1 1940, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Erreurs sur l’Allemagne (1er mai 1940)
1 qu’en telle matière, tout jugement massif manque de sérieux, et traduit quelque étourderie. 1. Des hommes aussi divers et
2 tres encore, nous affirment que l’hitlérisme sort de Luther. Certains d’entre eux nuancent leur jugement. Le cliché reste.
3 tiques l’on peut reprocher à Luther, avec 400 ans de recul. Je vois bien que, sur le papier l’on peut déduire de ces erreu
4 Je vois bien que, sur le papier l’on peut déduire de ces erreurs que Luther conduit à Hitler : il suffit, pour y arriver,
5 her conduit à Hitler : il suffit, pour y arriver, d’ oublier quelques faits importants. Il suffit d’oublier, par exemple, q
6 r, d’oublier quelques faits importants. Il suffit d’ oublier, par exemple, que le Führer autrichien n’est pas né luthérien
7 ord en Bavière, pays catholique ; que la doctrine de Luther, là où elle a triomphé sans résistance notable, c’est-à-dire e
8 e ; qu’enfin le totalitarisme n’est pas l’apanage de la seule Allemagne, à demi luthérienne seulement, mais qu’il a triomp
9 n songe que le pasteur Niemöller, vrai descendant de Luther, est en prison. 2. Les socialistes et beaucoup de démocrates a
10 : la masse a été trompée par ses chefs. Un séjour d’ une année en Allemagne, de 1935 à 1936, m’a conduit à des conclusions
11 ar ses chefs. Un séjour d’une année en Allemagne, de 1935 à 1936, m’a conduit à des conclusions fort différentes. J’ai pu
12 idéraient le nouveau régime comme étant le régime de la masse ; que la plupart des socialistes le toléraient fort bien ; e
13 toléraient fort bien ; et qu’un très grand nombre d’ anciens chefs communistes avaient revêtu quelque grade dans le parti h
14 ar l’ambition réelle du Führer, croyait-il, était d’ appliquer le programme communiste. (Je donne cette opinion pour ce qu’
15 ait signé par Émile Vandervelde, ancien président de la IIe Internationale. Le second article, paru dans une feuille commu
16 econd article, paru dans une feuille communisante de Bruxelles, m’accusait froidement d’être vendu au régime hitlérien, po
17 communisante de Bruxelles, m’accusait froidement d’ être vendu au régime hitlérien, pour avoir soutenu que des communistes
18 que des communistes approuvaient Hitler. L’auteur de cette diatribe était Mme Jeanne Vandervelde, femme du précédent. Son
19 ndervelde, femme du précédent. Son journal refusa d’ insérer ma réplique. Six mois plus tard, le pacte hitléro-stalinien la
20 consiste à voir dans l’hitlérisme une tyrannie «  de droite », détestée par les masses. « Le totalitarisme, écrit M. Muret
21 s’y sont pas trompés. » Sur quoi l’auteur accuse d’ aveuglement les socialistes français qui, eux, s’y trompent encore. Ma
22 , eux, s’y trompent encore. Mais que penser alors de l’aveuglement des bourgeois qui s’obstinèrent jusqu’en septembre 1939
23 ritique justement M. Muret, ne sont coupables que d’ avoir partagé l’erreur fatale et prolongée des bourgeois de divers pay
24 artagé l’erreur fatale et prolongée des bourgeois de divers pays. Si nous prétendons défendre le christianisme, agissons d
25 tiens, et commençons par dénoncer non les erreurs d’ autrui, mais bien les nôtres. Surtout s’il se trouve qu’en fait, ce so
26 fait, ce sont exactement les mêmes erreurs. 4. Si d’ aucuns remontent à Luther, d’autres s’en vont chercher encore plus loi
27 s s’en vont chercher encore plus loin les racines de l’hitlérisme. M. Edmond Jaloux les trouve, pour sa part (voir la Gaz
28 zette du 24 avril), dans le romantisme et le goût de la mort qui caractérisent les vieux poèmes germaniques. À quoi s’oppo
29 s, pour autant qu’ils ne sont pas les traductions de chants islandais ou scandinaves, sont des imitations de légendes lang
30 nts islandais ou scandinaves, sont des imitations de légendes languedociennes et bretonnes, donc celtiques. Hubert, le mei
31 l pas que dans la mythologie des Celtes, « l’idée de la mort domine tout, et tout la découvre »? On voit le danger d’aller
32 ne tout, et tout la découvre »? On voit le danger d’ aller chercher dans un passé que l’on connaît mal les causes d’une rév
33 her dans un passé que l’on connaît mal les causes d’ une révolution dont les effets ne sont que trop connus. Le seul avanta
34 effets ne sont que trop connus. Le seul avantage de ce procédé historique et littéraire, c’est qu’il dispense de mentionn
35 dé historique et littéraire, c’est qu’il dispense de mentionner des causes prochaines, beaucoup plus claires, solides et c
36 aires, solides et convaincantes. Ces causes sont, de toute évidence : la guerre, le traité de Versailles, la grande misère
37 es sont, de toute évidence : la guerre, le traité de Versailles, la grande misère de l’inflation et du chômage, l’échec de
38 guerre, le traité de Versailles, la grande misère de l’inflation et du chômage, l’échec de la conférence du désarmement, e
39 ande misère de l’inflation et du chômage, l’échec de la conférence du désarmement, enfin et surtout les exemples du commun
40 du fascisme italien. Peut-être aussi la mollesse de la politique franco-anglaise jusqu’à Munich, qui ménageait Hitler à t
41 trouvent impliquées des nations que l’on aime et de chères croyances… Mais quoi, la guerre présente nous rappelle au séri
42 , qui n’est pourtant pas luthérienne. Je m’excuse de tant d’évidences, et d’avoir à les rappeler à l’attention d’esprits s
43 est pourtant pas luthérienne. Je m’excuse de tant d’ évidences, et d’avoir à les rappeler à l’attention d’esprits si distin
44 luthérienne. Je m’excuse de tant d’évidences, et d’ avoir à les rappeler à l’attention d’esprits si distingués. a. Roug
45 vidences, et d’avoir à les rappeler à l’attention d’ esprits si distingués. a. Rougemont Denis de, « Erreurs sur l’Allem
46 on d’esprits si distingués. a. Rougemont Denis de , « Erreurs sur l’Allemagne », Gazette de Lausanne, Lausanne, 1 mai 19
47 nt Denis de, « Erreurs sur l’Allemagne », Gazette de Lausanne, Lausanne, 1 mai 1940, p. 1.
2 1940, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). « À cette heure où Paris… » (17 juin 1940)
48 À cette heure où Paris exsangue voile sa face d’ un nuage, et se tait, que son deuil soit le deuil du monde ! Nous sent
49 sait : si Paris est détruit, j’en perdrai le goût d’ être un Européen. La Ville Lumière n’est pas détruite : elle s’est éte
50 Paris est détruit, j’en perdrai le goût d’être un Européen . La Ville Lumière n’est pas détruite : elle s’est éteinte. Désert de
51 e n’est pas détruite : elle s’est éteinte. Désert de hautes pierres sans âme, cimetière… L’envahisseur avait prophétisé :
52 devant le sentiment, devant ce qui fait la valeur de la vie. Je songe au chef de guerre qui traverse aujourd’hui ces rues
53 ce qui fait la valeur de la vie. Je songe au chef de guerre qui traverse aujourd’hui ces rues les plus émouvantes du monde
54 nde : Il ne les connaîtra jamais. Il ne verra que d’ aveugles façades. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’irre
55 d’aveugles façades. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais
56 es. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’ irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais qu’on ne peut co
57 é à tout jamais de quelque chose d’irremplaçable, de quelque chose qu’on peut tuer, mais qu’on ne peut conquérir par la fo
58 les servants des Panzerdivisionen. Quelque chose d’ indéfinissable et que nous appelions Paris. C’est ici l’impuissance tr
59 appelions Paris. C’est ici l’impuissance tragique de ce conquérant victorieux : Tout ce qu’il veut saisir se change à son
60 u’il veut saisir se change à son approche — Midas de l’ère prolétarienne — en fer tordu, en pierraille lépreuse. N’importe
61 du, en pierraille lépreuse. N’importe quel badaud d’ un soir de juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’un coucha
62 rraille lépreuse. N’importe quel badaud d’un soir de juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’un couchant sur Sai
63 e juin pouvait s’annexer pour toujours le bonheur d’ un couchant sur Saint-Germain-des-Prés, le grisant glissement de la fo
64 sur Saint-Germain-des-Prés, le grisant glissement de la foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de m
65 rmain-des-Prés, le grisant glissement de la foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sa
66 isant glissement de la foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage
67 foule de l’Arc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plu
68 rc aux Chevaux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et pl
69 aux de Marly, les siècles de grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et plus fière qu
70 e grandeur, de misère, de sagesse, dont le visage de cette capitale plus douce et plus fière qu’aucune autre portait les t
71 s pas un conquérant. La confrontation stupéfiante de cet homme et de cette Ville était peut-être nécessaire pour faire com
72 ant. La confrontation stupéfiante de cet homme et de cette Ville était peut-être nécessaire pour faire comprendre au monde
73 bles. On ne conquiert pas avec des chars les dons de l’âme et les raisons de vivre dont on manque. Qu’ils fassent dix fois
74 s avec des chars les dons de l’âme et les raisons de vivre dont on manque. Qu’ils fassent dix fois le tour du monde ! Ils
75 e. Jusqu’au jour bien plus terrifiant que le jour de la pire vengeance où, s’arrêtant enfin, ils comprendront qu’aucun tri
76 ls font. » Le 15 juin 1940. b. Rougemont Denis de , « À cette heure où Paris… », Gazette de Lausanne, Lausanne, 17 juin
77 nt Denis de, « À cette heure où Paris… », Gazette de Lausanne, Lausanne, 17 juin 1940, p. 1.
3 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). New York alpestre (14 février 1941)
78 ne m’avait dit que New York est une île en forme d’ un gratte-ciel couché. C’est la ville la plus simple du monde. Douze a
79 du monde. Douze avenues parallèles, dans le sens de la longueur, qui est d’une vingtaine de kilomètres, et deux-cent-cinq
80 parallèles, dans le sens de la longueur, qui est d’ une vingtaine de kilomètres, et deux-cent-cinquante rues de quatre kil
81 s le sens de la longueur, qui est d’une vingtaine de kilomètres, et deux-cent-cinquante rues de quatre kilomètres coupant
82 gtaine de kilomètres, et deux-cent-cinquante rues de quatre kilomètres coupant les avenues à angle droit. Au milieu, un pa
83 ant les avenues à angle droit. Au milieu, un parc de dix kilomètres carrés. C’est tout, c’est la cité de Manhattan… Mais l
84 dix kilomètres carrés. C’est tout, c’est la cité de Manhattan… Mais les faubourgs, au-delà du fleuve et du bras de mer qu
85 Mais les faubourgs, au-delà du fleuve et du bras de mer qui entourent l’île, s’étendent sur des espaces bien plus vastes,
86 es, îles et plaines reliées par un immense réseau de ponts, de tunnels et d’autostrades surélevées. Personne ne m’avait di
87 t plaines reliées par un immense réseau de ponts, de tunnels et d’autostrades surélevées. Personne ne m’avait dit, non plu
88 ées par un immense réseau de ponts, de tunnels et d’ autostrades surélevées. Personne ne m’avait dit, non plus, que New Yor
89 l couchant flambait les hauteurs des gratte-ciel, de cette couleur orangée aérienne qu’on voit aux crêtes des parois roche
90 des parois rocheuses alors que la vallée s’emplit d’ une ombre froide, et j’étais si bien au fond d’une gorge, dans cette r
91 it d’une ombre froide, et j’étais si bien au fond d’ une gorge, dans cette rue de briques noircies où circulait un vent âpr
92 étais si bien au fond d’une gorge, dans cette rue de briques noircies où circulait un vent âpre et salubre. La mer et la m
93 e mêlent. Les grands souffles océaniques, chargés de sel et d’aventure, viennent frapper les verticalités granitiques et a
94 Les grands souffles océaniques, chargés de sel et d’ aventure, viennent frapper les verticalités granitiques et argentées d
95 frapper les verticalités granitiques et argentées de l’Empire State, du Centre Rockefeller, du Chrysler, de cent autres de
96 Empire State, du Centre Rockefeller, du Chrysler, de cent autres de ces sommités célèbres que les New-Yorkais ne se lassen
97 u Centre Rockefeller, du Chrysler, de cent autres de ces sommités célèbres que les New-Yorkais ne se lassent pas de désign
98 és célèbres que les New-Yorkais ne se lassent pas de désigner, comme nous énumérons nos Alpes quand nous en contemplons la
99 ous en contemplons la chaîne, et qui leur servent de repères pour se diriger dans la ville. Le vent fou, l’air ozone, et l
100 ark, au milieu des prairies, vous voyez affleurer de larges dalles de granit. Autrefois les glaciers sont venus jusqu’ici 
101 s prairies, vous voyez affleurer de larges dalles de granit. Autrefois les glaciers sont venus jusqu’ici ! Ils couvraient
102 s sont venus jusqu’ici ! Ils couvraient la moitié de l’île, et la moraine s’étendait bien plus avant. Voici l’un des secre
103 ’étendait bien plus avant. Voici l’un des secrets de la démesure de Manhattan : seules ces assises de granit étaient capab
104 plus avant. Voici l’un des secrets de la démesure de Manhattan : seules ces assises de granit étaient capables de supporte
105 de la démesure de Manhattan : seules ces assises de granit étaient capables de supporter le formidable poids d’un gratte-
106 n : seules ces assises de granit étaient capables de supporter le formidable poids d’un gratte-ciel de cent étages. Et les
107 étaient capables de supporter le formidable poids d’ un gratte-ciel de cent étages. Et les blocs erratiques, débités en tra
108 de supporter le formidable poids d’un gratte-ciel de cent étages. Et les blocs erratiques, débités en tranches, polis et l
109 ules des plus riches buildings, reliques scellées d’ une antiquité souterraine. Bien des aspects physiques et moraux de la
110 souterraine. Bien des aspects physiques et moraux de la cité de Manhattan s’expliquent par ce sol et ce climat. Entre la P
111 . Bien des aspects physiques et moraux de la cité de Manhattan s’expliquent par ce sol et ce climat. Entre la Prairie proc
112 imat. Entre la Prairie proche et l’Océan, ce lieu d’ extrême civilisation matérielle demeure hanté par on ne sait quelle sa
113 sait quelle sauvagerie des hauteurs ; et ce lieu d’ extrême densité humaine demeure baigné d’une atmosphère irrévocablemen
114 ce lieu d’extrême densité humaine demeure baigné d’ une atmosphère irrévocablement désertique. Les Américains des plaines
115 ocablement désertique. Les Américains des plaines de l’Ouest, venant à New York, ont coutume de se plaindre de l’inhumanit
116 laines de l’Ouest, venant à New York, ont coutume de se plaindre de l’inhumanité que revêtent ici le climat et les rapport
117 st, venant à New York, ont coutume de se plaindre de l’inhumanité que revêtent ici le climat et les rapports humains. Ils
118 , dans leur ignorance, que c’est une ville trop «  européenne  »… Mais moi, je m’y sens contemporain de la préhistoire de quelque av
119  européenne »… Mais moi, je m’y sens contemporain de la préhistoire de quelque avenir démesuré. New York, janvier 1941.
120 s moi, je m’y sens contemporain de la préhistoire de quelque avenir démesuré. New York, janvier 1941. c. Rougemont Deni
121 ré. New York, janvier 1941. c. Rougemont Denis de , « New York alpestre », Gazette de Lausanne, Lausanne, 14 février 194
122 ougemont Denis de, « New York alpestre », Gazette de Lausanne, Lausanne, 14 février 1941, p. 1.
4 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). La route américaine (18 février 1941)
123 La route américaine (18 février 1941)d L’ Européen parle parfois de sa conception de la vie. Aux États-Unis, on parle to
124 ne (18 février 1941)d L’Européen parle parfois de sa conception de la vie. Aux États-Unis, on parle tous les jours de l
125 41)d L’Européen parle parfois de sa conception de la vie. Aux États-Unis, on parle tous les jours de l’american way of
126 e la vie. Aux États-Unis, on parle tous les jours de l’american way of life, littéralement : de la route américaine de la
127 jours de l’american way of life, littéralement : de la route américaine de la vie. Ce qui est pour nous concept, forme ar
128 y of life, littéralement : de la route américaine de la vie. Ce qui est pour nous concept, forme arrêtée, devient chez eux
129 t indéfini. C’est pourquoi je prendrai les routes d’ Amérique comme un symbole du rêve et de la volonté du Nouveau Monde. O
130 les routes d’Amérique comme un symbole du rêve et de la volonté du Nouveau Monde. On croyait close l’ère des pionniers, l’
131 close l’ère des pionniers, l’ère des défricheurs de savanes qui firent reculer la frontière de décade en décade, à traver
132 cheurs de savanes qui firent reculer la frontière de décade en décade, à travers le Far West, jusqu’à ce qu’ils eussent re
133 vait plus rien ajouter aux plus hauts gratte-ciel de New York, à ces grandiloquents témoins de la crise de 1929, où les af
134 te-ciel de New York, à ces grandiloquents témoins de la crise de 1929, où les affaires périssent et les bureaux se vident
135 ew York, à ces grandiloquents témoins de la crise de 1929, où les affaires périssent et les bureaux se vident au-dessus du
136 grand malaise étreignait l’âme américaine, prise de nausée dès qu’elle ressent l’approche d’une limite infranchissable. O
137 e, prise de nausée dès qu’elle ressent l’approche d’ une limite infranchissable. Où s’élancer encore ? Comment sortir de ce
138 anchissable. Où s’élancer encore ? Comment sortir de cet embouteillage de richesses matérielles ? Il restait à construire
139 ncer encore ? Comment sortir de cet embouteillage de richesses matérielles ? Il restait à construire des routes. Depuis di
140 rades américaines allongent sans répit leur ruban de béton, semblables à la trace d’un grand fer à repasser au travers des
141 répit leur ruban de béton, semblables à la trace d’ un grand fer à repasser au travers des savanes, des cultures et des te
142 tinent. Personne n’en parle. On n’a pas eu besoin de changer de régime pour le réaliser. Les autostrades américaines ne so
143 sonne n’en parle. On n’a pas eu besoin de changer de régime pour le réaliser. Les autostrades américaines ne sont pas une
144 ntre le chômage. Elles sont le produit du rêve et de la vitalité inépuisable d’un peuple libre, et qui voit grand sans se
145 le produit du rêve et de la vitalité inépuisable d’ un peuple libre, et qui voit grand sans se forcer. Voici enfin un spec
146 onserver, ici ou là, un grand arbre isolé, témoin de la Prairie. Trois pistes blanches délimitées par des lignes jaunes et
147 noires, entre lesquelles se déplacent lentement, de droite à gauche, de gauche à droite, entre 100 et 130 à l’heure, des
148 elles se déplacent lentement, de droite à gauche, de gauche à droite, entre 100 et 130 à l’heure, des millions de larges v
149 droite, entre 100 et 130 à l’heure, des millions de larges voitures. Une telle aisance dans la vitesse, l’absence de seco
150 res. Une telle aisance dans la vitesse, l’absence de secousses et d’obstacles, l’enivrante continuité du déferlement génér
151 isance dans la vitesse, l’absence de secousses et d’ obstacles, l’enivrante continuité du déferlement général, tout cela vo
152 cela vous donne après quelques minutes l’illusion d’ une puissance immobile qui vaincrait la distance par le charme, attira
153 le charme, attirant les villes à soi et déplaçant de vastes paysages au gré d’une curiosité rêveuse. Mais soudain le regar
154 lles à soi et déplaçant de vastes paysages au gré d’ une curiosité rêveuse. Mais soudain le regard est pris par un panneau
155 aillé à bout portant par cent, par mille panneaux de toutes formes et couleurs. Sans relâche, ils croissent en gros plan e
156 il s’éduque et se mette à déchiffrer cette espèce de manuel de conduite et de morale élémentaire (avec publicité dans le t
157 e et se mette à déchiffrer cette espèce de manuel de conduite et de morale élémentaire (avec publicité dans le texte) dont
158 déchiffrer cette espèce de manuel de conduite et de morale élémentaire (avec publicité dans le texte) dont les phrases fr
159 passez à gauche… Avez-vous pensé à l’anniversaire de votre femme ?… Donnez-lui un aspirateur Smith… Des bonbons Johnson… I
160 Ici, trois tués par jour… Lisez la Bible… Cabines de touristes à 100 yards… Ferry-boat du Delaware en grève… Faites un dét
161 êtez-vous à l’Hôtel Franklin… Ralentissez, légion de daims… Les partis se réconcilient… autour d’un verre de Champagne Ren
162 gion de daims… Les partis se réconcilient… autour d’ un verre de Champagne Renault !… Avez-vous vérifié votre niveau d’huil
163 ms… Les partis se réconcilient… autour d’un verre de Champagne Renault !… Avez-vous vérifié votre niveau d’huile ?… L’État
164 ampagne Renault !… Avez-vous vérifié votre niveau d’ huile ?… L’État de Pennsylvanie vous souhaite la bienvenue… Et limite
165 mite votre vitesse à cinquante miles… 500 dollars d’ amende ou un an de prison… ou les deux ensemble… Dieu bénisse l’Amériq
166 à cinquante miles… 500 dollars d’amende ou un an de prison… ou les deux ensemble… Dieu bénisse l’Amérique… » Je ferme les
167 couvert les 400 kilomètres qui séparent le centre de New York de Washington, en traversant deux villes énormes : Philadelp
168 vitesse rétrécit l’espace américain ; les routes de la vitesse lui créent enfin des cadres. Quand cette surface sera suff
169 ganisée, vers quoi se tournera l’effort collectif de ce peuple ? Peut-être vers la profondeur, vers la culture, vers ces p
170 véritable : celui que chacun porte en soi, celui de l’âme inépuisable. Ce jour-là, les glorieux highways aboutiront enfin
171 aboutiront enfin à l’Homme. d. Rougemont Denis de , « La route américaine », Gazette de Lausanne, Lausanne, 18 février 1
172 gemont Denis de, « La route américaine », Gazette de Lausanne, Lausanne, 18 février 1941, p. 1.
5 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Souvenir de la paix française (15 mars 1941)
173 Souvenir de la paix française (15 mars 1941)e Périgny… C’était bien ce nom-là 
174 était bien ce nom-là ? Un long village en bordure de la route. D’un côté, les maisons dominaient une vallée, de l’autre el
175 nom-là ? Un long village en bordure de la route. D’ un côté, les maisons dominaient une vallée, de l’autre elles s’élevaie
176 te. D’un côté, les maisons dominaient une vallée, de l’autre elles s’élevaient à peine d’un étage au-dessus des champs de
177 une vallée, de l’autre elles s’élevaient à peine d’ un étage au-dessus des champs de roses et des blés aux bords du platea
178 élevaient à peine d’un étage au-dessus des champs de roses et des blés aux bords du plateau de la Brie. Je montais vers Pé
179 champs de roses et des blés aux bords du plateau de la Brie. Je montais vers Périgny par un sentier fort raide entre les
180 entier fort raide entre les ronces, aboutissant à de vieux escaliers. Une seule rangée de maisons à traverser, et l’on par
181 boutissant à de vieux escaliers. Une seule rangée de maisons à traverser, et l’on parvient dans la grand-rue : comme elle
182 ns la grand-rue : comme elle est vide ! Les toits d’ ardoises ne dépassent pas les façades nues, brunies par l’âge, palmées
183 même les cafés. Et s’il passe une auto, c’est une de ces voitures branlantes qui semblent ne pouvoir rouler que sur les ro
184 nt ne pouvoir rouler que sur les routes écartées, d’ une ferme au marché le plus proche. Nulle part au monde la vie n’appar
185 tin. Je longeais cette rue silencieuse, imaginant d’ y vivre un jour, dans une fermette aux volets pâles, sans adresse, au
186 s routes prend à droite, vers la plaine, escortée de quelques maisons ; l’autre s’incline lentement vers la vallée, dans l
187 blés. J’étais là fasciné comme par la découverte d’ un secret de pudeur naïvement dévoilé. Secret de ce village aux volets
188 is là fasciné comme par la découverte d’un secret de pudeur naïvement dévoilé. Secret de ce village aux volets clos. Imagi
189 e d’un secret de pudeur naïvement dévoilé. Secret de ce village aux volets clos. Imaginant une idylle muette. Celui qui re
190 tils sont là, contre le mur. Il reprend le chemin de son champ. En passant au carrefour, il s’est dit : Peut-être est-elle
191  : Peut-être est-elle à Mandres ; c’est donc jour de marché. Il a écrit ces mots. Elle saura bien. Il a rejoint l’usage du
192 a rejoint l’usage du pays, l’intimité des choses de toujours. Et le moindre signe suffit. Je suis redescendu vers la vall
193 e signe suffit. Je suis redescendu vers la vallée de l’Yerre, qui coule entre des saules et des peupliers blancs. Il faisa
194 iers blancs. Il faisait lourd et doux, le goudron de la route sentait plus fort que les champs de roses, et des nuages noi
195 dron de la route sentait plus fort que les champs de roses, et des nuages noirs traînaient sur les vergers. J’ai su, plus
196 ait mes adieux à la France. e. Rougemont Denis de , « Souvenir de la paix française », Gazette de Lausanne, Lausanne, 15
197 à la France. e. Rougemont Denis de, « Souvenir de la paix française », Gazette de Lausanne, Lausanne, 15 mars 1941, p. 
198 is de, « Souvenir de la paix française », Gazette de Lausanne, Lausanne, 15 mars 1941, p. 1.
6 1946, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Monsieur Denis de Rougemont, de passage en Europe, nous dit… [Entretien] (4 mai 1946)
199 Monsieur Denis de Rougemont, de passage en Europe, nous dit… [Entretien] (4 mai 1946)f g Monsieur,
200 Monsieur Denis de Rougemont, de passage en Europe , nous dit… [Entretien] (4 mai 1946)f g Monsieur, quel bon vent vou
201 nsieur, quel bon vent vous amène ? J’avais besoin de me retrouver dans une atmosphère française ; la production littéraire
202 venu en Suisse directement ? Oui, à part un arrêt de quelques jours à Paris. Votre impression de la capitale française ? J
203 arrêt de quelques jours à Paris. Votre impression de la capitale française ? J’ai été frappé par son extraordinaire beauté
204 était-ce pas le contraste avec ces grands diables d’ Américains ? Non, car en Suisse je n’ai rien éprouvé de semblable. À P
205 ricains ? Non, car en Suisse je n’ai rien éprouvé de semblable. À Paris c’était véritablement oppressant… Remontons le cou
206 tait véritablement oppressant… Remontons le cours de votre voyage. Puis-je vous demander où vous aviez vos assises en Amér
207 ps où la Suisse vous avait en quelque sorte perdu de vue ? J’ai surtout habité New York, à part les quatre mois que j’ai p
208 e les conférences n’étaient pas un très bon moyen de propagande. Les Américains en écoutent énormément, et les oublient le
209 n avec Mme Maurice Muret, qui s’intitule Le Cœur de l’Europe et qui eut un grand succès. C’est le seul ouvrage que les A
210 c Mme Maurice Muret, qui s’intitule Le Cœur de l’ Europe et qui eut un grand succès. C’est le seul ouvrage que les Américains
211 effet. Qu’y enseigniez-vous ? J’avais une chaire de philosophie-sociologie. Mes collègues, de Strasbourg, Rouen, la Sorbo
212 chaire de philosophie-sociologie. Mes collègues, de Strasbourg, Rouen, la Sorbonne, etc. étaient charmants. La vie intell
213 New York ? Au point que trois maisons françaises d’ édition s’y sont fondées pendant la guerre. J’ajoute que l’École des h
214 des hautes études a lancé une revue, Renaissance. De là, j’ai passé au ministère américain de l’information de guerre, où
215 issance. De là, j’ai passé au ministère américain de l’information de guerre, où j’étais chargé de l’émission « La voix de
216 ’ai passé au ministère américain de l’information de guerre, où j’étais chargé de l’émission « La voix de l’Amérique parle
217 ain de l’information de guerre, où j’étais chargé de l’émission « La voix de l’Amérique parle aux Français », retransmise
218 guerre, où j’étais chargé de l’émission « La voix de l’Amérique parle aux Français », retransmise par Londres. Il me falla
219 chaque jour 20 à 30 pages, soit un quart d’heure de nouvelles et autant de commentaires, dans un bruit trépidant et en s’
220 ges, soit un quart d’heure de nouvelles et autant de commentaires, dans un bruit trépidant et en s’inspirant des directive
221 et en s’inspirant des directives des chefs locaux de Londres et des Américains. C’était extrêmement fatigant et j’ai aband
222 mythes grecs : Doctrine fabuleuse  ; un recueil d’ articles intitulé Vues sur l’Amérique  ; et 18 Lettres sur la bombe
223 anglais, en danois, en hollandais, en espagnol), d’ un style du genre voltairien, dans lesquelles je montre que les armées
224 tairien, dans lesquelles je montre que les armées de masse sont devenues inutiles et que la guerre militaire est morte, et
225 du diable et Les Personnes du drame . D’autres de mes ouvrages seront traduits. En outre, on va rééditer à Paris Polit
226 uits. En outre, on va rééditer à Paris Politique de la personne , Penser avec les mains et L’Amour et l’Occident . Vou
227 consacrer entièrement à mes livres. Quelques-unes de vos lettres sur la bombe atomique ont paru dans Le Figaro  ? Oui, el
228 andale dans certains milieux, mais aussi beaucoup d’ approbations enthousiastes. Savez-vous si les Soviets ont, pu s’empare
229 z-vous si les Soviets ont, pu s’emparer du secret de la bombe atomique ? Non, et nul ne le sait, je crois, en Amérique. Ma
230 ue. Mais une polémique ardente, sur l’opportunité de le livrer, alimente encore quotidiennement la chronique, là-bas. Avez
231 qui a ses valeurs à elle. Peut-on employer ce mot de civilisation pour un peuple si neuf ? Disons que leur conception de l
232 ur un peuple si neuf ? Disons que leur conception de la vie est différente. C’est une question de mœurs, de rapports quoti
233 tion de la vie est différente. C’est une question de mœurs, de rapports quotidiens. Ils n’ont pas de culture proprement di
234 vie est différente. C’est une question de mœurs, de rapports quotidiens. Ils n’ont pas de culture proprement dite, mais b
235 n de mœurs, de rapports quotidiens. Ils n’ont pas de culture proprement dite, mais bien une civilisation scientifique, non
236 s bien une civilisation scientifique, non exempte d’ un certain pédantisme. Des armées de savants étudient par exemple la m
237 , non exempte d’un certain pédantisme. Des armées de savants étudient par exemple la meilleure façon de s’alimenter, et la
238 e savants étudient par exemple la meilleure façon de s’alimenter, et la font enseigner aux écoliers. C’est d’ailleurs une
239 très belle race qui est en train de se former, et de gens extrêmement gentils. Y a-t-il bien, à votre avis, une puérilité
240 caine ? Et quel jugement porter sur les histoires d’ un pittoresque extravagant qui nous viennent de là-bas ? Puérils, ils
241 s yeux sur certains autres (par exemple, la manie de nous battre). À côté d’eux, nous sommes un peu « névrosés ». Ils sont
242 es (par exemple, la manie de nous battre). À côté d’ eux, nous sommes un peu « névrosés ». Ils sont évidemment très simplis
243 simplistes dans ce qu’ils impriment, et manquent d’ esprit critique. Quant à leurs loufoqueries, ne croyons pas qu’ils les
244 s qu’ils les prennent au sérieux : c’est un genre d’ humour qui leur plaît, et ils ne font que s’en amuser. Si on les compa
245 y est toujours vrai quelque part. C’est un résumé de la planète. On se sent à New York, en particulier, si cosmopolite auj
246 nt, il faudrait que le plus grand nombre possible d’ Européens eussent l’occasion de quitter leur « province » pour s’y ren
247 , il faudrait que le plus grand nombre possible d’ Européens eussent l’occasion de quitter leur « province » pour s’y rendre. N’on
248 nd nombre possible d’Européens eussent l’occasion de quitter leur « province » pour s’y rendre. N’ont-ils donc rien à crai
249 » pour s’y rendre. N’ont-ils donc rien à craindre de l’américanisme ? Pour ce qui est du matérialisme, avec son culte du c
250 est du matérialisme, avec son culte du confort et de la machine, son admiration pour le progrès technique, les Américains
251 pas grand-chose à nous apprendre, et c’est là une de leurs grandes ressemblances (il y en a beaucoup) avec les Suisses. No
252 up) avec les Suisses. Non, plutôt que l’influence de la standardisation matérielle, c’est la standardisation de la pensée
253 ndardisation matérielle, c’est la standardisation de la pensée qui me paraît très dangereuse. De la pensée et des jugement
254 ation de la pensée qui me paraît très dangereuse. De la pensée et des jugements moraux : par la synchronisation de la pres
255 et des jugements moraux : par la synchronisation de la presse ; par le prestige incroyable d’Hollywood, qui donne le ton,
256 isation de la presse ; par le prestige incroyable d’ Hollywood, qui donne le ton, et où l’Amérique semble copier l’image qu
257 l’Amérique semble copier l’image qu’elle s’y fait d’ elle-même ; par la baisse du niveau intellectuel auquel les éditeurs c
258 uel auquel les éditeurs contribuent en ne faisant de gros tirages que pour les ouvrages médiocres. Quand un livre a du suc
259 s auteurs américains sont beaucoup plus connus en Europe qu’en Amérique. Ce qui est tout à notre honneur ! L’Europe reste le c
260 ’en Amérique. Ce qui est tout à notre honneur ! L’ Europe reste le continent de la création. L’Amérique ne crée pas. Elle est p
261 out à notre honneur ! L’Europe reste le continent de la création. L’Amérique ne crée pas. Elle est plutôt complémentaire d
262 rique ne crée pas. Elle est plutôt complémentaire de l’Europe. Cela permettrait entre elles une entente fructueuse et soli
263 ne crée pas. Elle est plutôt complémentaire de l’ Europe . Cela permettrait entre elles une entente fructueuse et solide. Et, à
264 uctueuse et solide. Et, à ce propos, on a tort en Europe de craindre l’impérialisme américain. J’ai peur, quant à moi, qu’il n
265 e et solide. Et, à ce propos, on a tort en Europe de craindre l’impérialisme américain. J’ai peur, quant à moi, qu’il ne s
266 timide ! Car les Américains redoutent énormément d’ avoir l’air impérialiste. Et cette politique pourrait avoir d’assez gr
267 r impérialiste. Et cette politique pourrait avoir d’ assez graves conséquences pour l’Europe…1 1. L’entretien se termine
268 pourrait avoir d’assez graves conséquences pour l’ Europe …1 1. L’entretien se termine par un commentaire conclusif de l’inte
269 entretien se termine par un commentaire conclusif de l’interviewer : « Nous devons arrêter là cette interview ; nous ne do
270 view ; nous ne doutons pas que les considérations de l’écrivain neuchâtelois — que nous espérons n’avoir point trahies en
271 ont vivement nos lecteurs. » f. Rougemont Denis de , « [Entretien] Monsieur Denis de Rougemont, de passage en Europe, nou
272 is de, « [Entretien] Monsieur Denis de Rougemont, de passage en Europe, nous dit… », Gazette de Lausanne, Lausanne, 4 mai
273 etien] Monsieur Denis de Rougemont, de passage en Europe , nous dit… », Gazette de Lausanne, Lausanne, 4 mai 1946, p. 3. g. Ce
274 emont, de passage en Europe, nous dit… », Gazette de Lausanne, Lausanne, 4 mai 1946, p. 3. g. Ces propos, recueillis par
275 es propos, recueillis par C.-P. B., sont précédés de l’introduction suivante : « Après une absence de quelque six années M
276 de l’introduction suivante : « Après une absence de quelque six années M. Denis de Rougemont est revenu au pays de Neuchâ
277 x années M. Denis de Rougemont est revenu au pays de Neuchâtel, dont il est une des fiertés. Ce retour n’est d’ailleurs qu
278 automne. Il a bien voulu nous accorder la primeur d’ une interview, ce dont nous le remercions ici très vivement. »
7 1947, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Consolation à Me Duperrier sur un procès perdu (5 décembre 1947)
279 t Me Duperrier : — Rougemont s’est mis au service d’ une propagande étrangère, comme Oltramare ; il a parlé à la radio, com
280 vient un réquisitoire, et l’avocat fait une drôle de figure. Ou bien il faut acquitter Oltramare, mais alors il n’y a pas
281 acquitter Oltramare, mais alors il n’y a pas lieu de me dénoncer, tout ce discours retombe à plat, et notre avocat perd la
282 avocat perd la face. 2. Mais où est l’homme sain d’ esprit qui peut admettre que j’aie vraiment agi comme Oltramare ? Nous
283 ais par ce procédé l’on pourrait accuser la ville de Lyon des méfaits d’un lion du désert, et Malherbe d’avoir consolé Dup
284 ’on pourrait accuser la ville de Lyon des méfaits d’ un lion du désert, et Malherbe d’avoir consolé Duperrier — celui qui a
285 Lyon des méfaits d’un lion du désert, et Malherbe d’ avoir consolé Duperrier — celui qui a perdu son procès. La seule quest
286 euse qui se posait, notre avocat s’est bien gardé de la formuler, c’est celle du contenu des émissions. Oltramare a parlé
287 ramare a parlé en faveur des nazis, ennemis jurés de toute démocratie, donc de la Suisse. J’écrivais contre les nazis, pou
288 es nazis, ennemis jurés de toute démocratie, donc de la Suisse. J’écrivais contre les nazis, pour les démocraties, donc po
289 ue je faisais en Amérique exactement le contraire d’ Oltramare à Paris. Si Me Duperrier ne sent pas la différence, essayons
290 Me Duperrier ne sent pas la différence, essayons de l’éclairer par une fable. Supposons que j’aie tant et si bien parlé à
291 uger sommairement, et Me Duperrier se voit chargé d’ office de ma défense. Que va-t-il dire ? Il n’hésite pas : il dit que
292 airement, et Me Duperrier se voit chargé d’office de ma défense. Que va-t-il dire ? Il n’hésite pas : il dit que j’ai fait
293 ctement le contraire. On me fusille et on le pend d’ office. Fin de la douleur de Duperrier. Mais voilà !… les Américains o
294 traire. On me fusille et on le pend d’office. Fin de la douleur de Duperrier. Mais voilà !… les Américains ont gagné la gu
295 fusille et on le pend d’office. Fin de la douleur de Duperrier. Mais voilà !… les Américains ont gagné la guerre. La Suiss
296 orné à le punir un peu. Son avocat garde le droit de me dénoncer pour avoir combattu l’hitlérisme, et Aragon le droit de m
297 r avoir combattu l’hitlérisme, et Aragon le droit de me calomnier sous un prétexte exactement inverse. Je garde le droit d
298 un prétexte exactement inverse. Je garde le droit de répondre, et même de rire. Et vous, lecteurs, vous gardez le droit de
299 t inverse. Je garde le droit de répondre, et même de rire. Et vous, lecteurs, vous gardez le droit de juger toute cette af
300 de rire. Et vous, lecteurs, vous gardez le droit de juger toute cette affaire, mon livre en main, selon votre conscience
301 ffaire, mon livre en main, selon votre conscience de citoyens de la plus vieille démocratie du monde. Jugez donc ! et dite
302 livre en main, selon votre conscience de citoyens de la plus vieille démocratie du monde. Jugez donc ! et dites avec moi q
303 s des morts, ou je ne sais quels esclaves honteux de vivre. h. Rougemont Denis de, « Consolation à Me Duperrier sur un
304 esclaves honteux de vivre. h. Rougemont Denis de , « Consolation à Me Duperrier sur un procès perdu », Gazette de Lausa
305 ion à Me Duperrier sur un procès perdu », Gazette de Lausanne, Lausanne, 5 décembre 1947, p. 3. i. Le texte est précédé d
306 e est précédé du chapeau suivant : « Mis en cause de singulière manière au procès Oltramare par Me Duperrier, Denis de Rou
307 e Duperrier, Denis de Rougemont répond sur le ton de la plaisanterie dans le dernier Bulletin de la Guilde du livre. Voici
308 e ton de la plaisanterie dans le dernier Bulletin de la Guilde du livre. Voici la conclusion de ses réflexions narquoises 
309 lletin de la Guilde du livre. Voici la conclusion de ses réflexions narquoises ; elles intéresseront tous ceux, fort nombr
310 qui ont jugé… surprenant le procédé du défenseur d’ Oltramare. »
8 1949, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Les écrivains romands et Paris (10 septembre 1949)
311 imité du monde germanique. Mais nous n’avons rien de ce qu’il faut pour assurer le succès d’une œuvre : publicité, mouveme
312 vons rien de ce qu’il faut pour assurer le succès d’ une œuvre : publicité, mouvement autour d’un livre ou d’un auteur, app
313 succès d’une œuvre : publicité, mouvement autour d’ un livre ou d’un auteur, appuis sociaux, politiques ou financiers. Je
314 œuvre : publicité, mouvement autour d’un livre ou d’ un auteur, appuis sociaux, politiques ou financiers. Je ne sais trop s
315 rands », et ils sont à Paris. Nous faisons partie de la littérature française. Or, il se trouve que la France est un pays
316 demandant s’il existe pour lui « une possibilité de salut » comme écrivain, « un public, des appuis », etc., dans sa chèr
317 hère Bretagne natale ? Peut-être avez-vous raison de considérer la situation des écrivains romands comme un cas tout à fai
318 Paris, mais c’est le départ qui importe. Combien de grandes œuvres ont-elles été écrites, et publiées, au lieu même et da
319 ? J’en vois si peu, et je trouve en revanche tant d’ exemples éclatants des bienfaits littéraires de l’exil, — d’Ovide à Ri
320 nt d’exemples éclatants des bienfaits littéraires de l’exil, — d’Ovide à Rilke ou à T. S. Eliot, de Dante à Paul Claudel o
321 éclatants des bienfaits littéraires de l’exil, —  d’ Ovide à Rilke ou à T. S. Eliot, de Dante à Paul Claudel ou à James Joy
322 es de l’exil, — d’Ovide à Rilke ou à T. S. Eliot, de Dante à Paul Claudel ou à James Joyce — que j’en viens à me demander
323 a plus bénéfique à la fois) n’est pas précisément de vivre et de créer loin de son milieu et de sa province natale. Même e
324 ique à la fois) n’est pas précisément de vivre et de créer loin de son milieu et de sa province natale. Même et surtout si
325 sément de vivre et de créer loin de son milieu et de sa province natale. Même et surtout si l’on doit tirer de ce milieu,
326 ovince natale. Même et surtout si l’on doit tirer de ce milieu, de cette province, le meilleur de son inspiration. j. R
327 Même et surtout si l’on doit tirer de ce milieu, de cette province, le meilleur de son inspiration. j. Rougemont Denis
328 irer de ce milieu, de cette province, le meilleur de son inspiration. j. Rougemont Denis de, « [Réponse à une enquête]
329 eilleur de son inspiration. j. Rougemont Denis de , « [Réponse à une enquête] Les écrivains romands et Paris », Gazette
330 nquête] Les écrivains romands et Paris », Gazette de Lausanne, Lausanne, 10 septembre 1949, p. 12. k. L’enquête à laquell
331 hapeau suivant : « Récemment, notre correspondant de Paris, Jean-Pierre Moulin, a posé dans nos colonnes les trois questio
332 a réalité romande ou même helvétique des éléments d’ appréciation suffisants pour alimenter une littérature qui ne soit pas
333 et strictement « locale » ? 2. A-t-il des chances d’ être compris par ses compatriotes ? Trouvera-t-il un public ? Des appu
334 aris n’est-il pas, en même temps qu’une tentative de retrouver ailleurs ce que l’on ne trouve pas dans son pays, une fuite
335 ite, loin de ce que Ramuz appelle “le train-train d’ une vie moyenne où l’exception, n’a point de part” ? Après les réponse
336 train d’une vie moyenne où l’exception, n’a point de part” ? Après les réponses de J.-E. Chable, Robert de Traz, Marcel Ro
337 xception, n’a point de part” ? Après les réponses de J.-E. Chable, Robert de Traz, Marcel Rosset, Frédéric Barbey, Maurice
338 irard, Jean Nicollier, Suzanne Delacoste et celle de Clarisse Francillon, publiées ces dernières semaines, voici l’avis de
339 on, publiées ces dernières semaines, voici l’avis de Paul Chaponnière, Jacques Mercanton, Denis de Rougemont et de Corinna
340 onnière, Jacques Mercanton, Denis de Rougemont et de Corinna Bille. D’autres suivront la semaine prochaine. […] Ce sont la
341 oncision et la vigueur qui distinguent la réponse de M. Denis de Rougemont. Si ce Suisse très cosmopolite reconnaît, à son
342 lite reconnaît, à son tour, que notre pays manque de ce qui est indispensable au succès d’une œuvre littéraire, il ne se r
343 pays manque de ce qui est indispensable au succès d’ une œuvre littéraire, il ne se répand point en lamentations. Au contra
9 1949, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe est encore un espoir (8 décembre 1949)
344 L’ Europe est encore un espoir (8 décembre 1949)l m Votre lettre est la meil
345 1949)l m Votre lettre est la meilleure preuve de l’urgence de notre congrès. Elle dit tout haut ce que pensent des mil
346 Votre lettre est la meilleure preuve de l’urgence de notre congrès. Elle dit tout haut ce que pensent des millions. Et ell
347 e le dit sans précautions, avec la calme outrance de la désillusion. Elle dit deux mots : trop tard. D’autres nous disent 
348 une hâte « imprudente », la différence n’est pas de jugement politique, mais d’expérience humaine, et surtout de souffran
349 différence n’est pas de jugement politique, mais d’ expérience humaine, et surtout de souffrance. Vous avez trop souffert
350 politique, mais d’expérience humaine, et surtout de souffrance. Vous avez trop souffert la longue horreur des camps pour
351 a longue horreur des camps pour croire au sursaut de l’humain qui pourrait seul sauver l’Europe. Les autres dorment. Ils n
352 au sursaut de l’humain qui pourrait seul sauver l’ Europe . Les autres dorment. Ils n’ont pas encore vu qu’on ne leur laissera p
353 as encore vu qu’on ne leur laissera plus le temps d’ être prudents. Trop tard, dites-vous. « L’Europe n’existe plus ». Les
354 temps d’être prudents. Trop tard, dites-vous. « L’ Europe n’existe plus ». Les Russes et les Américains vont lui régler son com
355 a tout notre espoir, bien plus, il y a le ressort de notre action. Je voudrais vous montrer que ce presque est une réalité
356 ut. Mon argument sera simple, le voici : Si notre Europe n’existait plus, si c’était vrai, vous ne pourriez plus même le dire,
357 t « ouverte ». C’est qu’il y a donc encore un peu d’ Europe vivante. L’Europe existe encore, là où le cri des hommes n’est
358 « ouverte ». C’est qu’il y a donc encore un peu d’ Europe vivante. L’Europe existe encore, là où le cri des hommes n’est pas ét
359 qu’il y a donc encore un peu d’Europe vivante. L’ Europe existe encore, là où le cri des hommes n’est pas étouffé dans leur bo
360 ouffé dans leur bouche, ou dans les sources mêmes de leur révolte. Vous allez me dire : « Ce n’est qu’une survivance. En r
361 ivance. En réalité, les jeux sont faits. Le droit de parler nous est encore laissé, mais c’est qu’il n’a plus d’importance
362 nous est encore laissé, mais c’est qu’il n’a plus d’ importance. La possibilité d’agir nous est ôtée. » Venez donc à Lausan
363 c’est qu’il n’a plus d’importance. La possibilité d’ agir nous est ôtée. » Venez donc à Lausanne, et nous en discuterons. (
364 Venez donc à Lausanne, et nous en discuterons. (L’ Europe existe encore, là où le dialogue existe.) Vous parlez de la « dernièr
365 te encore, là où le dialogue existe.) Vous parlez de la « dernière illusion de l’Europe ». J’en vois une autre, et votre l
366 ue existe.) Vous parlez de la « dernière illusion de l’Europe ». J’en vois une autre, et votre lettre la traduit d’une man
367 iste.) Vous parlez de la « dernière illusion de l’ Europe  ». J’en vois une autre, et votre lettre la traduit d’une manière émou
368 . J’en vois une autre, et votre lettre la traduit d’ une manière émouvante. C’est l’illusion causée par la désillusion. Ell
369 andue, elle est si fascinante qu’elle risque bien de provoquer, comme tout vertige, la chute qu’elle imagine. Cette illusi
370 vertige, la chute qu’elle imagine. Cette illusion d’ optique consiste à voir une toute petite Europe ruinée entre deux colo
371 lusion d’optique consiste à voir une toute petite Europe ruinée entre deux colosses agressifs. Secouons-nous, détournons les y
372 ses agressifs. Secouons-nous, détournons les yeux de cet abîme d’angoisse, et calculons. Le tableau change en un clin d’œi
373 . Secouons-nous, détournons les yeux de cet abîme d’ angoisse, et calculons. Le tableau change en un clin d’œil. À l’ouest
374 leau change en un clin d’œil. À l’ouest du rideau de fer, nous sommes 300 millions : c’est deux fois plus que l’Amérique,
375 s satellites. Sur ces 300 millions, dix pour cent de communistes ? Mais sur les 100 millions de satellites, quatre-vingt-d
376 r cent de communistes ? Mais sur les 100 millions de satellites, quatre-vingt-dix pour cent qui ne sont pas communistes. U
377 gt-dix pour cent qui ne sont pas communistes. Une Europe en partie ruinée ? Mais elle relève déjà ses industries ; et l’URSS n
378 traitée mieux qu’elle, qu’on s’en souvienne. Une Europe entre deux colosses ? Mais gardons-nous des fausses symétries. La sym
379 us des fausses symétries. La symétrie est une loi de la paresse, autant qu’un procédé de construction. Dans toutes les cho
380 e est une loi de la paresse, autant qu’un procédé de construction. Dans toutes les choses humaines, elle est une illusion.
