1 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). L’ère des religions (22 février 1939)
1 e spirituel, à la veille d’un discours qui devait être un acte, nous laisse tous en suspens sur le mystère de notre époque :
2 ire de l’après-guerre aux yeux de nos descendants sera peut-être moins l’histoire des traités et de leur périlleux ajustemen
3 es religions au terme de l’ère rationaliste. Ce n’ est pas le phénomène en soi, mais son ampleur, qui s’annonce sans précéde
4 mes, conventions, cérémonies et lieux communs qui étaient les signes extérieurs d’une communion tacite entre les hommes. Nous s
5 urs d’une communion tacite entre les hommes. Nous sommes là, petits individus, impuissants, isolés, méfiants, posés les uns au
6 auprès des autres, à nous demander pourquoi nous sommes ensemble. Il s’est formé, dans la cité un sentiment encore diffus de
7 nous demander pourquoi nous sommes ensemble. Il s’ est formé, dans la cité un sentiment encore diffus de vide social, analog
8 d’une religion. De n’importe quelle religion. Il est temps que le monde chrétien prenne conscience à la fois de cette chan
9 té charnelle, d’un coude à coude pathétique. Ce n’ est pas là une hypothèse : il suffit de traverser le Rhin pour ressentir,
10 ces religions larvaires. On demande souvent quel est le contenu de la « mystique » nationale-socialiste. L’effrayant, c’es
11 tral et géométrique, autour d’un chef qui ne veut être que leur incarnation et leur symbole. Des masses qui communient avec
12 t violentes se cherchent pourtant une doctrine. N’ étant pas nées d’une création spirituelle, d’une espérance ouvrant l’avenir
13 me d’un au-delà libérateur. « Les choses vieilles sont passées », dit saint Paul, « il n’y a plus ni Juif ni Grec, et tu es
14 aint Paul, « il n’y a plus ni Juif ni Grec, et tu es mon frère en la cité nouvelle si tu partages mon espérance. Et tu es
15 cité nouvelle si tu partages mon espérance. Et tu es mon frère encore si tu la refuses, parce que j’espère pour toi, mon e
16 ut ce que l’on a derrière soi et qui ne peut plus être changé : le sang, la race, la tradition, les morts, tout ce qui impos
17 stin sans recours. Voilà pourquoi cette religion est , au suprême degré, intolérante, et plus qu’intolérante : on ne peut m
18 passé, l’on ne pourra jamais y entrer — si l’on n’ est pas de sang aryen, par exemple. Car cette religion n’admet pas que « 
19 te religion n’admet pas que « les choses vieilles sont passées ». Elle n’admet pas cette nouvelle naissance, cette conversio
20 ’espères-tu ? mais elle demande seulement : quels sont tes morts ? Religion du sol et du sang, religion sanglante et mortell
21 utur éternel, le rachat du péché d’origine ? Ce n’ est pas un conflit accidentel, c’est encore moins un conflit politique qu
22 part, en critiquant simplement leurs erreurs. Il est facile d’avoir raison de loin ; plus difficile de découvrir une voie
23 difficile de découvrir une voie meilleure où l’on soit prêt à se risquer soi-même. a. Rougemont Denis de, « L’ère des rel
2 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). Le bon vieux temps présent (20 mars 1939)
24 encore un paradis perdu ! Mais les vrais paradis seront toujours perdus : ils naissent à l’heure où on les perd. Souvenirs de
25 er rayonnants dans la lueur éternisée d’un soir d’ été , après l’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirante et délicieu
26 ait vu. Mais déjà, pour beaucoup d’entre nous, ce fut simplement l’avant-guerre, les souvenirs de notre enfance. Et voici q
27 nce. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’un coup, est encore plus proche : c’est l’an passé, c’est avant-hier — peut-être m
28 est l’an passé, c’est avant-hier — peut-être même est -ce… aujourd’hui ? Mais oui, peut-être vivons-nous, ici, dans ce Paris
29 ont nous avions à peine conscience, parce qu’elle était notre manière toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et ve
30 ère étrange et brutale, où ces formes de vie, qui sont encore les nôtres, ne peuvent plus apprivoiser le destin. Soit que le
31 es nôtres, ne peuvent plus apprivoiser le destin. Soit que les tyrans nous accablent, soit qu’un sursaut nous dresse à résis
32 er le destin. Soit que les tyrans nous accablent, soit qu’un sursaut nous dresse à résister, il faudra changer de rythme et
33 iberté ne peut survivre à de tels chocs. Car elle est vraiment comme un rêve, un rêve heureux où l’on circule avec aisance,
34 seulement l’arrière-conscience d’un miracle. Elle est encore une œuvre d’art qui n’agit que par l’atmosphère, par le « char
35 ous force au « réalisme » à sa manière, le charme est détruit dans nos vies. Nous sommes pareils à celui qui s’éveille et g
36 anière, le charme est détruit dans nos vies. Nous sommes pareils à celui qui s’éveille et goûte encore quelques instants les d
3 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). Directeurs d’inconscience (11 avril 1939)
37 recteurs d’inconscience (11 avril 1939)c Quels sont nos vrais directeurs de conscience, depuis que le monde s’est, en par
38 s directeurs de conscience, depuis que le monde s’ est , en partie, détourné de la foi chrétienne ? Cette question, qu’une re
39 lui-là même qui parviendrait à la donner. Tant il est vrai que bien peu d’entre nous connaissent leurs maîtres véritables,
40 avides de « bonheur » à la recette. Quoi qu’il en soit , deux choses me frappent dans cette enquête : le profond désarroi mor
41 e la tutelle d’une Église ou d’une foi, nous nous sommes soumis naïvement à d’innombrables influences incontrôlées, donc tyran
42 n nous rendant une direction de marche. Mais ce n’ est plus à nos consciences qu’ils s’adressent, à nos petites consciences
43 s n’ont que mépris. Ce qu’ils veulent diriger, ce sont nos lourds instincts, nos peurs, nos haines et nos orgueils puérils,
44 troupés. Les grands meneurs, à proprement parler, sont des directeurs d’inconscience. Et leur succès c’est de nous délivrer
45 collective. Voilà pourquoi des millions d’hommes sont heureux d’être « mis au pas ». Faut-il choisir entre anarchie et dict
46 ilà pourquoi des millions d’hommes sont heureux d’ être « mis au pas ». Faut-il choisir entre anarchie et dictature ? Mais l’
