix qu’elle assurera quelque équilibre — et c’est tout ce que je lui demande. Mais ici prenons garde à deux faits
1288 à deux faits, aussi importants l’un que l’autre, et qui donnent leur vrai sens aux remarques que je viens de formuler. Pr
1289 e quelque chose de mouvant. Tout équilibre stable et sclérosé produirait immédiatement des désordres sans nombre. Une tell
1290 ires qu’il s’agissait de maîtriser — le singulier et le général — ont perdu l’une et l’autre leur dynamisme propre. Si l’É
1291 er — le singulier et le général — ont perdu l’une et l’autre leur dynamisme propre. Si l’État ne freinait plus, si la pers
1292 ne serait en fait que la limite du pire désordre, et c’est la mort. Cas purement idéal bien entendu puisque l’histoire ne
1293 endre, c’est l’anarchie qui renonce à ses droits. Et si le cadre de l’État paraît demeurer identique, la démoralisation gr
1294 institutions n’ont guère changé depuis un siècle, et c’est pourquoi l’on s’imagine que l’équilibre s’est stabilisé. Au vra
1295 il cesse de se croire des droits « irrationnels » et immédiats contre l’État. Le sens de la révolte se perd. Il se sublime
1296 u le plus libre des superstitions que j’ai dites, et dont l’éducation se fait très lentement sous l’influence des résistan
1297 venons à la superstition du peuple. Je l’approuve et je la partage en fait le plus souvent, quand elle exprime une réalité
1298 pour néfaste quand elle sort du domaine personnel et déborde dans la politique. On devine peut-être pourquoi. C’est qu’ell
1299 on, elle se met à jouer au profit de la politique et des doctrines d’État qui doivent justement la combattre, le désordre
1300 nt justement la combattre, le désordre s’installe et grandit. Dans notre cas, l’État devient totalitaire. « Là où l’homme
1301 e mentionner les causes profondes, cessent d’agir et de faire effort contre les lois qui les limitaient normalement. L’hom
1302 les — se met à croire de la même manière aux lois et aux pouvoirs qu’il aurait dû combattre. (Volonté et pouvoir des masse
1303 aux pouvoirs qu’il aurait dû combattre. (Volonté et pouvoir des masses, fatalités économiques, évolution de l’Histoire, m
1304 ues, évolution de l’Histoire, mythes de la gauche et de la droite, divinité du Führer, omniscience du Duce, etc.) Toutes c
1305 nnent l’objet anormal de ses croyances spontanées et immédiates. D’où l’empire monstrueux qu’elles prennent sur les esprit
1306 ire monstrueux qu’elles prennent sur les esprits, et la réalité de cauchemar qu’elles affectent, — dont les affecte notre
1307 es affectent, — dont les affecte notre démission. Et c’est ainsi d’un refoulement, puis d’un transfert fatal de nos supers
1308 ables que naissent par exemple la menace fasciste et l’enthousiasme communiste. La plupart des fameuses « lois » économiqu
1309 it : « Voilà ce que je ferai parce qu’il le faut. Et que voulez-vous qu’ils y fassent ? » 6 mars (de retour à A…) Contact
1310 paysans, cercles d’hommes, groupant des ouvriers et des bourgeois… J’ai parlé en plein air, dans de grandes salles publiq
1311 ui vaut bien les ennuis du voyage, le temps perdu et les fatigues, bien qu’elles paraissent souvent vaines, que la joie de
1312 voir son public, de s’entretenir avec ces hommes et ces femmes pour qui l’on écrivait sans le savoir. Découverte des dive
1313 tendus ou épanouis dans une compréhension amicale et directe. Je vois cette abstraction : le Public, s’évanouir et renaîtr
1314 Je vois cette abstraction : le Public, s’évanouir et renaître, incarnée à chaque fois dans une seule figure précise, qui p
1315 découvre que le public, c’est une série d’hommes et de femmes isolés, qui ont chacun leurs raisons très concrètes et sing
1316 olés, qui ont chacun leurs raisons très concrètes et singulières de lire ce qu’un autre a écrit, d’écouter ce qu’un autre
1317 des questions, celui qui vous attend à la sortie, et ne sait trop comment vous aborder, celui qui vous entraîne dans sa ch
1318 jours une raison unique, qui ne vaut qu’entre lui et moi, et qui ne prend son vrai sens que dans cette rencontre effective
1319 e raison unique, qui ne vaut qu’entre lui et moi, et qui ne prend son vrai sens que dans cette rencontre effective. Ce son
1320 e moralement à la portée de ces esprits, visibles et lisibles sur ces visages. Presque nécessairement l’entretien institué
1321 eur, dont il connaissait peut-être déjà la pensée et qu’il vient de voir de près une heure durant. Il a pu corriger ses pr
1322 une heure durant. Il a pu corriger ses préjugés. Et la première rencontre, sous l’auvent du local que l’on quitte, est en
1323 le contact s’établit normalement, sans surprises et sans illusion. Ce n’est plus une pensée lointaine qui anime un rêve,
1324 ncontre un autre homme dans sa situation concrète et ses habits de tous les jours, sa maladresse et son étrangeté. Alors s
1325 te et ses habits de tous les jours, sa maladresse et son étrangeté. Alors seulement quelque chose peut se passer en vérité
1326 ain dans la plupart de nos habiletés littéraires, et au contraire ce qu’il y a d’humain dans certaines imprudences naïves
1327 nos précautions oratoires, logiques ou mondaines, et ce qu’il y a au contraire d’efficace dans l’affirmation pure et simpl
1328 a au contraire d’efficace dans l’affirmation pure et simple de thèses qui paraîtraient très difficiles au jugement du cler
1329 critiques. Il va tout droit à ce qui le concerne, et c’était justement, parfois, cette idée qu’on avait timidement glissée
1330 ve concret ce que le critique aura jugé paradoxal et gratuit, il néglige au contraire certaines qualités mineures et curie
1331 néglige au contraire certaines qualités mineures et curieuses ou certains ornements de la pensée que le critique, blasé p
1332 le critique, blasé par des lectures trop rapides, et plus sensible aux tics qu’à la pensée fondamentale, n’aura pas manqué
1333 ivain, de retrouver une commune mesure de langage et de sensibilité avec des hommes de toutes les classes et de tous les m
1334 sensibilité avec des hommes de toutes les classes et de tous les métiers. Certes, ce n’est jamais qu’avec des êtres singul
1335 uver, c’est le contact avec l’homme qui réfléchit et qui fait la critique des idées non point à l’aide des opinions de son
1336 peut faire sentir à l’écrivain ce qui est solide et ce qui est artificiel dans ce qu’il écrit. Et cette critique directe,
1337 ide et ce qui est artificiel dans ce qu’il écrit. Et cette critique directe, informulée, parfois dramatique, c’est bien la
1338 ée dans nos villes, au milieu des feuilletonistes et des snobs, nous en sommes arrivés à parler dans le vide, à ne parler
1339 ommes normaux chargés d’une vocation d’expression et de réflexion. Nous sommes des hommes spéciaux exploitant leur spécial
1340 être classés dans la catégorie des femmes à barbe et des veaux à deux têtes qu’on montre aux foires. On dit que nous avons
1341 l’approche de la joie, elle se sent gênée, pauvre et maladroite, pareille à cette clarté lunaire incapable d’exalter ce qu
1342 inée du lundi de Pâques, 7 heures Tout est trempé et ruisselant de lumière bleue, les feuillages encore translucides au-de
1343 gèreté originelles. Les oliviers sont plus soyeux et plus moirés sur le vert plus violent des terrasses, la colline plus r
1344 ent des terrasses, la colline plus riche d’ombres et de lueurs doucement étagées. Et les lointains de plaine évoquent l’in
1345 us riche d’ombres et de lueurs doucement étagées. Et les lointains de plaine évoquent l’instant de la séparation des eaux
1346 aine évoquent l’instant de la séparation des eaux et de la terre, dans un chaos brillant d’où montent des vapeurs d’aube d
1347 Hier il pleuvait. Vendredi, c’était grand soleil. Et les bonnes femmes disaient, au seuil du temple : « Voyez-vous ça, com
1348 tres années, il pleut toujours le Vendredi saint, et il fait beau le jour de Pâques. » Je leur réponds : « Que voulez-vous
1349 s qu’il fait, occupation fondamentale des paysans et des bourgeois, c’est une manière de s’exprimer qui en dit plus long q
1350 us long qu’on ne croirait. « J’ai mes brouillards et mon beau temps au-dedans de moi », note Pascal. En sorte que s’étonne
1351 mes conventions, etc. prévoyaient autre chose. » Et l’on décrit les croyances de son groupe en « parlant de la pluie et d
1352 croyances de son groupe en « parlant de la pluie et du beau temps ». (Je dis bien groupe, car il y a peu de « personnes »
1353 entir le vallon de leurs déchirements wagnériens. Et voilà que cela prend les chiens. Toute la nuit, ils se sont battus da
1354 remise qui est juste au-dessous de notre chambre, et dans la cour, et sur toutes les terrasses. Avec des cris et des râles
1355 ste au-dessous de notre chambre, et dans la cour, et sur toutes les terrasses. Avec des cris et des râles presque humains.
1356 cour, et sur toutes les terrasses. Avec des cris et des râles presque humains. Ce matin, j’ai trouvé des traces de sang s
1357 scaliers, redescendaient, parcouraient la prairie et les cultures à longues foulées, le nez au sol. Soudain, l’un relevait
1358 s, le nez au sol. Soudain, l’un relevait la tête, et s’en allait. Un nouveau faisait son apparition au haut de la colline.
1359 sait son apparition au haut de la colline. Simard et moi leur avons lancé quelques pierres, pour voir. Ils s’éloignaient u
1360 oignaient un peu, en se retournant à chaque saut, et puis cela revenait bientôt de tous côtés. Haletants, craintifs et obs
1361 enait bientôt de tous côtés. Haletants, craintifs et obstinés. Après le déjeuner, flânant au jardin, je me penche par hasa
1362 , je me penche par hasard au bord de la terrasse, et voilà que je découvre au-dessous de moi un spectacle étrange et presq
1363 e découvre au-dessous de moi un spectacle étrange et presque « atterrant ». La petite chienne est couchée, sur le flanc, h
1364 és au soleil. J’en compte huit, de toutes tailles et pelages. La plupart sont beaucoup plus grands que leur Marquise, mais
1365 sont mis. Un vieux mâle coasse des notes basses, et le chœur lui répond deux octaves au-dessus. Toujours ces luttes dans
1366 e de l’espèce, tourmente les bêtes, les essouffle et les esquinte, les rend craintives et méchantes, lourdes, baveuses et
1367 es essouffle et les esquinte, les rend craintives et méchantes, lourdes, baveuses et difformes. Il faut voir les yeux pito
1368 s rend craintives et méchantes, lourdes, baveuses et difformes. Il faut voir les yeux pitoyables de ces grands chiens qui
1369 ntière gémit dans les angoisses de l’enfantement. Et ce n’est pas elle seulement, mais nous aussi, qui avons les prémices
1370 emander à la Nature la révélation d’une vie saine et délivrée de toute contrainte mauvaise, c’est trahir cette « attente a
1371 nte ardente », cette question angoissée des bêtes et des plantes que l’apôtre a su percevoir. C’est la nature qui cherche
1372 demander : les prémices d’une nouvelle création, et la « révélation des enfants de lumière » ! 21 avril Voici les affiche
1373 eu de choses près, sur les affiches du « centre » et sur celles de la gauche. (Car la droite n’ose pas dire son nom dans c
1374  ; ouverture d’un chalet de nécessité pour hommes et dames sur la place principale. Si c’est cela, l’antifascisme, les fas
1375 tes doivent être de drôles de gens. 6 mai La mort et les cérémonies dans le Gard La maison de Simard recèle un effrayant s
1376 stence en même temps que l’imminence de sa mort — et voici qui éveillera peut-être des réflexions fécondes dans l’esprit d
1377 r philosophe. Déjà huit mois que nous sommes ici, et combien de fois ne sommes-nous pas entrés dans la grande cuisine qui
1378 étaient vides ou ne servaient que de débarras —, et rien ne pouvait nous faire soupçonner cette présence, à côté. Hier ma
1379 avez, elle est toute chargée, bou die ! l’estomac et tout. — Mais les Simard ne m’avaient jamais parlé d’elle ! — Peuchère
1380 en longtemps. On peut dire que la chose est sûre. Et on l’entend ! Trois fois par jour, le bruit d’effroyables discussions
1381 la cuisine des Simard. Un beau-frère est arrivé, et on partage. C’est toujours assez compliqué. La nuit, par un dernier r
1382 ns la remise qui est au-dessous de notre chambre, et leurs éclats de voix nous ont plusieurs fois réveillés. 7 mai — Alors
1383 sa canne à la main, comme ça, sur la couverture, et elle explique que c’est pour monter « là-haut », pour s’aider ! 8 mai
1384 tre. Qu’est-ce que c’est, Simard ? — Il est rouge et boursouflé, tremblant de colère et gesticulant. Il crie : « Je l’ai d
1385 — Il est rouge et boursouflé, tremblant de colère et gesticulant. Il crie : « Je l’ai dit à madame Calixte, je ne veux pas
1386 le a pleuré, gémi d’une toute petite voix fausse, et m’a beaucoup remercié. Bref, il m’a semblé que tout s’était bien pass
1387 dans la maison ? II faut bien continuer à vivre, et à manger, et à laver, il me semble ? — Je ne pense pas comme vous, Mo
1388 on ? II faut bien continuer à vivre, et à manger, et à laver, il me semble ? — Je ne pense pas comme vous, Monsieur, mais
1389 ient pas à concevoir qu’on puisse même s’étonner. Et ne pas croire, surtout, qu’il s’agit là de « préjugés », comme disent
1390 stions d’argent. C’est un fait d’ordre religieux. Et la colère de Simard en témoigne. 15 mai Comme l’année dernière, à la
1391 normal — mettons deux à trois heures de marche — et vraiment il n’y a guère à signaler. Sinon peut-être les maisons vides
1392 jardin, avec quelques cyprès, une pierre tombale, et la margelle d’un puits. La plupart des vitres sont cassées. Une poule
1393 vait servir de communs, de magnanerie, de cellier et de grange. Au sud, une tour à cadran solaire, surmontée d’une girouet
1394 vragée, on voit une profusion de fleurs violentes et d’orties. L’ensemble est imposant et comme démesuré dans ce paysage d
1395 rs violentes et d’orties. L’ensemble est imposant et comme démesuré dans ce paysage de vallons, de collines et de petits s
1396 démesuré dans ce paysage de vallons, de collines et de petits sommets rocheux. Soudain la girouette fait entendre un long
1397 maréchaussée ni gabelle. Nous aurions des fusils et des bibles, nous serions camisés de rouge, et l’on irait de temps à a
1398 ils et des bibles, nous serions camisés de rouge, et l’on irait de temps à autre arraisonner les féodaux d’industrie du pa
1399 e croient qu’à un seul Dieu, s’écriait l’orateur, et ils adorent la Trinité ! Ils disent que le Père, le Fils et le Saint-
1400 rent la Trinité ! Ils disent que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne font qu’un. Vous voyez que l’Église est réfutée pa
1401 un, plus un, cela fait trois, si je ne me trompe, et non pas un », — Prenez la multiplication ! cria l’abbé V. qui était d
34 1937, Esprit, articles (1932–1962). Marius Richard, Le Procès (juin 1937)
1402 « Ce serait si bien si l’on pouvait, chaque soir et chaque matin, écrire dans les journaux qui s’impriment quelques heure
1403 longueur. Je crois bien que cela me suffirait. » Et quelques pages plus loin : « Écrire ne m’intéresse que si j’ai le sen
1404 ’ai le sentiment que ce que j’écris, par la forme et par le fond, serait de nature à modifier la conscience humaine, si ce
1405 affreuse vie, où l’on condamne avec indifférence, et où tout le monde en fait est coupable de tout : du sort des filles pu
1406 hôpitaux « qui ont des chemises de prisonniers » et « n’ont plus guère que le nom de leur mal » et même « du polémiste pr
1407  » et « n’ont plus guère que le nom de leur mal » et même « du polémiste prenant son chien à témoin de la lâcheté des homm
1408 st pas un refuge ; elle est un acte d’accusation, et un aveu de chaque homme pour tous les autres : « Je suis plus près de
1409 lecteur pour tous les êtres auxquels il est mêlé. Et qu’il l’obtienne à cette profondeur, donne la mesure d’un art qui ne
35 1937, Esprit, articles (1932–1962). Paul Éluard, L’Évidence poétique (juin 1937)
1410 publications que ne marque une invention heureuse et une audace très raisonnable. Ils restaurent depuis quelques années le
1411 s, sur la poésie surréaliste, résume tout le vrai et tout le faux de ce mouvement. Thème, repris de Lautréamont : « La poé
1412 peut-être, pour celui qui voit, le malheur défait et refait sans cesse un monde banal, vulgaire, insupportable, impossible
1413 t donc qu’elle veut instaurer un ordre plus grand et pur. « Toutes les tours d’ivoire seront démolies, toutes les paroles
1414 eront démolies, toutes les paroles seront sacrées et l’homme, s’étant enfin accordé à la réalité qui est sienne, n’aura pl