381 sion. Il est vrai que l’Amérique souhaite l’union de l’Europe. Ce n’est pas la même union que les Russes nous imposeraient
382 Il est vrai que l’Amérique souhaite l’union de l’ Europe . Ce n’est pas la même union que les Russes nous imposeraient ! L’Amér
383 les Russes nous imposeraient ! L’Amérique veut l’ Europe unie, parce qu’elle a besoin de nous en tant qu’Européens, autonomes,
384 érique veut l’Europe unie, parce qu’elle a besoin de nous en tant qu’Européens, autonomes, et même concurrents, non pas en
385 e unie, parce qu’elle a besoin de nous en tant qu’ Européens , autonomes, et même concurrents, non pas en tant qu’esclaves coûteux
386 claves coûteux à entretenir. Et nous avons besoin de l’Amérique, en retour ; nous n’avons pas besoin des Russes. Les Améri
387 s besoin des Russes. Les Américains seront forcés de nous forcer à l’union ou de nous abandonner, si nous n’arrivons pas,
388 ricains seront forcés de nous forcer à l’union ou de nous abandonner, si nous n’arrivons pas, d’ici deux ans, à nous fédér
389 x ans, à nous fédérer librement. Il ne dépend que de nous d’y réussir. Les jeux ne sont donc pas faits. Il nous reste deux
390 nous fédérer librement. Il ne dépend que de nous d’ y réussir. Les jeux ne sont donc pas faits. Il nous reste deux ans. No
391 s reste deux ans. Nous perdrons ces deux ans si l’ Europe dès maintenant se croit perdue, si elle cède au vertige, à l’illusion
392 oit perdue, si elle cède au vertige, à l’illusion d’ urne impuissance qui alors seulement deviendra vraie. Cher ami, vous a
393 endra vraie. Cher ami, vous avez quelques raisons d’ être plus pessimiste que d’autres. Tous ceux qui ont lu votre livre l’
394 t invité à la conférence, est indemne du reproche d’ avoir vendu vos peuples. Mais je pense que vous avez tort de proposer
395 ndu vos peuples. Mais je pense que vous avez tort de proposer qu’on choisisse un Grand Homme. Vous n’y croyez sans doute p
396 : « Ou bien un enfant… » Nous voici dans le temps de l’Avent, dans les nuits les plus longues de l’année. Cherchons ensemb
397 temps de l’Avent, dans les nuits les plus longues de l’année. Cherchons ensemble à distinguer les signes. Les Mages aussi
398 nfant qui a sauvé le monde. l. Rougemont Denis de , « L’Europe est encore un espoir », Gazette de Lausanne, Lausanne, 8
399 i a sauvé le monde. l. Rougemont Denis de, « L’ Europe est encore un espoir », Gazette de Lausanne, Lausanne, 8 décembre 194
400 is de, « L’Europe est encore un espoir », Gazette de Lausanne, Lausanne, 8 décembre 1949, p. 1. m. Rougemont répond ici à
401  1. m. Rougemont répond ici à une lettre ouverte de Virgil Gheorghiu parue dans le même numéro, à l’occasion de l’ouvertu
402 Gheorghiu parue dans le même numéro, à l’occasion de l’ouverture de la Conférence européenne de la culture, qui se tint à
403 dans le même numéro, à l’occasion de l’ouverture de la Conférence européenne de la culture, qui se tint à Lausanne du 8 a
404 éro, à l’occasion de l’ouverture de la Conférence européenne de la culture, qui se tint à Lausanne du 8 au 12 décembre 1949.
405 casion de l’ouverture de la Conférence européenne de la culture, qui se tint à Lausanne du 8 au 12 décembre 1949.
10 1953, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). « Ce qu’ils pensent de Noël… » [Réponse] (24 décembre 1953)
406 « Ce qu’ils pensent de Noël… » [Réponse] (24 décembre 1953)n Déjà les pasteurs et les prê
407 s et les prêtres se préparent à parler du message de Noël aux hommes de bonne volonté, répétant avec M. Romains une grave
408 préparent à parler du message de Noël aux hommes de bonne volonté, répétant avec M. Romains une grave erreur de traductio
409 olonté, répétant avec M. Romains une grave erreur de traduction. Car l’Évangile dans le texte original dit simplement : Pa
410 it simplement : Paix sur la terre, bonne volonté ( de Dieu) envers les hommes. Est-il besoin de la bombe, et des grèves, et
411 olonté (de Dieu) envers les hommes. Est-il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre
412 mes. Est-il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre endémique dans tout l’Orient, e
413 esoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne , et de la guerre endémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et d
414 be, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre endémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la pe
415 et de la guerre endémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la peur réciproques qui président aux rapports des
416 ndémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la peur réciproques qui président aux rapports des nations, et de l’a
417 roques qui président aux rapports des nations, et de l’antisémitisme et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l
418 ux rapports des nations, et de l’antisémitisme et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l’Europe pour que nous
419 et de l’antisémitisme et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l’Europe pour que nous comprenions que les homm
420 et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l’Europe pour que nous comprenions que les hommes ont fort peu de bon
421 e l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l’ Europe pour que nous comprenions que les hommes ont fort peu de bonne volont
422 t que subir leur condition. n. Rougemont Denis de , « [Réponse à une enquête] Ce qu’ils pensent de Noël… », Gazette de L
423 s de, « [Réponse à une enquête] Ce qu’ils pensent de Noël… », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 24 dé
424 ne enquête] Ce qu’ils pensent de Noël… », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 24 décembre 1953, p. 7.
11 1954, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Rejet de la CED : l’avis de Denis de Rougemont (20 septembre 1954)
425 Rejet de la CED : l’avis de Denis de Rougemont (20 septembre 1954)o Le rej
426 Rejet de la CED : l’avis de Denis de Rougemont (20 septembre 1954)o Le rejet de la CED par un
427 is de Rougemont (20 septembre 1954)o Le rejet de la CED par un seul pays vient de jeter tous les autres dans une crise
428 montrant ainsi, une fois de plus, que les nations de l’Europe sont solidaires en fait, pour le meilleur quand elles le rec
429 ant ainsi, une fois de plus, que les nations de l’ Europe sont solidaires en fait, pour le meilleur quand elles le reconnaissen
430 la journée des dupes du 30 août, les fédéralistes européens gardent une ferme orientation. L’échec de la CED n’est pas celui de l
431 européens gardent une ferme orientation. L’échec de la CED n’est pas celui de l’idée fédérale, mais celui d’une diplomati
432 me orientation. L’échec de la CED n’est pas celui de l’idée fédérale, mais celui d’une diplomatie qui tentait de « faire l
433 ED n’est pas celui de l’idée fédérale, mais celui d’ une diplomatie qui tentait de « faire l’Europe » à la sauvette, sans p
434 fédérale, mais celui d’une diplomatie qui tentait de « faire l’Europe » à la sauvette, sans poser la question dans son amp
435 s celui d’une diplomatie qui tentait de « faire l’ Europe  » à la sauvette, sans poser la question dans son ampleur, à tous. Il
436 détachées. Il faut enfin se décider à expliquer l’ Europe aux masses, avec franchise, en termes simples et concrets. La vraie l
437 termes simples et concrets. La vraie lutte pour l’ Europe commence. Elle ne sera pas gagnée dans ces lieux indécents que sont l
438 ée dans ces lieux indécents que sont les couloirs de parlements, mais dans les esprits et les cœurs. Et le reste suivra —
439 reste suivra — l’armée, l’économie — quand chacun de nos peuples aura compris qu’il s’agit de se sauver tous ensemble ou d
440 d chacun de nos peuples aura compris qu’il s’agit de se sauver tous ensemble ou de périr isolément. o. Rougemont Denis
441 ompris qu’il s’agit de se sauver tous ensemble ou de périr isolément. o. Rougemont Denis de, « Rejet de la CED : l’avis
442 mble ou de périr isolément. o. Rougemont Denis de , « Rejet de la CED : l’avis de D. de Rougemont », Gazette de Lausanne
443 érir isolément. o. Rougemont Denis de, « Rejet de la CED : l’avis de D. de Rougemont », Gazette de Lausanne, Lausanne,
444 . Rougemont Denis de, « Rejet de la CED : l’avis de D. de Rougemont », Gazette de Lausanne, Lausanne, 20 septembre 1954,
445 de la CED : l’avis de D. de Rougemont », Gazette de Lausanne, Lausanne, 20 septembre 1954, p. 4.
12 1957, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une lettre de Denis de Rougemont (16-17 février 1957)
446 Une lettre de Denis de Rougemont (16-17 février 1957)p Monsieur le rédacteur en
447 sieur le rédacteur en chef, Je vous serais obligé de rassurer vos lecteurs : la photo jointe à l’article « Au Pentagone :
448 rticle « Au Pentagone : Duncan Sandys » ( Gazette de Lausanne des 2-3 février 1957) n’est pas celle du ministre britanniqu
449 ier 1957) n’est pas celle du ministre britannique de la Défense. Elle représente un homme anxieux, aux traits tendus par l
450 é « piqué » par le photographe non point au terme d’ une mission brillamment réussie, mais plutôt pendant le cours d’un épu
451 brillamment réussie, mais plutôt pendant le cours d’ un épuisant congrès, comme fut le Congrès européen de la culture, qui
452 cours d’un épuisant congrès, comme fut le Congrès européen de la culture, qui se tint à Lausanne en décembre 1949. Mon ami Dunca
453 n épuisant congrès, comme fut le Congrès européen de la culture, qui se tint à Lausanne en décembre 1949. Mon ami Duncan S
454 , il est vrai, en tant que président du Mouvement européen . Votre photo me rappelle que je m’y trouvais aussi… Veuillez croire,
455 s sentiments bien cordiaux. p. Rougemont Denis de , « Une lettre de Denis de Rougemont », Gazette de Lausanne (supplémen
456 cordiaux. p. Rougemont Denis de, « Une lettre de Denis de Rougemont », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), La
457 de, « Une lettre de Denis de Rougemont », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 16–17 février 1957, p. 11
13 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Fédéralisme et culture (3-4 mars 1962)
458 sme et culture (3-4 mars 1962)q r Deux erreurs de méthode menacent toute tentative de réveil culturel en Suisse romande
459 Deux erreurs de méthode menacent toute tentative de réveil culturel en Suisse romande : l’esprit de clocher et l’esprit d
460 e de réveil culturel en Suisse romande : l’esprit de clocher et l’esprit d’administration. L’esprit de clocher tend à conf
461 Suisse romande : l’esprit de clocher et l’esprit d’ administration. L’esprit de clocher tend à confondre l’amour fédéralis
462 de clocher et l’esprit d’administration. L’esprit de clocher tend à confondre l’amour fédéraliste de la diversité avec la
463 t de clocher tend à confondre l’amour fédéraliste de la diversité avec la sauvegarde organisée, et si possible officielle,
464 sauvegarde organisée, et si possible officielle, de nos particularismes les plus désuets. Il voudrait que chacune de nos
465 arismes les plus désuets. Il voudrait que chacune de nos cités se suffise à elle-même dans tous les domaines : université,
466 iversité, radio, publications, etc. Et plutôt que de reconnaître que cela n’est pas possible, en plus d’un cas, il pousse
467 reconnaître que cela n’est pas possible, en plus d’ un cas, il pousse à préférer des solutions médiocres, mais « bien de c
468 e à préférer des solutions médiocres, mais « bien de chez nous », aux avantages que pourrait procurer une coopération sans
469 u pays. Votre congrès ayant pour premier objectif de surmonter cette tendance défensive, faussement traditionnelle et auta
470 faussement traditionnelle et autarcique, inutile d’ insister sur ce point. Mais c’est une autre erreur, inverse de la prem
471 ur ce point. Mais c’est une autre erreur, inverse de la première, qui ne cessera de vous tenter : celle de l’organisation
472 re erreur, inverse de la première, qui ne cessera de vous tenter : celle de l’organisation rationnelle d’activités qui par
473 a première, qui ne cessera de vous tenter : celle de l’organisation rationnelle d’activités qui par essence, ne le sont pa
474 vous tenter : celle de l’organisation rationnelle d’ activités qui par essence, ne le sont pas. Tout le secret du fédéralis
475 . Tout le secret du fédéralisme réside dans l’art de distinguer, de cas en cas, ce qui marcherait mieux en étant centralis
476 t du fédéralisme réside dans l’art de distinguer, de cas en cas, ce qui marcherait mieux en étant centralisé et ce qui mar
477 trop petites pour se payer chacune un laboratoire de recherches nucléaires, pour ne prendre que cet exemple. Mais qu’on ne
478 ites pour que s’y développent à foison des écoles de peintres, des galeries d’exposition, des troupes d’acteurs, des group
479 ent à foison des écoles de peintres, des galeries d’ exposition, des troupes d’acteurs, des groupes d’écrivains, voire des
480 peintres, des galeries d’exposition, des troupes d’ acteurs, des groupes d’écrivains, voire des petites revues qui exprime
481 d’exposition, des troupes d’acteurs, des groupes d’ écrivains, voire des petites revues qui expriment ces groupes avec l’i
482 sont tout de même devenues des foyers rayonnants de créations du premier ordre. Et cela, je crois, pour les deux raisons
483 : premièrement, la passion créatrice un peu folle de jeunes gens qui se groupaient en écoles, autour d’un maître du métier
484 e jeunes gens qui se groupaient en écoles, autour d’ un maître du métier ; secondement le sens de la dépense magnifique, le
485 utour d’un maître du métier ; secondement le sens de la dépense magnifique, le goût de la nouveauté et du somptueux, qui c
486 ndement le sens de la dépense magnifique, le goût de la nouveauté et du somptueux, qui caractérisent tant de princes et de
487 u somptueux, qui caractérisent tant de princes et de grands marchands de l’époque. Il est trop clair qu’à l’absence de cet
488 actérisent tant de princes et de grands marchands de l’époque. Il est trop clair qu’à l’absence de cette passion créatrice
489 nds de l’époque. Il est trop clair qu’à l’absence de cette passion créatrice et de ce sens du mécénat, nul comité de coord
490 lair qu’à l’absence de cette passion créatrice et de ce sens du mécénat, nul comité de coordination ne pourra jamais reméd
491 on créatrice et de ce sens du mécénat, nul comité de coordination ne pourra jamais remédier. Les comités ne peuvent faire,
492 es et par des petits groupes qui ne craignent pas de passer pour extravagants ou excessifs. Les comités sont par définitio
493 prudents et économes : leur rôle est normalement de rationaliser les activités dont ils s’occupent, pour les rendre plus
494 es ou plus rentables. Mais la culture vivante vit d’ imprudence, et prospère dans le gaspillage des forces et des sommes. J
495 s soyons encore, en Suisse romande, aux antipodes de ce climat d’excitation intellectuelle et artistique. Nos habitudes ut
496 re, en Suisse romande, aux antipodes de ce climat d’ excitation intellectuelle et artistique. Nos habitudes utilitaires, no
497 nitiatives hardies et protégeant en revanche trop de médiocrité pour peu qu’elles aient été un jour inscrites à quelque bu
498 lles aient été un jour inscrites à quelque budget d’ État, et sous prétexte de répartition géographique équitable — ce qui
499 éralisme — c’est tout cela qui mérite aujourd’hui d’ inquiéter les amis de la culture, et c’est aussi tout cela qui menace
500 cela qui mérite aujourd’hui d’inquiéter les amis de la culture, et c’est aussi tout cela qui menace dans ses sources notr
501 tre Suisse fédéraliste. Mais ce n’est pas le fait de supprimer nos douanes qui mettrait en danger nos « raisons d’être » !
502 nos douanes qui mettrait en danger nos « raisons d’ être » ! C’est bien plutôt le fait de ne plus s’intéresser qu’au nivea
503 os « raisons d’être » ! C’est bien plutôt le fait de ne plus s’intéresser qu’au niveau de notre vie matérielle, de traiter
504 ’intéresser qu’au niveau de notre vie matérielle, de traiter la culture en mendiante, de refuser de la faire participer à
505 e matérielle, de traiter la culture en mendiante, de refuser de la faire participer à une prospérité économique sans précé
506 e, de traiter la culture en mendiante, de refuser de la faire participer à une prospérité économique sans précédent. Nos r
507 prospérité économique sans précédent. Nos raisons d’ être et de rester Suisses ne sont pas des raisons économiques. Le fédé
508 économique sans précédent. Nos raisons d’être et de rester Suisses ne sont pas des raisons économiques. Le fédéralisme, j
509 s raisons économiques. Le fédéralisme, j’ai tenté de vous le montrer une fois de plus, vit des mêmes réalités spirituelles
510 es, et prend ses sources dans les mêmes attitudes de pensée que la culture créatrice. On ne sauvera pas l’un sans l’autre.
511 vera pas l’un sans l’autre. q. Rougemont Denis de , « Fédéralisme et culture », Gazette de Lausanne (supplément littérai
512 ont Denis de, « Fédéralisme et culture », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 3–4 mars 1962, p. 13. r.
513 t par le chapeau suivant : « Grâce à l’obligeance de M. Denis de Rougemont, nous publions un extrait de l’important exposé
514 e M. Denis de Rougemont, nous publions un extrait de l’important exposé qu’il présentera aujourd’hui au congrès pour une c
14 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Rectification (9 mars 1962)
515 1962)s Monsieur le directeur, Le compte rendu de ma conférence de samedi dernier au palais de Rumine appelle deux rect
516 ur le directeur, Le compte rendu de ma conférence de samedi dernier au palais de Rumine appelle deux rectifications. En ef
517 endu de ma conférence de samedi dernier au palais de Rumine appelle deux rectifications. En effet, « l’essentiel » de mon
518 le deux rectifications. En effet, « l’essentiel » de mon discours ne consistait nullement, comme l’écrit votre collaborate
519 rit votre collaborateur, à « vitupérer » l’esprit de clocher, dont j’ai très peu parlé, ou le matérialisme, mentionné dans
520 ule phrase, mais bien à insister sur la nécessité de sauvegarder à la fois et en pratique les droits de l’union et ceux de
521 e sauvegarder à la fois et en pratique les droits de l’union et ceux des autonomies locales, les droits de l’organisation
522 ’union et ceux des autonomies locales, les droits de l’organisation et ceux de la création. La moitié d’une vérité n’est q
523 ies locales, les droits de l’organisation et ceux de la création. La moitié d’une vérité n’est qu’une sottise, surtout lor
524 l’organisation et ceux de la création. La moitié d’ une vérité n’est qu’une sottise, surtout lorsqu’il s’agit de fédéralis
525 té n’est qu’une sottise, surtout lorsqu’il s’agit de fédéralisme ! Me faire dire que « tout le secret du fédéralisme » rés
526 tout le secret du fédéralisme » réside dans l’art de distinguer ce qui marcherait mieux en restant… anarchique, c’est donc
527 c me faire dire une sottise, dont je suis heureux de ne pas être l’auteur. Voici mon texte : « Tout le secret du fédéralis
528 « Tout le secret du fédéralisme réside dans l’art de distinguer, de cas en cas, ce qui marcherait mieux en étant centralis
529 t du fédéralisme réside dans l’art de distinguer, de cas en cas, ce qui marcherait mieux en étant centralisé, et ce qui ma
530 spersé, voire anarchique ». s. Rougemont Denis de , « Rectification », Gazette de Lausanne, Lausanne, 9 mars 1962, p. 2.
531 . Rougemont Denis de, « Rectification », Gazette de Lausanne, Lausanne, 9 mars 1962, p. 2.
15 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe est d’abord une culture (30 juin 1962)
532 L’ Europe est d’abord une culture (30 juin 1962)t À suivre les débats qui se
533 es avec le Marché commun, on croirait que l’union de l’Europe se réduit à des problèmes de tarifs douaniers et d’intérêts
534 ec le Marché commun, on croirait que l’union de l’ Europe se réduit à des problèmes de tarifs douaniers et d’intérêts commercia
535 que l’union de l’Europe se réduit à des problèmes de tarifs douaniers et d’intérêts commerciaux. J’estime donc opportun de
536 se réduit à des problèmes de tarifs douaniers et d’ intérêts commerciaux. J’estime donc opportun de rappeler les vraies di
537 et d’intérêts commerciaux. J’estime donc opportun de rappeler les vraies dimensions du problème, et en insistant sur ses a
538 nt sur ses aspects culturels et mondiaux. Je pars d’ un raisonnement assez simple, en trois points : 1. L’union entre des p
539 es ne saurait se faire en général que sur la base de quelque unité préexistante ; 2. Or, l’Europe que l’on tente aujourd’h
540 la base de quelque unité préexistante ; 2. Or, l’ Europe que l’on tente aujourd’hui d’unir est d’abord une entité culturelle ;
541 ante ; 2. Or, l’Europe que l’on tente aujourd’hui d’ unir est d’abord une entité culturelle ; 3. Il en résulte que l’on ne
542 te que l’on ne doit et que l’on ne peut « faire l’ Europe  » qu’en conformité avec le génie même de sa culture, qui est celui de
543 re l’Europe » qu’en conformité avec le génie même de sa culture, qui est celui de l’union dans la diversité. On va voir qu
544 é avec le génie même de sa culture, qui est celui de l’union dans la diversité. On va voir que cette thèse « culturelle »
545 définie. ⁂ La première proposition n’entraîne pas de longs commentaires. Il est évident que des peuples, ne songent à s’un
546 nsolider par des institutions communes leur unité de base, lorsque celle-ci se trouve menacée par des forces de division,
547 lorsque celle-ci se trouve menacée par des forces de division, internes ou externes. La seconde proposition n’est pas auss
548 te pour chacun. Cependant, il n’est pas difficile de l’établir. Quand je dis que l’Europe est d’abord une entité culturell
549 st pas difficile de l’établir. Quand je dis que l’ Europe est d’abord une entité culturelle, ou que son unité la moins contesta
550 à deux faits majeurs que chacun connaît. Un fait de nature : l’Europe est le plus petit de tous les continents (4 % des t
551 majeurs que chacun connaît. Un fait de nature : l’ Europe est le plus petit de tous les continents (4 % des terres du globe), e
552 t. Un fait de nature : l’Europe est le plus petit de tous les continents (4 % des terres du globe), et le plus pauvre en m
553 le plus pauvre en matières premières. Et un fait d’ histoire : cette minuscule Europe a dominé successivement sur tous les
554 remières. Et un fait d’histoire : cette minuscule Europe a dominé successivement sur tous les autres continents, et continue à
555 qui ne saurait s’expliquer que par la culture des Européens , entendant par culture, au sens le plus large du terme, ce que l’espr
556 ans tous les ordres, vient ajouter à la nature. L’ Europe , c’est très peu de chose plus une culture. Quand on s’imagine que l’E
557 chose plus une culture. Quand on s’imagine que l’ Europe , dont discutent aujourd’hui toute la presse et tous les parlements, e
558 et qu’elle ne tire pas son origine et sa vitalité de notre nature, mais bien de nos cerveaux, donc de notre culture. L’éco
559 origine et sa vitalité de notre nature, mais bien de nos cerveaux, donc de notre culture. L’économie moderne est dominée p
560 de notre nature, mais bien de nos cerveaux, donc de notre culture. L’économie moderne est dominée par la technique, laque
561 née par la technique, laquelle est née du mariage de nos sciences spéculatives et de notre volonté de transformer la natur
562 st née du mariage de nos sciences spéculatives et de notre volonté de transformer la nature, lesquelles sont nées de nos p
563 de nos sciences spéculatives et de notre volonté de transformer la nature, lesquelles sont nées de nos philosophies et de
564 té de transformer la nature, lesquelles sont nées de nos philosophies et de notre religion dominante, lesquelles nous sont
565 ture, lesquelles sont nées de nos philosophies et de notre religion dominante, lesquelles nous sont venues d’Athènes et de
566 e religion dominante, lesquelles nous sont venues d’ Athènes et de Jérusalem à travers Rome et son empire, englobant avec l
567 minante, lesquelles nous sont venues d’Athènes et de Jérusalem à travers Rome et son empire, englobant avec les Méditerran
568 erranéens des Germains, des Celtes et des Slaves. De cette culture commune, mais de ses sources variées, voire souvent con
569 tes et des Slaves. De cette culture commune, mais de ses sources variées, voire souvent contradictoires, proviennent à la
570 oires, proviennent à la fois l’unité fondamentale de nos peuples et les extraordinaires diversités qu’ils juxtaposent sur
571 and ces diversités tournent en divisions, l’unité de base et la vitalité de l’ensemble sont en péril. Alors paraît le beso
572 nent en divisions, l’unité de base et la vitalité de l’ensemble sont en péril. Alors paraît le besoin d’union. Les forces
573 l’ensemble sont en péril. Alors paraît le besoin d’ union. Les forces de division qui ont miné l’Europe depuis un siècle,
574 péril. Alors paraît le besoin d’union. Les forces de division qui ont miné l’Europe depuis un siècle, et qui ont risqué de
575 in d’union. Les forces de division qui ont miné l’ Europe depuis un siècle, et qui ont risqué de la faire périr à deux reprises
576 miné l’Europe depuis un siècle, et qui ont risqué de la faire périr à deux reprises en 1914 et en 1939, se résument dans l
577 s le terme nationalisme. Elles sont, elles aussi, d’ origine culturelle en dernière analyse. Mais l’opinion publique et les
578 lites responsables ont peine à prendre conscience de leur nocivité tant que celle-ci ne se manifeste qu’au niveau des idéo
579 isme des autres s’oppose aux intérêts économiques de ma nation, que je sois industriel, ouvrier, paysan ou politicien, je
580 ue chose ne marche pas. C’est alors que j’accepte de prendre au sérieux les « utopistes » qui me parlaient depuis longtemp
581 s « utopistes » qui me parlaient depuis longtemps de mesures d’union supranationales. Et c’est ainsi que l’union de l’Euro
582 es » qui me parlaient depuis longtemps de mesures d’ union supranationales. Et c’est ainsi que l’union de l’Europe a commen
583 union supranationales. Et c’est ainsi que l’union de l’Europe a commencé dans le domaine économique, avec la CECA de Jean
584 supranationales. Et c’est ainsi que l’union de l’ Europe a commencé dans le domaine économique, avec la CECA de Jean Monnet et
585 Marché commun des Six, provoquant en écho la Zone de libre-échange des Sept, la candidature britannique, et l’intérêt subi
586 bitement anxieux des Américains. Ce début concret de la construction européenne étant ainsi replacé et situé dans le conte
587 s Américains. Ce début concret de la construction européenne étant ainsi replacé et situé dans le contexte de notre évolution, la
588 nne étant ainsi replacé et situé dans le contexte de notre évolution, la question qui se pose est de savoir s’il faut et s
589 e de notre évolution, la question qui se pose est de savoir s’il faut et s’il suffit, pour « faire l’Europe », que toutes
590 e savoir s’il faut et s’il suffit, pour « faire l’ Europe  », que toutes les nations du continent s’intègrent dans le Marché com
591 dont les auteurs ne sont d’ailleurs pas dépourvus d’ arrière-pensées politiques. ⁂ Même en admettant que l’unification écon
592 unification économique puisse suffire à « faire l’ Europe  », il faudrait respecter dans cette hypothèse quelques conditions de
593 especter dans cette hypothèse quelques conditions de succès qui me paraissent absolument vitales. Il faudrait notamment ex
594 unification économique ne détruise pas les bases de l’Europe, mais y puise au contraire ses meilleures énergies ; qu’elle
595 ication économique ne détruise pas les bases de l’ Europe , mais y puise au contraire ses meilleures énergies ; qu’elle respecte
596 le mondiale. Commentons brièvement ces conditions de succès : elles nous ramènent aux problèmes culturels. L’Europe du pla
597  : elles nous ramènent aux problèmes culturels. L’ Europe du plan économique a besoin de centaines de milliers de techniciens.
598 s culturels. L’Europe du plan économique a besoin de centaines de milliers de techniciens. Il est concevable et faisable d
599 L’Europe du plan économique a besoin de centaines de milliers de techniciens. Il est concevable et faisable de les fabriqu
600 plan économique a besoin de centaines de milliers de techniciens. Il est concevable et faisable de les fabriquer en série
601 ers de techniciens. Il est concevable et faisable de les fabriquer en série au prix de l’éducation générale ou humaniste.
602 ait l’URSS. Mais ce serait tuer la poule aux œufs d’ or. La technique, inventée par l’Europe, puise ses forces inventives d
603 poule aux œufs d’or. La technique, inventée par l’ Europe , puise ses forces inventives dans le fonds commun spirituel et moral,
604 al, théologique, scientifique et même esthétique, de la culture européenne. Renoncer à transmettre les principes et mesure
605 e, scientifique et même esthétique, de la culture européenne . Renoncer à transmettre les principes et mesures de cette culture gén
606 . Renoncer à transmettre les principes et mesures de cette culture générale, ce serait stériliser les sources mêmes de l’i
607 générale, ce serait stériliser les sources mêmes de l’invention technique, favoriser le matérialisme plat, américaniser o
608 le matérialisme plat, américaniser ou russifier l’ Europe au pire sens de ces expressions, et finalement détendre les ressorts
609 , américaniser ou russifier l’Europe au pire sens de ces expressions, et finalement détendre les ressorts de notre génie c
610 expressions, et finalement détendre les ressorts de notre génie créateur. L’union économique implique, par conséquent, un
611 mplique, par conséquent, une politique culturelle de grande envergure : éducation civique, démocratisation des études, ins
612 pales. D’autre part, le dynamisme unique dont les Européens ont fait preuve depuis des siècles, résulte de nos diversités locales
613 péens ont fait preuve depuis des siècles, résulte de nos diversités locales, régionales, idéologiques. Tout système centra
614 e centralisé ou institution qui aurait pour effet de déprimer les autonomies locales et d’uniformiser nos coutumes régiona
615 pour effet de déprimer les autonomies locales et d’ uniformiser nos coutumes régionales serait antieuropéen. Notre culture
616 ait antieuropéen. Notre culture puise son pouvoir de rayonnement universel dans la pluralité de ses foyers créateurs, et d
617 ouvoir de rayonnement universel dans la pluralité de ses foyers créateurs, et dans les tensions qui en naissent. D’autant
618 créateurs, et dans les tensions qui en naissent. D’ autant plus nous sommes d’un canton, d’un pays, d’un climat religieux
619 nsions qui en naissent. D’autant plus nous sommes d’ un canton, d’un pays, d’un climat religieux ou idéologique, d’autant p
620 naissent. D’autant plus nous sommes d’un canton, d’ un pays, d’un climat religieux ou idéologique, d’autant plus nous pouv
621 D’autant plus nous sommes d’un canton, d’un pays, d’ un climat religieux ou idéologique, d’autant plus nous pouvons devenir
622 d’un pays, d’un climat religieux ou idéologique, d’ autant plus nous pouvons devenir de bons Européens. « D’autant plus no
623 u idéologique, d’autant plus nous pouvons devenir de bons Européens. « D’autant plus nous connaissons les choses particuli
624 gique, d’autant plus nous pouvons devenir de bons Européens . « D’autant plus nous connaissons les choses particulières, d’autant
625 nt plus nous pouvons devenir de bons Européens. «  D’ autant plus nous connaissons les choses particulières, d’autant plus n
626 t plus nous connaissons les choses particulières, d’ autant plus nous connaissons Dieu », disait Spinoza. C’est là le vrai
627 noza. C’est là le vrai sens, et le seul possible, de ce qu’on a nommé « l’Europe des patries ». (Par malheur, l’auteur de
628 ens, et le seul possible, de ce qu’on a nommé « l’ Europe des patries ». (Par malheur, l’auteur de ce mot d’ordre, M. Debré, ne
629 « l’Europe des patries ». (Par malheur, l’auteur de ce mot d’ordre, M. Debré, ne pensait qu’à l’Europe des États, qui est
630 ur de ce mot d’ordre, M. Debré, ne pensait qu’à l’ Europe des États, qui est tout à fait autre chose.) Les modes d’emploi
631 ts, qui est tout à fait autre chose.) Les modes d’ emploi Enfin, l’Europe unie ne saurait être conçue comme un but en
632 it autre chose.) Les modes d’emploi Enfin, l’ Europe unie ne saurait être conçue comme un but en soi, comme un nationalism
633 é aux limites géographiques et toutes provisoires de l’Ouest du continent. L’Europe a découvert la Terre entière, assumant
634 et toutes provisoires de l’Ouest du continent. L’ Europe a découvert la Terre entière, assumant une fonction d’animation des é
635 découvert la Terre entière, assumant une fonction d’ animation des échanges de tous ordres. Elle a transmis au monde entier
636 e, assumant une fonction d’animation des échanges de tous ordres. Elle a transmis au monde entier les procédés de la techn
637 res. Elle a transmis au monde entier les procédés de la technologie. Elle se doit d’en transmettre aussi les modes d’emplo
638 tier les procédés de la technologie. Elle se doit d’ en transmettre aussi les modes d’emploi. Toutes les cultures tradition
639 ie. Elle se doit d’en transmettre aussi les modes d’ emploi. Toutes les cultures traditionnelles, y compris la nôtre, se vo
640 , se voient en effet menacées par la technique. L’ Europe ayant cent ans d’avance dans son effort d’adaptation à la révolution
641 enacées par la technique. L’Europe ayant cent ans d’ avance dans son effort d’adaptation à la révolution industrielle, se d
642 L’Europe ayant cent ans d’avance dans son effort d’ adaptation à la révolution industrielle, se doit donc de faire part au
643 tation à la révolution industrielle, se doit donc de faire part aux pays neufs de ses expériences durement acquises. Elle
644 rielle, se doit donc de faire part aux pays neufs de ses expériences durement acquises. Elle a inventé bien des maux, mais
645 n des méthodes dangereuses, mais aussi les moyens de les composer, de les équilibrer et de les rendre bénéfiques. Elle a i
646 ngereuses, mais aussi les moyens de les composer, de les équilibrer et de les rendre bénéfiques. Elle a inventé et pratiqu
647 les moyens de les composer, de les équilibrer et de les rendre bénéfiques. Elle a inventé et pratiqué la libre concurrenc
648 umaniste, le matérialisme, mais aussi les valeurs de liberté et de responsabilité, de justice sociale et de solidarité uni
649 atérialisme, mais aussi les valeurs de liberté et de responsabilité, de justice sociale et de solidarité universelle, qui
650 ussi les valeurs de liberté et de responsabilité, de justice sociale et de solidarité universelle, qui relèvent de l’espri
651 berté et de responsabilité, de justice sociale et de solidarité universelle, qui relèvent de l’esprit. Sa fonction dans le
652 ociale et de solidarité universelle, qui relèvent de l’esprit. Sa fonction dans le monde, transformé par ses œuvres, s’en
653 par ses œuvres, s’en trouve désormais définie. L’ Europe se doit et doit au monde de présenter l’exemple convaincant d’un dépa
654 ormais définie. L’Europe se doit et doit au monde de présenter l’exemple convaincant d’un dépassement du nationalisme et d
655 doit au monde de présenter l’exemple convaincant d’ un dépassement du nationalisme et d’une adaptation harmonieuse de la t
656 e convaincant d’un dépassement du nationalisme et d’ une adaptation harmonieuse de la technique à l’homme. C’est dire que l
657 t du nationalisme et d’une adaptation harmonieuse de la technique à l’homme. C’est dire que l’union économique appelle une
658 otale et uniformisante détruirait les bases mêmes de notre dynamisme. Une simple alliance d’États souverains ne répondrait
659 ses mêmes de notre dynamisme. Une simple alliance d’ États souverains ne répondrait nullement aux exigences du siècle. Seul
660 ion, selon la formule suisse, assurerait le degré d’ union nécessaire tout en sauvegardant les autonomies et diversités qui
661 fait notre culture et sa vitalité. ⁂ Le problème européen étant ainsi posé ou reposé à partir des réalités de notre culture une
662 étant ainsi posé ou reposé à partir des réalités de notre culture une et diverse, les conclusions suivantes me paraissent
663 ober toutes les nations qui participent à l’unité de culture nommée Europe. 2. Cette organisation économique ne saurait fo
664 tions qui participent à l’unité de culture nommée Europe . 2. Cette organisation économique ne saurait fournir les bases d’une
665 anisation économique ne saurait fournir les bases d’ une organisation politique, mais seulement les moyens nécessaires d’un
666 politique, mais seulement les moyens nécessaires d’ une politique qu’il reste encore à définir et à réaliser. 3. Cette pol
667 olitique, appuyée sur une organisation fédérative de nos pays, aura pour mission essentielle d’orienter leur action commun
668 rative de nos pays, aura pour mission essentielle d’ orienter leur action commune à l’échelle mondiale (relations avec les
669 l’expansion démographique, la diffusion mondiale de la civilisation occidentale et les responsabilités qui en résultent p
670 et les responsabilités qui en résultent pour les Européens . La Suisse est aussi bien placée que n’importe quel autre pays pour f
671 loir ces vues mondiales : on ne l’accusera jamais de néo-colonialisme ! Et elle est mieux placée que tout autre pour faire
672 ée que tout autre pour faire valoir les avantages d’ une union de type fédéral, conforme à son essence, comme à celle de l’
673 autre pour faire valoir les avantages d’une union de type fédéral, conforme à son essence, comme à celle de l’Europe. Ces
674 pe fédéral, conforme à son essence, comme à celle de l’Europe. Ces motifs d’entrer dans le jeu de la construction européen
675 déral, conforme à son essence, comme à celle de l’ Europe . Ces motifs d’entrer dans le jeu de la construction européenne me sem
676 on essence, comme à celle de l’Europe. Ces motifs d’ entrer dans le jeu de la construction européenne me semblent avoir plu
677 elle de l’Europe. Ces motifs d’entrer dans le jeu de la construction européenne me semblent avoir plus de poids que les sc
678 es motifs d’entrer dans le jeu de la construction européenne me semblent avoir plus de poids que les scrupules qui nous retiennent
679 la construction européenne me semblent avoir plus de poids que les scrupules qui nous retiennent encore. Quand elle se bor
680 ire son expérience fédéraliste, dans les conseils de Strasbourg et de Bruxelles, la Suisse pourrait montrer la voie d’un a
681 e fédéraliste, dans les conseils de Strasbourg et de Bruxelles, la Suisse pourrait montrer la voie d’un avenir authentique
682 de Bruxelles, la Suisse pourrait montrer la voie d’ un avenir authentiquement européen. Si elle s’y refuse, qui va plaider
683 rrait montrer la voie d’un avenir authentiquement européen . Si elle s’y refuse, qui va plaider sa cause ? Une union faite sans n
684 c’est l’évidence. Mais nous aurons perdu le droit de nous en plaindre. t. Rougemont Denis de, « L’Europe est d’abord u
685 droit de nous en plaindre. t. Rougemont Denis de , « L’Europe est d’abord une culture », Gazette de Lausanne (supplémen
686 nous en plaindre. t. Rougemont Denis de, « L’ Europe est d’abord une culture », Gazette de Lausanne (supplément littéraire
687 de, « L’Europe est d’abord une culture », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 30 juin 1962, p. 13.
16 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Universités américaines (12-13 janvier 1963)
688 icaines (12-13 janvier 1963)u v Le grand poème de Saint-John Perse évoquant les États-Unis et les traversant d’est en o
689 n Perse évoquant les États-Unis et les traversant d’ est en ouest se nomme Vents, et nul n’a compris ce pays s’il n’a pas d
690 l n’a pas découvert un jour qu’un souffle immense de lyrisme nomade est le secret le mieux couvé dans l’inconscient des ho
691 cret le mieux couvé dans l’inconscient des hommes de toute race dont les pères ont conquis la Prairie. Hors des hauts murs
692 nquis la Prairie. Hors des hauts murs en falaises de brique ocrée de Manhattan, au-delà des faubourgs du Bronx aux ponts d
693 . Hors des hauts murs en falaises de brique ocrée de Manhattan, au-delà des faubourgs du Bronx aux ponts de fer retentissa
694 nhattan, au-delà des faubourgs du Bronx aux ponts de fer retentissants de trains et de camions-citernes, soudain l’autorou
695 faubourgs du Bronx aux ponts de fer retentissants de trains et de camions-citernes, soudain l’autoroute vers le nord longe
696 Bronx aux ponts de fer retentissants de trains et de camions-citernes, soudain l’autoroute vers le nord longe la mer coule
697 ain l’autoroute vers le nord longe la mer couleur d’ huître sous le vent, traverse d’infinis quartiers de maisons blanches
698 ge la mer couleur d’huître sous le vent, traverse d’ infinis quartiers de maisons blanches et d’usines transparentes, surmo
699 huître sous le vent, traverse d’infinis quartiers de maisons blanches et d’usines transparentes, surmontés de clochers d’o
700 averse d’infinis quartiers de maisons blanches et d’ usines transparentes, surmontés de clochers d’or pâle, puis des rideau
701 ons blanches et d’usines transparentes, surmontés de clochers d’or pâle, puis des rideaux d’arbres chevelus cachent les ri
702 et d’usines transparentes, surmontés de clochers d’ or pâle, puis des rideaux d’arbres chevelus cachent les rives, et la p
703 surmontés de clochers d’or pâle, puis des rideaux d’ arbres chevelus cachent les rives, et la piste d’ardoise aux lignes ja
704 d’arbres chevelus cachent les rives, et la piste d’ ardoise aux lignes jaunes écarte largement les forêts basses et denses
705 argement les forêts basses et denses aux couleurs de l’été indien, pendant des heures. Le « station-vagon » roule à 100, c
706 font toutes les autres voitures, pas un problème de dépassement, pas une injure, le ciel est bleu, les voies sont larges,
707 la radio du bord éclate en mélodies accompagnées de bugles et de chœurs d’une euphorique nostalgie : j’ai retrouvé mon Am
708 bord éclate en mélodies accompagnées de bugles et de chœurs d’une euphorique nostalgie : j’ai retrouvé mon Amérique. Lib
709 e en mélodies accompagnées de bugles et de chœurs d’ une euphorique nostalgie : j’ai retrouvé mon Amérique. Liberté In
710 pour me promener dans les États-Unis sans l’ombre d’ une obligation — je verrai qui je veux ou personne s’il me plaît, ce q
711 veux ou personne s’il me plaît, ce que j’ai envie de voir ou rien, pendant deux mois — je me suis gardé d’établir un progr
712 oir ou rien, pendant deux mois — je me suis gardé d’ établir un programme et d’arranger des conférences. Je m’en remets au
713 mois — je me suis gardé d’établir un programme et d’ arranger des conférences. Je m’en remets au dieu du Hasard, dont l’aut
714 iger le sort par quelques téléphones et un carnet d’ adresses d’amis anciens. (Mais tout bouge ici, où seront-ils ?) Har
715 t par quelques téléphones et un carnet d’adresses d’ amis anciens. (Mais tout bouge ici, où seront-ils ?) Harvard Déj
716 ul Tillich. Je ne l’avais pas revu depuis un soir de 1941, à New York, chez notre ami commun Reinhold Niebuhr. Cet Alleman
717 est devenu le penseur religieux le plus influent de l’Amérique. C’est qu’il prône une théologie qu’on pourrait nommer cul
718 le, et qui tient compte des arts et des religions de l’Orient, et de la gnose (dont nous allons beaucoup parler), cependan
719 compte des arts et des religions de l’Orient, et de la gnose (dont nous allons beaucoup parler), cependant que Maritain d
720 dans tous les séminaires presbytériens la notion d’ une orthodoxie traditionnelle mais offensive et politiquement « progre
721 elligentsia religieuse du tiers le plus religieux de l’Occident. Ce sont trois noms européens. Les Européens goguenards po
722 plus religieux de l’Occident. Ce sont trois noms européens . Les Européens goguenards pour qui l’Amérique signifie Coca-Cola, twi
723 de l’Occident. Ce sont trois noms européens. Les Européens goguenards pour qui l’Amérique signifie Coca-Cola, twist et voitures
724 a-Cola, twist et voitures géantes, sont en retard d’ une génération intellectuelle. (Note de 1962 : Paul Tillich vient de r
725 en retard d’une génération intellectuelle. (Note de 1962 : Paul Tillich vient de recevoir le Prix de la paix, décerné à l
726 de 1962 : Paul Tillich vient de recevoir le Prix de la paix, décerné à la Foire du livre de Francfort. L’Allemagne enfin
727 r le Prix de la paix, décerné à la Foire du livre de Francfort. L’Allemagne enfin le redécouvre. Qui va le traduire en fra
728 ntagneux, presque désert pendant des heures. Ciel de craie bleu rosé sur les forêts sauvages, mouchetées d’arbres rouges e
729 aie bleu rosé sur les forêts sauvages, mouchetées d’ arbres rouges et rose pourpre d’une intensité de couleur que je n’ai j
730 vages, mouchetées d’arbres rouges et rose pourpre d’ une intensité de couleur que je n’ai jamais vue ailleurs. Arrêt dans u
731 s d’arbres rouges et rose pourpre d’une intensité de couleur que je n’ai jamais vue ailleurs. Arrêt dans une auberge faite
732 jamais vue ailleurs. Arrêt dans une auberge faite d’ un vieux wagon d’aluminium déposé au bord de la route, dans une clairi
733 rs. Arrêt dans une auberge faite d’un vieux wagon d’ aluminium déposé au bord de la route, dans une clairière et l’on est a
734 , dans une clairière et l’on est ami du patron et de la fille superbe qui nous sert le café après quelques échanges de phr
735 rbe qui nous sert le café après quelques échanges de phrases banales. Vivre ici serait une belle aventure intérieure. Air
736 k me disait l’autre jour : « Toutes les personnes de mon espèce s’arrangent pour avoir des maisons, cabanes, pavillons, ce
737 nes, pavillons, ce que vous voulez, à deux heures de New York par avion, ou à quatre ou cinq heures par l’autoroute, dans
738 dite et je récupère. Je ne trouverais pas cela en Europe , toutes vos maisons se touchent, vous n’êtes plus jamais seuls. » Je
739 i ai dit qu’il exagérait, qu’il y avait encore en Europe des refuges à peu près comparables. Mais j’ai dû dire : encore. D’ici
740 t ans… New England Williamstown est le site d’ un célèbre collège de jeunes gens. Nous y entrons par une avenue bordé
741 Williamstown est le site d’un célèbre collège de jeunes gens. Nous y entrons par une avenue bordée d’arbres immenses a
742 jeunes gens. Nous y entrons par une avenue bordée d’ arbres immenses aux petites feuilles jaune vif et de larges bandes de
743 arbres immenses aux petites feuilles jaune vif et de larges bandes de gazons ; en retrait, des maisons de bois blanc d’un
744 ux petites feuilles jaune vif et de larges bandes de gazons ; en retrait, des maisons de bois blanc d’un ou deux étages, r
745 larges bandes de gazons ; en retrait, des maisons de bois blanc d’un ou deux étages, régulièrement espacées et spacieuses.
746 de gazons ; en retrait, des maisons de bois blanc d’ un ou deux étages, régulièrement espacées et spacieuses. Au fond, l’ég
747 de toutes parts, sans une brise, un ruissellement de feuilles rondes, comme des pièces d’or. Je ne sais rien qui égale en
748 uissellement de feuilles rondes, comme des pièces d’ or. Je ne sais rien qui égale en Europe la splendeur de l’indian summe
749 mme des pièces d’or. Je ne sais rien qui égale en Europe la splendeur de l’indian summer aux villages de Nouvelle-Angleterre.
750 Je ne sais rien qui égale en Europe la splendeur de l’indian summer aux villages de Nouvelle-Angleterre. Un collège de
751 rope la splendeur de l’indian summer aux villages de Nouvelle-Angleterre. Un collège de jeunes filles dans le Vermont
752 ux villages de Nouvelle-Angleterre. Un collège de jeunes filles dans le Vermont Longue avenue sinueuse dans un parc
753 pente douce vers un bâtiment rouge. Parking sous de grands arbres aux branches horizontales. On nous conduit par des sent
754 s conduit par des sentiers dallés vers une maison de brique dominant le campus : vaste pelouse entourée d’une douzaine de
755 rique dominant le campus : vaste pelouse entourée d’ une douzaine de bâtiments de bois blanc à un étage et toits d’ardoises
756 le campus : vaste pelouse entourée d’une douzaine de bâtiments de bois blanc à un étage et toits d’ardoises. Dans l’escali
757 aste pelouse entourée d’une douzaine de bâtiments de bois blanc à un étage et toits d’ardoises. Dans l’escalier de la mais
758 ne de bâtiments de bois blanc à un étage et toits d’ ardoises. Dans l’escalier de la maison de brique une toile de quatre m
759 c à un étage et toits d’ardoises. Dans l’escalier de la maison de brique une toile de quatre mètres de haut, long paraphe
760 et toits d’ardoises. Dans l’escalier de la maison de brique une toile de quatre mètres de haut, long paraphe blanc et roug
761 Dans l’escalier de la maison de brique une toile de quatre mètres de haut, long paraphe blanc et rouge sur un fond noir,
762 de la maison de brique une toile de quatre mètres de haut, long paraphe blanc et rouge sur un fond noir, signée Georges Ma
763 Je pousse des portes et me trouve dans une salle de théâtre, vide de sièges. Groupes de jeunes filles assises sur le parq
764 rtes et me trouve dans une salle de théâtre, vide de sièges. Groupes de jeunes filles assises sur le parquet, vêtues de co
765 ans une salle de théâtre, vide de sièges. Groupes de jeunes filles assises sur le parquet, vêtues de collants. Sur la scèn
766 s de jeunes filles assises sur le parquet, vêtues de collants. Sur la scène, on répète un ballet assez acrobatique et symb
767 obatique et symbolique. Cocktails dans le cottage d’ un doyen de faculté. Une vingtaine de professeurs, pour la plupart aut
768 symbolique. Cocktails dans le cottage d’un doyen de faculté. Une vingtaine de professeurs, pour la plupart auteurs connus
769 s le cottage d’un doyen de faculté. Une vingtaine de professeurs, pour la plupart auteurs connus, poètes, romanciers, crit
770 eil ami suisse, Paul Boepple, chef du département de musique. (Il a dirigé le Roi David lors de sa création à Mézière, pui
771 istes américains, plus des deux tiers sans doute ( de Faulkner aux plus jeunes compositeurs) vit ainsi, quelques mois par a
772 ce, dans les petites universités les mieux dotées de la côte Est ou de la Californie. Ils y enseignent en général la subst
773 es universités les mieux dotées de la côte Est ou de la Californie. Ils y enseignent en général la substance même, ou la t
774 des œuvres qu’ils sont en train d’écrire. Combien d’ écrivains véritables, de peintres et de musiciens, se voient offrir ch
775 n train d’écrire. Combien d’écrivains véritables, de peintres et de musiciens, se voient offrir chez nous ces possibilités
776 e. Combien d’écrivains véritables, de peintres et de musiciens, se voient offrir chez nous ces possibilités — à tous égard
777 ces possibilités — à tous égards enrichissantes — de contact avec la jeunesse ? Le lendemain matin, j’assiste à une classe
778 esse ? Le lendemain matin, j’assiste à une classe de creative writing. Salle meublée comme un salon. Le professeur (qui es
779 moquette. La plupart sont en pantalon et blouses de sport. Quelques-unes ont gardé leurs bigoudis, comme cela se fait dan
780 oudis, comme cela se fait dans ce pays, la veille d’ une fête ou le samedi. Elles s’installent longuement, disposant autour
781 . Elles s’installent longuement, disposant autour d’ elles cendriers, paquets de cigarettes, blouses, cahiers et livres, et
782 ment, disposant autour d’elles cendriers, paquets de cigarettes, blouses, cahiers et livres, et leurs jambes sur des poufs
783 livres, et leurs jambes sur des poufs ou le bras d’ un fauteuil. Le professeur annonce que la leçon sera consacrée à l’exa
784 ur annonce que la leçon sera consacrée à l’examen d’ un court poème écrit par l’une d’entre elles, dont il taira le nom. Il
785 la pièce, puis la relit lentement. Une vingtaine de vers brefs, irréguliers. À la seconde lecture, je comprends qu’il s’a
786 . À la seconde lecture, je comprends qu’il s’agit de deux vieillards dans une cuisine regardant par la fenêtre une fin d’a
787 dans une cuisine regardant par la fenêtre une fin d’ automne. Mais le réalisme du sujet — apparemment imposé — disparaît da
788 onyme. Plusieurs girls manifestent leur intention de s’exprimer en levant un doigt discret ou un très long fume-cigarette.
