1
L’ère
des
religions (22 février 1939)a La nouvelle de la mort du pape a répa
2
ouvelle de la mort du pape a répandu bien au-delà
des
frontières du catholicisme une émotion dont chacun sent l’arrière-pen
3
pandu bien au-delà des frontières du catholicisme
une
émotion dont chacun sent l’arrière-pensée, l’arrière-angoisse. Cette
4
combat dans l’invisible spirituel, à la veille d’
un
discours qui devait être un acte, nous laisse tous en suspens sur le
5
rituel, à la veille d’un discours qui devait être
un
acte, nous laisse tous en suspens sur le mystère de notre époque : un
6
tous en suspens sur le mystère de notre époque :
un
mystère de nature religieuse. Vous l’éprouverez sans doute comme moi
7
lités, à considérer le public quand passe le film
des
funérailles romaines. Quelque chose vibre dans l’obscurité, des régio
8
s romaines. Quelque chose vibre dans l’obscurité,
des
régions endormies de la conscience humaine de nouveau se sensibilisen
9
s temps qui viennent voient s’éveiller dans l’âme
des
masses une grande faim élémentaire trop longtemps refoulée et niée. L
10
viennent voient s’éveiller dans l’âme des masses
une
grande faim élémentaire trop longtemps refoulée et niée. L’histoire d
11
e nos descendants sera peut-être moins l’histoire
des
traités et de leur périlleux ajustement, que l’histoire du réveil des
12
ur périlleux ajustement, que l’histoire du réveil
des
religions au terme de l’ère rationaliste. Ce n’est pas le phénomène e
13
ampleur, qui s’annonce sans précédent. Le siècle
des
Lumières, puis le siècle individualiste, ont relâché et parfois même
14
u corps social. Le xixe siècle a vu la décadence
des
formes, conventions, cérémonies et lieux communs qui étaient les sign
15
lieux communs qui étaient les signes extérieurs d’
une
communion tacite entre les hommes. Nous sommes là, petits individus,
16
puissants, isolés, méfiants, posés les uns auprès
des
autres, à nous demander pourquoi nous sommes ensemble. Il s’est formé
17
ous sommes ensemble. Il s’est formé, dans la cité
un
sentiment encore diffus de vide social, analogue à celui qui dut marq
18
écadence de l’Empire romain. Mais de ce vide naît
un
appel. Et cet appel à une communauté nouvelle, à une « mystique » com
19
in. Mais de ce vide naît un appel. Et cet appel à
une
communauté nouvelle, à une « mystique » comme on le répète un peu par
20
appel. Et cet appel à une communauté nouvelle, à
une
« mystique » comme on le répète un peu partout, plus simplement : à d
21
é nouvelle, à une « mystique » comme on le répète
un
peu partout, plus simplement : à des raisons de se regrouper, c’est l
22
on le répète un peu partout, plus simplement : à
des
raisons de se regrouper, c’est l’affleurement d’un inconscient désir
23
s raisons de se regrouper, c’est l’affleurement d’
un
inconscient désir de « ce qui lie », d’une religion. De n’importe que
24
ement d’un inconscient désir de « ce qui lie », d’
une
religion. De n’importe quelle religion. Il est temps que le monde chr
25
en prenne conscience à la fois de cette chance et
des
risques immenses qu’elle ouvre. Car on ne peut plus se le dissimuler
26
privées de culture spirituelle, athéisées jusqu’à
un
point que les chrétiens, souvent, n’imaginent guère, se trouvent deva
27
grossiers, et par exemple par le seul sentiment d’
une
fraternité charnelle, d’un coude à coude pathétique. Ce n’est pas là
28
r le seul sentiment d’une fraternité charnelle, d’
un
coude à coude pathétique. Ce n’est pas là une hypothèse : il suffit d
29
e, d’un coude à coude pathétique. Ce n’est pas là
une
hypothèse : il suffit de traverser le Rhin pour ressentir, jusqu’au f
30
son de l’horreur sacrée, la réalité monstrueuse d’
une
de ces religions larvaires. On demande souvent quel est le contenu de
31
yant, c’est qu’il n’y en a pas. Il n’y a rien que
des
masses qui se ressentent comme telles, à la faveur d’un déploiement t
32
ses qui se ressentent comme telles, à la faveur d’
un
déploiement théâtral et géométrique, autour d’un chef qui ne veut êtr
33
’un déploiement théâtral et géométrique, autour d’
un
chef qui ne veut être que leur incarnation et leur symbole. Des masse
34
e veut être que leur incarnation et leur symbole.
Des
masses qui communient avec elles-mêmes dans un chant triste ou dans u
35
. Des masses qui communient avec elles-mêmes dans
un
chant triste ou dans un cri. Or ces religions vagues et violentes se
36
ent avec elles-mêmes dans un chant triste ou dans
un
cri. Or ces religions vagues et violentes se cherchent pourtant une d
37
ligions vagues et violentes se cherchent pourtant
une
doctrine. N’étant pas nées d’une création spirituelle, d’une espéranc
38
erchent pourtant une doctrine. N’étant pas nées d’
une
création spirituelle, d’une espérance ouvrant l’avenir, elles ne save
39
e. N’étant pas nées d’une création spirituelle, d’
une
espérance ouvrant l’avenir, elles ne savent justifier leur existence
40
igine commune, le passé. Le christianisme fondait
une
société ouverte, liée par l’attente unanime d’un au-delà libérateur.
41
une société ouverte, liée par l’attente unanime d’
un
au-delà libérateur. « Les choses vieilles sont passées », dit saint P
42
tional-socialisme se trouve avoir donné le type d’
une
communauté régressive, fondée sur les seules choses révolues, sur tou
43
race, la tradition, les morts, tout ce qui impose
un
destin sans recours. Voilà pourquoi cette religion est, au suprême d
44
du sang, religion sanglante et mortelle, religion
des
choses vieilles, mortes et enterrées depuis des millénaires, jamais «
45
n des choses vieilles, mortes et enterrées depuis
des
millénaires, jamais « passées », et qui réclament encore du sang, des
46
ais « passées », et qui réclament encore du sang,
des
morts, des cortèges funèbres, des cérémonies d’imprécation, des sacri
47
es », et qui réclament encore du sang, des morts,
des
cortèges funèbres, des cérémonies d’imprécation, des sacrifices propi
48
encore du sang, des morts, des cortèges funèbres,
des
cérémonies d’imprécation, des sacrifices propitiatoires, le tam-tam d
49
cortèges funèbres, des cérémonies d’imprécation,
des
sacrifices propitiatoires, le tam-tam des tambours lugubres, d’halluc
50
cation, des sacrifices propitiatoires, le tam-tam
des
tambours lugubres, d’hallucinants sabbats de nègres blancs ! Qui ne v
51
cinants sabbats de nègres blancs ! Qui ne voit qu’
une
telle religion hait mortellement la foi chrétienne, tournée vers le p
52
rnel, le rachat du péché d’origine ? Ce n’est pas
un
conflit accidentel, c’est encore moins un conflit politique qu’il fau
53
est pas un conflit accidentel, c’est encore moins
un
conflit politique qu’il faut chercher à l’origine réelle des persécut
54
politique qu’il faut chercher à l’origine réelle
des
persécutions hitlériennes contre les Églises du Christ. C’est une opp
55
hitlériennes contre les Églises du Christ. C’est
une
opposition de nature et d’essence, radicale et insurmontable ; c’est
56
tement du destin sombre et de la foi libératrice,
des
choses fatales et des « choses espérées », du culte des morts et de c
57
e et de la foi libératrice, des choses fatales et
des
« choses espérées », du culte des morts et de celui du Dieu vivant. L
58
oses fatales et des « choses espérées », du culte
des
morts et de celui du Dieu vivant. L’ère des religions s’ouvre à nous,
59
culte des morts et de celui du Dieu vivant. L’ère
des
religions s’ouvre à nous, chargée de promesses, mais aussi de menaces
60
r vraie force. Car il ne suffit plus d’entretenir
un
vague sentiment religieux, vestige d’un passé touchant, pour répondre
61
ntretenir un vague sentiment religieux, vestige d’
un
passé touchant, pour répondre à une religion dans sa jeunesse virulen
62
eux, vestige d’un passé touchant, pour répondre à
une
religion dans sa jeunesse virulente et affamée. Il faut se réduire au
63
voir raison de loin ; plus difficile de découvrir
une
voie meilleure où l’on soit prêt à se risquer soi-même. a. Rougemo
64
squer soi-même. a. Rougemont Denis de, « L’ère
des
religions », Le Figaro, Paris, 22 février 1939, p. 1 et 3.
65
au Hradschin. » Après Vienne, avec Prague, c’est
une
Europe qui vient de mourir. Europe du sentiment, patrie de nostalgie
66
de tous ceux qu’a touchés le romantisme — encore
un
paradis perdu ! Mais les vrais paradis seront toujours perdus : ils n
67
et la Vienne de Schubert — à l’heure où sombrent
des
nations sous l’uniforme barbarie — je les vois s’élever rayonnants da
68
ois s’élever rayonnants dans la lueur éternisée d’
un
soir d’été, après l’orage, avant la nuit, dans une gloire déchirante
69
un soir d’été, après l’orage, avant la nuit, dans
une
gloire déchirante et délicieuse comme les secondes voix de Schumann.
70
t délicieuse comme les secondes voix de Schumann.
Un
mythe nouveau prend son essor au sein même de la catastrophe. Tout un
71
nd son essor au sein même de la catastrophe. Tout
un
âge, un climat de musiques, soudain se fixe en nos mémoires, s’idéali
72
ssor au sein même de la catastrophe. Tout un âge,
un
climat de musiques, soudain se fixe en nos mémoires, s’idéalise. Un «
73
ues, soudain se fixe en nos mémoires, s’idéalise.
Un
« bon vieux temps » de plus, tout près de nous… Le bon vieux temps, p
74
otre enfance. Et voici que ce Temps Perdu, tout d’
un
coup, est encore plus proche : c’est l’an passé, c’est avant-hier — p
75
rs du bon vieux temps européen. Jours de sursis d’
une
liberté dont nous avions à peine conscience, parce qu’elle était notr
76
s goûter ce répit, et sentir que nous prolongeons
une
existence que nos fils appelleront douceur de vivre ? Déjà nous éprou
77
? Déjà nous éprouvons que le monde a glissé dans
une
ère étrange et brutale, où ces formes de vie, qui sont encore les nôt
78
stin. Soit que les tyrans nous accablent, soit qu’
un
sursaut nous dresse à résister, il faudra changer de rythme et rectif
79
les ressorts, mobiliser les cœurs… C’est le crime
des
dictatures : elles ne tuent pas seulement la liberté dans les pays où
80
s aussi bien chez les voisins qu’elles secouent d’
un
défi grossier. La liberté ne peut survivre à de tels chocs. Car elle
81
ivre à de tels chocs. Car elle est vraiment comme
un
rêve, un rêve heureux où l’on circule avec aisance, gardant seulement
82
tels chocs. Car elle est vraiment comme un rêve,
un
rêve heureux où l’on circule avec aisance, gardant seulement l’arrièr
83
aisance, gardant seulement l’arrière-conscience d’
un
miracle. Elle est encore une œuvre d’art qui n’agit que par l’atmosph
84
’arrière-conscience d’un miracle. Elle est encore
une
œuvre d’art qui n’agit que par l’atmosphère, par le « charme » qu’ell
85
tmosphère, par le « charme » qu’elle fait régner.