1415 s par la grandeur de l’espérance qu’elle proclame et par la confusion de sa proclamation. Que « toutes les paroles soient
1416 té proprement eschatologique des poètes chrétiens et des romantiques allemands, c’est la volonté de réintégration générale
1417 générale de la création dans son état d’innocence et de grâce, et il n’y aurait pas de poésie — ni de prière — s’il n’y av
1418 a création dans son état d’innocence et de grâce, et il n’y aurait pas de poésie — ni de prière — s’il n’y avait pas, cons
1419 ination. Qu’il formule cet espoir ou ce désespoir et ses rapports avec le monde changeront immédiatement. » Ou encore : « 
1420 de « construire un monde à la taille de l’homme » et de « mettre l’homme debout », — mais il précise : « à la taille immen
1421 dées de qui ? Si ce sont celles que les bourgeois et les staliniens se font de ces réalités, nous combattrons ensemble. Ma
1422 s avec cela nous n’aurons pas liquidé la religion et la patrie, nous n’aurons liquidé que leur « ignoble » exploitation, n
1423 ous les sauverons ! (De nous-mêmes s’il le faut.) Et enfin : « Voici que les poètes sont des hommes parmi les hommes, voic
1424 parmi les hommes, voici qu’ils ont des frères. » Et voici qu’Éluard paraît délivré de l’esthétisme aristocratique des déb
1425 nt les surréalistes devrait impliquer la rigueur. Et une exigence d’« évidence ». ao. Rougemont Denis de, « [Compte ren
36 1937, Esprit, articles (1932–1962). M. Benda nous « cherche », mais ne nous trouve pas (juillet 1937)
1426 e, — l’intellectualisme, — la pensée solitaire, —  et le bonheur. Tandis que les jeunes, les malheureux, respectent la poli
1427 ité qu’au service de l’action, vénèrent la force, et pratiquent la religion de la lutte et de la vie dangereuse : en concl
1428 t la force, et pratiquent la religion de la lutte et de la vie dangereuse : en conclusion, M. Benda fit observer que les a
1429 server que les anciens étaient « intellectuels », et que les jeunes se voient contraints par la logique des circonstances
1430 eureux, des intellectuels riches, c’est M. Benda, et personne d’autre. Et lorsqu’un autre fit observer, en mathématicien,
1431 uels riches, c’est M. Benda, et personne d’autre. Et lorsqu’un autre fit observer, en mathématicien, que la gratuité n’est
1432 e la gratuité n’est pas une méthode scientifique, et que toute pensée est un acte, M. Benda répliqua qu’il ne s’agissait p
1433 répliqua qu’il ne s’agissait pas du tout de cela, et que la pensée des jeunes se veut active en ce sens qu’elle vénère « c
1434 des prétentions de son auteur, purement polémique et politique. Ce sophisme consiste à enfermer les intellectuels dans le
1435 personnaliste, déclara notre ami, repousse l’une et l’autre de ces trahisons, et affirme que la pensée doit entrer dans l
1436 ami, repousse l’une et l’autre de ces trahisons, et affirme que la pensée doit entrer dans l’action, non pas « à son serv
1437 ait en pleine confusion. Les anciens se vantaient et accablaient les jeunes. Ceux-ci refusaient de se reconnaître dans le
1438 penseur, mais M. Dekobra est notre maître à tous. Et s’il est vrai que celui qui refuse d’endosser les conséquences de sa
1439 e qui a pris pour idéal de « constater » purement et simplement ce qui est. Au surplus, M. Benda se trompe quand il croit
1440 qu’anachronique. Partisan qui survit à sa cause ; et pensée qui refuse de payer. ap. Rougemont Denis de, « M. Benda nou
37 1937, Esprit, articles (1932–1962). Brève introduction à quelques témoignages littéraires (septembre 1937)
1441 us générale, la question de la littérature en soi et de la place qu’il conviendrait de lui donner dans la cité, se trouve
1442 cité, se trouve être posée à l’époque. Dans l’un et l’autre cas, et pour les mêmes raisons, les réponses varient du tout
1443 être posée à l’époque. Dans l’un et l’autre cas, et pour les mêmes raisons, les réponses varient du tout au nul. C’est di
1444 refaire un ordre humain qui soit assez organique et complet pour pouvoir s’opposer valablement aux ambitions totalitaires
1445 é par certaines formes, par certains partis pris, et par un certain ordre d’objets qu’elle se choisit, est aussi le produi
1446 r nous inséparable de la création, de l’avènement et de la durée d’un ordre social personnaliste. Elle se fait en faisant,
1447 hercher qui a commencé, de l’œuf ou de la poule ; et qui doit commencer, de la littérature ou de l’ordre social. Notre eff
1448 ité, que sur la réalisation concomitante de l’une et de l’autre, de l’une par l’autre. Ce n’est donc pas à une enquête que
1449 s livrer cette année, mais à une réflexion active et créatrice sur les conditions actuelles — et actuantes si j’ose dire —
1450 ctive et créatrice sur les conditions actuelles — et actuantes si j’ose dire — de l’œuvre littéraire dans la communauté. I
1451 uvre littéraire dans la communauté. Il n’y a pas, et il ne peut y avoir encore une école littéraire personnaliste. Pas plu
1452 le littéraire personnaliste. Pas plus qu’il n’y a et qu’il ne peut y avoir encore une orthodoxie de la personne, une socié
1453 encore une orthodoxie de la personne, une société et une économie qui la soutiennent, et qu’elle maintienne. (La question
1454 , une société et une économie qui la soutiennent, et qu’elle maintienne. (La question se posera un jour aussi lointain peu
1455 mbrigadés mais qui savent que toute œuvre engage, et qui acceptent cette nécessité comme une des conditions de leur créati
1456 essité comme une des conditions de leur création. Et nous pensons qu’il n’est pas vain de le prouver en les réunissant ici
1457 e l’art ; une considération constante des tenants et aboutissants de l’œuvre d’art (sources métaphysiques, corrélations sc
1458 sources métaphysiques, corrélations scientifiques et psychologiques, influence morale et sociale…), bref : une gravité (un
1459 scientifiques et psychologiques, influence morale et sociale…), bref : une gravité (un poids) qui suffit presque à disting
1460 alisme. Littérature présente au monde dans lequel et contre lequel elle s’édifie. Je ne pense pas qu’il soit souhaitable d
1461 de la littérature ou ses méthodes. Mises au point et illustrations, — ou « signes » simplement, mais qui prendront du fait
38 1937, Esprit, articles (1932–1962). Martin Lamm, Swedenborg (septembre 1937)
1462 ous ne pensons pas que cette limitation normale — et normative — doive se traduire par un appauvrissement de notre curiosi
1463 e » — c’est-à-dire sans but, privée de « sens » — et n’y réussit que trop bien. Mais cela nous donne justement de la place
1464  spéciaux » que tout le monde passe sous silence, et qui se trouvent des plus aptes à illustrer ou élargir notre vision pe
1465 cadémies de son siècle eussent rejeté avec mépris et pitié. Mais la gloire posthume est un « titre » ; « l’intérêt » s’acc
1466 valeur intrinsèque de la thèse que défend M. Lamm et qui me paraît très convaincante, mais on se demande souvent pourquoi
1467 mais on se demande souvent pourquoi il la défend, et pourquoi il s’occupe d’un personnage qui ne semble exciter ni sa répr
1468 er qu’on le connaisse aux spéculations mystiques, et aux problèmes théologiques qui s’y rattachent étroitement, c’est cett
1469 angeté même de l’objet qui semble l’avoir retenu, et elle lui pose des questions personnelles qu’il formule admirablement
1470 mirable pour résoudre l’antinomie du rationalisme et du néo-platonisme sous l’égide de la foi chrétienne. Entreprise en to
1471 te M. Lamm, selon la pure tradition universitaire et bourgeoise, me paraît doublement onéreuse pour la vérité, voire pour
1472 surtout lorsqu’il s’agit d’un phénomène spirituel et culturel de première importance. Ensuite, cette impartialité ne saura
1473 edenborg, son expression le trahit à chaque page, et révèle un parti pris assez brutal de réduction du mystique à l’illuso
1474 xemple, il relate une des premières extases de S. et conclut ainsi : « Il est de toute évidence que cet incident ne fut au
1475 e à l’époque de M. Lamm serait plus « objective » et « scientifique » que la doctrine de Swedenborg, qu’elle prétend criti
1476 ve »… 2. Les auteurs qui s’occupent des mystiques et , en général, d’objets religieux qui leur paraissent inquiétants pour
1477 l’ouvrage paraît. Ainsi M. Lamm, suivant W. James et les psychologues d’avant-guerre — son livre est de 1915 — déclare que
1478 inatoire » des plus fréquents chez les mystiques, et qui « expliqueraient » physiologiquement le chemin de Damas et beauco
1479 iqueraient » physiologiquement le chemin de Damas et beaucoup de « conversions religieuses de notre époque ». Or il se tro
1480 ement différente de ces « visions intérieures » ; et cette interprétation rejoint très exactement celle que Swedenborg en
1481 u Suédois, devait apparaître purement fantaisiste et périmée à un savant de l’avant-guerre. Swedenborg affirme que l’origi
1482 xact. Les spéculations de Swedenborg sur le temps et l’espace « vécu » par les anges relevaient également de la fantaisie
1483 nt justiciable de « la science » d’aucune époque, et qu’il se pose au seul jugement métaphysique et théologique de chaque
1484 e, et qu’il se pose au seul jugement métaphysique et théologique de chaque génération. 3. Ceci dit, il me paraît utile de
1485 oblème, très brièvement, en termes de philosophie et d’éthique personnalistes. On a souvent opposé à notre attitude, et à
1486 onnalistes. On a souvent opposé à notre attitude, et à notre conception de la personne, l’idéal de « dépersonnalisation »,
1487 pression radicale de toute conscience personnelle et de toute responsabilité, identité, ou vocation distincte. Dans la mes
1488 distincte. Dans la mesure où cet effort est réel et aboutit — ce qui est encore une question — il aboutit évidemment à la
1489 re négligeable chez les jeunes écrivains français et belges, et s’allie parfois curieusement avec l’éthique collectiviste.
1490 ble chez les jeunes écrivains français et belges, et s’allie parfois curieusement avec l’éthique collectiviste. Mais l’ané
1491 le se trouve donnée à cet homme par sa naissance, et telle qu’il la développait pour ses fins propres, individuelles, indi
1492 us désormais de sa vie propre, c’est Dieu qui vit et agit en elle. » Il s’agit, au vrai, de la lutte entre le vieil homme
1493 s’agit, au vrai, de la lutte entre le vieil homme et le nouvel homme, entre l’individu et la vocation qu’il se reconnaît,
1494 vieil homme et le nouvel homme, entre l’individu et la vocation qu’il se reconnaît, je dirais volontiers : entre la perso
1495 nnalité, naturelle ou factice (ou « personnage ») et la personne. Et nous retrouvons alors ce qu’on pourrait nommer l’ascè
1496 le ou factice (ou « personnage ») et la personne. Et nous retrouvons alors ce qu’on pourrait nommer l’ascèse personnaliste
1497 aliste, la tension même qui constitue la personne et l’identifie, l’effort de l’homme pour transcender son petit personnag
1498 son petit personnage individuel ou sociologique, et se mettre au service de quelque chose qui le dépasse, mais où il trou
1499 nchise, entre croyants de confessions différentes et incroyants personnalistes. 71. Cf. Vers une cosmologie, Éditions F.
1500 ne puis m’étendre ici sur les aspects hétérodoxes et orthodoxes de son luthéranisme. Il faudrait d’abord expliquer qui éta
1501 her, si mal connu du public « cultivé » français… Et préciser mes propres réserves à l’endroit de la mystique. as. Rouge
39 1937, Esprit, articles (1932–1962). Neutralité oblige (octobre 1937)
1502 é, ou par une sorte de prudence, pour voir venir, et puis vous vous apercevez que ce sont vos réponses elles-mêmes, celles
1503 rateur, que cette manière de poser des questions, et de jouer le scepticisme, dans un pays où tant de choses vont de soi.
1504 lait. Qu’on m’entende bien : nous avons eu Amiel, et nous ne manquons pas de douteurs, de tourmentés, de refoulés et d’hés
1505 quons pas de douteurs, de tourmentés, de refoulés et d’hésitants fort distingués. Mais ces inquiétudes se limitent au « pl
1506 ons-nous autre chose à dire que propreté, confort et instruction ? Avons-nous d’autre but commun que la sécurité et le pro
1507 n ? Avons-nous d’autre but commun que la sécurité et le profit ? Pourquoi sommes-nous confédérés ? Et pourquoi, enfin, som
1508 et le profit ? Pourquoi sommes-nous confédérés ? Et pourquoi, enfin, sommes-nous neutres ? Je voudrais souligner ceci :
1509 est peut-être que notre lot, en tant que Suisses, et non en tant que Vaudois, ou Genevois, ou Zurichois, est d’exister en
1510 ace. (Ramuz, plus dur, parle de portier d’hôtel…) Et je ne dis pas que cette interprétation désobligeante soit toujours fa
1511 e soit toujours fausse dans le fait. Mais on peut et on doit concevoir une tout autre forme d’existence qui serait « en fo
1512 existence qui serait « en fonction des voisins », et qui serait tout de même, ou par là même, une existence, au sens plein
1513 laçable, de conscience d’une mission à accomplir, et que nul autre n’a reçue. La Suisse existe-t-elle ? nous demande Ramuz
1514 paraît le plus fécond non seulement pour l’esprit et l’homme en général, mais pour ce pays-ci, tel que l’ont fait sa natur
1515 ais pour ce pays-ci, tel que l’ont fait sa nature et sept siècles d’histoire : le point de vue du personnalisme. ⁂ La ques
1516 tiers que la neutralité nous est due, comme l’air et les beautés de la nature. Privilège inconditionnel, nous laissant au
1517 toute l’Europe dans les leaders de nos journaux. Et cela ne contribue guère à nous donner un sens actif de nos chances et
1518 guère à nous donner un sens actif de nos chances et de nos destins, dans une époque où des choses plus anciennes et plus
1519 ins, dans une époque où des choses plus anciennes et plus grandes que notre statut se trouvent remises en discussion, boul
1520 llustrer, à incarner aux yeux de tous les grandes et fortes raisons de notre neutralité, celle-ci sera balayée un jour pro
1521 aurions voté des milliards de crédits d’armement, et des mesures d’instruction militaire prenant les enfants au berceau. C
1522 omme le nôtre, la conscience de sa raison d’être, et le prestige qui s’y attache. On croit souvent, surtout chez nous, qu’
1523 naturel. Or on a vu des États minuscules, Venise et Berne, les Pays-Bas de Guillaume d’Orange, jouer un rôle de premier p
1524 n rôle de premier plan dans l’équilibre européen. Et quand bien même il serait démontré que la Suisse ne peut plus prétend
1525 e dont ce droit représente à la fois la condition et la contrepartie. Le droit de propriété, par exemple, est à la fois la
1526 a fois la condition d’une entreprise personnelle, et la juste contrepartie des risques qu’on y court, du travail qu’on y d
1527 . Si le propriétaire laisse ses terres en friche, et s’enrichit sans rien créer, tout simplement parce qu’il possède des c
1528 émontre l’histoire récente du capitalisme anonyme et des révolutions qu’il a fait naître. Or c’est une crise fort analogue
1529 tut dont les commodités sont surtout matérielles, et les obligations surtout spirituelles, ils se persuadent petit à petit
1530 ier trop des secondes. Sous prétexte de réalisme, et de défense des intérêts économiques, c’est la réalité européenne de l
1531 yons, lui aussi, se transformer d’année en année. Et nous voyons que lui aussi dépend d’un équilibre spirituel74 totalemen
1532 d’un équilibre spirituel74 totalement bouleversé et réorganisé, au sein duquel il est urgent que nous trouvions une place
1533 ui régissent l’Europe d’aujourd’hui. Notre chance et nos risques sont là.   Rien ne me paraît plus frappant que la converg
1534 es, des thèses qu’on y a soutenues. La géographie et l’histoire, l’agencement de nos institutions, les méfiances de C. F.
1535 de nos institutions, les méfiances de C. F. Ramuz et la confiance de Liehburg, tout indique et appelle dans ces pages une
1536 . Ramuz et la confiance de Liehburg, tout indique et appelle dans ces pages une seule et même réalité, qui est la réalité
1537 tout indique et appelle dans ces pages une seule et même réalité, qui est la réalité fédéraliste. Or il se trouve que not
1538 mentalement liée à une forme fédérative de l’État et de la culture, voire même de l’économie. Cette convergence, cette ren
1539 r une Weltanschauung où les droits du particulier et les devoirs envers le général se fécondent mutuellement75. Cette conc
1540 que de l’Europe à l’humanité. C’est autour d’elle et grâce à elle que l’Occident s’est édifié, et qu’il a dominé le monde.
