1 1940, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Erreurs sur l’Allemagne (1er mai 1940)
1 ’oublier, par exemple, que le Führer autrichien n’ est pas né luthérien mais catholique ; que son mouvement s’est développé
2 é luthérien mais catholique ; que son mouvement s’ est développé d’abord en Bavière, pays catholique ; que la doctrine de Lu
3 isme et au désarmement (sauf en Finlande), ce qui est peut-être déplorable, mais ce qui n’est pas absolument pareil ; que l
4 ), ce qui est peut-être déplorable, mais ce qui n’ est pas absolument pareil ; que l’Autriche catholique, bien qu’armée, n’a
5 s désarmée, résiste ; qu’enfin le totalitarisme n’ est pas l’apanage de la seule Allemagne, à demi luthérienne seulement, ma
6 xe, et dans une Italie toute catholique. Ce qui n’ est pas sans compliquer l’affaire… Qu’on recherche la coloration particul
7 le pasteur Niemöller, vrai descendant de Luther, est en prison. 2. Les socialistes et beaucoup de démocrates affirment : H
8 es et beaucoup de démocrates affirment : Hitler n’ est pas le peuple allemand : la masse a été trompée par ses chefs. Un séj
9 Hitler n’est pas le peuple allemand : la masse a été trompée par ses chefs. Un séjour d’une année en Allemagne, de 1935 à
10 s allemands considéraient le nouveau régime comme étant le régime de la masse ; que la plupart des socialistes le toléraient
11 r », car l’ambition réelle du Führer, croyait-il, était d’appliquer le programme communiste. (Je donne cette opinion pour ce
12 jours montrée le socialisme allemand. Cet article était écrit en connaissance de cause, je puis le dire, puisqu’il était sign
13 connaissance de cause, je puis le dire, puisqu’il était signé par Émile Vandervelde, ancien président de la IIe International
14 ommunisante de Bruxelles, m’accusait froidement d’ être vendu au régime hitlérien, pour avoir soutenu que des communistes app
15 s approuvaient Hitler. L’auteur de cette diatribe était Mme Jeanne Vandervelde, femme du précédent. Son journal refusa d’insé
16 r les masses. « Le totalitarisme, écrit M. Muret, est profondément collectiviste. Les socialistes allemands ne s’y sont pas
17 t collectiviste. Les socialistes allemands ne s’y sont pas trompés. » Sur quoi l’auteur accuse d’aveuglement les socialistes
18 stes français que critique justement M. Muret, ne sont coupables que d’avoir partagé l’erreur fatale et prolongée des bourge
19 les nôtres. Surtout s’il se trouve qu’en fait, ce sont exactement les mêmes erreurs. 4. Si d’aucuns remontent à Luther, d’au
20 les vieux poèmes allemands, pour autant qu’ils ne sont pas les traductions de chants islandais ou scandinaves, sont des imit
21 s traductions de chants islandais ou scandinaves, sont des imitations de légendes languedociennes et bretonnes, donc celtiqu
22 al les causes d’une révolution dont les effets ne sont que trop connus. Le seul avantage de ce procédé historique et littéra
23 lus claires, solides et convaincantes. Ces causes sont , de toute évidence : la guerre, le traité de Versailles, la grande mi
24 à titre de « rempart » contre Staline… Tout cela est plus gênant à alléguer que Luther et les vieux Germains, parce que da
25 guerre présente nous rappelle au sérieux. Et ce n’ est pas ma faute, ni celle des protestants, si l’axe Berlin-Rome passe ju
26 l’axe Berlin-Rome passe justement par Rome, qui n’ est pourtant pas luthérienne. Je m’excuse de tant d’évidences, et d’avoir
2 1940, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). « À cette heure où Paris… » (17 juin 1940)
27 ile sa face d’un nuage, et se tait, que son deuil soit le deuil du monde ! Nous sentons bien que nous sommes tous atteints.
28 it le deuil du monde ! Nous sentons bien que nous sommes tous atteints. Quelqu’un disait : si Paris est détruit, j’en perdrai
29 sommes tous atteints. Quelqu’un disait : si Paris est détruit, j’en perdrai le goût d’être un Européen. La Ville Lumière n’
30 it : si Paris est détruit, j’en perdrai le goût d’ être un Européen. La Ville Lumière n’est pas détruite : elle s’est éteinte
31 ai le goût d’être un Européen. La Ville Lumière n’ est pas détruite : elle s’est éteinte. Désert de hautes pierres sans âme,
32 éen. La Ville Lumière n’est pas détruite : elle s’ est éteinte. Désert de hautes pierres sans âme, cimetière… L’envahisseur
33 rerai dans Paris. Il y entre, en effet, mais ce n’ est plus Paris. Et telle est sa défaite irrémédiable devant l’esprit, dev
34 tre, en effet, mais ce n’est plus Paris. Et telle est sa défaite irrémédiable devant l’esprit, devant le sentiment, devant
35 jamais. Il ne verra que d’aveugles façades. Il s’ est privé à tout jamais de quelque chose d’irremplaçable, de quelque chos
36 tation stupéfiante de cet homme et de cette Ville était peut-être nécessaire pour faire comprendre au monde entier qu’il est
37 saire pour faire comprendre au monde entier qu’il est des victoires impossibles. On ne conquiert pas avec des chars les don
3 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). New York alpestre (14 février 1941)
38 er 1941)c Personne ne m’avait dit que New York est une île en forme d’un gratte-ciel couché. C’est la ville la plus simp
39 nues parallèles, dans le sens de la longueur, qui est d’une vingtaine de kilomètres, et deux-cent-cinquante rues de quatre
40 . Personne ne m’avait dit, non plus, que New York est une ville alpestre. Je l’ai senti le premier soir, quand le soleil co
41 s que la vallée s’emplit d’une ombre froide, et j’ étais si bien au fond d’une gorge, dans cette rue de briques noircies où ci
42 e je connais. Mais il y a plus. Il y a le sol qui est alpestre dans sa profondeur. À Central Park, au milieu des prairies,
43 e larges dalles de granit. Autrefois les glaciers sont venus jusqu’ici ! Ils couvraient la moitié de l’île, et la moraine s’
44 esure de Manhattan : seules ces assises de granit étaient capables de supporter le formidable poids d’un gratte-ciel de cent ét
45 tranches, polis et luisants comme du marbre, ont été plaqués sur les façades et dans les vestibules des plus riches buildi
4 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). La route américaine (18 février 1941)
46 lement : de la route américaine de la vie. Ce qui est pour nous concept, forme arrêtée, devient chez eux chemin, mouvement
47 pour le réaliser. Les autostrades américaines ne sont pas une réclame politique, ni même un expédient pour lutter contre le
48 un expédient pour lutter contre le chômage. Elles sont le produit du rêve et de la vitalité inépuisable d’un peuple libre, e
49 , séparées par une large bande gazonnée où l’on s’ est ingénié à conserver, ici ou là, un grand arbre isolé, témoin de la Pr
50 é d’une curiosité rêveuse. Mais soudain le regard est pris par un panneau rutilant sur la droite, puis mitraillé à bout por
51 lui créent enfin des cadres. Quand cette surface sera suffisamment organisée, vers quoi se tournera l’effort collectif de c
52 les masses elles-mêmes comprendront-elles qu’il n’ est qu’un seul infini véritable : celui que chacun porte en soi, celui de
5 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Souvenir de la paix française (15 mars 1941)
53 , et l’on parvient dans la grand-rue : comme elle est vide ! Les toits d’ardoises ne dépassent pas les façades nues, brunie
54 , brunies par l’âge, palmées par les vents. Rares sont les boutiques, et même les cafés. Et s’il passe une auto, c’est une d
55 discrète, si pacifique et séculaire. Ce pays-là n’ est qu’amitié des tons et des lignes humaines, humilité sous la douceur d
56 lentement vers la vallée, dans les vergers. Je m’ étais arrêté à cet endroit, hésitant sur la route à prendre. Et soudain je
57 lettres capitales bien arrondies : martine je suis aux champs Paix du village, silence des rues vides, ouvertes sur
58 es vides, ouvertes sur le ciel et sur les blés. J’ étais là fasciné comme par la découverte d’un secret de pudeur naïvement dé
59 il entre, il ne trouve personne. Mais ses outils sont là, contre le mur. Il reprend le chemin de son champ. En passant au c
60 hemin de son champ. En passant au carrefour, il s’ est dit : Peut-être est-elle à Mandres ; c’est donc jour de marché. Il a
61 En passant au carrefour, il s’est dit : Peut-être est -elle à Mandres ; c’est donc jour de marché. Il a écrit ces mots. Elle
62 hoses de toujours. Et le moindre signe suffit. Je suis redescendu vers la vallée de l’Yerre, qui coule entre des saules et d
6 1946, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Monsieur Denis de Rougemont, de passage en Europe, nous dit… [Entretien] (4 mai 1946)
63 i des éditeurs à voir à Paris et en Suisse. Et je serais rentré il y a un an déjà si les circonstances s’y étaient prêtées. Êt
64 rentré il y a un an déjà si les circonstances s’y étaient prêtées. Êtes-vous venu en Suisse directement ? Oui, à part un arrêt
65 an déjà si les circonstances s’y étaient prêtées. Êtes -vous venu en Suisse directement ? Oui, à part un arrêt de quelques jo
66 Votre impression de la capitale française ? J’ai été frappé par son extraordinaire beauté, contrastant brutalement avec la
67 rps petits, comme affaissés… Un vrai cauchemar… N’ était -ce pas le contraste avec ces grands diables d’Américains ? Non, car e
68 où vous aviez vos assises en Amérique et quelles furent vos occupations durant le temps où la Suisse vous avait en quelque so
69 sur place. J’avais constaté que les conférences n’ étaient pas un très bon moyen de propagande. Les Américains en écoutent énorm
70 pays, et il s’en vend encore régulièrement. J’ai été professeur — et le suis encore en titre — à l’École libre des hautes
71 encore régulièrement. J’ai été professeur — et le suis encore en titre — à l’École libre des hautes études, université franç
72 ujourd’hui par le Belge H. Grégoire. Cet institut est maintenant destiné aux jeunes Américains. Je crois qu’on en a peu par
73 ollègues, de Strasbourg, Rouen, la Sorbonne, etc. étaient charmants. La vie intellectuelle était donc fort active à New York ?
74 ne, etc. étaient charmants. La vie intellectuelle était donc fort active à New York ? Au point que trois maisons françaises d
75 point que trois maisons françaises d’édition s’y sont fondées pendant la guerre. J’ajoute que l’École des hautes études a l
76 istère américain de l’information de guerre, où j’ étais chargé de l’émission « La voix de l’Amérique parle aux Français », re
77 s. Il me fallait faire chaque jour 20 à 30 pages, soit un quart d’heure de nouvelles et autant de commentaires, dans un brui
78 ant et j’ai abandonné au bout de deux ans. Ce qui fut sans doute tout bénéfice pour les lettres ? Je rapporte quatre manusc
79 ttres ? Je rapporte quatre manuscrits, dont trois sont terminés et vont être publiés à Paris. Ce sont des essais sur les myt
80 atre manuscrits, dont trois sont terminés et vont être publiés à Paris. Ce sont des essais sur les mythes grecs : Doctrine
81 is sont terminés et vont être publiés à Paris. Ce sont des essais sur les mythes grecs : Doctrine fabuleuse  ; un recueil d
82 que  ; et 18 Lettres sur la bombe atomique (qui seront traduites en anglais, en danois, en hollandais, en espagnol), d’un st
83 dans lesquelles je montre que les armées de masse sont devenues inutiles et que la guerre militaire est morte, et qu’un gouv
84 sont devenues inutiles et que la guerre militaire est morte, et qu’un gouvernement mondial est devenu possible, mais doit é
85 ilitaire est morte, et qu’un gouvernement mondial est devenu possible, mais doit émaner des peuples et non des États. Vos d
86 s et non des États. Vos derniers ouvrages ont-ils été traduits à l’usage des Américains ? J’ai un contrat avec une maison a
87 Les Personnes du drame . D’autres de mes ouvrages seront traduits. En outre, on va rééditer à Paris Politique de la personne
88 ns cette année ! C’est beaucoup à la fois. Vous n’ êtes plus l’intellectuel en chômage… Au contraire, je vais maintenant pouv
89 e quotidiennement la chronique, là-bas. Avez-vous été séduit par l’Amérique ? Je l’aime énormément ; c’est une autre civili
90 le si neuf ? Disons que leur conception de la vie est différente. C’est une question de mœurs, de rapports quotidiens. Ils
91 coliers. C’est d’ailleurs une très belle race qui est en train de se former, et de gens extrêmement gentils. Y a-t-il bien,
92 ant qui nous viennent de là-bas ? Puérils, ils le sont à nos yeux sur certains points, et nous le sommes à leurs yeux sur ce
93 e sont à nos yeux sur certains points, et nous le sommes à leurs yeux sur certains autres (par exemple, la manie de nous battr
94 ple, la manie de nous battre). À côté d’eux, nous sommes un peu « névrosés ». Ils sont évidemment très simplistes dans ce qu’i
95 côté d’eux, nous sommes un peu « névrosés ». Ils sont évidemment très simplistes dans ce qu’ils impriment, et manquent d’es
96 e s’en amuser. Si on les compare aux Français, il est indéniable que ces derniers, quoi qu’on dise, sont beaucoup plus « sé
97 est indéniable que ces derniers, quoi qu’on dise, sont beaucoup plus « sérieux ». L’Amérique est du reste un pays si vaste,
98 dise, sont beaucoup plus « sérieux ». L’Amérique est du reste un pays si vaste, si mélangé et si divers, que tout y est to
99 ays si vaste, si mélangé et si divers, que tout y est toujours vrai quelque part. C’est un résumé de la planète. On se sent
100 ite aujourd’hui, comme au centre du monde. Et, ne serait -ce que pour mieux comprendre leur continent grâce à l’éloignement, il
101 c rien à craindre de l’américanisme ? Pour ce qui est du matérialisme, avec son culte du confort et de la machine, son admi
102 e ou deux exceptions, les bons auteurs américains sont beaucoup plus connus en Europe qu’en Amérique. Ce qui est tout à notr
103 coup plus connus en Europe qu’en Amérique. Ce qui est tout à notre honneur ! L’Europe reste le continent de la création. L’
104 nent de la création. L’Amérique ne crée pas. Elle est plutôt complémentaire de l’Europe. Cela permettrait entre elles une e
105 lisme américain. J’ai peur, quant à moi, qu’il ne soit beaucoup trop timide ! Car les Américains redoutent énormément d’avoi
106 6, p. 3. g. Ces propos, recueillis par C.-P. B., sont précédés de l’introduction suivante : « Après une absence de quelque
107 sence de quelque six années M. Denis de Rougemont est revenu au pays de Neuchâtel, dont il est une des fiertés. Ce retour n
108 ougemont est revenu au pays de Neuchâtel, dont il est une des fiertés. Ce retour n’est d’ailleurs que provisoire, l’écrivai
109 uchâtel, dont il est une des fiertés. Ce retour n’ est d’ailleurs que provisoire, l’écrivain ayant laissé sa famille en Amér
7 1947, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Consolation à Me Duperrier sur un procès perdu (5 décembre 1947)
110 la cour le bouillant Me Duperrier : — Rougemont s’ est mis au service d’une propagande étrangère, comme Oltramare ; il a par
111 s de Suisse, comme Oltramare encore. Les deux cas étant identiques, il faut donc condamner Rougemont, mais il faut acquitter
112 ? Ni moi non plus. C’est que ce raisonnement n’en est pas un, mais combine deux absurdités. 1. Si l’on admet avec cet avoca
113 j’ai vraiment agi comme son client, l’alternative est la suivante : ou bien je suis coupable, mais alors Oltramare l’est au
114 lient, l’alternative est la suivante : ou bien je suis coupable, mais alors Oltramare l’est aussi, la plaidoirie devient un
115 ou bien je suis coupable, mais alors Oltramare l’ est aussi, la plaidoirie devient un réquisitoire, et l’avocat fait une dr
116 à plat, et notre avocat perd la face. 2. Mais où est l’homme sain d’esprit qui peut admettre que j’aie vraiment agi comme
117 pour la radio, hors de Suisse, sur la politique. Soit . Mais un avocat qui veut s’en tenir à la seule ressemblance des mots
118 es mots tombe dans le calembour juridique. Car il est vrai que les deux cas s’énoncent et se prononcent de même, mais par c
119 e question sérieuse qui se posait, notre avocat s’ est bien gardé de la formuler, c’est celle du contenu des émissions. Oltr
120 acte et libre. On n’a pas fusillé Oltramare, on s’ est borné à le punir un peu. Son avocat garde le droit de me dénoncer pou
121 et libres, vaut mieux que leur « ordre » où nous serions des morts, ou je ne sais quels esclaves honteux de vivre. h. Rouge
122 ne, Lausanne, 5 décembre 1947, p. 3. i. Le texte est précédé du chapeau suivant : « Mis en cause de singulière manière au
8 1949, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Les écrivains romands et Paris (10 septembre 1949)
123 crée naturellement autour des « grands », et ils sont à Paris. Nous faisons partie de la littérature française. Or, il se t
124 érature française. Or, il se trouve que la France est un pays centralisé, dans sa vie littéraire aussi. Pourquoi s’insurger
125 ns romands comme un cas tout à fait singulier. Je suis prêt à le croire. Mais enfin, cela ne va pas de soi. Question 3. – «
126 qui importe. Combien de grandes œuvres ont-elles été écrites, et publiées, au lieu même et dans le milieu où leur auteur e
127 es, au lieu même et dans le milieu où leur auteur est né, où il a grandi ? J’en vois si peu, et je trouve en revanche tant
128 plus fréquente et la plus bénéfique à la fois) n’ est pas précisément de vivre et de créer loin de son milieu et de sa prov
129 12. k. L’enquête à laquelle Rougemont répond ici est précédée du chapeau suivant : « Récemment, notre correspondant de Par
130 suffisants pour alimenter une littérature qui ne soit pas uniquement et strictement « locale » ? 2. A-t-il des chances d’êt
131 strictement « locale » ? 2. A-t-il des chances d’ être compris par ses compatriotes ? Trouvera-t-il un public ? Des appuis ?