Des
lois adroites et humaines ne suffiront jamais à l’assurer : il y faut
86
t sentimental, cette espèce de naturel qui naît d’
une
entente tacite, d’une confiance, presque d’une insouciance… C’est tou
87
spèce de naturel qui naît d’une entente tacite, d’
une
confiance, presque d’une insouciance… C’est tout cela que vient de me
88
d’une entente tacite, d’une confiance, presque d’
une
insouciance… C’est tout cela que vient de mettre en question l’usurpa
89
e et goûte encore quelques instants les délices d’
un
rêve inachevé. Mais il sait bien que c’est fini. Brève dispense, le t
90
t bien que c’est fini. Brève dispense, le temps d’
un
peu se souvenir… Il faut se lever. Il faut entrer résolument dans le
91
le grand jour du siècle mécanique, accepter pour
un
temps sa loi, en préservant, s’il se peut, dans nos cœurs, ce droit d
92
étourné de la foi chrétienne ? Cette question, qu’
une
revue de jeunes vient de poser aux écrivains et aux sociologues, on v
93
ites observations, ajoutera ou retranchera. C’est
un
jeu de société qui en vaut bien un autre. Je retranche pour ma part l
94
anchera. C’est un jeu de société qui en vaut bien
un
autre. Je retranche pour ma part les journalistes : ils dirigent en p
95
pas nos actions personnelles. Je réserve les cas
des
meneurs. Et j’ajoute aux grands romanciers les directrices de magazin
96
multiplicité, c’est-à-dire l’impuissance pratique
des
organes de « direction » qui se disputent nos consciences. Sous préte
97
es. Sous prétexte de nous libérer de la tutelle d’
une
Église ou d’une foi, nous nous sommes soumis naïvement à d’innombrabl
98
e de nous libérer de la tutelle d’une Église ou d’
une
foi, nous nous sommes soumis naïvement à d’innombrables influences in
99
fermés. Mais quand la Science vous dit de porter
des
bas de laine, la Mode vous impose des bas de soie. Les romans et les
100
t de porter des bas de laine, la Mode vous impose
des
bas de soie. Les romans et les films nous enfièvrent d’une nostalgie
101
e soie. Les romans et les films nous enfièvrent d’
une
nostalgie d’amour-passion dont nous ne savons plus même distinguer qu
102
le contredit radicalement notre morale. Au lieu d’
une
discipline, nous avons vingt tyrans qui nous poussent à hue et à dia.
103
yrans qui nous poussent à hue et à dia. Au lieu d’
un
directeur qui nous parle à mi-voix, ces appels pathétiques à la radio
104
ux alentours du zéro vital. Voici la chance alors
des
grands meneurs, et l’heure des Guides. Un Duce, un Führer vont se dre
105
ci la chance alors des grands meneurs, et l’heure
des
Guides. Un Duce, un Führer vont se dresser et nous cingler de grosses
106
alors des grands meneurs, et l’heure des Guides.
Un
Duce, un Führer vont se dresser et nous cingler de grosses ironies. N
107
s grands meneurs, et l’heure des Guides. Un Duce,
un
Führer vont se dresser et nous cingler de grosses ironies. Nous avons
108
? Ils vont nous rendre tout cela en nous rendant
une
direction de marche. Mais ce n’est plus à nos consciences qu’ils s’ad
109
és. Les grands meneurs, à proprement parler, sont
des
directeurs d’inconscience. Et leur succès c’est de nous délivrer de n
110
orales, par anesthésie collective. Voilà pourquoi
des
millions d’hommes sont heureux d’être « mis au pas ». Faut-il choisir
111
la marche à l’Étoile, dans la marche unanime vers
un
point qui se trouve au-delà de la terre, également lointain de chacun
112
Une
simple question de mots (24 avril 1939)d On ne fait pas de révolut
113
changer le vocabulaire. Car la force principale d’
un
mouvement politique n’est pas la vérité de sa doctrine, mais l’opport
114
gande. La révolution, de nos jours, c’est d’abord
une
question de mots, une question de slogans, un cas particulier de cett
115
de nos jours, c’est d’abord une question de mots,
une
question de slogans, un cas particulier de cette science de l’opinion
116
rd une question de mots, une question de slogans,
un
cas particulier de cette science de l’opinion qui s’appelle la Public
117
a conversation devient parfois si difficile entre
un
pays qui a fait une révolution et ses voisins qui en ont fait d’autre
118
ent parfois si difficile entre un pays qui a fait
une
révolution et ses voisins qui en ont fait d’autres, ou qui n’en ont p
119
dialogue France-Allemagne. Il fut longtemps l’un
des
plus malaisés, à cause du pathos jacobin dont les Allemands avaient s
120
ointe de leurs baïonnettes ne correspondait pas à
des
notions bien claires dans le cerveau d’un paysan prussien. D’où les m
121
pas à des notions bien claires dans le cerveau d’
un
paysan prussien. D’où les malentendus que l’on sait, et les « explica
122
alentendus que l’on sait, et les « explications »
un
peu brutales qui aboutirent au compromis boiteux de Versailles. Le Re
123
igne de chacun de ses termes. Exemples : le droit
des
peuples à disposer d’eux-mêmes signifie, dans le langage totalitaire
124
signifie, dans le langage totalitaire ; le droit
des
peuples les plus forts à disposer de leurs voisins les plus faibles ;
125
faibles ; consolider la paix signifiera : envahir
un
pays à dix contre un sans avoir à tirer un obus. La presse italienne,
126
la paix signifiera : envahir un pays à dix contre
un
sans avoir à tirer un obus. La presse italienne, dans son ardeur de n
127
nvahir un pays à dix contre un sans avoir à tirer
un
obus. La presse italienne, dans son ardeur de néophyte, vend la mèche
128
sme de Roosevelt le sens du droit et le pacifisme
des
dictateurs. Ce n’était donc pas plus malin que cela ? Il suffit de po
129
ifiait pour les vieux Germains le droit de porter
une
arme et de la garder chez soi. Il est donc assez naturel que le congr
130
mands n’est pas comme pour nous autres démocrates
un
moyen de protéger des libertés d’ordre civil. Il est en soi la libert
131
pour nous autres démocrates un moyen de protéger
des
libertés d’ordre civil. Il est en soi la liberté, et nulle autre n’es
132
us le respect du droit, et au-delà de la lettre d’
un
code, une manière objective de jauger les arguments de deux parties a
133
pect du droit, et au-delà de la lettre d’un code,
une
manière objective de jauger les arguments de deux parties adverses. C
134
yé d’être « juste » vis-à-vis de l’Allemagne dans
un
petit ouvrage paru l’automne dernier. Or, voici ce que m’écrit un hit
135
paru l’automne dernier. Or, voici ce que m’écrit
un
hitlérien : « Juste, votre livre ne l’est certainement pas. Car la ju
136
ent pas. Car la justice jaillit de la plénitude d’
une
vitalité sûre d’elle-même, et non pas de comparaisons abstraites. C’e
137
uffit de changer le signe. Quant à l’espace vital
des
dictatures, on n’aura pas été sans remarquer que sa qualité la plus f
138
te est l’élasticité illimitée. Plus la vitalité d’
un
peuple est « sûre d’elle-même », plus ses nécessités dites vitales s’
139
. Que signifie alors le mot vital ? Non pas ce qu’
un
vain puriste pourrait croire, non pas ce qui serait indispensable pou
140
ui est indispensable pour satisfaire et augmenter
une
« vitalité sûre d’elle-même ». L’espace vital, c’est celui que réclam
141
, c’est-à-dire — traduit en allemand — d’affirmer
une
« vitalité sûre d’elle-même » et de « consolider la paix »… Bornons-n
142
r la paix »… Bornons-nous à remarquer qu’aux yeux
des
peuples revendiqués par le Reich dans ces termes, ce qui est espace v
143
ich dans ces termes, ce qui est espace vital pour
un
nazi risque malheureusement de s’appeler bientôt champ de bataille, o
144
le, ou espace mortel. d. Rougemont Denis de, «
Une
simple question de mots », Le Figaro, Paris, 24 avril 1939, p. 1 et 3
145
notre vie même, avec la Vie ! Certes, l’anarchie
des
mœurs et des idées s’accroît d’une anxiété de jour en jour plus justi
146
me, avec la Vie ! Certes, l’anarchie des mœurs et
des
idées s’accroît d’une anxiété de jour en jour plus justifiée, à cause
147
es, l’anarchie des mœurs et des idées s’accroît d’
une
anxiété de jour en jour plus justifiée, à cause des crises sociales e
148
e anxiété de jour en jour plus justifiée, à cause
des
crises sociales et politiques. Et pourtant nous vivons ! Et notre vie
149
s que toute réalité, à toute époque de l’histoire
des
hommes, est, apparue comme une réalité sans précédent, à ceux du moin
150
oque de l’histoire des hommes, est, apparue comme
une
réalité sans précédent, à ceux du moins qui osaient la vivre avec luc
151
osaient la vivre avec lucidité. L’Europe a connu
des
paniques et des nuits plus terribles que les nôtres, au lendemain des
152
e avec lucidité. L’Europe a connu des paniques et
des
nuits plus terribles que les nôtres, au lendemain des grandes invasio
153
nuits plus terribles que les nôtres, au lendemain
des
grandes invasions, du ve siècle au viiie de notre ère, avant l’an m
154
u monde chrétien. Quel pouvait être l’avenir pour
un
Allemand de la guerre de Trente Ans ? Pour les vaincus des guerres de
155
and de la guerre de Trente Ans ? Pour les vaincus
des
guerres de l’Empire ? On me dira que la mécanique des guerres moderne
156
guerres de l’Empire ? On me dira que la mécanique
des
guerres modernes, cette technique de la mort à grande distance, les m
157
lice et presse, introduisent dans le monde actuel
des
possibilités plus radicales d’anéantir la guerre humaine. On me dira
158
lisées. Pendant qu’on massacrait jusqu’au dernier
des
habitants de Magdebourg, sous Wallenstein, le paysan et l’artisan fra
159
in, le paysan et l’artisan français jouissaient d’
une
quiétude parfaite. Ainsi la vie paisible fut toujours l’avantage d’un
160
. Ainsi la vie paisible fut toujours l’avantage d’
une
certaine inconscience, d’une ignorance dont la presse, de nos jours,
161
oujours l’avantage d’une certaine inconscience, d’
une
ignorance dont la presse, de nos jours, nous prive avec acharnement.
