1 1940, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Erreurs sur l’Allemagne (1er mai 1940)
1 uire de ces erreurs que Luther conduit à Hitler : il suffit, pour y arriver, d’oublier quelques faits importants. Il suffi
2 r y arriver, d’oublier quelques faits importants. Il suffit d’oublier, par exemple, que le Führer autrichien n’est pas né
3 ays catholique ; que la doctrine de Luther, là où elle a triomphé sans résistance notable, c’est-à-dire en Scandinavie, n’a
4 Allemagne, à demi luthérienne seulement, mais qu’ il a triomphé d’abord dans une Russie tout orthodoxe, et dans une Italie
5 ait même que tout en détestant les chefs nazis, «  il se ferait tuer pour Hitler », car l’ambition réelle du Führer, croyai
6 itler », car l’ambition réelle du Führer, croyait- il , était d’appliquer le programme communiste. (Je donne cette opinion p
7 me communiste. (Je donne cette opinion pour ce qu’ elle vaut.) Le petit livre que j’ai écrit là-dessus m’a valu deux articles
8 rançais, approuvait sans réserve mon diagnostic ; il soulignait la tendance nationaliste qu’avait toujours montrée le soci
9 en connaissance de cause, je puis le dire, puisqu’ il était signé par Émile Vandervelde, ancien président de la IIe Interna
10 erreurs d’autrui, mais bien les nôtres. Surtout s’ il se trouve qu’en fait, ce sont exactement les mêmes erreurs. 4. Si d’a
11 es. Or les vieux poèmes allemands, pour autant qu’ ils ne sont pas les traductions de chants islandais ou scandinaves, sont
12 . Hubert, le meilleur celtisant français, n’écrit- il pas que dans la mythologie des Celtes, « l’idée de la mort domine tou
13 de ce procédé historique et littéraire, c’est qu’ il dispense de mentionner des causes prochaines, beaucoup plus claires,
2 1940, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). « À cette heure où Paris… » (17 juin 1940)
14 n Européen. La Ville Lumière n’est pas détruite : elle s’est éteinte. Désert de hautes pierres sans âme, cimetière… L’envahi
15 t prophétisé : le 15 juin, j’entrerai dans Paris. Il y entre, en effet, mais ce n’est plus Paris. Et telle est sa défaite
16 jourd’hui ces rues les plus émouvantes du monde : Il ne les connaîtra jamais. Il ne verra que d’aveugles façades. Il s’est
17 émouvantes du monde : Il ne les connaîtra jamais. Il ne verra que d’aveugles façades. Il s’est privé à tout jamais de quel
18 aîtra jamais. Il ne verra que d’aveugles façades. Il s’est privé à tout jamais de quelque chose d’irremplaçable, de quelqu
19 tragique de ce conquérant victorieux : Tout ce qu’ il veut saisir se change à son approche — Midas de l’ère prolétarienne —
20 cessaire pour faire comprendre au monde entier qu’ il est des victoires impossibles. On ne conquiert pas avec des chars les
21 l’âme et les raisons de vivre dont on manque. Qu’ ils fassent dix fois le tour du monde ! Ils ne rencontreront partout que
22 anque. Qu’ils fassent dix fois le tour du monde ! Ils ne rencontreront partout que le fracas du néant mécanique. Jusqu’au j
23 e jour de la pire vengeance où, s’arrêtant enfin, ils comprendront qu’aucun triomphe ne vaut pour eux la moindre des réalit
24 vaut pour eux la moindre des réalités humaines qu’ ils ont tuées. « …car ils ne savent ce qu’ils font. » Le 15 juin 1940.
25 re des réalités humaines qu’ils ont tuées. « …car ils ne savent ce qu’ils font. » Le 15 juin 1940. b. Rougemont Denis de
26 ines qu’ils ont tuées. « …car ils ne savent ce qu’ ils font. » Le 15 juin 1940. b. Rougemont Denis de, « À cette heure où
3 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). New York alpestre (14 février 1941)
27 La mer et la montagne se ressemblent partout. Ici elles se rejoignent et se mêlent. Les grands souffles océaniques, chargés d
28 it. Autrefois les glaciers sont venus jusqu’ici ! Ils couvraient la moitié de l’île, et la moraine s’étendait bien plus ava
29 e revêtent ici le climat et les rapports humains. Ils pensent, dans leur ignorance, que c’est une ville trop « européenne »
4 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). La route américaine (18 février 1941)
30 e en décade, à travers le Far West, jusqu’à ce qu’ ils eussent rejoint les terres du Pacifique. On ne pouvait plus rien ajou
31 reignait l’âme américaine, prise de nausée dès qu’ elle ressent l’approche d’une limite infranchissable. Où s’élancer encore 
32 r de cet embouteillage de richesses matérielles ? Il restait à construire des routes. Depuis dix ans, les autostrades amér
33 même un expédient pour lutter contre le chômage. Elles sont le produit du rêve et de la vitalité inépuisable d’un peuple lib
34 neaux de toutes formes et couleurs. Sans relâche, ils croissent en gros plan et disparaissent en coup de vent, jusqu’à ce q
35 ut-être alors les masses elles-mêmes comprendront- elles qu’il n’est qu’un seul infini véritable : celui que chacun porte en s
36 lors les masses elles-mêmes comprendront-elles qu’ il n’est qu’un seul infini véritable : celui que chacun porte en soi, ce
5 1941, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Souvenir de la paix française (15 mars 1941)
37 té, les maisons dominaient une vallée, de l’autre elles s’élevaient à peine d’un étage au-dessus des champs de roses et des b
38 erser, et l’on parvient dans la grand-rue : comme elle est vide ! Les toits d’ardoises ne dépassent pas les façades nues, br
39 Rares sont les boutiques, et même les cafés. Et s’ il passe une auto, c’est une de ces voitures branlantes qui semblent ne
40 u pays après une longue absence et des déboires : il entre, il ne trouve personne. Mais ses outils sont là, contre le mur.
41 ès une longue absence et des déboires : il entre, il ne trouve personne. Mais ses outils sont là, contre le mur. Il repren
42 personne. Mais ses outils sont là, contre le mur. Il reprend le chemin de son champ. En passant au carrefour, il s’est dit
43 le chemin de son champ. En passant au carrefour, il s’est dit : Peut-être est-elle à Mandres ; c’est donc jour de marché.
44 assant au carrefour, il s’est dit : Peut-être est- elle à Mandres ; c’est donc jour de marché. Il a écrit ces mots. Elle saur
45 e est-elle à Mandres ; c’est donc jour de marché. Il a écrit ces mots. Elle saura bien. Il a rejoint l’usage du pays, l’in
46 ; c’est donc jour de marché. Il a écrit ces mots. Elle saura bien. Il a rejoint l’usage du pays, l’intimité des choses de to
47 de marché. Il a écrit ces mots. Elle saura bien. Il a rejoint l’usage du pays, l’intimité des choses de toujours. Et le m
48 i coule entre des saules et des peupliers blancs. Il faisait lourd et doux, le goudron de la route sentait plus fort que l
6 1946, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Monsieur Denis de Rougemont, de passage en Europe, nous dit… [Entretien] (4 mai 1946)
49 consulter, pour se renseigner sur notre pays, et il s’en vend encore régulièrement. J’ai été professeur — et le suis enco
50 ue parle aux Français », retransmise par Londres. Il me fallait faire chaque jour 20 à 30 pages, soit un quart d’heure de
51 uples et non des États. Vos derniers ouvrages ont- ils été traduits à l’usage des Américains ? J’ai un contrat avec une mais
52 a bombe atomique ont paru dans Le Figaro  ? Oui, elles ont causé du scandale dans certains milieux, mais aussi beaucoup d’ap
53 vilisation que la nôtre, mais qui a ses valeurs à elle . Peut-on employer ce mot de civilisation pour un peuple si neuf ? Dis
54 st une question de mœurs, de rapports quotidiens. Ils n’ont pas de culture proprement dite, mais bien une civilisation scie
55 se former, et de gens extrêmement gentils. Y a-t- il bien, à votre avis, une puérilité américaine ? Et quel jugement porte
56 xtravagant qui nous viennent de là-bas ? Puérils, ils le sont à nos yeux sur certains points, et nous le sommes à leurs yeu
57 ). À côté d’eux, nous sommes un peu « névrosés ». Ils sont évidemment très simplistes dans ce qu’ils impriment, et manquent
58 ». Ils sont évidemment très simplistes dans ce qu’ ils impriment, et manquent d’esprit critique. Quant à leurs loufoqueries,
59 ue. Quant à leurs loufoqueries, ne croyons pas qu’ ils les prennent au sérieux : c’est un genre d’humour qui leur plaît, et
60 ieux : c’est un genre d’humour qui leur plaît, et ils ne font que s’en amuser. Si on les compare aux Français, il est indén
61 que s’en amuser. Si on les compare aux Français, il est indéniable que ces derniers, quoi qu’on dise, sont beaucoup plus
62 comprendre leur continent grâce à l’éloignement, il faudrait que le plus grand nombre possible d’Européens eussent l’occa
63 quitter leur « province » pour s’y rendre. N’ont- ils donc rien à craindre de l’américanisme ? Pour ce qui est du matériali
64 , et c’est là une de leurs grandes ressemblances ( il y en a beaucoup) avec les Suisses. Non, plutôt que l’influence de la
65 le ton, et où l’Amérique semble copier l’image qu’ elle s’y fait d’elle-même ; par la baisse du niveau intellectuel auquel le
66 continent de la création. L’Amérique ne crée pas. Elle est plutôt complémentaire de l’Europe. Cela permettrait entre elles u
67 omplémentaire de l’Europe. Cela permettrait entre elles une entente fructueuse et solide. Et, à ce propos, on a tort en Europ
68 mpérialisme américain. J’ai peur, quant à moi, qu’ il ne soit beaucoup trop timide ! Car les Américains redoutent énormémen
69 e Rougemont est revenu au pays de Neuchâtel, dont il est une des fiertés. Ce retour n’est d’ailleurs que provisoire, l’écr
70 l’écrivain ayant laissé sa famille en Amérique où il la retrouvera cet automne. Il a bien voulu nous accorder la primeur d
71 ille en Amérique où il la retrouvera cet automne. Il a bien voulu nous accorder la primeur d’une interview, ce dont nous l
7 1947, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Consolation à Me Duperrier sur un procès perdu (5 décembre 1947)
72 ice d’une propagande étrangère, comme Oltramare ; il a parlé à la radio, comme Oltramare ; hors de Suisse, comme Oltramare
73 Oltramare encore. Les deux cas étant identiques, il faut donc condamner Rougemont, mais il faut acquitter Oltramare. Vous
74 dentiques, il faut donc condamner Rougemont, mais il faut acquitter Oltramare. Vous n’y comprenez rien ? Ni moi non plus.
