1 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). L’ère des religions (22 février 1939)
1 e des religions (22 février 1939)a La nouvelle de la mort du pape a répandu bien au-delà des frontières du catholicisme
2 in combat dans l’invisible spirituel, à la veille d’ un discours qui devait être un acte, nous laisse tous en suspens sur l
3 acte, nous laisse tous en suspens sur le mystère de notre époque : un mystère de nature religieuse. Vous l’éprouverez san
4 spens sur le mystère de notre époque : un mystère de nature religieuse. Vous l’éprouverez sans doute comme moi dans les sa
5 l’éprouverez sans doute comme moi dans les salles d’ actualités, à considérer le public quand passe le film des funérailles
6 ose vibre dans l’obscurité, des régions endormies de la conscience humaine de nouveau se sensibilisent… Possibilités ambig
7 taire trop longtemps refoulée et niée. L’histoire de l’après-guerre aux yeux de nos descendants sera peut-être moins l’his
8 ts sera peut-être moins l’histoire des traités et de leur périlleux ajustement, que l’histoire du réveil des religions au
9 , que l’histoire du réveil des religions au terme de l’ère rationaliste. Ce n’est pas le phénomène en soi, mais son ampleu
10 t lieux communs qui étaient les signes extérieurs d’ une communion tacite entre les hommes. Nous sommes là, petits individu
11 st formé, dans la cité un sentiment encore diffus de vide social, analogue à celui qui dut marquer la décadence de l’Empir
12 al, analogue à celui qui dut marquer la décadence de l’Empire romain. Mais de ce vide naît un appel. Et cet appel à une co
13 dut marquer la décadence de l’Empire romain. Mais de ce vide naît un appel. Et cet appel à une communauté nouvelle, à une
14 e un peu partout, plus simplement : à des raisons de se regrouper, c’est l’affleurement d’un inconscient désir de « ce qui
15 des raisons de se regrouper, c’est l’affleurement d’ un inconscient désir de « ce qui lie », d’une religion. De n’importe q
16 uper, c’est l’affleurement d’un inconscient désir de « ce qui lie », d’une religion. De n’importe quelle religion. Il est
17 urement d’un inconscient désir de « ce qui lie », d’ une religion. De n’importe quelle religion. Il est temps que le monde
18 onscient désir de « ce qui lie », d’une religion. De n’importe quelle religion. Il est temps que le monde chrétien prenne
19 que le monde chrétien prenne conscience à la fois de cette chance et des risques immenses qu’elle ouvre. Car on ne peut pl
20 s se le dissimuler : les masses modernes, privées de culture spirituelle, athéisées jusqu’à un point que les chrétiens, so
21 veille dans ces masses, elles risquent aussi bien de se satisfaire par les moyens les plus grossiers, et par exemple par l
22 s grossiers, et par exemple par le seul sentiment d’ une fraternité charnelle, d’un coude à coude pathétique. Ce n’est pas
23 par le seul sentiment d’une fraternité charnelle, d’ un coude à coude pathétique. Ce n’est pas là une hypothèse : il suffit
24 étique. Ce n’est pas là une hypothèse : il suffit de traverser le Rhin pour ressentir, jusqu’au frisson de l’horreur sacré
25 raverser le Rhin pour ressentir, jusqu’au frisson de l’horreur sacrée, la réalité monstrueuse d’une de ces religions larva
26 isson de l’horreur sacrée, la réalité monstrueuse d’ une de ces religions larvaires. On demande souvent quel est le contenu
27 de l’horreur sacrée, la réalité monstrueuse d’une de ces religions larvaires. On demande souvent quel est le contenu de la
28 larvaires. On demande souvent quel est le contenu de la « mystique » nationale-socialiste. L’effrayant, c’est qu’il n’y en
29 asses qui se ressentent comme telles, à la faveur d’ un déploiement théâtral et géométrique, autour d’un chef qui ne veut ê
30 d’un déploiement théâtral et géométrique, autour d’ un chef qui ne veut être que leur incarnation et leur symbole. Des mas
31 cherchent pourtant une doctrine. N’étant pas nées d’ une création spirituelle, d’une espérance ouvrant l’avenir, elles ne s
32 ine. N’étant pas nées d’une création spirituelle, d’ une espérance ouvrant l’avenir, elles ne savent justifier leur existen
33 t une société ouverte, liée par l’attente unanime d’ un au-delà libérateur. « Les choses vieilles sont passées », dit saint
34 national-socialisme se trouve avoir donné le type d’ une communauté régressive, fondée sur les seules choses révolues, sur
35 ’on ne pourra jamais y entrer — si l’on n’est pas de sang aryen, par exemple. Car cette religion n’admet pas que « les cho
36 des morts, des cortèges funèbres, des cérémonies d’ imprécation, des sacrifices propitiatoires, le tam-tam des tambours lu
37 propitiatoires, le tam-tam des tambours lugubres, d’ hallucinants sabbats de nègres blancs ! Qui ne voit qu’une telle relig
38 tam des tambours lugubres, d’hallucinants sabbats de nègres blancs ! Qui ne voit qu’une telle religion hait mortellement l
39 s le pardon, le futur éternel, le rachat du péché d’ origine ? Ce n’est pas un conflit accidentel, c’est encore moins un co
40 ontre les Églises du Christ. C’est une opposition de nature et d’essence, radicale et insurmontable ; c’est l’affrontement
41 ises du Christ. C’est une opposition de nature et d’ essence, radicale et insurmontable ; c’est l’affrontement du destin so
42 ntable ; c’est l’affrontement du destin sombre et de la foi libératrice, des choses fatales et des « choses espérées », du
43 et des « choses espérées », du culte des morts et de celui du Dieu vivant. L’ère des religions s’ouvre à nous, chargée de
44 vant. L’ère des religions s’ouvre à nous, chargée de promesses, mais aussi de menaces. Ère nouvelle pour les chrétiens qui
45 s’ouvre à nous, chargée de promesses, mais aussi de menaces. Ère nouvelle pour les chrétiens qui pensaient n’avoir plus à
46 e mieux à leur vraie force. Car il ne suffit plus d’ entretenir un vague sentiment religieux, vestige d’un passé touchant,
47 ’entretenir un vague sentiment religieux, vestige d’ un passé touchant, pour répondre à une religion dans sa jeunesse virul
48 mieux que l’adversaire au problème qu’il tentait de résoudre, à ce problème du vide social, communautaire, qui dès mainte
49 ritiquant simplement leurs erreurs. Il est facile d’ avoir raison de loin ; plus difficile de découvrir une voie meilleure
50 ement leurs erreurs. Il est facile d’avoir raison de loin ; plus difficile de découvrir une voie meilleure où l’on soit pr
51 st facile d’avoir raison de loin ; plus difficile de découvrir une voie meilleure où l’on soit prêt à se risquer soi-même.
52 prêt à se risquer soi-même. a. Rougemont Denis de , « L’ère des religions », Le Figaro, Paris, 22 février 1939, p. 1 et
2 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). Le bon vieux temps présent (20 mars 1939)
53 qui vient de mourir. Europe du sentiment, patrie de nostalgie de tous ceux qu’a touchés le romantisme — encore un paradis
54 mourir. Europe du sentiment, patrie de nostalgie de tous ceux qu’a touchés le romantisme — encore un paradis perdu ! Mais
55 ils naissent à l’heure où on les perd. Souvenirs de Salzbourg et de Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à
56 l’heure où on les perd. Souvenirs de Salzbourg et de Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à l’heure où somb
57 vois s’élever rayonnants dans la lueur éternisée d’ un soir d’été, après l’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirant
58 ever rayonnants dans la lueur éternisée d’un soir d’ été, après l’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirante et délic
59 déchirante et délicieuse comme les secondes voix de Schumann. Un mythe nouveau prend son essor au sein même de la catastr
60 nn. Un mythe nouveau prend son essor au sein même de la catastrophe. Tout un âge, un climat de musiques, soudain se fixe e
61 in même de la catastrophe. Tout un âge, un climat de musiques, soudain se fixe en nos mémoires, s’idéalise. Un « bon vieux
62 , ce fut simplement l’avant-guerre, les souvenirs de notre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’un coup, est encor
63 notre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’ un coup, est encore plus proche : c’est l’an passé, c’est avant-hier —
64 is oui, peut-être vivons-nous, ici, dans ce Paris de mars 1939, les derniers jours du bon vieux temps européen. Jours de s
65 derniers jours du bon vieux temps européen. Jours de sursis d’une liberté dont nous avions à peine conscience, parce qu’el
66 ours du bon vieux temps européen. Jours de sursis d’ une liberté dont nous avions à peine conscience, parce qu’elle était n
67 parce qu’elle était notre manière toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis,
68 tait notre manière toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs pe
69 manière toute naturelle de respirer et de penser, d’ aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. C
70 le de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’ entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien de temps encor
71 enir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien de temps encore, combien de semaines pourrons-nous goûter ce répit, et s
72 sirs personnels. Combien de temps encore, combien de semaines pourrons-nous goûter ce répit, et sentir que nous prolongeon
73 ns une existence que nos fils appelleront douceur de vivre ? Déjà nous éprouvons que le monde a glissé dans une ère étrang
74 sé dans une ère étrange et brutale, où ces formes de vie, qui sont encore les nôtres, ne peuvent plus apprivoiser le desti
75 sursaut nous dresse à résister, il faudra changer de rythme et rectifier la tenue, bander tous les ressorts, mobiliser les
76 ais aussi bien chez les voisins qu’elles secouent d’ un défi grossier. La liberté ne peut survivre à de tels chocs. Car ell
77 d’un défi grossier. La liberté ne peut survivre à de tels chocs. Car elle est vraiment comme un rêve, un rêve heureux où l
78 c aisance, gardant seulement l’arrière-conscience d’ un miracle. Elle est encore une œuvre d’art qui n’agit que par l’atmos
79 r : il y faut ce climat sentimental, cette espèce de naturel qui naît d’une entente tacite, d’une confiance, presque d’une
80 mat sentimental, cette espèce de naturel qui naît d’ une entente tacite, d’une confiance, presque d’une insouciance… C’est
81 espèce de naturel qui naît d’une entente tacite, d’ une confiance, presque d’une insouciance… C’est tout cela que vient de
82 ît d’une entente tacite, d’une confiance, presque d’ une insouciance… C’est tout cela que vient de mettre en question l’usu
83 lle et goûte encore quelques instants les délices d’ un rêve inachevé. Mais il sait bien que c’est fini. Brève dispense, le
84 ait bien que c’est fini. Brève dispense, le temps d’ un peu se souvenir… Il faut se lever. Il faut entrer résolument dans l
85 réservant, s’il se peut, dans nos cœurs, ce droit d’ aimer, cette bonté humaine, plus « inutile » que jamais, dominatrice e
86 is, dominatrice et bafouée. b. Rougemont Denis de , « Le bon vieux temps présent », Le Figaro, Paris, 20 mars 1939, p. 1
3 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). Directeurs d’inconscience (11 avril 1939)
87 Directeurs d’ inconscience (11 avril 1939)c Quels sont nos vrais directeurs de co
88 1 avril 1939)c Quels sont nos vrais directeurs de conscience, depuis que le monde s’est, en partie, détourné de la foi
89 e, depuis que le monde s’est, en partie, détourné de la foi chrétienne ? Cette question, qu’une revue de jeunes vient de p
90 la foi chrétienne ? Cette question, qu’une revue de jeunes vient de poser aux écrivains et aux sociologues, on voudrait q
91 l’enquêteur attrape le premier venu par le revers de son veston pour lui demander sans préambule : « Et vous donc, en qui
92 préambule : « Et vous donc, en qui croyez-vous ? De qui suivez-vous les conseils ? » La réponse étonnerait souvent celui-
93 urs maîtres véritables, ou s’en soucient. Meneurs de foules, savants, écrivains, journalistes, médecins : le questionnaire
94 ire, pour fixer les idées, énumère ces catégories de nouveaux directeurs de conscience. Là-dessus, chacun fera ses petites
95 es, énumère ces catégories de nouveaux directeurs de conscience. Là-dessus, chacun fera ses petites observations, ajoutera
96 servations, ajoutera ou retranchera. C’est un jeu de société qui en vaut bien un autre. Je retranche pour ma part les jour
97 Et j’ajoute aux grands romanciers les directrices de magazines féminins, qui tiennent boutique de consultations pour leurs
98 ices de magazines féminins, qui tiennent boutique de consultations pour leurs lectrices avides de « bonheur » à la recette
99 ique de consultations pour leurs lectrices avides de « bonheur » à la recette. Quoi qu’il en soit, deux choses me frappent
100 , c’est-à-dire l’impuissance pratique des organes de « direction » qui se disputent nos consciences. Sous prétexte de nous
101 nt nos consciences. Sous prétexte de nous libérer de la tutelle d’une Église ou d’une foi, nous nous sommes soumis naïveme
102 nces. Sous prétexte de nous libérer de la tutelle d’ une Église ou d’une foi, nous nous sommes soumis naïvement à d’innombr
103 xte de nous libérer de la tutelle d’une Église ou d’ une foi, nous nous sommes soumis naïvement à d’innombrables influences
104 ou d’une foi, nous nous sommes soumis naïvement à d’ innombrables influences incontrôlées, donc tyranniques, et au surplus
105 urplus contradictoires. Nous croyons aux recettes de la Science avec la plus touchante superstition. Nous emboîtons le pas
106 lus touchante superstition. Nous emboîtons le pas de la mode les yeux fermés. Mais quand la Science vous dit de porter des
107 e les yeux fermés. Mais quand la Science vous dit de porter des bas de laine, la Mode vous impose des bas de soie. Les rom
108 Mais quand la Science vous dit de porter des bas de laine, la Mode vous impose des bas de soie. Les romans et les films n
109 ter des bas de laine, la Mode vous impose des bas de soie. Les romans et les films nous enfièvrent d’une nostalgie d’amour
110 de soie. Les romans et les films nous enfièvrent d’ une nostalgie d’amour-passion dont nous ne savons plus même distinguer
111 mans et les films nous enfièvrent d’une nostalgie d’ amour-passion dont nous ne savons plus même distinguer qu’elle contred
112 pathétiques à la radio. Le monde moderne retentit d’ En avant ! qui ne savent pas où ils vont. Et toutes ces « directions »
113 n Duce, un Führer vont se dresser et nous cingler de grosses ironies. Nous avons perdu le sens de la grandeur, nous n’avon
114 gler de grosses ironies. Nous avons perdu le sens de la grandeur, nous n’avons plus de buts communs ? Ils vont nous rendre
115 s perdu le sens de la grandeur, nous n’avons plus de buts communs ? Ils vont nous rendre tout cela en nous rendant une dir
116 us rendre tout cela en nous rendant une direction de marche. Mais ce n’est plus à nos consciences qu’ils s’adressent, à no
117 nos haines et nos orgueils puérils, nos réflexes d’ animaux attroupés. Les grands meneurs, à proprement parler, sont des d
118 meneurs, à proprement parler, sont des directeurs d’ inconscience. Et leur succès c’est de nous délivrer de nos contradicti
119 s directeurs d’inconscience. Et leur succès c’est de nous délivrer de nos contradictions morales, par anesthésie collectiv
120 conscience. Et leur succès c’est de nous délivrer de nos contradictions morales, par anesthésie collective. Voilà pourquoi
121 nesthésie collective. Voilà pourquoi des millions d’ hommes sont heureux d’être « mis au pas ». Faut-il choisir entre anarc
122 Voilà pourquoi des millions d’hommes sont heureux d’ être « mis au pas ». Faut-il choisir entre anarchie et dictature ? Mai
123 arche unanime vers un point qui se trouve au-delà de la terre, également lointain de chacun, également proche de chacun de
124 se trouve au-delà de la terre, également lointain de chacun, également proche de chacun de nos cœurs. c. Rougemont Deni
125 nt lointain de chacun, également proche de chacun de nos cœurs. c. Rougemont Denis de, « Directeurs d’inconscience », L
126 che de chacun de nos cœurs. c. Rougemont Denis de , « Directeurs d’inconscience », Le Figaro, Paris, 11 avril 1939, p. 1
127 nos cœurs. c. Rougemont Denis de, « Directeurs d’ inconscience », Le Figaro, Paris, 11 avril 1939, p. 1.