162
tous ces fronts disparaissant derrière les titres
des
journaux du soir que le malheur des temps est une vieille expression…
163
re les titres des journaux du soir que le malheur
des
temps est une vieille expression… Oui, de tout temps, le sort du mond
164
des journaux du soir que le malheur des temps est
une
vieille expression… Oui, de tout temps, le sort du monde a été quasim
165
paix : cette ignorance satisfaite du désordre et
des
injustices établies. La menace de guerre qui pèse sur nous pourrait e
166
Dans l’atmosphère de catastrophes où nous vivons,
une
profonde ambiguïté se manifeste. Tout invite à désespérer ? Mais l’es
167
ut », et c’est alors qu’il est vraiment le gage d’
une
vie qui vaille d’être vécue. Les générations d’avant-guerre eurent sa
168
au contraire, dans la connaissance du désordre et
des
périls inhérents au progrès, la chance d’une grandeur qui, elle aussi
169
e et des périls inhérents au progrès, la chance d’
une
grandeur qui, elle aussi, pourrait être sans précédent. Comme toute g
170
moins grand de la cité, mais les raisons de vivre
des
hommes qui l’habitent. Ce n’est pas la somme de leurs soucis et de le
171
tudes acceptées. Acceptons notre chance de vivre
une
vie plus consciente et réelle. Quoi qu’il advienne, sachons voir en t
172
dans la version originale imprimée, manifestement
une
erreur.
173
août. « Quelques-uns de mes meilleurs amis sont
des
Juifs… » commença le bonhomme antisémite, affirmant son humanité et s
174
eur pour ainsi dire, et donné à tout son discours
un
cachet d’objectivité — « Je n’en fais pas une question personnelle, v
175
ours un cachet d’objectivité — « Je n’en fais pas
une
question personnelle, vous voyez bien… » — il put s’abandonner avec i
176
— il put s’abandonner avec ivresse aux délices d’
une
diatribe que chacun sait par cœur : « Some of my best friends are Jew
177
e massacré, mais de ses massacreurs. Quelques-uns
des
Américains que j’estime le plus pensent qu’il existe encore de « bons
178
i Glenway Wescott, qui vient de le démontrer dans
un
roman intitulé Appartements d’Athènes (l’a-t-on publié en français ?)
179
urd’hui, aux yeux de ceux qui doivent en décider.
Une
anecdote la résumera. Dans une ville allemande occupée par les Améric
180
oivent en décider. Une anecdote la résumera. Dans
une
ville allemande occupée par les Américains, un officier chargé du gou
181
s une ville allemande occupée par les Américains,
un
officier chargé du gouvernement civil réunit cent personnes, au hasar
182
’écrasantes majorités ? Il doit donc bien y avoir
des
nazis en Allemagne et même en assez grande quantité… Le porte-parole
183
« Ce que vous dites là, crie-t-il, ce ne sont que
des
mensonges propagés à l’étranger par les Juifs, les ploutocrates améri
184
les Allemands ne mentent pas comme nous. Et c’est
un
fait fondamental dont il convient de tenir compte quand on parle du «
185
ui qui a tiré le premier. Battu, celui qui touche
des
deux épaules et se met à faire le bon apôtre. Nazi, celui qui accuse
186
Un
climat tempéré (22 août 1945)h New York, août Une nouvelle vague
187
limat tempéré (22 août 1945)h New York, août
Une
nouvelle vague de chaleur sur New York, et voici les balcons, les ter
188
pendus jusqu’au trentième étage qui se couvrent d’
un
peuple nu, quêtant un souffle de la mer, un courant d’air de l’East R
189
ème étage qui se couvrent d’un peuple nu, quêtant
un
souffle de la mer, un courant d’air de l’East River, quelque soupir…
190
ent d’un peuple nu, quêtant un souffle de la mer,
un
courant d’air de l’East River, quelque soupir… La vie s’arrête. Le bu
191
business même s’alourdit et s’endort. Dans la rue
des
gens tombent. Le veston sur le bras, on erre dans un bain de vapeur,
192
gens tombent. Le veston sur le bras, on erre dans
un
bain de vapeur, cherchant les salles réfrigérées où l’on entre le sou
193
entre le souffle coupé et d’où l’on ressort avec
un
rhume. La semaine dernière, il gelait presque. L’Américain doit conse
194
à tempérer, en état de mobilisation permanente, d’
un
bout à l’autre de l’année. Une bonne partie de ses soucis, de ses inv
195
épenses, vont à neutraliser les sautes d’humeur d’
un
climat fantaisiste à l’extrême, souvent brutal. Comme chaque jour à N
196
u’aux climats inhumains de la planète. À ces îles
des
tropiques où le litre de rhum qu’on boit par jour et par personne, en
197
r jour et par personne, enfants compris, n’est qu’
une
défense, d’ailleurs désespérée, contre la torpeur écrasante qui tombe
198
désespérée, contre la torpeur écrasante qui tombe
des
arbres et du ciel. Aux régions polaires sans été. Au faux printemps p
199
, glaciers, et jungles qui couvrent neuf dixièmes
des
continents… Notre terre est à peine habitable, dans l’ensemble ! Et d
200
les conditions naturelles tolèrent la subsistance
des
vies humaines, c’est au prix d’un effort épuisant d’adaptation, de pr
201
la subsistance des vies humaines, c’est au prix d’
un
effort épuisant d’adaptation, de protection, de réaction ou de réfrig
202
qui laisse peu d’énergie de surcroît. Où trouver
un
pays qui ne harcèle pas l’homme, et qui lui laisse le loisir d’être h
203
sans trêve à défendre sa vie d’animal ? J’en vois
un
, c’est peut-être le seul. Là, point de catastrophes naturelles, d’ava
204
s de sauterelles ou de termites ; rien à craindre
des
tremblements de terre, des fleuves envahissants, des sécheresses péri
205
ites ; rien à craindre des tremblements de terre,
des
fleuves envahissants, des sécheresses périodiques ou de ces moiteurs
206
tremblements de terre, des fleuves envahissants,
des
sécheresses périodiques ou de ces moiteurs dissolvantes. Les quatre s
207
quatre saisons bien distinctes s’y succèdent dans
un
ordre classique. Noël tombe en hiver, non pas en plein été comme dans
208
l’enfance — et nul ne s’en étonne — qu’il possède
un
climat tempéré. C’est la France. Ses habitants croient que la nature
209
ois que ce climat « normal », sur la planète, est
une
exception surprenante. Tout ce que nos pères considéraient comme simp
210
ré, avec son type d’humains normalement adaptés à
une
nature jugée normale, est une réussite hautement improbable. Mais c’e
211
rmalement adaptés à une nature jugée normale, est
une
réussite hautement improbable. Mais c’est par cela même qu’elle se tr
212
s c’est par cela même qu’elle se trouve chargée d’
une
mission universelle. Pendant des siècles, l’homme a pu y consacrer so
213
trouve chargée d’une mission universelle. Pendant
des
siècles, l’homme a pu y consacrer son ingéniosité à faire des arts, d
214
l’homme a pu y consacrer son ingéniosité à faire
des
arts, des armes et des lois, de la politique, des robes et une littér
215
pu y consacrer son ingéniosité à faire des arts,
des
armes et des lois, de la politique, des robes et une littérature, plu
216
er son ingéniosité à faire des arts, des armes et
des
lois, de la politique, des robes et une littérature, plus quelques âm
217
des arts, des armes et des lois, de la politique,
des
robes et une littérature, plus quelques âmes de climat dur, de Pascal
218
armes et des lois, de la politique, des robes et
une
littérature, plus quelques âmes de climat dur, de Pascal à Rimbaud, d
219
chance de créer, pour l’ensemble du genre humain,
des
normes idéales de l’homme, le luxe même. La France, disposant des éne
220
es de l’homme, le luxe même. La France, disposant
des
énergies que libère une nature amie de l’homme, se trouve placée par
221
ême. La France, disposant des énergies que libère
une
nature amie de l’homme, se trouve placée par cette nature même au ran
222
potentiel. Si elle doit cesser demain de tirer d’
un
privilège unique les créations qu’on attend d’elle dans tous les ordr
223
era-t-il ? On verra le reste du monde, et pendant
des
siècles peut-être, s’efforcer de reproduire et de rejoindre par les p
224
ndre par les plus coûteux artifices, ce climat qu’
un
Français moyen reçoit à son berceau, cadeau des fées, comme point de
225
qu’un Français moyen reçoit à son berceau, cadeau
des
fées, comme point de départ d’une vie vraiment humaine. h. Rougemo
226
berceau, cadeau des fées, comme point de départ d’
une
vie vraiment humaine. h. Rougemont Denis de, « Un climat tempéré »
227
vie vraiment humaine. h. Rougemont Denis de, «
Un
climat tempéré », Le Figaro, Paris, 22 août 1945, p. 1.