132 es appuis ? Un milieu ? 3. Le départ vers Paris n’ est -il pas, en même temps qu’une tentative de retrouver ailleurs ce que l
133 e. D’autres suivront la semaine prochaine. […] Ce sont la concision et la vigueur qui distinguent la réponse de M. Denis de
134 naît, à son tour, que notre pays manque de ce qui est indispensable au succès d’une œuvre littéraire, il ne se répand point
9 1949, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe est encore un espoir (8 décembre 1949)
135 L’Europe est encore un espoir (8 décembre 1949)l m Votre lettre est la meilleur
136 re un espoir (8 décembre 1949)l m Votre lettre est la meilleure preuve de l’urgence de notre congrès. Elle dit tout haut
137 prochent une hâte « imprudente », la différence n’ est pas de jugement politique, mais d’expérience humaine, et surtout de s
138 encore vu qu’on ne leur laissera plus le temps d’ être prudents. Trop tard, dites-vous. « L’Europe n’existe plus ». Les Russ
139 es Américains vont lui régler son compte, si ce n’ est pas déjà fait. Et vous avez presque raison. Mais dans ce presque il y
140 e action. Je voudrais vous montrer que ce presque est une réalité, et qui change tout. Mon argument sera simple, le voici :
141 est une réalité, et qui change tout. Mon argument sera simple, le voici : Si notre Europe n’existait plus, si c’était vrai,
142 ais encore on va l’imprimer, puisque votre lettre est « ouverte ». C’est qu’il y a donc encore un peu d’Europe vivante. L’E
143 L’Europe existe encore, là où le cri des hommes n’ est pas étouffé dans leur bouche, ou dans les sources mêmes de leur révol
144 êmes de leur révolte. Vous allez me dire : « Ce n’ est qu’une survivance. En réalité, les jeux sont faits. Le droit de parle
145  Ce n’est qu’une survivance. En réalité, les jeux sont faits. Le droit de parler nous est encore laissé, mais c’est qu’il n’
146 ité, les jeux sont faits. Le droit de parler nous est encore laissé, mais c’est qu’il n’a plus d’importance. La possibilité
147 n’a plus d’importance. La possibilité d’agir nous est ôtée. » Venez donc à Lausanne, et nous en discuterons. (L’Europe exis
148 C’est l’illusion causée par la désillusion. Elle est très répandue, elle est si fascinante qu’elle risque bien de provoque
149 par la désillusion. Elle est très répandue, elle est si fascinante qu’elle risque bien de provoquer, comme tout vertige, l
150 n un clin d’œil. À l’ouest du rideau de fer, nous sommes 300 millions : c’est deux fois plus que l’Amérique, autant que la Rus
151 de satellites, quatre-vingt-dix pour cent qui ne sont pas communistes. Une Europe en partie ruinée ? Mais elle relève déjà
152 le relève déjà ses industries ; et l’URSS n’a pas été traitée mieux qu’elle, qu’on s’en souvienne. Une Europe entre deux co
153 s gardons-nous des fausses symétries. La symétrie est une loi de la paresse, autant qu’un procédé de construction. Dans tou
154 nstruction. Dans toutes les choses humaines, elle est une illusion. Il est vrai que l’Amérique souhaite l’union de l’Europe
155 es les choses humaines, elle est une illusion. Il est vrai que l’Amérique souhaite l’union de l’Europe. Ce n’est pas la mêm
156 que l’Amérique souhaite l’union de l’Europe. Ce n’ est pas la même union que les Russes nous imposeraient ! L’Amérique veut
157 ous n’avons pas besoin des Russes. Les Américains seront forcés de nous forcer à l’union ou de nous abandonner, si nous n’arri
158 Il ne dépend que de nous d’y réussir. Les jeux ne sont donc pas faits. Il nous reste deux ans. Nous perdrons ces deux ans si
159 dra vraie. Cher ami, vous avez quelques raisons d’ être plus pessimiste que d’autres. Tous ceux qui ont lu votre livre l’ont
160 Ils ont eu leur congrès ailleurs. À Lausanne, ce seront les savants, les poètes et les philosophes qui prendront enfin la par
161 Spaak, seul homme d’État invité à la conférence, est indemne du reproche d’avoir vendu vos peuples. Mais je pense que vous
162 es. Les Mages aussi pouvaient penser que l’Étoile était illusion. Elle les conduisait dans la nuit vers un Enfant qui a sauvé
163 vé le monde. l. Rougemont Denis de, « L’Europe est encore un espoir », Gazette de Lausanne, Lausanne, 8 décembre 1949, p
10 1953, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). « Ce qu’ils pensent de Noël… » [Réponse] (24 décembre 1953)
164 terre, bonne volonté (de Dieu) envers les hommes. Est -il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et
165 hommes ont fort peu de bonne volonté ? La plupart sont involontaires, ils ne font que subir leur condition. n. Rougemont
11 1954, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Rejet de la CED : l’avis de Denis de Rougemont (20 septembre 1954)
166 si, une fois de plus, que les nations de l’Europe sont solidaires en fait, pour le meilleur quand elles le reconnaissent, et
167 ardent une ferme orientation. L’échec de la CED n’ est pas celui de l’idée fédérale, mais celui d’une diplomatie qui tentait
168 s. La vraie lutte pour l’Europe commence. Elle ne sera pas gagnée dans ces lieux indécents que sont les couloirs de parlemen
169 e ne sera pas gagnée dans ces lieux indécents que sont les couloirs de parlements, mais dans les esprits et les cœurs. Et le
12 1957, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une lettre de Denis de Rougemont (16-17 février 1957)
170 1957)p Monsieur le rédacteur en chef, Je vous serais obligé de rassurer vos lecteurs : la photo jointe à l’article « Au Pe
171 s » ( Gazette de Lausanne des 2-3 février 1957) n’ est pas celle du ministre britannique de la Défense. Elle représente un h
172 ar la fatigue et presque lugubre. Il semble avoir été « piqué » par le photographe non point au terme d’une mission brillam
173 tôt pendant le cours d’un épuisant congrès, comme fut le Congrès européen de la culture, qui se tint à Lausanne en décembre
174 embre 1949. Mon ami Duncan Sandys y prit part, il est vrai, en tant que président du Mouvement européen. Votre photo me rap
13 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Fédéralisme et culture (3-4 mars 1962)
175 ons, etc. Et plutôt que de reconnaître que cela n’ est pas possible, en plus d’un cas, il pousse à préférer des solutions mé
176 on rationnelle d’activités qui par essence, ne le sont pas. Tout le secret du fédéralisme réside dans l’art de distinguer, d
177 inguer, de cas en cas, ce qui marcherait mieux en étant centralisé et ce qui marcherait mieux en restant libre et dispersé, v
178 n restant libre et dispersé, voire anarchique. Il est clair que nos villes sont trop petites pour se payer chacune un labor
179 sé, voire anarchique. Il est clair que nos villes sont trop petites pour se payer chacune un laboratoire de recherches nuclé
180 que cet exemple. Mais qu’on ne dise pas qu’elles sont trop petites pour que s’y développent à foison des écoles de peintres
181 naissance en Italie, en Flandres ou en Bourgogne, étaient alors plus petites que nos villes romandes actuelles. Elles sont tout
182 petites que nos villes romandes actuelles. Elles sont tout de même devenues des foyers rayonnants de créations du premier o
183 de princes et de grands marchands de l’époque. Il est trop clair qu’à l’absence de cette passion créatrice et de ce sens du
184 eux, que des choses raisonnables, mais la culture est faite par des passions individuelles et par des petits groupes qui ne
185 asser pour extravagants ou excessifs. Les comités sont par définition prudents et économes : leur rôle est normalement de ra
186 t par définition prudents et économes : leur rôle est normalement de rationaliser les activités dont ils s’occupent, pour l
187 et prospère dans le gaspillage des forces et des sommes . Je crains que nous soyons encore, en Suisse romande, aux antipodes d
188 lage des forces et des sommes. Je crains que nous soyons encore, en Suisse romande, aux antipodes de ce climat d’excitation in
189 vanche trop de médiocrité pour peu qu’elles aient été un jour inscrites à quelque budget d’État, et sous prétexte de répart
190 de répartition géographique équitable — ce qui n’ est , soit dit en passant, qu’une parodie du vrai fédéralisme — c’est tout
191 épartition géographique équitable — ce qui n’est, soit dit en passant, qu’une parodie du vrai fédéralisme — c’est tout cela
192 enterait pour notre Suisse fédéraliste. Mais ce n’ est pas le fait de supprimer nos douanes qui mettrait en danger nos « rai
193 os douanes qui mettrait en danger nos « raisons d’ être  » ! C’est bien plutôt le fait de ne plus s’intéresser qu’au niveau de
194 ospérité économique sans précédent. Nos raisons d’ être et de rester Suisses ne sont pas des raisons économiques. Le fédérali
195 édent. Nos raisons d’être et de rester Suisses ne sont pas des raisons économiques. Le fédéralisme, j’ai tenté de vous le mo
196 re), Lausanne, 3–4 mars 1962, p. 13. r. Le texte est introduit par le chapeau suivant : « Grâce à l’obligeance de M. Denis
14 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Rectification (9 mars 1962)
197 et ceux de la création. La moitié d’une vérité n’ est qu’une sottise, surtout lorsqu’il s’agit de fédéralisme ! Me faire di
198 ue, c’est donc me faire dire une sottise, dont je suis heureux de ne pas être l’auteur. Voici mon texte : « Tout le secret d
199 dire une sottise, dont je suis heureux de ne pas être l’auteur. Voici mon texte : « Tout le secret du fédéralisme réside da
200 inguer, de cas en cas, ce qui marcherait mieux en étant centralisé, et ce qui marcherait mieux en restant libre et dispersé,
15 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe est d’abord une culture (30 juin 1962)
201 L’Europe est d’abord une culture (30 juin 1962)t À suivre les débats qui se mul
202 2. Or, l’Europe que l’on tente aujourd’hui d’unir est d’abord une entité culturelle ; 3. Il en résulte que l’on ne doit et
203 conformité avec le génie même de sa culture, qui est celui de l’union dans la diversité. On va voir que cette thèse « cult
204 position n’entraîne pas de longs commentaires. Il est évident que des peuples, ne songent à s’unir que s’ils ont en commun
205 n, internes ou externes. La seconde proposition n’ est pas aussi évidente pour chacun. Cependant, il n’est pas difficile de
206 t pas aussi évidente pour chacun. Cependant, il n’ est pas difficile de l’établir. Quand je dis que l’Europe est d’abord une
207 difficile de l’établir. Quand je dis que l’Europe est d’abord une entité culturelle, ou que son unité la moins contestable
208 que chacun connaît. Un fait de nature : l’Europe est le plus petit de tous les continents (4 % des terres du globe), et le
209 sur toute la terre par la civilisation dont elle est l’origine et le cœur. Voilà qui ne saurait s’expliquer que par la cul
210 jourd’hui toute la presse et tous les parlements, est essentiellement une réalité économique, on oublie que notre économie
211 éalité économique, on oublie que notre économie n’ est pas tombée du ciel ni sortie du sol, et qu’elle ne tire pas son origi
212 rveaux, donc de notre culture. L’économie moderne est dominée par la technique, laquelle est née du mariage de nos sciences
213 ie moderne est dominée par la technique, laquelle est née du mariage de nos sciences spéculatives et de notre volonté de tr
214 otre volonté de transformer la nature, lesquelles sont nées de nos philosophies et de notre religion dominante, lesquelles n
215 s et de notre religion dominante, lesquelles nous sont venues d’Athènes et de Jérusalem à travers Rome et son empire, englob
216 ons, l’unité de base et la vitalité de l’ensemble sont en péril. Alors paraît le besoin d’union. Les forces de division qui
217 39, se résument dans le terme nationalisme. Elles sont , elles aussi, d’origine culturelle en dernière analyse. Mais l’opinio
218 nt qu’il ne s’exagère pas en chauvinisme. Mais qu’ est -ce que le chauvinisme ? C’est tout simplement le nationalisme des aut
219 ose aux intérêts économiques de ma nation, que je sois industriel, ouvrier, paysan ou politicien, je me dis que quelque chos
220 s. Ce début concret de la construction européenne étant ainsi replacé et situé dans le contexte de notre évolution, la questi
221 texte de notre évolution, la question qui se pose est de savoir s’il faut et s’il suffit, pour « faire l’Europe », que tout
222 plan technique et économique, dont les auteurs ne sont d’ailleurs pas dépourvus d’arrière-pensées politiques. ⁂ Même en adme
223 és traditionnelles, dans toute la mesure où elles sont encore fécondes, et enfin qu’elle se subordonne à une grande politiqu
224 esoin de centaines de milliers de techniciens. Il est concevable et faisable de les fabriquer en série au prix de l’éducati
225 e ou humaniste. C’est ce que fait l’URSS. Mais ce serait tuer la poule aux œufs d’or. La technique, inventée par l’Europe, pui
226 rincipes et mesures de cette culture générale, ce serait stériliser les sources mêmes de l’invention technique, favoriser le m
227 des études, insistance sur la culture générale en sont les trois maximes principales. D’autre part, le dynamisme unique dont
228 locales et d’uniformiser nos coutumes régionales serait antieuropéen. Notre culture puise son pouvoir de rayonnement universe
229 les tensions qui en naissent. D’autant plus nous sommes d’un canton, d’un pays, d’un climat religieux ou idéologique, d’autan
230 M. Debré, ne pensait qu’à l’Europe des États, qui est tout à fait autre chose.) Les modes d’emploi Enfin, l’Europe uni
231 modes d’emploi Enfin, l’Europe unie ne saurait être conçue comme un but en soi, comme un nationalisme agrandi et transpos
232 re culture et sa vitalité. ⁂ Le problème européen étant ainsi posé ou reposé à partir des réalités de notre culture une et di
233 és qui en résultent pour les Européens. La Suisse est aussi bien placée que n’importe quel autre pays pour faire valoir ces
234 e l’accusera jamais de néo-colonialisme ! Et elle est mieux placée que tout autre pour faire valoir les avantages d’une uni
235 a plaider sa cause ? Une union faite sans nous ne sera pas faite pour nous, c’est l’évidence. Mais nous aurons perdu le droi
236 n plaindre. t. Rougemont Denis de, « L’Europe est d’abord une culture », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), L
16 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Universités américaines (12-13 janvier 1963)
237 Perse évoquant les États-Unis et les traversant d’ est en ouest se nomme Vents, et nul n’a compris ce pays s’il n’a pas déco
238 t un jour qu’un souffle immense de lyrisme nomade est le secret le mieux couvé dans l’inconscient des hommes de toute race
239 ent les forêts basses et denses aux couleurs de l’ été indien, pendant des heures. Le « station-vagon » roule à 100, comme f
240 problème de dépassement, pas une injure, le ciel est bleu, les voies sont larges, et la radio du bord éclate en mélodies a
241 ment, pas une injure, le ciel est bleu, les voies sont larges, et la radio du bord éclate en mélodies accompagnées de bugles
242 envie de voir ou rien, pendant deux mois — je me suis gardé d’établir un programme et d’arranger des conférences. Je m’en r
243 m’en remets au dieu du Hasard, dont l’autre face est l’Organisation : ce Janus à deux fronts gouverne l’Amérique, mais il
244 adresses d’amis anciens. (Mais tout bouge ici, où seront -ils ?) Harvard Déjeuner avec Paul Tillich. Je ne l’avais pas re