4 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). Une simple question de mots (24 avril 1939)
128 Une simple question de mots (24 avril 1939)d On ne fait pas de révolution sans changer le
129 estion de mots (24 avril 1939)d On ne fait pas de révolution sans changer le vocabulaire. Car la force principale d’un
130 s changer le vocabulaire. Car la force principale d’ un mouvement politique n’est pas la vérité de sa doctrine, mais l’oppo
131 pale d’un mouvement politique n’est pas la vérité de sa doctrine, mais l’opportunité de sa propagande. La révolution, de n
132 pas la vérité de sa doctrine, mais l’opportunité de sa propagande. La révolution, de nos jours, c’est d’abord une questio
133 is l’opportunité de sa propagande. La révolution, de nos jours, c’est d’abord une question de mots, une question de slogan
134 olution, de nos jours, c’est d’abord une question de mots, une question de slogans, un cas particulier de cette science de
135 c’est d’abord une question de mots, une question de slogans, un cas particulier de cette science de l’opinion qui s’appel
136 mots, une question de slogans, un cas particulier de cette science de l’opinion qui s’appelle la Publicité. C’est pourquoi
137 n de slogans, un cas particulier de cette science de l’opinion qui s’appelle la Publicité. C’est pourquoi la conversation
138 ’on observe entre les peuples, je ne la crois pas de nature sentimentale d’abord. Dans toutes ces querelles de ménage que
139 e sentimentale d’abord. Dans toutes ces querelles de ménage que se font les nations d’Europe, il s’agit moins d’humeurs qu
140 s ces querelles de ménage que se font les nations d’ Europe, il s’agit moins d’humeurs que de lexiques incompatibles. Ainsi
141 que se font les nations d’Europe, il s’agit moins d’ humeurs que de lexiques incompatibles. Ainsi du dialogue France-Allema
142 s nations d’Europe, il s’agit moins d’humeurs que de lexiques incompatibles. Ainsi du dialogue France-Allemagne. Il fut lo
143 liberté » qu’apportaient les Français à la pointe de leurs baïonnettes ne correspondait pas à des notions bien claires dan
144 it pas à des notions bien claires dans le cerveau d’ un paysan prussien. D’où les malentendus que l’on sait, et les « expli
145 ien claires dans le cerveau d’un paysan prussien. D’ où les malentendus que l’on sait, et les « explications » un peu bruta
146 peu brutales qui aboutirent au compromis boiteux de Versailles. Le Reich promettait de comprendre, il proclamait la Répub
147 promis boiteux de Versailles. Le Reich promettait de comprendre, il proclamait la République, il allait essayer, lui aussi
148 mait la République, il allait essayer, lui aussi, de pratiquer les droits de l’homme… Et puis l’on fut contraint de se ren
149 les droits de l’homme… Et puis l’on fut contraint de se rendre à l’évidence ; décidément, cela ne prenait pas, cela n’entr
150 Il a fallu cinq ou six ans pour déchiffrer la clé de son langage. Les récents événements y ont beaucoup aidé. Aujourd’hui
151 e vocabulaire démocratique, mais changer le signe de chacun de ses termes. Exemples : le droit des peuples à disposer d’eu
152 ire démocratique, mais changer le signe de chacun de ses termes. Exemples : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes si
153 ermes. Exemples : le droit des peuples à disposer d’ eux-mêmes signifie, dans le langage totalitaire ; le droit des peuples
154  ; le droit des peuples les plus forts à disposer de leurs voisins les plus faibles ; consolider la paix signifiera : enva
155 rer un obus. La presse italienne, dans son ardeur de néophyte, vend la mèche lorsqu’elle oppose à la violence et au bellic
156 lorsqu’elle oppose à la violence et au bellicisme de Roosevelt le sens du droit et le pacifisme des dictateurs. Ce n’était
157 n’était donc pas plus malin que cela ? Il suffit de poser à la clé : noir égale blanc, et ainsi de suite. Enfin l’on va p
158 it de poser à la clé : noir égale blanc, et ainsi de suite. Enfin l’on va pouvoir s’entendre ! Toutefois, comme en pareil
159 utefois, comme en pareil domaine tout est affaire de nuances, parfois subtiles, il n’est pas superflu d’entrer dans le dét
160 nuances, parfois subtiles, il n’est pas superflu d’ entrer dans le détail de quelques-unes de ces transpositions. J’examin
161 es, il n’est pas superflu d’entrer dans le détail de quelques-unes de ces transpositions. J’examinerai à cet égard trois t
162 superflu d’entrer dans le détail de quelques-unes de ces transpositions. J’examinerai à cet égard trois termes : liberté e
163 berté signifiait pour les vieux Germains le droit de porter une arme et de la garder chez soi. Il est donc assez naturel q
164 les vieux Germains le droit de porter une arme et de la garder chez soi. Il est donc assez naturel que le congrès de Nurem
165 hez soi. Il est donc assez naturel que le congrès de Nuremberg, qui célébra le réarmement du Reich, se soit intitulé : Jou
166 e réarmement du Reich, se soit intitulé : Journée de la liberté. Précisons : l’armement pour les Allemands n’est pas comme
167 st pas comme pour nous autres démocrates un moyen de protéger des libertés d’ordre civil. Il est en soi la liberté, et nul
168 tres démocrates un moyen de protéger des libertés d’ ordre civil. Il est en soi la liberté, et nulle autre n’est concevable
169 ice est pour nous le respect du droit, et au-delà de la lettre d’un code, une manière objective de jauger les arguments de
170 nous le respect du droit, et au-delà de la lettre d’ un code, une manière objective de jauger les arguments de deux parties
171 elà de la lettre d’un code, une manière objective de jauger les arguments de deux parties adverses. C’est dans ce sens que
172 de, une manière objective de jauger les arguments de deux parties adverses. C’est dans ce sens que j’avais essayé d’être «
173 s adverses. C’est dans ce sens que j’avais essayé d’ être « juste » vis-à-vis de l’Allemagne dans un petit ouvrage paru l’a
174 ne l’est certainement pas. Car la justice jaillit de la plénitude d’une vitalité sûre d’elle-même, et non pas de comparais
175 ement pas. Car la justice jaillit de la plénitude d’ une vitalité sûre d’elle-même, et non pas de comparaisons abstraites.
176 stice jaillit de la plénitude d’une vitalité sûre d’ elle-même, et non pas de comparaisons abstraites. C’est en quoi les no
177 itude d’une vitalité sûre d’elle-même, et non pas de comparaisons abstraites. C’est en quoi les notions française et allem
178 C’est en quoi les notions française et allemande de justice s’opposeront pendant plusieurs décades encore. » Effectiveme
179 rs décades encore. » Effectivement la définition de la justice allemande que veut bien me donner mon correspondant signif
180 plus fort, donc injustice. Ici encore, il suffit de changer le signe. Quant à l’espace vital des dictatures, on n’aura pa
181 ante est l’élasticité illimitée. Plus la vitalité d’ un peuple est « sûre d’elle-même », plus ses nécessités dites vitales
182 llimitée. Plus la vitalité d’un peuple est « sûre d’ elle-même », plus ses nécessités dites vitales s’accroissent. Que sign
183 serait indispensable pour préserver les Allemands de la famine, mais au contraire ce qui est indispensable pour satisfaire
184 pour satisfaire et augmenter une « vitalité sûre d’ elle-même ». L’espace vital, c’est celui que réclament non la misère e
185 s blés moraves et les pétroles roumains, réserves de guerre. Ce qui est vital, c’est donc tout simplement ce qui permettra
186 ital, c’est donc tout simplement ce qui permettra de faire la guerre, c’est-à-dire — traduit en allemand — d’affirmer une
187 e la guerre, c’est-à-dire — traduit en allemand — d’ affirmer une « vitalité sûre d’elle-même » et de « consolider la paix 
188 duit en allemand — d’affirmer une « vitalité sûre d’ elle-même » et de « consolider la paix »… Bornons-nous à remarquer qu’
189 — d’affirmer une « vitalité sûre d’elle-même » et de « consolider la paix »… Bornons-nous à remarquer qu’aux yeux des peup
190 espace vital pour un nazi risque malheureusement de s’appeler bientôt champ de bataille, ou espace mortel. d. Rougemon
191 bataille, ou espace mortel. d. Rougemont Denis de , « Une simple question de mots », Le Figaro, Paris, 24 avril 1939, p.
192 . d. Rougemont Denis de, « Une simple question de mots », Le Figaro, Paris, 24 avril 1939, p. 1 et 3.
5 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). « Le matin vient, et la nuit aussi » (7 juin 1939)
193 et la nuit aussi » (7 juin 1939)e Le désarroi de l’époque — nous lisons cela partout, depuis vingt ans. Comme si rien
194 ons cela partout, depuis vingt ans. Comme si rien de pire n’était imaginable. Comme si le désordre était sans précédent et
195 rtes, l’anarchie des mœurs et des idées s’accroît d’ une anxiété de jour en jour plus justifiée, à cause des crises sociale
196 ie des mœurs et des idées s’accroît d’une anxiété de jour en jour plus justifiée, à cause des crises sociales et politique
197 miers à croire que notre époque est l’époque même de la Crise. S’il est juste et salutaire de la considérer dans ce qu’ell
198 que même de la Crise. S’il est juste et salutaire de la considérer dans ce qu’elle a d’unique, dans sa réalité qui nous me
199 e et salutaire de la considérer dans ce qu’elle a d’ unique, dans sa réalité qui nous met, en question, n’oublions pas que
200 n’oublions pas que toute réalité, à toute époque de l’histoire des hommes, est, apparue comme une réalité sans précédent,
201 in des grandes invasions, du ve siècle au viiie de notre ère, avant l’an mille, pendant les pestes noires, pendant les g
202 e, pendant les pestes noires, pendant les guerres de religion qui obscurcissent l’image du monde chrétien. Quel pouvait êt
203 tien. Quel pouvait être l’avenir pour un Allemand de la guerre de Trente Ans ? Pour les vaincus des guerres de l’Empire ?
204 uvait être l’avenir pour un Allemand de la guerre de Trente Ans ? Pour les vaincus des guerres de l’Empire ? On me dira qu
205 erre de Trente Ans ? Pour les vaincus des guerres de l’Empire ? On me dira que la mécanique des guerres modernes, cette te
206 a mécanique des guerres modernes, cette technique de la mort à grande distance, les moyens de propagande et de pression mo
207 echnique de la mort à grande distance, les moyens de propagande et de pression morale tels que radio, police et presse, in
208 rt à grande distance, les moyens de propagande et de pression morale tels que radio, police et presse, introduisent dans l
209 s le monde actuel des possibilités plus radicales d’ anéantir la guerre humaine. On me dira qu’autrefois les catastrophes é
210 t qu’on massacrait jusqu’au dernier des habitants de Magdebourg, sous Wallenstein, le paysan et l’artisan français jouissa
211 tein, le paysan et l’artisan français jouissaient d’ une quiétude parfaite. Ainsi la vie paisible fut toujours l’avantage d
212 te. Ainsi la vie paisible fut toujours l’avantage d’ une certaine inconscience, d’une ignorance dont la presse, de nos jour
213 toujours l’avantage d’une certaine inconscience, d’ une ignorance dont la presse, de nos jours, nous prive avec acharnemen
214 ine inconscience, d’une ignorance dont la presse, de nos jours, nous prive avec acharnement. Du moins voudrait-on rappeler
215 alheur des temps est une vieille expression… Oui, de tout temps, le sort du monde a été quasiment désespéré. Seulement, ma
216 aussi. L’homme n’est pas fait pour vivre en état de guerre, au sens moderne de l’expression. Mais il n’est pas fait davan
217 ait pour vivre en état de guerre, au sens moderne de l’expression. Mais il n’est pas fait davantage pour vivre en l’état d
218 il n’est pas fait davantage pour vivre en l’état d’ illusion qu’on nomme généralement la paix : cette ignorance satisfaite
219 du désordre et des injustices établies. La menace de guerre qui pèse sur nous pourrait et devrait être le remède à cette p
220 vrait être le remède à cette paix-là. Tout dépend de l’usage que l’on en fait. Le même poison, selon la dose, paralyse, ou
221 la dose, paralyse, ou tonifie. Dans l’atmosphère de catastrophes où nous vivons, une profonde ambiguïté se manifeste. Tou
222 tout », et c’est alors qu’il est vraiment le gage d’ une vie qui vaille d’être vécue. Les générations d’avant-guerre eurent
223 s qu’il est vraiment le gage d’une vie qui vaille d’ être vécue. Les générations d’avant-guerre eurent sans doute l’existen
224 ’une vie qui vaille d’être vécue. Les générations d’ avant-guerre eurent sans doute l’existence plus facile, mais de quel p
225 e eurent sans doute l’existence plus facile, mais de quel prix spirituel ont-elles payé l’illusion du Progrès ? Je songe à
226 ayé l’illusion du Progrès ? Je songe à la colombe de Kantf qui croyait voler mieux dans le vide… L’homme n’est pas fait po
227 dre et des périls inhérents au progrès, la chance d’ une grandeur qui, elle aussi, pourrait être sans précédent. Comme tout
228 Isaïe réveillait son peuple par le sublime oracle de Séir : « Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? — Le matin vient, et la
229 sublime oracle de Séir : « Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? — Le matin vient, et la nuit aussi ! » C’est toujours le mê
230 urs le même drame que nous vivons, qu’il s’agisse de flèches ou d’obus. Car ce qui compte, en fin de compte, ce n’est pas
231 ame que nous vivons, qu’il s’agisse de flèches ou d’ obus. Car ce qui compte, en fin de compte, ce n’est pas le sort matéri
232 e sort matériel et le bonheur plus ou moins grand de la cité, mais les raisons de vivre des hommes qui l’habitent. Ce n’es
233 plus ou moins grand de la cité, mais les raisons de vivre des hommes qui l’habitent. Ce n’est pas la somme de leurs souci
234 des hommes qui l’habitent. Ce n’est pas la somme de leurs soucis et de leurs plaisirs, mais le sens qu’ils découvrent à l
235 abitent. Ce n’est pas la somme de leurs soucis et de leurs plaisirs, mais le sens qu’ils découvrent à l’existence, à la fa
236 sens qu’ils découvrent à l’existence, à la faveur de ces vicissitudes acceptées. Acceptons notre chance de vivre une vie
237 s vicissitudes acceptées. Acceptons notre chance de vivre une vie plus consciente et réelle. Quoi qu’il advienne, sachons
238 atin et la nuit qui viennent, et qui ne cesseront de venir jusqu’au Jour éternel ! Prenons notre régime de vie tendue ; il
239 enir jusqu’au Jour éternel ! Prenons notre régime de vie tendue ; il suffit de savoir ce qui compte, et que la Joie ne dép
240  ! Prenons notre régime de vie tendue ; il suffit de savoir ce qui compte, et que la Joie ne dépend pas de nos misères. J’
241 avoir ce qui compte, et que la Joie ne dépend pas de nos misères. J’y songeais l’autre soir, à Orléans, en entendant la Je
242 à Orléans, en entendant la Jeanne d’Arc au bûcher de Paul Claudel et Arthur Honegger, cette bouleversante déclamation chor
243 tout » dont nous vivrons ! e. Rougemont Denis de , « ‟Le matin vient et la nuit aussi” », Le Figaro, Paris, 7 juin 1939
6 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Le mensonge allemand (16 août 1945)
244 6 août 1945)g New York, août. « Quelques-uns de mes meilleurs amis sont des Juifs… » commença le bonhomme antisémite,
245 te, affirmant son humanité et sa parfaite liberté d’ esprit. Puis s’étant excepté de la commune sottise, ayant sauvé l’honn
246 a parfaite liberté d’esprit. Puis s’étant excepté de la commune sottise, ayant sauvé l’honneur pour ainsi dire, et donné à
247 insi dire, et donné à tout son discours un cachet d’ objectivité — « Je n’en fais pas une question personnelle, vous voyez
248  » — il put s’abandonner avec ivresse aux délices d’ une diatribe que chacun sait par cœur : « Some of my best friends are
249 le ridicule ; quand on les tue. Dirai-je que j’ai de bons amis antisémites ? Au fait, je ne voulais pas parler du peuple m
250 je ne voulais pas parler du peuple massacré, mais de ses massacreurs. Quelques-uns des Américains que j’estime le plus pen
251 que j’estime le plus pensent qu’il existe encore de « bons Allemands ». Dorothy Thompson par exemple, dont l’influence de
252 t l’influence demeure considérable dans la presse de « gauche modérée ». Et d’autres pensent que non, ainsi Glenway Wescot
253 le démontrer dans un roman intitulé Appartements d’ Athènes (l’a-t-on publié en français ?). Nous avons en commun, d’autre
254 uvernement civil réunit cent personnes, au hasard de la rue, et se met à les interroger. « Êtes-vous nazis ? » Tous jurent
255 and plébiscita cinq fois le régime hitlérien, par d’ écrasantes majorités ? Il doit donc bien y avoir des nazis en Allemagn
256 crates et les bolchéviques ! » Qu’il y ait ou non de « bons Allemands », cette histoire vraie pose le vrai problème. Ce n’
257 istoire vraie pose le vrai problème. Ce n’est pas d’ hier que je l’ai observé : les Allemands ne mentent pas comme nous. Et
258 us. Et c’est un fait fondamental dont il convient de tenir compte quand on parle du « problème allemand ». Ils mentent ave
259 intacte et nous juge. Eux croient, s’ils changent d’ avis par « intérêt vital », que tout a changé dans le monde. Les critè
260 é, c’est « ce qui sert le peuple allemand ». Plan d’ éducation politique pour les nouvelles générations allemandes : leur i
261 lquer dès la plus tendre enfance le respect sacré de la définition légale et objective de quelques mots. Responsable est c
262 espect sacré de la définition légale et objective de quelques mots. Responsable est celui qui a tiré le premier. Battu, ce
263 on vaut pour tous les pays. g. Rougemont Denis de , « Le mensonge allemand », Le Figaro, Paris, 16 août 1945, p. 1.