228
e et multimillénaire du mot. « Il y aura toujours
des
guerres ! », nous disaient-ils. Sans doute, mais ce ne seront plus le
229
s du jour électrisants et grands chefs adulés par
des
effectifs considérables. Il faut en prendre son parti : l’ère des mil
230
nsidérables. Il faut en prendre son parti : l’ère
des
militaires a pris fin le 6 août à Hiroshima. L’arithmétique élémentai
231
élémentaire qui suffisait à combiner grosso modo
des
kilomètres, des bataillons, des trajectoires et des vitesses d’avions
232
suffisait à combiner grosso modo des kilomètres,
des
bataillons, des trajectoires et des vitesses d’avions, fait place aux
233
biner grosso modo des kilomètres, des bataillons,
des
trajectoires et des vitesses d’avions, fait place aux raffinements ul
234
s kilomètres, des bataillons, des trajectoires et
des
vitesses d’avions, fait place aux raffinements ultramathématiques de
235
est tranchée sans réplique au détriment définitif
des
généraux, au bénéfice des « intellectuels à lunettes ». La bravoure,
236
au détriment définitif des généraux, au bénéfice
des
« intellectuels à lunettes ». La bravoure, la prestance, la disciplin
237
t les armées en bel arroi qui s’avanceraient avec
une
mâle vertu au-devant de la bombe atomique, nous reviendraient après q
238
local, voire municipal, au titre de la police et
des
pompiers. Il ne faut pas se dissimuler que ce déclassement brusque de
239
ue de la guerre va provoquer dans le monde entier
un
sentiment de vague et vaste frustration. (L’Europe sera plus touchée
240
se guérit pas facilement de l’ablation à chaud d’
une
coutume ancestrale, du goût des uniformes, du jeu des soldats de plom
241
blation à chaud d’une coutume ancestrale, du goût
des
uniformes, du jeu des soldats de plomb, et de l’usage quotidien de mé
242
coutume ancestrale, du goût des uniformes, du jeu
des
soldats de plomb, et de l’usage quotidien de métaphores guerrières, i
243
ent le principal de notre Histoire ? Tel est l’un
des
problèmes psychologiques que pose au siècle la bipartition d’un seul
244
sychologiques que pose au siècle la bipartition d’
un
seul atome. Il en est d’autres, dont nous avons parlé abondamment ces
245
ie. Jusqu’au jour où l’humanité, sur les traces d’
un
grand philosophe, découvrira ce luxe inouï : la lenteur au sein du si
246
Le dernier
des
Mohicans (11 octobre 1945)j Lake George (USA) Le clapotis doux d
247
1945)j Lake George (USA) Le clapotis doux d’
une
pagaie trahit seul le glissement d’un canoë vers le pied du rocher où
248
tis doux d’une pagaie trahit seul le glissement d’
un
canoë vers le pied du rocher où j’écris. Deux voiles inclinées se cro
249
inclinées se croisent lentement entre les troncs
des
pins sur un vert d’eau limpide. Une grande flèche rouge rase les cime
250
croisent lentement entre les troncs des pins sur
un
vert d’eau limpide. Une grande flèche rouge rase les cimes en silence
251
re les troncs des pins sur un vert d’eau limpide.
Une
grande flèche rouge rase les cimes en silence, devient oiseau, devien
252
u, devient petit avion luisant au cirque lumineux
des
collines, et va creuser un sillon d’or neigeux. Sur l’autre rive, la
253
nt au cirque lumineux des collines, et va creuser
un
sillon d’or neigeux. Sur l’autre rive, la cloche du couvent des frère
254
r neigeux. Sur l’autre rive, la cloche du couvent
des
frères paulistes — joyeux nageurs, plongeurs bruyants — sonne pour le
255
ruyants — sonne pour les vêpres. Ce lac clair, qu’
un
jésuite français, au début du xviie siècle, baptisa lac du Saint-Sac
256
rge et fut le Horicon de Fenimore Cooper, le lieu
des
aventures et de la mort d’Œil de faucon et du dernier des Mohicans. R
257
tures et de la mort d’Œil de faucon et du dernier
des
Mohicans. Rien n’a changé dans le paysage depuis Cooper, lequel notai
258
éface que tout était resté pareil depuis l’époque
des
Iroquois et des Hurons. Les villages et les villes portent encore des
259
tait resté pareil depuis l’époque des Iroquois et
des
Hurons. Les villages et les villes portent encore des noms de Sagamor
260
Hurons. Les villages et les villes portent encore
des
noms de Sagamores ou de tribus fameuses : Saratoga, Mohawk ou Ticonde
261
sont presque invisibles, dissimulées à l’ombrage
des
pins cascadant en désordre des hauteurs, jusqu’aux bouleaux enchevêtr
262
mulées à l’ombrage des pins cascadant en désordre
des
hauteurs, jusqu’aux bouleaux enchevêtrés des rives, parcourus d’écure
263
rdre des hauteurs, jusqu’aux bouleaux enchevêtrés
des
rives, parcourus d’écureuils et d’oiseaux-mouches. C’est ici l’Amériq
264
n point la vraie — il n’y en a point — mais l’une
des
vraies — elles le sont presque toutes. Entre les pages de l’exemplair
265
e de Cooper trouvé dans la bibliothèque du salon,
une
petite carte de visite jaunie porte le nom d’un révérend qui fut évêq
266
une petite carte de visite jaunie porte le nom d’
un
révérend qui fut évêque anglican d’Albany. Je connais bien son petit-
267
ste de gouverneur de cet État. Il est tanné comme
un
Indien, juste juge, roublard, riche et pieux. Sa femme préside, avec
268
roublard, riche et pieux. Sa femme préside, avec
un
optimisme effervescent le Comité pour les étudiants pauvres et démocr
269
sme », entendez aux idées communistes. Elle élève
des
milliers de poulets dans un domaine qu’elle a nommé le « Sommet du Mo
270
munistes. Elle élève des milliers de poulets dans
un
domaine qu’elle a nommé le « Sommet du Monde », parce qu’il s’étend s
271
é le « Sommet du Monde », parce qu’il s’étend sur
une
colline dominant le lac aux cent îles. L’aînée des filles vient d’épo
272
ne colline dominant le lac aux cent îles. L’aînée
des
filles vient d’épouser un avocat socialiste et sportif. La seconde es
273
aux cent îles. L’aînée des filles vient d’épouser
un
avocat socialiste et sportif. La seconde est femme de pasteur. La cad
274
tre actrice, on lui a bâti sur le Sommet du Monde
un
amphithéâtre de pierre où les amateurs du pays jouaient du Shakespear
275
le Pacifique. Les disputes politiques, à la table
des
T…, semblent passées depuis longtemps au rang de taquineries de famil
276
enedicite avant de s’asseoir et l’on pose au café
des
problèmes de roman détective. Les Européens vus d’ici, au travers des
277
an détective. Les Européens vus d’ici, au travers
des
questions qu’on m’adresse, apparaissent inquiétants et inquiets, amer
278
la presbytérienne, la catholique, la méthodiste.
Un
curé canadien prêche en français : nous sommes ici un peu plus près d
279
uré canadien prêche en français : nous sommes ici
un
peu plus près de Montréal que de New York. L’hôtel se nomme le Sagamo
280
al que de New York. L’hôtel se nomme le Sagamore.
Un
avis discret à l’entrée disait l’an dernier restricted, signifiant qu
281
, signifiant que les Juifs n’étaient pas désirés.
Des
lois « contre les préjugés de race » ayant passé cet hiver dans l’Éta
282
rts de noms français : morts de Montcalm et morts
des
guerres d’Indépendance. La liberté et la démocratie montrent ici plus
283
. La liberté et la démocratie montrent ici plus d’
un
visage. Comme ailleurs. Mais ici plus qu’ailleurs, on sent que libert
284
lémentaire : la possibilité de se mettre à l’abri
des
menaces naturelles et matérielles, d’une sauvagerie profonde à portée
285
à l’abri des menaces naturelles et matérielles, d’
une
sauvagerie profonde à portée de la main. D’où la méticuleuse propreté
286
à portée de la main. D’où la méticuleuse propreté
des
maisons de bois blanc de cette contrée, et la rigidité de sa morale,
287
Il me semble avoir lu parfois que l’Amérique est
un
pays sans traditions ni religion, où toutes les races se mêlent, où l
288
l’esprit subtil et ombrageux de l’éternel dernier
des
Mohicans ! Vaincu, il a conquis l’âme des pionniers et gouverne par e
289
dernier des Mohicans ! Vaincu, il a conquis l’âme
des
pionniers et gouverne par elle une Amérique secrète, qui sent mieux s
290
conquis l’âme des pionniers et gouverne par elle
une
Amérique secrète, qui sent mieux son histoire réelle que ses trop lar
291
istoire réelle que ses trop larges ouvertures sur
un
avenir planétaire. j. Rougemont Denis de, « Le dernier des Mohican
292
lanétaire. j. Rougemont Denis de, « Le dernier
des
Mohicans », Le Figaro, Paris, 11 octobre 1945, p. 1.
293
Le savant et le général (8 novembre 1945)k À
une
heure de New York, à Princeton où je suis en train de m’installer, to
294
où je suis en train de m’installer, tout respire
une
paix claustrale. Les bâtiments de l’Université, en style néogothique
295
thique d’Oxford, dernier confort, s’espacent dans
des
parcs dont l’automne encore tiède glorifie le luxe songeur. C’est dan
296
ombres vertes, que vivent et pensent quelques-uns
des
esprits qui auront le plus contribué à transformer la condition du si
297
mer la condition du siècle. Hier soir, au cinéma,
un
hello derrière moi, c’était N., l’un des as du très petit groupe de m
298
u cinéma, un hello derrière moi, c’était N., l’un
des
as du très petit groupe de mathématiciens et de physiciens qui a mis
299
ombe atomique. Tout à l’heure, devant ma fenêtre,
un
homme en sweater bleu et pantalon de flanelle passait les cheveux au
300
nze heures du matin. Quand il fait froid il porte
un
manteau noir. Sa chevelure m’indique la direction du vent, et son asp
301
tant dit en si peu de signes. Mais je ne suis pas
un
physicien, et n’ai d’autre spécialité que de réfléchir aux conséquenc
302
alité que de réfléchir aux conséquences générales
des
découvertes particulières, et aux liaisons humaines qu’elles affecten
303
e la Bombe bat son plein. Bien entendu, l’opinion
des
savants domine tout. Leur mauvaise conscience les a rendus prudents e
304
ment d’avoir causé trois-cent-mille morts et créé
une
menace planétaire. Aussi défendent-ils tous l’idée que la guerre des
305
re. Aussi défendent-ils tous l’idée que la guerre
des
bombes serait la fin des hommes, et que le seul moyen de l’empêcher e
306
ous l’idée que la guerre des bombes serait la fin
des
hommes, et que le seul moyen de l’empêcher est un gouvernement mondia
307
es hommes, et que le seul moyen de l’empêcher est
un
gouvernement mondial. Ils partagent mon avis sur l’inutilité des armé
308
t mondial. Ils partagent mon avis sur l’inutilité
des
armées et des flottes de l’air ou de la mer, cependant que les généra
309
partagent mon avis sur l’inutilité des armées et
des
flottes de l’air ou de la mer, cependant que les généraux, les journa
310
t les politiciens continuent de déraisonner comme
un
seul homme. Le New York Times de ce matin fournit de nouveaux argumen
311
tiennent. Voici d’abord l’opinion du chef suprême
des
forces américaines, le général Marshall. La bombe atomique, déclare-t
312
Marshall. La bombe atomique, déclare-t-il, devant
une
commission parlementaire, loin de rendre l’armée superflue, ne peut q
313
rmée superflue, ne peut qu’augmenter l’importance
des
troupes de terre. C’est bien l’avis qu’on attendait d’un général. Et
314
pes de terre. C’est bien l’avis qu’on attendait d’
un
général. Et il illustre sa pensée. « Supposez, dit-il, deux savants,
315
llemagne et l’autre à Washington. Chacun pèse sur
un
bouton, et une terrifiante explosion se produit dans le territoire de
316
autre à Washington. Chacun pèse sur un bouton, et
une
terrifiante explosion se produit dans le territoire de l’autre. Le pr
317
e poursuit, jusqu’au jour où quelqu’un s’empare d’
un
des boutons : et voilà qui suppose une force armée. » Le général Mars
318
oursuit, jusqu’au jour où quelqu’un s’empare d’un
des
boutons : et voilà qui suppose une force armée. » Le général Marshall
319
s’empare d’un des boutons : et voilà qui suppose
une
force armée. » Le général Marshall ajoute : « Les gens qui parlent d’
320
énéral Marshall ajoute : « Les gens qui parlent d’
une
guerre purement technique oublient le fait qu’une pareille guerre exi
321
une guerre purement technique oublient le fait qu’
une
pareille guerre exige des effectifs plus importants que par le passé.