245 einhold Niebuhr. Cet Allemand qui a fui les nazis est devenu le penseur religieux le plus influent de l’Amérique. C’est qu’
246 euse du tiers le plus religieux de l’Occident. Ce sont trois noms européens. Les Européens goguenards pour qui l’Amérique si
247 ue signifie Coca-Cola, twist et voitures géantes, sont en retard d’une génération intellectuelle. (Note de 1962 : Paul Tilli
248 é au bord de la route, dans une clairière et l’on est ami du patron et de la fille superbe qui nous sert le café après quel
249 s quelques échanges de phrases banales. Vivre ici serait une belle aventure intérieure. Air des hauteurs, plateaux boisés aux
250 en Europe, toutes vos maisons se touchent, vous n’ êtes plus jamais seuls. » Je lui ai dit qu’il exagérait, qu’il y avait enc
251 . D’ici vingt ans… New England Williamstown est le site d’un célèbre collège de jeunes gens. Nous y entrons par une a
252 s petites universités les mieux dotées de la côte Est ou de la Californie. Ils y enseignent en général la substance même, o
253 ubstance même, ou la technique, des œuvres qu’ils sont en train d’écrire. Combien d’écrivains véritables, de peintres et de
254 Salle meublée comme un salon. Le professeur (qui est un poète) s’assied sur un canapé, les étudiantes sur un long divan, d
255 , sur des chaises, ou sur la moquette. La plupart sont en pantalon et blouses de sport. Quelques-unes ont gardé leurs bigoud
256 d’un fauteuil. Le professeur annonce que la leçon sera consacrée à l’examen d’un court poème écrit par l’une d’entre elles,
257 nque, en l’occurrence l’expression littéraire. Il est exclu de parler de sentiment, bien entendu, ça ne se fait plus, mais
258 e vieux couple. Ces jeunes filles, dont plusieurs sont ravissantes dans leur tenue savamment négligée, parleront désormais d
259 ue et danse — pour 3 à 4000 dollars par an. Et ce seront elles qui domineront la société américaine de demain, avec une infail
260 s dispersés sur tout l’État. Ici, à Berkeley, ils sont plus de 25 000. Je vais y rencontrer une bonne trentaine de professeu
261 , jonchent les marches des divers halls. Beaucoup sont de couleur, toute nuance. Tous portent le même accoutrement si commod
262 croit que c’est fait… À 3 heures, la grande salle est pleine ; et l’on me conduit sur l’estrade. Fragments d’interventions
263 ok a répondu : « Cette attitude nous conduirait à être à la fois rouges et morts. » Ils ont parlé surtout de la guerre froid
264 ation d’une demi-heure. Sachant que mon auditoire est composé d’étudiants « très à gauche » et dont plusieurs se demandent,
265 n. Je leur rappelle aussi que le communisme russe est une création de l’Europe. (Marx, juif rhénan dont le père s’était fai
266 on de l’Europe. (Marx, juif rhénan dont le père s’ était fait, protestant, écrit au British Museum, des articles que publie le
267 erald Tribune : on ne fait pas plus Européen.) Où sont les successeurs de l’Occident ? Je ne vois que des imitateurs. Le but
268 tateurs. Le but des Soviétiques, à les en croire, est de rattraper l’Amérique, qui est une invention de l’Europe. Croyons à
269 à les en croire, est de rattraper l’Amérique, qui est une invention de l’Europe. Croyons à nos valeurs et prouvons-le, c’es
270 tions pleuvent : j’en reçois 42 par écrit. Rien n’ est plus caractéristique de l’opinion actuelle des jeunes Américains. J’e
271 s exemples : « Le plus grand homme de notre temps était Gandhi. Pourquoi ne pas défendre nos valeurs en étant prêts à mourir,
272 t Gandhi. Pourquoi ne pas défendre nos valeurs en étant prêts à mourir, mais non pas à tuer, en leur nom ? » « Nous devons in
273 t la nécessité de l’action individuelle peut-elle être présentée de telle manière qu’elle ne soit pas méprisée comme un simp
274 t-elle être présentée de telle manière qu’elle ne soit pas méprisée comme un simple sermon ? » « La décision n’appartient-el
275 ux Soviets ? Car s’ils décident la guerre, a) ils sont victorieux et ils établissent le communisme mondial ; b) nous sommes
276 t ils établissent le communisme mondial ; b) nous sommes vainqueurs et nos chères valeurs occidentales sont détruites de toute
277 mes vainqueurs et nos chères valeurs occidentales sont détruites de toute façon. » « Admettez-vous que l’État-nation est une
278 toute façon. » « Admettez-vous que l’État-nation est une conception archaïque, et que la tendance à créer des marchés comm
279 tant le désarmement nucléaire ? » « À votre sens, serait -ce une bonne idée que tous les Américains intelligents se mettent à a
280 es de cabanes d’une seule pièce dénommée cubicles sont réservées aux moines laïques qui viennent y passer une année d’études
281 né avec plusieurs d’entre eux, puis une vingtaine sont venus discuter le plan d’une conférence sur l’Europe et le monde que
282 sens large. Mais encore faudrait-il le créer. Où sont nos fondations, à quoi pensent les mécènes ? 2. VIP : Very importa
283 -titré « Notes d’un journal de voyage », ce texte est introduit par le chapeau suivant : « “J’ai retrouvé mon Amérique”, no
17 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’éloge, l’élan, l’amour, le monde ouvert à ceux qui s’ouvrent, cela existe… (2-3 février 1963)
284 Le problème « d’exprimer ce que cela veut dire d’ être d’Yverdon, de Féchy » relève, me semble-t-il, de la sociologie plutôt
285 sociologie plutôt que de la littérature. Si l’on est né à Tubingue, à Eboli, à Collombay ou à Stratford sur l’Avon, est-ce
286 , à Eboli, à Collombay ou à Stratford sur l’Avon, est -ce vraiment plus facile à expliquer ? A-t-on vraiment de meilleures c
287 omo helveticus dans le cas particulier, valdensis serait plus exact — cette idée m’est tellement étrangère que je crains de ne
288 ulier, valdensis serait plus exact — cette idée m’ est tellement étrangère que je crains de ne pouvoir rendre justice à la p
289 t pimenté d’exotisme valaisan. « Entre nous, nous sommes racistes », me disait-il un jour — provocateur ! Il aurait sans nul d
290 s » à une philosophie, même existentialiste. Il s’ est fait un langage de peintre, en prose. Plutôt que d’une « rationalité
291 e la classe de rhétorique ? Je ne sens pas que ce soit aux « préjugés spiritualistes » qu’il se heurte, mais plutôt au matér
292 surée — et les remarques de M. Tauxe sur ce point sont aussi justes qu’opportunes. Quelles sont les chances particulières du
293 ce point sont aussi justes qu’opportunes. Quelles sont les chances particulières du Suisse romand ? Bénéficiant d’une struct
294 s thèmes rebattus ! Si cela ne donne plus rien, n’ est -ce pas le signe qu’il serait temps de se tourner vers autre chose ? L
295 a ne donne plus rien, n’est-ce pas le signe qu’il serait temps de se tourner vers autre chose ? L’éloge, l’élan, l’amour, le m
296 tu me dises ta pensée maîtresse, et non que tu t’ es échappé d’un joug. » w. Rougemont Denis de, « [Réponse à une enquê
18 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Les mythes sommeillent… ils vont se réveiller [Entretien] (9-10 février 1963)
297 9-10 février 1963)y z Quand Denis de Rougemont était en Amérique, il lui arriva un jour de décrocher son téléphone, et d’e
298 historiens, la Sorbonne et Jean-Paul Sartre, ont été confirmées avec éclat par de récents travaux d’érudition. Bon. Mais v
299 donner forme à l’irrationnel, ils ne veulent plus être poètes, ils calculent, ils cherchent de façon purement intellectuelle
300 se, d’épuisement. Ne croyez-vous pas que l’Europe est épuisée ? Absolument pas. D’ailleurs, si elle l’était, qui reprendrai
301 t épuisée ? Absolument pas. D’ailleurs, si elle l’ était , qui reprendrait le flambeau ? Les autres civilisations, oui, sont ép
302 rait le flambeau ? Les autres civilisations, oui, sont épuisées. Elles ne font, pour l’essentiel, que prendre ce que nous le
303 ndre ce que nous leur donnons. Mais si nos mythes sont morts… Ils sommeillent. Ils attendent que nous soyons tout à fait sor
304 nt morts… Ils sommeillent. Ils attendent que nous soyons tout à fait sortis de cette période d’anarchie, que nous mettions en
305 lque chose. Mais la société européenne n’a jamais été moins asservie par les impératifs ou par les interdits de la religion
306 ormes et d’inédits. La terre se surpeuple. Chaque être est tellement enserré par les autres, tellement dépendant, conditionn
307 et d’inédits. La terre se surpeuple. Chaque être est tellement enserré par les autres, tellement dépendant, conditionné pa
308 as voir le problème ? Aujourd’hui déjà, notre vie est balisée de feux verts, de feux rouges et de feux clignotants. Nous le
309 ux instincts, de très vieux mythes. Vous savez, l’ être humain n’a pas changé dans ses profondeurs, Jung a montré de quelles
310 morialement superposées, entrelacées, notre moi s’ est fait. Notre animisme est assez bien formé, assez puissant, assez rusé
311 entrelacées, notre moi s’est fait. Notre animisme est assez bien formé, assez puissant, assez rusé pour trouver soudain, qu
312 ant, assez rusé pour trouver soudain, quelles que soient les circonstances, de nouvelles portes de sortie. Jung a écrit précis
313 xtrêmement proches du xiie siècle. La Chasteté n’ est pas le refoulement de l’amour, la négation de la Femme. C’est au cont
314 blimation. Vous pensez donc que le mythe, après s’ être longuement abâtardi, commence à se manifester par quelques signes ava
315 vant-coureurs ? C’est tout à fait possible. Ici s’ est terminé notre entretien, ici commence la conférence de Denis de Rouge
316 ure normale, à laquelle la culture et la religion seraient venues surajouter leurs faux problèmes… Cette illusion touchante peut
317 as à comprendre leur vie. Car tous, tant que nous sommes , sans le savoir, menons nos vies de civilisés dans une confusion prop
19 1964, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il nous faut des hommes de synthèses (19-20 septembre 1964)
318 on la plus éclairante de ce mythe me paraît avoir été donnée par Dante en son Traité de l’éloquence vulgaire, au chapitre s
319 es non seulement la Nature, mais le Naturant, qui est Dieu, et il entreprit d’édifier une tour à Sennaar, qui fut ensuite a
320 et il entreprit d’édifier une tour à Sennaar, qui fut ensuite appelée Babel, ce qui veut dire confusion. Grâce à cette tour
321 quait à une tâche particulière. Jusqu’à ce qu’ils fussent frappés par le Ciel et jetés dans une confusion telle que tous ceux q
322 jetés dans une confusion telle que tous ceux qui étaient venus à l’œuvre parlant une seule et même langue, dussent la quitter
323 que les seuls qui s’en tinrent à la langue sacrée furent ceux qui avaient refusé de prendre part à l’œuvre et s’étaient tenus
324 qui avaient refusé de prendre part à l’œuvre et s’ étaient tenus à l’écart, couvrant d’imprécations la folie des travailleurs et
325 si donc, l’origine de la diversité des langues ne serait autre que la spécialisation des métiers et par suite des jargons de m
326 s esprits, publiée vers 1920 : « Les Européens se sont jetés dans une aventure prodigieuse qui consiste à modifier les donné
327 gence à grande échelle, d’une part. Les distances sont presque annulées par la vitesse des communications. Les nations tende
328 reconnaissent et s’admettent. Déjà l’intégration est à la mode. Demain ce sera le métissage universel, après un certain no
329 tent. Déjà l’intégration est à la mode. Demain ce sera le métissage universel, après un certain nombre de conflits peut-être
330 e conflits peut-être atroces, mais dont l’issue n’ est pas douteuse. Les cultures entrent en dialogue, sur un pied théorique
331 nous quelques instants pour nous demander quelles sont les causes, le moteur et l’agent de ce mouvement universel de converg
332 découvert la terre entière, et personne d’autre n’ est jamais venu la découvrir. L’Europe gréco-romaine et judéo-chrétienne
333 lavage. Le droit des gens valable pour toute race est une création de l’Europe, durant l’époque colonialiste et tout d’abor
334 ia et Suárez, Grotius, Leibniz, Vattel et Kant en sont les pères, et je ne leur vois guère de répondant dans les élites d’As
335 e ses techniques et procédés, et l’on se réclame, fût -ce pour les retourner contre l’Europe, de ses doctrines politiques et
336 e prononce, précisément au cœur de sa culture qui fut l’agent de la convergence mondiale, un mouvement radicalement contrai
337 e dissociation, de division et de séparation, qui est proprement babélique, ne me paraît nulle part plus visible et plus fa
338 l’univers du savoir humain, faculté et spécialité sont en train de s’éloigner les unes des autres avec une vitesse croissant
339 est dire que la commune mesure d’une civilisation est en train de s’évanouir — j’entends par là, sa conception de l’homme u
340 ité aux deux sens primitifs de l’universitas, qui sont le sens corporatif, communautaire, et le sens synthétique ou universa
341 synthétique ou universalisée. Nos universités ne sont plus guère, en fait, que des agglomérats ou juxtapositions souvent fo
342 t suffire ici : le nombre des étudiants en France était de 42 000 en 1924, il est d’environ 280 000 en 1964, et l’on prévoit
343 s étudiants en France était de 42 000 en 1924, il est d’environ 280 000 en 1964, et l’on prévoit qu’il sera de 500 000 dans
344 d’environ 280 000 en 1964, et l’on prévoit qu’il sera de 500 000 dans une dizaine d’années. (Seules n’auront pu varier les
345 re avant les grands cours.) L’explosion du savoir est plus difficile à chiffrer. Robert Oppenheimer et d’autres savants amé
346 ntifiques ayant vécu depuis l’aube de l’histoire, sont vivants aujourd’hui. Et Louis Armand me disait un jour : si vous et m
347 lié, nous ne saurions qu’un dixième de ce qu’elle est aujourd’hui. Ces données numériques, que je prends pour images, sont
348 es données numériques, que je prends pour images, sont probablement vraies en gros dans le domaine des sciences exactes (mat
349 eut-être en psychologie ; rien de comparable ne s’ est produit et ne saurait se produire dans la théologie et la philosophie
350 ormalement quand les informations ne peuvent plus être échangées entre les branches du savoir, ou entre les rameaux d’une mê
351 rapportés à quelque unité globale de conception, soit originelle soit finale, ne peuvent dès lors plus s’exercer. Un exempl
352 lque unité globale de conception, soit originelle soit finale, ne peuvent dès lors plus s’exercer. Un exemple précis illustr
353 d’aujourd’hui, lisant l’œuvre d’un physicien, ne serait plus en mesure de le juger comme l’Église jugea Galilée, parce que, t
354 ns du physicien et la dogmatique de l’Église doit être estimé négatif, positif ou indifférent. J’ajoute que le physicien ne
355 physicien ne saurait pas davantage si sa démarche est conforme ou non à la théologie, et fort probablement ne s’en souciera
356 és3. Mais il y a le point de vue de l’esprit, qui est différent. L’esprit humain, et particulièrement l’esprit européen, ne
357 de catastrophe. Après tout, la tour de Babel ne s’ est pas écroulée sur ses bâtisseurs, ils l’ont seulement abandonnée, ne s
358 pays, paraît plus florissante que jamais : loin d’ être abandonnée, elle attire une foule croissante de travailleurs et de cu
359 État, plus que jamais, ont besoin d’elle. Si elle est devenue trop petite pour ses tâches immédiates, qu’on l’agrandisse !