7 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Un climat tempéré (22 août 1945)
264 oût 1945)h New York, août Une nouvelle vague de chaleur sur New York, et voici les balcons, les terrasses, les jardin
265 uspendus jusqu’au trentième étage qui se couvrent d’ un peuple nu, quêtant un souffle de la mer, un courant d’air de l’East
266 ui se couvrent d’un peuple nu, quêtant un souffle de la mer, un courant d’air de l’East River, quelque soupir… La vie s’ar
267 uple nu, quêtant un souffle de la mer, un courant d’ air de l’East River, quelque soupir… La vie s’arrête. Le business même
268 u, quêtant un souffle de la mer, un courant d’air de l’East River, quelque soupir… La vie s’arrête. Le business même s’alo
269 bent. Le veston sur le bras, on erre dans un bain de vapeur, cherchant les salles réfrigérées où l’on entre le souffle cou
270 les réfrigérées où l’on entre le souffle coupé et d’ où l’on ressort avec un rhume. La semaine dernière, il gelait presque.
271 rver sa garde-robe entière et tout son équipement d’ appareils électriques à chauffer, à glacer, à tempérer, en état de mob
272 triques à chauffer, à glacer, à tempérer, en état de mobilisation permanente, d’un bout à l’autre de l’année. Une bonne pa
273 , à tempérer, en état de mobilisation permanente, d’ un bout à l’autre de l’année. Une bonne partie de ses soucis, de ses i
274 d’un bout à l’autre de l’année. Une bonne partie de ses soucis, de ses inventions, de ses dépenses, vont à neutraliser le
275 autre de l’année. Une bonne partie de ses soucis, de ses inventions, de ses dépenses, vont à neutraliser les sautes d’hume
276 ne bonne partie de ses soucis, de ses inventions, de ses dépenses, vont à neutraliser les sautes d’humeur d’un climat fant
277 s, de ses dépenses, vont à neutraliser les sautes d’ humeur d’un climat fantaisiste à l’extrême, souvent brutal. Comme chaq
278 dépenses, vont à neutraliser les sautes d’humeur d’ un climat fantaisiste à l’extrême, souvent brutal. Comme chaque jour à
279 puis penser aujourd’hui qu’aux climats inhumains de la planète. À ces îles des tropiques où le litre de rhum qu’on boit p
280 la planète. À ces îles des tropiques où le litre de rhum qu’on boit par jour et par personne, enfants compris, n’est qu’u
281 ns polaires sans été. Au faux printemps perpétuel de carte postale qui baigne la cuvette californienne et qui explique cet
282 et qui explique cette irréalité fade et flatteuse de tant de films tournés à Hollywood. Aux toundras, steppes, déserts, pa
283 t la subsistance des vies humaines, c’est au prix d’ un effort épuisant d’adaptation, de protection, de réaction ou de réfr
284 vies humaines, c’est au prix d’un effort épuisant d’ adaptation, de protection, de réaction ou de réfrigération, qui laisse
285 c’est au prix d’un effort épuisant d’adaptation, de protection, de réaction ou de réfrigération, qui laisse peu d’énergie
286 d’un effort épuisant d’adaptation, de protection, de réaction ou de réfrigération, qui laisse peu d’énergie de surcroît. O
287 isant d’adaptation, de protection, de réaction ou de réfrigération, qui laisse peu d’énergie de surcroît. Où trouver un pa
288 , de réaction ou de réfrigération, qui laisse peu d’ énergie de surcroît. Où trouver un pays qui ne harcèle pas l’homme, et
289 ion ou de réfrigération, qui laisse peu d’énergie de surcroît. Où trouver un pays qui ne harcèle pas l’homme, et qui lui l
290 harcèle pas l’homme, et qui lui laisse le loisir d’ être humain, au lieu de le forcer sans trêve à défendre sa vie d’anima
291 au lieu de le forcer sans trêve à défendre sa vie d’ animal ? J’en vois un, c’est peut-être le seul. Là, point de catastrop
292 J’en vois un, c’est peut-être le seul. Là, point de catastrophes naturelles, d’avalanches, de tornades, de volcans, d’inv
293 re le seul. Là, point de catastrophes naturelles, d’ avalanches, de tornades, de volcans, d’invasions de sauterelles ou de
294 , point de catastrophes naturelles, d’avalanches, de tornades, de volcans, d’invasions de sauterelles ou de termites ; rie
295 tastrophes naturelles, d’avalanches, de tornades, de volcans, d’invasions de sauterelles ou de termites ; rien à craindre
296 aturelles, d’avalanches, de tornades, de volcans, d’ invasions de sauterelles ou de termites ; rien à craindre des tremblem
297 ’avalanches, de tornades, de volcans, d’invasions de sauterelles ou de termites ; rien à craindre des tremblements de terr
298 rnades, de volcans, d’invasions de sauterelles ou de termites ; rien à craindre des tremblements de terre, des fleuves env
299 ou de termites ; rien à craindre des tremblements de terre, des fleuves envahissants, des sécheresses périodiques ou de ce
300 uves envahissants, des sécheresses périodiques ou de ces moiteurs dissolvantes. Les quatre saisons bien distinctes s’y suc
301 la nature dont ils jouissent est le climat normal de l’homme. Ils ont raison, s’ils n’oublient pas toutefois que ce climat
302 « normal », la paix, la lumière blanche, l’atome d’ hydrogène, la géométrie d’Euclide, ou le Français moyen, se révèle à l
303 umière blanche, l’atome d’hydrogène, la géométrie d’ Euclide, ou le Français moyen, se révèle à l’analyse du xxe siècle co
304 se révèle à l’analyse du xxe siècle comme autant de cas d’exception, dont il est stupéfiant qu’ils se produisent si l’on
305 le à l’analyse du xxe siècle comme autant de cas d’ exception, dont il est stupéfiant qu’ils se produisent si l’on parcour
306 iques. La France au climat tempéré, avec son type d’ humains normalement adaptés à une nature jugée normale, est une réussi
307 ais c’est par cela même qu’elle se trouve chargée d’ une mission universelle. Pendant des siècles, l’homme a pu y consacrer
308 éniosité à faire des arts, des armes et des lois, de la politique, des robes et une littérature, plus quelques âmes de cli
309 des robes et une littérature, plus quelques âmes de climat dur, de Pascal à Rimbaud, de Calvin à Saint-Just. Chance anorm
310 ne littérature, plus quelques âmes de climat dur, de Pascal à Rimbaud, de Calvin à Saint-Just. Chance anormale : chance de
311 quelques âmes de climat dur, de Pascal à Rimbaud, de Calvin à Saint-Just. Chance anormale : chance de créer, pour l’ensemb
312 de Calvin à Saint-Just. Chance anormale : chance de créer, pour l’ensemble du genre humain, des normes idéales de l’homme
313 ur l’ensemble du genre humain, des normes idéales de l’homme, le luxe même. La France, disposant des énergies que libère u
314 disposant des énergies que libère une nature amie de l’homme, se trouve placée par cette nature même au rang de grande pui
315 e, se trouve placée par cette nature même au rang de grande puissance d’invention — et je prends le mot puissance au sens
316 par cette nature même au rang de grande puissance d’ invention — et je prends le mot puissance au sens de potentiel. Si ell
317 invention — et je prends le mot puissance au sens de potentiel. Si elle doit cesser demain de tirer d’un privilège unique
318 au sens de potentiel. Si elle doit cesser demain de tirer d’un privilège unique les créations qu’on attend d’elle dans to
319 de potentiel. Si elle doit cesser demain de tirer d’ un privilège unique les créations qu’on attend d’elle dans tous les or
320 d’un privilège unique les créations qu’on attend d’ elle dans tous les ordres, que se passera-t-il ? On verra le reste du
321 nde, et pendant des siècles peut-être, s’efforcer de reproduire et de rejoindre par les plus coûteux artifices, ce climat
322 es siècles peut-être, s’efforcer de reproduire et de rejoindre par les plus coûteux artifices, ce climat qu’un Français mo
323 eçoit à son berceau, cadeau des fées, comme point de départ d’une vie vraiment humaine. h. Rougemont Denis de, « Un cli
324 n berceau, cadeau des fées, comme point de départ d’ une vie vraiment humaine. h. Rougemont Denis de, « Un climat tempér
325 d’une vie vraiment humaine. h. Rougemont Denis de , « Un climat tempéré », Le Figaro, Paris, 22 août 1945, p. 1.
8 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). La guerre est morte (5 septembre 1945)
326 orte (5 septembre 1945)i La principale victime de la bombe atomique a été la guerre, qui en est morte en trois jours. S
327 ire — c’était la guerre tout court — elle a moins de chances de renaître et moins d’avenir que les ordres de chevalerie. E
328 it la guerre tout court — elle a moins de chances de renaître et moins d’avenir que les ordres de chevalerie. Et je ne dis
329 rt — elle a moins de chances de renaître et moins d’ avenir que les ordres de chevalerie. Et je ne dis pas que les conflits
330 nces de renaître et moins d’avenir que les ordres de chevalerie. Et je ne dis pas que les conflits vont cesser ; que les f
331 fondre, les frontières s’évanouir, les gangsters de tous ordres modérer leurs ardeurs ; que les microbes vont faire la pa
332 ur métier. Et que par conséquent il n’y aura plus de guerre au sens classique et multimillénaire du mot. « Il y aura toujo
333 ercées au centre, retraites stratégiques, mordant de l’infanterie, ordres du jour électrisants et grands chefs adulés par
334 des bataillons, des trajectoires et des vitesses d’ avions, fait place aux raffinements ultramathématiques de la physique
335 s, fait place aux raffinements ultramathématiques de la physique post-einsteinienne. La question de compétence est tranché
336 es de la physique post-einsteinienne. La question de compétence est tranchée sans réplique au détriment définitif des géné
337 restance, la discipline aveugle, les grands coups de gueule, les traditions de corps, le génie du poker et la cravache, n’
338 eugle, les grands coups de gueule, les traditions de corps, le génie du poker et la cravache, n’ont pas d’emploi dans les
339 orps, le génie du poker et la cravache, n’ont pas d’ emploi dans les laboratoires. Les capitaines au grand cœur et les armé
340 qui s’avanceraient avec une mâle vertu au-devant de la bombe atomique, nous reviendraient après quelques minutes sous for
341 l’appareil militaire qu’ont chanté les Déroulède de tous les temps, appartient en principe aux musées, depuis le 6 août.
342 ont plus servir, à l’occasion, que pour le combat de rues, les petites guerres civiles et autres différends d’intérêt loca
343 les petites guerres civiles et autres différends d’ intérêt local, voire municipal, au titre de la police et des pompiers.
344 érends d’intérêt local, voire municipal, au titre de la police et des pompiers. Il ne faut pas se dissimuler que ce déclas
345 aut pas se dissimuler que ce déclassement brusque de la guerre va provoquer dans le monde entier un sentiment de vague et
346 re va provoquer dans le monde entier un sentiment de vague et vaste frustration. (L’Europe sera plus touchée que l’Amériqu
347 e que l’Amérique.) On ne se guérit pas facilement de l’ablation à chaud d’une coutume ancestrale, du goût des uniformes, d
348 ne se guérit pas facilement de l’ablation à chaud d’ une coutume ancestrale, du goût des uniformes, du jeu des soldats de p
349 strale, du goût des uniformes, du jeu des soldats de plomb, et de l’usage quotidien de métaphores guerrières, intimement l
350 ût des uniformes, du jeu des soldats de plomb, et de l’usage quotidien de métaphores guerrières, intimement lié, depuis La
351 jeu des soldats de plomb, et de l’usage quotidien de métaphores guerrières, intimement lié, depuis Lancelot, à la sexualit
352 , les « grandes parades » qui firent le principal de notre Histoire ? Tel est l’un des problèmes psychologiques que pose a
353 psychologiques que pose au siècle la bipartition d’ un seul atome. Il en est d’autres, dont nous avons parlé abondamment c
354 x voyages ? Ils vont mourir aussi, avec la poésie de la durée, de la distance et de la nostalgie. Jusqu’au jour où l’human
355 ls vont mourir aussi, avec la poésie de la durée, de la distance et de la nostalgie. Jusqu’au jour où l’humanité, sur les
356 si, avec la poésie de la durée, de la distance et de la nostalgie. Jusqu’au jour où l’humanité, sur les traces d’un grand
357 lgie. Jusqu’au jour où l’humanité, sur les traces d’ un grand philosophe, découvrira ce luxe inouï : la lenteur au sein du
358 lenteur au sein du silence. i. Rougemont Denis de , « La guerre est morte », Le Figaro, Paris, 5 septembre 1945, p. 1.