322
que oublient le fait qu’une pareille guerre exige
des
effectifs plus importants que par le passé. Il faut des troupes pour
323
fectifs plus importants que par le passé. Il faut
des
troupes pour mettre les instruments en position, il faut des troupes
324
pour mettre les instruments en position, il faut
des
troupes pour s’emparer d’une île qui nous servira de base de tir. » E
325
en position, il faut des troupes pour s’emparer d’
une
île qui nous servira de base de tir. » Et il conclut que les conditio
326
ceci : « Le docteur Oppenheimer, chef du service
des
recherches atomiques à Los Alamos, a été interrogé hier par un comité
327
atomiques à Los Alamos, a été interrogé hier par
un
comité du Sénat. À la question : “Est-il vraisemblable qu’un seul rai
328
u Sénat. À la question : “Est-il vraisemblable qu’
un
seul raid atomique contre les centres populeux des États-Unis puisse
329
un seul raid atomique contre les centres populeux
des
États-Unis puisse tuer 40 millions d’Américains ?”, le savant a répon
330
impertinent qu’il paraisse de critiquer l’avis d’
un
militaire que le président Truman déclarait récemment « plus grand qu
331
fanterie et les chars nécessaires à la conquête d’
une
île ou des bases ennemies, il faudra plusieurs heures, sinon plusieur
332
les chars nécessaires à la conquête d’une île ou
des
bases ennemies, il faudra plusieurs heures, sinon plusieurs jours. Or
333
urs jours. Or au moment où ces troupes partiront,
un
tiers de la population aura été tué. Pendant le voyage, un autre tier
334
de la population aura été tué. Pendant le voyage,
un
autre tiers subira probablement le même sort. Imaginons le moral de c
335
Ils sauront qu’ils ont peu de chances de recevoir
des
renforts et des munitions de leur pays, plus qu’à moitié détruit. Ils
336
ls ont peu de chances de recevoir des renforts et
des
munitions de leur pays, plus qu’à moitié détruit. Ils verront que la
337
n dit : « C’est toujours l’infanterie qui termine
une
campagne en occupant le terrain. Mais dans le cas d’une guerre atomiq
338
mpagne en occupant le terrain. Mais dans le cas d’
une
guerre atomique, il n’est pas sûr, ni même probable, que l’agresseur
339
juge bien utile de venir disputer à ses victimes
des
ruines encore radioactives. De même, si la Russie est attaquée par l’
340
e est attaquée par l’Amérique, ou encore si l’une
des
deux attaque l’Europe. Calculez les distances. Supputez le temps qu’i
341
lez les distances. Supputez le temps qu’il faut à
un
corps expéditionnaire pour les franchir, et les conditions dans lesqu
342
quer en Europe, et leur pays était resté à l’abri
des
bombardements. Même s’il leur faut seulement deux heures la prochaine
343
ent deux heures la prochaine fois, ils arriveront
une
heure trop tard. Il se peut que le général Marshall, qui a su tout ce
344
. Je maintiens que la guerre est morte, la guerre
des
militaires, la vraie. Parce que nous avons passé l’âge des guerres co
345
aires, la vraie. Parce que nous avons passé l’âge
des
guerres considérées comme jeux réglés. Si l’un des partis en présence
346
es guerres considérées comme jeux réglés. Si l’un
des
partis en présence disait à l’autre : — Messieurs les Anglais, tirez
347
l oublié, lorsqu’il parle tout tranquillement d’«
un
processus qui se poursuit » ? La discussion, comme on dit, reste ouve
348
itons qu’elle le reste longtemps. Car il s’agit d’
un
problème dont la preuve, si elle était jamais administrée, ne pourrai
349
amais administrée, ne pourrait plus intéresser qu’
un
auditoire brusquement raréfié. k. Rougemont Denis de, « Le savant
350
ultats de la guerre (21 décembre 1945)l Depuis
des
mois, les grandes manchettes sur huit colonnes ont disparu de la prem
351
sur huit colonnes ont disparu de la première page
des
journaux américains. Libéré de la pression d’une actualité haletante
352
des journaux américains. Libéré de la pression d’
une
actualité haletante qui renouvelait chaque matin depuis six ans ses é
353
ais en même temps, c’est comme s’il s’éveillait d’
une
longue torpeur stupéfiée. Le temps de réfléchir est revenu. S’il n’y
354
rchons dans notre tête. Nous y trouverons d’abord
une
grande question : qu’est-il donc sorti de cette guerre ? Quelles nouv
355
coup. Rien que du négatif : l’écrasement matériel
des
nazis, et des ruines. Trois grandes nouveautés, répondrai-je au contr
356
du négatif : l’écrasement matériel des nazis, et
des
ruines. Trois grandes nouveautés, répondrai-je au contraire. Le triom
357
veautés, répondrai-je au contraire. Le triomphe d’
un
régime. Une idée. Et une arme. (Je n’ai guère parlé que de ces trois
358
pondrai-je au contraire. Le triomphe d’un régime.
Une
idée. Et une arme. (Je n’ai guère parlé que de ces trois sujets dans
359
contraire. Le triomphe d’un régime. Une idée. Et
une
arme. (Je n’ai guère parlé que de ces trois sujets dans mes chronique
360
es bouches officielles. Cette idée, c’est l’unité
des
peuples de la planète, c’est le rêve d’un gouvernement planétaire, c’
361
’unité des peuples de la planète, c’est le rêve d’
un
gouvernement planétaire, c’est la « pensée globale », comme disent le
362
pui et se renforcent mutuellement. Voici comment.
Un
gouvernement mondial court deux risques principaux : celui d’être tro
363
la bombe atomique, il se voit doté du même coup d’
une
arme proportionnée à l’ampleur de sa tâche, qui est de faire la polic
364
l’ampleur de sa tâche, qui est de faire la police
des
nations, et d’une arme qui, par nature, serait démesurée pour un seul
365
che, qui est de faire la police des nations, et d’
une
arme qui, par nature, serait démesurée pour un seul peuple, tandis qu
366
d’une arme qui, par nature, serait démesurée pour
un
seul peuple, tandis qu’elle devient effective à l’échelle planétaire,
367
iomphe universel du principe démocratique fournit
une
garantie de contrôle des autorités élues, et diminue le danger d’un c
368
ipe démocratique fournit une garantie de contrôle
des
autorités élues, et diminue le danger d’un coup de force opéré contre
369
trôle des autorités élues, et diminue le danger d’
un
coup de force opéré contre le pouvoir international par une des natio
370
e force opéré contre le pouvoir international par
une
des nations constituantes : la guerre ne vient-elle pas d’éliminer le
371
rce opéré contre le pouvoir international par une
des
nations constituantes : la guerre ne vient-elle pas d’éliminer les di
372
e dont nous sortons, semblent donc converger vers
un
seul et même but, indiquer une seule et même voie, une solution proch
373
donc converger vers un seul et même but, indiquer
une
seule et même voie, une solution proche et définitive des conflits in
374
eul et même but, indiquer une seule et même voie,
une
solution proche et définitive des conflits internationaux. L’idée, la
375
e et même voie, une solution proche et définitive
des
conflits internationaux. L’idée, la nécessité, et la possibilité prat
376
’idée, la nécessité, et la possibilité pratique d’
un
gouvernement fédéral de la planète nous sont apparues simultanément.
377
de clarté qu’on est tenté d’y voir l’indication d’
une
fatalité : il n’est pas d’autre voie praticable, la raison nous pouss
378
laire. Il faut d’abord dresser devant les peuples
une
vision simple des possibilités d’union mondiale qui sont ouvertes dés
379
bord dresser devant les peuples une vision simple
des
possibilités d’union mondiale qui sont ouvertes désormais, et insiste
380
ntrecoup fatal de la guerre, et fièvre spécifique
des
démocraties physiquement ou moralement déprimées. J’y reviendrai. l
381
Un
salon atomique (26 décembre 1945)m Cette capitale qui ne fait part
382
45)m Cette capitale qui ne fait partie d’aucun
des
États de l’Union m’a toujours paru peu réelle : c’est comme une ville
383
’Union m’a toujours paru peu réelle : c’est comme
une
ville d’exposition qu’on aurait décidé de ne pas détruire. Je m’y per
384
détruire. Je m’y perds régulièrement, cherchant d’
un
œil anxieux l’Obélisque, qui n’est même pas au centre. Faut-il vous d
385
ue je m’y réfugie dans les salons. L’Europe avait
des
salons littéraires. À Washington, ils sont tous politiques. Celui don
386
tous politiques. Celui dont je sors, qui est l’un
des
mieux courus, est aussi le plus atomique. Parmi les sous-secrétaires
387
trouvé deux ou trois prix Nobel, très entourés. —
Une
campagne atomique, disait l’un d’eux, orné d’une paire d’énormes sour
388
Une campagne atomique, disait l’un d’eux, orné d’
une
paire d’énormes sourcils blancs, laisserait environ 2 % de la populat
389
a subsistance. — Comme c’est passionnant ! me dit
une
dame, really, I love him, he is fascinating ! J’observai que la paniq
390
s, me dit le savant. Nous n’avons devant nous que
des
faits mesurables. Et cela tue l’imagination. — Pensez-vous, dit une a
391
es. Et cela tue l’imagination. — Pensez-vous, dit
une
autre dame, que la Bombe puisse faire sauter la terre ? — Cela se dis
392
tres, comme moi, pensent qu’on ne fera sauter que
des
tranches de l’écorce terrestre, comme si vous peliez une orange. Les
393
nches de l’écorce terrestre, comme si vous peliez
une
orange. Les dames étaient ravies, les hommes pensifs. On eût dit qu’i
394
aré comme de coutume, j’ai eu le temps de trouver
une
ou deux conclusions avant la maison de mes hôtes, d’où je vous écris.