789 enter la discussion, à proposer quelques critères de jugement poétique. La « stratégie » de la pièce, l’emploi « stratégiq
790 s critères de jugement poétique. La « stratégie » de la pièce, l’emploi « stratégique » de certains mots leur donnant une
791 stratégie » de la pièce, l’emploi « stratégique » de certains mots leur donnant une efficacité particulière, semble son th
792 la préoccupation dominante, et presque la réalité d’ une activité humaine quelconque, en l’occurrence l’expression littérai
793 ’occurrence l’expression littéraire. Il est exclu de parler de sentiment, bien entendu, ça ne se fait plus, mais l’horizon
794 e l’expression littéraire. Il est exclu de parler de sentiment, bien entendu, ça ne se fait plus, mais l’horizon de cet ar
795 bien entendu, ça ne se fait plus, mais l’horizon de cet art poétique me paraît aussi sec et gris que l’automne abstraitem
796 eur tenue savamment négligée, parleront désormais de poésie avec l’assurance d’un expert diplômé par l’un des collèges les
797 e, parleront désormais de poésie avec l’assurance d’ un expert diplômé par l’un des collèges les plus « avancés » de l’Amér
798 iplômé par l’un des collèges les plus « avancés » de l’Amérique. Pendant quatre ans, elles vivent ensemble dans ce luxueux
799 milieu des forêts du Vermont, quelques centaines de girls patiemment cultivées — humanités, religion, sciences, arts, mus
800 seront elles qui domineront la société américaine de demain, avec une infaillible compétence. Berkeley À une heure d
801 nfaillible compétence. Berkeley À une heure de San Francisco, l’une de plus grandes universités du monde : 36 000 ét
802 s sur tout l’État. Ici, à Berkeley, ils sont plus de 25 000. Je vais y rencontrer une bonne trentaine de professeurs, en t
803 25 000. Je vais y rencontrer une bonne trentaine de professeurs, en tête-à-tête ou en groupe, déjeuner et dîner. J’arrive
804 campus, pour mon premier rendez-vous. Labyrinthe d’ allées entre des bâtiments de style mal défini, allant du gothique xix
805 dez-vous. Labyrinthe d’allées entre des bâtiments de style mal défini, allant du gothique xixe siècle au fonctionnel 1950
806 ssant par le rococo américain 1910. Des centaines d’ étudiants déambulent, se groupent au soleil ou sur des bancs, jonchent
807 chent les marches des divers halls. Beaucoup sont de couleur, toute nuance. Tous portent le même accoutrement si commode e
808 trement si commode et si négligé, que la jeunesse européenne semble avoir adopté depuis quinze ans, croyant copier les « existenti
809 j’attends dans un corridor en lisant les panneaux d’ annonces. Soudain, mon nom en très grosses lettres sur une affiche. « 
810 tres sur une affiche. « À 3 heures, dans la Salle de Bal, D. de R., président du Congrès pour la liberté de la culture, et
811 e affiche. « À 3 heures, dans la Salle de Bal, D. de R., président du Congrès pour la liberté de la culture, et auteur de
812 l, D. de R., président du Congrès pour la liberté de la culture, et auteur de L’Amour et l’Occident donnera une conféren
813 Congrès pour la liberté de la culture, et auteur de L’Amour et l’Occident donnera une conférence sur La guerre totale e
814 Action, ADA. » On m’avait parlé, très vaguement, d’ une éventuelle discussion avec un groupe de professeurs, portant sur u
815 ement, d’une éventuelle discussion avec un groupe de professeurs, portant sur un débat récent organisé à Berkeley entre Si
816 ns Morgenthau, et qui semble avoir fait du bruit, d’ une côte à l’autre, mais c’est vraiment tout ce que j’en sais. La séri
817 is c’est vraiment tout ce que j’en sais. La série de mes rendez-vous commence quelques secondes après, je n’ai plus le tem
818 ce quelques secondes après, je n’ai plus le temps de m’inquiéter de rien. Tout occupé à satisfaire d’ardentes curiosités s
819 ondes après, je n’ai plus le temps de m’inquiéter de rien. Tout occupé à satisfaire d’ardentes curiosités sur l’union de l
820 de m’inquiéter de rien. Tout occupé à satisfaire d’ ardentes curiosités sur l’union de l’Europe et le Marché commun que l’
821 pé à satisfaire d’ardentes curiosités sur l’union de l’Europe et le Marché commun que l’Amérique découvre subitement, et d
822 satisfaire d’ardentes curiosités sur l’union de l’ Europe et le Marché commun que l’Amérique découvre subitement, et déjà elle
823 ine ; et l’on me conduit sur l’estrade. Fragments d’ interventions des trois célèbres philosophes et sociologues, transmis
824 la fois rouges et morts. » Ils ont parlé surtout de la guerre froide et de la Bombe, et très peu des valeurs occidentales
825 s. » Ils ont parlé surtout de la guerre froide et de la Bombe, et très peu des valeurs occidentales. Je vois donc ce qui m
826 vois donc ce qui me reste à faire. Improvisation d’ une demi-heure. Sachant que mon auditoire est composé d’étudiants « tr
827 demi-heure. Sachant que mon auditoire est composé d’ étudiants « très à gauche » et dont plusieurs se demandent, m’a-t-on d
828 , m’a-t-on dit, si l’URSS ne détient pas les clés de l’avenir du monde uni, je leur rappelle que c’est l’Europe qui a fait
829 avenir du monde uni, je leur rappelle que c’est l’ Europe qui a fait le monde, en créant les moyens de relier les continents et
830 ’Europe qui a fait le monde, en créant les moyens de relier les continents et en formulant les valeurs d’où résulte le con
831 relier les continents et en formulant les valeurs d’ où résulte le concept de genre humain. Je leur rappelle aussi que le c
832 en formulant les valeurs d’où résulte le concept de genre humain. Je leur rappelle aussi que le communisme russe est une
833 le aussi que le communisme russe est une création de l’Europe. (Marx, juif rhénan dont le père s’était fait, protestant, é
834 ssi que le communisme russe est une création de l’ Europe . (Marx, juif rhénan dont le père s’était fait, protestant, écrit au B
835 le New York Herald Tribune : on ne fait pas plus Européen .) Où sont les successeurs de l’Occident ? Je ne vois que des imitateu
836 fait pas plus Européen.) Où sont les successeurs de l’Occident ? Je ne vois que des imitateurs. Le but des Soviétiques, à
837 urs. Le but des Soviétiques, à les en croire, est de rattraper l’Amérique, qui est une invention de l’Europe. Croyons à no
838 st de rattraper l’Amérique, qui est une invention de l’Europe. Croyons à nos valeurs et prouvons-le, c’est ce que le monde
839 rattraper l’Amérique, qui est une invention de l’ Europe . Croyons à nos valeurs et prouvons-le, c’est ce que le monde attend d
840 eurs et prouvons-le, c’est ce que le monde attend de nous, pour nous rejoindre en fin de compte, Russes compris. J’ai term
841 ois 42 par écrit. Rien n’est plus caractéristique de l’opinion actuelle des jeunes Américains. J’en recopie quelques exemp
842 recopie quelques exemples : « Le plus grand homme de notre temps était Gandhi. Pourquoi ne pas défendre nos valeurs en éta
843 s politiques actuelles ? » « Comment la nécessité de l’action individuelle peut-elle être présentée de telle manière qu’el
844 de l’action individuelle peut-elle être présentée de telle manière qu’elle ne soit pas méprisée comme un simple sermon ? »
845 et nos chères valeurs occidentales sont détruites de toute façon. » « Admettez-vous que l’État-nation est une conception a
846 des marchés communs peut conduire à la formation de communautés internationales permettant le désarmement nucléaire ? » «
847 que. — Près de Stanford, autre université voisine de San Francisco, 9000 étudiants seulement, mais un très haut niveau int
848 intellectuel, la Fondation Ford a créé un Centre d’ études avancées pour les sciences du comportement. Un club-house domin
849 club-house domine la colline : restaurant, salles de réunions, piscine, en style champêtre ultramoderne. Tout autour, sur
850 moderne. Tout autour, sur les pentes, des rangées de cabanes d’une seule pièce dénommée cubicles sont réservées aux moines
851 ut autour, sur les pentes, des rangées de cabanes d’ une seule pièce dénommée cubicles sont réservées aux moines laïques qu
852 ux moines laïques qui viennent y passer une année d’ études personnelles et de conversations approfondies avec les collègue
853 nnent y passer une année d’études personnelles et de conversations approfondies avec les collègues d’autres branches. Quar
854 huit professeurs choisis parmi les plus brillants de tout le continent (il y a 3000 candidatures par an) composent l’écuri
855 y a 3000 candidatures par an) composent l’écurie de course de l’année. J’ai déjeuné avec plusieurs d’entre eux, puis une
856 candidatures par an) composent l’écurie de course de l’année. J’ai déjeuné avec plusieurs d’entre eux, puis une vingtaine
857 x, puis une vingtaine sont venus discuter le plan d’ une conférence sur l’Europe et le monde que je leur ai brièvement expo
858 ont venus discuter le plan d’une conférence sur l’ Europe et le monde que je leur ai brièvement exposé. Critiques et suggestion
859 ur ai brièvement exposé. Critiques et suggestions d’ une pertinence parfaite. Je visite la colline avec Abe Lerner, économi
860 e philosophe et sociologue. « Je n’ai jamais fait de ma vie autant de mathématiques, me dit ce dernier, c’est le langage c
861 ociologue. « Je n’ai jamais fait de ma vie autant de mathématiques, me dit ce dernier, c’est le langage commun que nous av
862 latin moderne. » Je me demande où l’on trouve en Europe rien qui ressemble à ce concours des meilleurs esprits d’avant-garde.
863 qui ressemble à ce concours des meilleurs esprits d’ avant-garde. D’un instrument pareil nous ferions sans nul doute un usa
864 ce concours des meilleurs esprits d’avant-garde. D’ un instrument pareil nous ferions sans nul doute un usage assez différ
865 cènes ? 2. VIP : Very important person. Se dit de quelques centaines de responsables de la vie américaine, très connus,
866 ry important person. Se dit de quelques centaines de responsables de la vie américaine, très connus, très riches, ou puiss
867 son. Se dit de quelques centaines de responsables de la vie américaine, très connus, très riches, ou puissants dans l’admi
868 inistration ou les affaires. u. Rougemont Denis de , « Universités américaines : notes d’un journal de voyage », Gazette
869 emont Denis de, « Universités américaines : notes d’ un journal de voyage », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), L
870 e, « Universités américaines : notes d’un journal de voyage », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 12–1
871 icaines : notes d’un journal de voyage », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 12–13 janvier 1963, p. 13
872 janvier 1963, p. 13 et 19. v. Sous-titré « Notes d’ un journal de voyage », ce texte est introduit par le chapeau suivant 
873 p. 13 et 19. v. Sous-titré « Notes d’un journal de voyage », ce texte est introduit par le chapeau suivant : « “J’ai ret
874 nis de Rougemont en automne 1961, dans le journal de voyage dont il a bien voulu détacher quelques pages à notre intention
875 nesse curieuse, imprévue, qui assaille l’écrivain de questions sur Marx et l’Europe, dans des universités très différentes
876 ui assaille l’écrivain de questions sur Marx et l’ Europe , dans des universités très différentes des nôtres. Elles ressemblent
877 nelle, et l’on y découvre des institutions dont l’ Europe ferait bien de s’inspirer. »
878 couvre des institutions dont l’Europe ferait bien de s’inspirer. »
17 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’éloge, l’élan, l’amour, le monde ouvert à ceux qui s’ouvrent, cela existe… (2-3 février 1963)
879 la existe… (2-3 février 1963)w x Le problème «  d’ exprimer ce que cela veut dire d’être d’Yverdon, de Féchy » relève, me
880 Le problème « d’exprimer ce que cela veut dire d’ être d’Yverdon, de Féchy » relève, me semble-t-il, de la sociologie pl
881 roblème « d’exprimer ce que cela veut dire d’être d’ Yverdon, de Féchy » relève, me semble-t-il, de la sociologie plutôt qu
882 ’exprimer ce que cela veut dire d’être d’Yverdon, de Féchy » relève, me semble-t-il, de la sociologie plutôt que de la lit
883 tre d’Yverdon, de Féchy » relève, me semble-t-il, de la sociologie plutôt que de la littérature. Si l’on est né à Tubingue
884 lève, me semble-t-il, de la sociologie plutôt que de la littérature. Si l’on est né à Tubingue, à Eboli, à Collombay ou à
885 raiment plus facile à expliquer ? A-t-on vraiment de meilleures chances ? L’idée que la littérature ait pour fonction d’ex
886 ces ? L’idée que la littérature ait pour fonction d’ exprimer l’homme en tant que national ou régional — homo helveticus da
887 ette idée m’est tellement étrangère que je crains de ne pouvoir rendre justice à la problématique de M. Tauxe. Je sais bie
888 s de ne pouvoir rendre justice à la problématique de M. Tauxe. Je sais bien que ce souci « quasi obsessionnel » bloque bea
889 e ce souci « quasi obsessionnel » bloque beaucoup d’ esprits dans nos cantons romands. Un seul en a tiré une œuvre forte, c
890 et à l’homo helveticus. Il ne croyait qu’au pays de Vaud, réduit aux vignes, et pimenté d’exotisme valaisan. « Entre nous
891 qu’au pays de Vaud, réduit aux vignes, et pimenté d’ exotisme valaisan. « Entre nous, nous sommes racistes », me disait-il
892 e, même existentialiste. Il s’est fait un langage de peintre, en prose. Plutôt que d’une « rationalité adéquate », le jeun
893 fait un langage de peintre, en prose. Plutôt que d’ une « rationalité adéquate », le jeune Suisse romand qui veut écrire n
894 t écrire n’aurait-il pas besoin, tout simplement, de ce qu’on appelle en France la classe de rhétorique ? Je ne sens pas q
895 mplement, de ce qu’on appelle en France la classe de rhétorique ? Je ne sens pas que ce soit aux « préjugés spiritualistes
896 Tout cela n’a rien à voir avec Calvin, spirituel de plein vent, et de langue assurée — et les remarques de M. Tauxe sur c
897 n à voir avec Calvin, spirituel de plein vent, et de langue assurée — et les remarques de M. Tauxe sur ce point sont aussi
898 ein vent, et de langue assurée — et les remarques de M. Tauxe sur ce point sont aussi justes qu’opportunes. Quelles sont l
899 nces particulières du Suisse romand ? Bénéficiant d’ une structure sociale, politique et religieuse, exemplairement fédéral
900 irement fédéraliste et pluraliste, qui lui permet de participer à tout un jeu de dimensions spirituelles et physiques, les
901 liste, qui lui permet de participer à tout un jeu de dimensions spirituelles et physiques, les unes très vastes et presque
902 verselles — confession, langue française, culture européenne — les autres cantonales, locales ou familiales, le Suisse romand qui
903 êche nullement Cendrars ou Cingria. On nous parle de révolte, de crise et d’analyse, d’inhibitions, de pièges, de frustrat
904 nt Cendrars ou Cingria. On nous parle de révolte, de crise et d’analyse, d’inhibitions, de pièges, de frustrations, et l’o
905 ou Cingria. On nous parle de révolte, de crise et d’ analyse, d’inhibitions, de pièges, de frustrations, et l’on se plaint
906 On nous parle de révolte, de crise et d’analyse, d’ inhibitions, de pièges, de frustrations, et l’on se plaint de manquer
907 de révolte, de crise et d’analyse, d’inhibitions, de pièges, de frustrations, et l’on se plaint de manquer d’instruments a
908 de crise et d’analyse, d’inhibitions, de pièges, de frustrations, et l’on se plaint de manquer d’instruments adéquats pou
909 ns, de pièges, de frustrations, et l’on se plaint de manquer d’instruments adéquats pour exprimer ces thèmes rebattus ! Si
910 es, de frustrations, et l’on se plaint de manquer d’ instruments adéquats pour exprimer ces thèmes rebattus ! Si cela ne do
911 us rien, n’est-ce pas le signe qu’il serait temps de se tourner vers autre chose ? L’éloge, l’élan, l’amour, le monde ouve
912 s ta pensée maîtresse, et non que tu t’es échappé d’ un joug. » w. Rougemont Denis de, « [Réponse à une enquête] L’éloge
913 u t’es échappé d’un joug. » w. Rougemont Denis de , « [Réponse à une enquête] L’éloge, l’élan, l’amour, le monde ouvert
914 ert à ceux qui s’ouvrent, cela existe… », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 2–3 février 1963, p. 20.
915 Lausanne, 2–3 février 1963, p. 20. x. Il s’agit d’ une réponse à l’enquête « Homo helveticus : existe-t-il en Suisse roma
18 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Les mythes sommeillent… ils vont se réveiller [Entretien] (9-10 février 1963)
916 ougemont était en Amérique, il lui arriva un jour de décrocher son téléphone, et d’entendre à l’autre bout du fil une voix
917 lui arriva un jour de décrocher son téléphone, et d’ entendre à l’autre bout du fil une voix annoncer : “Ici Albert Einstei
918 oirée chez moi ? » Un feu pétillait dans le salon de Ferney, Denis de Rougemont me racontait l’histoire, et à mon tour j’e
919 urt. Voilà donc, parmi les innombrables chasseurs de mythes qui écrivent aujourd’hui des livres, un de ceux qui a fait, av
920 de mythes qui écrivent aujourd’hui des livres, un de ceux qui a fait, avec simplicité, les prises les plus sensationnelles
921 iète, dis-je. L’Amour et l’Occident vous a valu de beaux triomphes. Les hypothèses que vous aviez lancées alors sur les
922 an-Paul Sartre, ont été confirmées avec éclat par de récents travaux d’érudition. Bon. Mais vous tentiez aussi d’expliquer
923 été confirmées avec éclat par de récents travaux d’ érudition. Bon. Mais vous tentiez aussi d’expliquer l’homme contempora
924 travaux d’érudition. Bon. Mais vous tentiez aussi d’ expliquer l’homme contemporain. Et lui, depuis quelques années, me sem
925 êmes ne veulent plus exprimer la part instinctive de l’homme, ce que j’appelle son animisme. Les musiciens (comme le dit A
926 t Ansermet), les peintres, les écrivains refusent de donner forme à l’irrationnel, ils ne veulent plus être poètes, ils ca
927 nt plus être poètes, ils calculent, ils cherchent de façon purement intellectuelle de nouveaux langages… Ce qui nous donne
928 t, ils cherchent de façon purement intellectuelle de nouveaux langages… Ce qui nous donne une impression de sécheresse, d’
929 uveaux langages… Ce qui nous donne une impression de sécheresse, d’épuisement. Ne croyez-vous pas que l’Europe est épuisée
930 … Ce qui nous donne une impression de sécheresse, d’ épuisement. Ne croyez-vous pas que l’Europe est épuisée ? Absolument p
931 écheresse, d’épuisement. Ne croyez-vous pas que l’ Europe est épuisée ? Absolument pas. D’ailleurs, si elle l’était, qui repren
932 Ils attendent que nous soyons tout à fait sortis de cette période d’anarchie, que nous mettions en place de nouvelles con
933 e nous soyons tout à fait sortis de cette période d’ anarchie, que nous mettions en place de nouvelles conventions, de nouv
934 te période d’anarchie, que nous mettions en place de nouvelles conventions, de nouvelles contraintes. Et alors nous aurons
935 nous mettions en place de nouvelles conventions, de nouvelles contraintes. Et alors nous aurons de nouveau l’envie de nou
936 traintes. Et alors nous aurons de nouveau l’envie de nous libérer de quelque chose. Mais la société européenne n’a jamais
937 rs nous aurons de nouveau l’envie de nous libérer de quelque chose. Mais la société européenne n’a jamais été moins asserv
938 de nous libérer de quelque chose. Mais la société européenne n’a jamais été moins asservie par les impératifs ou par les interdits
939 asservie par les impératifs ou par les interdits de la religion… Moi, je crois que le christianisme a repris sa marche en
940 e le christianisme a repris sa marche en avant. … de la morale et de la hiérarchie mondaine. Il n’y a plus d’obstacles que
941 me a repris sa marche en avant. … de la morale et de la hiérarchie mondaine. Il n’y a plus d’obstacles que les mythes puis
942 orale et de la hiérarchie mondaine. Il n’y a plus d’ obstacles que les mythes puissent tenter de vaincre. Pardon ! Il s’en
943 a plus d’obstacles que les mythes puissent tenter de vaincre. Pardon ! Il s’en crée maintenant d’énormes et d’inédits. La
944 nter de vaincre. Pardon ! Il s’en crée maintenant d’ énormes et d’inédits. La terre se surpeuple. Chaque être est tellement
945 re. Pardon ! Il s’en crée maintenant d’énormes et d’ inédits. La terre se surpeuple. Chaque être est tellement enserré par
946 régler, réglementer minutieusement chaque détail de notre vie, de nos comportements ; ou bien déclencher des catastrophes
947 menter minutieusement chaque détail de notre vie, de nos comportements ; ou bien déclencher des catastrophes. Tout de même
948 e au même rythme, en 2260 il y aura 700 milliards d’ hommes, ce qui fera un homme tous les dix mètres. En 2400, nous aurons
949 00, nous aurons un mètre carré chacun. Dans moins de 440 ans ! Bien sûr, la statistique aboutit à l’absurde (en 2500, pers
950 onne ne pourrait s’asseoir sans écraser les pieds d’ un autre), mais comment ne pas voir le problème ? Aujourd’hui déjà, no
951 roblème ? Aujourd’hui déjà, notre vie est balisée de feux verts, de feux rouges et de feux clignotants. Nous les respecton
952 rd’hui déjà, notre vie est balisée de feux verts, de feux rouges et de feux clignotants. Nous les respectons, parce qu’en
953 vie est balisée de feux verts, de feux rouges et de feux clignotants. Nous les respectons, parce qu’en les violant nous n
954 parce qu’en les violant nous nous condamnerions à de terribles accidents. Moralité : l’homme tourne à l’automate, il perd
955 e à l’automate, il perd sa liberté, son épaisseur de vie, il ressemble à ces montres extraplates… Justement ! Et c’est ce
956 es… Justement ! Et c’est ce qui prépare le réveil de très vieux instincts, de très vieux mythes. Vous savez, l’être humain
957 ce qui prépare le réveil de très vieux instincts, de très vieux mythes. Vous savez, l’être humain n’a pas changé dans ses
958 ’a pas changé dans ses profondeurs, Jung a montré de quelles couches immémorialement superposées, entrelacées, notre moi s
959 er soudain, quelles que soient les circonstances, de nouvelles portes de sortie. Jung a écrit précisément que l’archétype
960 que soient les circonstances, de nouvelles portes de sortie. Jung a écrit précisément que l’archétype de la Femme a gardé
961 sortie. Jung a écrit précisément que l’archétype de la Femme a gardé son rôle primordial. Mais oui. Les troubadours ne l’
962 onné une forme nouvelle. Cette forme lui a permis de prendre un envol extraordinaire. Croyez-vous que l’étude systématique
963 e et du xiie siècle nous donnerait des éléments d’ appréciation pour le xxie  ? On peut tracer des perspectives. On ne pe
964 es. On ne peut pas prophétiser. Il y a un auteur d’ anticipation qui a longuement parlé, lui aussi, du surpeuplement, du r
965 rlé, lui aussi, du surpeuplement, du resserrement de l’humanité. C’est Teilhard de Chardin. Et précisément la femme a dans
966 Et précisément la femme a dans son œuvre la place d’ un symbole et d’une inspiratrice. La femme ? Parfaitement. J’ai là par
967 a femme a dans son œuvre la place d’un symbole et d’ une inspiratrice. La femme ? Parfaitement. J’ai là par exemple un text
968 Parfaitement. J’ai là par exemple un texte inédit de Teilhard. Il faudra que j’en parle à Lausanne. Voyez ce passage : le
969 d’ailleurs a eu dans sa vie un grand amour) parle de la Chasteté comme d’un moyen de parvenir à la vérité. Il le fait dans
970 sa vie un grand amour) parle de la Chasteté comme d’ un moyen de parvenir à la vérité. Il le fait dans des termes extrêmeme
971 rand amour) parle de la Chasteté comme d’un moyen de parvenir à la vérité. Il le fait dans des termes extrêmement proches
972 iie siècle. La Chasteté n’est pas le refoulement de l’amour, la négation de la Femme. C’est au contraire une approche de
973 n’est pas le refoulement de l’amour, la négation de la Femme. C’est au contraire une approche de la Femme. Une sublimatio
974 tion de la Femme. C’est au contraire une approche de la Femme. Une sublimation. Vous pensez donc que le mythe, après s’êtr
975 rminé notre entretien, ici commence la conférence de Denis de Rougemont. « Les modernes — écrivait-il — croient qu’il exis
976 es — écrivait-il — croient qu’il existe une sorte de nature normale, à laquelle la culture et la religion seraient venues
977 que nous sommes, sans le savoir, menons nos vies de civilisés dans une confusion proprement insensée de religions jamais
978 civilisés dans une confusion proprement insensée de religions jamais tout à fait mortes, et rarement tout à fait comprise
979 et rarement tout à fait comprises et pratiquées ; de morales jadis exclusives, mais qui se superposent ou se combinent à l
980 i se superposent ou se combinent à l’arrière-plan de nos conduites élémentaires ; de complexes ignorés, mais d’autant plus
981 à l’arrière-plan de nos conduites élémentaires ; de complexes ignorés, mais d’autant plus actifs… » N’accueillons pas san
982 nduites élémentaires ; de complexes ignorés, mais d’ autant plus actifs… » N’accueillons pas sans reconnaissance l’homme ca
983 cueillons pas sans reconnaissance l’homme capable de nous dire savamment, certes, mais avec une fougue et une simplicité d
984 avec une fougue et une simplicité devenues rares, de quelle manière, à son avis, nous devons nous comprendre. y. Rougem
985 ous devons nous comprendre. y. Rougemont Denis de , « [Entretien] Les mythes sommeillent… ils vont se réveiller », Gazet
986 hes sommeillent… ils vont se réveiller », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 9–10 février 1963, p. 17-
19 1964, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il nous faut des hommes de synthèses (19-20 septembre 1964)
987 Il nous faut des hommes de synthèses (19-20 septembre 1964)aa Le mythe de la tour de Babel me
988 de synthèses (19-20 septembre 1964)aa Le mythe de la tour de Babel me paraît l’un des plus vivants, des plus actuels, e
989 s (19-20 septembre 1964)aa Le mythe de la tour de Babel me paraît l’un des plus vivants, des plus actuels, et aussi des
990 , des plus actuels, et aussi des plus angoissants de ceux que nous a légués l’Antiquité proche-orientale, si étroitement m
991 ement mêlée aux origines helléniques et bibliques de la culture d’Europe. L’interprétation la plus éclairante de ce mythe
992 x origines helléniques et bibliques de la culture d’ Europe. L’interprétation la plus éclairante de ce mythe me paraît avoi
993 origines helléniques et bibliques de la culture d’ Europe . L’interprétation la plus éclairante de ce mythe me paraît avoir été
994 ure d’Europe. L’interprétation la plus éclairante de ce mythe me paraît avoir été donnée par Dante en son Traité de l’éloq
995 e paraît avoir été donnée par Dante en son Traité de l’éloquence vulgaire, au chapitre septième du 1er livre. Traduisons s
996 ci : L’homme entreprit, dans son cœur incurable, de dépasser par ses artifices non seulement la Nature, mais le Naturant,
997 , mais le Naturant, qui est Dieu, et il entreprit d’ édifier une tour à Sennaar, qui fut ensuite appelée Babel, ce qui veut
998 t escalader le Ciel : tentant ainsi non seulement d’ égaler mais de surpasser son Créateur. Tant et si bien que presque tou
999 Ciel : tentant ainsi non seulement d’égaler mais de surpasser son Créateur. Tant et si bien que presque tout le genre hum
1000 sque tout le genre humain collabora à cette œuvre d’ iniquité. Une partie d’entre eux commandait, une partie dressait les p
1001 tre eux commandait, une partie dressait les plans d’ architecture, une partie construisait les murs ; les uns travaillaient
1002 it les murs ; les uns travaillaient du cordeau et de l’équerre, et les autres de la truelle ; les uns taillaient les pierr
1003 llaient du cordeau et de l’équerre, et les autres de la truelle ; les uns taillaient les pierres tandis que d’autres convo
1004 , entre eux, et ceux qui les taillaient, et ainsi de chaque groupe spécialisé (et sic de singulis operantibus). Mais autan
1005 ent, et ainsi de chaque groupe spécialisé (et sic de singulis operantibus). Mais autant d’activités variées, autant d’idio
1006 isé (et sic de singulis operantibus). Mais autant d’ activités variées, autant d’idiomes différents divisant le genre humai
1007 antibus). Mais autant d’activités variées, autant d’ idiomes différents divisant le genre humain. Et plus ils excellaient d
1008 à la langue sacrée furent ceux qui avaient refusé de prendre part à l’œuvre et s’étaient tenus à l’écart, couvrant d’impré
1009 à l’œuvre et s’étaient tenus à l’écart, couvrant d’ imprécations la folie des travailleurs et les tournant en dérision. A
1010 les tournant en dérision. Ainsi donc, l’origine de la diversité des langues ne serait autre que la spécialisation des mé
1011 écialisation des métiers et par suite des jargons de métier — spécialisation exigée par les dimensions mêmes d’un projet q
1012 — spécialisation exigée par les dimensions mêmes d’ un projet qui consistait à dépasser la mesure naturelle par l’artifice
1013 mesure naturelle par l’artifice humain. L’oubli de l’unité Ceci m’évoque d’abord la description de l’Europe que nous
1014 e l’unité Ceci m’évoque d’abord la description de l’Europe que nous donnait Paul Valéry dans sa célèbre Lettre sur la s
1015 nité Ceci m’évoque d’abord la description de l’ Europe que nous donnait Paul Valéry dans sa célèbre Lettre sur la société de
1016 la société des esprits, publiée vers 1920 : « Les Européens se sont jetés dans une aventure prodigieuse qui consiste à modifier l
1017 e à modifier les données initiales « naturelles » de la vie, non plus (comme on le faisait il y a quelques siècles) pour r
1018 des besoins certains et à des nécessités limitées de cette même vie — mais comme inspirés de créer une forme d’existence t
1019 limitées de cette même vie — mais comme inspirés de créer une forme d’existence tout artificielle… » Au-delà de cette Eur
1020 même vie — mais comme inspirés de créer une forme d’ existence tout artificielle… » Au-delà de cette Europe décrite par Val
1021 ne forme d’existence tout artificielle… » Au-delà de cette Europe décrite par Valéry, l’interprétation de Dante me paraît
1022 d’existence tout artificielle… » Au-delà de cette Europe décrite par Valéry, l’interprétation de Dante me paraît valable pour
1023 cette Europe décrite par Valéry, l’interprétation de Dante me paraît valable pour le monde moderne tout entier. Et, à l’in
1024 monde moderne tout entier. Et, à l’intérieur de l’ Europe , elle fait songer irrésistiblement à cette institution dont le nom mê
1025 semble indiquer qu’elle devrait résumer le monde de l’esprit, l’ensemble de nos activités intellectuelles, et donc artifi
1026 devrait résumer le monde de l’esprit, l’ensemble de nos activités intellectuelles, et donc artificielles — elle fait song
1027 surée qu’il faut, pour l’édifier, diviser maîtres d’ œuvre et ouvriers en équipes spécialisées et qui bientôt ne se compren
1028 ité et ses diverses facultés, et les subdivisions de ces facultés, et tous les instituts spécialisés qui, autour d’elles o
1029 és, et tous les instituts spécialisés qui, autour d’ elles ou en elles, prolifèrent. Dans la page que je viens de vous lire
1030 s la page que je viens de vous lire sur l’origine de la pluralité des langues, Dante a posé implicitement le problème beau
1031 é implicitement le problème beaucoup plus général de ce qui divise les hommes depuis l’aube des temps : les langues certes
1032 savoir des autres, et enfin, et surtout, l’oubli de l’unité, l’étrange oubli des buts finaux de l’existence dans lequel n
1033 oubli de l’unité, l’étrange oubli des buts finaux de l’existence dans lequel nous voyons s’enfoncer, inexorablement, le sp
1034 nfoncer, inexorablement, le spécialiste. Essayons de poser le problème dans son ensemble, à l’échelle planétaire. Nous ass
1035 me semble-t-il, au xxe siècle, à deux mouvements de sens contraire, qui affectent ces facteurs traditionnels de division
1036 ntraire, qui affectent ces facteurs traditionnels de division du genre humain. Mouvement de convergence à grande échelle,
1037 ditionnels de division du genre humain. Mouvement de convergence à grande échelle, d’une part. Les distances sont presque
1038 ations tendent à se regrouper et à s’organiser en de vastes ensembles, par continents, et d’abord en Europe. Les races qui
1039 e vastes ensembles, par continents, et d’abord en Europe . Les races qui s’ignoraient jadis au point qu’un homme de couleur dif
1040 races qui s’ignoraient jadis au point qu’un homme de couleur différente ne semblait pas vraiment humain, se reconnaissent
1041 a le métissage universel, après un certain nombre de conflits peut-être atroces, mais dont l’issue n’est pas douteuse. Les
1042 ltures entrent en dialogue, sur un pied théorique d’ égalité, au lendemain de l’ère coloniale. Pour le moment et pour des d
1043 ue, sur un pied théorique d’égalité, au lendemain de l’ère coloniale. Pour le moment et pour des décennies encore, c’est l
1044 mine tout, unifie tout, uniformise les apparences de la vie quotidienne sur toute la terre. Les langues elles-mêmes, ce pl
1045 elles-mêmes, ce plus ancien symbole des divisions de l’humanité, s’interpénètrent, et certaines s’universalisent. On n’a j
1046 nes s’universalisent. On n’a jamais autant appris de deuxièmes et de troisièmes langues. On n’a jamais autant traduit et d
1047 sent. On n’a jamais autant appris de deuxièmes et de troisièmes langues. On n’a jamais autant traduit et déchiffré. Et des
1048 der quelles sont les causes, le moteur et l’agent de ce mouvement universel de convergence ? La réponse me paraît évidente
1049 s, le moteur et l’agent de ce mouvement universel de convergence ? La réponse me paraît évidente. C’est l’Europe, c’est el
1050 vergence ? La réponse me paraît évidente. C’est l’ Europe , c’est elle seule, qui a déclenché cette évolution planétaire. L’Euro
1051 le, qui a déclenché cette évolution planétaire. L’ Europe a découvert la terre entière, et personne d’autre n’est jamais venu l
1052 ’Europe a découvert la terre entière, et personne d’ autre n’est jamais venu la découvrir. L’Europe gréco-romaine et judéo-
1053 ersonne d’autre n’est jamais venu la découvrir. L’ Europe gréco-romaine et judéo-chrétienne a conçu la notion de genre humain,
1054 éco-romaine et judéo-chrétienne a conçu la notion de genre humain, si longtemps étrangère, voire répugnante, à l’Asie brah
1055 nation puis à la suppression — mais après combien de siècles — de l’esclavage. Le droit des gens valable pour toute race e
1056 la suppression — mais après combien de siècles — de l’esclavage. Le droit des gens valable pour toute race est une créati
1057 des gens valable pour toute race est une création de l’Europe, durant l’époque colonialiste et tout d’abord en réaction à
1058 ens valable pour toute race est une création de l’ Europe , durant l’époque colonialiste et tout d’abord en réaction à ses outra
1059 Kant en sont les pères, et je ne leur vois guère de répondant dans les élites d’Asie, d’Arabie et d’Afrique, à part Gandh
1060 e ne leur vois guère de répondant dans les élites d’ Asie, d’Arabie et d’Afrique, à part Gandhi. Enfin l’Europe, par sa tec
1061 r vois guère de répondant dans les élites d’Asie, d’ Arabie et d’Afrique, à part Gandhi. Enfin l’Europe, par sa technique,
1062 de répondant dans les élites d’Asie, d’Arabie et d’ Afrique, à part Gandhi. Enfin l’Europe, par sa technique, a mis en rel
1063 ie, d’Arabie et d’Afrique, à part Gandhi. Enfin l’ Europe , par sa technique, a mis en relations toutes les parties du monde, de
1064 onde, devenu désormais unité théorique et système de relations pratiques. L’Europe et l’Europe seule a fait tout cela, par
1065 té théorique et système de relations pratiques. L’ Europe et l’Europe seule a fait tout cela, par sa religion, par ses grands p
1066 et système de relations pratiques. L’Europe et l’ Europe seule a fait tout cela, par sa religion, par ses grands philosophes e
1067 ences, par sa technique enfin, résultante moderne de cet ensemble de principes fondamentaux, de tensions, de contestations
1068 chnique enfin, résultante moderne de cet ensemble de principes fondamentaux, de tensions, de contestations, de créations e
1069 oderne de cet ensemble de principes fondamentaux, de tensions, de contestations, de créations et de formes de vie — disons
1070 ensemble de principes fondamentaux, de tensions, de contestations, de créations et de formes de vie — disons d’un mot : p
1071 ipes fondamentaux, de tensions, de contestations, de créations et de formes de vie — disons d’un mot : par sa culture, qui
1072 x, de tensions, de contestations, de créations et de formes de vie — disons d’un mot : par sa culture, qui a fait littéral
1073 ions, de contestations, de créations et de formes de vie — disons d’un mot : par sa culture, qui a fait littéralement le t
1074 ations, de créations et de formes de vie — disons d’ un mot : par sa culture, qui a fait littéralement le tour du monde. Ma
1075 on se réclame, fût-ce pour les retourner contre l’ Europe , de ses doctrines politiques et sociales, et de certaines de ses vale
1076 clame, fût-ce pour les retourner contre l’Europe, de ses doctrines politiques et sociales, et de certaines de ses valeurs
1077 rope, de ses doctrines politiques et sociales, et de certaines de ses valeurs — en même temps se manifeste et se prononce,
1078 doctrines politiques et sociales, et de certaines de ses valeurs — en même temps se manifeste et se prononce, précisément
1079 se manifeste et se prononce, précisément au cœur de sa culture qui fut l’agent de la convergence mondiale, un mouvement r
1080 précisément au cœur de sa culture qui fut l’agent de la convergence mondiale, un mouvement radicalement contraire de diver
1081 nce mondiale, un mouvement radicalement contraire de divergence. Ce mouvement de dissociation, de division et de séparatio
1082 adicalement contraire de divergence. Ce mouvement de dissociation, de division et de séparation, qui est proprement babéli
1083 aire de divergence. Ce mouvement de dissociation, de division et de séparation, qui est proprement babélique, ne me paraît
1084 nce. Ce mouvement de dissociation, de division et de séparation, qui est proprement babélique, ne me paraît nulle part plu
1085 que dans nos universités. Tout le monde sait ici de quoi je veux parler : nous assistons en fait à une double explosion a
1086 t à une double explosion au sein des institutions d’ enseignement supérieur : explosion du savoir, qui se traduit par un ac
1087 un accroissement continuel à la fois du nombre et de l’exclusivité des spécialisations dans le cadre distendu des facultés
1088 n des effectifs estudiantins, résultant à la fois de l’accroissement des populations et la démocratisation des études.
1089 autres avec une vitesse croissante, comme autant de galaxies dans le cosmos en expansion vertigineuse que nous décrivent
1090 que nous décrivent les astronomes contemporains. D’ où résultent les deux conséquences qui définissent le phénomène de Bab
1091 es deux conséquences qui définissent le phénomène de Babel : la disparition rapide de toute langue commune, remplacée par
1092 ent le phénomène de Babel : la disparition rapide de toute langue commune, remplacée par une multiplicité de langages spéc
1093 te langue commune, remplacée par une multiplicité de langages spéciaux de moins en moins traduisibles, et l’évanouissement
1094 mplacée par une multiplicité de langages spéciaux de moins en moins traduisibles, et l’évanouissement progressif de la con
1095 oins traduisibles, et l’évanouissement progressif de la conscience du but commun, des fins dernières de l’entreprise, qui
1096 e la conscience du but commun, des fins dernières de l’entreprise, qui se perdent dans les nuées de l’inconcevable. Mais d
1097 es de l’entreprise, qui se perdent dans les nuées de l’inconcevable. Mais dire que tout langage commun se perd, entre les
1098 liées du savoir, c’est dire que la commune mesure d’ une civilisation est en train de s’évanouir — j’entends par là, sa con
1099 n de s’évanouir — j’entends par là, sa conception de l’homme universel, cet idéal capable d’inspirer et d’orienter la pens
1100 onception de l’homme universel, cet idéal capable d’ inspirer et d’orienter la pensée, le sentiment et l’action non seuleme
1101 ’homme universel, cet idéal capable d’inspirer et d’ orienter la pensée, le sentiment et l’action non seulement des esprits
1102 t l’action non seulement des esprits créateurs et de la jeunesse européenne, mais aussi des hommes d’outre-mer qui viennen
1103 seulement des esprits créateurs et de la jeunesse européenne , mais aussi des hommes d’outre-mer qui viennent chez nous en pèlerina
1104 de la jeunesse européenne, mais aussi des hommes d’ outre-mer qui viennent chez nous en pèlerinage aux sources vives de la
1105 iennent chez nous en pèlerinage aux sources vives de la nouvelle culture mondiale. Mais qu’il n’y ait plus, ou presque plu
1106 ndiale. Mais qu’il n’y ait plus, ou presque plus, de langage commun, et que les buts finaux s’obscurcissent, il faut bien
1107 t dire aussi, très concrètement, qu’il n’y a plus d’ Université aux deux sens primitifs de l’universitas, qui sont le sens
1108 l n’y a plus d’Université aux deux sens primitifs de l’universitas, qui sont le sens corporatif, communautaire, et le sens
1109 s agglomérats ou juxtapositions souvent fortuites d’ écoles professionnelles et d’instituts de recherches n’ayant plus d’au
1110 ns souvent fortuites d’écoles professionnelles et d’ instituts de recherches n’ayant plus d’autres liens réels que ceux d’u
1111 ortuites d’écoles professionnelles et d’instituts de recherches n’ayant plus d’autres liens réels que ceux d’une administr
1112 erches n’ayant plus d’autres liens réels que ceux d’ une administration en outre accablée de soucis matériels et qui a d’au
1113 s que ceux d’une administration en outre accablée de soucis matériels et qui a d’autres chats à fouetter que de méditer su
1114 matériels et qui a d’autres chats à fouetter que de méditer sur la synthèse des facultés de l’esprit humain. La juxtaposi
1115 etter que de méditer sur la synthèse des facultés de l’esprit humain. La juxtaposition de facultés étanches ne fait pas pl
1116 des facultés de l’esprit humain. La juxtaposition de facultés étanches ne fait pas plus une université qu’une addition d’o
1117 s ne fait pas plus une université qu’une addition d’ organes ne fait un corps vivant. Regardons cela d’un peu plus près. Su
1118 d’organes ne fait un corps vivant. Regardons cela d’ un peu plus près. Sur l’explosion des effectifs, nous disposons d’une
1119 ès. Sur l’explosion des effectifs, nous disposons d’ une grande richesse de statistiques. Un seul exemple peut suffire ici 
1120 s effectifs, nous disposons d’une grande richesse de statistiques. Un seul exemple peut suffire ici : le nombre des étudia
1121 ire ici : le nombre des étudiants en France était de 42 000 en 1924, il est d’environ 280 000 en 1964, et l’on prévoit qu’
1122 udiants en France était de 42 000 en 1924, il est d’ environ 280 000 en 1964, et l’on prévoit qu’il sera de 500 000 dans un
1123 viron 280 000 en 1964, et l’on prévoit qu’il sera de 500 000 dans une dizaine d’années. (Seules n’auront pu varier les dim
1124 on prévoit qu’il sera de 500 000 dans une dizaine d’ années. (Seules n’auront pu varier les dimensions des salles de la Sor
1125 ules n’auront pu varier les dimensions des salles de la Sorbonne, où déjà les étudiants s’écrasent une heure avant les gra
1126 e 85 % des scientifiques ayant vécu depuis l’aube de l’histoire, sont vivants aujourd’hui. Et Louis Armand me disait un jo
1127 disait un jour : si vous et moi, dans nos années d’ études, il y a 30 à 35 ans, avions appris toute la chimie et n’en avio
1128 vions rien oublié, nous ne saurions qu’un dixième de ce qu’elle est aujourd’hui. Ces données numériques, que je prends pou
1129 ie, génétique) et peut-être en psychologie ; rien de comparable ne s’est produit et ne saurait se produire dans la théolog
1130 i dans les lettres. Mais cette disparité n’a rien de rassurant, tout au contraire : elle accroît la séparation et les dist
1131 re le savoir et le croire, entre ces deux aspects de la personne totale, jadis but et module de tout l’effort de l’Univers
1132 spects de la personne totale, jadis but et module de tout l’effort de l’Université au plein sens de son nom (Univers, univ
1133 onne totale, jadis but et module de tout l’effort de l’Université au plein sens de son nom (Univers, universitas, selon l’
1134 le de tout l’effort de l’Université au plein sens de son nom (Univers, universitas, selon l’étymologie chère à Claudel, ve
1135 t considérer comme un grand appareil distributeur d’ informations, au sens cybernétique du terme, cesse de fonctionner norm
1136 nformations, au sens cybernétique du terme, cesse de fonctionner normalement quand les informations ne peuvent plus être é
1137 ntre les branches du savoir, ou entre les rameaux d’ une même branche. Les jugements d’ensemble, rapportés à quelque unité
1138 tre les rameaux d’une même branche. Les jugements d’ ensemble, rapportés à quelque unité globale de conception, soit origin
1139 nts d’ensemble, rapportés à quelque unité globale de conception, soit originelle soit finale, ne peuvent dès lors plus s’e
1140 e la théologie ait gardé ses pouvoirs régulateurs de l’ensemble de nos croyances : un théologien d’aujourd’hui, lisant l’œ
1141 ait gardé ses pouvoirs régulateurs de l’ensemble de nos croyances : un théologien d’aujourd’hui, lisant l’œuvre d’un phys
1142 rs de l’ensemble de nos croyances : un théologien d’ aujourd’hui, lisant l’œuvre d’un physicien, ne serait plus en mesure d
1143 ces : un théologien d’aujourd’hui, lisant l’œuvre d’ un physicien, ne serait plus en mesure de le juger comme l’Église juge
1144 l’œuvre d’un physicien, ne serait plus en mesure de le juger comme l’Église jugea Galilée, parce que, tout simplement, il
1145 arce que, tout simplement, il ne comprendrait pas de quoi parle le physicien, et a fortiori ne saurait pas si le rapport e
1146 tre les conclusions du physicien et la dogmatique de l’Église doit être estimé négatif, positif ou indifférent. J’ajoute q
1147 bablement ne s’en soucierait pas. Ainsi chacun va de son côté, et les représentants des disciplines diverses n’ont souvent
1148 udes quotidiennes ou des préjugés mutuels hérités de conflits dès longtemps périmés3. Mais il y a le point de vue de l’esp
1149 s longtemps périmés3. Mais il y a le point de vue de l’esprit, qui est différent. L’esprit humain, et particulièrement l’e
1150 nt. L’esprit humain, et particulièrement l’esprit européen , ne peut se résoudre à ce que les routines et l’utilité immédiate suf
1151 édiate suffisent à justifier l’existence prospère d’ une entreprise de cet ordre, et refoulent les questions anxieuses dont
1152 à justifier l’existence prospère d’une entreprise de cet ordre, et refoulent les questions anxieuses dont je tente de me f
1153 t refoulent les questions anxieuses dont je tente de me faire ici l’interprète. Faudrait-il donc nous résigner à que l’acc
1154 ême du savoir traîne pour conséquence la division de l’esprit et l’accroissement de l’ignorance mutuelle entre les directi
1155 quence la division de l’esprit et l’accroissement de l’ignorance mutuelle entre les directions de la recherche ? Les lé
1156 ment de l’ignorance mutuelle entre les directions de la recherche ? Les lévites administrent les rites… En fait, et
1157 s administrent les rites… En fait, et aux yeux d’ un observateur non prévenu, jugeant seulement sur ce qu’il nous voit f
1158 re, il semblerait que la très grande majorité des Européens trouve que cela peut fort bien continuer ainsi, sans nul danger série
1159 ort bien continuer ainsi, sans nul danger sérieux de catastrophe. Après tout, la tour de Babel ne s’est pas écroulée sur s
1160 anger sérieux de catastrophe. Après tout, la tour de Babel ne s’est pas écroulée sur ses bâtisseurs, ils l’ont seulement a
1161 s pays, paraît plus florissante que jamais : loin d’ être abandonnée, elle attire une foule croissante de travailleurs et d
1162 être abandonnée, elle attire une foule croissante de travailleurs et de curieux. L’industrie et l’État, plus que jamais, o
1163 le attire une foule croissante de travailleurs et de curieux. L’industrie et l’État, plus que jamais, ont besoin d’elle. S
1164 ’industrie et l’État, plus que jamais, ont besoin d’ elle. Si elle est devenue trop petite pour ses tâches immédiates, qu’o
1165 âches immédiates, qu’on l’agrandisse ! Les crises de croissance n’ont jamais été mortelles pour les administrations : elle
1166 lles représentent an contraire leur régime normal d’ existence, selon la loi de Parkinson. L’incommunicabilité des savoirs
1167 aire leur régime normal d’existence, selon la loi de Parkinson. L’incommunicabilité des savoirs est ressentie par notre es
1168 t comme une permanente insécurité. L’intellectuel européen d’aujourd’hui se sent tributaire de disciplines forcément partielles,
1169 ne permanente insécurité. L’intellectuel européen d’ aujourd’hui se sent tributaire de disciplines forcément partielles, po
1170 lectuel européen d’aujourd’hui se sent tributaire de disciplines forcément partielles, pouvant à tout instant être mises e
1171 t méthodiquement sur elles-mêmes, acceptant ainsi de n’être peut-être plus tout à fait vraies — mais tant pis, cela ne se
1172 nt pis, cela ne se sait pas encore ! Cette espèce de résignation intellectuelle correspond à une forme schizoïde de la pen
1173 n intellectuelle correspond à une forme schizoïde de la pensée, et conduit à un scepticisme croissant quant aux fins derni
1174 un scepticisme croissant quant aux fins dernières de la recherche et quant à la valeur globale, ultime, du savoir humain.
