1
e grande faim élémentaire trop longtemps refoulée
et
niée. L’histoire de l’après-guerre aux yeux de nos descendants sera p
2
dants sera peut-être moins l’histoire des traités
et
de leur périlleux ajustement, que l’histoire du réveil des religions
3
ières, puis le siècle individualiste, ont relâché
et
parfois même dissout les liens « sacrés » du corps social. Le xixe s
4
la décadence des formes, conventions, cérémonies
et
lieux communs qui étaient les signes extérieurs d’une communion tacit
5
e l’Empire romain. Mais de ce vide naît un appel.
Et
cet appel à une communauté nouvelle, à une « mystique » comme on le r
6
étien prenne conscience à la fois de cette chance
et
des risques immenses qu’elle ouvre. Car on ne peut plus se le dissimu
7
le fait religieux plus ignorantes, plus démunies
et
plus « barbares » que les peuplades polynésiennes avec leurs rites et
8
que les peuplades polynésiennes avec leurs rites
et
leurs sorciers. Si la faim religieuse s’éveille dans ces masses, elle
9
se satisfaire par les moyens les plus grossiers,
et
par exemple par le seul sentiment d’une fraternité charnelle, d’un co
10
mme telles, à la faveur d’un déploiement théâtral
et
géométrique, autour d’un chef qui ne veut être que leur incarnation e
11
r d’un chef qui ne veut être que leur incarnation
et
leur symbole. Des masses qui communient avec elles-mêmes dans un chan
12
nt triste ou dans un cri. Or ces religions vagues
et
violentes se cherchent pourtant une doctrine. N’étant pas nées d’une
13
dit saint Paul, « il n’y a plus ni Juif ni Grec,
et
tu es mon frère en la cité nouvelle si tu partages mon espérance. Et
14
en la cité nouvelle si tu partages mon espérance.
Et
tu es mon frère encore si tu la refuses, parce que j’espère pour toi,
15
ses révolues, sur tout ce que l’on a derrière soi
et
qui ne peut plus être changé : le sang, la race, la tradition, les mo
16
ette religion est, au suprême degré, intolérante,
et
plus qu’intolérante : on ne peut même pas s’y convertir ! Si l’on n’a
17
eulement : quels sont tes morts ? Religion du sol
et
du sang, religion sanglante et mortelle, religion des choses vieilles
18
? Religion du sol et du sang, religion sanglante
et
mortelle, religion des choses vieilles, mortes et enterrées depuis de
19
et mortelle, religion des choses vieilles, mortes
et
enterrées depuis des millénaires, jamais « passées », et qui réclamen
20
rrées depuis des millénaires, jamais « passées »,
et
qui réclament encore du sang, des morts, des cortèges funèbres, des c
21
Églises du Christ. C’est une opposition de nature
et
d’essence, radicale et insurmontable ; c’est l’affrontement du destin
22
t une opposition de nature et d’essence, radicale
et
insurmontable ; c’est l’affrontement du destin sombre et de la foi li
23
rmontable ; c’est l’affrontement du destin sombre
et
de la foi libératrice, des choses fatales et des « choses espérées »,
24
mbre et de la foi libératrice, des choses fatales
et
des « choses espérées », du culte des morts et de celui du Dieu vivan
25
es et des « choses espérées », du culte des morts
et
de celui du Dieu vivant. L’ère des religions s’ouvre à nous, chargée
26
ensaient n’avoir plus à redouter que l’incroyance
et
l’inertie. Peut-être vont-ils découvrir que l’adversaire fanatisé les
27
ersaire fanatisé les défie mieux que le sceptique
et
les ramène mieux à leur vraie force. Car il ne suffit plus d’entreten
28
épondre à une religion dans sa jeunesse virulente
et
affamée. Il faut se réduire aux vérités solides. À celles qui nourris
29
és solides. À celles qui nourrissent l’espérance,
et
non la peur ou la haine du voisin. Il faut surtout répondre mieux que
30
r si d’autres y ont mal répondu — les communistes
et
les fascistes — nous ne pourrons pas nous en tirer, pour notre part,
31
igions », Le Figaro, Paris, 22 février 1939, p. 1
et
3.
32
à l’heure où on les perd. Souvenirs de Salzbourg
et
de Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à l’heure où s
33
perd. Souvenirs de Salzbourg et de Prague, Mozart
et
Rilke, et la Vienne de Schubert — à l’heure où sombrent des nations s
34
enirs de Salzbourg et de Prague, Mozart et Rilke,
et
la Vienne de Schubert — à l’heure où sombrent des nations sous l’unif
35
’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirante
et
délicieuse comme les secondes voix de Schumann. Un mythe nouveau pren
36
t l’avant-guerre, les souvenirs de notre enfance.
Et
voici que ce Temps Perdu, tout d’un coup, est encore plus proche : c’
37
e était notre manière toute naturelle de respirer
et
de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs
38
toute naturelle de respirer et de penser, d’aller
et
venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien d
39
relle de respirer et de penser, d’aller et venir,
et
d’entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien de temps en
40
ombien de semaines pourrons-nous goûter ce répit,
et
sentir que nous prolongeons une existence que nos fils appelleront do
41
ouvons que le monde a glissé dans une ère étrange
et
brutale, où ces formes de vie, qui sont encore les nôtres, ne peuvent
42
us dresse à résister, il faudra changer de rythme
et
rectifier la tenue, bander tous les ressorts, mobiliser les cœurs… C’
43
« charme » qu’elle fait régner. Des lois adroites
et
humaines ne suffiront jamais à l’assurer : il y faut ce climat sentim
44
de mettre en question l’usurpateur du Hradschin.
Et
dès lors qu’il l’a mis en question, et qu’il nous force au « réalisme
45
Hradschin. Et dès lors qu’il l’a mis en question,
et
qu’il nous force au « réalisme » à sa manière, le charme est détruit
46
s vies. Nous sommes pareils à celui qui s’éveille
et
goûte encore quelques instants les délices d’un rêve inachevé. Mais i
47
humaine, plus « inutile » que jamais, dominatrice
et
bafouée. b. Rougemont Denis de, « Le bon vieux temps présent », Le
48
’une revue de jeunes vient de poser aux écrivains
et
aux sociologues, on voudrait qu’elle atteigne aussi le grand public,
49
e son veston pour lui demander sans préambule : «
Et
vous donc, en qui croyez-vous ? De qui suivez-vous les conseils ? » L
50
ons personnelles. Je réserve les cas des meneurs.
Et
j’ajoute aux grands romanciers les directrices de magazines féminins,
51
enquête : le profond désarroi moral qu’elle avoue
et
, d’autre part, la multiplicité, c’est-à-dire l’impuissance pratique d
52
rables influences incontrôlées, donc tyranniques,
et
au surplus contradictoires. Nous croyons aux recettes de la Science a
53
, la Mode vous impose des bas de soie. Les romans
et
les films nous enfièvrent d’une nostalgie d’amour-passion dont nous n
54
, nous avons vingt tyrans qui nous poussent à hue
et
à dia. Au lieu d’un directeur qui nous parle à mi-voix, ces appels pa
55
entit d’En avant ! qui ne savent pas où ils vont.