9 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Le dernier des Mohicans (11 octobre 1945)
359 re 1945)j Lake George (USA) Le clapotis doux d’ une pagaie trahit seul le glissement d’un canoë vers le pied du rocher
360 potis doux d’une pagaie trahit seul le glissement d’ un canoë vers le pied du rocher où j’écris. Deux voiles inclinées se c
361 t lentement entre les troncs des pins sur un vert d’ eau limpide. Une grande flèche rouge rase les cimes en silence, devien
362 ue lumineux des collines, et va creuser un sillon d’ or neigeux. Sur l’autre rive, la cloche du couvent des frères pauliste
363 sa lac du Saint-Sacrement pour la pureté lustrale de ses eaux, se nomme aujourd’hui le Lake George et fut le Horicon de Fe
364 icon de Fenimore Cooper, le lieu des aventures et de la mort d’Œil de faucon et du dernier des Mohicans. Rien n’a changé d
365 imore Cooper, le lieu des aventures et de la mort d’ Œil de faucon et du dernier des Mohicans. Rien n’a changé dans le pays
366 Cooper, le lieu des aventures et de la mort d’Œil de faucon et du dernier des Mohicans. Rien n’a changé dans le paysage de
367 es villages et les villes portent encore des noms de Sagamores ou de tribus fameuses : Saratoga, Mohawk ou Ticonderoga. Le
368 es villes portent encore des noms de Sagamores ou de tribus fameuses : Saratoga, Mohawk ou Ticonderoga. Les maisons sont p
369 squ’aux bouleaux enchevêtrés des rives, parcourus d’ écureuils et d’oiseaux-mouches. C’est ici l’Amérique de mon enfance. N
370 x enchevêtrés des rives, parcourus d’écureuils et d’ oiseaux-mouches. C’est ici l’Amérique de mon enfance. Non point la vra
371 reuils et d’oiseaux-mouches. C’est ici l’Amérique de mon enfance. Non point la vraie — il n’y en a point — mais l’une des
372 s — elles le sont presque toutes. Entre les pages de l’exemplaire de Cooper trouvé dans la bibliothèque du salon, une peti
373 t presque toutes. Entre les pages de l’exemplaire de Cooper trouvé dans la bibliothèque du salon, une petite carte de visi
374 é dans la bibliothèque du salon, une petite carte de visite jaunie porte le nom d’un révérend qui fut évêque anglican d’Al
375 n, une petite carte de visite jaunie porte le nom d’ un révérend qui fut évêque anglican d’Albany. Je connais bien son peti
376 orte le nom d’un révérend qui fut évêque anglican d’ Albany. Je connais bien son petit-fils. Roi du pays et chef de tribu p
377 connais bien son petit-fils. Roi du pays et chef de tribu politique, il possède la plupart des maisons riveraines, dont c
378 blicain contre Roosevelt pour l’élection au poste de gouverneur de cet État. Il est tanné comme un Indien, juste juge, rou
379 Roosevelt pour l’élection au poste de gouverneur de cet État. Il est tanné comme un Indien, juste juge, roublard, riche e
380 e Comité pour les étudiants pauvres et démocrates de New York, qu’elle voudrait arracher au « totalitarisme », entendez au
381 ez aux idées communistes. Elle élève des milliers de poulets dans un domaine qu’elle a nommé le « Sommet du Monde », parce
382 nt le lac aux cent îles. L’aînée des filles vient d’ épouser un avocat socialiste et sportif. La seconde est femme de paste
383 vocat socialiste et sportif. La seconde est femme de pasteur. La cadette rêvant d’être actrice, on lui a bâti sur le Somme
384 a seconde est femme de pasteur. La cadette rêvant d’ être actrice, on lui a bâti sur le Sommet du Monde un amphithéâtre de
385 lui a bâti sur le Sommet du Monde un amphithéâtre de pierre où les amateurs du pays jouaient du Shakespeare avant la guerr
386 espeare avant la guerre. Les deux fils, officiers de marine, se sont battus dans le Pacifique. Les disputes politiques, à
387 des T…, semblent passées depuis longtemps au rang de taquineries de famille. Simple question de générations, en apparence.
388 t passées depuis longtemps au rang de taquineries de famille. Simple question de générations, en apparence. On dit le bene
389 u rang de taquineries de famille. Simple question de générations, en apparence. On dit le benedicite avant de s’asseoir et
390 t de s’asseoir et l’on pose au café des problèmes de roman détective. Les Européens vus d’ici, au travers des questions qu
391 raissent inquiétants et inquiets, amers et pleins d’ idées nouvelles. La vie de ce district est restée communale, patriarca
392 quiets, amers et pleins d’idées nouvelles. La vie de ce district est restée communale, patriarcale et paroissiale, dans la
393 la vraie tradition républicaine que « ces gens » de Washington sont en train de détruire à coups de décrets socialisants,
394 » de Washington sont en train de détruire à coups de décrets socialisants, capitalistes et centralisateurs. Point d’usine
395 ialisants, capitalistes et centralisateurs. Point d’ usine au village, mais quatre églises : l’anglicane, la presbytérienne
396 nous sommes ici un peu plus près de Montréal que de New York. L’hôtel se nomme le Sagamore. Un avis discret à l’entrée di
397 aient pas désirés. Des lois « contre les préjugés de race » ayant passé cet hiver dans l’État, la pancarte porte aujourd’h
398 es et protestants. » Les rives, les îles s’ornent de monuments souvent couverts de noms français : morts de Montcalm et mo
399 , les îles s’ornent de monuments souvent couverts de noms français : morts de Montcalm et morts des guerres d’Indépendance
400 numents souvent couverts de noms français : morts de Montcalm et morts des guerres d’Indépendance. La liberté et la démocr
401 français : morts de Montcalm et morts des guerres d’ Indépendance. La liberté et la démocratie montrent ici plus d’un visag
402 ce. La liberté et la démocratie montrent ici plus d’ un visage. Comme ailleurs. Mais ici plus qu’ailleurs, on sent que libe
403 leurs, on sent que liberté signifie quelque chose d’ élémentaire : la possibilité de se mettre à l’abri des menaces naturel
404 ifie quelque chose d’élémentaire : la possibilité de se mettre à l’abri des menaces naturelles et matérielles, d’une sauva
405 e à l’abri des menaces naturelles et matérielles, d’ une sauvagerie profonde à portée de la main. D’où la méticuleuse propr
406 t matérielles, d’une sauvagerie profonde à portée de la main. D’où la méticuleuse propreté des maisons de bois blanc de ce
407 s, d’une sauvagerie profonde à portée de la main. D’ où la méticuleuse propreté des maisons de bois blanc de cette contrée,
408 la main. D’où la méticuleuse propreté des maisons de bois blanc de cette contrée, et la rigidité de sa morale, de ses préj
409 la méticuleuse propreté des maisons de bois blanc de cette contrée, et la rigidité de sa morale, de ses préjugés séculaire
410 ns de bois blanc de cette contrée, et la rigidité de sa morale, de ses préjugés séculaires. Il me semble avoir lu parfois
411 nc de cette contrée, et la rigidité de sa morale, de ses préjugés séculaires. Il me semble avoir lu parfois que l’Amérique
412 rables du continent, l’esprit subtil et ombrageux de l’éternel dernier des Mohicans ! Vaincu, il a conquis l’âme des pionn
413 s sur un avenir planétaire. j. Rougemont Denis de , « Le dernier des Mohicans », Le Figaro, Paris, 11 octobre 1945, p. 1
10 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Le savant et le général (8 novembre 1945)
414 t et le général (8 novembre 1945)k À une heure de New York, à Princeton où je suis en train de m’installer, tout respir
415 , tout respire une paix claustrale. Les bâtiments de l’Université, en style néogothique d’Oxford, dernier confort, s’espac
416 s bâtiments de l’Université, en style néogothique d’ Oxford, dernier confort, s’espacent dans des parcs dont l’automne enco
417 C’est dans ce cadre trop parfait, cette ambiance d’ innocence, de sports et d’ombres vertes, que vivent et pensent quelque
418 e cadre trop parfait, cette ambiance d’innocence, de sports et d’ombres vertes, que vivent et pensent quelques-uns des esp
419 parfait, cette ambiance d’innocence, de sports et d’ ombres vertes, que vivent et pensent quelques-uns des esprits qui auro
420 moi, c’était N., l’un des as du très petit groupe de mathématiciens et de physiciens qui a mis au point la bombe atomique.
421 des as du très petit groupe de mathématiciens et de physiciens qui a mis au point la bombe atomique. Tout à l’heure, deva
422 ma fenêtre, un homme en sweater bleu et pantalon de flanelle passait les cheveux au vent — deux belles touffes blanches e
423 blanches en désordre « génial » — et c’était l’un de mes voisins, Albert Einstein, le patriarche du nouvel âge, le Moïse d
424 met en fuite ma petite fille. À quoi pense-t-il ? De ce cerveau est sortie l’équation qui est en train de bouleverser le m
425 le vois : E = mc2. L’énergie est égale au produit de la masse par le carré de la vitesse lumineuse. On n’a jamais tant dit
426 gie est égale au produit de la masse par le carré de la vitesse lumineuse. On n’a jamais tant dit en si peu de signes. Mai
427 signes. Mais je ne suis pas un physicien, et n’ai d’ autre spécialité que de réfléchir aux conséquences générales des décou
428 pas un physicien, et n’ai d’autre spécialité que de réfléchir aux conséquences générales des découvertes particulières, e
429 mme partout en Amérique — mais dans notre réserve d’ intellectuels avec plus de compétence qu’ailleurs — la discussion sur
430 mais dans notre réserve d’intellectuels avec plus de compétence qu’ailleurs — la discussion sur l’avenir de la Bombe bat s
431 mpétence qu’ailleurs — la discussion sur l’avenir de la Bombe bat son plein. Bien entendu, l’opinion des savants domine to
432 dents et sages. Ils se sentent accusés sourdement d’ avoir causé trois-cent-mille morts et créé une menace planétaire. Auss
433 es serait la fin des hommes, et que le seul moyen de l’empêcher est un gouvernement mondial. Ils partagent mon avis sur l’
434 on avis sur l’inutilité des armées et des flottes de l’air ou de la mer, cependant que les généraux, les journalistes et l
435 l’inutilité des armées et des flottes de l’air ou de la mer, cependant que les généraux, les journalistes et les politicie
436 x, les journalistes et les politiciens continuent de déraisonner comme un seul homme. Le New York Times de ce matin fourni
437 éraisonner comme un seul homme. Le New York Times de ce matin fournit de nouveaux arguments, très puissants mais contradic
438 seul homme. Le New York Times de ce matin fournit de nouveaux arguments, très puissants mais contradictoires, aux deux fac
439 ue, ne peut qu’augmenter l’importance des troupes de terre. C’est bien l’avis qu’on attendait d’un général. Et il illustre
440 oupes de terre. C’est bien l’avis qu’on attendait d’ un général. Et il illustre sa pensée. « Supposez, dit-il, deux savants
441 rrifiante explosion se produit dans le territoire de l’autre. Le processus se poursuit, jusqu’au jour où quelqu’un s’empar
442 se poursuit, jusqu’au jour où quelqu’un s’empare d’ un des boutons : et voilà qui suppose une force armée. » Le général Ma
443 général Marshall ajoute : « Les gens qui parlent d’ une guerre purement technique oublient le fait qu’une pareille guerre
444 s en position, il faut des troupes pour s’emparer d’ une île qui nous servira de base de tir. » Et il conclut que les condi
445 troupes pour s’emparer d’une île qui nous servira de base de tir. » Et il conclut que les conditions fondamentales de la g
446 pour s’emparer d’une île qui nous servira de base de tir. » Et il conclut que les conditions fondamentales de la guerre n’
447  » Et il conclut que les conditions fondamentales de la guerre n’ont pas changé davantage qu’elles ne le firent lors de l’
448 vantage qu’elles ne le firent lors de l’invention de la poudre. Mais trois colonnes plus loin, sur la même page du New Yor
449 s populeux des États-Unis puisse tuer 40 millions d’ Américains ?”, le savant a répondu : “Je crains que oui.” » Or ceci tu
450 la, me semble-t-il. Si impertinent qu’il paraisse de critiquer l’avis d’un militaire que le président Truman déclarait réc
451 Si impertinent qu’il paraisse de critiquer l’avis d’ un militaire que le président Truman déclarait récemment « plus grand
452 infanterie et les chars nécessaires à la conquête d’ une île ou des bases ennemies, il faudra plusieurs heures, sinon plusi
453 . Or au moment où ces troupes partiront, un tiers de la population aura été tué. Pendant le voyage, un autre tiers subira
454 ira probablement le même sort. Imaginons le moral de ces soldats. Ils sauront qu’ils ont peu de chances de recevoir des re
455 es soldats. Ils sauront qu’ils ont peu de chances de recevoir des renforts et des munitions de leur pays, plus qu’à moitié
456 chances de recevoir des renforts et des munitions de leur pays, plus qu’à moitié détruit. Ils verront que la guerre n’a pl
457 oitié détruit. Ils verront que la guerre n’a plus de sens humain. D’ailleurs l’île qu’ils iront conquérir sera déjà réduit
458 campagne en occupant le terrain. Mais dans le cas d’ une guerre atomique, il n’est pas sûr, ni même probable, que l’agresse
459 ni même probable, que l’agresseur juge bien utile de venir disputer à ses victimes des ruines encore radioactives. De même
460 nt ? La guerre n’a plus d’autres secrets que ceux de l’industrie, qui sont ceux de la science, qui n’a d’autre désir que d
461 es secrets que ceux de l’industrie, qui sont ceux de la science, qui n’a d’autre désir que de les publier. Je maintiens qu
462 l’industrie, qui sont ceux de la science, qui n’a d’ autre désir que de les publier. Je maintiens que la guerre est morte,
463 ont ceux de la science, qui n’a d’autre désir que de les publier. Je maintiens que la guerre est morte, la guerre des mili
464 it-il oublié, lorsqu’il parle tout tranquillement d’ « un processus qui se poursuit » ? La discussion, comme on dit, reste
465 haitons qu’elle le reste longtemps. Car il s’agit d’ un problème dont la preuve, si elle était jamais administrée, ne pourr
466 itoire brusquement raréfié. k. Rougemont Denis de , « Le savant et le général », Le Figaro, Paris, 8 novembre 1945, p. 1
11 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Les résultats de la guerre (21 décembre 1945)
467 Les résultats de la guerre (21 décembre 1945)l Depuis des mois, les grandes manchet
468 grandes manchettes sur huit colonnes ont disparu de la première page des journaux américains. Libéré de la pression d’une
469 la première page des journaux américains. Libéré de la pression d’une actualité haletante qui renouvelait chaque matin de
470 ge des journaux américains. Libéré de la pression d’ une actualité haletante qui renouvelait chaque matin depuis six ans se
471 ormes péripéties, l’esprit se sent soudain menacé d’ ennui. Mais en même temps, c’est comme s’il s’éveillait d’une longue t
472 Mais en même temps, c’est comme s’il s’éveillait d’ une longue torpeur stupéfiée. Le temps de réfléchir est revenu. S’il n
473 veillait d’une longue torpeur stupéfiée. Le temps de réfléchir est revenu. S’il n’y a rien dans le journal, cherchons dans
474 ’abord une grande question : qu’est-il donc sorti de cette guerre ? Quelles nouveautés ? Aucune, répondent beaucoup. Rien
475 ouveautés, répondrai-je au contraire. Le triomphe d’ un régime. Une idée. Et une arme. (Je n’ai guère parlé que de ces troi
476 . Une idée. Et une arme. (Je n’ai guère parlé que de ces trois sujets dans mes chroniques précédentes.) Ce régime, c’est l
477 fficielles. Cette idée, c’est l’unité des peuples de la planète, c’est le rêve d’un gouvernement planétaire, c’est la « pe
478 l’unité des peuples de la planète, c’est le rêve d’ un gouvernement planétaire, c’est la « pensée globale », comme disent
479 ent mondial court deux risques principaux : celui d’ être trop faible pour gouverner effectivement, et celui d’être trop fo
480 rop faible pour gouverner effectivement, et celui d’ être trop fort pour que survivent les libertés nationales ou régionale
481 s. Mais si ce gouvernement devient seul détenteur de la bombe atomique, il se voit doté du même coup d’une arme proportion
482 e la bombe atomique, il se voit doté du même coup d’ une arme proportionnée à l’ampleur de sa tâche, qui est de faire la po
483 du même coup d’une arme proportionnée à l’ampleur de sa tâche, qui est de faire la police des nations, et d’une arme qui,
484 me proportionnée à l’ampleur de sa tâche, qui est de faire la police des nations, et d’une arme qui, par nature, serait dé
485 tâche, qui est de faire la police des nations, et d’ une arme qui, par nature, serait démesurée pour un seul peuple, tandis
486 lle planétaire, précisément. Voici donc le danger de faiblesse écarté. D’autre part, le triomphe universel du principe dém
487 sel du principe démocratique fournit une garantie de contrôle des autorités élues, et diminue le danger d’un coup de force
488 ontrôle des autorités élues, et diminue le danger d’ un coup de force opéré contre le pouvoir international par une des nat
489 s autorités élues, et diminue le danger d’un coup de force opéré contre le pouvoir international par une des nations const
490 tions constituantes : la guerre ne vient-elle pas d’ éliminer les dictatures impérialistes ? Ces trois nouveautés, ces troi
491 Ces trois nouveautés, ces trois grands résultats de la lutte dont nous sortons, semblent donc converger vers un seul et m
492 L’idée, la nécessité, et la possibilité pratique d’ un gouvernement fédéral de la planète nous sont apparues simultanément
493 la possibilité pratique d’un gouvernement fédéral de la planète nous sont apparues simultanément. Elles se proposent à l’e
494 nt à l’esprit avec tant de clarté qu’on est tenté d’ y voir l’indication d’une fatalité : il n’est pas d’autre voie pratica
495 t de clarté qu’on est tenté d’y voir l’indication d’ une fatalité : il n’est pas d’autre voie praticable, la raison nous po
496 y voir l’indication d’une fatalité : il n’est pas d’ autre voie praticable, la raison nous pousse à la suivre, nous devons
497 que l’homme est stupide et mauvais, qu’il a peur de voir grand, et qu’il préfère en général ses vieux litiges locaux, qu’
498 nt les peuples une vision simple des possibilités d’ union mondiale qui sont ouvertes désormais, et insister sur le caractè
499 ésormais, et insister sur le caractère inévitable de cette solution : tout nous y mène, et tôt ou tard elle s’imposera, ma
500 si ce n’est par notre action. Ensuite, il s’agit de combattre les obstacles à cette union. Ils sont dans l’étroitesse de
501 stacles à cette union. Ils sont dans l’étroitesse de nos esprits, non pas dans la raison, ni dans les faits. Au premier ra
502 ns les faits. Au premier rang, on ne manquera pas de désigner le nationalisme en plein essor, contrecoup fatal de la guerr
503 le nationalisme en plein essor, contrecoup fatal de la guerre, et fièvre spécifique des démocraties physiquement ou moral
504 déprimées. J’y reviendrai. l. Rougemont Denis de , « Les résultats de la guerre », Le Figaro, Paris, 21 décembre 1945,
505 endrai. l. Rougemont Denis de, « Les résultats de la guerre », Le Figaro, Paris, 21 décembre 1945, p. 1.
