1 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). L’ère des religions (22 février 1939)
1 e grande faim élémentaire trop longtemps refoulée et niée. L’histoire de l’après-guerre aux yeux de nos descendants sera p
2 dants sera peut-être moins l’histoire des traités et de leur périlleux ajustement, que l’histoire du réveil des religions
3 ières, puis le siècle individualiste, ont relâché et parfois même dissout les liens « sacrés » du corps social. Le xixe s
4 la décadence des formes, conventions, cérémonies et lieux communs qui étaient les signes extérieurs d’une communion tacit
5 e l’Empire romain. Mais de ce vide naît un appel. Et cet appel à une communauté nouvelle, à une « mystique » comme on le r
6 étien prenne conscience à la fois de cette chance et des risques immenses qu’elle ouvre. Car on ne peut plus se le dissimu
7 le fait religieux plus ignorantes, plus démunies et plus « barbares » que les peuplades polynésiennes avec leurs rites et
8 que les peuplades polynésiennes avec leurs rites et leurs sorciers. Si la faim religieuse s’éveille dans ces masses, elle
9 se satisfaire par les moyens les plus grossiers, et par exemple par le seul sentiment d’une fraternité charnelle, d’un co
10 mme telles, à la faveur d’un déploiement théâtral et géométrique, autour d’un chef qui ne veut être que leur incarnation e
11 r d’un chef qui ne veut être que leur incarnation et leur symbole. Des masses qui communient avec elles-mêmes dans un chan
12 nt triste ou dans un cri. Or ces religions vagues et violentes se cherchent pourtant une doctrine. N’étant pas nées d’une
13 dit saint Paul, « il n’y a plus ni Juif ni Grec, et tu es mon frère en la cité nouvelle si tu partages mon espérance. Et
14 en la cité nouvelle si tu partages mon espérance. Et tu es mon frère encore si tu la refuses, parce que j’espère pour toi,
15 ses révolues, sur tout ce que l’on a derrière soi et qui ne peut plus être changé : le sang, la race, la tradition, les mo
16 ette religion est, au suprême degré, intolérante, et plus qu’intolérante : on ne peut même pas s’y convertir ! Si l’on n’a
17 eulement : quels sont tes morts ? Religion du sol et du sang, religion sanglante et mortelle, religion des choses vieilles
18  ? Religion du sol et du sang, religion sanglante et mortelle, religion des choses vieilles, mortes et enterrées depuis de
19 et mortelle, religion des choses vieilles, mortes et enterrées depuis des millénaires, jamais « passées », et qui réclamen
20 rrées depuis des millénaires, jamais « passées », et qui réclament encore du sang, des morts, des cortèges funèbres, des c
21 Églises du Christ. C’est une opposition de nature et d’essence, radicale et insurmontable ; c’est l’affrontement du destin
22 t une opposition de nature et d’essence, radicale et insurmontable ; c’est l’affrontement du destin sombre et de la foi li
23 rmontable ; c’est l’affrontement du destin sombre et de la foi libératrice, des choses fatales et des « choses espérées »,
24 mbre et de la foi libératrice, des choses fatales et des « choses espérées », du culte des morts et de celui du Dieu vivan
25 es et des « choses espérées », du culte des morts et de celui du Dieu vivant. L’ère des religions s’ouvre à nous, chargée
26 ensaient n’avoir plus à redouter que l’incroyance et l’inertie. Peut-être vont-ils découvrir que l’adversaire fanatisé les
27 ersaire fanatisé les défie mieux que le sceptique et les ramène mieux à leur vraie force. Car il ne suffit plus d’entreten
28 épondre à une religion dans sa jeunesse virulente et affamée. Il faut se réduire aux vérités solides. À celles qui nourris
29 és solides. À celles qui nourrissent l’espérance, et non la peur ou la haine du voisin. Il faut surtout répondre mieux que
30 r si d’autres y ont mal répondu — les communistes et les fascistes — nous ne pourrons pas nous en tirer, pour notre part,
31 igions », Le Figaro, Paris, 22 février 1939, p. 1 et 3.
2 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). Le bon vieux temps présent (20 mars 1939)
32 à l’heure où on les perd. Souvenirs de Salzbourg et de Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à l’heure où s
33 perd. Souvenirs de Salzbourg et de Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à l’heure où sombrent des nations s
34 enirs de Salzbourg et de Prague, Mozart et Rilke, et la Vienne de Schubert — à l’heure où sombrent des nations sous l’unif
35 ’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirante et délicieuse comme les secondes voix de Schumann. Un mythe nouveau pren
36 t l’avant-guerre, les souvenirs de notre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’un coup, est encore plus proche : c’
37 e était notre manière toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs
38 toute naturelle de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien d
39 relle de respirer et de penser, d’aller et venir, et d’entretenir nos soucis, nos plaisirs personnels. Combien de temps en
40 ombien de semaines pourrons-nous goûter ce répit, et sentir que nous prolongeons une existence que nos fils appelleront do
41 ouvons que le monde a glissé dans une ère étrange et brutale, où ces formes de vie, qui sont encore les nôtres, ne peuvent
42 us dresse à résister, il faudra changer de rythme et rectifier la tenue, bander tous les ressorts, mobiliser les cœurs… C’
43 « charme » qu’elle fait régner. Des lois adroites et humaines ne suffiront jamais à l’assurer : il y faut ce climat sentim
44 de mettre en question l’usurpateur du Hradschin. Et dès lors qu’il l’a mis en question, et qu’il nous force au « réalisme
45 Hradschin. Et dès lors qu’il l’a mis en question, et qu’il nous force au « réalisme » à sa manière, le charme est détruit
46 s vies. Nous sommes pareils à celui qui s’éveille et goûte encore quelques instants les délices d’un rêve inachevé. Mais i
47 humaine, plus « inutile » que jamais, dominatrice et bafouée. b. Rougemont Denis de, « Le bon vieux temps présent », Le
3 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). Directeurs d’inconscience (11 avril 1939)
48 ’une revue de jeunes vient de poser aux écrivains et aux sociologues, on voudrait qu’elle atteigne aussi le grand public,
49 e son veston pour lui demander sans préambule : «  Et vous donc, en qui croyez-vous ? De qui suivez-vous les conseils ? » L
50 ons personnelles. Je réserve les cas des meneurs. Et j’ajoute aux grands romanciers les directrices de magazines féminins,
51 enquête : le profond désarroi moral qu’elle avoue et , d’autre part, la multiplicité, c’est-à-dire l’impuissance pratique d
52 rables influences incontrôlées, donc tyranniques, et au surplus contradictoires. Nous croyons aux recettes de la Science a
53 , la Mode vous impose des bas de soie. Les romans et les films nous enfièvrent d’une nostalgie d’amour-passion dont nous n
54 , nous avons vingt tyrans qui nous poussent à hue et à dia. Au lieu d’un directeur qui nous parle à mi-voix, ces appels pa