Et
toutes ces « directions » désorientées, à courte vue, se neutralisent
56
vital. Voici la chance alors des grands meneurs,
et
l’heure des Guides. Un Duce, un Führer vont se dresser et nous cingle
57
re des Guides. Un Duce, un Führer vont se dresser
et
nous cingler de grosses ironies. Nous avons perdu le sens de la grand
58
sont nos lourds instincts, nos peurs, nos haines
et
nos orgueils puérils, nos réflexes d’animaux attroupés. Les grands me
59
ement parler, sont des directeurs d’inconscience.
Et
leur succès c’est de nous délivrer de nos contradictions morales, par
60
re « mis au pas ». Faut-il choisir entre anarchie
et
dictature ? Mais l’une et l’autre sont désorientées. Car la seule dir
61
choisir entre anarchie et dictature ? Mais l’une
et
l’autre sont désorientées. Car la seule direction réelle, elle est da
62
difficile entre un pays qui a fait une révolution
et
ses voisins qui en ont fait d’autres, ou qui n’en ont pas fait depuis
63
san prussien. D’où les malentendus que l’on sait,
et
les « explications » un peu brutales qui aboutirent au compromis boit
64
r, lui aussi, de pratiquer les droits de l’homme…
Et
puis l’on fut contraint de se rendre à l’évidence ; décidément, cela
65
ois pouvoir dire que le système est assez simple,
et
qu’il consiste à peu près en ceci : reprendre le vocabulaire démocrat
66
e, vend la mèche lorsqu’elle oppose à la violence
et
au bellicisme de Roosevelt le sens du droit et le pacifisme des dicta
67
ce et au bellicisme de Roosevelt le sens du droit
et
le pacifisme des dictateurs. Ce n’était donc pas plus malin que cela
68
? Il suffit de poser à la clé : noir égale blanc,
et
ainsi de suite. Enfin l’on va pouvoir s’entendre ! Toutefois, comme e
69
. J’examinerai à cet égard trois termes : liberté
et
justice, qui viennent de notre fonds, et le néologisme espace vital.
70
liberté et justice, qui viennent de notre fonds,
et
le néologisme espace vital. On ignore trop souvent que la liberté sig
71
ur les vieux Germains le droit de porter une arme
et
de la garder chez soi. Il est donc assez naturel que le congrès de Nu
72
libertés d’ordre civil. Il est en soi la liberté,
et
nulle autre n’est concevable… La justice est pour nous le respect du
73
le… La justice est pour nous le respect du droit,
et
au-delà de la lettre d’un code, une manière objective de jauger les a
74
de la plénitude d’une vitalité sûre d’elle-même,
et
non pas de comparaisons abstraites. C’est en quoi les notions françai
75
s abstraites. C’est en quoi les notions française
et
allemande de justice s’opposeront pendant plusieurs décades encore. »
76
ontraire ce qui est indispensable pour satisfaire
et
augmenter une « vitalité sûre d’elle-même ». L’espace vital, c’est ce
77
ce vital, c’est celui que réclament non la misère
et
la famine, mais l’orgueil et la boulimie. Ce sont les blés moraves et
78
lament non la misère et la famine, mais l’orgueil
et
la boulimie. Ce sont les blés moraves et les pétroles roumains, réser
79
’orgueil et la boulimie. Ce sont les blés moraves
et
les pétroles roumains, réserves de guerre. Ce qui est vital, c’est do
80
nd — d’affirmer une « vitalité sûre d’elle-même »
et
de « consolider la paix »… Bornons-nous à remarquer qu’aux yeux des p
81
de mots », Le Figaro, Paris, 24 avril 1939, p. 1
et
3.
82
« Le matin vient,
et
la nuit aussi » (7 juin 1939)e Le désarroi de l’époque — nous liso
83
inable. Comme si le désordre était sans précédent
et
sans lendemain prévisible. Et pourtant le désordre dure. Il se confon
84
tait sans précédent et sans lendemain prévisible.
Et
pourtant le désordre dure. Il se confond avec notre vie même, avec la
85
même, avec la Vie ! Certes, l’anarchie des mœurs
et
des idées s’accroît d’une anxiété de jour en jour plus justifiée, à c
86
jour plus justifiée, à cause des crises sociales
et
politiques. Et pourtant nous vivons ! Et notre vie, loin de se replie
87
ifiée, à cause des crises sociales et politiques.
Et
pourtant nous vivons ! Et notre vie, loin de se replier dans la crain
88
sociales et politiques. Et pourtant nous vivons !
Et
notre vie, loin de se replier dans la crainte, s’exalte aux approches
89
dans la crainte, s’exalte aux approches du péril
et
s’en nourrit plus qu’on n’oserait l’avouer. Après tout, nous ne somme
90
que est l’époque même de la Crise. S’il est juste
et
salutaire de la considérer dans ce qu’elle a d’unique, dans sa réalit
91
ivre avec lucidité. L’Europe a connu des paniques
et
des nuits plus terribles que les nôtres, au lendemain des grandes inv
92
mort à grande distance, les moyens de propagande
et
de pression morale tels que radio, police et presse, introduisent dan
93
ande et de pression morale tels que radio, police
et
presse, introduisent dans le monde actuel des possibilités plus radic
94
itants de Magdebourg, sous Wallenstein, le paysan
et
l’artisan français jouissaient d’une quiétude parfaite. Ainsi la vie
95
lement, maintenant, cela se sait. Voilà la grande
et
la seule différence. Et voilà notre chance aussi. L’homme n’est pas f
96
se sait. Voilà la grande et la seule différence.