360 grandisse ! Les crises de croissance n’ont jamais été mortelles pour les administrations : elles représentent an contraire
361 loi de Parkinson. L’incommunicabilité des savoirs est ressentie par notre esprit comme une frustration, comme une blessure
362 ines forcément partielles, pouvant à tout instant être mises en question, radicalement, par d’autres disciplines, et qui ne
363 hodiquement sur elles-mêmes, acceptant ainsi de n’ être peut-être plus tout à fait vraies — mais tant pis, cela ne se sait pa
364 osseuse, et très peu d’articulations… Au vrai, il est devenu presque impossible de répondre à une telle question, et c’est
365 la fois, sans choix bien motivé sur lequel on se soit accordé ? Il est vrai que ces questions débordent le seul domaine de
366 ix bien motivé sur lequel on se soit accordé ? Il est vrai que ces questions débordent le seul domaine de l’Université, et
367 y répondre. Le problème qu’on soulève ici, et qui est celui du principe de cohérence de notre civilisation, me paraît absol
368 a, et qu’on trouve ce que l’on trouvera, que cela soit compatible ou non avec l’image du monde communément admise. La plural
369 sation de la philosophie et de la recherche qui s’ est manifestée bien avant la Renaissance, probablement au xiiie siècle —
370 r dans quelle mesure l’apparition de l’Université est liée à ce phénomène, soit qu’elle l’exprime, soit qu’elle réagisse co
371 parition de l’Université est liée à ce phénomène, soit qu’elle l’exprime, soit qu’elle réagisse contre lui avec le thomisme,
372 est liée à ce phénomène, soit qu’elle l’exprime, soit qu’elle réagisse contre lui avec le thomisme, ce serait un beau sujet
373 qu’elle réagisse contre lui avec le thomisme, ce serait un beau sujet d’études.) Pourquoi travaillez-vous autant ? Or r
374 i travaillez-vous autant ? Or rien de tel ne s’ est produit, autant que l’on sache, dans les cultures sacrées et homogène
375 l’Amérique précolombienne. Dans ces cultures tout est sacré. La distinction sacré-profane n’existe pas, en ce sens que sage
376 esse spirituelle, science ethnique et esthétique, sont réglées par les mêmes lois et ne connaissent pas de développements pa
377 liers et divergents. L’originalité, pour elles, n’ est pas vertu, mais atteinte à l’ordre sacré — ou simple erreur d’exécuti
378 os passions et vos désirs ? Bien peu d’entre nous sont capables de donner une réponse satisfaisante. Le spécialiste se récus
379 relles dans l’Occident christianisé — alors qu’il est clair qu’une Asie qui tenait la matière et le corps pour essentiellem
380 ter leur ignorance méthodique des domaines qui ne sont pas de leur département. Je reprends ici mon exemple du physicien et
381 tion et du Progrès, il faudrait que le théologien soit capable de se référer non seulement aux conciles et aux textes sacrés
382 uels sur le temps, la matière et sa constitution, est étrangement homologue à celle des grandes querelles théologiques de N
383 s, un sujet qui demanderait de gros ouvrages pour être exposé sérieusement. Ce qu’il m’importe de marquer par cet exemple, c
384 rs spécialisés et synthèse de nos connaissances n’ est guère qu’un cas particulier. Le paradoxe européen par excellence de l
385 éen par excellence de l’union dans la diversité n’ est pas seulement celui de l’Université, mais celui de notre politique d’
386 s me paraissent assez évidentes. La généralité n’ est pas une matière enseignable. Elle ne peut vraiment consister que dans
387 ramifications interdisciplinaires de ce que l’on est en train d’étudier dans le détail. La vie est trop courte, même prolo
388 ’on est en train d’étudier dans le détail. La vie est trop courte, même prolongée comme on nous le promet jusqu’à une moyen
389 tion du savoir, loin de représenter un progrès, n’ est littéralement qu’une monstruosité : le développement excessif d’un or
390 i-ci exorbitant : perdre de vue l’ensemble humain est une perte absolue, essentielle, que tous les gains partiels, addition
391 la recherche la plus hautement spécialisée qui s’ est vue conduite par les nécessités internes de son cheminement, à débouc
392 tudiant le principe de l’irréversibilité du temps est amené à écrire « qu’une vue physicienne stricto sensu du cosmos est t
393 « qu’une vue physicienne stricto sensu du cosmos est trop étriquée » ; et que la physique de demain risque de se trouver o
394 Carrefours de vérités Une phrase de Spinoza s’ est fixée dans mon souvenir dès l’adolescence : « D’autant plus nous conn
395 orer, elle me paraît rendre compte du fait que ce sont les meilleurs spécialistes, c’est-à-dire ceux qui vont le plus loin d
396 n soi acquis par les spécialistes. Toute synthèse est un acte créateur, intervenant au carrefour de plusieurs vérités hétér
397 re culture et de nos universités, devrait d’abord être confiée à des groupes de chercheurs représentant des disciplines dive
398 ptimum des participants de tels groupes me paraît être , à l’expérience de nombreux colloques portant sur des sujets interdis
399 eaucoup mieux notre affaire. Ce qui importe, ce n’ est pas que la synthèse s’opère dans le vide, ou au ciel des Idées, — car
400 Ce qu’il nous faut enfin, ce qui nous manque, ce sont des hommes de synthèse, un type nouveau d’hommes de pensée en qui s’i
401 e la fécondité de leurs interférences. Ces hommes seront d’abord des spécialistes, et qui prouveront leur excellence en tant q
402 conscience de ce qu’ils ne peuvent se contenter d’ être seulement des spécialistes. Favoriser ou fomenter ce type humain, lui
403 utre par des facteurs quantitatifs irréversibles, serait de multiplier sans plus tarder le nombre des établissements d’enseign
404 supérieur. D’une part, les universités existantes seraient progressivement libérées de leur engorgement, d’autre part les dimens
405 , me semble-t-il, les rapports d’experts qui vous sont soumis. Si l’on garde à l’esprit la règle d’or de la culture européen
406 rit la règle d’or de la culture européenne, qui n’ est rien d’autre que la mesure humaine, le module des relations personnel
407 munautaire et de tout bon travail en commun, l’on sera conduit à préférer la multiplication de petites universités à la mult
408 d’un milieu donné, cité, pays ou université. Ce n’ est pas du tout par hasard que dans le tableau qu’a établi le sociologue
409 million d’habitants d’un pays, de 1901 à 1960, ce sont les plus petits pays d’Europe qui occupent les cinq premiers rangs, s
410 ys d’Europe qui occupent les cinq premiers rangs, soit dans l’ordre la Suisse, le Danemark, l’Autriche, les Pays-Bas et la S
411 as plus sur ce point : dans les petits pays, tout est petit, y compris les universités. Mais sur le problème de l’explosion
412 rêve, mais rien ne devient jamais réel qui n’ait été d’abord rêvé. La multiplication des universités, maintenues dans les
413 re supranationale. J’en imagine le prototype, qui serait une tour d’anti-Babel. Dans un grand parc, près de la mer, ou d’un la
414 vités intellectuelles de cette communauté peuvent être définies à grands traits comme suit. Quant à la forme : point de cour
415 es risques et périls : toute déclaration publique est obligatoirement suivie d’une discussion réglée. Ici l’on n’impose pas
416 Faire le monde Et quant au contenu : seuls sont portés au programme les sujets par essence interdisciplinaires. J’ent
417 sciplinaires. J’entends par là : les sujets qu’il serait le plus malaisé de traiter dans le cadre de nos facultés classiques.
