1 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). L’ère des religions (22 février 1939)
1 ions (22 février 1939)a La nouvelle de la mort du pape a répandu bien au-delà des frontières du catholicisme une émotio
2 ort du pape a répandu bien au-delà des frontières du catholicisme une émotion dont chacun sent l’arrière-pensée, l’arrière
3 s et de leur périlleux ajustement, que l’histoire du réveil des religions au terme de l’ère rationaliste. Ce n’est pas le
4 âché et parfois même dissout les liens « sacrés » du corps social. Le xixe siècle a vu la décadence des formes, conventio
5 mande seulement : quels sont tes morts ? Religion du sol et du sang, religion sanglante et mortelle, religion des choses v
6 ement : quels sont tes morts ? Religion du sol et du sang, religion sanglante et mortelle, religion des choses vieilles, m
7 ires, jamais « passées », et qui réclament encore du sang, des morts, des cortèges funèbres, des cérémonies d’imprécation,
8 urnée vers le pardon, le futur éternel, le rachat du péché d’origine ? Ce n’est pas un conflit accidentel, c’est encore mo
9 des persécutions hitlériennes contre les Églises du Christ. C’est une opposition de nature et d’essence, radicale et insu
10 radicale et insurmontable ; c’est l’affrontement du destin sombre et de la foi libératrice, des choses fatales et des « c
11 e, des choses fatales et des « choses espérées », du culte des morts et de celui du Dieu vivant. L’ère des religions s’ouv
12 choses espérées », du culte des morts et de celui du Dieu vivant. L’ère des religions s’ouvre à nous, chargée de promesses
13 urrissent l’espérance, et non la peur ou la haine du voisin. Il faut surtout répondre mieux que l’adversaire au problème q
14 problème qu’il tentait de résoudre, à ce problème du vide social, communautaire, qui dès maintenant se pose à nous aussi.
2 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). Le bon vieux temps présent (20 mars 1939)
15 gue, c’est une Europe qui vient de mourir. Europe du sentiment, patrie de nostalgie de tous ceux qu’a touchés le romantism
16 i, dans ce Paris de mars 1939, les derniers jours du bon vieux temps européen. Jours de sursis d’une liberté dont nous avi
17 cela que vient de mettre en question l’usurpateur du Hradschin. Et dès lors qu’il l’a mis en question, et qu’il nous force
18 ver. Il faut entrer résolument dans le grand jour du siècle mécanique, accepter pour un temps sa loi, en préservant, s’il
3 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). Directeurs d’inconscience (11 avril 1939)
19 tés, petites oscillations nerveuses aux alentours du zéro vital. Voici la chance alors des grands meneurs, et l’heure des
4 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). Une simple question de mots (24 avril 1939)
20 ns d’humeurs que de lexiques incompatibles. Ainsi du dialogue France-Allemagne. Il fut longtemps l’un des plus malaisés, à
21 Il fut longtemps l’un des plus malaisés, à cause du pathos jacobin dont les Allemands avaient souffert pendant l’Empire.
22 la violence et au bellicisme de Roosevelt le sens du droit et le pacifisme des dictateurs. Ce n’était donc pas plus malin
23 e congrès de Nuremberg, qui célébra le réarmement du Reich, se soit intitulé : Journée de la liberté. Précisons : l’armeme
24 t concevable… La justice est pour nous le respect du droit, et au-delà de la lettre d’un code, une manière objective de ja
25 er mon correspondant signifie en français : droit du plus fort, donc injustice. Ici encore, il suffit de changer le signe.
5 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). « Le matin vient, et la nuit aussi » (7 juin 1939)
26 e replier dans la crainte, s’exalte aux approches du péril et s’en nourrit plus qu’on n’oserait l’avouer. Après tout, nous
27 apparue comme une réalité sans précédent, à ceux du moins qui osaient la vivre avec lucidité. L’Europe a connu des paniqu
28 e les nôtres, au lendemain des grandes invasions, du ve siècle au viiie de notre ère, avant l’an mille, pendant les pest
29 les guerres de religion qui obscurcissent l’image du monde chrétien. Quel pouvait être l’avenir pour un Allemand de la gue
30 resse, de nos jours, nous prive avec acharnement. Du moins voudrait-on rappeler à tous ces fronts disparaissant derrière l
31 ts disparaissant derrière les titres des journaux du soir que le malheur des temps est une vieille expression… Oui, de tou
32 e vieille expression… Oui, de tout temps, le sort du monde a été quasiment désespéré. Seulement, maintenant, cela se sait.