55 entit d’En avant ! qui ne savent pas où ils vont. Et toutes ces « directions » désorientées, à courte vue, se neutralisent
56 vital. Voici la chance alors des grands meneurs, et l’heure des Guides. Un Duce, un Führer vont se dresser et nous cingle
57 re des Guides. Un Duce, un Führer vont se dresser et nous cingler de grosses ironies. Nous avons perdu le sens de la grand
58 sont nos lourds instincts, nos peurs, nos haines et nos orgueils puérils, nos réflexes d’animaux attroupés. Les grands me
59 ement parler, sont des directeurs d’inconscience. Et leur succès c’est de nous délivrer de nos contradictions morales, par
60 re « mis au pas ». Faut-il choisir entre anarchie et dictature ? Mais l’une et l’autre sont désorientées. Car la seule dir
61 choisir entre anarchie et dictature ? Mais l’une et l’autre sont désorientées. Car la seule direction réelle, elle est da
4 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). Une simple question de mots (24 avril 1939)
62 difficile entre un pays qui a fait une révolution et ses voisins qui en ont fait d’autres, ou qui n’en ont pas fait depuis
63 san prussien. D’où les malentendus que l’on sait, et les « explications » un peu brutales qui aboutirent au compromis boit
64 r, lui aussi, de pratiquer les droits de l’homme… Et puis l’on fut contraint de se rendre à l’évidence ; décidément, cela
65 ois pouvoir dire que le système est assez simple, et qu’il consiste à peu près en ceci : reprendre le vocabulaire démocrat
66 e, vend la mèche lorsqu’elle oppose à la violence et au bellicisme de Roosevelt le sens du droit et le pacifisme des dicta
67 ce et au bellicisme de Roosevelt le sens du droit et le pacifisme des dictateurs. Ce n’était donc pas plus malin que cela 
68 ? Il suffit de poser à la clé : noir égale blanc, et ainsi de suite. Enfin l’on va pouvoir s’entendre ! Toutefois, comme e
69 . J’examinerai à cet égard trois termes : liberté et justice, qui viennent de notre fonds, et le néologisme espace vital.
70 liberté et justice, qui viennent de notre fonds, et le néologisme espace vital. On ignore trop souvent que la liberté sig
71 ur les vieux Germains le droit de porter une arme et de la garder chez soi. Il est donc assez naturel que le congrès de Nu
72 libertés d’ordre civil. Il est en soi la liberté, et nulle autre n’est concevable… La justice est pour nous le respect du
73 le… La justice est pour nous le respect du droit, et au-delà de la lettre d’un code, une manière objective de jauger les a
74 de la plénitude d’une vitalité sûre d’elle-même, et non pas de comparaisons abstraites. C’est en quoi les notions françai
75 s abstraites. C’est en quoi les notions française et allemande de justice s’opposeront pendant plusieurs décades encore. »
76 ontraire ce qui est indispensable pour satisfaire et augmenter une « vitalité sûre d’elle-même ». L’espace vital, c’est ce
77 ce vital, c’est celui que réclament non la misère et la famine, mais l’orgueil et la boulimie. Ce sont les blés moraves et
78 lament non la misère et la famine, mais l’orgueil et la boulimie. Ce sont les blés moraves et les pétroles roumains, réser
79 ’orgueil et la boulimie. Ce sont les blés moraves et les pétroles roumains, réserves de guerre. Ce qui est vital, c’est do
80 nd — d’affirmer une « vitalité sûre d’elle-même » et de « consolider la paix »… Bornons-nous à remarquer qu’aux yeux des p
81 de mots », Le Figaro, Paris, 24 avril 1939, p. 1 et 3.
5 1939, Le Figaro, articles (1939–1953). « Le matin vient, et la nuit aussi » (7 juin 1939)
82 « Le matin vient, et la nuit aussi » (7 juin 1939)e Le désarroi de l’époque — nous liso
83 inable. Comme si le désordre était sans précédent et sans lendemain prévisible. Et pourtant le désordre dure. Il se confon
84 tait sans précédent et sans lendemain prévisible. Et pourtant le désordre dure. Il se confond avec notre vie même, avec la
85 même, avec la Vie ! Certes, l’anarchie des mœurs et des idées s’accroît d’une anxiété de jour en jour plus justifiée, à c
86 jour plus justifiée, à cause des crises sociales et politiques. Et pourtant nous vivons ! Et notre vie, loin de se replie
87 ifiée, à cause des crises sociales et politiques. Et pourtant nous vivons ! Et notre vie, loin de se replier dans la crain
88 sociales et politiques. Et pourtant nous vivons ! Et notre vie, loin de se replier dans la crainte, s’exalte aux approches
89 dans la crainte, s’exalte aux approches du péril et s’en nourrit plus qu’on n’oserait l’avouer. Après tout, nous ne somme
90 que est l’époque même de la Crise. S’il est juste et salutaire de la considérer dans ce qu’elle a d’unique, dans sa réalit
91 ivre avec lucidité. L’Europe a connu des paniques et des nuits plus terribles que les nôtres, au lendemain des grandes inv
92 mort à grande distance, les moyens de propagande et de pression morale tels que radio, police et presse, introduisent dan
93 ande et de pression morale tels que radio, police et presse, introduisent dans le monde actuel des possibilités plus radic
94 itants de Magdebourg, sous Wallenstein, le paysan et l’artisan français jouissaient d’une quiétude parfaite. Ainsi la vie
95 lement, maintenant, cela se sait. Voilà la grande et la seule différence. Et voilà notre chance aussi. L’homme n’est pas f
96 se sait. Voilà la grande et la seule différence. Et voilà notre chance aussi. L’homme n’est pas fait pour vivre en état d
97 la paix : cette ignorance satisfaite du désordre et des injustices établies. La menace de guerre qui pèse sur nous pourra
98 s. La menace de guerre qui pèse sur nous pourrait et devrait être le remède à cette paix-là. Tout dépend de l’usage que l’
99 rer ? Mais l’espoir est toujours « malgré tout », et c’est alors qu’il est vraiment le gage d’une vie qui vaille d’être vé
100 e, au contraire, dans la connaissance du désordre et des périls inhérents au progrès, la chance d’une grandeur qui, elle a
101 inelle, que dis-tu de la nuit ? — Le matin vient, et la nuit aussi ! » C’est toujours le même drame que nous vivons, qu’il
102 , en fin de compte, ce n’est pas le sort matériel et le bonheur plus ou moins grand de la cité, mais les raisons de vivre
103 l’habitent. Ce n’est pas la somme de leurs soucis et de leurs plaisirs, mais le sens qu’ils découvrent à l’existence, à la
104 ons notre chance de vivre une vie plus consciente et réelle. Quoi qu’il advienne, sachons voir en toutes choses la double
105 la double possibilité qu’elles offrent, le matin et la nuit qui viennent, et qui ne cesseront de venir jusqu’au Jour éter
106 ’elles offrent, le matin et la nuit qui viennent, et qui ne cesseront de venir jusqu’au Jour éternel ! Prenons notre régim
107 e vie tendue ; il suffit de savoir ce qui compte, et que la Joie ne dépend pas de nos misères. J’y songeais l’autre soir,
108 tendant la Jeanne d’Arc au bûcher de Paul Claudel et Arthur Honegger, cette bouleversante déclamation chorale, vers la fin
109 ons ! e. Rougemont Denis de, « ‟Le matin vient et la nuit aussi” », Le Figaro, Paris, 7 juin 1939, p. 1 et 3. f. « Kau
