1 1940, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Erreurs sur l’Allemagne (1er mai 1940)
1 magne (1er mai 1940)a Les journaux, les revues et les livres nous apportent chaque jour des jugements plus massifs sur
2 jour des jugements plus massifs sur l’hitlérisme et sur ses causes. On voudrait rappeler qu’en telle matière, tout jugeme
3 matière, tout jugement massif manque de sérieux, et traduit quelque étourderie. 1. Des hommes aussi divers et aussi respe
4 it quelque étourderie. 1. Des hommes aussi divers et aussi respectables que MM. Massis, Henry Bordeaux, Edmond Vermeil, G.
5 au national-socialisme, mais plutôt au pacifisme et au désarmement (sauf en Finlande), ce qui est peut-être déplorable, m
6 triomphé d’abord dans une Russie tout orthodoxe, et dans une Italie toute catholique. Ce qui n’est pas sans compliquer l’
7 ise pas : Luther mène à Hitler. C’est une sottise et une mauvaise action, si l’on songe que le pasteur Niemöller, vrai des
8 dant de Luther, est en prison. 2. Les socialistes et beaucoup de démocrates affirment : Hitler n’est pas le peuple alleman
9 plupart des socialistes le toléraient fort bien ; et qu’un très grand nombre d’anciens chefs communistes avaient revêtu qu
10 ort bien réfuté l’erreur que je viens de relever, et qui consiste à voir dans l’hitlérisme une tyrannie « de droite », dét
11 ont coupables que d’avoir partagé l’erreur fatale et prolongée des bourgeois de divers pays. Si nous prétendons défendre l
12 le christianisme, agissons d’abord en chrétiens, et commençons par dénoncer non les erreurs d’autrui, mais bien les nôtre
13 voir la Gazette du 24 avril), dans le romantisme et le goût de la mort qui caractérisent les vieux poèmes germaniques. À
14 , sont des imitations de légendes languedociennes et bretonnes, donc celtiques. Hubert, le meilleur celtisant français, n’
15 ogie des Celtes, « l’idée de la mort domine tout, et tout la découvre »? On voit le danger d’aller chercher dans un passé
16 connus. Le seul avantage de ce procédé historique et littéraire, c’est qu’il dispense de mentionner des causes prochaines,
17 causes prochaines, beaucoup plus claires, solides et convaincantes. Ces causes sont, de toute évidence : la guerre, le tra
18 té de Versailles, la grande misère de l’inflation et du chômage, l’échec de la conférence du désarmement, enfin et surtout
19 e, l’échec de la conférence du désarmement, enfin et surtout les exemples du communisme russe et du fascisme italien. Peut
20 enfin et surtout les exemples du communisme russe et du fascisme italien. Peut-être aussi la mollesse de la politique fran
21 … Tout cela est plus gênant à alléguer que Luther et les vieux Germains, parce que dans tout cela se trouvent impliquées d
22 se trouvent impliquées des nations que l’on aime et de chères croyances… Mais quoi, la guerre présente nous rappelle au s
23 uoi, la guerre présente nous rappelle au sérieux. Et ce n’est pas ma faute, ni celle des protestants, si l’axe Berlin-Rome
24 pas luthérienne. Je m’excuse de tant d’évidences, et d’avoir à les rappeler à l’attention d’esprits si distingués. a. R
2 1940, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). « À cette heure où Paris… » (17 juin 1940)
25 heure où Paris exsangue voile sa face d’un nuage, et se tait, que son deuil soit le deuil du monde ! Nous sentons bien que
26 . Il y entre, en effet, mais ce n’est plus Paris. Et telle est sa défaite irrémédiable devant l’esprit, devant le sentimen
27 tuer, mais qu’on ne peut conquérir par la force, et qui vaut plus, insondablement plus que tout ce que peuvent rafler dan
28 Panzerdivisionen. Quelque chose d’indéfinissable et que nous appelions Paris. C’est ici l’impuissance tragique de ce conq
29 esse, dont le visage de cette capitale plus douce et plus fière qu’aucune autre portait les traces pacifiées. N’importe qu
30 uérant. La confrontation stupéfiante de cet homme et de cette Ville était peut-être nécessaire pour faire comprendre au mo
31 ne conquiert pas avec des chars les dons de l’âme et les raisons de vivre dont on manque. Qu’ils fassent dix fois le tour
3 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). New York alpestre (14 février 1941)
32 longueur, qui est d’une vingtaine de kilomètres, et deux-cent-cinquante rues de quatre kilomètres coupant les avenues à a
33 Manhattan… Mais les faubourgs, au-delà du fleuve et du bras de mer qui entourent l’île, s’étendent sur des espaces bien p
34 s’étendent sur des espaces bien plus vastes, îles et plaines reliées par un immense réseau de ponts, de tunnels et d’autos
35 eliées par un immense réseau de ponts, de tunnels et d’autostrades surélevées. Personne ne m’avait dit, non plus, que New
36 alors que la vallée s’emplit d’une ombre froide, et j’étais si bien au fond d’une gorge, dans cette rue de briques noirci
37 rue de briques noircies où circulait un vent âpre et salubre. La mer et la montagne se ressemblent partout. Ici elles se r
38 cies où circulait un vent âpre et salubre. La mer et la montagne se ressemblent partout. Ici elles se rejoignent et se mêl
39 e se ressemblent partout. Ici elles se rejoignent et se mêlent. Les grands souffles océaniques, chargés de sel et d’aventu
40 t. Les grands souffles océaniques, chargés de sel et d’aventure, viennent frapper les verticalités granitiques et argentée
41 re, viennent frapper les verticalités granitiques et argentées de l’Empire State, du Centre Rockefeller, du Chrysler, de c
42 ns nos Alpes quand nous en contemplons la chaîne, et qui leur servent de repères pour se diriger dans la ville. Le vent fo
43 diriger dans la ville. Le vent fou, l’air ozone, et la lumière éclatant très haut dans le ciel sur des parois violemment
44 us jusqu’ici ! Ils couvraient la moitié de l’île, et la moraine s’étendait bien plus avant. Voici l’un des secrets de la d
45 formidable poids d’un gratte-ciel de cent étages. Et les blocs erratiques, débités en tranches, polis et luisants comme du
46 les blocs erratiques, débités en tranches, polis et luisants comme du marbre, ont été plaqués sur les façades et dans les
47 comme du marbre, ont été plaqués sur les façades et dans les vestibules des plus riches buildings, reliques scellées d’un
48 antiquité souterraine. Bien des aspects physiques et moraux de la cité de Manhattan s’expliquent par ce sol et ce climat.
49 x de la cité de Manhattan s’expliquent par ce sol et ce climat. Entre la Prairie proche et l’Océan, ce lieu d’extrême civi
50 par ce sol et ce climat. Entre la Prairie proche et l’Océan, ce lieu d’extrême civilisation matérielle demeure hanté par
51 é par on ne sait quelle sauvagerie des hauteurs ; et ce lieu d’extrême densité humaine demeure baigné d’une atmosphère irr
52 aindre de l’inhumanité que revêtent ici le climat et les rapports humains. Ils pensent, dans leur ignorance, que c’est une
4 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). La route américaine (18 février 1941)
53 ai les routes d’Amérique comme un symbole du rêve et de la volonté du Nouveau Monde. On croyait close l’ère des pionniers,
54 ns de la crise de 1929, où les affaires périssent et les bureaux se vident au-dessus du cinquantième étage, pour peu que l
55 r à repasser au travers des savanes, des cultures et des territoires urbains. Cet effort gigantesque se poursuit en silenc
56 contre le chômage. Elles sont le produit du rêve et de la vitalité inépuisable d’un peuple libre, et qui voit grand sans
57 et de la vitalité inépuisable d’un peuple libre, et qui voit grand sans se forcer. Voici enfin un spectacle émouvant qui
58 pas, mais au contraire atteste une force paisible et utile. Trois pistes parallèles dans chaque sens, séparées par une lar
59 pistes blanches délimitées par des lignes jaunes et noires, entre lesquelles se déplacent lentement, de droite à gauche,
60 de droite à gauche, de gauche à droite, entre 100 et 130 à l’heure, des millions de larges voitures. Une telle aisance dan
61 e aisance dans la vitesse, l’absence de secousses et d’obstacles, l’enivrante continuité du déferlement général, tout cela
62 distance par le charme, attirant les villes à soi et déplaçant de vastes paysages au gré d’une curiosité rêveuse. Mais sou
63 ant par cent, par mille panneaux de toutes formes et couleurs. Sans relâche, ils croissent en gros plan et disparaissent e
64 ouleurs. Sans relâche, ils croissent en gros plan et disparaissent en coup de vent, jusqu’à ce que l’œil s’éduque et se me
65 nt en coup de vent, jusqu’à ce que l’œil s’éduque et se mette à déchiffrer cette espèce de manuel de conduite et de morale
66 e à déchiffrer cette espèce de manuel de conduite et de morale élémentaire (avec publicité dans le texte) dont les phrases
67 ware en grève… Faites un détour par Philadelphie… Et arrêtez-vous à l’Hôtel Franklin… Ralentissez, légion de daims… Les pa
68 ’État de Pennsylvanie vous souhaite la bienvenue… Et limite votre vitesse à cinquante miles… 500 dollars d’amende ou un an
69 ble… Dieu bénisse l’Amérique… » Je ferme les yeux et j’écoute le grondement sourd des pneus qui mordent le béton. En cinq
70 en traversant deux villes énormes : Philadelphie et Baltimore et l’estuaire du Delaware en ferry-boat. La vitesse rétréci
71 t deux villes énormes : Philadelphie et Baltimore et l’estuaire du Delaware en ferry-boat. La vitesse rétrécit l’espace am
5 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Souvenir de la paix française (15 mars 1941)
72 à peine d’un étage au-dessus des champs de roses et des blés aux bords du plateau de la Brie. Je montais vers Périgny par
73 caliers. Une seule rangée de maisons à traverser, et l’on parvient dans la grand-rue : comme elle est vide ! Les toits d’a
74 palmées par les vents. Rares sont les boutiques, et même les cafés. Et s’il passe une auto, c’est une de ces voitures bra
75 nts. Rares sont les boutiques, et même les cafés. Et s’il passe une auto, c’est une de ces voitures branlantes qui semblen
76 monde la vie n’apparaît si discrète, si pacifique et séculaire. Ce pays-là n’est qu’amitié des tons et des lignes humaines
77 et séculaire. Ce pays-là n’est qu’amitié des tons et des lignes humaines, humilité sous la douceur du ciel, retrait des âm
78 é à cet endroit, hésitant sur la route à prendre. Et soudain je vis à mes pieds, tracé à la craie sur le sol, un grand cer
79 age, silence des rues vides, ouvertes sur le ciel et sur les blés. J’étais là fasciné comme par la découverte d’un secret
80 elui qui revient au pays après une longue absence et des déboires : il entre, il ne trouve personne. Mais ses outils sont
81 usage du pays, l’intimité des choses de toujours. Et le moindre signe suffit. Je suis redescendu vers la vallée de l’Yerre
82 la vallée de l’Yerre, qui coule entre des saules et des peupliers blancs. Il faisait lourd et doux, le goudron de la rout
83 saules et des peupliers blancs. Il faisait lourd et doux, le goudron de la route sentait plus fort que les champs de rose
84 route sentait plus fort que les champs de roses, et des nuages noirs traînaient sur les vergers. J’ai su, plus tard, que
6 1946, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Monsieur Denis de Rougemont, de passage en Europe, nous dit… [Entretien] (4 mai 1946)
85 anger. En outre, j’ai des éditeurs à voir à Paris et en Suisse. Et je serais rentré il y a un an déjà si les circonstances
86 e, j’ai des éditeurs à voir à Paris et en Suisse. Et je serais rentré il y a un an déjà si les circonstances s’y étaient p
87 ntrastant brutalement avec la foule qui la peuple et que je ne reconnaissais plus : des visages sans gaieté, des corps pet
88 us demander où vous aviez vos assises en Amérique et quelles furent vos occupations durant le temps où la Suisse vous avai
89 ropagande. Les Américains en écoutent énormément, et les oublient le lendemain. J’ai donc écrit un livre sur la Suisse, en
90 urice Muret, qui s’intitule Le Cœur de l’Europe et qui eut un grand succès. C’est le seul ouvrage que les Américains peu
91 ent consulter, pour se renseigner sur notre pays, et il s’en vend encore régulièrement. J’ai été professeur — et le suis e
92 vend encore régulièrement. J’ai été professeur — et le suis encore en titre — à l’École libre des hautes études, universi
93 ançaise en exil dirigée à ses débuts par Maritain et feu Focillon, aujourd’hui par le Belge H. Grégoire. Cet institut est
94 20 à 30 pages, soit un quart d’heure de nouvelles et autant de commentaires, dans un bruit trépidant et en s’inspirant des
95 t autant de commentaires, dans un bruit trépidant et en s’inspirant des directives des chefs locaux de Londres et des Amér
96 pirant des directives des chefs locaux de Londres et des Américains. C’était extrêmement fatigant et j’ai abandonné au bou
97 s et des Américains. C’était extrêmement fatigant et j’ai abandonné au bout de deux ans. Ce qui fut sans doute tout bénéfi
98 porte quatre manuscrits, dont trois sont terminés et vont être publiés à Paris. Ce sont des essais sur les mythes grecs :
99 cueil d’articles intitulé Vues sur l’Amérique  ; et 18 Lettres sur la bombe atomique (qui seront traduites en anglais,
100 re que les armées de masse sont devenues inutiles et que la guerre militaire est morte, et qu’un gouvernement mondial est
101 es inutiles et que la guerre militaire est morte, et qu’un gouvernement mondial est devenu possible, mais doit émaner des
102 est devenu possible, mais doit émaner des peuples et non des États. Vos derniers ouvrages ont-ils été traduits à l’usage d
103 ommencé par éditer en anglais La Part du diable et Les Personnes du drame . D’autres de mes ouvrages seront traduits. E
104 olitique de la personne , Penser avec les mains et L’Amour et l’Occident . Vous allez donc faire une rentrée massive su
105 la personne , Penser avec les mains et L’Amour et l’Occident . Vous allez donc faire une rentrée massive sur le marché
106 u s’emparer du secret de la bombe atomique ? Non, et nul ne le sait, je crois, en Amérique. Mais une polémique ardente, su
107 nt par exemple la meilleure façon de s’alimenter, et la font enseigner aux écoliers. C’est d’ailleurs une très belle race
108 ne très belle race qui est en train de se former, et de gens extrêmement gentils. Y a-t-il bien, à votre avis, une puérili
109 il bien, à votre avis, une puérilité américaine ? Et quel jugement porter sur les histoires d’un pittoresque extravagant q
110 rils, ils le sont à nos yeux sur certains points, et nous le sommes à leurs yeux sur certains autres (par exemple, la mani
111 demment très simplistes dans ce qu’ils impriment, et manquent d’esprit critique. Quant à leurs loufoqueries, ne croyons pa
112 sérieux : c’est un genre d’humour qui leur plaît, et ils ne font que s’en amuser. Si on les compare aux Français, il est i
113 mérique est du reste un pays si vaste, si mélangé et si divers, que tout y est toujours vrai quelque part. C’est un résumé
114 osmopolite aujourd’hui, comme au centre du monde. Et , ne serait-ce que pour mieux comprendre leur continent grâce à l’éloi
115 ui est du matérialisme, avec son culte du confort et de la machine, son admiration pour le progrès technique, les Américai
116 n’ont en somme pas grand-chose à nous apprendre, et c’est là une de leurs grandes ressemblances (il y en a beaucoup) avec
117 ensée qui me paraît très dangereuse. De la pensée et des jugements moraux : par la synchronisation de la presse ; par le p
118 restige incroyable d’Hollywood, qui donne le ton, et où l’Amérique semble copier l’image qu’elle s’y fait d’elle-même ; pa
119 la permettrait entre elles une entente fructueuse et solide. Et, à ce propos, on a tort en Europe de craindre l’impérialis
120 ait entre elles une entente fructueuse et solide. Et , à ce propos, on a tort en Europe de craindre l’impérialisme américai
121 redoutent énormément d’avoir l’air impérialiste. Et cette politique pourrait avoir d’assez graves conséquences pour l’Eur
7 1947, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Consolation à Me Duperrier sur un procès perdu (5 décembre 1947)
122 est aussi, la plaidoirie devient un réquisitoire, et l’avocat fait une drôle de figure. Ou bien il faut acquitter Oltramar
123 de me dénoncer, tout ce discours retombe à plat, et notre avocat perd la face. 2. Mais où est l’homme sain d’esprit qui p
124 ique. Car il est vrai que les deux cas s’énoncent et se prononcent de même, mais par ce procédé l’on pourrait accuser la v
125 la ville de Lyon des méfaits d’un lion du désert, et Malherbe d’avoir consolé Duperrier — celui qui a perdu son procès. La
126 ’éclairer par une fable. Supposons que j’aie tant et si bien parlé à la radio américaine, qu’à la fin les nazis ont occupé
127 re, me fait emprisonner, puis juger sommairement, et Me Duperrier se voit chargé d’office de ma défense. Que va-t-il dire 
128 j’ai fait exactement le contraire. On me fusille et on le pend d’office. Fin de la douleur de Duperrier. Mais voilà !… le
129 ont gagné la guerre. La Suisse subsiste, intacte et libre. On n’a pas fusillé Oltramare, on s’est borné à le punir un peu
130 de me dénoncer pour avoir combattu l’hitlérisme, et Aragon le droit de me calomnier sous un prétexte exactement inverse.
131 xactement inverse. Je garde le droit de répondre, et même de rire. Et vous, lecteurs, vous gardez le droit de juger toute
132 . Je garde le droit de répondre, et même de rire. Et vous, lecteurs, vous gardez le droit de juger toute cette affaire, mo
133 la plus vieille démocratie du monde. Jugez donc ! et dites avec moi que nous l’avons échappé belle ! Et que le désordre to
134 t dites avec moi que nous l’avons échappé belle ! Et que le désordre tolérable et tolérant où nous voici tout de même enco
135 vons échappé belle ! Et que le désordre tolérable et tolérant où nous voici tout de même encore vivants et libres, vaut mi
136 olérant où nous voici tout de même encore vivants et libres, vaut mieux que leur « ordre » où nous serions des morts, ou j
8 1949, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Les écrivains romands et Paris (10 septembre 1949)
137 Les écrivains romands et Paris (10 septembre 1949)j k Questions 1 et 2. — Nous avons tout
138 s et Paris (10 septembre 1949)j k Questions 1 et 2. — Nous avons tout ce qu’il faut, en Suisse romande, pour nourrir u
139 cela se crée naturellement autour des « grands », et ils sont à Paris. Nous faisons partie de la littérature française. Or
140 Combien de grandes œuvres ont-elles été écrites, et publiées, au lieu même et dans le milieu où leur auteur est né, où il
141 ont-elles été écrites, et publiées, au lieu même et dans le milieu où leur auteur est né, où il a grandi ? J’en vois si p
142 auteur est né, où il a grandi ? J’en vois si peu, et je trouve en revanche tant d’exemples éclatants des bienfaits littéra
143 u « bon écrivain » (j’entends : la plus fréquente et la plus bénéfique à la fois) n’est pas précisément de vivre et de cré
144 néfique à la fois) n’est pas précisément de vivre et de créer loin de son milieu et de sa province natale. Même et surtout
145 écisément de vivre et de créer loin de son milieu et de sa province natale. Même et surtout si l’on doit tirer de ce milie
146 loin de son milieu et de sa province natale. Même et surtout si l’on doit tirer de ce milieu, de cette province, le meille
147 , « [Réponse à une enquête] Les écrivains romands et Paris », Gazette de Lausanne, Lausanne, 10 septembre 1949, p. 12. k.
148 menter une littérature qui ne soit pas uniquement et strictement « locale » ? 2. A-t-il des chances d’être compris par ses
149 Frédéric Barbey, Maurice Zermatten, C.-F. Landry et Alfred Wild, Pierre Girard, Jean Nicollier, Suzanne Delacoste et cell
150 Pierre Girard, Jean Nicollier, Suzanne Delacoste et celle de Clarisse Francillon, publiées ces dernières semaines, voici
151 haponnière, Jacques Mercanton, Denis de Rougemont et de Corinna Bille. D’autres suivront la semaine prochaine. […] Ce sont
152 nt la semaine prochaine. […] Ce sont la concision et la vigueur qui distinguent la réponse de M. Denis de Rougemont. Si ce
9 1949, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe est encore un espoir (8 décembre 1949)
153 . Elle dit tout haut ce que pensent des millions. Et elle le dit sans précautions, avec la calme outrance de la désillusio
154 nt : trop tôt… Entre ceux qui parlent comme vous, et ceux qui nous reprochent une hâte « imprudente », la différence n’est
155 de jugement politique, mais d’expérience humaine, et surtout de souffrance. Vous avez trop souffert la longue horreur des
156 ites-vous. « L’Europe n’existe plus ». Les Russes et les Américains vont lui régler son compte, si ce n’est pas déjà fait.