33 généralement la paix : cette ignorance satisfaite du désordre et des injustices établies. La menace de guerre qui pèse sur
34 de quel prix spirituel ont-elles payé l’illusion du Progrès ? Je songe à la colombe de Kantf qui croyait voler mieux dans
35 ration trouve, au contraire, dans la connaissance du désordre et des périls inhérents au progrès, la chance d’une grandeur
6 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Le mensonge allemand (16 août 1945)
36 s antisémites ? Au fait, je ne voulais pas parler du peuple massacré, mais de ses massacreurs. Quelques-uns des Américains
37 de occupée par les Américains, un officier chargé du gouvernement civil réunit cent personnes, au hasard de la rue, et se
38 et même en assez grande quantité… Le porte-parole du groupe allemand — vite désigné — interrompt à ce point l’Américain :
39 l dont il convient de tenir compte quand on parle du « problème allemand ». Ils mentent avec sincérité, et nous mentons av
40 e tout a changé dans le monde. Les critères mêmes du vrai sont modifiés. Menteur, celui qui s’y réfère encore ; sincère, c
7 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Un climat tempéré (22 août 1945)
41 ntre la torpeur écrasante qui tombe des arbres et du ciel. Aux régions polaires sans été. Au faux printemps perpétuel de c
42 lide, ou le Français moyen, se révèle à l’analyse du xxe siècle comme autant de cas d’exception, dont il est stupéfiant q
43 hance anormale : chance de créer, pour l’ensemble du genre humain, des normes idéales de l’homme, le luxe même. La France,
44 s ordres, que se passera-t-il ? On verra le reste du monde, et pendant des siècles peut-être, s’efforcer de reproduire et
8 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). La guerre est morte (5 septembre 1945)
45 us de guerre au sens classique et multimillénaire du mot. « Il y aura toujours des guerres ! », nous disaient-ils. Sans do
46 tes stratégiques, mordant de l’infanterie, ordres du jour électrisants et grands chefs adulés par des effectifs considérab
47 oups de gueule, les traditions de corps, le génie du poker et la cravache, n’ont pas d’emploi dans les laboratoires. Les c
48 t de l’ablation à chaud d’une coutume ancestrale, du goût des uniformes, du jeu des soldats de plomb, et de l’usage quotid
49 d’une coutume ancestrale, du goût des uniformes, du jeu des soldats de plomb, et de l’usage quotidien de métaphores guerr
9 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Le dernier des Mohicans (11 octobre 1945)
50 trahit seul le glissement d’un canoë vers le pied du rocher où j’écris. Deux voiles inclinées se croisent lentement entre
51 sillon d’or neigeux. Sur l’autre rive, la cloche du couvent des frères paulistes — joyeux nageurs, plongeurs bruyants — s
52 s. Ce lac clair, qu’un jésuite français, au début du xviie siècle, baptisa lac du Saint-Sacrement pour la pureté lustrale
53 français, au début du xviie siècle, baptisa lac du Saint-Sacrement pour la pureté lustrale de ses eaux, se nomme aujourd
54 eu des aventures et de la mort d’Œil de faucon et du dernier des Mohicans. Rien n’a changé dans le paysage depuis Cooper,
55 ’exemplaire de Cooper trouvé dans la bibliothèque du salon, une petite carte de visite jaunie porte le nom d’un révérend q
56 can d’Albany. Je connais bien son petit-fils. Roi du pays et chef de tribu politique, il possède la plupart des maisons ri
57 ulets dans un domaine qu’elle a nommé le « Sommet du Monde », parce qu’il s’étend sur une colline dominant le lac aux cent
58 êvant d’être actrice, on lui a bâti sur le Sommet du Monde un amphithéâtre de pierre où les amateurs du pays jouaient du S
59 u Monde un amphithéâtre de pierre où les amateurs du pays jouaient du Shakespeare avant la guerre. Les deux fils, officier
60 héâtre de pierre où les amateurs du pays jouaient du Shakespeare avant la guerre. Les deux fils, officiers de marine, se s
61 ncore sur les forêts et sur les lacs innombrables du continent, l’esprit subtil et ombrageux de l’éternel dernier des Mohi
10 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Le savant et le général (8 novembre 1945)
62 ront le plus contribué à transformer la condition du siècle. Hier soir, au cinéma, un hello derrière moi, c’était N., l’un
63 a, un hello derrière moi, c’était N., l’un des as du très petit groupe de mathématiciens et de physiciens qui a mis au poi
64 un de mes voisins, Albert Einstein, le patriarche du nouvel âge, le Moïse de la Terre atomique. Il passe ainsi chaque jour
65 que. Il passe ainsi chaque jour, vers onze heures du matin. Quand il fait froid il porte un manteau noir. Sa chevelure m’i
66 manteau noir. Sa chevelure m’indique la direction du vent, et son aspect met en fuite ma petite fille. À quoi pense-t-il ?