47 tre anarchie et dictature ? Mais l’une et l’autre sont désorientées. Car la seule direction réelle, elle est dans la marche
48 désorientées. Car la seule direction réelle, elle est dans la marche à l’Étoile, dans la marche unanime vers un point qui s
4 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). Une simple question de mots (24 avril 1939)
49 ar la force principale d’un mouvement politique n’ est pas la vérité de sa doctrine, mais l’opportunité de sa propagande. La
50 mpatibles. Ainsi du dialogue France-Allemagne. Il fut longtemps l’un des plus malaisés, à cause du pathos jacobin dont les
51 de pratiquer les droits de l’homme… Et puis l’on fut contraint de se rendre à l’évidence ; décidément, cela ne prenait pas
52 Aujourd’hui je crois pouvoir dire que le système est assez simple, et qu’il consiste à peu près en ceci : reprendre le voc
53 ens du droit et le pacifisme des dictateurs. Ce n’ était donc pas plus malin que cela ? Il suffit de poser à la clé : noir éga
54 ntendre ! Toutefois, comme en pareil domaine tout est affaire de nuances, parfois subtiles, il n’est pas superflu d’entrer
55 ut est affaire de nuances, parfois subtiles, il n’ est pas superflu d’entrer dans le détail de quelques-unes de ces transpos
56 t de porter une arme et de la garder chez soi. Il est donc assez naturel que le congrès de Nuremberg, qui célébra le réarme
57 Nuremberg, qui célébra le réarmement du Reich, se soit intitulé : Journée de la liberté. Précisons : l’armement pour les All
58 erté. Précisons : l’armement pour les Allemands n’ est pas comme pour nous autres démocrates un moyen de protéger des libert
59 moyen de protéger des libertés d’ordre civil. Il est en soi la liberté, et nulle autre n’est concevable… La justice est po
60 civil. Il est en soi la liberté, et nulle autre n’ est concevable… La justice est pour nous le respect du droit, et au-delà
61 erté, et nulle autre n’est concevable… La justice est pour nous le respect du droit, et au-delà de la lettre d’un code, une
62 adverses. C’est dans ce sens que j’avais essayé d’ être « juste » vis-à-vis de l’Allemagne dans un petit ouvrage paru l’autom
63 m’écrit un hitlérien : « Juste, votre livre ne l’ est certainement pas. Car la justice jaillit de la plénitude d’une vitali
64 nt à l’espace vital des dictatures, on n’aura pas été sans remarquer que sa qualité la plus frappante est l’élasticité illi
65 é sans remarquer que sa qualité la plus frappante est l’élasticité illimitée. Plus la vitalité d’un peuple est « sûre d’ell
66 lasticité illimitée. Plus la vitalité d’un peuple est « sûre d’elle-même », plus ses nécessités dites vitales s’accroissent
67 u’un vain puriste pourrait croire, non pas ce qui serait indispensable pour préserver les Allemands de la famine, mais au cont
68 Allemands de la famine, mais au contraire ce qui est indispensable pour satisfaire et augmenter une « vitalité sûre d’elle
69 e et la famine, mais l’orgueil et la boulimie. Ce sont les blés moraves et les pétroles roumains, réserves de guerre. Ce qui
70 les pétroles roumains, réserves de guerre. Ce qui est vital, c’est donc tout simplement ce qui permettra de faire la guerre
71 revendiqués par le Reich dans ces termes, ce qui est espace vital pour un nazi risque malheureusement de s’appeler bientôt
5 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). « Le matin vient, et la nuit aussi » (7 juin 1939)
72 artout, depuis vingt ans. Comme si rien de pire n’ était imaginable. Comme si le désordre était sans précédent et sans lendema
73 de pire n’était imaginable. Comme si le désordre était sans précédent et sans lendemain prévisible. Et pourtant le désordre
74 lus qu’on n’oserait l’avouer. Après tout, nous ne sommes pas les premiers à croire que notre époque est l’époque même de la Cr
75 sommes pas les premiers à croire que notre époque est l’époque même de la Crise. S’il est juste et salutaire de la considér
76 notre époque est l’époque même de la Crise. S’il est juste et salutaire de la considérer dans ce qu’elle a d’unique, dans
77 réalité, à toute époque de l’histoire des hommes, est , apparue comme une réalité sans précédent, à ceux du moins qui osaien
78 urcissent l’image du monde chrétien. Quel pouvait être l’avenir pour un Allemand de la guerre de Trente Ans ? Pour les vainc
79 humaine. On me dira qu’autrefois les catastrophes étaient au moins localisées. Pendant qu’on massacrait jusqu’au dernier des ha
80 nt d’une quiétude parfaite. Ainsi la vie paisible fut toujours l’avantage d’une certaine inconscience, d’une ignorance dont
81 res des journaux du soir que le malheur des temps est une vieille expression… Oui, de tout temps, le sort du monde a été qu
82 xpression… Oui, de tout temps, le sort du monde a été quasiment désespéré. Seulement, maintenant, cela se sait. Voilà la gr
83 ifférence. Et voilà notre chance aussi. L’homme n’ est pas fait pour vivre en état de guerre, au sens moderne de l’expressio
84 uerre, au sens moderne de l’expression. Mais il n’ est pas fait davantage pour vivre en l’état d’illusion qu’on nomme généra
85 e de guerre qui pèse sur nous pourrait et devrait être le remède à cette paix-là. Tout dépend de l’usage que l’on en fait. L
86 nifeste. Tout invite à désespérer ? Mais l’espoir est toujours « malgré tout », et c’est alors qu’il est vraiment le gage d
87 st toujours « malgré tout », et c’est alors qu’il est vraiment le gage d’une vie qui vaille d’être vécue. Les générations d
88 qu’il est vraiment le gage d’une vie qui vaille d’ être vécue. Les générations d’avant-guerre eurent sans doute l’existence p
89 f qui croyait voler mieux dans le vide… L’homme n’ est pas fait pour vivre sans menaces, sans résistances, sans vigilance. N
90 a chance d’une grandeur qui, elle aussi, pourrait être sans précédent. Comme toute génération sérieusement avertie, par les
91 d’obus. Car ce qui compte, en fin de compte, ce n’ est pas le sort matériel et le bonheur plus ou moins grand de la cité, ma
92 raisons de vivre des hommes qui l’habitent. Ce n’ est pas la somme de leurs soucis et de leurs plaisirs, mais le sens qu’il
93 chorale, vers la fin : « Il y a l’espérance, qui est la plus forte ! Il y a la joie, qui est la plus forte ! Il y a Dieu !