157 lui régler son compte, si ce n’est pas déjà fait. Et vous avez presque raison. Mais dans ce presque il y a tout notre espo
158 rais vous montrer que ce presque est une réalité, et qui change tout. Mon argument sera simple, le voici : Si notre Europe
159 c’était vrai, vous ne pourriez plus même le dire, et cela pour des raisons que vous avez bien connues… Or non seulement vo
160 té d’agir nous est ôtée. » Venez donc à Lausanne, et nous en discuterons. (L’Europe existe encore, là où le dialogue exist
161 ière illusion de l’Europe ». J’en vois une autre, et votre lettre la traduit d’une manière émouvante. C’est l’illusion cau
162 ous, détournons les yeux de cet abîme d’angoisse, et calculons. Le tableau change en un clin d’œil. À l’ouest du rideau de
163 ux fois plus que l’Amérique, autant que la Russie et tous ses satellites. Sur ces 300 millions, dix pour cent de communist
164 e ruinée ? Mais elle relève déjà ses industries ; et l’URSS n’a pas été traitée mieux qu’elle, qu’on s’en souvienne. Une E
165 a besoin de nous en tant qu’Européens, autonomes, et même concurrents, non pas en tant qu’esclaves coûteux à entretenir. E
166 non pas en tant qu’esclaves coûteux à entretenir. Et nous avons besoin de l’Amérique, en retour ; nous n’avons pas besoin
167 es. Tous ceux qui ont lu votre livre l’ont senti, et même s’ils ignoraient que c’était votre histoire. Je vous invite à La
168 rs. À Lausanne, ce seront les savants, les poètes et les philosophes qui prendront enfin la parole. (Ils auraient dû la pr
169 arole. (Ils auraient dû la prendre les premiers.) Et M. Spaak, seul homme d’État invité à la conférence, est indemne du re
170 mme. Vous n’y croyez sans doute pas plus que moi. Et vous dites : « Ou bien un enfant… » Nous voici dans le temps de l’Ave
10 1953, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). « Ce qu’ils pensent de Noël… » [Réponse] (24 décembre 1953)
171 Réponse] (24 décembre 1953)n Déjà les pasteurs et les prêtres se préparent à parler du message de Noël aux hommes de bo
172 eu) envers les hommes. Est-il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre endémique dan
173 hommes. Est-il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre endémique dans tout l’Orient
174 bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et de la guerre endémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la
175 ne, et de la guerre endémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la peur réciproques qui président aux rapports d
176 e endémique dans tout l’Orient, et de la méfiance et de la peur réciproques qui président aux rapports des nations, et de
177 ciproques qui président aux rapports des nations, et de l’antisémitisme et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme d
178 t aux rapports des nations, et de l’antisémitisme et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l’Europe pour que no
179 ns, et de l’antisémitisme et de l’antisoviétisme, et de l’antiaméricanisme de l’Europe pour que nous comprenions que les h
11 1954, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Rejet de la CED : l’avis de Denis de Rougemont (20 septembre 1954)
180 t, pour le meilleur quand elles le reconnaissent, et pour le pire quand elles le nient. Dans la confusion générale qui a s
181 ope aux masses, avec franchise, en termes simples et concrets. La vraie lutte pour l’Europe commence. Elle ne sera pas gag
182 les couloirs de parlements, mais dans les esprits et les cœurs. Et le reste suivra — l’armée, l’économie — quand chacun de
183 e parlements, mais dans les esprits et les cœurs. Et le reste suivra — l’armée, l’économie — quand chacun de nos peuples a
12 1957, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une lettre de Denis de Rougemont (16-17 février 1957)
184 n homme anxieux, aux traits tendus par la fatigue et presque lugubre. Il semble avoir été « piqué » par le photographe non
13 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Fédéralisme et culture (3-4 mars 1962)
185 Fédéralisme et culture (3-4 mars 1962)q r Deux erreurs de méthode menacent toute
186 culturel en Suisse romande : l’esprit de clocher et l’esprit d’administration. L’esprit de clocher tend à confondre l’amo
187 ste de la diversité avec la sauvegarde organisée, et si possible officielle, de nos particularismes les plus désuets. Il v
188 domaines : université, radio, publications, etc. Et plutôt que de reconnaître que cela n’est pas possible, en plus d’un c
189 tte tendance défensive, faussement traditionnelle et autarcique, inutile d’insister sur ce point. Mais c’est une autre err
190 cas, ce qui marcherait mieux en étant centralisé et ce qui marcherait mieux en restant libre et dispersé, voire anarchiqu
191 alisé et ce qui marcherait mieux en restant libre et dispersé, voire anarchique. Il est clair que nos villes sont trop pet
192 foyers rayonnants de créations du premier ordre. Et cela, je crois, pour les deux raisons suivantes : premièrement, la pa
193 de la dépense magnifique, le goût de la nouveauté et du somptueux, qui caractérisent tant de princes et de grands marchand
194 t du somptueux, qui caractérisent tant de princes et de grands marchands de l’époque. Il est trop clair qu’à l’absence de
195 p clair qu’à l’absence de cette passion créatrice et de ce sens du mécénat, nul comité de coordination ne pourra jamais re
196 culture est faite par des passions individuelles et par des petits groupes qui ne craignent pas de passer pour extravagan
197 cessifs. Les comités sont par définition prudents et économes : leur rôle est normalement de rationaliser les activités do
198 tables. Mais la culture vivante vit d’imprudence, et prospère dans le gaspillage des forces et des sommes. Je crains que n
199 udence, et prospère dans le gaspillage des forces et des sommes. Je crains que nous soyons encore, en Suisse romande, aux
200 ntipodes de ce climat d’excitation intellectuelle et artistique. Nos habitudes utilitaires, notre notion du sérieux confon
201 ires, décourageant toutes les initiatives hardies et protégeant en revanche trop de médiocrité pour peu qu’elles aient été
202 nt été un jour inscrites à quelque budget d’État, et sous prétexte de répartition géographique équitable — ce qui n’est, s
203 e aujourd’hui d’inquiéter les amis de la culture, et c’est aussi tout cela qui menace dans ses sources notre vitalité fédé
204 ité économique sans précédent. Nos raisons d’être et de rester Suisses ne sont pas des raisons économiques. Le fédéralisme
205 fois de plus, vit des mêmes réalités spirituelles et morales, et prend ses sources dans les mêmes attitudes de pensée que
206 , vit des mêmes réalités spirituelles et morales, et prend ses sources dans les mêmes attitudes de pensée que la culture c
207 l’autre. q. Rougemont Denis de, « Fédéralisme et culture », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne, 3–4
14 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Rectification (9 mars 1962)
208 nsister sur la nécessité de sauvegarder à la fois et en pratique les droits de l’union et ceux des autonomies locales, les
209 er à la fois et en pratique les droits de l’union et ceux des autonomies locales, les droits de l’organisation et ceux de
210 autonomies locales, les droits de l’organisation et ceux de la création. La moitié d’une vérité n’est qu’une sottise, sur
211 cas, ce qui marcherait mieux en étant centralisé, et ce qui marcherait mieux en restant libre et dispersé, voire anarchiqu
212 lisé, et ce qui marcherait mieux en restant libre et dispersé, voire anarchique ». s. Rougemont Denis de, « Rectificati
15 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe est d’abord une culture (30 juin 1962)
213 ope se réduit à des problèmes de tarifs douaniers et d’intérêts commerciaux. J’estime donc opportun de rappeler les vraies
214 un de rappeler les vraies dimensions du problème, et en insistant sur ses aspects culturels et mondiaux. Je pars d’un rais
215 oblème, et en insistant sur ses aspects culturels et mondiaux. Je pars d’un raisonnement assez simple, en trois points : 1
216 té culturelle ; 3. Il en résulte que l’on ne doit et que l’on ne peut « faire l’Europe » qu’en conformité avec le génie mê
217 se « culturelle » nous porte en pleine actualité, et qu’elle entraîne une politique bien définie. ⁂ La première propositio
218 de tous les continents (4 % des terres du globe), et le plus pauvre en matières premières. Et un fait d’histoire : cette m
219 globe), et le plus pauvre en matières premières. Et un fait d’histoire : cette minuscule Europe a dominé successivement s
220 né successivement sur tous les autres continents, et continue à rayonner sur toute la terre par la civilisation dont elle
221 terre par la civilisation dont elle est l’origine et le cœur. Voilà qui ne saurait s’expliquer que par la culture des Euro
222 urope, dont discutent aujourd’hui toute la presse et tous les parlements, est essentiellement une réalité économique, on o
223 onomie n’est pas tombée du ciel ni sortie du sol, et qu’elle ne tire pas son origine et sa vitalité de notre nature, mais
224 sortie du sol, et qu’elle ne tire pas son origine et sa vitalité de notre nature, mais bien de nos cerveaux, donc de notre
225 e est née du mariage de nos sciences spéculatives et de notre volonté de transformer la nature, lesquelles sont nées de no
226 nature, lesquelles sont nées de nos philosophies et de notre religion dominante, lesquelles nous sont venues d’Athènes et
227 dominante, lesquelles nous sont venues d’Athènes et de Jérusalem à travers Rome et son empire, englobant avec les Méditer
228 t venues d’Athènes et de Jérusalem à travers Rome et son empire, englobant avec les Méditerranéens des Germains, des Celte
229 avec les Méditerranéens des Germains, des Celtes et des Slaves. De cette culture commune, mais de ses sources variées, vo
230 ent à la fois l’unité fondamentale de nos peuples et les extraordinaires diversités qu’ils juxtaposent sur un très petit t
231 diversités tournent en divisions, l’unité de base et la vitalité de l’ensemble sont en péril. Alors paraît le besoin d’uni
232 division qui ont miné l’Europe depuis un siècle, et qui ont risqué de la faire périr à deux reprises en 1914 et en 1939,
233 risqué de la faire périr à deux reprises en 1914 et en 1939, se résument dans le terme nationalisme. Elles sont, elles au
234 elle en dernière analyse. Mais l’opinion publique et les élites responsables ont peine à prendre conscience de leur nocivi
235 uis longtemps de mesures d’union supranationales. Et c’est ainsi que l’union de l’Europe a commencé dans le domaine économ
236 e domaine économique, avec la CECA de Jean Monnet et Robert Schuman, puis avec le Marché commun des Six, provoquant en éch
237 bre-échange des Sept, la candidature britannique, et l’intérêt subitement anxieux des Américains. Ce début concret de la c
238 de la construction européenne étant ainsi replacé et situé dans le contexte de notre évolution, la question qui se pose es
239 , la question qui se pose est de savoir s’il faut et s’il suffit, pour « faire l’Europe », que toutes les nations du conti
240 arché commun, c’est-à-dire dans un plan technique et économique, dont les auteurs ne sont d’ailleurs pas dépourvus d’arriè
241 ns toute la mesure où elles sont encore fécondes, et enfin qu’elle se subordonne à une grande politique commune, laquelle
242 nes de milliers de techniciens. Il est concevable et faisable de les fabriquer en série au prix de l’éducation générale ou
243 forces inventives dans le fonds commun spirituel et moral, théologique, scientifique et même esthétique, de la culture eu
244 mun spirituel et moral, théologique, scientifique et même esthétique, de la culture européenne. Renoncer à transmettre les
245 européenne. Renoncer à transmettre les principes et mesures de cette culture générale, ce serait stériliser les sources m
246 ssifier l’Europe au pire sens de ces expressions, et finalement détendre les ressorts de notre génie créateur. L’union éco
247 ait pour effet de déprimer les autonomies locales et d’uniformiser nos coutumes régionales serait antieuropéen. Notre cult
248 versel dans la pluralité de ses foyers créateurs, et dans les tensions qui en naissent. D’autant plus nous sommes d’un can
249 ns Dieu », disait Spinoza. C’est là le vrai sens, et le seul possible, de ce qu’on a nommé « l’Europe des patries ». (Par
250 omme un but en soi, comme un nationalisme agrandi et transposé aux limites géographiques et toutes provisoires de l’Ouest
251 me agrandi et transposé aux limites géographiques et toutes provisoires de l’Ouest du continent. L’Europe a découvert la T
252 ssi les moyens de les composer, de les équilibrer et de les rendre bénéfiques. Elle a inventé et pratiqué la libre concurr
253 ibrer et de les rendre bénéfiques. Elle a inventé et pratiqué la libre concurrence, mais aussi la coopération, le national
254 e matérialisme, mais aussi les valeurs de liberté et de responsabilité, de justice sociale et de solidarité universelle, q
255 liberté et de responsabilité, de justice sociale et de solidarité universelle, qui relèvent de l’esprit. Sa fonction dans
256 , s’en trouve désormais définie. L’Europe se doit et doit au monde de présenter l’exemple convaincant d’un dépassement du
257 mple convaincant d’un dépassement du nationalisme et d’une adaptation harmonieuse de la technique à l’homme. C’est dire qu
258 peut souhaiter que fédérale. L’intégration totale et uniformisante détruirait les bases mêmes de notre dynamisme. Une simp
259 on nécessaire tout en sauvegardant les autonomies et diversités qui ont fait notre culture et sa vitalité. ⁂ Le problème e
260 tonomies et diversités qui ont fait notre culture et sa vitalité. ⁂ Le problème européen étant ainsi posé ou reposé à part
261 reposé à partir des réalités de notre culture une et diverse, les conclusions suivantes me paraissent en découler : 1. Le
262 ires d’une politique qu’il reste encore à définir et à réaliser. 3. Cette politique, appuyée sur une organisation fédérati
263 ommune ne devra pas se limiter au plan économique et commercial, mais s’étendre aux problèmes immenses et tout nouveaux qu
264 commercial, mais s’étendre aux problèmes immenses et tout nouveaux que posent le contact des cultures, la technique, l’exp
265 diffusion mondiale de la civilisation occidentale et les responsabilités qui en résultent pour les Européens. La Suisse es
266 s : on ne l’accusera jamais de néo-colonialisme ! Et elle est mieux placée que tout autre pour faire valoir les avantages
267 ence fédéraliste, dans les conseils de Strasbourg et de Bruxelles, la Suisse pourrait montrer la voie d’un avenir authenti
16 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Universités américaines (12-13 janvier 1963)
268 poème de Saint-John Perse évoquant les États-Unis et les traversant d’est en ouest se nomme Vents, et nul n’a compris ce p
269 et les traversant d’est en ouest se nomme Vents, et nul n’a compris ce pays s’il n’a pas découvert un jour qu’un souffle
270 du Bronx aux ponts de fer retentissants de trains et de camions-citernes, soudain l’autoroute vers le nord longe la mer co
271 traverse d’infinis quartiers de maisons blanches et d’usines transparentes, surmontés de clochers d’or pâle, puis des rid
272 des rideaux d’arbres chevelus cachent les rives, et la piste d’ardoise aux lignes jaunes écarte largement les forêts bass
273 lignes jaunes écarte largement les forêts basses et denses aux couleurs de l’été indien, pendant des heures. Le « station
274 injure, le ciel est bleu, les voies sont larges, et la radio du bord éclate en mélodies accompagnées de bugles et de chœu
275 du bord éclate en mélodies accompagnées de bugles et de chœurs d’une euphorique nostalgie : j’ai retrouvé mon Amérique.
276 ux mois — je me suis gardé d’établir un programme et d’arranger des conférences. Je m’en remets au dieu du Hasard, dont l’
277 is il faut faire son choix entre l’ennui qui paie et l’imprévu révélateur, quitte à corriger le sort par quelques téléphon
278 quitte à corriger le sort par quelques téléphones et un carnet d’adresses d’amis anciens. (Mais tout bouge ici, où seront-
279 e une théologie qu’on pourrait nommer culturelle, et qui tient compte des arts et des religions de l’Orient, et de la gnos
280 t nommer culturelle, et qui tient compte des arts et des religions de l’Orient, et de la gnose (dont nous allons beaucoup
281 ent compte des arts et des religions de l’Orient, et de la gnose (dont nous allons beaucoup parler), cependant que Maritai
282 ain domine la pensée catholique en grand progrès, et que Karl Barth a restauré dans tous les séminaires presbytériens la n
283 on d’une orthodoxie traditionnelle mais offensive et politiquement « progressiste ». Ces trois noms dominent aujourd’hui l
284 rds pour qui l’Amérique signifie Coca-Cola, twist et voitures géantes, sont en retard d’une génération intellectuelle. (No
285 r les forêts sauvages, mouchetées d’arbres rouges et rose pourpre d’une intensité de couleur que je n’ai jamais vue ailleu
286 um déposé au bord de la route, dans une clairière et l’on est ami du patron et de la fille superbe qui nous sert le café a
287 ute, dans une clairière et l’on est ami du patron et de la fille superbe qui nous sert le café après quelques échanges de
288 cidental où dominent encore l’espace, la distance et la solitude. Un VIP2 de New York me disait l’autre jour : « Toutes le
289 ale. Je coupe du bois, je lis, je dors, je médite et je récupère. Je ne trouverais pas cela en Europe, toutes vos maisons
290 d’arbres immenses aux petites feuilles jaune vif et de larges bandes de gazons ; en retrait, des maisons de bois blanc d’
291 blanc d’un ou deux étages, régulièrement espacées et spacieuses. Au fond, l’église au clocher fin, toute blanche elle auss
292 her fin, toute blanche elle aussi, sur un tertre. Et subitement voici tomber de toutes parts, sans une brise, un ruisselle
293 ne douzaine de bâtiments de bois blanc à un étage et toits d’ardoises. Dans l’escalier de la maison de brique une toile de
294 oile de quatre mètres de haut, long paraphe blanc et rouge sur un fond noir, signée Georges Mathieu. Tout en haut, notre a
295 ien rythmée remplit l’étage. Je pousse des portes et me trouve dans une salle de théâtre, vide de sièges. Groupes de jeune
296 r la scène, on répète un ballet assez acrobatique et symbolique. Cocktails dans le cottage d’un doyen de faculté. Une ving
297 art auteurs connus, poètes, romanciers, critiques et sociologues, et un vieil ami suisse, Paul Boepple, chef du départemen
298 us, poètes, romanciers, critiques et sociologues, et un vieil ami suisse, Paul Boepple, chef du département de musique. (I
299 York.) Une proportion considérable des écrivains et des artistes américains, plus des deux tiers sans doute (de Faulkner
300 rire. Combien d’écrivains véritables, de peintres et de musiciens, se voient offrir chez nous ces possibilités — à tous ég
301 , ou sur la moquette. La plupart sont en pantalon et blouses de sport. Quelques-unes ont gardé leurs bigoudis, comme cela
302 endriers, paquets de cigarettes, blouses, cahiers et livres, et leurs jambes sur des poufs ou le bras d’un fauteuil. Le pr
303 aquets de cigarettes, blouses, cahiers et livres, et leurs jambes sur des poufs ou le bras d’un fauteuil. Le professeur an
304 nt imposé — disparaît dans le traitement imagiste et presque abstrait qu’a choisi l’auteur anonyme. Plusieurs girls manife
305 cigarette. Elles parlent posément avec un sérieux et une assurance imperturbables : je pense, je trouve, à mon avis, I fee
306 hnique tend à devenir la préoccupation dominante, et presque la réalité d’une activité humaine quelconque, en l’occurrence
307 l’horizon de cet art poétique me paraît aussi sec et gris que l’automne abstraitement évoqué par une ramure sèche et fragi
308 automne abstraitement évoqué par une ramure sèche et fragile devant la fenêtre contemplée par le vieux couple. Ces jeunes
309 es — humanités, religion, sciences, arts, musique et danse — pour 3 à 4000 dollars par an. Et ce seront elles qui dominero
310 musique et danse — pour 3 à 4000 dollars par an. Et ce seront elles qui domineront la société américaine de demain, avec
311 rofesseurs, en tête-à-tête ou en groupe, déjeuner et dîner. J’arrive à 11 heures au campus, pour mon premier rendez-vous.