75 re, et l’avocat fait une drôle de figure. Ou bien il faut acquitter Oltramare, mais alors il n’y a pas lieu de me dénoncer
76 . Ou bien il faut acquitter Oltramare, mais alors il n’y a pas lieu de me dénoncer, tout ce discours retombe à plat, et no
77 e des mots tombe dans le calembour juridique. Car il est vrai que les deux cas s’énoncent et se prononcent de même, mais p
78 nazis, pour les démocraties, donc pour la Suisse. Il en résulte à l’évidence que je faisais en Amérique exactement le cont
79 r se voit chargé d’office de ma défense. Que va-t- il dire ? Il n’hésite pas : il dit que j’ai fait comme Oltramare, notre
80 chargé d’office de ma défense. Que va-t-il dire ? Il n’hésite pas : il dit que j’ai fait comme Oltramare, notre infaillibl
81 ma défense. Que va-t-il dire ? Il n’hésite pas : il dit que j’ai fait comme Oltramare, notre infaillible führer suisse. O
82 oici la conclusion de ses réflexions narquoises ; elles intéresseront tous ceux, fort nombreux, qui ont jugé… surprenant le p
8 1949, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Les écrivains romands et Paris (10 septembre 1949)
83 j k Questions 1 et 2. — Nous avons tout ce qu’ il faut, en Suisse romande, pour nourrir une littérature. Nous avons peu
84 monde germanique. Mais nous n’avons rien de ce qu’ il faut pour assurer le succès d’une œuvre : publicité, mouvement autour
85 iaux, politiques ou financiers. Je ne sais trop s’ il faut s’en plaindre. Tout cela se crée naturellement autour des « gran
86 a se crée naturellement autour des « grands », et ils sont à Paris. Nous faisons partie de la littérature française. Or, il
87 s faisons partie de la littérature française. Or, il se trouve que la France est un pays centralisé, dans sa vie littérair
88 fait ? Imagine-t-on Chateaubriand se demandant s’ il existe pour lui « une possibilité de salut » comme écrivain, « un pub
89 de soi. Question 3. – « Le départ vers Paris… » Il n’y a pas que Paris, mais c’est le départ qui importe. Combien de gra
90 départ qui importe. Combien de grandes œuvres ont- elles été écrites, et publiées, au lieu même et dans le milieu où leur aute
91 même et dans le milieu où leur auteur est né, où il a grandi ? J’en vois si peu, et je trouve en revanche tant d’exemples
92 là aussi bien un romancier qu’un dramaturge) a-t- il à sa disposition dans la réalité romande ou même helvétique des éléme
93 pas uniquement et strictement « locale » ? 2. A-t- il des chances d’être compris par ses compatriotes ? Trouvera-t-il un pu
94 d’être compris par ses compatriotes ? Trouvera-t- il un public ? Des appuis ? Un milieu ? 3. Le départ vers Paris n’est-il
95 ppuis ? Un milieu ? 3. Le départ vers Paris n’est- il pas, en même temps qu’une tentative de retrouver ailleurs ce que l’on
96 t indispensable au succès d’une œuvre littéraire, il ne se répand point en lamentations. Au contraire : il préconise des r
97 e se répand point en lamentations. Au contraire : il préconise des remèdes énergiques. »
9 1949, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe est encore un espoir (8 décembre 1949)
98 a meilleure preuve de l’urgence de notre congrès. Elle dit tout haut ce que pensent des millions. Et elle le dit sans précau
99 lle dit tout haut ce que pensent des millions. Et elle le dit sans précautions, avec la calme outrance de la désillusion. El
100 utions, avec la calme outrance de la désillusion. Elle dit deux mots : trop tard. D’autres nous disent : trop tôt… Entre ceu
101 ourrait seul sauver l’Europe. Les autres dorment. Ils n’ont pas encore vu qu’on ne leur laissera plus le temps d’être prude
102 t de parler nous est encore laissé, mais c’est qu’ il n’a plus d’importance. La possibilité d’agir nous est ôtée. » Venez d
103 ante. C’est l’illusion causée par la désillusion. Elle est très répandue, elle est si fascinante qu’elle risque bien de prov
104 ausée par la désillusion. Elle est très répandue, elle est si fascinante qu’elle risque bien de provoquer, comme tout vertig
105 Elle est très répandue, elle est si fascinante qu’ elle risque bien de provoquer, comme tout vertige, la chute qu’elle imagin
106 ien de provoquer, comme tout vertige, la chute qu’ elle imagine. Cette illusion d’optique consiste à voir une toute petite Eu
107 s communistes. Une Europe en partie ruinée ? Mais elle relève déjà ses industries ; et l’URSS n’a pas été traitée mieux qu’e
108 dustries ; et l’URSS n’a pas été traitée mieux qu’ elle , qu’on s’en souvienne. Une Europe entre deux colosses ? Mais gardons-
109 de construction. Dans toutes les choses humaines, elle est une illusion. Il est vrai que l’Amérique souhaite l’union de l’Eu
110 outes les choses humaines, elle est une illusion. Il est vrai que l’Amérique souhaite l’union de l’Europe. Ce n’est pas la
111 eraient ! L’Amérique veut l’Europe unie, parce qu’ elle a besoin de nous en tant qu’Européens, autonomes, et même concurrents
112 ns pas, d’ici deux ans, à nous fédérer librement. Il ne dépend que de nous d’y réussir. Les jeux ne sont donc pas faits. I
113 ous d’y réussir. Les jeux ne sont donc pas faits. Il nous reste deux ans. Nous perdrons ces deux ans si l’Europe dès maint
114 ns si l’Europe dès maintenant se croit perdue, si elle cède au vertige, à l’illusion d’urne impuissance qui alors seulement
115 eux qui ont lu votre livre l’ont senti, et même s’ ils ignoraient que c’était votre histoire. Je vous invite à Lausanne en t
116 actif. Un dernier mot sur les hommes politiques. Ils ont eu leur congrès ailleurs. À Lausanne, ce seront les savants, les
117 t les philosophes qui prendront enfin la parole. ( Ils auraient dû la prendre les premiers.) Et M. Spaak, seul homme d’État
118 ssi pouvaient penser que l’Étoile était illusion. Elle les conduisait dans la nuit vers un Enfant qui a sauvé le monde. l.
10 1953, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). « Ce qu’ils pensent de Noël… » [Réponse] (24 décembre 1953)
119 « Ce qu’ ils pensent de Noël… » [Réponse] (24 décembre 1953)n Déjà les pasteurs
120 e, bonne volonté (de Dieu) envers les hommes. Est- il besoin de la bombe, et des grèves, et de la famine européenne, et de
121 de bonne volonté ? La plupart sont involontaires, ils ne font que subir leur condition. n. Rougemont Denis de, « [Répons
122 ugemont Denis de, « [Réponse à une enquête] Ce qu’ ils pensent de Noël… », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Laus
11 1954, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Rejet de la CED : l’avis de Denis de Rougemont (20 septembre 1954)
123 e sont solidaires en fait, pour le meilleur quand elles le reconnaissent, et pour le pire quand elles le nient. Dans la confu
124 and elles le reconnaissent, et pour le pire quand elles le nient. Dans la confusion générale qui a suivi la journée des dupes
125 sans poser la question dans son ampleur, à tous. Il faut vouloir maintenant la vraie fédération, dans sa totalité, non pa
126 tion, dans sa totalité, non par pièces détachées. Il faut enfin se décider à expliquer l’Europe aux masses, avec franchise
127 concrets. La vraie lutte pour l’Europe commence. Elle ne sera pas gagnée dans ces lieux indécents que sont les couloirs de
128 mie — quand chacun de nos peuples aura compris qu’ il s’agit de se sauver tous ensemble ou de périr isolément. o. Rougem
12 1957, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une lettre de Denis de Rougemont (16-17 février 1957)
129 pas celle du ministre britannique de la Défense. Elle représente un homme anxieux, aux traits tendus par la fatigue et pres
130 traits tendus par la fatigue et presque lugubre. Il semble avoir été « piqué » par le photographe non point au terme d’un
131 décembre 1949. Mon ami Duncan Sandys y prit part, il est vrai, en tant que président du Mouvement européen. Votre photo me
13 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Fédéralisme et culture (3-4 mars 1962)
132 icielle, de nos particularismes les plus désuets. Il voudrait que chacune de nos cités se suffise à elle-même dans tous le
133 re que cela n’est pas possible, en plus d’un cas, il pousse à préférer des solutions médiocres, mais « bien de chez nous »
134 x en restant libre et dispersé, voire anarchique. Il est clair que nos villes sont trop petites pour se payer chacune un l
135 rendre que cet exemple. Mais qu’on ne dise pas qu’ elles sont trop petites pour que s’y développent à foison des écoles de pei
136 s plus petites que nos villes romandes actuelles. Elles sont tout de même devenues des foyers rayonnants de créations du prem
137 nt de princes et de grands marchands de l’époque. Il est trop clair qu’à l’absence de cette passion créatrice et de ce sen
138 st normalement de rationaliser les activités dont ils s’occupent, pour les rendre plus économiques ou plus rentables. Mais
139 égeant en revanche trop de médiocrité pour peu qu’ elles aient été un jour inscrites à quelque budget d’État, et sous prétexte
140 nous publions un extrait de l’important exposé qu’ il présentera aujourd’hui au congrès pour une collaboration culturelle r
14 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Rectification (9 mars 1962)
141 d’une vérité n’est qu’une sottise, surtout lorsqu’ il s’agit de fédéralisme ! Me faire dire que « tout le secret du fédéral
15 1962, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe est d’abord une culture (30 juin 1962)
142 hui d’unir est d’abord une entité culturelle ; 3. Il en résulte que l’on ne doit et que l’on ne peut « faire l’Europe » qu
143 ulturelle » nous porte en pleine actualité, et qu’ elle entraîne une politique bien définie. ⁂ La première proposition n’entr
144 proposition n’entraîne pas de longs commentaires. Il est évident que des peuples, ne songent à s’unir que s’ils ont en com
145 vident que des peuples, ne songent à s’unir que s’ ils ont en commun certains traits qu’ils tiennent pour essentiels : leur
146 s’unir que s’ils ont en commun certains traits qu’ ils tiennent pour essentiels : leur union consiste donc à restaurer ou à
147 n’est pas aussi évidente pour chacun. Cependant, il n’est pas difficile de l’établir. Quand je dis que l’Europe est d’abo
148 onner sur toute la terre par la civilisation dont elle est l’origine et le cœur. Voilà qui ne saurait s’expliquer que par la
149 n’est pas tombée du ciel ni sortie du sol, et qu’ elle ne tire pas son origine et sa vitalité de notre nature, mais bien de
150 nos peuples et les extraordinaires diversités qu’ ils juxtaposent sur un très petit territoire. Quand ces diversités tourne
151 en 1939, se résument dans le terme nationalisme. Elles sont, elles aussi, d’origine culturelle en dernière analyse. Mais l’o
152 résument dans le terme nationalisme. Elles sont, elles aussi, d’origine culturelle en dernière analyse. Mais l’opinion publi
153 du avec le patriotisme, hélas — a du bon, tant qu’ il ne s’exagère pas en chauvinisme. Mais qu’est-ce que le chauvinisme ?
154 volution, la question qui se pose est de savoir s’ il faut et s’il suffit, pour « faire l’Europe », que toutes les nations
155 question qui se pose est de savoir s’il faut et s’ il suffit, pour « faire l’Europe », que toutes les nations du continent
156 n économique puisse suffire à « faire l’Europe », il faudrait respecter dans cette hypothèse quelques conditions de succès
157 s de succès qui me paraissent absolument vitales. Il faudrait notamment exiger que cette unification économique ne détruis
158 y puise au contraire ses meilleures énergies ; qu’ elle respecte nos diversités traditionnelles, dans toute la mesure où elle
159 versités traditionnelles, dans toute la mesure où elles sont encore fécondes, et enfin qu’elle se subordonne à une grande pol
160 mesure où elles sont encore fécondes, et enfin qu’ elle se subordonne à une grande politique commune, laquelle ne peut se dév
161 Commentons brièvement ces conditions de succès : elles nous ramènent aux problèmes culturels. L’Europe du plan économique a
162 a besoin de centaines de milliers de techniciens. Il est concevable et faisable de les fabriquer en série au prix de l’édu
163 fonction d’animation des échanges de tous ordres. Elle a transmis au monde entier les procédés de la technologie. Elle se do
164 s au monde entier les procédés de la technologie. Elle se doit d’en transmettre aussi les modes d’emploi. Toutes les culture
165 pays neufs de ses expériences durement acquises. Elle a inventé bien des maux, mais aussi leurs remèdes, bien des méthodes
166 r, de les équilibrer et de les rendre bénéfiques. Elle a inventé et pratiqué la libre concurrence, mais aussi la coopération
167 ulement les moyens nécessaires d’une politique qu’ il reste encore à définir et à réaliser. 3. Cette politique, appuyée sur
168 on ne l’accusera jamais de néo-colonialisme ! Et elle est mieux placée que tout autre pour faire valoir les avantages d’une
169 e les scrupules qui nous retiennent encore. Quand elle se borne à invoquer sa neutralité perpétuelle, la Suisse se trouve dé
170 la voie d’un avenir authentiquement européen. Si elle s’y refuse, qui va plaider sa cause ? Une union faite sans nous ne se
16 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Universités américaines (12-13 janvier 1963)
171 uest se nomme Vents, et nul n’a compris ce pays s’ il n’a pas découvert un jour qu’un souffle immense de lyrisme nomade est
172 obligation — je verrai qui je veux ou personne s’ il me plaît, ce que j’ai envie de voir ou rien, pendant deux mois — je m
173 ce Janus à deux fronts gouverne l’Amérique, mais il faut faire son choix entre l’ennui qui paie et l’imprévu révélateur,
174 s d’amis anciens. (Mais tout bouge ici, où seront- ils  ?) Harvard Déjeuner avec Paul Tillich. Je ne l’avais pas revu d
175 eligieux le plus influent de l’Amérique. C’est qu’ il prône une théologie qu’on pourrait nommer culturelle, et qui tient co
176 vous n’êtes plus jamais seuls. » Je lui ai dit qu’ il exagérait, qu’il y avait encore en Europe des refuges à peu près comp
177 . Au fond, l’église au clocher fin, toute blanche elle aussi, sur un tertre. Et subitement voici tomber de toutes parts, san
178 e, Paul Boepple, chef du département de musique. ( Il a dirigé le Roi David lors de sa création à Mézière, puis Nicolas de
179 mieux dotées de la côte Est ou de la Californie. Ils y enseignent en général la substance même, ou la technique, des œuvre
180 la substance même, ou la technique, des œuvres qu’ ils sont en train d’écrire. Combien d’écrivains véritables, de peintres e
181 dans ce pays, la veille d’une fête ou le samedi. Elles s’installent longuement, disposant autour d’elles cendriers, paquets
182 Elles s’installent longuement, disposant autour d’ elles cendriers, paquets de cigarettes, blouses, cahiers et livres, et leur
183 l’examen d’un court poème écrit par l’une d’entre elles , dont il taira le nom. Il lit la pièce, puis la relit lentement. Une
184 n court poème écrit par l’une d’entre elles, dont il taira le nom. Il lit la pièce, puis la relit lentement. Une vingtaine
185 it par l’une d’entre elles, dont il taira le nom. Il lit la pièce, puis la relit lentement. Une vingtaine de vers brefs, i
186 rréguliers. À la seconde lecture, je comprends qu’ il s’agit de deux vieillards dans une cuisine regardant par la fenêtre u
187 un doigt discret ou un très long fume-cigarette. Elles parlent posément avec un sérieux et une assurance imperturbables : je
188 lconque, en l’occurrence l’expression littéraire. Il est exclu de parler de sentiment, bien entendu, ça ne se fait plus, m
189 us « avancés » de l’Amérique. Pendant quatre ans, elles vivent ensemble dans ce luxueux campus perdu au milieu des forêts du
190 anse — pour 3 à 4000 dollars par an. Et ce seront elles qui domineront la société américaine de demain, avec une infaillible
191 puses dispersés sur tout l’État. Ici, à Berkeley, ils sont plus de 25 000. Je vais y rencontrer une bonne trentaine de prof
192 ommun que l’Amérique découvre subitement, et déjà elle croit que c’est fait… À 3 heures, la grande salle est pleine ; et l’o
193 us conduirait à être à la fois rouges et morts. » Ils ont parlé surtout de la guerre froide et de la Bombe, et très peu des
194 omment la nécessité de l’action individuelle peut- elle être présentée de telle manière qu’elle ne soit pas méprisée comme un
195 elle peut-elle être présentée de telle manière qu’ elle ne soit pas méprisée comme un simple sermon ? » « La décision n’appar
196 e un simple sermon ? » « La décision n’appartient- elle pas aux Soviets ? Car s’ils décident la guerre, a) ils sont victorieu
197 écision n’appartient-elle pas aux Soviets ? Car s’ ils décident la guerre, a) ils sont victorieux et ils établissent le comm
198 as aux Soviets ? Car s’ils décident la guerre, a) ils sont victorieux et ils établissent le communisme mondial ; b) nous so
199 ils décident la guerre, a) ils sont victorieux et ils établissent le communisme mondial ; b) nous sommes vainqueurs et nos
200 philosophique au sens large. Mais encore faudrait- il le créer. Où sont nos fondations, à quoi pensent les mécènes ? 2.