395
Tous les problèmes derniers nous sont posés, dans
des
termes urgents et concrets. Quel est le sens de la vie si elle finit
396
’elle ne croit pas à la survie, tandis que la foi
des
anciens temps redoutait une fin qui l’eût pourtant jetée dans l’Étern
397
ie, tandis que la foi des anciens temps redoutait
une
fin qui l’eût pourtant jetée dans l’Éternel ? J’arpentais des avenues
398
l’eût pourtant jetée dans l’Éternel ? J’arpentais
des
avenues interminables, sillonnées de taxis bondés. Je me disais : on
399
nt plus qu’ils n’angoissent. D’ailleurs, l’idée d’
un
naufrage commun ou d’une explosion unanime nous paraît plutôt rassura
400
ent. D’ailleurs, l’idée d’un naufrage commun ou d’
une
explosion unanime nous paraît plutôt rassurante. C’est le danger ou l
401
chefs d’État parlent tant… J’ai fini par trouver
une
place dans un taxi. Trois militaires, rentrant du Pacifique, s’y raco
402
arlent tant… J’ai fini par trouver une place dans
un
taxi. Trois militaires, rentrant du Pacifique, s’y racontaient le dét
403
nt l’arrière trahit ! m. Rougemont Denis de, «
Un
salon atomique », Le Figaro, Paris, 26 décembre 1945, p. 1.
404
Pour la suppression
des
visas (23 avril 1946)n On m’écrit cela de Paris et l’on ajoute que
405
roblèmes. Mais je ne cherche pas à m’en tirer par
une
réplique, même de bon sens, et j’ai quelques raisons de prendre la Fr
406
s nos pays : Faut-il partir ? (Peut-on partir est
une
tout autre affaire.) Il se trouve que j’habite, pour quelques semaine
407
iner. Cela se discuterait à l’infini. Il n’est qu’
une
solution, qui est d’aller voir, et d’essayer le pays comme un nouveau
408
qui est d’aller voir, et d’essayer le pays comme
un
nouveau costume. Et je me dis que le problème est mal posé. Il ne s’a
409
ondrais sans hésiter : il ne s’agit ni de choisir
une
terre et ses morts contre le globe et ses vivants ; ni de choisir le
410
plement de vivre au xxe siècle, en tenant compte
des
réalités que nous avons créées ou laissé s’imposer ; de la rapidité d
411
avons créées ou laissé s’imposer ; de la rapidité
des
transports, par exemple. Combien d’hommes d’aujourd’hui vivent leur t
412
rait-ce manque d’imagination ? Certes, il en faut
une
dose non ordinaire pour se rendre contemporain d’un monde qui change
413
dose non ordinaire pour se rendre contemporain d’
un
monde qui change beaucoup plus vite que Jules Verne n’a pu le rêver.
414
le rêver. C’est cela, et c’est aussi le cauchemar
des
visas. Si cette folie furieuse et inutile ne régnait pas sur le monde
415
ait en termes simples : on verrait vite que c’est
un
faux dilemme. Le fait est là : nous allons en dix heures de Lisbonne
416
n dix heures de Lisbonne à New York au Pacifique.
Un
très long voyage aujourd’hui nous ramènerait nécessairement au point
417
mènerait nécessairement au point de départ, après
un
petit tour de planète. Nous changeons de continent comme on part en w
418
nates, et autres rites attestant devant les mânes
des
ancêtres un choix farouche, irrévocable. Se déplacer devient un geste
419
res rites attestant devant les mânes des ancêtres
un
choix farouche, irrévocable. Se déplacer devient un geste naturel, et
420
choix farouche, irrévocable. Se déplacer devient
un
geste naturel, et partir annonce revenir comme on prend un billet d’a
421
naturel, et partir annonce revenir comme on prend
un
billet d’aller et retour. La poésie des voyages a vécu, la tragédie d
422
e on prend un billet d’aller et retour. La poésie
des
voyages a vécu, la tragédie des départs a vécu. Mais ce qui naît, ce
423
retour. La poésie des voyages a vécu, la tragédie
des
départs a vécu. Mais ce qui naît, ce qui peut naître parmi nous, c’es
424
ce qui naît, ce qui peut naître parmi nous, c’est
un
amour plus large de l’humain, une conception de la fidélité qui ne so
425
armi nous, c’est un amour plus large de l’humain,
une
conception de la fidélité qui ne soit plus exclusive de la curiosité,
426
élité qui ne soit plus exclusive de la curiosité,
un
accueil plus ferme et plus souple de la diversité des êtres et des co
427
accueil plus ferme et plus souple de la diversité
des
êtres et des coutumes. Aimez votre terre et quittez-la. Quittez-la tr
428
ferme et plus souple de la diversité des êtres et
des
coutumes. Aimez votre terre et quittez-la. Quittez-la trois fois et r
429
nationaliste dénature le problème humain. Lançons
une
campagne mondiale pour la suppression des visas, de ces anachronismes
430
Lançons une campagne mondiale pour la suppression
des
visas, de ces anachronismes scandaleux qui nous empêchent de rejoindr
431
ment peut-on les justifier ? Ils n’ont pas arrêté
un
seul espion, tout en causant la perte de milliers d’innocents. Ils re
432
in s’enorgueillir. Ils représentent dans l’esprit
des
modernes la Fatalité imbécile. Pourquoi donc les acceptons-nous comme
433
imbécile. Pourquoi donc les acceptons-nous comme
des
moutons, sans qu’une seule voix proteste ? n. Rougemont Denis de,
434
onc les acceptons-nous comme des moutons, sans qu’
une
seule voix proteste ? n. Rougemont Denis de, « Pour la suppression
435
? n. Rougemont Denis de, « Pour la suppression
des
visas », Le Figaro, Paris, 23 avril 1946, p. 1.
436
ns d’absence, je n’y trouve plus d’Allemagne mais
une
question allemande. Et ce qui me frappe d’abord, c’est de la trouver
437
e manière si contradictoire pour peu que je passe
une
frontière. Sujet de crainte en deçà du Jura, occasion de pitié au-del
438
est si net qu’entre les opinions que l’on publie.
Un
Gallup-poll me révèlerait probablement une situation bien différente.
439
publie. Un Gallup-poll me révèlerait probablement
une
situation bien différente. Beaucoup de Français, rentrant de Suisse,
440
, rentrant de Suisse, s’étonnent de voir que chez
des
neutres on manifeste tant de haine pour les Allemands. Et beaucoup de
441
emands. Et beaucoup de Suisses s’étonnent de voir
des
résistants parler avec humanité de leurs bourreaux… Cependant, je ren
442
er est abattu, ne pensent qu’à se protéger contre
un
réveil allemand. Et des Suisses, dont le sens démocratique a toujours
443
nt qu’à se protéger contre un réveil allemand. Et
des
Suisses, dont le sens démocratique a toujours violemment répugné à la
444
aires sans doute, mais seules capables de définir
une
politique, appellent plus que les autres un commentaire. Une guerre
445
inir une politique, appellent plus que les autres
un
commentaire. Une guerre de retard Sous la rubrique « Problème al
446
, appellent plus que les autres un commentaire.
Une
guerre de retard Sous la rubrique « Problème allemand », nombre de
447
nces préventives et de garanties à obtenir contre
un
réarmement secret du Reich. Les aspects politiques et militaires appa
448
ns semble-t-on leur accorder le premier rang dans
un
ordre d’urgence. Et soudain je me demande non sans angoisse : n’est-o
449
st-on pas en train de bien poser, mais avec toute
une
guerre de retard, une question qui n’existe plus ? Ou qui s’est total
450
bien poser, mais avec toute une guerre de retard,
une
question qui n’existe plus ? Ou qui s’est totalement transformée ? Qu
451
d’en rire et de répéter qu’il n’avait pas l’appui
des
masses prolétariennes. C’était en 1938… Aujourd’hui, les données du p
452
able que j’attire l’attention, cette fois-ci, sur
un
« péril allemand » d’une tout autre nature ? J’en prends le risque. V
453
ntion, cette fois-ci, sur un « péril allemand » d’
une
tout autre nature ? J’en prends le risque. Voici les faits tels que j
454
risque. Voici les faits tels que je les vois.
Un
glacis désolé L’Allemagne était avant la guerre la plus grande pui
455
démesurées — l’un de tout près — sur les débris d’
un
Reich amputé d’un bon tiers. Va-t-on trembler devant le fantôme d’un
456
de tout près — sur les débris d’un Reich amputé d’
un
bon tiers. Va-t-on trembler devant le fantôme d’un empire que l’on n’
457
n bon tiers. Va-t-on trembler devant le fantôme d’
un
empire que l’on n’avait pas su redouter de la bonne manière quand il
458
t plus de conflit. La France n’est plus en face d’
une
Puissance, mais d’un vaste glacis désolé sur lequel s’allonge et se c
459
France n’est plus en face d’une Puissance, mais d’
un
vaste glacis désolé sur lequel s’allonge et se cherchent les deux gra
460
vont s’armer de nouveau en secret. Ils trouveront
des
appuis partout, comme l’autre fois… » Chat échaudé craint même l’eau
461
Supposons dans ce cas qu’il ait raison. Supposons
une
Allemagne réarmée, dans ses limites rétrécies entre la France et l’Un
462
tifiant les pires méfiances qu’inspire l’histoire
des
vingt dernières années, ils ne peuvent être plus rien d’autre que la
463
ne peuvent être plus rien d’autre que la pointe d’
une
offensive russe, ou d’une offensive européo-américaine. D’où il suit
464
d’autre que la pointe d’une offensive russe, ou d’
une
offensive européo-américaine. D’où il suit que le problème allemand,
465
et militaire exclusivement, se ramène au problème
des
relations entre l’URSS et les États-Unis. Mais il y a bien d’autres p
466
, réarmement. Dans l’état où menace de la laisser
un
politique de répression négative et anachronique, l’Allemagne est un
467
ression négative et anachronique, l’Allemagne est
un
danger nouveau bien aussi grave qu’au temps d’Hitler. C’est un enfer
468
veau bien aussi grave qu’au temps d’Hitler. C’est
un
enfer à notre porte. Et rien n’est aussi contagieux. Il s’agirait de
469
ed Keller. Et c’est pourquoi la résistance morale
des
Suisses, cernés par les totalitaires pendant quatre ans, fut à la foi
470
succédé chez les meilleurs et les mieux informés
un
élan de pitié. Non pas de pitié sentimentale. (Qu’on ne pense pas un
471
on pas de pitié sentimentale. (Qu’on ne pense pas
un
instant que la Suisse s’est mise à aimer les Allemands !) mais de pit
472
tié active, j’entends par là : de volonté d’aider
un
peuple que l’on tient cependant pour coupable d’une catastrophe conti
473
n peuple que l’on tient cependant pour coupable d’
une
catastrophe continentale et responsable du sort effrayant qu’il subit
474
et responsable du sort effrayant qu’il subit par
un
juste retour. Pour les Suisses, ou du moins pour leur élite, si j’en
475
jourd’hui, se pose de la manière suivante : Voici
un
pays abattu comme jamais pays ne le fut ; voici un peuple qui se réve
476
n pays abattu comme jamais pays ne le fut ; voici
un
peuple qui se réveille du cauchemar d’un bombardement moral, politiqu
477
; voici un peuple qui se réveille du cauchemar d’
un
bombardement moral, politique et physique dont chaque phase a duré qu
478
e dont chaque phase a duré quatre ans. Il remonte
des
abris, dans les ruines de ses villes, pour découvrir qu’il n’a plus d
479
ccupé par quatre armées étrangères, qu’il a perdu
un
tiers de son territoire à l’Est, qu’il n’a plus de quoi manger et qu’
480
oupable du crime le plus énorme de l’Histoire.