94 ance, qui est la plus forte ! Il y a la joie, qui est la plus forte ! Il y a Dieu ! Il y a Dieu qui est le plus fort ! » C’
95 est la plus forte ! Il y a Dieu ! Il y a Dieu qui est le plus fort ! » C’était l’invincible évidence, la délivrance, le « m
6 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Le mensonge allemand (16 août 1945)
96 York, août. « Quelques-uns de mes meilleurs amis sont des Juifs… » commença le bonhomme antisémite, affirmant son humanité
97 humanité et sa parfaite liberté d’esprit. Puis s’ étant excepté de la commune sottise, ayant sauvé l’honneur pour ainsi dire,
98 « Some of my best friends are Jews… ». La phrase est devenue proverbiale en Amérique, et c’est fort bien : on ne tue les p
99 u hasard de la rue, et se met à les interroger. «  Êtes -vous nazis ? » Tous jurent que non. L’officier s’étonne, puis se fâch
100 ricain : « Ce que vous dites là, crie-t-il, ce ne sont que des mensonges propagés à l’étranger par les Juifs, les ploutocrat
101 cette histoire vraie pose le vrai problème. Ce n’ est pas d’hier que je l’ai observé : les Allemands ne mentent pas comme n
102 changé dans le monde. Les critères mêmes du vrai sont modifiés. Menteur, celui qui s’y réfère encore ; sincère, celui qui s
103 légale et objective de quelques mots. Responsable est celui qui a tiré le premier. Battu, celui qui touche des deux épaules
7 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Un climat tempéré (22 août 1945)
104 boit par jour et par personne, enfants compris, n’ est qu’une défense, d’ailleurs désespérée, contre la torpeur écrasante qu
105 des arbres et du ciel. Aux régions polaires sans été . Au faux printemps perpétuel de carte postale qui baigne la cuvette c
106 ouvrent neuf dixièmes des continents… Notre terre est à peine habitable, dans l’ensemble ! Et dans les régions plutôt rares
107 arcèle pas l’homme, et qui lui laisse le loisir d’ être humain, au lieu de le forcer sans trêve à défendre sa vie d’animal ?
108 classique. Noël tombe en hiver, non pas en plein été comme dans l’hémisphère sud. Pays qui ne connaît d’autres désastres q
109 abitants croient que la nature dont ils jouissent est le climat normal de l’homme. Ils ont raison, s’ils n’oublient pas tou
110 utefois que ce climat « normal », sur la planète, est une exception surprenante. Tout ce que nos pères considéraient comme
111 siècle comme autant de cas d’exception, dont il est stupéfiant qu’ils se produisent si l’on parcourt les statistiques. La
112 s normalement adaptés à une nature jugée normale, est une réussite hautement improbable. Mais c’est par cela même qu’elle s
8 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). La guerre est morte (5 septembre 1945)
113 La guerre est morte (5 septembre 1945)i La principale victime de la bombe atomiq
114 i La principale victime de la bombe atomique a été la guerre, qui en est morte en trois jours. Sous sa forme militaire —
115 time de la bombe atomique a été la guerre, qui en est morte en trois jours. Sous sa forme militaire — c’était la guerre tou
116 lus qu’à se consacrer aux sports. Que la guerre n’ est plus leur métier. Et que par conséquent il n’y aura plus de guerre au
117 es ! », nous disaient-ils. Sans doute, mais ce ne seront plus les leurs, les « vraies », les héroïques, costumées et casquées,
118 que post-einsteinienne. La question de compétence est tranchée sans réplique au détriment définitif des généraux, au bénéfi
119 entiment de vague et vaste frustration. (L’Europe sera plus touchée que l’Amérique.) On ne se guérit pas facilement de l’abl
120 » qui firent le principal de notre Histoire ? Tel est l’un des problèmes psychologiques que pose au siècle la bipartition d
121 e au siècle la bipartition d’un seul atome. Il en est d’autres, dont nous avons parlé abondamment ces derniers jours : les
122 leur seule défense imaginable — et la circulation sera dégorgée dans l’invisible stratosphère… Quant aux voyages ? Ils vont
123 du silence. i. Rougemont Denis de, « La guerre est morte », Le Figaro, Paris, 5 septembre 1945, p. 1.