418 ici quelques-uns des sujets que, pour ma part, je serais heureux de pouvoir étudier et discuter, si j’étais jugé digne de part
419 rais heureux de pouvoir étudier et discuter, si j’ étais jugé digne de participer aux activités de la commune. 1. Les options
420 ventions ou découvertes de la science et des arts sont -elles apparues ? Part de la gratuité, de la nécessité, des fins utili
421 us tiriez de mes propos, cet institut de synthèse serait idéalement ce dont on parle un peu partout, plus ou moins bien, depui
422 our fin de recréer l’union dans la diversité, qui est la formule de notre grand passé, et de notre avenir, intégré, le seul
20 1965, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Un écrivain suisse (20-21 mars 1965)
423 ire la possibilité d’un écrivain qui mériterait d’ être appelé suisse, comme Hölderlin fut sans conteste allemand ou Leopardi
424 mériterait d’être appelé suisse, comme Hölderlin fut sans conteste allemand ou Leopardi italien, bien avant que l’Allemagn
425 re et la carrière de Carl Burckhardt. C’est qu’il est l’un de ceux, très rares, dont la personne, le style, la formule créa
426 s qu’il a vécus et qu’il avait prévus. Burckhardt est le type même de l’écrivain qui ne peut séparer la pensée de l’action,
427 r de dire que « C.J.B. », l’homme dont la stature est imposante, est aussi un conteur fascinant, un humoriste redoutable, e
428  C.J.B. », l’homme dont la stature est imposante, est aussi un conteur fascinant, un humoriste redoutable, et un grand chas
21 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Stampa, vieux village… (15-16 janvier 1966)
429 illage préromain au milieu du val Bregaglia. Il y était né comme ses ancêtres, il y avait passé les 14 premières années de sa
430 eille mère et travailler dans l’atelier qui avait été celui de son père. Il y est mort hier soir, puisse-t-il y reposer par
431 s l’atelier qui avait été celui de son père. Il y est mort hier soir, puisse-t-il y reposer parmi les siens, « réuni à son
432 » Là-dessus des théories bien saugrenues, et nous sommes allés prendre un verre sur la terrasse du Café de la Poste, au grand
22 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). André Breton à New York (8-9 octobre 1966)
433 ce, il a fallu tout cela pour que celui qui avait été l’un des « phares » baudelairiens de notre adolescence loin de Paris,
434 nnalistes où je militais, cessât tout d’un coup d’ être un mythe pour devenir du même coup mon ami, après un dîner tête-à-têt
435 n’ayons pu, ou cru pouvoir, nous rencontrer. « Ce sont de ces conneries ! Et que l’on expie ! » (Beaucoup de lui dans ces qu
436 mpu sans retour. Ce soir-là, au Village, mon rêve est devenu vrai : nous parlons certes de ce qui peut nous rapprocher, l’a
437 tations visibles et officielles du christianisme, était un être religieux par excellence. C’est même sans doute parce qu’il j
438 isibles et officielles du christianisme, était un être religieux par excellence. C’est même sans doute parce qu’il jugeait l
439 artisan lui semblait des plus exaltants. Or, il n’ est rien de commun aux deux doctrines hors le grand ton de rigueur fanati
440 trines hors le grand ton de rigueur fanatique qui était l’un des aspects de la poésie selon Breton, autrement dit, de sa « re
441 Parfois, on arrangeait une fête (comme celle qui fut dédiée au Nombre 21) ou une exposition, ou une vitrine (Breton, Selig
442 t d’orner de fleurs au crayon de couleur. Fourier était alors son nouvel intercesseur : il insistait pour m’en lire des chapi
443 rs, de l’utopie phalanstérienne. On eût dit qu’il était le premier à découvrir ce jeune auteur d’avant-garde ! « Ombre frénét
444 euse du Père Enfantin… une grande réparation vous est due », écrira-t-il dans Arcane 17, deux ans plus tard, et il poursuit
445 fice de l’extrême fraîcheur. » Jamais Breton ne s’ est mieux défini. Je pense au soir où il déclara qu’il était temps d’alle
446 ieux défini. Je pense au soir où il déclara qu’il était temps d’aller regarder de plus près qu’on ne l’avait fait saint Augus
447 visiblement, et avec raison : son Augustin à lui était sans nul rapport avec celui qu’avait canonisé « l’Obscurantisme ». Un
448 la vie par une sédition passionnelle (« la beauté sera convulsive ou ne sera pas ») et la régler jusqu’au moindre soupir. Au
449 n passionnelle (« la beauté sera convulsive ou ne sera pas ») et la régler jusqu’au moindre soupir. Autoritaire et libertair
450 vait exister que pour lui seul. De personne je ne suis à ce point sûr qu’il a toujours suivi — avec autant d’audace que d’ex
23 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Jacques Chenevière ou la précision des sentiments (22-23 octobre 1966)
451 s mémoires, c’est plutôt sa mémoire elle-même qui est le sujet du livre, et comme son véritable auteur. Ces souvenirs ne se
452 , et comme son véritable auteur. Ces souvenirs ne seront donc pas faits de dates, d’événements et de justifications, comme ceu
453 re quatre, et qui voudrait s’en plaindre ? (C’eût été bien mal vu des professeurs dans ma jeunesse, ils croyaient dur comme
454 dur comme fer à « l’unité », l’unité à tout prix, fût -ce au prix de l’ennui — un peu comme dans le Nouveau Roman.) Cette va
455 ès Suisse en cela du moins — Jacques Chenevière n’ est pas « seulement » un écrivain. Une seconde vocation le requiert, dès
456 l cherche à « distancier », vainement d’ailleurs, sont admirables. L’agence des prisonniers Descriptions d’une mémoire 
457 lus, que j’aimerais évoquer ici, mais beaucoup ne sont pas de celles que l’on peut désigner facilement, faites d’atmosphère,
458 ent, et d’un regard imaginant. Presque rien n’eût été enregistré par l’objectif (si bien nommé) et pourtant quelque chose s
459 ectif (si bien nommé) et pourtant quelque chose s’ est passé puisque en demeure dans le souvenir cette trace toujours vive,
460 préféreriez-vous, Monsieur ? — N’importe quoi qui soit utile. Et dès aujourd’hui si vous voulez. » C’était Romain Rolland. I
461 osé. Mussolini répond, Chenevière l’observe. « Il est dressé, les mains au bord de la table — où je remarque soudain une co
462 aux raisins pâles. Il tient le menton haut… L’œil est impérieux, mais impérieux dans le vide, semble-t-il, car il fixe on n
463 ien au-delà de nos personnes, quoique l’attention soit évidente, concentrée. » Tout s’étant bien passé, les délégués s’en vo
464 e l’attention soit évidente, concentrée. » Tout s’ étant bien passé, les délégués s’en vont. « Je ne pus me retenir de regarde
465 condes par-dessus mon épaule : Mussolini, de dos, était arrêté devant la table officielle. Plus du tout cambré, il piquait de
466 t de Traz à la Revue de Genève (dont Chenevière fut codirecteur), Pierre Girard blotti dans un bar ou poussant du pied le
467 loge, puis leurs rencontres à Genève et à Paris, sont décrites dans le registre d’un comique assez vif, mais l’amitié ou l’
468 de Pougy — devenue mondiale et vraie princesse — est l’un des épisodes les plus proustiens du livre. Mais voici beaucoup m
469 s et princesse Metternich — dames d’antan, et qui furent de ces grandes corolles posées sur la prairie auprès de l’Impératrice
470 lus tôt pour un bal de la Cour (« Avouez que nous étions un peu rivales… »), s’élève jusqu’au sublime dans la frivolité et tou
471 touche aux ravissements d’une poésie pure. Quels sont les secrets de l’écriture qui anime ainsi tant d’images, et si variée
472 nfances et surtout les adolescences du poète, qui sont triples : l’élocution bien déliée du Parisien, la chaleur drôle du Mé
473 l’adjectif infaillible, comique ou émouvant, qui est avec le mouvement et l’allure de la phrase, le sérieux de la littérat
474 e, le sérieux de la littérature. Et tout le reste est linguistique, dirait Verlaine s’il revenait parmi nous. 4. Retour
24 1967, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). J. Robert Oppenheimer (25 février 1967)
475 éclat « plus clair que mille soleils », cet homme était d’Europe par les mesures et les affinités de sa pensée, mais il me do
476 ute espèce de religion des prêtres. « Nous devons être absolument séculiers » insistait-il. Mais une fois je l’entendis murm
477 ndis murmurer, avec un demi-sourire : « Peut-être suis -je plus chrétien que quiconque… Il faudra bien que je vous l’explique
478 Il faudra bien que je vous l’explique quand nous serons seuls. » C’était il y a deux ans, je ne devais plus le revoir. Il aim
25 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Entretien avec Denis de Rougemont (6-7 avril 1968)
479 Rougemont dans sa maison de Ferney-Voltaire, qui est comme le signe sensible de la situation que l’écrivain n’a cessé d’oc
480 cipal morceau inédit, précise Denis de Rougemont, est Sur l’Automne 1932 , qui joint Paysan du Danube et Journal d’un i
481 ort. Nous pensions que la société où nous vivions était fichue, qu’on allait à des catastrophes, notamment à la guerre : fair
482 la guerre, qui résume toutes les injustices. Nous étions frappés par l’anarchie des pays dits démocratiques et par les réactio
483 jeunes gens qui voulaient faire la révolution, n’ était pas nette. Nous refusions aussi bien la dictature stalinienne du part
484 elle que l’incarnaient Hitler et Mussolini. Quels furent , au niveau des faits, les éléments importants de cet automne 1932 ? B
485 portants de cet automne 1932 ? Beaucoup de choses sont sorties à ce moment-là : le premier numéro de la revue Esprit , le p
486 ens et philosophes qui nourrissaient notre pensée étaient Karl Barth, Kierkegaard, et Heidegger que Corbin commençait à traduir
487 dieu, Robert Aron et Alexandre Marc, le mouvement était d’inspiration proudhonienne, avec quelques influences marxistes (du j
488 ngé quelques lettres assez vives. Pour ma part, j’ étais relié aux trois mouvements, n’ayant jamais voulu être l’homme d’une s
489 relié aux trois mouvements, n’ayant jamais voulu être l’homme d’une seule secte. Peut-être adoptais-je, sans m’en douter un
490 , comme moyens de libération de la personne. Nous étions également en relation avec Réaction, un mouvement d’extrême droite où
491 l’Europe ? Je dirai que dans ces journaux, qui ne sont pas des mémoires et se tiennent à égale distance de la chronique et d
492 que des positions idéologiques. Cette sensibilité est assez fréquente en Suisse, située à la croisée des chemins. C’est ain
493 chemins. C’est ainsi que, Suisse français, je me suis nourri de Goethe, de Novalis, et de Hölderlin que les jeunes Français
494 l existe un filon de romantisme allemand qui nous est très proche et, chose curieuse, la langue ne constitue pas un barrage
495 ie de plusieurs clubs. Je considère que ma patrie est Neuchâtel, ma nation la Suisse, ma nation culturelle la France, ma co
496 enraciné. Je n’ai jamais senti la moindre gêne à être d’un pays où j’ai des racines et à me sentir européen. La seule chose
497 à me sentir européen. La seule chose inadmissible est d’être enfermé dans les frontières d’un État-nation. « L’orgueil nati
498 entir européen. La seule chose inadmissible est d’ être enfermé dans les frontières d’un État-nation. « L’orgueil national, a
499 ation. « L’orgueil national, a écrit Simone Weil, est loin de la vie quotidienne. » Je suis très sensible aux particularité
500 Simone Weil, est loin de la vie quotidienne. » Je suis très sensible aux particularités d’un pays, d’une région, qu’il s’agi
501 la personne qui se crée et l’époque qu’elle vit n’ est -elle pas la caractéristique fondamentale de votre vie et de votre œuv
502 és antinomiques, valables l’une et l’autre, telle est pour moi la formule de base du fédéralisme. Maintenir les contraires,
503 e doit conduire l’action : mais sans agir, elle n’ est pas vraie pensée. » ⁂ Quittant Ferney-Voltaire, où des êtres humains,
504 raie pensée. » ⁂ Quittant Ferney-Voltaire, où des êtres humains, semblables à des millions d’autres, terminent calmement leur
505 identité au douanier ! L’Europe des politiciens n’ est pas encore celle des intellectuels, mais une œuvre comme celle de Den
506 mais une œuvre comme celle de Denis de Rougemont est là pour nous aider à ne pas désespérer complètement de l’esprit. a
26 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il faut réinventer l’Université (29 juin 1968)
507 r brider sévèrement son imagination, obsédé qu’il est par la crainte que ses projets ne soient pas « sérieux », c’est-à-dir
508 bsédé qu’il est par la crainte que ses projets ne soient pas « sérieux », c’est-à-dire puissent paraître « nouveaux », et ne c
509 après les nuits de mai du Quartier latin, ce qui était utopie devient nécessité, ce que l’on qualifiait avec un sourire indu
510 de Zukunftsmusik devient urgence (peut-être même est -il trop tard), et chacun d’affirmer qu’il l’avait toujours dit… Sans
511 s anciennes5 sur le plus actuel des sujets. 1. Qu’ est -ce que l’Université ? À sa naissance, aux xiie et xiiie siècles, c’
512 sa propre police et s’administre elle-même. Elle est formée par la totalité (universitas) des maîtres et des élèves, et en
513 entiarum). Au sein de cette communauté, les idées sont débattues selon la méthode scolastique du sic et non (le débat des po
514 époque, Abélard. La substance de cette Université est donc la disputatio, confrontation permanente et contestation méthodiq
515 ste plus. Ce qu’on persiste à décorer de ce nom n’ est que la juxtaposition d’une quantité variable d’écoles professionnelle
516 a société. Il se pourrait qu’au nom du Sens, elle soit amenée à contester les finalités productivistes de la plupart des éco
517 plupart des écoles. 4. Les méthodes, elles aussi, sont différentes, voire opposées. Pour les écoles ou facultés : acquisitio
518 hés ». Mais le rôle d’une Université digne du nom serait plutôt de favoriser de meilleurs débouchés sur la connaissance. 6. Ce
519 s ». Cependant, avant de contester la société, il serait bon de la connaître par l’une au moins de ses activités. L’école prof
520 taires correspondants. Une école de médecine peut être trop grande pour tel canton, une école polytechnique pour tel autre :
521 ion nationale. De même, les recherches nucléaires sont trop grandes pour la Suisse, exigent la dimension continentale, etc.