312 nce. Tous portent le même accoutrement si commode et si négligé, que la jeunesse européenne semble avoir adopté depuis qui
313 arisiens. Wheeler Hall, je m’annonce au concierge et j’attends dans un corridor en lisant les panneaux d’annonces. Soudain
314 ésident du Congrès pour la liberté de la culture, et auteur de L’Amour et l’Occident donnera une conférence sur La guerr
315 r la liberté de la culture, et auteur de L’Amour et l’Occident donnera une conférence sur La guerre totale et les valeur
316 dent donnera une conférence sur La guerre totale et les valeurs occidentales. Sous les auspices des Americans for Democra
317 organisé à Berkeley entre Sidney Hook, C. P. Snow et Hans Morgenthau, et qui semble avoir fait du bruit, d’une côte à l’au
318 entre Sidney Hook, C. P. Snow et Hans Morgenthau, et qui semble avoir fait du bruit, d’une côte à l’autre, mais c’est vrai
319 ire d’ardentes curiosités sur l’union de l’Europe et le Marché commun que l’Amérique découvre subitement, et déjà elle cro
320 Marché commun que l’Amérique découvre subitement, et déjà elle croit que c’est fait… À 3 heures, la grande salle est plein
321 st fait… À 3 heures, la grande salle est pleine ; et l’on me conduit sur l’estrade. Fragments d’interventions des trois cé
322 ts d’interventions des trois célèbres philosophes et sociologues, transmis d’après une bande magnétique, et bien sûr je co
323 ciologues, transmis d’après une bande magnétique, et bien sûr je comprends assez mal. Better red than dead, a dit le pacif
324 attitude nous conduirait à être à la fois rouges et morts. » Ils ont parlé surtout de la guerre froide et de la Bombe, et
325 orts. » Ils ont parlé surtout de la guerre froide et de la Bombe, et très peu des valeurs occidentales. Je vois donc ce qu
326 parlé surtout de la guerre froide et de la Bombe, et très peu des valeurs occidentales. Je vois donc ce qui me reste à fai
327 ditoire est composé d’étudiants « très à gauche » et dont plusieurs se demandent, m’a-t-on dit, si l’URSS ne détient pas l
328 de, en créant les moyens de relier les continents et en formulant les valeurs d’où résulte le concept de genre humain. Je
329 une invention de l’Europe. Croyons à nos valeurs et prouvons-le, c’est ce que le monde attend de nous, pour nous rejoindr
330 s’ils décident la guerre, a) ils sont victorieux et ils établissent le communisme mondial ; b) nous sommes vainqueurs et
331 le communisme mondial ; b) nous sommes vainqueurs et nos chères valeurs occidentales sont détruites de toute façon. » « Ad
332 s que l’État-nation est une conception archaïque, et que la tendance à créer des marchés communs peut conduire à la format
333 viennent y passer une année d’études personnelles et de conversations approfondies avec les collègues d’autres branches. Q
334 us discuter le plan d’une conférence sur l’Europe et le monde que je leur ai brièvement exposé. Critiques et suggestions d
335 monde que je leur ai brièvement exposé. Critiques et suggestions d’une pertinence parfaite. Je visite la colline avec Abe
336 e barbu qui compose des « mobiles » à temps perdu et en décore son cubicle, et Sidney Hook, le philosophe et sociologue. «
337 mobiles » à temps perdu et en décore son cubicle, et Sidney Hook, le philosophe et sociologue. « Je n’ai jamais fait de ma
338 décore son cubicle, et Sidney Hook, le philosophe et sociologue. « Je n’ai jamais fait de ma vie autant de mathématiques,
339 littéraire), Lausanne, 12–13 janvier 1963, p. 13 et 19. v. Sous-titré « Notes d’un journal de voyage », ce texte est int
340 ue, qui assaille l’écrivain de questions sur Marx et l’Europe, dans des universités très différentes des nôtres. Elles res
341 à des campus, à des cottages anglais… Professeurs et étudiants y mènent une vie fraternelle, et l’on y découvre des instit
342 sseurs et étudiants y mènent une vie fraternelle, et l’on y découvre des institutions dont l’Europe ferait bien de s’inspi
17 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’éloge, l’élan, l’amour, le monde ouvert à ceux qui s’ouvrent, cela existe… (2-3 février 1963)
343 c’est Ramuz. Mais il ne croyait pas à l’Helvetia et à l’homo helveticus. Il ne croyait qu’au pays de Vaud, réduit aux vig
344 ne croyait qu’au pays de Vaud, réduit aux vignes, et pimenté d’exotisme valaisan. « Entre nous, nous sommes racistes », me
345 is plutôt au matérialisme néo-bourgeois, réaliste et moralisant, et à une maladresse verbale cultivée par l’école primaire
346 térialisme néo-bourgeois, réaliste et moralisant, et à une maladresse verbale cultivée par l’école primaire et secondaire.
347 maladresse verbale cultivée par l’école primaire et secondaire. Tout cela n’a rien à voir avec Calvin, spirituel de plein
348 rien à voir avec Calvin, spirituel de plein vent, et de langue assurée — et les remarques de M. Tauxe sur ce point sont au
349 , spirituel de plein vent, et de langue assurée — et les remarques de M. Tauxe sur ce point sont aussi justes qu’opportune
350  ? Bénéficiant d’une structure sociale, politique et religieuse, exemplairement fédéraliste et pluraliste, qui lui permet
351 litique et religieuse, exemplairement fédéraliste et pluraliste, qui lui permet de participer à tout un jeu de dimensions
352 rticiper à tout un jeu de dimensions spirituelles et physiques, les unes très vastes et presque universelles — confession,
353 s spirituelles et physiques, les unes très vastes et presque universelles — confession, langue française, culture européen
354 romand qui veut écrire n’a qu’à jouer ses atouts et bien savoir sa langue. Cela donne Rousseau, Staël ou Constant. Et cel
355 a langue. Cela donne Rousseau, Staël ou Constant. Et cela n’empêche nullement Cendrars ou Cingria. On nous parle de révolt
356 rs ou Cingria. On nous parle de révolte, de crise et d’analyse, d’inhibitions, de pièges, de frustrations, et l’on se plai
357 alyse, d’inhibitions, de pièges, de frustrations, et l’on se plaint de manquer d’instruments adéquats pour exprimer ces th
358  : « Je veux que tu me dises ta pensée maîtresse, et non que tu t’es échappé d’un joug. » w. Rougemont Denis de, « [Rép
18 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Les mythes sommeillent… ils vont se réveiller [Entretien] (9-10 février 1963)
359 il lui arriva un jour de décrocher son téléphone, et d’entendre à l’autre bout du fil une voix annoncer : “Ici Albert Eins
360 rney, Denis de Rougemont me racontait l’histoire, et à mon tour j’enregistrais une voix, un visage, une stature qui revend
361 elles. Quelque chose m’inquiète, dis-je. L’Amour et l’Occident vous a valu de beaux triomphes. Les hypothèses que vous a
362 ses que vous aviez lancées alors sur les cathares et sur l’amour courtois, après avoir ligué contre vous les historiens, l
363 oir ligué contre vous les historiens, la Sorbonne et Jean-Paul Sartre, ont été confirmées avec éclat par de récents travau
364 s tentiez aussi d’expliquer l’homme contemporain. Et lui, depuis quelques années, me semble avoir beaucoup changé… Les ann
365 t l’institution du mariage, qui défient la morale et la raison. Aujourd’hui, les mythes s’évanouissent. Nous devenons très
366 nouvelles conventions, de nouvelles contraintes. Et alors nous aurons de nouveau l’envie de nous libérer de quelque chose
367 nisme a repris sa marche en avant. … de la morale et de la hiérarchie mondaine. Il n’y a plus d’obstacles que les mythes p
368 incre. Pardon ! Il s’en crée maintenant d’énormes et d’inédits. La terre se surpeuple. Chaque être est tellement enserré p
369 tre vie est balisée de feux verts, de feux rouges et de feux clignotants. Nous les respectons, parce qu’en les violant nou
370 ressemble à ces montres extraplates… Justement ! Et c’est ce qui prépare le réveil de très vieux instincts, de très vieux
371 ire. Croyez-vous que l’étude systématique du xie et du xiie siècle nous donnerait des éléments d’appréciation pour le xx
372 rrement de l’humanité. C’est Teilhard de Chardin. Et précisément la femme a dans son œuvre la place d’un symbole et d’une
373 t la femme a dans son œuvre la place d’un symbole et d’une inspiratrice. La femme ? Parfaitement. J’ai là par exemple un t
374 ne sorte de nature normale, à laquelle la culture et la religion seraient venues surajouter leurs faux problèmes… Cette il
375 insensée de religions jamais tout à fait mortes, et rarement tout à fait comprises et pratiquées ; de morales jadis exclu
376 à fait mortes, et rarement tout à fait comprises et pratiquées ; de morales jadis exclusives, mais qui se superposent ou
377 nous dire savamment, certes, mais avec une fougue et une simplicité devenues rares, de quelle manière, à son avis, nous de
19 1964, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il nous faut des hommes de synthèses (19-20 septembre 1964)
378 e paraît l’un des plus vivants, des plus actuels, et aussi des plus angoissants de ceux que nous a légués l’Antiquité proc
379 le, si étroitement mêlée aux origines helléniques et bibliques de la culture d’Europe. L’interprétation la plus éclairante
380 lement la Nature, mais le Naturant, qui est Dieu, et il entreprit d’édifier une tour à Sennaar, qui fut ensuite appelée Ba
381 isait les murs ; les uns travaillaient du cordeau et de l’équerre, et les autres de la truelle ; les uns taillaient les pi
382 les uns travaillaient du cordeau et de l’équerre, et les autres de la truelle ; les uns taillaient les pierres tandis que
383 convoyaient les matériaux par mer ou par terre ; et chaque groupe s’appliquait à une tâche particulière. Jusqu’à ce qu’il
384 re. Jusqu’à ce qu’ils fussent frappés par le Ciel et jetés dans une confusion telle que tous ceux qui étaient venus à l’œu
385 eux qui étaient venus à l’œuvre parlant une seule et même langue, dussent la quitter parlant des langues diverses, et inca
386 dussent la quitter parlant des langues diverses, et incapables de plus jamais s’entendre pour accomplir leur dessein. En
387 e eux, ceux qui roulaient les pierres, entre eux, et ceux qui les taillaient, et ainsi de chaque groupe spécialisé (et sic
388 s pierres, entre eux, et ceux qui les taillaient, et ainsi de chaque groupe spécialisé (et sic de singulis operantibus). M
389 taillaient, et ainsi de chaque groupe spécialisé ( et sic de singulis operantibus). Mais autant d’activités variées, autant
390 nt d’idiomes différents divisant le genre humain. Et plus ils excellaient dans leur activité spéciale, plus ils parlaient
391 ls parlaient en jargon barbare (tanto rudius nunc et barbarius loquuntur). Si bien que les seuls qui s’en tinrent à la lan
392 ceux qui avaient refusé de prendre part à l’œuvre et s’étaient tenus à l’écart, couvrant d’imprécations la folie des trava
393 couvrant d’imprécations la folie des travailleurs et les tournant en dérision. Ainsi donc, l’origine de la diversité des
394 ne serait autre que la spécialisation des métiers et par suite des jargons de métier — spécialisation exigée par les dimen
395 ues siècles) pour répondre à des besoins certains et à des nécessités limitées de cette même vie — mais comme inspirés de
396 paraît valable pour le monde moderne tout entier. Et , à l’intérieur de l’Europe, elle fait songer irrésistiblement à cette
397 rit, l’ensemble de nos activités intellectuelles, et donc artificielles — elle fait songer à cette Tour du Savoir, telleme
398 ’il faut, pour l’édifier, diviser maîtres d’œuvre et ouvriers en équipes spécialisées et qui bientôt ne se comprendront pl
399 îtres d’œuvre et ouvriers en équipes spécialisées et qui bientôt ne se comprendront plus, je veux dire l’Université et ses
400 e se comprendront plus, je veux dire l’Université et ses diverses facultés, et les subdivisions de ces facultés, et tous l
401 veux dire l’Université et ses diverses facultés, et les subdivisions de ces facultés, et tous les instituts spécialisés q
402 es facultés, et les subdivisions de ces facultés, et tous les instituts spécialisés qui, autour d’elles ou en elles, proli
403 s, c’est-à-dire l’ignorance du savoir des autres, et enfin, et surtout, l’oubli de l’unité, l’étrange oubli des buts finau
404 -dire l’ignorance du savoir des autres, et enfin, et surtout, l’oubli de l’unité, l’étrange oubli des buts finaux de l’exi
405 ommunications. Les nations tendent à se regrouper et à s’organiser en de vastes ensembles, par continents, et d’abord en E
406 organiser en de vastes ensembles, par continents, et d’abord en Europe. Les races qui s’ignoraient jadis au point qu’un ho
407 ne semblait pas vraiment humain, se reconnaissent et s’admettent. Déjà l’intégration est à la mode. Demain ce sera le méti
408 , au lendemain de l’ère coloniale. Pour le moment et pour des décennies encore, c’est la culture occidentale qui domine to
409 le des divisions de l’humanité, s’interpénètrent, et certaines s’universalisent. On n’a jamais autant appris de deuxièmes
410 alisent. On n’a jamais autant appris de deuxièmes et de troisièmes langues. On n’a jamais autant traduit et déchiffré. Et
411 troisièmes langues. On n’a jamais autant traduit et déchiffré. Et des machines électroniques vont faire le reste. Conv
412 ngues. On n’a jamais autant traduit et déchiffré. Et des machines électroniques vont faire le reste. Convergences Co
413 ontiguïté. Coexistence. Fédérations. Informations et communications en progression géométrique. Dialogue, union, uniformis
414 e, tout coopère ou tout se mêle, pour le meilleur et pour le pire. Arrêtons-nous quelques instants pour nous demander quel
415 nous demander quelles sont les causes, le moteur et l’agent de ce mouvement universel de convergence ? La réponse me para
416 lanétaire. L’Europe a découvert la terre entière, et personne d’autre n’est jamais venu la découvrir. L’Europe gréco-romai
417 jamais venu la découvrir. L’Europe gréco-romaine et judéo-chrétienne a conçu la notion de genre humain, si longtemps étra
418 ire répugnante, à l’Asie brahmanique ou chinoise, et qui devait aboutir à la condamnation puis à la suppression — mais apr
419 réation de l’Europe, durant l’époque colonialiste et tout d’abord en réaction à ses outrages : las Casas, Vitoria et Suáre
420 d en réaction à ses outrages : las Casas, Vitoria et Suárez, Grotius, Leibniz, Vattel et Kant en sont les pères, et je ne
421 asas, Vitoria et Suárez, Grotius, Leibniz, Vattel et Kant en sont les pères, et je ne leur vois guère de répondant dans le
422 otius, Leibniz, Vattel et Kant en sont les pères, et je ne leur vois guère de répondant dans les élites d’Asie, d’Arabie e
423 ère de répondant dans les élites d’Asie, d’Arabie et d’Afrique, à part Gandhi. Enfin l’Europe, par sa technique, a mis en
424 arties du monde, devenu désormais unité théorique et système de relations pratiques. L’Europe et l’Europe seule a fait tou
425 rique et système de relations pratiques. L’Europe et l’Europe seule a fait tout cela, par sa religion, par ses grands phil
426 cela, par sa religion, par ses grands philosophes et par ses sciences, par sa technique enfin, résultante moderne de cet e
427 taux, de tensions, de contestations, de créations et de formes de vie — disons d’un mot : par sa culture, qui a fait litté
428 ut on exige ses produits, on imite ses techniques et procédés, et l’on se réclame, fût-ce pour les retourner contre l’Euro
429 es produits, on imite ses techniques et procédés, et l’on se réclame, fût-ce pour les retourner contre l’Europe, de ses do
430 rner contre l’Europe, de ses doctrines politiques et sociales, et de certaines de ses valeurs — en même temps se manifeste
431 ’Europe, de ses doctrines politiques et sociales, et de certaines de ses valeurs — en même temps se manifeste et se pronon
432 aines de ses valeurs — en même temps se manifeste et se prononce, précisément au cœur de sa culture qui fut l’agent de la
433 rgence. Ce mouvement de dissociation, de division et de séparation, qui est proprement babélique, ne me paraît nulle part
434 t babélique, ne me paraît nulle part plus visible et plus facile à observer, hélas, que dans nos universités. Tout le mond
435 ar un accroissement continuel à la fois du nombre et de l’exclusivité des spécialisations dans le cadre distendu des facul
436 ialisations dans le cadre distendu des facultés ; et en même temps, explosion des effectifs estudiantins, résultant à la f
437 tant à la fois de l’accroissement des populations et la démocratisation des études. L’explosion du savoir Ainsi les
438 osion du savoir Ainsi les dimensions physiques et l’université tendent à devenir impraticables, cependant que les dista
439 ssables. Dans l’univers du savoir humain, faculté et spécialité sont en train de s’éloigner les unes des autres avec une v
440 langages spéciaux de moins en moins traduisibles, et l’évanouissement progressif de la conscience du but commun, des fins
441 e l’homme universel, cet idéal capable d’inspirer et d’orienter la pensée, le sentiment et l’action non seulement des espr
442 d’inspirer et d’orienter la pensée, le sentiment et l’action non seulement des esprits créateurs et de la jeunesse europé
443 t et l’action non seulement des esprits créateurs et de la jeunesse européenne, mais aussi des hommes d’outre-mer qui vien
444 n’y ait plus, ou presque plus, de langage commun, et que les buts finaux s’obscurcissent, il faut bien voir que cela veut
445 itas, qui sont le sens corporatif, communautaire, et le sens synthétique ou universalisée. Nos universités ne sont plus gu
446 tions souvent fortuites d’écoles professionnelles et d’instituts de recherches n’ayant plus d’autres liens réels que ceux
447 inistration en outre accablée de soucis matériels et qui a d’autres chats à fouetter que de méditer sur la synthèse des fa
448 42 000 en 1924, il est d’environ 280 000 en 1964, et l’on prévoit qu’il sera de 500 000 dans une dizaine d’années. (Seules
449 est plus difficile à chiffrer. Robert Oppenheimer et d’autres savants américains nous affirment que 85 % des scientifiques
450 s l’aube de l’histoire, sont vivants aujourd’hui. Et Louis Armand me disait un jour : si vous et moi, dans nos années d’ét
451 ’hui. Et Louis Armand me disait un jour : si vous et moi, dans nos années d’études, il y a 30 à 35 ans, avions appris tout
452 il y a 30 à 35 ans, avions appris toute la chimie et n’en avions rien oublié, nous ne saurions qu’un dixième de ce qu’elle
453 ciences exactes (mathématiques, physique, chimie) et des sciences naturelles (biologie, génétique) et peut-être en psychol
454 et des sciences naturelles (biologie, génétique) et peut-être en psychologie ; rien de comparable ne s’est produit et ne
455 psychologie ; rien de comparable ne s’est produit et ne saurait se produire dans la théologie et la philosophie, ni dans l
456 oduit et ne saurait se produire dans la théologie et la philosophie, ni dans les lettres. Mais cette disparité n’a rien de
457 t, tout au contraire : elle accroît la séparation et les distances entre le savoir et le croire, entre ces deux aspects de
458 ît la séparation et les distances entre le savoir et le croire, entre ces deux aspects de la personne totale, jadis but et
459 ces deux aspects de la personne totale, jadis but et module de tout l’effort de l’Université au plein sens de son nom (Uni
460 l ne comprendrait pas de quoi parle le physicien, et a fortiori ne saurait pas si le rapport entre les conclusions du phys
461 si le rapport entre les conclusions du physicien et la dogmatique de l’Église doit être estimé négatif, positif ou indiff
462 i sa démarche est conforme ou non à la théologie, et fort probablement ne s’en soucierait pas. Ainsi chacun va de son côté
463 s’en soucierait pas. Ainsi chacun va de son côté, et les représentants des disciplines diverses n’ont souvent plus guère e
464 de l’esprit, qui est différent. L’esprit humain, et particulièrement l’esprit européen, ne peut se résoudre à ce que les
465 ropéen, ne peut se résoudre à ce que les routines et l’utilité immédiate suffisent à justifier l’existence prospère d’une
466 existence prospère d’une entreprise de cet ordre, et refoulent les questions anxieuses dont je tente de me faire ici l’int
467 r traîne pour conséquence la division de l’esprit et l’accroissement de l’ignorance mutuelle entre les directions de la re