Une
conception réaliste et prudente Que faut-il faire vis-à-vis d’un t
481
iste et prudente Que faut-il faire vis-à-vis d’
un
tel peuple ? Il faut l’aider à redevenir humain. Il faut premièrement
482
est passé, et lui montrer comment il fut complice
des
crimes qu’il rejette sur Himmler ; ensuite il faut détruire son autar
483
’Europe et du Monde ; enfin, il faut lui proposer
un
rôle normal, ni tyran ni victime intéressante, dans la communauté eur
484
anger allemand, en l’an 1946, ne réside plus dans
un
état-major, dans un parti, dans une doctrine de conquête, ou dans une
485
’an 1946, ne réside plus dans un état-major, dans
un
parti, dans une doctrine de conquête, ou dans une religion du sang. L
486
side plus dans un état-major, dans un parti, dans
une
doctrine de conquête, ou dans une religion du sang. Le danger alleman
487
un parti, dans une doctrine de conquête, ou dans
une
religion du sang. Le danger allemand aujourd’hui, c’est qu’il ne crée
488
rd’hui, c’est qu’il ne crée au centre de l’Europe
un
terrain vague, non pas peuplé, mais hanté par cinquante millions de p
489
et au crime. Les Alliés sauront-ils choisir entre
une
politique de camisole de force, propre à créer des fous furieux, et u
490
ne politique de camisole de force, propre à créer
des
fous furieux, et une politique de cure sévère, propre à guérir un peu
491
ole de force, propre à créer des fous furieux, et
une
politique de cure sévère, propre à guérir un peuple intoxiqué ? Je pr
492
et une politique de cure sévère, propre à guérir
un
peuple intoxiqué ? Je pressens que l’exercice de la seconde méthode n
493
ait pas seulement pour effet de rendre à l’Europe
une
nation, mais aussi de prévenir chez les vainqueurs la contagion d’un
494
si de prévenir chez les vainqueurs la contagion d’
un
mal partout latent. o. Rougemont Denis de, « Les nouveaux aspect
495
étiques études sur l’Allemagne hitlérienne. Après
un
long séjour aux États-Unis, il revient, avec un œil neuf, regarder l’
496
s un long séjour aux États-Unis, il revient, avec
un
œil neuf, regarder l’Europe. Nous lui avons demandé ses impressions s
497
Demain la bombe, ou
une
chance d’en finir avec la terre (30 juin 1946)q Il est des lieux o
498
’en finir avec la terre (30 juin 1946)q Il est
des
lieux où souffle l’esprit de destruction. Herman Melville, grand roma
499
u dernier siècle, décrivant les Îles enchantées d’
un
archipel du Pacifique, disait qu’elles « évoquent assez bien l’image
500
z bien l’image que ce monde pourrait offrir après
une
conflagration punitive ». Il ajoute qu’elles donnent à songer « à des
501
nitive ». Il ajoute qu’elles donnent à songer « à
des
choses vivantes et vermeilles, malignement réduites en cendres : des
502
et vermeilles, malignement réduites en cendres :
des
pommes de Sodome après le contact flétrisseur… Le principal bruit viv
503
e sifflement… Les sombres masses vitrifiées, dont
un
grand nombre s’élèvent à quelque distance du rivage parmi les blancs
504
parmi les blancs remous et les brisants, forment
un
spectacle vraiment plutonien ». Il y a près de trois quarts de siècle
505
e que Melville eut cette vision prophétique, et d’
une
peu croyable précision, de Bikini telle qu’elle sera demain, après le
506
le qu’elle sera demain, après le « sifflement » d’
une
bombe « plutonienne » qui « réduira malignement en cendres » et en «
507
de la panique et de l’orgueil humain. Carrefour d’
une
guerre enfin totale et d’une paix enfin mondiale. Mais l’idée même de
508
humain. Carrefour d’une guerre enfin totale et d’
une
paix enfin mondiale. Mais l’idée même de carrefour évoque celle d’une
509
ale. Mais l’idée même de carrefour évoque celle d’
une
incertitude. Non seulement nous ne savons pas dans quelles voies nous
510
ur la fin du mois —, mais encore nous sommes dans
un
doute entretenu par nombre de savants quant à leurs effets immédiats.
511
de savants quant à leurs effets immédiats. Depuis
des
mois, en Amérique, et hier en France, on nous prédit des catastrophes
512
s, en Amérique, et hier en France, on nous prédit
des
catastrophes possibles, de dimensions continentales. Un physicien de
513
astrophes possibles, de dimensions continentales.
Un
physicien de New York a cru de son devoir d’avertir son gouvernement
514
dizaines de millions de litres d’eau provoquerait
un
tel raz-de-marée que le Déluge, en comparaison, n’aurait été qu’un ba
515
ée que le Déluge, en comparaison, n’aurait été qu’
un
bain de pieds. D’autres nous parlent d’une contamination des atomes d
516
été qu’un bain de pieds. D’autres nous parlent d’
une
contamination des atomes d’uranium nageant dans l’Océan. Ou de nuages
517
pieds. D’autres nous parlent d’une contamination
des
atomes d’uranium nageant dans l’Océan. Ou de nuages radioactifs qui s
518
ait est que personne n’a protesté, et la première
des
expériences est pour demain. À cette apathie plus qu’étrange de l’opi
519
mière, c’est que la mort en masse, ou la menace d’
une
mort instantanée s’abattant au hasard sur tout un peuple, effraye moi
520
ne mort instantanée s’abattant au hasard sur tout
un
peuple, effraye moins qu’une séance chez le dentiste. La seconde, c’e
521
nt au hasard sur tout un peuple, effraye moins qu’
une
séance chez le dentiste. La seconde, c’est que la curiosité est plus
522
ainte chez les enfants. Or l’opinion publique est
un
enfant que rien au monde ne saurait empêcher de jouer avec les allume
523
me raison est la plus remarquable. Si la menace d’
un
raz-de-marée continental — pour si faibles qu’en soient les chances —
524
soient les chances — n’a pas déclenché en retour
un
raz-de-marée de protestations dans le monde entier, c’est qu’on affir
525
t qu’on affirme que l’opération sera faite « dans
un
but militaire ». Ces quatre mots (et cette faute de français) réduise
526
tion humanitaire ou même scientifique. Posons ici
une
question grave et malicieuse. Que pense-t-on qu’il se produirait si q
527
rivé faisait savoir au monde qu’il va se livrer à
des
expériences de cet ordre, « dans un but » de connaissance pure, de po
528
se livrer à des expériences de cet ordre, « dans
un
but » de connaissance pure, de poésie, de philosophie, ou de lucre, o
529
x le plus méthodique a présidé à la préparation d’
une
expérience dont l’utilité n’est point trop claire, si l’un des risque
530
e dont l’utilité n’est point trop claire, si l’un
des
risques en est la fin du monde. Personne ne rit, ne ricane, ou ne hur
531
transmission planétaire de la première répétition
des
trompettes fracassantes de l’Apocalypse, — « et le tiers des navires
532
tes fracassantes de l’Apocalypse, — « et le tiers
des
navires périt ». Si c’est un four, comme certains le prévoient, je vo
533
se, — « et le tiers des navires périt ». Si c’est
un
four, comme certains le prévoient, je vous conseille de n’en pas rire
534
démocratiser » l’Allemagne. On en parlait depuis
des
années. Divers moyens avaient été proposés ou essayés, tels que la dé
535
tels que la déportation en masse, la destruction
des
industries, le démembrement politique, ou même la dictature, en l’occ
536
ue, ou même la dictature, en l’occurrence celle d’
un
parti qui se fût nommé démocratique pour éviter toute confusion. C’ét
537
ue pour éviter toute confusion. C’était cependant
un
peu confus. Subitement, à la conférence de Moscou, quelqu’un propose
538
ent, à la conférence de Moscou, quelqu’un propose
une
méthode, aussi simple que neuve en ce domaine : qu’on définisse — et
539
se — et il le fait sur l’heure — les conditions d’
une
vraie démocratie, et puis qu’on les crée en Allemagne. Inutile de dir
540
teur de cette proposition déconcertante n’est pas
un
vieux routier de la politique. C’est un général : il a gardé le réfle
541
n’est pas un vieux routier de la politique. C’est
un
général : il a gardé le réflexe de désigner nettement l’objectif. Et
542
éflexe de désigner nettement l’objectif. Et c’est
un
Américain : il se souvient de l’œuf de Colomb. De plus, il voudrait b
543
se soviétique se livre à d’habiles variations sur
un
thème prévu : « Entre la théorie de la démocratie et sa pratique, dit
544
er que certains problèmes collectifs, comme celui
des
Noirs ou des Koulaks, se liquide plus facilement dans une dictature q
545
ns problèmes collectifs, comme celui des Noirs ou
des
Koulaks, se liquide plus facilement dans une dictature que dans une d
546
s ou des Koulaks, se liquide plus facilement dans
une
dictature que dans une démocratie… Le secrétaire d’État Marshall a pr
547
quide plus facilement dans une dictature que dans
une
démocratie… Le secrétaire d’État Marshall a proposé une sorte de cred
548
mocratie… Le secrétaire d’État Marshall a proposé
une
sorte de credo démocratique, exigeant une presse libre, des élections
549
proposé une sorte de credo démocratique, exigeant
une
presse libre, des élections libres et des syndicats libres. Et il a c
550
de credo démocratique, exigeant une presse libre,
des
élections libres et des syndicats libres. Et il a conclu en affirmant
551
xigeant une presse libre, des élections libres et
des
syndicats libres. Et il a conclu en affirmant qu’« une société n’est
552
yndicats libres. Et il a conclu en affirmant qu’«
une
société n’est pas libre tant que ses loyaux citoyens vivent dans la c
553
ition de la démocratie, je me permettrai d’offrir
une
suggestion. Le caractère le plus spécifique d’une démocratie me paraî
554
une suggestion. Le caractère le plus spécifique d’
une
démocratie me paraît être le droit d’opposition. Et je parle d’une op
555
paraît être le droit d’opposition. Et je parle d’
une
opposition non seulement tolérée, ou respectée, mais nécessaire et or
556
er d’un seul coup d’œil les régimes démocratiques
des
régimes totalitaires. Ces derniers, en effet, quelle que soit leur id
557
it leur idéologie, se comportent en réalité comme
des
Églises. L’opposition aux dogmes d’une Église s’est toujours vue qual
558
lité comme des Églises. L’opposition aux dogmes d’
une
Église s’est toujours vue qualifiée d’hérésie, et non d’opinion diffé
559
n dans l’unanimité (le sobornots). C’est au nom d’
une
doctrine semblable que les Soviets ont exigé le veto dans tous les ca
560
pas s’établir à l’ONU. Appelons donc démocratique
un
régime où l’opposition est libre de jouer son rôle. Appelons ensuite