1541 elle et grâce à elle que l’Occident s’est édifié, et qu’il a dominé le monde. Elle n’est nullement, comme certains voudrai
1542 s excès déplorables de l’individualisme bourgeois et du collectivisme dictatorial. Elle est la position centrale, à la foi
1543 lle est la position centrale, à la fois naturelle et spirituelle, dont l’individualisme et les collectivismes figurent les
1544 s naturelle et spirituelle, dont l’individualisme et les collectivismes figurent les déviations morbides. Et dès lors, la
1545 collectivismes figurent les déviations morbides. Et dès lors, la mission de la Suisse peut être définie à l’échelle de l’
1546 la gardienne de ce principe central, fédératif ; et elle ne peut être autre chose, de par sa nature même, physique et his
1547 être autre chose, de par sa nature même, physique et historique. Gardiens des cols, gardiens de la papauté, gardiens du si
1548 rdiens de la papauté, gardiens du siège de la SDN et de celui de la Croix-Rouge, gardiens de ce qui est européen et commun
1549 e la Croix-Rouge, gardiens de ce qui est européen et commun à toutes les nations ; étant eux-mêmes dans la mesure où ils s
1550 — voilà les Suisses, grands Portiers de l’Europe, et mainteneurs de ses communes mesures. Qu’on ne voie pas là je ne sais
1551 ous pour un ». C’est la formule la plus frappante et la plus juste de l’esprit fédéral de l’Occident — en même temps que d
1552 l’Occident — en même temps que du personnalisme. Et c’est au nom de cette mission de gardienne du principe commun que la
1553 e gardienne du principe commun que la Suisse peut et doit maintenant revendiquer face à l’Europe son droit à la neutralité
1554 s grandes civilisations, la germanique, la latine et la française. ⁂ De cette mission qui justifie en même temps notre sta
1555 n même temps notre statut européen de neutralité, et notre statut intérieur de confédération de cantons, découlent des con
1556 sous trois chefs principaux : opinions, culture, et armée. 1. — L’opinion suisse, telle que la traduisent nos journaux —
1557 on suisse, telle que la traduisent nos journaux — et spécialement dans les cantons romands — est en contradiction constant
1558 en contradiction constante avec notre neutralité, et ce qui est pire, avec la mission même qui justifie cette neutralité.
1559 ment s’exercer au nom d’une vocation bien définie et de portée européenne. Quand nos journaux font la leçon à Léon Blum, c
1560 ’être — au nom de la démocratie réelle, communale et fédéraliste, mais au nom d’intérêts de classe qui ne sont ni démocrat
1561 on Blum pour des raisons symétriquement inverses, et par suite non moins étrangères à notre ligne fédérale. Quand nous ver
1562 a dire que la Suisse a retrouvé sa raison d’être, et d’être neutre. Quoi de plus comique et de plus irritant que d’admirer
1563 on d’être, et d’être neutre. Quoi de plus comique et de plus irritant que d’admirer les fascismes étrangers alors qu’ils s
1564 soient les réserves de fond qu’il y ait à faire, et je les fais, sur l’authenticité de ces missions qu’ils proclament à s
1565 on de trompe, il est clair que leur force est là, et qu’en les admirant, en les enviant, nous sommes précisément en train
1566 ondition : de savoir au nom de quoi nous parlons. Et ce ne peut être qu’au nom de l’avenir de l’Europe, puisque c’est cela
1567 e conscience très forte de la réalité fédéraliste et de ce qu’elle implique à la fois de diversités reconnues, totalement
1568 tés reconnues, totalement exprimées comme telles, et d’échanges multipliés, d’apports mutuels, de synthèse vivante. Dès qu
1569 se met chez nous à l’école de la droite française et de sa politique particulière conditionnée par le nationalisme unitair
1570 culière conditionnée par le nationalisme unitaire et antiallemand, l’on voit une méfiance hostile poindre chez nos intelle
1571 ans notre vie confédérale. Réaction de faiblesse, et néfaste à un double titre. Car d’une part nous y perdons ce qui fait
1572 leur propre dans la culture de langue française ; et d’autre part, en nous refusant aux contacts et aux échanges, nous per
1573  ; et d’autre part, en nous refusant aux contacts et aux échanges, nous perdons la meilleure occasion de prendre conscienc
1574 ure occasion de prendre conscience de nous-mêmes, et de nos singularités sinon latines, du moins romanes. On se découvre e
1575 qu’à la grimace — qu’un Barrès, constamment tenté et enrichi par le génie du Rhin ? Pour nous qui n’avons pas les mêmes ra
1576 ce ou de timidité ; dans une volonté de synthèse, et non point dans la crainte perpétuelle de n’aboutir qu’à des mélanges
1577 ité existe, mais sur un plan à la fois plus élevé et plus vaste que celui de « l’unification » à la mode jacobine ou class
1578 jacobine ou classique. C’est l’unité originelle, et peut-être future et finale, des diversités de l’Europe, symbolisées p
1579 ue. C’est l’unité originelle, et peut-être future et finale, des diversités de l’Europe, symbolisées par nos trois langues
1580 , nos deux religions, nos vingt-cinq républiques. Et surtout qu’on ne déplore pas le fait que les cultures des Suisses ne
1581 ’une après l’autre, mais n’ont pas pu synthétiser et relier. Elles avaient d’autres choses à faire. Elles ont été grandes
1582 ique ou la peinture, la poésie ou la philosophie. Et peut-être ne serons-nous jamais aussi grands qu’aucune d’entre elles
1583 onne », des vocations spéciales d’autres nations. Et c’est là notre vocation. Neutralité, sur le plan culturel, ce n’est p
1584 culturel, ce n’est pas mélange, ni accommodation et encore moins imitation médiocre. Ce n’est pas forcément cela. C’est a
1585 ments d’un culte, oubliant le dieu qu’il célèbre. Et pourquoi n’irais-je pas jusqu’à dire que notre grandeur culturelle es
1586  ? On nous a donné par-dessus un Gottfried Keller et un Ramuz. Ceux-là ne sont Européens que parce qu’ils sont d’abord, et
1587 ne sont Européens que parce qu’ils sont d’abord, et génialement, Suisse allemand et Vaudois rhodanien. Mais deux poètes «
1588 ils sont d’abord, et génialement, Suisse allemand et Vaudois rhodanien. Mais deux poètes « enracinés » ne font pas une cul
1589 ture suisse. Ce sont deux vocations personnelles, et la culture suppose une tradition, une vocation communautaire. Mais je
1590 n asile provisoire aux grands errants de l’esprit et des passions occidentales : Bâle et Genève au temps de la Réforme, Ér
1591 s de l’esprit et des passions occidentales : Bâle et Genève au temps de la Réforme, Érasme, Holbein, Calvin et d’Aubigné,
1592 e au temps de la Réforme, Érasme, Holbein, Calvin et d’Aubigné, et le fameux docteur Paracelse, entraînant sa suite turbul
1593 la Réforme, Érasme, Holbein, Calvin et d’Aubigné, et le fameux docteur Paracelse, entraînant sa suite turbulente de discip
1594 le microcosme de toutes ses grandeurs. Aux xviie et xviiie , l’horizon se resserre un peu, on ne voit guère que Berne et
1595 on se resserre un peu, on ne voit guère que Berne et le « grand Haller », et ce premier cosmopolite : Béat de Muralt. Puis
1596 n ne voit guère que Berne et le « grand Haller », et ce premier cosmopolite : Béat de Muralt. Puis Zurich et l’hégémonie p
1597 premier cosmopolite : Béat de Muralt. Puis Zurich et l’hégémonie passagère de l’École suisse sur la littérature allemande.
1598 es lettres françaises ; après Rousseau : Constant et Staël, et toute la petite cour de Coppet, Gibbon, Schlegel et Sismond
1599 françaises ; après Rousseau : Constant et Staël, et toute la petite cour de Coppet, Gibbon, Schlegel et Sismondi. Ce foye
1600 toute la petite cour de Coppet, Gibbon, Schlegel et Sismondi. Ce foyer s’éteint pour un temps. Il en renaît un autre à Bâ
1601 : Jacob Burckhardt, Overbeck, le jeune Nietzsche. Et tout cela fait, par le moyen de la Suisse, une assez belle culture eu
1602 d’une tradition que tout nous pousse à continuer, et qui, je le crois, n’a pas encore réalisé ses possibilités extrêmes. N
1603 êmes. Nous avons le goût du moyen, c’est entendu, et je l’accorde à Ramuz, et je m’en irrite au moins autant que lui. (Que
1604 du moyen, c’est entendu, et je l’accorde à Ramuz, et je m’en irrite au moins autant que lui. (Que serait-ce si je vivais e
1605 er ces gens sérieux que sont les Suisses moyens — et même les autres.) 3. — Avec l’armée, je reviens au concret, ou du moi
1606 ins d’action sur la vie politique.) Il est clair, et on le dit assez pour que je n’aie pas à insister, que l’armée d’un pe
1607 d’attaquer. Elle ne joue que le rôle d’une garde, et par là même, elle est conforme à notre vocation profonde. Garde monté
1608 ervice du principe constituant de la fédération — et c’est pourquoi elle appartient à l’État et non pas aux cantons. De pl
1609 tion — et c’est pourquoi elle appartient à l’État et non pas aux cantons. De plus, les mesures toutes récentes organisant
1610 caste que forment ailleurs les écoles militaires. Et c’est bien ce que devrait être une armée consciente de son rôle parti
1611 Mais je ne sens pas cette conscience très vivace. Et dès lors toutes ces belles vertus dévient ou agissent à contre-fin. Q
1612 ublic, voilà l’indice qu’on perd le sens des buts et du rôle de l’armée dans la cité. Il ne s’agit ici que de nuances dans
1613 e en soi, si l’on ne croit pas à cette fédération et à la tâche qui lui incombe au milieu de voisins redoutables. Il est i
1614 oire parfois que pour être un bon Suisse, il faut et il suffit que l’on soit un bon soldat. Peut-être oserons-nous rappele
1615 qu’il existe d’autres manières se servir son pays et d’illustrer sa cause. Et que c’est faire grand tort à ce patriotisme
1616 ières se servir son pays et d’illustrer sa cause. Et que c’est faire grand tort à ce patriotisme qu’on exalte, que de le c
1617 mée n’est qu’un aspect de notre défense fédérale. Et un aspect subordonné. Si l’on néglige à son profit « le reste », on f
1618 ne dis pas de l’instruction, mais de la culture. Et je l’appellerais volontiers le budget de la conscience fédérale. Car
1619 citoyens, ont retrouvé le sens de notre destinée, et notre chance unique de grandeur. ⁂ Je vois ce que l’on peut m’objecte
1620 tés qui se sont constituées par le jeu d’intérêts et de routines médiocres. Vous donnez par exemple une valeur positive à
1621 t la menace extérieure81. » Rien n’est plus vrai, et c’est très consciemment que nous opérons ce redressement urgent ! Qu’
1622 ays, d’un certain nombre de structures politiques et morales, et d’une tradition fédéraliste, qui se trouvent réaliser, en
1623 rtain nombre de structures politiques et morales, et d’une tradition fédéraliste, qui se trouvent réaliser, en théorie, pa
1624 ordre une signification qui le maintienne vivant et pur contre les ennemis du dedans, afin d’être fort au-dehors. L’espri
1625 n de copier nos voisins dans les mœurs politiques et dans la presse, tout cela menace et compromet non seulement nos chanc
1626 rs politiques et dans la presse, tout cela menace et compromet non seulement nos chances à venir, mais les bases politique
1627 nt nos chances à venir, mais les bases politiques et morales sur lesquelles nous pouvions compter, et la mission même de l
1628 et morales sur lesquelles nous pouvions compter, et la mission même de la Suisse. Tout cela tend à nous réduire à nos pro
1629 aminations multipliées, des inégalités favorisées et protégées82.) Seule notre économie cherche à se mettre au pas des gra
1630 s’il l’oublie, il étouffe bientôt dans le confort et l’asepsie morale. Mais qu’il reprenne conscience de cette mission, et
1631 Mais qu’il reprenne conscience de cette mission, et le grand air de l’Europe et du monde reviendra vivifier nos pays. Il
1632 nce de cette mission, et le grand air de l’Europe et du monde reviendra vivifier nos pays. Il y aura de nouveau du jeu, de
1633 rculation des cultures, une respiration des âmes. Et ceci qui est le plus important : des possibilités d’imaginer, donc d’
1634 ant : des possibilités d’imaginer, donc d’innover et de voir grand. ⁂ Je résumerai tout ce qui précède en une seule phrase
1635  : mais c’est pour assurer la liberté de passage, et non pas pour barrer le col sous prétexte de nous mettre à l’abri !
1636 sées, mais des conceptions de l’homme, de l’État, et des religions, des partis pris spirituels bien plus puissants que les
1637 rmées. 75. Par exemple : les droits des communes et ceux du canton ; les droits des cantons et ceux de la Confédération ;
1638 mmunes et ceux du canton ; les droits des cantons et ceux de la Confédération ; les droits de la Suisse et ceux de l’Europ
1639 eux de la Confédération ; les droits de la Suisse et ceux de l’Europe ; images et conséquences à la fois de l’équilibre fo
1640 droits de la Suisse et ceux de l’Europe ; images et conséquences à la fois de l’équilibre fondamental entre les droits de
1641 libre fondamental entre les droits de la personne et ceux de la communauté. 76. On disait en Allemagne, pendant la guerre
1642 te ; laboratoire de pédagogie (Institut Rousseau) et de psychanalyse… Mais il ne semble pas que les Genevois aient su reco
1643 je ne demande pas de faire concourir l’éducation et l’instruction à notre préparation militaire, comme le réclament déjà
1644 nco-allemandes ne dissocient le lien des cantons, et l’on avait par trop souffert de la grande politique des voisins. 82.