468 Les lévites administrent les rites… En fait, et aux yeux d’un observateur non prévenu, jugeant seulement sur ce qu’il
469 elle attire une foule croissante de travailleurs et de curieux. L’industrie et l’État, plus que jamais, ont besoin d’elle
470 ssante de travailleurs et de curieux. L’industrie et l’État, plus que jamais, ont besoin d’elle. Si elle est devenue trop
471 comme une frustration, comme une blessure intime, et comme une permanente insécurité. L’intellectuel européen d’aujourd’hu
472 question, radicalement, par d’autres disciplines, et qui ne peuvent défendre leur « vérité » qu’en se fermant méthodiqueme
473 le correspond à une forme schizoïde de la pensée, et conduit à un scepticisme croissant quant aux fins dernières de la rec
474 roissant quant aux fins dernières de la recherche et quant à la valeur globale, ultime, du savoir humain. Dans le Temple m
475 aux fins de leur religion, administrent les rites et donnent leurs cours… Mais quel dieu servent-ils encore ? À quelle id
476 uve qu’une sorte de monstre, assemblage de pièces et de morceaux que seuls les vêtements tiendraient ensemble, ou la force
477 cohérence organique, point de structure osseuse, et très peu d’articulations… Au vrai, il est devenu presque impossible d
478 sque impossible de répondre à une telle question, et c’est pourquoi sans doute on la pose si rarement. Notre enseignement
479 ignement vise-t-il à former des personnes réelles et complètes, ou seulement de futurs professionnels ? Des sages capables
480 essionnels ? Des sages capables de penser, d’agir et de créer en harmonie, ou seulement des producteurs plus efficaces, c’
481 stions débordent le seul domaine de l’Université, et qu’elles affectent tout l’ensemble de la culture européenne. Mais c’e
482 mer viennent au contact de la culture européenne, et c’est là qu’ils se posent à eux-mêmes ces questions, et nous les pose
483 st là qu’ils se posent à eux-mêmes ces questions, et nous les posent avec une insistance gênante — car nous voici de moins
484 s pour y répondre. Le problème qu’on soulève ici, et qui est celui du principe de cohérence de notre civilisation, me para
485 venture d’un développement autonome de la science et des arts, d’une séparation, voire d’une opposition entre le sacré et
486 séparation, voire d’une opposition entre le sacré et le profane, entre la cohérence globale définie par la théologie et le
487 tre la cohérence globale définie par la théologie et les recherches particulières à l’aventure, advienne que pourra, et qu
488 particulières à l’aventure, advienne que pourra, et qu’on trouve ce que l’on trouvera, que cela soit compatible ou non av
489 nde communément admise. La pluralité des sciences et la multiplicité des disciplines spécialisées provient chez nous de la
490 chez nous de la sécularisation de la philosophie et de la recherche qui s’est manifestée bien avant la Renaissance, proba
491 autant que l’on sache, dans les cultures sacrées et homogènes de l’Asie brahmanique ou bouddhiste, de l’Afrique noire anc
492 ce sens que sagesse spirituelle, science ethnique et esthétique, sont réglées par les mêmes lois et ne connaissent pas de
493 ue et esthétique, sont réglées par les mêmes lois et ne connaissent pas de développements particuliers et divergents. L’or
494 ne connaissent pas de développements particuliers et divergents. L’originalité, pour elles, n’est pas vertu, mais atteinte
495 taires du xxe siècle, dominées par l’explication et la programmation universelles que figure le marxisme-léninisme (ou, a
496 , sans cesse perdue de vue ou remise en question. Et quand les hommes nourris de cultures différentes viennent nous poser
497 iennent nous poser leurs grandes questions naïves et pénétrantes : pourquoi l’Europe a-t-elle fait les machines ? Pourquoi
498 accroître la productivité plutôt que la sagesse ? et à contrôler la matière plutôt que vos passions et vos désirs ? Bien p
499 et à contrôler la matière plutôt que vos passions et vos désirs ? Bien peu d’entre nous sont capables de donner une répons
500 faisante. Le spécialiste se récuse méthodiquement et met dans ce refus tout son sérieux. Et je vois peu de généralistes qu
501 odiquement et met dans ce refus tout son sérieux. Et je vois peu de généralistes qui aient osé relever, par exemple, la re
502 ation (reconnaissance de la réalité de la matière et du corps, où Dieu se manifeste) et le développement des sciences phys
503 de la matière et du corps, où Dieu se manifeste) et le développement des sciences physiques et naturelles dans l’Occident
504 feste) et le développement des sciences physiques et naturelles dans l’Occident christianisé — alors qu’il est clair qu’un
505 qu’il est clair qu’une Asie qui tenait la matière et le corps pour essentiellement illusoires n’allait pas perdre à leur é
506 rtement. Je reprends ici mon exemple du physicien et du théologien. Pour répondre à l’hindou qui interroge l’Occident sur
507 obsession de l’Histoire, du Temps, de l’Évolution et du Progrès, il faudrait que le théologien soit capable de se référer
508 capable de se référer non seulement aux conciles et aux textes sacrés, mais aux fondements de la doctrine physique du Tem
509 t déjà depuis un siècle sur le principe de Carnot et Clausius sur la dégradation de l’énergie, la « flèche du temps » et l
510 dégradation de l’énergie, la « flèche du temps » et l’entropie, notions de base qui ont une portée métaphysique indiscuta
511 ase qui ont une portée métaphysique indiscutable. Et il faudrait que les physiciens qui en discutent sachent que la dialec
512 leurs problèmes actuels sur le temps, la matière et sa constitution, est étrangement homologue à celle des grandes querel
513 éologiques de Nicée, de l’augustinisme, de Luther et du jansénisme. Je m’excuse de traiter par allusions rapides, peut-êtr
514 de qu’elle a réveillé, dans le désordre spirituel et dans l’incohérence babélique de ses spécialités sans communication, e
515 babélique de ses spécialités sans communication, et de la pluralité de ses recherches sans références à un langage commun
516 ule l’a posé dans l’histoire, c’est celui de l’Un et du Divers également réels et valables, dont le problème des relations
517 c’est celui de l’Un et du Divers également réels et valables, dont le problème des relations entre savoirs spécialisés et
518 problème des relations entre savoirs spécialisés et synthèse de nos connaissances n’est guère qu’un cas particulier. Le p
519 non unitaire, que je tiens pour la seule possible et désirable. Comment résoudre ce problème dans le cadre qui nous intére
520 um generale, aux étudiants de toutes les facultés et instituts spécialisés. Je n’y crois pas. La presque totalité des expé
521 ntées dans cette intention si louable ont échoué, et les raisons de ces échecs répétés me paraissent assez évidentes. La
522 sion géométrique, ait la moindre chance de succès et l’éducation permanente qu’on nous propose, qui s’étendrait du berceau
523 e carrière de brillant vulgarisateur scientifique et une spécialisation qui lui vaudrait sans doute le prix Nobel, mais au
524 libre du corps. On peut l’évaluer à son prix réel et trouver celui-ci exorbitant : perdre de vue l’ensemble humain est une
525 s, dus à la spécialisation, ne combleront jamais, et toujours moins. C’est gagner le monde par petits bouts au prix de son
526 igner à un nombre toujours plus grand d’étudiants et de futurs enseignants. Puisqu’on ne peut chercher de solution en arri
527 nexes mais souvent très distantes, ou plus vastes et plus englobantes. Dans bien des cas célèbres, c’est l’avant-garde de
528 rtitudes admises, débouche sur le domaine du rêve et des symboles et fonde la psychanalyse. Un ethnologue, spécialisé dans
529 , débouche sur le domaine du rêve et des symboles et fonde la psychanalyse. Un ethnologue, spécialisé dans l’étude de la «
530 tion de l’inceste ; cependant que des biologistes et des électroniciens puisent dans la même théorie saussurienne les schè
531 nne stricto sensu du cosmos est trop étriquée » ; et que la physique de demain risque de se trouver obligée d’entrer dans
532 bases d’une science beaucoup plus compréhensive. Et chacun sait que c’est en poussant l’exigence de l’analyse jusqu’aux a
533 ont créé la science nucléaire : or, les impasses et les paralogismes qu’ils y rencontrent semblent les confronter désorma
534 taphysiques. Je ne l’imagine pas : je les écoute, et plusieurs d’entre eux l’ont écrit. Carrefours de vérités Une ph
535 s du Ciel, elles n’apparaîtront pas objectivement et comme spontanément au terme d’une comparaison systématique des résult
536 saisies par l’esprit dans leur mouvement, rythme et structure dynamiques autant que dans leurs implications jusqu’alors i
537 synthèse qu’exige l’état présent de notre culture et de nos universités, devrait d’abord être confiée à des groupes de che
538  carrefours de vérités hétérogènes » sur lesquels et à partir desquels l’esprit de synthèse pourrait s’exercer. Le nombre
539 la conversation, l’échange spontané de questions et de réponses, le dialogue en un mot, et il exclut l’intervention monol
540 questions et de réponses, le dialogue en un mot, et il exclut l’intervention monologante sous forme de discours. Ce détai
541 ynthèses imaginables existent déjà en puissance — et pas non plus qu’elle s’inscrive devant nous, sur quelque carte perfor
542 nstamment alerté de leurs corrélations virtuelles et de la fécondité de leurs interférences. Ces hommes seront d’abord des
543 nces. Ces hommes seront d’abord des spécialistes, et qui prouveront leur excellence en tant que tels par le fait même qu’i
544 n de sauver la qualité des universités existantes et leur efficacité pédagogique, menacées l’une et l’autre par des facteu
545 es et leur efficacité pédagogique, menacées l’une et l’autre par des facteurs quantitatifs irréversibles, serait de multip
546 ptima que votre Conférence se préoccupe d’établir et que proposent avec beaucoup de sagesse, me semble-t-il, les rapports
547 elles, condition de toute existence communautaire et de tout bon travail en commun, l’on sera conduit à préférer la multip
548 tés à la multiplication des facultés, des chaires et des postes d’assistants dans les déjà trop grandes universités. L’adj
549 e belge Léo Moulin, sous le titre d’indice Nobel, et qui se fonde sur le nombre de prix Nobel de sciences par million d’ha
550 la Suisse, le Danemark, l’Autriche, les Pays-Bas et la Suède, tandis que les plus grands pays comme les États-Unis et l’U
551 dis que les plus grands pays comme les États-Unis et l’URSS viennent loin derrière, ou même en queue de liste. Je n’en dis
552 e vous proposer des conclusions plus personnelles et plus précises, qui vous apparaîtront peut-être comme un rêve, mais ri
553 ais pas trop loin d’une ville de moyenne grandeur et de vie culturelle et sociale animée, une ou deux-centaines de maisons
554 ne ville de moyenne grandeur et de vie culturelle et sociale animée, une ou deux-centaines de maisons familiales dispersée
555 deux-centaines de maisons familiales dispersées, et un centre de type villageois : hôtels, auberges, marché, boutiques, c
556 , un groupe de bâtiments contient la bibliothèque et les salles de colloques. La commune, gouvernée par le recteur, jouit
557 parlais tout à l’heure : professeurs de tous âges et de toutes spécialités, et futurs professeurs déjà gradués, d’une part
558 rofesseurs de tous âges et de toutes spécialités, et futurs professeurs déjà gradués, d’une part ; responsables des domain
559 es les plus variés de la vie publique, économique et sociale, d’autre part. Condition générale d’admission : avoir prouvé
560 au moins du savoir, ou de la vie professionnelle, et démontrer d’une manière convaincante qu’on éprouve l’impérieux désir
561 nner une conférence, le soir, c’est à ses risques et périls : toute déclaration publique est obligatoirement suivie d’une
562 tique mutuelle. Deux meneurs de jeu par colloque, et ils ne peuvent appartenir à la même spécialité. Faire le monde
563 rtenir à la même spécialité. Faire le monde Et quant au contenu : seuls sont portés au programme les sujets par esse
564 our ma part, je serais heureux de pouvoir étudier et discuter, si j’étais jugé digne de participer aux activités de la com
565 des cultures, notamment de la culture européenne, et la logique ou les contradictions de leur développement dans la vie pu
566 ctions de leur développement dans la vie publique et privée de l’unité culturelle en question. Le problème des possibles c
567 roblème des possibles convergences entre l’Orient et l’Occident, c’est-à-dire entre la sagesse et la puissance créatrice,
568 ient et l’Occident, c’est-à-dire entre la sagesse et la puissance créatrice, formerait un centre particulier d’attention.
569 eraction des disciplines dans l’histoire ancienne et récente de l’Europe. Dans quelle mesure et sous quelles conditions le
570 cienne et récente de l’Europe. Dans quelle mesure et sous quelles conditions les inventions ou découvertes de la science e
571 tions les inventions ou découvertes de la science et des arts sont-elles apparues ? Part de la gratuité, de la nécessité,
572 tion débridée, de la foi, du doute, de la méthode et des contingences dans les progrès de la connaissance en Occident. 3.
573 individuel, de santé mentale, de beauté du milieu et de paix des disciplines farouches qu’imposent à la majorité de nos co
574 ns les impératifs de la croissance de production, et de l’aide aux sous-développés ? 4. Possibilités d’un langage universe
575 d’un langage universel, fondé sur la cybernétique et sur la sémiologie de Saussure. Recherche générale de procédés de tran
576 e translation des méthodes, démarches spécifiques et résultats des diverses branches du savoir. Limites d’un tel langage,
577 ses branches du savoir. Limites d’un tel langage, et comment y suppléer par les arts. 5. Européologie. Il existe dans la p
578 prudence, l’unification de leurs mesures sociales et la coordination de leurs politiques économiques. Ce qui nous manque e
579 ant aux relations entre un tel Centre de synthèse et les universités existantes, on les imaginera sans peine. L’introducti
580 aucoup de professeurs à cet institut de recyclage et de remise en question générale, et c’est aussi ce que nous attendons
581 t de recyclage et de remise en question générale, et c’est aussi ce que nous attendons tous de nos vacances. Après un an,
582 ’un langage commun aux sciences exactes, aux arts et à la théologie, ainsi Descartes dès 1625, puis Leibniz et son Ars Com
583 théologie, ainsi Descartes dès 1625, puis Leibniz et son Ars Combinatoria. Mais surtout, et c’est la conclusion que je sou
584 is Leibniz et son Ars Combinatoria. Mais surtout, et c’est la conclusion que je souhaite que vous tiriez de mes propos, ce
585 versité, qui est la formule de notre grand passé, et de notre avenir, intégré, le seul possible. L’Europe, c’est très peu
586 multipliées par une culture qui a fait le Monde, et qui doit aujourd’hui, plus que jamais, faire des hommes. 3. Je n’i
587 e muettes trop de réalités précieuses, affectives et personnelles, essentielles au sens de nos vies. aa. Rougemont Denis
588 ittéraire), Lausanne, 19–20 septembre 1964, p. 19 et 21.
20 1965, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Un écrivain suisse (20-21 mars 1965)
589 oint de grands centres ni de marché intellectuel, et surtout point de langue que ces patries aient en commun, semble inter
590 s’illustrer d’une manière exemplaire dans l’œuvre et la carrière de Carl Burckhardt. C’est qu’il est l’un de ceux, très ra
591 ersonne, le style, la formule créatrice résultent et se composent, précisément, de cette pluralité des données culturelles
592 tion humaniste où se mêlent intimement germanisme et latinité, esprit de la cité et cosmopolitisme, et qui rend plus sensi
593 imement germanisme et latinité, esprit de la cité et cosmopolitisme, et qui rend plus sensibles à l’oreille intérieure les
594 et latinité, esprit de la cité et cosmopolitisme, et qui rend plus sensibles à l’oreille intérieure les arythmies annoncia
595 ices d’accidents du cœur de l’Europe. La pensée et l’action Peu de carrières ont connu tant d’alternances de périodes
596 ont connu tant d’alternances de périodes d’action et de médiation. Tantôt écrivain libre ou professeur ; historien des gra
597 g ; enfin mémorialiste d’événements qu’il a vécus et qu’il avait prévus. Burckhardt est le type même de l’écrivain qui ne
598 passion de la lucidité. Son expérience des hommes et de l’irrationnel qui conduit leurs affaires au pire a certes confirmé
599 es au pire a certes confirmé son pessimisme inné, et sa profonde méfiance à l’endroit de ce qui vient, de notre monde mode
600 erne en général, mais son goût puissant de la vie et son sens du service de la cité n’ont cessé de le ramener aux grands p
601 s par toutes leurs fibres aux traditions civiques et culturelles des Suisses. Voilà qui suffira peut-être à justifier l’ex
602 si un conteur fascinant, un humoriste redoutable, et un grand chasseur de chamois.) ab. Rougemont Denis de, « Un écriv
21 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Stampa, vieux village… (15-16 janvier 1966)
603 il y revenait souvent, voir sa très vieille mère et travailler dans l’atelier qui avait été celui de son père. Il y est m
604 , ailleurs, au Flore, chez Lipp, depuis vingt ans et plus qu’on se rencontrait, je ne l’avais jamais vu dans sa réalité et
605 contrait, je ne l’avais jamais vu dans sa réalité et nous n’avions presque rien dit qui vaille entre deux hommes. Mais ce
606 jour-là, il triturait une mince colonne de terre et se plaignait — « c’est l’enfer ! », disait-il. De la matière fuyait e
607 De la matière fuyait entre ses doigts, s’effilait et refusait de remplir le volume normal d’un corps, d’une tête. « Cela s
608 e normal d’un corps, d’une tête. « Cela s’allonge et s’amincit par une poussée irrésistible de bas en haut, rien à faire,
609 ue moi… » Là-dessus des théories bien saugrenues, et nous sommes allés prendre un verre sur la terrasse du Café de la Post
610 sur la Suisse, c’était la raison de mon passage, et nous avons parlé de notre pays, fraternisé dans un éloge immodéré de
611 nisé dans un éloge immodéré de ses aspects variés et insolites, de l’Appenzell où Alberto avait fait son service et gagné
612 de l’Appenzell où Alberto avait fait son service et gagné un galon de bon tireur — moi aussi, je l’ai eu ! m’écriai-je —
613 ’ai eu ! m’écriai-je — jusqu’à Soglio tout proche et ses palais alpestres. Et quel paysage autour de nous ! Le clocher aig
614 squ’à Soglio tout proche et ses palais alpestres. Et quel paysage autour de nous ! Le clocher aigu de l’église ; de maigre
615 maigres peupliers noueux sur des pentes bosselées et semées de rochers, et tout en haut les futs très effilés du Piz Duan,
616 ux sur des pentes bosselées et semées de rochers, et tout en haut les futs très effilés du Piz Duan, des pics de la Sciora
617 s pics de la Sciora. Volcaniques ? Oui, bien sûr, et le père d’Alberto aimait à le conduire sur ces pentes désertes, au pi
618 entir derrière l’œuvre, accident du génie humain, et ces accidents telluriques, une même poussée profonde, une même loi de
22 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). André Breton à New York (8-9 octobre 1966)
619 r : « La Voix de l’Amérique parle aux Français », et j’avais deux équipes d’« announcers » qui les lisaient en alternant l
620 nt de mourir), Lévi-Strauss, un des fils Pitoëff, et Breton. (Il avait trouvé ce moyen de gagner juste de quoi vivre sans
621 ir, nous rencontrer. « Ce sont de ces conneries ! Et que l’on expie ! » (Beaucoup de lui dans ces quelques mots.) Il m’arr
622 pposer de front : nos options politiques, morales et religieuses. Et nous voici bientôt dans l’euphorie de la contestation
623 : nos options politiques, morales et religieuses. Et nous voici bientôt dans l’euphorie de la contestation en convergence
624 e vouer sa vie durant aux manifestations visibles et officielles du christianisme, était un être religieux par excellence.