9 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Le dernier des Mohicans (11 octobre 1945)
124 ses eaux, se nomme aujourd’hui le Lake George et fut le Horicon de Fenimore Cooper, le lieu des aventures et de la mort d’
125 is Cooper, lequel notait dans sa préface que tout était resté pareil depuis l’époque des Iroquois et des Hurons. Les villages
126 es : Saratoga, Mohawk ou Ticonderoga. Les maisons sont presque invisibles, dissimulées à l’ombrage des pins cascadant en dés
127 n’y en a point — mais l’une des vraies — elles le sont presque toutes. Entre les pages de l’exemplaire de Cooper trouvé dans
128 e de visite jaunie porte le nom d’un révérend qui fut évêque anglican d’Albany. Je connais bien son petit-fils. Roi du pays
129 plupart des maisons riveraines, dont celle où je suis , la plus vieille : elle aura cent ans l’an prochain. Mr T… fut jadis
130 vieille : elle aura cent ans l’an prochain. Mr T… fut jadis candidat républicain contre Roosevelt pour l’élection au poste
131 l’élection au poste de gouverneur de cet État. Il est tanné comme un Indien, juste juge, roublard, riche et pieux. Sa femme
132 ouser un avocat socialiste et sportif. La seconde est femme de pasteur. La cadette rêvant d’être actrice, on lui a bâti sur
133 seconde est femme de pasteur. La cadette rêvant d’ être actrice, on lui a bâti sur le Sommet du Monde un amphithéâtre de pier
134 la guerre. Les deux fils, officiers de marine, se sont battus dans le Pacifique. Les disputes politiques, à la table des T…,
135 t pleins d’idées nouvelles. La vie de ce district est restée communale, patriarcale et paroissiale, dans la vraie tradition
136 ition républicaine que « ces gens » de Washington sont en train de détruire à coups de décrets socialisants, capitalistes et
137 diste. Un curé canadien prêche en français : nous sommes ici un peu plus près de Montréal que de New York. L’hôtel se nomme le
138 an dernier restricted, signifiant que les Juifs n’ étaient pas désirés. Des lois « contre les préjugés de race » ayant passé cet
139 ns l’État, la pancarte porte aujourd’hui : « Nous sommes catholiques et protestants. » Les rives, les îles s’ornent de monumen
140 res. Il me semble avoir lu parfois que l’Amérique est un pays sans traditions ni religion, où toutes les races se mêlent, o
10 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Le savant et le général (8 novembre 1945)
141 5)k À une heure de New York, à Princeton où je suis en train de m’installer, tout respire une paix claustrale. Les bâtime
142 a petite fille. À quoi pense-t-il ? De ce cerveau est sortie l’équation qui est en train de bouleverser le monde. Je me la
143 se-t-il ? De ce cerveau est sortie l’équation qui est en train de bouleverser le monde. Je me la répète chaque fois que je
144 e chaque fois que je le vois : E = mc2. L’énergie est égale au produit de la masse par le carré de la vitesse lumineuse. On
145 a jamais tant dit en si peu de signes. Mais je ne suis pas un physicien, et n’ai d’autre spécialité que de réfléchir aux con
146 éfendent-ils tous l’idée que la guerre des bombes serait la fin des hommes, et que le seul moyen de l’empêcher est un gouverne
147 in des hommes, et que le seul moyen de l’empêcher est un gouvernement mondial. Ils partagent mon avis sur l’inutilité des a
148 service des recherches atomiques à Los Alamos, a été interrogé hier par un comité du Sénat. À la question : “Est-il vraise
149 ogé hier par un comité du Sénat. À la question : “ Est -il vraisemblable qu’un seul raid atomique contre les centres populeux
150 troupes partiront, un tiers de la population aura été tué. Pendant le voyage, un autre tiers subira probablement le même so
151 s humain. D’ailleurs l’île qu’ils iront conquérir sera déjà réduite en fine poussière, si l’ennemi n’est pas stupide. Suppos
152 era déjà réduite en fine poussière, si l’ennemi n’ est pas stupide. Supposez encore que la Russie attaque l’Amérique par la
153 ain. Mais dans le cas d’une guerre atomique, il n’ est pas sûr, ni même probable, que l’agresseur juge bien utile de venir d
154 ruines encore radioactives. De même, si la Russie est attaquée par l’Amérique, ou encore si l’une des deux attaque l’Europe
155 Américains pour débarquer en Europe, et leur pays était resté à l’abri des bombardements. Même s’il leur faut seulement deux
156 au monde, ait mystérieusement raison ; mais ce n’ est certainement pas pour les raisons qu’il donne. Et pourquoi n’en pas d
157 lus d’autres secrets que ceux de l’industrie, qui sont ceux de la science, qui n’a d’autre désir que de les publier. Je main
158 ir que de les publier. Je maintiens que la guerre est morte, la guerre des militaires, la vraie. Parce que nous avons passé
159 r il s’agit d’un problème dont la preuve, si elle était jamais administrée, ne pourrait plus intéresser qu’un auditoire brusq
11 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Les résultats de la guerre (21 décembre 1945)
160 e longue torpeur stupéfiée. Le temps de réfléchir est revenu. S’il n’y a rien dans le journal, cherchons dans notre tête. N
161 ous y trouverons d’abord une grande question : qu’ est -il donc sorti de cette guerre ? Quelles nouveautés ? Aucune, réponden
162 t mondial court deux risques principaux : celui d’ être trop faible pour gouverner effectivement, et celui d’être trop fort p
163 p faible pour gouverner effectivement, et celui d’ être trop fort pour que survivent les libertés nationales ou régionales. M
164 e arme proportionnée à l’ampleur de sa tâche, qui est de faire la police des nations, et d’une arme qui, par nature, serait
165 olice des nations, et d’une arme qui, par nature, serait démesurée pour un seul peuple, tandis qu’elle devient effective à l’é