1645 d’Esprit intitulé « Le problème suisse : personne et fédéralisme », coordonné par Denis de Rougemont et ouvert par une let
1646 t fédéralisme », coordonné par Denis de Rougemont et ouvert par une lettre de C. F. Ramuz, que Rougemont commente ici en i
40 1938, Esprit, articles (1932–1962). La passion contre le mariage (septembre 1938)
1647 ’un ouvrage qui paraîtra sous ce titre : L’Amour et l’Occident . Partant d’une analyse approfondie des cinq légendes prim
1648 profondie des cinq légendes primitives de Tristan et Iseut, l’auteur a été conduit à rechercher les origines religieuses d
1649 ner. C’est cet Amour mystique, bientôt sécularisé et « profané » par la littérature, qui donne naissance, dès le xiie siè
1650 ts, en leur prêtant des « couleurs » religieuses. Et cette immense « mystification » de l’instinct faussant ses rythmes na
1651 au Moyen Âge : celle de la société christianisée, et celle de la « courtoisie » hérétique. L’une impliquait le mariage, do
1652 age. Le jugement porté sur l’adultère, dans l’une et l’autre perspective, caractérise fort bien l’opposition. Aux yeux de
1653 ois un sacrilège, un crime contre l’ordre naturel et un crime contre l’ordre social. Car le sacrement unissait tout à la f
1654 s deux âmes fidèles, deux corps aptes à procréer, et deux personnes juridiques. Il se trouvait donc sanctifier les intérêt
1655 sanctifier les intérêts fondamentaux de l’espèce et les intérêts de la cité. Celui qui contrevenait à ce triple engagemen
1656 a synthèse catholique s’efforçait de marier l’eau et le feu, car on pouvait tirer des Écritures et des Pères les thèses le
1657 eau et le feu, car on pouvait tirer des Écritures et des Pères les thèses les plus contradictoires sur la sainteté de la p
1658 la sainteté de la procréation — loi de l’espèce — et sur la sainteté de la virginité — loi de l’esprit. Pour l’Ancien Test
1659 t enfin à détruire un ordre social qui permettait et exigeait la guerre, comme expression du vouloir-vivre collectif84. Ma
1660 t-à-dire de l’Éros divinisant, en conflit éternel et angoissé avec la créature de chair et ses instincts asservissants. L’
1661 lit éternel et angoissé avec la créature de chair et ses instincts asservissants. L’apparition de la passion d’Amour devai
1662 . Pour l’amateur non initié des poèmes provençaux et des romans bretons, l’adultère de Tristan reste une faute parce qu’il
1663 une faute parce qu’il est consommé dans la chair ( et non point parce qu’il lèse le mariage), mais il se trouve revêtir en
1664 était l’expression dramatique du combat de la foi et du monde, devient alors pour le lecteur non averti une « poésie » équ
1665 ur le lecteur non averti une « poésie » équivoque et brûlante. Poésie toute profane d’apparences, dont la puissance de séd
1666 ignore la signification mystique de ses symboles, et que ceux-ci ne paraissent plus révélateurs que d’un mystère vague et
1667 araissent plus révélateurs que d’un mystère vague et flatteur. Comment expliquer autrement qu’à partir du xiie siècle, ce
1668 ? Le roi David en volant Bethsabé commet un crime et se rend méprisable. Mais Tristan, s’il enlève Iseut, vit un roman, et
1669 e. Mais Tristan, s’il enlève Iseut, vit un roman, et se rend admirable… Ce qui était « faute » et ne pouvait donner lieu q
1670 man, et se rend admirable… Ce qui était « faute » et ne pouvait donner lieu qu’à des commentaires édifiants sur le danger
1671 es commentaires édifiants sur le danger de pécher et le remords, devient soudain vertu mystique (dans le symbole), puis se
1672 rade (dans la littérature) en aventure troublante et attirante. ⁂ Je n’entends pas un instant ramener la crise actuelle du
1673 se actuelle du mariage au conflit de l’orthodoxie et d’une hérésie médiévale. Car cette dernière, comme telle, n’existe pl
1674 Car cette dernière, comme telle, n’existe plus ; et si l’orthodoxie existe encore, il faut avouer qu’elle joue un rôle re
1675 ieuse, mais ne s’appuie plus sur une foi vivante, et dont l’autre dérive d’une hérésie dont l’expression « essentiellement
1676 ment lyrique » nous parvient totalement profanée, et par suite dénaturée. Voici les forces en présence : d’une part, une m
1677 en présence : d’une part, une morale de l’espèce et de la société en général, mais plus ou moins empreinte de religion —
1678 ntretenue par leurs lectures, par les spectacles, et par mille allusions quotidiennes, dont le sous-entendu est à peu près
1679 uprême, que tout homme doit un jour la connaître, et que la vie ne saurait être à plein vécue que par ceux qui « ont passé
1680 par ceux qui « ont passé par là ». Or la passion et le mariage sont par essence incompatibles. Leurs origines et leurs fi
1681 ge sont par essence incompatibles. Leurs origines et leurs finalités s’excluent. De leur coexistence dans nos vies surgiss
1682 ies surgissent sans fin des problèmes insolubles, et ce conflit menace en permanence toutes nos « sécurités » sociales. En
1683 du mythe85 que d’ordonner cette anarchie latente et de la composer symboliquement dans nos catégories morales. Rôle d’exu
1684 e, rôle civilisateur. Mais le mythe s’est déprimé et profané en même temps que les formes sociales dont il tirait ses élém
1685 sistances assez solides pour lui servir de masque et de prétexte. Une immense littérature paraît chaque mois sur la « cris
1686 fournir à la passion une espèce de modus vivendi, et tous ces livres aggravant au contraire notre conscience du problème,
1687 leurs qui lui fournissaient ses « contraintes » — et c’est précisément dans le jeu de ces contraintes que le mythe de Tris
1688 éléments : rites de l’achat, du rapt, de la quête et de l’exorcisme. Mais de nos jours, la dot perd de son importance, par
1689 mariage, avec échange de visites en haut de forme et « déclaration » officielle, est aussi démodée que les crinolines. Et
1690 officielle, est aussi démodée que les crinolines. Et la majorité des couples n’éprouve plus même le besoin « superstitieux
1691 questions de rang, de sang, d’intérêts familiaux, et même d’argent, sont en train de passer au second plan dans les pays d
1692 asser au second plan dans les pays démocratiques, et par suite les problèmes individuels déterminent de plus en plus le ch
1693 eux de noter que des coutumes d’origine lointaine et sacrée telles que la quasi-publicité du lit nuptial subsistèrent, dan
1694 e « voyage de noces », pour autant qu’il subsiste et garde une signification, représente bien plutôt une volonté de s’évad
1695 ôt une volonté de s’évader de l’ambiance sociale, et de souligner le caractère privé de ce qu’on appelle le bonheur des ép
1696 stinguer le christianisme des contraintes sacrées et sociales, elle le repousse avec horreur. Car l’engagement religieux e
1697 r l’engagement religieux est pris « pour le temps et l’éternité », c’est-à-dire qu’il ne tient aucun compte des variations
1698 variations de tempérament, de caractère, de goûts et de conditions externes qui ne manqueront pas de se produire un jour o
1699 rement parler, conflit de deux morales hostiles — et par suite plus de mythe possible — mais on approche d’un état de neut
1700 ême, de sentir de quoi il est fait, de l’analyser et de le goûter afin de pouvoir l’améliorer par des retouches bien calcu
1701 êches des magazines, dépend de ceci, exige cela — et ceci ou cela, c’est toujours quelque chose qu’il faut acquérir, par d
1702 s de nous obséder par l’idée d’un bonheur facile, et du même coup de nous rendre inaptes à le posséder. Car tout ce qu’on
1703 saisir. Il ne peut vivre que dans l’acceptation, et meurt dans la revendication. C’est qu’il dépend de l’être et non de l
1704 ns la revendication. C’est qu’il dépend de l’être et non de l’avoir : les moralistes de tous les temps l’ont répété, et no
1705  : les moralistes de tous les temps l’ont répété, et notre temps n’apporte rien qui doive nous faire changer d’avis. Tout
1706 is on pressent que ce serait un malheur plus beau et plus « vivant » que la vie normale, plus exaltant que son « petit bon
1707 chevaliers parce qu’ils savaient chanter l’Amour. Et c’est pourquoi certains auteurs ont pu parler d’une féodalité démocra
1708 agissait n’était rien d’autre que la foi cathare, et l’accession d’un roturier à la chevalerie était un symbole mystique b
1709 , pur symbole de l’Amour, avec telle femme réelle et désirable ; la rhétorique de l’Amour cathare servit aux amoureux prof
1710 e l’attrait sexuel, sa transformation en passion. Et c’est de là que nous vient, par la littérature, cette idée toute mode
1711 ent, par la littérature, cette idée toute moderne et romantique que la passion est une noblesse morale, qu’elle nous met a
1712 personne ne peut plus le croire, à l’âge du film et du roman — nous sommes tous plus ou moins intoxiqués, — et cette nuan
1713 an — nous sommes tous plus ou moins intoxiqués, —  et cette nuance est décisive. Le moderne, l’homme de la passion, attend
1714 orté » ! La sempiternelle illusion, la plus naïve et — j’ai beau dire ! — la plus « naturelle » pensera-t-on… Illusion de
1715 « naturelle » pensera-t-on… Illusion de liberté. Et illusion de plénitude. Je nommerais libre un homme qui se possède. Ma
1716 sédé, dépossédé, jeté hors de soi, dans l’extase. Et de fait, c’est déjà sa nostalgie qui le « démeine » — pour parler com
1717 st l’homme qui veut trouver son « type de femme » et n’aimer qu’elle. Souvenez-vous du rêve de Nerval, l’apparition d’une
1718 dans une autre existence peut-être J’ai déjà vue, et dont je me souviens… Image de la mère, sans nul doute, et la psychan
1719 e me souviens… Image de la mère, sans nul doute, et la psychanalyse nous apprend quels empêchements tragiques cela peut s
1720 ise, c’est la « beauté standard ». De nos jours —  et ce n’est qu’un début —, un homme qui se prend de passion pour une fem
1721 onnue, développée par tous les moyens techniques, et bientôt politiques, en sorte que le choix d’un type de femme échappe
1722 mme échappe de plus en plus au mystère personnel, et se trouve déterminé par Hollywood — et bientôt par l’État. Double inf
1723 personnel, et se trouve déterminé par Hollywood — et bientôt par l’État. Double influence de la beauté-standard : elle déf
1724 e la passion — dépersonnalisé dans cette mesure — et disqualifie le mariage, si l’épouse ne ressemble pas à la star la plu
1725 enfin sur un type, compromis entre ce qu’il aime et ce que le film le persuade d’aimer. Il rencontre cette femme, il la r
1726 l la reconnaît. C’est elle, la femme de son désir et de sa plus secrète nostalgie88, l’Iseut du rêve ; elle est mariée, na
1727 elle est mariée, naturellement. Qu’elle divorce, et il l’épousera ! Avec elle, ce sera la « vraie vie », ce sera l’épanou
1728 ristan qu’il porte en soi comme son génie caché ! Et plus rien ne compte en regard de la révélation mythique. (Pas même la
1729 ujours l’étrangère, l’étrangeté même de la femme, et tout ce qu’il y a d’éternellement fuyant, évanouissant et presque hos
1730 ce qu’il y a d’éternellement fuyant, évanouissant et presque hostile dans un être, cela même qui invite à la poursuite et
1731 dans un être, cela même qui invite à la poursuite et qui éveille l’avidité de posséder, plus délicieuse que toute possessi
1732 roie au mythe. C’est la femme dont on est séparé, et qu’on perd en la possédant. Alors commence une « passion » nouvelle.
1733  » nouvelle. On s’ingénie à renouveler l’obstacle et le combat. On imagine différente la femme que l’on tient dans ses bra
1734 femme que l’on tient dans ses bras, on la déguise et on l’éloigne en rêve, on s’acharne à dépayser les sentiments qui sont
1735 ui sont en train de se nouer dans une durée étale et trop sereine. C’est qu’il faut recréer des obstacles pour pouvoir de
1736 éer des obstacles pour pouvoir de nouveau désirer et pour exalter ce désir aux proportions d’une passion consciente, inten
1737 la douleur seule qui rend consciente la passion, et c’est pourquoi l’on aime souffrir et faire souffrir. Lorsque Tristan
1738 la passion, et c’est pourquoi l’on aime souffrir et faire souffrir. Lorsque Tristan emmène Iseut dans la forêt, où plus r
1739 s corps une épée nue. Descendons quelques siècles et toute l’échelle qui va de l’héroïsme religieux à la confusion sans gr
1740 u lieu de l’épée du chevalier, entre le bourgeois et sa femme, voici le rêve sournois du mari qui ne peut plus désirer sa
1741 dans sa Physiologie du mariage.) Une innombrable et écœurante littérature romanesque nous peint ce type du mari qui redou
1742 t » parce qu’il n’est plus d’obstacles entre elle et lui. Pitoyables victimes d’un mythe dont l’horizon mystique s’est ref
1743 e la passion mystique d’être sans fin terrestre — et c’est par là que cette passion se détachait des rythmes du désir char
1744 diat, il n’a jamais le temps d’aimer — d’attendre et de se souvenir — et rien de ce qu’il désire ne lui résiste, puisqu’il
1745 le temps d’aimer — d’attendre et de se souvenir — et rien de ce qu’il désire ne lui résiste, puisqu’il n’aime pas ce qui l
1746 onnaissance du mythe primitif, le succès du roman et du film apparaissent comme les signes certains d’une décadence de la
1747 d’une décadence de la personne chez les modernes, et d’une espèce de maladie de l’être. Presque toutes les complications q
1748 usie désirée, provoquée, sournoisement favorisée, et non plus chez l’autre seulement — la coquetterie est un peu simple —
1749 fidèle pour qu’on puisse de nouveau le poursuivre et « ressentir » l’amour en soi… Tout cela signifie, une fois de plus, q
1750 raison, qui est le monde de la jalousie. « Hommes et femmes dès qu’ils passent leur seuil souffrent de jalousie », dit un
1751 ssant « leur seuil », sortant de leur être propre et du présent tel qu’il leur est donné, incapables d’accepter l’autre te
1752 es à envier, qualités dont ils se sentent privés, et motifs de comparaisons qui toujours tournent à leur détriment. Le mar
1753 fre des beautés qu’il aperçoit à d’autres femmes, et dont la sienne se trouve privée (même si tous la jugent la plus belle
1754 t l’acceptation décisive d’un être en soi, limité et réel, que l’on choisit non comme prétexte à s’exalter, ou comme « obj
1755 lation »90, mais comme une existence incomparable et autonome à son côté, une exigence d’amour actif. ⁂ Je n’entends pas i
1756 ci attaquer la passion : je me borne à la décrire et à la « réciter » comme dit Montaigne, sachant fort bien que je ne con
1757 n. Bien peu ont assez soif pour boire le philtre, et j’en vois moins encore être élus par le sort pour succomber au tourme
1758 tous ou presque tous en rêvent, ou en rêvassent. Et si brouillée et défraîchie que soit l’empreinte du mythe primitif, c’
1759 tous en rêvent, ou en rêvassent. Et si brouillée et défraîchie que soit l’empreinte du mythe primitif, c’est pourtant là
1760 l’idée d’une limitation volontairement assumée ; et rien ne le flatte davantage que le mirage d’infini dépassement entret
1761 érables pour tout ordre social, quel qu’il soit. ( Et je ne parle même pas du danger spirituel que fait courir à la personn
1762 honorable effort de redéfinition de l’institution et des devoirs moraux qu’elle implique91. Les humanistes reprennent les
1763 oir la grande conquête de la culture occidentale, et le fondement solide de toute vie personnelle ; selon le second, l’uni
1764 ans une société libérée des contraintes de classe et d’argent. D’autres enfin s’efforcent de fonder une science des rappor
1765 jugaux. Jung analyse le « conflit psychologique » et les « névroses » qui seraient à l’origine du mal (d’où l’on déduit qu
1766 oient le remède dans une connaissance plus exacte et largement vulgarisée des phénomènes sexuels. L’abondance même de ces
1767 nes sexuels. L’abondance même de ces recherches92 et de ces recettes me rend sceptique quant à leur efficacité : elle révè
1768 er le lecteur dans ses croyances les plus intimes et les plus solidement ancrées. On a peur de paraître « puritain ». On s
1769 puritain ». On s’efforce de faire la part du feu, et l’on va même parfois jusqu’à ce paradoxe de présenter la passion amou
1770 qu’on l’imagine de nos jours est la négation pure et simple du mariage, que l’on prétend fonder sur lui. C’est qu’on ne sa
1771 du problème fondamental. « Il faut se faire lire et gagner la confiance ; on ne remonte pas le courant de toute l’époque 
1772 n a toujours existé, elle existera donc toujours, et nous ne sommes pas des Don Quichotte… » Je le crois bien ! C’est même
1773 cause de cela que vous ne ferez rien de sérieux. Et comme il faut pourtant que quelque chose se fasse, la seule question
1774 connut un « déchaînement » sexuel de la jeunesse et presque de l’enfance, probablement sans précédent dans notre histoire
1775 ade Zetkin, le chef décrit ce désastre des mœurs, et il proteste avec toute l’énergie d’un « révolutionnaire professionnel
1776 nation. Car sans cadres, l’économie périclitait, et la « défense nationale » ne pouvait pas s’organiser sans un constant
1777 s bases sociales, c’est-à-dire l’élément statique et stabilisateur au premier chef qu’est la famille. Ce fut le mécanisme
1778 rendit extrêmement onéreux), contre l’avortement et contre l’abandon des enfants nés hors du mariage. La rigueur subite d
1779 ychologique qu’elles provoquèrent, la propagande, et les mesures de contrôle policier de la vie privée, changèrent radical
1780 des bases strictement utilitaires, collectivistes et eugéniques, et dans une atmosphère où les problèmes individuels tenda
1781 tement utilitaires, collectivistes et eugéniques, et dans une atmosphère où les problèmes individuels tendaient à perdre t
1782 t à perdre toute espèce de dignité, de légitimité et de virulence anarchisante. Certes, l’Allemagne de l’après-guerre n’at