625 s, une adoration fascinée, une rébellion furieuse et permanente mais selon sa règle à lui, bien entendu, une rigueur folle
626 raits se faisant face de la mère Angélique Arnaud et de Marat : l’accord du jansénisme et du jacobinisme dans la vénératio
627 lique Arnaud et de Marat : l’accord du jansénisme et du jacobinisme dans la vénération de l’artisan lui semblait des plus
628 ombrageuse, celle qui réglait absolument sa vie, et des décrets d’excommunication peu prévisibles, à grands éclats de voi
629 de voix soudains, en rejetant la tête en arrière, et la victime disparaissait dans les ténèbres du dehors, éjectée, déjeté
630 gle très courtois, ou d’une épithète gouailleuse, et le disciple flatté hier encore au-delà de ses plus folles espérances,
631 n allait subitement dégonflé. (Combien de poètes, et plus encore de peintres, n’ont jamais pu vraiment s’approuver dans le
632 eur cœur, parce que Breton ne les avait pas admis et célébrés !) J’ai vu plus d’une scène de ce genre aux réunions du grou
633 genre aux réunions du groupe, d’ailleurs variable et quelque peu fortuit qu’avait reconstitué André Breton dès son arrivée
634 es arts, Max Ernst, Matta, Tanguy, parfois Masson et toujours « l’artiste-inventeur » Marcel Duchamp, père du pop art ving
635 y voyait aussi quelques poètes, des ethnographes, et quelques jeunes femmes assez fantasques qu’on eût dit nées des comédi
636 rrasses de café, une ou deux soirées par semaine, et l’on se livrait avec beaucoup de sérieux à des jeux d’écriture ou de
637 une exposition, ou une vitrine (Breton, Seligmann et Duchamp signèrent celle qui annonçait ma Part du diable ). J’allais
638 u’il venait de recopier d’une belle écriture sage et d’orner de fleurs au crayon de couleur. Fourier était alors son nouve
639 pour m’en lire des chapitres décrivant le travail et les plaisirs « réglés » des ouvriers, de l’utopie phalanstérienne. On
640 , écrira-t-il dans Arcane 17, deux ans plus tard, et il poursuit : « À travers leurs outrances et tout ce qui procède chez
641 ard, et il poursuit : « À travers leurs outrances et tout ce qui procède chez eux de la griserie imaginative, on ne peut r
642 s bibliothèques ; il n’en crut rien, visiblement, et avec raison : son Augustin à lui était sans nul rapport avec celui qu
643 de Madison Avenue déserte, vingt étages à gauche et à droite, je me trouve soudain devant Breton, qui marche lentement à
644 t-il, à la religion qu’il faut absolument fonder, et pourquoi ne pas la fonder sur le culte d’une pierre bleue ? » Chan
645 le (« la beauté sera convulsive ou ne sera pas ») et la régler jusqu’au moindre soupir. Autoritaire et libertaire, anarchi
646 et la régler jusqu’au moindre soupir. Autoritaire et libertaire, anarchiste et sacerdotal, rhéteur de la révolte et précie
647 dre soupir. Autoritaire et libertaire, anarchiste et sacerdotal, rhéteur de la révolte et précieux ajusteur de mallarméens
648 , anarchiste et sacerdotal, rhéteur de la révolte et précieux ajusteur de mallarméens bibelots, entre le délire et l’extrê
649 ajusteur de mallarméens bibelots, entre le délire et l’extrême rigueur il n’a jamais cessé d’inventer un chemin qui ne pou
23 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Jacques Chenevière ou la précision des sentiments (22-23 octobre 1966)
650 Paris où l’on se hâte vers l’école ; le travail, et au fil des années, sa longue amitié souvent difficile. Des rires. Des
651 rires. Des jours aussi qui touchent à l’histoire. Et des adieux… Seules donc m’ont guidé — ou égaré — les subtiles connive
652 é — ou égaré — les subtiles connivences du hasard et du souvenir. Je cite ces phrases choisies dans un bref liminaire pou
653 i parle ce livre4 mais aussi comment il en parle. Et c’est cela qui nous intéresse : Jacques Chenevière, écrivain de race,
654 t sa mémoire elle-même qui est le sujet du livre, et comme son véritable auteur. Ces souvenirs ne seront donc pas faits de
655 s ne seront donc pas faits de dates, d’événements et de justifications, comme ceux d’un homme public, mais d’images curieu
656 n homme public, mais d’images curieusement fixées et restituées après un long développement intérieur (non sans certains r
657 là deux ou trois livres mêlés, peut-être quatre, et qui voudrait s’en plaindre ? (C’eût été bien mal vu des professeurs d
658 ouveau Roman.) Cette variété de styles, de thèmes et de registres me paraît ici nécessaire et signifiante. Comme la plupar
659 e thèmes et de registres me paraît ici nécessaire et signifiante. Comme la plupart des écrivains de notre pays — et très S
660 e. Comme la plupart des écrivains de notre pays — et très Suisse en cela du moins — Jacques Chenevière n’est pas « seuleme
661 philanthropique. (Ils ravissaient Valéry Larbaud, et c’est tout dire.) Cette suite d’une quarantaine de portraits-souvenir
662 quarantaine de portraits-souvenirs, de rencontres et de récits qui mettent en scène tantôt l’auteur (surtout dans sa jeune
663 scène tantôt l’auteur (surtout dans sa jeunesse, et jamais sans humour), tantôt des personnages de l’histoire politique e
664 ), tantôt des personnages de l’histoire politique et littéraire d’un passé proche, nous font passer et repasser sans trans
665 et littéraire d’un passé proche, nous font passer et repasser sans transition de la prose à la poésie, d’un salon de la Be
666 de la naissante Agence des prisonniers de guerre, et de l’évocation d’une adolescence parisienne à celle d’une inénarrable
667 ation comme volontaire cycliste en culotte Saumur et casquette de yachting dans l’armée suisse de 1914. Sans transition, m
668 : après une scène nocturne d’un comique insidieux et digne du modèle, où l’on voit Proust lunaire, distrait et intense à l
669 du modèle, où l’on voit Proust lunaire, distrait et intense à la fois, paraître au seuil d’un salon déserté, passé minuit
670 le monde des enfances, entre le monde des lettres et celui de l’action — et l’on dirait ici qu’un nouveau livre se propose
671 entre le monde des lettres et celui de l’action — et l’on dirait ici qu’un nouveau livre se propose — quelques événements
672 à travers un paysage où « l’orage de mai, proche et grondant de foudres mauves, laisse dans l’air un goût de silex » ; se
673 e des prisonniers Descriptions d’une mémoire ; et ce qu’elle a gardé, et qui revit en ce recueil, va devenir par la grâ
674 scriptions d’une mémoire ; et ce qu’elle a gardé, et qui revit en ce recueil, va devenir par la grâce d’un art très sûr un
675 er facilement, faites d’atmosphère, de sentiment, et d’un regard imaginant. Presque rien n’eût été enregistré par l’object
676 eût été enregistré par l’objectif (si bien nommé) et pourtant quelque chose s’est passé puisque en demeure dans le souveni
677 n fils » porte une enveloppe, en guise d’adresse. Et une autre : « À Gustave Adoré, Genève. » La marée monte de semaine en
678 vaillent bientôt. Un jour on annonce à Chenevière et l’on pilote vers lui entre les fichiers un monsieur « frêle et comme
679 e vers lui entre les fichiers un monsieur « frêle et comme frileux malgré un gros pardessus… Finesse d’un visage presque s
680 vous, Monsieur ? — N’importe quoi qui soit utile. Et dès aujourd’hui si vous voulez. » C’était Romain Rolland. Il venait d
681 lland. Il venait de publier Au-dessus de la Mêlée et vivait à Villeneuve, réaliste utopique, « en une sorte de sérénité me
682 en une sorte de sérénité meurtrie ». Mussolini et les raisins Plus tard, c’est à la veille de l’autre guerre mondial
683 nante prestesse. » Plusieurs chapitres ici ou là, et qui se multiplient vers la fin du recueil (mais souvent trop rapides
684 r, Émile Henriot, Edmond Jaloux, Valéry Larbaud ; et , plus lointains, quelques aînés, René Boylesve, Anna de Noailles, Mar
685 ardt dans sa loge, puis leurs rencontres à Genève et à Paris, sont décrites dans le registre d’un comique assez vif, mais
686 s de Copeau, de Ludmilla Pitoëff, d’Adolphe Appia et de Jaques-Dalcroze, pour lequel Chenevière a écrit le livret des Prem
687 nevière a écrit le livret des Premiers Souvenirs. Et le passage à Lausanne de Liane de Pougy — devenue mondiale et vraie p
688 e à Lausanne de Liane de Pougy — devenue mondiale et vraie princesse — est l’un des épisodes les plus proustiens du livre.
689 de Strasbourg où l’accueillent gentiment Mélanie et Pauline — comtesse de Pourtalès et princesse Metternich — dames d’ant
690 timent Mélanie et Pauline — comtesse de Pourtalès et princesse Metternich — dames d’antan, et qui furent de ces grandes co
691 ourtalès et princesse Metternich — dames d’antan, et qui furent de ces grandes corolles posées sur la prairie auprès de l’
692 tait juste au milieu de sa bouche grande, charnue et bien peinte », même s’il s’agit seulement des robes que leur composai
693 s… »), s’élève jusqu’au sublime dans la frivolité et touche aux ravissements d’une poésie pure. Quels sont les secrets de
694 rets de l’écriture qui anime ainsi tant d’images, et si variées ? Allons les rechercher dans les enfances et surtout les a
695 variées ? Allons les rechercher dans les enfances et surtout les adolescences du poète, qui sont triples : l’élocution bie
696 éliée du Parisien, la chaleur drôle du Méridional et la retenue parfois un peu rêveuse du Genevois, voilà de quoi se fait
697 igu, documenté jusqu’au dernier bouton de guêtre, et les ellipses un peu nippones des plus récents recueils de Jacques Cha
698 me son temps avec plus de tendresse, de scrupules et d’humour, et qui, pour moins griffer, d’autant mieux charme. Aux jeun
699 avec plus de tendresse, de scrupules et d’humour, et qui, pour moins griffer, d’autant mieux charme. Aux jeunes gens et je
700 s griffer, d’autant mieux charme. Aux jeunes gens et jeunes filles d’aujourd’hui, j’aimerais dire qu’un tel livre transmet
701 e, comique ou émouvant, qui est avec le mouvement et l’allure de la phrase, le sérieux de la littérature. Et tout le reste
702 llure de la phrase, le sérieux de la littérature. Et tout le reste est linguistique, dirait Verlaine s’il revenait parmi n
703 Verlaine s’il revenait parmi nous. 4. Retours et images, Éditions Rencontre. ae. Rougemont Denis de, « Jacques Chene
704 littéraire), Lausanne, 22–23 octobre 1966, p. 27 et 30.
24 1967, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). J. Robert Oppenheimer (25 février 1967)
705 les mieux calculées dans leur opération physique et les moins calculables dans leur retentissement humain, marquant ainsi
706 leils », cet homme était d’Europe par les mesures et les affinités de sa pensée, mais il me donnait l’impression de représ
707 ture délicate allongée, le large regard rayonnant et ce sens mystique étranger à toute espèce de religion des prêtres. « N
708 vé un sonnet en français : il l’écrivit au réveil et le publia dans la petite revue de poésie d’avant-garde The Hound and
709 té, il voyait tout, pensait à tout pour ses amis, et savait écouter comme personne, tout en vous enveloppant d’un regard b
25 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Entretien avec Denis de Rougemont (6-7 avril 1968)
710 mps : à proximité, le regard rencontre les champs et les arbres de la campagne genevoise ; à cinq minutes, cependant, vous
711 ur le monde. Pendant que j’écoutais la voix calme et lucide de Denis de Rougemont parler de l’Europe, de la personne, du l
712 Sur l’Automne 1932 , qui joint Paysan du Danube et Journal d’un intellectuel en chômage . Ce texte reflète un point-cha
713 . Ce texte reflète un point-charnière dans ma vie et mes préoccupations. C’est à ce moment-là, en effet, qu’avec plusieurs
714 rappés par l’anarchie des pays dits démocratiques et par les réactions massives des pays totalitaires. Nous décelions égal
715 Gaulle. À cette époque, l’opposition du fascisme et de la démocratie, pour des jeunes gens qui voulaient faire la révolut
716 ctature de l’État, telle que l’incarnaient Hitler et Mussolini. Quels furent, au niveau des faits, les éléments importants
717 nd de Pury, Albert-Marie Schmidt. Les théologiens et philosophes qui nourrissaient notre pensée étaient Karl Barth, Kierke
718 ent notre pensée étaient Karl Barth, Kierkegaard, et Heidegger que Corbin commençait à traduire. En ce qui concerne L’Ordr
719 veau où je retrouvais Arnaud Dandieu, Robert Aron et Alexandre Marc, le mouvement était d’inspiration proudhonienne, avec
720 ultures, en faisant connaître, par exemple, Barth et Heidegger à un public français qui ne les connaissait pas. Pour marqu
721 plus de méfiance pour les réalités scientifiques et techniques, qui nous intéressaient, à Hic et Nunc ai, comme moyens
722 e dans ces journaux, qui ne sont pas des mémoires et se tiennent à égale distance de la chronique et du journal intime, s’
723 s et se tiennent à égale distance de la chronique et du journal intime, s’exprime l’évolution d’une sensibilité européenne
724 rançais, je me suis nourri de Goethe, de Novalis, et de Hölderlin que les jeunes Français ne connaissaient pas. On peut d’
725 usieurs écrivains suisses romands ; pensez à Roud et Jaccottet. Il existe un filon de romantisme allemand qui nous est trè
726 n de romantisme allemand qui nous est très proche et , chose curieuse, la langue ne constitue pas un barrage. J’ai d’ailleu
727 tisme. Rien de tout cela n’a les mêmes frontières et il se produit là un jeu complexe d’exclusions et d’inclusions, qui s’
728 et il se produit là un jeu complexe d’exclusions et d’inclusions, qui s’oppose d’une manière systématique à toute idée de
729 xe siècle. Je vois l’homme à la fois cosmopolite et enraciné. Je n’ai jamais senti la moindre gêne à être d’un pays où j’
730 moindre gêne à être d’un pays où j’ai des racines et à me sentir européen. La seule chose inadmissible est d’être enfermé
731 me… » Cette tension entre la personne qui se crée et l’époque qu’elle vit n’est-elle pas la caractéristique fondamentale d
732 pas la caractéristique fondamentale de votre vie et de votre œuvre ? Certainement, et c’est un mouvement qui se retrouve
733 le de votre vie et de votre œuvre ? Certainement, et c’est un mouvement qui se retrouve à tous les niveaux. Je pense qu’il
734 l’exigence spécifique, singulière, d’une vocation et l’exigence communautaire. Dès 1932, je définissais la personne comme
735 l’individu que sa vocation distingue de la masse et relie à la communauté. Maintenir dans sa pensée deux réalités antinom
736 pensée deux réalités antinomiques, valables l’une et l’autre, telle est pour moi la formule de base du fédéralisme. Mainte
737 e. Maintenir les contraires, sans les subordonner et sans les confondre ; ni séparation ni confusion. Dans cette perspecti
738 ême esprit, à la nécessité conjointe de la pensée et de l’action ; « penser avec les mains » ou, comme je l’écris dans Jo
739 re tout imprégné de la sagesse, à la fois moderne et profonde, d’un maître authentique. Mais la réalité reprend vite ses d
26 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il faut réinventer l’Université (29 juin 1968)
740 x », c’est-à-dire puissent paraître « nouveaux », et ne correspondent pas à un poste du budget courant. Ce « réalisme » co
741 evient urgence (peut-être même est-il trop tard), et chacun d’affirmer qu’il l’avait toujours dit… Sans plus de précaution
742 l l’avait toujours dit… Sans plus de précautions, et pour faire court, je condenserai en quelques thèses des réflexions pa
743 t-ce que l’Université ? À sa naissance, aux xiie et xiiie siècles, c’est une commune autonome, qui assure sa propre poli
744 une commune autonome, qui assure sa propre police et s’administre elle-même. Elle est formée par la totalité (universitas)
745 formée par la totalité (universitas) des maîtres et des élèves, et en même temps elle représente la totalité des savoirs
746 totalité (universitas) des maîtres et des élèves, et en même temps elle représente la totalité des savoirs acquis et des r
747 ps elle représente la totalité des savoirs acquis et des recherches en cours (universitas scientiarum). Au sein de cette c
748 ont débattues selon la méthode scolastique du sic et non (le débat des pour et des contre) mise à la mode par le maître à
749 hode scolastique du sic et non (le débat des pour et des contre) mise à la mode par le maître à penser des jeunes gens de
750 est donc la disputatio, confrontation permanente et contestation méthodique, portant sur les fondements mêmes, théologiqu
751 es fondements mêmes, théologiques, philosophiques et juridiques, de la société. À côté de cela et avant cela (propédeutiqu
752 ques et juridiques, de la société. À côté de cela et avant cela (propédeutique) on enseigne les « arts libéraux », lettres
753 tique) on enseigne les « arts libéraux », lettres et sciences nécessaires aux professions dites libérales. (Quelques champ
754 ales. (Quelques champions étudient les sept arts, et réussissent à tout savoir.) En fonction d’un certain sens de la vie
755 ans une même ville, leurs services administratifs et leur dépendance financière d’un même État. À part cela, elles n’ont p
756 e ensemble. 3. L’Université au vrai sens du terme et les écoles professionnelles ou facultés ont des finalités différentes
757 t préparer à juger, évaluer, orienter les esprits et les activités : elle aurait pour fonction de chercher et de dire le S
758 activités : elle aurait pour fonction de chercher et de dire le Sens de la société. Il se pourrait qu’au nom du Sens, elle
759 r pour en vivre n’a que faire de la contestation. Et celui qui entend contester la société n’a que faire d’une « étude des
760 nelle ou faculté doit donc précéder l’Université, et l’une ne peut se désintéresser des problèmes de l’autre. 7. Je propo
761 oise du fédéralisme : « La rencontre de l’oreille et des bruits. » Définition courante en Suisse mais fausse : le micronat
762 cantonal, ne consiste pas à vouloir tout partout et à tout prix, mais à répartir les activités selon leurs dimensions aux
763 versités ? Question universitaire par excellence, et qui définit même la fonction spécifique de l’Université : une école,
764 savoir (recherches au-delà de l’usage prévisible et sans tenir compte des « besoins de l’économie »), d’autre part pour o
765 -dire formuler ses options fondamentales, évaluer et rénover sans cesse ses principes communautaires et ses finalités. 11.
766 t rénover sans cesse ses principes communautaires et ses finalités. 11. L’Université doit donc comprendre deux genres ou o
767 d’activité distincts mais reliés : les recherches et la contestation. Dans l’un, on poussera les spécialisations au plus h
768 en question de chaque discipline par les autres ( et c’est ce qu’on peut nommer : recherche interdisciplinaire). 12. Les d
769 maître. Ces groupes pouvant se combiner librement et de manières variables, en départements, selon la nature des recherche
770 rches inédites qu’un maître est en train de faire et qui peuvent intéresser beaucoup d’étudiants. Une fois la recherche te
771 ucoup d’étudiants. Une fois la recherche terminée et « enseignée » une ou deux fois, on remplacera le cours par des groupe
772 des groupes de discussion sur le texte polycopié et plus tard, publié. 14. Un professeur ne devrait pas être et avoir été
773 rd, publié. 14. Un professeur ne devrait pas être et avoir été seulement professeur. Il ne devrait pas être jugé sur ses s
774 ur comme praticien, s’il enseigne dans une école, et comme créateur intellectuel, s’il enseigne dans une Université. 15. L
775 s moyens au niveau national (voire international) et dans un seul lieu, s’impose donc. Au contraire, les recherches interd
776 ines) sont peu coûteuses, demandent peu d’espace, et peuvent s’organiser n’importe où, à la campagne, dans un village ou d
777 une certaine mobilité des chercheurs, enseignants et étudiants est donc indispensable à la vie d’une Université digne du n
778 tension s’institue entre écoles professionnelles et Université. Ce qu’il faut redouter, c’est la subordination de la rech
779 ination de la recherche aux besoins de la société et notamment de son industrie. Car une société, de même qu’une science o
780 t les principes ne seraient pas remis en question et « contestés » par l’Université, dépérirait ou serait balayée. Tandis
781 société, donc privée de liberté dans la critique et de gratuité dans l’imagination, cesserait du même coup d’être une Uni
782 on, cesserait du même coup d’être une Université, et n’aurait plus qu’à disparaître. 17. Une Université digne du nom, dont
783 n Sens de la vie (à découvrir, assumer, critiquer et rénover sans relâche), redeviendrait immédiatement un pôle de créatio
784 , redeviendrait immédiatement un pôle de création et de rayonnement culturel. Ce que ne peuvent être, bien évidemment, ces
785 r bien (le micronationalisme cantonal, notamment) et ce qui fait croire que l’Université existe encore (routines, vanités,
786 ns elle, les écoles professionnelles, l’économie, et la société tout entière sont menacées de perdre le sens, en même temp
787 nt les 200 recteurs européens réunis à Göttingen, et publié par la Gazette littéraire, en novembre 1964. aj. Rougemont D
27 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’écrivain et l’événement (7-8 septembre 1968)
788 L’écrivain et l’événement (7-8 septembre 1968)ak J’ai longtemps réfléchi aux rap
789 ’ai longtemps réfléchi aux rapports de l’écrivain et de l’événement se définissant l’un par l’autre, se mettant l’un l’aut
790 pitre sur « l’engagement du clerc », sa nécessité et sa vanité, voire son ridicule toujours possible. Depuis ce temps loin
791 on sens tout le contraire : responsabilité pleine et entière — non seulement publiée mais assumée, non seulement frondeuse
792 ais assumée, non seulement frondeuse mais aimante et , à l’extrême, sacrificielle — d’une personne et de sa pensée en corps
793 e et, à l’extrême, sacrificielle — d’une personne et de sa pensée en corps à corps avec l’époque. « Présence au monde et à
794 corps à corps avec l’époque. « Présence au monde et à soi-même conjointement », disais-je en 1932. Mais on a glissé depui
795 tôt poétique, si j’ose dire, moral, philosophique et religieux. De l’intime à l’ultime, il supposait un passage obligé par
796 imité, le prochain, c’est-à-dire la cité humaine, et ce passage était le lieu de l’engagement. Est-il encore praticable ?