Et
voilà notre chance aussi. L’homme n’est pas fait pour vivre en état d
97
la paix : cette ignorance satisfaite du désordre
et
des injustices établies. La menace de guerre qui pèse sur nous pourra
98
s. La menace de guerre qui pèse sur nous pourrait
et
devrait être le remède à cette paix-là. Tout dépend de l’usage que l’
99
rer ? Mais l’espoir est toujours « malgré tout »,
et
c’est alors qu’il est vraiment le gage d’une vie qui vaille d’être vé
100
e, au contraire, dans la connaissance du désordre
et
des périls inhérents au progrès, la chance d’une grandeur qui, elle a
101
inelle, que dis-tu de la nuit ? — Le matin vient,
et
la nuit aussi ! » C’est toujours le même drame que nous vivons, qu’il
102
, en fin de compte, ce n’est pas le sort matériel
et
le bonheur plus ou moins grand de la cité, mais les raisons de vivre
103
l’habitent. Ce n’est pas la somme de leurs soucis
et
de leurs plaisirs, mais le sens qu’ils découvrent à l’existence, à la
104
ons notre chance de vivre une vie plus consciente
et
réelle. Quoi qu’il advienne, sachons voir en toutes choses la double
105
la double possibilité qu’elles offrent, le matin
et
la nuit qui viennent, et qui ne cesseront de venir jusqu’au Jour éter
106
’elles offrent, le matin et la nuit qui viennent,
et
qui ne cesseront de venir jusqu’au Jour éternel ! Prenons notre régim
107
e vie tendue ; il suffit de savoir ce qui compte,
et
que la Joie ne dépend pas de nos misères. J’y songeais l’autre soir,
108
tendant la Jeanne d’Arc au bûcher de Paul Claudel
et
Arthur Honegger, cette bouleversante déclamation chorale, vers la fin
109
ons ! e. Rougemont Denis de, « ‟Le matin vient
et
la nuit aussi” », Le Figaro, Paris, 7 juin 1939, p. 1 et 3. f. « Kau
110
uit aussi” », Le Figaro, Paris, 7 juin 1939, p. 1
et
3. f. « Kaur » dans la version originale imprimée, manifestement une
111
ça le bonhomme antisémite, affirmant son humanité
et
sa parfaite liberté d’esprit. Puis s’étant excepté de la commune sott
112
e sottise, ayant sauvé l’honneur pour ainsi dire,
et
donné à tout son discours un cachet d’objectivité — « Je n’en fais pa
113
». La phrase est devenue proverbiale en Amérique,
et
c’est fort bien : on ne tue les préjugés que par le ridicule ; quand
114
onsidérable dans la presse de « gauche modérée ».
Et
d’autres pensent que non, ainsi Glenway Wescott, qui vient de le démo
115
s la situation telle qu’elle s’offre en Allemagne
et
aujourd’hui, aux yeux de ceux qui doivent en décider. Une anecdote la
116
civil réunit cent personnes, au hasard de la rue,
et
se met à les interroger. « Êtes-vous nazis ? » Tous jurent que non. L
117
Il doit donc bien y avoir des nazis en Allemagne
et
même en assez grande quantité… Le porte-parole du groupe allemand — v
118
uifs, les ploutocrates américains, les démocrates
et
les bolchéviques ! » Qu’il y ait ou non de « bons Allemands », cette
119
bservé : les Allemands ne mentent pas comme nous.
Et
c’est un fait fondamental dont il convient de tenir compte quand on p
120
problème allemand ». Ils mentent avec sincérité,
et
nous mentons avec mauvaise conscience. Quand nous mentons, nous savon
121
ne change pas pour si peu. Elle subsiste intacte
et
nous juge. Eux croient, s’ils changent d’avis par « intérêt vital »,
122
enfance le respect sacré de la définition légale
et
objective de quelques mots. Responsable est celui qui a tiré le premi
123
premier. Battu, celui qui touche des deux épaules
et
se met à faire le bon apôtre. Nazi, celui qui accuse dans la même phr
124
uifs, les ploutocrates américains, les démocrates
et
les bolchéviques ». Et cette définition vaut pour tous les pays. g.
125
américains, les démocrates et les bolchéviques ».
Et
cette définition vaut pour tous les pays. g. Rougemont Denis de, «
126
août Une nouvelle vague de chaleur sur New York,
et
voici les balcons, les terrasses, les jardins suspendus jusqu’au tren
127
pir… La vie s’arrête. Le business même s’alourdit
et
s’endort. Dans la rue des gens tombent. Le veston sur le bras, on err
128
salles réfrigérées où l’on entre le souffle coupé
et
d’où l’on ressort avec un rhume. La semaine dernière, il gelait presq
129
L’Américain doit conserver sa garde-robe entière
et
tout son équipement d’appareils électriques à chauffer, à glacer, à t
130
tropiques où le litre de rhum qu’on boit par jour
et
par personne, enfants compris, n’est qu’une défense, d’ailleurs déses
131
contre la torpeur écrasante qui tombe des arbres
et
du ciel. Aux régions polaires sans été. Au faux printemps perpétuel d
132
carte postale qui baigne la cuvette californienne
et
qui explique cette irréalité fade et flatteuse de tant de films tourn
133
alifornienne et qui explique cette irréalité fade
et
flatteuse de tant de films tournés à Hollywood. Aux toundras, steppes
134
Aux toundras, steppes, déserts, pampas, glaciers,
et
jungles qui couvrent neuf dixièmes des continents… Notre terre est à
135
re terre est à peine habitable, dans l’ensemble !
Et
dans les régions plutôt rares où les conditions naturelles tolèrent l
136
t. Où trouver un pays qui ne harcèle pas l’homme,
et
qui lui laisse le loisir d’être humain, au lieu de le forcer sans trê
137
que ceux qu’organise l’homme lui-même : la guerre
et
la révolution. Seul pays dont tous les manuels nous apprennent dès l’
138
tous les manuels nous apprennent dès l’enfance —
et
nul ne s’en étonne — qu’il possède un climat tempéré. C’est la France
139
ères considéraient comme simple, typique, évident
et
« normal », la paix, la lumière blanche, l’atome d’hydrogène, la géom
140
acrer son ingéniosité à faire des arts, des armes
et
des lois, de la politique, des robes et une littérature, plus quelque
141
des armes et des lois, de la politique, des robes
et
une littérature, plus quelques âmes de climat dur, de Pascal à Rimbau
142
re même au rang de grande puissance d’invention —
et
je prends le mot puissance au sens de potentiel. Si elle doit cesser
143
que se passera-t-il ? On verra le reste du monde,
et
pendant des siècles peut-être, s’efforcer de reproduire et de rejoind
144
t des siècles peut-être, s’efforcer de reproduire
et
de rejoindre par les plus coûteux artifices, ce climat qu’un Français
145
tout court — elle a moins de chances de renaître
et
moins d’avenir que les ordres de chevalerie. Et je ne dis pas que les
146
e et moins d’avenir que les ordres de chevalerie.
Et
je ne dis pas que les conflits vont cesser ; que les forts vont renon
147
obes vont faire la paix avec les globules blancs,
et
les tigres devenir végétariens. Mais je dis que les militaires n’ont
148
aux sports. Que la guerre n’est plus leur métier.