1175 le, ultime, du savoir humain. Dans le Temple même de la Science, il faut bien que les lévites, même sceptiques quant aux f
1176 n que les lévites, même sceptiques quant aux fins de leur religion, administrent les rites et donnent leurs cours… Mais q
1177 Mais quel dieu servent-ils encore ? À quelle idée de l’homme, divine ou idéale, correspond aujourd’hui l’entreprise de l’U
1178 ne ou idéale, correspond aujourd’hui l’entreprise de l’Université occidentale ? Quel type d’homme a-t-elle en vue, veut-el
1179 ntreprise de l’Université occidentale ? Quel type d’ homme a-t-elle en vue, veut-elle former ? Je crains bien que si l’on t
1180 -elle former ? Je crains bien que si l’on tentait de le déduire d’une observation attentive de nos universités, l’on ne tr
1181 Je crains bien que si l’on tentait de le déduire d’ une observation attentive de nos universités, l’on ne trouve qu’une so
1182 tentait de le déduire d’une observation attentive de nos universités, l’on ne trouve qu’une sorte de monstre, assemblage d
1183 e de nos universités, l’on ne trouve qu’une sorte de monstre, assemblage de pièces et de morceaux que seuls les vêtements
1184 ’on ne trouve qu’une sorte de monstre, assemblage de pièces et de morceaux que seuls les vêtements tiendraient ensemble, o
1185 qu’une sorte de monstre, assemblage de pièces et de morceaux que seuls les vêtements tiendraient ensemble, ou la force de
1186 s les vêtements tiendraient ensemble, ou la force de l’habitude ! Nul principe de cohérence organique, point de structure
1187 nsemble, ou la force de l’habitude ! Nul principe de cohérence organique, point de structure osseuse, et très peu d’articu
1188 tude ! Nul principe de cohérence organique, point de structure osseuse, et très peu d’articulations… Au vrai, il est deven
1189 rganique, point de structure osseuse, et très peu d’ articulations… Au vrai, il est devenu presque impossible de répondre à
1190 ations… Au vrai, il est devenu presque impossible de répondre à une telle question, et c’est pourquoi sans doute on la pos
1191 des personnes réelles et complètes, ou seulement de futurs professionnels ? Des sages capables de penser, d’agir et de cr
1192 ent de futurs professionnels ? Des sages capables de penser, d’agir et de créer en harmonie, ou seulement des producteurs
1193 rs professionnels ? Des sages capables de penser, d’ agir et de créer en harmonie, ou seulement des producteurs plus effica
1194 ionnels ? Des sages capables de penser, d’agir et de créer en harmonie, ou seulement des producteurs plus efficaces, c’est
1195 vrai que ces questions débordent le seul domaine de l’Université, et qu’elles affectent tout l’ensemble de la culture eur
1196 Université, et qu’elles affectent tout l’ensemble de la culture européenne. Mais c’est par l’Université que les hommes d’o
1197 qu’elles affectent tout l’ensemble de la culture européenne . Mais c’est par l’Université que les hommes d’outre-mer viennent au c
1198 éenne. Mais c’est par l’Université que les hommes d’ outre-mer viennent au contact de la culture européenne, et c’est là qu
1199 té que les hommes d’outre-mer viennent au contact de la culture européenne, et c’est là qu’ils se posent à eux-mêmes ces q
1200 mes d’outre-mer viennent au contact de la culture européenne , et c’est là qu’ils se posent à eux-mêmes ces questions, et nous les
1201 sent avec une insistance gênante — car nous voici de moins en moins armés pour y répondre. Le problème qu’on soulève ici,
1202 e qu’on soulève ici, et qui est celui du principe de cohérence de notre civilisation, me paraît absolument spécifique de l
1203 ve ici, et qui est celui du principe de cohérence de notre civilisation, me paraît absolument spécifique de l’Europe. Seul
1204 tre civilisation, me paraît absolument spécifique de l’Europe. Seule en effet parmi toutes les grandes cultures qui ont fa
1205 ivilisation, me paraît absolument spécifique de l’ Europe . Seule en effet parmi toutes les grandes cultures qui ont fait l’hist
1206 utes les grandes cultures qui ont fait l’histoire de l’humanité, l’Europe a osé l’aventure d’un développement autonome de
1207 cultures qui ont fait l’histoire de l’humanité, l’ Europe a osé l’aventure d’un développement autonome de la science et des art
1208 histoire de l’humanité, l’Europe a osé l’aventure d’ un développement autonome de la science et des arts, d’une séparation,
1209 rope a osé l’aventure d’un développement autonome de la science et des arts, d’une séparation, voire d’une opposition entr
1210 développement autonome de la science et des arts, d’ une séparation, voire d’une opposition entre le sacré et le profane, e
1211 e la science et des arts, d’une séparation, voire d’ une opposition entre le sacré et le profane, entre la cohérence global
1212 é des disciplines spécialisées provient chez nous de la sécularisation de la philosophie et de la recherche qui s’est mani
1213 cialisées provient chez nous de la sécularisation de la philosophie et de la recherche qui s’est manifestée bien avant la
1214 ez nous de la sécularisation de la philosophie et de la recherche qui s’est manifestée bien avant la Renaissance, probable
1215 stement qui a vu naître les premières universités européennes , en Italie puis à Paris. (Quant à savoir dans quelle mesure l’apparit
1216 . (Quant à savoir dans quelle mesure l’apparition de l’Université est liée à ce phénomène, soit qu’elle l’exprime, soit qu
1217 tre lui avec le thomisme, ce serait un beau sujet d’ études.) Pourquoi travaillez-vous autant ? Or rien de tel ne s’e
1218 ) Pourquoi travaillez-vous autant ? Or rien de tel ne s’est produit, autant que l’on sache, dans les cultures sacrée
1219 ’on sache, dans les cultures sacrées et homogènes de l’Asie brahmanique ou bouddhiste, de l’Afrique noire ancienne, d’Isra
1220 et homogènes de l’Asie brahmanique ou bouddhiste, de l’Afrique noire ancienne, d’Israël sous la synagogue, ou de l’Amériqu
1221 nique ou bouddhiste, de l’Afrique noire ancienne, d’ Israël sous la synagogue, ou de l’Amérique précolombienne. Dans ces cu
1222 ue noire ancienne, d’Israël sous la synagogue, ou de l’Amérique précolombienne. Dans ces cultures tout est sacré. La disti
1223 réglées par les mêmes lois et ne connaissent pas de développements particuliers et divergents. L’originalité, pour elles,
1224 mais atteinte à l’ordre sacré — ou simple erreur d’ exécution. Mutatis mutandis, il en va de même dans les cultures totali
1225 isme (ou, au moins, le parti qui l’interprète). L’ Europe seule se voit obligée de rechercher sans cesse, en d’infinis débats,
1226 qui l’interprète). L’Europe seule se voit obligée de rechercher sans cesse, en d’infinis débats, les principes primitifs o
1227 eule se voit obligée de rechercher sans cesse, en d’ infinis débats, les principes primitifs ou finaux, ou simplement opéra
1228 ipes primitifs ou finaux, ou simplement opératifs de sa cohérence culturelle, sans cesse perdue de vue ou remise en questi
1229 ifs de sa cohérence culturelle, sans cesse perdue de vue ou remise en question. Et quand les hommes nourris de cultures di
1230 u remise en question. Et quand les hommes nourris de cultures différentes viennent nous poser leurs grandes questions naïv
1231 ndes questions naïves et pénétrantes : pourquoi l’ Europe a-t-elle fait les machines ? Pourquoi travaillez-vous autant ? Pourqu
1232 vos désirs ? Bien peu d’entre nous sont capables de donner une réponse satisfaisante. Le spécialiste se récuse méthodique
1233 s qui aient osé relever, par exemple, la relation de continuité entre le dogme de l’Incarnation (reconnaissance de la réal
1234 exemple, la relation de continuité entre le dogme de l’Incarnation (reconnaissance de la réalité de la matière et du corps
1235 é entre le dogme de l’Incarnation (reconnaissance de la réalité de la matière et du corps, où Dieu se manifeste) et le dév
1236 me de l’Incarnation (reconnaissance de la réalité de la matière et du corps, où Dieu se manifeste) et le développement des
1237 ires n’allait pas perdre à leur étude le meilleur de son temps de méditation. Si les Européens voulaient vraiment répondre
1238 pas perdre à leur étude le meilleur de son temps de méditation. Si les Européens voulaient vraiment répondre aux Asiatiqu
1239 de le meilleur de son temps de méditation. Si les Européens voulaient vraiment répondre aux Asiatiques, aux Africains, ou aux Ara
1240 ils se verraient conduits à dépasser leur régime de spécialités académiques, à surmonter leur ignorance méthodique des do
1241 ignorance méthodique des domaines qui ne sont pas de leur département. Je reprends ici mon exemple du physicien et du théo
1242 hindou qui interroge l’Occident sur son obsession de l’Histoire, du Temps, de l’Évolution et du Progrès, il faudrait que l
1243 cident sur son obsession de l’Histoire, du Temps, de l’Évolution et du Progrès, il faudrait que le théologien soit capable
1244 ogrès, il faudrait que le théologien soit capable de se référer non seulement aux conciles et aux textes sacrés, mais aux
1245 onciles et aux textes sacrés, mais aux fondements de la doctrine physique du Temps, aux discussions qui durent déjà depuis
1246 qui durent déjà depuis un siècle sur le principe de Carnot et Clausius sur la dégradation de l’énergie, la « flèche du te
1247 principe de Carnot et Clausius sur la dégradation de l’énergie, la « flèche du temps » et l’entropie, notions de base qui
1248 ie, la « flèche du temps » et l’entropie, notions de base qui ont une portée métaphysique indiscutable. Et il faudrait que
1249 ciens qui en discutent sachent que la dialectique de leurs problèmes actuels sur le temps, la matière et sa constitution,
1250 ologue à celle des grandes querelles théologiques de Nicée, de l’augustinisme, de Luther et du jansénisme. Je m’excuse de
1251 elle des grandes querelles théologiques de Nicée, de l’augustinisme, de Luther et du jansénisme. Je m’excuse de traiter pa
1252 erelles théologiques de Nicée, de l’augustinisme, de Luther et du jansénisme. Je m’excuse de traiter par allusions rapides
1253 stinisme, de Luther et du jansénisme. Je m’excuse de traiter par allusions rapides, peut-être obscures, un sujet qui deman
1254 des, peut-être obscures, un sujet qui demanderait de gros ouvrages pour être exposé sérieusement. Ce qu’il m’importe de ma
1255 pour être exposé sérieusement. Ce qu’il m’importe de marquer par cet exemple, c’est que l’Europe de l’esprit ne peut plus
1256 m’importe de marquer par cet exemple, c’est que l’ Europe de l’esprit ne peut plus se présenter devant le monde qu’elle a révei
1257 te de marquer par cet exemple, c’est que l’Europe de l’esprit ne peut plus se présenter devant le monde qu’elle a réveillé
1258 ésordre spirituel et dans l’incohérence babélique de ses spécialités sans communication, et de la pluralité de ses recherc
1259 bélique de ses spécialités sans communication, et de la pluralité de ses recherches sans références à un langage commun.
1260 pécialités sans communication, et de la pluralité de ses recherches sans références à un langage commun. Un savoir en p
1261 rogression géométrique Le grand problème que l’ Europe seule me paraît en mesure de résoudre, parce qu’elle seule l’a posé d
1262 d problème que l’Europe seule me paraît en mesure de résoudre, parce qu’elle seule l’a posé dans l’histoire, c’est celui d
1263 ’elle seule l’a posé dans l’histoire, c’est celui de l’Un et du Divers également réels et valables, dont le problème des r
1264 s relations entre savoirs spécialisés et synthèse de nos connaissances n’est guère qu’un cas particulier. Le paradoxe euro
1265 es n’est guère qu’un cas particulier. Le paradoxe européen par excellence de l’union dans la diversité n’est pas seulement celui
1266 particulier. Le paradoxe européen par excellence de l’union dans la diversité n’est pas seulement celui de l’Université,
1267 union dans la diversité n’est pas seulement celui de l’Université, mais celui de notre politique d’intégration européenne,
1268 t pas seulement celui de l’Université, mais celui de notre politique d’intégration européenne, dans sa forme fédéraliste,
1269 ui de l’Université, mais celui de notre politique d’ intégration européenne, dans sa forme fédéraliste, non unitaire, que j
1270 sité, mais celui de notre politique d’intégration européenne , dans sa forme fédéraliste, non unitaire, que je tiens pour la seule
1271 blème dans le cadre qui nous intéresse ici, celui de l’Université ? Trois solutions me paraissent concevables. a) La premi
1272 ouvent proposée, consisterait à imposer des cours de culture générale, un studium generale, aux étudiants de toutes les fa
1273 ture générale, un studium generale, aux étudiants de toutes les facultés et instituts spécialisés. Je n’y crois pas. La pr
1274 e intention si louable ont échoué, et les raisons de ces échecs répétés me paraissent assez évidentes. La généralité n’es
1275 générales, aux ramifications interdisciplinaires de ce que l’on est en train d’étudier dans le détail. La vie est trop co
1276 ongée comme on nous le promet jusqu’à une moyenne de 90 ans, pour que l’espoir de maîtriser l’ensemble du savoir humain, d
1277 jusqu’à une moyenne de 90 ans, pour que l’espoir de maîtriser l’ensemble du savoir humain, d’ailleurs en progression géom
1278 en progression géométrique, ait la moindre chance de succès et l’éducation permanente qu’on nous propose, qui s’étendrait
1279 berceau à la tombe, ne laisserait guère le temps de vivre à ses bénéficiaires super-savants. Pic de la Mirandole, aujourd
1280 s de vivre à ses bénéficiaires super-savants. Pic de la Mirandole, aujourd’hui, se verrait contraint de choisir entre une
1281 e la Mirandole, aujourd’hui, se verrait contraint de choisir entre une carrière de brillant vulgarisateur scientifique et
1282 e verrait contraint de choisir entre une carrière de brillant vulgarisateur scientifique et une spécialisation qui lui vau
1283 t qu’une monstruosité : le développement excessif d’ un organe aux dépens de l’équilibre du corps. On peut l’évaluer à son
1284 prix réel et trouver celui-ci exorbitant : perdre de vue l’ensemble humain est une perte absolue, essentielle, que tous le
1285 la double pression que j’ai dite : toujours plus de matières à enseigner à un nombre toujours plus grand d’étudiants et d
1286 ières à enseigner à un nombre toujours plus grand d’ étudiants et de futurs enseignants. Puisqu’on ne peut chercher de solu
1287 er à un nombre toujours plus grand d’étudiants et de futurs enseignants. Puisqu’on ne peut chercher de solution en arrière
1288 de futurs enseignants. Puisqu’on ne peut chercher de solution en arrière, il faut donc la chercher en avant : accepter le
1289 donc la chercher en avant : accepter le mouvement de spécialisation, mais le pousser jusqu’à ce point où l’étude la plus e
1290 ser jusqu’à ce point où l’étude la plus exigeante d’ une discipline particulière va déboucher sur des problèmes qui relèven
1291 . Dans bien des cas célèbres, c’est l’avant-garde de la recherche la plus hautement spécialisée qui s’est vue conduite par
1292 ui s’est vue conduite par les nécessités internes de son cheminement, à déboucher sur des domaines que la vertueuse méthod
1293 chanalyse. Un ethnologue, spécialisé dans l’étude de la « pensée sauvage » découvre dans la linguistique générale de Ferdi
1294 sauvage » découvre dans la linguistique générale de Ferdinand de Saussure, science des systèmes de signes, l’explication
1295 le de Ferdinand de Saussure, science des systèmes de signes, l’explication qui lui manquait de la prohibition de l’inceste
1296 ystèmes de signes, l’explication qui lui manquait de la prohibition de l’inceste ; cependant que des biologistes et des él
1297 l’explication qui lui manquait de la prohibition de l’inceste ; cependant que des biologistes et des électroniciens puise
1298 ne les schèmes structuraux qui permettent aux uns d’ interpréter la transmission du patrimoine héréditaire par les chromoso
1299 moine héréditaire par les chromosomes, aux autres de construire des machines à traduire. Un physicien étudiant le principe
1300 nes à traduire. Un physicien étudiant le principe de l’irréversibilité du temps est amené à écrire « qu’une vue physicienn
1301 u cosmos est trop étriquée » ; et que la physique de demain risque de se trouver obligée d’entrer dans un dialogue actif a
1302 étriquée » ; et que la physique de demain risque de se trouver obligée d’entrer dans un dialogue actif avec, disons, la p
1303 a physique de demain risque de se trouver obligée d’ entrer dans un dialogue actif avec, disons, la psychologie au sens lar
1304 a psychologie au sens large, pour jeter les bases d’ une science beaucoup plus compréhensive. Et chacun sait que c’est en p
1305 . Et chacun sait que c’est en poussant l’exigence de l’analyse jusqu’aux anomalies les plus fines, que les savants contemp
1306 plusieurs d’entre eux l’ont écrit. Carrefours de vérités Une phrase de Spinoza s’est fixée dans mon souvenir dès l’
1307 ont écrit. Carrefours de vérités Une phrase de Spinoza s’est fixée dans mon souvenir dès l’adolescence : « D’autant
1308 est fixée dans mon souvenir dès l’adolescence : «  D’ autant plus nous connaissons les choses particulières, d’autant plus n
1309 t plus nous connaissons les choses particulières, d’ autant plus nous connaissons Dieu. » Si je la transpose au domaine moi
1310 au domaine moins sublime que j’essaie aujourd’hui d’ explorer, elle me paraît rendre compte du fait que ce sont les meilleu
1311 -à-dire ceux qui vont le plus loin dans l’analyse de certains cas particuliers, qui nous conduisent le plus sûrement au gé
1312 pas objectivement et comme spontanément au terme d’ une comparaison systématique des résultats en soi acquis par les spéci
1313 se est un acte créateur, intervenant au carrefour de plusieurs vérités hétérogènes saisies par l’esprit dans leur mouvemen
1314 ns jusqu’alors inaperçues. C’est dire que l’œuvre de synthèse qu’exige l’état présent de notre culture et de nos universit
1315 e que l’œuvre de synthèse qu’exige l’état présent de notre culture et de nos universités, devrait d’abord être confiée à d
1316 thèse qu’exige l’état présent de notre culture et de nos universités, devrait d’abord être confiée à des groupes de cherch
1317 sités, devrait d’abord être confiée à des groupes de chercheurs représentant des disciplines diverses. Par leur réunion ph
1318 aires restreints, ils créeraient ces « carrefours de vérités hétérogènes » sur lesquels et à partir desquels l’esprit de s
1319 ènes » sur lesquels et à partir desquels l’esprit de synthèse pourrait s’exercer. Le nombre optimum des participants de te
1320 ait s’exercer. Le nombre optimum des participants de tels groupes me paraît être, à l’expérience de nombreux colloques por
1321 ts de tels groupes me paraît être, à l’expérience de nombreux colloques portant sur des sujets interdisciplinaires, d’une
1322 oques portant sur des sujets interdisciplinaires, d’ une douzaine de personnes seulement. Ce module permet en effet la conv
1323 ur des sujets interdisciplinaires, d’une douzaine de personnes seulement. Ce module permet en effet la conversation, l’éch
1324 rmet en effet la conversation, l’échange spontané de questions et de réponses, le dialogue en un mot, et il exclut l’inter
1325 conversation, l’échange spontané de questions et de réponses, le dialogue en un mot, et il exclut l’intervention monologa
1326 ui importe au bout du compte, dans une entreprise de ce genre, c’est la qualité personnelle des hommes qui s’y livrent : s
1327 aut enfin, ce qui nous manque, ce sont des hommes de synthèse, un type nouveau d’hommes de pensée en qui s’incarne une sor
1328 , ce sont des hommes de synthèse, un type nouveau d’ hommes de pensée en qui s’incarne une sorte de conscience conjoncturel
1329 des hommes de synthèse, un type nouveau d’hommes de pensée en qui s’incarne une sorte de conscience conjoncturelle de l’é
1330 eau d’hommes de pensée en qui s’incarne une sorte de conscience conjoncturelle de l’évolution de nos recherches, un sens c
1331 s’incarne une sorte de conscience conjoncturelle de l’évolution de nos recherches, un sens constamment alerté de leurs co
1332 sorte de conscience conjoncturelle de l’évolution de nos recherches, un sens constamment alerté de leurs corrélations virt
1333 ion de nos recherches, un sens constamment alerté de leurs corrélations virtuelles et de la fécondité de leurs interférenc
1334 amment alerté de leurs corrélations virtuelles et de la fécondité de leurs interférences. Ces hommes seront d’abord des sp
1335 leurs corrélations virtuelles et de la fécondité de leurs interférences. Ces hommes seront d’abord des spécialistes, et q
1336 ls par le fait même qu’ils auront pris conscience de ce qu’ils ne peuvent se contenter d’être seulement des spécialistes.
1337 s conscience de ce qu’ils ne peuvent se contenter d’ être seulement des spécialistes. Favoriser ou fomenter ce type humain,
1338 main, lui offrir les moyens matériels, l’ambiance de vie, le milieu de vie, les contacts personnels requis par l’exercice
1339 es moyens matériels, l’ambiance de vie, le milieu de vie, les contacts personnels requis par l’exercice de sa vocation, vo
1340 ie, les contacts personnels requis par l’exercice de sa vocation, voilà sans doute le genre de solution concrète que nous
1341 xercice de sa vocation, voilà sans doute le genre de solution concrète que nous pourrions préconiser, si nous voulons tent
1342 nous pourrions préconiser, si nous voulons tenter de faire face au problème posé par l’accroissement babélique de la spéci
1343 ce au problème posé par l’accroissement babélique de la spécialisation. Ces prix Nobel Sur le problème de l’explosio
1344 cialisation. Ces prix Nobel Sur le problème de l’explosion des effectifs universitaires, je n’aurais guère à propose
1345 res, je n’aurais guère à proposer qu’une solution de bon sens presque simpliste : il me semble que le seul moyen de sauver
1346 resque simpliste : il me semble que le seul moyen de sauver la qualité des universités existantes et leur efficacité pédag
1347 r des facteurs quantitatifs irréversibles, serait de multiplier sans plus tarder le nombre des établissements d’enseigneme
1348 ier sans plus tarder le nombre des établissements d’ enseignement supérieur. D’une part, les universités existantes seraien
1349 ités existantes seraient progressivement libérées de leur engorgement, d’autre part les dimensions des universités nouvell
1350 rder aux optima que votre Conférence se préoccupe d’ établir et que proposent avec beaucoup de sagesse, me semble-t-il, les
1351 beaucoup de sagesse, me semble-t-il, les rapports d’ experts qui vous sont soumis. Si l’on garde à l’esprit la règle d’or d
1352 us sont soumis. Si l’on garde à l’esprit la règle d’ or de la culture européenne, qui n’est rien d’autre que la mesure huma
1353 nt soumis. Si l’on garde à l’esprit la règle d’or de la culture européenne, qui n’est rien d’autre que la mesure humaine,
1354 l’on garde à l’esprit la règle d’or de la culture européenne , qui n’est rien d’autre que la mesure humaine, le module des relation
1355 gle d’or de la culture européenne, qui n’est rien d’ autre que la mesure humaine, le module des relations personnelles, con
1356 , le module des relations personnelles, condition de toute existence communautaire et de tout bon travail en commun, l’on
1357 es, condition de toute existence communautaire et de tout bon travail en commun, l’on sera conduit à préférer la multiplic
1358 n, l’on sera conduit à préférer la multiplication de petites universités à la multiplication des facultés, des chaires et
1359 plication des facultés, des chaires et des postes d’ assistants dans les déjà trop grandes universités. L’adjectif petit me
1360 tés. L’adjectif petit me paraît intimement lié en Europe , non seulement à l’optimum de l’efficacité pédagogique — qui exige la
1361 timement lié en Europe, non seulement à l’optimum de l’efficacité pédagogique — qui exige la proximité — mais aussi au max
1362 imité — mais aussi au maximum du pouvoir créateur d’ un milieu donné, cité, pays ou université. Ce n’est pas du tout par ha
1363 bli le sociologue belge Léo Moulin, sous le titre d’ indice Nobel, et qui se fonde sur le nombre de prix Nobel de sciences
1364 tre d’indice Nobel, et qui se fonde sur le nombre de prix Nobel de sciences par million d’habitants d’un pays, de 1901 à 1
1365 obel, et qui se fonde sur le nombre de prix Nobel de sciences par million d’habitants d’un pays, de 1901 à 1960, ce sont l
1366 r le nombre de prix Nobel de sciences par million d’ habitants d’un pays, de 1901 à 1960, ce sont les plus petits pays d’Eu
1367 de prix Nobel de sciences par million d’habitants d’ un pays, de 1901 à 1960, ce sont les plus petits pays d’Europe qui occ
1368 el de sciences par million d’habitants d’un pays, de 1901 à 1960, ce sont les plus petits pays d’Europe qui occupent les c
1369 ays, de 1901 à 1960, ce sont les plus petits pays d’ Europe qui occupent les cinq premiers rangs, soit dans l’ordre la Suis
1370 s, de 1901 à 1960, ce sont les plus petits pays d’ Europe qui occupent les cinq premiers rangs, soit dans l’ordre la Suisse, le
1371 t l’URSS viennent loin derrière, ou même en queue de liste. Je n’en dis pas plus sur ce point : dans les petits pays, tout
1372 , y compris les universités. Mais sur le problème de l’explosion du savoir, dont je vous ai plus longuement entretenu, il
1373 je vous ai plus longuement entretenu, il me tarde de vous proposer des conclusions plus personnelles et plus précises, qui
1374 r rendement optimum, peut freiner l’accroissement de l’entropie au niveau de l’enseignement, mais ne répondra pas au défi
1375 u de l’enseignement, mais ne répondra pas au défi de la division du savoir en langages spécialisés. Pour y répondre, il fa
1376 s. Pour y répondre, il faut envisager la création d’ instituts ou de centres de synthèse, établis à l’échelle européenne, j
1377 dre, il faut envisager la création d’instituts ou de centres de synthèse, établis à l’échelle européenne, je veux dire sup
1378 t envisager la création d’instituts ou de centres de synthèse, établis à l’échelle européenne, je veux dire supranationale
1379 ts ou de centres de synthèse, établis à l’échelle européenne , je veux dire supranationale. J’en imagine le prototype, qui serait u
1380 e. J’en imagine le prototype, qui serait une tour d’ anti-Babel. Dans un grand parc, près de la mer, ou d’un lac, ou d’une
1381 nti-Babel. Dans un grand parc, près de la mer, ou d’ un lac, ou d’une large rivière, en pleine campagne, mais pas trop loin
1382 ns un grand parc, près de la mer, ou d’un lac, ou d’ une large rivière, en pleine campagne, mais pas trop loin d’une ville
1383 e rivière, en pleine campagne, mais pas trop loin d’ une ville de moyenne grandeur et de vie culturelle et sociale animée,
1384 n pleine campagne, mais pas trop loin d’une ville de moyenne grandeur et de vie culturelle et sociale animée, une ou deux-
1385 pas trop loin d’une ville de moyenne grandeur et de vie culturelle et sociale animée, une ou deux-centaines de maisons fa
1386 lturelle et sociale animée, une ou deux-centaines de maisons familiales dispersées, et un centre de type villageois : hôte
1387 es de maisons familiales dispersées, et un centre de type villageois : hôtels, auberges, marché, boutiques, chapelles, san
1388 ques, chapelles, sans oublier plusieurs terrasses de café. Dans le centre aussi, un groupe de bâtiments contient la biblio
1389 errasses de café. Dans le centre aussi, un groupe de bâtiments contient la bibliothèque et les salles de colloques. La com
1390 bâtiments contient la bibliothèque et les salles de colloques. La commune, gouvernée par le recteur, jouit d’un statut sp
1391 ques. La commune, gouvernée par le recteur, jouit d’ un statut spécial d’exterritorialité : c’est une sorte de district féd
1392 uvernée par le recteur, jouit d’un statut spécial d’ exterritorialité : c’est une sorte de district fédéral de l’Europe int
1393 atut spécial d’exterritorialité : c’est une sorte de district fédéral de l’Europe intellectuelle. Là vivent ces « hommes d
1394 ritorialité : c’est une sorte de district fédéral de l’Europe intellectuelle. Là vivent ces « hommes de synthèse » dont je
1395 ialité : c’est une sorte de district fédéral de l’ Europe intellectuelle. Là vivent ces « hommes de synthèse » dont je vous par
1396 e l’Europe intellectuelle. Là vivent ces « hommes de synthèse » dont je vous parlais tout à l’heure : professeurs de tous
1397 dont je vous parlais tout à l’heure : professeurs de tous âges et de toutes spécialités, et futurs professeurs déjà gradué
1398 lais tout à l’heure : professeurs de tous âges et de toutes spécialités, et futurs professeurs déjà gradués, d’une part ;
1399 part ; responsables des domaines les plus variés de la vie publique, économique et sociale, d’autre part. Condition génér
1400 ique et sociale, d’autre part. Condition générale d’ admission : avoir prouvé son excellence dans une branche au moins du s
1401 xcellence dans une branche au moins du savoir, ou de la vie professionnelle, et démontrer d’une manière convaincante qu’on
1402 avoir, ou de la vie professionnelle, et démontrer d’ une manière convaincante qu’on éprouve l’impérieux désir d’intégrer l’
1403 ière convaincante qu’on éprouve l’impérieux désir d’ intégrer l’expérience acquise dans un ensemble plus compréhensif. Les
1404 plus compréhensif. Les activités intellectuelles de cette communauté peuvent être définies à grands traits comme suit. Qu
1405 rands traits comme suit. Quant à la forme : point de cours magistraux, mais seulement des colloques restreints, groupant a
1406 e déclaration publique est obligatoirement suivie d’ une discussion réglée. Ici l’on n’impose pas une image du monde : on l
1407 isciplinée par la critique mutuelle. Deux meneurs de jeu par colloque, et ils ne peuvent appartenir à la même spécialité.
1408 par là : les sujets qu’il serait le plus malaisé de traiter dans le cadre de nos facultés classiques. Voici quelques-uns
1409 l serait le plus malaisé de traiter dans le cadre de nos facultés classiques. Voici quelques-uns des sujets que, pour ma p
1410 s des sujets que, pour ma part, je serais heureux de pouvoir étudier et discuter, si j’étais jugé digne de participer aux
1411 ouvoir étudier et discuter, si j’étais jugé digne de participer aux activités de la commune. 1. Les options fondamentales
1412 si j’étais jugé digne de participer aux activités de la commune. 1. Les options fondamentales des grandes cultures, notamm
1413 ons fondamentales des grandes cultures, notamment de la culture européenne, et la logique ou les contradictions de leur dé
1414 les des grandes cultures, notamment de la culture européenne , et la logique ou les contradictions de leur développement dans la vi
1415 e européenne, et la logique ou les contradictions de leur développement dans la vie publique et privée de l’unité culturel
1416 leur développement dans la vie publique et privée de l’unité culturelle en question. Le problème des possibles convergence
1417 ssance créatrice, formerait un centre particulier d’ attention. 2. Le rôle créateur de l’interaction des disciplines dans l
1418 ntre particulier d’attention. 2. Le rôle créateur de l’interaction des disciplines dans l’histoire ancienne et récente de
1419 s disciplines dans l’histoire ancienne et récente de l’Europe. Dans quelle mesure et sous quelles conditions les invention
1420 ciplines dans l’histoire ancienne et récente de l’ Europe . Dans quelle mesure et sous quelles conditions les inventions ou déco
1421 quelles conditions les inventions ou découvertes de la science et des arts sont-elles apparues ? Part de la gratuité, de
1422 la science et des arts sont-elles apparues ? Part de la gratuité, de la nécessité, des fins utilitaires, de l’imagination
1423 s arts sont-elles apparues ? Part de la gratuité, de la nécessité, des fins utilitaires, de l’imagination débridée, de la
1424 gratuité, de la nécessité, des fins utilitaires, de l’imagination débridée, de la foi, du doute, de la méthode et des con
1425 des fins utilitaires, de l’imagination débridée, de la foi, du doute, de la méthode et des contingences dans les progrès
1426 , de l’imagination débridée, de la foi, du doute, de la méthode et des contingences dans les progrès de la connaissance en
1427 e la méthode et des contingences dans les progrès de la connaissance en Occident. 3. Au-delà de la technologie. Comment pa
1428 rogrès de la connaissance en Occident. 3. Au-delà de la technologie. Comment passer de l’ère technique à l’ère de l’équili
1429 ent. 3. Au-delà de la technologie. Comment passer de l’ère technique à l’ère de l’équilibre humain ? En d’autres termes, c
1430 ologie. Comment passer de l’ère technique à l’ère de l’équilibre humain ? En d’autres termes, comment tirer les bénéfices
1431 ? En d’autres termes, comment tirer les bénéfices de bonheur individuel, de santé mentale, de beauté du milieu et de paix
1432 omment tirer les bénéfices de bonheur individuel, de santé mentale, de beauté du milieu et de paix des disciplines farouch
1433 énéfices de bonheur individuel, de santé mentale, de beauté du milieu et de paix des disciplines farouches qu’imposent à l
1434 ividuel, de santé mentale, de beauté du milieu et de paix des disciplines farouches qu’imposent à la majorité de nos conte
1435 s disciplines farouches qu’imposent à la majorité de nos contemporains les impératifs de la croissance de production, et d
1436 à la majorité de nos contemporains les impératifs de la croissance de production, et de l’aide aux sous-développés ? 4. Po
1437 nos contemporains les impératifs de la croissance de production, et de l’aide aux sous-développés ? 4. Possibilités d’un l
1438 les impératifs de la croissance de production, et de l’aide aux sous-développés ? 4. Possibilités d’un langage universel,
1439 t de l’aide aux sous-développés ? 4. Possibilités d’ un langage universel, fondé sur la cybernétique et sur la sémiologie d
1440 l, fondé sur la cybernétique et sur la sémiologie de Saussure. Recherche générale de procédés de translation des méthodes,
1441 sur la sémiologie de Saussure. Recherche générale de procédés de translation des méthodes, démarches spécifiques et résult
1442 logie de Saussure. Recherche générale de procédés de translation des méthodes, démarches spécifiques et résultats des dive
1443 ésultats des diverses branches du savoir. Limites d’ un tel langage, et comment y suppléer par les arts. 5. Européologie. I
1444 upart de nos grandes universités des départements d’ indianisme, de sinologie, d’islamologie, d’études des civilisations tr
1445 randes universités des départements d’indianisme, de sinologie, d’islamologie, d’études des civilisations tropicales, afri
1446 ités des départements d’indianisme, de sinologie, d’ islamologie, d’études des civilisations tropicales, africaines, indamé
1447 ements d’indianisme, de sinologie, d’islamologie, d’ études des civilisations tropicales, africaines, indaméricaines, indon
1448 indonésiennes, etc. Il n’existe pas, ni hors de l’ Europe ni en Europe, de chaires d’études européennes, ou plus précisément d’
1449 , etc. Il n’existe pas, ni hors de l’Europe ni en Europe , de chaires d’études européennes, ou plus précisément d’européologie.
1450 l n’existe pas, ni hors de l’Europe ni en Europe, de chaires d’études européennes, ou plus précisément d’européologie. Cer
1451 pas, ni hors de l’Europe ni en Europe, de chaires d’ études européennes, ou plus précisément d’européologie. Certes, l’on é
1452 ors de l’Europe ni en Europe, de chaires d’études européennes , ou plus précisément d’européologie. Certes, l’on étudie un peu parto
1453 chaires d’études européennes, ou plus précisément d’ européologie. Certes, l’on étudie un peu partout le Marché commun, le
1454 le Marché commun, le mécanisme des organisations européennes , leur histoire récente, leur jurisprudence, l’unification de leurs me
1455 stoire récente, leur jurisprudence, l’unification de leurs mesures sociales et la coordination de leurs politiques économi
1456 tion de leurs mesures sociales et la coordination de leurs politiques économiques. Ce qui nous manque encore, c’est une ét
1457 e quasi ethnographique des caractères spécifiques de notre civilisation, à l’heure où elle se répand d’une manière anarchi
1458 e notre civilisation, à l’heure où elle se répand d’ une manière anarchique sur tous les continents de la planète, à l’heur
1459 d’une manière anarchique sur tous les continents de la planète, à l’heure où le tiers-monde l’interroge avec une anxiété
1460 le tiers-monde l’interroge avec une anxiété mêlée d’ arrogance, à l’heure où elle s’interroge elle-même plus qu’elle n’a ja
1461 le n’a jamais fait dans son histoire. Cette liste de thèmes, vous le sentez, ne demande qu’à s’allonger au gré de vos dési
1462 vous le sentez, ne demande qu’à s’allonger au gré de vos désirs. Quant aux relations entre un tel Centre de synthèse et le
1463 s désirs. Quant aux relations entre un tel Centre de synthèse et les universités existantes, on les imaginera sans peine.
1464 uction si désirable dans nos mœurs universitaires d’ une année sabbatique de type américain, permettrait d’envoyer beaucoup
1465 s nos mœurs universitaires d’une année sabbatique de type américain, permettrait d’envoyer beaucoup de professeurs à cet i
1466 e année sabbatique de type américain, permettrait d’ envoyer beaucoup de professeurs à cet institut de recyclage et de remi
1467 d’envoyer beaucoup de professeurs à cet institut de recyclage et de remise en question générale, et c’est aussi ce que no
1468 oup de professeurs à cet institut de recyclage et de remise en question générale, et c’est aussi ce que nous attendons tou
1469 nérale, et c’est aussi ce que nous attendons tous de nos vacances. Après un an, les professeurs détachés reviendraient à l
1470 achés reviendraient à leur enseignement, porteurs d’ une sorte de radioactivité, — les uns mûris, les autres rajeunis… Comm
1471 draient à leur enseignement, porteurs d’une sorte de radioactivité, — les uns mûris, les autres rajeunis… Comment baptiser
1472 baptiser l’entreprise ? Elle pourrait se réclamer de beaucoup de noms illustres, d’hommes qui ont rêvé l’Académie européen
1473 urrait se réclamer de beaucoup de noms illustres, d’ hommes qui ont rêvé l’Académie européenne, comme Tommaso Campanella ou
1474 noms illustres, d’hommes qui ont rêvé l’Académie européenne , comme Tommaso Campanella ou Amos Comenius, traçant le plan de son Co
1475 maso Campanella ou Amos Comenius, traçant le plan de son Conseil de la Lumière ; ou d’hommes qui méditaient sur la nécessi
1476 ou Amos Comenius, traçant le plan de son Conseil de la Lumière ; ou d’hommes qui méditaient sur la nécessité d’un langage
1477 traçant le plan de son Conseil de la Lumière ; ou d’ hommes qui méditaient sur la nécessité d’un langage commun aux science
1478 ère ; ou d’hommes qui méditaient sur la nécessité d’ un langage commun aux sciences exactes, aux arts et à la théologie, ai
1479 est la conclusion que je souhaite que vous tiriez de mes propos, cet institut de synthèse serait idéalement ce dont on par
1480 haite que vous tiriez de mes propos, cet institut de synthèse serait idéalement ce dont on parle un peu partout, plus ou m
1481 , plus ou moins bien, depuis 1957, date du traité de Rome instituant l’Euratom : une Université européenne. Vraie universi
1482 ité de Rome instituant l’Euratom : une Université européenne . Vraie université, puisqu’elle traiterait spécifiquement du général,
1483 elle traiterait spécifiquement du général, en vue d’ entretenir ou de former une image cohérente du Tout. Vraiment européen
1484 spécifiquement du général, en vue d’entretenir ou de former une image cohérente du Tout. Vraiment européenne, puisqu’elle
1485 u de former une image cohérente du Tout. Vraiment européenne , puisqu’elle aurait pour fin de recréer l’union dans la diversité, qu
1486 Vraiment européenne, puisqu’elle aurait pour fin de recréer l’union dans la diversité, qui est la formule de notre grand
1487 éer l’union dans la diversité, qui est la formule de notre grand passé, et de notre avenir, intégré, le seul possible. L’E
1488 sité, qui est la formule de notre grand passé, et de notre avenir, intégré, le seul possible. L’Europe, c’est très peu de
1489 et de notre avenir, intégré, le seul possible. L’ Europe , c’est très peu de chose plus une culture. Quatre pour cent des terre
1490 e dessinent, aux États-Unis notamment, pour faire de la mathématique un substitut moderne au latin de jadis, la nouvelle l
1491 de la mathématique un substitut moderne au latin de jadis, la nouvelle langue de communication non seulement internationa
1492 tut moderne au latin de jadis, la nouvelle langue de communication non seulement internationale mais interdisciplinaire, p
1493 sciplines les plus diverses à un très haut niveau de précision. Mais on peut craindre que le langage mathématique, même un
1494 re esthéticiens, laisse tout de même muettes trop de réalités précieuses, affectives et personnelles, essentielles au sens
1495 affectives et personnelles, essentielles au sens de nos vies. aa. Rougemont Denis de, « Il nous faut des hommes de synt
1496 ielles au sens de nos vies. aa. Rougemont Denis de , « Il nous faut des hommes de synthèses », Gazette de Lausanne (suppl
1497 a. Rougemont Denis de, « Il nous faut des hommes de synthèses », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 1
1498 « Il nous faut des hommes de synthèses », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 19–20 septembre 1964, p. 
20 1965, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Un écrivain suisse (20-21 mars 1965)
1499 pas une patrie suisse mais deux douzaines, point de grands centres ni de marché intellectuel, et surtout point de langue
1500 e mais deux douzaines, point de grands centres ni de marché intellectuel, et surtout point de langue que ces patries aient
1501 ntres ni de marché intellectuel, et surtout point de langue que ces patries aient en commun, semble interdire la possibili
1502 aient en commun, semble interdire la possibilité d’ un écrivain qui mériterait d’être appelé suisse, comme Hölderlin fut s
1503 rdire la possibilité d’un écrivain qui mériterait d’ être appelé suisse, comme Hölderlin fut sans conteste allemand ou Leop
1504 ue l’Allemagne ou l’Italie n’aient réuni dans une de ces super-provinces qu’on nomme nations toutes leurs cités, tous leur
1505 s. Pourtant je vois cette possibilité s’illustrer d’ une manière exemplaire dans l’œuvre et la carrière de Carl Burckhardt.
1506 ne manière exemplaire dans l’œuvre et la carrière de Carl Burckhardt. C’est qu’il est l’un de ceux, très rares, dont la pe
1507 carrière de Carl Burckhardt. C’est qu’il est l’un de ceux, très rares, dont la personne, le style, la formule créatrice ré
1508 créatrice résultent et se composent, précisément, de cette pluralité des données culturelles qui, moins forts, moins doués
1509 moins doués, les eût neutralisés. Lointain cousin de l’historien de la Renaissance, je ne pense pas qu’il tienne de lui ce
1510 s eût neutralisés. Lointain cousin de l’historien de la Renaissance, je ne pense pas qu’il tienne de lui ce don de prévisi
1511 n de la Renaissance, je ne pense pas qu’il tienne de lui ce don de prévision de l’avenir européen dont tous les deux firen
1512 sance, je ne pense pas qu’il tienne de lui ce don de prévision de l’avenir européen dont tous les deux firent preuve dans
1513 pense pas qu’il tienne de lui ce don de prévision de l’avenir européen dont tous les deux firent preuve dans leur Correspo
1514 ’il tienne de lui ce don de prévision de l’avenir européen dont tous les deux firent preuve dans leur Correspondance (voir les l
1515 leur Correspondance (voir les lettres à von Preen de l’aîné, celles à Hofmannsthal du cadet), mais plutôt qu’il faut l’att
1516 faut l’attribuer à leur commune formation bâloise d’ historiens scrupuleux mais sûrs artistes, héritiers d’une longue tradi
1517 storiens scrupuleux mais sûrs artistes, héritiers d’ une longue tradition humaniste où se mêlent intimement germanisme et l
1518 mêlent intimement germanisme et latinité, esprit de la cité et cosmopolitisme, et qui rend plus sensibles à l’oreille int
1519 l’oreille intérieure les arythmies annonciatrices d’ accidents du cœur de l’Europe. La pensée et l’action Peu de carri
1520 les arythmies annonciatrices d’accidents du cœur de l’Europe. La pensée et l’action Peu de carrières ont connu tant
1521 arythmies annonciatrices d’accidents du cœur de l’ Europe . La pensée et l’action Peu de carrières ont connu tant d’alterna
1522 ée et l’action Peu de carrières ont connu tant d’ alternances de périodes d’action et de médiation. Tantôt écrivain libr
1523 Peu de carrières ont connu tant d’alternances de périodes d’action et de médiation. Tantôt écrivain libre ou professeu
1524 arrières ont connu tant d’alternances de périodes d’ action et de médiation. Tantôt écrivain libre ou professeur ; historie
1525 connu tant d’alternances de périodes d’action et de médiation. Tantôt écrivain libre ou professeur ; historien des grande
1526 u mêlé à l’histoire vivante comme dans le cyclone de Dantzig ; enfin mémorialiste d’événements qu’il a vécus et qu’il avai
1527 e dans le cyclone de Dantzig ; enfin mémorialiste d’ événements qu’il a vécus et qu’il avait prévus. Burckhardt est le type
1528 t qu’il avait prévus. Burckhardt est le type même de l’écrivain qui ne peut séparer la pensée de l’action, ni la passion d
1529 même de l’écrivain qui ne peut séparer la pensée de l’action, ni la passion de la lucidité. Son expérience des hommes et
1530 peut séparer la pensée de l’action, ni la passion de la lucidité. Son expérience des hommes et de l’irrationnel qui condui
1531 sion de la lucidité. Son expérience des hommes et de l’irrationnel qui conduit leurs affaires au pire a certes confirmé so
1532 sa profonde méfiance à l’endroit de ce qui vient, de notre monde moderne en général, mais son goût puissant de la vie et s
1533 monde moderne en général, mais son goût puissant de la vie et son sens du service de la cité n’ont cessé de le ramener au
1534 on goût puissant de la vie et son sens du service de la cité n’ont cessé de le ramener aux grands postes publics, quand un
1535 vie et son sens du service de la cité n’ont cessé de le ramener aux grands postes publics, quand un appel pressant du pays
1536 sion mais servir avec force en toute indépendance d’ esprit, peut-on dire que ces traits composent une personnalité typique
1537 uffira peut-être à justifier l’existence autonome de ce pays, dans une époque où l’homme complet devient un phénomène tell
1538 nir que le « dictateur… ». (Mais j’allais oublier de dire que « C.J.B. », l’homme dont la stature est imposante, est aussi
1539 nt, un humoriste redoutable, et un grand chasseur de chamois.) ab. Rougemont Denis de, « Un écrivain suisse : Carl Bur
1540 and chasseur de chamois.) ab. Rougemont Denis de , « Un écrivain suisse : Carl Burckhardt », Gazette de Lausanne (suppl
1541 « Un écrivain suisse : Carl Burckhardt », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 20–21 mars 1964, p. 23.