797 ement dit : quelle peut être aujourd’hui, au fait et au prendre, la responsabilité de l’écrivain dans la cité ? ⁂ Responsa
798 ondre, sinon de son œuvre elle-même, de sa pensée et de son style ? C’est par son œuvre et non par quelque prise de positi
799 e sa pensée et de son style ? C’est par son œuvre et non par quelque prise de position occasionnelle face à l’événement hi
800 e concret vécu, il n’y a pas l’écrivain d’un côté et l’événement de l’autre, deux objets qu’on pourrait isoler, séparer ou
801 digne du nom qui ne soit par lui-même événement, et dont l’œuvre ne constitue une partie de la réalité qu’il croit décrir
802 ue de différents modes de relations entre l’œuvre et l’époque. Pour simplifier, je distinguerai trois types d’auteurs qui
803 apport à l’événement : le ludion, le contestateur et le prophète, que certains nomment l’utopiste. 1. Le ludion réagit pas
804 immergé en elle, il en révèle les courants locaux et superficiels ou profonds et en formation, sans essayer d’agir sur eux
805 e les courants locaux et superficiels ou profonds et en formation, sans essayer d’agir sur eux, soit qu’il n’en ait aucune
806 ns puissent même exister. La plupart des conteurs et romanciers du xixe et du xxe siècle peuvent être rangés dans cette
807 r. La plupart des conteurs et romanciers du xixe et du xxe siècle peuvent être rangés dans cette catégorie très vaste, d
808 m de Françoise Sagan, ludion des moods à la mode, et la limite supérieure par le nom de Franz Kafka, révélateur par l’ango
809 temps comme Fitzgerald, Morand, Moravia, Proust, et le T. S. Eliot du Waste Land, sans le témoignage desquels la société
810 ciété de l’époque n’eût pas eu son portrait tiré, et n’eût assumé devant l’Histoire son visage et son style, conditions de
811 iré, et n’eût assumé devant l’Histoire son visage et son style, conditions de l’événement. 2. Le contestateur réagit contr
812 nement. 2. Le contestateur réagit contre l’époque et l’événement par l’analyse impitoyable, la description partiale et sar
813 ar l’analyse impitoyable, la description partiale et sarcastique, le comique dévastant, le lyrisme vengeur, la muflerie dé
814 lerie délibérée ou la dignité offensée, activités et attitudes dominées par une volonté viscérale de refus et de négation
815 tudes dominées par une volonté viscérale de refus et de négation d’un certain type de société, ou de toute société humaine
816 e société humaine. On peut contester comme Érasme et Voltaire, ou comme d’Aubigné et Chesterton, mais aussi comme Kierkega
817 ster comme Érasme et Voltaire, ou comme d’Aubigné et Chesterton, mais aussi comme Kierkegaard ou Rozanov, Unamuno ou Gombr
818 alraux ou Silone, ou encore comme Becket, Ionesco et Cioran, c’est-à-dire par le style de pensée polémique, le style de fo
819 ypse, d’Eschyle à Dante, de Hölderlin à Nietzsche et à Rimbaud, mais c’est aussi toute l’imagination de la « vraie vie »,
820 l’imagination de la « vraie vie », de Thomas More et Tommaso Campanella à Swift, Rousseau et Saint-Simon, Fourier, Proudho
821 omas More et Tommaso Campanella à Swift, Rousseau et Saint-Simon, Fourier, Proudhon, Marx et Mao. Le prophète sent l’époqu
822 Rousseau et Saint-Simon, Fourier, Proudhon, Marx et Mao. Le prophète sent l’époque (bien mieux que le ludion) dans la mes
823 dicalement que le contestateur) mais s’il la juge et la refuse, c’est au nom d’une vision meilleure — qu’il annonce, illus
824 peut attendre de l’écrivain confronté à sa crise et à l’événement, c’est la donation d’une mesure, la création de formes,
825 d’une mesure, la création de formes, de concepts, et l’expression de modes de sentir qui donnent « un sens plus pur aux mo
826 onnent « un sens plus pur aux mots de la tribu », et instaurent ou restaurent une communauté. Cela comporte bien autre cho
827 des manifestes en faveur des victimes d’un régime et au nom d’un autre régime qui ferait pire s’il le pouvait. Cela compor
828 contester » du passé. Cela comporte aussi l’éloge et le chant, l’illustration d’une communauté et d’une autorité heureuse 
829 loge et le chant, l’illustration d’une communauté et d’une autorité heureuse : « Sur trois grandes saisons m’établissant a
830 ire de fondateur. Ce que l’écrivain doit au monde et à l’événement, c’est de les créer. Et ce qu’il faut attendre du meill
831 it au monde et à l’événement, c’est de les créer. Et ce qu’il faut attendre du meilleur écrivain, c’est qu’il fasse conver
832 évolte contre elle de tout homme qui se veut tel, et l’annonce admirable d’un monde équilibré. ak. Rougemont Denis de,
833 uilibré. ak. Rougemont Denis de, « L’écrivain et l’événement », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lausanne,
28 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Vers l’Europe des régions [Entretien]
834 jà existante. Je fais une distinction entre unité et union. L’unité existe ou n’existe pas. L’union est ce que l’on peut b
835 contacts organisés. Cette base commune de culture et de civilisation est la condition sine qua non d’une union économique
836 la condition sine qua non d’une union économique et politique. J’ai donc créé le Centre européen de la culture que je dir
837 omme la France, l’Espagne, l’Angleterre, l’Italie et même l’Allemagne fédérale, afin de faire repartir toute l’affaire eur
838 par sa Constitution ; l’Allemagne en 11 Länder ; et maintenant se dessine en France un grand mouvement qui vient d’être a
839 r l’économie, se définissent aussi par la culture et quelquefois par l’ethnie comme dans le cas de la Bretagne ou de la Ca
840 se fait pas, nous serons colonisés par le dollar et peut-être par une certaine idéologie marxiste — quoique cela soit moi
841 entralisation, grand nombre de jeunes sociologues et économistes français s’étant penchés sur ce problème. L’union mondial
842 e plus en plus les vrais centres de la production et de la vie intellectuelle et auront entre elles des liens de toutes na
843 tres de la production et de la vie intellectuelle et auront entre elles des liens de toutes natures. Elles constitueront d
844 responsabilité de l’Europe s’oppose aux racismes et aux guerres d’extermination de races. Les problèmes les plus importan
845 Il s’agit de transposer sur les plans économique et politique les conséquences des options philosophiques et religieuses
846 tique les conséquences des options philosophiques et religieuses que l’on croit justes. al. Rougemont Denis de, « [Entr
847 25. am. Propos recueillis par Anouchka von Heuer et Christian Roux-Petel. Cet entretien, qui prend ici la forme d’un long
848 ng propos rapporté, non d’un échange de questions et de réponses, est introduit par le chapeau suivant : « Les récents pou
849 l’activité de Denis de Rougemont dans ce domaine, et son point de vue recueilli lors d’une interview. Denis de Rougemont s
850 par d’éminents spécialistes en matière politique et culturelle. »
29 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Jean Paulhan (19-20 octobre 1968)
851 e tombeau de notre ami. Telle était notre attente et sa folle exigence ; en ce temps-là. Elle s’adressait à cela dans la l
852 out à fait évident que Paulhan détenait les clefs et les mesures. (Mais c’était justement ce qu’il cherchait, comme nous l
853 petits livres un peu trop parfaits par l’écriture et la logique, et son autorité se fondait ailleurs : dans le style de la
854 n peu trop parfaits par l’écriture et la logique, et son autorité se fondait ailleurs : dans le style de la NRF . Ce n’ét
855 ’eût pas été tout à fait le même sans sa présence et sans son attention. Il était à lui seul notre air de parenté, si diff
856 é dans cet emploi ce qu’il faut appeler du génie. Et le plus libéral qu’on puisse imaginer ! La presse, depuis vingt ans,
857 singularités (que d’autres nommeraient vocations) et il les respectait scrupuleusement, quitte à les provoquer ou débusque
858 — comme il lui arrivait de s’en poser à lui-même, et parfois d’y répondre par un opuscule. « Ah ! je suis bien déçu, me di
859 e façon de couper court aux confidences, plaintes et intrigues qui assiègent en permanence un directeur.) Chaque jour, d’u
860 collaborateurs de la revue : c’était toujours vif et pressant, et tout à trac ; comme la reprise d’un entretien interrompu
861 s de la revue : c’était toujours vif et pressant, et tout à trac ; comme la reprise d’un entretien interrompu par un coup
862 it à sa femme les lettres moins intimes. Germaine et Jean, dans ce petit bureau mansardé de la maison Gallimard, faisaient
863 nvita à la table des dieux. Valéry, Gide, Claudel et Saint-John Perse ! Étourdi de bonheur je répondis : Je n’ai pas vingt
864 di de bonheur je répondis : Je n’ai pas vingt ans et mon tiroir est vide, mais je verrai… Quelques années plus tard, me vo
865 nds yeux6. Mais c’est une voix étrangement légère et gaie, réchauffée par une pointe d’assent qui me lance, à peine passé
866 nous donner des textes ! » Me voici mis à l’aise, et mal à l’aise aussi. Un peu plus tard, il me confie, rêveur : « Comme
867 ngé.) Je l’ai surpris, notre dialogue s’est noué, et il se poursuivra dans plusieurs de mes livres, d’une manière que je s
868 manière de critiquer) après lecture du manuscrit, et je m’efforcerai d’y répondre. Toute la première moitié de Penser ave
869 pour moi le rôle du lecteur idéal dont on suppute et redoute les exigences, de l’interlocuteur invisible qui relit avec vo
870 mbe atomique , que j’écris « un œil sur l’Éternel et l’autre sur Jean Paulhan ». Ce qui m’engage à rapporter ces petits so
871 ’hui ? J’aurais aimé pouvoir parler de l’écrivain et pas seulement du grand patron en maïeutique de l’expression. Qu’on me
872 nait pour un pape, Lamartine pour un homme d’État et Barrès pour un général. Paul Valéry attend des Lettres ce qu’un philo
873 losophie : il veut connaître ce que peut l’homme. Et Gide, ce qu’il est. Il suffirait à Claudel de reformer sur les débris
874 d’une éthique nouvelle, qui se fonde sur le crime et la merveille. « La poésie, dit-il, a pour cela ses moyens, dont les h
875 estes de nous attendent une religion, une morale, et le sens de la vie enfin révélé. Il n’est pas une joie de l’esprit que
876 joie de l’esprit que les Lettres ne leur doivent. Et qui pourrait tolérer, se demande un jeune homme, de n’être pas écriva
877 leur endroit je ne sais quoi de libre, de joyeux et peut-être d’insensé, dont nous aurions perdu jusqu’au souvenir et à l
878 nsensé, dont nous aurions perdu jusqu’au souvenir et à l’idée. Mais non pas perdu tout à fait ni pour toujours, puisque c
879 puisque ce « je ne sais quoi de libre, de joyeux et peut-être d’insensé », c’est toute son œuvre, justement, qui nous en
880 n restitue mieux que l’idée : la présence fraîche et vivace. 6. Le communiqué de l’AFP annonçant sa mort, décrit Paulhan
881 a mort, décrit Paulhan comme « ce petit homme sec et ridé ». Tout le reste à l’avenant. La presse est allergique à tout ce
30 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Témoignage sur Bernard Barbey (7-8 février 1970)
882 évrier 1970)ao Je n’avais pas encore vingt ans et je lisais tout ce qui paraissait aux deux enseignes du plus sûr prest
883 haute époque littéraire : les Éditions de la NRF et les « Cahiers verts » de Grasset. Le Cœur gros — quel beau titre ! — 
884 ied du Jura qui avaient ému ma prime adolescence, et je me sentais touché, au double sens du mot, par la gloire naissante
885 e étrange harmonie entre le climat des sentiments et celui des campagnes désolées où il se développe. Paysages tristes et
886 nes désolées où il se développe. Paysages tristes et sans violence, autour de ces êtres dont la détresse est d’autant plus
887 . Une fois fermé le livre, on oublie son intrigue et la justesse de l’analyse pour ne plus évoquer que des visions où se c
888 avant l’orage, le rose sombre d’une joue brûlante et fraîche dans le vent. Dans La Maladère un arbre coupé découvrant le m
889 manoir perdu, des fumées sur un paysage d’hiver, et soudain, sous la lueur d’un incendie, deux visages tordus de passion.
890 Bernard Barbey qui explique leur éclipse injuste et provisoire, que les deux ou trois autres carrières qu’il a connues av
891 ur ceux qui savent — dans l’armée, la diplomatie, et la vie internationale L’écrivain suisse, presque toujours, fait presq
892 te l’état-major particulier d’un général en chef. Et , tôt après, sans transition, « promouvoir » la présence culturelle de
893 œuvre personnelle, avec une discrétion souriante et merveilleusement attentive. Que pouvait-on refuser à quelqu’un que l’
894 lui-même ? C’est sans nul doute à la très amicale et délicate insistance de Berne que je dois d’avoir écrit mes deux livre
895 , celle d’un ambassadeur de France, d’un général, et de l’un des plus jeunes élus de l’Académie. Mais là n’était pas son s
896 us de l’Académie. Mais là n’était pas son souci ! Et il nous suffisait, nous ses amis (mais avons-nous su le lui dire asse
897 la parfaite élégance du courage secret, du talent et de l’efficacité. C’est par des hommes de cette qualité que vaut la Su
898 dère (Grasset, Paris) », Bibliothèque universelle et Revue de Genève, Genève, février 1927, p. 265. ao. Rougemont Denis
899 Il s’agit de La Confédération helvétique (1953) et de La Suisse ou l’histoire d’un peuple heureux (1965)
31 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). La cité européenne (18-19 avril 1970)
900 té européenne (18-19 avril 1970)aq ar Mesdames et Messieurs, Je pense, avec Robert Schuman, qu’il est possible d’unir n
901 nt, en fait, à la culture. Unité non pas homogène et qui ne résulte pas d’un processus forcé d’uniformisation, de nivellem
902 processus forcé d’uniformisation, de nivellement et d’exclusion de ce qui diffère, mais qui au contraire englobe, et comp
903 de ce qui diffère, mais qui au contraire englobe, et compose largement, dans une communauté de plus en plus complexe au co
904 ovenant d’origines multiples, dont les contrastes et les combinaisons entretiennent des tensions renouvelées sans répit. E
905 ntretiennent des tensions renouvelées sans répit. Et de là vient l’irrépressible dynamisme qui a porté la civilisation eur
906 n mouvement, fût-ce contre nous, pour le meilleur et pour le pire. Et de là viennent aussi nos divisions mortelles, nos ef
907 ce contre nous, pour le meilleur et pour le pire. Et de là viennent aussi nos divisions mortelles, nos efforts pour les su
908 nter par le recours à des instances universelles, et toutes les créations qui ne cessent de jaillir de cette discorde perm
909 e l’unité européenne : « Ce qui s’oppose coopère, et de la lutte des contraires procède la plus belle harmonie. » ⁂ De ce
910 t bien être la loi constitutive de notre histoire et le ressort de notre pensée : l’antinomie de l’un et du divers, l’unit
911 le ressort de notre pensée : l’antinomie de l’un et du divers, l’unité dans la diversité, et la coexistence féconde des c
912 de l’un et du divers, l’unité dans la diversité, et la coexistence féconde des contraires. La Grèce invente la cité et la
913 féconde des contraires. La Grèce invente la cité et la fonde sur le paradoxe des citoyens à la fois libres et responsable
914 nde sur le paradoxe des citoyens à la fois libres et responsables, mais elle invente aussi l’analyse critique, elle la con
915 es conséquences, découvre ainsi l’idée de l’atome et celle de l’individu, d’où les excès de l’individualisme hellénistique
916 n réponse à ce défi de l’anarchie, invente l’État et les institutions centralisées : elle poussera l’ordre et la stabilité
917 institutions centralisées : elle poussera l’ordre et la stabilité dans l’uniformité universelle jusqu’à l’irrémédiable et
918 s l’uniformité universelle jusqu’à l’irrémédiable et dangereux ennui, jusqu’à ce vide de l’âme inoccupée qui appelle les t
919 vide de l’âme inoccupée qui appelle les tempêtes et les révolutions. Le christianisme apporte alors un troisième monde de
920 l conciliables avec celles de la sagesse grecque, et totalement contraires à celles de Rome. À la morale de la mesure et d
921 raires à celles de Rome. À la morale de la mesure et de la raison utilitaire, il oppose les élans de l’amour sans calcul,
922 lus, il porte la contradiction au cœur de l’être, et la traduit dans l’énoncé de ses dogmes fondamentaux : la Trinité tran
923 é transporte en Dieu lui-même le paradoxe de l’un et du divers, tandis que l’Incarnation porte à l’extrême la coexistence
924 de la personne de Jésus-Christ comme « vrai Dieu et vrai homme » à la fois, selon les formules conciliaires de Nicée et d
925 la fois, selon les formules conciliaires de Nicée et de Chalcédoine. ⁂ Or, ces valeurs grecques, romaines et chrétiennes q
926 Chalcédoine. ⁂ Or, ces valeurs grecques, romaines et chrétiennes qui se contredisent avec passion ne se détruisent pas pou
927 e l’histoire, dans la tradition, dans les livres, et dans l’inconscient collectif. Elles agissent toutes, sans exception,
928 c les trois sources classiques d’Athènes, de Rome et de Jérusalem, viennent confluer dans le haut Moyen Âge la source germ
929 fluer dans le haut Moyen Âge la source germanique et la source celtique, la première apportant notamment le droit communau
930 emière apportant notamment le droit communautaire et personnel, et les valeurs d’honneur et de fidélité, la seconde apport
931 nt notamment le droit communautaire et personnel, et les valeurs d’honneur et de fidélité, la seconde apportant le sens du
932 munautaire et personnel, et les valeurs d’honneur et de fidélité, la seconde apportant le sens du rêve et le grand thème d
933 de fidélité, la seconde apportant le sens du rêve et le grand thème de la quête aventureuse d’un Lancelot et d’un Perceval
934 grand thème de la quête aventureuse d’un Lancelot et d’un Perceval, symbole mystique. Faut-il enfin rappeler l’apport arab
935 sie amoureuse, donc de l’amour tel qu’on le parle et qu’on croit le sentir en Occident ; l’apport slave au xixe  ; l’art a
936 cident ; l’apport slave au xixe  ; l’art africain et le jazz nègre américain au xxe siècle ? ⁂ Tout cela dure, agit et vi
937 américain au xxe siècle ? ⁂ Tout cela dure, agit et vit en nous de mille manières. Tout cela se combine en figures et en
938 e mille manières. Tout cela se combine en figures et en structures variées à l’infini, mais dont la plus fréquente, de trè
939 st le couple d’antinomies inséparables : autorité et liberté, individualisme et collectivisme, tradition et innovation, dr
940 nséparables : autorité et liberté, individualisme et collectivisme, tradition et innovation, droite et gauche, Nord et Mid
941 berté, individualisme et collectivisme, tradition et innovation, droite et gauche, Nord et Midi, catholicisme et protestan
942 et collectivisme, tradition et innovation, droite et gauche, Nord et Midi, catholicisme et protestantisme, réformisme et r
943 , tradition et innovation, droite et gauche, Nord et Midi, catholicisme et protestantisme, réformisme et révolution, mythe
944 ion, droite et gauche, Nord et Midi, catholicisme et protestantisme, réformisme et révolution, mythe et science, hérésie c
945 Midi, catholicisme et protestantisme, réformisme et révolution, mythe et science, hérésie créatrice et saine doctrine, be
946 t protestantisme, réformisme et révolution, mythe et science, hérésie créatrice et saine doctrine, besoin de sécurité et g
947 t révolution, mythe et science, hérésie créatrice et saine doctrine, besoin de sécurité et goût du risque, conformité qui
948 e créatrice et saine doctrine, besoin de sécurité et goût du risque, conformité qui maintient les valeurs, originalité qui
949 intient les valeurs, originalité qui les conteste et les rénove. Tout cela préforme, dès avant notre naissance, nos sensib
950 orme, dès avant notre naissance, nos sensibilités et nos jugements moraux, nos réflexes sociaux et nos besoins économiques
951 tés et nos jugements moraux, nos réflexes sociaux et nos besoins économiques. Tout cela nous incite aussi à remettre en qu