1783 s conséquences bien plus complexes que chez nous, et d’apparences fort hétéroclites. Le cynisme morbide de l’après-guerre
1784 la Neue Sachlichkeit des avant-gardes littéraires et artistiques, l’homosexualité très générale dans les associations secr
1785 ée par la décadence des contraintes matrimoniales et du mythe de l’amour mortel. Déjà l’on voyait affleurer le fond de dés
1786 . Déjà l’on voyait affleurer le fond de désespoir et d’anarchie intime que suppose toute morale du « bonheur » strictement
1787 qu’elle prétendait se fonder sur une base raciste et militaire, devait se donner pour première tâche de surmonter cette cr
1788 a par opposer à l’idéal antisocial de « bonheur » et de « vie dangereuse » un idéal collectiviste. Gemeinnutz geht vor Eig
1789 utz ! Le bien commun prime l’intérêt particulier. Et par tous les moyens spectaculaires, pédagogiques, voire religieux, on
1790 rt qui consiste à donner pour seul objet légitime et possible à la passion : l’idée de nation symbolisée par le Führer. D’
1791 . Ces femmes doivent être blondes, de sang aryen, et mesurer au moins 1 m 73. Ainsi le « type de femme » se trouve prescri
1792 oles analogues pour toutes les femmes allemandes, et l’on ne manquera pas de les rendre obligatoires à bref délai. Le but
1793 ra sa juste application dans l’esprit de Lycurgue et de Sparte : on en fera l’un des chapitres de la préparation militaire
1794 a passion, officiellement éliminée, disqualifiée, et définie comme simple déficience sociale (ou sabotage) devra se réfugi
1795 s’exprimer dans un langage symbolique (ésotérique et d’extérieur rassurant) les éléments plastiques, militaires et sacrés,
1796 ur rassurant) les éléments plastiques, militaires et sacrés, qui lui font aujourd’hui défaut. Sa dialectique mortelle pour
1797 ouveau mimer des intrigues épiques ou politiques. Et l’aventure reprendra son départ dans une tension incalculablement plu
1798 e d’une décharge passionnelle au niveau collectif et national, paraît aujourd’hui plus probable. Enfin, l’on peut encore i
1799 nt l’effective abolition du besoin « spirituel », et donc artificiel, de la passion. Alors le cycle de l’amour courtois se
1800 soit enfin sur des entretiens de Jésus ressuscité et de ses disciples « que les évangélistes et les Actes mentionnent sans
1801 uscité et de ses disciples « que les évangélistes et les Actes mentionnent sans les rapporter en détail ». L’auteur n’indi
1802 tains échos de presse sur la vie privée des stars et des magnats de la finance. 87. L’aventure fameuse de la princesse de
1803 les au désir — on les invente s’il n’y en a pas — et toute la dialectique de la passion qui se distingue de celle du désir
1804 de Lambeth. Les congrès œcuméniques de Stockholm et d’Oxford (toutes les églises non romaines) ont également abordé le pr
41 1938, Esprit, articles (1932–1962). Revue des revues (septembre 1938)
1805 stes exclus) quand il s’agit de thèses objectives et de programmes d’avenir. C’est le ton et les sentimentalismes qui s’op
1806 bjectives et de programmes d’avenir. C’est le ton et les sentimentalismes qui s’opposent encore. Mais enfin l’on s’apercev
1807 sme est une doctrine centriste, modérée-radicale, et non pas une doctrine de droite. D. Bertin attaque violemment M. Claud
1808 aulnier dénonce les équivoques de l’antisémitisme et ose écrire : « Je doute que le prolétariat français éprouve une joie
1809 ses camarades contre « une aventure d’intolérance et d’inquisition où nous avons à peu près tout à perdre ». Enfin M. Haed
1810 d par Retz, Bernardin de Saint-Pierre par Laclos, et Lamartine par Rimbaud. Un tel « signe » n’est pas négligeable : la vi
1811 s’est toujours définie en termes de littérature, et l’Action française a été surtout un mouvement de conservatisme littér
1812 des droits de l’homme, de Jaurès, de la Commune, et l’on prend parti contre le racisme et l’étatisme. Il est intéressant
1813 la Commune, et l’on prend parti contre le racisme et l’étatisme. Il est intéressant de souligner l’opposition très vive de
1814 e ce Manifeste à l’égard du Parti national Breton et de ses doctrines corporatistes et paternalistes. Au total, ce Manifes
1815 national Breton et de ses doctrines corporatistes et paternalistes. Au total, ce Manifeste de huit pages, clairement écrit
1816 crit, sans équivoques, intégralement fédéraliste ( et non régionaliste) doit être considéré comme l’un des premiers actes d
1817 ns ici depuis nos débuts.   NRF (mai). — Notes et quatrains de Jean Wahl. À retenir cette petite charade : mon premier
1818 Faubourg Saint-Germain (comme on disait naguère) et Montparnasse se mêlaient à merveille. Le déhanchement des inversions
1819 aient à merveille. Le déhanchement des inversions et l’odeur sournoise de l’opium se faisaient à peine remarquer dans le b
1820 ochelle, rescapé de ce xviiie siècle artificiel, et de cette « douceur de vivre », en a gardé — tout au moins dans son st
1821 guë, mais non l’exaltation, le cynisme impuissant et lucide, mais non l’air de défi. Cela fait un curieux ricanement, en m
1822 curieux ricanement, en manière d’oraison funèbre. Et après ? « Vous n’allez pas me dire que vous êtes fasciste ? — Heu… »
1823 oit par l’argus ou le courrier, renchérit encore, et prétend qu’on a tenu au cacho[t], durant près d’un demi-siècle, la po
42 1938, Esprit, articles (1932–1962). L’amour action, ou de la fidélité (novembre 1938)
1824 on comme une entité historique, née dans un temps et dans des lieux déterminés, et sous des astres dont le cours est calcu
1825 , née dans un temps et dans des lieux déterminés, et sous des astres dont le cours est calculable. (Au xiie siècle). J’ai
1826 une révolte contre la décision dont elle est née. Et pour tout dire, j’ignore encore si cela peut avoir un sens : approuve
1827 choisit d’être dans son tort, aux yeux du monde — et dans ce tort majeur, irrévocable, que signifie le choix de la mort. E
1828 r, irrévocable, que signifie le choix de la mort. Et comment échapper au démon que l’on fixe ? Pour attaquer la passion da
1829 ont la passion sut profiter.) C’est qu’avant tout et après tout, à l’origine et à la fin de la passion, il n’y a pas une «
1830 .) C’est qu’avant tout et après tout, à l’origine et à la fin de la passion, il n’y a pas une « erreur » sur l’homme ou Di
1831 ! En lui opposant toutes les raisons de la terre, et les conseils de tous nos arts de vivre, quand c’est la terre qui est
1832 de vivre, quand c’est la terre qui est méprisée, et la vie qui est la faute à racheter ! Mais tuer l’homme avant qu’il ne
1833 cheter ! Mais tuer l’homme avant qu’il ne se tue, et le tuer autrement qu’il ne veut l’être, c’est bien de cela, de cela s
1834 ir, dans une époque où l’on confond thérapeutique et sotériologie (lois de l’hygiène et doctrine du salut). À vues humaine
1835 thérapeutique et sotériologie (lois de l’hygiène et doctrine du salut). À vues humaines, la guérison de nos passions vien
1836 onyme qui assumera le poids de toutes nos fautes, et de la faute initiale de vivre, pour les glorifier dans la guerre au n
1837 om de l’innocence du Peuple ! Mais pour moi, ici et maintenant, le problème ne comporte pas d’échappatoire dans le temps
1838 homme déterminé — de connaître ses propres désirs et de sonder en vérité ses préférences les plus secrètes, du moins peut-
1839 secrètes, du moins peut-il connaître ses actions, et reconnaître à leurs effets les décisions qu’il a risquées. C’est donc
1840 rsonnel que je vais tenter de définir maintenant, et après coup, tel que je le reconnais dans ma vie. Et ce n’est à aucun
1841 après coup, tel que je le reconnais dans ma vie. Et ce n’est à aucun degré une solution que je propose. Car outre qu’une
1842 eul : on ne se décide jamais que pour son compte, et le reste est indiscrétion. Mais je ne pouvais écrire un livre entier
1843 n dans l’abstrait où la passion ne peut exister — et alors en parler n’est qu’une farce — mais dans le choix qui détermine
1844 t guère plus efficace pour légitimer le mariage ; et que les arguments les plus divers que lui opposent les meilleurs espr
1845 ante. Tolstoï, lui, la décrit comme un « enfer ». Et je lui fais un plus large crédit ! Étant donné que les humains des de
1846 à se justifier. Oui, les romantiques ont raison ; et les réalistes ont raison ; et les clercs aussi ont raison, quand ils
1847 tiques ont raison ; et les réalistes ont raison ; et les clercs aussi ont raison, quand ils déclarent au nom de leur vocat
1848 enfants : aut liberi aut libri disait Nietzsche. Et Kierkegaard a raison plus qu’eux tous, lui qui d’abord exalte la pass
1849 n’ait déjà mieux dit ? Il a su louer le philistin et le romantique, et leur donner raison au point de leur faire honte d’a
1850 it ? Il a su louer le philistin et le romantique, et leur donner raison au point de leur faire honte d’avoir parfois douté
1851 eur pour Dieu est « essentiellement malheureux », et cette passion chrétienne est la seule vérité, et tous nos « devoirs »
1852 et cette passion chrétienne est la seule vérité, et tous nos « devoirs » humains (dont le bonheur) ne peuvent que nous en
1853 pasteurs qui refusaient le célibat ; puis Luther et Calvin, tous deux mariés ; puis les Pères pour avoir loué le mariage 
1854 oir toléré… (Seul le Christ a vécu en chrétien !) Et comment réfuter ce furieux ? Les incroyants sont renvoyés aux argumen
1855 s romantiques, qui valent contre leur moralisme ; et les croyants aux arguments de saint Paul, qui valent contre leur huma
1856 our éviter l’impudicité, que chacun ait sa femme, et que chaque femme ait son mari… La femme n’a pas autorité sur son prop
1857 torité sur son propre corps, mais c’est le mari ; et pareillement, le mari n’a pas autorité sur son propre corps, mais c’e
1858 a figure de ce monde passe. » (I. Cor. 7, 1-32). Et voici le coup de grâce : « Celui qui n’est pas marié s’inquiète des
1859 es du Seigneur, des moyens de plaire au Seigneur, et celui qui est marié s’inquiète des choses du monde, des moyens de pla
1860 e mariage qu’au-delà des deux premières critiques et en chemin vers la troisième, c’est-à-dire en maintenant sans cesse pr
1861 a plus ni hommes ni femmes »), je borne ma vision et mon espoir à une perfection relative, à l’équilibre dans l’imperfecti
1862 que la révolte contre ma condition de créature ; et au contraire, si je l’atteins trop aisément, je deviendrai le philist
1863 ues, ou l’homme moral pris dans les rets sociaux, et incapable désormais de concevoir les vérités « cruelles » de l’esprit
1864 ietzsche. Mais si je sais que l’Apôtre a raison, et si je l’accepte, je considère alors l’équilibre imparfait du mariage
1865 imparfait du mariage dans une perspective ouverte et dans l’attente — heureuse ou malheureuse — du parfait. Je sais que je
1866 rfait. Je sais que je tente une entreprise folle ( et en même temps toute naturelle !) pour vivre le parfait dans l’imparfa
1867 une femme, c’est parier. Or la sagesse populaire et bourgeoise recommande au jeune homme de « réfléchir » avant de prendr
1868 ttre au départ toutes les chances de votre côté — et je suppose que la vie vous laisse le temps de calculer — jamais vous
1869 s vous ne pourrez prévoir votre future évolution, et encore moins celle de l’épouse choisie, encore bien moins celle du co
1870 ans le présent (comme si leur nombre était fini), et que vous disposiez d’une telle science de l’humain que leurs valeurs
1871 de l’humain que leurs valeurs vous soient connues et leur hiérarchie évidente, encore ne sauriez-vous prévoir la fin d’une
1872 tionner les espèces qui nous paraissent adaptées. Et nous aurions la prétention de résoudre d’un coup, en une seule vie, l
1873 problème de l’adaptation de deux êtres physiques et moraux des plus hautement organisés ! (C’est pourtant à cette utopie
1874 onstituer les premiers éléments, tout balbutiants et empiriques, d’une science du « mariage heureux »). Il faut le reconna
1875 4, ces données extérieures perdent en importance, et les impondérables deviennent décisifs. Le sophisme est alors du côté
1876 côté du bon sens, qui recommandait un choix mûri et raisonné, selon des critères impersonnels. Mais enfin ce n’est pas l’
1877 e que tout se ramène à une sagesse, à un savoir ; et non pas à une décision. Or ce savoir ne pouvant être qu’imparfait, et
1878 ision. Or ce savoir ne pouvant être qu’imparfait, et provisoire, devrait se doubler d’une garantie. Et la seule garantie c
1879 et provisoire, devrait se doubler d’une garantie. Et la seule garantie concevable est dans la force de la décision en vert
1880 u’il serait plus conforme à l’essence du mariage, et au réel, d’enseigner aux jeunes gens que leur choix relève toujours d
1881 rrationnel d’une décision prise en dépit de tout, et qui fonde une nouvelle existence, initiant un risque nouveau. ⁂ Écart
1882  : « Vous êtes l’idéal de mes rêves, vous comblez et au-delà tous mes désirs, vous êtes l’Iseut toute belle et désirable —
1883 là tous mes désirs, vous êtes l’Iseut toute belle et désirable — et munie d’une dot adéquate — dont je veux être le Trista
1884 irs, vous êtes l’Iseut toute belle et désirable — et munie d’une dot adéquate — dont je veux être le Tristan ». Car ce ser
1885 e veux être le Tristan ». Car ce serait là mentir et l’on ne peut rien fonder qui dure sur le mensonge. Il n’y a personne
1886 « c’est vous que je choisis pour partager ma vie, et voilà la seule preuve que je vous aime ». (Vraiment, pour dire : Ce n
1887 ivins — il faut n’avoir connu que peu de solitude et peu d’angoisse, très peu de solitaire angoisse.) ⁂ Seule une décision
1888 servir de point de départ à une fidélité réelle ; et je ne dis pas à une fidélité qui soit une recette de « bonheur », mai
1889 e grandeur. (Comme la passion !) ⁂ Les moralistes et certains sociologues (dont Engels) ont essayé de prouver que la monog
1890 essayé de prouver que la monogamie est naturelle, et de plus qu’elle est salutaire. Cela se discute à l’infini. Et cela no
1891 u’elle est salutaire. Cela se discute à l’infini. Et cela nous sera des plus utile dès que les hommes se régleront sur la
1892 ile dès que les hommes se régleront sur la raison et l’intérêt : quand ils n’auront plus de passions, quand ils cesseront
1893 é se définit comme la moins naturelle des vertus, et la plus désavantageuse pour le « Bonheur ». À leurs yeux et dans leur
1894 désavantageuse pour le « Bonheur ». À leurs yeux et dans leur langage, la fidélité conjugale est le succès d’un effort « 
1895 idélité comme une discipline imposée (aux humeurs et désirs spontanés) par un absurde et cruel parti pris ; ou comme une a
1896 (aux humeurs et désirs spontanés) par un absurde et cruel parti pris ; ou comme une abstention prudente… Ou encore ils y
1897 ivre largement, d’un goût mesquin pour le confort et le conforme ; d’un défaut d’imagination ; d’une timidité méprisable ;
1898 se, c’est d’exploiter chaque situation au maximum et pour elle-même, sans plus se référer à rien qui « juge » et qui « mes
1899 le-même, sans plus se référer à rien qui « juge » et qui « mesure » la jouissance qu’on en tire. Seul un respect acquis de
1900 s, c’est une passade, une erreur sans lendemain » et tantôt : « C’est tellement vital pour moi, tellement plus important q
1901 ent plus important que toutes vos petites morales et garanties de bonheur bourgeois ! » Du cynisme au tragique romantique,
1902 ’absurde, parce qu’on s’y est engagé, simplement, et que c’est un fait absolu, sur quoi se fonde la personne même des épou
1903 ance commune en la valeur révélatrice du spontané et de la multiplicité des expériences. Elle nie que l’être aimé doive ré
1904 candaleusement que c’est avant tout l’obéissance, et en second lieu la volonté de faire une œuvre. Car la fidélité n’est p
1905 la manière d’une œuvre, à la faveur d’une œuvre, et aux mêmes conditions, dont la première est la fidélité à quelque chos
1906 n’était pas, mais que l’on crée. Personne, œuvre, et fidélité : les trois mots ne sont point séparables ou concevables iso
1907 e sont point séparables ou concevables isolément. Et tous les trois supposent un parti pris96, une attitude fondamentale d
1908 de fidélité introduit une chance de faire œuvre, et d’accéder au plan de la personne. (À condition bien entendu que cette
1909 héritée, détient sa chance immédiate de grandeur, et c’est dans la fidélité « absurde » qu’elle pourra la réaliser : quand
1910 oi, d’une promesse faite à Dieu, gagée par Dieu… ( Et peut-être, plus tard, après coup, l’homme découvre que la folie du sa
1911 sacrifice consenti était la plus grande sagesse ; et que le bonheur qu’il a renoncé lui est rendu, comme Isaac fut rendu à
1912 rendu à Abraham. Mais alors il n’y songeait pas ! Et il se peut aussi que rien ne compense la perte : nous sommes ici dans
1913 mmes ici dans un ordre de grandeur où nos mesures et nos équivalences n’ont plus cours.) Mais savons-nous encore imaginer
1914 giner une grandeur qui n’ait rien de romantique ? Et qui soit le contraire d’une ardeur exaltée ? La fidélité dont je parl
1915 é dont je parle est une folie, mais la plus sobre et quotidienne. Une folie de sobriété qui mime assez bien la raison — et
1916 folie de sobriété qui mime assez bien la raison — et qui n’est pas un héroïsme, ni un défi, mais une patiente et tendre ap
1917 st pas un héroïsme, ni un défi, mais une patiente et tendre application. Le contraire absolu de toute littérature, de tout
1918 pas encore clair. Tristan lui aussi fut fidèle ! Et toute passion véritable est fidèle. (Pour ne rien dire des successive
1919 re des successives fidélités de nos « liaisons », et de tous ces Tristans qui ne sont au vrai que des Don Juan au ralenti.