Et
que par conséquent il n’y aura plus de guerre au sens classique et mu
149
uent il n’y aura plus de guerre au sens classique
et
multimillénaire du mot. « Il y aura toujours des guerres ! », nous di
150
s leurs, les « vraies », les héroïques, costumées
et
casquées, avec mouvements tournants, percées au centre, retraites str
151
dant de l’infanterie, ordres du jour électrisants
et
grands chefs adulés par des effectifs considérables. Il faut en prend
152
des kilomètres, des bataillons, des trajectoires
et
des vitesses d’avions, fait place aux raffinements ultramathématiques
153
ueule, les traditions de corps, le génie du poker
et
la cravache, n’ont pas d’emploi dans les laboratoires. Les capitaines
154
ns les laboratoires. Les capitaines au grand cœur
et
les armées en bel arroi qui s’avanceraient avec une mâle vertu au-dev
155
e 6 août. Les Alexandre, les Condé, les MacArthur
et
leurs troupes même motorisées, ne pourront plus servir, à l’occasion,
156
ur le combat de rues, les petites guerres civiles
et
autres différends d’intérêt local, voire municipal, au titre de la po
157
rêt local, voire municipal, au titre de la police
et
des pompiers. Il ne faut pas se dissimuler que ce déclassement brusqu
158
voquer dans le monde entier un sentiment de vague
et
vaste frustration. (L’Europe sera plus touchée que l’Amérique.) On ne
159
goût des uniformes, du jeu des soldats de plomb,
et
de l’usage quotidien de métaphores guerrières, intimement lié, depuis
160
navals mondiaux remplaceront désormais, pour nous
et
nos enfants, les « grandes parades » qui firent le principal de notre
161
endront mobiles — leur seule défense imaginable —
et
la circulation sera dégorgée dans l’invisible stratosphère… Quant aux
162
aussi, avec la poésie de la durée, de la distance
et
de la nostalgie. Jusqu’au jour où l’humanité, sur les traces d’un gra
163
it avion luisant au cirque lumineux des collines,
et
va creuser un sillon d’or neigeux. Sur l’autre rive, la cloche du cou
164
de ses eaux, se nomme aujourd’hui le Lake George
et
fut le Horicon de Fenimore Cooper, le lieu des aventures et de la mor
165
Horicon de Fenimore Cooper, le lieu des aventures
et
de la mort d’Œil de faucon et du dernier des Mohicans. Rien n’a chang
166
lieu des aventures et de la mort d’Œil de faucon
et
du dernier des Mohicans. Rien n’a changé dans le paysage depuis Coope
167
t était resté pareil depuis l’époque des Iroquois
et
des Hurons. Les villages et les villes portent encore des noms de Sag
168
l’époque des Iroquois et des Hurons. Les villages
et
les villes portent encore des noms de Sagamores ou de tribus fameuses
169
eaux enchevêtrés des rives, parcourus d’écureuils
et
d’oiseaux-mouches. C’est ici l’Amérique de mon enfance. Non point la
170
bany. Je connais bien son petit-fils. Roi du pays
et
chef de tribu politique, il possède la plupart des maisons riveraines
171
anné comme un Indien, juste juge, roublard, riche
et
pieux. Sa femme préside, avec un optimisme effervescent le Comité pou
172
effervescent le Comité pour les étudiants pauvres
et
démocrates de New York, qu’elle voudrait arracher au « totalitarisme
173
e des filles vient d’épouser un avocat socialiste
et
sportif. La seconde est femme de pasteur. La cadette rêvant d’être ac
174
pparence. On dit le benedicite avant de s’asseoir
et
l’on pose au café des problèmes de roman détective. Les Européens vus
175
estions qu’on m’adresse, apparaissent inquiétants
et
inquiets, amers et pleins d’idées nouvelles. La vie de ce district es
176
esse, apparaissent inquiétants et inquiets, amers
et
pleins d’idées nouvelles. La vie de ce district est restée communale,
177
de ce district est restée communale, patriarcale
et
paroissiale, dans la vraie tradition républicaine que « ces gens » de
178
ire à coups de décrets socialisants, capitalistes
et
centralisateurs. Point d’usine au village, mais quatre églises : l’an
179
rte porte aujourd’hui : « Nous sommes catholiques
et
protestants. » Les rives, les îles s’ornent de monuments souvent couv
180
ent couverts de noms français : morts de Montcalm
et
morts des guerres d’Indépendance. La liberté et la démocratie montren
181
m et morts des guerres d’Indépendance. La liberté
et
la démocratie montrent ici plus d’un visage. Comme ailleurs. Mais ici
182
lité de se mettre à l’abri des menaces naturelles
et
matérielles, d’une sauvagerie profonde à portée de la main. D’où la m
183
preté des maisons de bois blanc de cette contrée,
et
la rigidité de sa morale, de ses préjugés séculaires. Il me semble av
184
mêlent, où l’argent seul existe… On voit New York
et
Chicago, Pittsburg sans doute. Qu’on n’oublie pas l’esprit qui règne
185
blie pas l’esprit qui règne encore sur les forêts
et
sur les lacs innombrables du continent, l’esprit subtil et ombrageux
186
s lacs innombrables du continent, l’esprit subtil
et
ombrageux de l’éternel dernier des Mohicans ! Vaincu, il a conquis l’
187
hicans ! Vaincu, il a conquis l’âme des pionniers
et
gouverne par elle une Amérique secrète, qui sent mieux son histoire r
188
Le savant
et
le général (8 novembre 1945)k À une heure de New York, à Princeton
189
op parfait, cette ambiance d’innocence, de sports
et
d’ombres vertes, que vivent et pensent quelques-uns des esprits qui a
190
nocence, de sports et d’ombres vertes, que vivent
et
pensent quelques-uns des esprits qui auront le plus contribué à trans
191
’un des as du très petit groupe de mathématiciens
et
de physiciens qui a mis au point la bombe atomique. Tout à l’heure, d
192
eure, devant ma fenêtre, un homme en sweater bleu
et
pantalon de flanelle passait les cheveux au vent — deux belles touffe
193
belles touffes blanches en désordre « génial » —
et
c’était l’un de mes voisins, Albert Einstein, le patriarche du nouvel
194
oir. Sa chevelure m’indique la direction du vent,
et
son aspect met en fuite ma petite fille. À quoi pense-t-il ? De ce ce
195
peu de signes. Mais je ne suis pas un physicien,
et
n’ai d’autre spécialité que de réfléchir aux conséquences générales d
196
équences générales des découvertes particulières,
et
aux liaisons humaines qu’elles affectent. Comme partout en Amérique —
197
t. Leur mauvaise conscience les a rendus prudents
et
sages. Ils se sentent accusés sourdement d’avoir causé trois-cent-mil
198
s sourdement d’avoir causé trois-cent-mille morts
et
créé une menace planétaire. Aussi défendent-ils tous l’idée que la gu
199
ue la guerre des bombes serait la fin des hommes,
et
que le seul moyen de l’empêcher est un gouvernement mondial. Ils part
200
Ils partagent mon avis sur l’inutilité des armées
et
des flottes de l’air ou de la mer, cependant que les généraux, les jo
201
mer, cependant que les généraux, les journalistes
et
les politiciens continuent de déraisonner comme un seul homme. Le New
202
s puissants : les uns par la logique, le bon sens
et
le réalisme, les autres par l’autorité et les passions qui les soutie
203
on sens et le réalisme, les autres par l’autorité
et
les passions qui les soutiennent. Voici d’abord l’opinion du chef sup
204
. C’est bien l’avis qu’on attendait d’un général.