67 ions qui les soutiennent. Voici d’abord l’opinion du chef suprême des forces américaines, le général Marshall. La bombe at
68 . Mais trois colonnes plus loin, sur la même page du New York Times, je lis ceci : « Le docteur Oppenheimer, chef du servi
69 mes, je lis ceci : « Le docteur Oppenheimer, chef du service des recherches atomiques à Los Alamos, a été interrogé hier p
70 à Los Alamos, a été interrogé hier par un comité du Sénat. À la question : “Est-il vraisemblable qu’un seul raid atomique
11 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Les résultats de la guerre (21 décembre 1945)
71 nouveautés ? Aucune, répondent beaucoup. Rien que du négatif : l’écrasement matériel des nazis, et des ruines. Trois grand
72 se attaquer, et dont toutes les puissances dignes du nom se réclament aujourd’hui par les bouches officielles. Cette idée,
73 l détenteur de la bombe atomique, il se voit doté du même coup d’une arme proportionnée à l’ampleur de sa tâche, qui est d
74 lesse écarté. D’autre part, le triomphe universel du principe démocratique fournit une garantie de contrôle des autorités
75 qu’il appelle utopies. La grande tâche politique du siècle, dans ces conditions, paraît claire. Il faut d’abord dresser d
12 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Un salon atomique (26 décembre 1945)
76 as au centre. Faut-il vous donner toute la mesure du désespoir qui fond sur moi dès que je suis à Washington ? Je vous avo
77 ne place dans un taxi. Trois militaires, rentrant du Pacifique, s’y racontaient le détail de leurs campagnes. Aucun d’eux
78 idéal démocratique. Ils m’ont demandé le résultat du dernier match Armée-Marine. Je ne savais pas. Et j’étais en civil ! V
13 1946, Le Figaro, articles (1939–1953). Pour la suppression des visas (23 avril 1946)
79 ouve que j’habite, pour quelques semaines encore, du côté où les jeunes Européens devraient aller s’il s’agissait pour eux
80 t en mesure de le vivre ? Combien sont-ils encore du Moyen Âge, ou du bourgeois et lent xixe siècle ! Serait-ce manque d’
81 vivre ? Combien sont-ils encore du Moyen Âge, ou du bourgeois et lent xixe siècle ! Serait-ce manque d’imagination ? Cer
82 enez-y trois et quatre fois, selon l’arithmétique du cœur. Le nomade n’aime pas sa terre, n’y revient donc jamais vraiment
14 1946, Le Figaro, articles (1939–1953). Les nouveaux aspects du problème allemand (30 mai 1946)