21 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Stampa, vieux village… (15-16 janvier 1966)
1542 ncêtres, il y avait passé les 14 premières années de sa vie, il y revenait souvent, voir sa très vieille mère et travaille
1543 et travailler dans l’atelier qui avait été celui de son père. Il y est mort hier soir, puisse-t-il y reposer parmi les si
1544 . Mais ce jour-là, il triturait une mince colonne de terre et se plaignait — « c’est l’enfer ! », disait-il. De la matière
1545 et se plaignait — « c’est l’enfer ! », disait-il. De la matière fuyait entre ses doigts, s’effilait et refusait de remplir
1546 e fuyait entre ses doigts, s’effilait et refusait de remplir le volume normal d’un corps, d’une tête. « Cela s’allonge et
1547 ’effilait et refusait de remplir le volume normal d’ un corps, d’une tête. « Cela s’allonge et s’amincit par une poussée ir
1548 refusait de remplir le volume normal d’un corps, d’ une tête. « Cela s’allonge et s’amincit par une poussée irrésistible d
1549 allonge et s’amincit par une poussée irrésistible de bas en haut, rien à faire, c’est plus fort que moi… » Là-dessus des t
1550 es allés prendre un verre sur la terrasse du Café de la Poste, au grand soleil. J’écrivais à ce moment un livre sur la Sui
1551 moment un livre sur la Suisse, c’était la raison de mon passage, et nous avons parlé de notre pays, fraternisé dans un él
1552 ait la raison de mon passage, et nous avons parlé de notre pays, fraternisé dans un éloge immodéré de ses aspects variés e
1553 de notre pays, fraternisé dans un éloge immodéré de ses aspects variés et insolites, de l’Appenzell où Alberto avait fait
1554 loge immodéré de ses aspects variés et insolites, de l’Appenzell où Alberto avait fait son service et gagné un galon de bo
1555 Alberto avait fait son service et gagné un galon de bon tireur — moi aussi, je l’ai eu ! m’écriai-je — jusqu’à Soglio tou
1556 Et quel paysage autour de nous ! Le clocher aigu de l’église ; de maigres peupliers noueux sur des pentes bosselées et se
1557 ge autour de nous ! Le clocher aigu de l’église ; de maigres peupliers noueux sur des pentes bosselées et semées de rocher
1558 upliers noueux sur des pentes bosselées et semées de rochers, et tout en haut les futs très effilés du Piz Duan, des pics
1559 haut les futs très effilés du Piz Duan, des pics de la Sciora. Volcaniques ? Oui, bien sûr, et le père d’Alberto aimait à
1560 rce irrésistible allongeait vers le haut. Émotion de pressentir derrière l’œuvre, accident du génie humain, et ces acciden
1561 luriques, une même poussée profonde, une même loi de violence formatrice… ac. Rougemont Denis de, « Stampa, vieux villa
1562 oi de violence formatrice… ac. Rougemont Denis de , « Stampa, vieux village… », Gazette de Lausanne (supplément littérai
1563 ont Denis de, « Stampa, vieux village… », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 15–16 janvier 1966, p. 13
22 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). André Breton à New York (8-9 octobre 1966)
1564 i qui avait été l’un des « phares » baudelairiens de notre adolescence loin de Paris, puis un symbole (refusé mais sacré)
1565 oin de Paris, puis un symbole (refusé mais sacré) de la révolte inefficace, aux yeux sévères des jeunes mouvements personn
1566 ements personnalistes où je militais, cessât tout d’ un coup d’être un mythe pour devenir du même coup mon ami, après un dî
1567 sonnalistes où je militais, cessât tout d’un coup d’ être un mythe pour devenir du même coup mon ami, après un dîner tête-à
1568 J’écrivais deux longs textes par jour : « La Voix de l’Amérique parle aux Français », et j’avais deux équipes d’« announce
1569 que parle aux Français », et j’avais deux équipes d’ « announcers » qui les lisaient en alternant les voix devant le micro 
1570 ils Pitoëff, et Breton. (Il avait trouvé ce moyen de gagner juste de quoi vivre sans la moindre compromission avec tous le
1571 Breton. (Il avait trouvé ce moyen de gagner juste de quoi vivre sans la moindre compromission avec tous les snobismes à l’
1572 ismes à l’affût.) Il se plaignit, très gentiment, de ce que durant nos années parisiennes, nous n’ayons pu, ou cru pouvoir
1573 ns pu, ou cru pouvoir, nous rencontrer. « Ce sont de ces conneries ! Et que l’on expie ! » (Beaucoup de lui dans ces quelq
1574 ucoup de lui dans ces quelques mots.) Il m’arrive de rêver que je m’entends au mieux avec tel homme, telle femme dont tout
1575 e, mon rêve est devenu vrai : nous parlons certes de ce qui peut nous rapprocher, l’amour-passion, les troubadours, la psy
1576 rs, la psychanalyse, Saint-John Perse, mais aussi de ce qui doit nous opposer de front : nos options politiques, morales e
1577 ohn Perse, mais aussi de ce qui doit nous opposer de front : nos options politiques, morales et religieuses. Et nous voici
1578 eligieuses. Et nous voici bientôt dans l’euphorie de la contestation en convergence heureuse ! À quelques jours de là, il
1579 tation en convergence heureuse ! À quelques jours de là, il me dit souhaiter que nous puissions désormais nous rencontrer
1580  mécaniquement en quelque sorte ». L’OWI eut ceci de bon de nous en assurer l’occasion quotidienne. Le culte d’une pierr
1581 quement en quelque sorte ». L’OWI eut ceci de bon de nous en assurer l’occasion quotidienne. Le culte d’une pierre bleue
1582 ous en assurer l’occasion quotidienne. Le culte d’ une pierre bleue Dès notre première vraie rencontre, j’avais découv
1583 e bien que personne ne parlera dans les centaines d’ articles à paraître ces prochains jours. C’est que Breton, pour toute
1584 on, pour toute la haine vigilante qu’il n’a cessé de vouer sa vie durant aux manifestations visibles et officielles du chr
1585 l me dit ce soir-là qu’il avait découvert au fond de l’échoppe d’un cordonnier dans le Morvan, les deux portraits se faisa
1586 oir-là qu’il avait découvert au fond de l’échoppe d’ un cordonnier dans le Morvan, les deux portraits se faisant face de la
1587 ans le Morvan, les deux portraits se faisant face de la mère Angélique Arnaud et de Marat : l’accord du jansénisme et du j
1588 ts se faisant face de la mère Angélique Arnaud et de Marat : l’accord du jansénisme et du jacobinisme dans la vénération d
1589 u jansénisme et du jacobinisme dans la vénération de l’artisan lui semblait des plus exaltants. Or, il n’est rien de commu
1590 ui semblait des plus exaltants. Or, il n’est rien de commun aux deux doctrines hors le grand ton de rigueur fanatique qui
1591 en de commun aux deux doctrines hors le grand ton de rigueur fanatique qui était l’un des aspects de la poésie selon Breto
1592 n de rigueur fanatique qui était l’un des aspects de la poésie selon Breton, autrement dit, de sa « religion ». Il en tira
1593 aspects de la poésie selon Breton, autrement dit, de sa « religion ». Il en tirait une morale ombrageuse, celle qui réglai
1594 lle qui réglait absolument sa vie, et des décrets d’ excommunication peu prévisibles, à grands éclats de voix soudains, en
1595 ’excommunication peu prévisibles, à grands éclats de voix soudains, en rejetant la tête en arrière, et la victime disparai
1596 ée jusqu’à l’âme. D’autres fois, il se contentait d’ un ou deux coups d’épingle très courtois, ou d’une épithète gouailleus
1597 ’autres fois, il se contentait d’un ou deux coups d’ épingle très courtois, ou d’une épithète gouailleuse, et le disciple f
1598 it d’un ou deux coups d’épingle très courtois, ou d’ une épithète gouailleuse, et le disciple flatté hier encore au-delà de
1599 lleuse, et le disciple flatté hier encore au-delà de ses plus folles espérances, s’en allait subitement dégonflé. (Combien
1600 rances, s’en allait subitement dégonflé. (Combien de poètes, et plus encore de peintres, n’ont jamais pu vraiment s’approu
1601 ment dégonflé. (Combien de poètes, et plus encore de peintres, n’ont jamais pu vraiment s’approuver dans leur cœur, parce
1602 e les avait pas admis et célébrés !) J’ai vu plus d’ une scène de ce genre aux réunions du groupe, d’ailleurs variable et q
1603 pas admis et célébrés !) J’ai vu plus d’une scène de ce genre aux réunions du groupe, d’ailleurs variable et quelque peu f
1604 assez fantasques qu’on eût dit nées des comédies de Shakespeare. On se rencontrait chez l’un ou l’autre, faute de terrass
1605 contrait chez l’un ou l’autre, faute de terrasses de café, une ou deux soirées par semaine, et l’on se livrait avec beauco
1606 on se livrait avec beaucoup de sérieux à des jeux d’ écriture ou de télépathie. Parfois, on arrangeait une fête (comme cell
1607 avec beaucoup de sérieux à des jeux d’écriture ou de télépathie. Parfois, on arrangeait une fête (comme celle qui fut dédi
1608 Part du diable ). J’allais chez lui, il me lisait de la poésie sur un ton d’emphase contenue, en marchant à grands pas dan
1609 is chez lui, il me lisait de la poésie sur un ton d’ emphase contenue, en marchant à grands pas dans son studio : « L’Europ
1610 e, en marchant à grands pas dans son studio : « L’ Européen le plus moderne, c’est vous pape Pie X ! », criait-il en déclamant Zo
1611 ne. Ce pape-là ne le gênait pas : c’était un vers d’ Apollinaire. (Mais tout de même, la litanie du Christ aviateur, dans l
1612 l’Ode à Charles Fourier qu’il venait de recopier d’ une belle écriture sage et d’orner de fleurs au crayon de couleur. Fou
1613 l venait de recopier d’une belle écriture sage et d’ orner de fleurs au crayon de couleur. Fourier était alors son nouvel i
1614 de recopier d’une belle écriture sage et d’orner de fleurs au crayon de couleur. Fourier était alors son nouvel intercess
1615 elle écriture sage et d’orner de fleurs au crayon de couleur. Fourier était alors son nouvel intercesseur : il insistait p
1616 travail et les plaisirs « réglés » des ouvriers, de l’utopie phalanstérienne. On eût dit qu’il était le premier à découvr
1617 u’il était le premier à découvrir ce jeune auteur d’ avant-garde ! « Ombre frénétique de Fourier, ombre frémissante de Flor
1618 e jeune auteur d’avant-garde ! « Ombre frénétique de Fourier, ombre frémissante de Flora Tristan, ombre délicieuse du Père
1619 « Ombre frénétique de Fourier, ombre frémissante de Flora Tristan, ombre délicieuse du Père Enfantin… une grande réparati
1620 s leurs outrances et tout ce qui procède chez eux de la griserie imaginative, on ne peut refuser d’accorder aux écrivains
1621 ux de la griserie imaginative, on ne peut refuser d’ accorder aux écrivains réformateurs de la première moitié du xixe siè
1622 eut refuser d’accorder aux écrivains réformateurs de la première moitié du xixe siècle, le bénéfice de l’extrême fraîcheu
1623 e la première moitié du xixe siècle, le bénéfice de l’extrême fraîcheur. » Jamais Breton ne s’est mieux défini. Je pense
1624 Je pense au soir où il déclara qu’il était temps d’ aller regarder de plus près qu’on ne l’avait fait saint Augustin, qu’i
1625 soudain devant Breton, qui marche lentement à pas de rêve. « Je pensais, me dit-il, à la religion qu’il faut absolument fo
1626 fonder, et pourquoi ne pas la fonder sur le culte d’ une pierre bleue ? » Changer la vie La grande contradiction qui
1627 vie La grande contradiction qui a tendu l’arc d’ une existence poétique si hautement exemplaire à tant d’égards, c’est
1628 existence poétique si hautement exemplaire à tant d’ égards, c’est qu’il voulait tout à la fois changer la vie par une sédi
1629 et libertaire, anarchiste et sacerdotal, rhéteur de la révolte et précieux ajusteur de mallarméens bibelots, entre le dél
1630 dotal, rhéteur de la révolte et précieux ajusteur de mallarméens bibelots, entre le délire et l’extrême rigueur il n’a jam
1631 e délire et l’extrême rigueur il n’a jamais cessé d’ inventer un chemin qui ne pouvait exister que pour lui seul. De person
1632 chemin qui ne pouvait exister que pour lui seul. De personne je ne suis à ce point sûr qu’il a toujours suivi — avec auta
1633 ce point sûr qu’il a toujours suivi — avec autant d’ audace que d’exacte obéissance aux signes devinés — ce qu’il faut bien
1634 qu’il a toujours suivi — avec autant d’audace que d’ exacte obéissance aux signes devinés — ce qu’il faut bien que j’appell
1635 es devinés — ce qu’il faut bien que j’appelle ici d’ un terme signifiant pour moi la relation d’un homme au transcendant, s
1636 le ici d’un terme signifiant pour moi la relation d’ un homme au transcendant, sa vocation. ad. Rougemont Denis de, « A
1637 ranscendant, sa vocation. ad. Rougemont Denis de , « André Breton à New York », Gazette de Lausanne (supplément littéra
1638 nt Denis de, « André Breton à New York », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 8–9 octobre 1966, p. 29.
23 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Jacques Chenevière ou la précision des sentiments (22-23 octobre 1966)
1639 voulue… Furtifs retours : un visage, les parfums d’ une maison rustique ; une rue de Paris où l’on se hâte vers l’école ;
1640 is fort précises, car elles nous disent très bien de quoi parle ce livre4 mais aussi comment il en parle. Et c’est cela qu
1641 qui nous intéresse : Jacques Chenevière, écrivain de race, ne donne pas ici ses mémoires, c’est plutôt sa mémoire elle-mêm
1642 le auteur. Ces souvenirs ne seront donc pas faits de dates, d’événements et de justifications, comme ceux d’un homme publi
1643 Ces souvenirs ne seront donc pas faits de dates, d’ événements et de justifications, comme ceux d’un homme public, mais d’
1644 e seront donc pas faits de dates, d’événements et de justifications, comme ceux d’un homme public, mais d’images curieusem
1645 es, d’événements et de justifications, comme ceux d’ un homme public, mais d’images curieusement fixées et restituées après
1646 ustifications, comme ceux d’un homme public, mais d’ images curieusement fixées et restituées après un long développement i
1647 tirs ici ou là, où l’art le dispute au scrupule), de visions « furtives » mais aiguës, d’oublis révélateurs peut-être, obé
1648 u scrupule), de visions « furtives » mais aiguës, d’ oublis révélateurs peut-être, obéissant à la seule logique des sentime
1649 tre, obéissant à la seule logique des sentiments. D’ où le pouvoir émouvant de tant de ces pages. À vrai dire, il y a là de
1650 logique des sentiments. D’où le pouvoir émouvant de tant de ces pages. À vrai dire, il y a là deux ou trois livres mêlés,
1651 n peu comme dans le Nouveau Roman.) Cette variété de styles, de thèmes et de registres me paraît ici nécessaire et signifi
1652 dans le Nouveau Roman.) Cette variété de styles, de thèmes et de registres me paraît ici nécessaire et signifiante. Comme
1653 eau Roman.) Cette variété de styles, de thèmes et de registres me paraît ici nécessaire et signifiante. Comme la plupart d
1654 re et signifiante. Comme la plupart des écrivains de notre pays — et très Suisse en cela du moins — Jacques Chenevière n’e
1655 n. Une seconde vocation le requiert, dès le seuil de l’âge d’homme ; elle menace souvent d’accaparer ses énergies aux dépe
1656 conde vocation le requiert, dès le seuil de l’âge d’ homme ; elle menace souvent d’accaparer ses énergies aux dépens de l’œ
1657 s le seuil de l’âge d’homme ; elle menace souvent d’ accaparer ses énergies aux dépens de l’œuvre personnelle, elle pourra
1658 mais finalement elle n’aura pas contaminé son art d’ écrire « pour le plaisir ». Je pense à des récits comme Valets, Reines
1659 e Valets, Reines, Rois, Daphné, ou la Jeune Fille de Neige, qui n’ont rien de philanthropique. (Ils ravissaient Valéry Lar
1660 aphné, ou la Jeune Fille de Neige, qui n’ont rien de philanthropique. (Ils ravissaient Valéry Larbaud, et c’est tout dire.
1661 Valéry Larbaud, et c’est tout dire.) Cette suite d’ une quarantaine de portraits-souvenirs, de rencontres et de récits qui
1662 t c’est tout dire.) Cette suite d’une quarantaine de portraits-souvenirs, de rencontres et de récits qui mettent en scène
1663 e suite d’une quarantaine de portraits-souvenirs, de rencontres et de récits qui mettent en scène tantôt l’auteur (surtout
1664 rantaine de portraits-souvenirs, de rencontres et de récits qui mettent en scène tantôt l’auteur (surtout dans sa jeunesse
1665 e, et jamais sans humour), tantôt des personnages de l’histoire politique et littéraire d’un passé proche, nous font passe
1666 personnages de l’histoire politique et littéraire d’ un passé proche, nous font passer et repasser sans transition de la pr
1667 che, nous font passer et repasser sans transition de la prose à la poésie, d’un salon de la Belle Époque éprise d’Art aux
1668 repasser sans transition de la prose à la poésie, d’ un salon de la Belle Époque éprise d’Art aux bureaux dramatiquement im
1669 ns transition de la prose à la poésie, d’un salon de la Belle Époque éprise d’Art aux bureaux dramatiquement improvisés de
1670 à la poésie, d’un salon de la Belle Époque éprise d’ Art aux bureaux dramatiquement improvisés de la naissante Agence des p
1671 prise d’Art aux bureaux dramatiquement improvisés de la naissante Agence des prisonniers de guerre, et de l’évocation d’un
1672 improvisés de la naissante Agence des prisonniers de guerre, et de l’évocation d’une adolescence parisienne à celle d’une
1673 la naissante Agence des prisonniers de guerre, et de l’évocation d’une adolescence parisienne à celle d’une inénarrable in
1674 ence des prisonniers de guerre, et de l’évocation d’ une adolescence parisienne à celle d’une inénarrable incorporation com
1675 l’évocation d’une adolescence parisienne à celle d’ une inénarrable incorporation comme volontaire cycliste en culotte Sau
1676 olontaire cycliste en culotte Saumur et casquette de yachting dans l’armée suisse de 1914. Sans transition, mais non sans
1677 umur et casquette de yachting dans l’armée suisse de 1914. Sans transition, mais non sans art : après une scène nocturne d
1678 ion, mais non sans art : après une scène nocturne d’ un comique insidieux et digne du modèle, où l’on voit Proust lunaire,
1679 distrait et intense à la fois, paraître au seuil d’ un salon déserté, passé minuit, combien j’aime cet éclat, d’allégresse
1680 déserté, passé minuit, combien j’aime cet éclat, d’ allégresse solaire que fait la première phrase du chapitre suivant : L
1681 is le Vanéfort ! criée par le garde-chasse du mas de Campuget (près de Nîmes). « Bou Diou ! ce vent-là risque d’emporter m
1682 t (près de Nîmes). « Bou Diou ! ce vent-là risque d’ emporter même le soleil ! » Mais après le monde des enfances, entre le
1683 des enfances, entre le monde des lettres et celui de l’action — et l’on dirait ici qu’un nouveau livre se propose — quelqu
1684 ncieux exigent leur durée, leur chapitre : auprès d’ une jeune fille inconnue, dans une maison de campagne à vendre ; à tra
1685 agne à vendre ; à travers un paysage où « l’orage de mai, proche et grondant de foudres mauves, laisse dans l’air un goût
1686 n paysage où « l’orage de mai, proche et grondant de foudres mauves, laisse dans l’air un goût de silex » ; seul dans la n
1687 dant de foudres mauves, laisse dans l’air un goût de silex » ; seul dans la nuit avec soi-même ; ou devant l’épreuve profo
1688 ables. L’agence des prisonniers Descriptions d’ une mémoire ; et ce qu’elle a gardé, et qui revit en ce recueil, va de
1689 qui revit en ce recueil, va devenir par la grâce d’ un art très sûr un peu de la mémoire de chaque lecteur. Je sais bien l
1690 r la grâce d’un art très sûr un peu de la mémoire de chaque lecteur. Je sais bien les images que je n’oublierai plus, que
1691 j’aimerais évoquer ici, mais beaucoup ne sont pas de celles que l’on peut désigner facilement, faites d’atmosphère, de sen
1692 celles que l’on peut désigner facilement, faites d’ atmosphère, de sentiment, et d’un regard imaginant. Presque rien n’eût
1693 on peut désigner facilement, faites d’atmosphère, de sentiment, et d’un regard imaginant. Presque rien n’eût été enregistr
1694 facilement, faites d’atmosphère, de sentiment, et d’ un regard imaginant. Presque rien n’eût été enregistré par l’objectif
1695 faciles à identifier historiquement. La création de l’Agence des prisonniers de guerre, dès l’automne de 1914. Notre cycl
1696 iquement. La création de l’Agence des prisonniers de guerre, dès l’automne de 1914. Notre cycliste volontaire rappelé à Ge
1697 l’Agence des prisonniers de guerre, dès l’automne de 1914. Notre cycliste volontaire rappelé à Genève par Gustave Ador, pr
1698 voir un admirable gilet blanc ») se trouve chargé de deux corbeilles de courrier affluant vers Genève des familles de sold
1699 ilet blanc ») se trouve chargé de deux corbeilles de courrier affluant vers Genève des familles de soldats disparus. « À G
1700 les de courrier affluant vers Genève des familles de soldats disparus. « À Genève, pour trouver mon fils » porte une envel
1701 tre : « À Gustave Adoré, Genève. » La marée monte de semaine en semaine, sans reflux. (Durant la Seconde Guerre mondiale,
1702 ours où l’Agence recevra 40 000 documents !) Plus de mille volontaires travaillent bientôt. Un jour on annonce à Chenevièr
1703 t comme frileux malgré un gros pardessus… Finesse d’ un visage presque sans couleur, posé sur un col haut, tout droit, empe
1704 it Romain Rolland. Il venait de publier Au-dessus de la Mêlée et vivait à Villeneuve, réaliste utopique, « en une sorte de
1705 t à Villeneuve, réaliste utopique, « en une sorte de sérénité meurtrie ». Mussolini et les raisins Plus tard, c’est
1706 ni et les raisins Plus tard, c’est à la veille de l’autre guerre mondiale, une délégation du CICR se rend à Rome pour e
1707 ne délégation du CICR se rend à Rome pour essayer de sauver les blessés bombardés par les Italiens en Éthiopie. Visite au
1708 a table — où je remarque soudain une coupe emplie de beaux raisins pâles. Il tient le menton haut… L’œil est impérieux, ma
1709 ixe on ne sait quel objet imaginaire bien au-delà de nos personnes, quoique l’attention soit évidente, concentrée. » Tout
1710 é, les délégués s’en vont. « Je ne pus me retenir de regarder, deux secondes par-dessus mon épaule : Mussolini, de dos, ét
1711 deux secondes par-dessus mon épaule : Mussolini, de dos, était arrêté devant la table officielle. Plus du tout cambré, il
1712 l (mais souvent trop rapides à mon gré, par excès de pudeur peut-être, ou comme si l’auteur redoutait de s’exposer trop lo
1713 pudeur peut-être, ou comme si l’auteur redoutait de s’exposer trop longtemps aux rayons du souvenir) rappellent les amis
1714 nir) rappellent les amis disparus, un beau groupe d’ écrivains de sa génération : Guy de Pourtalès parmi les pêcheurs du Lé
1715 ent les amis disparus, un beau groupe d’écrivains de sa génération : Guy de Pourtalès parmi les pêcheurs du Léman, ou à Ba
1716 Léman, ou à Bayreuth, Robert de Traz à la Revue de Genève (dont Chenevière fut codirecteur), Pierre Girard blotti dans
1717 cel Proust. La présentation du petit Jacques, âgé de 13 ans, à Sarah Bernhardt dans sa loge, puis leurs rencontres à Genèv
1718 Genève et à Paris, sont décrites dans le registre d’ un comique assez vif, mais l’amitié ou l’émotion président seules aux
1719 itié ou l’émotion président seules aux évocations de Copeau, de Ludmilla Pitoëff, d’Adolphe Appia et de Jaques-Dalcroze, p
1720 motion président seules aux évocations de Copeau, de Ludmilla Pitoëff, d’Adolphe Appia et de Jaques-Dalcroze, pour lequel
1721 es aux évocations de Copeau, de Ludmilla Pitoëff, d’ Adolphe Appia et de Jaques-Dalcroze, pour lequel Chenevière a écrit le
1722 e Copeau, de Ludmilla Pitoëff, d’Adolphe Appia et de Jaques-Dalcroze, pour lequel Chenevière a écrit le livret des Premier
1723 e raconte avec une légèreté miraculeuse le séjour d’ un jeune homme amusé dans un château près de Strasbourg où l’accueille
1724 esse de Pourtalès et princesse Metternich — dames d’ antan, et qui furent de ces grandes corolles posées sur la prairie aup
1725 incesse Metternich — dames d’antan, et qui furent de ces grandes corolles posées sur la prairie auprès de l’Impératrice, d
1726 auprès de l’Impératrice, dans le tableau célèbre de Winterhalter. Le dialogue de ces deux dettes du Second Empire, l’une
1727 s le tableau célèbre de Winterhalter. Le dialogue de ces deux dettes du Second Empire, l’une « aux yeux couleur de beau te
1728 dettes du Second Empire, l’une « aux yeux couleur de beau temps », l’autre fumant sans cesse des petits cigares « qu’elle
1729 r composait Worth trente ans plus tôt pour un bal de la Cour (« Avouez que nous étions un peu rivales… »), s’élève jusqu’a
1730 lime dans la frivolité et touche aux ravissements d’ une poésie pure. Quels sont les secrets de l’écriture qui anime ainsi
1731 sements d’une poésie pure. Quels sont les secrets de l’écriture qui anime ainsi tant d’images, et si variées ? Allons les
1732 nt les secrets de l’écriture qui anime ainsi tant d’ images, et si variées ? Allons les rechercher dans les enfances et sur
1733 retenue parfois un peu rêveuse du Genevois, voilà de quoi se fait un style, unique dans nos lettres romandes. Entre le Pau
1734 s romandes. Entre le Paul Morand des descriptions de la Belle Époque, rapide, aigu, documenté jusqu’au dernier bouton de g
1735 , rapide, aigu, documenté jusqu’au dernier bouton de guêtre, et les ellipses un peu nippones des plus récents recueils de
1736 llipses un peu nippones des plus récents recueils de Jacques Chardonne, voici un art qui exprime son temps avec plus de te
1737 nne, voici un art qui exprime son temps avec plus de tendresse, de scrupules et d’humour, et qui, pour moins griffer, d’au
1738 art qui exprime son temps avec plus de tendresse, de scrupules et d’humour, et qui, pour moins griffer, d’autant mieux cha
1739 son temps avec plus de tendresse, de scrupules et d’ humour, et qui, pour moins griffer, d’autant mieux charme. Aux jeunes
1740 crupules et d’humour, et qui, pour moins griffer, d’ autant mieux charme. Aux jeunes gens et jeunes filles d’aujourd’hui, j
1741 nt mieux charme. Aux jeunes gens et jeunes filles d’ aujourd’hui, j’aimerais dire qu’un tel livre transmet quelque chose qu
1742 u’un tel livre transmet quelque chose qui n’a pas de prix : les secrets de l’usage d’une civilisation. Je l’intitule par-d
1743 t quelque chose qui n’a pas de prix : les secrets de l’usage d’une civilisation. Je l’intitule par-devers moi la précision
1744 hose qui n’a pas de prix : les secrets de l’usage d’ une civilisation. Je l’intitule par-devers moi la précision des sentim
1745 u émouvant, qui est avec le mouvement et l’allure de la phrase, le sérieux de la littérature. Et tout le reste est linguis
1746 le mouvement et l’allure de la phrase, le sérieux de la littérature. Et tout le reste est linguistique, dirait Verlaine s’
1747 images, Éditions Rencontre. ae. Rougemont Denis de , « Jacques Chenevière ou la précision des sentiments », Gazette de La
1748 nevière ou la précision des sentiments », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 22–23 octobre 1966, p. 27
24 1967, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). J. Robert Oppenheimer (25 février 1967)
1749 it su mettre en œuvre avec vigueur dans un désert de rochers rouges, brûlé d’implacables soleils, les puissances les mieux
1750 c vigueur dans un désert de rochers rouges, brûlé d’ implacables soleils, les puissances les mieux calculées dans leur opér
1751 « plus clair que mille soleils », cet homme était d’ Europe par les mesures et les affinités de sa pensée, mais il me donna
1752 plus clair que mille soleils », cet homme était d’ Europe par les mesures et les affinités de sa pensée, mais il me donnait l’i
1753 e était d’Europe par les mesures et les affinités de sa pensée, mais il me donnait l’impression de représenter parmi nous
1754 tés de sa pensée, mais il me donnait l’impression de représenter parmi nous quelque chose de bien plus ancien. Parfois, en
1755 mpression de représenter parmi nous quelque chose de bien plus ancien. Parfois, en l’écoutant, en le voyant de près, médit
1756 plus ancien. Parfois, en l’écoutant, en le voyant de près, méditatif, je songeais à la race du pharaon, fondateur dans cet
1757 race du pharaon, fondateur dans cet autre désert d’ El-Amarna, d’une cité du Soleil absolu : il en avait la sensitivité, l
1758 aon, fondateur dans cet autre désert d’El-Amarna, d’ une cité du Soleil absolu : il en avait la sensitivité, l’ossature dél
1759 nnant et ce sens mystique étranger à toute espèce de religion des prêtres. « Nous devons être absolument séculiers » insis
1760 rivit au réveil et le publia dans la petite revue de poésie d’avant-garde The Hound and the Horn. Infiniment scrupuleux, p
1761 éveil et le publia dans la petite revue de poésie d’ avant-garde The Hound and the Horn. Infiniment scrupuleux, par bonté,
1762 écouter comme personne, tout en vous enveloppant d’ un regard bleu qui allait interroger au-delà de vous-même. Il avait un
1763 nt d’un regard bleu qui allait interroger au-delà de vous-même. Il avait une aura, il le savait, un prestige un peu doulou
1764 un peu douloureux qu’il portait avec juste assez de gaucherie pour une impeccable élégance… af. Rougemont Denis de, « 
1765 r une impeccable élégance… af. Rougemont Denis de , « J. Robert Oppenheimer », Gazette de Lausanne (supplément littérair
1766 mont Denis de, « J. Robert Oppenheimer », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 25 février 1967, p. 29.
25 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Entretien avec Denis de Rougemont (6-7 avril 1968)
1767 Rougemont (6-7 avril 1968)ag ah La publication de Journal d’une époque de Denis de Rougemont constitue, actuellement,
1768 -7 avril 1968)ag ah La publication de Journal d’ une époque de Denis de Rougemont constitue, actuellement, l’un des év
1769 ag ah La publication de Journal d’une époque de Denis de Rougemont constitue, actuellement, l’un des événements les p
1770 ellement, l’un des événements les plus importants de la vie littéraire. Pour l’élaboration de ce dense recueil, qui groupe
1771 portants de la vie littéraire. Pour l’élaboration de ce dense recueil, qui groupe Le Paysan du Danube , Journal d’un int
1772 cueil, qui groupe Le Paysan du Danube , Journal d’ un intellectuel en chômage , Journal des deux mondes , l’auteur a ent
1773 l des deux mondes , l’auteur a entamé une manière de dialogue avec son œuvre, ajoutant aux textes déjà publiés un bon quar
1774 re, ajoutant aux textes déjà publiés un bon quart d’ inédits. J’ai rencontré Denis de Rougemont dans sa maison de Ferney-Vo
1775 J’ai rencontré Denis de Rougemont dans sa maison de Ferney-Voltaire, qui est comme le signe sensible de la situation que
1776 Ferney-Voltaire, qui est comme le signe sensible de la situation que l’écrivain n’a cessé d’occuper dans la culture de no
1777 sensible de la situation que l’écrivain n’a cessé d’ occuper dans la culture de notre temps : à proximité, le regard rencon
1778 ue l’écrivain n’a cessé d’occuper dans la culture de notre temps : à proximité, le regard rencontre les champs et les arbr
1779 ité, le regard rencontre les champs et les arbres de la campagne genevoise ; à cinq minutes, cependant, vous avez Cointrin
1780 e. Pendant que j’écoutais la voix calme et lucide de Denis de Rougemont parler de l’Europe, de la personne, du langage, de
1781 voix calme et lucide de Denis de Rougemont parler de l’Europe, de la personne, du langage, de notre univers, des avions pa
1782 calme et lucide de Denis de Rougemont parler de l’ Europe , de la personne, du langage, de notre univers, des avions passant dan
1783 lucide de Denis de Rougemont parler de l’Europe, de la personne, du langage, de notre univers, des avions passant dans le
1784 t parler de l’Europe, de la personne, du langage, de notre univers, des avions passant dans le ciel apportaient comme un é
1785 ns passant dans le ciel apportaient comme un écho de la planète. Le principal morceau inédit, précise Denis de Rougemont,
1786 e 1932 , qui joint Paysan du Danube et Journal d’ un intellectuel en chômage . Ce texte reflète un point-charnière dans
1787 en effet, qu’avec plusieurs jeunes intellectuels de ma génération, j’ai découvert la crise où se trouvait la société. Des
1788 ements comme Esprit, L’Ordre nouveau témoignèrent de cette prise de conscience. Nous ne partions pas d’une insatisfaction
1789 e cette prise de conscience. Nous ne partions pas d’ une insatisfaction de notre sort. Nous pensions que la société où nous
1790 cience. Nous ne partions pas d’une insatisfaction de notre sort. Nous pensions que la société où nous vivions était fichue
1791 solution du principe communautaire. L’affirmation de principes de droit international ne servait, en fait, que les nationa
1792 rincipe communautaire. L’affirmation de principes de droit international ne servait, en fait, que les nationalismes. Dans
1793 us nous attachions à une doctrine très rigoureuse de la personne qui débouchait sur l’idée de la fédération de l’Europe, l
1794 goureuse de la personne qui débouchait sur l’idée de la fédération de l’Europe, liée à la notion d’une fédération des régi
1795 rsonne qui débouchait sur l’idée de la fédération de l’Europe, liée à la notion d’une fédération des régions, concept actu
1796 e qui débouchait sur l’idée de la fédération de l’ Europe , liée à la notion d’une fédération des régions, concept actuellement
1797 ée de la fédération de l’Europe, liée à la notion d’ une fédération des régions, concept actuellement repris d’ailleurs, mê
1798 ulle. À cette époque, l’opposition du fascisme et de la démocratie, pour des jeunes gens qui voulaient faire la révolution
1799 dictature stalinienne du parti, que la dictature de l’État, telle que l’incarnaient Hitler et Mussolini. Quels furent, au
1800 ent, au niveau des faits, les éléments importants de cet automne 1932 ? Beaucoup de choses sont sorties à ce moment-là : l
1801 s sont sorties à ce moment-là : le premier numéro de la revue Esprit , le premier numéro de Hic et Nunc , une revue de p
1802 er numéro de la revue Esprit , le premier numéro de Hic et Nunc , une revue de pensée existentielle que je dirigeais, en
1803 t , le premier numéro de Hic et Nunc , une revue de pensée existentielle que je dirigeais, en collaboration avec Roger Br
1804 Robert Aron et Alexandre Marc, le mouvement était d’ inspiration proudhonienne, avec quelques influences marxistes (du jeun
1805 , nous voulions laisser les choses dans leur état de tension. Quant à Esprit, son premier numéro manifestait une tendance
1806 éguyste, à dominante catholique. Quand le premier de Hic et Nunc parut, Mounier a trouvé que j’y allais un peu fort. Nou
1807 ois mouvements, n’ayant jamais voulu être l’homme d’ une seule secte. Peut-être adoptais-je, sans m’en douter une attitude
1808 s m’en douter une attitude suisse, par ma volonté de ménager des intermédiaires entre les cultures, en faisant connaître,
1809 nce, je dirai que l’on trouvait, chez Esprit plus de méfiance pour les réalités scientifiques et techniques, qui nous inté
1810 s intéressaient, à Hic et Nunc ai, comme moyens de libération de la personne. Nous étions également en relation avec Réa
1811 t, à Hic et Nunc ai, comme moyens de libération de la personne. Nous étions également en relation avec Réaction, un mouv
1812 également en relation avec Réaction, un mouvement d’ extrême droite où se trouvait Thierry Maulnier. En décembre 1932, la
1813 elle Revue française faisait paraître un Cahier de revendications , où s’exprimaient tous les mouvements partisans d’une
1814 , où s’exprimaient tous les mouvements partisans d’ une révolution. En reprenant une vue d’ensemble sur votre œuvre, avez-
1815 partisans d’une révolution. En reprenant une vue d’ ensemble sur votre œuvre, avez-vous relevé une évolution quant à votre
1816 ous relevé une évolution quant à votre conception de l’Europe ? Je dirai que dans ces journaux, qui ne sont pas des mémoir
1817 elevé une évolution quant à votre conception de l’ Europe  ? Je dirai que dans ces journaux, qui ne sont pas des mémoires et se
1818 pas des mémoires et se tiennent à égale distance de la chronique et du journal intime, s’exprime l’évolution d’une sensib
1819 nique et du journal intime, s’exprime l’évolution d’ une sensibilité européenne, beaucoup plus que des positions idéologiqu
1820 l intime, s’exprime l’évolution d’une sensibilité européenne , beaucoup plus que des positions idéologiques. Cette sensibilité est
1821 est ainsi que, Suisse français, je me suis nourri de Goethe, de Novalis, et de Hölderlin que les jeunes Français ne connai
1822 ue, Suisse français, je me suis nourri de Goethe, de Novalis, et de Hölderlin que les jeunes Français ne connaissaient pas
1823 çais, je me suis nourri de Goethe, de Novalis, et de Hölderlin que les jeunes Français ne connaissaient pas. On peut d’ail
1824  ; pensez à Roud et Jaccottet. Il existe un filon de romantisme allemand qui nous est très proche et, chose curieuse, la l
1825 age. J’ai d’ailleurs toujours, dans ma conception de la liberté, défendu la théorie de la pluralité des allégeances, de mê
1826 s ma conception de la liberté, défendu la théorie de la pluralité des allégeances, de même que le droit de faire partie de
1827 a pluralité des allégeances, de même que le droit de faire partie de plusieurs clubs. Je considère que ma patrie est Neuch
1828 allégeances, de même que le droit de faire partie de plusieurs clubs. Je considère que ma patrie est Neuchâtel, ma nation
1829 ma communauté spirituelle le protestantisme. Rien de tout cela n’a les mêmes frontières et il se produit là un jeu complex
1830 es frontières et il se produit là un jeu complexe d’ exclusions et d’inclusions, qui s’oppose d’une manière systématique à
1831 il se produit là un jeu complexe d’exclusions et d’ inclusions, qui s’oppose d’une manière systématique à toute idée de na
1832 mplexe d’exclusions et d’inclusions, qui s’oppose d’ une manière systématique à toute idée de nationalisme. Il faut multipl
1833 s’oppose d’une manière systématique à toute idée de nationalisme. Il faut multiplier les communautés d’aires différentes
1834 nationalisme. Il faut multiplier les communautés d’ aires différentes qui n’ont pas les mêmes bornes territoriales. Cette
1835 ciné. Je n’ai jamais senti la moindre gêne à être d’ un pays où j’ai des racines et à me sentir européen. La seule chose in
1836 être d’un pays où j’ai des racines et à me sentir européen . La seule chose inadmissible est d’être enfermé dans les frontières d
1837 sentir européen. La seule chose inadmissible est d’ être enfermé dans les frontières d’un État-nation. « L’orgueil nationa
1838 admissible est d’être enfermé dans les frontières d’ un État-nation. « L’orgueil national, a écrit Simone Weil, est loin de
1839 ienne. » Je suis très sensible aux particularités d’ un pays, d’une région, qu’il s’agisse du monde germanique ou de la Fra
1840 suis très sensible aux particularités d’un pays, d’ une région, qu’il s’agisse du monde germanique ou de la France. Main
1841 une région, qu’il s’agisse du monde germanique ou de la France. Maintenir les contraires Dans la préface à votre livr
1842 t, ou bien l’on se projette en lui sous le masque d’ une relation toujours prête à fournir ses preuves d’objectivité. Ou éc
1843 une relation toujours prête à fournir ses preuves d’ objectivité. Ou écrire ou décrire, en somme… » Cette tension entre la
1844 it n’est-elle pas la caractéristique fondamentale de votre vie et de votre œuvre ? Certainement, et c’est un mouvement qui
1845 s la caractéristique fondamentale de votre vie et de votre œuvre ? Certainement, et c’est un mouvement qui se retrouve à t
1846 ns un individu l’exigence spécifique, singulière, d’ une vocation et l’exigence communautaire. Dès 1932, je définissais la
1847 rsonne comme l’individu que sa vocation distingue de la masse et relie à la communauté. Maintenir dans sa pensée deux réal
1848 s l’une et l’autre, telle est pour moi la formule de base du fédéralisme. Maintenir les contraires, sans les subordonner e
1849 age une théorie générale du fédéralisme qui irait de la personne à la fédération mondiale. Je tiens aussi beaucoup, dans l
1850 up, dans le même esprit, à la nécessité conjointe de la pensée et de l’action ; « penser avec les mains » ou, comme je l’é
1851 esprit, à la nécessité conjointe de la pensée et de l’action ; « penser avec les mains » ou, comme je l’écris dans Journ
1852 ec les mains » ou, comme je l’écris dans Journal d’ un intellectuel en chômage  : « La pensée doit conduire l’action : mai
1853 e sous le soleil, je me sens encore tout imprégné de la sagesse, à la fois moderne et profonde, d’un maître authentique. M
1854 gné de la sagesse, à la fois moderne et profonde, d’ un maître authentique. Mais la réalité reprend vite ses droits : avant
1855 . Mais la réalité reprend vite ses droits : avant d’ emprunter l’autoroute, il me faut présenter ma carte d’identité au dou
1856 runter l’autoroute, il me faut présenter ma carte d’ identité au douanier ! L’Europe des politiciens n’est pas encore celle
1857 aut présenter ma carte d’identité au douanier ! L’ Europe des politiciens n’est pas encore celle des intellectuels, mais une œu
1858 lle des intellectuels, mais une œuvre comme celle de Denis de Rougemont est là pour nous aider à ne pas désespérer complèt
1859 pour nous aider à ne pas désespérer complètement de l’esprit. ag. Rougemont Denis de, « [Entretien] Le Journal d’une
1860 complètement de l’esprit. ag. Rougemont Denis de , « [Entretien] Le Journal d’une époque  », Gazette de Lausanne (suppl
1861 ag. Rougemont Denis de, « [Entretien] Le Journal d’ une époque  », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne,
1862 « [Entretien] Le Journal d’une époque  », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 6–7 avril 1968, p. 27. a
1863 ar Henri-Charles Tauxe. ai. Il s’agit sans doute d’ une erreur de transcription : Rougemont se réfère ici à L’Ordre nouvea
1864 les Tauxe. ai. Il s’agit sans doute d’une erreur de transcription : Rougemont se réfère ici à L’Ordre nouveau, non à Hic
26 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il faut réinventer l’Université (29 juin 1968)
1865 uère encore), celui qui s’interroge sur le destin de l’Université commence par brider sévèrement son imagination, obsédé q
1866 ent des peuples. Mais subitement, après les nuits de mai du Quartier latin, ce qui était utopie devient nécessité, ce que
1867 ce que l’on qualifiait avec un sourire indulgent de Zukunftsmusik devient urgence (peut-être même est-il trop tard), et c
1868 ence (peut-être même est-il trop tard), et chacun d’ affirmer qu’il l’avait toujours dit… Sans plus de précautions, et pour
1869 à la mode par le maître à penser des jeunes gens de l’époque, Abélard. La substance de cette Université est donc la dispu
1870 es jeunes gens de l’époque, Abélard. La substance de cette Université est donc la disputatio, confrontation permanente et
1871 êmes, théologiques, philosophiques et juridiques, de la société. À côté de cela et avant cela (propédeutique) on enseigne
1872 rts, et réussissent à tout savoir.) En fonction d’ un certain sens de la vie 2. Au sens du mot que je viens de définir
1873 t à tout savoir.) En fonction d’un certain sens de la vie 2. Au sens du mot que je viens de définir, l’Université n’e
1874 ersité n’existe plus. Ce qu’on persiste à décorer de ce nom n’est que la juxtaposition d’une quantité variable d’écoles pr
1875 te à décorer de ce nom n’est que la juxtaposition d’ une quantité variable d’écoles professionnelles, dites facultés, desti
1876 ’est que la juxtaposition d’une quantité variable d’ écoles professionnelles, dites facultés, destinées à former des avocat
1877 ices administratifs et leur dépendance financière d’ un même État. À part cela, elles n’ont plus rien à se dire, ni au fond
1878 rits et les activités : elle aurait pour fonction de chercher et de dire le Sens de la société. Il se pourrait qu’au nom d
1879 ivités : elle aurait pour fonction de chercher et de dire le Sens de la société. Il se pourrait qu’au nom du Sens, elle so
1880 rait pour fonction de chercher et de dire le Sens de la société. Il se pourrait qu’au nom du Sens, elle soit amenée à cont
1881 t amenée à contester les finalités productivistes de la plupart des écoles. 4. Les méthodes, elles aussi, sont différentes
1882 itiative créatrice donc risquée. Là, on s’efforce de « s’adapter aux besoins de la société », ici, on chercherait plutôt l
1883 quée. Là, on s’efforce de « s’adapter aux besoins de la société », ici, on chercherait plutôt les moyens d’adapter la soci
1884 société », ici, on chercherait plutôt les moyens d’ adapter la société à un certain Sens… 5. Une école doit normalement dé
1885 ucher sur un job. Elle doit donc, comme le dit un de nos magistrats, « favoriser une meilleure connaissance des débouchés 
1886 lleure connaissance des débouchés ». Mais le rôle d’ une Université digne du nom serait plutôt de favoriser de meilleurs dé
1887 rôle d’une Université digne du nom serait plutôt de favoriser de meilleurs débouchés sur la connaissance. 6. Celui qui ve
1888 niversité digne du nom serait plutôt de favoriser de meilleurs débouchés sur la connaissance. 6. Celui qui veut apprendre
1889 t apprendre un métier pour en vivre n’a que faire de la contestation. Et celui qui entend contester la société n’a que fai
1890 lui qui entend contester la société n’a que faire d’ une « étude des débouchés ». Cependant, avant de contester la société,
1891 ant, avant de contester la société, il serait bon de la connaître par l’une au moins de ses activités. L’école professionn
1892 il serait bon de la connaître par l’une au moins de ses activités. L’école professionnelle ou faculté doit donc précéder
1893 , et l’une ne peut se désintéresser des problèmes de l’autre. 7. Je propose que l’on traite ces problèmes par la méthode
1894 finition chinoise du fédéralisme : « La rencontre de l’oreille et des bruits. » Définition courante en Suisse mais fausse 
1895 ion des moyens aux fins, c’est-à-dire des niveaux de décision aux finalités des différentes tâches qu’on se propose. 9. L
1896 x étages communautaires correspondants. Une école de médecine peut être trop grande pour tel canton, une école polytechniq
1897 que pour tel autre : elles exigent la coopération de plusieurs cantons, ou la dimension nationale. De même, les recherches
1898 tte méthode, la seule à mon avis qui ait le droit de se réclamer du fédéralisme. 10. Pourquoi des universités ? Question u
1899 lence, et qui définit même la fonction spécifique de l’Université : une école, en effet, ne saurait se la poser. Il faut l
1900 la poser. Il faut l’Université parce qu’un centre de contestation est indispensable à toute société de type européen, d’un
1901 de contestation est indispensable à toute société de type européen, d’une part pour faire progresser le savoir (recherches
1902 station est indispensable à toute société de type européen , d’une part pour faire progresser le savoir (recherches au-delà de l’
1903 ur faire progresser le savoir (recherches au-delà de l’usage prévisible et sans tenir compte des « besoins de l’économie »
1904 age prévisible et sans tenir compte des « besoins de l’économie »), d’autre part pour orienter la société, c’est-à-dire fo
1905 ersité doit donc comprendre deux genres ou ordres d’ activité distincts mais reliés : les recherches et la contestation. Da
1906 on se livrera à une perpétuelle mise en question de chaque discipline par les autres (et c’est ce qu’on peut nommer : rec
1907 interdisciplinaire). 12. Les dimensions optimales d’ un groupe de recherche sont restées celles d’un studium médiéval : dix
1908 inaire). 12. Les dimensions optimales d’un groupe de recherche sont restées celles d’un studium médiéval : dix à quinze ét
1909 ales d’un groupe de recherche sont restées celles d’ un studium médiéval : dix à quinze étudiants pour un maître. Ces group
1910 tre. Ces groupes pouvant se combiner librement et de manières variables, en départements, selon la nature des recherches.
1911 ra doivent être conservés : ainsi quand il s’agit d’ exposer les recherches inédites qu’un maître est en train de faire et
1912 train de faire et qui peuvent intéresser beaucoup d’ étudiants. Une fois la recherche terminée et « enseignée » une ou deux
1913 deux fois, on remplacera le cours par des groupes de discussion sur le texte polycopié et plus tard, publié. 14. Un profes
1914 ences humaines) sont peu coûteuses, demandent peu d’ espace, et peuvent s’organiser n’importe où, à la campagne, dans un vi
1915 ants et étudiants est donc indispensable à la vie d’ une Université digne du nom. 16. Il ne faut pas redouter qu’une tensi
1916 é. Ce qu’il faut redouter, c’est la subordination de la recherche aux besoins de la société et notamment de son industrie.