166 ique d’un gouvernement fédéral de la planète nous sont apparues simultanément. Elles se proposent à l’esprit avec tant de cl
167 se proposent à l’esprit avec tant de clarté qu’on est tenté d’y voir l’indication d’une fatalité : il n’est pas d’autre voi
168 tenté d’y voir l’indication d’une fatalité : il n’ est pas d’autre voie praticable, la raison nous pousse à la suivre, nous
169 nous devons donc arriver très vite au but… Telles sont les perspectives théoriques. L’Histoire n’en a pas connu de plus vast
170 s. Mais l’Histoire nous apprend aussi que l’homme est stupide et mauvais, qu’il a peur de voir grand, et qu’il préfère en g
171 sion simple des possibilités d’union mondiale qui sont ouvertes désormais, et insister sur le caractère inévitable de cette
172 tôt ou tard elle s’imposera, malgré nous, si ce n’ est par notre action. Ensuite, il s’agit de combattre les obstacles à cet
173 git de combattre les obstacles à cette union. Ils sont dans l’étroitesse de nos esprits, non pas dans la raison, ni dans les
12 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Un salon atomique (26 décembre 1945)
174 nt, cherchant d’un œil anxieux l’Obélisque, qui n’ est même pas au centre. Faut-il vous donner toute la mesure du désespoir
175 a mesure du désespoir qui fond sur moi dès que je suis à Washington ? Je vous avouerai que je m’y réfugie dans les salons. L
176 e avait des salons littéraires. À Washington, ils sont tous politiques. Celui dont je sors, qui est l’un des mieux courus, e
177 ils sont tous politiques. Celui dont je sors, qui est l’un des mieux courus, est aussi le plus atomique. Parmi les sous-sec
178 elui dont je sors, qui est l’un des mieux courus, est aussi le plus atomique. Parmi les sous-secrétaires d’État, les diplom
179 ins de mes collègues ont envisagé l’hypothèse, et sont de l’avis qu’elle n’est pas improbable. D’autres, comme moi, pensent
180 envisagé l’hypothèse, et sont de l’avis qu’elle n’ est pas improbable. D’autres, comme moi, pensent qu’on ne fera sauter que
181 estre, comme si vous peliez une orange. Les dames étaient ravies, les hommes pensifs. On eût dit qu’ils réfléchissaient. La con
182 ant se montrait plein d’humour. On n’avait jamais été plus plaisant à propos de massacres en masses. Ce que j’aime, dans le
183 st qu’on part quand on veut. À peine sorti, je me suis mis à réfléchir, et m’étant égaré comme de coutume, j’ai eu le temps
184 . À peine sorti, je me suis mis à réfléchir, et m’ étant égaré comme de coutume, j’ai eu le temps de trouver une ou deux concl
185 n de mes hôtes, d’où je vous écris. En fait, nous sommes devant l’an mille. Tous les problèmes derniers nous sont posés, dans
186 vant l’an mille. Tous les problèmes derniers nous sont posés, dans des termes urgents et concrets. Quel est le sens de la vi
187 posés, dans des termes urgents et concrets. Quel est le sens de la vie si elle finit demain ? Qu’est-ce que cette mort de
188 l est le sens de la vie si elle finit demain ? Qu’ est -ce que cette mort de l’homme causée par son génie ? Pourquoi l’intell
189 dépassent l’imagination — et celui-ci ne saurait être dépassé lui-même — n’intéressent ou n’inquiètent que superficiellemen
190 mpagnes. Aucun d’eux ne donnait l’impression de s’ être battu pour l’idéal démocratique. Ils m’ont demandé le résultat du der
191 ernier match Armée-Marine. Je ne savais pas. Et j’ étais en civil ! Voilà comment l’arrière trahit ! m. Rougemont Denis de,
13 1946, Le Figaro, articles (1939–1953). Pour la suppression des visas (23 avril 1946)
192 a question dans les termes où l’on me dit qu’elle est posée dans nos pays : Faut-il partir ? (Peut-on partir est une tout a
193 dans nos pays : Faut-il partir ? (Peut-on partir est une tout autre affaire.) Il se trouve que j’habite, pour quelques sem
194 ges de l’Amérique et ses défauts, mieux qu’ils ne sont en mesure de les imaginer. Cela se discuterait à l’infini. Il n’est q
195 es imaginer. Cela se discuterait à l’infini. Il n’ est qu’une solution, qui est d’aller voir, et d’essayer le pays comme un
196 uterait à l’infini. Il n’est qu’une solution, qui est d’aller voir, et d’essayer le pays comme un nouveau costume. Et je me
197 un nouveau costume. Et je me dis que le problème est mal posé. Il ne s’agit ni de « partir » ni de rester, au sens pathéti
198 ces mots. Il s’agit simplement de circuler. Ce n’ est pas très facile, pratiquement ? Mais partir, ou rester, ne le sont pa
199 ile, pratiquement ? Mais partir, ou rester, ne le sont pas non plus, apparemment, puisqu’on pose le problème. Supposez que n
200 nt, puisqu’on pose le problème. Supposez que nous soyons libres de circuler à notre guise. Je répondrais sans hésiter : il ne
201 vent pratiquement en mesure de le vivre ? Combien sont -ils encore du Moyen Âge, ou du bourgeois et lent xixe siècle ! Serai
202 Moyen Âge, ou du bourgeois et lent xixe siècle ! Serait -ce manque d’imagination ? Certes, il en faut une dose non ordinaire p
203 n verrait vite que c’est un faux dilemme. Le fait est là : nous allons en dix heures de Lisbonne à New York au Pacifique. U
204 de l’humain, une conception de la fidélité qui ne soit plus exclusive de la curiosité, un accueil plus ferme et plus souple
205 eil plus ferme et plus souple de la diversité des êtres et des coutumes. Aimez votre terre et quittez-la. Quittez-la trois fo
14 1946, Le Figaro, articles (1939–1953). Les nouveaux aspects du problème allemand (30 mai 1946)
206 à. Mais je m’aperçois aussitôt que ce contraste n’ est si net qu’entre les opinions que l’on publie. Un Gallup-poll me révèl
207 i dangereux que ça, et qui, maintenant que Hitler est abattu, ne pensent qu’à se protéger contre un réveil allemand. Et des