201 t en automne 1961, dans le journal de voyage dont il a bien voulu détacher quelques pages à notre intention. L’Amérique, c
202 dans des universités très différentes des nôtres. Elles ressemblent à des couvents laïques, à des campus, à des cottages angl
17 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’éloge, l’élan, l’amour, le monde ouvert à ceux qui s’ouvrent, cela existe… (2-3 février 1963)
203 d’être d’Yverdon, de Féchy » relève, me semble-t- il , de la sociologie plutôt que de la littérature. Si l’on est né à Tubi
204 seul en a tiré une œuvre forte, c’est Ramuz. Mais il ne croyait pas à l’Helvetia et à l’homo helveticus. Il ne croyait qu’
205 croyait pas à l’Helvetia et à l’homo helveticus. Il ne croyait qu’au pays de Vaud, réduit aux vignes, et pimenté d’exotis
206 . « Entre nous, nous sommes racistes », me disait- il un jour — provocateur ! Il aurait sans nul doute échoué dans son « pr
207 racistes », me disait-il un jour — provocateur ! Il aurait sans nul doute échoué dans son « projet » s’il avait emprunté
208 urait sans nul doute échoué dans son « projet » s’ il avait emprunté ses « instruments » à une philosophie, même existentia
209 uments » à une philosophie, même existentialiste. Il s’est fait un langage de peintre, en prose. Plutôt que d’une « ration
210 , le jeune Suisse romand qui veut écrire n’aurait- il pas besoin, tout simplement, de ce qu’on appelle en France la classe
211 as que ce soit aux « préjugés spiritualistes » qu’ il se heurte, mais plutôt au matérialisme néo-bourgeois, réaliste et mor
212 cela ne donne plus rien, n’est-ce pas le signe qu’ il serait temps de se tourner vers autre chose ? L’éloge, l’élan, l’amou
213 ttéraire), Lausanne, 2–3 février 1963, p. 20. x. Il s’agit d’une réponse à l’enquête « Homo helveticus : existe-t-il en S
214 réponse à l’enquête « Homo helveticus : existe-t- il en Suisse romande ? »
18 1963, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Les mythes sommeillent… ils vont se réveiller [Entretien] (9-10 février 1963)
215 Les mythes sommeillent… ils vont se réveiller [Entretien] (9-10 février 1963)y z Quand Denis d
216 z Quand Denis de Rougemont était en Amérique, il lui arriva un jour de décrocher son téléphone, et d’entendre à l’autr
217 du fil une voix annoncer : “Ici Albert Einstein”. Il se souviendra toujours du choc. Un mythe avait pris corps… “J’ai lu v
218 up changé… Les années 1930, puis la guerre, n’ont- elles pas porté au romantisme, donc à l’amour-passion, un coup mortel ? Pas
219 rivains refusent de donner forme à l’irrationnel, ils ne veulent plus être poètes, ils calculent, ils cherchent de façon pu
220 à l’irrationnel, ils ne veulent plus être poètes, ils calculent, ils cherchent de façon purement intellectuelle de nouveaux
221 , ils ne veulent plus être poètes, ils calculent, ils cherchent de façon purement intellectuelle de nouveaux langages… Ce q
222 rope est épuisée ? Absolument pas. D’ailleurs, si elle l’était, qui reprendrait le flambeau ? Les autres civilisations, oui,
223 u ? Les autres civilisations, oui, sont épuisées. Elles ne font, pour l’essentiel, que prendre ce que nous leur donnons. Mais
224 nous leur donnons. Mais si nos mythes sont morts… Ils sommeillent. Ils attendent que nous soyons tout à fait sortis de cett
225 . Mais si nos mythes sont morts… Ils sommeillent. Ils attendent que nous soyons tout à fait sortis de cette période d’anarc
226 ant. … de la morale et de la hiérarchie mondaine. Il n’y a plus d’obstacles que les mythes puissent tenter de vaincre. Par
227 e les mythes puissent tenter de vaincre. Pardon ! Il s’en crée maintenant d’énormes et d’inédits. La terre se surpeuple. C
228 ccidents. Moralité : l’homme tourne à l’automate, il perd sa liberté, son épaisseur de vie, il ressemble à ces montres ext
229 tomate, il perd sa liberté, son épaisseur de vie, il ressemble à ces montres extraplates… Justement ! Et c’est ce qui prép
230 is oui. Les troubadours ne l’avaient pas inventé. Ils lui avaient donné une forme nouvelle. Cette forme lui a permis de pre
231 J’ai là par exemple un texte inédit de Teilhard. Il faudra que j’en parle à Lausanne. Voyez ce passage : le Père (qui d’a
232 hasteté comme d’un moyen de parvenir à la vérité. Il le fait dans des termes extrêmement proches du xiie siècle. La Chast
233 de Denis de Rougemont. « Les modernes — écrivait- il — croient qu’il existe une sorte de nature normale, à laquelle la cul
234 gemont. « Les modernes — écrivait-il — croient qu’ il existe une sorte de nature normale, à laquelle la culture et la relig
235 t Denis de, « [Entretien] Les mythes sommeillent… ils vont se réveiller », Gazette de Lausanne (supplément littéraire), Lau
19 1964, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il nous faut des hommes de synthèses (19-20 septembre 1964)
236 Il nous faut des hommes de synthèses (19-20 septembre 1964)aa Le myth
237 ent la Nature, mais le Naturant, qui est Dieu, et il entreprit d’édifier une tour à Sennaar, qui fut ensuite appelée Babel
238 , ce qui veut dire confusion. Grâce à cette tour, il espérait escalader le Ciel : tentant ainsi non seulement d’égaler mai
239 ppliquait à une tâche particulière. Jusqu’à ce qu’ ils fussent frappés par le Ciel et jetés dans une confusion telle que tou
240 omes différents divisant le genre humain. Et plus ils excellaient dans leur activité spéciale, plus ils parlaient en jargon
241 ils excellaient dans leur activité spéciale, plus ils parlaient en jargon barbare (tanto rudius nunc et barbarius loquuntur
242 derne tout entier. Et, à l’intérieur de l’Europe, elle fait songer irrésistiblement à cette institution dont le nom même sem
243 e institution dont le nom même semble indiquer qu’ elle devrait résumer le monde de l’esprit, l’ensemble de nos activités int
244 ctivités intellectuelles, et donc artificielles — elle fait songer à cette Tour du Savoir, tellement démesurée qu’il faut, p
245 er à cette Tour du Savoir, tellement démesurée qu’ il faut, pour l’édifier, diviser maîtres d’œuvre et ouvriers en équipes
246 , et tous les instituts spécialisés qui, autour d’ elles ou en elles, prolifèrent. Dans la page que je viens de vous lire sur
247 s instituts spécialisés qui, autour d’elles ou en elles , prolifèrent. Dans la page que je viens de vous lire sur l’origine de
248 l’échelle planétaire. Nous assistons, me semble-t- il , au xxe siècle, à deux mouvements de sens contraire, qui affectent c
249 réponse me paraît évidente. C’est l’Europe, c’est elle seule, qui a déclenché cette évolution planétaire. L’Europe a découve
250 es vives de la nouvelle culture mondiale. Mais qu’ il n’y ait plus, ou presque plus, de langage commun, et que les buts fin
251 e commun, et que les buts finaux s’obscurcissent, il faut bien voir que cela veut dire aussi, très concrètement, qu’il n’y
252 r que cela veut dire aussi, très concrètement, qu’ il n’y a plus d’Université aux deux sens primitifs de l’universitas, qui
253 des étudiants en France était de 42 000 en 1924, il est d’environ 280 000 en 1964, et l’on prévoit qu’il sera de 500 000
254 est d’environ 280 000 en 1964, et l’on prévoit qu’ il sera de 500 000 dans une dizaine d’années. (Seules n’auront pu varier
255 n oublié, nous ne saurions qu’un dixième de ce qu’ elle est aujourd’hui. Ces données numériques, que je prends pour images, s
256 parité n’a rien de rassurant, tout au contraire : elle accroît la séparation et les distances entre le savoir et le croire,
257 Église jugea Galilée, parce que, tout simplement, il ne comprendrait pas de quoi parle le physicien, et a fortiori ne saur
258 t je tente de me faire ici l’interprète. Faudrait- il donc nous résigner à que l’accroissement même du savoir traîne pour c
259 ervateur non prévenu, jugeant seulement sur ce qu’ il nous voit faire, il semblerait que la très grande majorité des Europé
260 , jugeant seulement sur ce qu’il nous voit faire, il semblerait que la très grande majorité des Européens trouve que cela
261 e Babel ne s’est pas écroulée sur ses bâtisseurs, ils l’ont seulement abandonnée, ne sachant plus s’expliquer les uns aux a
262 s’expliquer les uns aux autres pour quelles fins ils l’avaient entreprise. Mais l’Université, dans nos pays, paraît plus f
263 florissante que jamais : loin d’être abandonnée, elle attire une foule croissante de travailleurs et de curieux. L’industri
264 ndustrie et l’État, plus que jamais, ont besoin d’ elle . Si elle est devenue trop petite pour ses tâches immédiates, qu’on l’
265 et l’État, plus que jamais, ont besoin d’elle. Si elle est devenue trop petite pour ses tâches immédiates, qu’on l’agrandiss
266 t jamais été mortelles pour les administrations : elles représentent an contraire leur régime normal d’existence, selon la lo
267 savoir humain. Dans le Temple même de la Science, il faut bien que les lévites, même sceptiques quant aux fins de leur rel
268 s et donnent leurs cours… Mais quel dieu servent- ils encore ? À quelle idée de l’homme, divine ou idéale, correspond aujou
269 l’Université occidentale ? Quel type d’homme a-t- elle en vue, veut-elle former ? Je crains bien que si l’on tentait de le d
270 dentale ? Quel type d’homme a-t-elle en vue, veut- elle former ? Je crains bien que si l’on tentait de le déduire d’une obser
271 re osseuse, et très peu d’articulations… Au vrai, il est devenu presque impossible de répondre à une telle question, et c’
272 on la pose si rarement. Notre enseignement vise-t- il à former des personnes réelles et complètes, ou seulement de futurs p
273 choix bien motivé sur lequel on se soit accordé ? Il est vrai que ces questions débordent le seul domaine de l’Université,
274 débordent le seul domaine de l’Université, et qu’ elles affectent tout l’ensemble de la culture européenne. Mais c’est par l’
275 contact de la culture européenne, et c’est là qu’ ils se posent à eux-mêmes ces questions, et nous les posent avec une insi
276 de l’Université est liée à ce phénomène, soit qu’ elle l’exprime, soit qu’elle réagisse contre lui avec le thomisme, ce sera
277 e à ce phénomène, soit qu’elle l’exprime, soit qu’ elle réagisse contre lui avec le thomisme, ce serait un beau sujet d’étude
278 s particuliers et divergents. L’originalité, pour elles , n’est pas vertu, mais atteinte à l’ordre sacré — ou simple erreur d’
279 — ou simple erreur d’exécution. Mutatis mutandis, il en va de même dans les cultures totalitaires du xxe siècle, dominées
280 ons naïves et pénétrantes : pourquoi l’Europe a-t- elle fait les machines ? Pourquoi travaillez-vous autant ? Pourquoi cherch
281 aturelles dans l’Occident christianisé — alors qu’ il est clair qu’une Asie qui tenait la matière et le corps pour essentie
282 bes, qui leur posent ces questions fondamentales, ils se verraient conduits à dépasser leur régime de spécialités académiqu
283 Histoire, du Temps, de l’Évolution et du Progrès, il faudrait que le théologien soit capable de se référer non seulement a
284 qui ont une portée métaphysique indiscutable. Et il faudrait que les physiciens qui en discutent sachent que la dialectiq
285 ros ouvrages pour être exposé sérieusement. Ce qu’ il m’importe de marquer par cet exemple, c’est que l’Europe de l’esprit
286 prit ne peut plus se présenter devant le monde qu’ elle a réveillé, dans le désordre spirituel et dans l’incohérence babéliqu
287 e seule me paraît en mesure de résoudre, parce qu’ elle seule l’a posé dans l’histoire, c’est celui de l’Un et du Divers égal
288 La généralité n’est pas une matière enseignable. Elle ne peut vraiment consister que dans une attention en éveil permanent
289 ner le monde par petits bouts au prix de son âme. Il n’en reste pas moins que la spécialisation dans l’Université ne peut
290 uisqu’on ne peut chercher de solution en arrière, il faut donc la chercher en avant : accepter le mouvement de spécialisat
291 cléaire : or, les impasses et les paralogismes qu’ ils y rencontrent semblent les confronter désormais à des options métaphy
292 oins sublime que j’essaie aujourd’hui d’explorer, elle me paraît rendre compte du fait que ce sont les meilleurs spécialiste
293 . c) Mais ces synthèses ne tomberont pas du Ciel, elles n’apparaîtront pas objectivement et comme spontanément au terme d’une
294 r leur réunion physique en séminaires restreints, ils créeraient ces « carrefours de vérités hétérogènes » sur lesquels et
295 estions et de réponses, le dialogue en un mot, et il exclut l’intervention monologante sous forme de discours. Ce détail a
296 s existent déjà en puissance — et pas non plus qu’ elle s’inscrive devant nous, sur quelque carte perforée, comme un résultat
297 ui importe, c’est que la synthèse s’actualise, qu’ elle s’opère donc dans un esprit, dans une personne, car là seulement elle
298 ns un esprit, dans une personne, car là seulement elle peut trouver ses significations humaines, ses mesures, son utilité au
299 son utilité au sens le plus élevé du terme. Ce qu’ il nous faut enfin, ce qui nous manque, ce sont des hommes de synthèse,
300 r excellence en tant que tels par le fait même qu’ ils auront pris conscience de ce qu’ils ne peuvent se contenter d’être se
301 fait même qu’ils auront pris conscience de ce qu’ ils ne peuvent se contenter d’être seulement des spécialistes. Favoriser