1917 ’est la subordination de la recherche aux besoins de la société et notamment de son industrie. Car une société, de même qu
1918 recherche aux besoins de la société et notamment de son industrie. Car une société, de même qu’une science ou une techniq
1919 Université subordonnée à la société, donc privée de liberté dans la critique et de gratuité dans l’imagination, cesserait
1920 ciété, donc privée de liberté dans la critique et de gratuité dans l’imagination, cesserait du même coup d’être une Univer
1921 atuité dans l’imagination, cesserait du même coup d’ être une Université, et n’aurait plus qu’à disparaître. 17. Une Univer
1922 Une Université digne du nom, dont le rôle serait d’ orienter les options fondamentales de notre société, en fonction d’un
1923 rôle serait d’orienter les options fondamentales de notre société, en fonction d’un certain Sens de la vie (à découvrir,
1924 tions fondamentales de notre société, en fonction d’ un certain Sens de la vie (à découvrir, assumer, critiquer et rénover
1925 s de notre société, en fonction d’un certain Sens de la vie (à découvrir, assumer, critiquer et rénover sans relâche), red
1926 ans relâche), redeviendrait immédiatement un pôle de création et de rayonnement culturel. Ce que ne peuvent être, bien évi
1927 edeviendrait immédiatement un pôle de création et de rayonnement culturel. Ce que ne peuvent être, bien évidemment, ces en
1928 re, bien évidemment, ces encombrants conglomérats d’ écoles professionnelles (ou facultés) que l’on s’obstine encore à nomm
1929 lles (ou facultés) — mais éliminer ce qui empêche d’ exister bien (le micronationalisme cantonal, notamment) et ce qui fait
1930 routines, vanités, ignorance surtout, sans parler de la peur d’imaginer). Par-dessus tout cela, il faut réinventer une Uni
1931 anités, ignorance surtout, sans parler de la peur d’ imaginer). Par-dessus tout cela, il faut réinventer une Université dig
1932 conomie, et la société tout entière sont menacées de perdre le sens, en même temps que les moyens de s’en apercevoir. 5
1933 s de perdre le sens, en même temps que les moyens de s’en apercevoir. 5. Voir notamment mon discours prononcé devant le
1934 ent mon discours prononcé devant les 200 recteurs européens réunis à Göttingen, et publié par la Gazette littéraire, en novembre
1935 ttéraire, en novembre 1964. aj. Rougemont Denis de , « Il faut réinventer l’université », Gazette de Lausanne (supplément
1936 de, « Il faut réinventer l’université », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 29 juin 1968, p. 29.
27 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’écrivain et l’événement (7-8 septembre 1968)
1937 e 1968)ak J’ai longtemps réfléchi aux rapports de l’écrivain et de l’événement se définissant l’un par l’autre, se mett
1938 longtemps réfléchi aux rapports de l’écrivain et de l’événement se définissant l’un par l’autre, se mettant l’un l’autre
1939 urs possible. Depuis ce temps lointain, la notion d’ engagement a fait demi-tour dans l’esprit du public : on croit bonneme
1940 ’en est remis une fois pour toutes à la politique d’ un parti, quand il s’agit de prendre une position publique. L’engageme
1941 toutes à la politique d’un parti, quand il s’agit de prendre une position publique. L’engagement supposait à mon sens tout
1942 use mais aimante et, à l’extrême, sacrificielle — d’ une personne et de sa pensée en corps à corps avec l’époque. « Présenc
1943 t, à l’extrême, sacrificielle — d’une personne et de sa pensée en corps à corps avec l’époque. « Présence au monde et à so
1944 si j’ose dire, moral, philosophique et religieux. De l’intime à l’ultime, il supposait un passage obligé par le « proxime 
1945 dire la cité humaine, et ce passage était le lieu de l’engagement. Est-il encore praticable ? Autrement dit : quelle peut
1946 urd’hui, au fait et au prendre, la responsabilité de l’écrivain dans la cité ? ⁂ Responsable est celui qui peut dire, dans
1947 , dans une situation donnée : j’en réponds ! Mais de quoi l’écrivain comme tel peut-il répondre, sinon de son œuvre elle-m
1948 quoi l’écrivain comme tel peut-il répondre, sinon de son œuvre elle-même, de sa pensée et de son style ? C’est par son œuv
1949 l peut-il répondre, sinon de son œuvre elle-même, de sa pensée et de son style ? C’est par son œuvre et non par quelque pr
1950 re, sinon de son œuvre elle-même, de sa pensée et de son style ? C’est par son œuvre et non par quelque prise de position
1951 le ? C’est par son œuvre et non par quelque prise de position occasionnelle face à l’événement historique qu’un écrivain e
1952 it, dans le concret vécu, il n’y a pas l’écrivain d’ un côté et l’événement de l’autre, deux objets qu’on pourrait isoler,
1953 il n’y a pas l’écrivain d’un côté et l’événement de l’autre, deux objets qu’on pourrait isoler, séparer ou rapprocher à v
1954 stoire lui attribue — Histoire qui est le produit de l’écriture ! Nul écrivain digne du nom qui ne soit par lui-même événe
1955 vénement, et dont l’œuvre ne constitue une partie de la réalité qu’il croit décrire quand il l’écrit… ⁂ On ne peut donc pa
1956 re quand il l’écrit… ⁂ On ne peut donc parler que de différents modes de relations entre l’œuvre et l’époque. Pour simplif
1957 ⁂ On ne peut donc parler que de différents modes de relations entre l’œuvre et l’époque. Pour simplifier, je distinguerai
1958 que. Pour simplifier, je distinguerai trois types d’ auteurs qui se définissent par leur rapport à l’événement : le ludion,
1959 ficiels ou profonds et en formation, sans essayer d’ agir sur eux, soit qu’il n’en ait aucune envie, soit qu’il désespère d
1960 qu’il n’en ait aucune envie, soit qu’il désespère d’ en avoir les moyens, ou nie que ces moyens puissent même exister. La p
1961 la limite inférieure serait symbolisée par le nom de Françoise Sagan, ludion des moods à la mode, et la limite supérieure
1962 ods à la mode, et la limite supérieure par le nom de Franz Kafka, révélateur par l’angoisse du syndrome totalitaire tel qu
1963 aste Land, sans le témoignage desquels la société de l’époque n’eût pas eu son portrait tiré, et n’eût assumé devant l’His
1964 nt l’Histoire son visage et son style, conditions de l’événement. 2. Le contestateur réagit contre l’époque et l’événement
1965 s et attitudes dominées par une volonté viscérale de refus et de négation d’un certain type de société, ou de toute sociét
1966 es dominées par une volonté viscérale de refus et de négation d’un certain type de société, ou de toute société humaine. O
1967 par une volonté viscérale de refus et de négation d’ un certain type de société, ou de toute société humaine. On peut conte
1968 scérale de refus et de négation d’un certain type de société, ou de toute société humaine. On peut contester comme Érasme
1969 s et de négation d’un certain type de société, ou de toute société humaine. On peut contester comme Érasme et Voltaire, ou
1970 peut contester comme Érasme et Voltaire, ou comme d’ Aubigné et Chesterton, mais aussi comme Kierkegaard ou Rozanov, Unamun
1971 ket, Ionesco et Cioran, c’est-à-dire par le style de pensée polémique, le style de foi ou d’athéisme, l’imprécation lyriqu
1972 à-dire par le style de pensée polémique, le style de foi ou d’athéisme, l’imprécation lyrique ou le masochisme transcendan
1973 le style de pensée polémique, le style de foi ou d’ athéisme, l’imprécation lyrique ou le masochisme transcendantal : tout
1974 ême, indifférent, mais par le contenu idéologique d’ un discours dont l’efficacité immédiate suffira. 3. Quant au prophète,
1975 nomment l’utopiste, c’est toute la grande poésie d’ Isaïe à l’Apocalypse, d’Eschyle à Dante, de Hölderlin à Nietzsche et à
1976 st toute la grande poésie d’Isaïe à l’Apocalypse, d’ Eschyle à Dante, de Hölderlin à Nietzsche et à Rimbaud, mais c’est aus
1977 poésie d’Isaïe à l’Apocalypse, d’Eschyle à Dante, de Hölderlin à Nietzsche et à Rimbaud, mais c’est aussi toute l’imaginat
1978 t à Rimbaud, mais c’est aussi toute l’imagination de la « vraie vie », de Thomas More et Tommaso Campanella à Swift, Rouss
1979 st aussi toute l’imagination de la « vraie vie », de Thomas More et Tommaso Campanella à Swift, Rousseau et Saint-Simon, F
1980 ndu — mais l’ai-je assez laissé entendre — il y a de tout dans chaque catégorie, cela va du pire au meilleur, mais le meil
1981 té Finalement, ce que la société peut attendre de l’écrivain confronté à sa crise et à l’événement, c’est la donation d
1982 té à sa crise et à l’événement, c’est la donation d’ une mesure, la création de formes, de concepts, et l’expression de mod
1983 ment, c’est la donation d’une mesure, la création de formes, de concepts, et l’expression de modes de sentir qui donnent «
1984 la donation d’une mesure, la création de formes, de concepts, et l’expression de modes de sentir qui donnent « un sens pl
1985 création de formes, de concepts, et l’expression de modes de sentir qui donnent « un sens plus pur aux mots de la tribu »
1986 de formes, de concepts, et l’expression de modes de sentir qui donnent « un sens plus pur aux mots de la tribu », et inst
1987 de sentir qui donnent « un sens plus pur aux mots de la tribu », et instaurent ou restaurent une communauté. Cela comporte
1988 ne communauté. Cela comporte bien autre chose que de signer ou même d’écrire des manifestes en faveur des victimes d’un ré
1989 a comporte bien autre chose que de signer ou même d’ écrire des manifestes en faveur des victimes d’un régime et au nom d’u
1990 me d’écrire des manifestes en faveur des victimes d’ un régime et au nom d’un autre régime qui ferait pire s’il le pouvait.
1991 omporte aussi l’éloge et le chant, l’illustration d’ une communauté et d’une autorité heureuse : « Sur trois grandes saison
1992 e et le chant, l’illustration d’une communauté et d’ une autorité heureuse : « Sur trois grandes saisons m’établissant avec
1993 j’ai fondé ma loi. » (Saint-John Perse.) Paroles de poète, paroles de prophète, c’est autant dire de fondateur. Ce que l’
1994 . » (Saint-John Perse.) Paroles de poète, paroles de prophète, c’est autant dire de fondateur. Ce que l’écrivain doit au m
1995 de poète, paroles de prophète, c’est autant dire de fondateur. Ce que l’écrivain doit au monde et à l’événement, c’est de
1996 l’écrivain doit au monde et à l’événement, c’est de les créer. Et ce qu’il faut attendre du meilleur écrivain, c’est qu’i
1997 onverger dans son œuvre le sentiment baudelairien de son époque, la révolte contre elle de tout homme qui se veut tel, et
1998 audelairien de son époque, la révolte contre elle de tout homme qui se veut tel, et l’annonce admirable d’un monde équilib
1999 out homme qui se veut tel, et l’annonce admirable d’ un monde équilibré. ak. Rougemont Denis de, « L’écrivain et l’évén
2000 ble d’un monde équilibré. ak. Rougemont Denis de , « L’écrivain et l’événement », Gazette de Lausanne (supplément litté
2001 Denis de, « L’écrivain et l’événement », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 7–8 septembre 1968, p. 35
28 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Vers l’Europe des régions [Entretien]
2002 Vers l’ Europe des régions [Entretien]al am Rentrant d’Amérique après la guerre,
2003 l’Europe des régions [Entretien]al am Rentrant d’ Amérique après la guerre, j’avais compris qu’il était indispensable d’
2004 guerre, j’avais compris qu’il était indispensable d’ unir les Européens. Non seulement nous-mêmes, mais les Américains auss
2005 vais compris qu’il était indispensable d’unir les Européens . Non seulement nous-mêmes, mais les Américains aussi, avions besoin d
2006 s-mêmes, mais les Américains aussi, avions besoin de cette union, c’est-à-dire du genre de valeurs, d’équilibre, de mesure
2007 ions besoin de cette union, c’est-à-dire du genre de valeurs, d’équilibre, de mesure que représentait notre vieux continen
2008 de cette union, c’est-à-dire du genre de valeurs, d’ équilibre, de mesure que représentait notre vieux continent. En août 1
2009 n, c’est-à-dire du genre de valeurs, d’équilibre, de mesure que représentait notre vieux continent. En août 1947 on est ve
2010 x continent. En août 1947 on est venu me demander de parler à un congrès de fédéralistes européens à Montreux où j’ai pron
2011 47 on est venu me demander de parler à un congrès de fédéralistes européens à Montreux où j’ai prononcé un discours inaugu
2012 e demander de parler à un congrès de fédéralistes européens à Montreux où j’ai prononcé un discours inaugural : j’étais engagé. P
2013 urs inaugural : j’étais engagé. Puis j’ai accepté de m’occuper de la partie culturelle du Mouvement européen. À partir du
2014  : j’étais engagé. Puis j’ai accepté de m’occuper de la partie culturelle du Mouvement européen. À partir du congrès de La
2015 de m’occuper de la partie culturelle du Mouvement européen . À partir du congrès de La Haye en 1948 je me suis beaucoup penché su
2016 urelle du Mouvement européen. À partir du congrès de La Haye en 1948 je me suis beaucoup penché sur ce problème de l’union
2017 n 1948 je me suis beaucoup penché sur ce problème de l’union des Européens sur la base d’une unité déjà existante. Je fais
2018 is beaucoup penché sur ce problème de l’union des Européens sur la base d’une unité déjà existante. Je fais une distinction entre
2019 ce problème de l’union des Européens sur la base d’ une unité déjà existante. Je fais une distinction entre unité et union
2020 âtir. Non pas une uniformité mais un certain mode de contacts organisés. Cette base commune de culture et de civilisation
2021 in mode de contacts organisés. Cette base commune de culture et de civilisation est la condition sine qua non d’une union
2022 tacts organisés. Cette base commune de culture et de civilisation est la condition sine qua non d’une union économique et
2023 et de civilisation est la condition sine qua non d’ une union économique et politique. J’ai donc créé le Centre européen d
2024 avons réuni pour la première fois les directeurs d’ administration d’agences atomiques de six pays avec le concours de l’U
2025 la première fois les directeurs d’administration d’ agences atomiques de six pays avec le concours de l’Unesco pour créer
2026 s directeurs d’administration d’agences atomiques de six pays avec le concours de l’Unesco pour créer un laboratoire europ
2027 d’agences atomiques de six pays avec le concours de l’Unesco pour créer un laboratoire européen de recherches nucléaires.
2028 le concours de l’Unesco pour créer un laboratoire européen de recherches nucléaires. Le CERN a été la réalisation de cette premi
2029 rs de l’Unesco pour créer un laboratoire européen de recherches nucléaires. Le CERN a été la réalisation de cette première
2030 cherches nucléaires. Le CERN a été la réalisation de cette première initiative de notre centre. Nous avons fondé une Assoc
2031 a été la réalisation de cette première initiative de notre centre. Nous avons fondé une Association des festivals de musiq
2032 e. Nous avons fondé une Association des festivals de musique européens que je préside tout à fait par hasard. Nous avons c
2033 ns fondé une Association des festivals de musique européens que je préside tout à fait par hasard. Nous avons coordonné les insti
2034 it par hasard. Nous avons coordonné les instituts d’ études européennes qui étaient en train de se constituer dans différen
2035 sard. Nous avons coordonné les instituts d’études européennes qui étaient en train de se constituer dans différentes universités. N
2036 pris contact avec des historiens, des professeurs d’ enseignement secondaire, des éditeurs. Nous avons d’autre part lancé u
2037 teurs. Nous avons d’autre part lancé une Campagne européenne d’éducation civique qui cherche à introduire l’angle de vision europé
2038 avons d’autre part lancé une Campagne européenne d’ éducation civique qui cherche à introduire l’angle de vision européen
2039 ducation civique qui cherche à introduire l’angle de vision européen dans la leçon d’histoire, de géographie, de langues.
2040 ivique qui cherche à introduire l’angle de vision européen dans la leçon d’histoire, de géographie, de langues. Je souhaiterais
2041 troduire l’angle de vision européen dans la leçon d’ histoire, de géographie, de langues. Je souhaiterais que tombent en dé
2042 ngle de vision européen dans la leçon d’histoire, de géographie, de langues. Je souhaiterais que tombent en désuétude les
2043 européen dans la leçon d’histoire, de géographie, de langues. Je souhaiterais que tombent en désuétude les grands États-na
2044 fédérale, afin de faire repartir toute l’affaire européenne sur la base des régions, puisque vingt ans de tentatives de rapproche
2045 péenne sur la base des régions, puisque vingt ans de tentatives de rapprochement n’ont abouti à rien sur le plan politique
2046 base des régions, puisque vingt ans de tentatives de rapprochement n’ont abouti à rien sur le plan politique. Cette situat
2047 evenant ainsi eux-mêmes l’obstacle à toute espèce d’ union. On ne peut bâtir une union de l’Europe sur les obstacles à tout
2048 toute espèce d’union. On ne peut bâtir une union de l’Europe sur les obstacles à toute union ! Notre espoir réside dans u
2049 e espèce d’union. On ne peut bâtir une union de l’ Europe sur les obstacles à toute union ! Notre espoir réside dans une politi
2050 se dessine en France un grand mouvement qui vient d’ être appuyé par de Gaulle pour diviser le pays en un certain nombre de
2051 Gaulle pour diviser le pays en un certain nombre de régions. Je pense qu’on finira par se mettre d’accord assez vite pour
2052 ’accord assez vite pour la France sur une dizaine de régions, plus Paris. Notre idée de fédéralistes européens est que ces
2053 ur une dizaine de régions, plus Paris. Notre idée de fédéralistes européens est que ces régions, définies surtout par l’éc
2054 e régions, plus Paris. Notre idée de fédéralistes européens est que ces régions, définies surtout par l’économie, se définissent
2055 ure et quelquefois par l’ethnie comme dans le cas de la Bretagne ou de la Catalogne. Le problème n° 1 de l’Europe, c’est l
2056 par l’ethnie comme dans le cas de la Bretagne ou de la Catalogne. Le problème n° 1 de l’Europe, c’est l’union. Si l’union
2057 la Bretagne ou de la Catalogne. Le problème n° 1 de l’Europe, c’est l’union. Si l’union de l’Europe ne se fait pas, nous
2058 retagne ou de la Catalogne. Le problème n° 1 de l’ Europe , c’est l’union. Si l’union de l’Europe ne se fait pas, nous serons co
2059 blème n° 1 de l’Europe, c’est l’union. Si l’union de l’Europe ne se fait pas, nous serons colonisés par le dollar et peut-
2060 n° 1 de l’Europe, c’est l’union. Si l’union de l’ Europe ne se fait pas, nous serons colonisés par le dollar et peut-être par
2061 xiste — quoique cela soit moins sûr. Mais le fait de ne plus être maîtres de notre destinée économique entraînerait une qu
2062 t moins sûr. Mais le fait de ne plus être maîtres de notre destinée économique entraînerait une quantité de conséquences s
2063 tre destinée économique entraînerait une quantité de conséquences sur le plan culturel. Cela entraînerait une chute de pot
2064 sur le plan culturel. Cela entraînerait une chute de potentiel européen considérable, dont finalement le monde entier subi
2065 ulturel. Cela entraînerait une chute de potentiel européen considérable, dont finalement le monde entier subirait les conséquenc
2066 usqu’au moment où de Gaulle a annoncé sa décision de dissoudre le Sénat pour le remplacer par une assemblée élue par les r
2067 plus concerné par la centralisation, grand nombre de jeunes sociologues et économistes français s’étant penchés sur ce pro
2068 concevable que s’il existe une solide fédération européenne . Ce sera le point d’accrochage d’une organisation mondiale. Sans dout
2069 ne solide fédération européenne. Ce sera le point d’ accrochage d’une organisation mondiale. Sans doute d’ici à dix ou quin
2070 ération européenne. Ce sera le point d’accrochage d’ une organisation mondiale. Sans doute d’ici à dix ou quinze ans serons
2071 es — qui seront de plus en plus les vrais centres de la production et de la vie intellectuelle et auront entre elles des l
2072 lus en plus les vrais centres de la production et de la vie intellectuelle et auront entre elles des liens de toutes natur
2073 ie intellectuelle et auront entre elles des liens de toutes natures. Elles constitueront de proche en proche un tissu plus
2074 des liens de toutes natures. Elles constitueront de proche en proche un tissu plus solide que leurs liens avec les États-
2075 les problèmes mondiaux dépendent en grande partie de la solution des problèmes européens, c’est que l’unité du genre humai
2076 ent en grande partie de la solution des problèmes européens , c’est que l’unité du genre humain est une invention des Européens. C
2077 que l’unité du genre humain est une invention des Européens . C’est l’Europe chrétienne qui a imaginé l’ensemble du genre humain e
2078 e humain est une invention des Européens. C’est l’ Europe chrétienne qui a imaginé l’ensemble du genre humain en découvrant les
2079 le du genre humain en découvrant les possibilités de fraternité universelle : « Désormais, disait saint Paul, il n’y a plu
2080 a plus ni Juifs ni Grecs. » Cette responsabilité de l’Europe s’oppose aux racismes et aux guerres d’extermination de race
2081 us ni Juifs ni Grecs. » Cette responsabilité de l’ Europe s’oppose aux racismes et aux guerres d’extermination de races. Les pr
2082 de l’Europe s’oppose aux racismes et aux guerres d’ extermination de races. Les problèmes les plus importants sont à la ra
2083 ppose aux racismes et aux guerres d’extermination de races. Les problèmes les plus importants sont à la racine d’ordre phi
2084 es problèmes les plus importants sont à la racine d’ ordre philosophique ou religieux. Il s’agit de transposer sur les plan
2085 ine d’ordre philosophique ou religieux. Il s’agit de transposer sur les plans économique et politique les conséquences des
2086 ses que l’on croit justes. al. Rougemont Denis de , « [Entretien] Vers l’Europe des régions », Gazette de Lausanne (supp
2087 . al. Rougemont Denis de, « [Entretien] Vers l’ Europe des régions », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne,
2088  [Entretien] Vers l’Europe des régions », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 5–6 octobre 1968, p. 25.
2089 Roux-Petel. Cet entretien, qui prend ici la forme d’ un long propos rapporté, non d’un échange de questions et de réponses,
2090 prend ici la forme d’un long propos rapporté, non d’ un échange de questions et de réponses, est introduit par le chapeau s
2091 forme d’un long propos rapporté, non d’un échange de questions et de réponses, est introduit par le chapeau suivant : « Le
2092 propos rapporté, non d’un échange de questions et de réponses, est introduit par le chapeau suivant : « Les récents pourpa
2093 anco-allemands ont montré l’urgence des problèmes européens . À cette occasion nous présentons l’activité de Denis de Rougemont da
2094 éens. À cette occasion nous présentons l’activité de Denis de Rougemont dans ce domaine, et son point de vue recueilli lor
2095 ns ce domaine, et son point de vue recueilli lors d’ une interview. Denis de Rougemont sera l’un des conférenciers qui parl
2096 r la Gazette littéraire. Le programme est composé de telle façon que tous les grands problèmes d’actualité seront traités
2097 posé de telle façon que tous les grands problèmes d’ actualité seront traités par d’éminents spécialistes en matière politi
2098 s grands problèmes d’actualité seront traités par d’ éminents spécialistes en matière politique et culturelle. »
29 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Jean Paulhan (19-20 octobre 1968)
2099 être en 1937, 1938, je rejoignis dans l’escalier de la NRF Henry Michaux, qui me dit en s’arrêtant sur le dernier palie
2100 osons ces deux phrases en couronne sur le tombeau de notre ami. Telle était notre attente et sa folle exigence ; en ce tem
2101 me nous l’apprirent beaucoup plus tard les Fleurs de Tarbes !) Il n’avait encore publié que deux ou trois petits livres un
2102 son autorité se fondait ailleurs : dans le style de la NRF . Ce n’était pas le sien, bien entendu, il ne récrivait pas n
2103 du, il ne récrivait pas nos textes, mais le style de chacun des auteurs de la revue n’eût pas été tout à fait le même sans
2104 s nos textes, mais le style de chacun des auteurs de la revue n’eût pas été tout à fait le même sans sa présence et sans s
2105 sans son attention. Il était à lui seul notre air de parenté, si différents ou opposés que nous fussions. C’est le seul di
2106 pposés que nous fussions. C’est le seul directeur de revue littéraire qui ait jamais montré dans cet emploi ce qu’il faut
2107 presse, depuis vingt ans, s’obstine à le traiter d’ éminence grise de nos lettres. Il était tout le contraire : un maître
2108 ingt ans, s’obstine à le traiter d’éminence grise de nos lettres. Il était tout le contraire : un maître socratique, indem
2109 tout le contraire : un maître socratique, indemne de toute secrète volonté de puissance, attentif à ne rien nous imposer q
2110 ître socratique, indemne de toute secrète volonté de puissance, attentif à ne rien nous imposer qui ne fût ce qu’il avait
2111 en trop curieux pour être autoritaire, il n’avait de goût que pour nos singularités (que d’autres nommeraient vocations) e
2112 uer ou débusquer par des questions à l’improviste d’ une mystifiante naïveté — comme il lui arrivait de s’en poser à lui-mê
2113 d’une mystifiante naïveté — comme il lui arrivait de s’en poser à lui-même, et parfois d’y répondre par un opuscule. « Ah 
2114 lui arrivait de s’en poser à lui-même, et parfois d’ y répondre par un opuscule. « Ah ! je suis bien déçu, me disait-il un
2115 e me suis appliqué à relire Cicéron dans l’espoir de le trouver surréaliste, eh bien, non, c’est décidément très ennuyeux…
2116 (Son humour bref était sans doute aussi une façon de couper court aux confidences, plaintes et intrigues qui assiègent en
2117 siègent en permanence un directeur.) Chaque jour, d’ un large bec de plume, il écrivait sur des petites feuilles de papier
2118 anence un directeur.) Chaque jour, d’un large bec de plume, il écrivait sur des petites feuilles de papier vert frappées d
2119 ec de plume, il écrivait sur des petites feuilles de papier vert frappées du monogramme fameux des dizaines de billets de
2120 r vert frappées du monogramme fameux des dizaines de billets de quelques lignes aux collaborateurs de la revue : c’était t
2121 pées du monogramme fameux des dizaines de billets de quelques lignes aux collaborateurs de la revue : c’était toujours vif
2122 de billets de quelques lignes aux collaborateurs de la revue : c’était toujours vif et pressant, et tout à trac ; comme l
2123 if et pressant, et tout à trac ; comme la reprise d’ un entretien interrompu par un coup de téléphone. Il dictait à sa femm
2124 la reprise d’un entretien interrompu par un coup de téléphone. Il dictait à sa femme les lettres moins intimes. Germaine
2125 . Germaine et Jean, dans ce petit bureau mansardé de la maison Gallimard, faisaient seuls, à eux deux, cette NRF qui a m
2126 raire comme nulle autre revue, nulle autre école. De 1925 à 1940, à je ne sais quelles exceptions près, ce qui a compté da
2127 nte mais nécessaire, qu’on avait quelques chances d’ exister. J’ai retrouvé la première lettre qu’il m’ait écrite, en 1926.
2128 m’ait écrite, en 1926. M’ayant lu dans la Revue de Genève , il me demandait « s’il m’intéresserait quelque jour de colla
2129 me demandait « s’il m’intéresserait quelque jour de collaborer à la NRF  ». J’étais admis ! J’allais être reçu ! L’on m’
2130 léry, Gide, Claudel et Saint-John Perse ! Étourdi de bonheur je répondis : Je n’ai pas vingt ans et mon tiroir est vide, m
2131 ngement légère et gaie, réchauffée par une pointe d’ assent qui me lance, à peine passé la porte : « Mais il me semble que
2132 l me semble que depuis des années je vous supplie de nous donner des textes ! » Me voici mis à l’aise, et mal à l’aise aus
2133 rêveur : « Comme il est difficile, n’est-ce pas, de se libérer de ses origines protestantes. » Je dis : « Pourquoi ne pas
2134 mme il est difficile, n’est-ce pas, de se libérer de ses origines protestantes. » Je dis : « Pourquoi ne pas les assumer ?
2135 ue s’est noué, et il se poursuivra dans plusieurs de mes livres, d’une manière que je suis seul à connaître. Je m’arranger
2136 et il se poursuivra dans plusieurs de mes livres, d’ une manière que je suis seul à connaître. Je m’arrangerai pour y faire
2137 es questions qu’il me soumettra (c’est sa manière de critiquer) après lecture du manuscrit, et je m’efforcerai d’y répondr
2138 r) après lecture du manuscrit, et je m’efforcerai d’ y répondre. Toute la première moitié de Penser avec les mains a été
2139 efforcerai d’y répondre. Toute la première moitié de Penser avec les mains a été composée pour prévenir les objections q
2140 r idéal dont on suppute et redoute les exigences, de l’interlocuteur invisible qui relit avec vous, par-dessus votre épaul
2141 ersonnels… à combien d’entre nous, jeunes auteurs de l’entre-deux-guerres ! Que dirai-je de plus aujourd’hui ? J’aurais ai
2142 e plus aujourd’hui ? J’aurais aimé pouvoir parler de l’écrivain et pas seulement du grand patron en maïeutique de l’expres
2143 in et pas seulement du grand patron en maïeutique de l’expression. Qu’on me permette au moins de recopier cette page des F
2144 tique de l’expression. Qu’on me permette au moins de recopier cette page des Fleurs de Tarbes où je retrouve l’étonnante l
2145 rmette au moins de recopier cette page des Fleurs de Tarbes où je retrouve l’étonnante liberté de jugement, mais les scrup
2146 eurs de Tarbes où je retrouve l’étonnante liberté de jugement, mais les scrupules, la fraîcheur de l’attaque mais la préci
2147 rté de jugement, mais les scrupules, la fraîcheur de l’attaque mais la précision du trait, l’énergie bien menée mais l’hum
2148 pas du tout noir) qui restent les vertus majeures de l’œuvre entière : Victor Hugo se prenait pour un pape, Lamartine pou
2149 es ce qu’un philosophe n’ose pas toujours espérer de la philosophie : il veut connaître ce que peut l’homme. Et Gide, ce q
2150 me. Et Gide, ce qu’il est. Il suffirait à Claudel de reformer sur les débris d’une société laïque le monde sacral, tel que
2151 Il suffirait à Claudel de reformer sur les débris d’ une société laïque le monde sacral, tel que l’a connu le Moyen Âge. Br
2152 le Moyen Âge. Breton cependant exige le triomphe d’ une éthique nouvelle, qui se fonde sur le crime et la merveille. « La
2153 s nécessaire, que l’écrivain maintienne au-dessus de l’eau toute une civilisation qui sombre. Je ne dis rien d’Alerte : la
2154 toute une civilisation qui sombre. Je ne dis rien d’ Alerte : la poésie lui semble chose si grave qu’il a pris le parti de
2155 e lui semble chose si grave qu’il a pris le parti de se taire. Je ne sais s’il est vrai que les hommes de lettres se soien
2156 se taire. Je ne sais s’il est vrai que les hommes de lettres se soient contentés jadis de distraire d’honnêtes gens. (Ils
2157 e les hommes de lettres se soient contentés jadis de distraire d’honnêtes gens. (Ils le disaient du moins.) Les plus modes
2158 de lettres se soient contentés jadis de distraire d’ honnêtes gens. (Ils le disaient du moins.) Les plus modestes de nous a
2159 ns. (Ils le disaient du moins.) Les plus modestes de nous attendent une religion, une morale, et le sens de la vie enfin r
2160 us attendent une religion, une morale, et le sens de la vie enfin révélé. Il n’est pas une joie de l’esprit que les Lettre
2161 ens de la vie enfin révélé. Il n’est pas une joie de l’esprit que les Lettres ne leur doivent. Et qui pourrait tolérer, se
2162 qui pourrait tolérer, se demande un jeune homme, de n’être pas écrivain ? Cet état « singulier » de notre littérature n’
2163 de n’être pas écrivain ? Cet état « singulier » de notre littérature n’autorise pas trop d’optimisme. Il se peut que le
2164 gulier » de notre littérature n’autorise pas trop d’ optimisme. Il se peut que les hommes soient devenus plus exigeants. I
2165 comme s’il y avait à leur endroit je ne sais quoi de libre, de joyeux et peut-être d’insensé, dont nous aurions perdu jusq
2166 y avait à leur endroit je ne sais quoi de libre, de joyeux et peut-être d’insensé, dont nous aurions perdu jusqu’au souve
2167 je ne sais quoi de libre, de joyeux et peut-être d’ insensé, dont nous aurions perdu jusqu’au souvenir et à l’idée. Mais
2168 it ni pour toujours, puisque ce « je ne sais quoi de libre, de joyeux et peut-être d’insensé », c’est toute son œuvre, jus
2169 toujours, puisque ce « je ne sais quoi de libre, de joyeux et peut-être d’insensé », c’est toute son œuvre, justement, qu
2170  je ne sais quoi de libre, de joyeux et peut-être d’ insensé », c’est toute son œuvre, justement, qui nous en restitue mieu
2171 la présence fraîche et vivace. 6. Le communiqué de l’AFP annonçant sa mort, décrit Paulhan comme « ce petit homme sec et
2172 ul intéressera, croit-elle. an. Rougemont Denis de , « Jean Paulhan », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausa
2173 n. Rougemont Denis de, « Jean Paulhan », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 19–20 octobre 1968, p. 28
30 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Témoignage sur Bernard Barbey (7-8 février 1970)
2174 , en cette haute époque littéraire : les Éditions de la NRF et les « Cahiers verts » de Grasset. Le Cœur gros — quel beau
2175 : les Éditions de la NRF et les « Cahiers verts » de Grasset. Le Cœur gros — quel beau titre ! — sous la fameuse couvertur
2176 ouverture verte m’apportait les paysages pluvieux de plateaux au pied du Jura qui avaient ému ma prime adolescence, et je
2177 é, au double sens du mot, par la gloire naissante d’ un jeune aîné qui venait de mon pays ou presque. Un peu plus tard, j’é
2178 que. Un peu plus tard, j’écrivais du second roman de Bernard Barbey : Il règne dans La Maladère une étrange harmonie entr
2179 iolence, autour de ces êtres dont la détresse est d’ autant plus cruelle qu’elle est contenue sous des dehors trop polis. U
2180 é le livre, on oublie son intrigue et la justesse de l’analyse pour ne plus évoquer que des visions où se condense le sent
2181 e Cœur gros un parc avant l’orage, le rose sombre d’ une joue brûlante et fraîche dans le vent. Dans La Maladère un arbre c
2182 uvrant le manoir perdu, des fumées sur un paysage d’ hiver, et soudain, sous la lueur d’un incendie, deux visages tordus de
2183 sur un paysage d’hiver, et soudain, sous la lueur d’ un incendie, deux visages tordus de passion. Cette fureur admirable, d
2184 sous la lueur d’un incendie, deux visages tordus de passion. Cette fureur admirable, dont la brutalité si longtemps désir
2185 a brutalité si longtemps désirée délivre le héros d’ un passé obsédant, d’une trop plaisante jeunesse.7 On devrait bien r
2186 mps désirée délivre le héros d’un passé obsédant, d’ une trop plaisante jeunesse.7 On devrait bien republier ces deux rom
2187 se prolonge dans ma mémoire. C’est moins la suite de la carrière littéraire de Bernard Barbey qui explique leur éclipse in
2188 e. C’est moins la suite de la carrière littéraire de Bernard Barbey qui explique leur éclipse injuste et provisoire, que l
2189 ux ou trois autres carrières qu’il a connues avec de si constants succès pour ceux qui savent — dans l’armée, la diplomati
2190 n suisse, presque toujours, fait presque toujours de la littérature, si bonne qu’elle soit. Mais l’aventure militaire de B
2191 si bonne qu’elle soit. Mais l’aventure militaire de Barbey est singulière. Assurer la liaison ultrasecrète avec l’armée f
2192 en, ni commander ensuite l’état-major particulier d’ un général en chef. Et, tôt après, sans transition, « promouvoir » la
2193 transition, « promouvoir » la présence culturelle de la Suisse à Paris, puis à l’échelon mondial à l’Unesco. Tous ces serv
2194 ul doute à la très amicale et délicate insistance de Berne que je dois d’avoir écrit mes deux livres sur la Suisseap. « Ro
2195 icale et délicate insistance de Berne que je dois d’ avoir écrit mes deux livres sur la Suisseap. « Romancier aux succès pr
2196 ire », tel serait le résumé proprement helvétique d’ une carrière qui eût été, en changeant de passeport, celle d’un ambass
2197 lvétique d’une carrière qui eût été, en changeant de passeport, celle d’un ambassadeur de France, d’un général, et de l’un
2198 ère qui eût été, en changeant de passeport, celle d’ un ambassadeur de France, d’un général, et de l’un des plus jeunes élu
2199 en changeant de passeport, celle d’un ambassadeur de France, d’un général, et de l’un des plus jeunes élus de l’Académie.
2200 t de passeport, celle d’un ambassadeur de France, d’ un général, et de l’un des plus jeunes élus de l’Académie. Mais là n’é
2201 elle d’un ambassadeur de France, d’un général, et de l’un des plus jeunes élus de l’Académie. Mais là n’était pas son souc
2202 ce, d’un général, et de l’un des plus jeunes élus de l’Académie. Mais là n’était pas son souci ! Et il nous suffisait, nou
2203 ses amis (mais avons-nous su le lui dire assez…) de pouvoir admirer, en lui, la parfaite élégance du courage secret, du t
2204 parfaite élégance du courage secret, du talent et de l’efficacité. C’est par des hommes de cette qualité que vaut la Suiss
2205 u talent et de l’efficacité. C’est par des hommes de cette qualité que vaut la Suisse. 7. « Bernard Barbey : La Maladèr
2206 sset, Paris) », Bibliothèque universelle et Revue de Genève, Genève, février 1927, p. 265. ao. Rougemont Denis de, « Té
2207 ève, février 1927, p. 265. ao. Rougemont Denis de , « Témoignage sur Bernard Barbey », Gazette de Lausanne (supplément l
2208 is de, « Témoignage sur Bernard Barbey », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 7–8 février 1970, p. 21.
2209 Lausanne, 7–8 février 1970, p. 21. ap. Il s’agit de La Confédération helvétique (1953) et de La Suisse ou l’histoire d
2210 s’agit de La Confédération helvétique (1953) et de La Suisse ou l’histoire d’un peuple heureux (1965)
2211 helvétique (1953) et de La Suisse ou l’histoire d’ un peuple heureux (1965)
31 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). La cité européenne (18-19 avril 1970)
2212 La cité européenne (18-19 avril 1970)aq ar Mesdames et Messieurs, Je pense, avec Robe
2213 Je pense, avec Robert Schuman, qu’il est possible d’ unir nos pays pour cette raison littéralement fondamentale qu’une unit
2214 te raison littéralement fondamentale qu’une unité de base existe, sur laquelle fonder cette union. Il s’agit de l’unité d’
2215 xiste, sur laquelle fonder cette union. Il s’agit de l’unité d’une culture, de laquelle participent tous les Européens, qu
2216 laquelle fonder cette union. Il s’agit de l’unité d’ une culture, de laquelle participent tous les Européens, qu’ils soient
2217 cette union. Il s’agit de l’unité d’une culture, de laquelle participent tous les Européens, qu’ils soient d’ailleurs « c
2218 é d’une culture, de laquelle participent tous les Européens , qu’ils soient d’ailleurs « cultivés » ou non, conscients ou non de c
2219 d’ailleurs « cultivés » ou non, conscients ou non de ce qu’ils doivent, en fait, à la culture. Unité non pas homogène et q
2220 ure. Unité non pas homogène et qui ne résulte pas d’ un processus forcé d’uniformisation, de nivellement et d’exclusion de
2221 mogène et qui ne résulte pas d’un processus forcé d’ uniformisation, de nivellement et d’exclusion de ce qui diffère, mais
2222 ésulte pas d’un processus forcé d’uniformisation, de nivellement et d’exclusion de ce qui diffère, mais qui au contraire e
2223 ocessus forcé d’uniformisation, de nivellement et d’ exclusion de ce qui diffère, mais qui au contraire englobe, et compose
2224 é d’uniformisation, de nivellement et d’exclusion de ce qui diffère, mais qui au contraire englobe, et compose largement,
2225 des valeurs bien souvent antinomiques, provenant d’ origines multiples, dont les contrastes et les combinaisons entretienn
2226 etiennent des tensions renouvelées sans répit. Et de là vient l’irrépressible dynamisme qui a porté la civilisation europé
2227 répressible dynamisme qui a porté la civilisation européenne sur tous les continents découverts tour à tour, conquis par nos avent
2228 contre nous, pour le meilleur et pour le pire. Et de là viennent aussi nos divisions mortelles, nos efforts pour les surmo
2229 verselles, et toutes les créations qui ne cessent de jaillir de cette discorde permanente. Dès l’aube de la philosophie oc
2230 et toutes les créations qui ne cessent de jaillir de cette discorde permanente. Dès l’aube de la philosophie occidentale,
2231 jaillir de cette discorde permanente. Dès l’aube de la philosophie occidentale, dans l’une de ces cités d’Ionie où prit n
2232 l’aube de la philosophie occidentale, dans l’une de ces cités d’Ionie où prit naissance la dialectique de notre histoire,
2233 philosophie occidentale, dans l’une de ces cités d’ Ionie où prit naissance la dialectique de notre histoire, Héraclite éc
2234 es cités d’Ionie où prit naissance la dialectique de notre histoire, Héraclite écrivait cette phrase décisive, qu’il faut
2235 e décisive, qu’il faut tenir pour la formule même de l’unité européenne : « Ce qui s’oppose coopère, et de la lutte des co
2236 qu’il faut tenir pour la formule même de l’unité européenne  : « Ce qui s’oppose coopère, et de la lutte des contraires procède la
2237 ’unité européenne : « Ce qui s’oppose coopère, et de la lutte des contraires procède la plus belle harmonie. » ⁂ De ce tem
2238 es contraires procède la plus belle harmonie. » ⁂ De ce temps jusqu’au nôtre, tout concourt à nourrir ce paradoxe qui para
2239 paradoxe qui paraît bien être la loi constitutive de notre histoire et le ressort de notre pensée : l’antinomie de l’un et
2240 loi constitutive de notre histoire et le ressort de notre pensée : l’antinomie de l’un et du divers, l’unité dans la dive
2241 toire et le ressort de notre pensée : l’antinomie de l’un et du divers, l’unité dans la diversité, et la coexistence fécon
2242 ses dernières conséquences, découvre ainsi l’idée de l’atome et celle de l’individu, d’où les excès de l’individualisme he
2243 uences, découvre ainsi l’idée de l’atome et celle de l’individu, d’où les excès de l’individualisme hellénistique qui ne m
2244 e ainsi l’idée de l’atome et celle de l’individu, d’ où les excès de l’individualisme hellénistique qui ne manqueront pas d
2245 de l’atome et celle de l’individu, d’où les excès de l’individualisme hellénistique qui ne manqueront pas d’appeler la tyr
2246 ndividualisme hellénistique qui ne manqueront pas d’ appeler la tyrannie. Rome, en réponse à ce défi de l’anarchie, invente
2247 d’appeler la tyrannie. Rome, en réponse à ce défi de l’anarchie, invente l’État et les institutions centralisées : elle po
2248 ’irrémédiable et dangereux ennui, jusqu’à ce vide de l’âme inoccupée qui appelle les tempêtes et les révolutions. Le chris
2249 Le christianisme apporte alors un troisième monde de valeurs, assez mal conciliables avec celles de la sagesse grecque, et
2250 de de valeurs, assez mal conciliables avec celles de la sagesse grecque, et totalement contraires à celles de Rome. À la m
2251 agesse grecque, et totalement contraires à celles de Rome. À la morale de la mesure et de la raison utilitaire, il oppose
2252 talement contraires à celles de Rome. À la morale de la mesure et de la raison utilitaire, il oppose les élans de l’amour
2253 res à celles de Rome. À la morale de la mesure et de la raison utilitaire, il oppose les élans de l’amour sans calcul, au
2254 e et de la raison utilitaire, il oppose les élans de l’amour sans calcul, au droit de la force le service du prochain, au
2255 ice. Bien plus, il porte la contradiction au cœur de l’être, et la traduit dans l’énoncé de ses dogmes fondamentaux : la T
2256 on au cœur de l’être, et la traduit dans l’énoncé de ses dogmes fondamentaux : la Trinité transporte en Dieu lui-même le p
2257 a Trinité transporte en Dieu lui-même le paradoxe de l’un et du divers, tandis que l’Incarnation porte à l’extrême la coex
2258 existence des contraires, l’impensable définition de la personne de Jésus-Christ comme « vrai Dieu et vrai homme » à la fo
2259 ontraires, l’impensable définition de la personne de Jésus-Christ comme « vrai Dieu et vrai homme » à la fois, selon les f
2260 omme » à la fois, selon les formules conciliaires de Nicée et de Chalcédoine. ⁂ Or, ces valeurs grecques, romaines et chré
2261 fois, selon les formules conciliaires de Nicée et de Chalcédoine. ⁂ Or, ces valeurs grecques, romaines et chrétiennes qui
2262 urs triomphes alternés, elles durent dans l’ombre de l’histoire, dans la tradition, dans les livres, et dans l’inconscient
2263 nt toutes, sans exception, dans la vie des hommes d’ aujourd’hui. Un seul exemple : le dogme de la Trinité, hors de la trad
2264 hommes d’aujourd’hui. Un seul exemple : le dogme de la Trinité, hors de la tradition ecclésiastique, a fourni le modèle d
2265 e la tradition ecclésiastique, a fourni le modèle de la dialectique hégélienne, repris par Marx, puis par Lénine avec les
2266 ue l’on sait, jusque dans l’existence quotidienne de 700 millions de Chinois qui se croyaient confucianistes, bouddhistes,
2267 sque dans l’existence quotidienne de 700 millions de Chinois qui se croyaient confucianistes, bouddhistes, ou sans croyanc
2268 n’est pas tout. Avec les trois sources classiques d’ Athènes, de Rome et de Jérusalem, viennent confluer dans le haut Moyen
2269 out. Avec les trois sources classiques d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, viennent confluer dans le haut Moyen Âge la sou
2270 es trois sources classiques d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, viennent confluer dans le haut Moyen Âge la source germani
2271 droit communautaire et personnel, et les valeurs d’ honneur et de fidélité, la seconde apportant le sens du rêve et le gra
2272 autaire et personnel, et les valeurs d’honneur et de fidélité, la seconde apportant le sens du rêve et le grand thème de l
2273 conde apportant le sens du rêve et le grand thème de la quête aventureuse d’un Lancelot et d’un Perceval, symbole mystique
2274 du rêve et le grand thème de la quête aventureuse d’ un Lancelot et d’un Perceval, symbole mystique. Faut-il enfin rappeler
2275 nd thème de la quête aventureuse d’un Lancelot et d’ un Perceval, symbole mystique. Faut-il enfin rappeler l’apport arabe,
2276 mbres, mais qui est l’une des sources principales de la poésie amoureuse, donc de l’amour tel qu’on le parle et qu’on croi
2277 sources principales de la poésie amoureuse, donc de l’amour tel qu’on le parle et qu’on croit le sentir en Occident ; l’a
2278 e siècle ? ⁂ Tout cela dure, agit et vit en nous de mille manières. Tout cela se combine en figures et en structures vari
2279 variées à l’infini, mais dont la plus fréquente, de très loin, est le couple d’antinomies inséparables : autorité et libe
2280 nt la plus fréquente, de très loin, est le couple d’ antinomies inséparables : autorité et liberté, individualisme et colle
2281 ence, hérésie créatrice et saine doctrine, besoin de sécurité et goût du risque, conformité qui maintient les valeurs, ori
2282 s en fournit les moyens. Enfin tout cela dénote l’ Europe comme patrie de la diversité. L’Européen moyen déclare parfois et pen
2283 ens. Enfin tout cela dénote l’Europe comme patrie de la diversité. L’Européen moyen déclare parfois et pense toujours : « 
2284 a dénote l’Europe comme patrie de la diversité. L’ Européen moyen déclare parfois et pense toujours : « Quelle est ma raison d’êt
2285 arfois et pense toujours : « Quelle est ma raison d’ être, si je suis comme tout le monde ? » À ses yeux — et cela peut ser
2286 e distinguer » ou « être distingué » est synonyme d’ honneur mérité ou reçu, non pas d’impardonnable faute de goût, de tent
2287  » est synonyme d’honneur mérité ou reçu, non pas d’ impardonnable faute de goût, de tentative déviationniste, ou de blasph
2288 é ou reçu, non pas d’impardonnable faute de goût, de tentative déviationniste, ou de blasphème, comme ce serait le cas dan
2289 le faute de goût, de tentative déviationniste, ou de blasphème, comme ce serait le cas dans les sociétés primitives, dans
2290 totalitaires, ou dans l’Inde religieuse. Le goût de différer, si peu que ce soit, est si cher aux Européens qu’il les por
2291 de différer, si peu que ce soit, est si cher aux Européens qu’il les porte à exagérer d’une manière tout à fait extravagante l’i
2292 si cher aux Européens qu’il les porte à exagérer d’ une manière tout à fait extravagante l’importance de ce qui les distin
2293 une manière tout à fait extravagante l’importance de ce qui les distingue. C’est ainsi qu’ils en viennent à penser sincère
2294 s’il le faut, du fait qu’ils n’ont en somme rien de commun ! Un jour, tandis que je présidais une table ronde du Conseil
2295 ronde du Conseil de l’Europe, irrité par ce genre d’ objections à l’union, j’écrivis sur une page de bloc-notes « à faire c
2296 re d’objections à l’union, j’écrivis sur une page de bloc-notes « à faire circuler » autour du tapis vert l’essai de défin
2297 « à faire circuler » autour du tapis vert l’essai de définition suivant : L’Européen ne serait-il pas cet homme étrange q
2298 du tapis vert l’essai de définition suivant : L’ Européen ne serait-il pas cet homme étrange qui se manifeste comme Européen da
2299 t-il pas cet homme étrange qui se manifeste comme Européen dans la mesure précise où il doute qu’il le soit, et prétend au contr
2300 étend au contraire s’identifier soit avec l’homme d’ une seule nation de cette Europe dont il révèle ainsi qu’il fait parti
2301 s’identifier soit avec l’homme d’une seule nation de cette Europe dont il révèle ainsi qu’il fait partie, par le seul fait
2302 ier soit avec l’homme d’une seule nation de cette Europe dont il révèle ainsi qu’il fait partie, par le seul fait qu’il le con
2303 e ? On ne changera pas cela, ce ne serait plus l’ Europe . Le goût furieux de différer, par lequel nous nous ressemblons tous,
2304 cela, ce ne serait plus l’Europe. Le goût furieux de différer, par lequel nous nous ressemblons tous, c’est notre mal et n
2305 r notre union, si l’on veut qu’elle mérite le nom d’ Europe. Si l’on me demande maintenant comment on peut traduire en term
2306 notre union, si l’on veut qu’elle mérite le nom d’ Europe . Si l’on me demande maintenant comment on peut traduire en termes de
2307 re en termes de structures politiques cette unité de culture non unitaire et si hautement diversifiée, je répondrai que la
2308 ent par l’union dans la diversité, et cette forme d’ union porte un nom bien connu dans l’histoire des régimes politiques,
2309 nnu dans l’histoire des régimes politiques, c’est de toute évidence : fédéralisme.as aq. Rougemont Denis de, « Le disc
2310 évidence : fédéralisme.as aq. Rougemont Denis de , « Le discours de l’Université de Bonn I — La Cité européenne », Gaze
2311 isme.as aq. Rougemont Denis de, « Le discours de l’Université de Bonn I — La Cité européenne », Gazette de Lausanne (s
2312 Rougemont Denis de, « Le discours de l’Université de Bonn I — La Cité européenne », Gazette de Lausanne (supplément littér
2313 « Le discours de l’Université de Bonn I — La Cité européenne  », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 18–19 avril
2314 versité de Bonn I — La Cité européenne », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 18–19 avril 1970, p. 32.