208 e. Et soudain je me demande non sans angoisse : n’ est -on pas en train de préparer, politiquement, la dernière guerre ? N’es
209 e préparer, politiquement, la dernière guerre ? N’ est -on pas en train d’adopter l’attitude ferme qu’il eût fallu prendre, e
210 aintenir en dépit des Anglais, de 1919 à 1938 ? N’ est -on pas en train de bien poser, mais avec toute une guerre de retard,
211 retard, une question qui n’existe plus ? Ou qui s’ est totalement transformée ? Quand je disais dans mon Journal d’Allemagn
212 leur pensée et tous leurs actes y tendent, et ils sont forts ! — beaucoup trouvaient cela désagréable. Certains allèrent jus
213 e je les vois. Un glacis désolé L’Allemagne était avant la guerre la plus grande puissance militaire du monde, avec son
214 s 80 millions d’habitants. Aujourd’hui le colosse est à terre et deux super-colosses se sont levés, projetant leurs ombres
215 le colosse est à terre et deux super-colosses se sont levés, projetant leurs ombres démesurées — l’un de tout près — sur le
216 ière quand il vivait ? Les grands vivants du jour sont l’URSS et l’Amérique. Voilà qui modifie radicalement les proportions
217 rai dire, on ne voit plus de conflit. La France n’ est plus en face d’une Puissance, mais d’un vaste glacis désolé sur leque
218 e retombons pas dans les erreurs anciennes ! Nous sommes payés pour les connaître, ces Allemands ! ils vont s’armer de nouveau
219 stoire des vingt dernières années, ils ne peuvent être plus rien d’autre que la pointe d’une offensive russe, ou d’une offen
220 répression négative et anachronique, l’Allemagne est un danger nouveau bien aussi grave qu’au temps d’Hitler. C’est un enf
221 d’Hitler. C’est un enfer à notre porte. Et rien n’ est aussi contagieux. Il s’agirait de l’exorciser. Mais l’attitude que je
222 939, au sujet du régime hitlérien. Zurich et Bâle étaient sans doute les villes d’Europe qui se sentaient les plus directement
223 me et de ravager l’espace vital qu’avait toujours été l’Allemagne pour les savants, les écrivains, les théologiens, les com
224 , cernés par les totalitaires pendant quatre ans, fut à la fois si unanime et si astucieusement prudente. On était presque
225 fois si unanime et si astucieusement prudente. On était presque à la merci de l’ennemi, mais on le connaissait par l’intérieu
226 e. (Qu’on ne pense pas un instant que la Suisse s’ est mise à aimer les Allemands !) mais de pitié active, j’entends par là 
227 te : Voici un pays abattu comme jamais pays ne le fut  ; voici un peuple qui se réveille du cauchemar d’un bombardement mora
228 r découvrir qu’il n’a plus de gouvernement, qu’il est entièrement occupé par quatre armées étrangères, qu’il a perdu un tie
229 res, qu’il a perdu un tiers de son territoire à l’ Est , qu’il n’a plus de quoi manger et qu’au surplus, loin qu’on le plaign
230 n qu’on le plaigne, on l’accuse formellement de s’ être rendu coupable du crime le plus énorme de l’Histoire. Une concepti
231 main. Il faut premièrement lui expliquer ce qui s’ est passé, et lui montrer comment il fut complice des crimes qu’il rejett
232 uer ce qui s’est passé, et lui montrer comment il fut complice des crimes qu’il rejette sur Himmler ; ensuite il faut détru
233 Le Figaro, Paris, 30 mai 1946, p. 3. p. Le texte est précédé du chapeau suivant : « Notre brillant collaborateur, Denis de
15 1946, Le Figaro, articles (1939–1953). Demain la bombe, ou une chance d’en finir avec la terre (30 juin 1946)
234 ce d’en finir avec la terre (30 juin 1946)q Il est des lieux où souffle l’esprit de destruction. Herman Melville, grand
235 tact flétrisseur… Le principal bruit vivant, ici, est le sifflement… Les sombres masses vitrifiées, dont un grand nombre s’
236 e peu croyable précision, de Bikini telle qu’elle sera demain, après le « sifflement » d’une bombe « plutonienne » qui « réd
237 projetée pour la fin du mois —, mais encore nous sommes dans un doute entretenu par nombre de savants quant à leurs effets im
238 -de-marée que le Déluge, en comparaison, n’aurait été qu’un bain de pieds. D’autres nous parlent d’une contamination des at
239 … Mais tout cela ne fait peur à personne. Le fait est que personne n’a protesté, et la première des expériences est pour de
240 onne n’a protesté, et la première des expériences est pour demain. À cette apathie plus qu’étrange de l’opinion et de ses o
241 z le dentiste. La seconde, c’est que la curiosité est plus forte que la crainte chez les enfants. Or l’opinion publique est
242 a crainte chez les enfants. Or l’opinion publique est un enfant que rien au monde ne saurait empêcher de jouer avec les all
243 se passe quelque chose. Mais la troisième raison est la plus remarquable. Si la menace d’un raz-de-marée continental — pou
244 raz-de-marée continental — pour si faibles qu’en soient les chances — n’a pas déclenché en retour un raz-de-marée de protesta
245 monde entier, c’est qu’on affirme que l’opération sera faite « dans un but militaire ». Ces quatre mots (et cette faute de f
246 la préparation d’une expérience dont l’utilité n’ est point trop claire, si l’un des risques en est la fin du monde. Person
247 é n’est point trop claire, si l’un des risques en est la fin du monde. Personne ne rit, ne ricane, ou ne hurle. Serait-ce q
248 u monde. Personne ne rit, ne ricane, ou ne hurle. Serait -ce qu’au fond de nous-mêmes, à l’insu de nous-mêmes, au tréfonds de n
249 s de notre inconscient, la guerre nous plaît ? Il est clair que nous jurons tous, sans exception, qu’il n’en est rien. À no
250 que nous jurons tous, sans exception, qu’il n’en est rien. À nous en croire, et nous sommes sincères, nous n’aimons vraime