12 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Un salon atomique (26 décembre 1945)
506 embre 1945)m Cette capitale qui ne fait partie d’ aucun des États de l’Union m’a toujours paru peu réelle : c’est comme
507 toujours paru peu réelle : c’est comme une ville d’ exposition qu’on aurait décidé de ne pas détruire. Je m’y perds réguli
508 comme une ville d’exposition qu’on aurait décidé de ne pas détruire. Je m’y perds régulièrement, cherchant d’un œil anxie
509 s détruire. Je m’y perds régulièrement, cherchant d’ un œil anxieux l’Obélisque, qui n’est même pas au centre. Faut-il vous
510 ussi le plus atomique. Parmi les sous-secrétaires d’ État, les diplomates et les virtuoses, j’ai trouvé deux ou trois prix
511 ès entourés. — Une campagne atomique, disait l’un d’ eux, orné d’une paire d’énormes sourcils blancs, laisserait environ 2 
512 — Une campagne atomique, disait l’un d’eux, orné d’ une paire d’énormes sourcils blancs, laisserait environ 2 % de la popu
513 gne atomique, disait l’un d’eux, orné d’une paire d’ énormes sourcils blancs, laisserait environ 2 % de la population améri
514 d’énormes sourcils blancs, laisserait environ 2 % de la population américaine, grattant la terre entre les ruines, pour y
515 im, he is fascinating ! J’observai que la panique de l’an mille, dont on pouvait penser que la Bombe allait renouveler l’h
516 ire sauter la terre ? — Cela se discute… Certains de mes collègues ont envisagé l’hypothèse, et sont de l’avis qu’elle n’e
517 e mes collègues ont envisagé l’hypothèse, et sont de l’avis qu’elle n’est pas improbable. D’autres, comme moi, pensent qu’
518 oi, pensent qu’on ne fera sauter que des tranches de l’écorce terrestre, comme si vous peliez une orange. Les dames étaien
519 tion devint générale. Le savant se montrait plein d’ humour. On n’avait jamais été plus plaisant à propos de massacres en m
520 e me suis mis à réfléchir, et m’étant égaré comme de coutume, j’ai eu le temps de trouver une ou deux conclusions avant la
521 m’étant égaré comme de coutume, j’ai eu le temps de trouver une ou deux conclusions avant la maison de mes hôtes, d’où je
522 e trouver une ou deux conclusions avant la maison de mes hôtes, d’où je vous écris. En fait, nous sommes devant l’an mille
523 ou deux conclusions avant la maison de mes hôtes, d’ où je vous écris. En fait, nous sommes devant l’an mille. Tous les pro
524 des termes urgents et concrets. Quel est le sens de la vie si elle finit demain ? Qu’est-ce que cette mort de l’homme cau
525 e si elle finit demain ? Qu’est-ce que cette mort de l’homme causée par son génie ? Pourquoi l’intelligence conduit-elle a
526 J’arpentais des avenues interminables, sillonnées de taxis bondés. Je me disais : on discute gentiment dans les salons la
527 discute gentiment dans les salons la possibilité de faire sauter la planète. Les événements qui dépassent l’imagination —
528 sent plus qu’ils n’angoissent. D’ailleurs, l’idée d’ un naufrage commun ou d’une explosion unanime nous paraît plutôt rassu
529 ssent. D’ailleurs, l’idée d’un naufrage commun ou d’ une explosion unanime nous paraît plutôt rassurante. C’est le danger o
530 rtout par la comparaison avec la meilleure chance d’ autrui. Or la Bombe détruirait probablement toute possibilité de compa
531 a Bombe détruirait probablement toute possibilité de comparaison. Les événements mondiaux ne nous saisissent que par les f
532 s mondiaux ne nous saisissent que par les franges de notre vanité, ou par quelques répercussions accidentelles sur nos amo
533 laisse les hommes aussi indifférents que le sort de l’humanité, dont les chefs d’État parlent tant… J’ai fini par trouver
534 rentrant du Pacifique, s’y racontaient le détail de leurs campagnes. Aucun d’eux ne donnait l’impression de s’être battu
535 y racontaient le détail de leurs campagnes. Aucun d’ eux ne donnait l’impression de s’être battu pour l’idéal démocratique.
536 rs campagnes. Aucun d’eux ne donnait l’impression de s’être battu pour l’idéal démocratique. Ils m’ont demandé le résultat
537 comment l’arrière trahit ! m. Rougemont Denis de , « Un salon atomique », Le Figaro, Paris, 26 décembre 1945, p. 1.
13 1946, Le Figaro, articles (1939–1953). Pour la suppression des visas (23 avril 1946)
538 ion des visas (23 avril 1946)n On m’écrit cela de Paris et l’on ajoute que je ferais bien de rentrer, sous peine de ne
539 t cela de Paris et l’on ajoute que je ferais bien de rentrer, sous peine de ne pas comprendre la réalité européenne en gén
540 rançaise en particulier. Je pourrais me contenter de répondre : c’est plutôt vous qui devriez sortir, sous peine de ne pas
541 té mondiale. Après tout, il y a quarante millions de Français, deux-mille-millions d’habitants de la planète, non moins ré
542 uarante millions de Français, deux-mille-millions d’ habitants de la planète, non moins réels, guère moins accablés de prob
543 ions de Français, deux-mille-millions d’habitants de la planète, non moins réels, guère moins accablés de problèmes. Mais
544 la planète, non moins réels, guère moins accablés de problèmes. Mais je ne cherche pas à m’en tirer par une réplique, même
545 e cherche pas à m’en tirer par une réplique, même de bon sens, et j’ai quelques raisons de prendre la France plus au série
546 lique, même de bon sens, et j’ai quelques raisons de prendre la France plus au sérieux, plus au tragique, que les chiffres
547 uropéens devraient aller s’il s’agissait pour eux de partir. Je vois les avantages de l’Amérique et ses défauts, mieux qu’
548 gissait pour eux de partir. Je vois les avantages de l’Amérique et ses défauts, mieux qu’ils ne sont en mesure de les imag
549 ue et ses défauts, mieux qu’ils ne sont en mesure de les imaginer. Cela se discuterait à l’infini. Il n’est qu’une solutio
550 ait à l’infini. Il n’est qu’une solution, qui est d’ aller voir, et d’essayer le pays comme un nouveau costume. Et je me di
551 l n’est qu’une solution, qui est d’aller voir, et d’ essayer le pays comme un nouveau costume. Et je me dis que le problème
552 dis que le problème est mal posé. Il ne s’agit ni de « partir » ni de rester, au sens pathétique de ces mots. Il s’agit si
553 me est mal posé. Il ne s’agit ni de « partir » ni de rester, au sens pathétique de ces mots. Il s’agit simplement de circu
554 ni de « partir » ni de rester, au sens pathétique de ces mots. Il s’agit simplement de circuler. Ce n’est pas très facile,
555 sens pathétique de ces mots. Il s’agit simplement de circuler. Ce n’est pas très facile, pratiquement ? Mais partir, ou re
556 pose le problème. Supposez que nous soyons libres de circuler à notre guise. Je répondrais sans hésiter : il ne s’agit ni
557 ise. Je répondrais sans hésiter : il ne s’agit ni de choisir une terre et ses morts contre le globe et ses vivants ; ni de
558 et ses morts contre le globe et ses vivants ; ni de choisir le nomadisme permanent et l’exil par principe ou dégoût. Mais
559 et l’exil par principe ou dégoût. Mais simplement de vivre au xxe siècle, en tenant compte des réalités que nous avons cr
560 lités que nous avons créées ou laissé s’imposer ; de la rapidité des transports, par exemple. Combien d’hommes d’aujourd’h
561 la rapidité des transports, par exemple. Combien d’ hommes d’aujourd’hui vivent leur temps et se trouvent pratiquement en
562 ité des transports, par exemple. Combien d’hommes d’ aujourd’hui vivent leur temps et se trouvent pratiquement en mesure de
563 leur temps et se trouvent pratiquement en mesure de le vivre ? Combien sont-ils encore du Moyen Âge, ou du bourgeois et l
564 bourgeois et lent xixe siècle ! Serait-ce manque d’ imagination ? Certes, il en faut une dose non ordinaire pour se rendre
565 ne dose non ordinaire pour se rendre contemporain d’ un monde qui change beaucoup plus vite que Jules Verne n’a pu le rêver
566 e furieuse et inutile ne régnait pas sur le monde d’ après-guerre, le problème partir ou rester se résoudrait en termes sim
567 lemme. Le fait est là : nous allons en dix heures de Lisbonne à New York au Pacifique. Un très long voyage aujourd’hui nou
568 jourd’hui nous ramènerait nécessairement au point de départ, après un petit tour de planète. Nous changeons de continent c
569 sairement au point de départ, après un petit tour de planète. Nous changeons de continent comme on part en week-end. Le mo
570 t, après un petit tour de planète. Nous changeons de continent comme on part en week-end. Le mot partir a donc changé de s
571 on part en week-end. Le mot partir a donc changé de sens. Il a perdu son aura dramatique. Plus question de couper les pon
572 ns. Il a perdu son aura dramatique. Plus question de couper les ponts, de brûler ses pénates, et autres rites attestant de
573 ra dramatique. Plus question de couper les ponts, de brûler ses pénates, et autres rites attestant devant les mânes des an
574 t partir annonce revenir comme on prend un billet d’ aller et retour. La poésie des voyages a vécu, la tragédie des départs
575 peut naître parmi nous, c’est un amour plus large de l’humain, une conception de la fidélité qui ne soit plus exclusive de
576 t un amour plus large de l’humain, une conception de la fidélité qui ne soit plus exclusive de la curiosité, un accueil pl
577 ception de la fidélité qui ne soit plus exclusive de la curiosité, un accueil plus ferme et plus souple de la diversité de
578 a curiosité, un accueil plus ferme et plus souple de la diversité des êtres et des coutumes. Aimez votre terre et quittez-
579 Le paysan n’aime que sa terre, ne l’aime donc pas de la meilleure manière, s’il refuse tout le reste, et la comparaison. I
580 . Il faut s’ouvrir. Il faut aimer. Il faut cesser de trouver cela nigaud, et de faire le coq de village tout hérissé, grif
581 aimer. Il faut cesser de trouver cela nigaud, et de faire le coq de village tout hérissé, griffu, inefficace. Circulez do
582 cesser de trouver cela nigaud, et de faire le coq de village tout hérissé, griffu, inefficace. Circulez donc, allez voir,
583 es visas. N’acceptons pas que cet accident tardif de la démence nationaliste dénature le problème humain. Lançons une camp
584 campagne mondiale pour la suppression des visas, de ces anachronismes scandaleux qui nous empêchent de rejoindre le siècl
585 e ces anachronismes scandaleux qui nous empêchent de rejoindre le siècle, de l’habiter et d’user de ses dons. Forçons les
586 daleux qui nous empêchent de rejoindre le siècle, de l’habiter et d’user de ses dons. Forçons les gouvernants à nous répon
587 empêchent de rejoindre le siècle, de l’habiter et d’ user de ses dons. Forçons les gouvernants à nous répondre : à quoi ser
588 nt de rejoindre le siècle, de l’habiter et d’user de ses dons. Forçons les gouvernants à nous répondre : à quoi servent ce
589 nts à nous répondre : à quoi servent ces barrages de tampons ? Comment peut-on les justifier ? Ils n’ont pas arrêté un seu
590 s arrêté un seul espion, tout en causant la perte de milliers d’innocents. Ils rendent vains les progrès matériels dont no
591 seul espion, tout en causant la perte de milliers d’ innocents. Ils rendent vains les progrès matériels dont notre époque p
592 u’une seule voix proteste ? n. Rougemont Denis de , « Pour la suppression des visas », Le Figaro, Paris, 23 avril 1946,
14 1946, Le Figaro, articles (1939–1953). Les nouveaux aspects du problème allemand (30 mai 1946)
593 ève, 29 mai. Débarquant en Europe après cinq ans d’ absence, je n’y trouve plus d’Allemagne mais une question allemande. E
594 rope après cinq ans d’absence, je n’y trouve plus d’ Allemagne mais une question allemande. Et ce qui me frappe d’abord, c’
595 ion allemande. Et ce qui me frappe d’abord, c’est de la trouver posée de manière si contradictoire pour peu que je passe u
596 qui me frappe d’abord, c’est de la trouver posée de manière si contradictoire pour peu que je passe une frontière. Sujet
597 ctoire pour peu que je passe une frontière. Sujet de crainte en deçà du Jura, occasion de pitié au-delà. Mais je m’aperçoi
598 tière. Sujet de crainte en deçà du Jura, occasion de pitié au-delà. Mais je m’aperçois aussitôt que ce contraste n’est si
599 n bien différente. Beaucoup de Français, rentrant de Suisse, s’étonnent de voir que chez des neutres on manifeste tant de
600 ucoup de Français, rentrant de Suisse, s’étonnent de voir que chez des neutres on manifeste tant de haine pour les Alleman
601 les Allemands. Et beaucoup de Suisses s’étonnent de voir des résistants parler avec humanité de leurs bourreaux… Cependan
602 nnent de voir des résistants parler avec humanité de leurs bourreaux… Cependant, je rencontre aussi quelques Français qui,
603 quelques Français qui, avant la guerre refusaient de croire Hitler si dangereux que ça, et qui, maintenant que Hitler est
604 toujours violemment répugné à la lâcheté civique de l’Allemand autant qu’à la brutalité de ses chefs, se préoccupent, auj
605 té civique de l’Allemand autant qu’à la brutalité de ses chefs, se préoccupent, aujourd’hui, de le « guérir » plutôt que d
606 talité de ses chefs, se préoccupent, aujourd’hui, de le « guérir » plutôt que de l’enfermer dans sa misère. Ces deux derni
607 ccupent, aujourd’hui, de le « guérir » plutôt que de l’enfermer dans sa misère. Ces deux dernières prises de position, min
608 nfermer dans sa misère. Ces deux dernières prises de position, minoritaires sans doute, mais seules capables de définir un
609 on, minoritaires sans doute, mais seules capables de définir une politique, appellent plus que les autres un commentaire.