110 uit aussi” », Le Figaro, Paris, 7 juin 1939, p. 1 et 3. f. « Kaur » dans la version originale imprimée, manifestement une
6 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Le mensonge allemand (16 août 1945)
111 ça le bonhomme antisémite, affirmant son humanité et sa parfaite liberté d’esprit. Puis s’étant excepté de la commune sott
112 e sottise, ayant sauvé l’honneur pour ainsi dire, et donné à tout son discours un cachet d’objectivité — « Je n’en fais pa
113 ». La phrase est devenue proverbiale en Amérique, et c’est fort bien : on ne tue les préjugés que par le ridicule ; quand
114 onsidérable dans la presse de « gauche modérée ». Et d’autres pensent que non, ainsi Glenway Wescott, qui vient de le démo
115 s la situation telle qu’elle s’offre en Allemagne et aujourd’hui, aux yeux de ceux qui doivent en décider. Une anecdote la
116 civil réunit cent personnes, au hasard de la rue, et se met à les interroger. « Êtes-vous nazis ? » Tous jurent que non. L
117 Il doit donc bien y avoir des nazis en Allemagne et même en assez grande quantité… Le porte-parole du groupe allemand — v
118 uifs, les ploutocrates américains, les démocrates et les bolchéviques ! » Qu’il y ait ou non de « bons Allemands », cette
119 bservé : les Allemands ne mentent pas comme nous. Et c’est un fait fondamental dont il convient de tenir compte quand on p
120  problème allemand ». Ils mentent avec sincérité, et nous mentons avec mauvaise conscience. Quand nous mentons, nous savon
121 ne change pas pour si peu. Elle subsiste intacte et nous juge. Eux croient, s’ils changent d’avis par « intérêt vital »,
122 enfance le respect sacré de la définition légale et objective de quelques mots. Responsable est celui qui a tiré le premi
123 premier. Battu, celui qui touche des deux épaules et se met à faire le bon apôtre. Nazi, celui qui accuse dans la même phr
124 uifs, les ploutocrates américains, les démocrates et les bolchéviques ». Et cette définition vaut pour tous les pays. g.
125 américains, les démocrates et les bolchéviques ». Et cette définition vaut pour tous les pays. g. Rougemont Denis de, «
7 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Un climat tempéré (22 août 1945)
126 août Une nouvelle vague de chaleur sur New York, et voici les balcons, les terrasses, les jardins suspendus jusqu’au tren
127 pir… La vie s’arrête. Le business même s’alourdit et s’endort. Dans la rue des gens tombent. Le veston sur le bras, on err
128 salles réfrigérées où l’on entre le souffle coupé et d’où l’on ressort avec un rhume. La semaine dernière, il gelait presq
129 L’Américain doit conserver sa garde-robe entière et tout son équipement d’appareils électriques à chauffer, à glacer, à t
130 tropiques où le litre de rhum qu’on boit par jour et par personne, enfants compris, n’est qu’une défense, d’ailleurs déses
131 contre la torpeur écrasante qui tombe des arbres et du ciel. Aux régions polaires sans été. Au faux printemps perpétuel d
132 carte postale qui baigne la cuvette californienne et qui explique cette irréalité fade et flatteuse de tant de films tourn
133 alifornienne et qui explique cette irréalité fade et flatteuse de tant de films tournés à Hollywood. Aux toundras, steppes
134 Aux toundras, steppes, déserts, pampas, glaciers, et jungles qui couvrent neuf dixièmes des continents… Notre terre est à
135 re terre est à peine habitable, dans l’ensemble ! Et dans les régions plutôt rares où les conditions naturelles tolèrent l
136 t. Où trouver un pays qui ne harcèle pas l’homme, et qui lui laisse le loisir d’être humain, au lieu de le forcer sans trê
137 que ceux qu’organise l’homme lui-même : la guerre et la révolution. Seul pays dont tous les manuels nous apprennent dès l’
138 tous les manuels nous apprennent dès l’enfance — et nul ne s’en étonne — qu’il possède un climat tempéré. C’est la France
139 ères considéraient comme simple, typique, évident et « normal », la paix, la lumière blanche, l’atome d’hydrogène, la géom
140 acrer son ingéniosité à faire des arts, des armes et des lois, de la politique, des robes et une littérature, plus quelque
141 des armes et des lois, de la politique, des robes et une littérature, plus quelques âmes de climat dur, de Pascal à Rimbau
142 re même au rang de grande puissance d’invention — et je prends le mot puissance au sens de potentiel. Si elle doit cesser
143 que se passera-t-il ? On verra le reste du monde, et pendant des siècles peut-être, s’efforcer de reproduire et de rejoind
144 t des siècles peut-être, s’efforcer de reproduire et de rejoindre par les plus coûteux artifices, ce climat qu’un Français
8 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). La guerre est morte (5 septembre 1945)
145 tout court — elle a moins de chances de renaître et moins d’avenir que les ordres de chevalerie. Et je ne dis pas que les
146 e et moins d’avenir que les ordres de chevalerie. Et je ne dis pas que les conflits vont cesser ; que les forts vont renon
147 obes vont faire la paix avec les globules blancs, et les tigres devenir végétariens. Mais je dis que les militaires n’ont
148 aux sports. Que la guerre n’est plus leur métier. Et que par conséquent il n’y aura plus de guerre au sens classique et mu
149 uent il n’y aura plus de guerre au sens classique et multimillénaire du mot. « Il y aura toujours des guerres ! », nous di
150 s leurs, les « vraies », les héroïques, costumées et casquées, avec mouvements tournants, percées au centre, retraites str
151 dant de l’infanterie, ordres du jour électrisants et grands chefs adulés par des effectifs considérables. Il faut en prend
152 des kilomètres, des bataillons, des trajectoires et des vitesses d’avions, fait place aux raffinements ultramathématiques
153 ueule, les traditions de corps, le génie du poker et la cravache, n’ont pas d’emploi dans les laboratoires. Les capitaines
154 ns les laboratoires. Les capitaines au grand cœur et les armées en bel arroi qui s’avanceraient avec une mâle vertu au-dev
155 e 6 août. Les Alexandre, les Condé, les MacArthur et leurs troupes même motorisées, ne pourront plus servir, à l’occasion,
156 ur le combat de rues, les petites guerres civiles et autres différends d’intérêt local, voire municipal, au titre de la po
157 rêt local, voire municipal, au titre de la police et des pompiers. Il ne faut pas se dissimuler que ce déclassement brusqu
158 voquer dans le monde entier un sentiment de vague et vaste frustration. (L’Europe sera plus touchée que l’Amérique.) On ne
159 goût des uniformes, du jeu des soldats de plomb, et de l’usage quotidien de métaphores guerrières, intimement lié, depuis
160 navals mondiaux remplaceront désormais, pour nous et nos enfants, les « grandes parades » qui firent le principal de notre
161 endront mobiles — leur seule défense imaginable — et la circulation sera dégorgée dans l’invisible stratosphère… Quant aux
162 aussi, avec la poésie de la durée, de la distance et de la nostalgie. Jusqu’au jour où l’humanité, sur les traces d’un gra