302 r qu’une solution de bon sens presque simpliste : il me semble que le seul moyen de sauver la qualité des universités exis
303 e proposent avec beaucoup de sagesse, me semble-t- il , les rapports d’experts qui vous sont soumis. Si l’on garde à l’espri
304 avoir, dont je vous ai plus longuement entretenu, il me tarde de vous proposer des conclusions plus personnelles et plus p
305 savoir en langages spécialisés. Pour y répondre, il faut envisager la création d’instituts ou de centres de synthèse, éta
306 ue mutuelle. Deux meneurs de jeu par colloque, et ils ne peuvent appartenir à la même spécialité. Faire le monde Et q
307 rdisciplinaires. J’entends par là : les sujets qu’ il serait le plus malaisé de traiter dans le cadre de nos facultés class
308 ons ou découvertes de la science et des arts sont- elles apparues ? Part de la gratuité, de la nécessité, des fins utilitaires
309 comment y suppléer par les arts. 5. Européologie. Il existe dans la plupart de nos grandes universités des départements d’
310 , africaines, indaméricaines, indonésiennes, etc. Il n’existe pas, ni hors de l’Europe ni en Europe, de chaires d’études e
311 s spécifiques de notre civilisation, à l’heure où elle se répand d’une manière anarchique sur tous les continents de la plan
312 avec une anxiété mêlée d’arrogance, à l’heure où elle s’interroge elle-même plus qu’elle n’a jamais fait dans son histoire.
313 , à l’heure où elle s’interroge elle-même plus qu’ elle n’a jamais fait dans son histoire. Cette liste de thèmes, vous le sen
314 autres rajeunis… Comment baptiser l’entreprise ? Elle pourrait se réclamer de beaucoup de noms illustres, d’hommes qui ont
315 e Université européenne. Vraie université, puisqu’ elle traiterait spécifiquement du général, en vue d’entretenir ou de forme
316 ge cohérente du Tout. Vraiment européenne, puisqu’ elle aurait pour fin de recréer l’union dans la diversité, qui est la form
317 au sens de nos vies. aa. Rougemont Denis de, «  Il nous faut des hommes de synthèses », Gazette de Lausanne (supplément
20 1965, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Un écrivain suisse (20-21 mars 1965)
318 Un écrivain suisse (20-21 mars 1965)ab Qu’ il n’y ait pas une patrie suisse mais deux douzaines, point de grands ce
319 œuvre et la carrière de Carl Burckhardt. C’est qu’ il est l’un de ceux, très rares, dont la personne, le style, la formule
320 l’historien de la Renaissance, je ne pense pas qu’ il tienne de lui ce don de prévision de l’avenir européen dont tous les
321 , celles à Hofmannsthal du cadet), mais plutôt qu’ il faut l’attribuer à leur commune formation bâloise d’historiens scrupu
322 e de Dantzig ; enfin mémorialiste d’événements qu’ il a vécus et qu’il avait prévus. Burckhardt est le type même de l’écriv
323 fin mémorialiste d’événements qu’il a vécus et qu’ il avait prévus. Burckhardt est le type même de l’écrivain qui ne peut s
21 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Stampa, vieux village… (15-16 janvier 1966)
324 eux village préromain au milieu du val Bregaglia. Il y était né comme ses ancêtres, il y avait passé les 14 premières anné
325 y avait passé les 14 premières années de sa vie, il y revenait souvent, voir sa très vieille mère et travailler dans l’at
326 r dans l’atelier qui avait été celui de son père. Il y est mort hier soir, puisse-t-il y reposer parmi les siens, « réuni
327 ui de son père. Il y est mort hier soir, puisse-t- il y reposer parmi les siens, « réuni à son peuple », comme dit la Bible
328 it qui vaille entre deux hommes. Mais ce jour-là, il triturait une mince colonne de terre et se plaignait — « c’est l’enfe
329 rre et se plaignait — « c’est l’enfer ! », disait- il . De la matière fuyait entre ses doigts, s’effilait et refusait de rem
22 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). André Breton à New York (8-9 octobre 1966)
330 mes, cette longue aliénation parfois libératrice, il a fallu tout cela pour que celui qui avait été l’un des « phares » ba
331 ), Lévi-Strauss, un des fils Pitoëff, et Breton. ( Il avait trouvé ce moyen de gagner juste de quoi vivre sans la moindre c
332 compromission avec tous les snobismes à l’affût.) Il se plaignit, très gentiment, de ce que durant nos années parisiennes,
333 pie ! » (Beaucoup de lui dans ces quelques mots.) Il m’arrive de rêver que je m’entends au mieux avec tel homme, telle fem
334 en convergence heureuse ! À quelques jours de là, il me dit souhaiter que nous puissions désormais nous rencontrer « mécan
335 ’est que Breton, pour toute la haine vigilante qu’ il n’a cessé de vouer sa vie durant aux manifestations visibles et offic
336 ux par excellence. C’est même sans doute parce qu’ il jugeait le christianisme trop peu religieux qu’il le dénigrait sans r
337 il jugeait le christianisme trop peu religieux qu’ il le dénigrait sans relâche. Il voulait un rituel, des mystères, une ad
338 op peu religieux qu’il le dénigrait sans relâche. Il voulait un rituel, des mystères, une adoration fascinée, une rébellio
339 folle dans le défi qui rejoignait l’Inquisition… Il me dit ce soir-là qu’il avait découvert au fond de l’échoppe d’un cor
340 rejoignait l’Inquisition… Il me dit ce soir-là qu’ il avait découvert au fond de l’échoppe d’un cordonnier dans le Morvan,
341 de l’artisan lui semblait des plus exaltants. Or, il n’est rien de commun aux deux doctrines hors le grand ton de rigueur
342 selon Breton, autrement dit, de sa « religion ». Il en tirait une morale ombrageuse, celle qui réglait absolument sa vie,
343 , déjetée, insultée jusqu’à l’âme. D’autres fois, il se contentait d’un ou deux coups d’épingle très courtois, ou d’une ép
344 onstitué André Breton dès son arrivée à New York. Il avait pour noyau quelques peintres qui allaient changer là-bas le cou
345 nnonçait ma Part du diable ). J’allais chez lui, il me lisait de la poésie sur un ton d’emphase contenue, en marchant à g
346 e plus moderne, c’est vous pape Pie X ! », criait- il en déclamant Zone. Ce pape-là ne le gênait pas : c’était un vers d’Ap
347 ist aviateur, dans le même poème…) C’est ainsi qu’ il me lut un jour l’Ode à Charles Fourier qu’il venait de recopier d’une
348 i qu’il me lut un jour l’Ode à Charles Fourier qu’ il venait de recopier d’une belle écriture sage et d’orner de fleurs au
349 ur. Fourier était alors son nouvel intercesseur : il insistait pour m’en lire des chapitres décrivant le travail et les pl
350 riers, de l’utopie phalanstérienne. On eût dit qu’ il était le premier à découvrir ce jeune auteur d’avant-garde ! « Ombre
351 n… une grande réparation vous est due », écrira-t- il dans Arcane 17, deux ans plus tard, et il poursuit : « À travers leur
352 crira-t-il dans Arcane 17, deux ans plus tard, et il poursuit : « À travers leurs outrances et tout ce qui procède chez eu
353 Breton ne s’est mieux défini. Je pense au soir où il déclara qu’il était temps d’aller regarder de plus près qu’on ne l’av
354 t mieux défini. Je pense au soir où il déclara qu’ il était temps d’aller regarder de plus près qu’on ne l’avait fait saint
355 lus près qu’on ne l’avait fait saint Augustin, qu’ il tenait pour l’ancêtre des jansénistes. Nous lui dîmes qu’il y avait l
356 dîmes qu’il y avait là-dessus des bibliothèques ; il n’en crut rien, visiblement, et avec raison : son Augustin à lui étai
357 che lentement à pas de rêve. « Je pensais, me dit- il , à la religion qu’il faut absolument fonder, et pourquoi ne pas la fo
358 e rêve. « Je pensais, me dit-il, à la religion qu’ il faut absolument fonder, et pourquoi ne pas la fonder sur le culte d’u
359 si hautement exemplaire à tant d’égards, c’est qu’ il voulait tout à la fois changer la vie par une sédition passionnelle (
360 ns bibelots, entre le délire et l’extrême rigueur il n’a jamais cessé d’inventer un chemin qui ne pouvait exister que pour
361 ui seul. De personne je ne suis à ce point sûr qu’ il a toujours suivi — avec autant d’audace que d’exacte obéissance aux s
362 ue d’exacte obéissance aux signes devinés — ce qu’ il faut bien que j’appelle ici d’un terme signifiant pour moi la relatio
23 1966, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Jacques Chenevière ou la précision des sentiments (22-23 octobre 1966)
363 urs articulations déliées mais fort précises, car elles nous disent très bien de quoi parle ce livre4 mais aussi comment il e
364 s bien de quoi parle ce livre4 mais aussi comment il en parle. Et c’est cela qui nous intéresse : Jacques Chenevière, écri
365 été bien mal vu des professeurs dans ma jeunesse, ils croyaient dur comme fer à « l’unité », l’unité à tout prix, fût-ce au
366 tion le requiert, dès le seuil de l’âge d’homme ; elle menace souvent d’accaparer ses énergies aux dépens de l’œuvre personn
367 r ses énergies aux dépens de l’œuvre personnelle, elle pourra tour à tour l’aliéner (comme on dit) ou le rassurer sur lui-mê
368 dit) ou le rassurer sur lui-même, mais finalement elle n’aura pas contaminé son art d’écrire « pour le plaisir ». Je pense à
369 lle de Neige, qui n’ont rien de philanthropique. ( Ils ravissaient Valéry Larbaud, et c’est tout dire.) Cette suite d’une qu
370 ères pages du livre, intitulées « Sans date », qu’ il cherche à « distancier », vainement d’ailleurs, sont admirables. L’
371 sonniers Descriptions d’une mémoire ; et ce qu’ elle a gardé, et qui revit en ce recueil, va devenir par la grâce d’un art
372 urd’hui si vous voulez. » C’était Romain Rolland. Il venait de publier Au-dessus de la Mêlée et vivait à Villeneuve, réali
373 exposé. Mussolini répond, Chenevière l’observe. «  Il est dressé, les mains au bord de la table — où je remarque soudain un
374 soudain une coupe emplie de beaux raisins pâles. Il tient le menton haut… L’œil est impérieux, mais impérieux dans le vid
375 impérieux, mais impérieux dans le vide, semble-t- il , car il fixe on ne sait quel objet imaginaire bien au-delà de nos per
376 ux, mais impérieux dans le vide, semble-t-il, car il fixe on ne sait quel objet imaginaire bien au-delà de nos personnes,
377 devant la table officielle. Plus du tout cambré, il piquait des raisins avec une surprenante prestesse. » Plusieurs chapi
378 l’autre fumant sans cesse des petits cigares « qu’ elle plantait juste au milieu de sa bouche grande, charnue et bien peinte 
379 a bouche grande, charnue et bien peinte », même s’ il s’agit seulement des robes que leur composait Worth trente ans plus t
380 tout le reste est linguistique, dirait Verlaine s’ il revenait parmi nous. 4. Retours et images, Éditions Rencontre. a
24 1967, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). J. Robert Oppenheimer (25 février 1967)
381 r les mesures et les affinités de sa pensée, mais il me donnait l’impression de représenter parmi nous quelque chose de bi
382 désert d’El-Amarna, d’une cité du Soleil absolu : il en avait la sensitivité, l’ossature délicate allongée, le large regar
383 Nous devons être absolument séculiers » insistait- il . Mais une fois je l’entendis murmurer, avec un demi-sourire : « Peut-
384 « Peut-être suis-je plus chrétien que quiconque… Il faudra bien que je vous l’explique quand nous serons seuls. » C’était
385 ait il y a deux ans, je ne devais plus le revoir. Il aimait citer la Bhagavad-Gita, qu’il lisait en sanscrit. Il connaissa
386 s le revoir. Il aimait citer la Bhagavad-Gita, qu’ il lisait en sanscrit. Il connaissait à fond notre littérature, où il pr
387 citer la Bhagavad-Gita, qu’il lisait en sanscrit. Il connaissait à fond notre littérature, où il préférait à tout François
388 crit. Il connaissait à fond notre littérature, où il préférait à tout François Villon. Jeune homme, il avait rêvé un sonne
389 il préférait à tout François Villon. Jeune homme, il avait rêvé un sonnet en français : il l’écrivit au réveil et le publi
390 eune homme, il avait rêvé un sonnet en français : il l’écrivit au réveil et le publia dans la petite revue de poésie d’ava
391 d and the Horn. Infiniment scrupuleux, par bonté, il voyait tout, pensait à tout pour ses amis, et savait écouter comme pe
392 bleu qui allait interroger au-delà de vous-même. Il avait une aura, il le savait, un prestige un peu douloureux qu’il por
393 terroger au-delà de vous-même. Il avait une aura, il le savait, un prestige un peu douloureux qu’il portait avec juste ass
394 a, il le savait, un prestige un peu douloureux qu’ il portait avec juste assez de gaucherie pour une impeccable élégance…
25 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Entretien avec Denis de Rougemont (6-7 avril 1968)
395 ins suisses romands ; pensez à Roud et Jaccottet. Il existe un filon de romantisme allemand qui nous est très proche et, c
396 me. Rien de tout cela n’a les mêmes frontières et il se produit là un jeu complexe d’exclusions et d’inclusions, qui s’opp
397 anière systématique à toute idée de nationalisme. Il faut multiplier les communautés d’aires différentes qui n’ont pas les
398 le aux particularités d’un pays, d’une région, qu’ il s’agisse du monde germanique ou de la France. Maintenir les contrai
399 sion entre la personne qui se crée et l’époque qu’ elle vit n’est-elle pas la caractéristique fondamentale de votre vie et de
400 ersonne qui se crée et l’époque qu’elle vit n’est- elle pas la caractéristique fondamentale de votre vie et de votre œuvre ?