1920 on Juan au ralenti.) Où est alors la différence ? Et le mari fidèle, ne serait-ce pas simplement celui qui a reconnu dans
1921 suis toi-même ! » Ainsi de la fidélité du mythe, et de Tristan. C’est un narcissisme mystique, mais qui s’ignore, naturel
1922 sisme mystique, mais qui s’ignore, naturellement, et qui croit être un vrai amour pour l’autre. L’analyse des légendes cou
1923 é que Tristan n’aime pas Iseut mais l’amour même, et au-delà de cet amour, la mort, appelée comme la délivrance du moi cou
1924 mort, appelée comme la délivrance du moi coupable et asservi. Tristan n’est pas fidèle à une promesse, ni à cet être symbo
1925 exte qui s’appelle Iseut, mais à sa plus profonde et secrète passion. Le mythe s’empare de l’« instinct de mort » insépara
1926 nstinct de mort » inséparable de toute vie créée, et il le transfigure en lui donnant un but essentiellement spirituel. Se
1927 son bonheur, c’est alors une manière de se sauver et d’accéder à une vie supérieure, la « joie suprême » d’Isolde agonisan
1928 consume la vie, mais qui consume aussi la faute, et divinise un moi purifié, « innocent » ! De ces origines mystiques, la
1929 Religion antérieure à notre « instinct » moderne, et qui détient l’intime secret de la passion, au-delà de ce que les psyc
1930 ’on veut), indifférente, sinon hostile au bonheur et à l’instinct vital, elle exige un retour au monde réel, tandis que la
1931 vasion. Dans le mariage, c’est à l’autre d’abord, et non pas à son moi d’abord, que celui qui aime voue sa fidélité. Et ta
1932 moi d’abord, que celui qui aime voue sa fidélité. Et tandis que la fidélité de Tristan était un perpétuel refus, une volon
1933 n était un perpétuel refus, une volonté d’exclure et de nier la création dans sa diversité, d’empêcher le monde d’envahir
1934 as tromper sa femme serait une preuve d’indigence et non d’amour. La fidélité veut bien plus : elle veut le bien de l’être
1935 eut bien plus : elle veut le bien de l’être aimé, et lorsqu’elle agit pour ce bien, elle crée devant elle le prochain. Et
1936 pour ce bien, elle crée devant elle le prochain. Et c’est alors par ce détour, à travers l’autre, que le moi rejoint sa p
1937 nt de « l’amour-action ». Ce qui niait l’individu et son naturel égoïsme, c’est cela qui édifie la personne. À ce terme, o
1938 é dans le mariage est la loi d’une vie nouvelle ; et non point de la vie naturelle (ce serait la polygamie) — et non plus
1939 nt de la vie naturelle (ce serait la polygamie) — et non plus de la vie pour la mort (c’était la passion de Tristan). ⁂ L’
1940 L’amour fidèle de Tristan détruisait son bonheur et sa vie pour témoigner en faveur de la Nuit, c’est-à-dire du moi glori
1941 notre bonheur, est salutaire. L’amour de Tristan et d’Iseut c’était l’angoisse d’être deux ; et son aboutissement suprême
1942 istan et d’Iseut c’était l’angoisse d’être deux ; et son aboutissement suprême, c’était la chute dans l’illimité, au sein
1943 soit plus, pour qu’il cesse de me faire souffrir, et qu’il n’y ait plus que « moi-le-monde » ! Mais l’amour du mariage es
1944 re limité, aimé parce qu’il m’appelle à le créer, et qu’il se tourne avec moi vers le Jour afin d’attester notre alliance.
1945 mon bien, parce qu’il est confondu avec le sien : et si ce n’était pour toute la vie, ce serait encore une menace. (Il y a
1946 ore la différence entre un destin que l’on assume et une obsession que l’on subit ?) 5. Éros sauvé par Agapè Alors l
1947 pleine stature : il est l’affirmation de l’être. Et c’est Éros, l’amour-passion, l’amour païen, qui a répandu dans notre
1948 onde occidental le poison de l’ascèse idéaliste — et tout ce qu’un Nietzsche absurdement reproche à l’Évangile. C’est Éros
1949 he absurdement reproche à l’Évangile. C’est Éros, et non pas Agapè, qui a glorifié notre instinct de mort, et qui a voulu
1950 pas Agapè, qui a glorifié notre instinct de mort, et qui a voulu le « spiritualiser ». Mais Agapè se venge d’Éros en le sa
1951 ros en le sauvant. Car Agapè ne sait pas détruire et ne veut même pas détruire ce qui détruit. « Je ne veux pas la mort du
1952 exalter la vie au-dessus de notre condition finie et limitée de créatures. Ainsi le même mouvement qui fait que nous adoro
1953 apè l’en délivre. Agapè sait que la vie terrestre et temporelle ne mérite pas d’être adorée, ni même tuée, mais peut être
1954 sort se joue. C’est sur la terre qu’il faut aimer et recevoir le pardon. L’homme naturel ne pouvait pas l’imaginer. Il ét
1955 r le plus puissant, à lui demander la délivrance. Et l’Éros ne pouvait le conduire qu’à la mort. Mais l’homme qui croit à
1956 re chose, il sait qu’il est une autre délivrance. Et voici que l’Éros à son tour se voit relevé de sa fonction mortelle et
1957 à son tour se voit relevé de sa fonction mortelle et délivré de son destin. Dès qu’il cesse d’être un dieu, il cesse d’êtr
1958 esse d’être un dieu, il cesse d’être un démon 97. Et il retrouve sa juste place, et vivifiante, dans l’économie provisoire
1959 ’être un démon 97. Et il retrouve sa juste place, et vivifiante, dans l’économie provisoire de la Création, de l’humain. L
1960 était son pouvoir le plus fort, le plus dangereux et le plus mystérieux, le plus profondément lié au fait de vivre. Toutes
1961 es divinisent le Désir. Toutes cherchent un appui et un salut dans le Désir, qui devient aussitôt, et par là même, le pire
1962 et un salut dans le Désir, qui devient aussitôt, et par là même, le pire ennemi de la vie, la séduction du Rien. Mais dès
1963 Rien. Mais dès lors que le Verbe s’est fait chair et qu’il nous a parlé en mots humains, nous avons appris cette nouvelle 
1964 rer lui-même, c’est Dieu qui l’a aimé le premier, et qui s’est approché de lui. Le salut n’est plus au-delà, toujours plus
1965 e, mais ici-bas, dans l’obéissance à la Parole. ⁂ Et qu’aurions-nous alors à craindre du désir ? Cela seulement : qu’il no
1966 sance absolue quand nous cessons de le diviniser. Et c’est ce qu’atteste l’expérience de la fidélité dans le mariage. Car
1967 fidélité se fonde justement sur le refus initial et juré de « cultiver » les illusions de la passion, de leur rendre un c
1968 ns de la passion, de leur rendre un culte secret, et d’en attendre un mystérieux surcroît de vie. J’essaierai de le faire
1969 tianisme a proclamé l’égalité parfaite des sexes, et cela de la manière la plus précise : La femme n’a pas autorité sur
1970 torité sur son propre corps, mais c’est le mari ; et pareillement le mari n’a pas autorité sur son propre corps, mais c’es
1971 égalité ne doit pas être entendue au sens moderne et revendicateur. Elle procède du mystère de l’amour, elle n’est que le
1972 de du mystère de l’amour, elle n’est que le signe et la démonstration du triomphe d’Agapè sur Éros. Car l’amour réellement
1973 sur Éros. Car l’amour réellement réciproque exige et crée l’égalité de ceux qui s’aiment. Dieu manifeste son amour pour l’
1974 eant que l’homme soit saint comme Dieu est saint. Et l’homme témoigne de son amour pour une femme en la traitant comme une
1975 ne fée de la légende mi-déesse mi-bacchante, rêve et sexe. Mais remontons de ces prémisses générales à la psychologie la p
1976 facultés neuves de jugement, de possession de soi et de respect99. Au contraire de l’homme érotique, l’homme de la fidélit
1977 il pressent, à peine tenté, le mystère difficile et grave d’une existence autonome, étrangère, d’une vie totale dont il n
1978 sipe, déconcertée, au lieu de se faire obsédante, et la fidélité se garantit par la lucidité qu’elle développe. L’emprise
1979 développe. L’emprise du mythe faiblit d’autant ; et s’il reste improbable qu’elle s’abolisse jamais sans laisser de trace
1980 e fait qu’elle habitue à ne plus séparer le désir et l’amour. Car si le désir va vite et n’importe où, l’amour est lent et
1981 arer le désir et l’amour. Car si le désir va vite et n’importe où, l’amour est lent et difficile, il engage vraiment toute
1982 e désir va vite et n’importe où, l’amour est lent et difficile, il engage vraiment toute une vie, et il n’exige pas moins
1983 t et difficile, il engage vraiment toute une vie, et il n’exige pas moins que cet engagement pour révéler sa vérité. Et c’
1984 moins que cet engagement pour révéler sa vérité. Et c’est pourquoi l’homme qui croit au mariage ne peut plus croire série
1985 t plus croire sérieusement au « coup de foudre », et encore moins à la « fatalité » de la passion. Le « coup de foudre » e
1986 de la passion est accréditée par Tristan. Excuse et alibi qui ne peuvent tromper que celui qui veut être trompé, parce qu
1987 e son intérêt ; figures de rhétorique romanesque, et acceptables à ce titre, mais qu’il serait assez absurde de confondre
1988 sensuelle. Don Juan, l’homme des coups de foudre et de la vie « orageuse », serait une sorte de surhomme, de surmâle. Myt
1989 omme, de surmâle. Mythe d’une puissance indéfinie et qui domine les contingences morales. Mais alors, on peut être certain
1990 areil mythe est né de la rêverie des impuissants. Et en effet, la conduite de Don Juan est bien typique d’une certaine déf
1991 sexuelle. C’est dans l’état de fatigue générale, et sexuellement localisée, que le corps se voit porté à ces brusques éca
1992 idiots. Par contre, dans un état normal du corps et de l’esprit, le risque de coup de foudre est à peu près éliminé. Il a
1993 plaisir, c’est-à-dire de l’Éros purement charnel, et non du tout divinisé100. ⁂ On objecte alors que le mariage ne serait
1994 e mariage est le tombeau de l’amour sauvage »101 ( et plus communément du sentimentalisme). L’amour sauvage et naturel se m
1995 communément du sentimentalisme). L’amour sauvage et naturel se manifeste par le viol, preuve d’amour chez tous les barbar
1996 tant dire qu’il ne sait pas encore aimer. Le viol et la polygamie privent la femme de sa qualité d’égale — en la réduisant
1997 de tempérament) mais c’est qu’il aime, justement, et qu’en vertu de cet amour, il refuse de s’imposer, il se refuse à une
1998 de s’imposer, il se refuse à une violence qui nie et détruit la personne. Il prouve ainsi qu’il veut d’abord le bien de l’
1999 e. On admettra que c’est une révolution sérieuse. Et nous pourrons maintenant dépasser la formule toute négative et privat
2000 ons maintenant dépasser la formule toute négative et privative de Croce, et définir enfin le mariage comme cette instituti
2001 la formule toute négative et privative de Croce, et définir enfin le mariage comme cette institution qui contient la pass
2002 Occident Ces quelques remarques sur la passion et le mariage mettent en lumière l’opposition fondamentale de l’Éros et
2003 nt en lumière l’opposition fondamentale de l’Éros et de l’Agapè, c’est-à-dire des deux religions qui se disputent notre Oc
2004 ssance de ce conflit, de ses origines historiques et psychologiques, de son enjeu spirituel, me paraît devoir entraîner la
2005 ique d’abord, mais aussi dans celui de la culture et de sa philosophie. Au terme de cet essai, il suffira sans doute de dé
2006 nnelles. Ils y voient l’héritage du christianisme et le secret de notre dynamisme. Et il est vrai que ces trois termes : c
2007 du christianisme et le secret de notre dynamisme. Et il est vrai que ces trois termes : christianisme, passion, dynamisme,
2008 esse d’une force que le christianisme a réveillée et orientée vers Dieu »102. Il est plutôt le sous-produit de la religion
2009 cette religion avec nos plus vieilles croyances, et du conflit de l’hérésie qui en résulta avec l’orthodoxie chrétienne.
2010 st un masque du désir de mort. Dynamisme inverti, et autodestructeur. Mais l’autre aspect du dynamisme occidental, j’enten
2011 on de la valeur des choses créées, de la matière, et une application de l’esprit au monde visible. La passion ni la foi hé
2012 la maîtrise de la Nature, puisque c’est là le but et la fonction originelle du Démiurge, et puisque le salut est justement
2013 là le but et la fonction originelle du Démiurge, et puisque le salut est justement d’échapper à sa loi démoniaque.104 Fa
2014 tion chrétienne définie par l’Apôtre (Romains 8), et qui tendrait à restaurer le Cosmos dans sa loi primitive, troublée pa
2015 chrétienne de transformer le pécheur dans son âme et dans sa conduite a entraîné en Occident l’idée de transformer le mili
2016 celle de passion. Ce qui peut induire en erreur, et ce qui a introduit de fait une fatale erreur dans l’activisme moderne
2017 ctivisme moderne, c’est la collusion de la guerre et de notre génie technique. À partir de la Révolution, la guerre devena
2018 la collaboration de toutes les forces créatrices, et en particulier de la technique. C’est alors la passion nationale et g
2019 de la technique. C’est alors la passion nationale et guerrière qui va devenir le principal moteur de la recherche mécaniqu
2020 union tout à fait monstrueuse des forces de mort et des forces créatrices va dénaturer à la fois la guerre et le génie te
2021 orces créatrices va dénaturer à la fois la guerre et le génie technique. La guerre mécanisée évacue la passion ; et la tec
2022 echnique. La guerre mécanisée évacue la passion ; et la technique en devenant mortelle, trahit les ambitions dont elle est
2023 communément ceux qui assimilent le christianisme et l’Occident, comme si tout l’Occident était chrétien. Si donc l’Europe
2024 i qu’elle ne s’est développée dans notre histoire et nos cultures qu’à partir des xiie et xiiie siècles, et par l’impuls
2025 re histoire et nos cultures qu’à partir des xiie et xiiie siècles, et par l’impulsion décisive de l’hérésie méridionale,
2026 cultures qu’à partir des xiie et xiiie siècles, et par l’impulsion décisive de l’hérésie méridionale, il apparaît que c’
2027 ridionale, il apparaît que c’est du Proche-Orient et de l’Iran, sources certaines de l’hérésie, que nous sont venues nos «
2028 ompte dans l’attitude religieuse des Occidentaux, et dans l’institution la plus typique de leur morale : le mariage, qu’il
2029 des de la fidélité, de la personne, du mariage, —  et du refus de la passion. Elle suppose l’acceptation du différent, et d
2030 passion. Elle suppose l’acceptation du différent, et donc de l’incomplet, la prise sur le concret dans ses limitations. Le
2031 ations. Le chrétien prend le monde tel qu’il est, et non point tel qu’il peut le rêver. Son activité « créatrice » consist
2032 en profondeur toute la diversité du monde créé ; et c’est ainsi que la Renaissance définit l’homme : un microcosme. Tout
2033 nté centrale, ou en dévie, compromet la fidélité, et donne des chances nouvelles à la passion. C’est notre vie et notre mo
2034 s chances nouvelles à la passion. C’est notre vie et notre mort. Et c’est pourquoi la crise moderne du mariage est le sign
2035 lles à la passion. C’est notre vie et notre mort. Et c’est pourquoi la crise moderne du mariage est le signe le moins trom
2036 ersonne. Mais ce sont là des phénomènes complexes et collectifs, qui échappent en partie aux vues individuelles. Le « sign
2037 s. Le « signe » de la crise du mariage nous parle et nous avertit mieux : aucun autre n’est plus sensible et quotidien, pl
2038 s avertit mieux : aucun autre n’est plus sensible et quotidien, plus intimement vérifiable. 7. Au-delà de la tragédie10
2039 cadence : mythe dégradé, mariage en crise, formes et conventions décriées, extension du délire passionnel aux domaines où
2040 vilisation. Tout cela est, tout cela nous menace, et d’autant plus qu’on voudrait le nier. Cependant, à plusieurs reprises
2041 e peut que l’Europe, après une crise totalitaire ( et supposé qu’elle n’y succombe point), retrouve le sens d’une fidélité
2042 peut que les excès mêmes de la passion provoquent et recréent des résistances, c’est-à-dire des formes nouvelles, ramenant
2043 se fonde. ⁂ Deux thèmes de réflexion, amorcés çà et là dans ces pages, pourront en constituer la conclusion ouverte. J’ai
2044 ler certains problèmes posés en termes d’histoire et de psychologie : mais les constatations tout objectives auxquelles je
2045 Elles introduisent à une problématique nouvelle, et qui n’est pas toujours aussi simpliste que le dilemme passion-fidélit
2046 de dépasser notre dilemme ne saurait être la pure et simple négation de l’un de ses termes. Je l’ai dit et j’y insiste enc
2047 imple négation de l’un de ses termes. Je l’ai dit et j’y insiste encore : condamner la passion en principe, ce serait voul
2048 ssible. Le philistin qui « condamne » de la sorte et à priori toute passion, c’est qu’il n’en a connu aucune, et qu’il est
2049 i toute passion, c’est qu’il n’en a connu aucune, et qu’il est en deçà du conflit. Pour cet homme-là le seul progrès conce
2050 c’est « le secret » essentiellement impartageable et indicible, qui s’opposait aux yeux de Kierkegaard à un mariage heureu
2051 t d’une nature à tel point subjective, singulière et incomparable, qu’on ne saurait en pressentir la gravité sans invoquer
2052 er la foi de Kierkegaard. Selon lui, l’homme fini et pécheur ne saurait entretenir avec son Dieu, — qui est l’Éternel et l
2053 ait entretenir avec son Dieu, — qui est l’Éternel et le Saint— que des relations d’amour mortellement malheureux. « Dieu c
2054 ellement malheureux. « Dieu crée tout ex nihilo » et celui que Dieu élit par son amour, « il commence par le réduire à néa
2055 ar le réduire à néant ». Du point de vue du monde et de la vie naturelle, Dieu apparaît alors comme « mon ennemi mortel ».