952 aussi à remettre en question ces déterminations, et nous en fournit les moyens. Enfin tout cela dénote l’Europe comme pat
953 de la diversité. L’Européen moyen déclare parfois et pense toujours : « Quelle est ma raison d’être, si je suis comme tout
954 , si je suis comme tout le monde ? » À ses yeux — et cela peut servir à le définir — « se distinguer » ou « être distingué
955 dans la mesure précise où il doute qu’il le soit, et prétend au contraire s’identifier soit avec l’homme d’une seule natio
956 equel nous nous ressemblons tous, c’est notre mal et notre bien, il faut en prendre son parti, et c’est là-dessus qu’il fa
957 mal et notre bien, il faut en prendre son parti, et c’est là-dessus qu’il faut bâtir notre union, si l’on veut qu’elle mé
958 es politiques cette unité de culture non unitaire et si hautement diversifiée, je répondrai que la solution se trouve dans
959 tout naturellement par l’union dans la diversité, et cette forme d’union porte un nom bien connu dans l’histoire des régim
960 ote suivante : « La semaine prochaine : “L’Europe et le sens de la vie”, suite et fin de ce discours. »
961 rochaine : “L’Europe et le sens de la vie”, suite et fin de ce discours. »
32 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe et le sens de la vie (25-26 avril 1970)
962 L’Europe et le sens de la vie (25-26 avril 1970)at au Je ne vois pas d’autre f
963 de à la double exigence du respect des diversités et de l’instauration d’une force suffisante pour garantir leur concurren
964 istoire nous pose dans les termes les plus précis et sans échappatoire possible désormais : s’unir, au-delà de nos fausses
965 exige, que tout le monde admet qu’il faut faire — et que pourtant personne ne fait ? Eh bien, chacun le sait, rien n’est m
966 e modèle que tous les peuples de l’Europe, grands et petits, ont imité l’un après l’autre tout au long du xixe siècle, su
967 n même territoire, défini par le sort des guerres et aussitôt baptisé « sol sacré de la patrie », des réalités absolument
968 son d’avoir les mêmes frontières, comme la langue et l’économie, l’état civil et l’exploitation du sous-sol, ou pire encor
969 ères, comme la langue et l’économie, l’état civil et l’exploitation du sous-sol, ou pire encore, les idéologies et les rel
970 ation du sous-sol, ou pire encore, les idéologies et les religions, sommées de s’arrêter sur une ligne de barbelés électri
971 ons de bureaux installés dans une seule capitale, et interdire toute allégeance des citoyens à des entités plus petites (c
972 il refuse toute union, alléguant une indépendance et une souveraineté absolues aussi peu défendables en droit qu’elles dev
973 pour permettre une participation civique réelle ; et sans correspondance autre qu’accidentelle avec aucun espace économiqu
974 notre union politique. Entre l’union de l’Europe et les États-nations sacralisés, entre une nécessité humaine des plus co
975 s, entre une nécessité humaine des plus concrètes et le culte prolongé d’un mythe, il faut choisir. Pour la première fois
976 s idéologiques que commerciales (voir le Vietnam) et l’on travaille pour le profit, qui est en somme du superflu. Mais dès
977 nous voici contraints de le faire, à nos risques et périls ! Nous voici contraints de nous demander ce que nous attendons
978 nous demander ce que nous attendons de notre vie et de la société, ce que nous voulons réellement, principalement, et con
979 , ce que nous voulons réellement, principalement, et contraints de tirer des plans en conséquence. Voulons-nous par exempl
980 créer un habitat décent, une communauté vivante ? Et quel prix sommes-nous prêts à payer pour cela ? Le prix de certaines
981 es peuples avancés sous le rapport de l’industrie et de la technique. Et ils les forcent à reposer des questions difficile
982 ous le rapport de l’industrie et de la technique. Et ils les forcent à reposer des questions difficiles, voire angoissante
983 es. Il nous faut le décider, en toute conscience, et vite, car le choix de la fin implique évidemment celui des moyens adé
984 puissance, c’est-à-dire la puissance industrielle et militaire massive d’une sorte de troisième Grand préoccupé principale
985 r-État-nation continental, uniformisé, centralisé et agressif, comme la France de Napoléon, et faire de nos États autant d
986 tralisé et agressif, comme la France de Napoléon, et faire de nos États autant de départements. Il faut tout unifier par d
987 inflexibles, sans égard aux diversités ethniques et régionales, et soumettre la production industrielle au seul impératif
988 ans égard aux diversités ethniques et régionales, et soumettre la production industrielle au seul impératif de l’élévation
989 ment des personnes, de participation des citoyens et d’autonomie des communautés (la production industrielle n’étant qu’un
990 dicalement incompatible avec les fins de l’Europe et de la liberté. Il faut adopter sans délai les méthodes les plus propr
991 à réduire l’obstruction des stato-nationalismes, et se consacrer sérieusement à la tâche de construire des modèles neufs
992 autonomies de tous ordres, régionales, communales et personnelles, mais rien de plus. Il faut admettre la pluralité des al
993 , civiques, politiques, culturelles, idéologiques et religieuses, contre la prétention de l’État-nation à leur monopole ab
994 diqués par la nature des tâches, leurs dimensions et celles de la communauté la plus apte à les administrer. En un mot, il
995 ique a toujours eu pour fin réelle la puissance ; et je crois bien que toutes les civilisations que nous connaissons ont c
996 manières de parler plus ou moins nobles, ou pure et simple captatio démagogique. Mais je vois aussi que seuls, des Europé
997 plaires, ont osé proclamer, d’Aristote à Rousseau et de William Penn à Proudhon, que les libertés personnelles et les comm
998 am Penn à Proudhon, que les libertés personnelles et les communautés autonomes valent mieux que la puissance collective. L
999 confédération » qu’évoquait le général de Gaulle, et qui serait formée d’États-nations conservant jalousement leurs préten
1000 , de narguer ces frontières sur terre, sous terre et dans les airs, et de ne pas perdre une occasion de faire voir à quel
1001 rontières sur terre, sous terre et dans les airs, et de ne pas perdre une occasion de faire voir à quel point elles sont a
1002 rtation rationnelle des productions industrielles et agricoles. Mais elles ne servent absolument à rien pour arrêter ce qu
1003 pour arrêter ce qui devrait l’être : les tempêtes et les épidémies, la pollution de l’air et des fleuves, les attaques aér
1004 tempêtes et les épidémies, la pollution de l’air et des fleuves, les attaques aériennes, les ondes de la propagande et le
1005 es attaques aériennes, les ondes de la propagande et les grandes contagions dites idéologiques. Elles empêchent simplement
1006 États-nations délimités pour la plupart au xixe et au xxe siècle, se trouvent vraiment former, comme par miracle, des e
1007 ons n’existent pas dans l’histoire de la culture, et que les « cheminements de l’esprit » dont parlait Robert Schuman trav
1008 dans l’ensemble vivant de la culture européenne. Et les diversités que nous devons respecter ne sont pas celles de ces Ét
1009 s États-nations nés d’hier : elles les traversent et les divisent tous également, et ne coïncident jamais avec aucune fron
1010 es les traversent et les divisent tous également, et ne coïncident jamais avec aucune frontière. Nos États-nations, obsédé
1011 ficace, qui doit être mis au service des citoyens et de leurs cités ; et non l’inverse. Cessez donc, Messieurs les ministr
1012 e mis au service des citoyens et de leurs cités ; et non l’inverse. Cessez donc, Messieurs les ministres, d’essayer d’apai
1013 ve de la renaissance des régions. Il faut défaire et dépasser l’État-nation. En instaurant les régions en deçà, et la fédé
1014 l’État-nation. En instaurant les régions en deçà, et la fédération au-delà. Il faut distribuer et répartir l’État aux diff
1015 eçà, et la fédération au-delà. Il faut distribuer et répartir l’État aux différents niveaux de décision où il peut servir
1016 ntité vivante, civique, économique ou culturelle, et être contrôlé par l’usager, distribuer et répartir l’État de la commu
1017 urelle, et être contrôlé par l’usager, distribuer et répartir l’État de la commune et de l’entreprise à la région et aux g
1018 ager, distribuer et répartir l’État de la commune et de l’entreprise à la région et aux groupements de régions jusqu’au ni
1019 État de la commune et de l’entreprise à la région et aux groupements de régions jusqu’au niveau européen ; là, des agences
1020 au sens originel du mot : l’économie, l’écologie et l’habitat, les transports, les relations globales avec d’autres fédér
1021 globales avec d’autres fédérations continentales. Et vous noterez que je ne parle pas de relations ou d’affaires étrangère
1022 régions rendra justice à ses fécondes diversités, et l’ampleur de la fédération exprimera l’unité millénaire de sa culture
1023 n « niveau de vie » déterminé en termes de profit et de PNB, c’est passer du matérialisme capitaliste et communiste à la m
1024 de PNB, c’est passer du matérialisme capitaliste et communiste à la mise en question du sens même de nos vies, et des vra
1025 e à la mise en question du sens même de nos vies, et des vrais buts de nos activités communautaires et personnelles. Si sé
1026 et des vrais buts de nos activités communautaires et personnelles. Si sérieux que soient les problèmes de prix du lait, du
1027 ans le monde entier, ne relève pas de l’économie, et encore moins de la politique au sens étroit et partisan du terme. Ell
1028 e, et encore moins de la politique au sens étroit et partisan du terme. Elle exige la recréation de communautés véritables
1029 le exige la recréation de communautés véritables. Et la Cité européenne — Res publica europea — fondée sur les communes et
1030 e — Res publica europea — fondée sur les communes et les régions librement fédérées du continent peut en offrir le modèle.
1031 nt. Car à ce prix seulement nous ferons l’Europe, et nous la ferons pour toute l’humanité, nous lui devons cela ! Une Euro
33 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une réflexion sur le mode de vie plutôt que sur le niveau de vie (2 juin 1970)
1032 nt sans doute les moins xénophobes des Européens, et les étrangers sont venus chez eux depuis des siècles en plus grand no
1033 d’un afflux qui prend l’allure d’un raz de marée, et par le motif principal de cet afflux, qui n’est pas d’admirer nos lac
1034 st le même des deux côtés : pour eux, gagner vite et rentrer, pour nous, produire plus grâce à eux et les renvoyer au plus
1035 et rentrer, pour nous, produire plus grâce à eux et les renvoyer au plus vite. Il semblerait que tout le monde « gagne »
1036 État peut-il conserver son intégrité spirituelle et culturelle malgré la libre circulation des travailleurs intellectuels
1037 libre circulation des travailleurs intellectuels et manuels ? — La notion d’« helvéticité » existe-t-elle ? Et si oui, da
1038 s ? — La notion d’« helvéticité » existe-t-elle ? Et si oui, dans le cas particulier qui nous préoccupe, cette « helvétici
1039 elui de la qualité des arguments invoqués de part et d’autre, et des suites qu’entraîneront les attitudes réelles de ceux
1040 ualité des arguments invoqués de part et d’autre, et des suites qu’entraîneront les attitudes réelles de ceux qui les invo
1041 it que je vais esquisser une réponse. Le beurre et l’argent du beurre I. L’argument européen contre l’initiative Schw
1042 ope signifie supprimer les frontières économiques et intégrer nos entreprises dans une économie concertée à l’échelle cont
1043 tion non intégrée. On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. On ne peut pas invoquer à la fois l’intégration d
1044 pas invoquer à la fois l’intégration de l’Europe et les lois de la concurrence entre États-nations. (Sans compter que tou
1045 du gain maximal, où qu’elles aillent, est fausse et irréelle, quoique matérialiste. La plupart des hommes suivent leurs c
1046 ste. La plupart des hommes suivent leurs coutumes et leurs rêves plus que l’argent. (J’ai là-dessus quelques statistiques.
1047 À part beaucoup d’irritations, quelques bagarres et quelques bâtards, les Espagnols, Italiens, Turcs et Portugais laissen
1048 quelques bâtards, les Espagnols, Italiens, Turcs et Portugais laissent peu de traces de leur passage sur notre sol, dans
1049 ces de leur passage sur notre sol, dans nos cités et dans nos mœurs. Je n’en dirais pas autant d’une industrie dont l’esso
1050 l’essor défigure nos paysages, détruit nos forêts et nos champs, pollue nos lacs et déverse un flot de ciment, d’aggloméré
1051 détruit nos forêts et nos champs, pollue nos lacs et déverse un flot de ciment, d’agglomérés et de plastique sur « le visa
1052 s lacs et déverse un flot de ciment, d’agglomérés et de plastique sur « le visage aimé de la patrie ». Les soldats gardent
1053 nt aux frontières un « sol sacré » que les usines et les traxs derrière leur dos profanent, défoncent et stérilisent sans
1054 les traxs derrière leur dos profanent, défoncent et stérilisent sans que personne semble y faire attention. C’est pourtan
1055 t le cadre de nos vies, l’air que nous respirons, et à la longue nos sensibilités. Si notre industrie suisse refuse de cal
1056 umain de son essor, ses contrecoups sociologiques et hygiéniques, écologiques et politiques, si elle n’établit pas ses pla
1057 recoups sociologiques et hygiéniques, écologiques et politiques, si elle n’établit pas ses plans en conséquence et ne s’en
1058 s, si elle n’établit pas ses plans en conséquence et ne s’engage pas à les réaliser, alors je dis : votez pour, votez cont
1059 ous aurez tort, car l’enjeu véritable est au-delà et ne peut être atteint par ce choix. La question qu’a soulevée M. James
1060 ’il les amène à se poser — bien au-delà du 7 juin et de ses résultats — les questions suivantes : — La croissance indéfini
1061 stion — intégrité de l’État dans l’Europe fédérée et notion d’une “helvéticité” menacée ? — Denis de Rougemont nous suggèr
34 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Le testament de Tristan (14-15 novembre 1970)
1062 ys de son nom contre le continent de son prénom ; et jusqu’à près de la fin de son règne, les prestiges du mythe national
1063 ire, plus efficace à lui tout seul par la passion et le mépris que tous les autres par le calcul et la flatterie, Charles
1064 on et le mépris que tous les autres par le calcul et la flatterie, Charles de Gaulle aura été le dernier monarque d’une Fr
1065 ’ai tort de dire France : il s’agit des Français, et de Gaulle a toujours distingué. Toute ma vie, je me suis fait une ce
1066 idée de la France… vouée à une destinée éminente et exceptionnelle… S’il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses
1067 ent que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, [c’est] imputable aux fautes des Français, non au génie de la
1068 , non au génie de la patrie. Phrase de passionné et non de démagogue, de romantique et non d’opportuniste. L’homme politi
1069 e de passionné et non de démagogue, de romantique et non d’opportuniste. L’homme politique opportuniste et joueur, toujour
1070 on d’opportuniste. L’homme politique opportuniste et joueur, toujours prêt à saisir ou à brusquer l’occasion, relève du ty
1071 la passion nationale. Son Iseut, c’est la France, et il est près de le dire dans plus d’une page de ses Mémoires, et pas s
1072 de le dire dans plus d’une page de ses Mémoires, et pas seulement dans ces célèbres premières phrases où il l’a peinte « 
1073 al, la République. Puis il a dû s’éloigner d’elle et de la Cour, de nouveau, écœuré par l’intrigue des « barons félons » (
1074 ire, en 1946). Certes, il est revenu à son appel, et c’est en 1958. « Mais la vraie passion tristanienne se nourrit de ret
1075 vraie passion tristanienne se nourrit de retraits et d’obstacles, quitte à les susciter s’ils semblent faire défaut. Entre
1076 iter s’ils semblent faire défaut. Entre la France et lui, quand il était le plus fort — Tristan plus fort que le roi Marc
1077 nd retrait devant d’autres intrigues prévisibles. Et l’on sait quel en fut le prétexte allégué : l’instauration en France
1078 France des régions, qu’il proposa solennellement, et à quoi il choisit de lier son sort. Un suicide politique, dirent les
1079 ensions qui sont celles d’une glorieuse ambiguïté et d’un tragique malentendu entre « de Gaulle », comme il disait, et cet
1080 malentendu entre « de Gaulle », comme il disait, et cette Europe qui l’eût plébiscité comme un second Charles le Grand. C
1081 d’un Français héritier de Louis XIV, des jacobins et de Napoléon.) Il m’écrivait en 1962 à propos de mes Vingt-huit siècl
1082 es Vingt-huit siècles d’Europe  : En réunissant et replaçant en leur contexte tous ces écrits à travers lesquels, au lon
1083 ez en lumière. Je vous félicite d’avoir entrepris et mené à bien cet immense et intéressant travail. Je vous en remercie a
1084 cite d’avoir entrepris et mené à bien cet immense et intéressant travail. Je vous en remercie aussi parce que nos efforts
1085 ens, qui respecte le caractère original de chacun et le génie propre à notre continent, y trouvent appuis et encouragement
1086 génie propre à notre continent, y trouvent appuis et encouragements. On ne peut mieux définir le régime général d’union d
1087 fédéralisme. Merveilleux compromis entre le mythe et l’avenir : ce dernier paladin de l’ère des Nations a choisi délibérém
1088 ient dans sa pleine stature : écartant les barons et le Pays légal, il ne veut devant sa tombe que la France seule, une fo
1089 anton, la semaine dernière, a parlé de l’écrivain et à Guy Dumur, en page intérieure, d’étudier les rapports du Général av
35 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Pourquoi j’écris (30-31 janvier 1971)
1090 16 ou 17 ans, sans savoir pourquoi ni pour quoi. Et quand beaucoup plus tard, essayant de répondre à l’attente des interv
1091 u rationnel que l’élan du désir, ou de la prière, et cela tient des deux, probablement. C’est aussi un effet du besoin d’i
1092 une émotion : pour la prolonger, la faire vôtre, et rejoindre l’auteur qui vous l’a révélée — pour devenir aussi admirabl
1093 euse (selon que l’on sera bon ou mauvais auteur). Et c’est beaucoup plus tard qu’on s’inventera de belles et bonnes raison
1094 st beaucoup plus tard qu’on s’inventera de belles et bonnes raisons d’écrire pour exposer, pour convaincre ou émouvoir, po
1095 fini, pour tel objet tout extérieur à l’écriture, et qui ne dépend nullement du processus de la pensée en train de se form
1096 carrière que l’on écrit par pure envie d’écrire. Et je ne dis pas que ce besoin à l’état brut ne continue d’agir dans mes
1097 d’un article qu’il s’agit de donner à date fixe — et de tout ce qu’il faut bien ajouter à quelque ouvrage obscurément jail
1098 ir : ma cause finale devient ma vraie motivation, et me libère de toutes les causes intimes, trop intimes. ⁂ Arrivé aux de
1099 bère, l’autre m’engage. a) J’écris par pure envie et pour savoir pourquoi. Pour aller ainsi je ne sais où, en quête obscur
1100 Pour aller ainsi je ne sais où, en quête obscure et fascinante, selon ce vers d’Hugo qui m’amusera sans fin : Vous dites
1101 ans fin : Vous dites : Où vas-tu ? Je l’ignore et j’y vais ! J’y vais par l’écriture, qui est ma manière d’enregistrer
1102 me dicte une page qui change ma vie — cette page et non pas l’événement. Je cherche un sens. J’écris pour chercher le sen
1103 ar le tout — que pas un scientifique n’appréhende et par suite ne saurait nier, et qui est au-delà de tout — comme le corp
1104 ifique n’appréhende et par suite ne saurait nier, et qui est au-delà de tout — comme le corps transcendant aux organes. Je