401 t qui se retrouve à tous les niveaux. Je pense qu’ il faut maintenir dans un individu l’exigence spécifique, singulière, d’
402 a pensée doit conduire l’action : mais sans agir, elle n’est pas vraie pensée. » ⁂ Quittant Ferney-Voltaire, où des êtres hu
403 vite ses droits : avant d’emprunter l’autoroute, il me faut présenter ma carte d’identité au douanier ! L’Europe des poli
404 . Propos recueillis par Henri-Charles Tauxe. ai. Il s’agit sans doute d’une erreur de transcription : Rougemont se réfère
26 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il faut réinventer l’Université (29 juin 1968)
405 Il faut réinventer l’Université (29 juin 1968)aj En Suisse (comme en
406 par brider sévèrement son imagination, obsédé qu’ il est par la crainte que ses projets ne soient pas « sérieux », c’est-à
407 Zukunftsmusik devient urgence (peut-être même est- il trop tard), et chacun d’affirmer qu’il l’avait toujours dit… Sans plu
408 e même est-il trop tard), et chacun d’affirmer qu’ il l’avait toujours dit… Sans plus de précautions, et pour faire court,
409 ssure sa propre police et s’administre elle-même. Elle est formée par la totalité (universitas) des maîtres et des élèves, e
410 itas) des maîtres et des élèves, et en même temps elle représente la totalité des savoirs acquis et des recherches en cours
411 épendance financière d’un même État. À part cela, elles n’ont plus rien à se dire, ni au fond rien à faire ensemble. 3. L’Uni
412 radictoires. Les écoles préparent à des métiers : elles servent la Production. L’Université devrait préparer à juger, évaluer
413 évaluer, orienter les esprits et les activités : elle aurait pour fonction de chercher et de dire le Sens de la société. Il
414 ion de chercher et de dire le Sens de la société. Il se pourrait qu’au nom du Sens, elle soit amenée à contester les final
415 de la société. Il se pourrait qu’au nom du Sens, elle soit amenée à contester les finalités productivistes de la plupart de
416 vistes de la plupart des écoles. 4. Les méthodes, elles aussi, sont différentes, voire opposées. Pour les écoles ou facultés 
417 Une école doit normalement déboucher sur un job. Elle doit donc, comme le dit un de nos magistrats, « favoriser une meilleu
418 chés ». Cependant, avant de contester la société, il serait bon de la connaître par l’une au moins de ses activités. L’éco
419 canton, une école polytechnique pour tel autre : elles exigent la coopération de plusieurs cantons, ou la dimension national
420 té : une école, en effet, ne saurait se la poser. Il faut l’Université parce qu’un centre de contestation est indispensabl
421 ex cathedra doivent être conservés : ainsi quand il s’agit d’exposer les recherches inédites qu’un maître est en train de
422 vrait pas être et avoir été seulement professeur. Il ne devrait pas être jugé sur ses seuls titres universitaires mais sur
423 versitaires mais sur sa valeur comme praticien, s’ il enseigne dans une école, et comme créateur intellectuel, s’il enseign
424 dans une école, et comme créateur intellectuel, s’ il enseigne dans une Université. 15. Les recherches spécialisées en phys
425 able à la vie d’une Université digne du nom. 16. Il ne faut pas redouter qu’une tension s’institue entre écoles professio
426 ntre écoles professionnelles et Université. Ce qu’ il faut redouter, c’est la subordination de la recherche aux besoins de
427 on s’obstine encore à nommer des universités. 18. Il ne faut pas détruire ce qui existe — les écoles professionnelles (ou
428 ler de la peur d’imaginer). Par-dessus tout cela, il faut réinventer une Université digne du nom. Car sans elle, les école
429 réinventer une Université digne du nom. Car sans elle , les écoles professionnelles, l’économie, et la société tout entière
430 re, en novembre 1964. aj. Rougemont Denis de, «  Il faut réinventer l’université », Gazette de Lausanne (supplément litté
27 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’écrivain et l’événement (7-8 septembre 1968)
431 fois pour toutes à la politique d’un parti, quand il s’agit de prendre une position publique. L’engagement supposait à mon
432 ilosophique et religieux. De l’intime à l’ultime, il supposait un passage obligé par le « proxime », la proximité, le proc
433 et ce passage était le lieu de l’engagement. Est- il encore praticable ? Autrement dit : quelle peut être aujourd’hui, au
434 réponds ! Mais de quoi l’écrivain comme tel peut- il répondre, sinon de son œuvre elle-même, de sa pensée et de son style 
435 agé — ou non. Dans le fait, dans le concret vécu, il n’y a pas l’écrivain d’un côté et l’événement de l’autre, deux objets
436 l’œuvre ne constitue une partie de la réalité qu’ il croit décrire quand il l’écrit… ⁂ On ne peut donc parler que de diffé
437 ne partie de la réalité qu’il croit décrire quand il l’écrit… ⁂ On ne peut donc parler que de différents modes de relation
438 ste. 1. Le ludion réagit passivement à l’époque : il n’est pas engagé mais immergé en elle, il en révèle les courants loca
439 à l’époque : il n’est pas engagé mais immergé en elle , il en révèle les courants locaux et superficiels ou profonds et en f
440 poque : il n’est pas engagé mais immergé en elle, il en révèle les courants locaux et superficiels ou profonds et en forma
441 n formation, sans essayer d’agir sur eux, soit qu’ il n’en ait aucune envie, soit qu’il désespère d’en avoir les moyens, ou
442 ur eux, soit qu’il n’en ait aucune envie, soit qu’ il désespère d’en avoir les moyens, ou nie que ces moyens puissent même
443 eur par l’angoisse du syndrome totalitaire tel qu’ il se constituait alors dans l’inconscient des peuples. Entre ces deux e
444 oque (bien mieux que le ludion) dans la mesure où il la refuse (bien plus radicalement que le contestateur) mais s’il la j
445 ien plus radicalement que le contestateur) mais s’ il la juge et la refuse, c’est au nom d’une vision meilleure — qu’il ann
446 refuse, c’est au nom d’une vision meilleure — qu’ il annonce, illustre, anticipe… Bien entendu — mais l’ai-je assez laissé
447 s chaque catégorie peut se reconnaître au fait qu’ il participe peu ou prou des deux autres : reprenez mes exemples. Inst
448 ime et au nom d’un autre régime qui ferait pire s’ il le pouvait. Cela comporte : donner réponse, dire la réalité du monde
449 ouveau que la révolte obscurément postule, car si elle le concevait elle le susciterait au lieu de simplement « contester »
450 lte obscurément postule, car si elle le concevait elle le susciterait au lieu de simplement « contester » du passé. Cela com
451 de et à l’événement, c’est de les créer. Et ce qu’ il faut attendre du meilleur écrivain, c’est qu’il fasse converger dans
452 u’il faut attendre du meilleur écrivain, c’est qu’ il fasse converger dans son œuvre le sentiment baudelairien de son époqu
453 ent baudelairien de son époque, la révolte contre elle de tout homme qui se veut tel, et l’annonce admirable d’un monde équi
28 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Vers l’Europe des régions [Entretien]
454 nt d’Amérique après la guerre, j’avais compris qu’ il était indispensable d’unir les Européens. Non seulement nous-mêmes, m
455 oblème. L’union mondiale ne sera concevable que s’ il existe une solide fédération européenne. Ce sera le point d’accrochag
456 ction et de la vie intellectuelle et auront entre elles des liens de toutes natures. Elles constitueront de proche en proche
457 t auront entre elles des liens de toutes natures. Elles constitueront de proche en proche un tissu plus solide que leurs lien
458 ité universelle : « Désormais, disait saint Paul, il n’y a plus ni Juifs ni Grecs. » Cette responsabilité de l’Europe s’op
459 t à la racine d’ordre philosophique ou religieux. Il s’agit de transposer sur les plans économique et politique les conséq
29 1968, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Jean Paulhan (19-20 octobre 1968)
460 re attente et sa folle exigence ; en ce temps-là. Elle s’adressait à cela dans la littérature dont il nous paraissait tout à
461 Elle s’adressait à cela dans la littérature dont il nous paraissait tout à fait évident que Paulhan détenait les clefs et
462 efs et les mesures. (Mais c’était justement ce qu’ il cherchait, comme nous l’apprirent beaucoup plus tard les Fleurs de Ta
463 rirent beaucoup plus tard les Fleurs de Tarbes !) Il n’avait encore publié que deux ou trois petits livres un peu trop par
464 e la NRF . Ce n’était pas le sien, bien entendu, il ne récrivait pas nos textes, mais le style de chacun des auteurs de l
465 t le même sans sa présence et sans son attention. Il était à lui seul notre air de parenté, si différents ou opposés que n
466 raire qui ait jamais montré dans cet emploi ce qu’ il faut appeler du génie. Et le plus libéral qu’on puisse imaginer ! La
467 ine à le traiter d’éminence grise de nos lettres. Il était tout le contraire : un maître socratique, indemne de toute secr
468 attentif à ne rien nous imposer qui ne fût ce qu’ il avait senti, bien avant nous, qui pourrait être nous. Bien trop curie
469 re nous. Bien trop curieux pour être autoritaire, il n’avait de goût que pour nos singularités (que d’autres nommeraient v
470 gularités (que d’autres nommeraient vocations) et il les respectait scrupuleusement, quitte à les provoquer ou débusquer p
471 à l’improviste d’une mystifiante naïveté — comme il lui arrivait de s’en poser à lui-même, et parfois d’y répondre par un
472 un opuscule. « Ah ! je suis bien déçu, me disait- il un jour. Je me suis appliqué à relire Cicéron dans l’espoir de le tro
473 directeur.) Chaque jour, d’un large bec de plume, il écrivait sur des petites feuilles de papier vert frappées du monogram
474 un entretien interrompu par un coup de téléphone. Il dictait à sa femme les lettres moins intimes. Germaine et Jean, dans
475 es d’exister. J’ai retrouvé la première lettre qu’ il m’ait écrite, en 1926. M’ayant lu dans la Revue de Genève , il me de
476 e, en 1926. M’ayant lu dans la Revue de Genève , il me demandait « s’il m’intéresserait quelque jour de collaborer à la
477 lu dans la Revue de Genève , il me demandait « s’ il m’intéresserait quelque jour de collaborer à la NRF  ». J’étais admi
478 années plus tard, me voici devant Paulhan : comme il est grand ! C’est le plus grand écrivain que j’aie jamais connu : 1 m
479 ent qui me lance, à peine passé la porte : « Mais il me semble que depuis des années je vous supplie de nous donner des te
480 l’aise, et mal à l’aise aussi. Un peu plus tard, il me confie, rêveur : « Comme il est difficile, n’est-ce pas, de se lib
481 Un peu plus tard, il me confie, rêveur : « Comme il est difficile, n’est-ce pas, de se libérer de ses origines protestant
482 as les assumer ? » (Bien sûr qu’à cela, du moins, il n’a jamais songé.) Je l’ai surpris, notre dialogue s’est noué, et il
483 .) Je l’ai surpris, notre dialogue s’est noué, et il se poursuivra dans plusieurs de mes livres, d’une manière que je suis
484 ’arrangerai pour y faire figurer les questions qu’ il me soumettra (c’est sa manière de critiquer) après lecture du manuscr
485 s a été composée pour prévenir les objections qu’ il avait faites à la seconde, dont je croyais d’abord qu’elle pouvait se
486 t faites à la seconde, dont je croyais d’abord qu’ elle pouvait se suffire. Longtemps, Jean P. (comme il signait ses brefs bi
487 lle pouvait se suffire. Longtemps, Jean P. (comme il signait ses brefs billets) a joué pour moi le rôle du lecteur idéal d
488 engage à rapporter ces petits souvenirs, c’est qu’ ils sont personnels… à combien d’entre nous, jeunes auteurs de l’entre-de
489 he n’ose pas toujours espérer de la philosophie : il veut connaître ce que peut l’homme. Et Gide, ce qu’il est. Il suffira
490 eut connaître ce que peut l’homme. Et Gide, ce qu’ il est. Il suffirait à Claudel de reformer sur les débris d’une société
491 aître ce que peut l’homme. Et Gide, ce qu’il est. Il suffirait à Claudel de reformer sur les débris d’une société laïque l
492 de sur le crime et la merveille. « La poésie, dit- il , a pour cela ses moyens, dont les hommes sous-estiment l’efficacité. 