2056 tué par l’amour infini, devra marcher maintenant et vivre dans le monde comme s’il n’avait pas d’autre tâche ni plus urge
2057 n de surhumain : « il ressemble à un percepteur » et se conduit comme n’importe quel honnête bourgeois. Et pourtant « il a
2058 e conduit comme n’importe quel honnête bourgeois. Et pourtant « il a tout renoncé dans une infinie résignation, et s’il a
2059 « il a tout renoncé dans une infinie résignation, et s’il a tout ressaisi par la suite, c’est en vertu de l’absurde (c’est
2060 aut dans l’infini, mais avec une telle correction et une telle certitude qu’il retombe sans cesse dans le fini, et qu’on n
2061 certitude qu’il retombe sans cesse dans le fini, et qu’on ne remarque en lui rien que de fini108… » Ainsi l’extrême de la
2062 r elle est bien plus que royale, elle est divine. Et dans l’analogie de la foi, l’on peut alors concevoir que la passion —
2063 où elle se manifeste — ne trouve son au-delà réel et son salut que par cette action d’obéissance qui est la vie de fidélit
2064 as à l’absurde ; mais c’est plus qu’une synthèse, et infiniment plus et autre chose qu’une « solution », pour qui croit qu
2065 is c’est plus qu’une synthèse, et infiniment plus et autre chose qu’une « solution », pour qui croit que Dieu est fidèle,
2066 « solution », pour qui croit que Dieu est fidèle, et que l’amour ne trompe jamais l’aimé. Certes, Kierkegaard ne parvint à
2067 ouvra pas Régine, mais ne cessa jamais de l’aimer et de lui dédier toute son œuvre. Et c’est peut-être que cette œuvre éta
2068 mais de l’aimer et de lui dédier toute son œuvre. Et c’est peut-être que cette œuvre était le lieu de sa fidélité la plus
2069 es reçoivent une autre vocation, épousent Régine, et la passion revit dans leur mariage, mais alors « en vertu de l’absurd
2070 ur mariage, mais alors « en vertu de l’absurde ». Et ils s’étonnent chaque jour de leur bonheur. (Ces choses-là sont trop
2071 de leur bonheur. (Ces choses-là sont trop simples et totales pour qu’un discours vienne mettre ses délais entre la questio
2072 ses délais entre la question qu’elles nous posent et la réponse de notre vie.) ⁂ Le second thème que j’esquisserai n’est p
2073 de présence parfaite à l’objet aimant de l’amour, et c’est ce qu’il nomme le mariage mystique. L’âme se comporte alors à l
2074 ifférence quasi divine. Elle est au-delà du doute et de la distinction ressentie comme un déchirement ; elle ne désire plu
2075 a dualité, qui n’est plus qu’un dialogue de grâce et d’obéissance. Et le désir de la plus haute passion se voit alors comb
2076 est plus qu’un dialogue de grâce et d’obéissance. Et le désir de la plus haute passion se voit alors comblé sans cesse dan
2077 désir d’union mystique, ne saurait être dépassée et accomplie que par la rencontre d’un autre, par l’admission de sa vie
2078 sible, cessent de souffrir, acceptent notre jour. Et alors le mariage est possible. Nous sommes deux dans le contentement.
2079 i de sobriété. Les mariés ne sont pas des saints, et le péché n’est pas comme une erreur à laquelle on renoncerait un beau
2080 mes sans fin ni cesse dans le combat de la nature et de la grâce. Sans fin ni cesse, malheureux puis heureux. Mais l’horiz
2081 ’idéaliser. 96. J’emploie ce terme au sens actif et littéral, par opposition au sens devenu courant, de « préjugé », de «
2082 Voir le remarquable essai de R. de Pury : « Éros et Agapè », dans le recueil collectif intitulé Problèmes de la sexualité
2083 té (collection « Présences »). « Un chrétien peut et doit accepter Éros, en tant qu’Éros, et justement pas en tant qu’Éros
2084 tien peut et doit accepter Éros, en tant qu’Éros, et justement pas en tant qu’Éros sublimé. Éros n’est pas le péché ; le p
2085 pendant Novalis renouvelant la mystique courtoise et les vieilles traditions celtiques. 99. En quoi consiste le respect,
2086 les croyances courantes, nées du mythe de Tristan et de son négatif donjuanesque. Mais cette « raison » est tout à fait in
2087 fait inefficace aux yeux de qui préfère le mythe, et veut croire aux révélations de la passion. 101. B. Croce, Etica e P
2088 103. À partir de cette règle commune à la passion et à la guerre que fut la chevalerie médiévale. 104. « L’idée antique d
2089 phes qu’elle annonce représentent notre châtiment et non pas notre délivrance. Ce n’est pas la mort, la désincarnation, qu
2090 Ce dernier chapitre est la conclusion de L’Amour et l’Occident , plus encore que des deux fragments publiés dans Esprit.
2091 n’importe quel malade sans génie. 108. Crainte et Tremblement, trad. d’après la version allemande de E. Geismar et R. M
2092 trad. d’après la version allemande de E. Geismar et R. Marx. ax. Rougemont Denis de, « Mariage et personne (II) : l’amo
2093 r et R. Marx. ax. Rougemont Denis de, « Mariage et personne (II) : l’amour action, ou de la fidélité », Esprit, Paris, n
2094 d’un ouvrage à paraître sous le titre : L’Amour et l’Occident . »
43 1938, Esprit, articles (1932–1962). Suite à « La passion contre le mariage » (décembre 1938)
2095 de ceux qui se sont attaqués à la fausse passion) et la réponse de Rougemont. La voici : Au sujet de la lettre du R. P. La
44 1939, Esprit, articles (1932–1962). D’une critique stérile (mai 1939)
2096 que stérile (mai 1939)ba Dans un certain sens, et aujourd’hui, nul n’est plus mal placé que les personnalistes pour cri
2097 , dès les années 1930 à 1932, avec une pertinence et une violence qui alors n’étaient pas sans mérites. Ils ont prédit l’é
2098 surer le « salut » de nos libertés… Ils ont écrit et dit tout cela, avant les autres, dans Esprit et dans L’Ordre nouve
2099 et dit tout cela, avant les autres, dans Esprit et dans L’Ordre nouveau . Ils étaient les premiers à le dire. Et l’on p
2100 dre nouveau . Ils étaient les premiers à le dire. Et l’on pensait qu’ils seraient les premiers à y croire, et à le prouver
2101 pensait qu’ils seraient les premiers à y croire, et à le prouver. Or, il ne paraît pas qu’à cette critique ait répondu ju
2102 une intensité comparable. Les partisans de droite et de gauche seraient fondés à nous dire aujourd’hui : « Vous avez très
2103 sa critique négative. Mon expérience des groupes et des congrès personnalistes m’amène à formuler les thèses suivantes :
2104 ion de ce groupe, après quelques séances d’études et de mises au point. 3. Car on ne croit pas suffisamment à ce qu’on aff
2105 n parti vrai, dont la doctrine soit plus complète et sympathique que celle des « formations traditionnelles », un parti où
2106 action possible qu’au moyen des partis existants, et l’on propose la colonisation du socialisme ou de la CGT — qui pratiqu
2107 par des « isolés ». 7. Ainsi l’écart entre action et doctrine s’accentue d’année en année. La doctrine tourne à l’utopie,
2108 essentiel : la création de moyens d’action neufs, et qui seraient efficaces justement parce qu’ils ne seraient pas à l’éch
2109 is : elle veut être une action à hauteur d’homme, et non pas au niveau de l’opinion. 10. Ceux qui doutent de son efficace
2110 centre sont victimes de l’optique des partis. 12. Et de même, ceux qui attendent pour agir que nous soyons « suffisamment
2111 19. Tout parti est totalitaire dans son essence, et préfigure l’État totalitaire, brutal et stérilisant. 20. D’où l’incap
2112 essence, et préfigure l’État totalitaire, brutal et stérilisant. 20. D’où l’incapacité essentielle des partis à collabore
45 1939, Esprit, articles (1932–1962). Autour de L’Amour et l’Occident (septembre 1939)
2113 Autour de L’Amour et l’Occident (septembre 1939)bb bc Mon cher Davenson, Votre article
2114 re article brillant, méditerranéen sur mon Amour et l’Occident , par sa forme même d’apostrophe amicale et ironique, prov
2115 Occident , par sa forme même d’apostrophe amicale et ironique, provoque et engage un dialogue. J’ai d’autant moins envie d
2116 e même d’apostrophe amicale et ironique, provoque et engage un dialogue. J’ai d’autant moins envie de m’y soustraire que l
2117 r. Vous me dites (avec une gentillesse désarmante et si rare !) que mon livre « est un livre d’histoire » et que je ne sui
2118 rare !) que mon livre « est un livre d’histoire » et que je ne suis pas un historien. Je vois bien que vous non plus ne vo
2119 e voulez pas l’être comme tant d’autres le furent et le restent. Toutefois, c’est bien comme « historien » que vous m’atta
2120 est bien comme « historien » que vous m’attaquez, et certes je ne fais pas de ce mot une injure, mais simplement je consta
2121 de l’histoire comme quelqu’un qui y croit encore, et qui escompte que le lecteur y croit. Or moi je n’y crois pas du tout.
2122 roclite de textes, de dates, de noms de personnes et de lieux, de chiffres, de relations de gestes et de paroles, matériel
2123 et de lieux, de chiffres, de relations de gestes et de paroles, matériel avec l’aide duquel l’historien compose des faits
2124 ur écrire un sonnet ? Des contraintes rhétoriques et de la liberté, disons de l’imagination. De même, pour composer un « f
2125 il faut un certain nombre de renseignements fixes et une capacité fabulatrice qui leur donne un sens et un nom, comme « vi
2126 t une capacité fabulatrice qui leur donne un sens et un nom, comme « victoire » et « bataille de la Marne ». Le sonnet ser
2127 leur donne un sens et un nom, comme « victoire » et « bataille de la Marne ». Le sonnet sera critiquable si l’ordre des r
2128 . Le sonnet sera critiquable si l’ordre des rimes et des strophes n’est pas strictement respecté. La composition historiqu
2129 er vos critiques dans l’esprit de votre lecteur — et du mien. Car en fait, je ne prétends nullement que mon livre soit un
2130 faut une étiquette, un livre de théologie morale, et c’est sur ce terrain que je puis le défendre. Malgré toute mon horreu
2131 nements qu’elle authentifie. En tant qu’érudition et critique dite « sérieuse », elle se constitue proprement par le refus
2132 reconnaître là où elle est apparue dans le passé, et là où elle sévit dans le présent. Croyez bien qu’en tant qu’interprèt
2133 le présent. Croyez bien qu’en tant qu’interprète et théologien de l’histoire, je n’ai pas été sans découvrir dans votre a
2134 rit au nom desquelles nous portons nos jugements, et qui ne sont autres que les dogmes. — Ça existe, l’amour courtois !… d
2135 « vide de sa riche, émouvante réalité humaine », Et vous citez la légende de Rudel, et vous me reprochez de n’avoir pas r
2136 ité humaine », Et vous citez la légende de Rudel, et vous me reprochez de n’avoir pas rêvé là-dessus et de n’en avoir tiré
2137 t vous me reprochez de n’avoir pas rêvé là-dessus et de n’en avoir tiré qu’un argument de tortionnaire. Vous ajoutez que j
2138 iens tout cela pour une « conception dépassée » ; et que j’en parle enfin comme on peut en parler à l’Université de Halle1
2139 je devrais vous dire que si je n’avais pas rêvé ( et un peu plus…) sur l’aventure de Rudel, si j’étais insensible à cette
2140 i j’étais insensible à cette éloquence passionnée et à cette beauté intérieure, si je croyais cette conception dépassée, j
2141 cause principale de la crise du mariage moderne ! Et c’est si « beau », si « éloquent », si « intérieur », si « riche », s
2142 modifiées ? J’entends mes conclusions religieuses et morales, ma décision, non telle ou telle hypothèse « historique » que
2143 u. Voilà le point. Voilà le terrain de ma défense et aussi de ma contre-attaque. « Je ne puis, moi, renoncer à rien de ce
2144 , cela va sans dire, mais ce n’est pas synonyme.) Et même dissonant, s’il le faut. Dans ma dissonance obstinée, je considè
2145 chrétien, c’est un homme qui choisit sans retour, et qui décide de renoncer, comme malgré lui, à ce qu’il y a de corrompu,
2146 e plutôt, dans tout ce que l’on appelle l’Humain, et qui ne l’est plus depuis la Chute d’Adam. Oui certes, rien d’humain n
2147 même temps qu’il sauvera ou restaurera l’humain, et comme à travers lui, pour le Cosmos. (Voir Romains 8). Vous estimerez
2148 . Je crois voir la réponse dans votre conclusion. Et force m’est alors de reconnaître qu’à l’origine de ce débat il n’y a
2149 nisme. « L’Amour vient de Dieu, appartient à Dieu et tend vers Dieu. » Le vieux fou de Transjordanie profère une vérité pr
2150 crit l’Apôtre. Nous trouvons en nous deux amours, et même trois. C’est là précisément le sujet de mon livre. Le premier am
2151 c’est le désir, c’est l’amour sensuel, sa fièvre et son bonheur, un « aspect éternel du cœur humain » — si vous voulez… (
2152 maladie de l’âme. Mais à partir du xiie siècle, et par l’effet de confusions mystiques, l’exaltation de cet amour nature
2153 blissante. C’est en tant que le désir est exalté, et d’une certaine manière « chaste » et spirituelle, qu’il devient un sy
2154 est exalté, et d’une certaine manière « chaste » et spirituelle, qu’il devient un symbole religieux : et voilà le deuxièm
2155 spirituelle, qu’il devient un symbole religieux : et voilà le deuxième amour, l’origine de l’amour-passion. Or cette exalt
2156 de narcissisme. Le seul amour qui tende vers Dieu et qui l’atteigne à travers la vraie créature, c’est l’amour qui est ven
2157 r le Christ, cette Agapè qui seule sauvera l’Éros et qui, loin de le sublimer, lui redonnera sa juste place dans l’humain.