Et
il illustre sa pensée. « Supposez, dit-il, deux savants, l’un en Alle
205
Supposez, dit-il, deux savants, l’un en Allemagne
et
l’autre à Washington. Chacun pèse sur un bouton, et une terrifiante e
206
l’autre à Washington. Chacun pèse sur un bouton,
et
une terrifiante explosion se produit dans le territoire de l’autre. L
207
’au jour où quelqu’un s’empare d’un des boutons :
et
voilà qui suppose une force armée. » Le général Marshall ajoute : « L
208
arer d’une île qui nous servira de base de tir. »
Et
il conclut que les conditions fondamentales de la guerre n’ont pas ch
209
dans la situation. Pour transporter l’infanterie
et
les chars nécessaires à la conquête d’une île ou des bases ennemies,
210
u’ils ont peu de chances de recevoir des renforts
et
des munitions de leur pays, plus qu’à moitié détruit. Ils verront que
211
eut faire l’infanterie américaine ? Attaquer ? Où
et
quand ? Se défendre ? Contre qui ? On dit : « C’est toujours l’infant
212
aut à un corps expéditionnaire pour les franchir,
et
les conditions dans lesquelles il s’ébranlera. Il a fallu deux ans au
213
deux ans aux Américains pour débarquer en Europe,
et
leur pays était resté à l’abri des bombardements. Même s’il leur faut
214
st certainement pas pour les raisons qu’il donne.
Et
pourquoi n’en pas donner d’autres, si elles existent ? La guerre n’a
215
il n’y aurait plus personne pour tirer en second,
et
retourner le feu, comme on disait naguère. Le général Marshall l’aura
216
nt raréfié. k. Rougemont Denis de, « Le savant
et
le général », Le Figaro, Paris, 8 novembre 1945, p. 1.
217
que du négatif : l’écrasement matériel des nazis,
et
des ruines. Trois grandes nouveautés, répondrai-je au contraire. Le t
218
au contraire. Le triomphe d’un régime. Une idée.
Et
une arme. (Je n’ai guère parlé que de ces trois sujets dans mes chron
219
tie, que plus personne qui compte n’ose attaquer,
et
dont toutes les puissances dignes du nom se réclament aujourd’hui par
220
pensée globale », comme disent les Anglo-Saxons.
Et
cette arme, c’est la bombe atomique. Or, remarquez que la démocratie
221
atie triomphante (en théorie), l’idée planétaire,
et
l’arme vingt mille fois plus puissante que toutes les autres jouent d
222
autres jouent dans le même sens, se prêtent appui
et
se renforcent mutuellement. Voici comment. Un gouvernement mondial co
223
d’être trop faible pour gouverner effectivement,
et
celui d’être trop fort pour que survivent les libertés nationales ou
224
sa tâche, qui est de faire la police des nations,
et
d’une arme qui, par nature, serait démesurée pour un seul peuple, tan
225
nit une garantie de contrôle des autorités élues,
et
diminue le danger d’un coup de force opéré contre le pouvoir internat
226
ous sortons, semblent donc converger vers un seul
et
même but, indiquer une seule et même voie, une solution proche et déf
227
rger vers un seul et même but, indiquer une seule
et
même voie, une solution proche et définitive des conflits internation
228
iquer une seule et même voie, une solution proche
et
définitive des conflits internationaux. L’idée, la nécessité, et la p
229
es conflits internationaux. L’idée, la nécessité,
et
la possibilité pratique d’un gouvernement fédéral de la planète nous
230
stoire nous apprend aussi que l’homme est stupide
et
mauvais, qu’il a peur de voir grand, et qu’il préfère en général ses
231
t stupide et mauvais, qu’il a peur de voir grand,
et
qu’il préfère en général ses vieux litiges locaux, qu’il appelle inté
232
tés d’union mondiale qui sont ouvertes désormais,
et
insister sur le caractère inévitable de cette solution : tout nous y
233
inévitable de cette solution : tout nous y mène,
et
tôt ou tard elle s’imposera, malgré nous, si ce n’est par notre actio
234
me en plein essor, contrecoup fatal de la guerre,
et
fièvre spécifique des démocraties physiquement ou moralement déprimée
235
Parmi les sous-secrétaires d’État, les diplomates
et
les virtuoses, j’ai trouvé deux ou trois prix Nobel, très entourés. —
236
ous n’avons devant nous que des faits mesurables.
Et
cela tue l’imagination. — Pensez-vous, dit une autre dame, que la Bom
237
rtains de mes collègues ont envisagé l’hypothèse,
et
sont de l’avis qu’elle n’est pas improbable. D’autres, comme moi, pen
238
veut. À peine sorti, je me suis mis à réfléchir,
et
m’étant égaré comme de coutume, j’ai eu le temps de trouver une ou de
239
derniers nous sont posés, dans des termes urgents
et
concrets. Quel est le sens de la vie si elle finit demain ? Qu’est-ce
240
ète. Les événements qui dépassent l’imagination —
et
celui-ci ne saurait être dépassé lui-même — n’intéressent ou n’inquiè
241
danger ou le malheur individuel que l’on redoute,
et
dont on souffre, surtout par la comparaison avec la meilleure chance
242
du dernier match Armée-Marine. Je ne savais pas.
Et
j’étais en civil ! Voilà comment l’arrière trahit ! m. Rougemont D
243
isas (23 avril 1946)n On m’écrit cela de Paris
et
l’on ajoute que je ferais bien de rentrer, sous peine de ne pas compr
244
pas comprendre la réalité européenne en général,
et
française en particulier. Je pourrais me contenter de répondre : c’es
245
à m’en tirer par une réplique, même de bon sens,
et
j’ai quelques raisons de prendre la France plus au sérieux, plus au t
246
ux de partir. Je vois les avantages de l’Amérique
et
ses défauts, mieux qu’ils ne sont en mesure de les imaginer. Cela se
247
. Il n’est qu’une solution, qui est d’aller voir,
et
d’essayer le pays comme un nouveau costume. Et je me dis que le probl
248
r, et d’essayer le pays comme un nouveau costume.
Et
je me dis que le problème est mal posé. Il ne s’agit ni de « partir »
249
ns hésiter : il ne s’agit ni de choisir une terre
et
ses morts contre le globe et ses vivants ; ni de choisir le nomadisme
250
de choisir une terre et ses morts contre le globe
et
ses vivants ; ni de choisir le nomadisme permanent et l’exil par prin
251
es vivants ; ni de choisir le nomadisme permanent
et
l’exil par principe ou dégoût. Mais simplement de vivre au xxe siècl
252
Combien d’hommes d’aujourd’hui vivent leur temps
et
se trouvent pratiquement en mesure de le vivre ? Combien sont-ils enc
253
ien sont-ils encore du Moyen Âge, ou du bourgeois
et
lent xixe siècle ! Serait-ce manque d’imagination ? Certes, il en fa
254
vite que Jules Verne n’a pu le rêver. C’est cela,
et
c’est aussi le cauchemar des visas. Si cette folie furieuse et inutil
255
i le cauchemar des visas. Si cette folie furieuse
et
inutile ne régnait pas sur le monde d’après-guerre, le problème parti
256
stion de couper les ponts, de brûler ses pénates,
et
autres rites attestant devant les mânes des ancêtres un choix farouch
257
rrévocable. Se déplacer devient un geste naturel,
et
partir annonce revenir comme on prend un billet d’aller et retour. La
258
annonce revenir comme on prend un billet d’aller
et
retour. La poésie des voyages a vécu, la tragédie des départs a vécu.