9 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Le dernier des Mohicans (11 octobre 1945)
163 it avion luisant au cirque lumineux des collines, et va creuser un sillon d’or neigeux. Sur l’autre rive, la cloche du cou
164 de ses eaux, se nomme aujourd’hui le Lake George et fut le Horicon de Fenimore Cooper, le lieu des aventures et de la mor
165 Horicon de Fenimore Cooper, le lieu des aventures et de la mort d’Œil de faucon et du dernier des Mohicans. Rien n’a chang
166 lieu des aventures et de la mort d’Œil de faucon et du dernier des Mohicans. Rien n’a changé dans le paysage depuis Coope
167 t était resté pareil depuis l’époque des Iroquois et des Hurons. Les villages et les villes portent encore des noms de Sag
168 l’époque des Iroquois et des Hurons. Les villages et les villes portent encore des noms de Sagamores ou de tribus fameuses
169 eaux enchevêtrés des rives, parcourus d’écureuils et d’oiseaux-mouches. C’est ici l’Amérique de mon enfance. Non point la
170 bany. Je connais bien son petit-fils. Roi du pays et chef de tribu politique, il possède la plupart des maisons riveraines
171 anné comme un Indien, juste juge, roublard, riche et pieux. Sa femme préside, avec un optimisme effervescent le Comité pou
172 effervescent le Comité pour les étudiants pauvres et démocrates de New York, qu’elle voudrait arracher au « totalitarisme 
173 e des filles vient d’épouser un avocat socialiste et sportif. La seconde est femme de pasteur. La cadette rêvant d’être ac
174 pparence. On dit le benedicite avant de s’asseoir et l’on pose au café des problèmes de roman détective. Les Européens vus
175 estions qu’on m’adresse, apparaissent inquiétants et inquiets, amers et pleins d’idées nouvelles. La vie de ce district es
176 esse, apparaissent inquiétants et inquiets, amers et pleins d’idées nouvelles. La vie de ce district est restée communale,
177 de ce district est restée communale, patriarcale et paroissiale, dans la vraie tradition républicaine que « ces gens » de
178 ire à coups de décrets socialisants, capitalistes et centralisateurs. Point d’usine au village, mais quatre églises : l’an
179 rte porte aujourd’hui : « Nous sommes catholiques et protestants. » Les rives, les îles s’ornent de monuments souvent couv
180 ent couverts de noms français : morts de Montcalm et morts des guerres d’Indépendance. La liberté et la démocratie montren
181 m et morts des guerres d’Indépendance. La liberté et la démocratie montrent ici plus d’un visage. Comme ailleurs. Mais ici
182 lité de se mettre à l’abri des menaces naturelles et matérielles, d’une sauvagerie profonde à portée de la main. D’où la m
183 preté des maisons de bois blanc de cette contrée, et la rigidité de sa morale, de ses préjugés séculaires. Il me semble av
184 mêlent, où l’argent seul existe… On voit New York et Chicago, Pittsburg sans doute. Qu’on n’oublie pas l’esprit qui règne
185 blie pas l’esprit qui règne encore sur les forêts et sur les lacs innombrables du continent, l’esprit subtil et ombrageux
186 s lacs innombrables du continent, l’esprit subtil et ombrageux de l’éternel dernier des Mohicans ! Vaincu, il a conquis l’
187 hicans ! Vaincu, il a conquis l’âme des pionniers et gouverne par elle une Amérique secrète, qui sent mieux son histoire r
10 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Le savant et le général (8 novembre 1945)
188 Le savant et le général (8 novembre 1945)k À une heure de New York, à Princeton
189 op parfait, cette ambiance d’innocence, de sports et d’ombres vertes, que vivent et pensent quelques-uns des esprits qui a
190 nocence, de sports et d’ombres vertes, que vivent et pensent quelques-uns des esprits qui auront le plus contribué à trans
191 ’un des as du très petit groupe de mathématiciens et de physiciens qui a mis au point la bombe atomique. Tout à l’heure, d
192 eure, devant ma fenêtre, un homme en sweater bleu et pantalon de flanelle passait les cheveux au vent — deux belles touffe
193 belles touffes blanches en désordre « génial » — et c’était l’un de mes voisins, Albert Einstein, le patriarche du nouvel
194 oir. Sa chevelure m’indique la direction du vent, et son aspect met en fuite ma petite fille. À quoi pense-t-il ? De ce ce
195 peu de signes. Mais je ne suis pas un physicien, et n’ai d’autre spécialité que de réfléchir aux conséquences générales d
196 équences générales des découvertes particulières, et aux liaisons humaines qu’elles affectent. Comme partout en Amérique —
197 t. Leur mauvaise conscience les a rendus prudents et sages. Ils se sentent accusés sourdement d’avoir causé trois-cent-mil
198 s sourdement d’avoir causé trois-cent-mille morts et créé une menace planétaire. Aussi défendent-ils tous l’idée que la gu
199 ue la guerre des bombes serait la fin des hommes, et que le seul moyen de l’empêcher est un gouvernement mondial. Ils part
200 Ils partagent mon avis sur l’inutilité des armées et des flottes de l’air ou de la mer, cependant que les généraux, les jo
201 mer, cependant que les généraux, les journalistes et les politiciens continuent de déraisonner comme un seul homme. Le New
202 s puissants : les uns par la logique, le bon sens et le réalisme, les autres par l’autorité et les passions qui les soutie
203 on sens et le réalisme, les autres par l’autorité et les passions qui les soutiennent. Voici d’abord l’opinion du chef sup
204 . C’est bien l’avis qu’on attendait d’un général. Et il illustre sa pensée. « Supposez, dit-il, deux savants, l’un en Alle
205 Supposez, dit-il, deux savants, l’un en Allemagne et l’autre à Washington. Chacun pèse sur un bouton, et une terrifiante e
206 l’autre à Washington. Chacun pèse sur un bouton, et une terrifiante explosion se produit dans le territoire de l’autre. L
207 ’au jour où quelqu’un s’empare d’un des boutons : et voilà qui suppose une force armée. » Le général Marshall ajoute : « L
208 arer d’une île qui nous servira de base de tir. » Et il conclut que les conditions fondamentales de la guerre n’ont pas ch
209 dans la situation. Pour transporter l’infanterie et les chars nécessaires à la conquête d’une île ou des bases ennemies,
210 u’ils ont peu de chances de recevoir des renforts et des munitions de leur pays, plus qu’à moitié détruit. Ils verront que
211 eut faire l’infanterie américaine ? Attaquer ? Où et quand ? Se défendre ? Contre qui ? On dit : « C’est toujours l’infant
212 aut à un corps expéditionnaire pour les franchir, et les conditions dans lesquelles il s’ébranlera. Il a fallu deux ans au
213 deux ans aux Américains pour débarquer en Europe, et leur pays était resté à l’abri des bombardements. Même s’il leur faut
214 st certainement pas pour les raisons qu’il donne. Et pourquoi n’en pas donner d’autres, si elles existent ? La guerre n’a
215 il n’y aurait plus personne pour tirer en second, et retourner le feu, comme on disait naguère. Le général Marshall l’aura
216 nt raréfié. k. Rougemont Denis de, « Le savant et le général », Le Figaro, Paris, 8 novembre 1945, p. 1.