2158 tre » ? Voilà toute notre opposition : catholique et platonisant, vous insistez sur la nécessité d’englober toute réalité
2159 erez de sacrifier la richesse émouvante du réel ; et moi, je crains que l’ambition scolastico-mirandolesque d’assumer tout
2160 i lu votre « Tristesse de l’historien ». (Mounier et Niklaus, qui sortent de chez moi, peuvent témoigner de l’authenticité
2161 idées de Raymond Aron, que je ne connaissais pas, et que vous approuvez ! (C’est aussi, en réalité, le développement de qu
2162 confidence deux phrases d’une lettre reçue hier, et relative à mon Amour  : « Quand j’étais jeune, j’aurais parfaitement
2163 tion. » — Tristesse de l’historien n’est-ce pas ? Et c’est pourtant celui-là même qu’avec combien de raison vous offrez en
2164 modèle à vos disciples. (Mais oui, vous en avez, et je les souhaite nombreux : car avec de tels maîtres, ils auront bient
2165 Allemagne qu’on se passionne pour les troubadours et qu’on les connaît. » 111. La citation d’Ibn Dawoud que vous m’oppose
2166 lème délicat. Par contre, le paragraphe sur Dante et Ibn Arabi, que vous jugez sommaire, ne prétendait qu’à signaler en pa
2167 la thèse d’Asin Palacios que l’on peut discuter — et on l’a fait ! — mais que je n’avais pas le droit d’ignorer. bb. Rou
2168 er. bb. Rougemont Denis de, « Autour de L’Amour et l’Occident  », Esprit, Paris, septembre 1939, p. 760-765. bc. Une no
2169 « Le dialogue qui s’est poursuivi entre Rougemont et Davenson, après la note de ce dernier dans Esprit d’avril, nous a par
46 1946, Esprit, articles (1932–1962). « Un divorce entre le christianisme et le monde ? » (août-septembre 1946)
2170 « Un divorce entre le christianisme et le monde ? » (août-septembre 1946)bd be Je ne vois pas le divorce
2171 lle s’arrange trop bien avec le monde (Constantin et la suite) c’est qu’elle trahit son état. Quand on croit le fossé comb
2172 n état. Quand on croit le fossé comblé entre elle et le monde, c’est qu’on se trompe à la fois sur la fonction de l’Église
2173 n se trompe à la fois sur la fonction de l’Église et sur la nature du monde. Le fait que leur incompatibilité se voit mieu
2174 de cesser d’être chrétien, sans s’en apercevoir, et c’est le risque qu’il court dans les périodes où les choses ont l’air
2175 questionnaire sur le fossé entre le christianisme et le monde romain ; ni les staliniens s’inquiétant du « divorce actuel
2176 ’inquiétant du « divorce actuel entre le marxisme et le monde moderne », lequel s’est cependant constitué « massivement en
2177 -à-dire sur des bases capitalistes, nationalistes et libérales, avec quelques emprunts au christianisme. L’état d’Esprit q
2178 à une enquête] Un divorce entre le christianisme et le monde ? », Esprit, Paris, août–septembre 1946, p. 188-189. be. Ro
2179 tion préalable. Un divorce entre le christianisme et le monde ? Mais il est de toujours ! Non sans quelque hauteur, Denis
47 1946, Esprit, articles (1932–1962). Épilogue (novembre 1946)
2180 clichés qui n’ont aucun rapport avec la question, et des affirmations grandiloquentes d’attachement indéfectible aux princ
2181 e. Posez la question d’une répartition des huiles et savons par l’État, et vous serez bientôt en plein délire : tous les p
2182 ’une répartition des huiles et savons par l’État, et vous serez bientôt en plein délire : tous les partis nommeront des co
2183 question de principe à propos de ce produit utile et hygiénique. S’il y a crise dans la fabrication et dans la répartition
2184 et hygiénique. S’il y a crise dans la fabrication et dans la répartition de l’article, nous étudions deux questions, et pr
2185 ition de l’article, nous étudions deux questions, et prenons les mesures nécessaires pour les résoudre, non pas pour qu’on
2186 tion de la main-d’œuvre aux entreprises publiques et privées, celle des matières premières et d’une façon générale toute l
2187 ubliques et privées, celle des matières premières et d’une façon générale toute l’économie de guerre, laquelle représentai
2188 production. Le job a été bien fait : l’Allemagne et le Japon ont été battus. Et les agences de contrôle des prix, de la m
2189 en fait : l’Allemagne et le Japon ont été battus. Et les agences de contrôle des prix, de la main-d’œuvre et des matières
2190 agences de contrôle des prix, de la main-d’œuvre et des matières premières se dissolvent l’une après l’autre, sans trop d
2191 (ou plus exactement étatisé) toute son industrie et tout son commerce, sans dépense de salive patriotique, pour des raiso
2192 pour des raisons bien évidentes, connues de tous, et qui ne relevaient point de la lutte des partis. C’est pourquoi les pa
2193 t pourquoi les partis ne s’en sont point occupés, et n’ont point jugé nécessaire de proclamer l’union sacrée, au terme de
2194 ées de pathétiques interventions des vieux chefs, et de bouillantes interruptions de la jeune garde. Les partis, dans les
2195 arde. Les partis, dans les commissions du Congrès et du Sénat, se sont bornés à des échanges d’arguments souvent brutaux,
2196 tis baissent le nez, font appel à l’union sacrée, et délèguent tout pouvoir à l’État, qui est en l’espèce un nouveau chef
2197 ielle, c’est-à-dire vidange des responsabilités — et repart dans une politique nécessairement improvisée, puisqu’il a reçu
2198 ouveau venu, encore tout étourdi de sa puissance, et qui ne sait pas où l’on cache les dossiers, doit juger plus sagement
2199 ant avec émotion le renvoi de l’ingénieur en chef et son remplacement à la dernière seconde soit par un antifasciste conva
2200 ficiaire éprouvé de la tradition dite nationale… Et si nous ne sommes pas là pour consentir un prêt, payant la casse, vou
2201 adorons la France comme une femme ! Pour sa grâce et pour ses faiblesses de grande coquette blessée, peut-être. Mais aussi
2202 retenue ou rigueur, un certain équilibre élégant et hardi, qui nous en imposent encore… Nous faisons à la France un crédi
2203 comme le fut votre Herriot, que nous respectons. Et cessez de répéter sur notre compte des sottises pittoresques ou mépri
2204  ? Les États scandinaves, la Suisse, la Hollande, et la Grande-Bretagne. Ce sont des démocraties en majorité socialistes,
2205 es familles. Quels sont les pays qui marchent mal et qui nous créent le plus d’ennuis ? L’Espagne et le Portugal, parce qu
2206 l et qui nous créent le plus d’ennuis ? L’Espagne et le Portugal, parce que ce sont des dictatures, et peu importe qu’elle
2207 et le Portugal, parce que ce sont des dictatures, et peu importe qu’elles réussissent matériellement, elles n’achèteront j
2208 chèteront jamais notre respect. L’Europe centrale et les Balkans, livrés aux Russes, qui les mettent au pillage, ce qui es
2209 nous plaît mieux que la Pologne : pays de blonds et les noirs sont suspects, tous les villains de nos films ont les cheve
2210 les cheveux noirs. De plus l’Allemand est propre et travailleur, et mon arrière-grand-mère était du Wurtemberg. Les Itali
2211 rs. De plus l’Allemand est propre et travailleur, et mon arrière-grand-mère était du Wurtemberg. Les Italiens ? Nous en au
2212 omment traiter ces États turbulents, susceptibles et toujours prêts et se battre. Oui, l’Europe, ce sont nos Balkans. Mais
2213 États turbulents, susceptibles et toujours prêts et se battre. Oui, l’Europe, ce sont nos Balkans. Mais il y a l’Amérique
2214 y a l’Asie, voilà ce qui compte pour le commerce et pour l’avenir de la paix. Vous avez bien envie de savoir ce que je pe
2215 rs sujets, de ce mépris de la vie humaine en gros et en détail, de ce refus d’ouvrir leurs frontières, de l’esclavage où i
2216 ères, de l’esclavage où ils tiennent leur presse, et de l’orgueil de parvenus de l’industrie et des sciences appliquées do
2217 resse, et de l’orgueil de parvenus de l’industrie et des sciences appliquées dont ils font montre même quand ils viennent
2218 nous avons le même goût de la production en masse et sans y regarder de trop près, du travail par équipes, pour battre un
2219 pour battre un record, du gaspillage, des chants et des beuveries. On dit que c’est la question de l’Asie qui nous sépare
2220 hons à l’Asie. Nous sommes une puissance maritime et cela compense la proximité géographique de la Russie. Pourquoi donc a
2221 s organisé, par les soins de la marine de guerre, et comme pour démontrer sa force à toute épreuve, les expériences de Bik
2222 evient possible… To sum up : Liberté, Prospérité et Poursuite du Bonheur, ce sont là mes trois idéaux. Et je ne les vois
2223 oursuite du Bonheur, ce sont là mes trois idéaux. Et je ne les vois réalisés qu’en Amérique. Comment l’Europe peut aide
2224 peut aussi être vrai. Car ces rêveurs sont aussi, et souvent, de vieux cornichons à lunettes, aux lèvres minces, sachant c
2225 es, aux lèvres minces, sachant compter leurs sous et damner les buveurs de whisky ; ces fils de puritains, de charmants pe
2226 ces « fondamentalistes » des déistes hérétiques ; et ces pieux catholiques des amateurs réjouis de confessionnaux climatis
2227  »… Ils sont modernes. Car avec une belle énergie et beaucoup moins de naïveté que nous ne le pensons, ils embrassent mieu
2228 fusion du siècle, ils y sont installés carrément, et ils l’exploitent non sans une sorte de bon sens pour que le plus gran
2229 n’ai pas su la faire sentir autant que je la sens et peut-être n’y parviendrai-je que d’une manière négative : en suggéran
2230 manière négative : en suggérant certaines mesures et attitudes spirituelles que l’Europe seule peut opposer ou proposer à
2231 à l’Amérique. Cinq choses témoignent de l’esprit et de sa présence active dans une culture. Les meilleurs d’entre nous le
2232 encore, tandis que les masses chez eux les fuient et que leurs élites ne s’en approchent qu’en hésitant. Ils nous sont sup
2233 Le sens de l’échec, de sa nécessité métaphysique et de sa valeur d’enseignement spirituel. La croyance exclusive et la ré
2234 r d’enseignement spirituel. La croyance exclusive et la réussite est le signe d’une vue bornée de notre condition humaine,
2235 rt. Le sens des formes, des symboles, des signes et des correspondances. On ne peut pas impunément se vêtir de n’importe
2236 , construire une banque qui a l’air d’une église, et une église qui a l’air gothique quand plus rien ne l’est en nous ni a
2237 , s’il éduque son sens des formes, cesse d’imiter et se met à créer. La réduction du fait à une signification. L’Américai
2238 r comme fer. Il les réduit d’ailleurs en chiffres et se sent aussitôt rassuré. Mais un fait n’est qu’un signe dans une équ
2239 vient les réveiller. Ils le tiennent pour pervers et masochiste. Et il est vrai que la conscience s’éveille généralement d
2240 ller. Ils le tiennent pour pervers et masochiste. Et il est vrai que la conscience s’éveille généralement dans la douleur,
2241 up de paradis artificiels à bon marché : l’alcool et Hollywood, les pin-up-girls et le glamour, Superman et les sports à l
2242 marché : l’alcool et Hollywood, les pin-up-girls et le glamour, Superman et les sports à la radio. Et ils s’entourent d’o
2243 llywood, les pin-up-girls et le glamour, Superman et les sports à la radio. Et ils s’entourent d’objets polis, luisants, e
2244 et le glamour, Superman et les sports à la radio. Et ils s’entourent d’objets polis, luisants, emballés dans de la celloph
2245 de la cellophane, qui n’offrent plus d’aspérités et ne posent plus aucune question ; de mécanismes qui répondent à leur p
2246 tion ; de mécanismes qui répondent à leur place ; et de musiques qui empêchent d’entendre le silence. Ils s’imaginent qu’u
2247 Ils s’imaginent qu’un certain nombre de recettes et de martingales, — d’ailleurs communiquées à tous les joueurs — suffir
2248 pas au Mal… Le krach de 1928, Hitler, la guerre, et quelques privations ont causé les premières fissures dans cet édifice
2249 de l’esprit ne les rend pas d’autant plus fortes et fréquentes que les poussées intimes de la conscience sont plus méthod
2250 c une volonté souriante mais sérieuse d’apprendre et de s’améliorer. J’y vois la marque de sa force. Qui n’a pas lu les ér
2251 in auxquels se livrent avec exubérance les revues et les journaux américains ne sait pas ce que c’est que la confiance en
2252 t, je me retourne vers mes compatriotes européens et je leur dis : si vous voulez que l’Europe dure encore — et le reste d
2253 r dis : si vous voulez que l’Europe dure encore — et le reste du monde en a besoin — ne vous contentez pas d’appeler pério
2254 x à nous donner que des frigidaires, des capitaux et des avions. Ils ont libéré nos villages. Libérons-nous à leur contact
2255 perdre aux élections sans insulter le vainqueur, et à gagner sans écœurer le vaincu. Apprenons d’eux à tenir parole, à no
2256 mie minutieuse des moyens, surestimée par l’École et l’État, et par toute la morale bourgeoise, trahit aussi un vice de l’
2257 use des moyens, surestimée par l’École et l’État, et par toute la morale bourgeoise, trahit aussi un vice de l’âme. Appren
48 1948, Esprit, articles (1932–1962). Thèses du fédéralisme (novembre 1948)
2258 civilisation qui serait perdue, perdue pour tous et non seulement pour nous ! Ce n’est donc pas au nom de je ne sais quel
2259 mais au seul nom de l’humanité la plus consciente et la plus créatrice de l’homme. […] Or, il s’en faut de beaucoup que l
2260 véler dans tout le continent une sorte de clivage et un double tropisme. Les masses industrielles, dans leur partie active
2261 ans leur partie active, regardent vers la Russie, et les grands hommes d’affaires regardent vers l’Amérique. À tort ou à r
2262 notre continent, mais, à leur suite, les espoirs et les rêves des plus actifs d’entre nous ont émigré. La bourgeoisie, da
2263 emble, se contente d’un double refus de la Russie et de l’Amérique, se résigne à la décadence, ou la déplore mais sans fai
2264 vois plus, pour tenir vitalement aux conceptions et aux coutumes européennes, que deux classes par ailleurs tout opposées
2265 ctuels non embrigadés d’une part, les provinciaux et campagnards de l’autre. C’est-à-dire les esprits les plus libérés et
2266 ’autre. C’est-à-dire les esprits les plus libérés et les plus attachés aux préjugés locaux ; les subversifs et les conserv
2267 lus attachés aux préjugés locaux ; les subversifs et les conservateurs par profession ou position. Ne demandons pas l’inst
2268 oc opposé aux deux autres. Ce ne serait résoudre, et , au contraire, ce serait exalter le nationalisme aux dimensions conti
2269 sions continentales. Ce qu’il nous faut demander, et obtenir, nous tous, c’est que les nations européennes s’ouvrent d’abo
2270 utres, suppriment, sur tous les plans, frontières et visas, renonçant au dogme meurtrier de la souveraineté absolue, créen
2271 monde, du même coup. Ce qu’il nous faut demander et obtenir — obtenir de nous-mêmes tout d’abord — c’est que le génie de
2272 d’abord — c’est que le génie de l’Europe découvre et qu’il propage les antitoxines des virus dont il a infesté le monde en
2273 n vue d’une fédération mondiale. Il n’y a de paix et donc d’avenir imaginable que dans l’effort pour instaurer un vrai gou
2274 fort pour instaurer un vrai gouvernement mondial. Et le monde, pour ce faire, a besoin de l’Europe, j’entends de son espri
2275 e du monde. La fédération sera l’œuvre de groupes et de personnes qui prendront l’initiative de se fédérer en dehors des g
2276 se fédérer en dehors des gouvernements nationaux. Et ce sont ces groupes et ces personnes qui formeront le gouvernement de
2277 s gouvernements nationaux. Et ce sont ces groupes et ces personnes qui formeront le gouvernement de l’Europe. Il n’y a pas
2278 t de l’Europe. Il n’y a pas d’autre voie possible et praticable. Les USA ne sont pas dirigés par une assemblée des gouvern
2279 ations sont gouvernées, au-dessus de leurs États, et en dehors d’eux, par un exécutif et un législatif issus des peuples.
2280 leurs États, et en dehors d’eux, par un exécutif et un législatif issus des peuples. […] Seul, le fédéralisme ouvre des v
2281 Suisse — les vieux conflits de races, de langues et de religions sclérosés dans le nationalisme et le problème des minori
2282 es et de religions sclérosés dans le nationalisme et le problème des minorités. Et surtout, il peut dépasser l’opposition
2283 ans le nationalisme et le problème des minorités. Et surtout, il peut dépasser l’opposition chaque jour moins convaincante
2284 onvaincante d’une gauche qui défend la contrainte et d’une droite qui revendique les libertés : le but, l’essence de la pe
2285 d un régime démocratique tendant vers l’anarchie, et débouchant dans le désordre, lequel prépare toujours la tyrannie. À l
2286 l’homme considéré comme personne, à la fois libre et engagé, et vivant dans la tension entre l’autonomie et la solidarité,
2287 sidéré comme personne, à la fois libre et engagé, et vivant dans la tension entre l’autonomie et la solidarité, correspond
2288 gagé, et vivant dans la tension entre l’autonomie et la solidarité, correspond le régime fédéraliste. bi. Rougemont Den
2289 érents discours prononcés par Denis de Rougemont, et réunis dans L’Europe en jeu . Ils sont reproduits ici dans le cadre
49 1962, Esprit, articles (1932–1962). Lettre à Jean-Marie Domenach, à propos de « Sartre et l’Europe » (mai 1962)
2290 ettre à Jean-Marie Domenach, à propos de « Sartre et l’Europe » (mai 1962)bk bl Vous constatez dans votre numéro de mar
2291 e ». J’avais dit pour ma part deux mois plus tôt, et vous me citez : « Quand Sartre écrit Europe il ne pense qu’à la Franc
2292 d Sartre écrit Europe il ne pense qu’à la France, et quand il pense France, il ne voit que le drame algérien. » Les deux p
2293 deux millions de personnes déplacées, la torture et « notre désastre spirituel » sont sans importance à mes yeux « quand
2294 it par « la conscience épouvantée d’une déchéance et d’un reniement », tandis que je ne m’occupe comme chacun sait que d’u
2295 it que d’une Europe des « règlements de douanes » et du « foie gras » : c’est en son nom, dites-vous, que je répondais à S
2296 ais du rôle de l’Europe historique dans le monde, et notamment des tâches dont elle est responsable — au sens actif du mot
2297 fet par ces lignes : « Devant la crise économique et la fièvre nationaliste du tiers-monde, l’heure n’est pas de cracher s
2298 aleurs, mais de les prendre nous-mêmes au sérieux et d’en tirer les conséquences pratiques pour le tiers-monde et pour l’E
2299 er les conséquences pratiques pour le tiers-monde et pour l’Europe qui doit l’aider… Ce que nous devons offrir au monde et
2300 doit l’aider… Ce que nous devons offrir au monde et à nos fils, ce n’est pas notre mauvaise conscience, notre rage autopu
2301 ple réussi de dépassement de l’ère nationaliste — et donc de l’ère colonialiste — par le moyen d’une grande fédération. Ce
2302 C’était cela, l’essentiel de ma réponse à Sartre, et non ces « additions d’automobiles et de pommes de terre », qu’il vous
2303 se à Sartre, et non ces « additions d’automobiles et de pommes de terre », qu’il vous plaît de m’attribuer, et qu’il vous
2304 mmes de terre », qu’il vous plaît de m’attribuer, et qu’il vous est loisible de juger bassement matérialistes, n’étant ni
2305 Lettre à Jean-Marie Domenach, à propos de “Sartre et l’Europe” », Esprit, Paris, mai 1962, p. 877-878. bl. La lettre de R
2306 e de la chronique que j’avais consacrée à “Sartre et l’Europe” (Esprit, mars 1962), j’ai reçu une lettre de Denis de Rouge
2307 oncerté par certaine psychanalyse des intentions, et ne parviens pas à me trouver tant d’astuce. Je me contente donc d’ass
2308 onc d’assurer Rougemont que son article m’a agacé et m’a mis en colère, d’où l’interprétation polémique que j’en ai faite.