251 n, qu’il n’en est rien. À nous en croire, et nous sommes sincères, nous n’aimons vraiment que la paix. La paix nous comble. La
16 1947, Le Figaro, articles (1939–1953). Le droit d’opposition (3 avril 1947)
252 parlait depuis des années. Divers moyens avaient été proposés ou essayés, tels que la déportation en masse, la destruction
253 ictature, en l’occurrence celle d’un parti qui se fût nommé démocratique pour éviter toute confusion. C’était cependant un
254 que l’auteur de cette proposition déconcertante n’ est pas un vieux routier de la politique. C’est un général : il a gardé l
255 s. Et il a conclu en affirmant qu’« une société n’ est pas libre tant que ses loyaux citoyens vivent dans la crainte d’être
256 que ses loyaux citoyens vivent dans la crainte d’ être privés de la vie, de la prospérité et de la poursuite du bonheur » (t
257 ère le plus spécifique d’une démocratie me paraît être le droit d’opposition. Et je parle d’une opposition non seulement tol
258 totalitaires. Ces derniers, en effet, quelle que soit leur idéologie, se comportent en réalité comme des Églises. L’opposit
259 s Églises. L’opposition aux dogmes d’une Église s’ est toujours vue qualifiée d’hérésie, et non d’opinion différente. De mêm
260 n. On la punit comme telle et, dans le fait, elle est forcée d’agir comme telle. Je sais bien que les Russes n’aiment guère
261 elons donc démocratique un régime où l’opposition est libre de jouer son rôle. Appelons ensuite totalitaire un régime où l’
262 « Ne vous conformez pas à ce siècle présent, mais soyez transformés », dit saint Paul. La liberté de parole. Si elle ne consi
263 les loups, à réciter les slogans officiels, elle est vide. La libération de la misère. Je pense qu’elle s’est rarement pro
264 e. La libération de la misère. Je pense qu’elle s’ est rarement produite dans les pays où la revendication des miséreux est
265 te dans les pays où la revendication des miséreux est étouffée comme subversive, ou qualifiée de sabotage. La libération de
17 1948, Le Figaro, articles (1939–1953). Sagesse et folie de la Suisse (13 octobre 1948)
266 sa vache et vit paisiblement. » La carte postale est de Victor Hugo et date d’il y a près de cent ans. Aujourd’hui, ce qui
267 epuis cent ans, elle vit paisiblement. Le miracle est patent. Va-t-il durer ? La Suisse est-elle une survivance ou bien le
268 Le miracle est patent. Va-t-il durer ? La Suisse est -elle une survivance ou bien le signe avant-coureur d’un avenir possib
269 , La Suisse, démocratie-témoin, André Siegfried s’ est posé la question. Mais il s’est gardé d’y répondre, ou plutôt n’y rép
270 André Siegfried s’est posé la question. Mais il s’ est gardé d’y répondre, ou plutôt n’y répond que par la bande, la bande r
271 e : « C’est une grande folie de croire qu’on peut être sage tout seul. » (La Rochefoucauld) Maxime qui n’est pas aussi clair
272 sage tout seul. » (La Rochefoucauld) Maxime qui n’ est pas aussi claire qu’il y paraît à première vue. M. Siegfried n’a pas
273 e formule. Il nous montre la Suisse telle qu’elle est  : prospère, mécanisée, démocrate à l’extrême (beaucoup plus en fait q
274 d’importance inégale elles aussi. (Et tout cela n’ est rien encore, car les frontières de ces États et de ces religions, ou
275 ture a privé de matières premières et dont le sol est en partie stérile, mais qui parvient à exporter près du tiers de sa p
276 enfin, un jeu d’institutions dont la complexité s’ est révélée pratique, parce qu’elle sert les diversités au lieu de préten
277 au lieu de prétendre à les réduire. M. Siegfried est , je crois bien, le seul auteur non suisse qui soit allé si loin dans
278 est, je crois bien, le seul auteur non suisse qui soit allé si loin dans l’analyse des variétés de l’expérience fédérale, sa
279 qui en chérissent toutes les nuances. Sa prudence est d’ailleurs égale aux périls qu’il affronte à chaque pas, écoutez-le :
280  Je me garderai bien de dire que certains cantons sont moins authentiquement suisses que d’autres, mais peut-être pourrait-o
281 is peut-être pourrait-on suggérer que certains le sont davantage… » Personne n’a mieux marqué les différences entre le Suiss
282 ne administration bien entendue, dont le seul but est d’assurer aux hommes plus de bien-être et d’avantages sociaux. En som
283 ré Siegfried n’adresse d’autre critique — si c’en est une — que d’avoir résolu ses problèmes par des moyens valables pour e
284 Dans le monde où nous vivons, semble-t-il dire, n’ est -il pas fou d’être aussi sage ? On en revient à la maxime du moraliste
285 nous vivons, semble-t-il dire, n’est-il pas fou d’ être aussi sage ? On en revient à la maxime du moraliste. Je voudrais en d
286 s en déduire des conclusions qu’André Siegfried s’ est interdit de suggérer. Influencé, pourrait-on croire, par l’objet de s
287 me permette ici de jouer le rôle du Français. Il est fou d’être sage tout seul, mais non moins fou de renoncer à cette sag
288 te ici de jouer le rôle du Français. Il est fou d’ être sage tout seul, mais non moins fou de renoncer à cette sagesse parce
289 école. En d’autres termes si l’Europe continue d’ être folle à l’unanimité, la Suisse est perdue sans nul doute. Mais l’Euro
290 pe continue d’être folle à l’unanimité, la Suisse est perdue sans nul doute. Mais l’Europe aussi sera perdue. Or je crois q
291 se est perdue sans nul doute. Mais l’Europe aussi sera perdue. Or je crois qu’elle peut être sauvée d’une balkanisation pres
292 urope aussi sera perdue. Or je crois qu’elle peut être sauvée d’une balkanisation presque fatale si elle accepte de s’helvét
293 pte de s’helvétiser. Dans ce cas, la Suisse aussi serait sauvée. Le dilemme suisse est donc : mission ou démission. M. Siegfr