11 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Les résultats de la guerre (21 décembre 1945)
217 que du négatif : l’écrasement matériel des nazis, et des ruines. Trois grandes nouveautés, répondrai-je au contraire. Le t
218 au contraire. Le triomphe d’un régime. Une idée. Et une arme. (Je n’ai guère parlé que de ces trois sujets dans mes chron
219 tie, que plus personne qui compte n’ose attaquer, et dont toutes les puissances dignes du nom se réclament aujourd’hui par
220  pensée globale », comme disent les Anglo-Saxons. Et cette arme, c’est la bombe atomique. Or, remarquez que la démocratie
221 atie triomphante (en théorie), l’idée planétaire, et l’arme vingt mille fois plus puissante que toutes les autres jouent d
222 autres jouent dans le même sens, se prêtent appui et se renforcent mutuellement. Voici comment. Un gouvernement mondial co
223 d’être trop faible pour gouverner effectivement, et celui d’être trop fort pour que survivent les libertés nationales ou
224 sa tâche, qui est de faire la police des nations, et d’une arme qui, par nature, serait démesurée pour un seul peuple, tan
225 nit une garantie de contrôle des autorités élues, et diminue le danger d’un coup de force opéré contre le pouvoir internat
226 ous sortons, semblent donc converger vers un seul et même but, indiquer une seule et même voie, une solution proche et déf
227 rger vers un seul et même but, indiquer une seule et même voie, une solution proche et définitive des conflits internation
228 iquer une seule et même voie, une solution proche et définitive des conflits internationaux. L’idée, la nécessité, et la p
229 es conflits internationaux. L’idée, la nécessité, et la possibilité pratique d’un gouvernement fédéral de la planète nous
230 stoire nous apprend aussi que l’homme est stupide et mauvais, qu’il a peur de voir grand, et qu’il préfère en général ses
231 t stupide et mauvais, qu’il a peur de voir grand, et qu’il préfère en général ses vieux litiges locaux, qu’il appelle inté
232 tés d’union mondiale qui sont ouvertes désormais, et insister sur le caractère inévitable de cette solution : tout nous y
233 inévitable de cette solution : tout nous y mène, et tôt ou tard elle s’imposera, malgré nous, si ce n’est par notre actio
234 me en plein essor, contrecoup fatal de la guerre, et fièvre spécifique des démocraties physiquement ou moralement déprimée
12 1945, Le Figaro, articles (1939–1953). Un salon atomique (26 décembre 1945)
235 Parmi les sous-secrétaires d’État, les diplomates et les virtuoses, j’ai trouvé deux ou trois prix Nobel, très entourés. —
236 ous n’avons devant nous que des faits mesurables. Et cela tue l’imagination. — Pensez-vous, dit une autre dame, que la Bom
237 rtains de mes collègues ont envisagé l’hypothèse, et sont de l’avis qu’elle n’est pas improbable. D’autres, comme moi, pen
238 veut. À peine sorti, je me suis mis à réfléchir, et m’étant égaré comme de coutume, j’ai eu le temps de trouver une ou de
239 derniers nous sont posés, dans des termes urgents et concrets. Quel est le sens de la vie si elle finit demain ? Qu’est-ce
240 ète. Les événements qui dépassent l’imagination — et celui-ci ne saurait être dépassé lui-même — n’intéressent ou n’inquiè
241 danger ou le malheur individuel que l’on redoute, et dont on souffre, surtout par la comparaison avec la meilleure chance
242 du dernier match Armée-Marine. Je ne savais pas. Et j’étais en civil ! Voilà comment l’arrière trahit ! m. Rougemont D
13 1946, Le Figaro, articles (1939–1953). Pour la suppression des visas (23 avril 1946)
243 isas (23 avril 1946)n On m’écrit cela de Paris et l’on ajoute que je ferais bien de rentrer, sous peine de ne pas compr
244 pas comprendre la réalité européenne en général, et française en particulier. Je pourrais me contenter de répondre : c’es
245 à m’en tirer par une réplique, même de bon sens, et j’ai quelques raisons de prendre la France plus au sérieux, plus au t
246 ux de partir. Je vois les avantages de l’Amérique et ses défauts, mieux qu’ils ne sont en mesure de les imaginer. Cela se
247 . Il n’est qu’une solution, qui est d’aller voir, et d’essayer le pays comme un nouveau costume. Et je me dis que le probl
248 r, et d’essayer le pays comme un nouveau costume. Et je me dis que le problème est mal posé. Il ne s’agit ni de « partir »
249 ns hésiter : il ne s’agit ni de choisir une terre et ses morts contre le globe et ses vivants ; ni de choisir le nomadisme
250 de choisir une terre et ses morts contre le globe et ses vivants ; ni de choisir le nomadisme permanent et l’exil par prin
251 es vivants ; ni de choisir le nomadisme permanent et l’exil par principe ou dégoût. Mais simplement de vivre au xxe siècl
252 Combien d’hommes d’aujourd’hui vivent leur temps et se trouvent pratiquement en mesure de le vivre ? Combien sont-ils enc
253 ien sont-ils encore du Moyen Âge, ou du bourgeois et lent xixe siècle ! Serait-ce manque d’imagination ? Certes, il en fa
254 vite que Jules Verne n’a pu le rêver. C’est cela, et c’est aussi le cauchemar des visas. Si cette folie furieuse et inutil
255 i le cauchemar des visas. Si cette folie furieuse et inutile ne régnait pas sur le monde d’après-guerre, le problème parti
256 stion de couper les ponts, de brûler ses pénates, et autres rites attestant devant les mânes des ancêtres un choix farouch
257 rrévocable. Se déplacer devient un geste naturel, et partir annonce revenir comme on prend un billet d’aller et retour. La
258 annonce revenir comme on prend un billet d’aller et retour. La poésie des voyages a vécu, la tragédie des départs a vécu.