1105 cherche Dieu. b) J’écris l’époque, je me l’écrie, et je lui crie d’abord qu’elle devrait être une autre pour que je n’y so
1106 ement un moi contre elle, mais que [je] m’y perde et m’y donne. Quand je saurai pourquoi, j’aurai fini d’écrire (idéalemen
1107 ure. Au terme de mes livres, où figure le mot fin et juste au-dessous de ce feu rouge sur la remorque, veuillez donc lire 
36 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Au défi de l’Europe, la Suisse (31 juillet-1er août 1971)
1108 oucou, trous dans le gruyère, secret des banques, et les arts réduits, paraît-il, à celui de ne pas se mouiller. Nous savo
1109 devait faire l’Europe sur le modèle de la Suisse, et qui répondait : « Le fédéralisme est pour votre pays une bonne soluti
1110 la Suisse, pour la simple raison qu’il l’a faite et que seul il la définit en tant que Suisse. Il n’y a pas eu la Suisse
1111 n aucune manière des trois Waldstätten primitifs. Et pas un seul des autres cantons n’a jamais adhéré au Pacte dit du Grüt
1112 de l’anniversaire d’une dynastie — les Zähringen et les Kibourg sont éteints depuis des siècles, les Habsbourg émigrés —
1113 en fait une idée, qui est l’essence de la Suisse et qui a déterminé son existence : l’idée fédéraliste et la formule d’un
1114 ui a déterminé son existence : l’idée fédéraliste et la formule d’union qu’illustre le pacte en latin conclu par trois « c
1115 est nullement née comme on le croit trop souvent ( et pas seulement à l’étranger) de l’union de vingt-cinq États cantonaux
1116 rmée par la libre association de communes rurales et urbaines, de pays, d’évêchés, de principautés et d’anciens baillages
1117 et urbaines, de pays, d’évêchés, de principautés et d’anciens baillages libérés, solidaires dans leur volonté d’autonomie
1118 bérés, solidaires dans leur volonté d’autonomie ; et à cette fin, décidant la mise en commun des tâches publiques trop lou
1119 p lourdes pour chacun mais réalisables par tous — et de celles-là seules. Chargé d’exécuter ces tâches communes, le Consei
1120 ie, justice, transports, recherches scientifiques et universités, armée, relations étrangères. Voilà bien le régime origin
1121 ette formule d’union je me considère comme Suisse et je le suis, moi, Neuchâtelois protestant, de langue française, au mêm
1122 xiiie siècle celle de trois communes du Gothard et qui se « généralisa » par la suite aux XIII cantons ligués, puis à l’
1123 ngt-cinq États souverains différant par la langue et la race, la confession, l’économie et les traditions historiques — on
1124 r la langue et la race, la confession, l’économie et les traditions historiques — on voit très mal ce qui empêcherait de g
1125 s’oppose radicalement à toute union de l’Europe, et que sa généralisation ne conduirait qu’à la guerre, autant il apparaî
1126 se retrouverait agrandie, prolongée dans l’espace et le temps, au-delà de ce qu’elle est aujourd’hui, qui est tellement au
1127 thique. Une idée se perd-elle en se généralisant, et une formule d’union en fécondant des unions toujours plus nombreuses 
1128 ntschli, qui écrivait en 1875 : La Suisse a émis et réalisé des idées et des principes qui seront un jour destinés à assu
1129 en 1875 : La Suisse a émis et réalisé des idées et des principes qui seront un jour destinés à assurer la paix en Europe
1130 gloire. S’évanouir dans le succès de notre idée et d’une formule d’union qui est notre raison d’être, ne serait-ce pas l
1131 Suisse ? Dans l’Europe des régions que j’appelle et prépare, dans l’Europe des foyers rayonnants sans frontières, rien ne
1132 , Suisses de tous les cantons, de rester ensemble et de continuer à former une communauté : celle des gardiens de l’idée m
1133 i nous le voulons. C’est ce qu’il reste à savoir, et c’est ce qui nous inquiète. S’il n’y a plus de frontières tangibles,
1134 minimum une fois par an, ce que nous faisons là, et pourquoi nous restons ensemble. Personne ne peut prédire si, à bullet
1135 e si, à bulletin secret, en connaissance de cause et en majorité nous choisirons de continuer la Suisse. Ceux qui le voudr
1136 qui le voudront seront alors les vrais Suisses. «  Et s’il n’en reste qu’un… », disait Victor Hugo, reprenant un vers de Co
37 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une dimension nouvelle (11-12 septembre 1971)
1137 urd’hui je ne reculerai plus, les jeux sont faits et sa gloire établie. Du prince en soi, archétypal, avant tous titres dé
1138 décernés, C. J. B. n’a pas seulement la prestance et la sagacité profonde du regard, mais la simplicité et la maîtrise de
1139 a sagacité profonde du regard, mais la simplicité et la maîtrise de soi, l’élocution aisée et sans éclat, les colères bien
1140 mplicité et la maîtrise de soi, l’élocution aisée et sans éclat, les colères bien tenues en brides, l’énergie grande et en
1141 s colères bien tenues en brides, l’énergie grande et en partie secrète. Trop passionné pour se montrer jamais sentimental,
1142 mais sentimental, trop pessimiste pour moraliser, et avec trop de distance naturelle pour avoir à jouer la hauteur, affabl
1143 à jouer la hauteur, affable mais non sans malice, et ce qu’il faut d’arbitraire dans les jugements, lucide avec plus de mé
1144 nisme, plus de sensibilité aux êtres qu’aux idées et aux situations qu’aux systèmes, d’où son sens politique intuitif et s
1145 qu’aux systèmes, d’où son sens politique intuitif et ses vues parfois prophétiques : — Carl-J. Burckhardt ajoute à notre S
38 1972, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il faut dénationaliser l’enseignement [Entretien] (8 décembre 1972)
1146 t, car j’ai beaucoup de respect pour les maîtres, et ils ont toute mon amitié. J’ai reçu une lettre, récemment, où une dam
1147 me scolaire, dont les instituteurs sont victimes, et qu’ils perpétuent malgré eux. Ils n’en sont pas responsables. J’ai d’
1148 ouffrent d’être paralysés dans le système actuel, et qui me disent : « Merci, vous nous vengez. » Vos critiques semblent s
1149 ’âge de 12 ans, à Couvet, dans le Val-de-Travers, et le Collège latin à Neuchâtel. Ensuite, par le biais européen, j’ai pu
1150 uropéen, j’ai pu voir ce qui se faisait ailleurs. Et j’ai constaté qu’ailleurs, notamment en France, c’était comme en Suis
1151 rs, notamment en France, c’était comme en Suisse. Et même pire. Vous donnez à l’école un poids déterminant, presque totali
1152 ndu à un monopole de l’éducation, contre l’Église et contre la famille. Cet état de fait nous vient tout droit de Napoléon
1153 e — l’ancienne christianitas — réalité culturelle et historique ; enfin le monde, réalité biologique et écologique. Il fau
1154 t historique ; enfin le monde, réalité biologique et écologique. Il faut étudier l’histoire, la géographie, l’écologie, l’
1155 ces dimensions-là. Passer de la région à l’Europe et au monde au moment où les élèves sont capables de saisir les réalités
1156 capables de saisir les réalités à ces niveaux-là, et négliger chaque fois que c’est possible les frontières nationales. En
1157 ourde du général de Gaulle Pourquoi l’économie et l’écologie ? On ne comprend pas le monde actuel sans l’économie. Sur
1158 rêter : les nuages, les tempêtes, l’eau polluée ; et elles empêchent le passage de ce qui devrait circuler : les hommes, l
1159 collines, traversée par un affluent de la Volga, et qui est maintenant le cœur du bassin de l’industrie lourde de l’URSS.
1160 … Cette idée de l’Oural-frontière est si absurde, et si répandue, que j’ai mis deux de mes étudiants sur le problème. Ils
1161 oblème. Ils ont trouvé que les manuels d’histoire et de géographie des années 1900 à 1940 — l’époque de la scolarité de Ch
1162 dictionnaire de référence des Français cultivés, et cherchez sous « fédéralisme » : vous trouverez que c’est un système d
1163 ole doit former ceux qui changeront l’État ? L’un et l’autre, et les deux à la fois. Il y a interaction : l’État crée l’éc
1164 mer ceux qui changeront l’État ? L’un et l’autre, et les deux à la fois. Il y a interaction : l’État crée l’école qui lui
1165 her l’origine nous ramène au problème de la poule et de l’œuf… Il faut agir aux deux niveaux à la fois. Que faire au nivea
1166 ait qu’ils puissent s’arrêter, sortir de l’urgent et du quotidien, pour pouvoir tout reconsidérer. Pour en sortir, il faut
1167 ar ce terme : une mutation, un changement brusque et radical, qui permette de repartir sur des bases entièrement nouvelles
1168 rd des occasions… Aucune place ne lui est faite — et pour cause — dans nos programmes. Moi, j’ai appris à lire hors de l’é
1169 lire hors de l’école, avec ma sœur. En m’amusant, et en cachette. J’avais 5 ans. Je cite aussi, dans les Méfaits , l’exem
1170 en distingue déjà deux développements possibles, et contradictoires : d’une part, on tend à individualiser l’enseignement
1171 e. Comment résoudre cette alternative ? D’abord — et c’est à mes yeux la chose la plus importante — il faut interdire la p
1172 , par quoi on a fabriqué des peuples militarisés, et qui nous a déjà valu deux guerres mondiales. Ce qu’Illich appelle en
1173 s d’opposition entre l’enseignement individualisé et le travail collectif, mais bien une complémentarité. Je ne crois pas
1174 des amish, dont vous parlez dans les Méfaits 10, et dont vous dites qu’elle ressemble à ce que demande Illich ? Une école
1175 s enfants une sorte de besoin inné de s’instruire et de s’entraider. Pour lui, l’homme naît bon, et l’école le corrompt. O
1176 re et de s’entraider. Pour lui, l’homme naît bon, et l’école le corrompt. Or je crains que, livrés à eux-mêmes, les enfant
1177 es groupes, autour d’un chef, fanatiquement obéi, et qui peut ordonner aux membres de son groupe n’importe quoi… À l’autor
1178 des sadiques. Revenons à l’évolution de l’école, et aux deux pôles dont nous avons parlé : individualisation et travail c
1179 x pôles dont nous avons parlé : individualisation et travail collectif. À supposer que tout le monde admette que l’un et l
1180 if. À supposer que tout le monde admette que l’un et l’autre sont nécessaires, on peut imaginer, grosso modo, qu’à gauche
1181 e travail en groupe, à laisser les élèves rapides et les élèves lents ensemble le plus longtemps possible, tandis qu’à dro
1182 nera la priorité à l’individualisation… La droite et la gauche ont tort de ne tolérer qu’un des deux termes. Car il faut q
1183 ar il faut que l’un existe pour que l’autre vive, et vice versa. L’éducation sera la résultante d’une tension dynamique en
1184 tensions fécondes conduisant à la fois à l’union et à la diversification. C’est parfaitement compatible : un réseau routi
1185 commencer à la base. Prenez le couple : la femme et l’homme doivent exister à la fois pour soi et pour l’autre, sans qu’i
1186 mme et l’homme doivent exister à la fois pour soi et pour l’autre, sans qu’il y ait confusion des deux, ni subordination d
1187 de l’un à l’autre. Ils sont à la fois semblables et différents, séparés et unis. C’est la formule de tout fédéralisme. Te
1188 sont à la fois semblables et différents, séparés et unis. C’est la formule de tout fédéralisme. Tension entre deux pôles.
1189 tension permanente entre des forces d’attraction et de répulsion. Là encore, supposez qu’un équilibre statique s’installe
1190 ie, dans l’image du Christ — Jésus à la fois Dieu et homme. La plupart des déviations, dans la doctrine chrétienne, vienne
1191 t reconnaître que l’existence simultanée du divin et de l’humain dans le même être est difficile, voire impossible à conce
1192 … Comment changer l’école ? Pour y revenir, et pour terminer : comment changer l’école ? Par le biais de la Campagne
1193 , mais on peut leur offrir un cadre où leur bonté et leur intelligence aient au moins la possibilité de s’exercer. La modi
1194 apprendre à penser par antinomies. Lier solitude et compagnie, rigueur et fantaisie, etc. Il y a une phrase d’Héraclite q
1195 r antinomies. Lier solitude et compagnie, rigueur et fantaisie, etc. Il y a une phrase d’Héraclite qu’on comprend générale
1196 ce sens-là, par manque d’harmonie ou d’équilibre. Et c’est parfois inévitable. Mais c’est la condition même de la vie.
1197 ter, à écrire en calligraphie, à parler l’anglais et l’allemand, à observer les lois de l’hygiène et à connaître l’Évangil
1198 s et l’allemand, à observer les lois de l’hygiène et à connaître l’Évangile. La communauté des amish produit tout ce dont
1199 auté des amish produit tout ce dont elle a besoin et refuse le tracteur et l’auto. » 11. « Le sort de l’an 2000 se joue d
1200 tout ce dont elle a besoin et refuse le tracteur et l’auto. » 11. « Le sort de l’an 2000 se joue dans nos écoles », Civi
1201 ns voulu par l’État, en inculquant le conformisme et en détruisant l’imagination. Le temps, apparemment, n’a pas entamé la
1202 xte de 1929 n’a subi que des retouches de détail, et fort peu. Quant à l’“aggravation”, de 1972, elle commence ainsi : “Éc
1203 a pas vieilli, parce que l’école n’a pas changé.” Et l’auteur de retrouver dans une série d’écrits tout récents l’essentie
1204 l’Éducation nationale, un poète, Pierre Emmanuel, et même un collégien lausannois, bien connu chez nous pour avoir prononc
39 1972, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Merveilleux Lavaux (23-24-25 décembre 1972)
1205 isté dans ce lieu. Tout ce qui touche à un centre et tout ce qui respire dans la grâce de son rayonnement revêt une import
1206 nement revêt une importance rapidement fabuleuse, et passionnelle. Il est difficile d’en parler, fût-ce à sa louange éperd
1207 xemple. On y voit beaucoup plus de maisons neuves et laides, beaucoup plus de routes, de viaducs et d’énormes tranchées bé
1208 es et laides, beaucoup plus de routes, de viaducs et d’énormes tranchées bétonnées, beaucoup plus d’autos, de camions, de
1209 des villes a retrouvé le contact avec la nature, et ce contact pour lui vital s’est révélé mortel pour la nature. C’est l
1210 découvre un endroit solitaire, la foule s’y jette et le supprime. L’homme a besoin de solitude. Mais la plupart n’osant ai
1211 age sublime est un pays réel, peuplé de vignerons et d’artisans, de petits commerçants et de riches retraités. Un pays a b
1212 de vignerons et d’artisans, de petits commerçants et de riches retraités. Un pays a besoin de communications, routes, auto
1213 pays a besoin de communications, routes, autobus et téléphone, et de stations d’épuration. Les chemins de fer et l’autoro
1214 de communications, routes, autobus et téléphone, et de stations d’épuration. Les chemins de fer et l’autoroute y font déj
1215 e, et de stations d’épuration. Les chemins de fer et l’autoroute y font déjà leurs longues blessures. Tout cela — nul n’y
1216 ine, sont ici comme ailleurs la qualité de la vie et les conditions de vie quantitatives. Sur quoi règne une lumière divin
1217 ge mais aussi le paysan. Entre les dieux sereins et la terre labourée, la terre bâtie, d’utilité publique, que vont faire
1218 ie, d’utilité publique, que vont faire les hommes et les femmes et les enfants qui habitent ici ? « Lavaux appartient à to
1219 publique, que vont faire les hommes et les femmes et les enfants qui habitent ici ? « Lavaux appartient à tout le monde »,
1220 out le monde », à tous ceux qui aiment la beauté, et qui voudraient que Lavaux, à jamais, demeure tel qu’un beau jour ils
1221 r par les retouches insensibles de l’usage, usure et patine à la fois. Pour garder le Lavaux que nous aimons, faudrait-il
1222 e ? Sauver Lavaux, oui, mais vivant non pas figé. Et vivant, c’est-à-dire changeant selon sa loi. Il est d’autres centres
1223 it peuplée, animée, habitée par des gens du pays. Et qu’ils y trouvent un intérêt vital, et non pas archéologique. Pour sa
1224 s du pays. Et qu’ils y trouvent un intérêt vital, et non pas archéologique. Pour sauver Venise, il faudra la changer. Inal
1225 e. Gens de Lavaux, vous habitez un pays ravissant et radieux. Mais vous ne le sauverez pas sans héroïsme. Si Lavaux doit f
1226 lesquels ne sont nullement ceux qui pensent court et bas et nous jettent dans la pollution au nom de la rentabilité, mais
1227 s ne sont nullement ceux qui pensent court et bas et nous jettent dans la pollution au nom de la rentabilité, mais ceux qu
1228 fit d’argent — cette chose abstraite — les désirs et les rythmes du corps, les valeurs de l’esprit et les élans de l’âme.
1229 et les rythmes du corps, les valeurs de l’esprit et les élans de l’âme. Juillet 1972. be. Rougemont Denis de, « Mervei
1230 ys doit être sauvegardé au prix de l’intelligence et de sacrifices, comme le rappelle ici Denis de Rougemont. »
40 1984, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Philosophie et énergie nucléaire : une mise au point (28 juin 1984)
1231 Philosophie et énergie nucléaire : une mise au point (28 juin 1984)bg Dans votre
1232 avènement du dirigisme marxiste dans notre pays » et préconisent en réalité « une société policière … centralisée, exploit
1233 tion de la Confédération jusque dans nos cuisines et salles de bains. » Je n’ai pas à entrer en discussion avec un directe
1234 it de ces deux citations, qui en falsifie le sens et la portée. 1. La première citation, pronucléaire, doit être replacée
1235 texte historique : elle remonte en effet à 1958 — et non pas 1964 comme vous le dites — date à laquelle l’expérience des c
1236 à laquelle l’expérience des centrales nucléaires et de leurs problèmes majeurs (comme celui des déchets) était pratiqueme
1237 congrès de l’Union internationale des producteurs et distributeurs d’électricité, un conférencier prononçait les phrases s
1238 emblance du fait… La situation de notre continent et de l’humanité entière serait apparemment sans espoir, si la culture é
1239 re Europe n’avait pas découvert une fois de plus, et vraiment au dernier moment, une nouvelle source d’énergie. L’énergie
1240 d’une humanité dont notre science, notre hygiène, et nos techniques étaient en train d’accroître au-delà du possible les b
1241 croître au-delà du possible les besoins matériels et les revendications 13. Ce conférencier, c’était moi. Certains pensero
1242 on auditoire d’alors, devenus PDG pour la plupart et qui n’ont rien appris depuis vingt ans, alors oui, ces déclarations s
1243 nt pour traiter le sujet de l’énergie en général, et de ses rapports avec l’autonomie en particulier. Mais j’ai changé, qu
1244 particulier. Mais j’ai changé, qu’on se rassure, et même à 180°, comme on a cru pouvoir me le reprocher dans la presse de
1245 ir me le reprocher dans la presse de cette ville. Et c’est cela, précisément, qui m’autorise à prendre la parole parmi vou
1246 . […] Quelques-uns de ceux qui sont ici ce matin, et non des moindres, partageaient à l’époque mes illusions, et je les re
1247 moindres, partageaient à l’époque mes illusions, et je les retrouve aujourd’hui au premier rang de l’opposition au nucléa
1248 ’excuser d’avoir appris pas mal de choses depuis, et d’en avoir tiré les conséquences. 2. La seconde citation, antinucléa
1249 Desmeules nous attribue d’une manière arbitraire et calomnieuse. Il embrouille tout, décidément, et beaucoup plus encore
1250 e et calomnieuse. Il embrouille tout, décidément, et beaucoup plus encore qu’on ne le croirait : car l’expression « exploi
1251 quasi militaire » non seulement n’est pas de moi et ne traduit en rien notre idéal, mais formule l’exigence « essentielle
1252 ngereuses, à condition qu’elles soient exploitées et contrôlées par des équipes organisées de manière rigoureuse… Pour moi
1253 e grande taille, implantées dans des sites ad hoc et exploitées de façon quasi militaire 14. M. Desmeules aurait-il mal c
1254 me FACT 79, Lausanne 1980, Éditions Georgi, p. 17 et 18. 13. Les lignes en italique sont celles citées par M. Desmeules.
1255 14. Cité par André Gorz-Michel Bosquet, Écologie et Politique, Éditions du Seuil, 1978. bg. Rougemont Denis de, « Philo
1256 il, 1978. bg. Rougemont Denis de, « Philosophie et énergie nucléaire : une mise au point par Denis de Rougemont », Gazet