493 ns, dont les hommes sous-estiment l’efficacité. » Il semble à Maurras suffisant, mais nécessaire, que l’écrivain maintienn
494 d’Alerte : la poésie lui semble chose si grave qu’ il a pris le parti de se taire. Je ne sais s’il est vrai que les hommes
495 e qu’il a pris le parti de se taire. Je ne sais s’ il est vrai que les hommes de lettres se soient contentés jadis de distr
496 nt contentés jadis de distraire d’honnêtes gens. ( Ils le disaient du moins.) Les plus modestes de nous attendent une religi
497 n, une morale, et le sens de la vie enfin révélé. Il n’est pas une joie de l’esprit que les Lettres ne leur doivent. Et qu
498 tre littérature n’autorise pas trop d’optimisme. Il se peut que les hommes soient devenus plus exigeants. Il se peut auss
499 eut que les hommes soient devenus plus exigeants. Il se peut aussi que les Lettres soient devenues moins donnantes. Tout s
500  le petit fait faux » qui seul intéressera, croit- elle . an. Rougemont Denis de, « Jean Paulhan », Gazette de Lausanne (sup
30 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Témoignage sur Bernard Barbey (7-8 février 1970)
501 , j’écrivais du second roman de Bernard Barbey : Il règne dans La Maladère une étrange harmonie entre le climat des senti
502 des sentiments et celui des campagnes désolées où il se développe. Paysages tristes et sans violence, autour de ces êtres
503 res dont la détresse est d’autant plus cruelle qu’ elle est contenue sous des dehors trop polis. Une fois fermé le livre, on
504 isoire, que les deux ou trois autres carrières qu’ il a connues avec de si constants succès pour ceux qui savent — dans l’a
505 t presque toujours de la littérature, si bonne qu’ elle soit. Mais l’aventure militaire de Barbey est singulière. Assurer la
506 de l’Académie. Mais là n’était pas son souci ! Et il nous suffisait, nous ses amis (mais avons-nous su le lui dire assez…)
507 téraire), Lausanne, 7–8 février 1970, p. 21. ap. Il s’agit de La Confédération helvétique (1953) et de La Suisse ou l’
31 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). La cité européenne (18-19 avril 1970)
508 s et Messieurs, Je pense, avec Robert Schuman, qu’ il est possible d’unir nos pays pour cette raison littéralement fondamen
509 de base existe, sur laquelle fonder cette union. Il s’agit de l’unité d’une culture, de laquelle participent tous les Eur
510 e, de laquelle participent tous les Européens, qu’ ils soient d’ailleurs « cultivés » ou non, conscients ou non de ce qu’ils
511 s « cultivés » ou non, conscients ou non de ce qu’ ils doivent, en fait, à la culture. Unité non pas homogène et qui ne résu
512 ire, Héraclite écrivait cette phrase décisive, qu’ il faut tenir pour la formule même de l’unité européenne : « Ce qui s’op
513 s citoyens à la fois libres et responsables, mais elle invente aussi l’analyse critique, elle la conduit à ses dernières con
514 bles, mais elle invente aussi l’analyse critique, elle la conduit à ses dernières conséquences, découvre ainsi l’idée de l’a
515 invente l’État et les institutions centralisées : elle poussera l’ordre et la stabilité dans l’uniformité universelle jusqu’
516 a morale de la mesure et de la raison utilitaire, il oppose les élans de l’amour sans calcul, au droit de la force le serv
517 culte du succès le sens du sacrifice. Bien plus, il porte la contradiction au cœur de l’être, et la traduit dans l’énoncé
518 pas pour autant : entre leurs triomphes alternés, elles durent dans l’ombre de l’histoire, dans la tradition, dans les livres
519 dans les livres, et dans l’inconscient collectif. Elles agissent toutes, sans exception, dans la vie des hommes d’aujourd’hui
520 Lancelot et d’un Perceval, symbole mystique. Faut- il enfin rappeler l’apport arabe, qui ne se limite pas au zéro précédant
521 si peu que ce soit, est si cher aux Européens qu’ il les porte à exagérer d’une manière tout à fait extravagante l’importa
522 mportance de ce qui les distingue. C’est ainsi qu’ ils en viennent à penser sincèrement qu’ils ne pourront jamais s’unir, mê
523 ainsi qu’ils en viennent à penser sincèrement qu’ ils ne pourront jamais s’unir, même s’il le faut, du fait qu’ils n’ont en
524 cèrement qu’ils ne pourront jamais s’unir, même s’ il le faut, du fait qu’ils n’ont en somme rien de commun ! Un jour, tand
525 ront jamais s’unir, même s’il le faut, du fait qu’ ils n’ont en somme rien de commun ! Un jour, tandis que je présidais une
526 sai de définition suivant : L’Européen ne serait- il pas cet homme étrange qui se manifeste comme Européen dans la mesure
527 anifeste comme Européen dans la mesure précise où il doute qu’il le soit, et prétend au contraire s’identifier soit avec l
528 me Européen dans la mesure précise où il doute qu’ il le soit, et prétend au contraire s’identifier soit avec l’homme d’une
529 c l’homme d’une seule nation de cette Europe dont il révèle ainsi qu’il fait partie, par le seul fait qu’il le conteste ?
530 le nation de cette Europe dont il révèle ainsi qu’ il fait partie, par le seul fait qu’il le conteste ? On ne changera pas
531 vèle ainsi qu’il fait partie, par le seul fait qu’ il le conteste ? On ne changera pas cela, ce ne serait plus l’Europe. L
532 ressemblons tous, c’est notre mal et notre bien, il faut en prendre son parti, et c’est là-dessus qu’il faut bâtir notre
533 faut en prendre son parti, et c’est là-dessus qu’ il faut bâtir notre union, si l’on veut qu’elle mérite le nom d’Europe.
534 sus qu’il faut bâtir notre union, si l’on veut qu’ elle mérite le nom d’Europe. Si l’on me demande maintenant comment on peut
32 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). L’Europe et le sens de la vie (25-26 avril 1970)
535 n ne saurait être acquise au prix des libertés qu’ elle est censée servir. Rien de plus limpide que la déduction qui fait tou
536 est une culture pluraliste, on ne peut fonder sur elle qu’une union fédérale. Ce qui paraît beaucoup plus difficile à expliq
537 urchill — dans son fameux discours de Zurich — qu’ il n’y a pas une minute à perdre ! Quel est l’obstacle apparemment insur
538 dique, que tout exige, que tout le monde admet qu’ il faut faire — et que pourtant personne ne fait ? Eh bien, chacun le sa
539 ontinentale). À l’intérieur de ses frontières, qu’ il déclare naturelles contre toute évidence, l’État-nation n’admet aucun
540 utonomie, aucune diversité réelle. À l’extérieur, il refuse toute union, alléguant une indépendance et une souveraineté ab
541 aineté absolues aussi peu défendables en droit qu’ elles deviennent illusoires en fait au xxe siècle. Rien, donc, de plus hos
542 re aux exigences concrètes de notre temps, puisqu’ il est à la fois trop petit pour agir à l’échelle mondiale ; trop grand
543 s plus concrètes et le culte prolongé d’un mythe, il faut choisir. Pour la première fois dans son histoire, l’homme se voi
544 es longuement délibérés, concertés à long terme : il fallait se battre pour survivre. Aujourd’hui que le nécessaire est as
545 le rapport de l’industrie et de la technique. Et ils les forcent à reposer des questions difficiles, voire angoissantes su
546 e de la vie… D’une façon plus précise, en Europe, il nous faut décider si notre union aura pour but la puissance collectiv
547 puissance collective ou la liberté des personnes. Il nous faut le décider, en toute conscience, et vite, car le choix de l
548 mais à l’inverse, si vous vous trompez de moyens, ils risquent bien de vous conduire où vous ne vouliez pas aller… Voici do
549 incipalement de tenir tête aux deux autres, alors il faut créer un super-État-nation continental, uniformisé, centralisé e
550 on, et faire de nos États autant de départements. Il faut tout unifier par des lois inflexibles, sans égard aux diversités
551 e — selon la loi de l’État-nation dès ses débuts. Il s’agit donc d’une utopie catastrophique, mais dont la réalisation ne
552 n’étant qu’un des moyens de ces libertés), alors il faut reconnaître que l’État-nation n’est pas seulement un modèle péri
553 ion n’est pas seulement un modèle périmé, mais qu’ il est en fait aujourd’hui radicalement incompatible avec les fins de l’
554 tible avec les fins de l’Europe et de la liberté. Il faut adopter sans délai les méthodes les plus propres à réduire l’obs
555 neufs pour une cité rendue à l’usage de l’homme. Il faut mettre en commun à l’échelle fédérale continentale, tout ce qui
556 s, communales et personnelles, mais rien de plus. Il faut admettre la pluralité des allégeances, civiques, politiques, cul
557 étention de l’État-nation à leur monopole absolu. Il faut distribuer les pouvoirs étatiques aux différents niveaux de déci
558 unauté la plus apte à les administrer. En un mot, il faut appliquer la méthode du fédéralisme. Puissance ou liberté : ces
559 as perdre une occasion de faire voir à quel point elles sont absurdes. Elles sont encore efficaces, il est vrai, pour gêner c
560 n de faire voir à quel point elles sont absurdes. Elles sont encore efficaces, il est vrai, pour gêner ce qu’il faudrait aide
561 elles sont absurdes. Elles sont encore efficaces, il est vrai, pour gêner ce qu’il faudrait aider : les échanges culturels
562 t encore efficaces, il est vrai, pour gêner ce qu’ il faudrait aider : les échanges culturels, les mouvements de personnes,
563 des productions industrielles et agricoles. Mais elles ne servent absolument à rien pour arrêter ce qui devrait l’être : les
564 nde et les grandes contagions dites idéologiques. Elles empêchent simplement de bien traiter ces problèmes. Ce statut des fro
565 ouche à l’État-nation : néfaste dans la mesure où il est encore réel, inexistant quand on voudrait compter sur lui. Je ne
566 e (laquelle ne saurait être positive, me semble-t- il , dans tous les pays à la fois…) ne sont pas le type même de faux prob
567 rs frontières sans les apercevoir : dans ce plan, elles n’existent pas. Il n’y a pas de « cultures nationales », en dépit des
568 apercevoir : dans ce plan, elles n’existent pas. Il n’y a pas de « cultures nationales », en dépit des manuels scolaires,
569 res nationales », en dépit des manuels scolaires, il n’y a que des divisions tout arbitraires opérées dans l’ensemble viva
570 sont pas celles de ces États-nations nés d’hier : elles les traversent et les divisent tous également, et ne coïncident jamai
571 par l’idée de « se faire respecter », oublient qu’ ils n’y arriveraient qu’en se rendant utiles. Ils exigent, depuis Louis X
572 qu’ils n’y arriveraient qu’en se rendant utiles. Ils exigent, depuis Louis XIV, que l’on s’incline devant la « majesté de
573 e des nations. À l’aspect négatif de ses travaux, elle ajouterait l’étude on ne peut plus positive de la renaissance des rég
574 peut plus positive de la renaissance des régions. Il faut défaire et dépasser l’État-nation. En instaurant les régions en
575 nt les régions en deçà, et la fédération au-delà. Il faut distribuer et répartir l’État aux différents niveaux de décision
576 rtir l’État aux différents niveaux de décision où il peut servir une entité vivante, civique, économique ou culturelle, et
577 ations ou d’affaires étrangères : c’est un mot qu’ il nous faut bannir du vocabulaire politique dans une Europe fédérale, a
578 Dira-t-on que ce programme est révolutionnaire ? Il l’est, bien sûr : on ne fera pas l’Europe sans casser des œufs, nous
579 œufs, nous le voyons depuis vingt-cinq ans. Mais il l’est moins parce qu’il demande qu’on dépasse les États-nations que p