2315 2. ar. Ce discours a été prononcé à l’Université de Bonn, le 15 avril 1970, à l’occasion de la remise du prix Robert Schu
2316 niversité de Bonn, le 15 avril 1970, à l’occasion de la remise du prix Robert Schuman. as. Le texte est suivie de la note
2317 du prix Robert Schuman. as. Le texte est suivie de la note suivante : « La semaine prochaine : “L’Europe et le sens de l
2318 de la note suivante : « La semaine prochaine : “L’ Europe et le sens de la vie”, suite et fin de ce discours. »
2319 e : « La semaine prochaine : “L’Europe et le sens de la vie”, suite et fin de ce discours. »
2320 e : “L’Europe et le sens de la vie”, suite et fin de ce discours. »
32 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe et le sens de la vie (25-26 avril 1970)
2321 L’ Europe et le sens de la vie (25-26 avril 1970)at au Je ne vois pas d’autr
2322 L’Europe et le sens de la vie (25-26 avril 1970)at au Je ne vois pas d’autre forme d’unio
2323 la vie (25-26 avril 1970)at au Je ne vois pas d’ autre forme d’union qui réponde à la double exigence du respect des di
2324 avril 1970)at au Je ne vois pas d’autre forme d’ union qui réponde à la double exigence du respect des diversités et de
2325 à la double exigence du respect des diversités et de l’instauration d’une force suffisante pour garantir leur concurrence
2326 ce du respect des diversités et de l’instauration d’ une force suffisante pour garantir leur concurrence féconde, dans la p
2327 concurrence féconde, dans la paix. Je ne vois pas d’ autre réponse imaginable au défi que l’Histoire nous pose dans les ter
2328 échappatoire possible désormais : s’unir, au-delà de nos fausses souverainetés, pour préserver nos vraies diversités — cré
2329 tés — créer un pouvoir fédéral pour la sauvegarde de nos autonomies. Car ces autonomies seront perdues une à une, si nous
2330 qui fait toute ma thèse : étant donné que la base de notre unité est une culture pluraliste, on ne peut fonder sur elle qu
2331 éclare, avec Churchill — dans son fameux discours de Zurich — qu’il n’y a pas une minute à perdre ! Quel est l’obstacle ap
2332 ns mystérieux : l’obstacle à toute union possible de l’Europe (donc à toute union fédérale) n’est autre que l’État-nation,
2333 stérieux : l’obstacle à toute union possible de l’ Europe (donc à toute union fédérale) n’est autre que l’État-nation, tel que
2334 e la guerre. C’est ce modèle que tous les peuples de l’Europe, grands et petits, ont imité l’un après l’autre tout au long
2335 guerre. C’est ce modèle que tous les peuples de l’ Europe , grands et petits, ont imité l’un après l’autre tout au long du xixe
2336 près l’autre tout au long du xixe siècle, suivis de nos jours par le reste du monde, notamment par le tiers-monde, mal dé
2337 t soumettre toute une nation aux pouvoirs absolus de l’État. C’est vouloir faire coïncider sur un même territoire, défini
2338 sort des guerres et aussitôt baptisé « sol sacré de la patrie », des réalités absolument hétérogènes, qui n’ont aucune ra
2339 s absolument hétérogènes, qui n’ont aucune raison d’ avoir les mêmes frontières, comme la langue et l’économie, l’état civi
2340 encore, les idéologies et les religions, sommées de s’arrêter sur une ligne de barbelés électrifiés. C’est livrer sans re
2341 les religions, sommées de s’arrêter sur une ligne de barbelés électrifiés. C’est livrer sans recours toute l’existence hum
2342 rs toute l’existence humaine aux seules décisions de bureaux installés dans une seule capitale, et interdire toute allégea
2343 iècle. Rien, donc, de plus hostile à toute espèce d’ union tant soit peu sérieuse ou sincère, que cet État-nation qui, d’au
2344 tat-nation qui, d’autre part, se révèle incapable de répondre aux exigences concrètes de notre temps, puisqu’il est à la f
2345 èle incapable de répondre aux exigences concrètes de notre temps, puisqu’il est à la fois trop petit pour agir à l’échelle
2346 r un projet rationnel. Or voici l’ironie tragique de notre histoire : c’est sur la base de cet obstacle radical à toute un
2347 ie tragique de notre histoire : c’est sur la base de cet obstacle radical à toute union que l’on s’efforce depuis vingt-ci
2348 te union que l’on s’efforce depuis vingt-cinq ans d’ unir l’Europe ! Voilà qui explique suffisamment, je crois, pourquoi l’
2349 que l’on s’efforce depuis vingt-cinq ans d’unir l’ Europe  ! Voilà qui explique suffisamment, je crois, pourquoi l’on n’a pas av
2350 fisamment, je crois, pourquoi l’on n’a pas avancé d’ un centimètre en direction de notre union politique. Entre l’union de
2351 l’on n’a pas avancé d’un centimètre en direction de notre union politique. Entre l’union de l’Europe et les États-nations
2352 direction de notre union politique. Entre l’union de l’Europe et les États-nations sacralisés, entre une nécessité humaine
2353 tion de notre union politique. Entre l’union de l’ Europe et les États-nations sacralisés, entre une nécessité humaine des plus
2354 é humaine des plus concrètes et le culte prolongé d’ un mythe, il faut choisir. Pour la première fois dans son histoire, l’
2355 istoire, l’homme se voit aujourd’hui en situation de choisir librement son avenir. Jusqu’à nous, point de choix économique
2356 choisir librement son avenir. Jusqu’à nous, point de choix économiques ni même peut-être politiques longuement délibérés,
2357 nécessaire est assuré, on se bat pour le contrôle de zones d’influence plus idéologiques que commerciales (voir le Vietnam
2358 e est assuré, on se bat pour le contrôle de zones d’ influence plus idéologiques que commerciales (voir le Vietnam) et l’on
2359 en somme du superflu. Mais dès lors que ce choix de notre avenir est libre, nous voici contraints de le faire, à nos risq
2360 de notre avenir est libre, nous voici contraints de le faire, à nos risques et périls ! Nous voici contraints de nous dem
2361 , à nos risques et périls ! Nous voici contraints de nous demander ce que nous attendons de notre vie et de la société, ce
2362 contraints de nous demander ce que nous attendons de notre vie et de la société, ce que nous voulons réellement, principal
2363 us demander ce que nous attendons de notre vie et de la société, ce que nous voulons réellement, principalement, et contra
2364 voulons réellement, principalement, et contraints de tirer des plans en conséquence. Voulons-nous par exemple à tout prix
2365 rix sommes-nous prêts à payer pour cela ? Le prix de certaines libertés, ou le prix d’un confort toujours accru ? Ces dile
2366 cela ? Le prix de certaines libertés, ou le prix d’ un confort toujours accru ? Ces dilemmes se posent aujourd’hui à tous
2367 peuples avancés sous le rapport de l’industrie et de la technique. Et ils les forcent à reposer des questions difficiles,
2368 s difficiles, voire angoissantes sur le sens même de la vie… D’une façon plus précise, en Europe, il nous faut décider si
2369 s, voire angoissantes sur le sens même de la vie… D’ une façon plus précise, en Europe, il nous faut décider si notre union
2370 sens même de la vie… D’une façon plus précise, en Europe , il nous faut décider si notre union aura pour but la puissance colle
2371 cider, en toute conscience, et vite, car le choix de la fin implique évidemment celui des moyens adéquats ; mais à l’inver
2372 adéquats ; mais à l’inverse, si vous vous trompez de moyens, ils risquent bien de vous conduire où vous ne vouliez pas all
2373 si vous vous trompez de moyens, ils risquent bien de vous conduire où vous ne vouliez pas aller… Voici donc le dilemme pré
2374 sent : Si nous attribuons pour finalité à la Cité européenne de demain la puissance, c’est-à-dire la puissance industrielle et mil
2375 ous attribuons pour finalité à la Cité européenne de demain la puissance, c’est-à-dire la puissance industrielle et milita
2376 re la puissance industrielle et militaire massive d’ une sorte de troisième Grand préoccupé principalement de tenir tête au
2377 nce industrielle et militaire massive d’une sorte de troisième Grand préoccupé principalement de tenir tête aux deux autre
2378 sorte de troisième Grand préoccupé principalement de tenir tête aux deux autres, alors il faut créer un super-État-nation
2379 t agressif, comme la France de Napoléon, et faire de nos États autant de départements. Il faut tout unifier par des lois i
2380 France de Napoléon, et faire de nos États autant de départements. Il faut tout unifier par des lois inflexibles, sans éga
2381 ttre la production industrielle au seul impératif de l’élévation perpétuelle du PNB — cette tour de Babel du xxe siècle !
2382 if de l’élévation perpétuelle du PNB — cette tour de Babel du xxe siècle ! Une politique européenne de ce type, simple tr
2383 ette tour de Babel du xxe siècle ! Une politique européenne de ce type, simple transposition de la formule d’État-nation à l’éche
2384 e Babel du xxe siècle ! Une politique européenne de ce type, simple transposition de la formule d’État-nation à l’échelle
2385 tique européenne de ce type, simple transposition de la formule d’État-nation à l’échelle continentale, serait capable san
2386 ne de ce type, simple transposition de la formule d’ État-nation à l’échelle continentale, serait capable sans nul doute de
2387 helle continentale, serait capable sans nul doute de créer une Europe très forte, mais qui serait très peu européenne. San
2388 ntale, serait capable sans nul doute de créer une Europe très forte, mais qui serait très peu européenne. Sans compter qu’un s
2389 r une Europe très forte, mais qui serait très peu européenne . Sans compter qu’un super-État-nation ne pourrait être imposé à tous
2390 ait être imposé à tous nos peuples qu’à la faveur d’ une guerre générale — selon la loi de l’État-nation dès ses débuts. Il
2391 ’à la faveur d’une guerre générale — selon la loi de l’État-nation dès ses débuts. Il s’agit donc d’une utopie catastrophi
2392 i de l’État-nation dès ses débuts. Il s’agit donc d’ une utopie catastrophique, mais dont la réalisation ne saurait être ex
2393 ontraire, si nous donnons pour finalité à la Cité européenne la liberté, c’est-à-dire les plus grandes possibilités d’épanouisseme
2394 berté, c’est-à-dire les plus grandes possibilités d’ épanouissement des personnes, de participation des citoyens et d’auton
2395 ndes possibilités d’épanouissement des personnes, de participation des citoyens et d’autonomie des communautés (la product
2396 t des personnes, de participation des citoyens et d’ autonomie des communautés (la production industrielle n’étant qu’un de
2397 production industrielle n’étant qu’un des moyens de ces libertés), alors il faut reconnaître que l’État-nation n’est pas
2398 jourd’hui radicalement incompatible avec les fins de l’Europe et de la liberté. Il faut adopter sans délai les méthodes le
2399 ’hui radicalement incompatible avec les fins de l’ Europe et de la liberté. Il faut adopter sans délai les méthodes les plus pr
2400 alement incompatible avec les fins de l’Europe et de la liberté. Il faut adopter sans délai les méthodes les plus propres
2401 nalismes, et se consacrer sérieusement à la tâche de construire des modèles neufs pour une cité rendue à l’usage de l’homm
2402 des modèles neufs pour une cité rendue à l’usage de l’homme. Il faut mettre en commun à l’échelle fédérale continentale,
2403 e qui est nécessaire pour garantir les autonomies de tous ordres, régionales, communales et personnelles, mais rien de plu
2404 idéologiques et religieuses, contre la prétention de l’État-nation à leur monopole absolu. Il faut distribuer les pouvoirs
2405 uer les pouvoirs étatiques aux différents niveaux de décision — le communal, le régional, le fédéral — indiqués par la nat
2406 la nature des tâches, leurs dimensions et celles de la communauté la plus apte à les administrer. En un mot, il faut appl
2407 é : ces deux finalités commandent deux politiques d’ union, dont je crains bien qu’on ne puisse pas impunément continuer à
2408 continuer à mêler les moyens. On ne manquera pas de m’objecter en ce point que la politique a toujours eu pour fin réelle
2409 s ont choisi la puissance comme seul but réaliste de la société politique ; le reste — la justice, la paix, la liberté — é
2410 la justice, la paix, la liberté — étant manières de parler plus ou moins nobles, ou pure et simple captatio démagogique.
2411 io démagogique. Mais je vois aussi que seuls, des Européens , rares mais exemplaires, ont osé proclamer, d’Aristote à Rousseau et
2412 péens, rares mais exemplaires, ont osé proclamer, d’ Aristote à Rousseau et de William Penn à Proudhon, que les libertés pe
2413 ires, ont osé proclamer, d’Aristote à Rousseau et de William Penn à Proudhon, que les libertés personnelles et les communa
2414 nomes valent mieux que la puissance collective. L’ Europe unie sera seule capable de réaliser leur vision. On me dira peut-être
2415 ance collective. L’Europe unie sera seule capable de réaliser leur vision. On me dira peut-être aussi que je radicalise in
2416 e au dilemme puissance ou liberté comme finalités de l’union. Mais je ne crois pas qu’il y ait un tiers parti tenable. Je
2417 oquait le général de Gaulle, et qui serait formée d’ États-nations conservant jalousement leurs prétentions à la souveraine
2418 amicale des misanthropes. Je crois à la nécessité de défaire nos États-nations. Ou plutôt, de les dépasser, de démystifier
2419 écessité de défaire nos États-nations. Ou plutôt, de les dépasser, de démystifier leur sacré, de percer leurs frontières c
2420 re nos États-nations. Ou plutôt, de les dépasser, de démystifier leur sacré, de percer leurs frontières comme des écumoire
2421 utôt, de les dépasser, de démystifier leur sacré, de percer leurs frontières comme des écumoires, de narguer ces frontière
2422 , de percer leurs frontières comme des écumoires, de narguer ces frontières sur terre, sous terre et dans les airs, et de
2423 tières sur terre, sous terre et dans les airs, et de ne pas perdre une occasion de faire voir à quel point elles sont absu
2424 t dans les airs, et de ne pas perdre une occasion de faire voir à quel point elles sont absurdes. Elles sont encore effica
2425 it aider : les échanges culturels, les mouvements de personnes, la concertation rationnelle des productions industrielles
2426 tre : les tempêtes et les épidémies, la pollution de l’air et des fleuves, les attaques aériennes, les ondes de la propaga
2427 et des fleuves, les attaques aériennes, les ondes de la propagande et les grandes contagions dites idéologiques. Elles emp
2428 ns dites idéologiques. Elles empêchent simplement de bien traiter ces problèmes. Ce statut des frontières, doublement défi
2429 tières, doublement déficient, est caractéristique de tout ce qui touche à l’État-nation : néfaste dans la mesure où il est
2430 ous les pays à la fois…) ne sont pas le type même de faux problèmes, résultant de la seule fiction d’économies dites natio
2431 ont pas le type même de faux problèmes, résultant de la seule fiction d’économies dites nationales, qui ne correspondent à
2432 de faux problèmes, résultant de la seule fiction d’ économies dites nationales, qui ne correspondent à rien d’économique.
2433 ies dites nationales, qui ne correspondent à rien d’ économique. Mais ce que je sais de science certaine, c’est que les Éta
2434 spondent à rien d’économique. Mais ce que je sais de science certaine, c’est que les États-nations n’existent pas dans l’h
2435 les États-nations n’existent pas dans l’histoire de la culture, et que les « cheminements de l’esprit » dont parlait Robe
2436 histoire de la culture, et que les « cheminements de l’esprit » dont parlait Robert Schuman traversent leurs frontières sa
2437 dans ce plan, elles n’existent pas. Il n’y a pas de « cultures nationales », en dépit des manuels scolaires, il n’y a que
2438 s tout arbitraires opérées dans l’ensemble vivant de la culture européenne. Et les diversités que nous devons respecter ne
2439 ires opérées dans l’ensemble vivant de la culture européenne . Et les diversités que nous devons respecter ne sont pas celles de ce
2440 ités que nous devons respecter ne sont pas celles de ces États-nations nés d’hier : elles les traversent et les divisent t
2441 ecter ne sont pas celles de ces États-nations nés d’ hier : elles les traversent et les divisent tous également, et ne coïn
2442 frontière. Nos États-nations, obsédés par l’idée de « se faire respecter », oublient qu’ils n’y arriveraient qu’en se ren
2443 ace, qui doit être mis au service des citoyens et de leurs cités ; et non l’inverse. Cessez donc, Messieurs les ministres,
2444 l’inverse. Cessez donc, Messieurs les ministres, d’ essayer d’apaiser les ennemis de l’union en jurant de ne jamais touche
2445 . Cessez donc, Messieurs les ministres, d’essayer d’ apaiser les ennemis de l’union en jurant de ne jamais toucher aux droi
2446 rs les ministres, d’essayer d’apaiser les ennemis de l’union en jurant de ne jamais toucher aux droits sacrés de vos États
2447 ssayer d’apaiser les ennemis de l’union en jurant de ne jamais toucher aux droits sacrés de vos États-nations ! Vous savez
2448 en jurant de ne jamais toucher aux droits sacrés de vos États-nations ! Vous savez bien que vous ne pourrez pas unir l’Eu
2449  ! Vous savez bien que vous ne pourrez pas unir l’ Europe en proclamant votre attachement aux causes mêmes de sa division ! Pou
2450 en proclamant votre attachement aux causes mêmes de sa division ! Pourquoi ne pas le dire ouvertement ? Tous les sondages
2451 oi ne pas le dire ouvertement ? Tous les sondages d’ opinion montrent qu’on vous suivrait, si vous osiez marcher. Je propos
2452 si vous osiez marcher. Je propose la convocation d’ une conférence du désarmement étatique des nations. À l’aspect négatif
2453 armement étatique des nations. À l’aspect négatif de ses travaux, elle ajouterait l’étude on ne peut plus positive de la r
2454 elle ajouterait l’étude on ne peut plus positive de la renaissance des régions. Il faut défaire et dépasser l’État-nation
2455 tribuer et répartir l’État aux différents niveaux de décision où il peut servir une entité vivante, civique, économique ou
2456 trôlé par l’usager, distribuer et répartir l’État de la commune et de l’entreprise à la région et aux groupements de régio
2457 r, distribuer et répartir l’État de la commune et de l’entreprise à la région et aux groupements de régions jusqu’au nivea
2458 et de l’entreprise à la région et aux groupements de régions jusqu’au niveau européen ; là, des agences fédérales, du type
2459 ion et aux groupements de régions jusqu’au niveau européen  ; là, des agences fédérales, du type de la Communauté de Bruxelles, s
2460 eau européen ; là, des agences fédérales, du type de la Communauté de Bruxelles, seront chargées de la concertation des gr
2461 , des agences fédérales, du type de la Communauté de Bruxelles, seront chargées de la concertation des grandes tâches d’in
2462 pe de la Communauté de Bruxelles, seront chargées de la concertation des grandes tâches d’intérêt public, tâches politique
2463 nt chargées de la concertation des grandes tâches d’ intérêt public, tâches politiques au sens originel du mot : l’économie
2464 ontinentales. Et vous noterez que je ne parle pas de relations ou d’affaires étrangères : c’est un mot qu’il nous faut ban
2465 vous noterez que je ne parle pas de relations ou d’ affaires étrangères : c’est un mot qu’il nous faut bannir du vocabulai
2466 ous faut bannir du vocabulaire politique dans une Europe fédérale, au seuil de l’ère du monde uni. Voilà donc le modèle fédéra
2467 aire politique dans une Europe fédérale, au seuil de l’ère du monde uni. Voilà donc le modèle fédéraliste de la Cité europ
2468 re du monde uni. Voilà donc le modèle fédéraliste de la Cité européenne : la complexité des régions rendra justice à ses f
2469 uni. Voilà donc le modèle fédéraliste de la Cité européenne  : la complexité des régions rendra justice à ses fécondes diversités,
2470 a justice à ses fécondes diversités, et l’ampleur de la fédération exprimera l’unité millénaire de sa culture. Dira-t-on q
2471 eur de la fédération exprimera l’unité millénaire de sa culture. Dira-t-on que ce programme est révolutionnaire ? Il l’est
2472 tionnaire ? Il l’est, bien sûr : on ne fera pas l’ Europe sans casser des œufs, nous le voyons depuis vingt-cinq ans. Mais il l
2473 uvelle des finalités politiques. Donner comme but de la Cité européenne la liberté non la puissance, un mode de vie qualit
2474 finalités politiques. Donner comme but de la Cité européenne la liberté non la puissance, un mode de vie qualitatif, non pas un « 
2475  niveau de vie » déterminé en termes de profit et de PNB, c’est passer du matérialisme capitaliste et communiste à la mise
2476 et communiste à la mise en question du sens même de nos vies, et des vrais buts de nos activités communautaires et person
2477 stion du sens même de nos vies, et des vrais buts de nos activités communautaires et personnelles. Si sérieux que soient l
2478 personnelles. Si sérieux que soient les problèmes de prix du lait, du blé ou du vin, il est clair que l’Europe des marchan
2479 rix du lait, du blé ou du vin, il est clair que l’ Europe des marchandages entre économies étatiques ne peut pas entraîner d’ad
2480 s entre économies étatiques ne peut pas entraîner d’ adhésions enthousiastes. Les jeunes gens d’aujourd’hui ne seront pas c
2481 raîner d’adhésions enthousiastes. Les jeunes gens d’ aujourd’hui ne seront pas convaincus par des avantages matériels : ils
2482 urement, c’est un but transcendant, c’est un sens de la vie, maintenant que la guerre n’est plus leur exutoire, l’alibi de
2483 rre n’est plus leur exutoire, l’alibi des raisons de vivre inexistantes. La réponse à la contestation de la jeunesse, dans
2484 vivre inexistantes. La réponse à la contestation de la jeunesse, dans le monde entier, ne relève pas de l’économie, et en
2485 la jeunesse, dans le monde entier, ne relève pas de l’économie, et encore moins de la politique au sens étroit et partisa
2486 ier, ne relève pas de l’économie, et encore moins de la politique au sens étroit et partisan du terme. Elle exige la recré
2487 it et partisan du terme. Elle exige la recréation de communautés véritables. Et la Cité européenne — Res publica europea —
2488 recréation de communautés véritables. Et la Cité européenne — Res publica europea — fondée sur les communes et les régions librem
2489 i l’on me dit maintenant que c’est une utopie que de vouloir dépasser l’État-nation, je réponds que c’est au contraire la
2490 que c’est au contraire la grande tâche politique de notre temps. Précisons : des vingt ans qui viennent. Car à ce prix se
2491 i viennent. Car à ce prix seulement nous ferons l’ Europe , et nous la ferons pour toute l’humanité, nous lui devons cela ! Une
2492 pour toute l’humanité, nous lui devons cela ! Une Europe qui ne sera pas nécessairement la plus puissante ou la plus riche, ma
2493 lus puissante ou la plus riche, mais bien ce coin de la planète indispensable au monde de demain, où les hommes de toutes
2494 bien ce coin de la planète indispensable au monde de demain, où les hommes de toutes races pourront trouver non pas le plu
2495 e indispensable au monde de demain, où les hommes de toutes races pourront trouver non pas le plus de bonheur, peut-être,
2496 de toutes races pourront trouver non pas le plus de bonheur, peut-être, mais le plus de saveur, le plus de sens à la vie.
2497 n pas le plus de bonheur, peut-être, mais le plus de saveur, le plus de sens à la vie. at. Rougemont Denis de, « Le dis
2498 nheur, peut-être, mais le plus de saveur, le plus de sens à la vie. at. Rougemont Denis de, « Le discours de l’Universi
2499 le plus de sens à la vie. at. Rougemont Denis de , « Le discours de l’Université de Bonn II — Un programme révolutionna
2500 la vie. at. Rougemont Denis de, « Le discours de l’Université de Bonn II — Un programme révolutionnaire : donner un se
2501 Rougemont Denis de, « Le discours de l’Université de Bonn II — Un programme révolutionnaire : donner un sens à la vie », G
2502 olutionnaire : donner un sens à la vie », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 25–26 avril 1970, p. 32.
2503 l’orateur, seul le fédéralisme peut structurer l’ Europe . »
33 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une réflexion sur le mode de vie plutôt que sur le niveau de vie (2 juin 1970)
2504 Suisses sont sans doute les moins xénophobes des Européens , et les étrangers sont venus chez eux depuis des siècles en plus gran
2505 problème actuel se trouve posé par la soudaineté d’ un afflux qui prend l’allure d’un raz de marée, et par le motif princi
2506 par la soudaineté d’un afflux qui prend l’allure d’ un raz de marée, et par le motif principal de cet afflux, qui n’est pa
2507 oudaineté d’un afflux qui prend l’allure d’un raz de marée, et par le motif principal de cet afflux, qui n’est pas d’admir
2508 lure d’un raz de marée, et par le motif principal de cet afflux, qui n’est pas d’admirer nos lacs ni de fuir des dictature
2509 r le motif principal de cet afflux, qui n’est pas d’ admirer nos lacs ni de fuir des dictatures, mais de faire du « fric ».
2510 e cet afflux, qui n’est pas d’admirer nos lacs ni de fuir des dictatures, mais de faire du « fric ». Or ce motif est le mê
2511 ’admirer nos lacs ni de fuir des dictatures, mais de faire du « fric ». Or ce motif est le même des deux côtés : pour eux,
2512 ne » à ce jeu : l’industrie qui y trouve le moyen d’ accroître nos exportations, le peuple suisse dont le niveau de vie mat
2513 e dont le niveau de vie matérielle dépend surtout de l’industrie, enfin les travailleurs étrangers, dont les salaires dépe
2514 availleurs étrangers, dont les salaires dépendent de ce qui précède. De quoi se plaint-on ? C’est ici qu’interviennent les
2515 s, dont les salaires dépendent de ce qui précède. De quoi se plaint-on ? C’est ici qu’interviennent les deux questions que
2516 s que vous avez bien voulu me poser : — Dans une Europe fédérée telle que vous la concevez, chaque État peut-il conserver son
2517 availleurs intellectuels et manuels ? — La notion d’ « helvéticité » existe-t-elle ? Et si oui, dans le cas particulier qui
2518 « helvéticité » est-elle menacée par la présence d’ une nombreuse main-d’œuvre étrangère en Suisse ? Permettez-moi de con
2519 main-d’œuvre étrangère en Suisse ? Permettez-moi de confesser d’abord que le problème qui me préoccupe est beaucoup moins
2520 beaucoup moins celui du oui ou du non, que celui de la qualité des arguments invoqués de part et d’autre, et des suites q
2521 n, que celui de la qualité des arguments invoqués de part et d’autre, et des suites qu’entraîneront les attitudes réelles
2522 i de la qualité des arguments invoqués de part et d’ autre, et des suites qu’entraîneront les attitudes réelles de ceux qui
2523 des suites qu’entraîneront les attitudes réelles de ceux qui les invoquent. C’est dans cet esprit que je vais esquisser u
2524 Le beurre et l’argent du beurre I. L’argument européen contre l’initiative Schwarzenbach risque fort de recouvrir un sophism
2525 éen contre l’initiative Schwarzenbach risque fort de recouvrir un sophisme chez la plupart de ceux qui viennent de le déco
2526 ous disent : « À l’heure où il n’est question que de s’ouvrir à l’Europe, pourquoi nous fermer devant les travailleurs étr
2527 l’heure où il n’est question que de s’ouvrir à l’ Europe , pourquoi nous fermer devant les travailleurs étrangers ? » C’est con
2528 ers ? » C’est confondre deux sens bien différents de « s’ouvrir à… » Si s’ouvrir à l’Europe signifie supprimer les frontiè
2529 ien différents de « s’ouvrir à… » Si s’ouvrir à l’ Europe signifie supprimer les frontières économiques et intégrer nos entrepr
2530 e les cinquante États des USA), alors, l’argument de la concurrence étrangère à laquelle « l’économie suisse » ne pourrait
2531 , cet argument se détruit lui-même : car dans une Europe intégrée, il n’y a plus « d’économie suisse », il y a seulement une é
2532 e : car dans une Europe intégrée, il n’y a plus «  d’ économie suisse », il y a seulement une économie européenne. Mais si «
2533 ’économie suisse », il y a seulement une économie européenne . Mais si « s’ouvrir à l’Europe » signifie seulement importer autant d
2534 t une économie européenne. Mais si « s’ouvrir à l’ Europe  » signifie seulement importer autant de travailleurs étrangers qu’il
2535 r à l’Europe » signifie seulement importer autant de travailleurs étrangers qu’il en faut pour que nos exportations contin
2536 ent, paradoxalement, à s’enfermer dans un concept d’ économie « nationale », par définition non intégrée. On ne peut pas av
2537 . On ne peut pas invoquer à la fois l’intégration de l’Europe et les lois de la concurrence entre États-nations. (Sans com
2538 ne peut pas invoquer à la fois l’intégration de l’ Europe et les lois de la concurrence entre États-nations. (Sans compter que
2539 r à la fois l’intégration de l’Europe et les lois de la concurrence entre États-nations. (Sans compter que tous les États-
2540 en même temps une balance commerciale positive !) De fait, l’ouverture du Marché commun n’a nullement déclenché un raz de
2541 e du Marché commun n’a nullement déclenché un raz de marée de main-d’œuvre italienne en France, par exemple, en dépit des
2542 hé commun n’a nullement déclenché un raz de marée de main-d’œuvre italienne en France, par exemple, en dépit des prédictio
2543 par exemple, en dépit des prédictions alarmistes de M. Mendès-France à l’Assemblée nationale. On constate au contraire qu
2544 rutés, à l’instar des soldats du service étranger de jadis. La conception du monde selon laquelle les hommes obéiraient sp
2545 II. Quant au danger que la présence sur notre sol d’ un étranger contre cinq ou six Suisses représenterait pour notre mode
2546 rien, mais en cache un meilleur. À part beaucoup d’ irritations, quelques bagarres et quelques bâtards, les Espagnols, Ita
2547 aliens, Turcs et Portugais laissent peu de traces de leur passage sur notre sol, dans nos cités et dans nos mœurs. Je n’en
2548 ités et dans nos mœurs. Je n’en dirais pas autant d’ une industrie dont l’essor défigure nos paysages, détruit nos forêts e
2549 et nos champs, pollue nos lacs et déverse un flot de ciment, d’agglomérés et de plastique sur « le visage aimé de la patri
2550 ps, pollue nos lacs et déverse un flot de ciment, d’ agglomérés et de plastique sur « le visage aimé de la patrie ». Les so
2551 acs et déverse un flot de ciment, d’agglomérés et de plastique sur « le visage aimé de la patrie ». Les soldats gardent au
2552 d’agglomérés et de plastique sur « le visage aimé de la patrie ». Les soldats gardent aux frontières un « sol sacré » que
2553 t pourtant cela qui modifie radicalement le cadre de nos vies, l’air que nous respirons, et à la longue nos sensibilités.
2554 os sensibilités. Si notre industrie suisse refuse de calculer le prix humain de son essor, ses contrecoups sociologiques e
2555 ndustrie suisse refuse de calculer le prix humain de son essor, ses contrecoups sociologiques et hygiéniques, écologiques
2556 dépasse très largement tout ce qui peut résulter d’ un refus ou d’une acceptation de l’initiative. Le fabuleux brain storm
2557 largement tout ce qui peut résulter d’un refus ou d’ une acceptation de l’initiative. Le fabuleux brain storming collectif
2558 qui peut résulter d’un refus ou d’une acceptation de l’initiative. Le fabuleux brain storming collectif qu’a déclenché le
2559 les amène à se poser — bien au-delà du 7 juin et de ses résultats — les questions suivantes : — La croissance indéfinie d
2560 hropie qu’invoquent à juste titre les adversaires de l’initiative (« on ne peut pas chasser des frères humains ») serait-e
2561 menace contre notre mode de vie suisse vient-elle de la présence d’étrangers parmi nous, ou de nous-mêmes, qui tolérons la
2562 otre mode de vie suisse vient-elle de la présence d’ étrangers parmi nous, ou de nous-mêmes, qui tolérons la destruction de
2563 nt-elle de la présence d’étrangers parmi nous, ou de nous-mêmes, qui tolérons la destruction de notre environnement au nom
2564 us, ou de nous-mêmes, qui tolérons la destruction de notre environnement au nom de valeurs bien plus matérialistes que cel
2565 u des Américains enviés ? av. Rougemont Denis de , « Une réflexion sur le mode de vie plutôt que sur le niveau de vie »
2566 de vie plutôt que sur le niveau de vie », Gazette de Lausanne, Lausanne, 2 juin 1970, p. 16. aw. L’article prend place da
2567 e prononcer sur notre double question — intégrité de l’État dans l’Europe fédérée et notion d’une “helvéticité” menacée ?
2568 otre double question — intégrité de l’État dans l’ Europe fédérée et notion d’une “helvéticité” menacée ? — Denis de Rougemont
2569 tégrité de l’État dans l’Europe fédérée et notion d’ une “helvéticité” menacée ? — Denis de Rougemont nous suggère ses réfl
2570 Rougemont nous suggère ses réflexions sous forme d’ interrogations. »
34 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Le testament de Tristan (14-15 novembre 1970)
2571 Le testament de Tristan (14-15 novembre 1970)ax ay Il a choisi le pays de son nom
2572 (14-15 novembre 1970)ax ay Il a choisi le pays de son nom contre le continent de son prénom ; et jusqu’à près de la fin
2573 l a choisi le pays de son nom contre le continent de son prénom ; et jusqu’à près de la fin de son règne, les prestiges du
2574 ntinent de son prénom ; et jusqu’à près de la fin de son règne, les prestiges du mythe national contre les réalités du mon
2575 e, Charles de Gaulle aura été le dernier monarque d’ une France qui n’a rien préféré à l’amour de son roi, sinon le plaisir
2576 arque d’une France qui n’a rien préféré à l’amour de son roi, sinon le plaisir de le décapiter, ou seulement de voter son
2577 en préféré à l’amour de son roi, sinon le plaisir de le décapiter, ou seulement de voter son exil. Mais j’ai tort de dire
2578 i, sinon le plaisir de le décapiter, ou seulement de voter son exil. Mais j’ai tort de dire France : il s’agit des Françai
2579 r, ou seulement de voter son exil. Mais j’ai tort de dire France : il s’agit des Français, et de Gaulle a toujours disting
2580 Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France… vouée à une destinée éminente et exceptionnelle… S’il advi
2581 ] imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Phrase de passionné et non de démagogue, de romantique et
2582 des Français, non au génie de la patrie. Phrase de passionné et non de démagogue, de romantique et non d’opportuniste. L
2583 u génie de la patrie. Phrase de passionné et non de démagogue, de romantique et non d’opportuniste. L’homme politique opp
2584 patrie. Phrase de passionné et non de démagogue, de romantique et non d’opportuniste. L’homme politique opportuniste et j
2585 ssionné et non de démagogue, de romantique et non d’ opportuniste. L’homme politique opportuniste et joueur, toujours prêt
2586 utre extrême, le général de Gaulle fut le Tristan de la passion nationale. Son Iseut, c’est la France, et il est près de l
2587 st la France, et il est près de le dire dans plus d’ une page de ses Mémoires, et pas seulement dans ces célèbres premières
2588 e, et il est près de le dire dans plus d’une page de ses Mémoires, et pas seulement dans ces célèbres premières phrases où
2589 es malheurs exemplaires ». Il l’a longtemps aimée de loin, dans son exil. Il l’a délivrée de haute lutte en terrassant le
2590 mps aimée de loin, dans son exil. Il l’a délivrée de haute lutte en terrassant le monstre, qui la tenait captive. Il l’a r
2591 ays légal, la République. Puis il a dû s’éloigner d’ elle et de la Cour, de nouveau, écœuré par l’intrigue des « barons fél
2592 la République. Puis il a dû s’éloigner d’elle et de la Cour, de nouveau, écœuré par l’intrigue des « barons félons » (son
2593 . « Mais la vraie passion tristanienne se nourrit de retraits et d’obstacles, quitte à les susciter s’ils semblent faire d
2594 ie passion tristanienne se nourrit de retraits et d’ obstacles, quitte à les susciter s’ils semblent faire défaut. Entre la
2595 u’il proposa solennellement, et à quoi il choisit de lier son sort. Un suicide politique, dirent les observateurs. Mais ic
2596 nnage prend ses vraies dimensions qui sont celles d’ une glorieuse ambiguïté et d’un tragique malentendu entre « de Gaulle 
2597 ions qui sont celles d’une glorieuse ambiguïté et d’ un tragique malentendu entre « de Gaulle », comme il disait, et cette
2598 du entre « de Gaulle », comme il disait, et cette Europe qui l’eût plébiscité comme un second Charles le Grand. Ce Tristan de
2599 cité comme un second Charles le Grand. Ce Tristan de la nation déifiée, cet ennemi juré de l’Europe « intégrée », était en
2600 Ce Tristan de la nation déifiée, cet ennemi juré de l’Europe « intégrée », était en réalité un fédéraliste ! (Mais le mot
2601 ristan de la nation déifiée, cet ennemi juré de l’ Europe « intégrée », était en réalité un fédéraliste ! (Mais le mot ne peut
2602 déraliste ! (Mais le mot ne peut passer le gosier d’ un Français héritier de Louis XIV, des jacobins et de Napoléon.) Il m’
2603 t ne peut passer le gosier d’un Français héritier de Louis XIV, des jacobins et de Napoléon.) Il m’écrivait en 1962 à prop
2604 n Français héritier de Louis XIV, des jacobins et de Napoléon.) Il m’écrivait en 1962 à propos de mes Vingt-huit siècles
2605 ivait en 1962 à propos de mes Vingt-huit siècles d’ Europe  : En réunissant et replaçant en leur contexte tous ces écrits
2606 ait en 1962 à propos de mes Vingt-huit siècles d’ Europe  : En réunissant et replaçant en leur contexte tous ces écrits à tra
2607 els, au long des siècles, s’est manifestée l’idée d’ Europe, ce sont les cheminements de la conscience européenne, elle-mêm
2608 s, au long des siècles, s’est manifestée l’idée d’ Europe , ce sont les cheminements de la conscience européenne, elle-même, que
2609 ifestée l’idée d’Europe, ce sont les cheminements de la conscience européenne, elle-même, que vous mettez en lumière. Je v
2610 Europe, ce sont les cheminements de la conscience européenne , elle-même, que vous mettez en lumière. Je vous félicite d’avoir entr
2611 ême, que vous mettez en lumière. Je vous félicite d’ avoir entrepris et mené à bien cet immense et intéressant travail. Je
2612 ts actuels, en vue de bâtir une union des peuples européens , qui respecte le caractère original de chacun et le génie propre à no
2613 les européens, qui respecte le caractère original de chacun et le génie propre à notre continent, y trouvent appuis et enc
2614 ents. On ne peut mieux définir le régime général d’ union dans la diversité qu’il admirait dans notre Suisse. Quant à la p
2615 s entre le mythe et l’avenir : ce dernier paladin de l’ère des Nations a choisi délibérément de se faire écarter du pouvoi
2616 aladin de l’ère des Nations a choisi délibérément de se faire écarter du pouvoir en liant son sort au symbole même de l’èr
2617 rter du pouvoir en liant son sort au symbole même de l’ère nouvelle, qui est la région. Mais dans la page si belle qui règ
2618 symbolisée par son armée… ax. Rougemont Denis de , « Le testament de Tristan », Gazette de Lausanne (supplément littéra
2619 armée… ax. Rougemont Denis de, « Le testament de Tristan », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 14–
2620 nt Denis de, « Le testament de Tristan », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 14–15 novembre 1970, p. 3
2621 le Marché commun. Ce hasard marquera-t-il la fin d’ une certaine Europe, le début d’une autre ? Nous avons demandé à Denis
2622 un. Ce hasard marquera-t-il la fin d’une certaine Europe , le début d’une autre ? Nous avons demandé à Denis de Rougemont ce qu
2623 quera-t-il la fin d’une certaine Europe, le début d’ une autre ? Nous avons demandé à Denis de Rougemont ce qu’il pensait d
2624 ons demandé à Denis de Rougemont ce qu’il pensait de l’homme d’État, après que Jacques Mercanton, la semaine dernière, a p
2625 e Jacques Mercanton, la semaine dernière, a parlé de l’écrivain et à Guy Dumur, en page intérieure, d’étudier les rapports
2626 de l’écrivain et à Guy Dumur, en page intérieure, d’ étudier les rapports du Général avec la culture, qu’il n’a guère encou
35 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Pourquoi j’écris (30-31 janvier 1971)
2627 eurs contemporains, c’était vers 1925, sur le ton d’ un gangster qui demande la clé de la caisse. Nulle part peut-être mieu
2628 1925, sur le ton d’un gangster qui demande la clé de la caisse. Nulle part peut-être mieux que dans ses « jeux » n’a régné
2629 xploitée désormais sans scrupules par les équipes de la TV) de l’enquête méfiante sur nos motivations. Les écrivains ont d
2630 ésormais sans scrupules par les équipes de la TV) de l’enquête méfiante sur nos motivations. Les écrivains ont développé c
2631 Les écrivains ont développé contre elle une série de réactions de mauvaise foi protectrice, ou de « rationalisations » pou
2632 ont développé contre elle une série de réactions de mauvaise foi protectrice, ou de « rationalisations » pour parler le j
2633 érie de réactions de mauvaise foi protectrice, ou de « rationalisations » pour parler le jargon freudien. Ils ont trouvé t
2634 argon freudien. Ils ont trouvé trente-six raisons d’ écrire. Ils ont milité pour des causes. Ils ont même inventé la notion
2635 é pour des causes. Ils ont même inventé la notion de l’engagement, dans les années 1930… Elle était vraie, mais elle n’exp
2636 sentiments animent aussi, je le crains, certains de ceux qui prétendent n’écrire que pour le salut de leurs lecteurs. En
2637 de ceux qui prétendent n’écrire que pour le salut de leurs lecteurs. En fait, on commence à écrire vers 16 ou 17 ans, sans
2638 pour quoi. Et quand beaucoup plus tard, essayant de répondre à l’attente des interviewers, on met au point quelques demi-
2639 au point quelques demi-mensonges, l’important est de n’y pas croire, sinon ce serait la preuve qu’on a perdu le contact av
2640 ivent longtemps sont peu à peu tellement imbibées de raison que l’origine qu’elles tirent de la déraison devient invraisem
2641 imbibées de raison que l’origine qu’elles tirent de la déraison devient invraisemblable. » Hypocrites auteurs, mes sembl
2642 les ruses naïves, laissez-moi tenter aujourd’hui de reconstituer l’innocence de mes débuts dans l’écriture. Écrire est u
2643 oi tenter aujourd’hui de reconstituer l’innocence de mes débuts dans l’écriture. Écrire est une démangeaison que l’on cal
2644 ible, aussi peu rationnel que l’élan du désir, ou de la prière, et cela tient des deux, probablement. C’est aussi un effet
2645 eux, probablement. C’est aussi un effet du besoin d’ imiter ce qui, dans un poème ou une pensée, vient d’éveiller en vous u
2646 imiter ce qui, dans un poème ou une pensée, vient d’ éveiller en vous une émotion : pour la prolonger, la faire vôtre, et r
2647 tres qu’il est admiré par vous-même, vous essayez d’ écrire comme lui des vers, un récit, des pensées, une confession. Au d
2648 llergie positive ou délectable irritation, esprit d’ imitation naïve ou vaniteuse (selon que l’on sera bon ou mauvais auteu
2649 r). Et c’est beaucoup plus tard qu’on s’inventera de belles et bonnes raisons d’écrire pour exposer, pour convaincre ou ém
2650 ard qu’on s’inventera de belles et bonnes raisons d’ écrire pour exposer, pour convaincre ou émouvoir, pour dire quelque ch
2651 r, pour dire quelque chose à quelqu’un, au public d’ une revue littéraire ou à toute une nation par la TV. C’est le pour qu
2652 écriture, et qui ne dépend nullement du processus de la pensée en train de se former par écrit : vote des femmes ou guerre
2653 mes ou guerre du Vietnam, par exemple, mais pas l’ Europe , puisque l’Europe est une création continue de la pensée proprement p
2654 ietnam, par exemple, mais pas l’Europe, puisque l’ Europe est une création continue de la pensée proprement poétique, l’horizon
2655 urope, puisque l’Europe est une création continue de la pensée proprement poétique, l’horizon qui se définit par rapport à
2656 r rapport à notre progrès. ⁂ Ce n’est qu’au début d’ une carrière que l’on écrit par pure envie d’écrire. Et je ne dis pas
2657 ébut d’une carrière que l’on écrit par pure envie d’ écrire. Et je ne dis pas que ce besoin à l’état brut ne continue d’agi
2658 e dis pas que ce besoin à l’état brut ne continue d’ agir dans mes écrits, mais il n’est plus seul discernable, tout mêlé q
2659 é qu’il se trouve à des courants violents chargés de matériaux littérairement impurs. Une immédiate nécessité motive la ma
2660 me : j’écris désormais sur commande non seulement de mes émotions, mais d’un discours, d’un livre, d’un article qu’il s’ag
2661 sur commande non seulement de mes émotions, mais d’ un discours, d’un livre, d’un article qu’il s’agit de donner à date fi
2662 on seulement de mes émotions, mais d’un discours, d’ un livre, d’un article qu’il s’agit de donner à date fixe — et de tout
2663 de mes émotions, mais d’un discours, d’un livre, d’ un article qu’il s’agit de donner à date fixe — et de tout ce qu’il fa
2664 n discours, d’un livre, d’un article qu’il s’agit de donner à date fixe — et de tout ce qu’il faut bien ajouter à quelque
2665 n article qu’il s’agit de donner à date fixe — et de tout ce qu’il faut bien ajouter à quelque ouvrage obscurément jailli,
2666 . (Ainsi j’écris cela parce que F. J. m’a demandé d’ écrire pourquoi j’écris.) Mais surtout, j’écris pour mouvoir : ma caus
2667 finale devient ma vraie motivation, et me libère de toutes les causes intimes, trop intimes. ⁂ Arrivé aux deux tiers de m
2668 es intimes, trop intimes. ⁂ Arrivé aux deux tiers de ma course (si je l’estime à l’envergure de mes projets), je me vois d
2669 tiers de ma course (si je l’estime à l’envergure de mes projets), je me vois deux raisons d’écrire : l’une me libère, l’a
2670 nvergure de mes projets), je me vois deux raisons d’ écrire : l’une me libère, l’autre m’engage. a) J’écris par pure envie
2671 où, en quête obscure et fascinante, selon ce vers d’ Hugo qui m’amusera sans fin : Vous dites : Où vas-tu ? Je l’ignore
2672 is ! J’y vais par l’écriture, qui est ma manière d’ enregistrer la poésie dans l’existence. Un paysage me met en quête d’u
2673 ésie dans l’existence. Un paysage me met en quête d’ une mélodie, d’un contrepoint de mots ou d’une couleur tonale. Un évén
2674 stence. Un paysage me met en quête d’une mélodie, d’ un contrepoint de mots ou d’une couleur tonale. Un événement me dicte
2675 e me met en quête d’une mélodie, d’un contrepoint de mots ou d’une couleur tonale. Un événement me dicte une page qui chan
2676 quête d’une mélodie, d’un contrepoint de mots ou d’ une couleur tonale. Un événement me dicte une page qui change ma vie —
2677 et par suite ne saurait nier, et qui est au-delà de tout — comme le corps transcendant aux organes. Je cherche Dieu. b) J
2678 m’y donne. Quand je saurai pourquoi, j’aurai fini d’ écrire (idéalement). J’aurai touché à la fin de l’écriture, ou mieux,
2679 ni d’écrire (idéalement). J’aurai touché à la fin de l’écriture, ou mieux, j’aurai rejoint ma fin, qui est de me former su
2680 riture, ou mieux, j’aurai rejoint ma fin, qui est de me former sur une pensée vécue dans l’écriture. Au terme de mes livre
2681 er sur une pensée vécue dans l’écriture. Au terme de mes livres, où figure le mot fin et juste au-dessous de ce feu rouge
2682 lire : J’écris pour vous. az. Rougemont Denis de , « Pourquoi j’écris », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), L
2683 Rougemont Denis de, « Pourquoi j’écris », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 30–31 janvier 1971, p. 29
36 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Au défi de l’Europe, la Suisse (31 juillet-1er août 1971)
2684 Au défi de l’Europe, la Suisse (31 juillet-1er août 1971)ba Nous souffrons de
2685 Au défi de l’ Europe , la Suisse (31 juillet-1er août 1971)ba Nous souffrons des clichés
2686 frons des clichés ridicules qui composent l’image de la Suisse à l’étranger, pendules à coucou, trous dans le gruyère, sec
2687 banques, et les arts réduits, paraît-il, à celui de ne pas se mouiller. Nous savons que la Suisse, c’est autre chose. Mai
2688 la Suisse, c’est autre chose. Mais quoi ? Combien de nos compatriotes interrogés au hasard dans la rue seraient capables d
2689 nterrogés au hasard dans la rue seraient capables de le dire ? Alors on court interviewer des étrangers : quelle est à leu
2690 image ? Ils nous renvoient le plus souvent celle de nos erreurs sur nous-mêmes. Tel ce professeur au Collège de France8 a
2691 eurs sur nous-mêmes. Tel ce professeur au Collège de France8 auquel la Gazette demandait dernièrement s’il pensait que l
2692 dernièrement s’il pensait que l’on devait faire l’ Europe sur le modèle de la Suisse, et qui répondait : « Le fédéralisme est p
2693 sait que l’on devait faire l’Europe sur le modèle de la Suisse, et qui répondait : « Le fédéralisme est pour votre pays un
2694 ais été ni pu être une « solution » aux problèmes de la Suisse, pour la simple raison qu’il l’a faite et que seul il la dé
2695 hors du fédéralisme. Elle n’est rien qu’un régime d’ union. Dans leur très grande majorité — 98 % exactement — les six mill
2696 nde majorité — 98 % exactement — les six millions de Suisses d’aujourd’hui ne descendent en aucune manière des trois Walds
2697 é — 98 % exactement — les six millions de Suisses d’ aujourd’hui ne descendent en aucune manière des trois Waldstätten prim
2698 , si nous fêtons aujourd’hui le 680e anniversaire de la Confédération helvétique, de quoi s’agit-il ? Ni de l’anniversaire
2699 680e anniversaire de la Confédération helvétique, de quoi s’agit-il ? Ni de l’anniversaire d’une dynastie — les Zähringen
2700 Confédération helvétique, de quoi s’agit-il ? Ni de l’anniversaire d’une dynastie — les Zähringen et les Kibourg sont éte
2701 vétique, de quoi s’agit-il ? Ni de l’anniversaire d’ une dynastie — les Zähringen et les Kibourg sont éteints depuis des si
2702 iècles, les Habsbourg émigrés — ni l’anniversaire de la fondation d’un État ou de la signature d’une Constitution, car ces
2703 bourg émigrés — ni l’anniversaire de la fondation d’ un État ou de la signature d’une Constitution, car ces deux choses ne
2704 — ni l’anniversaire de la fondation d’un État ou de la signature d’une Constitution, car ces deux choses ne datent chez n
2705 aire de la fondation d’un État ou de la signature d’ une Constitution, car ces deux choses ne datent chez nous que de 1848.