259
exclusive de la curiosité, un accueil plus ferme
et
plus souple de la diversité des êtres et des coutumes. Aimez votre te
260
us ferme et plus souple de la diversité des êtres
et
des coutumes. Aimez votre terre et quittez-la. Quittez-la trois fois
261
sité des êtres et des coutumes. Aimez votre terre
et
quittez-la. Quittez-la trois fois et revenez-y trois et quatre fois,
262
votre terre et quittez-la. Quittez-la trois fois
et
revenez-y trois et quatre fois, selon l’arithmétique du cœur. Le noma
263
ttez-la. Quittez-la trois fois et revenez-y trois
et
quatre fois, selon l’arithmétique du cœur. Le nomade n’aime pas sa te
264
la meilleure manière, s’il refuse tout le reste,
et
la comparaison. Il faut s’ouvrir. Il faut aimer. Il faut cesser de tr
265
aut aimer. Il faut cesser de trouver cela nigaud,
et
de faire le coq de village tout hérissé, griffu, inefficace. Circulez
266
é, griffu, inefficace. Circulez donc, allez voir,
et
aimez. Puis choisissez. Revenez si le cœur vous en dit. Mais je sais
267
us empêchent de rejoindre le siècle, de l’habiter
et
d’user de ses dons. Forçons les gouvernants à nous répondre : à quoi
268
uve plus d’Allemagne mais une question allemande.
Et
ce qui me frappe d’abord, c’est de la trouver posée de manière si con
269
es on manifeste tant de haine pour les Allemands.
Et
beaucoup de Suisses s’étonnent de voir des résistants parler avec hum
270
refusaient de croire Hitler si dangereux que ça,
et
qui, maintenant que Hitler est abattu, ne pensent qu’à se protéger co
271
nsent qu’à se protéger contre un réveil allemand.
Et
des Suisses, dont le sens démocratique a toujours violemment répugné
272
ent du statut de la Ruhr, d’alliances préventives
et
de garanties à obtenir contre un réarmement secret du Reich. Les aspe
273
éarmement secret du Reich. Les aspects politiques
et
militaires apparaissent donc comme décisifs. Tout au moins semble-t-o
274
accorder le premier rang dans un ordre d’urgence.
Et
soudain je me demande non sans angoisse : n’est-on pas en train de pr
275
adopter l’attitude ferme qu’il eût fallu prendre,
et
maintenir en dépit des Anglais, de 1919 à 1938 ? N’est-on pas en trai
276
ils ne songent qu’à la guerre, toute leur pensée
et
tous leurs actes y tendent, et ils sont forts ! — beaucoup trouvaient
277
toute leur pensée et tous leurs actes y tendent,
et
ils sont forts ! — beaucoup trouvaient cela désagréable. Certains all
278
écrivant la puissance d’Hitler, au lieu d’en rire
et
de répéter qu’il n’avait pas l’appui des masses prolétariennes. C’éta
279
mée motorisée, son industrie prête pour la lutte,
et
ses 80 millions d’habitants. Aujourd’hui le colosse est à terre et de
280
s d’habitants. Aujourd’hui le colosse est à terre
et
deux super-colosses se sont levés, projetant leurs ombres démesurées
281
l vivait ? Les grands vivants du jour sont l’URSS
et
l’Amérique. Voilà qui modifie radicalement les proportions du conflit
282
ons du conflit séculaire qui opposait l’Allemagne
et
la France. À vrai dire, on ne voit plus de conflit. La France n’est p
283
ais d’un vaste glacis désolé sur lequel s’allonge
et
se cherchent les deux grandes ombres que j’ai dites. Considérons dans
284
armée, dans ses limites rétrécies entre la France
et
l’Union soviétique : 50 millions d’Allemands, au plus, que touchent 2
285
me forts, même réarmés, même n’ayant rien appris,
et
justifiant les pires méfiances qu’inspire l’histoire des vingt derniè
286
blème allemand, considéré sur les plans politique
et
militaire exclusivement, se ramène au problème des relations entre l’
287
se ramène au problème des relations entre l’URSS
et
les États-Unis. Mais il y a bien d’autres plans ! Il y a celui de la
288
ns ! Il y a celui de la santé morale de l’Europe.
Et
c’est cela que je crains qu’on oublie, à trop parler Ruhr, garanties,
289
de la laisser un politique de répression négative
et
anachronique, l’Allemagne est un danger nouveau bien aussi grave qu’a
290
’au temps d’Hitler. C’est un enfer à notre porte.
Et
rien n’est aussi contagieux. Il s’agirait de l’exorciser. Mais l’atti
291
pre à maintenir le mal. Comment le guérir là-bas,
et
le prévenir ici ? Faut-il « les » aider ? La Suisse, dans sa p
292
squ’en 1939, au sujet du régime hitlérien. Zurich
et
Bâle étaient sans doute les villes d’Europe qui se sentaient les plus
293
nchait l’un après l’autre les liens traditionnels
et
naturels qui rattachaient la Suisse allemande aux sources vives de sa
294
Suisse allemande aux sources vives de sa culture
et
de sa langue. Ce qu’on ne pardonnait pas à Hitler et à Goebbels, c’ét
295
de sa langue. Ce qu’on ne pardonnait pas à Hitler
et
à Goebbels, c’était de dénaturer le germanisme et de ravager l’espace
296
et à Goebbels, c’était de dénaturer le germanisme
et
de ravager l’espace vital qu’avait toujours été l’Allemagne pour les
297
, les écrivains, les théologiens, les commerçants
et
les industriels de la petite patrie de Gottfried Keller. Et c’est pou
298
ustriels de la petite patrie de Gottfried Keller.