522 des écoles professionnelles ou facultés devraient être revus à l’aide de cette méthode, la seule à mon avis qui ait le droit
523 t l’Université parce qu’un centre de contestation est indispensable à toute société de type européen, d’une part pour faire
524 Les dimensions optimales d’un groupe de recherche sont restées celles d’un studium médiéval : dix à quinze étudiants pour un
525 des recherches. 13. Les cours ex cathedra doivent être conservés : ainsi quand il s’agit d’exposer les recherches inédites q
526 it d’exposer les recherches inédites qu’un maître est en train de faire et qui peuvent intéresser beaucoup d’étudiants. Une
527 us tard, publié. 14. Un professeur ne devrait pas être et avoir été seulement professeur. Il ne devrait pas être jugé sur se
528 é. 14. Un professeur ne devrait pas être et avoir été seulement professeur. Il ne devrait pas être jugé sur ses seuls titre
529 avoir été seulement professeur. Il ne devrait pas être jugé sur ses seuls titres universitaires mais sur sa valeur comme pra
530 écialisées en physique, chimie, astronomie, etc., sont trop chères pour une ville, un canton : la concentration des moyens a
531 echerches interdisciplinaires (sciences humaines) sont peu coûteuses, demandent peu d’espace, et peuvent s’organiser n’impor
532 mobilité des chercheurs, enseignants et étudiants est donc indispensable à la vie d’une Université digne du nom. 16. Il ne
533 e science ou une technique, dont les principes ne seraient pas remis en question et « contestés » par l’Université, dépérirait o
534 et « contestés » par l’Université, dépérirait ou serait balayée. Tandis qu’une Université subordonnée à la société, donc priv
535 uité dans l’imagination, cesserait du même coup d’ être une Université, et n’aurait plus qu’à disparaître. 17. Une Université
536 re. 17. Une Université digne du nom, dont le rôle serait d’orienter les options fondamentales de notre société, en fonction d’
537 ion et de rayonnement culturel. Ce que ne peuvent être , bien évidemment, ces encombrants conglomérats d’écoles professionnel
538 ionnelles, l’économie, et la société tout entière sont menacées de perdre le sens, en même temps que les moyens de s’en aper
27 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’écrivain et l’événement (7-8 septembre 1968)
539 u public : on croit bonnement qu’un auteur engagé est celui qui s’en est remis une fois pour toutes à la politique d’un par
540 bonnement qu’un auteur engagé est celui qui s’en est remis une fois pour toutes à la politique d’un parti, quand il s’agit
541 un sens partisan ou militaire du terme. Mon sens était plutôt poétique, si j’ose dire, moral, philosophique et religieux. De
542 hain, c’est-à-dire la cité humaine, et ce passage était le lieu de l’engagement. Est-il encore praticable ? Autrement dit : q
543 ine, et ce passage était le lieu de l’engagement. Est -il encore praticable ? Autrement dit : quelle peut être aujourd’hui,
544 l encore praticable ? Autrement dit : quelle peut être aujourd’hui, au fait et au prendre, la responsabilité de l’écrivain d
545 bilité de l’écrivain dans la cité ? ⁂ Responsable est celui qui peut dire, dans une situation donnée : j’en réponds ! Mais
546 elle face à l’événement historique qu’un écrivain est engagé — ou non. Dans le fait, dans le concret vécu, il n’y a pas l’é
547 a date que l’Histoire lui attribue — Histoire qui est le produit de l’écriture ! Nul écrivain digne du nom qui ne soit par
548 de l’écriture ! Nul écrivain digne du nom qui ne soit par lui-même événement, et dont l’œuvre ne constitue une partie de la
549 1. Le ludion réagit passivement à l’époque : il n’ est pas engagé mais immergé en elle, il en révèle les courants locaux et
550 nds et en formation, sans essayer d’agir sur eux, soit qu’il n’en ait aucune envie, soit qu’il désespère d’en avoir les moye
551 d’agir sur eux, soit qu’il n’en ait aucune envie, soit qu’il désespère d’en avoir les moyens, ou nie que ces moyens puissent
552 et romanciers du xixe et du xxe siècle peuvent être rangés dans cette catégorie très vaste, dont la limite inférieure ser
553 e catégorie très vaste, dont la limite inférieure serait symbolisée par le nom de Françoise Sagan, ludion des moods à la mode,
28 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Vers l’Europe des régions [Entretien]
554 d’Amérique après la guerre, j’avais compris qu’il était indispensable d’unir les Européens. Non seulement nous-mêmes, mais le
555 présentait notre vieux continent. En août 1947 on est venu me demander de parler à un congrès de fédéralistes européens à M
556 ntreux où j’ai prononcé un discours inaugural : j’ étais engagé. Puis j’ai accepté de m’occuper de la partie culturelle du Mou
557 éen. À partir du congrès de La Haye en 1948 je me suis beaucoup penché sur ce problème de l’union des Européens sur la base
558 et union. L’unité existe ou n’existe pas. L’union est ce que l’on peut bâtir. Non pas une uniformité mais un certain mode d
559 Cette base commune de culture et de civilisation est la condition sine qua non d’une union économique et politique. J’ai d
560 oire européen de recherches nucléaires. Le CERN a été la réalisation de cette première initiative de notre centre. Nous avo
561 coordonné les instituts d’études européennes qui étaient en train de se constituer dans différentes universités. Nous avons pr
562 s une politique des régions. Par exemple l’Italie est déjà divisée en dix régions par sa Constitution ; l’Allemagne en 11 L
563 dessine en France un grand mouvement qui vient d’ être appuyé par de Gaulle pour diviser le pays en un certain nombre de rég
564 plus Paris. Notre idée de fédéralistes européens est que ces régions, définies surtout par l’économie, se définissent auss
565 nion. Si l’union de l’Europe ne se fait pas, nous serons colonisés par le dollar et peut-être par une certaine idéologie marxi
566 ar une certaine idéologie marxiste — quoique cela soit moins sûr. Mais le fait de ne plus être maîtres de notre destinée éco
567 ique cela soit moins sûr. Mais le fait de ne plus être maîtres de notre destinée économique entraînerait une quantité de con
568 ce sujet une importante littérature en France qui est le pays le plus concerné par la centralisation, grand nombre de jeune
569 e de jeunes sociologues et économistes français s’ étant penchés sur ce problème. L’union mondiale ne sera concevable que s’il
570 tant penchés sur ce problème. L’union mondiale ne sera concevable que s’il existe une solide fédération européenne. Ce sera
571 s’il existe une solide fédération européenne. Ce sera le point d’accrochage d’une organisation mondiale. Sans doute d’ici à
572 on mondiale. Sans doute d’ici à dix ou quinze ans serons -nous parvenus à créer des régions sur une base économique, historique
573 ethnique — tout cela mêlé à doses variables — qui seront de plus en plus les vrais centres de la production et de la vie intel
574 èmes européens, c’est que l’unité du genre humain est une invention des Européens. C’est l’Europe chrétienne qui a imaginé
575 ation de races. Les problèmes les plus importants sont à la racine d’ordre philosophique ou religieux. Il s’agit de transpos
576 té, non d’un échange de questions et de réponses, est introduit par le chapeau suivant : « Les récents pourparlers franco-a
577 ecueilli lors d’une interview. Denis de Rougemont sera l’un des conférenciers qui parleront cet hiver à Lausanne, invités pa
578 , invités par la Gazette littéraire. Le programme est composé de telle façon que tous les grands problèmes d’actualité sero
579 e façon que tous les grands problèmes d’actualité seront traités par d’éminents spécialistes en matière politique et culturell
29 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Jean Paulhan (19-20 octobre 1968)
580 n jour que je montai chez Jean Paulhan, ce devait être en 1937, 1938, je rejoignis dans l’escalier de la NRF Henry Michaux
581 ui me dit en s’arrêtant sur le dernier palier : «  Est -ce que vous sentez toujours votre cœur battre au moment de passer cet
582 es en couronne sur le tombeau de notre ami. Telle était notre attente et sa folle exigence ; en ce temps-là. Elle s’adressait
583 ondait ailleurs : dans le style de la NRF . Ce n’ était pas le sien, bien entendu, il ne récrivait pas nos textes, mais le st
584 style de chacun des auteurs de la revue n’eût pas été tout à fait le même sans sa présence et sans son attention. Il était
585 e même sans sa présence et sans son attention. Il était à lui seul notre air de parenté, si différents ou opposés que nous fu
586 air de parenté, si différents ou opposés que nous fussions . C’est le seul directeur de revue littéraire qui ait jamais montré da
587 à le traiter d’éminence grise de nos lettres. Il était tout le contraire : un maître socratique, indemne de toute secrète vo
588 puissance, attentif à ne rien nous imposer qui ne fût ce qu’il avait senti, bien avant nous, qui pourrait être nous. Bien t
589 qu’il avait senti, bien avant nous, qui pourrait être nous. Bien trop curieux pour être autoritaire, il n’avait de goût que
590 s, qui pourrait être nous. Bien trop curieux pour être autoritaire, il n’avait de goût que pour nos singularités (que d’autr
591 t parfois d’y répondre par un opuscule. « Ah ! je suis bien déçu, me disait-il un jour. Je me suis appliqué à relire Cicéron
592  ! je suis bien déçu, me disait-il un jour. Je me suis appliqué à relire Cicéron dans l’espoir de le trouver surréaliste, eh
593 ’est décidément très ennuyeux… » (Son humour bref était sans doute aussi une façon de couper court aux confidences, plaintes
594 réation, c’est ce qui avait mérité son attention. Être accepté par lui, c’était la preuve, pas toujours suffisante mais néce
595 serait quelque jour de collaborer à la NRF  ». J’ étais admis ! J’allais être reçu ! L’on m’invita à la table des dieux. Valé
596 collaborer à la NRF  ». J’étais admis ! J’allais être reçu ! L’on m’invita à la table des dieux. Valéry, Gide, Claudel et S
597 je répondis : Je n’ai pas vingt ans et mon tiroir est vide, mais je verrai… Quelques années plus tard, me voici devant Paul
598 ées plus tard, me voici devant Paulhan : comme il est grand ! C’est le plus grand écrivain que j’aie jamais connu : 1 m 90
599 peu plus tard, il me confie, rêveur : « Comme il est difficile, n’est-ce pas, de se libérer de ses origines protestantes. 
600 l me confie, rêveur : « Comme il est difficile, n’ est -ce pas, de se libérer de ses origines protestantes. » Je dis : « Pour
601 jamais songé.) Je l’ai surpris, notre dialogue s’ est noué, et il se poursuivra dans plusieurs de mes livres, d’une manière
602 ans plusieurs de mes livres, d’une manière que je suis seul à connaître. Je m’arrangerai pour y faire figurer les questions
603 e la première moitié de Penser avec les mains a été composée pour prévenir les objections qu’il avait faites à la seconde
604 ge à rapporter ces petits souvenirs, c’est qu’ils sont personnels… à combien d’entre nous, jeunes auteurs de l’entre-deux-gu
605 connaître ce que peut l’homme. Et Gide, ce qu’il est . Il suffirait à Claudel de reformer sur les débris d’une société laïq
606 u’il a pris le parti de se taire. Je ne sais s’il est vrai que les hommes de lettres se soient contentés jadis de distraire
607 e sais s’il est vrai que les hommes de lettres se soient contentés jadis de distraire d’honnêtes gens. (Ils le disaient du moi
608 e morale, et le sens de la vie enfin révélé. Il n’ est pas une joie de l’esprit que les Lettres ne leur doivent. Et qui pour
609 pourrait tolérer, se demande un jeune homme, de n’ être pas écrivain ? Cet état « singulier » de notre littérature n’autoris
610 pas trop d’optimisme. Il se peut que les hommes soient devenus plus exigeants. Il se peut aussi que les Lettres soient deven
611 plus exigeants. Il se peut aussi que les Lettres soient devenues moins donnantes. Tout se passe comme s’il y avait à leur end
612 c et ridé ». Tout le reste à l’avenant. La presse est allergique à tout ce qui n’est pas « le petit fait faux » qui seul in
613 avenant. La presse est allergique à tout ce qui n’ est pas « le petit fait faux » qui seul intéressera, croit-elle. an. Ro
30 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Témoignage sur Bernard Barbey (7-8 février 1970)
614 Paysages tristes et sans violence, autour de ces êtres dont la détresse est d’autant plus cruelle qu’elle est contenue sous
615 ns violence, autour de ces êtres dont la détresse est d’autant plus cruelle qu’elle est contenue sous des dehors trop polis
616 ont la détresse est d’autant plus cruelle qu’elle est contenue sous des dehors trop polis. Une fois fermé le livre, on oubl
617 sque toujours de la littérature, si bonne qu’elle soit . Mais l’aventure militaire de Barbey est singulière. Assurer la liais
618 qu’elle soit. Mais l’aventure militaire de Barbey est singulière. Assurer la liaison ultrasecrète avec l’armée française en
619 ultrasecrète avec l’armée française en 1940, ce n’ est pas rien, ni commander ensuite l’état-major particulier d’un général
620 ant-colonel EMG, ministre plénipotentiaire », tel serait le résumé proprement helvétique d’une carrière qui eût été, en change
621 sumé proprement helvétique d’une carrière qui eût été , en changeant de passeport, celle d’un ambassadeur de France, d’un gé
622 ’un des plus jeunes élus de l’Académie. Mais là n’ était pas son souci ! Et il nous suffisait, nous ses amis (mais avons-nous
31 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). La cité européenne (18-19 avril 1970)
623 t Messieurs, Je pense, avec Robert Schuman, qu’il est possible d’unir nos pays pour cette raison littéralement fondamentale
624 e laquelle participent tous les Européens, qu’ils soient d’ailleurs « cultivés » ou non, conscients ou non de ce qu’ils doiven
625 principes, molestés, réveillés, mis en mouvement, fût -ce contre nous, pour le meilleur et pour le pire. Et de là viennent a
626 ut concourt à nourrir ce paradoxe qui paraît bien être la loi constitutive de notre histoire et le ressort de notre pensée :
627 Bien plus, il porte la contradiction au cœur de l’ être , et la traduit dans l’énoncé de ses dogmes fondamentaux : la Trinité
628 , bouddhistes, ou sans croyance aucune… Mais ce n’ est pas tout. Avec les trois sources classiques d’Athènes, de Rome et de
629 au zéro précédant la suite des nombres, mais qui est l’une des sources principales de la poésie amoureuse, donc de l’amour
630 nfini, mais dont la plus fréquente, de très loin, est le couple d’antinomies inséparables : autorité et liberté, individual
631 oyen déclare parfois et pense toujours : « Quelle est ma raison d’être, si je suis comme tout le monde ? » À ses yeux — et
632 fois et pense toujours : « Quelle est ma raison d’ être , si je suis comme tout le monde ? » À ses yeux — et cela peut servir
633 e toujours : « Quelle est ma raison d’être, si je suis comme tout le monde ? » À ses yeux — et cela peut servir à le définir
634 peut servir à le définir — « se distinguer » ou «  être distingué » est synonyme d’honneur mérité ou reçu, non pas d’impardon
635 définir — « se distinguer » ou « être distingué » est synonyme d’honneur mérité ou reçu, non pas d’impardonnable faute de g
636 ntative déviationniste, ou de blasphème, comme ce serait le cas dans les sociétés primitives, dans les États totalitaires, ou
637 de religieuse. Le goût de différer, si peu que ce soit , est si cher aux Européens qu’il les porte à exagérer d’une manière t
638 igieuse. Le goût de différer, si peu que ce soit, est si cher aux Européens qu’il les porte à exagérer d’une manière tout à
639 rt l’essai de définition suivant : L’Européen ne serait -il pas cet homme étrange qui se manifeste comme Européen dans la mesu
640 opéen dans la mesure précise où il doute qu’il le soit , et prétend au contraire s’identifier soit avec l’homme d’une seule n
641 ’il le soit, et prétend au contraire s’identifier soit avec l’homme d’une seule nation de cette Europe dont il révèle ainsi
642 ’il le conteste ? On ne changera pas cela, ce ne serait plus l’Europe. Le goût furieux de différer, par lequel nous nous ress
643 anne, 18–19 avril 1970, p. 32. ar. Ce discours a été prononcé à l’Université de Bonn, le 15 avril 1970, à l’occasion de la
644 e la remise du prix Robert Schuman. as. Le texte est suivie de la note suivante : « La semaine prochaine : “L’Europe et le
32 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe et le sens de la vie (25-26 avril 1970)
645 sauvegarde de nos autonomies. Car ces autonomies seront perdues une à une, si nous refusons l’union qui ferait leur force ; m
646 ur force ; mais en retour, cette union ne saurait être acquise au prix des libertés qu’elle est censée servir. Rien de plus
647 saurait être acquise au prix des libertés qu’elle est censée servir. Rien de plus limpide que la déduction qui fait toute m
648 impide que la déduction qui fait toute ma thèse : étant donné que la base de notre unité est une culture pluraliste, on ne pe
649 ma thèse : étant donné que la base de notre unité est une culture pluraliste, on ne peut fonder sur elle qu’une union fédér
650 ifficile à expliquer, c’est que rien n’ait encore été fait dans ce sens, depuis près de vingt-cinq ans qu’on nous déclare,
651 rich — qu’il n’y a pas une minute à perdre ! Quel est l’obstacle apparemment insurmontable à cette union que tout indique,
652 ersonne ne fait ? Eh bien, chacun le sait, rien n’ est moins mystérieux : l’obstacle à toute union possible de l’Europe (don
653 sible de l’Europe (donc à toute union fédérale) n’ est autre que l’État-nation, tel que Napoléon en a posé le modèle, intégr
654 ar le tiers-monde, mal décolonisé à cet égard… Qu’ est -ce en somme qu’instituer un État-nation ? C’est soumettre toute une n
655 donc, de plus hostile à toute espèce d’union tant soit peu sérieuse ou sincère, que cet État-nation qui, d’autre part, se ré
656 aux exigences concrètes de notre temps, puisqu’il est à la fois trop petit pour agir à l’échelle mondiale ; trop grand pour
657 ttre pour survivre. Aujourd’hui que le nécessaire est assuré, on se bat pour le contrôle de zones d’influence plus idéologi