2706 tion, car ces deux choses ne datent chez nous que de 1848. Ce que nous célébrons, c’est en fait une idée, qui est l’essenc
2707 ébrons, c’est en fait une idée, qui est l’essence de la Suisse et qui a déterminé son existence : l’idée fédéraliste et la
2708 son existence : l’idée fédéraliste et la formule d’ union qu’illustre le pacte en latin conclu par trois « communes forest
2709 roit trop souvent (et pas seulement à l’étranger) de l’union de vingt-cinq États cantonaux — comme l’Europe de Churchill o
2710 ouvent (et pas seulement à l’étranger) de l’union de vingt-cinq États cantonaux — comme l’Europe de Churchill ou de Gaulle
2711 Churchill ou de Gaulle était censée devoir naître de l’alliance impossible des quelque vingt-cinq États nationaux du conti
2712 ure où elle s’est formée par la libre association de communes rurales et urbaines, de pays, d’évêchés, de principautés et
2713 ibre association de communes rurales et urbaines, de pays, d’évêchés, de principautés et d’anciens baillages libérés, soli
2714 ciation de communes rurales et urbaines, de pays, d’ évêchés, de principautés et d’anciens baillages libérés, solidaires da
2715 communes rurales et urbaines, de pays, d’évêchés, de principautés et d’anciens baillages libérés, solidaires dans leur vol
2716 urbaines, de pays, d’évêchés, de principautés et d’ anciens baillages libérés, solidaires dans leur volonté d’autonomie ;
2717 s baillages libérés, solidaires dans leur volonté d’ autonomie ; et à cette fin, décidant la mise en commun des tâches publ
2718 ourdes pour chacun mais réalisables par tous — et de celles-là seules. Chargé d’exécuter ces tâches communes, le Conseil f
2719 isables par tous — et de celles-là seules. Chargé d’ exécuter ces tâches communes, le Conseil fédéral n’est nullement une é
2720 lement une émanation des cantons, mais le collège de chefs des Agences fédérales spécialisées par leur fonction : finances
2721 iginal que je souhaite voir copier au niveau de l’ Europe . La réalité proprement suisse Dans la mesure où j’adhère à cette
2722 sse Dans la mesure où j’adhère à cette formule d’ union je me considère comme Suisse et je le suis, moi, Neuchâtelois pr
2723 isse et je le suis, moi, Neuchâtelois protestant, de langue française, au même titre qu’un Schwyzois catholique de dialect
2724 ançaise, au même titre qu’un Schwyzois catholique de dialecte allemand, qu’un yodleur des Rhodes-Intérieures, qu’un Tessin
2725 réalité proprement suisse : une idée, une formule d’ union qui fut au xiiie siècle celle de trois communes du Gothard et q
2726 ne formule d’union qui fut au xiiie siècle celle de trois communes du Gothard et qui se « généralisa » par la suite aux X
2727 la suite aux XIII cantons ligués, puis à l’union de vingt-cinq États souverains différant par la langue et la race, la co
2728 historiques — on voit très mal ce qui empêcherait de généraliser cette formule à toute l’Europe. Autant il devient clair a
2729 mpêcherait de généraliser cette formule à toute l’ Europe . Autant il devient clair aux yeux de tous que la formule de l’État-na
2730 il devient clair aux yeux de tous que la formule de l’État-nation napoléonien s’oppose radicalement à toute union de l’Eu
2731 n napoléonien s’oppose radicalement à toute union de l’Europe, et que sa généralisation ne conduirait qu’à la guerre, auta
2732 oléonien s’oppose radicalement à toute union de l’ Europe , et que sa généralisation ne conduirait qu’à la guerre, autant il app
2733 isme, est au contraire la seule possible pour les Européens qui éprouvent le besoin de s’associer librement par-dessus les fronti
2734 ssible pour les Européens qui éprouvent le besoin de s’associer librement par-dessus les frontières, ces « cicatrices de l
2735 ement par-dessus les frontières, ces « cicatrices de l’histoire », bornées par le hasard des armes. Mais alors, me dit-on,
2736 . Mais alors, me dit-on, si la fédération s’étend de proche en proche à l’Europe tout entière, la Suisse ne va-t-elle pas
2737 si la fédération s’étend de proche en proche à l’ Europe tout entière, la Suisse ne va-t-elle pas s’y perdre ? — C’est oublier
2738 e ? — C’est oublier ce qu’est la Suisse. Dans une Europe unie, loin de se perdre, elle se retrouverait agrandie, prolongée dan
2739 die, prolongée dans l’espace et le temps, au-delà de ce qu’elle est aujourd’hui, qui est tellement au-delà de ce qu’elle f
2740 u’elle est aujourd’hui, qui est tellement au-delà de ce qu’elle fut au Grütli, berceau mythique. Une idée se perd-elle en
2741 e se perd-elle en se généralisant, et une formule d’ union en fécondant des unions toujours plus nombreuses ? Ceux qui ont
2742 Ceux qui ont peur que la Suisse se perde dans une Europe fédéraliste montrent par là qu’ils ne savent pas ce qu’est la Suisse.
2743 qui seront un jour destinés à assurer la paix en Europe … Si cet idéal de l’avenir se réalise, la nationalité suisse de caract
2744 estinés à assurer la paix en Europe… Si cet idéal de l’avenir se réalise, la nationalité suisse de caractère international
2745 éal de l’avenir se réalise, la nationalité suisse de caractère international devra s’incorporer à la communauté de la Gran
2746 international devra s’incorporer à la communauté de la Grande Europe. De cette façon, elle n’aura pas vécu en vain, ni sa
2747 l devra s’incorporer à la communauté de la Grande Europe . De cette façon, elle n’aura pas vécu en vain, ni sans gloire. S’éva
2748 s’incorporer à la communauté de la Grande Europe. De cette façon, elle n’aura pas vécu en vain, ni sans gloire. S’évanoui
2749 vain, ni sans gloire. S’évanouir dans le succès de notre idée et d’une formule d’union qui est notre raison d’être, ne s
2750 oire. S’évanouir dans le succès de notre idée et d’ une formule d’union qui est notre raison d’être, ne serait-ce pas le s
2751 uir dans le succès de notre idée et d’une formule d’ union qui est notre raison d’être, ne serait-ce pas le sort le plus be
2752 dée et d’une formule d’union qui est notre raison d’ être, ne serait-ce pas le sort le plus beau que nous puissions souhait
2753 s puissions souhaiter en tant que Suisse ? Dans l’ Europe des régions que j’appelle et prépare, dans l’Europe des foyers rayonn
2754 rope des régions que j’appelle et prépare, dans l’ Europe des foyers rayonnants sans frontières, rien ne nous empêchera, Suisse
2755 sans frontières, rien ne nous empêchera, Suisses de tous les cantons, de rester ensemble et de continuer à former une com
2756 n ne nous empêchera, Suisses de tous les cantons, de rester ensemble et de continuer à former une communauté : celle des g
2757 uisses de tous les cantons, de rester ensemble et de continuer à former une communauté : celle des gardiens de l’idée mère
2758 nuer à former une communauté : celle des gardiens de l’idée mère. Si nous le désirons vraiment, si nous le voulons. C’est
2759 r, et c’est ce qui nous inquiète. S’il n’y a plus de frontières tangibles, plus de douaniers, où sera la Suisse, gémissent
2760 te. S’il n’y a plus de frontières tangibles, plus de douaniers, où sera la Suisse, gémissent nos « patriotes » désorientés
2761 ent nos « patriotes » désorientés. Or il est sain de se demander, au minimum une fois par an, ce que nous faisons là, et p
2762 naissance de cause et en majorité nous choisirons de continuer la Suisse. Ceux qui le voudront seront alors les vrais Suis
2763 e qu’un… », disait Victor Hugo, reprenant un vers de Corneille. 8. Il s’agit d’une interview de M. Raymond Aron, publié
2764 , reprenant un vers de Corneille. 8. Il s’agit d’ une interview de M. Raymond Aron, publiée dans la Gazette de Lausanne
2765 ers de Corneille. 8. Il s’agit d’une interview de M. Raymond Aron, publiée dans la Gazette de Lausanne des 3-4 juillet.
2766 rview de M. Raymond Aron, publiée dans la Gazette de Lausanne des 3-4 juillet. (Réd.) ba. Rougemont Denis de, « Au défi
2767 nne des 3-4 juillet. (Réd.) ba. Rougemont Denis de , « Au défi de l’Europe, la Suisse », Gazette de Lausanne, Lausanne, 3
2768 illet. (Réd.) ba. Rougemont Denis de, « Au défi de l’Europe, la Suisse », Gazette de Lausanne, Lausanne, 31 juillet–1 ao
2769 . (Réd.) ba. Rougemont Denis de, « Au défi de l’ Europe , la Suisse », Gazette de Lausanne, Lausanne, 31 juillet–1 août 1971,
2770 s de, « Au défi de l’Europe, la Suisse », Gazette de Lausanne, Lausanne, 31 juillet–1 août 1971, p. 1.
37 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une dimension nouvelle (11-12 septembre 1971)
2771 nsion nouvelle (11-12 septembre 1971)bb À plus d’ une reprise, l’occasion d’exprimer mon admiration pour « C. J. B. » me
2772 embre 1971)bb À plus d’une reprise, l’occasion d’ exprimer mon admiration pour « C. J. B. » me fut offerte, toujours sai
2773 un éloge dont tout me faisait craindre qu’il fût de nature — si plus tôt exprimé, sans précaution — à desservir la bonne
2774 sans précaution — à desservir la bonne réputation de notre ami dans un pays égalitaire. Aujourd’hui je ne reculerai plus,
2775 onde du regard, mais la simplicité et la maîtrise de soi, l’élocution aisée et sans éclat, les colères bien tenues en brid
2776 tal, trop pessimiste pour moraliser, et avec trop de distance naturelle pour avoir à jouer la hauteur, affable mais non sa
2777 r, affable mais non sans malice, et ce qu’il faut d’ arbitraire dans les jugements, lucide avec plus de mélancolie que de c
2778 d’arbitraire dans les jugements, lucide avec plus de mélancolie que de cynisme, plus de sensibilité aux êtres qu’aux idées
2779 les jugements, lucide avec plus de mélancolie que de cynisme, plus de sensibilité aux êtres qu’aux idées et aux situations
2780 cide avec plus de mélancolie que de cynisme, plus de sensibilité aux êtres qu’aux idées et aux situations qu’aux systèmes,
2781 s qu’aux idées et aux situations qu’aux systèmes, d’ où son sens politique intuitif et ses vues parfois prophétiques : — Ca
2782 er la dimension princière. bb. Rougemont Denis de , « Une dimension nouvelle : Carl Burckhardt », Gazette de Lausanne (s
2783 e dimension nouvelle : Carl Burckhardt », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 11–12 septembre 1971, p. 
38 1972, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il faut dénationaliser l’enseignement [Entretien] (8 décembre 1972)
2784 sponsables. J’ai d’ailleurs reçu d’autres lettres d’ instituteurs qui souffrent d’être paralysés dans le système actuel, et
2785 eçu d’autres lettres d’instituteurs qui souffrent d’ être paralysés dans le système actuel, et qui me disent : « Merci, vou
2786 du ressort des cantons ? Mais en 1929 je parlais de mon expérience. Elle était tout à fait suisse, puisque j’ai fait l’éc
2787 puisque j’ai fait l’école primaire, jusqu’à l’âge de 12 ans, à Couvet, dans le Val-de-Travers, et le Collège latin à Neuch
2788 Collège latin à Neuchâtel. Ensuite, par le biais européen , j’ai pu voir ce qui se faisait ailleurs. Et j’ai constaté qu’ailleur
2789 … L’école publique a été jusqu’à présent le moyen de formation le plus fort. Elle a prétendu à un monopole de l’éducation,
2790 ation le plus fort. Elle a prétendu à un monopole de l’éducation, contre l’Église et contre la famille. Cet état de fait n
2791 n, contre l’Église et contre la famille. Cet état de fait nous vient tout droit de Napoléon, qui a légué au monde entier,
2792 a famille. Cet état de fait nous vient tout droit de Napoléon, qui a légué au monde entier, à peu près, l’école militarisé
2793 ntier, à peu près, l’école militarisée au service de l’État-nation. Dans le système actuel, il serait pratiquement impossi
2794 système actuel, il serait pratiquement impossible de déscolariser la société, comme le réclame Illich. On dresserait contr
2795 ur un enfant l’histoire suisse, s’il ignore celle de sa région ? À Couvet, j’ai tout appris sur les Waldstätten (y compris
2796 ten (y compris, beaucoup de choses fausses), rien de l’histoire de ma propre vallée… La nation est un concept artificiel q
2797 , beaucoup de choses fausses), rien de l’histoire de ma propre vallée… La nation est un concept artificiel qui ne repose s
2798 entale. Il y a la région, réalité tangible, cadre de la vie des élèves ; il y a l’Europe — l’ancienne christianitas — réal
2799 é tangible, cadre de la vie des élèves ; il y a l’ Europe — l’ancienne christianitas — réalité culturelle et historique ; enfin
2800 s des programmes — dans ces dimensions-là. Passer de la région à l’Europe et au monde au moment où les élèves sont capable
2801 — dans ces dimensions-là. Passer de la région à l’ Europe et au monde au moment où les élèves sont capables de saisir les réali
2802 et au monde au moment où les élèves sont capables de saisir les réalités à ces niveaux-là, et négliger chaque fois que c’e
2803 ionales. En finir avec les fleuves qui s’arrêtent de couler à la frontière sur les croquis de géographie. Une bourde du
2804 arrêtent de couler à la frontière sur les croquis de géographie. Une bourde du général de Gaulle Pourquoi l’économie
2805  : les frontières n’ont rien à voir avec les lois de la nature. Elles n’arrêtent rien de ce qu’il faudrait arrêter : les n
2806 avec les lois de la nature. Elles n’arrêtent rien de ce qu’il faudrait arrêter : les nuages, les tempêtes, l’eau polluée ;
2807 es, l’eau polluée ; et elles empêchent le passage de ce qui devrait circuler : les hommes, les marchandises, quelquefois l
2808 dises, quelquefois les idées. On ne fera jamais l’ Europe avec les ministres d’aujourd’hui, parce que toute leur manière de pen
2809 es. On ne fera jamais l’Europe avec les ministres d’ aujourd’hui, parce que toute leur manière de penser est prisonnière de
2810 stres d’aujourd’hui, parce que toute leur manière de penser est prisonnière des schémas nationaux. Souvenez-vous que le gé
2811 s que le général de Gaulle aimait à répéter que l’ Europe va de Gibraltar à l’Oural. Cette bourde m’a toujours étonné. Pourquoi
2812 énéral de Gaulle aimait à répéter que l’Europe va de Gibraltar à l’Oural. Cette bourde m’a toujours étonné. Pourquoi donc
2813 est tout, sauf une séparation : une petite chaîne de collines, traversée par un affluent de la Volga, et qui est maintenan
2814 ite chaîne de collines, traversée par un affluent de la Volga, et qui est maintenant le cœur du bassin de l’industrie lour
2815 la Volga, et qui est maintenant le cœur du bassin de l’industrie lourde de l’URSS. Exactement ce qu’est la Ruhr pour l’All
2816 aintenant le cœur du bassin de l’industrie lourde de l’URSS. Exactement ce qu’est la Ruhr pour l’Allemagne. Côté « asiatiq
2817 hr pour l’Allemagne. Côté « asiatique » ou côté «  européen  », c’est exactement le même paysage, les mêmes hommes. On y circule d
2818 mmes. On y circule dans tous les sens… Cette idée de l’Oural-frontière est si absurde, et si répandue, que j’ai mis deux d
2819 est si absurde, et si répandue, que j’ai mis deux de mes étudiants sur le problème. Ils ont trouvé que les manuels d’histo
2820 s sur le problème. Ils ont trouvé que les manuels d’ histoire et de géographie des années 1900 à 1940 — l’époque de la scol
2821 ème. Ils ont trouvé que les manuels d’histoire et de géographie des années 1900 à 1940 — l’époque de la scolarité de Charl
2822 t de géographie des années 1900 à 1940 — l’époque de la scolarité de Charles de Gaulle — définissaient précisément l’Europ
2823 des années 1900 à 1940 — l’époque de la scolarité de Charles de Gaulle — définissaient précisément l’Europe comme allant d
2824 e Charles de Gaulle — définissaient précisément l’ Europe comme allant de Gibraltar à l’Oural. L’école a rendu les hommes qui s
2825 — définissaient précisément l’Europe comme allant de Gibraltar à l’Oural. L’école a rendu les hommes qui sont actuellement
2826 du les hommes qui sont actuellement au pouvoir en Europe , incapables de saisir ce que pourrait être une fédération. Or c’est l
2827 ont actuellement au pouvoir en Europe, incapables de saisir ce que pourrait être une fédération. Or c’est la seule formule
2828 ée du fédéralisme appartiennent plutôt aux partis de gauche. Rocard, Mitterrand. Des exceptions. Mais comment pourrait-il
2829 z le Petit Littré, qui est encore le dictionnaire de référence des Français cultivés, et cherchez sous « fédéralisme » : v
2830 déralisme » : vous trouverez que c’est un système de sauvages, ou bien une utopie attribuée aux girondins — c’est-à-dire u
2831 ribuée aux girondins — c’est-à-dire un instrument de trahison. Vous écrivez, dans la Suite des Méfaits : « On ne changera
2832 onvient, l’école produit des citoyens à la mesure de l’État. C’est un cercle vicieux : chercher l’origine nous ramène au p
2833 ieux : chercher l’origine nous ramène au problème de la poule et de l’œuf… Il faut agir aux deux niveaux à la fois. Que fa
2834 l’origine nous ramène au problème de la poule et de l’œuf… Il faut agir aux deux niveaux à la fois. Que faire au niveau d
2835 nt les affaires courantes. Étudier l’introduction de nouvelles « matières » du programme, la création d’un nouveau bâtimen
2836 nouvelles « matières » du programme, la création d’ un nouveau bâtiment, l’attribution de nouveaux subsides, ce n’est pas
2837 la création d’un nouveau bâtiment, l’attribution de nouveaux subsides, ce n’est pas concevoir une politique, c’est admini
2838 me. Il faudrait qu’ils puissent s’arrêter, sortir de l’urgent et du quotidien, pour pouvoir tout reconsidérer. Pour en sor
2839 n, un changement brusque et radical, qui permette de repartir sur des bases entièrement nouvelles… ce qui est pratiquement
2840 re. Il faudrait, au minimum, une volonté générale de sortir du cercle vicieux dont nous parlions tout à l’heure. Une école
2841 cole nouvelle pourrait exploiter des possibilités d’ apprentissage totalement négligées aujourd’hui. L’enseignement fortuit
2842 ans. Je cite aussi, dans les Méfaits , l’exemple de Benjamin Constant. À 5 ans, il a appris le grec. Sous forme de jeu9.
2843 e l’évolution en cours dans la plupart des écoles européennes donnera-t-elle lieu à la révolution que vous souhaitez. Mais on en di
2844 tend à individualiser l’enseignement au maximum, de manière que chaque élève puisse travailler à son rythme propre, d’aut
2845 e l’élève le plus rapide attende que le plus lent de son groupe le rejoigne. Comment résoudre cette alternative ? D’abord
2846 vent faire la même chose ! » Ça, c’est la formule de base de l’école napoléonienne, par quoi on a fabriqué des peuples mil
2847 re la même chose ! » Ça, c’est la formule de base de l’école napoléonienne, par quoi on a fabriqué des peuples militarisés
2848 contraire. Ça consiste à laisser à chacun autant d’ autonomie que possible, c’est-à-dire le droit de différer. Ceci pour l
2849 t d’autonomie que possible, c’est-à-dire le droit de différer. Ceci pour le premier terme de votre « alternative »… qui n’
2850 le droit de différer. Ceci pour le premier terme de votre « alternative »… qui n’en est pas une. Car le second terme est
2851 nd terme est également nécessaire. Je ne vois pas d’ opposition entre l’enseignement individualisé et le travail collectif,
2852 as que des élèves doués puissent avoir à souffrir de travailler avec des camarades plus faibles. Au contraire : en les aid
2853 . Au contraire : en les aidant, ils apprendraient d’ autant mieux. On ne sait vraiment que ce qu’on a dû enseigner. Je l’ob
2854 h est trop rousseauiste » Seriez-vous partisan d’ une école comme celle des amish, dont vous parlez dans les Méfaits 10,
2855 iste : il suppose chez tous les enfants une sorte de besoin inné de s’instruire et de s’entraider. Pour lui, l’homme naît
2856 se chez tous les enfants une sorte de besoin inné de s’instruire et de s’entraider. Pour lui, l’homme naît bon, et l’école
2857 nfants une sorte de besoin inné de s’instruire et de s’entraider. Pour lui, l’homme naît bon, et l’école le corrompt. Or j
2858 s par les mass médias, ou sous la coupe des chefs de gangs… J’en ai vu des exemples très proches : aux États-Unis. Plus d’
2859 des exemples très proches : aux États-Unis. Plus d’ autorité du maître Il se forme spontanément des groupes, autour d’un c
2860 ître Il se forme spontanément des groupes, autour d’ un chef, fanatiquement obéi, et qui peut ordonner aux membres de son g
2861 atiquement obéi, et qui peut ordonner aux membres de son groupe n’importe quoi… À l’autorité défaillante du maître se subs
2862 autorité défaillante du maître se substitue celle d’ un camarade. Vous ne croyez pas à la « socialisation par le groupe » ?
2863 socialisation par le groupe » ?… Je crains la loi de la jungle, le règne des forts en gueule, voire des sadiques. Revenons
2864 ueule, voire des sadiques. Revenons à l’évolution de l’école, et aux deux pôles dont nous avons parlé : individualisation
2865 ndividualisation… La droite et la gauche ont tort de ne tolérer qu’un des deux termes. Car il faut que l’un existe pour qu
2866 ve, et vice versa. L’éducation sera la résultante d’ une tension dynamique entre les deux. On ne peut nier que l’homme a be
2867 re les deux. On ne peut nier que l’homme a besoin de compagnie, mais aussi besoin d’être seul ; besoin de communiquer avec
2868 l’homme a besoin de compagnie, mais aussi besoin d’ être seul ; besoin de communiquer avec ses semblables, mais aussi de s
2869 compagnie, mais aussi besoin d’être seul ; besoin de communiquer avec ses semblables, mais aussi de se retrouver face à lu
2870 in de communiquer avec ses semblables, mais aussi de se retrouver face à lui-même. Lui imposer la société permanente des a
2871 uivalentes. Toute la vie est fondée sur une série de couples antinomiques : communication-solitude, action-repos, permanen
2872 permanence-changement. Il faut trouver leur point d’ équilibre dynamique. Ainsi pour le fédéralisme, qui est si mal compris
2873 qui est si mal compris, même en Suisse. Il s’agit de mettre en relation des éléments — dans le cas européen, des régions —
2874 de mettre en relation des éléments — dans le cas européen , des régions — qui aient chacun leur autonomie, leurs caractéristique
2875 qu’il y ait confusion des deux, ni subordination de l’un à l’autre. Ils sont à la fois semblables et différents, séparés
2876 et différents, séparés et unis. C’est la formule de tout fédéralisme. Tension entre deux pôles. Vous retrouvez cela à tou
2877 les, des molécules, des atomes, toute vie résulte d’ une tension permanente entre des forces d’attraction et de répulsion.
2878 résulte d’une tension permanente entre des forces d’ attraction et de répulsion. Là encore, supposez qu’un équilibre statiq
2879 nsion permanente entre des forces d’attraction et de répulsion. Là encore, supposez qu’un équilibre statique s’installe :
2880 econnaître que l’existence simultanée du divin et de l’humain dans le même être est difficile, voire impossible à concevoi
2881 terminer : comment changer l’école ? Par le biais de la Campagne d’éducation civique européenne que je préside depuis une
2882 ent changer l’école ? Par le biais de la Campagne d’ éducation civique européenne que je préside depuis une dizaine d’année
2883 ? Par le biais de la Campagne d’éducation civique européenne que je préside depuis une dizaine d’années, nous essayons de toucher
2884 ique européenne que je préside depuis une dizaine d’ années, nous essayons de toucher le plus grand nombre possible d’ensei
2885 réside depuis une dizaine d’années, nous essayons de toucher le plus grand nombre possible d’enseignants, du degré seconda
2886 essayons de toucher le plus grand nombre possible d’ enseignants, du degré secondaire surtout : ce sont eux qui feront l’Eu
2887 gré secondaire surtout : ce sont eux qui feront l’ Europe de l’an 2000, comme le dit le titre de mon dernier article dans Civis
2888 ondaire surtout : ce sont eux qui feront l’Europe de l’an 2000, comme le dit le titre de mon dernier article dans Civisme
2889 ront l’Europe de l’an 2000, comme le dit le titre de mon dernier article dans Civisme européen 11. Mais il est clair que,
2890 dit le titre de mon dernier article dans Civisme européen 11. Mais il est clair que, seule, la bonne volonté des maîtres ne suf
2891 es étant censées sécréter une nouvelle pédagogie, de nouveaux maîtres ? Elles n’entraîneront pas automatiquement une meill
2892 es talents paralysés par les structures actuelles de s’exprimer. On ne peut pas forcer les gens à être bons ou intelligent
2893 t leur intelligence aient au moins la possibilité de s’exercer. La modification des structures ne suffit pas, les efforts
2894 nie, rigueur et fantaisie, etc. Il y a une phrase d’ Héraclite qu’on comprend généralement mal, parce qu’elle est mal tradu
2895 u’elle est mal traduite : « La guerre est la mère de toute chose. » Plutôt que « guerre » il faudrait dire « conflit ». À
2896 ot « tension », car on associe aujourd’hui l’idée de conflit à celle de lutte douloureuse, voire meurtrière. Parfois, effe
2897 on associe aujourd’hui l’idée de conflit à celle de lutte douloureuse, voire meurtrière. Parfois, effectivement, la tensi
2898 peut devenir conflit, dans ce sens-là, par manque d’ harmonie ou d’équilibre. Et c’est parfois inévitable. Mais c’est la co
2899 onflit, dans ce sens-là, par manque d’harmonie ou d’ équilibre. Et c’est parfois inévitable. Mais c’est la condition même d
2900 parfois inévitable. Mais c’est la condition même de la vie. 9. Benjamin Constant, dans le Cahier Rouge, raconte que so
2901 mand, avait eu « une idée assez ingénieuse, celle de me faire inventer le grec pour l’apprendre. Il me proposa de nous fai
2902 inventer le grec pour l’apprendre. Il me proposa de nous faire à nous deux une langue qui ne serait connue que de nous ;
2903 e à nous deux une langue qui ne serait connue que de nous ; je me passionnai pour cette idée. Nous formâmes d’abord un alp
2904 ire dans lequel chaque mot français était traduit d’ un mot grec. Tout cela se gravait merveilleusement dans ma tête, parce
2905 rler l’anglais et l’allemand, à observer les lois de l’hygiène et à connaître l’Évangile. La communauté des amish produit
2906 et refuse le tracteur et l’auto. » 11. « Le sort de l’an 2000 se joue dans nos écoles », Civisme européen, Genève, mars 1
2907 t de l’an 2000 se joue dans nos écoles », Civisme européen , Genève, mars 1972, publié par le Centre européen de la culture, 122,
2908 2, rue de Lausanne, Genève. bc. Rougemont Denis de , « [Entretien] Il faut dénationaliser l’enseignement », Gazette de La
2909 Il faut dénationaliser l’enseignement », Gazette de Lausanne, Lausanne, 8 décembre 1972, p. 3. bd. Propos recueillis par
2910 llis par Laurent Rebeaud. L’entretien est précédé de l’introduction suivante : «  Les Méfaits de l’instruction publique ,
2911 écédé de l’introduction suivante : «  Les Méfaits de l’instruction publique , tel était le titre de la première œuvre qu’a
2912 ts de l’instruction publique , tel était le titre de la première œuvre qu’ait publié Denis de Rougemont, en 1929, à l’âge
2913 u’ait publié Denis de Rougemont, en 1929, à l’âge de 22 ans. Dans ce pamphlet d’une soixantaine de pages, l’auteur se livr
2914 ont, en 1929, à l’âge de 22 ans. Dans ce pamphlet d’ une soixantaine de pages, l’auteur se livrait à un éreintement impitoy
2915 âge de 22 ans. Dans ce pamphlet d’une soixantaine de pages, l’auteur se livrait à un éreintement impitoyable du système sc
2916 pitoyable du système scolaire, “vaste distillerie d’ ennuis”, “puissance de crétinisation lente”. La fonction de l’instruct
2917 colaire, “vaste distillerie d’ennuis”, “puissance de crétinisation lente”. La fonction de l’instruction publique, disait-i
2918 , “puissance de crétinisation lente”. La fonction de l’instruction publique, disait-il, était de conditionner les esprits
2919 ction de l’instruction publique, disait-il, était de conditionner les esprits des futurs citoyens dans le sens voulu par l
2920 emment, n’a pas entamé la rancune ni la virulence de Denis de Rougemont contre l’école. Preuve en soit la récente rééditio
2921 it la récente réédition des Méfaits, « aggravés » d’ une Suite des méfaits . Le texte de 1929 n’a subi que des retouches de
2922 , « aggravés » d’une Suite des méfaits . Le texte de 1929 n’a subi que des retouches de détail, et fort peu. Quant à l’“ag
2923 its . Le texte de 1929 n’a subi que des retouches de détail, et fort peu. Quant à l’“aggravation”, de 1972, elle commence
2924 de détail, et fort peu. Quant à l’“aggravation”, de 1972, elle commence ainsi : “Écrit d’un jeune homme en colère, aussi
2925 gravation”, de 1972, elle commence ainsi : “Écrit d’ un jeune homme en colère, aussi injuste qu’un pamphlet doit l’être, j’
2926 u’un pamphlet doit l’être, j’ai le triste plaisir de constater que mon texte n’a pas vieilli, parce que l’école n’a pas ch
2927 i, parce que l’école n’a pas changé.” Et l’auteur de retrouver dans une série d’écrits tout récents l’essentiel de ses cri
2928 changé.” Et l’auteur de retrouver dans une série d’ écrits tout récents l’essentiel de ses critiques quadragénaires. Il ci
2929 dans une série d’écrits tout récents l’essentiel de ses critiques quadragénaires. Il cite Ivan Illich, un professeur fran
2930 Ivan Illich, un professeur français, un ministre de l’Éducation nationale, un poète, Pierre Emmanuel, et même un collégie
2931 pour avoir prononcé un discours inconvenant lors d’ une cérémonie de promotions. Le principal grief de Denis de Rougemont
2932 oncé un discours inconvenant lors d’une cérémonie de promotions. Le principal grief de Denis de Rougemont contre l’école r
2933 d’une cérémonie de promotions. Le principal grief de Denis de Rougemont contre l’école reste le même : c’est un crime cont
2934 : c’est un crime contre l’homme, estime-t-il, que d’ aligner les esprits pour la commodité des pouvoirs établis. »
39 1972, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Merveilleux Lavaux (23-24-25 décembre 1972)
2935 bf Le centre du monde est partout, la théorie de la relativité l’a démontré. Mais, que le centre du monde se situe rée
2936 u-dessus du Léman, à mi-hauteur du grand vignoble de Lavaux, cette évidence ne saurait exiger ni d’ailleurs endurer la moi
2937 à un centre et tout ce qui respire dans la grâce de son rayonnement revêt une importance rapidement fabuleuse, et passion
2938 ment fabuleuse, et passionnelle. Il est difficile d’ en parler, fût-ce à sa louange éperdue, sans provoquer l’éclat soudain
2939 oudain, parfois vociférant (la TV l’a fait voir), de la haine la plus injuste — ou l’adhésion d’une ferveur déconcertante.
2940 oir), de la haine la plus injuste — ou l’adhésion d’ une ferveur déconcertante. Je voudrais essayer, pour ma part, d’énumér
2941 déconcertante. Je voudrais essayer, pour ma part, d’ énumérer au sujet de Lavaux quelques faits vrais, dont la discordance
2942 , dont la discordance m’inquiète : elle m’empêche de m’abandonner à l’euphorie d’un lyrisme contemplatif, ou de céder à ce
2943 ète : elle m’empêche de m’abandonner à l’euphorie d’ un lyrisme contemplatif, ou de céder à cette espèce de conscience que
2944 donner à l’euphorie d’un lyrisme contemplatif, ou de céder à cette espèce de conscience que donne l’indignation active. La
2945 lyrisme contemplatif, ou de céder à cette espèce de conscience que donne l’indignation active. Lavaux est beaucoup plus d
2946 t beaucoup plus défiguré que les autres vignobles de La Côte, de Begnins à Vufflens par exemple. On y voit beaucoup plus d
2947 lus défiguré que les autres vignobles de La Côte, de Begnins à Vufflens par exemple. On y voit beaucoup plus de maisons ne
2948 s à Vufflens par exemple. On y voit beaucoup plus de maisons neuves et laides, beaucoup plus de routes, de viaducs et d’én
2949 p plus de maisons neuves et laides, beaucoup plus de routes, de viaducs et d’énormes tranchées bétonnées, beaucoup plus d’
2950 aisons neuves et laides, beaucoup plus de routes, de viaducs et d’énormes tranchées bétonnées, beaucoup plus d’autos, de c
2951 et laides, beaucoup plus de routes, de viaducs et d’ énormes tranchées bétonnées, beaucoup plus d’autos, de camions, de gar
2952 s et d’énormes tranchées bétonnées, beaucoup plus d’ autos, de camions, de garages, de stations d’essence au service de la
2953 ormes tranchées bétonnées, beaucoup plus d’autos, de camions, de garages, de stations d’essence au service de la pollution
2954 ées bétonnées, beaucoup plus d’autos, de camions, de garages, de stations d’essence au service de la pollution universelle
2955 s, beaucoup plus d’autos, de camions, de garages, de stations d’essence au service de la pollution universelle. Or, les au
2956 plus d’autos, de camions, de garages, de stations d’ essence au service de la pollution universelle. Or, les autos figurent
2957 ons, de garages, de stations d’essence au service de la pollution universelle. Or, les autos figurent l’emblème du paradox
2958 , les autos figurent l’emblème du paradoxe majeur de notre civilisation. Grâce à elles, l’homme des villes a retrouvé le c
2959 st révélé mortel pour la nature. C’est l’histoire d’ un amour fatal : dès qu’un touriste découvre un endroit solitaire, la
2960 foule s’y jette et le supprime. L’homme a besoin de solitude. Mais la plupart n’osant aimer que ce qui par d’autres est a
2961 gent. Ce paysage sublime est un pays réel, peuplé de vignerons et d’artisans, de petits commerçants et de riches retraités
2962 sublime est un pays réel, peuplé de vignerons et d’ artisans, de petits commerçants et de riches retraités. Un pays a beso
2963 un pays réel, peuplé de vignerons et d’artisans, de petits commerçants et de riches retraités. Un pays a besoin de commun
2964 vignerons et d’artisans, de petits commerçants et de riches retraités. Un pays a besoin de communications, routes, autobus
2965 merçants et de riches retraités. Un pays a besoin de communications, routes, autobus et téléphone, et de stations d’épurat
2966 communications, routes, autobus et téléphone, et de stations d’épuration. Les chemins de fer et l’autoroute y font déjà l
2967 ons, routes, autobus et téléphone, et de stations d’ épuration. Les chemins de fer et l’autoroute y font déjà leurs longues
2968 rien — aux dépens du paysage. Les « nécessités » de la vie tendent à détruire les raisons de vivre. Mais que tient-on pou
2969 ssités » de la vie tendent à détruire les raisons de vivre. Mais que tient-on pour nécessaire ? Les maxima contradictoires
2970 chose humaine, sont ici comme ailleurs la qualité de la vie et les conditions de vie quantitatives. Sur quoi règne une lum
2971 e ailleurs la qualité de la vie et les conditions de vie quantitatives. Sur quoi règne une lumière divine — une lumière ne
2972 — une lumière neutre comme les dieux, qui ne sont de gauche ni de droite, mais toujours d’en haut, rayonnants. Il y a le p
2973 neutre comme les dieux, qui ne sont de gauche ni de droite, mais toujours d’en haut, rayonnants. Il y a le paysage mais a
2974 qui ne sont de gauche ni de droite, mais toujours d’ en haut, rayonnants. Il y a le paysage mais aussi le paysan. Entre le
2975 eux sereins et la terre labourée, la terre bâtie, d’ utilité publique, que vont faire les hommes et les femmes et les enfan
2976 forment chaque jour par les retouches insensibles de l’usage, usure et patine à la fois. Pour garder le Lavaux que nous ai
2977 Il est d’autres centres du monde où les problèmes de la survie d’un lieu sublime se posent en des termes semblables. Ainsi
2978 es centres du monde où les problèmes de la survie d’ un lieu sublime se posent en des termes semblables. Ainsi, qu’est-ce q
2979 -ce que sauver Venise ? Non pas offrir des étages de palais sur le Grand Canal à des riches. Il faut d’abord que Venise so
2980 s œuvres est morte. Sauver Lavaux ne suppose rien de moins que la prédominance accordée par un peuple à la saveur de vivre
2981 a prédominance accordée par un peuple à la saveur de vivre sur le niveau de vie. Gens de Lavaux, vous habitez un pays ravi
2982 e à la saveur de vivre sur le niveau de vie. Gens de Lavaux, vous habitez un pays ravissant et radieux. Mais vous ne le sa
2983 Lavaux doit faire son salut, ce sera par la grâce de quelques fous associant leur foi poétique aux calculs des vrais réali
2984 bilité, mais ceux qui font passer avant le profit d’ argent — cette chose abstraite — les désirs et les rythmes du corps, l
2985 — les désirs et les rythmes du corps, les valeurs de l’esprit et les élans de l’âme. Juillet 1972. be. Rougemont Denis
2986 es du corps, les valeurs de l’esprit et les élans de l’âme. Juillet 1972. be. Rougemont Denis de, « Merveilleux Lavaux 
2987 ns de l’âme. Juillet 1972. be. Rougemont Denis de , « Merveilleux Lavaux », Gazette de Lausanne (supplément littéraire),
2988 ugemont Denis de, « Merveilleux Lavaux », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 23–25 décembre 1972, p. 1
2989 écédé du chapeau suivant : « C’est à l’initiative de Jean-Pierre Laubscher, auteur de Dixence Cathédrale, que l’on doit un
2990 t à l’initiative de Jean-Pierre Laubscher, auteur de Dixence Cathédrale, que l’on doit un ouvrage qui vient à point nommé 
2991 Sauver cette unique contrée n’est pas le postulat d’ un seul homme. Les artisans du livre, auteurs des textes, qu’ils s’app
2992 lement, les images prennent la parole. L’objectif de Michèle Duperrex, qui donne peut-être le reflet d’un Lavaux épuré, pr
2993 e Michèle Duperrex, qui donne peut-être le reflet d’ un Lavaux épuré, prouve néanmoins qu’un tel coin de pays doit être sau
2994 ’un Lavaux épuré, prouve néanmoins qu’un tel coin de pays doit être sauvegardé au prix de l’intelligence et de sacrifices,
2995 doit être sauvegardé au prix de l’intelligence et de sacrifices, comme le rappelle ici Denis de Rougemont. »
40 1984, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Philosophie et énergie nucléaire : une mise au point (28 juin 1984)
2996 juin, M. Ph. Barraud rend compte, très largement, d’ une assemblée générale de la Compagnie vaudoise d’électricité, au cour
2997 compte, très largement, d’une assemblée générale de la Compagnie vaudoise d’électricité, au cours de laquelle M. Desmeule
2998 d’une assemblée générale de la Compagnie vaudoise d’ électricité, au cours de laquelle M. Desmeules, son directeur, aurait
2999 antinucléaires, c’est-à-dire selon lui « les amis de Denis de Rougemont » — « préparent l’avènement du dirigisme marxiste
3000 « une société policière … centralisée, exploitée de façon quasi militaire » avec « intervention de la Confédération jusqu
3001 ée de façon quasi militaire » avec « intervention de la Confédération jusque dans nos cuisines et salles de bains. » Je n’
3002 Confédération jusque dans nos cuisines et salles de bains. » Je n’ai pas à entrer en discussion avec un directeur qui n’a
3003 e ce qu’il devait dire pour défendre les intérêts de sa compagnie ; mais votre rédacteur a jugé bon de mettre en exergue,
3004 de sa compagnie ; mais votre rédacteur a jugé bon de mettre en exergue, à la suite de son compte rendu, deux citations de
3005 e, à la suite de son compte rendu, deux citations de moi faites par M. Desmeules. À l’intention de vos lecteurs, il m’impo
3006 ons de moi faites par M. Desmeules. À l’intention de vos lecteurs, il m’importe de dénoncer l’usage fait de ces deux citat
3007 ules. À l’intention de vos lecteurs, il m’importe de dénoncer l’usage fait de ces deux citations, qui en falsifie le sens
3008 s lecteurs, il m’importe de dénoncer l’usage fait de ces deux citations, qui en falsifie le sens et la portée. 1. La premi
3009 laquelle l’expérience des centrales nucléaires et de leurs problèmes majeurs (comme celui des déchets) était pratiquement
3010 point le 26 janvier 1979, en prononçant au Palais de Beaulieu, pour introduire les « Rencontres internationales d’urbanism
3011 pour introduire les « Rencontres internationales d’ urbanisme »12, une conférence dont voici le début : Dans cette même s
3012 ans cette même salle, à cette même place, au mois de juin 1958, il y a donc un peu plus de vingt ans, devant le premier co
3013 ce, au mois de juin 1958, il y a donc un peu plus de vingt ans, devant le premier congrès de l’Union internationale des pr
3014 peu plus de vingt ans, devant le premier congrès de l’Union internationale des producteurs et distributeurs d’électricité
3015 n internationale des producteurs et distributeurs d’ électricité, un conférencier prononçait les phrases suivantes : « Les
3016 e, non sur la vraisemblance du fait… La situation de notre continent et de l’humanité entière serait apparemment sans espo
3017 lance du fait… La situation de notre continent et de l’humanité entière serait apparemment sans espoir, si la culture élab
3018 ent sans espoir, si la culture élaborée par notre Europe n’avait pas découvert une fois de plus, et vraiment au dernier moment
3019 t vraiment au dernier moment, une nouvelle source d’ énergie. L’énergie nucléaire est la réponse, inventée par notre génie,
3020 éponse, inventée par notre génie, par nos savants européens , au défi d’une humanité dont notre science, notre hygiène, et nos tec
3021 r notre génie, par nos savants européens, au défi d’ une humanité dont notre science, notre hygiène, et nos techniques étai
3022 ourd’hui, comme le font la plupart des survivants de mon auditoire d’alors, devenus PDG pour la plupart et qui n’ont rien
3023 e font la plupart des survivants de mon auditoire d’ alors, devenus PDG pour la plupart et qui n’ont rien appris depuis vin
3024 s vingt ans, alors oui, ces déclarations seraient de nature à me disqualifier radicalement pour traiter le sujet de l’éner
3025 e disqualifier radicalement pour traiter le sujet de l’énergie en général, et de ses rapports avec l’autonomie en particul
3026 pour traiter le sujet de l’énergie en général, et de ses rapports avec l’autonomie en particulier. Mais j’ai changé, qu’on
3027 e on a cru pouvoir me le reprocher dans la presse de cette ville. Et c’est cela, précisément, qui m’autorise à prendre la
3028 à prendre la parole parmi vous. […] Quelques-uns de ceux qui sont ici ce matin, et non des moindres, partageaient à l’épo
3029 s, et je les retrouve aujourd’hui au premier rang de l’opposition au nucléaire. Ils pourront confirmer ma description de l
3030 nucléaire. Ils pourront confirmer ma description de l’état d’innocence générale où nous étions à peu près tous. […] Je ne
3031 . Ils pourront confirmer ma description de l’état d’ innocence générale où nous étions à peu près tous. […] Je ne pense pas
3032 près tous. […] Je ne pense pas avoir à m’excuser d’ avoir appris pas mal de choses depuis, et d’en avoir tiré les conséque
3033 ense pas avoir à m’excuser d’avoir appris pas mal de choses depuis, et d’en avoir tiré les conséquences. 2. La seconde ci
3034 cuser d’avoir appris pas mal de choses depuis, et d’ en avoir tiré les conséquences. 2. La seconde citation, antinucléaire
3035 conde citation, antinucléaire celle-là, est datée de 1984. Je la rappelle : Selon que (notre) choix se portera sur le nuc
3036 us aurons soit une société centralisée, exploitée de façon quasi militaire, soit une fédération de petites communes autono
3037 tée de façon quasi militaire, soit une fédération de petites communes autonomes. Cette seconde citation est censée démont
3038 que les intentions que M. Desmeules nous attribue d’ une manière arbitraire et calomnieuse. Il embrouille tout, décidément,
3039 ’on ne le croirait : car l’expression « exploitée de façon quasi militaire » non seulement n’est pas de moi et ne traduit
3040 e façon quasi militaire » non seulement n’est pas de moi et ne traduit en rien notre idéal, mais formule l’exigence « esse
3041 mars 1975, M. Jean-Claude Leny, directeur général de Framatome, qui assure la maîtrise d’œuvre de tous les réacteurs franç
3042 teur général de Framatome, qui assure la maîtrise d’ œuvre de tous les réacteurs français de type PWR, déclare : Les insta
3043 éral de Framatome, qui assure la maîtrise d’œuvre de tous les réacteurs français de type PWR, déclare : Les installations
3044 a maîtrise d’œuvre de tous les réacteurs français de type PWR, déclare : Les installations nucléaires ne sont pas dangere
3045 ploitées et contrôlées par des équipes organisées de manière rigoureuse… Pour moi, il est essentiel que les centrales nucl
3046 centrales nucléaires soient peu nombreuses, donc de grande taille, implantées dans des sites ad hoc et exploitées de faço
3047 e, implantées dans des sites ad hoc et exploitées de façon quasi militaire 14. M. Desmeules aurait-il mal compris ? Ce n’
3048 ait-il mal compris ? Ce n’est pas nous, mais ceux de son bord qui ont dit cela. Quant à prétendre que mon idéal serait l’É
3049 État marxiste omnipotent, il faut n’avoir rien lu de moi pour oser le répéter à longueur de colonnes. Est-il pensable qu’u
3050 ir rien lu de moi pour oser le répéter à longueur de colonnes. Est-il pensable qu’une cause défendue par de tels procédés
3051 lonnes. Est-il pensable qu’une cause défendue par de tels procédés soit une bonne cause ? 12. Texte complet dans le volu
3052 e, Éditions du Seuil, 1978. bg. Rougemont Denis de , « Philosophie et énergie nucléaire : une mise au point par Denis de
3053 e mise au point par Denis de Rougemont », Gazette de Lausanne, Lausanne, 28 juin 1984, p. 2.