580 puis vingt-cinq ans. Mais il l’est moins parce qu’ il demande qu’on dépasse les États-nations que parce qu’il pose une hiér
581 ande qu’on dépasse les États-nations que parce qu’ il pose une hiérarchie nouvelle des finalités politiques. Donner comme b
582 les problèmes de prix du lait, du blé ou du vin, il est clair que l’Europe des marchandages entre économies étatiques ne
583 ront pas convaincus par des avantages matériels : ils sont presque comblés à cet égard. Ce qui leur manque le plus durement
584 la politique au sens étroit et partisan du terme. Elle exige la recréation de communautés véritables. Et la Cité européenne
33 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une réflexion sur le mode de vie plutôt que sur le niveau de vie (2 juin 1970)
585 re plus grâce à eux et les renvoyer au plus vite. Il semblerait que tout le monde « gagne » à ce jeu : l’industrie qui y t
586 érée telle que vous la concevez, chaque État peut- il conserver son intégrité spirituelle et culturelle malgré la libre cir
587 manuels ? — La notion d’« helvéticité » existe-t- elle  ? Et si oui, dans le cas particulier qui nous préoccupe, cette « helv
588 ier qui nous préoccupe, cette « helvéticité » est- elle menacée par la présence d’une nombreuse main-d’œuvre étrangère en Sui
589 la plupart de ceux qui viennent de le découvrir. Ils nous disent : « À l’heure où il n’est question que de s’ouvrir à l’Eu
590 de le découvrir. Ils nous disent : « À l’heure où il n’est question que de s’ouvrir à l’Europe, pourquoi nous fermer devan
591 détruit lui-même : car dans une Europe intégrée, il n’y a plus « d’économie suisse », il y a seulement une économie europ
592 ment importer autant de travailleurs étrangers qu’ il en faut pour que nos exportations continuent à croître, cela revient,
593 les travailleurs ne se déplacent en général que s’ ils y sont fortement incités, s’ils sont en quelque sorte recrutés, à l’i
594 en général que s’ils y sont fortement incités, s’ ils sont en quelque sorte recrutés, à l’instar des soldats du service étr
595 ient avant tout les routes du gain maximal, où qu’ elles aillent, est fausse et irréelle, quoique matérialiste. La plupart des
596 tre « helvéticité », comme vous osez l’écrire ! —  il est clair que ce n’est pas sérieux. L’argument ne vaut rien, mais en
597 ues et hygiéniques, écologiques et politiques, si elle n’établit pas ses plans en conséquence et ne s’engage pas à les réali
598 puté zurichois sera des plus utiles aux Suisses s’ il les amène à se poser — bien au-delà du 7 juin et de ses résultats — l
599 suivantes : — La croissance indéfinie du PNB est- elle une obligation sacrée, donc indiscutable, ou faut-il la subordonner à
600 une obligation sacrée, donc indiscutable, ou faut- il la subordonner à d’autres impératifs, écologiques notamment ? — Le « 
601 cologiques notamment ? — Le « niveau de vie » est- il plus important que le mode de vie ? — La philanthropie qu’invoquent à
602 ne peut pas chasser des frères humains ») serait- elle encore invoquée si la présence des travailleurs étrangers nous coûtai
603 e des travailleurs étrangers nous coûtait plus qu’ elle ne rapporte ? — La pire menace contre notre mode de vie suisse vient-
604 pire menace contre notre mode de vie suisse vient- elle de la présence d’étrangers parmi nous, ou de nous-mêmes, qui tolérons
605 on, sur « Les travailleurs étrangers en Suisse ». Il est précédé du chapeau suivant : « Invité à se prononcer sur notre do
34 1970, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Le testament de Tristan (14-15 novembre 1970)
606 estament de Tristan (14-15 novembre 1970)ax ay Il a choisi le pays de son nom contre le continent de son prénom ; et ju
607 e voter son exil. Mais j’ai tort de dire France : il s’agit des Français, et de Gaulle a toujours distingué. Toute ma vie
608 ouée à une destinée éminente et exceptionnelle… S’ il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, [c’e
609 passion nationale. Son Iseut, c’est la France, et il est près de le dire dans plus d’une page de ses Mémoires, et pas seul
610 seulement dans ces célèbres premières phrases où il l’a peinte « telles la princesse des contes ou la madone des fresques
611 des succès achevés ou des malheurs exemplaires ». Il l’a longtemps aimée de loin, dans son exil. Il l’a délivrée de haute
612 ». Il l’a longtemps aimée de loin, dans son exil. Il l’a délivrée de haute lutte en terrassant le monstre, qui la tenait c
613 en terrassant le monstre, qui la tenait captive. Il l’a ramené au mari légitime, à ce roi Marc que figurait le Pays légal
614 c que figurait le Pays légal, la République. Puis il a dû s’éloigner d’elle et de la Cour, de nouveau, écœuré par l’intrig
615 s légal, la République. Puis il a dû s’éloigner d’ elle et de la Cour, de nouveau, écœuré par l’intrigue des « barons félons 
616 (son premier départ volontaire, en 1946). Certes, il est revenu à son appel, et c’est en 1958. « Mais la vraie passion tri
617 retraits et d’obstacles, quitte à les susciter s’ ils semblent faire défaut. Entre la France et lui, quand il était le plus
618 blent faire défaut. Entre la France et lui, quand il était le plus fort — Tristan plus fort que le roi Marc —, n’a-t-il pa
619 fort — Tristan plus fort que le roi Marc —, n’a-t- il pas déposé une épée symbolique ? » J’écrivais cela en 1961, annonçant
620 llégué : l’instauration en France des régions, qu’ il proposa solennellement, et à quoi il choisit de lier son sort. Un sui
621 régions, qu’il proposa solennellement, et à quoi il choisit de lier son sort. Un suicide politique, dirent les observateu
622 un tragique malentendu entre « de Gaulle », comme il disait, et cette Europe qui l’eût plébiscité comme un second Charles
623 itier de Louis XIV, des jacobins et de Napoléon.) Il m’écrivait en 1962 à propos de mes Vingt-huit siècles d’Europe  : E
624 ir le régime général d’union dans la diversité qu’ il admirait dans notre Suisse. Quant à la participation qu’il demandait,
625 it dans notre Suisse. Quant à la participation qu’ il demandait, c’est le mot clé du fédéralisme. Merveilleux compromis ent
626 e stature : écartant les barons et le Pays légal, il ne veut devant sa tombe que la France seule, une fois de plus symboli
627 cuter avec le Marché commun. Ce hasard marquera-t- il la fin d’une certaine Europe, le début d’une autre ? Nous avons deman
628 e ? Nous avons demandé à Denis de Rougemont ce qu’ il pensait de l’homme d’État, après que Jacques Mercanton, la semaine de
629 udier les rapports du Général avec la culture, qu’ il n’a guère encouragée. »
35 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Pourquoi j’écris (30-31 janvier 1971)
630 s motivations. Les écrivains ont développé contre elle une série de réactions de mauvaise foi protectrice, ou de « rationali
631 ationalisations » pour parler le jargon freudien. Ils ont trouvé trente-six raisons d’écrire. Ils ont milité pour des cause
632 dien. Ils ont trouvé trente-six raisons d’écrire. Ils ont milité pour des causes. Ils ont même inventé la notion de l’engag
633 raisons d’écrire. Ils ont milité pour des causes. Ils ont même inventé la notion de l’engagement, dans les années 1930… Ell
634 la notion de l’engagement, dans les années 1930… Elle était vraie, mais elle n’expliquait rien. Quand on demande à Zazie po
635 ent, dans les années 1930… Elle était vraie, mais elle n’expliquait rien. Quand on demande à Zazie pourquoi elle veut deveni
636 xpliquait rien. Quand on demande à Zazie pourquoi elle veut devenir institutrice, elle répond : « Pour faire chier les mômes
637 à Zazie pourquoi elle veut devenir institutrice, elle répond : « Pour faire chier les mômes ! » Ces mauvais sentiments anim
638 peu tellement imbibées de raison que l’origine qu’ elles tirent de la déraison devient invraisemblable. » Hypocrites auteurs,
639 ur devenir aussi admirable aux yeux des autres qu’ il est admiré par vous-même, vous essayez d’écrire comme lui des vers, u
640 tat brut ne continue d’agir dans mes écrits, mais il n’est plus seul discernable, tout mêlé qu’il se trouve à des courants
641 mais il n’est plus seul discernable, tout mêlé qu’ il se trouve à des courants violents chargés de matériaux littérairement
642 , mais d’un discours, d’un livre, d’un article qu’ il s’agit de donner à date fixe — et de tout ce qu’il faut bien ajouter
643 l s’agit de donner à date fixe — et de tout ce qu’ il faut bien ajouter à quelque ouvrage obscurément jailli, pour l’acheve
644 ’époque, je me l’écrie, et je lui crie d’abord qu’ elle devrait être une autre pour que je n’y sois plus seulement un moi con
645 pour que je n’y sois plus seulement un moi contre elle , mais que [je] m’y perde et m’y donne. Quand je saurai pourquoi, j’au
36 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Au défi de l’Europe, la Suisse (31 juillet-1er août 1971)
646 , secret des banques, et les arts réduits, paraît- il , à celui de ne pas se mouiller. Nous savons que la Suisse, c’est autr
647 étrangers : quelle est à leurs yeux notre image ? Ils nous renvoient le plus souvent celle de nos erreurs sur nous-mêmes. T
648 nce8 auquel la Gazette demandait dernièrement s’ il pensait que l’on devait faire l’Europe sur le modèle de la Suisse, et
649 ys une bonne solution. Ce qui ne veut pas dire qu’ elle soit généralisable. » Réponse plutôt comique si l’on s’avise que le f
650 problèmes de la Suisse, pour la simple raison qu’ il l’a faite et que seul il la définit en tant que Suisse. Il n’y a pas
651 pour la simple raison qu’il l’a faite et que seul il la définit en tant que Suisse. Il n’y a pas eu la Suisse d’abord, pui
652 ite et que seul il la définit en tant que Suisse. Il n’y a pas eu la Suisse d’abord, puis le fédéralisme appliqué à ce pay
653 urelle, la Suisse n’est rien hors du fédéralisme. Elle n’est rien qu’un régime d’union. Dans leur très grande majorité — 98 
654 re de la Confédération helvétique, de quoi s’agit- il  ? Ni de l’anniversaire d’une dynastie — les Zähringen et les Kibourg
655 est une authentique fédération dans la mesure où elle s’est formée par la libre association de communes rurales et urbaines
656 énéraliser cette formule à toute l’Europe. Autant il devient clair aux yeux de tous que la formule de l’État-nation napolé
657 néralisation ne conduirait qu’à la guerre, autant il apparaît que la formule suisse, c’est-à-dire le fédéralisme, est au c
658 proche à l’Europe tout entière, la Suisse ne va-t- elle pas s’y perdre ? — C’est oublier ce qu’est la Suisse. Dans une Europe
659 Suisse. Dans une Europe unie, loin de se perdre, elle se retrouverait agrandie, prolongée dans l’espace et le temps, au-del
660 ongée dans l’espace et le temps, au-delà de ce qu’ elle est aujourd’hui, qui est tellement au-delà de ce qu’elle fut au Grütl
661 t aujourd’hui, qui est tellement au-delà de ce qu’ elle fut au Grütli, berceau mythique. Une idée se perd-elle en se générali
662 fut au Grütli, berceau mythique. Une idée se perd- elle en se généralisant, et une formule d’union en fécondant des unions to
663 de dans une Europe fédéraliste montrent par là qu’ ils ne savent pas ce qu’est la Suisse. Écoutons plutôt un grand Zurichois
664 a communauté de la Grande Europe. De cette façon, elle n’aura pas vécu en vain, ni sans gloire. S’évanouir dans le succès d
665 ésirons vraiment, si nous le voulons. C’est ce qu’ il reste à savoir, et c’est ce qui nous inquiète. S’il n’y a plus de fro
666 reste à savoir, et c’est ce qui nous inquiète. S’ il n’y a plus de frontières tangibles, plus de douaniers, où sera la Sui