658 le Vietnam) et l’on travaille pour le profit, qui est en somme du superflu. Mais dès lors que ce choix de notre avenir est
659 erflu. Mais dès lors que ce choix de notre avenir est libre, nous voici contraints de le faire, à nos risques et périls ! N
660 tat décent, une communauté vivante ? Et quel prix sommes -nous prêts à payer pour cela ? Le prix de certaines libertés, ou le p
661 a formule d’État-nation à l’échelle continentale, serait capable sans nul doute de créer une Europe très forte, mais qui serai
662 ul doute de créer une Europe très forte, mais qui serait très peu européenne. Sans compter qu’un super-État-nation ne pourrait
663 Sans compter qu’un super-État-nation ne pourrait être imposé à tous nos peuples qu’à la faveur d’une guerre générale — selo
664 tastrophique, mais dont la réalisation ne saurait être exclue pour autant. Au contraire, si nous donnons pour finalité à la
665 mie des communautés (la production industrielle n’ étant qu’un des moyens de ces libertés), alors il faut reconnaître que l’Ét
666 s), alors il faut reconnaître que l’État-nation n’ est pas seulement un modèle périmé, mais qu’il est en fait aujourd’hui ra
667 n’est pas seulement un modèle périmé, mais qu’il est en fait aujourd’hui radicalement incompatible avec les fins de l’Euro
668 un à l’échelle fédérale continentale, tout ce qui est nécessaire pour garantir les autonomies de tous ordres, régionales, c
669 ue ; le reste — la justice, la paix, la liberté — étant manières de parler plus ou moins nobles, ou pure et simple captatio d
670 mieux que la puissance collective. L’Europe unie sera seule capable de réaliser leur vision. On me dira peut-être aussi que
671 ration » qu’évoquait le général de Gaulle, et qui serait formée d’États-nations conservant jalousement leurs prétentions à la
672 dre une occasion de faire voir à quel point elles sont absurdes. Elles sont encore efficaces, il est vrai, pour gêner ce qu’
673 aire voir à quel point elles sont absurdes. Elles sont encore efficaces, il est vrai, pour gêner ce qu’il faudrait aider : l
674 es sont absurdes. Elles sont encore efficaces, il est vrai, pour gêner ce qu’il faudrait aider : les échanges culturels, le
675 t absolument à rien pour arrêter ce qui devrait l’ être  : les tempêtes et les épidémies, la pollution de l’air et des fleuves
676 . Ce statut des frontières, doublement déficient, est caractéristique de tout ce qui touche à l’État-nation : néfaste dans
677 he à l’État-nation : néfaste dans la mesure où il est encore réel, inexistant quand on voudrait compter sur lui. Je ne sais
678 quand on voudrait compter sur lui. Je ne sais, n’ étant pas économiste, si nos États-nations délimités pour la plupart au xix
679 ose leur balance commerciale (laquelle ne saurait être positive, me semble-t-il, dans tous les pays à la fois…) ne sont pas
680 me semble-t-il, dans tous les pays à la fois…) ne sont pas le type même de faux problèmes, résultant de la seule fiction d’é
681 e. Et les diversités que nous devons respecter ne sont pas celles de ces États-nations nés d’hier : elles les traversent et
682 ant la « majesté de l’État ». Mais non ! L’État n’ est pas un dieu, ce n’est qu’un appareil plus ou moins efficace, qui doit
683 État ». Mais non ! L’État n’est pas un dieu, ce n’ est qu’un appareil plus ou moins efficace, qui doit être mis au service d
684 t qu’un appareil plus ou moins efficace, qui doit être mis au service des citoyens et de leurs cités ; et non l’inverse. Ces
685 té vivante, civique, économique ou culturelle, et être contrôlé par l’usager, distribuer et répartir l’État de la commune et
686 fédérales, du type de la Communauté de Bruxelles, seront chargées de la concertation des grandes tâches d’intérêt public, tâch
687 lénaire de sa culture. Dira-t-on que ce programme est révolutionnaire ? Il l’est, bien sûr : on ne fera pas l’Europe sans c
688 -t-on que ce programme est révolutionnaire ? Il l’ est , bien sûr : on ne fera pas l’Europe sans casser des œufs, nous le voy
689 , nous le voyons depuis vingt-cinq ans. Mais il l’ est moins parce qu’il demande qu’on dépasse les États-nations que parce q
690 és communautaires et personnelles. Si sérieux que soient les problèmes de prix du lait, du blé ou du vin, il est clair que l’E
691 s problèmes de prix du lait, du blé ou du vin, il est clair que l’Europe des marchandages entre économies étatiques ne peut
692 s enthousiastes. Les jeunes gens d’aujourd’hui ne seront pas convaincus par des avantages matériels : ils sont presque comblés
693 pas convaincus par des avantages matériels : ils sont presque comblés à cet égard. Ce qui leur manque le plus durement, c’e
694 est un sens de la vie, maintenant que la guerre n’ est plus leur exutoire, l’alibi des raisons de vivre inexistantes. La rép
695 umanité, nous lui devons cela ! Une Europe qui ne sera pas nécessairement la plus puissante ou la plus riche, mais bien ce c
696 Lausanne, 25–26 avril 1970, p. 32. au. Le texte est précédé du chapeau suivant : « Nous publions la fin du discours que p
33 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une réflexion sur le mode de vie plutôt que sur le niveau de vie (2 juin 1970)
697 e niveau de vie (2 juin 1970)av aw Les Suisses sont sans doute les moins xénophobes des Européens, et les étrangers sont
698 moins xénophobes des Européens, et les étrangers sont venus chez eux depuis des siècles en plus grand nombre relatif que pa
699 e, et par le motif principal de cet afflux, qui n’ est pas d’admirer nos lacs ni de fuir des dictatures, mais de faire du « 
700 ictatures, mais de faire du « fric ». Or ce motif est le même des deux côtés : pour eux, gagner vite et rentrer, pour nous,
701 iculier qui nous préoccupe, cette « helvéticité » est -elle menacée par la présence d’une nombreuse main-d’œuvre étrangère e
702 onfesser d’abord que le problème qui me préoccupe est beaucoup moins celui du oui ou du non, que celui de la qualité des ar
703 découvrir. Ils nous disent : « À l’heure où il n’ est question que de s’ouvrir à l’Europe, pourquoi nous fermer devant les
704 availleurs ne se déplacent en général que s’ils y sont fortement incités, s’ils sont en quelque sorte recrutés, à l’instar d
705 général que s’ils y sont fortement incités, s’ils sont en quelque sorte recrutés, à l’instar des soldats du service étranger
706 les routes du gain maximal, où qu’elles aillent, est fausse et irréelle, quoique matérialiste. La plupart des hommes suive
707 (J’ai là-dessus quelques statistiques.) Quelle est la pire menace ? II. Quant au danger que la présence sur notre sol
708 « helvéticité », comme vous osez l’écrire ! — il est clair que ce n’est pas sérieux. L’argument ne vaut rien, mais en cach
709 omme vous osez l’écrire ! — il est clair que ce n’ est pas sérieux. L’argument ne vaut rien, mais en cache un meilleur. À pa
710 s deux cas vous aurez tort, car l’enjeu véritable est au-delà et ne peut être atteint par ce choix. La question qu’a soulev
711 ort, car l’enjeu véritable est au-delà et ne peut être atteint par ce choix. La question qu’a soulevée M. James Schwarzenbac
712 ming collectif qu’a déclenché le député zurichois sera des plus utiles aux Suisses s’il les amène à se poser — bien au-delà
713 ions suivantes : — La croissance indéfinie du PNB est -elle une obligation sacrée, donc indiscutable, ou faut-il la subordon
714 s, écologiques notamment ? — Le « niveau de vie » est -il plus important que le mode de vie ? — La philanthropie qu’invoquen
715 e (« on ne peut pas chasser des frères humains ») serait -elle encore invoquée si la présence des travailleurs étrangers nous c
716 sur « Les travailleurs étrangers en Suisse ». Il est précédé du chapeau suivant : « Invité à se prononcer sur notre double
34 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Le testament de Tristan (14-15 novembre 1970)
717 le calcul et la flatterie, Charles de Gaulle aura été le dernier monarque d’une France qui n’a rien préféré à l’amour de so
718 Gaulle a toujours distingué. Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France… vouée à une destinée éminente et
719 uanesque. À l’autre extrême, le général de Gaulle fut le Tristan de la passion nationale. Son Iseut, c’est la France, et il
720 sion nationale. Son Iseut, c’est la France, et il est près de le dire dans plus d’une page de ses Mémoires, et pas seulemen
721 n premier départ volontaire, en 1946). Certes, il est revenu à son appel, et c’est en 1958. « Mais la vraie passion tristan
722 nt faire défaut. Entre la France et lui, quand il était le plus fort — Tristan plus fort que le roi Marc —, n’a-t-il pas dépo
723 utres intrigues prévisibles. Et l’on sait quel en fut le prétexte allégué : l’instauration en France des régions, qu’il pro
724 ici le personnage prend ses vraies dimensions qui sont celles d’une glorieuse ambiguïté et d’un tragique malentendu entre « 
725 éifiée, cet ennemi juré de l’Europe « intégrée », était en réalité un fédéraliste ! (Mais le mot ne peut passer le gosier d’u
726 écrits à travers lesquels, au long des siècles, s’ est manifestée l’idée d’Europe, ce sont les cheminements de la conscience
727 des siècles, s’est manifestée l’idée d’Europe, ce sont les cheminements de la conscience européenne, elle-même, que vous met
728 t son sort au symbole même de l’ère nouvelle, qui est la région. Mais dans la page si belle qui règle ses obsèques, c’est T
729 usanne, 14–15 novembre 1970, p. 33. ay. Le texte est précédé du chapeau suivant : « De Gaulle est mort le jour où la Suiss
730 exte est précédé du chapeau suivant : « De Gaulle est mort le jour où la Suisse se préparait à discuter avec le Marché comm
35 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Pourquoi j’écris (30-31 janvier 1971)
731 otion de l’engagement, dans les années 1930… Elle était vraie, mais elle n’expliquait rien. Quand on demande à Zazie pourquoi
732 met au point quelques demi-mensonges, l’important est de n’y pas croire, sinon ce serait la preuve qu’on a perdu le contact
733 nges, l’important est de n’y pas croire, sinon ce serait la preuve qu’on a perdu le contact avec le mystère brut, la réalité.
734 Aurore : « Toutes les choses qui vivent longtemps sont peu à peu tellement imbibées de raison que l’origine qu’elles tirent
735 ’innocence de mes débuts dans l’écriture. Écrire est une démangeaison que l’on calme en grattant du papier. C’est à peu pr
736 devenir aussi admirable aux yeux des autres qu’il est admiré par vous-même, vous essayez d’écrire comme lui des vers, un ré
737 it d’imitation naïve ou vaniteuse (selon que l’on sera bon ou mauvais auteur). Et c’est beaucoup plus tard qu’on s’inventera
738 par exemple, mais pas l’Europe, puisque l’Europe est une création continue de la pensée proprement poétique, l’horizon qui
739 ui se définit par rapport à notre progrès. ⁂ Ce n’ est qu’au début d’une carrière que l’on écrit par pure envie d’écrire. Et
740 rut ne continue d’agir dans mes écrits, mais il n’ est plus seul discernable, tout mêlé qu’il se trouve à des courants viole
741 gnore et j’y vais ! J’y vais par l’écriture, qui est ma manière d’enregistrer la poésie dans l’existence. Un paysage me me
742 er le sens au bout du compte. Un sens qui ne peut être défini que par le tout — que pas un scientifique n’appréhende et par
743 n’appréhende et par suite ne saurait nier, et qui est au-delà de tout — comme le corps transcendant aux organes. Je cherche
744 e l’écrie, et je lui crie d’abord qu’elle devrait être une autre pour que je n’y sois plus seulement un moi contre elle, mai
745 rd qu’elle devrait être une autre pour que je n’y sois plus seulement un moi contre elle, mais que [je] m’y perde et m’y don
746 l’écriture, ou mieux, j’aurai rejoint ma fin, qui est de me former sur une pensée vécue dans l’écriture. Au terme de mes li
36 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Au défi de l’Europe, la Suisse (31 juillet-1er août 1971)
747 nos compatriotes interrogés au hasard dans la rue seraient capables de le dire ? Alors on court interviewer des étrangers : quel
748 Alors on court interviewer des étrangers : quelle est à leurs yeux notre image ? Ils nous renvoient le plus souvent celle d
749 de la Suisse, et qui répondait : « Le fédéralisme est pour votre pays une bonne solution. Ce qui ne veut pas dire qu’elle s
750 e bonne solution. Ce qui ne veut pas dire qu’elle soit généralisable. » Réponse plutôt comique si l’on s’avise que le fédéra
751 que si l’on s’avise que le fédéralisme n’a jamais été ni pu être une « solution » aux problèmes de la Suisse, pour la simpl
752 n s’avise que le fédéralisme n’a jamais été ni pu être une « solution » aux problèmes de la Suisse, pour la simple raison qu
753 religieuse, économique ou culturelle, la Suisse n’ est rien hors du fédéralisme. Elle n’est rien qu’un régime d’union. Dans
754 la Suisse n’est rien hors du fédéralisme. Elle n’ est rien qu’un régime d’union. Dans leur très grande majorité — 98 % exac
755 ire d’une dynastie — les Zähringen et les Kibourg sont éteints depuis des siècles, les Habsbourg émigrés — ni l’anniversaire
756 e que nous célébrons, c’est en fait une idée, qui est l’essence de la Suisse et qui a déterminé son existence : l’idée fédé
757 commandant les approches du Gothard. La Suisse n’ est nullement née comme on le croit trop souvent (et pas seulement à l’ét
758 tonaux — comme l’Europe de Churchill ou de Gaulle était censée devoir naître de l’alliance impossible des quelque vingt-cinq
759 plus souverains les uns que les autres. La Suisse est une authentique fédération dans la mesure où elle s’est formée par la
760 e authentique fédération dans la mesure où elle s’ est formée par la libre association de communes rurales et urbaines, de p
761 xécuter ces tâches communes, le Conseil fédéral n’ est nullement une émanation des cantons, mais le collège de chefs des Age
762 ule d’union je me considère comme Suisse et je le suis , moi, Neuchâtelois protestant, de langue française, au même titre qu’
763 oir rien en commun que cette adhésion même. Telle étant la réalité proprement suisse : une idée, une formule d’union qui fut
764 rement suisse : une idée, une formule d’union qui fut au xiiie siècle celle de trois communes du Gothard et qui se « génér
765 e la formule suisse, c’est-à-dire le fédéralisme, est au contraire la seule possible pour les Européens qui éprouvent le be
766 va-t-elle pas s’y perdre ? — C’est oublier ce qu’ est la Suisse. Dans une Europe unie, loin de se perdre, elle se retrouver
767 dans l’espace et le temps, au-delà de ce qu’elle est aujourd’hui, qui est tellement au-delà de ce qu’elle fut au Grütli, b
768 temps, au-delà de ce qu’elle est aujourd’hui, qui est tellement au-delà de ce qu’elle fut au Grütli, berceau mythique. Une
769 ourd’hui, qui est tellement au-delà de ce qu’elle fut au Grütli, berceau mythique. Une idée se perd-elle en se généralisant
770 aliste montrent par là qu’ils ne savent pas ce qu’ est la Suisse. Écoutons plutôt un grand Zurichois du siècle passé, le jur
771 a émis et réalisé des idées et des principes qui seront un jour destinés à assurer la paix en Europe… Si cet idéal de l’aveni
772 succès de notre idée et d’une formule d’union qui est notre raison d’être, ne serait-ce pas le sort le plus beau que nous p
773 e et d’une formule d’union qui est notre raison d’ être , ne serait-ce pas le sort le plus beau que nous puissions souhaiter e
774 e formule d’union qui est notre raison d’être, ne serait -ce pas le sort le plus beau que nous puissions souhaiter en tant que
775 us de frontières tangibles, plus de douaniers, où sera la Suisse, gémissent nos « patriotes » désorientés. Or il est sain de
776 e, gémissent nos « patriotes » désorientés. Or il est sain de se demander, au minimum une fois par an, ce que nous faisons
777 rons de continuer la Suisse. Ceux qui le voudront seront alors les vrais Suisses. « Et s’il n’en reste qu’un… », disait Victor
37 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une dimension nouvelle (11-12 septembre 1971)
778 on d’exprimer mon admiration pour « C. J. B. » me fut offerte, toujours saisie avec reconnaissance. Mais je gardais pour ce
779 aire un éloge dont tout me faisait craindre qu’il fût de nature — si plus tôt exprimé, sans précaution — à desservir la bon
780 taire. Aujourd’hui je ne reculerai plus, les jeux sont faits et sa gloire établie. Du prince en soi, archétypal, avant tous
781 élancolie que de cynisme, plus de sensibilité aux êtres qu’aux idées et aux situations qu’aux systèmes, d’où son sens politiq
38 1972, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il faut dénationaliser l’enseignement [Entretien] (8 décembre 1972)
782 ’ont apprécié qu’à demi la réédition des Méfaits, soit qu’ils se sentent attaqués dans leur conscience professionnelle, soit
783 nt attaqués dans leur conscience professionnelle, soit qu’ils jugent, eux, que votre texte a vieilli. Je le regrette infinim
784 mon mépris à l’égard des instituteurs. Or rien n’ est plus faux : j’en veux au système scolaire, dont les instituteurs sont
785 n veux au système scolaire, dont les instituteurs sont victimes, et qu’ils perpétuent malgré eux. Ils n’en sont pas responsa
786 ctimes, et qu’ils perpétuent malgré eux. Ils n’en sont pas responsables. J’ai d’ailleurs reçu d’autres lettres d’instituteur
787 u d’autres lettres d’instituteurs qui souffrent d’ être paralysés dans le système actuel, et qui me disent : « Merci, vous no
788 a Confédération suisse, où l’instruction publique est du ressort des cantons ? Mais en 1929 je parlais de mon expérience. E
789 ? Mais en 1929 je parlais de mon expérience. Elle était tout à fait suisse, puisque j’ai fait l’école primaire, jusqu’à l’âge
790 dans la formation des hommes… L’école publique a été jusqu’à présent le moyen de formation le plus fort. Elle a prétendu à
791 vice de l’État-nation. Dans le système actuel, il serait pratiquement impossible de déscolariser la société, comme le réclame
792 rien de l’histoire de ma propre vallée… La nation est un concept artificiel qui ne repose sur aucune réalité fondamentale.