610 plus que les autres un commentaire. Une guerre de retard Sous la rubrique « Problème allemand », nombre de journaux
611 Sous la rubrique « Problème allemand », nombre de journaux parisiens me semblent s’occuper principalement du statut de
612 ns me semblent s’occuper principalement du statut de la Ruhr, d’alliances préventives et de garanties à obtenir contre un
613 nt s’occuper principalement du statut de la Ruhr, d’ alliances préventives et de garanties à obtenir contre un réarmement s
614 du statut de la Ruhr, d’alliances préventives et de garanties à obtenir contre un réarmement secret du Reich. Les aspects
615 -t-on leur accorder le premier rang dans un ordre d’ urgence. Et soudain je me demande non sans angoisse : n’est-on pas en
616 fallu prendre, et maintenir en dépit des Anglais, de 1919 à 1938 ? N’est-on pas en train de bien poser, mais avec toute un
617 n train de bien poser, mais avec toute une guerre de retard, une question qui n’existe plus ? Ou qui s’est totalement tran
618 t transformée ? Quand je disais dans mon Journal d’ Allemagne  : attention, c’est très grave, ils ne songent qu’à la guerr
619 sagréable. Certains allèrent jusqu’à me reprocher de servir la cause ennemie en décrivant la puissance d’Hitler, au lieu d
620 servir la cause ennemie en décrivant la puissance d’ Hitler, au lieu d’en rire et de répéter qu’il n’avait pas l’appui des
621 ivant la puissance d’Hitler, au lieu d’en rire et de répéter qu’il n’avait pas l’appui des masses prolétariennes. C’était
622 tention, cette fois-ci, sur un « péril allemand » d’ une tout autre nature ? J’en prends le risque. Voici les faits tels qu
623 industrie prête pour la lutte, et ses 80 millions d’ habitants. Aujourd’hui le colosse est à terre et deux super-colosses s
624 t levés, projetant leurs ombres démesurées — l’un de tout près — sur les débris d’un Reich amputé d’un bon tiers. Va-t-on
625 s démesurées — l’un de tout près — sur les débris d’ un Reich amputé d’un bon tiers. Va-t-on trembler devant le fantôme d’u
626 n de tout près — sur les débris d’un Reich amputé d’ un bon tiers. Va-t-on trembler devant le fantôme d’un empire que l’on
627 ’un bon tiers. Va-t-on trembler devant le fantôme d’ un empire que l’on n’avait pas su redouter de la bonne manière quand i
628 tôme d’un empire que l’on n’avait pas su redouter de la bonne manière quand il vivait ? Les grands vivants du jour sont l’
629 emagne et la France. À vrai dire, on ne voit plus de conflit. La France n’est plus en face d’une Puissance, mais d’un vast
630 a France n’est plus en face d’une Puissance, mais d’ un vaste glacis désolé sur lequel s’allonge et se cherchent les deux g
631 . Considérons dans cette perspective les craintes de ceux qui vont disant : « Ne retombons pas dans les erreurs anciennes 
632 tre la France et l’Union soviétique : 50 millions d’ Allemands, au plus, que touchent 200 millions de Russes. Que se passer
633 s d’Allemands, au plus, que touchent 200 millions de Russes. Que se passera-t-il ? Seuls, ils ne peuvent attaquer la Franc
634 t dernières années, ils ne peuvent être plus rien d’ autre que la pointe d’une offensive russe, ou d’une offensive européo-
635 s ne peuvent être plus rien d’autre que la pointe d’ une offensive russe, ou d’une offensive européo-américaine. D’où il su
636 n d’autre que la pointe d’une offensive russe, ou d’ une offensive européo-américaine. D’où il suit que le problème alleman
637 ive russe, ou d’une offensive européo-américaine. D’ où il suit que le problème allemand, considéré sur les plans politique
638 s. Mais il y a bien d’autres plans ! Il y a celui de la santé morale de l’Europe. Et c’est cela que je crains qu’on oublie
639 d’autres plans ! Il y a celui de la santé morale de l’Europe. Et c’est cela que je crains qu’on oublie, à trop parler Ruh
640 uhr, garanties, réarmement. Dans l’état où menace de la laisser un politique de répression négative et anachronique, l’All
641 Dans l’état où menace de la laisser un politique de répression négative et anachronique, l’Allemagne est un danger nouvea
642 st un danger nouveau bien aussi grave qu’au temps d’ Hitler. C’est un enfer à notre porte. Et rien n’est aussi contagieux.
643 rte. Et rien n’est aussi contagieux. Il s’agirait de l’exorciser. Mais l’attitude que je viens de décrire me paraît propre
644 ans sa partie alémanique surtout, entretenait peu d’ illusions, jusqu’en 1939, au sujet du régime hitlérien. Zurich et Bâle
645 ien. Zurich et Bâle étaient sans doute les villes d’ Europe qui se sentaient les plus directement menacées, non seulement e
646 attachaient la Suisse allemande aux sources vives de sa culture et de sa langue. Ce qu’on ne pardonnait pas à Hitler et à
647 isse allemande aux sources vives de sa culture et de sa langue. Ce qu’on ne pardonnait pas à Hitler et à Goebbels, c’était
648 ne pardonnait pas à Hitler et à Goebbels, c’était de dénaturer le germanisme et de ravager l’espace vital qu’avait toujour
649 à Goebbels, c’était de dénaturer le germanisme et de ravager l’espace vital qu’avait toujours été l’Allemagne pour les sav
650 s théologiens, les commerçants et les industriels de la petite patrie de Gottfried Keller. Et c’est pourquoi la résistance
651 ommerçants et les industriels de la petite patrie de Gottfried Keller. Et c’est pourquoi la résistance morale des Suisses,
652 ucieusement prudente. On était presque à la merci de l’ennemi, mais on le connaissait par l’intérieur, et l’on savait qu’i
653 par l’intérieur, et l’on savait qu’il s’agissait de vie ou de mort, sans compromis imaginable. Je me rappelle ces écoles
654 érieur, et l’on savait qu’il s’agissait de vie ou de mort, sans compromis imaginable. Je me rappelle ces écoles de Zurich
655 s compromis imaginable. Je me rappelle ces écoles de Zurich rétablissant l’usage du dialecte cantonal, en haine de l’allem
656 tablissant l’usage du dialecte cantonal, en haine de l’allemand officiel ; et la méfiance glaciale que je m’attirais en pa
657 irais en parlant le hochdeutsch dans les magasins de Berne : on me répondait en français, et tant pis pour l’accent et les
658 chez les meilleurs et les mieux informés un élan de pitié. Non pas de pitié sentimentale. (Qu’on ne pense pas un instant
659 s et les mieux informés un élan de pitié. Non pas de pitié sentimentale. (Qu’on ne pense pas un instant que la Suisse s’es
660 a Suisse s’est mise à aimer les Allemands !) mais de pitié active, j’entends par là : de volonté d’aider un peuple que l’o
661 mands !) mais de pitié active, j’entends par là : de volonté d’aider un peuple que l’on tient cependant pour coupable d’un
662 is de pitié active, j’entends par là : de volonté d’ aider un peuple que l’on tient cependant pour coupable d’une catastrop
663 un peuple que l’on tient cependant pour coupable d’ une catastrophe continentale et responsable du sort effrayant qu’il su
664 ques, la question allemande, aujourd’hui, se pose de la manière suivante : Voici un pays abattu comme jamais pays ne le fu
665 ut ; voici un peuple qui se réveille du cauchemar d’ un bombardement moral, politique et physique dont chaque phase a duré
666 quatre ans. Il remonte des abris, dans les ruines de ses villes, pour découvrir qu’il n’a plus de gouvernement, qu’il est
667 ines de ses villes, pour découvrir qu’il n’a plus de gouvernement, qu’il est entièrement occupé par quatre armées étrangèr
668 quatre armées étrangères, qu’il a perdu un tiers de son territoire à l’Est, qu’il n’a plus de quoi manger et qu’au surplu
669 n tiers de son territoire à l’Est, qu’il n’a plus de quoi manger et qu’au surplus, loin qu’on le plaigne, on l’accuse form
670 , loin qu’on le plaigne, on l’accuse formellement de s’être rendu coupable du crime le plus énorme de l’Histoire. Une c
671 de s’être rendu coupable du crime le plus énorme de l’Histoire. Une conception réaliste et prudente Que faut-il fai
672 aliste et prudente Que faut-il faire vis-à-vis d’ un tel peuple ? Il faut l’aider à redevenir humain. Il faut premièreme
673 son autarcie morale, l’ouvrir aux grands courants de l’Europe et du Monde ; enfin, il faut lui proposer un rôle normal, ni
674 ropéenne. Tout cela revient à le mettre en mesure de reconnaître sa culpabilité, et de se guérir de sa névrose. Cette conc
675 ettre en mesure de reconnaître sa culpabilité, et de se guérir de sa névrose. Cette conception me paraît réaliste, et prud
676 re de reconnaître sa culpabilité, et de se guérir de sa névrose. Cette conception me paraît réaliste, et prudente autant q
677 s un état-major, dans un parti, dans une doctrine de conquête, ou dans une religion du sang. Le danger allemand aujourd’hu
678 lemand aujourd’hui, c’est qu’il ne crée au centre de l’Europe un terrain vague, non pas peuplé, mais hanté par cinquante m
679 non pas peuplé, mais hanté par cinquante millions de prolétaires politiques, irresponsables et sans espoir, candidats au s
680 es Alliés sauront-ils choisir entre une politique de camisole de force, propre à créer des fous furieux, et une politique
681 uront-ils choisir entre une politique de camisole de force, propre à créer des fous furieux, et une politique de cure sévè
682 propre à créer des fous furieux, et une politique de cure sévère, propre à guérir un peuple intoxiqué ? Je pressens que l’
683 un peuple intoxiqué ? Je pressens que l’exercice de la seconde méthode n’aurait pas seulement pour effet de rendre à l’Eu
684 seconde méthode n’aurait pas seulement pour effet de rendre à l’Europe une nation, mais aussi de prévenir chez les vainque
685 effet de rendre à l’Europe une nation, mais aussi de prévenir chez les vainqueurs la contagion d’un mal partout latent.
686 ussi de prévenir chez les vainqueurs la contagion d’ un mal partout latent. o. Rougemont Denis de, « Les nouveaux aspe
687 d’un mal partout latent. o. Rougemont Denis de , « Les nouveaux aspects du problème allemand », Le Figaro, Paris, 30
688 Denis de Rougemont, avait publié avant la guerre de prophétiques études sur l’Allemagne hitlérienne. Après un long séjour
689 lui avons demandé ses impressions sur l’Allemagne d’ aujourd’hui. De Suisse, son pays natal, plateforme d’observation excel
690 dé ses impressions sur l’Allemagne d’aujourd’hui. De Suisse, son pays natal, plateforme d’observation excellente, il nous
691 ujourd’hui. De Suisse, son pays natal, plateforme d’ observation excellente, il nous envoie l’article que nous publions ici
15 1946, Le Figaro, articles (1939–1953). Demain la bombe, ou une chance d’en finir avec la terre (30 juin 1946)
692 Demain la bombe, ou une chance d’ en finir avec la terre (30 juin 1946)q Il est des lieux où souffle
693 in 1946)q Il est des lieux où souffle l’esprit de destruction. Herman Melville, grand romancier américain du dernier si
694 du dernier siècle, décrivant les Îles enchantées d’ un archipel du Pacifique, disait qu’elles « évoquent assez bien l’imag
695 les, malignement réduites en cendres : des pommes de Sodome après le contact flétrisseur… Le principal bruit vivant, ici,
696 vraiment plutonien ». Il y a près de trois quarts de siècle que Melville eut cette vision prophétique, et d’une peu croyab
697 cle que Melville eut cette vision prophétique, et d’ une peu croyable précision, de Bikini telle qu’elle sera demain, après
698 ion prophétique, et d’une peu croyable précision, de Bikini telle qu’elle sera demain, après le « sifflement » d’une bombe
699 elle qu’elle sera demain, après le « sifflement » d’ une bombe « plutonienne » qui « réduira malignement en cendres » et en
700 mes masses vitrifiées » les coraux, les vaisseaux de guerre et les cochons en uniforme qu’on y a mis en place d’équipages.
701 et les cochons en uniforme qu’on y a mis en place d’ équipages. Opération-carrefour vraiment. Carrefour de la panique et d
702 uipages. Opération-carrefour vraiment. Carrefour de la panique et de l’orgueil humain. Carrefour d’une guerre enfin total
703 on-carrefour vraiment. Carrefour de la panique et de l’orgueil humain. Carrefour d’une guerre enfin totale et d’une paix e
704 r de la panique et de l’orgueil humain. Carrefour d’ une guerre enfin totale et d’une paix enfin mondiale. Mais l’idée même
705 il humain. Carrefour d’une guerre enfin totale et d’ une paix enfin mondiale. Mais l’idée même de carrefour évoque celle d’
706 le et d’une paix enfin mondiale. Mais l’idée même de carrefour évoque celle d’une incertitude. Non seulement nous ne savon
707 diale. Mais l’idée même de carrefour évoque celle d’ une incertitude. Non seulement nous ne savons pas dans quelles voies n
708 elles voies nous engagent ces expériences — celle de demain et celle, beaucoup plus grave, projetée pour la fin du mois —,
709 re nous sommes dans un doute entretenu par nombre de savants quant à leurs effets immédiats. Depuis des mois, en Amérique,
710 rance, on nous prédit des catastrophes possibles, de dimensions continentales. Un physicien de New York a cru de son devoi
711 sibles, de dimensions continentales. Un physicien de New York a cru de son devoir d’avertir son gouvernement que l’évapora
712 ons continentales. Un physicien de New York a cru de son devoir d’avertir son gouvernement que l’évaporation instantanée d
713 les. Un physicien de New York a cru de son devoir d’ avertir son gouvernement que l’évaporation instantanée de dizaines de
714 ir son gouvernement que l’évaporation instantanée de dizaines de millions de litres d’eau provoquerait un tel raz-de-marée
715 rnement que l’évaporation instantanée de dizaines de millions de litres d’eau provoquerait un tel raz-de-marée que le Délu
716 l’évaporation instantanée de dizaines de millions de litres d’eau provoquerait un tel raz-de-marée que le Déluge, en compa
717 ion instantanée de dizaines de millions de litres d’ eau provoquerait un tel raz-de-marée que le Déluge, en comparaison, n’
718 e Déluge, en comparaison, n’aurait été qu’un bain de pieds. D’autres nous parlent d’une contamination des atomes d’uranium
719 it été qu’un bain de pieds. D’autres nous parlent d’ une contamination des atomes d’uranium nageant dans l’Océan. Ou de nua
720 utres nous parlent d’une contamination des atomes d’ uranium nageant dans l’Océan. Ou de nuages radioactifs qui se promèner
721 ion des atomes d’uranium nageant dans l’Océan. Ou de nuages radioactifs qui se promèneraient autour du globe, semant la mo
722 est pour demain. À cette apathie plus qu’étrange de l’opinion et de ses organes, je distingue au moins trois raisons. La
723 . À cette apathie plus qu’étrange de l’opinion et de ses organes, je distingue au moins trois raisons. La première, c’est
724 remière, c’est que la mort en masse, ou la menace d’ une mort instantanée s’abattant au hasard sur tout un peuple, effraye
725 t un enfant que rien au monde ne saurait empêcher de jouer avec les allumettes. Et tant de gens s’ennuient sur la Terre, q
726 ième raison est la plus remarquable. Si la menace d’ un raz-de-marée continental — pour si faibles qu’en soient les chances
727 ces — n’a pas déclenché en retour un raz-de-marée de protestations dans le monde entier, c’est qu’on affirme que l’opérati
728 te de français) réduisent au silence toute espèce d’ objection humanitaire ou même scientifique. Posons ici une question gr
729 oir au monde qu’il va se livrer à des expériences de cet ordre, « dans un but » de connaissance pure, de poésie, de philos
730 r à des expériences de cet ordre, « dans un but » de connaissance pure, de poésie, de philosophie, ou de lucre, ou de simp
731 cet ordre, « dans un but » de connaissance pure, de poésie, de philosophie, ou de lucre, ou de simples amusement ? Quel t
732 « dans un but » de connaissance pure, de poésie, de philosophie, ou de lucre, ou de simples amusement ? Quel tollé mondia
733 connaissance pure, de poésie, de philosophie, ou de lucre, ou de simples amusement ? Quel tollé mondial, aussitôt ! Quel
734 pure, de poésie, de philosophie, ou de lucre, ou de simples amusement ? Quel tollé mondial, aussitôt ! Quel fracas de cri
735 ment ? Quel tollé mondial, aussitôt ! Quel fracas de cris au fou ! au gaspillage ! à l’existentialisme ou au surréalisme !