667 isse, gémissent nos « patriotes » désorientés. Or il est sain de se demander, au minimum une fois par an, ce que nous fais
668 e voudront seront alors les vrais Suisses. « Et s’ il n’en reste qu’un… », disait Victor Hugo, reprenant un vers de Corneil
669 ictor Hugo, reprenant un vers de Corneille. 8. Il s’agit d’une interview de M. Raymond Aron, publiée dans la Gazette de
37 1971, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Une dimension nouvelle (11-12 septembre 1971)
670 ersaire un éloge dont tout me faisait craindre qu’ il fût de nature — si plus tôt exprimé, sans précaution — à desservir la
671 a hauteur, affable mais non sans malice, et ce qu’ il faut d’arbitraire dans les jugements, lucide avec plus de mélancolie
38 1972, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Il faut dénationaliser l’enseignement [Entretien] (8 décembre 1972)
672 Il faut dénationaliser l’enseignement [Entretien] (8 décembre 1972)bc bd
673 récié qu’à demi la réédition des Méfaits, soit qu’ ils se sentent attaqués dans leur conscience professionnelle, soit qu’ils
674 ués dans leur conscience professionnelle, soit qu’ ils jugent, eux, que votre texte a vieilli. Je le regrette infiniment, ca
675 car j’ai beaucoup de respect pour les maîtres, et ils ont toute mon amitié. J’ai reçu une lettre, récemment, où une dame me
676 laire, dont les instituteurs sont victimes, et qu’ ils perpétuent malgré eux. Ils n’en sont pas responsables. J’ai d’ailleur
677 s sont victimes, et qu’ils perpétuent malgré eux. Ils n’en sont pas responsables. J’ai d’ailleurs reçu d’autres lettres d’i
678 entralisé, comme le système français. Conviennent- elles vraiment à la Confédération suisse, où l’instruction publique est du
679 tons ? Mais en 1929 je parlais de mon expérience. Elle était tout à fait suisse, puisque j’ai fait l’école primaire, jusqu’à
680 squ’à présent le moyen de formation le plus fort. Elle a prétendu à un monopole de l’éducation, contre l’Église et contre la
681 service de l’État-nation. Dans le système actuel, il serait pratiquement impossible de déscolariser la société, comme le r
682 aillent à l’extérieur. Mais l’école doit changer. Il faut dénationaliser l’enseignement. Quel sens peut avoir pour un enfa
683 ns peut avoir pour un enfant l’histoire suisse, s’ il ignore celle de sa région ? À Couvet, j’ai tout appris sur les Waldst
684 enfin le monde, réalité biologique et écologique. Il faut étudier l’histoire, la géographie, l’écologie, l’économie — l’éc
685 res n’ont rien à voir avec les lois de la nature. Elles n’arrêtent rien de ce qu’il faudrait arrêter : les nuages, les tempêt
686 lois de la nature. Elles n’arrêtent rien de ce qu’ il faudrait arrêter : les nuages, les tempêtes, l’eau polluée ; et elles
687 er : les nuages, les tempêtes, l’eau polluée ; et elles empêchent le passage de ce qui devrait circuler : les hommes, les mar
688 e j’ai mis deux de mes étudiants sur le problème. Ils ont trouvé que les manuels d’histoire et de géographie des années 190
689 Mitterrand. Des exceptions. Mais comment pourrait- il en aller autrement ? Prenez le Petit Littré, qui est encore le dictio
690 nous ramène au problème de la poule et de l’œuf… Il faut agir aux deux niveaux à la fois. Que faire au niveau des États ?
691 us n’avez pas affaire à la réalité. » Or que font- ils  ? Ils expédient les affaires courantes. Étudier l’introduction de nou
692 vez pas affaire à la réalité. » Or que font-ils ? Ils expédient les affaires courantes. Étudier l’introduction de nouvelles
693 La réalité, c’est tout le système scolaire. Mais ils ne peuvent jamais faire face à ce problème. Il faudrait qu’ils puisse
694 s ils ne peuvent jamais faire face à ce problème. Il faudrait qu’ils puissent s’arrêter, sortir de l’urgent et du quotidie
695 t jamais faire face à ce problème. Il faudrait qu’ ils puissent s’arrêter, sortir de l’urgent et du quotidien, pour pouvoir
696 , pour pouvoir tout reconsidérer. Pour en sortir, il faut une véritable révolution. L’impossible révolution Qu’enten
697 i est pratiquement impossible dans notre culture. Il faudrait, au minimum, une volonté générale de sortir du cercle vicieu
698 éfaits , l’exemple de Benjamin Constant. À 5 ans, il a appris le grec. Sous forme de jeu9. Peut-être l’évolution en cours
699 dans la plupart des écoles européennes donnera-t- elle lieu à la révolution que vous souhaitez. Mais on en distingue déjà de
700 es, l’élève pourra « trotter à son pas, galoper s’ il le peut à travers les programmes, bride sur le cou ». Dans le second,
701 s programmes, bride sur le cou ». Dans le second, il faudra bien que l’élève le plus rapide attende que le plus lent de so
702 et c’est à mes yeux la chose la plus importante — il faut interdire la phrase : « Ici, tous doivent faire la même chose ! 
703 rades plus faibles. Au contraire : en les aidant, ils apprendraient d’autant mieux. On ne sait vraiment que ce qu’on a dû e
704 parlez dans les Méfaits 10, et dont vous dites qu’ elle ressemble à ce que demande Illich ? Une école comme celle des amish,
705 Illich, bien que je partage largement ses idées, il est trop rousseauiste : il suppose chez tous les enfants une sorte de
706 e largement ses idées, il est trop rousseauiste : il suppose chez tous les enfants une sorte de besoin inné de s’instruire
707 très proches : aux États-Unis. Plus d’autorité du maître Il se forme spontanément des groupes, autour d’un chef, fanatiquement ob
708 ont tort de ne tolérer qu’un des deux termes. Car il faut que l’un existe pour que l’autre vive, et vice versa. L’éducatio
709 on-solitude, action-repos, permanence-changement. Il faut trouver leur point d’équilibre dynamique. Ainsi pour le fédérali
710 éralisme, qui est si mal compris, même en Suisse. Il s’agit de mettre en relation des éléments — dans le cas européen, des
711 ion des deux, ni subordination de l’un à l’autre. Ils sont à la fois semblables et différents, séparés et unis. C’est la fo
712 ec Dieu, soit à le limiter à son essence humaine. Il faut reconnaître que l’existence simultanée du divin et de l’humain d
713 on dernier article dans Civisme européen 11. Mais il est clair que, seule, la bonne volonté des maîtres ne suffira pas. Il
714 ule, la bonne volonté des maîtres ne suffira pas. Il faut modifier les structures. Les structures nouvelles étant censées
715 ter une nouvelle pédagogie, de nouveaux maîtres ? Elles n’entraîneront pas automatiquement une meilleure pédagogie mais pourr
716 ce que je vous ai dit, c’est ceci, je le répète : il faut apprendre à penser par antinomies. Lier solitude et compagnie, r
717 raclite qu’on comprend généralement mal, parce qu’ elle est mal traduite : « La guerre est la mère de toute chose. » Plutôt q
718 t la mère de toute chose. » Plutôt que « guerre » il faudrait dire « conflit ». À quoi je préfère encore le mot « tension 
719 le de me faire inventer le grec pour l’apprendre. Il me proposa de nous faire à nous deux une langue qui ne serait connue
720 cette idée. Nous formâmes d’abord un alphabet, où il introduisait les lettres grecques. Puis nous commençâmes un dictionna
721 ile. La communauté des amish produit tout ce dont elle a besoin et refuse le tracteur et l’auto. » 11. « Le sort de l’an 20
722 , Genève. bc. Rougemont Denis de, « [Entretien] Il faut dénationaliser l’enseignement », Gazette de Lausanne, Lausanne,
723 e”. La fonction de l’instruction publique, disait- il , était de conditionner les esprits des futurs citoyens dans le sens v
724 l, et fort peu. Quant à l’“aggravation”, de 1972, elle commence ainsi : “Écrit d’un jeune homme en colère, aussi injuste qu’
725 ents l’essentiel de ses critiques quadragénaires. Il cite Ivan Illich, un professeur français, un ministre de l’Éducation
726 le même : c’est un crime contre l’homme, estime-t- il , que d’aligner les esprits pour la commodité des pouvoirs établis. »
39 1972, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Merveilleux Lavaux (23-24-25 décembre 1972)
727 importance rapidement fabuleuse, et passionnelle. Il est difficile d’en parler, fût-ce à sa louange éperdue, sans provoque
728 ues faits vrais, dont la discordance m’inquiète : elle m’empêche de m’abandonner à l’euphorie d’un lyrisme contemplatif, ou
729 du paradoxe majeur de notre civilisation. Grâce à elles , l’homme des villes a retrouvé le contact avec la nature, et ce conta
730 t n’osant aimer que ce qui par d’autres est aimé, ils détruisent à coup sûr les amours qu’ils partagent. Ce paysage sublime
731 est aimé, ils détruisent à coup sûr les amours qu’ ils partagent. Ce paysage sublime est un pays réel, peuplé de vignerons e
732 que Lavaux, à jamais, demeure tel qu’un beau jour ils l’ont aimé. Or, ses habitants l’aiment aussi, mais ils en usent, c’es
733 ’ont aimé. Or, ses habitants l’aiment aussi, mais ils en usent, c’est-à-dire le transforment chaque jour par les retouches
734 . Pour garder le Lavaux que nous aimons, faudrait- il qu’ils renoncent à le vivre, à en vivre ? Sauver Lavaux, oui, mais vi
735 garder le Lavaux que nous aimons, faudrait-il qu’ ils renoncent à le vivre, à en vivre ? Sauver Lavaux, oui, mais vivant no
736 . Et vivant, c’est-à-dire changeant selon sa loi. Il est d’autres centres du monde où les problèmes de la survie d’un lieu
737 étages de palais sur le Grand Canal à des riches. Il faut d’abord que Venise soit peuplée, animée, habitée par des gens du
738 plée, animée, habitée par des gens du pays. Et qu’ ils y trouvent un intérêt vital, et non pas archéologique. Pour sauver Ve
739 al, et non pas archéologique. Pour sauver Venise, il faudra la changer. Inaliénable, oui, inaltérable, non. Ensuite, « fai
740 me. Les artisans du livre, auteurs des textes, qu’ ils s’appellent Paul Chaudet, Claude Massy, Jean Villars-Gilles, François
40 1984, Gazette de Lausanne, articles (1940–1984). Philosophie et énergie nucléaire : une mise au point (28 juin 1984)
741 iscussion avec un directeur qui n’a dit que ce qu’ il devait dire pour défendre les intérêts de sa compagnie ; mais votre r
742 par M. Desmeules. À l’intention de vos lecteurs, il m’importe de dénoncer l’usage fait de ces deux citations, qui en fals
743 doit être replacée dans son contexte historique : elle remonte en effet à 1958 — et non pas 1964 comme vous le dites — date
744 hui au premier rang de l’opposition au nucléaire. Ils pourront confirmer ma description de l’état d’innocence générale où n
745 à géométrie variable » titre votre rédacteur.) Or il est clair qu’elle ne contredit en réalité que les intentions que M. D
746 able » titre votre rédacteur.) Or il est clair qu’ elle ne contredit en réalité que les intentions que M. Desmeules nous attr
747 attribue d’une manière arbitraire et calomnieuse. Il embrouille tout, décidément, et beaucoup plus encore qu’on ne le croi
748 ucléaires ne sont pas dangereuses, à condition qu’ elles soient exploitées et contrôlées par des équipes organisées de manière
749 uipes organisées de manière rigoureuse… Pour moi, il est essentiel que les centrales nucléaires soient peu nombreuses, don
750 de façon quasi militaire 14. M. Desmeules aurait- il mal compris ? Ce n’est pas nous, mais ceux de son bord qui ont dit ce
751 que mon idéal serait l’État marxiste omnipotent, il faut n’avoir rien lu de moi pour oser le répéter à longueur de colonn
752 pour oser le répéter à longueur de colonnes. Est- il pensable qu’une cause défendue par de tels procédés soit une bonne ca