259 exclusive de la curiosité, un accueil plus ferme et plus souple de la diversité des êtres et des coutumes. Aimez votre te
260 us ferme et plus souple de la diversité des êtres et des coutumes. Aimez votre terre et quittez-la. Quittez-la trois fois
261 sité des êtres et des coutumes. Aimez votre terre et quittez-la. Quittez-la trois fois et revenez-y trois et quatre fois,
262 votre terre et quittez-la. Quittez-la trois fois et revenez-y trois et quatre fois, selon l’arithmétique du cœur. Le noma
263 ttez-la. Quittez-la trois fois et revenez-y trois et quatre fois, selon l’arithmétique du cœur. Le nomade n’aime pas sa te
264 la meilleure manière, s’il refuse tout le reste, et la comparaison. Il faut s’ouvrir. Il faut aimer. Il faut cesser de tr
265 aut aimer. Il faut cesser de trouver cela nigaud, et de faire le coq de village tout hérissé, griffu, inefficace. Circulez
266 é, griffu, inefficace. Circulez donc, allez voir, et aimez. Puis choisissez. Revenez si le cœur vous en dit. Mais je sais
267 us empêchent de rejoindre le siècle, de l’habiter et d’user de ses dons. Forçons les gouvernants à nous répondre : à quoi
14 1946, Le Figaro, articles (1939–1953). Les nouveaux aspects du problème allemand (30 mai 1946)
268 uve plus d’Allemagne mais une question allemande. Et ce qui me frappe d’abord, c’est de la trouver posée de manière si con
269 es on manifeste tant de haine pour les Allemands. Et beaucoup de Suisses s’étonnent de voir des résistants parler avec hum
270 refusaient de croire Hitler si dangereux que ça, et qui, maintenant que Hitler est abattu, ne pensent qu’à se protéger co
271 nsent qu’à se protéger contre un réveil allemand. Et des Suisses, dont le sens démocratique a toujours violemment répugné
272 ent du statut de la Ruhr, d’alliances préventives et de garanties à obtenir contre un réarmement secret du Reich. Les aspe
273 éarmement secret du Reich. Les aspects politiques et militaires apparaissent donc comme décisifs. Tout au moins semble-t-o
274 accorder le premier rang dans un ordre d’urgence. Et soudain je me demande non sans angoisse : n’est-on pas en train de pr
275 adopter l’attitude ferme qu’il eût fallu prendre, et maintenir en dépit des Anglais, de 1919 à 1938 ? N’est-on pas en trai
276 ils ne songent qu’à la guerre, toute leur pensée et tous leurs actes y tendent, et ils sont forts ! — beaucoup trouvaient
277 toute leur pensée et tous leurs actes y tendent, et ils sont forts ! — beaucoup trouvaient cela désagréable. Certains all
278 écrivant la puissance d’Hitler, au lieu d’en rire et de répéter qu’il n’avait pas l’appui des masses prolétariennes. C’éta
279 mée motorisée, son industrie prête pour la lutte, et ses 80 millions d’habitants. Aujourd’hui le colosse est à terre et de
280 s d’habitants. Aujourd’hui le colosse est à terre et deux super-colosses se sont levés, projetant leurs ombres démesurées
281 l vivait ? Les grands vivants du jour sont l’URSS et l’Amérique. Voilà qui modifie radicalement les proportions du conflit
282 ons du conflit séculaire qui opposait l’Allemagne et la France. À vrai dire, on ne voit plus de conflit. La France n’est p
283 ais d’un vaste glacis désolé sur lequel s’allonge et se cherchent les deux grandes ombres que j’ai dites. Considérons dans
284 armée, dans ses limites rétrécies entre la France et l’Union soviétique : 50 millions d’Allemands, au plus, que touchent 2
285 me forts, même réarmés, même n’ayant rien appris, et justifiant les pires méfiances qu’inspire l’histoire des vingt derniè
286 blème allemand, considéré sur les plans politique et militaire exclusivement, se ramène au problème des relations entre l’
287 se ramène au problème des relations entre l’URSS et les États-Unis. Mais il y a bien d’autres plans ! Il y a celui de la
288 ns ! Il y a celui de la santé morale de l’Europe. Et c’est cela que je crains qu’on oublie, à trop parler Ruhr, garanties,
289 de la laisser un politique de répression négative et anachronique, l’Allemagne est un danger nouveau bien aussi grave qu’a
290 ’au temps d’Hitler. C’est un enfer à notre porte. Et rien n’est aussi contagieux. Il s’agirait de l’exorciser. Mais l’atti
291 pre à maintenir le mal. Comment le guérir là-bas, et le prévenir ici ? Faut-il « les » aider ? La Suisse, dans sa p
292 squ’en 1939, au sujet du régime hitlérien. Zurich et Bâle étaient sans doute les villes d’Europe qui se sentaient les plus
293 nchait l’un après l’autre les liens traditionnels et naturels qui rattachaient la Suisse allemande aux sources vives de sa
294 Suisse allemande aux sources vives de sa culture et de sa langue. Ce qu’on ne pardonnait pas à Hitler et à Goebbels, c’ét
295 de sa langue. Ce qu’on ne pardonnait pas à Hitler et à Goebbels, c’était de dénaturer le germanisme et de ravager l’espace
296 et à Goebbels, c’était de dénaturer le germanisme et de ravager l’espace vital qu’avait toujours été l’Allemagne pour les
297 , les écrivains, les théologiens, les commerçants et les industriels de la petite patrie de Gottfried Keller. Et c’est pou
298 ustriels de la petite patrie de Gottfried Keller. Et c’est pourquoi la résistance morale des Suisses, cernés par les total
299 ires pendant quatre ans, fut à la fois si unanime et si astucieusement prudente. On était presque à la merci de l’ennemi,
300 l’ennemi, mais on le connaissait par l’intérieur, et l’on savait qu’il s’agissait de vie ou de mort, sans compromis imagin
301 lecte cantonal, en haine de l’allemand officiel ; et la méfiance glaciale que je m’attirais en parlant le hochdeutsch dans
302 magasins de Berne : on me répondait en français, et tant pis pour l’accent et les fautes. La pitié active Aujourd’hu
303 répondait en français, et tant pis pour l’accent et les fautes. La pitié active Aujourd’hui, je découvre qu’à la hai
304 couvre qu’à la haine a succédé chez les meilleurs et les mieux informés un élan de pitié. Non pas de pitié sentimentale. (
305 dant pour coupable d’une catastrophe continentale et responsable du sort effrayant qu’il subit par un juste retour. Pour l
306 eux articles que je viens de lire dans les revues et les journaux alémaniques, la question allemande, aujourd’hui, se pose
307 e du cauchemar d’un bombardement moral, politique et physique dont chaque phase a duré quatre ans. Il remonte des abris, d