793 graphie, l’écologie, l’économie — l’économie doit être une des branches principales des programmes — dans ces dimensions-là.
794 on à l’Europe et au monde au moment où les élèves sont capables de saisir les réalités à ces niveaux-là, et négliger chaque
795 lèmes économiques auxquels les citoyens n’ont pas été préparés. En étudiant l’économie, les élèves verraient bien que rien
796 , où la perception des enfants, déjà très jeunes, est immédiate : les frontières n’ont rien à voir avec les lois de la natu
797 jourd’hui, parce que toute leur manière de penser est prisonnière des schémas nationaux. Souvenez-vous que le général de Ga
798 es, traversée par un affluent de la Volga, et qui est maintenant le cœur du bassin de l’industrie lourde de l’URSS. Exactem
799 de l’industrie lourde de l’URSS. Exactement ce qu’ est la Ruhr pour l’Allemagne. Côté « asiatique » ou côté « européen », c’
800 ns tous les sens… Cette idée de l’Oural-frontière est si absurde, et si répandue, que j’ai mis deux de mes étudiants sur le
801 braltar à l’Oural. L’école a rendu les hommes qui sont actuellement au pouvoir en Europe, incapables de saisir ce que pourra
802 r en Europe, incapables de saisir ce que pourrait être une fédération. Or c’est la seule formule possible. En France, les ra
803 en aller autrement ? Prenez le Petit Littré, qui est encore le dictionnaire de référence des Français cultivés, et cherche
804 On ne changera pas l’école sans changer l’État. » Est -ce à dire que l’État doit changer l’école, ou que l’école doit former
805 ciels, on me répète : « Tout ce que vous dites là est bien beau, mais on voit que vous n’avez pas affaire à la réalité. » O
806 âtiment, l’attribution de nouveaux subsides, ce n’ est pas concevoir une politique, c’est administrer. Quand l’homme en plac
807 Vous ne voyez pas la vraie réalité parce que vous êtes aux prises avec l’administration. La réalité, c’est tout le système s
808 artir sur des bases entièrement nouvelles… ce qui est pratiquement impossible dans notre culture. Il faudrait, au minimum,
809 uit, au hasard des occasions… Aucune place ne lui est faite — et pour cause — dans nos programmes. Moi, j’ai appris à lire
810 premier terme de votre « alternative »… qui n’en est pas une. Car le second terme est également nécessaire. Je ne vois pas
811 tive »… qui n’en est pas une. Car le second terme est également nécessaire. Je ne vois pas d’opposition entre l’enseignemen
812 je dois le présenter à mes étudiants. « Illich est trop rousseauiste » Seriez-vous partisan d’une école comme celle d
813 étudiants. « Illich est trop rousseauiste » Seriez -vous partisan d’une école comme celle des amish, dont vous parlez dan
814 lich, bien que je partage largement ses idées, il est trop rousseauiste : il suppose chez tous les enfants une sorte de bes
815 ser que tout le monde admette que l’un et l’autre sont nécessaires, on peut imaginer, grosso modo, qu’à gauche on aura tenda
816 pour que l’autre vive, et vice versa. L’éducation sera la résultante d’une tension dynamique entre les deux. On ne peut nier
817 ’homme a besoin de compagnie, mais aussi besoin d’ être seul ; besoin de communiquer avec ses semblables, mais aussi de se re
818 te des autres ou le réduire à une totale solitude sont deux tortures équivalentes. Toute la vie est fondée sur une série de
819 ude sont deux tortures équivalentes. Toute la vie est fondée sur une série de couples antinomiques : communication-solitude
820 uilibre dynamique. Ainsi pour le fédéralisme, qui est si mal compris, même en Suisse. Il s’agit de mettre en relation des é
821 des deux, ni subordination de l’un à l’autre. Ils sont à la fois semblables et différents, séparés et unis. C’est la formule
822 tique s’installe : c’est la mort. Tout ce système est cohérent. Vous en trouverez les racines dans la théologie, dans l’ima
823 doctrine chrétienne, viennent de ce qu’on a tendu soit à confondre le Christ avec Dieu, soit à le limiter à son essence huma
824 ’on a tendu soit à confondre le Christ avec Dieu, soit à le limiter à son essence humaine. Il faut reconnaître que l’existen
825 e simultanée du divin et de l’humain dans le même être est difficile, voire impossible à concevoir. Mais cela nous éloigne u
826 ultanée du divin et de l’humain dans le même être est difficile, voire impossible à concevoir. Mais cela nous éloigne un pe
827 e d’enseignants, du degré secondaire surtout : ce sont eux qui feront l’Europe de l’an 2000, comme le dit le titre de mon de
828 dernier article dans Civisme européen 11. Mais il est clair que, seule, la bonne volonté des maîtres ne suffira pas. Il fau
829 modifier les structures. Les structures nouvelles étant censées sécréter une nouvelle pédagogie, de nouveaux maîtres ? Elles
830 s de s’exprimer. On ne peut pas forcer les gens à être bons ou intelligents, mais on peut leur offrir un cadre où leur bonté
831 individuels ne suffisent pas. Mais si le problème est attaqué par les deux bouts à la fois, alors peut-être… Le principal,
832 te qu’on comprend généralement mal, parce qu’elle est mal traduite : « La guerre est la mère de toute chose. » Plutôt que «
833 mal, parce qu’elle est mal traduite : « La guerre est la mère de toute chose. » Plutôt que « guerre » il faudrait dire « co
834 oposa de nous faire à nous deux une langue qui ne serait connue que de nous ; je me passionnai pour cette idée. Nous formâmes
835 s un dictionnaire dans lequel chaque mot français était traduit d’un mot grec. Tout cela se gravait merveilleusement dans ma
836 ropos recueillis par Laurent Rebeaud. L’entretien est précédé de l’introduction suivante : «  Les Méfaits de l’instruction
837  : «  Les Méfaits de l’instruction publique , tel était le titre de la première œuvre qu’ait publié Denis de Rougemont, en 19
838 La fonction de l’instruction publique, disait-il, était de conditionner les esprits des futurs citoyens dans le sens voulu pa
839 e de Denis de Rougemont contre l’école. Preuve en soit la récente réédition des Méfaits, « aggravés » d’une Suite des méfait
840 me en colère, aussi injuste qu’un pamphlet doit l’ être , j’ai le triste plaisir de constater que mon texte n’a pas vieilli, p
39 1972, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Merveilleux Lavaux (23-24-25 décembre 1972)
841 3-24-25 décembre 1972)be bf Le centre du monde est partout, la théorie de la relativité l’a démontré. Mais, que le centr
842 a vivez « comme on respire », ou c’est que vous n’ êtes jamais vraiment venu, n’avez jamais existé dans ce lieu. Tout ce qui
843 ortance rapidement fabuleuse, et passionnelle. Il est difficile d’en parler, fût-ce à sa louange éperdue, sans provoquer l’
844 e, et passionnelle. Il est difficile d’en parler, fût -ce à sa louange éperdue, sans provoquer l’éclat soudain, parfois voci
845 conscience que donne l’indignation active. Lavaux est beaucoup plus défiguré que les autres vignobles de La Côte, de Begnin
846 ct avec la nature, et ce contact pour lui vital s’ est révélé mortel pour la nature. C’est l’histoire d’un amour fatal : dès
847 la plupart n’osant aimer que ce qui par d’autres est aimé, ils détruisent à coup sûr les amours qu’ils partagent. Ce paysa
848 r les amours qu’ils partagent. Ce paysage sublime est un pays réel, peuplé de vignerons et d’artisans, de petits commerçant
849 res, toujours à l’œuvre dans toute chose humaine, sont ici comme ailleurs la qualité de la vie et les conditions de vie quan
850 vine — une lumière neutre comme les dieux, qui ne sont de gauche ni de droite, mais toujours d’en haut, rayonnants. Il y a l
851 t vivant, c’est-à-dire changeant selon sa loi. Il est d’autres centres du monde où les problèmes de la survie d’un lieu sub
852 ime se posent en des termes semblables. Ainsi, qu’ est -ce que sauver Venise ? Non pas offrir des étages de palais sur le Gra
853 nd Canal à des riches. Il faut d’abord que Venise soit peuplée, animée, habitée par des gens du pays. Et qu’ils y trouvent u
854 foi, mais chacun sait que la foi sans les œuvres est morte. Sauver Lavaux ne suppose rien de moins que la prédominance acc
855 sans héroïsme. Si Lavaux doit faire son salut, ce sera par la grâce de quelques fous associant leur foi poétique aux calculs
856 que aux calculs des vrais réalistes — lesquels ne sont nullement ceux qui pensent court et bas et nous jettent dans la pollu
857 nne, 23–25 décembre 1972, p. 17-18. bf. Le texte est précédé du chapeau suivant : « C’est à l’initiative de Jean-Pierre La
858 erveillleux Lavaux. Sauver cette unique contrée n’ est pas le postulat d’un seul homme. Les artisans du livre, auteurs des t
859 uré, prouve néanmoins qu’un tel coin de pays doit être sauvegardé au prix de l’intelligence et de sacrifices, comme le rappe
40 1984, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Philosophie et énergie nucléaire : une mise au point (28 juin 1984)
860 rtée. 1. La première citation, pronucléaire, doit être replacée dans son contexte historique : elle remonte en effet à 1958
861 leurs problèmes majeurs (comme celui des déchets) était pratiquement nulle en Suisse. J’ai fait cette mise au point le 26 jan
862 es phrases suivantes : « Les réserves en pétrole… seront un jour épuisées. Les experts varient sur la date, non sur la vraisem
863 ation de notre continent et de l’humanité entière serait apparemment sans espoir, si la culture élaborée par notre Europe n’av
864 ne nouvelle source d’énergie. L’énergie nucléaire est la réponse, inventée par notre génie, par nos savants européens, au d
865 t notre science, notre hygiène, et nos techniques étaient en train d’accroître au-delà du possible les besoins matériels et les
866 ris depuis vingt ans, alors oui, ces déclarations seraient de nature à me disqualifier radicalement pour traiter le sujet de l’é
867 a parole parmi vous. […] Quelques-uns de ceux qui sont ici ce matin, et non des moindres, partageaient à l’époque mes illusi
868 escription de l’état d’innocence générale où nous étions à peu près tous. […] Je ne pense pas avoir à m’excuser d’avoir appris
869 2. La seconde citation, antinucléaire celle-là, est datée de 1984. Je la rappelle : Selon que (notre) choix se portera s
870 a sur le nucléaire ou sur le solaire, nous aurons soit une société centralisée, exploitée de façon quasi militaire, soit une
871 centralisée, exploitée de façon quasi militaire, soit une fédération de petites communes autonomes. Cette seconde citation
872 tites communes autonomes. Cette seconde citation est censée démontrer que je me contredis sans vergogne. (« Une philosophi
873 éométrie variable » titre votre rédacteur.) Or il est clair qu’elle ne contredit en réalité que les intentions que M. Desme
874 loitée de façon quasi militaire » non seulement n’ est pas de moi et ne traduit en rien notre idéal, mais formule l’exigence
875 e PWR, déclare : Les installations nucléaires ne sont pas dangereuses, à condition qu’elles soient exploitées et contrôlées
876 res ne sont pas dangereuses, à condition qu’elles soient exploitées et contrôlées par des équipes organisées de manière rigour
877 es organisées de manière rigoureuse… Pour moi, il est essentiel que les centrales nucléaires soient peu nombreuses, donc de
878 oi, il est essentiel que les centrales nucléaires soient peu nombreuses, donc de grande taille, implantées dans des sites ad h
879 re 14. M. Desmeules aurait-il mal compris ? Ce n’ est pas nous, mais ceux de son bord qui ont dit cela. Quant à prétendre q
880 qui ont dit cela. Quant à prétendre que mon idéal serait l’État marxiste omnipotent, il faut n’avoir rien lu de moi pour oser
881 moi pour oser le répéter à longueur de colonnes. Est -il pensable qu’une cause défendue par de tels procédés soit une bonne
882 nsable qu’une cause défendue par de tels procédés soit une bonne cause ? 12. Texte complet dans le volume FACT 79, Lausann
883 Georgi, p. 17 et 18. 13. Les lignes en italique sont celles citées par M. Desmeules. 14. Cité par André Gorz-Michel Bosqu