736 eux le plus méthodique a présidé à la préparation d’ une expérience dont l’utilité n’est point trop claire, si l’un des ris
737 rit, ne ricane, ou ne hurle. Serait-ce qu’au fond de nous-mêmes, à l’insu de nous-mêmes, au tréfonds de notre inconscient,
738 rle. Serait-ce qu’au fond de nous-mêmes, à l’insu de nous-mêmes, au tréfonds de notre inconscient, la guerre nous plaît ?
739 e nous-mêmes, à l’insu de nous-mêmes, au tréfonds de notre inconscient, la guerre nous plaît ? Il est clair que nous juron
740 nuie jamais... Si c’était vrai, il n’y aurait pas de guerres. (Je ne parle pas de tel ou tel pays, mais de l’ensemble de l
741 i, il n’y aurait pas de guerres. (Je ne parle pas de tel ou tel pays, mais de l’ensemble de l’humanité.) Et maintenant, ve
742 uerres. (Je ne parle pas de tel ou tel pays, mais de l’ensemble de l’humanité.) Et maintenant, veuillez écouter la retrans
743 parle pas de tel ou tel pays, mais de l’ensemble de l’humanité.) Et maintenant, veuillez écouter la retransmission planét
744 nt, veuillez écouter la retransmission planétaire de la première répétition des trompettes fracassantes de l’Apocalypse, —
745 a première répétition des trompettes fracassantes de l’Apocalypse, — « et le tiers des navires périt ». Si c’est un four,
746 r, comme certains le prévoient, je vous conseille de n’en pas rire, ou pas si vite : attendons le grand concert de la fin
747 rire, ou pas si vite : attendons le grand concert de la fin de juillet. q. Rougemont Denis de, « Demain la bombe ou la
748 as si vite : attendons le grand concert de la fin de juillet. q. Rougemont Denis de, « Demain la bombe ou la chance d’e
749 ncert de la fin de juillet. q. Rougemont Denis de , « Demain la bombe ou la chance d’en finir avec la terre », Le Figaro
750 ougemont Denis de, « Demain la bombe ou la chance d’ en finir avec la terre », Le Figaro, Paris, 1 juillet 1946, p. 1.
16 1947, Le Figaro, articles (1939–1953). Le droit d’opposition (3 avril 1947)
751 Le droit d’ opposition (3 avril 1947)r Il s’agissait de « démocratiser » l’Alle
752 oit d’opposition (3 avril 1947)r Il s’agissait de « démocratiser » l’Allemagne. On en parlait depuis des années. Divers
753 ique, ou même la dictature, en l’occurrence celle d’ un parti qui se fût nommé démocratique pour éviter toute confusion. C’
754 endant un peu confus. Subitement, à la conférence de Moscou, quelqu’un propose une méthode, aussi simple que neuve en ce d
755 isse — et il le fait sur l’heure — les conditions d’ une vraie démocratie, et puis qu’on les crée en Allemagne. Inutile de
756 tie, et puis qu’on les crée en Allemagne. Inutile de dire que l’auteur de cette proposition déconcertante n’est pas un vie
757 s crée en Allemagne. Inutile de dire que l’auteur de cette proposition déconcertante n’est pas un vieux routier de la poli
758 position déconcertante n’est pas un vieux routier de la politique. C’est un général : il a gardé le réflexe de désigner ne
759 litique. C’est un général : il a gardé le réflexe de désigner nettement l’objectif. Et c’est un Américain : il se souvient
760 ’objectif. Et c’est un Américain : il se souvient de l’œuf de Colomb. De plus, il voudrait bien que les Russes s’expliquen
761 . Et c’est un Américain : il se souvient de l’œuf de Colomb. De plus, il voudrait bien que les Russes s’expliquent. M. Mol
762 Russes s’expliquent. M. Molotov demande le temps de réfléchir. Pour occuper l’attente, la presse soviétique se livre à d’
763 ccuper l’attente, la presse soviétique se livre à d’ habiles variations sur un thème prévu : « Entre la théorie de la démoc
764 ariations sur un thème prévu : « Entre la théorie de la démocratie et sa pratique, dit-elle, il y a souvent d’énormes diff
765 mocratie et sa pratique, dit-elle, il y a souvent d’ énormes différences. » Elle marque les différences qu’on voit en Améri
766 férences qu’on voit en Amérique, mais ne dit rien de celles qu’on observe ailleurs. Elle ne rate pas la question nègre. Et
767 dictature que dans une démocratie… Le secrétaire d’ État Marshall a proposé une sorte de credo démocratique, exigeant une
768 Le secrétaire d’État Marshall a proposé une sorte de credo démocratique, exigeant une presse libre, des élections libres e
769 nt que ses loyaux citoyens vivent dans la crainte d’ être privés de la vie, de la prospérité et de la poursuite du bonheur 
770 aux citoyens vivent dans la crainte d’être privés de la vie, de la prospérité et de la poursuite du bonheur » (termes empr
771 s vivent dans la crainte d’être privés de la vie, de la prospérité et de la poursuite du bonheur » (termes empruntés, comm
772 inte d’être privés de la vie, de la prospérité et de la poursuite du bonheur » (termes empruntés, comme on sait, au préamb
773  » (termes empruntés, comme on sait, au préambule de la Constitution américaine). Pendant que M. Molotov se prépare à donn
774 Molotov se prépare à donner sa propre définition de la démocratie, je me permettrai d’offrir une suggestion. Le caractère
775 pre définition de la démocratie, je me permettrai d’ offrir une suggestion. Le caractère le plus spécifique d’une démocrati
776 r une suggestion. Le caractère le plus spécifique d’ une démocratie me paraît être le droit d’opposition. Et je parle d’une
777 écifique d’une démocratie me paraît être le droit d’ opposition. Et je parle d’une opposition non seulement tolérée, ou res
778 me paraît être le droit d’opposition. Et je parle d’ une opposition non seulement tolérée, ou respectée, mais nécessaire et
779 . Ce caractère suffit à distinguer d’un seul coup d’ œil les régimes démocratiques des régimes totalitaires. Ces derniers,
780 éalité comme des Églises. L’opposition aux dogmes d’ une Église s’est toujours vue qualifiée d’hérésie, et non d’opinion di
781 dogmes d’une Église s’est toujours vue qualifiée d’ hérésie, et non d’opinion différente. De même, l’opposition aux théori
782 se s’est toujours vue qualifiée d’hérésie, et non d’ opinion différente. De même, l’opposition aux théories du parti au pou
783 hez les totalitaires, se voit qualifiée non point d’ opinion minoritaire, mais de trahison. On la punit comme telle et, dan
784 t qualifiée non point d’opinion minoritaire, mais de trahison. On la punit comme telle et, dans le fait, elle est forcée d
785 nit comme telle et, dans le fait, elle est forcée d’ agir comme telle. Je sais bien que les Russes n’aiment guère qu’on les
786 mais je vois aussi qu’ils n’ont jamais eu le sens de l’opposition organique. L’autorité suprême de leur Église ne réside p
787 ens de l’opposition organique. L’autorité suprême de leur Église ne réside pas dans la majorité, mais bien dans l’unanimit
788 démocratique un régime où l’opposition est libre de jouer son rôle. Appelons ensuite totalitaire un régime où l’oppositio
789 on équivaut à la trahison, et se paye tôt ou tard de la vie. Que si l’on estime trop étroites les définitions précédentes,
790 nklin Roosevelt : elles supposent toutes le droit d’ opposition, et sans lui resteraient de vains mots. La liberté de relig
791 es le droit d’opposition, et sans lui resteraient de vains mots. La liberté de religion. Toute religion vivante s’oppose a
792 et sans lui resteraient de vains mots. La liberté de religion. Toute religion vivante s’oppose au train du monde. « Ne vou
793 s soyez transformés », dit saint Paul. La liberté de parole. Si elle ne consiste qu’à hurler avec les loups, à réciter les
794 s slogans officiels, elle est vide. La libération de la misère. Je pense qu’elle s’est rarement produite dans les pays où
795 éreux est étouffée comme subversive, ou qualifiée de sabotage. La libération de la crainte, enfin. Elle consiste, à mon se
796 bversive, ou qualifiée de sabotage. La libération de la crainte, enfin. Elle consiste, à mon sens, en premier lieu, dans l
797 mier lieu, dans la certitude que, si l’on diffère d’ opinion avec le Pouvoir, on n’en mourra pas. r. Rougemont Denis de,
798 ouvoir, on n’en mourra pas. r. Rougemont Denis de , « Le droit d’opposition », Le Figaro, Paris, 3 avril 1947, p. 1.
799 mourra pas. r. Rougemont Denis de, « Le droit d’ opposition », Le Figaro, Paris, 3 avril 1947, p. 1.
17 1948, Le Figaro, articles (1939–1953). Sagesse et folie de la Suisse (13 octobre 1948)
800 Sagesse et folie de la Suisse (13 octobre 1948)s « Le Suisse trait sa vache et vit pai
801 vache et vit paisiblement. » La carte postale est de Victor Hugo et date d’il y a près de cent ans. Aujourd’hui, ce qui fr
802 nt. » La carte postale est de Victor Hugo et date d’ il y a près de cent ans. Aujourd’hui, ce qui frappe l’observateur en S
803 ur en Suisse, c’est la présence quasi universelle de l’industrie. Un cinquième de la population vit de l’agriculture ; prè
804 ce quasi universelle de l’industrie. Un cinquième de la population vit de l’agriculture ; près de trois cinquièmes de l’in
805 de l’industrie. Un cinquième de la population vit de l’agriculture ; près de trois cinquièmes de l’industrie et du commerc
806 n vit de l’agriculture ; près de trois cinquièmes de l’industrie et du commerce. Ces deux chiffres détruisent l’idylle, év
807 es sociales, les crises, les grèves, les poussées de fièvre politique… Mais non, la Suisse s’obstine et, presque seule dan
808 lle une survivance ou bien le signe avant-coureur d’ un avenir possible de l’Europe ? Tout au long de l’ouvrage exemplaire
809 bien le signe avant-coureur d’un avenir possible de l’Europe ? Tout au long de l’ouvrage exemplaire qu’il vient de nous d
810 r d’un avenir possible de l’Europe ? Tout au long de l’ouvrage exemplaire qu’il vient de nous donner sur ce pays, La Suiss
811 fried s’est posé la question. Mais il s’est gardé d’ y répondre, ou plutôt n’y répond que par la bande, la bande rouge qui
812 ouge qui orne le livre : « C’est une grande folie de croire qu’on peut être sage tout seul. » (La Rochefoucauld) Maxime qu
813 pressions. Il raisonne sur l’irréfutable. Il joue de la statistique comme un champion de tennis de sa raquette, élégance e
814 able. Il joue de la statistique comme un champion de tennis de sa raquette, élégance et dextérité. Il triomphe tour à tour
815 oue de la statistique comme un champion de tennis de sa raquette, élégance et dextérité. Il triomphe tour à tour dans la t
816 e (beaucoup plus en fait qu’en doctrine), jalouse de ses diversités, unie par le refus de les uniformiser, libérale et dis
817 ne), jalouse de ses diversités, unie par le refus de les uniformiser, libérale et disciplinée, traditionnelle et progressi
818 t s’engrène avec nécessité dans ce beau mouvement d’ horlogerie que compose la fédération de vingt-deux États inégaux, de d
819 mouvement d’horlogerie que compose la fédération de vingt-deux États inégaux, de deux religions, de trois ou quatre langu
820 ompose la fédération de vingt-deux États inégaux, de deux religions, de trois ou quatre langues d’importance inégale elles
821 n de vingt-deux États inégaux, de deux religions, de trois ou quatre langues d’importance inégale elles aussi. (Et tout ce
822 ux, de deux religions, de trois ou quatre langues d’ importance inégale elles aussi. (Et tout cela n’est rien encore, car l
823 t tout cela n’est rien encore, car les frontières de ces États et de ces religions, ou de ces religions et de ces langues
824 t rien encore, car les frontières de ces États et de ces religions, ou de ces religions et de ces langues ne coïncident pr
825 s frontières de ces États et de ces religions, ou de ces religions et de ces langues ne coïncident presque jamais : calcul
826 États et de ces religions, ou de ces religions et de ces langues ne coïncident presque jamais : calculez les combinaisons 
827 s !) Il nous décrit un pays que la Nature a privé de matières premières et dont le sol est en partie stérile, mais qui par
828 érile, mais qui parvient à exporter près du tiers de sa production, à n’importer que 20 % de sa consommation en calories,
829 du tiers de sa production, à n’importer que 20 % de sa consommation en calories, vrai tour de force technique « à base de
830 ue 20 % de sa consommation en calories, vrai tour de force technique « à base de culture », c’est-à-dire de science appliq
831 rce technique « à base de culture », c’est-à-dire de science appliquée. Il nous fait suivre, enfin, un jeu d’institutions
832 nce appliquée. Il nous fait suivre, enfin, un jeu d’ institutions dont la complexité s’est révélée pratique, parce qu’elle
833 qui soit allé si loin dans l’analyse des variétés de l’expérience fédérale, sans s’exposer aux démentis amers de ceux qui
834 ience fédérale, sans s’exposer aux démentis amers de ceux qui en vivent et qui en chérissent toutes les nuances. Sa pruden
835 à chaque pas, écoutez-le : « Je me garderai bien de dire que certains cantons sont moins authentiquement suisses que d’au
836 dministration bien entendue, dont le seul but est d’ assurer aux hommes plus de bien-être et d’avantages sociaux. En somme,
837 e, dont le seul but est d’assurer aux hommes plus de bien-être et d’avantages sociaux. En somme, à cette « démocratie-témo
838 but est d’assurer aux hommes plus de bien-être et d’ avantages sociaux. En somme, à cette « démocratie-témoin », André Sieg
839 « démocratie-témoin », André Siegfried n’adresse d’ autre critique — si c’en est une — que d’avoir résolu ses problèmes pa
840 ’adresse d’autre critique — si c’en est une — que d’ avoir résolu ses problèmes par des moyens valables pour elle seule. Da
841 ù nous vivons, semble-t-il dire, n’est-il pas fou d’ être aussi sage ? On en revient à la maxime du moraliste. Je voudrais
842 des conclusions qu’André Siegfried s’est interdit de suggérer. Influencé, pourrait-on croire, par l’objet de sa descriptio
843 gérer. Influencé, pourrait-on croire, par l’objet de sa description, M Siegfried, à propos de la Suisse et de sa réussite
844 escription, M Siegfried, à propos de la Suisse et de sa réussite fédéraliste, montre autant de méfiance qu’un vrai Bernois
845 isse et de sa réussite fédéraliste, montre autant de méfiance qu’un vrai Bernois pour la généralisation. Qu’il me permette
846 ois pour la généralisation. Qu’il me permette ici de jouer le rôle du Français. Il est fou d’être sage tout seul, mais non
847 ette ici de jouer le rôle du Français. Il est fou d’ être sage tout seul, mais non moins fou de renoncer à cette sagesse pa
848 est fou d’être sage tout seul, mais non moins fou de renoncer à cette sagesse parce qu’on se voit seul à la professer. Voi
849 re école. En d’autres termes si l’Europe continue d’ être folle à l’unanimité, la Suisse est perdue sans nul doute. Mais l’
850 sera perdue. Or je crois qu’elle peut être sauvée d’ une balkanisation presque fatale si elle accepte de s’helvétiser. Dans
851 ’une balkanisation presque fatale si elle accepte de s’helvétiser. Dans ce cas, la Suisse aussi serait sauvée. Le dilemme
852 qui est le bon sens fédéraliste, n’est pas objet d’ exportation, n’a pas de valeur universelle. C’est ce que pensent encor
853 déraliste, n’est pas objet d’exportation, n’a pas de valeur universelle. C’est ce que pensent encore trop de Suisses, et v
854 eur universelle. C’est ce que pensent encore trop de Suisses, et voilà bien le reproche qu’il faut leur faire si l’on admi
855 solution. Certes, le fédéralisme est le contraire d’ un système. Ce n’est pas une structure abstraite et géométrique, ce n’
856 principes, et ceux-ci m’apparaissent susceptibles d’ être appliqués à l’échelle de l’Europe, mutatis mutandis bien entendu 
857 aissent susceptibles d’être appliqués à l’échelle de l’Europe, mutatis mutandis bien entendu : c’est précisément la méthod
858 thentique. La Suisse vient de fêter le centenaire de sa constitution présente. Je ne sais pas d’histoire plus instructive,
859 naire de sa constitution présente. Je ne sais pas d’ histoire plus instructive, pour l’Européen d’aujourd’hui, que celle de
860 pas d’histoire plus instructive, pour l’Européen d’ aujourd’hui, que celle des discussions qui précédèrent l’adoption de c
861 celle des discussions qui précédèrent l’adoption de cette charte exemplaire. C’est le microcosme de nos vrais débats. Les
862 n de cette charte exemplaire. C’est le microcosme de nos vrais débats. Les mêmes menaces, les mêmes espoirs, les mêmes obj
863 l’admet, et ces minorités jouent aussitôt un rôle de premier plan. L’Europe du xxe siècle est l’image agrandie de la Suis
864 lan. L’Europe du xxe siècle est l’image agrandie de la Suisse à la veille de sa fédération. En plus tragique, bien sûr. L
865 cle est l’image agrandie de la Suisse à la veille de sa fédération. En plus tragique, bien sûr. L’urgence est donc plus gr
866 l’attente des peuples est la même. « Oui, l’idée d’ une commune patrie ne nous est plus étrangère ! s’écriait l’un des pré
867 t plus étrangère ! s’écriait l’un des précurseurs de la Constitution de 1848. Et quoi qu’en disent les détracteurs des tem
868 s’écriait l’un des précurseurs de la Constitution de 1848. Et quoi qu’en disent les détracteurs des temps modernes, c’est
869 acteurs des temps modernes, c’est une des gloires de ces temps que cette idée ait acquis plus de netteté, ce sentiment plu
870 oires de ces temps que cette idée ait acquis plus de netteté, ce sentiment plus d’énergie. » Les adversaires de la fédérat
871 dée ait acquis plus de netteté, ce sentiment plus d’ énergie. » Les adversaires de la fédération du continent (peu s’avouen
872 é, ce sentiment plus d’énergie. » Les adversaires de la fédération du continent (peu s’avouent tels) et les sceptiques (do
873 ourante) ne peuvent pourtant pas nier l’existence de la Suisse. C’est un fait qui réfute les meilleurs arguments contre le
874 me en soi. Quant à ceux qui militent pour l’union de nos peuples, ils ne sauraient étudier d’assez près cette expérience d
875 l’union de nos peuples, ils ne sauraient étudier d’ assez près cette expérience de laboratoire, poursuivie depuis un siècl
876 e sauraient étudier d’assez près cette expérience de laboratoire, poursuivie depuis un siècle au cœur même de l’Europe, av
877 ratoire, poursuivie depuis un siècle au cœur même de l’Europe, avec un succès indéniable. Aux uns comme aux autres, il fau
878 e. Aux uns comme aux autres, il faut dire : lisez de toute urgence l’ouvrage d’André Siegfried. Vous y trouverez, amplemen
879 , il faut dire : lisez de toute urgence l’ouvrage d’ André Siegfried. Vous y trouverez, amplement confirmée, l’une des rare
880 ement confirmée, l’une des rares bonnes nouvelles de notre temps. Et vous pourrez y lire dans le concret une histoire qui
881 re qui dément la sagesse proverbiale : l’histoire d’ un peuple heureux. s. Rougemont Denis de, « [Compte rendu] Sagesse
882 stoire d’un peuple heureux. s. Rougemont Denis de , « [Compte rendu] Sagesse et folie de la Suisse », Le Figaro, Paris,
883 emont Denis de, « [Compte rendu] Sagesse et folie de la Suisse », Le Figaro, Paris, 13 octobre 1948, p. 1 et 4.