308 territoire à l’Est, qu’il n’a plus de quoi manger et qu’au surplus, loin qu’on le plaigne, on l’accuse formellement de s’ê
309 énorme de l’Histoire. Une conception réaliste et prudente Que faut-il faire vis-à-vis d’un tel peuple ? Il faut l’a
310 ut premièrement lui expliquer ce qui s’est passé, et lui montrer comment il fut complice des crimes qu’il rejette sur Himm
311 morale, l’ouvrir aux grands courants de l’Europe et du Monde ; enfin, il faut lui proposer un rôle normal, ni tyran ni vi
312 e mettre en mesure de reconnaître sa culpabilité, et de se guérir de sa névrose. Cette conception me paraît réaliste, et p
313 sa névrose. Cette conception me paraît réaliste, et prudente autant que chrétienne. Car le vrai danger allemand, en l’an
314 illions de prolétaires politiques, irresponsables et sans espoir, candidats au suicide, à la stupidité, à l’illuminisme et
315 idats au suicide, à la stupidité, à l’illuminisme et au crime. Les Alliés sauront-ils choisir entre une politique de camis
316 misole de force, propre à créer des fous furieux, et une politique de cure sévère, propre à guérir un peuple intoxiqué ? J
15 1946, Le Figaro, articles (1939–1953). Demain la bombe, ou une chance d’en finir avec la terre (30 juin 1946)
317 qu’elles donnent à songer « à des choses vivantes et vermeilles, malignement réduites en cendres : des pommes de Sodome ap
318 uelque distance du rivage parmi les blancs remous et les brisants, forment un spectacle vraiment plutonien ». Il y a près
319 siècle que Melville eut cette vision prophétique, et d’une peu croyable précision, de Bikini telle qu’elle sera demain, ap
320 tonienne » qui « réduira malignement en cendres » et en « énormes masses vitrifiées » les coraux, les vaisseaux de guerre
321 vitrifiées » les coraux, les vaisseaux de guerre et les cochons en uniforme qu’on y a mis en place d’équipages. Opératio
322 ation-carrefour vraiment. Carrefour de la panique et de l’orgueil humain. Carrefour d’une guerre enfin totale et d’une pai
323 gueil humain. Carrefour d’une guerre enfin totale et d’une paix enfin mondiale. Mais l’idée même de carrefour évoque celle
324 s nous engagent ces expériences — celle de demain et celle, beaucoup plus grave, projetée pour la fin du mois —, mais enco
325 s effets immédiats. Depuis des mois, en Amérique, et hier en France, on nous prédit des catastrophes possibles, de dimensi
326 se promèneraient autour du globe, semant la mort et la consomption lente dans les pays les plus lointains, aveuglant les
327 personne. Le fait est que personne n’a protesté, et la première des expériences est pour demain. À cette apathie plus qu’
328 ain. À cette apathie plus qu’étrange de l’opinion et de ses organes, je distingue au moins trois raisons. La première, c’e
329 ne saurait empêcher de jouer avec les allumettes. Et tant de gens s’ennuient sur la Terre, qu’ils la verraient bien volont
330 faite « dans un but militaire ». Ces quatre mots ( et cette faute de français) réduisent au silence toute espèce d’objectio
331 même scientifique. Posons ici une question grave et malicieuse. Que pense-t-on qu’il se produirait si quelque groupe priv
332 pillage ! à l’existentialisme ou au surréalisme ! et pire encore : à l’hitléro-trotskisme, à l’anarcho-cléricalisme sourno
333 exception, qu’il n’en est rien. À nous en croire, et nous sommes sincères, nous n’aimons vraiment que la paix. La paix nou
334 l ou tel pays, mais de l’ensemble de l’humanité.) Et maintenant, veuillez écouter la retransmission planétaire de la premi
335 des trompettes fracassantes de l’Apocalypse, — «  et le tiers des navires périt ». Si c’est un four, comme certains le pré
16 1947, Le Figaro, articles (1939–1953). Le droit d’opposition (3 avril 1947)
336 imple que neuve en ce domaine : qu’on définisse — et il le fait sur l’heure — les conditions d’une vraie démocratie, et pu
337 l’heure — les conditions d’une vraie démocratie, et puis qu’on les crée en Allemagne. Inutile de dire que l’auteur de cet
338 ardé le réflexe de désigner nettement l’objectif. Et c’est un Américain : il se souvient de l’œuf de Colomb. De plus, il v
339 thème prévu : « Entre la théorie de la démocratie et sa pratique, dit-elle, il y a souvent d’énormes différences. » Elle m
340 rve ailleurs. Elle ne rate pas la question nègre. Et , sur ce point, elle a beau jeu. Car il faut bien avouer que certains
341 , exigeant une presse libre, des élections libres et des syndicats libres. Et il a conclu en affirmant qu’« une société n’
342 re, des élections libres et des syndicats libres. Et il a conclu en affirmant qu’« une société n’est pas libre tant que se
343 crainte d’être privés de la vie, de la prospérité et de la poursuite du bonheur » (termes empruntés, comme on sait, au pré
344 démocratie me paraît être le droit d’opposition. Et je parle d’une opposition non seulement tolérée, ou respectée, mais n
345 seulement tolérée, ou respectée, mais nécessaire et organique, selon le modèle anglo-saxon. Ce caractère suffit à disting
346 ne Église s’est toujours vue qualifiée d’hérésie, et non d’opinion différente. De même, l’opposition aux théories du parti
347 itaire, mais de trahison. On la punit comme telle et , dans le fait, elle est forcée d’agir comme telle. Je sais bien que l
348 un régime où l’opposition équivaut à la trahison, et se paye tôt ou tard de la vie. Que si l’on estime trop étroites les d
349 t : elles supposent toutes le droit d’opposition, et sans lui resteraient de vains mots. La liberté de religion. Toute rel
17 1948, Le Figaro, articles (1939–1953). Sagesse et folie de la Suisse (13 octobre 1948)
350 Sagesse et folie de la Suisse (13 octobre 1948)s « Le Suisse trait sa vache e
351 (13 octobre 1948)s « Le Suisse trait sa vache et vit paisiblement. » La carte postale est de Victor Hugo et date d’il
352 isiblement. » La carte postale est de Victor Hugo et date d’il y a près de cent ans. Aujourd’hui, ce qui frappe l’observat
353 culture ; près de trois cinquièmes de l’industrie et du commerce. Ces deux chiffres détruisent l’idylle, évoquent les lutt
354 e fièvre politique… Mais non, la Suisse s’obstine et , presque seule dans le monde depuis cent ans, elle vit paisiblement.