Et
c’est pourquoi la résistance morale des Suisses, cernés par les total
299
ires pendant quatre ans, fut à la fois si unanime
et
si astucieusement prudente. On était presque à la merci de l’ennemi,
300
l’ennemi, mais on le connaissait par l’intérieur,
et
l’on savait qu’il s’agissait de vie ou de mort, sans compromis imagin
301
lecte cantonal, en haine de l’allemand officiel ;
et
la méfiance glaciale que je m’attirais en parlant le hochdeutsch dans
302
magasins de Berne : on me répondait en français,
et
tant pis pour l’accent et les fautes. La pitié active Aujourd’hu
303
répondait en français, et tant pis pour l’accent
et
les fautes. La pitié active Aujourd’hui, je découvre qu’à la hai
304
couvre qu’à la haine a succédé chez les meilleurs
et
les mieux informés un élan de pitié. Non pas de pitié sentimentale. (
305
dant pour coupable d’une catastrophe continentale
et
responsable du sort effrayant qu’il subit par un juste retour. Pour l
306
eux articles que je viens de lire dans les revues
et
les journaux alémaniques, la question allemande, aujourd’hui, se pose
307
e du cauchemar d’un bombardement moral, politique
et
physique dont chaque phase a duré quatre ans. Il remonte des abris, d
308
territoire à l’Est, qu’il n’a plus de quoi manger
et
qu’au surplus, loin qu’on le plaigne, on l’accuse formellement de s’ê
309
énorme de l’Histoire. Une conception réaliste
et
prudente Que faut-il faire vis-à-vis d’un tel peuple ? Il faut l’a
310
ut premièrement lui expliquer ce qui s’est passé,
et
lui montrer comment il fut complice des crimes qu’il rejette sur Himm
311
morale, l’ouvrir aux grands courants de l’Europe
et
du Monde ; enfin, il faut lui proposer un rôle normal, ni tyran ni vi
312
e mettre en mesure de reconnaître sa culpabilité,
et
de se guérir de sa névrose. Cette conception me paraît réaliste, et p
313
sa névrose. Cette conception me paraît réaliste,
et
prudente autant que chrétienne. Car le vrai danger allemand, en l’an
314
illions de prolétaires politiques, irresponsables
et
sans espoir, candidats au suicide, à la stupidité, à l’illuminisme et
315
idats au suicide, à la stupidité, à l’illuminisme
et
au crime. Les Alliés sauront-ils choisir entre une politique de camis
316
misole de force, propre à créer des fous furieux,
et
une politique de cure sévère, propre à guérir un peuple intoxiqué ? J
317
qu’elles donnent à songer « à des choses vivantes
et
vermeilles, malignement réduites en cendres : des pommes de Sodome ap
318
uelque distance du rivage parmi les blancs remous
et
les brisants, forment un spectacle vraiment plutonien ». Il y a près
319
siècle que Melville eut cette vision prophétique,
et
d’une peu croyable précision, de Bikini telle qu’elle sera demain, ap
320
tonienne » qui « réduira malignement en cendres »
et
en « énormes masses vitrifiées » les coraux, les vaisseaux de guerre
321
vitrifiées » les coraux, les vaisseaux de guerre
et
les cochons en uniforme qu’on y a mis en place d’équipages. Opératio
322
ation-carrefour vraiment. Carrefour de la panique
et
de l’orgueil humain. Carrefour d’une guerre enfin totale et d’une pai
323
gueil humain. Carrefour d’une guerre enfin totale
et
d’une paix enfin mondiale. Mais l’idée même de carrefour évoque celle
324
s nous engagent ces expériences — celle de demain
et
celle, beaucoup plus grave, projetée pour la fin du mois —, mais enco
325
s effets immédiats. Depuis des mois, en Amérique,
et
hier en France, on nous prédit des catastrophes possibles, de dimensi
326
se promèneraient autour du globe, semant la mort
et
la consomption lente dans les pays les plus lointains, aveuglant les
327
personne. Le fait est que personne n’a protesté,
et
la première des expériences est pour demain. À cette apathie plus qu’
328
ain. À cette apathie plus qu’étrange de l’opinion
et
de ses organes, je distingue au moins trois raisons. La première, c’e
329
ne saurait empêcher de jouer avec les allumettes.
Et
tant de gens s’ennuient sur la Terre, qu’ils la verraient bien volont
330
faite « dans un but militaire ». Ces quatre mots (
et
cette faute de français) réduisent au silence toute espèce d’objectio
331
même scientifique. Posons ici une question grave
et
malicieuse. Que pense-t-on qu’il se produirait si quelque groupe priv
332
pillage ! à l’existentialisme ou au surréalisme !
et
pire encore : à l’hitléro-trotskisme, à l’anarcho-cléricalisme sourno
333
exception, qu’il n’en est rien. À nous en croire,
et
nous sommes sincères, nous n’aimons vraiment que la paix. La paix nou
334
l ou tel pays, mais de l’ensemble de l’humanité.)
Et
maintenant, veuillez écouter la retransmission planétaire de la premi
335
des trompettes fracassantes de l’Apocalypse, — «
et
le tiers des navires périt ». Si c’est un four, comme certains le pré
336
imple que neuve en ce domaine : qu’on définisse —
et
il le fait sur l’heure — les conditions d’une vraie démocratie, et pu
337
l’heure — les conditions d’une vraie démocratie,
et
puis qu’on les crée en Allemagne. Inutile de dire que l’auteur de cet
338
ardé le réflexe de désigner nettement l’objectif.
Et
c’est un Américain : il se souvient de l’œuf de Colomb. De plus, il v
339
thème prévu : « Entre la théorie de la démocratie
et
sa pratique, dit-elle, il y a souvent d’énormes différences. » Elle m
340
rve ailleurs. Elle ne rate pas la question nègre.
Et
, sur ce point, elle a beau jeu. Car il faut bien avouer que certains
341
, exigeant une presse libre, des élections libres
et
des syndicats libres. Et il a conclu en affirmant qu’« une société n’
342
re, des élections libres et des syndicats libres.
Et
il a conclu en affirmant qu’« une société n’est pas libre tant que se
343
crainte d’être privés de la vie, de la prospérité
et
de la poursuite du bonheur » (termes empruntés, comme on sait, au pré
344
démocratie me paraît être le droit d’opposition.
Et
je parle d’une opposition non seulement tolérée, ou respectée, mais n
345
seulement tolérée, ou respectée, mais nécessaire
et
organique, selon le modèle anglo-saxon. Ce caractère suffit à disting
346
ne Église s’est toujours vue qualifiée d’hérésie,
et
non d’opinion différente. De même, l’opposition aux théories du parti
347
itaire, mais de trahison. On la punit comme telle
et
, dans le fait, elle est forcée d’agir comme telle. Je sais bien que l
348
un régime où l’opposition équivaut à la trahison,
et
se paye tôt ou tard de la vie. Que si l’on estime trop étroites les d
349
t : elles supposent toutes le droit d’opposition,
et
sans lui resteraient de vains mots. La liberté de religion. Toute rel
350
Sagesse
et
folie de la Suisse (13 octobre 1948)s « Le Suisse trait sa vache e
351
(13 octobre 1948)s « Le Suisse trait sa vache
et
vit paisiblement. » La carte postale est de Victor Hugo et date d’il
352
isiblement. » La carte postale est de Victor Hugo
et
date d’il y a près de cent ans. Aujourd’hui, ce qui frappe l’observat
353
culture ; près de trois cinquièmes de l’industrie
et
du commerce. Ces deux chiffres détruisent l’idylle, évoquent les lutt
354
e fièvre politique… Mais non, la Suisse s’obstine
et
, presque seule dans le monde depuis cent ans, elle vit paisiblement.