18 1953, Le Figaro, articles (1939–1953). « Nous ne sommes pas des esclaves ! » (25 juin 1953)
884 ré ! Ils tirent sur les ouvriers ! » Le vieux cri de douleur des villes européennes, le cri de douleur des faubourgs s’est
885 eux cri de douleur des villes européennes, le cri de douleur des faubourgs s’est propagé dans les avenues lugubres de Berl
886 faubourgs s’est propagé dans les avenues lugubres de Berlin, entre leurs façades sur le vide, les blocs blanchis aux petit
887 êtres myopes des privilégiés du régime, le palais de marbre rose de l’ambassade de l’URSS, seul battant neuf parmi les rui
888 s privilégiés du régime, le palais de marbre rose de l’ambassade de l’URSS, seul battant neuf parmi les ruines. Les tanks
889 u régime, le palais de marbre rose de l’ambassade de l’URSS, seul battant neuf parmi les ruines. Les tanks soviétiques, l’
890 les Soviétiques ont perpétré le premier massacre de grévistes que l’Europe ait connu depuis 1905 ; depuis ce Dimanche Rou
891 it tirer sur la foule qui marchait vers le Palais d’ Hiver. Ce sont les descendants des ouvriers d’alors, ce sont leurs pet
892 ais d’Hiver. Ce sont les descendants des ouvriers d’ alors, ce sont leurs petits-fils en uniforme, passés aux ordres du Kre
893 tiré sur leurs camarades, les ouvriers sans armes de la Staline-Allee. Les tanks soviétiques ont tiré sur la foule ouvrièr
894 mmuniste, nos enfants la liront dans leurs livres d’ histoire. Cette phrase a été dite, une fois pour toutes. Elle n’est pa
895 pas mensongère, elle est gagée sur des centaines de morts et de blessés. Étant dite, et de cette manière, non par certain
896 ère, elle est gagée sur des centaines de morts et de blessés. Étant dite, et de cette manière, non par certains pour les b
897 centaines de morts et de blessés. Étant dite, et de cette manière, non par certains pour les besoins d’une polémique, non
898 cette manière, non par certains pour les besoins d’ une polémique, non par la presse d’un seul pays, d’un seul parti, non
899 ur les besoins d’une polémique, non par la presse d’ un seul pays, d’un seul parti, non par erreur ou exagération, ni par r
900 ’une polémique, non par la presse d’un seul pays, d’ un seul parti, non par erreur ou exagération, ni par rien que l’on pui
901 sophistiquer dialectiquement à l’aide de Marx, ou de Lénine, ou de Staline, mais dite, et sans retour, et de cette manière
902 ialectiquement à l’aide de Marx, ou de Lénine, ou de Staline, mais dite, et sans retour, et de cette manière-là, par la ré
903 ine, ou de Staline, mais dite, et sans retour, et de cette manière-là, par la révolte et les blessures et les cadavres des
904 lte et les blessures et les cadavres des ouvriers de Berlin-Est, cette phrase crie sur la terre entière une vérité que l’o
905 es jours, désormais, sont comptés. L’insurrection de toutes les villes de la zone Est, bien qu’écrasée dans le sang, marqu
906 sont comptés. L’insurrection de toutes les villes de la zone Est, bien qu’écrasée dans le sang, marque la fin d’une ère :
907 Est, bien qu’écrasée dans le sang, marque la fin d’ une ère : celle du mythe communiste qui, pendant trente-six ans, domin
908 ente-six ans, domina la conscience prolétarienne ( de France et d’Italie, surtout) et l’inconscient de millions de bourgeoi
909 domina la conscience prolétarienne (de France et d’ Italie, surtout) et l’inconscient de millions de bourgeois. Fin d’un m
910 (de France et d’Italie, surtout) et l’inconscient de millions de bourgeois. Fin d’un mythe, mais aussi d’un monstrueux sop
911 t d’Italie, surtout) et l’inconscient de millions de bourgeois. Fin d’un mythe, mais aussi d’un monstrueux sophisme. Allez
912 t) et l’inconscient de millions de bourgeois. Fin d’ un mythe, mais aussi d’un monstrueux sophisme. Allez redire, ô philoso
913 millions de bourgeois. Fin d’un mythe, mais aussi d’ un monstrueux sophisme. Allez redire, ô philosophes qui vantiez la vio
914 la classe ouvrière se reconnaît dans les épreuves de force que le PC institue en son nom ! » (J.-P. Sartre). Allez redire
915 Sartre). Allez redire devant ces morts, en bleus de travail, que le parti communiste a forcément raison, puisqu’il est le
916 qu’il était le parti qui avait supprimé le droit de grève, sous l’impudent prétexte qu’en régime socialiste les ouvriers
917 ocialiste les ouvriers n’auraient plus l’occasion de s’en servir… On savait aussi qu’il était le parti du travail forcé, c
918 , celui qui venait de « réaliser », par les mains de cent-mille esclaves, le canal de la Volga au Don. Mais les journées d
919 », par les mains de cent-mille esclaves, le canal de la Volga au Don. Mais les journées de Berlin l’ont démasqué comme le
920 s, le canal de la Volga au Don. Mais les journées de Berlin l’ont démasqué comme le parti de la répression sanglante et de
921 journées de Berlin l’ont démasqué comme le parti de la répression sanglante et de la déportation massive des travailleurs
922 squé comme le parti de la répression sanglante et de la déportation massive des travailleurs. C’est ici le lieu et le temp
923 e des travailleurs. C’est ici le lieu et le temps de le répéter ou jamais : d’autres que les Soviets ont tiré sur la foule
924 la foule des prolétaires revendiquant leur droit de vivre. D’autres massacres d’ouvriers ont sali notre Histoire depuis l
925 endiquant leur droit de vivre. D’autres massacres d’ ouvriers ont sali notre Histoire depuis le xviiie siècle. Au nom de l
926 re depuis le xviiie siècle. Au nom de l’Ordre et de la Loi, au nom des droits sacrés de la Propriété, au nom des intérêts
927 de l’Ordre et de la Loi, au nom des droits sacrés de la Propriété, au nom des intérêts de la Production, les policiers de
928 roits sacrés de la Propriété, au nom des intérêts de la Production, les policiers de toutes nos bourgeoisies ont tué des t
929 nom des intérêts de la Production, les policiers de toutes nos bourgeoisies ont tué des travailleurs qui, eux, se révolta
930 qui, eux, se révoltaient au nom de la Liberté et de leur dignité d’homme. C’était ignoble, et nous voyons bien pis. Il ét
931 voltaient au nom de la Liberté et de leur dignité d’ homme. C’était ignoble, et nous voyons bien pis. Il était réservé au r
932 s bien pis. Il était réservé au régime communiste de faire ce métier-là au nom des ouvriers — d’ajouter l’imposture au cri
933 niste de faire ce métier-là au nom des ouvriers — d’ ajouter l’imposture au crime. Il était réservé au régime communiste d’
934 e au crime. Il était réservé au régime communiste d’ aggraver d’un contrôle policier la condition de l’ouvrier d’usine, de
935 Il était réservé au régime communiste d’aggraver d’ un contrôle policier la condition de l’ouvrier d’usine, de l’appeler d
936 te d’aggraver d’un contrôle policier la condition de l’ouvrier d’usine, de l’appeler dès lors « liberté » et d’exiger que
937 d’un contrôle policier la condition de l’ouvrier d’ usine, de l’appeler dès lors « liberté » et d’exiger que les prolétair
938 trôle policier la condition de l’ouvrier d’usine, de l’appeler dès lors « liberté » et d’exiger que les prolétaires, « spo
939 ier d’usine, de l’appeler dès lors « liberté » et d’ exiger que les prolétaires, « spontanément », réclament au lieu d’augm
940 spontanément », réclament au lieu d’augmentations de salaire l’augmentation des « normes de travail », 10 % cette fois-ci,
941 mentations de salaire l’augmentation des « normes de travail », 10 % cette fois-ci, pour le même prix. Quand les capitalis
942 capitalistes, honnis du xixe siècle, exigeaient de telles normes, ou trois fois plus, ils le faisaient au nom de leurs i
943 lus, ils le faisaient au nom de leurs intérêts ou de valeurs couvrant ces intérêts ; jamais au nom de la justice et des li
944 pires que la pire injustice : la première serait d’ excuser le péché des bourgeois par celui des Soviets ; mais la seconde
945 nous l’avons sous les yeux, consiste à s’emparer de la cause ouvrière, à se parer de sa justice et de son nom, pour l’écr
946 iste à s’emparer de la cause ouvrière, à se parer de sa justice et de son nom, pour l’écraser ensuite, une fois qu’on a le
947 de la cause ouvrière, à se parer de sa justice et de son nom, pour l’écraser ensuite, une fois qu’on a le Pouvoir, en répé
948 a le Pouvoir, en répétant ses vieux mots d’ordre d’ unité, d’amélioration de la vie, de haine contre le fascisme et les pr
949 voir, en répétant ses vieux mots d’ordre d’unité, d’ amélioration de la vie, de haine contre le fascisme et les provocateur
950 nt ses vieux mots d’ordre d’unité, d’amélioration de la vie, de haine contre le fascisme et les provocateurs. Qui ne voit
951 x mots d’ordre d’unité, d’amélioration de la vie, de haine contre le fascisme et les provocateurs. Qui ne voit aujourd’hui
952 -ils pratiquement n’être pas Russes ou à la solde de Moscou ? On demande aux ouvriers de les dénoncer. Mais ils l’ont fait
953 ou à la solde de Moscou ? On demande aux ouvriers de les dénoncer. Mais ils l’ont fait avec éclat le 17 juin ! En criant :
954  Nous ne sommes pas des esclaves ! » les ouvriers de Berlin ont rétabli d’un coup la vérité profonde de toute la situation
955 s esclaves ! » les ouvriers de Berlin ont rétabli d’ un coup la vérité profonde de toute la situation, une vérité qui vaut
956 e Berlin ont rétabli d’un coup la vérité profonde de toute la situation, une vérité qui vaut pour tous leurs camarades des
957 pour tous leurs camarades des pays satellites et de l’URSS, et les tyrans l’ont confirmé en ouvrant le feu. L’imposture c
958 aits. Il leur reste à nier ceci : devant la porte de Brandebourg, le vieux chant populaire socialiste s’est fait entendre
959 t entendre pour la première fois depuis vingt ans de silence, vingt ans de dictature : « Frères, marchons ensemble vers la
960 mière fois depuis vingt ans de silence, vingt ans de dictature : « Frères, marchons ensemble vers la liberté ! » Mais rien
961 , marchons ensemble vers la liberté ! » Mais rien de tout cela ne sera plus effacé. Rien ne peut plus faire que les héros
962 lus effacé. Rien ne peut plus faire que les héros de Berlin soient morts en vain. Aux jours les plus découragés de l’Occid
963 ient morts en vain. Aux jours les plus découragés de l’Occident, ils ont fait renaître l’espoir. Le sursaut de l’Europe no
964 ident, ils ont fait renaître l’espoir. Le sursaut de l’Europe nouvelle, on vient de le sentir à Berlin, surgissant d’un pe
965 velle, on vient de le sentir à Berlin, surgissant d’ un peuple écrasé. Et ce n’est pas l’Europe des marchandages entre nati
966 ’Europe qui crée son avenir et justifie sa raison d’ être par des hommes qui se sacrifient au service de la Liberté. t.
967 ’être par des hommes qui se sacrifient au service de la Liberté. t. Rougemont Denis de, « “Nous ne sommes pas des escla
968 t au service de la Liberté. t. Rougemont Denis de , « “Nous ne sommes pas des esclaves !” », Le Figaro, Paris, 25 juin 1