355 me un champion de tennis de sa raquette, élégance et dextérité. Il triomphe tour à tour dans la topographie politique et d
356 riomphe tour à tour dans la topographie politique et dans la géographie morale, dans l’analyse économique et dans la synth
357 s la géographie morale, dans l’analyse économique et dans la synthèse en une formule. Il nous montre la Suisse telle qu’el
358 s, unie par le refus de les uniformiser, libérale et disciplinée, traditionnelle et progressiste, neutre et armée… Il nous
359 formiser, libérale et disciplinée, traditionnelle et progressiste, neutre et armée… Il nous fait voir que tout se tient, q
360 sciplinée, traditionnelle et progressiste, neutre et armée… Il nous fait voir que tout se tient, que tout s’engrène avec n
361 quatre langues d’importance inégale elles aussi. ( Et tout cela n’est rien encore, car les frontières de ces États et de ce
362 ’est rien encore, car les frontières de ces États et de ces religions, ou de ces religions et de ces langues ne coïncident
363 es États et de ces religions, ou de ces religions et de ces langues ne coïncident presque jamais : calculez les combinaiso
364 pays que la Nature a privé de matières premières et dont le sol est en partie stérile, mais qui parvient à exporter près
365 ’exposer aux démentis amers de ceux qui en vivent et qui en chérissent toutes les nuances. Sa prudence est d’ailleurs égal
366 marqué les différences entre le Suisse alémanique et le Suisse romand, entre celui-ci et le Français. Personne n’a mieux m
367 se alémanique et le Suisse romand, entre celui-ci et le Français. Personne n’a mieux montré pourquoi la politique se confo
368 ul but est d’assurer aux hommes plus de bien-être et d’avantages sociaux. En somme, à cette « démocratie-témoin », André S
369 a description, M Siegfried, à propos de la Suisse et de sa réussite fédéraliste, montre autant de méfiance qu’un vrai Bern
370 lle. C’est ce que pensent encore trop de Suisses, et voilà bien le reproche qu’il faut leur faire si l’on admire leur solu
371 ’un système. Ce n’est pas une structure abstraite et géométrique, ce n’est pas un poncif à transporter. Mais il ne va pas
372 à transporter. Mais il ne va pas sans principes, et ceux-ci m’apparaissent susceptibles d’être appliqués à l’échelle de l
373 sés si l’on admet un pouvoir fédéral. On l’admet, et ces minorités jouent aussitôt un rôle de premier plan. L’Europe du xx
374 c plus grande. Mais les problèmes sont analogues, et l’attente des peuples est la même. « Oui, l’idée d’une commune patrie
375 l’un des précurseurs de la Constitution de 1848. Et quoi qu’en disent les détracteurs des temps modernes, c’est une des g
376 e la fédération du continent (peu s’avouent tels) et les sceptiques (dont l’espèce est courante) ne peuvent pourtant pas n
377 l’une des rares bonnes nouvelles de notre temps. Et vous pourrez y lire dans le concret une histoire qui dément la sagess
378 s. Rougemont Denis de, « [Compte rendu] Sagesse et folie de la Suisse », Le Figaro, Paris, 13 octobre 1948, p. 1 et 4.
379 Suisse », Le Figaro, Paris, 13 octobre 1948, p. 1 et 4.
18 1953, Le Figaro, articles (1939–1953). « Nous ne sommes pas des esclaves ! » (25 juin 1953)
380 ongère, elle est gagée sur des centaines de morts et de blessés. Étant dite, et de cette manière, non par certains pour le
381 des centaines de morts et de blessés. Étant dite, et de cette manière, non par certains pour les besoins d’une polémique,
382 de Marx, ou de Lénine, ou de Staline, mais dite, et sans retour, et de cette manière-là, par la révolte et les blessures
383 Lénine, ou de Staline, mais dite, et sans retour, et de cette manière-là, par la révolte et les blessures et les cadavres
384 ns retour, et de cette manière-là, par la révolte et les blessures et les cadavres des ouvriers de Berlin-Est, cette phras
385 cette manière-là, par la révolte et les blessures et les cadavres des ouvriers de Berlin-Est, cette phrase crie sur la ter
386 tyrannie totalitaire est un crime contre l’homme et ses jours, désormais, sont comptés. L’insurrection de toutes les vill
387 ns, domina la conscience prolétarienne (de France et d’Italie, surtout) et l’inconscient de millions de bourgeois. Fin d’u
388 ce prolétarienne (de France et d’Italie, surtout) et l’inconscient de millions de bourgeois. Fin d’un mythe, mais aussi d’
389 ophes qui vantiez la violence ouvrière, substance et force du PC », allez redire aux Berlinois que « la classe ouvrière se
390 émasqué comme le parti de la répression sanglante et de la déportation massive des travailleurs. C’est ici le lieu et le t
391 ation massive des travailleurs. C’est ici le lieu et le temps de le répéter ou jamais : d’autres que les Soviets ont tiré
392 toire depuis le xviiie siècle. Au nom de l’Ordre et de la Loi, au nom des droits sacrés de la Propriété, au nom des intér
393 urs qui, eux, se révoltaient au nom de la Liberté et de leur dignité d’homme. C’était ignoble, et nous voyons bien pis. Il
394 erté et de leur dignité d’homme. C’était ignoble, et nous voyons bien pis. Il était réservé au régime communiste de faire
395 uvrier d’usine, de l’appeler dès lors « liberté » et d’exiger que les prolétaires, « spontanément », réclament au lieu d’a
396 uvrant ces intérêts ; jamais au nom de la justice et des libertés populaires. J’imagine deux choses pires que la pire inju
397 er de la cause ouvrière, à se parer de sa justice et de son nom, pour l’écraser ensuite, une fois qu’on a le Pouvoir, en r
398 élioration de la vie, de haine contre le fascisme et les provocateurs. Qui ne voit aujourd’hui quels furent à Berlin-Est c
399 aut pour tous leurs camarades des pays satellites et de l’URSS, et les tyrans l’ont confirmé en ouvrant le feu. L’impostur
400 leurs camarades des pays satellites et de l’URSS, et les tyrans l’ont confirmé en ouvrant le feu. L’imposture communiste e
401 e sentir à Berlin, surgissant d’un peuple écrasé. Et ce n’est pas l’Europe des marchandages entre nations qui entendent ch
402 re nations qui entendent chacune recevoir le plus et croiraient trahir en donnant. C’est l’Europe qui crée son avenir et j
403 ir en donnant. C’est l’Europe qui crée son avenir et justifie sa raison d’être par des hommes qui se sacrifient au service
404 claves !” », Le Figaro, Paris, 25 juin 1953, p. 1 et 12.