355
me un champion de tennis de sa raquette, élégance
et
dextérité. Il triomphe tour à tour dans la topographie politique et d
356
riomphe tour à tour dans la topographie politique
et
dans la géographie morale, dans l’analyse économique et dans la synth
357
s la géographie morale, dans l’analyse économique
et
dans la synthèse en une formule. Il nous montre la Suisse telle qu’el
358
s, unie par le refus de les uniformiser, libérale
et
disciplinée, traditionnelle et progressiste, neutre et armée… Il nous
359
formiser, libérale et disciplinée, traditionnelle
et
progressiste, neutre et armée… Il nous fait voir que tout se tient, q
360
sciplinée, traditionnelle et progressiste, neutre
et
armée… Il nous fait voir que tout se tient, que tout s’engrène avec n
361
quatre langues d’importance inégale elles aussi. (
Et
tout cela n’est rien encore, car les frontières de ces États et de ce
362
’est rien encore, car les frontières de ces États
et
de ces religions, ou de ces religions et de ces langues ne coïncident
363
es États et de ces religions, ou de ces religions
et
de ces langues ne coïncident presque jamais : calculez les combinaiso
364
pays que la Nature a privé de matières premières
et
dont le sol est en partie stérile, mais qui parvient à exporter près
365
’exposer aux démentis amers de ceux qui en vivent
et
qui en chérissent toutes les nuances. Sa prudence est d’ailleurs égal
366
marqué les différences entre le Suisse alémanique
et
le Suisse romand, entre celui-ci et le Français. Personne n’a mieux m
367
se alémanique et le Suisse romand, entre celui-ci
et
le Français. Personne n’a mieux montré pourquoi la politique se confo
368
ul but est d’assurer aux hommes plus de bien-être
et
d’avantages sociaux. En somme, à cette « démocratie-témoin », André S
369
a description, M Siegfried, à propos de la Suisse
et
de sa réussite fédéraliste, montre autant de méfiance qu’un vrai Bern
370
lle. C’est ce que pensent encore trop de Suisses,
et
voilà bien le reproche qu’il faut leur faire si l’on admire leur solu
371
’un système. Ce n’est pas une structure abstraite
et
géométrique, ce n’est pas un poncif à transporter. Mais il ne va pas
372
à transporter. Mais il ne va pas sans principes,
et
ceux-ci m’apparaissent susceptibles d’être appliqués à l’échelle de l
373
sés si l’on admet un pouvoir fédéral. On l’admet,
et
ces minorités jouent aussitôt un rôle de premier plan. L’Europe du xx
374
c plus grande. Mais les problèmes sont analogues,
et
l’attente des peuples est la même. « Oui, l’idée d’une commune patrie
375
l’un des précurseurs de la Constitution de 1848.
Et
quoi qu’en disent les détracteurs des temps modernes, c’est une des g
376
e la fédération du continent (peu s’avouent tels)
et
les sceptiques (dont l’espèce est courante) ne peuvent pourtant pas n
377
l’une des rares bonnes nouvelles de notre temps.
Et
vous pourrez y lire dans le concret une histoire qui dément la sagess
378
s. Rougemont Denis de, « [Compte rendu] Sagesse
et
folie de la Suisse », Le Figaro, Paris, 13 octobre 1948, p. 1 et 4.
379
Suisse », Le Figaro, Paris, 13 octobre 1948, p. 1
et
4.
380
ongère, elle est gagée sur des centaines de morts
et
de blessés. Étant dite, et de cette manière, non par certains pour le
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des centaines de morts et de blessés. Étant dite,
et
de cette manière, non par certains pour les besoins d’une polémique,
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de Marx, ou de Lénine, ou de Staline, mais dite,
et
sans retour, et de cette manière-là, par la révolte et les blessures
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Lénine, ou de Staline, mais dite, et sans retour,
et
de cette manière-là, par la révolte et les blessures et les cadavres
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ns retour, et de cette manière-là, par la révolte
et
les blessures et les cadavres des ouvriers de Berlin-Est, cette phras
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cette manière-là, par la révolte et les blessures
et
les cadavres des ouvriers de Berlin-Est, cette phrase crie sur la ter
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tyrannie totalitaire est un crime contre l’homme
et
ses jours, désormais, sont comptés. L’insurrection de toutes les vill
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ns, domina la conscience prolétarienne (de France
et
d’Italie, surtout) et l’inconscient de millions de bourgeois. Fin d’u
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ce prolétarienne (de France et d’Italie, surtout)
et
l’inconscient de millions de bourgeois. Fin d’un mythe, mais aussi d’
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ophes qui vantiez la violence ouvrière, substance
et
force du PC », allez redire aux Berlinois que « la classe ouvrière se
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émasqué comme le parti de la répression sanglante
et
de la déportation massive des travailleurs. C’est ici le lieu et le t
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ation massive des travailleurs. C’est ici le lieu
et
le temps de le répéter ou jamais : d’autres que les Soviets ont tiré
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toire depuis le xviiie siècle. Au nom de l’Ordre
et
de la Loi, au nom des droits sacrés de la Propriété, au nom des intér
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urs qui, eux, se révoltaient au nom de la Liberté
et
de leur dignité d’homme. C’était ignoble, et nous voyons bien pis. Il
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erté et de leur dignité d’homme. C’était ignoble,
et
nous voyons bien pis. Il était réservé au régime communiste de faire
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uvrier d’usine, de l’appeler dès lors « liberté »
et
d’exiger que les prolétaires, « spontanément », réclament au lieu d’a
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uvrant ces intérêts ; jamais au nom de la justice
et
des libertés populaires. J’imagine deux choses pires que la pire inju
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er de la cause ouvrière, à se parer de sa justice
et
de son nom, pour l’écraser ensuite, une fois qu’on a le Pouvoir, en r
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élioration de la vie, de haine contre le fascisme
et
les provocateurs. Qui ne voit aujourd’hui quels furent à Berlin-Est c
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aut pour tous leurs camarades des pays satellites
et
de l’URSS, et les tyrans l’ont confirmé en ouvrant le feu. L’impostur
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leurs camarades des pays satellites et de l’URSS,
et
les tyrans l’ont confirmé en ouvrant le feu. L’imposture communiste e
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e sentir à Berlin, surgissant d’un peuple écrasé.
Et
ce n’est pas l’Europe des marchandages entre nations qui entendent ch
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re nations qui entendent chacune recevoir le plus
et
croiraient trahir en donnant. C’est l’Europe qui crée son avenir et j
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ir en donnant. C’est l’Europe qui crée son avenir
et
justifie sa raison d’être par des hommes qui se sacrifient au service
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claves !” », Le Figaro, Paris, 25 juin 1953, p. 1
et
12.