294 la Suisse aussi serait sauvée. Le dilemme suisse est donc : mission ou démission. M. Siegfried pense que la sagesse suiss
295 n. M. Siegfried pense que la sagesse suisse, qui est le bon sens fédéraliste, n’est pas objet d’exportation, n’a pas de va
296 agesse suisse, qui est le bon sens fédéraliste, n’ est pas objet d’exportation, n’a pas de valeur universelle. C’est ce que
297 l’on admire leur solution. Certes, le fédéralisme est le contraire d’un système. Ce n’est pas une structure abstraite et gé
298 e fédéralisme est le contraire d’un système. Ce n’ est pas une structure abstraite et géométrique, ce n’est pas un poncif à
299 pas une structure abstraite et géométrique, ce n’ est pas un poncif à transporter. Mais il ne va pas sans principes, et ceu
300 incipes, et ceux-ci m’apparaissent susceptibles d’ être appliqués à l’échelle de l’Europe, mutatis mutandis bien entendu : c’
301 y retrouvent. Les cantons disent : nos industries seront ruinées si nous supprimons les péages. On les supprime : c’est la pro
302 c’est la prospérité. Les minorités disent : nous serons écrasés si l’on admet un pouvoir fédéral. On l’admet, et ces minorité
303 un rôle de premier plan. L’Europe du xxe siècle est l’image agrandie de la Suisse à la veille de sa fédération. En plus t
304 fédération. En plus tragique, bien sûr. L’urgence est donc plus grande. Mais les problèmes sont analogues, et l’attente des
305 ’urgence est donc plus grande. Mais les problèmes sont analogues, et l’attente des peuples est la même. « Oui, l’idée d’une
306 roblèmes sont analogues, et l’attente des peuples est la même. « Oui, l’idée d’une commune patrie ne nous est plus étrangèr
307 même. « Oui, l’idée d’une commune patrie ne nous est plus étrangère ! s’écriait l’un des précurseurs de la Constitution de
308 s’avouent tels) et les sceptiques (dont l’espèce est courante) ne peuvent pourtant pas nier l’existence de la Suisse. C’es
18 1953, Le Figaro, articles (1939–1953). « Nous ne sommes pas des esclaves ! » (25 juin 1953)
309 « Nous ne sommes pas des esclaves ! » (25 juin 1953)t « Ils ont tiré ! Ils tirent s
310 es européennes, le cri de douleur des faubourgs s’ est propagé dans les avenues lugubres de Berlin, entre leurs façades sur
311 assembler, sans armes, pour proclamer : « Nous ne sommes pas des esclaves ! » Ainsi, les Soviétiques ont perpétré le premier m
312 la foule qui marchait vers le Palais d’Hiver. Ce sont les descendants des ouvriers d’alors, ce sont leurs petits-fils en un
313 Ce sont les descendants des ouvriers d’alors, ce sont leurs petits-fils en uniforme, passés aux ordres du Kremlin, qui ont
314 ront dans leurs livres d’histoire. Cette phrase a été dite, une fois pour toutes. Elle n’est pas mensongère, elle est gagée
315 e phrase a été dite, une fois pour toutes. Elle n’ est pas mensongère, elle est gagée sur des centaines de morts et de bless
316 fois pour toutes. Elle n’est pas mensongère, elle est gagée sur des centaines de morts et de blessés. Étant dite, et de cet
317 t gagée sur des centaines de morts et de blessés. Étant dite, et de cette manière, non par certains pour les besoins d’une po
318 ue l’on n’éteindra plus : la tyrannie totalitaire est un crime contre l’homme et ses jours, désormais, sont comptés. L’insu
319 un crime contre l’homme et ses jours, désormais, sont comptés. L’insurrection de toutes les villes de la zone Est, bien qu’
320 s. L’insurrection de toutes les villes de la zone Est , bien qu’écrasée dans le sang, marque la fin d’une ère : celle du myt
321 le parti communiste a forcément raison, puisqu’il est le parti des travailleurs ! On savait qu’il était le parti qui avait
322 l est le parti des travailleurs ! On savait qu’il était le parti qui avait supprimé le droit de grève, sous l’impudent prétex
323 l’occasion de s’en servir… On savait aussi qu’il était le parti du travail forcé, celui qui venait de « réaliser », par les
324 mme. C’était ignoble, et nous voyons bien pis. Il était réservé au régime communiste de faire ce métier-là au nom des ouvrier
325 des ouvriers — d’ajouter l’imposture au crime. Il était réservé au régime communiste d’aggraver d’un contrôle policier la con
326 choses pires que la pire injustice : la première serait d’excuser le péché des bourgeois par celui des Soviets ; mais la seco
327 t les provocateurs. Qui ne voit aujourd’hui quels furent à Berlin-Est ces « provocateurs étrangers » que dénonce rageusement G
328 que dénonce rageusement Grotewohl ? Pouvaient-ils être « en uniforme américain » au milieu du secteur soviétique, comme l’on
329 ue les communistes ? Pouvaient-ils pratiquement n’ être pas Russes ou à la solde de Moscou ? On demande aux ouvriers de les d
330 ait avec éclat le 17 juin ! En criant : « Nous ne sommes pas des esclaves ! » les ouvriers de Berlin ont rétabli d’un coup la
331 onfirmé en ouvrant le feu. L’imposture communiste est devenue manifeste. Il ne reste à ses partisans, dans nos démocraties,
332 randebourg, le vieux chant populaire socialiste s’ est fait entendre pour la première fois depuis vingt ans de silence, ving
333 ble vers la liberté ! » Mais rien de tout cela ne sera plus effacé. Rien ne peut plus faire que les héros de Berlin soient m
334 . Rien ne peut plus faire que les héros de Berlin soient morts en vain. Aux jours les plus découragés de l’Occident, ils ont f
335 à Berlin, surgissant d’un peuple écrasé. Et ce n’ est pas l’Europe des marchandages entre nations qui entendent chacune rec
336 urope qui crée son avenir et justifie sa raison d’ être par des hommes qui se sacrifient au service de la Liberté. t. Roug
337 la Liberté. t. Rougemont Denis de, « “Nous ne sommes pas des esclaves !” », Le Figaro, Paris, 25 juin 1953, p. 1 et 12.