561
e de jouer son rôle. Appelons ensuite totalitaire
un
régime où l’opposition équivaut à la trahison, et se paye tôt ou tard
562
rement produite dans les pays où la revendication
des
miséreux est étouffée comme subversive, ou qualifiée de sabotage. La
563
le est patent. Va-t-il durer ? La Suisse est-elle
une
survivance ou bien le signe avant-coureur d’un avenir possible de l’E
564
e une survivance ou bien le signe avant-coureur d’
un
avenir possible de l’Europe ? Tout au long de l’ouvrage exemplaire qu
565
bande, la bande rouge qui orne le livre : « C’est
une
grande folie de croire qu’on peut être sage tout seul. » (La Rochefou
566
à première vue. M. Siegfried n’a pas collectionné
des
impressions. Il raisonne sur l’irréfutable. Il joue de la statistique
567
ur l’irréfutable. Il joue de la statistique comme
un
champion de tennis de sa raquette, élégance et dextérité. Il triomphe
568
dans l’analyse économique et dans la synthèse en
une
formule. Il nous montre la Suisse telle qu’elle est : prospère, mécan
569
ais : calculez les combinaisons !) Il nous décrit
un
pays que la Nature a privé de matières premières et dont le sol est e
570
de science appliquée. Il nous fait suivre, enfin,
un
jeu d’institutions dont la complexité s’est révélée pratique, parce q
571
r non suisse qui soit allé si loin dans l’analyse
des
variétés de l’expérience fédérale, sans s’exposer aux démentis amers
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litique se confond, chez ce peuple insolite, avec
une
administration bien entendue, dont le seul but est d’assurer aux homm
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iegfried n’adresse d’autre critique — si c’en est
une
— que d’avoir résolu ses problèmes par des moyens valables pour elle
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en est une — que d’avoir résolu ses problèmes par
des
moyens valables pour elle seule. Dans le monde où nous vivons, semble
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à la maxime du moraliste. Je voudrais en déduire
des
conclusions qu’André Siegfried s’est interdit de suggérer. Influencé,
576
éussite fédéraliste, montre autant de méfiance qu’
un
vrai Bernois pour la généralisation. Qu’il me permette ici de jouer l
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ra perdue. Or je crois qu’elle peut être sauvée d’
une
balkanisation presque fatale si elle accepte de s’helvétiser. Dans ce
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lution. Certes, le fédéralisme est le contraire d’
un
système. Ce n’est pas une structure abstraite et géométrique, ce n’es
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lisme est le contraire d’un système. Ce n’est pas
une
structure abstraite et géométrique, ce n’est pas un poncif à transpor
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structure abstraite et géométrique, ce n’est pas
un
poncif à transporter. Mais il ne va pas sans principes, et ceux-ci m’
581
ructive, pour l’Européen d’aujourd’hui, que celle
des
discussions qui précédèrent l’adoption de cette charte exemplaire. C’
582
orités disent : nous serons écrasés si l’on admet
un
pouvoir fédéral. On l’admet, et ces minorités jouent aussitôt un rôle
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ral. On l’admet, et ces minorités jouent aussitôt
un
rôle de premier plan. L’Europe du xxe siècle est l’image agrandie de
584
. Mais les problèmes sont analogues, et l’attente
des
peuples est la même. « Oui, l’idée d’une commune patrie ne nous est p
585
’attente des peuples est la même. « Oui, l’idée d’
une
commune patrie ne nous est plus étrangère ! s’écriait l’un des précur
586
atrie ne nous est plus étrangère ! s’écriait l’un
des
précurseurs de la Constitution de 1848. Et quoi qu’en disent les détr
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ion de 1848. Et quoi qu’en disent les détracteurs
des
temps modernes, c’est une des gloires de ces temps que cette idée ait
588
disent les détracteurs des temps modernes, c’est
une
des gloires de ces temps que cette idée ait acquis plus de netteté, c
589
ent les détracteurs des temps modernes, c’est une
des
gloires de ces temps que cette idée ait acquis plus de netteté, ce se
590
pourtant pas nier l’existence de la Suisse. C’est
un
fait qui réfute les meilleurs arguments contre le fédéralisme en soi.
591
ette expérience de laboratoire, poursuivie depuis
un
siècle au cœur même de l’Europe, avec un succès indéniable. Aux uns c
592
e depuis un siècle au cœur même de l’Europe, avec
un
succès indéniable. Aux uns comme aux autres, il faut dire : lisez de
593
ied. Vous y trouverez, amplement confirmée, l’une
des
rares bonnes nouvelles de notre temps. Et vous pourrez y lire dans le
594
tre temps. Et vous pourrez y lire dans le concret
une
histoire qui dément la sagesse proverbiale : l’histoire d’un peuple h
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qui dément la sagesse proverbiale : l’histoire d’
un
peuple heureux. s. Rougemont Denis de, « [Compte rendu] Sagesse et
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« Nous ne sommes pas
des
esclaves ! » (25 juin 1953)t « Ils ont tiré ! Ils tirent sur les o
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rent sur les ouvriers ! » Le vieux cri de douleur
des
villes européennes, le cri de douleur des faubourgs s’est propagé dan
598
douleur des villes européennes, le cri de douleur
des
faubourgs s’est propagé dans les avenues lugubres de Berlin, entre le
599
e, les blocs blanchis aux petites fenêtres myopes
des
privilégiés du régime, le palais de marbre rose de l’ambassade de l’U
600
sans armes, pour proclamer : « Nous ne sommes pas
des
esclaves ! » Ainsi, les Soviétiques ont perpétré le premier massacre
601
t vers le Palais d’Hiver. Ce sont les descendants
des
ouvriers d’alors, ce sont leurs petits-fils en uniforme, passés aux o
602
es. Elle n’est pas mensongère, elle est gagée sur
des
centaines de morts et de blessés. Étant dite, et de cette manière, no
603
ette manière, non par certains pour les besoins d’
une
polémique, non par la presse d’un seul pays, d’un seul parti, non par
604
les besoins d’une polémique, non par la presse d’
un
seul pays, d’un seul parti, non par erreur ou exagération, ni par rie
605
ne polémique, non par la presse d’un seul pays, d’
un
seul parti, non par erreur ou exagération, ni par rien que l’on puiss
606
, par la révolte et les blessures et les cadavres
des
ouvriers de Berlin-Est, cette phrase crie sur la terre entière une vé
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erlin-Est, cette phrase crie sur la terre entière
une
vérité que l’on n’éteindra plus : la tyrannie totalitaire est un crim
608
’on n’éteindra plus : la tyrannie totalitaire est
un
crime contre l’homme et ses jours, désormais, sont comptés. L’insurre
609
st, bien qu’écrasée dans le sang, marque la fin d’
une
ère : celle du mythe communiste qui, pendant trente-six ans, domina l
610
et l’inconscient de millions de bourgeois. Fin d’
un
mythe, mais aussi d’un monstrueux sophisme. Allez redire, ô philosoph
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llions de bourgeois. Fin d’un mythe, mais aussi d’
un
monstrueux sophisme. Allez redire, ô philosophes qui vantiez la viole
612
uniste a forcément raison, puisqu’il est le parti
des
travailleurs ! On savait qu’il était le parti qui avait supprimé le d
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répression sanglante et de la déportation massive
des
travailleurs. C’est ici le lieu et le temps de le répéter ou jamais :
614
: d’autres que les Soviets ont tiré sur la foule
des
prolétaires revendiquant leur droit de vivre. D’autres massacres d’ou
615
e siècle. Au nom de l’Ordre et de la Loi, au nom
des
droits sacrés de la Propriété, au nom des intérêts de la Production,
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au nom des droits sacrés de la Propriété, au nom
des
intérêts de la Production, les policiers de toutes nos bourgeoisies o
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les policiers de toutes nos bourgeoisies ont tué
des
travailleurs qui, eux, se révoltaient au nom de la Liberté et de leur
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au régime communiste de faire ce métier-là au nom
des
ouvriers — d’ajouter l’imposture au crime. Il était réservé au régime
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l était réservé au régime communiste d’aggraver d’
un
contrôle policier la condition de l’ouvrier d’usine, de l’appeler dès
620
au lieu d’augmentations de salaire l’augmentation
des
« normes de travail », 10 % cette fois-ci, pour le même prix. Quand l
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ant ces intérêts ; jamais au nom de la justice et
des
libertés populaires. J’imagine deux choses pires que la pire injustic
622
injustice : la première serait d’excuser le péché
des
bourgeois par celui des Soviets ; mais la seconde, nous l’avons sous
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serait d’excuser le péché des bourgeois par celui
des
Soviets ; mais la seconde, nous l’avons sous les yeux, consiste à s’e
624
lat le 17 juin ! En criant : « Nous ne sommes pas
des
esclaves ! » les ouvriers de Berlin ont rétabli d’un coup la vérité p
625
esclaves ! » les ouvriers de Berlin ont rétabli d’
un
coup la vérité profonde de toute la situation, une vérité qui vaut po
626
un coup la vérité profonde de toute la situation,
une
vérité qui vaut pour tous leurs camarades des pays satellites et de l
627
on, une vérité qui vaut pour tous leurs camarades
des
pays satellites et de l’URSS, et les tyrans l’ont confirmé en ouvrant
628
lle, on vient de le sentir à Berlin, surgissant d’
un
peuple écrasé. Et ce n’est pas l’Europe des marchandages entre nation
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sant d’un peuple écrasé. Et ce n’est pas l’Europe
des
marchandages entre nations qui entendent chacune recevoir le plus et
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crée son avenir et justifie sa raison d’être par
des
hommes qui se sacrifient au service de la Liberté. t. Rougemont De
631
. t. Rougemont Denis de, « “Nous ne sommes pas
des
esclaves !” », Le Figaro, Paris, 25 juin 1953, p. 1 et 12.