83 Les nouveaux aspects du problème allemand (30 mai 1946)o p Faut-il « les » craindre ?
84 je passe une frontière. Sujet de crainte en deçà du Jura, occasion de pitié au-delà. Mais je m’aperçois aussitôt que ce c
85 ux parisiens me semblent s’occuper principalement du statut de la Ruhr, d’alliances préventives et de garanties à obtenir
86 e garanties à obtenir contre un réarmement secret du Reich. Les aspects politiques et militaires apparaissent donc comme d
87 iennes. C’était en 1938… Aujourd’hui, les données du problème ont changé. Trouvera-t-on de nouveau désagréable que j’attir
88 vant la guerre la plus grande puissance militaire du monde, avec son armée motorisée, son industrie prête pour la lutte, e
89 onne manière quand il vivait ? Les grands vivants du jour sont l’URSS et l’Amérique. Voilà qui modifie radicalement les pr
90 e. Voilà qui modifie radicalement les proportions du conflit séculaire qui opposait l’Allemagne et la France. À vrai dire,
91 retenait peu d’illusions, jusqu’en 1939, au sujet du régime hitlérien. Zurich et Bâle étaient sans doute les villes d’Euro
92 appelle ces écoles de Zurich rétablissant l’usage du dialecte cantonal, en haine de l’allemand officiel ; et la méfiance g
93 ble d’une catastrophe continentale et responsable du sort effrayant qu’il subit par un juste retour. Pour les Suisses, ou
94 l subit par un juste retour. Pour les Suisses, ou du moins pour leur élite, si j’en crois les nombreux articles que je vie
95 pays ne le fut ; voici un peuple qui se réveille du cauchemar d’un bombardement moral, politique et physique dont chaque
96 on l’accuse formellement de s’être rendu coupable du crime le plus énorme de l’Histoire. Une conception réaliste et pru
97 rale, l’ouvrir aux grands courants de l’Europe et du Monde ; enfin, il faut lui proposer un rôle normal, ni tyran ni victi
98 ns une doctrine de conquête, ou dans une religion du sang. Le danger allemand aujourd’hui, c’est qu’il ne crée au centre d
99 o. Rougemont Denis de, « Les nouveaux aspects du problème allemand », Le Figaro, Paris, 30 mai 1946, p. 3. p. Le text
100 aris, 30 mai 1946, p. 3. p. Le texte est précédé du chapeau suivant : « Notre brillant collaborateur, Denis de Rougemont,
15 1946, Le Figaro, articles (1939–1953). Demain la bombe, ou une chance d’en finir avec la terre (30 juin 1946)
101 ction. Herman Melville, grand romancier américain du dernier siècle, décrivant les Îles enchantées d’un archipel du Pacifi
102 ècle, décrivant les Îles enchantées d’un archipel du Pacifique, disait qu’elles « évoquent assez bien l’image que ce monde
103 dont un grand nombre s’élèvent à quelque distance du rivage parmi les blancs remous et les brisants, forment un spectacle
104 celle, beaucoup plus grave, projetée pour la fin du mois —, mais encore nous sommes dans un doute entretenu par nombre de
105 de nuages radioactifs qui se promèneraient autour du globe, semant la mort et la consomption lente dans les pays les plus
106 nt trop claire, si l’un des risques en est la fin du monde. Personne ne rit, ne ricane, ou ne hurle. Serait-ce qu’au fond
16 1947, Le Figaro, articles (1939–1953). Le droit d’opposition (3 avril 1947)
107 és de la vie, de la prospérité et de la poursuite du bonheur » (termes empruntés, comme on sait, au préambule de la Consti
108 on différente. De même, l’opposition aux théories du parti au pouvoir, chez les totalitaires, se voit qualifiée non point
109 eligion. Toute religion vivante s’oppose au train du monde. « Ne vous conformez pas à ce siècle présent, mais soyez transf
17 1948, Le Figaro, articles (1939–1953). Sagesse et folie de la Suisse (13 octobre 1948)
110 ture ; près de trois cinquièmes de l’industrie et du commerce. Ces deux chiffres détruisent l’idylle, évoquent les luttes
111 partie stérile, mais qui parvient à exporter près du tiers de sa production, à n’importer que 20 % de sa consommation en c
112 fou d’être aussi sage ? On en revient à la maxime du moraliste. Je voudrais en déduire des conclusions qu’André Siegfried
113 alisation. Qu’il me permette ici de jouer le rôle du Français. Il est fou d’être sage tout seul, mais non moins fou de ren
114 andis bien entendu : c’est précisément la méthode du fédéralisme authentique. La Suisse vient de fêter le centenaire de sa
115 jouent aussitôt un rôle de premier plan. L’Europe du xxe siècle est l’image agrandie de la Suisse à la veille de sa fédér
116 lus d’énergie. » Les adversaires de la fédération du continent (peu s’avouent tels) et les sceptiques (dont l’espèce est c
18 1953, Le Figaro, articles (1939–1953). « Nous ne sommes pas des esclaves ! » (25 juin 1953)
117 nchis aux petites fenêtres myopes des privilégiés du régime, le palais de marbre rose de l’ambassade de l’URSS, seul batta
118 leurs petits-fils en uniforme, passés aux ordres du Kremlin, qui ont tiré sur leurs camarades, les ouvriers sans armes de
119 sée dans le sang, marque la fin d’une ère : celle du mythe communiste qui, pendant trente-six ans, domina la conscience pr
120 vantiez la violence ouvrière, substance et force du PC », allez redire aux Berlinois que « la classe ouvrière se reconnaî
121 s’en servir… On savait aussi qu’il était le parti du travail forcé, celui qui venait de « réaliser », par les mains de cen
122 pour le même prix. Quand les capitalistes, honnis du xixe siècle, exigeaient de telles normes, ou trois fois plus, ils le